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Revue Philosophique de Louvain

Paul Moraux, Der Aristotelismus bei den Griechen. Von Andronikos


bis Alexander von Aphrodisias. Erster Band : Die Renaissance des
Aristotelismus im I. Jh. v. Chr.
Richard Bodéüs

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Bodéüs Richard. Paul Moraux, Der Aristotelismus bei den Griechen. Von Andronikos bis Alexander von Aphrodisias. Erster
Band : Die Renaissance des Aristotelismus im I. Jh. v. Chr.. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 73,
n°17, 1975. pp. 180-187;

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180 Comptes rendus

existence et de son utilisation par le Stagirite serait suffisant à marquer


ses distances dans l'ordre de la hyle par rapport aux thèses
académiciennes au sujet du principe matériel et peut-être permettrait-il de
résoudre l'aporie à laquelle nous conduit l'utilisation exclusive du
scheme de substrat : celui-ci signifiant indétermination, donc passivité,
d'un côté, détermination, donc activité, d'un autre côté, comme s'il
était vraiment possible au Stagirite ainsi qu'à ses interprètes de
choisir entre l'une et l'autre réalité, comme si le substrat des substances
sensibles n'était pas un substrat déterminé. Il est évident que
développer d'une manière adéquate cette proposition exigerait beaucoup plus
d'espace que celui d'un compte-rendu; pour le moment nous croyons
pouvoir affirmer qu'un aspect de l'interprétation de ce travail sur la
matière chez Aristote s'appuie sur la conviction qu'il y & un et
seulement un scheme pour la matière : le scheme du substrat. Cependant,
ce scheme devient insuffisant si l'on veut rendre compte d'une marge
d'« activité » ou de détermination de la matière vis-à-vis de la forme
sans tomber, par ce fait même, dans une contradiction manifeste. Bref,
tout le problème consisterait à pouvoir imaginer — légitimement — un
scheme de la matière capable de respecter l'hétérogénéité des divers
types de la hyle, un scheme de la matière qui permette de penser
l'activité ou la détermination de la hyle sans contradiction (5).
Hector Jorge Padrôn.

Paul Moraux, Der Aristotélismus bei den Griechen. Von Andronikos


bis Alexander von Aphrodisias. Erster Band : Die Renaissance des
Aristotélismus im I. Jh. v. Chr. (Peripatoi. Philologisch-historische
Studien zum Aristotélismus, in Verbindung mit H. J. Drossaart
Lulofs, L. Minio-Paluello, R. Weil, herausgegeben von Paul
Moraux, 5). Un vol. 24 x 16 de xx-535 pp., Berlin-New York, Walter de
Gruyter, 1973. Prix : 198 DM.
L'aristotélisme grec avait bénéficié jusqu'à ce jour de deux
entreprises savantes de grande envergure : à savoir l'édition, par
l'Académie de Prusse, des Commentaria in Aristotelem Graeca, publiés
en 23 vol., de 1883 à 1907 (avec 3 vol. de suppl., 1885-1903) et, plus
récemment, l'édition commentée, par Fr. Wehrli, des fragments des
premiers péripatéticiens, Die Schule des Aristoteles, 10 vol., lère éd.
achevée en 1959).
Le travail de P. Moraux constitue la troisième entreprise de
longue haleine consacrée aux penseurs grecs héritiers du Stagirite.
Conformément à un projet déjà confié au public, P. Moraux, qui dirige
actuellement rAristoteles-Archiv à la Freie Ûniversitât de Berlin,
s'est assigné pour tâche d'étudier de manière exhaustive l'œuvre des
aristotélisants passé le second siècle avant J. Chr. jusqu'à l'époque
d'Alexandre d'Aphrodise, au fil d'une période allant du Ier s. avant

(6) Nous espérons faire connaître, dans un avenir proche, un travail sur ce point.
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à la moitié du IIIe s. après J. Chr. et qu'il a baptisée lui-même « période


d'orthodoxie ».
Si l'on en juge par le premier des trois volumes que doit comprendre
cette étude, nous pouvons affirmer d'ores et déjà que le monde savant
s'en trouvera richement doté. Le mot est faible pour une synthèse
dont on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, de la documentation, de la
rigueur dans l'exposé ou de la finesse des conclusions. Une synthèse,
le travail de P. Moraux l'est à la fois dans l'intention et la réalisation ;
en ce sens qu'il entend parcourir et parcourt effectivement tous les
horizons de l'aristotélisme grec à l'époque envisagée. Mais il ne répugne
pas, tout au contraire, à l'analyse minutieuse des textes et témoignages ;
c'est même là ce qui fait du livre de P. Moraux un instrument précieux
non seulement pour la connaissance mais pour la recherche ultérieure
concernant l'aristotélisme ancien ; un instrument précieux et d'autant
plus sûr qu'il témoigne, osons le dire, d'une sérénité exemplaire dans
l'exposé. Hormis une pointe — justifiée à l'endroit du fantaisiste
'Abdurrahman Badawï (p. 449, n. 13) — P. Moraux traite son sujet
d'une humeur égale. Dieu sait pourtant si l'occasion s'offrait de verser
dans la controverse : pour nous limiter — exempli gratia — aux
matières déjà traitées par P. Moraux lui-même précédemment, on
notera ses réserves sur l'origine des Listes anciennes des ouvrages
d'Aristote (p. 60) : Ariston or Hermippus ? demandait I. Diiring ; de
même sur l'identité discutée de ce « Jugendschrift » (p. 420) du Sta-
girite, dont il avait découvert quelques traces en 1957 (cf. À la recherche
de VAristote perdu. Le dialogue 'Sur la justice').
À ces qualités, s'ajoute la perfection de l'édition (1), qui achève
de donner tout son lustre à une étude décidément remarquable.
Celle-ci comprend cinq parties, d'étendue inégale, suivies de« Nach-
trâge» qui corrigent ou complètent une quinzaine de passages par la
prise en considération de la littérature la plus récente. Chaque partie,
chaque rubrique, en l'occurrence, étudie l'œuvre d'un ou plusieurs
péripatéticiens après quelques notices biographiques à l'occasion. Une
table des matières très détaillée rend la consultation de ce livre
extrêmement commode.
Dans la première partie, consacrée à la redécouverte du Corpus
Aristotelicum et aux premières éditions de celui-ci, P. Moraux touche
à une question fort débattue : la valeur des récits concernant le fonds
de £tj8A/a en provenance de Skepsis. Le témoignage de Strabon à cet
égard (XIII, 1, 54, 608) se trouve interprété d'une manière, je pense,
très plausible ; il s'agirait d'une tentative destinée à expliquer le déclin
du Péripatos ancien et la difficulté des textes aristotéliciens; pour
ce faire, Strabon aurait imaginé la disparition des écrits d'Aristote et de
(*) Je relèverai seulement quelques coquilles : (p. 276, n. 93 et 94 pour 63 et 64;
(p. 54, n. 25) : EN I pour EN IX (la lettre grecque iota majuscule, prise pour un chiffre
romain) ainsi que pp. 448, 446 : 8«a>pt'a pour dewpla (probablement deœpla dans le
manuscrit ?). À rectifier également, sur la page de titre, Drossaart Zulofs, et non Zulolfs.
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Théophraste et, après leur redécouverte dans un piteux état, un mauvais


travail de « reconstitution ». Accréditait cette histoire étiologique le fait
que Apellicon avait acheté en Troade des jSijSÀ/a 'ApicrroréXovs Kal
©€o<f>pdarov inconnus jusque là; mais ce que Strabon croyait voir dans
ces j8ij8Ata (en l'occurrence, des « exemplaires » d'œuvres perdues du
Stagirite et de son successeur) n'était en réalité, pour l'essentiel, que
des «collections d'écrits» (Buchersammlung) rassemblés par eux;
quant à Apellicon, comme l'atteste le témoignage de Poseidonios,
aucun travail sur les textes d'Aristote ne peut lui être attribué. En
relisant Strabon et Plutarque, P. Moraux conclut qu'il en va de même en
ce qui concerne Tyrannion; et une critique rigoureuse de la thèse
ancienne de Usener à cet égard lui permet d'affirmer que « Sichere
Spuren einer rômischen Aristoteles-Ûberlieferung liegen nicht vor»
(p. 43). Quelques indices — particulièrement le fait que Cratippe et
Ariston quittent l'Académie pour le Lycée avant la moitié du 1er s.
avant J. Chr. — donnent à penser, d'autre part, que les travaux d'An-
dronicos qui inaugurent, comme l'on sait, le renouveau de l'aristoté-
lisme, furent effectués à Athènes dès avant cette époque; la datation
tardive (20 a.c.n.), prônée notamment par I. During, semble ne reposer
en dernière analyse que sur l'information de Plutarque (Sulla, 26),
dont le témoignage, nous dit P. Moraux, est sujet à caution; il se
bornerait, en effet, à résumer, moyennant quelques modifications,
celui de Strabon sur Apellicon et Tyrannion ; connaissant par ailleurs
l'existence à son époque (vvv) des ttIvolkcs d'Andronicos, Plutarque
aurait dès lors combiné ce qu'il savait des travaux d'Andronicos avec
tout ce qu'il lisait chez Strabon. L'effort de P. Moraux pour redécouvrir
l'histoire dessous l'affabulation que contiennent tous ces textes,
paraîtra peut-être audacieux, mais, à la lecture des analyses où chaque
donnée du problème est prise en considération, on doit convenir de
l'extrême probabilité des conclusions proposées. En ce qui concerne
les travaux philologiques d'Andronicos (édition d'Aristote et liste de
ses œuvres), P. Moraux ne prétend pas renouveler fondamentalement
notre connaissance; mais plutôt confirmer l'originalité du savant
rhodien, attestée tant par Porphyre que par la liste de Ptolémée. On
soulignera, en revanche, une tentative fort méritoire pour dégager les
éléments d'information que contiennent sur le sujet les fameuses
introductions néo-platoniciennes à la philosophie d'Aristote (en
particulier la question de la Siaipeaiç tcov avyypa\i\i6.To>v 'Apioro-
TeXovs), où sont venus échouer les résultats de recherches fort
anciennes, parfois même antérieures à Andronicos. M'est avis que ces
textes précieux de l'école d'Ammonios sont loin d'avoir livré tous leurs
secrets. P. Moraux n'a point tort d'insister.
La deuxième partie de son ouvrage aborde les fragments des
premiers commentateurs d'Aristote : Andronicos lui-même, Boethos de
Sidon, son successeur à la tête du Lycée, et Ariston d'Alexandrie.
Je ne puis ici que démarquer le Stagirite en disant que les matières
en cause sont trop diversifiées pour permettre une revue en détail;
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au moins me permettra-t-on d'épingler les points remarquables de


l'exégèse et d'en tirer les enseignements les plus nets. Du savant
qu'était Andronicos de Rhodes, P. Moraux dégage les éléments d'un
portrait dont le trait dominant est, sans conteste, l'attitude critique
à l'endroit d'Aristote; un trait qui s'affirme même au niveau d'une
paraphrase des Catégories mais surtout dans l'atéthèse du traité De
l'interprétation. Paradoxalement, comme le note P. Moraux, les
conclusions d' Andronicos ne servirent guère d'étalon-mesure pour les
exégètes ultérieurs, non seulement sur le plan philosophique mais sur
le plan philologique où nous voyons, par exemple, que la vulgate
s'oppose à la lecture qu'il faisait de Physique, 202 a 14. Particularité
insigne, la critique d'Andronicos faisait fond sur les références du Corpus
Ar. pour juger de l'authenticité des textes (cf. p. 117). P. Moraux réserve
d'autre part quelques pages (120-132) aux recherches d'Andronicos
sur la méthode de « division » ; il s'agit d'une mise au point fort précise
mais qui, à mon sens, doit tout son mérite aux lumières qu'elle projette
sur la complexité et en même temps la richesse d'une méthode qui,
inaugurée en somme par Platon, traversera toute l'antiquité et qui,
via Porphyre, trouvera chez Boèce une espèce de couronnement.
Abordant enfin la question des pseudépigraphes, P. Moraux lance au
passage un appel, que je crois devoir relever, pour que soit entreprise
une étude détaillée du commentaire à Y Éthique à Nicomaque qui fut
jadis attribué au rhodien ; il y va d'une étape importante, peu connue
hélas ! et mal fixée, de l'interprétation de l'éthique aristotélicienne.
Avec Boethos de Sidon, nous avons affaire à une personnalité
d'un autre ordre — incontestablement plus orthodoxe — dont
l'incidence fut considérable sur le commentateurisme ultérieur; c'est lui
qui passa plus tard pour l'auteur de la thèse selon laquelle il fallait
commencer l'étude d'Aristote par la Physique. Son argument, qui
rejoint une idée méthodologique authentiquement aristotélicienne,
était que la physique concerne les choses les plus proches de nous et donc
les plus directement connaissables. À l'arrière plan, on devine une
théorie de la connaissance où s'affirme le primat de l'individuel et du
singulier; aussi dans la même ligne de pensée, P. Moraux range-t-il
encore — et à raison — la prédilection de Boethos pour les conclusions
hypothétiques en matière de logique (ce qui constitue une entorse à la
syflogistique aristotélicienne en faveur des thèses stoïciennes) ; nous
lisons (p. 169) : « Durch die Ùbernahme der stoischen hypothetischen
Schliïsse und ihre Einordnung am Anfang jeglichen Beweisverfahrens
gewann Boethos die Môglichkeit, in seiner Syllogistik von den Daten
der Sinneswahrnehmung und von dem unmittelbar Erlebten auszu-
gehen ». Que toutes ces idées participent d'une même tendance
philosophique, c'est indéniable. À propos de Boethos, P. Moraux touche une
première fois au problème, capital en éthique, de l'« oî/cetcoo-ts'-Lehre »,
(pp. 178 et ss.). Ce problème, que nous retrouverons dans l'exposé sur
Xénarque (pp. 208 et ss.) et Areios Didyme (pp. 316 et ss.) est, notons-le,
un de ceux qui appelaient sans doute une étude thématique de Taris-
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totélisme grec ; une étude de l'espèce eût peut-être souligné davantage


l'histoire des doctrines et marqué de façon plus expresse les liens de
ces doctrines avec la pensée hellénistique. On ne reprochera pas à
P. Moraux d'avoir conçu différemment son exposé; mais peut-être
d'aucuns souhaiteront-ils qu'au terme de cet exposé, dans le troisième
volume à venir, il esquisse les jalons d'une étude thématique; nous
dirons, en guise de synthèse.
Ariston d'Alexandrie (ancien élève d'Antiochos, comme Cratippe
de Pergame, qu'il étudiera un peu plus loin) est le dernier auteur dont
nous entretient P. Moraux dans la deuxième partie de son travail.
Les fragments d' Ariston intéressent la logique. Le signalent à
l'attention de l'historien, non seulement sa découverte de cinq nouveaux
modes du syllogisme, mais aussi ses réflexions sur l'une des catégories :
la relation. Je me plais à mettre en évidence ce point de l'exposé de
P. Moraux (pp. 182 et ss.) car, par delà son intérêt intrinsèque, il offre
une contribution précieuse, une sorte de préliminaire à la compréhension
des querelles qui agiteront le Moyen-Âge à propos de cette catégorie.
La troisième partie est toute entière consacrée à Xénarque de
Séleucie, qui illustre l'« opposition » à l'intérieur du Péripatos. La matière
de cette monographie, P. Moraux l'emprunte à son article de la RE,
ce qui nous dispense ici d'en dire davantage.
La quatrième partie, intitulée « Auslâufer des hellenistischen
Aristotelismus », réunit et discute les témoignages relatifs à Staséas
de Naples et Cratippe de Pergame. Peu de choses originales en
définitive à mettre au compte de Staséas qui n'utilise ni ne connaît le
Corpus Aristotelicum et qui, — on le voit en matière éthique, par
exemple, — adopte les thèses du Péripatos pré-andronicien. Cratippe,
en revanche, retient beaucoup plus l'attention de P. Moraux. Les
données biographiques, pourtant abondantes, concernant ce savant né à la
fin du 2e s. avant J. Chr., ne permettaient pas de résoudre de façon
satisfaisante un point obscur : qu'est venu faire à Athènes dans les
années 50 cet élève d'Antiochos ? P. Moraux répond (conformément aux
thèses exposées dans la première partie) : enseigner le péripatétisme
à titre privé pendant le scolarcat d'Andronicos ou de Boethos. C'est
une réponse, je pense, sur laquelle on peut désormais faire fond et
qui éclaire la personnalité de ce savant, jugée d'un intérêt primordial
pour la critique des sources de Cicéron depuis Reinhardt — jugement
que tempère, au reste, P. Moraux (cf. pp. 249 et ss.). Les doctrines
de Cratippe sont ici passées au crible, spécialement la théorie
anthropologique sous-jacente aux idées du philosophe sur la mantique ;
envisageant comme possible — sans plus — l'influence de Dicéarque à ce sujet,
P. Moraux souligne au passage concernant ce dernier la probabilité
qu'il ait défendu l'idée de la mortalité de l'âme et, dans le même temps,
l'idée d'une intelligence divine en l'homme, ... comme Aristote lui-
même (cf. pp. 246, 255-256). Je suis fort enclin à croire cela probable,
en effet, et d'autant plus porté à noter ce détail de l'interprétation,
qu'il affecte la psychologie du Stagirite. Mais l'anthropologie serait
Philosophie de V Antiquité 185

sans aucun doute un autre problème à reprendre dans une étude


thématique.
P. Moraux a intitulé « Gesamtdarstellungen und Abrisse % la
cinquième et dernière partie de ce volume. C'est de loin la plus
importante, sinon par son objet, du moins par son étendue (pp. 257-514).
Et à l'intérieur de celle-ci, on pourrait faire la même remarque en ce qui
concerne l'exposé sur Areios Didyme (pp. 259-443). Ce compilateur
représente évidemment un jalon précieux autant qu'un témoin délicat
dans l'histoire de l'aristotéÛsme. Des discussions auxquelles l'épitomé
d' Areios Didyme a donné lieu, P. Moraux dégage les indices favorables
à l'hypothèse de sources multiples; hypothèse qu'il vérifie et, à mon
sens, établit sans réplique, par exemple, en comparant le prologue au
résumé de l'éthique aristotélicienne et ce résumé lui-même (cf. p. 409).
Pour ce qui est de l'influence stoïcienne, souvent soulignée par les
exégètes, P. Moraux tient qu'elle se traduit dans le vocabulaire plutôt
qu'elle n'affecte la doctrine. Ce jugement, prononcé par l'auteur avant
l'examen proprement dit de l'épitomé apparaît fondé lorsqu'on passe
à l'examen des textes; un cas particulièrement net : l'exposé de la
doctrine des passions et des impulsions (cf. pp. 396 et ss.). Le résumé
de philosophie naturelle que nous présente A. Didyme n'offre pas
l'intérêt de son résumé de l'éthique. Dans l'examen critique de cette
section par P. Moraux, on se doit néanmoins de relever deux points
particuliers : la découverte d'un terminus post quern (soit pour la source
d'A. Didyme, soit pour le compendium qu'il utilise) dans l'utilisation
des théories astronomiques d'Hipparque (cf. pp. 288-289) ; et d'autre
part, les objections, souvent décisives, à l'hypothèse de P. Steinmetz,
selon laquelle les données météorologiques du compendium seraient
empruntées à Théophraste. De son côté, le résumé en deux parties de
l'éthique aristotélicienne se trouve analysé avec une rigueur
exemplaire, qui — cela est tout à fait certain — condamne sans appel la
récente théorie de M. Giusta. Dans l'exposé de la célèbre « Oikeiosis-
Lehre» (lère partie), P. Moraux voit le reflet d'un système, ce dont le
détail de l'examen ne permet pas de douter; quant au problème des
sources du compilateur, il observe une extrême prudence et on ne peut
à ce propos que louer l'historien de s'en tenir à une probabilité : la
source d'A. Didyme, nous dit-il en substance, ne peut être sûrement
identifiée; de nombreux textes parallèles figurent assurément chez
Aristote lui-même ; « Dennoch handelt es sich wohl nur um Punkte, die
zum Gemeingut der Schule geworden waren und deren Erwâhnung
den Anschluss an eine gewisse Tradition bedeutet, die Benutzung
einer Pragmatie aber keineswegs voraussetzt» (p. 350). En d'autres
termes, A. Didyme travaillait avant la renaissance de l'aristotélisme
ou, à tout le moins, est demeuré à l'abri de son influence. En ce qui
concerne la seconde partie du résumé (« Teilgebiete der Ethik»),
P. Moraux a le mérite de prendre franchement position contre la thèse
de H. von Arnim (voir en particulier les remarques, pp. 373, 387, ...) :
il s'agit seulement de diaireseis et de définitions sans grands liens
186 Comptes rendus

entre elles et qui ne respectent aucun plan ; compare-t-on cette partie


de l'exposé à l'« Oikeiosis-Lehre », cela tient de l'évidence. On ne peut
ici donner une idée de la minutie des analyses auxquelles se livre
P. Moraux afin d'établir cette évidence ; l'examen de la théorie de la
vertu (pp. 377 et ss.) me paraît exemplaire à cet égard (à la
bibliographie citée p. 378, n. 200, sur la notion de opurj, on me permettra
seulement d'ajouter l'étude du P. H. A. Gauthier dans son commentaire
à EN vol. I, l2, Louvain-Paris, 1970, pp. 244-252). Dans ce que nous
dit A. Didyme du problème des genres de vie, P. Moraux voit à juste
titre la réplique d'un péripatéticien aux stoïciens. Il achève enfin son
examen par quelques pages consacrées au résumé de l'économique et de
la politique, où le compilateur se montre plus proche du texte d'Aristote
que ce n'était le cas dans les résumés d'éthique. Par ailleurs, l'utilisation
du concept polybien d'o^Ao/cpan'a fournit à la Quellenforschung un
précieux terminus post quem (cf. p. 426). Que l'exposé d'Ar. Didyme
respecte l'ordre des livres de la Politique — fait observé depuis
longtemps (cf. J. A. Stewart, Notes on the Nicomachean Ethics of Aristotle,
t. II, Oxford, 1892, p. 471) — cela n'empêche pas qu'on y remarque
« einen gewissen Mangel an Ordnungssinn » (p. 434) ; mais, ajoutera-t-on,
un certain désordre entachait aussi l'exposé d'Aristote lui-même;
F. Wehrli, on s'en souvient, n'hésitait pas, sur un plan très général, à
voir dans les textes du Stagirite la cause principale de décadence du
Péripatos (Die Schule des Aristoteles, vol. X, p, 96). Je relève ce détail
car il conduit à poser la question suivante : Dans quelle mesure les
mêmes textes du Stagirite, remis à l'honneur au premier siècle avant
notre ère, sont-ils la cause du renouveau aristotélicien à cette époque,
au rebours de ce qui s'était passé dans la génération qui suivit la mort
du Maître, en quelque sorte? C'est la question qu'on se posera
immanquablement au terme de l'enquête de P. Moraux. Mais n'anticipons
pas.
Aux résultats de l'analyse d'Ar. Didyme fait suite une dernière
étude consacrée à Nicolas de Damas. En plus d'une courte biographie
et d'un aperçu général sur l'œuvre (en particulier, l'œuvre
philosophique) de ce savant, P. Moraux nous offre une discussion de trois
maigres fragments (deux d'un traité Flepl deœv et le troisième d'un
traité Ilepi rov ttclvtos) ', mais l'essentiel de l'étude concerne deux
autres textes : d'abord, le résumé en treize livres de la philosophie
d'Aristote qu'écrivit le damascene, et dont H. J. Drossaart Lulofs
nous a traduit les cinq premiers livres d'une version syriaque, seule
conservée; ensuite : le fameux De plantis, anciennement attribué
au Stagirite, mais que l'on reconnaît aujourd'hui comme un
compendium rédigé par Nicolas, peut-être sur la base d'un traité authen-
tiquement aristotélicien. P. Moraux ne tranche pas cette dernière
question de façon catégorique ; mais il éclaire en revanche de manière
remarquable les principaux thèmes du compendium, quant à lui
passablement brouillon.
Philosophie de V Antiquité 187

Tel est, brièvement esquissé, le contenu du premier volume de


Y Aristotélismus bei den Griechen. Cette esquisse ne donnera sans doute
qu'une piètre idée des qualités de l'entreprise, où les zones d'ombre et
les incertitudes marquent seulement la limite des connaissances en la
matière. Comme il arrive des études conçues avec talent, la recherche
de P. Moraux a le mérite de susciter la réflexion et de stimuler d'autres
recherches qui la prolongent; je pense en particulier à une étude
historique de certains thèmes privilégiés ou à la comparaison de diverses
doctrines attenant à une même matière. Mais tel qu'il est ordonné, le
travail de P. Moraux se présente, à n'en pas douter, comme un guide
très sûr que garantissent une haute probité intellectuelle et de grandes
qualités philologiques. Nous n'en attendons les volumes suivants
qu'avec d'autant plus d'impatience.
Richard Bodéûs,
Aspirant du f.n.r.s.

Ada Babette Hentschke, Politik und Philosophie bei Plato und


Aristoteles (Frankfurter Wissenschaftliche Beitrâge, Kulturwissen-
schaftliche Reihe, 13). Un vol. 24x17 de x-493 pp. Frankfurt a.M.,
Vittorio Klostermann, 1971. Prix : br. 64.50 DM, rel. 72.50 DM.
L'un des problèmes fondamentaux de la philosophie politique en
tant que science pratique est celui de la relation entre politique et
métaphysique. Il est cependant peu étudié pour lui-même. En effet,
si les commentateurs n'omettent pas de rappeler que la pensée
politique de Platon, de Spinoza ou de Fichte est toute empreinte de
métaphysique, ils consacrent peu de mots à l'examen du lien réel, déductif
ou autre, qui unit la doctrine de l'État à la métaphysique chez ces
philosophes. Or il est essentiel de savoir, surtout dans le cas d'un
système idéaliste, si la politique est effectivement déduite des principes
a priori et si elle n'est pas plutôt construite par induction pour être
ensuite rattachée tant bien que mal aux fondements du système.
A. B. Hentschke a entrepris d'élucider la relation entre politique
et métaphysique chez Platon. Celui-ci a affirmé plus d'une fois
l'existence de cette relation. La Septième lettre ne dit-elle pas que la vraie
philosophie, et elle seule, mène à la politique juste ? De là plusieurs
questions. Pourquoi ce lien entre philosophie et politique? Quelle
conception de ces deux disciplines implique-t-il ? Quelle est enfin la
politique à laquelle la vraie philosophie nous conduit ? L'auteur
commence par répondre à la seconde question en analysant les notions de
« philosophie » et de « politique » , telles qu'elles sont développées par
les dialogues qui n'ont pas la politique pour objet immédiat. La méthode
herméneutique ayant été précisée au cours de cette recherche, la partie
principale de la recherche sera consacrée à un examen de la République
et des Lois. L'interprétation de ce dernier dialogue constitue le centre
de gravité de l'ouvrage. A. B. Hentschke veut présenter les Lois
comme expression de la philosophie de Platon. Elle ne prétend certes

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