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linguistique et de civilisation
hispaniques médiévales
Henriet Patrick. L’espace et le temps hispaniques vus et construits par les clercs (IXe-XIIIe siècle). In: Annexes des
Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales. N°15, 2003. pp. 81-127;
doi : 10.3406/cehm.2003.1283
http://www.persee.fr/doc/cehm_0396-9045_2003_hos_15_1_1283
Patrick H
Université de Paris IV – Sorbonne
GDR 2378 – SIREM (CNRS)
1. Voir sur ce point Francisco Javier FERNÁNDEZ CONDE, La religiosidad medieval en España.
I. Alta Edad Media (s. VII-X), Oviedo : Universidad de Oviedo, 2000, p. 361-400.
d’une histoire des idéologies et de leurs relations avec la société qui les
produit.
3. Du point de vue des constructions idéologiques « temporelles »,
nous nous sommes demandés si le temps des clercs était « ouvert » ou
« fermé », et aussi comment il s’articulait sur la rupture par excellence,
celle de 711. Nous avons également tenté de mettre en valeur quelques
unes des « constructions mémoriales » (voire « lieux de mémoire ») les
plus importantes de l’histoire de la péninsule, repérables de préférence
sur la totalité de son territoire. Du point de vue des constructions idéolo-
giques « spatiales », nous avons situé au cœur de notre réflexion l’inces-
sante et complexe dialectique entre lieux et espace(s). Quels rapports
l’espace et le locus ont-ils entretenu ? Ont-ils toujours été pensés de façon
autonome et pour eux-mêmes ?
De façon plus générale, quel fut le dosage temps/espace dans les
constructions cléricales ibériques ? Les proportions et les ingrédients ont-
ils toujours été les mêmes, ou bien n’ont-ils pas significativement changé
en fonction des époques et des contextes ? Le plan adopté donne déjà un
élément de réponse à cette question, dans la mesure où il fait apparaître
que les constructions spatiales se sont développées d’autant plus volon-
tiers que l’Hispania chrétienne, consciente de son identité mais aussi de
ses liens avec une Chrétienté en formation, se dilatait.
Reste la question de la spécificité des constructions idéologiques his-
paniques, véritable serpent de mer de la recherche historique. Cette pro-
blématique est périlleuse, dans la mesure où elle est à la fois passionnelle
et souvent mal posée. On peut toujours choisir, selon les présupposés et
les intérêts, de marquer davantage ce qui va dans le sens du spécifique –
dont il serait certes absurde de soutenir qu’il n’existe pas – ou ce qui va
dans le sens du commun – dont il serait dangereux de ne pas reconnaître
qu’il est souvent premier. Poser correctement la question ne peut
d’ailleurs se faire sans adopter, au moins à l’arrière-plan, un point de vue
comparatiste.
4. Le plan adopté est à la fois thématique et chronologique. La pre-
mière partie privilégie les constructions temporelles des e-e siècles, en
tentant de suggérer que celles-ci ne peuvent être comprises sans réfé-
rence au sentiment, exprimé par diverses sources, que l’espace chrétien
est alors, simultanément, incompressible et dominé. La deuxième partie
traite davantage des constructions « mémoriales », envisagées ici, de pré-
férence, à travers des processus d’écriture. Elle tente de mettre en valeur
la place particulièrement importante de ces constructions dans l’histoire
de la péninsule jusqu’au e siècle au moins. La dernière partie étudie
les différentes stratégies et pratiques de « spatialisation chrétienne »,
c’est-à-dire la façon dont les idéologies cléricales investissent les lieux et
’
2. En tout cas dans les sources conservées. Claudio Sánchez Albornoz avait cependant sup-
posé l’existence d’une chronique remontant au règne d’Alphonse II (783/791-842) : Claudio
SÁNCHEZ ALBORNOZ, « Una crónica asturiana perdida de tiempos de Alfonso II », in :
Orígenes de la nación española, Oviedo : Instituto de estudios asturianos, 1974, vol. II, p. 721-756.
Certains historiens mettent en avant l’existence possible d’un « récit primitif de Covadonga »,
qui pourrait remonter au e siècle : voir récemment Alexander Pierre BRONISCH, Recon-
quista und Heiliger Krieg. Die Deutung des Krieges im christlichen Spanien von den Westgoten bis in frühe 12.
Jahrhundert, Münster : Aschendorff, 1998 (Spanische Forschungen der Görresgesellschaft,
zweite Reihe 35). Sur les problèmes qu’entraîne cette hypothèse, Patrick HENRIET, « L’idéo-
logie de guerre sainte dans le haut Moyen Âge hispanique », Francia, 29/1, 2002, p. 171-220,
ici p. 203-208.
3. Edward P. COLBERT, The martyrs of Córdoba (850-859) : a study of the sources, Washington
D. C. : Catholic university of America press, 1962 ; Franz Richard FRANKE, « Die freiwilli-
gen Märtyrer von Cordova und das Verhältnis der Mozaraber zum Islam (nach den Schriften
des Speraindeo, Eulogius und Alvar) », Gesammelte Aufsätze zur Kulturgeschichte Spaniens, 13, 1958,
p. 1-170 ; Dominique MILLET-GÉRARD, Chrétiens mozarabes et culture islamique dans l’Espagne
des VIIIe-IXe siècles, Paris : Études augustiniennes, 1984 ; Kenneth Baxter WOLF, Christian martyrs
in muslim Spain, Cambridge : Cambridge university press, 1988 ; Jessica A. COOPE, The martyrs
of Córdoba. Community and family conflict in an age of mass conversion, Lincoln/Londres : Nebraska
university press, 1995.
4. Juan GIL, Corpus scriptorum Muzarabicorum, 2 vol., Madrid : Instituto Antonio de Nebrija,
1973 (Consejo superior de investigaciones científicas. Manuales y anejos de Emerita, XXVIII),
vol. I, p. 330-343 (Alvar, Vita Eulogii), et vol. II, p. 363-495 (œuvres hagiographiques d’Euloge).
5. Je reprends ici quelques observations formulées dans Patrick HENRIET, « Clercs et
laïques chez Euloge de Cordoue : une vision de la communauté des chrétiens », in : Michel
LAUWERS (éd.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratiques dans l’Occident médiéval (IXe-
XIIe siècle), Nice : APDCA (Collection d’Études Médiévales de Nice, 4), 2002, p. 93-141.
6. Pour s’orienter dans l’immense bibliographie relative au rôle des reliques dans le monde
chrétien médiéval, voir Arnold ANGENENDT, Heilige und Reliquien. Die Geschichte ihres Kultes
vom frühen Christentum bis zur Gegenwart, Munich : Beck, 1994. Collection récente d’études, dans
une perspective moins théologique et davantage « en situation » : Edina BOZÓKY et Anne-
Marie HELVÉTIUS (dir.), Les reliques. Objets, cultes, symboles. Actes du colloque international de l’Uni-
versité du Littoral - Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer), 4-6 septembre 1997, Turnhout : Brepols, 1999
(Hagiologia 1).
7. Liste des martyrs avec traitement du corps et lieu d’inhumation dans Patrick HENRIET,
« Clercs et laïques… », art. cit.
8. Saint-Germain (Georges, Aurèle et Nathalie) : PL 115, col. 939-966. Voir John TOLAN,
« Reliques et païens : la naturalisation des martyrs à Saint-Germain (e siècle) », in : Philippe
SÉNAC (dir.), Aquitaine-Espagne (VIIIe-XIIIe siècle), Poitiers : Université de Poitiers / CESCM,
2001, p. 39-55 (donne toute la bibliographie antérieure). Oviedo (Euloge) : Armando COTA-
RELO Y VALLEDOR, Alfonso III el Magno, Madrid : V. Suárez, 1933, p. 289-291 (pas de
textes contemporains). Leyre (Nunilon et Alodia) : Juan GIL FERNÁNDEZ, « En torno a las
santas Nunilon y Alodia », Revista de la Universidad de Madrid, 19, 1974, t. IV, p. 103-140 (avec
édition du récit de la translation). Sur ce dernier texte, voir aussi note 165.
’
9. Textes d’Euloge relativisant l’importance du culte des reliques : Memoriale sanctorum, I, 26,
GIL (éd.), vol. II, p. 389, et aussi Liber apologeticus martyrum, ibid., p. 492.
10. « Nam isti tirones et nostrorum temporum confessores [les chrétiens opposés au mouve-
ment martyrial] ab ictu mucronis celerem tantummodo excipientes interitum, nullam furen-
tium acerbitatem perpessi tortorum, non sub diutinum desudarunt stimulum, praesertim cum
ab hominibus Deum colentibus et caelestia iura fatentibus compendiosa morte perempti
sunt », Liber apologeticus martyrum, GIL (éd.), vol. II, p. 477-478.
11. Voir Jacques FONTAINE, « La literatura mozarabe “extremadura” de la latinidad cris-
tiana antigua », in : Arte y cultura mozarabe (I Congreso internacional de estudios mozarabes, Tolède,
1975), Tolède : Instituto de estudios visigótico-mozárabes de San Eugenio, 1979, p. 101-137,
et plus généralement Kenneth Baxter WOLF, Christian Martyrs, op. cit., p. 86-95. Du second des
martyrs, Isaac, Alvar dit que Dieu l’a poussé afin qu’il manifestât que « in novissimus tempori-
bus victores haberet qui bella domini et instinctu quo prisci intentaverant preliarent », Indiculus
luminosus, 12, GIL (éd.), vol. II, p. 285).
12. ALVAR : Indiculus luminosus, 3, GIL (éd.), vol. I, p. 274-275. Voir Jacques FONTAINE,
« La literatura mozárabe… », art. cit. En citant la Passion d’Emeterius et Celodonius, vraisembla-
blement écrite à la fin du e siècle, Euloge croit sans doute utiliser un texte antique. Édition
du Passionnaire hispanique : Ángel FÁBREGA GRAU, Pasionario hispánico, 2 tomes,
Madrid/Barcelone : Instituto Enrique Flórez, 1963-1965.
13. EULOGE, Memoriale sanctorum, III, 8, GIL (éd.), vol. II, p. 445-446. Voir aussi ibid., II, 5,
GIL (éd.), p. 404 (apparition de martyrs cordouans « modernes »), ou III, 11, 3, GIL (éd.),
vol. II, p. 453 (imitation de la martyre Eulalie de Barcelone, sans apparition).
14. Voir Jacques FONTAINE, « La literatura mozárabe… », art. cit., p. 110.
narratif du e siècle, voire de tout le haut Moyen Âge hispanique, les
légitimités chrétiennes se fondent sur une temporalisation plus que sur
une spatialisation. Il est impossible de ne pas voir dans ce fait le reflet
d’une situation d’assujettissement du christianisme à l’islam. Dominé,
l’espace ne semble pas en passe d’être récupéré, à court ou moyen terme,
par les chrétiens. Le temps joue donc un rôle de refuge et se prête à une
lecture qui fonde, sur un plan symbolique, la victoire des chrétiens – soit
leur mort pour le Christ. Cette temporalisation, résolument tournée vers
le passé, permet de déchiffrer le présent, voire, mais de façon secondaire,
le futur15. Le contexte était évidemment très différent en territoire
chrétien, mais il n’est pas certain que les relations espace/temps aient
toujours été pensées en termes opposés.
15. Sur le discours eschatologique des martyrs de Cordoue, voir Kenneth Baxter WOLF,
Christian Martyrs, op. cit., p. 93-94 ; Luis A. GARCÍA MORENO, « Monjes y profecías cristia-
nas próximo-orientales en el al-Andalus », Hispania Sacra, 51, 1999, p. 91-100 ; John TOLAN,
« Réactions chrétiennes aux conquêtes musulmanes. Étude comparée des auteurs chrétiens de
Syrie et d’Espagne », Cahiers de civilisation médiévale, 44, 2001, p. 349-367, ici p. 357-358.
16. Escorial, d.I.1. Description par Guillermo ANTOLÍN, « El códice Emilianense del Esco-
rial », La Ciudad de Dios, 72, 1907, p. 184-195, 366-378, 542-551, 628-641 ; 76, 1908, p. 310-
323, 457-470 ; 77, 1909, p. 48-56 et 131-136 ; id., Catálogo de los códices latinos del Escorial,
Madrid : Imprenta Helénica, 1910, vol. I, p. 320-368. Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, Libros y
librerías en la Rioja medieval, Logroño : Instituto de estudios riojanos, 1991, p. 155-162, et Sole-
dad de SILVA Y VERÁSTEGUI, Iconografía del siglo X en el reino de Pamplona-Nájera, Pamplona :
Diputación foral de Navarra, 1984, p. 46-52 et 68-72 (pour l’iconographie).
17. Otto-Karl WERCKMEISTER, « Das Bild zur Liste der Bistümer Spaniens im Codex
Æmilianensis », Madrider Mitteilungen, 9, 1968, p. 399-423.
18. Voir Jacques FONTAINE, Isidore de Séville. Traité de la nature, Bordeaux : Féret (Bibliohèque
de l’École des hautes études hispaniques, XXVIII), 1960, p. 15-18, et du même, Isidore de
Séville. Genèse et originalité de la culture hispanique au temps des wisigoths, Turnhout : Brepols, 2000,
’
occupent donc un espace qui, d’une certaine façon, est celui du cosmos.
Mais en 993/994, sur les dizaines de diocèses mentionnés dans la liste,
seuls quelques-uns étaient encore aux mains des chrétiens. En permet-
tant aux évêques de l’antique Hispania d’occuper symboliquement la
totalité de l’espace terrestre, cette enluminure, qui ne semble pas repro-
duire un modèle antérieur, nie donc le passage du temps, la conquête
d’une grande partie de la péninsule par les musulmans et la rétraction
consécutive de l’espace chrétien. L’intérêt apparent pour la carte ecclé-
siastique, concrétisé ici par le souci des listes de diocèses, repose donc, in
fine, sur une négation de sa réalité actuelle, au nom d’un temps fixe et
soustrait à l’Histoire19.
Cette conception supra-historique du temps se trouve par ailleurs
exposée avec insistance dans le commentaire de l’Apocalypse de Beatus.
Composé en plusieurs étapes à la fin du e siècle, celui-ci a ensuite été
régulièrement recopié jusqu’au e siècle. Or la mise en avant du
contexte historique et des velléités combatives de Beatus de Liebana ont
souvent amené à voir dans le Commentaire et ses illustrations une œuvre
remplie d’allusions plus ou moins voilées à la présence de l’islam20. Il
peut cependant sembler tout aussi légitime d’insister sur leur caractère
résolument a-historique. On peut certes discuter – mais sans pouvoir
s’appuyer sur des sources, ce qui risque de rendre très vite les prises de
position assez oiseuses – de la façon dont le Commentaire était lu ou
entendu. Mais en ce qui concerne son contenu, les choses semblent
claires. Beatus reproduit fidèlement ses sources sans les actualiser, sans
leur insuffler aucune dose conséquente d’historicisme21. Il reste que
Beatus et ses lecteurs ont tout de même fait de l’Apocalypse, qui avait
p. 297-310. Pour les roses des vents des manuscrits Albeldense et Æmilianense, Soledad de SILVA
Y VERÁSTEGUI, Iconografía del siglo X, op. cit., p. 452-457.
19. Voir, dans une optique un peu différente de Werckmeister, qui met l’accent sur la dimen-
sion anti-islamique de cette enluminure, Patrick HENRIET, « Du cosmos à la Chrétienté.
Images d’évêques dans quelques manuscrits hispaniques des e-e siècles », in : Actes du
colloque La imagen del obispo en la Edad Media (Pampelune, 7 et 8 mai 2001), à paraître.
20. Mise au point bibliographique de John WILLIAMS, The illustrated Beatus, Londres :
Harvey Miller, 1994, vol. I, p. 129-142.
21. Il est vrai que dans la « branche II » du Commentaire, diverses illustrations montrent sans
doute une volonté de faire allusion à l’adversaire musulman. Mais de là à parler de pro-
gramme anti-islamique, il y a un pas qu’il semble difficile de franchir. Ce discours combatif,
qui reste pour le moins feutré, a été mis en valeur par Otto-Karl WERCKMEISTER dans
différents travaux, en particulier « Islamische Formen in spanischen Miniaturen des 10.
Jarhunderts und das Problem der mozarabischen Buchmalerei », in : L’Occidente e l’islam nell’alto
medioevo, Spolète : Presso la sede del Centro (Settimane di studio del Centro italiano di studi
sull’alto medioevo, 12), 1965, p. 933-967. Beaucoup plus favorable à l’a-historicisme, John
WILLIAMS, The illustrated Beatus, op. cit., vol. I, p. 138 sq. Du point de vue textuel et non ico-
nographique, la principale innovation de Beatus est le rôle attribué à saint Jacques dans
l’évangélisation de l’Espagne, au prologue du livre II.
22. Juan GIL, « Judíos y cristianos en Hispania (s. y ) (Continuación) », Hispania sacra,
31, 1978-1979, p. 9-88 ; Adeline RUCQUOI, « Mesianismo y milenarismo en la España
medieval », Medievalismo, 6, 1996, p. 9-31 ; id., « El fin del milenarismo en la España de los
siglos y », in : Milenarismos y milenaristas en la Europa medieval, Logroño : Instituto de estudios
riojanos (IX Semana de estudios medievales de Nájera), 1999, p. 280-304. Voir aussi la
récente mise au point de Thomas DESWARTE, « La prophétie de 883 dans le royaume
d’Oviedo : attente adventiste ou espoir d’une libération politique ? », Mélanges de science religieuse,
58, 2001, p. 39-56.
23. Isidore de Séville, Étymologies, V, 39, José OROZ RETA et Manuel A. MARCOS CAS-
QUERO (éd.), Madrid : BAC (Biblioteca de autores cristianos, 433), 1993, vol. I, p. 553-565.
24. « Residuum sextae aetatis tempus Deo soli est cognitum », Étymologies, V, 39, éd. cit.,
p. 564, ainsi que le colophon de la Chronica, éd. Théodore MOMMSEN, MGH, AA, XI, Ber-
lin, 1894, p. 481 (« Residuum saeculi tempus humanae investigationis incertum est »…). Sur la
« fermeture eschatologique augustinienne », voir Augustin, Ep. 199 (Lettre à Hesychius : De fine
saeculi), CSEL, 57, Aloisius GOLDBACHER (éd.), Vienne : F. Tempsky, 1911, p. 243-292, et
Jean-Paul BOUHOT, « Hesychius de Salone et Augustin : lettres 97-198-199 », in : Anne-
Marie DE LA BONNARDIÈRE (éd.), Saint Augustin et la Bible, Paris : Beauchesne (Bible de
tous temps), 1986, p. 229-250, ainsi que David LANDES, « The fear of an apocalyptic year
1000 : Augustinian historiography, medieval and modern », Speculum, 75, 2000, p. 97-145.
25. MGH, AA, XI, p. 169, mais la phrase finale (« post hac quippe supersunt usque ad finem
sexte huius etatis vel introitu septime etatis, in qua dominus in maiestate prestolatur adventus,
anni… ») n’est pas terminée. Voir Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, De Isidoro al siglo XI. Ocho estudios
sobre la vida literaria peninsular, Barcelone : El Albir, 1976, p. 133-135, et Juan GIL, « Los terrores
del año 800 », in : Actas del Simposio para el estudio de los códices del « Comentario al Apocalipsis » de Beato
de Liebana, Madrid : Joyas bibliográficas, 1978, p. 215-247, ici p. 219.
26. « Ita, ut supra dictum est, intelligere debet et expectare et timere omnis catholicus, et hos
XIIII annos tamquam unam horam putare… », Beatus, In Apocalypsin, IV, 5, J. GONZALEZ
’
ECHEGARAY, A. DEL CAMPO et L.G. FREEMAN (éd.), Obras completas de Beato de Liebana,
Madrid : BAC, 1995, p. 380 (cette édition reprend avec des améliorations celle de Flórez,
introuvable). Voir aussi celle d’Eugenio ROMERO POSE, Sancti Beati a Liebana commentarius in
Apocalypsin, Rome : Typis officinae polygraphicae, 1985.
27. « Ab initio mundi usque ad Christum computandos esse diximus annos 5325, quibus si
addantur anni ab incarnatione Domini 686 usque in praesentem diem, id est quando serenis-
simus Ervigius princeps sextum imperii sui videtur habere annum, computati sub uno 6011
anni efficiuntur », De comprobatione sextae aetatis, III, 10, Jocelyn N. HILLGARTH (éd.), CCSL,
115, Turnhout : Brepols, 1976, p. 212. Citant Mt 24, 36, Julien prenait d’ailleurs ses précau-
tions : « “Reliquum igitur huius sextae aetatis tempus”, id est, a praesenti die usque in horam
ipsam finis saeculi, quot annorum spatiis protendatur, “soli Deo est cognitum est” », ibid.,
p. 211.
28. Juan GIL, « Los terrores del año 800 », art. cit.
29. « […] et de supputatione annorum supra non quarere : et diem extremi saeculi, vel tem-
pus, supra non quaerat investigare quem nemo scit nisi Deus solus », Beatus, In Apocalypsin, IV,
5, éd. cit., p. 380.
30. Eugenio ROMERO POSE, « Ticonio y su comentario al Apocalipsis », Salmanticensis, 32,
1985, p. 35-48 ; Kenneth B. STEINHAUSER, The Apocalypse commentary of Tyconius : a history of
its reception and influence, Francfort/Berne/New York/Paris : P. Lang, 1987.
31. Umberto ECO, Beatus de Liébana. Miniatures du « Beatus » de Ferdinand Ier et Sanche (sic) (Manus-
crit BN Madrid Vit. 14-2), Milan/Paris : F. M. Ricci, 1982, ou id., « Beato de Liébana, el Apoca-
lipsis y el milenio », Cuadernos del norte, 3/14, 1982, p. 2-20. Voir John WILLIAMS, The illustra-
ted Beatus, op. cit., vol. I, p. 116-117. Sur les terreurs de l’an Mil, Sylvain GOUGUENHEIM,
Les fausses terreurs de l’an Mil, Paris : Picard, 1999.
32. « Inter eius decus verba mirifica / Storiarumque depinxi per seriem, / ut scientibus ter-
reant iudicii futuri adventui peracturi seculi ». Voir John WILLIAMS, The illustrated Beatus,
op. cit., vol. II, p. 21.
’
37. « Residuum seculi tempus humane investigationi incertum est », ibid., p. 171. Plus loin :
« Finis ergo mundi longe sit, prope sit, nemo scit. Finis noster in hac vita longe esse non
potest, et ideo vibamus tamquam morituri et moriamur tamquam semper victuri… », ibid.,
p. 170.
38. Le codex Albeldense (Bibliothèque de l’Escorial, d.I.2) comprend en particulier la Collectio
Hispana (fol. 20ro-340vo) et la lex Visigothorum (fol. 359ro-422vo). Le codex de Roda (Madrid,
Biblioteca de la Real Academia de la historia, cód. 78) est composé de deux ensembles, A et B.
B comprend, outre la Chronique prophétique, les textes historiographiques d’Isidore de Séville et
la Chronique dite d’Alphonse III (version Rotense). Description de l’Albeldense et bibliographie
dans Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, Libros y librerias, op. cit., p. 63-71. Pour le codex de Roda, ibid.,
p. 32-42, et Elisa RUIZ GARCÍA, Real Academia de la historia. Catálogo de la sección de códices,
Madrid : Real Academia de la historia, 1997, p. 395-405.
39. À commencer par la bataille de Covadonga, qui a été datée en 718, 721 ou 737. Sur
Covadonga dans l’historiographie, commode résumé dans Alexander Pierre BRONISCH,
Reconquista und heiliger Krieg, op. cit., p. 256-258.
40. Peter LINEHAN, History and the historians of medieval Spain, Oxford : Clarendon press,
1993, p. 95-127.
41. Voir Adeline RUCQUOI, « Mesianismo y milenarismo… », art. cit., et id., « El fin del
milenarismo… », art. cit. Selon l’auteur, le e siècle et la première moitié du e se caractéri-
sent par « el abandono de las esperanzas milenaristas y escatológicas a favor de un asentamiento en la Histo-
ria » (« Mesinismo y milenarismo… », p. 26-27). Mon exposé tend quant à lui à rendre cette
« entrée dans l’Histoire » contemporaine des textes eschatologiques des e et e siècles. Voir
aussi Thomas DESWARTE, « La prophétie de 883… », art. cit.
’
42. Article classique de Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, « La historiografía hispana desde la inva-
sión arabe hasta el año 1000 », in : La storiografia altomedievale, Spolète : Presso la sede del centro
(Settimane di studio del Centro di studi sull’alto Medioevo, 17), 1970, vol. I, p. 313-343 (repris
dans De Isidoro al siglo XI, op. cit., p. 205-234). Voir aussi le catalogue et la bibliographie donnés
par Mario HUETE FUDIO, La historiografía latina medieval en la península ibérica (siglos VIII-XII).
Fuentes y bibliografía, Madrid : Universidad Autónoma de Madrid, 1997.
43. Sampiro : Justo PÉREZ DE URBEL (éd.), Sampiro ; Su crónica y la monarquía leonesa en el
siglo X, Madrid : CSIC, 1952, p. 275-345 ; Historia silense : Justo PÉREZ DE URBEL et Atilano
GONZÁLEZ RUIZ-ZORRILLA (éd.), Madrid : CSIC, 1959 ; Chronica Adefonsi imperatoris,
Antonio MAYA SÁNCHEZ (éd.), Turnhout : Brepols (CCCM, 71), 1990 ; Chronica naierensis,
Juan A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), Turnhout : Brepols (CCCM, 71A), 1995.
44. Gesta comitum Barchinonensium, Lucien BARRAU-DIHIGO et Jaume MASSÓ I TOR-
RENTS (éd.), Barcelone : Institut d’estudis catalans, 1925. Voir Miquel COLL I ALEN-
TORN, « La historiografía de Catalunya en el període primitiu », Estudis romànics, 3, 1951-
1952, p. 187-194.
45. Il est cependant d’autres régions dans lesquelles les sources narratives restent longtemps
peu nombreuses, contrairement aux documents de la pratique ou, plus généralement, prag-
matiques : voir ainsi Jacques PAUL, « Le contraste culturel entre le Nord et le Midi dans la
France médiévale », in : Église et culture en France méridionale (XIIe-XIVe siècle), Toulouse : Privat
(Cahiers de Fanjeaux, 35), 2000, p. 19-48 : « … une culture littéraire et théologique peu pré-
sente. Une vie organisée autour du droit, de l’écrit et de la médecine, c’est assez pour fonder
un système différent. » (p. 47)
affirmer sans paradoxe que jusqu’au e siècle au moins, la culture chré-
tienne s’est exprimée de façon privilégiée dans l’historiographie, ce qui
n’est cette fois-ci pas si commun. Sans vouloir à tout prix mettre en avant
la continuité d’une certaine spécificité ibérique, laquelle serait plus ou
moins irréductible aux influences extérieures, il faut néanmoins recon-
naître que cette orientation ne disparaît pas totalement au e siècle. On
peut alors citer les deux chroniques théoriquement universelles, mais en
réalité hispaniques, de Lucas de Túy et Rodrigo Jiménez de Rada, les-
quelles ne représentent, il est vrai, qu’une partie des œuvres de leurs
auteurs46. Mais surtout, y a-t-il beaucoup d’entreprises en Europe pou-
vant être comparées, dans la seconde moitié du e siècle, à la General
estoria et à l’Estoria de España, cette dernière initiée par Alphonse X et
continuée, par retouches et ajouts divers, sous ses successeurs47 ?
Après 711, il a donc fallu un peu plus d’un siècle et demi avant que les
chrétiens du nord de la péninsule ne se mettent à écrire des chro-
niques48. Après cela, et malgré des périodes de creux telles que le
e siècle, cet intérêt pour l’Histoire ne s’est jamais démenti. Il y a donc
eu, après une longue période qui n’a pourtant pas été stérile en termes
de créations – voir les œuvres d’Euloge, d’Alvare ou de Samson de Cor-
doue dans l’Espagne dite « mozarabe », celles de Beatus dans l’Espagne
chrétienne –, une sorte de réappropriation du temps historique, et en
particulier du passé proche, par les clercs. Cet intérêt pour les événe-
ments récents s’est accru aux e et surtout au e siècle. On assiste alors
en effet à un double phénomène : d’une part les chroniques ne remon-
tent plus nécessairement aux wisigoths, voire au-delà. Elles s’intéressent
de plus en plus à des faits et à des personnages quasiment contempo-
rains. Ainsi, dans une certaine mesure, avec l’Historia silense, inachevée
mais initialement prévue pour éclairer la figure d’Alphonse VI, puis
surtout avec l’Historia Roderici (figure du Cid), l’Historia compostellana
(figure de Diego Gelmírez), ou encore la Chronica Adefonsi imperatoris
(Alphonse VII), autant d’œuvres qui ont en commun d’exalter la
46. Lucas de Tuy, Chronicon mundi, Andreas SCHOTT (éd., mais en réalité Juan De Mariana),
Hispaniae illustratae, Francfort : C. Marnium, 1608, vol. IV, p. 1-116, et désormais E. FALQUE
(éd.), Turnhout : Brepols, 2003. Rodrigo Jiménez de Rada : De rebus Hispaniae, Juan
FERNÁNDEZ VALVERDE (éd.), Turnhout : Brepols (CCCM, 72), 1987.
47. Dans une bibliographie immense, voir en particulier Diego CATALÁN, La estoria de
España de Alfonso X. Creación y evolución, Madrid : Fundación Ramón Menéndez Pidal (Fuentes
cronísticas de la Historia de España, 5), 1999 (2e édition) ; Georges MARTIN, « El modelo his-
toriográfico alfonsí y sus antecedentes », in : Georges MARTIN (éd.), La historia alfonsí : el modelo
y sus destinos (siglos XIII-XV), Madrid : Casa de Velázquez (Collection de la Casa de Velázquez,
68), 2000, p. 9-40 ; Inès FERNÁNDEZ ORDOÑEZ, « El taller de las Estorias », in : Inès
FERNÁNDEZ ORDOÑEZ (éd.), Alfonso X el Sabio y las crónicas de España, Valladolid : Secreta-
riado de publicaciones e intercambio editorial, 2000, p. 61-82.
48. Voir note 2.
’
49. Voir la mise au point de Juan GIL, « La Historia particular » et « La biografía » in : Historia
de España Ramón Menéndez Pidal. La cultura del románico, siglos XI al XIII. Letras, religiosidad, artes, cien-
cia y vida, Madrid : Espasa Calpe, 1995, vol. XI, p. 25-52, ainsi que l’introduction d’Emma
FALQUE à son édition du Chronicon mundi.
50. Dominique de Silos : Vitalino VALCARCEL (éd.), La « Vita Dominici Siliensis » de Grimaldo.
Estudio, edición crítica y traducción, Logroño : Servicio de Cultura de la Excma. Diputación pro-
vincial (Instituto de estudios riojanos, 9), 1982.
51. On pourrait sans doute aussi étudier dans cette optique l’évolution du contenu des biblio-
thèques, toujours plus riches en œuvres « récentes », entre e et e siècles : voir les remarques
de Richard FLETCHER, Saint James’s catapult. The life and times of Diego Gelmírez of Santiago of
Compostela, Oxford, 1984, p. 24-25 (à propos de la Galice aux e-e siècles).
52. Pour les textes hagiographiques, voir par exemple l’Historia translationis sancti Isidori (fin
e siècle), Juan A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), Turnhout : Brepols (CCCM, 73), 1997, p. 144-
149. Pour les fueros, voir le prologue du fuero de Navarre, que l’on trouve également comme
premier chapitre du fuero de Tudela : édition critique du texte par Ángel MARTÍN DUQUE,
« Del espejo ajeno a la memoria propia », in : Signos de identidad histórica para Navarra, Pampe-
lune : Caja de ahorros de Navarra, 1996, vol. I, p. 21-50, ici p. 42-43. Ce texte aurait été
rédigé à l’occasion de l’arrivée sur le trône navarrais de Thibaud Ier [IV de Champagne]
(1234), voire plus tôt : Ángel MARTÍN DUQUE, « Singularidades de la realeza medieval
navarra », in : Poderes públicos en la Europa medieval, Pamplona : Gobierno de Navarra (Semana de
estudios medievales de Estella, 26), 1977, p. 297-344, ici p. 329, n. 126.
53. Sur la question de l’ « invention de la mémoire » en péninsule, voir Adeline RUCQUOI,
« La invención de una memoria : Los cabildos peninsulares del siglo », Temas medievales, 2,
1992, p. 67-80.
54. Résumé dans Zacarías GARCÍA VILLADA, Historia eclesiástica de España, Madrid, 1929,
vol. I/1, p. 26-41.
55. Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, « La literatura jacobea anterior al códice calixtino », Compostel-
lanum, 10, 1965, p. 639-661. Sur l’authenticité de ce passage dans le De ortu et obitu patrum d’Isi-
dore, voir François DOLBEAU, « Deux opuscules latins relatifs aux personnages de la Bible et
antérieurs à Isidore de Séville », Revue d’histoire des textes, 16, 1986, p. 83-139.
56. Dernière édition de la lettre de Césaire : José María MARTI BONET, « Las pretensiones
metropolitanas de Cesáreo, abad de Santa Cecilia de Montserrat », Anthologica Annua, 21,
1974, p. 157-182 (tentative de démontrer qu’il s’agit d’un faux). Bibliographie dans Ludwig
VONES, Die « Historia compostellana » und die Kirchenpolitik des Norwestspanischen Raumes, 1070-
1130. Ein Beitrag zur Geschichte der Beziehungen zwischen Spanien und dem Pappstum zu Beginn des 12.
Jahrhunderts, Cologne/Vienne : Böhlau (Kölner Historische Abhandlungen, 29), 1980, p. 278,
n. 20.
57. Demetrio MANSILLA, La documentación pontificia hasta Innocencio III (965-1216), Rome :
Instituto español de estudios eclesiásticos (Monumenta Hispaniae Vaticana. Registros, 1),
1955, n° 8, p. 15-16, ici p. 15.
58. De façon générale, sur les origines du christianisme en péninsule, voir Manuel C. DÍAZ Y
DÍAZ, « En torno a los origenes del cristianismo hispánico », in : José Manuel GÓMEZ-
TABANERA (éd.), Las raíces de España, Madrid : Instituto español de antropología histórica,
1967, p. 423-443.
59. José VIVES, « La Vita Torquati et comitum », Analecta Sacra Tarraconensia, 20, 1947, p. 223-230 ;
id., « Las actas de los varones apostólicos », in : Miscellanea liturgica in honorem L. Cuniberti Mohlberg,
’
Rome : Edizioni liturgiche (Bibliotheca « Ephemerides liturgicae », 22), 1948, p. 33-45 ; id.,
« Tradición y leyenda en la hagiografía hispánica », Hispania sacra, 17, 1964, p. 495-508.
60. Fernando LÓPEZ ALSINA, « Urbano II y el traslado de la sede episcopal de Iria a Com-
postela », dans Fernando LÓPEZ ALSINA (éd.), El papado, la iglesia y la basílica de Santiago a
finales del siglo XI. El traslado de la sede episcopal de Iria a Compostela en 1095, Santiago : Consorcio de
Santiago, 1999, p. 107-127, en particulier p. 118 sq. (« La reformulación del concepto de apos-
tolicidad de la iglesia compostelana »).
61. Liber sancti Jacobi. Codex calixtinus, Klaus HERBERS et Manuel SANTOS NOIA (éd.),
Santiago : Xerencia de promoción do Camino de Santiago, 1998, p. 185. Manuel C. DÍAZ Y
DÍAZ, « La literatura jacobea… », art. cit. Autre allusion, plus discrète, à la prédication hispa-
nique de saint Jacques (ad gentes occidentales) dans la version de la Passio que transmet le Codex
Calixtinus : voir Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, « Los añadidos compostelanos a la antigua Passio
Iacobi », in : id., De Santiago y los caminos de Santiago, Santiago, 1997, p. 55-68. Citons aussi un
texte léonais, l’Adbreviatio sancti Brauli, E. ANSPACH (éd.), Taionis et Isidori nova fragmenta et opera,
Madrid : Impr. de G. Bermejo, 1930, p. 56-64.
62. Baudoin DE GAIFFIER, « Notes sur quelques documents relatifs à la translation de saint
Jacques en Espagne », Analecta Bollandiana, 89, 1971, p. 47-66. La contamination du dossier
jacobéen par celui des « Siete varones » se fait en plusieurs temps, d’abord par l’Epistola Leonis
(fin e ou début e siècle ?), puis dans les différentes versions de la Translatio.
63. Récit de la translation des restes d’Indalecio : AASS, Apr. III, Paris-Rome, 1866, 733-739.
Ce texte attend une édition critique moderne. Sur la vassalité aragonaise envers le Saint-
noter qu’à San Juan de la Peña, au cours du e siècle, on ne se priva pas
de rejeter explicitement toute prédication hispanique de saint Jacques,
jusqu’à inscrire sans bruit cette version « romaine » dans la liturgie64.
Tous ne furent pas toujours aussi discrets. Soucieux d’imposer son auto-
rité primatiale à l’ensemble de la péninsule, et en particulier à Compos-
telle, Jiménez de Rada n’hésita pas à nier la prédication jacobéenne avec
virulence devant le pape Innocent III, lors du concile de Latran IV
(1215). Au milieu du e siècle, puis encore au e, le récit de cette
polémique fut soigneusement consigné dans des recueils de privilèges de
la cathédrale de Tolède65.
Siège, P. KEHR, Wie und wann wurde das Reich Aragon ein Lehen der römischen Kirche, Berlin : Verlag
der Akademie der Wissenschaften, 1928 (trad. esp. in : Estudios de la edad media de la corona de
Aragón, I, 1945, p. 285-326), et Antonio UBIETO ARTETA, « La introducción del rito
romano en Aragón y Navarra », Hispania sacra, 1, 1948, p. 229-324.
64. Voir les leçons relatives à Indalecio, dès le e siècle, dans les bréviaires de San Juan de la
Peña : ainsi le ms. Escorial, L. III. 3, fol. 76. Description de ce manuscrit par José JANINI,
Manuscritos litúrgicos de las bibliotecas de España. I. Castilla y Navarra, Burgos : Aldecoa, 1977, n° 4,
p. 99-100.
65. Édition du récit par Fidel FITA, « Santiago de Galicia. Nuevas impugnaciones y nuevas
defensas », Razón y fé (1902), I/2, p. 182-195, ou Antonio GARCÍA Y GARCÍA, « El
concilio 4 Lateranense y la península ibérica », in : Iglesia, sociedad y derecho 2, Salamanque : Uni-
versidad pontificia de Salamanca (Bibliotheca Salmanticensis. Estudios, 89), 1987, p. 204-208
(Fita mieux que García y García). Voir Patrick HENRIET, « The Pars concilii Lateranii, or how
to legitimatize the Toledan primacy in the 13th century », in : Isabel ALFONSO et Julio
ESCALONA (éd.), Building legitimacy. Political discourses and forms of legitimation in medieval societies,
à paraître (Cologne/Leyde/New York : Brill, 2003).
66. Voir les diverses communications réunies dans L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique,
Jacques FONTAINE et Christine PELLISTRANDI (dir.), Madrid : Casa de Velázquez (Col-
lection de la Casa de Velázquez, 35), 1992.
’
aurait restauré, tant dans l’Église qu’au palais, l’ordo wisigothique67. Les
autres chroniques, prophétique ou d’Alphonse III, dans ses deux
versions, mettent également en valeur la continuité des histoires wisigo-
thique et asturienne68. Le discours oscille alors entre les valeurs de conti-
nuité et de restauration69. Le retour à un ordre gothique peut être inter-
prété comme le signe d’un redressement du christianisme péninsulaire. Il
est donc, en un sens, conjoncturel. C’est par conséquent le thème de la
continuité qui va s’imposer dans la quasi-totalité des chroniques des e
et e siècles. L’Historia silense présente ainsi Alphonse Ier, successeur de
Pélage après Favila, comme « issu du lignage de Reccarède, sérénissime
prince des goths »70. Dans les régions léonaises, le thème de la « gothi-
cité » des souverains et de leurs peuples semble particulièrement fort aux
e et e siècles. On le trouve ainsi non seulement dans les chroniques,
mais aussi dans certains textes hagiographiques71. Ce néo-gothicisme
n’est cependant pas l’apanage des Asturies et du León72. Il est ainsi par-
faitement attesté en Navarre dès le e siècle73. Du côté castillan, Jiménez
de Rada lui accorde une grande importance dans son De rebus Hispaniae,
et au milieu du e siècle, le Poème de Fernán González parle des wisigoths
comme de « nos ancêtres »74. Quelques décennies plus tard, l’Estoria de
67. « Omnemque Gotorum ordinem, sicuti Toleto fuerat, tam in eclesia quam in palatio in
Ovetao cuncta statuit », Juan GIL (éd.), p. 174. Claudio SÁNCHEZ ALBORNOZ, « La res-
tauración del orden gótico en el palacio y en la Iglesia », in : Orígenes de la nación española,
Oviedo : Idea, 1974, vol. II, p. 623-639 ; Isidro G. BANGO TORVISO, « L’Ordo gothorum et sa
survivance dans l’Espagne du haut Moyen Âge », Revue de l’art, 70, 1985, p. 9-20.
68. José Antonio MARAVALL CASESNOVES, El concepto de España en la Edad Media,
Madrid : Centro de estudios constitucionales, 1997 (4e édition, 1re édition 1954), p. 299-337.
69. Georges MARTIN, « Un récit (La chute du royaume wisigothique d’Espagne dans l’histo-
riographie chrétienne des e et e siècles) », in : Histoires de l’Espagne médiévale. Historiographie,
geste, romancero, Paris : Klincksieck (Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale,
11), 1997, p. 11-42, en particulier p. 27-42 (1re édition dans Cahiers de linguistique hispanique
médiévale, 9, 1984, p. 198-214). Georges Martin oppose la Chronique prophétique, qui défendrait la
thèse de la « permanence du peuple gothique », et celle d’Alphonse III, qui serait quant à elle
« néogothique ».
70. Historia silense, Justo PÉREZ DE URBEL et Atilano GONZÁLEZ RUIZ-ZORRILLA
(éd.), p. 136 : Alphonse Ier est fils de Pierre, dux des cantabres, lequel est « ex Recaredi serenis-
simi Gotorum principis progenie ortus ».
71. Voir par exemple le dossier isidorien. Indications dans Patrick HENRIET, « Un exemple
de religiosité politique : saint Isidore et les rois de León (e-e siècles) », in : Fonctions sociales et
politiques du culte des saints dans les sociétés de rite grec et latin au Moyen Âge et à l’époque moderne. Approche
comparative, Marek DERWICH et Michel DMITRIEV (éd.), Wroclaw : Larhcor, 1999, p. 77-
95, ici p. 85 (Lucas de Tuy insiste sur les origines gothiques de Ferdinand Ier).
72. Sur cette question, le panorama le plus complet est encore celui de José Antonio MARA-
VALL, El concepto de España, op. cit.
73. Voir Ángel MARTÍN DUQUE, « Singularidades de la realeza medieval navarra », art.
cit., ainsi que la communication de l’auteur dans ce volume.
74. Jiménez de Rada : José Antonio MARAVALL, El concepto de España, op. cit., p. 321-322.
Poema de Fernán González (3a-b) : « Contar vos he primero de commo la perdieron / Nuestros antecessores, en
qual coita visquieron. »
España d’Alphonse X fait des rois de Castille les descendants des goths,
lesquels sont caractérisés par leur bravoure au combat – un vieux thème
isidorien – autant que par leur maîtrise des différents savoirs – ce qui est
davantage alphonsin75. La situation est un peu plus complexe en Cata-
logne, où l’on note tout au long du haut Moyen Âge une réelle « fierté
gothique », combinée au respect maintes fois rappelé de la Lex gothica,
mais où pourtant la volonté d’affirmer une spécificité passe par une dis-
tanciation progressive avec ce modèle76. À Ripoll, on présente même les
goths comme impies car fils de Gog et Magog, et au e siècle, les Gesta
comitum Barchinonensium ne les mentionnent pas77.
75. Primera crónica general de España, Ramón MENÉNDEZ PIDAL (éd.), 2 t., Madrid : Semina-
rio Menéndez Pidal, 1977, en particulier vol. I, p. 222. Voir Adeline RUCQUOI, « Les wisi-
goths, fondement de la “nation Espagne” », in : L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, op. cit.,
p. 341-352, ici p. 346-348, avec interprétation du néogothicisme castillan du e siècle
comme jouant « un rôle fondamental dans l’élaboration de mythes nationaux propres à un
royaume de Castille dont les relations politiques et commerciales avec le reste de l’Europe
connaissent un grand développement ».
76. Michel ZIMMERMANN, « Conscience gothique et affirmation nationale dans la genèse
de la Catalogne (e-e siècles) », in : L’Europe héritière de l’Espagne wisigothique, op. cit., p. 51-67.
77. Ibid., p. 65, n. 69 et p. 66.
78. Rodrigo Jiménez de Rada, De rebus Hispaniae, Juan FERNÁNDEZ VALVERDE (éd.), I,
1-7, p. 9-19.
79. Helena DE CARLOS VILLAMARÍN, Las antigüedades de Hispania, Spolète : Centro ita-
liano di studi sull’alto medioevo (Biblioteca di « Medioevo latino », 18), 1996.
’
point sont antiques. Au e siècle déjà, Isidore de Séville a joué un rôle
fondamental dans cette histoire des mythes d’origine en consacrant une
partie du livre IX des Étymologies à l’origine des peuples80. Dans l’optique
d’une réflexion sur la construction d’une identité hispanique, deux
remarques peuvent être ici avancées quant à la postérité isidorienne.
Il est pour commencer remarquable que pendant une longue
période, l’historiographie péninsulaire ait choisi de faire débuter l’his-
toire de la péninsule avec les wisigoths. Parmi les différentes chroniques
écrites à la fin du e siècle sous Alphonse III, seule celle d’Albelda
accorde quelque importance aux « antiquités de l’Espagne »81. Aux e
et e siècles, la Chronique de Sampiro, la mal nommée Silense, la Najerense,
plantent toutes les racines de l’histoire hispanique dans un terreau wisi-
gothique qui sert d’introduction à l’invasion musulmane. Le plan de
l’Histoire est donc organisé autour de la rupture de 711. Il y a un avant
et un après, mais c’est le christianisme, tour à tour conquérant, vaincu,
enfin restaurateur et reconquérant, qui donne un sens à cette histoire. Il
n’est donc pas exagéré de dire que l’intérêt pour les origines lointaines
de l’Espagne, qui existait sous une forme dispersée avant le e siècle
mais ne se trouve réellement systématisé, pour la première fois, que par
Jiménez de Rada, s’affirme plus librement à partir du moment où la
domination musulmane appartient déjà au passé, ou semble en tout cas
proche de disparaître.
Il convient par ailleurs de noter que cet intérêt pour un passé très éloi-
gné et non chrétien pouvait emprunter deux voies souvent complémen-
taires mais, en dernière analyse, assez différentes. La solution longtemps
la plus répandue, popularisée par Isidore, consistait à s’intéresser à l’ori-
gine des peuples plus qu’à leur terre d’accueil, l’Hispania. Comme l’a
écrit Diego Catalán, « l’histoire de la nation s’identifiait avec celle de
l’ethnie créatrice du royaume, la “Gothorum gens ac patria” »82. L’Hispania
pouvait certes être exaltée selon le modèle de l’éloge antique, qui en fai-
sait une terre bénie entre toutes, mais la laus isidorienne restait sans rap-
port direct avec le thème des origines83. Une autre tradition, représentée
80. José OROZ RETA et Manuel A. MARCOS CASQUERO (éd.), Etimologías, IX/2,
Madrid : Biblioteca de autores cristianos, 1993, vol. I, p. 742-764.
81. Juan GIL (éd.), Crónicas asturianas, p. 154.
82. Diego CATALÁN, La Estoria de España de Alfonso X. Creación y evolución, Madrid : Seminario
Menéndez Pidal, 1992, p. 29.
83. Sur la Laus Spaniae isidorienne, Jacques FONTAINE, Isidore de Séville. Genèse et originalité, op.
cit., p. 224-227, et id., « Un manifeste politique et culturel : le De laude Spaniae d’Isidore de
Séville », in : Le discours d’éloge entre Antiquité et Moyen Âge, Lionel MARY et Michel SOT (éd.),
Paris : Picard, 2001, p. 61-68. Sur sa postérité, José Antonio MARAVALL, El concepto de
España, op. cit., p. 17-28. La bibliographie est cependant assez dispersée. Voir Francisco RICO,
« Aristoteles hispanus : en torno a Gil de Zamora, Petrarca y Juan de Mena », Italia medioevale e
umanistica, 10, 1967, p. 143-164, ici p. 143, n.1.
84. Voir José Miguel ALONSO NUÑEZ, « Pompeius Trogus on Spain », Latomus, 47, 1988,
p. 117-130. Helena DE CARLOS VILLAMARÍN, Las antigüedades, op. cit., p. 105-110.
85. Diego CATALAN, La estoria de España, op. cit., p. 9-31 (« Alfonso X […] por primera vez en la his-
toriografía cristiana, fundamenta la segregación de una historia nacional de la historia del orbe en la identidad
transhistórica de una morada vital llamada España », p. 30). Dans l’adoption de ce nouveau schéma,
l’Estoria de España ne dépend certainement pas de Justin, à peu près inconnu en péninsule au
Moyen Âge : Helena DE CARLOS VILLAMARÍN, Las antigüedades, op. cit., p. 108-110.
86. La Dedicatio ad Sisenandum n’apparaît indépendamment que dans un manuscrit du
e siècle (Madrid, Biblioteca de la Universidad 134, fol. 57v°-58). Elle est par ailleurs inter-
polée dans le Chronicon mundi de Lucas de Tuy, E. FALQUE (éd.), p. 124-125. MOMMSEN
(éd.), MGH, AA, 11, Chronica minora, vol. II, p. 304. Voir Helena DE CARLOS VILLA-
MARÍN, Las antigüedades, op. cit., p. 153-270. Pour suggérer une connaissance de la Dedicatio à
León à la fin du e siècle, je me fonde sur un passage de l’Historia translationis sancti Isidori, Juan
A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), Prologue, p. 44 (voir sur ce point Patrick HENRIET, « Sanctissima
patria. Points communs entre les trois œuvres de Lucas », Cahiers de linguistique et de civilisation his-
paniques médiévales, 24, 2001, p. 249-278, ici p. 264, n. 63.
87. Diego CATALÁN et Maria Soledad DE ANDRÉS (éd.), Crónica del Moro Rasis, Madrid :
Gredos (Fuentes cronísticas de la Historia de España, 3), 1975. Sur la présence du schéma
« territorial » dans cette œuvre, voir l’introduction de Diego Catalán, p. (la « importancia
concedida al suelo como marco de la historia »).
88. Mais la Chronique pseudoisidoriana n’est certainement pas antérieure au e siècle : Fernando
GONZÁLEZ MUÑOZ, La chronica Gothorum pseudo-isidoriana (ms. Paris BN 6113) ; Edición crítica,
’
traducción y estudio, La Corogne : Toxosoutos, 2000, p. 92-99 (« un producto datable, como muy pronto,
en la primera mitad del siglo XII »).
89. Cristóbal RODRÍGUEZ ALONSO, Las historias de los godos, vandalos y suevos de Isidoro de
Sevilla. Estudio, edición crítica y traducción, León : Centro de estudios y de investigación « San Isi-
doro » (Fuentes y estudios de historia leonesa, 13), 1975, p. 260-266. La conversion de Recca-
red est mise en valeur par diverses sources du e siècle : outre Isidore, Jean de Biclar, les Vies
des Pères de Mérida, Grégoire de Tours et Grégoire le Grand. Voir Jacques FONTAINE,
« Conversion et culture chez les wisigoths d’Espagne », in : La conversione al cristianismo nell’Europa
dell’alto Medioevo, Spolète : Presso la sede del centro (Settimane di studio del Centro italiano di
studi sull’alto Medioevo, 14), 1967, p. 87-147. Notons le contraste entre la très timide utilisa-
tion de la figure de Reccared et celle, beaucoup plus répandue, de Clovis au nord des Pyré-
nées : voir en particulier Amy G. REMENSNYDER, Remembering kings past. Monastic foundation
legends in medieval southern France, Ithaca-London : Cornell university press, 1995, p. 116-131
90. Baudoin DE GAIFFIER, « L’inventio et translatio de saint Zoïle de Cordoue », Analecta Bol-
landiana, 56, 1938, p. 361-369 (avec édition du texte). Voir aussi Patrick HENRIET, « Un
hagiographe au travail. Raoul et la réécriture du dossier hagiographique de Zoïle de Carrión
(années 1130). Avec une première édition des deux prologues de Raoul », in : Monique
GOULLET et Martin HEINZELMANN (éd.), La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval.
Transformations formelles et idéologiques, Ostfildern (Beihefte der Francia, 58), 2003, p. 251-283, ici
p. 261-263.
importe ici que celle-ci ait ou non été consignée dans un premier récit,
dès le e siècle91. C’est vraiment à partir d’Alphonse III que se met en
place, du point de vue idéologique, un schéma providentialiste de
« Reconquête » qui, à travers divers aménagements, va survivre et se
développer jusqu’à la fin du Moyen Âge. Dès la fin du e siècle, le temps
historique des chroniques est largement rythmé, règne après règne, par
les combats entre chrétiens et musulmans92. Pour l’auteur anonyme de la
Chronique d’Albelda, qui reprend la Chronologia regum gothorum, depuis 711,
les chrétiens font la guerre aux sarrasins « nuit et jour et se battent quoti-
diennement avec eux »93.
Les textes de la pratique et les diplômes royaux offrent à l’observateur
une position de choix, sans doute trop peu visitée, pour mesurer le rôle
de la lutte contre les musulmans dans la construction d’un temps chré-
tien. Il serait sans doute possible, sur la base d’un examen systématique
des documentations ecclésiastique et royale, de retracer cette histoire. Le
seul qui s’y soit vraiment employé est sans doute Michel Zimmermann,
montrant en particulier comment la « destruction » de Barcelone par al-
Mansur, en 985, avait marqué les consciences, et s’était massivement ins-
crite dans les chartes catalanes, traduisant ainsi l’irruption, sinon du dis-
cours historiographique, du moins d’une conscience historique, dans
une documentation ordinairement perçue comme étrangère à ce type de
préoccupation94. La recherche des références aux revers ou aux succès
des chrétiens mériterait sans doute un effort des chercheurs. En effet, le
traumatisme devant la supériorité sarrasine, puis l’enthousiasme résul-
tant de l’avancée chrétienne, apparaissent également, mais dans des pro-
portions et selon des modalités qu’il conviendrait d’étudier, dans la docu-
mentation de l’occident péninsulaire. Ainsi, pour ne prendre qu’un
exemple, dans une transaction datée de 1015, le roi Alphonse V rappelle
l’époque où les « fils des ismaélites vinrent à León », prirent des captifs et
laissèrent la région dans un état de désolation. Cette mention fait claire-
ment allusion à la dévastation de León par al-Mansur en 988, soit vingt-
95. José Manuel RUIZ ASENCIO, Colección documental del archivo de la catedral de León (775-
1230). III (986-1031), León : Centro de estudios y de investigación « San Isidoro » (Fuentes y
estudios de historia leonesa, 43), 1987, n° 737, p. 303-305.
96. Mais le rappel des destructions musulmanes est aussi un bon moyen de mettre en valeur
la reconstruction du présent. Voir à titre d’exemple la très intéressante charte de fondation de
Saint-Martin d’Albelda par Sanche Garcés I et son épouse Toda (5 janvier 924), qui est en
réalité un faux du e siècle. La donation est précédée d’un long préambule qui rapporte l’an-
cienne gloire de l’Espagne et l’invasion musulmane : Antonio UBIETO ARTETA, Cartulario de
Albelda, Valence : Anubar (Textos medievales, 1), 1960, p. 12-20.
97. Voir par exemple les allusions au siège de Cordoue (1150) dans la documentation royale.
Une étude d’ensemble de celle-ci, sous l’angle des références aux combats contre les musul-
mans de péninsule et d’ailleurs (« andalous » et almohades) reste à mener. Pour se repérer dans
la documentation d’Alphonse VII, Bernard F. REILLY, The kingdom of León-Castilla under king
Alfonso VII (1126-1157), Philadelphie : University of Pennsylvania press, 1998, p. 323-398.
Pour le double traitement des musulmans et l’apparition du terme « andalou » dans les
chartes, Hélène SIRANTOINE, « Cum aliis multis indeluciis. Sobre la primera fuente del tér-
mino “andaluz” en una carta latina del año 1150 », à paraître.
98. Voir par exemple, pour Calatrava, Julio GONZÁLEZ, El reino de Castilla en la época de
Alfonso VIII, Madrid : Escuela de estudios medievales, 1960, III, n° 35, p. 64-66, ici p. 65, ou
bien, pour Santiago, José Luis MARTÍN, Origenes de la orden militar de Santiago (1170-1195), Bar-
celone : CSIC (Anuario de estudios medievales, anejo 6), 1974, n° 42, p. 212-215, et 53,
p. 226-228.
99. Premier récit de la translation : PL 81, col. 39-43 (réécrit et amplifié à la fin du e siècle
dans l’Historia translationis, Juan A. ESTÉVEZ SOLA, éd.).
100. Historia silense, Justo PÉREZ DE URBEL (éd.), p. 198-204. Chronica naierensis, III, 10,
Juan A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), p. 163-167. Chronicon mundi, E. FALQUE (éd.), p. 290-291.
Primera crónica general de España, Ramón MENÉNDEZ PIDAL (éd.), vol. II, 490b-491a.
101. Historia silense, Justo PÉREZ DE URBEL (éd.), p. 207-209. Historia translationis, Juan A.
ESTÉVEZ SOLA (éd.), p. 163-165. Lucas de Tuy, De miraculis sancti Isidori, Archivo catedral
de León, ms. 63, cap. 11-12, fol. 5ro-5vo, et Chronicon mundi, E. FALQUE (éd.), p. 295-296 ;
Chronica naierensis, III, 12, Juan A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), p. 169-170. Jiménez de Rada, De
rebus Hispaniae, VI, 13, Juan FERNÁNDEZ VALVERDE (éd.), p. 193-194. Primera crónica gene-
ral, Ramón MENÉNDEZ PIDAL (éd.), vol. II, 493b-495a (sur la mort de Ferdinand dans les
différentes versions de l’Estoria de España, Marta LACOMBA, « Epígonos cidianos : la muerte
de Fernando I en Cabezón », in : El Cid : de la matería épica a las crónicas caballerescas, Carlos
ALVAR, Fernando GÓMEZ REDONDO et Georges MARTIN (éd.), Alcalá : Universidad
de Alcalá, 2002, p. 243-254).
102. Sur la cartographie au cours du haut Moyen Âge, voir les travaux de Anna-Dorothee
VON DEN BRINCKEN, qui donnent aussi la bibliographie. En particulier : « Mappa mundi
und Chronographia. Studien zur Imago mundi des abendlandischen Mittelalters », Deutsches
Archiv für Erforschung des Mittelalters, 24, 1968, p. 118-186 ; « Weltbild der lateinischen Universal-
historiken und -Kartographen », in : Popoli e paesi nella cultura altomedievale, Spolète : Presso la
sede del centro, 1983 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 29),
vol. I, p. 377-408 ; Kartographischen Quellen. Welt-, See- und Regionalkarten, Turnhout : Brepols
(Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 51), 1988.
103. Isidore de Séville, Étymologies, XIV, 2, José OROZ RETA et Manuel A. MARCOS CAS-
QUERO (éd.), vol. II, p. 164-166, ainsi que De natura rerum, XLVIII, 2, Jacques FONTAINE
(éd.), Isidore de Séville. Traité de la nature, p. 324-326. Ce schéma est d’origine antique, mais l’ap-
parition des mappemondes en OT est sans doute postérieure à Isidore : Patrick GAUTIER
DALCHÉ, « De la glose à la contemplation. Place et fonction de la carte dans les manuscrits
du haut Moyen Âge », in : Testo e immagine nell’alto medioevo, Spolète : Presso la sede del centro
’
110. Pour Oviedo, Francisco Javier FERNÁNDEZ CONDE, El Libro de los testamentos de la
catedral de Oviedo, Rome : Iglesia nacional española, 1971.
111. Pour l’arca sancta d’Oviedo, mise au point et bibliographie dans Alexander Pierre BRO-
NISCH, Reconquista und heiliger Krieg, op. cit., p. 169-172. Pour Isidore et León, Patrick HEN-
RIET, « Rex, lex, plebs. Les miracles d’Isidore de Séville à León (e-e siècles) », in : Martin
HEINZELMANN, Klaus HERBERS et Dieter BAUER (éd.), Mirakel im Mittelalter ; Konzeptio-
nen, Erscheinungsformen, Deutungen, Stuttgart : Franz Steiner (Beiträge sur Hagiographie, 3), 2002,
p. 334-350.
112. Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, « La fecha de implantación del oracional festivo visigótico »,
Boletín arqueológico, 113-120, 1971-1972, p. 215-243, ici p. 218-219 (repris dans Vie chrétienne et
culture dans l’Espagne du VIIe au Xe siècle, Aldershot : Variorum, 1992, n° VI), ainsi que Joseph
N. GARVIN, The Vitas sanctorum patrum Emeretensium, Washington : The catholic university of
America press, 1946, p. 408 (Mérida, Séville, Tolède, Tarragone). Sur le rôle de Jérusalem
dans la péninsule du haut Moyen Âge, voir aussi les exemples cités par Francisco Javier
FERNÁNDEZ CONDE, La religiosidad medieval en España, op. cit., p. 371-372.
113. Sur Jérusalem dans la tradition jacobéenne, Manuel C. DÍAZ Y DÍAZ, « Las tres
grandes peregrinaciones vistas desde Santiago », in : Santiago, Roma, Jerusalén. Actas del III
Congreso internacional de estudios jacobeos, Paolo CAUCCI VON SAUCKEN (éd.), Santiago :
Xunta de Galicia, 1999. Dans le diplôme de 1075 qui rapporte l’ouverture de l’arca sancta par
Alphonse VI, celle-ci est dite avoir été fabriquée à Tolède et non à Jérusalem : Andrés GAM-
BRA, Alfonso VI. Cancillería, curia e imperio. II. Colección diplomática, León : Centro de estudios y de
investigación « San Isidoro » (Fuentes y estudios de historia leonesa, 63), 1998, n° 27, p. 60-65.
114. Références toujours utiles dans Martín FERNÁNDEZ DE NAVARRETE, Españoles en
las cruzadas, Madrid, 1816 ; rééd. Madrid : Polífemo, 1986). Tout récemment, Margarita
C. TORRES SEVILLA-QUIÑONES DE LEÓN, « Cruzados y peregrinos leoneses y castel-
lanos en Tierra santa (s. -) », Medievalismo, 9, 1999, p. 63-82 et surtout, dans une ample
perspective, Nikolas JASPERT, « Frühformen der geistlichen Ritterorden und die Kreuzzug-
bewegung auf der iberischen Halbinsel », in : Klaus HERBERS (éd.), Europa an der Wende vom
11. Zum 12. Jahrhundert. Beiträge zu Ehren von Werner Goez, Stuttgart : Franz Steiner, 2001, p. 90-
116, ainsi que Philippe JOSSERAND, « Croisade et reconquête dans les royaumes occiden-
taux de la péninsule Ibérique au e siècle », à paraître in : L’expansion occidentale (XIe-XVe s.) :
formes et conséquences, Paris, 2003 (Actes du XXXIIIe Congrès de la Société des historiens
médiévistes de l’enseignement supérieur public).
115. « Si quod accidat, sarracenis ab Yspanie partibus citra mare propulsis, in terra de Mar-
rocos magister et capitulum ire proposuerit, illic et eos adiuvare sicut fratres non desistant.
Similiter et, si necesse fuerit, in Iherusalem », José Luis MARTÍN, Orígenes de la orden de Santiago,
op. cit., n° 53, p. 227. Voir Klaus HERBERS, « Las órdenes militares ¿ lazo espiritual entre
Tierra santa, Roma y la península ibérica ? El ejemplo de la orden de Santiago », dans Paolo
CAUCCI VON SAUCKEN (éd.), Santiago, Roma, Jerusalén, op. cit., p. 161-173.
116. José María LACARRA, « La Iglesia visigoda en el siglo y sus relaciones con Roma »,
in : Le Chiese nei regni dell’Europa occidentale e i loro rapporti con Roma fino all’800, Spolète : Presso la
sede del centro (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto Medioevo, 7), 1960,
p. 353-384 ; Juan Francisco RIVERA RECIO, « Relaciones de la sede apostólica con los dis-
tintos reinos hispanos », in : Francisco Javier FERNÁNDEZ CONDE (éd.), Historia de la Iglesia
en España, Madrid : Biblioteca de autores cristianos, 1982, vol. II/2, p. 259-262.
’
Les lieux et les espaces symboliques dans leur contexte idéologique et social
La sacralisation d’espaces organisés par et autour d’églises est ancienne.
On peut en retracer l’histoire à partir du e siècle, époque où la zone
située autour du lieu de culte possède déjà les mêmes privilèges que le
bâtiment lui-même, en particulier en matière de droit d’asile119. Pour la
péninsule, cet espace – terminum, dextrum – a été fixé par le douzième
concile de Tolède (681) à 30 pas à partir de l’église puis progressivement
augmenté, entre les e et e siècles, à 84 pas. Cette zone avait primitive-
ment été conçue dans un but pratique, puisqu’elle comprenait, outre un
espace funéraire, une zone de cultures destinées à approvisionner le
clergé desservant l’église120. Il semble cependant que dans un contexte
réformateur, la rupture que cet espace sacré représentait par rapport au
117. Voir le texte De missa apostolica in Spania ducta, présent avec d’autres textes de défense de la
liturgie wisigothique (main du e siècle) dans le Codex Aemilianensis (Escorial, d.I.1), fol. 395ro-
396vo (ici 395vo), Enrique FLÓREZ (éd.), ES, III, p. 389-395. Voir Pierre DAVID, Études histo-
riques sur la Galice et le Portugal du VIe au XIIe siècle, Paris-Lisbonne : Livraria Portugalia, 1947,
p. 112-113. Le thème de l’origine romaine de la messe hispanique se trouve déjà chez Beatus
de Liebana : Apologeticus, 73, in : Obras completas de Beato de Liebana, J. GONZALEZ ECHEGA-
RAY, A. DEL CAMPO et L. G. FREEMAN (éd.), p. 783.
118. Sur ce concept, Alain GUERREAU, « Quelques caractères spécifiques de l’espace social
européen », in : Neithard BULST, Robert DESCIMON et Alain GUERREAU (éd.), L’État ou
le roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIVe-XVIIe siècles), Paris : Maison des
sciences de l’homme, 1996, p. 85-101, et id., « Il significato dei luoghi… ».
119. Anne DUCLOUX, Ad ecclesiam confugere. Naissance du droit d’asile dans les églises (IVe-milieu du
Ve s.), Paris : De Boccard, 1994.
120. Concilios visigóticos e hispano-romanos, José VIVES (éd.), Barcelone-Madrid, 1963, p. 398
(Tolède XII) ; Alfonso GARCÍA GALLO, « El concilio de Coyanza », Anuario de historia del dere-
cho español, 21, 1950, p. 274-533, ici p. 439-444.
121. Amancio ISLA FREZ (Realezas hispánicas del año mil, La Corogne : Seminario de estudos
galegos, 1999, p. 162), invite à prendre avec les plus grandes précautions les mises en garde
contre la violation des espaces sacrés antérieures au concile de Coyanza. Sur la protection des
espaces sacrés dans le monde catalan dès la première moitié du e siècle, en particulier avec
l’abbé Oliba, voir Gener GONZALVO I BOU (éd.), Les constitucions de pau i treva de Catalunya
(segles XI-XIII), Barcelone : Departament de justícia (Textos jurídics catalans. Lleis i costums,
II/3), 1994, p. 4 (1027) : « ecclesiam vel domos in circuitu positas a XXX passibus » ; p. 9
(1033) : « usque ad XXX passus ».
122. Alfonso GARCÍA GALLO, « El concilio de Coyanza… », art. cit., p. 294 (« et infra dex-
tros ipsius ecclesiae laici cum feminis non habitent, nec ius aliquod ibi possideant »).
123. Voir les exemples cités par Alfonso García Gallo, ibid., p. 441, n. 352-353. Cas d’espèce :
Fernando LÓPEZ ALSINA, « Millas in giro ecclesie : el ejemplo del monasterio de San Julián de
Samos », Estudios medievais, 10, 1993, p. 159-187.
124. Manuel LUCAS ÁLVAREZ (éd.), La documentación del tumbo A de la catedral de Santiago de
Compostela. Estudio y edición, León : Centro de estudios y de investigación « San Isidoro »
(Fuentes y Estudios de Historia Leonesa, 64), 1997.
125. Fernando LÓPEZ ALSINA, La ciudad de Santiago de Compostela en la alta Edad Media (800-
1150), Santiago : Ayuntamiento de Santiago de Compostela, 1988, p. 127 sq. Les lignes qui
suivent s’inspirent beaucoup de ce livre de référence.
126. Manuel LUCAS ÁLVAREZ (éd.), La documentación, n° 28, p. 108-111.
127. Concorde d’Antealtares : Antonio LÓPEZ FERREIRO, Historia de la santa A. M. iglesia de
Santiago de Compostela, Santiago : Impr. del seminario conciliar central, 1900, vol. III, p. 3-7. Les
’
Historia medieval, 11, 1993, p. 81-121, et Pierre BONNASSIE, « Les sagreres catalanes : la
concentration de l’habitat dans le “cercle de paix” des églises (e siècle) », in : L’environnement des
églises et la topographie religieuse dans les campagnes médiévales, Michel FIXOT et Élisabeth
ZADORA-RIO (éd.), Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1994. Sur le
« ban sacré » clunisien, Barbara ROSENWEIN, Negotiating space. Power, restraint and privileges of
immunity in early medieval Europe, Ithaca : Cornell university press, 1999, p. 168-183, et Didier
MÉHU, Paix et communauté autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XVe siècle), Lyon : Presses universitaires de
Lyon (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales, 9), 2001, p. 151-165.
133. Outre Barbara Rosenwein (voir note précédente), Dominique IOGNA-PRAT, Ordonner
et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam. 1000-1150, Paris : Aubier,
1998, p. 161-185, et Michel LAUWERS, Lieux sacrés, espace funéraire et propriété ecclésiale au Moyen
Âge, à paraître.
134. Antonio LÓPEZ FERREIRO (éd.), Historia de la santa A. M. iglesia de Santiago, op. cit.,
Santiago, 1899, vol. II, p. 132-137.
135. Voir Ludwig VONES, Die « Historia compostellana », op. cit., p. 205-210 ; Richard FLET-
CHER, Saint James’s catapult, op. cit., p. 293-294 ; Fernando LÓPEZ ALSINA, La ciudad de San-
tiago, op. cit., p. 175-186 ; Klaus HERBERS, Política y veneración de los santos en la pénínsula ibérica.
Desarollo del « Santiago político », s. l. : Fundación cultural Rutas del Románico, 1999 (éd. all.
1994), p. 66-71. Dans une perspective historiographique, Ofelia REY CASTELAO, La histo-
riografía del Voto de Santiago. Recopilación crítica de una polémica histórica, Santiago : Universidad de
Santiago de Compostela, 1985.
136. Fernando LÓPEZ ALSINA, La ciudad de Santiago, op. cit., p. 175 et note 206.
137. « Cum assensu […] omnium Hispanie christianorum », Antonio LÓPEZ FERREIRO
(éd.), Historia de la santa A. M. iglesia de Santiago, op. cit., vol. II, p. 132. « Statuimus ergo per totam
Hispaniam, ac universis Hispaniarum partibus », ibid., p. 135. « Nos omnes christiani Hispanie
[…] et totius Hispanie christianitatis », ibid. « Nos omnes Hispanie terrarum habitatores
populi », ibid., p. 137.
’
138. Pour Oviedo, voir l’article de Francisco Javier FERNÁNDEZ CONDE dans ce volume,
qui permet de retrouver les principaux travaux. La bibliographie propre à ces différents
centres est dispersée. Chacun d’entre eux mériterait une étude spécifique effectuée dans la
perspective de l’« instrumentalisation » de l’espace (rapports, réels ou supposés, du centre reli-
gieux avec l’Hispania, les royaumes voisins voire opposés, le monde « franco », al-Andalus,
Jérusalem, etc.).
139. Le sens de la dépendance entre le Privilège des Vœux de saint Jacques et celui d’Émilien ne
fait pas l’unanimité. Antonio UBIETO ARTETA (« Los Votos de San Millán », in : Homenaje a
Vicens Vives, Barcelone, 1965, vol. I, p. 309-324) propose de dater la falsification de San Millán
de la Cogolla des années 1143-1144, soit avant celle de Compostelle. Sa datation a été et est
suivie par beaucoup d’historiens, dont José Ángel GARCÍA DE CORTÁZAR, par exemple
dans « Percepción y organización social del espacio en la Castilla del siglo », Finisterre, 24,
1989, p. 5-37. Contra, et en faveur d’une datation début e siècle, Brian DUTTON, La « Vida
de San Millan de la Cogolla » de Gonzalo de Berceo. Estudio y edición crítica, Londres : Tamesis books,
1967, p. 1-9 (avec édition du texte p. 2-9) et 185-186.
140. Voir ainsi l’utilisation de III Reg, 2, 2 dans le Privilège des Vœux, Antonio LÓPEZ FER-
REIRO (éd.), Historia de la santa A. M. iglesia de Santiago, op. cit., vol. II, p. 134, puis dans l’Historia
translationis sancti Isidori, Juan A. ESTÉVEZ SOLA (éd.), p. 171, et dans le Liber miraculorum bea-
tissimi Isidori, chap. 32 et 41, Patrick HENRIET (éd.), « Hagiographie et politique à León au
début du e siècle : les chanoines réguliers de Saint-Isidore et la prise de Baeza », Revue
Mabillon, n. s. 8 [t. 69], 1997, p. 53-82, ici p. 80. Il a aussi existé plus tardivement, autour du
monastère aragonais de San Juan de la Peña, des « Vœux de saint Indalèce » : Ricardo MUR,
Geografía medieval del voto a San Indalecio, Saragosse : Departamento de cultura, 1991.
145. Cebrià BARAUT, Les actes de consagracions d’esglésies de l’antic bisbat d’Urgell (segles IX-XII),
Urgell : Societat cultural urgellitana, 1986.
146. Voir en particulier Michel ZIMMERMANN, « Les actes de consécration d’églises du
diocèse d’Urgell (e-e siècle) : la mise en ordre d’un espace chrétien », in : Michel KAPLAN
(éd.), Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident, Paris : Publications de la Sor-
bonne (Byzantina Sorbonensia, 18), 2001, p. 301-318, et, du même, l’article publié dans ce
volume.
147. Michel ZIMMERMANN, « El papel de Ripoll en la creación de una historia nacional
catalana », in : Tiempo de monasterios. Los monasterios de Cataluña en torno al año 1000, Barcelone :
Departament de cultura, 2000, p. 252-273. Sur l’acte de consécration de 977, id., « Formule
de consécration d’église », in : Olivier GUYOTJEANNIN et Emmanuel POULLE (éd.), Autour
de Gerbert d’ Aurillac, le pape de l’an Mil. Album de documents commentés, Paris : École des Chartes,
1996, p. 26-35.
148. Du côté « occidental », signalons la richesse du dossier relatif à l’acte de consécration de
la cathédrale de Santiago (899), qui a sans doute été retouché, interpolé, etc. : abondante
bibliographie, que l’on démêlera grâce à José Manuel DÍAZ DE BUSTAMANTE et José
Eduardo LÓPEZ PEREIRA, « El acta de consagración de la catedral de Santiago : edición y
estudio crítico », Compostellanum, 35, 1990, p. 377-400.
149. Dédicace de Silos : voir Marius FÉROTIN, Histoire de l’abbaye de Silos, Paris : Baugé, 1897,
p. 72 et note 3 pour le texte de la fin du e siècle rapportant la dédicace, ainsi que Miguel
C. VIVANCOS, Documentación del monasterio de Santo Domingo de Silos (954-1254), Burgos :
Garrido Garrido (Fuentes medievales castellano-leonesas), 1988, n° 25, p. 30 (d’après
ms. BNF, Nouv. Acq. Lat. 2169, fol. 37bis vo).
150. Vita Dominici Siliensis, II, 21, Vitalino VALCARCEL (éd.), La « Vita Dominici Siliensis » de
Grimaldo, p. 358-360.
151. Voir la communication d’Ana Echevarría dans ce volume.
152. Julie Ann HARRIS, « Mosque to church. Conversions in the Reconquest », Medieval
encounters, 3, 1997, p. 158-172 ; Amy G. REMENSNYDER, « The colonization of sacred
architecture : the Virgin Mary, mosques and temples in medieval Spain and early sixteenth-
century Mexico », in : Monks and nuns, saints and outcasts. Religion in medieval society, Ithaca et
Londres : Cornell university press, 2000, p. 189-219. Pascal BURESI, « Les conversions
d’églises et de mosquées en Espagne aux e-e siècles », in : Villes et religion. Mélanges offerts à
Jean-Louis Biget, Paris : Publications de la Sorbonne, 2000, p. 333-350. Voir aussi, déjà, le sur-
vol de José ORLANDIS, « Un problema eclesiástico de la Reconquista española : la conver-
sión de mezquitas en iglesias cristianas », in : Mélanges offerts à Jean Dauvillier, Toulouse : Centre
d’histoire juridique méridionale, 1970, p. 595-604.
153. Les conditions de la transformation de la mosquée en cathédrale sont bien connues, mais
le récit de Jiménez de Rada (De rebus Hispaniae, VI, 24, Juan FERNÁNDEZ VALVERDE (éd.),
p. 205-207), est tardif. Voir Juan Francisco RIVERA RECIO, La Iglesia de Toledo en el siglo XII
(1086-1208), Rome : Iglesia nacional española, 1976, vol. II, p. 13-14 ; Francisco J. HER-
NÁNDEZ, « La cathédrale, instrument d’assimilation », in : Louis CARDAILLAC (éd.), Tolède,
XIIe-XIIIe s. Musulmans, chrétiens et juifs : le savoir et la tolérance, Paris : Autrement, 1991, p. 75-91.
154. Jiménez de Rada, De rebus Hispaniae, IX, 13, Juan FERNÁNDEZ VALVERDE (éd.),
p. 294. Juan Francisco RIVERA RECIO, La Iglesia de Toledo, op. cit., p. 16-19. B. COQUELIN
DE LISLE, « De la grande mosquée à la cathédrale gothique », in : Louis CARDAILLAC
(éd.), Tolède, XIIe-XIIIe s., op. cit. p. 147-157.
155. Robert Ignatius BURNS, « The Parish as a frontier institution in 13th Valencia », Specu-
lum, 37, 1962, p. 244-251, ici p. 250 (« modum ecclesiarum more christiano constructarum ») ;
Pascal BURESI, « Les conversions d’églises… », art. cit., p. 348.
’
n’étaient pourtant plus des mosquées depuis longtemps. Ils avaient été
rituellement purifiés juste après la reconquête, selon le rite romain, et ils
avaient été dotés de reliques enracinant dans l’espace leur caractère pro-
fondément chrétien. Au centre des espaces de sacralité, des églises. Mais
au centre symbolique des églises, des reliques…
156. Anton LEGNER, Reliquien in Kunst und Kult, Darmstadt : Wissenschaftliche Buchgesell-
schaft, 1995 ; Arnold ANGENENDT, Heilige und Reliquien, op. cit. ; Edina BOZÓKY et Anne-
Marie HELVÉTIUS (éd.), Les reliques, op. cit.
157. Nicole HERRMANN-MASCARD, Les reliques. Formation coutumière d’un droit, Paris :
Klincksieck, 1975.
158. Martin HEINZELMANN, Translationsberichte und andere Quellen des Reliquienkultes, Turn-
hout : Brepols (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 33), 1979. Voir à titre
d’exemple Édina BOZÓKY, « La politique des reliques des premiers comtes de Flandre (fin
du e - fin du e siècle) », in : Les reliques. Objets, cultes, symboles, op. cit., p. 271-292.
159. Croníca del Moro Rasis, Diego CATALÁN et Maria Soledad DE ANDRÉS (éd.),
p. 280-283.
matière, à savoir l’inventio des reliques de saint Jacques, nous est rapporté
pour la première fois dans la Concorde d’Antealtares, soit en 1077160. Pen-
dant longtemps, les translations depuis l’Espagne musulmane ne sont
guère mieux loties. Il semble ainsi assuré qu’Alphonse III fit venir de
Cordoue à Oviedo les corps des martyrs Euloge et Lucrèce, mais il
n’existe aucun texte contemporain ou même médiéval mettant en
valeur cette décision, pourtant importante161. L’époque d’Alphonse III
est pourtant celle où la monarchie asturienne se préoccupe du cours
de l’Histoire et fait composer diverses chroniques. Il est donc d’autant
plus frappant de constater que les textes composés sous le règne d’Al-
phonse III ne font pas plus allusion à la translation des restes d’Euloge
– ce qui peut à la rigueur s’expliquer par des raisons chronologiques –
qu’à l’invention du corps de saint Jacques. Elles insistent en revanche
sur la réorganisation de l’espace urbain par les souverains, construc-
teurs, bâtisseurs et « créateurs d’espace »162. Les reliques n’ont dans ce
schéma qu’un rôle subordonné163. Le personnage du souverain pieux
car fondateur de sanctuaires à reliques, simultanément et complémen-
tairement caractérisés par la perfection de leur mode de vie monastique
ou canonial, appartient en réalité à une époque postérieure.
Cette époque est celle des e et e siècles. On assiste alors, en parti-
culier dans les années 1060-1080, à une intensification des translations
de reliques, puis, au cours des générations suivantes, à leur mise en
valeur hagiographique. Le sens de ces translations doit être souligné, car
il traduit une nette volonté de recentrer l’espace chrétien sur quelques
villes importantes : nombre de transferts se font en effet depuis l’Espagne
musulmane vers l’Espagne septentrionale chrétienne, ce qui peut être
partiellement expliqué par la faiblesse politique des royaumes musul-
mans dits de taifas. Les initiatives sont royales mais aussi aristocratiques.
Les restes d’Isidore sont ainsi amenés de Séville à León (1063)164, ceux
160. Antonio LÓPEZ FERREIRO (éd.), Historia de la santa A. M. Iglesia de Santiago, op. cit.,
vol. III, p. 3-7.
161. Armando COTARELO Y VALLEDOR, Alfonso III el Magno, op. cit., p. 289-291. Aucun
texte contemporain. Il semble y avoir un renouveau du culte d’Euloge et Lucrèce en 1305,
avec la translation des reliques dans la Cámara Santa : Francisco Diego SANTOS, Inscripciones
medievales de Asturias, Oviedo : Principado de Asturias, 1994, p. 67.
162. Voir les références données par Dominique Iogna-Prat dans ce même volume, p. 206 et
note 31.
163. Il suffit pour s’en convaicre de comparer les chroniques « asturiennes » et celles de la pre-
mière moitié du e siècle (Historia silense, Chronique de Pélage d’Oviedo), qui accordent,
elles, un grand rôle aux reliques.
164. Outre les textes cités en notes 52 et 99, voir Antonio VIÑAYO GONZÁLEZ, « Cues-
tiones histórico-críticas en torno a la traslación del cuerpo de san Isidoro », in : Isidoriana. Estu-
dios sobre san Isidoro en el XIV centenario de su nacimiento, León : Centro de estudios « San Isidoro »,
1961, p. 285-297, et G. WEST, « La traslación del cuerpo de san Isidoro como fuente de la
Historia llamada Silense », Hispania sacra, 27, 1974, p. 365-371.
’
165. Madrid, BNE, ms. 11556, fol. 140ro-142vo. Voir Patrick HENRIET, « Un hagiographe
au travail… », art. cit.
166. AASS, Apr. III (Paris-Rome, 1866), 733-739. Abstraction faite de ce texte, la translation
est aussi attestée dans la liturgie de San Juan de la Peña dès le e siècle (voir note 64), ainsi
que dans une charte de 1090 : Ángel CANELLAS, Colección diplomática de Sancho Ramírez, Sara-
gosse : Real sociedad económica aragonesa de amigos del pais, 1993, n° 118.
167. Juan GIL FERNÁNDEZ, « En torno a las santas Nunilon y Alodia… », art. cit.
Ann CHRISTYS, Christians in al-Andalus (711-1000), Richmond : Curzon, 2002, p. 68-79, pro-
pose contre Gil une redatation haute de la Passio aussi bien que du martyre. Ce n’est pas le lieu
de discuter ici ses arguments, qui m’ont parfois semblé très fragiles.
168. Voir par exemple ce passage jamais commenté de Jiménez de Rada, selon lequel Pedro
Fernández de Castro aurait organisé la translation des reliques de Juste et Rufine, depuis
Séville vers le monastère de Las Huelgas (Burgos) : De rebus Hispaniae, VI, 12, Juan
FERNÁNDEZ VALVERDE (éd.), p. 192.
169. Divers exemples dans The art of medieval Spain, a. d. 500-1200, New York : Metropolitan
museum of art, 1993, n° 46, p. 98, n° 132, p. 273-276, etc. Plus généralement, Philippe BUC,
« Conversion of objects », Viator, 28, 1997, p. 99-143, en particulier p. 102-103.
170. Beaucoup d’éléments à prendre dans les livres de Ricardo DEL ARCO, Sepulcros de la
casa real de Aragón, Madrid : CSIC. Instituto Jerónimo Zurita, 1945, et id., Sepulcros de la casa real
de Castilla, Madrid : CSIC. Instituto Jerónimo Zurita, 1954. Liste des lieux d’inhumation des
souverains asturiens, léonais et castillans dans Ariel GUIANCE, Los discursos sobre la muerte en la
Castilla medieval (siglos VII-XV), Valladolid : Consejería de educación y cultura, 1998, p. 310-311.
Voir aussi Panteones reales de las monarquías hispánicas, Madrid, 2000.
171. Sur le « panthéon » léonais, voir en dernier lieu Manuel VALDÉS FERNÁNDEZ, « Él
panteón real de la colegiata de San Isidoro de León », in : Isidro G. BANGO TORVISO,
Maravillas de la España medieval. Tesoro sagrado y monarquía, Valladolid : Junta de Castilla y León,
2000, vol. I, p. 73-84.
172. Demetrio MANSILLA, « Panorama histórico-geográfico de la Iglesia española (siglos
al ) », in : Francisco Javier FERNÁNDEZ CONDE (éd.)., Historia de la Iglesia en España,
op. cit., vol. II/2, p. 611-683 ; id., Geografía eclesiástica de España. Estudio historico-geográfico de las dio-
cesis, 2 vol., Rome : Iglesia nacional española (Publicaciones del Instituto español de historia
eclesiastica, 35), 1994. Voir aussi le résumé de José SANCHEZ HERRERO et R. LÓPEZ
BAHAMONDE, « La geografía eclesiástica en León y Castilla. Siglos al », in : El pasado
histórico de Castilla y León, I. Edad media, Burgos : Junta de Castilla y León, 1983, p. 295-313.
173. Peter FEIGE, « Die Anfänge des portugiesischen Königtums und seiner Landeskirche »,
Gesammelte Aufsätze zur Kulturgeschichte Spaniens, 29, 1978, p. 85-436, ici p. 319-321. En 1096,
Urbain II remarquait que le roi Alphonse VI « n’accepterait en aucune façon que l’évêque de
Burgos fût soumis au métropolitain de Tarragone, car Burgos se trouvait à l’intérieur des
limites de son royaume, alors que Tarragone dépendait du comte de Barcelone » : voir
’
Demetrio MANSILLA, La documentación pontificia hasta Innocencio III, 965-1216, Rome : Instituto
español de estudios eclesiásticos, 1953, n° 37, p. 56.
174. Andrés GAMBRA, « Alfonso VI y la exención de las diócesis de Compostela, Burgos,
León y Oviedo », in : Estudios sobre Alfonso VI y la Reconquista de Toledo. Actas del II Congreso interna-
cional de estudios mozárabes, Tolède : Instituto de estudios visigótico-mozárabes, 1988, vol. II,
p. 181-218.
175. ES, 38, p. 340-341. Voir Demetrio MANSILLA, « La supuesta metrópoli de Oviedo »,
Hispania sacra, 8, 1955, p. 259-274 ; id., Geografia eclesiástica, op. cit., p. 270-272.
176. José Manuel RUIZ ASENCIO, Colección documental del archivo de la catedral de León (775-
1230). IV (1032-1109), León : Centro de estudios y de investigación « San Isidoro » (Fuentes y
estudios de historia leonesa, 44), 1990, n° 1317, p. 643-644.
177. José Manuel GARRIDO GARRIDO, Documentación de la catedral de Burgos (804-1183),
Burgos : Garrido (Fuentes medievales castellano-leonesas, 13), 1983, n° 61, p. 120-122.
178. Ludwig VONES, Die « Historia compostellana », op. cit, p. 271-395 ; Richard FLETCHER,
Saint James’s Catapult, op. cit., p. 192-222.
179. Luciano SERRANO, El obispado de Burgos y Castilla primitiva. Desde el siglo V al siglo XIII, 3
vol., Madrid : Instituto de Valencia de Don Juan, 1935-1936, vol. III, n° 68, p. 133 (sans citer
Wamba : « sciptum illud vetus quod Oximensis episcopus habere se dicit, sicut nec a vobis ita
nec a nobis autenticum creditur »). Sur la Division de Wamba, Luis VÁZQUEZ DE PARGA, La
división de Wamba. Contribución al estudio de la historia y geografia eclesiasticas de la Edad Media española,
Madrid : CSIC. Instituto Jerónimo Zurita, 1943.
citer d’autres listes, comme celle dite de Constantin, transmise par l’his-
torien arabe al-Rasi, ou la Divisio Theodemiri, comparable à celle de
Wamba mais pour le royaume suève, d’où le patronage du roi Théode-
mir180. Il est vraisemblable, comme l’a jadis suggéré Pierre David, que
ces listes transmettent au moins partiellement l’état de la carte ecclésias-
tique avant l’invasion musulmane181. Mais telles qu’elles nous sont par-
venues, elles sont avant tout des documents des e-e siècles – la pre-
mière mention de la Divisio Theodemiri se trouve dans un privilège de
Pascal II daté de 1101182. C’est alors que ces documents sont modifiés
ou interpolés – évidemment pas de la même façon selon les versions – et
c’est alors qu’ils sont dotés de prologues les plaçant sous une autorité
aussi ancienne que prestigieuse : Wamba, le plus religieux des rois wisi-
goths, ou son pendant suève Théodemir.
La réorganisation de l’espace ecclésiastique hispanique entraîna donc
diverses reconstructions du passé, lesquelles étaient, d’un diocèse à
l’autre, concurrentes et généralement contradictoires. On est ici, plus
que partout ailleurs sans doute, au croisement des représentations de
l’espace et du temps. Deux luttes particulièrement âpres nous sont relati-
vement bien connues grâce à la conservation de remarquables corpus
documentaires. Il est ainsi possible de connaître les arguments avancés
de part et d’autre, les références historiques et spatiales, ainsi que les
diverses sources utilisées par chaque partie. Ces deux riches dossiers,
désormais édités, attendent une étude dépassant le cadre d’une histoire
ecclésiastique au sens le plus strict du terme. Contentons-nous ici de les
présenter brièvement afin de mettre en valeur leur intérêt pour notre
propos. Le premier concerne les luttes entre les métropolitains de Com-
postelle et de Braga pour la possession des évêchés conquis sur les
maures et politiquement soumis à l’autorité du roi du Portugal183. Un
diocèse comme celui de Coimbra, capitale du jeune royaume de Portu-
180. Crónica del Moro Rasis, Diego CATALÁN et Maria Soledad DE ANDRÉS (éd.), p. 198-
201. La Division de Constantin apparaît aussi dans la Chronica gothorum pseudo-isidoriana, VIII,
Fernando GONZÁLEZ MUÑOZ (éd.), p. 138-140. Il est plusieurs fois question d’elle au
e siècle, dans le procès relatif à l’église de Valence, Vicente CASTELL MAIQUES (éd.),
Proceso sobre la ordenación de la Iglesia valentina. 1238-1246, 2 vol., Valence : Corts valencianes,
1996, vol. I, p. 177, 186, 188, 337. Voir sur ce texte Fernando GONZÁLEZ MUÑOZ, op. cit.,
p. 49-64. Divisio Theodemiri : Pierre DAVID, Études historiques, op. cit., p. 30-44. Voir Ludwig
VONES, Die « Historia compostellana », op. cit., p. 186-191.
181. Pierre DAVID, « L’organisation ecclésiastique du royaume suève au temps de saint
Martin de Braga », in : Études historiques, op. cit., p. 1-82.
182. Carl ERDMANN, Papsturkunden in Portugal, Berlin : Karl Brandi, 1927, n° 2, p. 155
(« sicut Teodimiri regis temporibus ab episcopis divisio facta est »).
183. Carl ERDMANN, O papado e Portugal no primeiro século da história portuguesa, Coimbra :
Publicaçoes do instituto alemao da universidade de Coimbra, 1935 (éd. allemande : Berlin,
1928) ; Peter FEIGE, « Die Anfänge… », art. cit., p. 377-429.
’
184. Carl ERDMANN, Papsturkunden, op. cit., n° 91, p. 266-282 et n° 110, p. 303-324.
185. Vicente CASTELL MAIQUES, Proceso sobre la ordenación de la Iglesia valentina, op. cit.
186. Ibid., vol. II, p. 249-259 et p. 366-380.
187. « In libris arabicis. Cesar Constantinus… », ibid., p. 177. « Super divisionibus Cesaris
Constantini, quas dixit esse translatas de arabico in latinum », ibid., p. 186.
188. Dans la lutte pour la primatie, en revanche, Tolède se caractérise par une grande atten-
tion aux bulles pontificales modernes : Peter LINEHAN, History and historians, op. cit., p. 210 sq. ;
Peter FEIGE, « La primacía de Toledo y la libertad de las demás metrópolis de España. El
ejemplo de Braga », in : La introducción del Cister en España y Portugal, Burgos : La Olmeda, 1991,
p. 61-132 ; Patrick HENRIET, « Political struggle and the legitimation of the Toledan pri-
macy : the Pars Lateranii concilii », in : Isabel ALFONSO et Julio Escalona (éd.), Building legitimacy.
Political discourses and forms of legitimation in medieval societies, Leyde/Boston/Cologne : Brill, 2003,
à paraître.
partir du e siècle, une véritable réflexion sur la légitimité des domina-
tions spatiales auxquelles prétendaient les archevêques de Compostelle,
de Braga, de Tolède ou de Tarragone. Il est possible de constater à cette
occasion les progrès de ce que l’on pourrait désigner, toutes proportions
gardées, comme une véritable critique historique. Les arguments avan-
cés de part et d’autre ne relèvent pas des constructions symboliques,
mais prétendent s’enraciner dans le réel et suivre des règles précises. Si
l’on utilise des faux, on est parfaitement conscient de leur existence et du
fait qu’ils ne sont que le reflet de l’affabulation : « non videtur autenti-
cum, sed potius fabulosum », dit par exemple Guillaume Vidal, juge de
l’officialité de l’archevêque de Tarragone, d’un opusculum quod dicitur fecisse
Isidorus189. Les références sont donc, en théorie au moins, prises dans des
textes « historiques » et reconnus. Les assertions fondées sur le dogme ou
le miracle sont bannies.
Ces discussions et ces procès témoignent parallèlement d’une véri-
table territorialisation du religieux, parallèle à celle du politique. Elle ne
peut sans doute pas en être dissociée. On constate en effet que pour les
diocèses les plus importants ou les plus disputés, Coimbra, Viseo,
Valence, ce sont finalement des raisons politiques implicites, liées à la
conjoncture du moment, qui l’ont emporté au détriment de ce qu’ensei-
gnait l’Histoire. Coimbra et Viseo avaient certes appartenu à Mérida,
mais elles furent rattachées à Braga et non à Compostelle. Valence aurait
dû revenir à Tolède mais fut attribuée à Tarragone. Aux yeux du pape
au moins, mais aussi, on s’en doute, aux yeux des souverains concernés,
la paix future entre les états valait bien quelques infidélités à l’Histoire
ancienne. Le principe de cohésion des royaumes l’emportait donc sur la
fidélité au passé wisigothique, les impératifs de territorialisation politico-
ecclésiastique sur l’idéal d’un découpage immuable. L’espace présent sur
le temps passé.
É
1. Du point de vue des constructions relatives au temps, nous avons
constaté une oscillation entre logique circulaire et logique linéaire,
constructions eschatologiques et constructions historiographiques. Mais
ces deux axes ne doivent en aucun cas être opposés. L’intérêt pour les
prophéties et la fin des temps – ou celle du sixième âge – débouche sou-
vent sur une perspective de restauration chrétienne par la victoire et sur
un intérêt marqué pour un avenir illimité. Il y a, au sein des mêmes
189. Vicente CASTELL MAIQUES (éd.), Proceso, vol. II, p. 347. Voir aussi supra, note 179 à
propos de la Division de Wamba.
’
milieux voire chez les mêmes auteurs, chevauchement des plans tempo-
rels – eschatologique et historique. L’eschatologie est aussi le moyen
d’exprimer une ecclésiologie binaire – les saints et les élus contre les
damnés – qui est caractéristique du haut Moyen Âge. Appliquée à la
péninsule, celle-ci revêt des formes particulières – en particulier le Com-
mentaire de Beatus sous ses divers vêtements – qui restent peut-être en
vigueur plus longtemps qu’au-delà des Pyrénées.
2. L’espace est normalement construit, de façon radiale, à partir des
lieux. Il n’est guère pensé en tant que tel, ainsi qu’en témoigne l’assez
faible mise en valeur idéologique du « Chemin de saint Jacques », pour-
tant si important dans la structuration culturelle, économique et sociale
du nord de la péninsule190. De là l’intérêt, dans la perspective d’une his-
toire des idéologies, de la (re-)constitution des diocèses et des provinces
ecclésiastiques, qui amènent à poser des espaces conçus hors d’un sys-
tème de références à leurs loci centraux. En d’autres termes, on cherche
désormais à organiser des espaces continus et pensés pour eux-mêmes.
3. Des lectures critiques, des analyses plus approfondies et des études
comparatives peuvent éprouver la validité des suggestions formulées ici,
puis, éventuellement, en tirer les conséquences. On a cependant le senti-
ment, peut-être en partie faux, que les constructions idéologiques de la
péninsule se sont appuyées de façon particulièrement marquée sur des
« bricolages » (au sens anthropologique du terme)191 combinant espace
et temps. La raison en est sans doute la situation particulière du christia-
nisme péninsulaire, coupé en deux, sur le plan spatial aussi bien que
chronologique, par l’irruption d’une autre religion. La reconstruction
d’une identité qui se voulait d’abord chrétienne passait donc par la réso-
lution des problèmes que posait cette double fracture. Les représenta-
tions chrétiennes de l’espace et du temps, et plus généralement les idéo-
logies cléricales, doivent donc être étudiées en relation avec la notion de
construction identitaire192.
190. Le Livre du pèlerin constitue certes une exception, mais il nous montre avant tout des lieux
et des reliques. Ce n’est donc pas un espace qui est mis en valeur. Un exception notable, cepen-
dant : le songe de Charlemagne dans le Pseudo-Turpin, Klaus HERBERS et Manuel SAN-
TOS NOIA (éd.), Liber sancti Jacobi. Codex calixtinus, p. 201. Sur le Camino de Santiago, voir la
récente synthèse de Klaus HERBERS, « La génésis del camino de Santiago », in : Año mil, año
dos mil. Dos milenios en la Historia de España, 2 vol., Luis RIBOT GARCÍA, Julio VALDEÓN
BARUQUE et Ramón VILLARES PAZ (éd.), vol. II, Madrid : Sociedad estatal « España
nuevo milenio », 2001, p. 43-61.
191. Pour une utilisation de ce concept emprunté à Lévi-Strauss, voir Thomas HEAD, « Art
and artifice in Ottonian Trier », Gesta, 36/1, 1997, p. 65-82, ici p. 77 (« bricolage » fondé sur
les objets et la liturgie).
192. Voir les remarques de David Wasserstein dans la conclusion de ce volume.