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Histoire de la

géologie

La géologie est la science qui traite


de la composition, de la structure,
de l'histoire et de l'évolution des
couches internes et externes de la
Terre, et des processus qui la
façonnent.

Certains des phénomènes


géologiques les plus visibles
intéressent l'humanité depuis
longtemps, tremblements de terre,
volcans et érosion. La première
trace d'un tel intérêt est une
peinture murale montrant une
éruption volcanique au Néolithique,
à Çatal Hüyük (Turquie) et datant
du VIe millénaire avant l'ère
commune. L'Antiquité se
préoccupe peu de géologie, et
lorsqu'elle s'en préoccupe ses
écrits n'ont pas d'influence directe
sur la fondation de la géologie
moderne, l'érosion et le transport
fluvial des sédiments est pourtant
connu des Grecs anciens. La
notion de couche n'apparaît
explicitement que brièvement
pendant la période arabe classique
et de façon plus poussée en Chine
mais ces apports n'influencent pas
non plus la naissance de la
géologie moderne. La même
situation perdure durant le Moyen
Âge et la Renaissance, aucun
paradigme n'émerge, les érudits
restent divisés sur l'importante
question de l'origine des fossiles.
Carte géologique de la Grande-Bretagne par William Smith (1815).

La naissance de la géologie
moderne est difficile à dater,
Descartes, est le premier à publier
une théorie de la Terre dans la
quatrième partie des Principia
philosophiae (1644). Nicolas
Sténon en 1669 publie un ouvrage
de 76 pages décrivant les principes
fondamentaux de la stratigraphie.
En 1721, Henri Gautier, inspecteur
des ponts et chaussées, publie
Nouvelles conjectures sur le globe
de la terre, où l'on fait voir de quelle
manière la terre se détruit
journellement, pour pouvoir changer
à l'avenir de figure... James Hutton
publie en 1795 Theory of the Earth,
with Proofs and Illustrations.
William Smith, Georges Cuvier et
Alexandre Brongniart fondent la
biostratigraphie dans les années
1800. Charles Lyell écrit les
Principes de géologie vers 1830.
Dans les années 1750 la géologie
n'est pas encore fondée en tant
que science, dans les années 1830
elle est définitivement établie et
possède ses propres sociétés
savantes et publications
scientifiques.

Géologie pré-
scientifique

Les gréco-romains

Plusieurs théories, où se mêlent


croyances religieuses et
observations, naissent à cette
époque, en Grèce puis dans
l'Empire romain, en Inde antique, en
Chine. La minéralogie et le
volcanisme n'ont pour les anciens
aucun rapport. Chez les grecs, la
géologie n'est pas une science
séparée comme l'astronomie mais
fait partie de la géographie, ce que
Karl Alfred von Zittel résume par un
laconique « Il n'y a pas de géologie
antique »[1]. Pourtant quelques
intuitions correctes existent,
parfois correctement étayées, ou
tout au moins rationnellement
étayées.

Les auteurs anciens décrivent un


monde éternel, traversant des
cycles indéfinis, sans parvenir à
établir une véritable histoire[2].
Aristote dans son traité
Météorologiques conçoit une
perpétuelle transmutation entre les
éléments : la terre et l'air se
transforment en eau qui alimente
les sources et les rivières (principe
de ce qui sera appelé le cycle de
l'eau). Il développe la théorie des
exhalaisons attribuée à Héraclite.
Les exhalaisons sont des espèces
d'évaporation sous l'action du
soleil. Si elles sont congelées dans
la terre, elles produisent les
métaux (exhalaison humide qui
provient de l'humidité de la terre)
ou les roches non-métalliques
(exhalaison sèche qui vient de la
terre elle-même). Il considère que
les continents peuvent devenir
mers et vice-versa et surtout que
l'enchaînement de petites causes
sur de longues périodes peut
produire de grands effets[E 1]. La
mauvaise interprétation de la
présence de fossiles, par
Théophraste, un disciple d'Aristote,
reste communément admise
jusqu'à la révolution scientifique du
xviie siècle. L'œuvre de ce savant
grec ancien, traduite en latin et
dans d'autres langues, sert de
référence pendant près de deux
mille ans.

Straton de Lampsaque effectue


une analyse des phénomènes
d'érosion et de transport fluviaux
des sédiments dans les
estuaires[E 2]. Plus notable encore
d'un point de vue méthodologique
est l'existence de vrais débats, à
une Terre ayant existé de toute
éternité, l'argument de l'érosion est
opposé « si la Terre n'avait pas eu
de commencement [...] tous les
monts eussent été aplanis au
même niveau, toutes les collines
eussent été ramenées au même
niveau que les plaines », Zénon de
Citon[E 3].

Strabon dans sa Géographie, livre


XII, chap. 2, 4 parle de
correspondance des « saillants et
rentrants en parfaite opposition »
dans un canyon au fond duquel
coule une rivière, par saillants et
rentrants il désigne les couches
découpées par la rivière mais sans
inclure la notion de couche. Dans
le même passage il reconnaît
l'existence du transport de limon
par les rivières et l'avancée des
terres qui peut en résulter à leurs
estuaires[E 4]. Strabon réfute aussi
la théorie d'Ératosthène qui
explique la présence des fossiles
par un niveau plus élevé de la
Méditerranée qui existait lorsque le
détroit de Gibraltar était fermé
dans un passé mythique[G 1].
Strabon, lui, invoque une cause
actuelle et observable, les
tremblements de terre, pour
expliquer l'élévation des fonds
marins qui conduisent à la
présence de fossiles dans des
lieux élevés. Cette introduction de
cause observable pour expliquer
des phénomènes antérieurs est
une des innovations grecques,
toutefois les grecs, sans l'expliquer,
considèrent que ces causes ont pu
se produire d'une manière plus
violente dans le passé, pour eux
l'observation d'un tremblement de
terre conduisant à la surrection
d'une île valide implicitement
l'existence de séisme bien plus
violent pouvant surélever des
zones beaucoup plus vastes[G 2].
Cette avancée des grecs est donc
différente du principe de
l'actualisme découvert au
xviiie siècle.

La géologie antique n'est donc pas


inexistante, mais les erreurs y sont
nombreuses, en partie ajoutées par
des compilateurs comme Pline
l'Ancien, auteur d'une œuvre d'une
qualité très inégale[R 1], en partie
durant le Moyen Âge. Ces erreurs
et l'utilisation des textes des gréco-
romains durant le Moyen Âge
comme argument d'autorité lui
donnent une réputation sulfureuse,
la géologie moderne du xviiie siècle
n'hérite pas directement de la
géologie antique[E 5].

Les pères de l'Église

Les pères de l'Église se consacrent


avant tout à la défense de la foi
chrétienne, s'ils parlent de
géologie, c'est dans l'optique de
corroborer la Bible, plusieurs
d'entre eux, Tertullien, Eusèbe de
Césarée..., reconnaissent les
fossiles de coquillages et de
poissons comme étant des
animaux pétrifiés et en concluent
la véracité du Déluge. Les quelques
apports des gréco-romains sont
modifiés pour les faire
correspondre à la Bible, toute idée
de temps géologique long est
abandonnée par Isidore de Séville
mais l'application de la création du
monde en six jours à la géologie ne
devient influente qu'au
xviie siècle[E 6].

La Chine

Réplique du sismographe de Zhang Heng, le Houfeng Didong Yi


Les fossiles sont connus en Chine
dès le ier siècle av. J.-C. mais ils ne
sont pas toujours correctement
identifiés aux espèces modernes,
les restes d'un mollusque sont pris
pour des ailes d'oiseau, des veines
dans des roches sont confondus
avec des fossiles[R 2]. L'érudit Shen
Kuo (1031-1095) observe des
fossiles dans les différentes
couches géologiques de la
montagne T'ai-hang Shan et en
déduit que l'érosion et le dépôt de
limon remodèlent les terrains et
que ces montagnes furent à un
moment situées au niveau de la
mer[3]. Shen Kuo pense également
que les plantes fossiles étaient des
preuves de changements graduels
intervenus dans le climat.

La Chine étant fréquemment


frappée par des tremblements de
terre la sismologie est étudiée,
sans qu'une théorie concernant
leurs causes ne soit émise.
L'apport principal est
technologique avec l'invention du
premier sismographe. Il est
composé d'une masse pesante en
équilibre dans une jarre, l'appareil
est capable d'indiquer la direction
générale du séisme, plusieurs de
ces appareils sont construits[R 3].

Le travail des chinois ne sera


connu en Europe que longtemps
après l'éclosion de la géologie
moderne.

La période arabe classique

La période arabe classique est


principalement influencé par les
auteurs grecs, directement ou
indirectement par la traduction du
grec en syriaque ou par
l'intermédiaire des Perses[C 1], bien
que des connexions avec la
science chinoise soit connu dans
certains domaines, son influence
est faible voire inexistante en
géologie.

Les Rasâ'il al-Ikhwân al-Safâ' -- Les


Épîtres des frères de la pureté,
contiennent une description
complète d'un cycle géologique,
l'érosion produit des sédiments
transportés par les fleuves à la mer
qui peu à peu se comble. Cette
description est proche de celle
d'Aristote mais plus détaillé et une
nouvelle idée importante est
apporté, la stratification des
couches sédimentaires au fond
des mers débouchant sur une
tentative d'explication des
orogenèses « [les mers] déposent
ces sables, cette argile et ces
cailloux dans son fond, couche sur
couche [...] s'entassent les unes
sur les autres et ainsi se forment
au fond des mers des montagnes
et des collines »[E 7]. Les frères de
la pureté introduisent l'idée d'un
dissymétrie dans la forme de la
Terre, les mers et les terres sont
deux sphères ayant des centres
distinctes, les mers ne peuvent
donc pas entièrement couvrir les
terres[E 8].
Avicenne est plus influent que les
Frères de la pureté, pourtant ses
apports sont moins intéressant, de
plus son texte est connu en
occident à travers une traduction
d'Alfred de Sareshel vers 1200 qui
tronque le texte. Ce texte, De
mineralibus, sera d'abord attribué à
Aristote et est souvent utilisé au
Moyen Âge par les alchimistes
bien qu'Avicenne dans l'original la
condamne. De mineralibus contient
deux parties intéressant la
géologie, De la congélation des
pierres et De la cause des
montagnes. Les fossiles y sont
expliqués par l'inclusion d'animaux
et végétaux convertis en pierre par
une vertu pétrifiante des sols
pierreux. La partie explicative du
phénomène, les terres contenant
des fossiles marins étaient
autrefois immergés est manquante
dans le texte latin. Avicenne
explique les montagnes par deux
causes, les tremblements de terre
qui soulèvent le sol et dans une
moindre mesure par l'érosion qui
laisse les reliefs les plus durs
intacts. Avicenne connaît aussi la
stratification qu'il explique par des
avancées et des retraits successifs
des mers, chaque couche est dû à
l'une de ces avancées. Cette
portion du texte est elle aussi
manquante dans la version latine
de Sareshel[E 9].

Le Moyen Âge européen

Malgré une certaine censure de la


part de l'Église le ton de la science
du Moyen Âge est relativement
libre, si les autorités religieuses
penchent parfois vers le dogme
avec l'interdiction de certaines des
thèses d'Aristote vers 1210
révoqué en 1234 puis à nouveau
condamné en 1277[R 4], des
penseurs considèrent que la
science n'est pas incompatible
avec la foi chrétienne. Cette
science trouve son apogée dans la
création des premières universités
en occident et l'avènement de la
scolastique. Des érudits comme
Robert Grosseteste, Roger Bacon,
Thomas d'Aquin ou Guillaume
d'Ockham sont des
scientifiques[R 5]. La condamnation
de 1277 est la prémisse d'une
séparation de la foi et de la science
avec la doctrine de la double vérité,
une concernant la foi et l'autre la
raison, vérités pouvant être
contradictoires[R 6], [E 10].
Albert le Grand reprend une partie
des idées d'Aristote et d'Avicenne.
Dans le domaine de la géologie il
étudie les fossiles du bassin
parisien mais semble incertain
quant à leur origine, d'une part il
cite Avicenne en leur attribuant une
origine animale, d'autre part il
évoque la possibilité que les
fossiles soient créés directement
dans la pierre sans avoir une
origine biologique[E 11]. Cette
ambiguïté est partagée par
d'autres auteurs du Moyen Âge,
Ristoro d'Arezzo aboutit à une
origine organique des fossiles,
Pietro d'Abano au contraire
considère qu'ils sont générés dans
le sol par l'action des astres[E 12].
Ristoro d'Arezzo émet aussi une
théorie sur l'origine des
montagnes, une forme d'attraction
de la part des étoiles tend à élever
la surface de la Terre,
curieusement il considère cette
force proportionnelle à la distance,
à l'inverse de la force exercée par
un aimant ou de la gravitation qui
reste encore à découvrir[G 3].

Jean Buridan émet l'idée d'une


composition de la Terre en deux
hémisphères dissymétriques, peut
être inspirée des frères de la pureté.
Les terres sont plus légères que les
océans, le soleil échauffant les
terres les allègent. Cet allègement
provoque un soulèvement des
terres combattu par les
phénomènes d'érosion[E 13].
L'hémisphère nord comportant une
majorité de terres est plus léger
que l'hémisphère sud, le centre de
gravité est excentré[C 2]. Buridan
utilise une échelle de temps
incompatible avec la Bible, les
phénomènes qu'il décrit demande
au moins des dizaines de millions
d'années, il déconnecte aussi les
causes de l'astronomie, en
invoquant seulement le Soleil et
non plus les étoiles. Les
manuscrits de Buridan ne seront
pas imprimés, Léonard de Vinci
reprend en partie l'idée de
dissymétrie du globe[G 4], mais
Buridan a moins d'influence que
son successeur Albert de Saxe qui
réintroduit l'astronomie dans les
cycles de formation des
montagnes[E 14]. Buridan ne rejette
pas l'idée du déluge mais il
considère qu'un tel phénomène ne
peut pas avoir de cause
naturelle[E 15].

La Renaissance
La Renaissance débute au
xive siècle en Italie pour se
propager dans le reste de l'Europe
au xve et xvie siècles. La gravure
sur bois puis sur cuivre et
l'invention des caractères mobiles
en imprimerie permet la
propagation des auteurs modernes
et anciens[R 7]. La chute de Byzance
permet l'arrivée d'un bon nombre
de manuscrits et d'érudits parlant
le grec en occident mais cette
redécouverte des textes grecs est
antérieure à la chute de l'Empire
byzantin, la Renaissance est plus
une période de transition que de
rupture[T1 1]. Malgré cette
ambiance propice la géologie
progresse peu durant la
Renaissance.

L'origine des fossiles, biologique ou


non, commence à être réellement
débattue à partir des années 1500,
débat qui se poursuit durant la plus
grande partie du
xviie siècle[E 16],[E 17], mais dès le
début de la Renaissance l'origine
animale ne fait pas de doutes pour
la majorité des auteurs, les
principales divergences
concernent les causes qui ont
amené ces fossiles, souvent
d'origine marine, à l'intérieur des
terres[T1 2].

Pour les auteurs de la Renaissance


les montagnes sont soit le résultat
de l'érosion (Léonard, Agricola,
Palissy) ou bien sont des reliefs
dont l'existence remonte à la
création de la Terre ; des feux
souterrains sont évoqués pour
expliquer le volcanisme et les
tremblements de terre mais ces
causes ne sont pas appliquées à
l'orogenèse[T1 3].

L'origine des sources est


fréquemment ramenée à une
origine océanique, l'eau des
océans circule sous Terre et
resurgit, durant la Renaissance
l'altitude des océans est mal
connue, même Palissy, qui réfute
cette théorie, considère que
certaines parties de la surface des
océans sont plus élevées que la
Terre[T1 4].

Léonard de Vinci ne s'intéresse ni à


la volcanologie ni aux
tremblements de terre. Il ne publie
pas ce qu'il écrit sur les fossiles et
l'érosion, son influence est difficile
à estimer[E 18],[G 5]. Il réfute la
théorie de la genèse des fossiles
sur place et les théories fondées
sur le déluge, en particulier dans le
Codex Leicester. Toujours dans ce
codex il identifie entre elles les
couches présentes des deux côtés
d'une vallée érodée par la présence
d'un fleuve[E 19]. Léonard échoue à
présenter une théorie globale de la
terre, il joue avec plusieurs idées,
celle d'une terre creuse, celle d'une
terre remplie d'eau ou encore il
reprend les idées d'Albert de
Saxe[E 20] et celles de Buridan[G 6].

Les principaux apports de Bernard


Palissy sont contenus dans son
traité des Eaux et fontaines où il
réfute l'opinion fréquemment
admise depuis l'Antiquité d'une
origine océanique des sources et
montre que l'eau des fleuves
provient de la pluie[R 8],[T1 5]. Palissy
admet l'origine biologique des
fossiles mais rejette une
provenance marine ou qu'ils aient
été apporté par le déluge, pour lui
ces fossiles sont des restes
d'animaux d'eau douce provenant
des fleuves et des rivières[E 21]. Sur
la question des fossiles, Palissy
n'est pas novateur, ses apports
restent inférieurs à ceux de
Léonard[G 7].
Le grand humaniste Georg Bauer
dit Georgius Agricola (1494–1555)
résume les connaissances
minières et métallurgiques de son
temps dans son plus célèbre
ouvrage De re metallica[4] qui parait
de manière posthume en 1556. Ce
dernier comporte aussi un
appendice intitulé Buch von den
Lebewesen unter Tage (Livre des
créatures souterraines). Il traite
notamment d'énergie éolienne et
hydrodynamique, du transport et
de la fonte des minerais et de
l'extraction de différents
gisements, et constitue donc un
véritable traité de métallurgie[R 9].
Le De re metallica traite aussi de la
succession des couches trouvées
au-dessus des mines en Saxe,
sans tenter d'apporter
d'explication[E 22]. L'œuvre
d'Agricola qui intéresse peut-être le
plus la géologie est publiée en
1544 sous le titre De ortu et causis
subterraneorum ; il y critique les
hypothèses anciennes et pose les
premières fondations de ce qui va
devenir plus tard la
géomorphologie par sa description
de l'érosion[E 23].

En Europe
À l'aube du xviiie siècle, Jean-
Étienne Guettard puis Nicolas
Desmarest arpentèrent le centre de
la France et enregistrèrent leurs
observations sur une carte
géologique, soulignant l'origine
volcanique de cette région.

La géologie s'est heurtée


longtemps au dogme de l'Église
catholique concernant l'âge de la
Terre. En effet, le concept clé de la
géologie est la durée, et les
premières observations
scientifiques contredisaient
directement l'idée de la Terre créée
en six jours, dogme biblique du
premier chapitre de l'Ancien
Testament, traitant de la Genèse.

James Hutton (1726–1797)

L'écossais James Hutton (1726-


1797) est considéré comme le père
fondateur de la géologie moderne.
En 1785, il présenta un article
intitulé Theory of the Earth ; or an
Investigation of the Laws
observable in the Composition,
Dissolution and Restoration of Land
upon the Globe qui fut publié en
1788 dans les « Transactions of
the Royal Society of Edinburgh ».
Cet article, sous une forme
pratiquement inchangée, constitue
le premier chapitre de son ouvrage
paru en 1795 en deux volumes,
intitulé Theory of the Earth, with
Proofs and Illustrations (Théorie de
la Terre, avec Preuves et
Illustrations). On peut considérer
qu'il s'agit là du premier traité
moderne de géologie puisque
Hutton y expose les principes
d'uniformitarisme et de
plutonisme. La nouvelle théorie
géologique que Hutton propose
implique que la Terre doit être bien
plus vieille que ce qu'on supposait
auparavant. En effet, le temps que
les montagnes mettent à s'éroder,
et le temps que mettent les
sédiments à former de nouvelles
roches sous la mer, qui à leur tour
seront soulevées et émergent, ne
peut pas se chiffrer en millénaires,
mais doit se compter en dizaines
ou centaines de millions d'années.
Hutton fut sans conteste un brillant
chercheur, mais il exposa ses idées
par écrit de manière trop confuse
et trop compliquée pour que son
génial ouvrage fût immédiatement
compris. C'est son ami, le
mathématicien écossais John
Playfair (1748-1819), qui en fit un
exposé clair et accessible à un
large public dans son livre
Illustrations of the Huttonian Theory
of the Earth, paru en 1802. C'est
grâce à ce digest de Playfair que la
théorie de Hutton fut connue et
finalement acceptée par un
nombre croissant de géologues,
parmi lesquels figurera l'écossais
Charles Lyell.

Les successeurs de James Hutton


furent connus sous l'appellation de
plutonistes, car ils pensaient que
les roches étaient formées par un
dépôt de laves produites sous terre
dans des volcans. Ils s'opposaient
en cela aux neptunistes qui
pensaient que les roches s'étaient
formées dans un grand océan dont
le niveau baissait au cours du
temps. Bien que défendant pour
l'essentiel des thèses neptunistes,
Georges Cuvier (1769-1832) et
Alexandre Brongniart (1770-1840)
postulèrent en 1811 eux aussi un
âge très grand pour la Terre. Leur
théorie fut inspirée par la
découverte de Cuvier de fossiles
d'éléphants à Paris. Pour étayer
leur thèse, ils formulèrent le
principe stratigraphique selon
lequel des couches géologiques
superposées représentent une
succession dans le temps.
Toutefois, ils ne furent pas les
premiers à énoncer le principe
fondamental de la stratigraphie,
puisqu'ils furent, apparemment à
leur insu, devancés par Nicolas
Stenon (1638-1686) et par William
Smith (1769-1839) qui dessina
quelques-unes des premières
cartes géologiques et commença
l'ordonnancement des couches
géologiques d'Angleterre et
d'Écosse en examinant les fossiles
qui y étaient contenus.
Charles Lyell (1797–1875)

Sir Charles Lyell (1797-1875) publia


la première édition de ses Principes
de Géologie en 1830, qu'il mit à jour
par de nouvelles éditions jusqu'à
sa mort en 1875. Il pensait à raison
que les processus géologiques
étaient lents et avaient eu lieu
pendant toute l'histoire de la Terre,
et se poursuivaient de la même
manière à l'heure actuelle. Cette
théorie, l'actualisme, est à opposer
au catastrophisme selon lequel les
caractéristiques terrestres ont été
formées et ont évolué grâce à une
suite d'événements
catastrophiques. Bien que les
observations contredisent cette
idée, les créationnistes refusent
toujours maintenant de réfuter les
écrits bibliques. Les travaux de
Lyell, et les principes de
chronologie relative bien connus et
bien développés à l'époque, ont
conduit Charles Darwin (1809-
1882) à publier en 1859 son
ouvrage monumental, et crucial
pour les idées philosophiques,
intitulé The Origin of Species
(L'Origine des espèces[5]) et plus
tard, en 1871, son non moins
important ouvrage concernant les
ancêtres de l'humanité (The
Descent of Man, and Selection in
Relation to Sex - La Filiation de
l'homme et la sélection liée au
sexe[6]). L'observation de fossiles
au sommet des Andes et à leur
base poussa cet auteur à
s'interroger sur la suite des
événements qui avaient bien pu
mener à cette répartition disparate.
Au xixe siècle, la géologie se
pencha donc sérieusement sur
l'épineuse question de l'âge de la
Terre. Les estimations oscillèrent
entre à peine cent mille ans jusqu'à
plusieurs milliards d'années. La
communauté géologique a pu,
cependant, s'entendre sur le fait
que la Terre devait au moins avoir
plusieurs centaines de millions
d'années. À cette époque les
physiciens, et en particulier le très
influent Lord Kelvin, n'acceptaient
guère cette dernière estimation. En
effet, utilisant les lois de la
thermodynamique, Lord Kelvin
avait calculé que la Terre, en se
refroidissant graduellement depuis
sa formation, devait avoir environ
cinquante millions d'années. Ce
résultat suppose cependant que la
diffusion de la chaleur se fait par
simple conduction et ignore les
phénomènes de convection, sous-
estimant ainsi l'âge réel de la Terre,
erreur signalée par John Perry en
1894[7],[8]. L'explication de Perry ne
fut acceptée que dans la deuxième
moitié du xxe siècle, l'erreur de
Kelvin étant attribuée dans un
premier temps à l'ignorance de la
radioactivité au sein de la Terre,
celle-ci ayant été découverte en
1896, par Henri Becquerel et Pierre
et Marie Curie. La radioactivité a
permis depuis d'apporter une
datation des roches les plus
anciennes.

Alfred Wegener (1880–1930)

Une nouvelle avancée, appelée


« révolutionnaire » par certains
géologues, eut lieu en géologie
dans les années 1960. Il s'agit du
développement et de l'acceptation
par la communauté scientifique de
la tectonique des plaques. Celle-ci
consiste en une revitalisation de la
théorie de la dérive des continents,
proposée dès 1912 par le
météorologiste allemand Alfred
Wegener (1880-1930), mais rejetée
d'emblée par la majeure partie des
géologues (DuToit en Afrique du
Sud et Arthur Holmes en Écosse
constituent de notables
exceptions) et la totalité des
géophysiciens. En réalité, la théorie
de Wegener péchait par deux
points faibles :
1. avec les méthodes géodésiques de
l'époque, il était impossible de
mettre en évidence la dérive de
deux continents l'un par rapport à
l'autre
2. personne n'arrivait à expliquer les
forces capables de mouvoir des
continents à travers le milieu
résistant sous-jacent.

Les éléments qui ont finalement


suggéré, à l'américain William
Jason Morgan et au français
Xavier Le Pichon, la notion de
plaques rigides transportées par
des mouvements de convection
dans les grandes profondeurs de la
Terre à la façon dont sont
véhiculées des personnes et des
objets sur les tapis roulants sont :

les mesures paléomagnétiques,


la cartographie des fonds sous-
marins pour des besoins
commerciaux et militaires,
la reconnaissance des dorsales
médio-océaniques et celle de
l'expansion des fonds océaniques,
la cartographie des épicentres
sismiques à l'échelle mondiale.

Les forces capables de faire


bouger des continents entiers
trouvent donc leur origine dans la
grande réserve de chaleur à
l'intérieur de la Terre.

La théorie de la tectonique des


plaques possède l'avantage de
regrouper géologues,
géophysiciens et géodésiens dans
une même entreprise dont le but
est de connaître de mieux en
mieux notre planète. Les
géologues y contribuent par leurs
observations sur le terrain, les
sismologues par l'étude qu'ils font
des mécanismes produisant les
tremblements de terre, les
géodésiens par la détermination de
plus en plus précise des
ondulations du géoïde et des
anomalies gravimétriques y
attachées, et les géodynamiciens
par une modélisation
mathématique des courants de
convection à l'intérieur de la Terre.
Mais il ne faut pas oublier qu'il
s'agit à l'heure actuelle toujours
d'une théorie qui présente
beaucoup de lacunes et de
faiblesses, même si ses points
essentiels semblent définitivement
acquis. D'autre part, malgré
l'engouement des jeunes
géologues pour cette théorie,
nombreux sont ceux qui devront
toujours, ne fût-ce que pour gagner
leur vie dans un service géologique
ou une entreprise de prospection
quelconques, faire de la « géologie
de papa », c'est-à-dire prélever des
échantillons de roche sur le terrain,
savoir dresser et interpréter des
cartes géologiques à l'échelle
locale ou régionale et,
éventuellement, être à même de se
servir d'instruments de mesure que
les géophysiciens mettent à leur
disposition.

Notes et références
1. Karl Alfred von Zittel, Geschichte der
Geologie und Palaeontologie bis
Ende des 19 Jahrhunderts
2. Gabriel Gohau, Naissance de la
géologie historique. La terre, des
théories à l'histoire, Vuibert, 2003,
p. 20
3. Needham, volume 3 pp. 603–604.
4. [Agricola 1556] (la + en) Georg Agricola,
Herbert Hoover et Lou Henry
Hoover, De re metallica, Translated
from the First Latin Edition of 1556,
New York, Dover Publications, 1950,
sur archive.org (lire en ligne (https://
archive.org/details/deremetallica5
0agri)  [archive]). Traduction
française par A. France-Lanord
(1992), éd. Gérard Kloop, Thionville.
5. Charles Darwin, L'Origine des
espèces [édition du Bicentenaire],
trad. A. Berra sous la direction de P.
Tort, coord. par M. Prum. Précédé
de Patrick Tort, « Naître à vingt ans.
Genèse et jeunesse de L'Origine ».
Paris, Champion Classiques, 2009.
6. Charles Darwin, La Filiation de
l'Homme et la sélection liée au sexe,
trad. sous la direction de P. Tort,
coord. par M. Prum. Précédé de
Patrick Tort, « L'anthropologie
inattendue de Charles Darwin ».
Paris, Champion Classiques, 2013.
7. [England, Molnar & Richter 2008] P.
England, P. Molnar et F. Richter,
« Kelvin, Perry et l'âge de la terre »
(traduit d'un article d'American
Scientist (http://courses.washingto
n.edu/ess408/KelvinPerry2007.pd
f)  [archive]), Pour la Science,‎
février 2008, p. 32-37 (lire en ligne (h
ttps://www.pourlascience.fr/sr/pres
ence-histoire/kelvin-perry-et-l-age-de
-la-terre-2483.php)  [archive] [sur
pourlascience.fr], consulté en
avril 2022).
8. Jean-Louis Le Mouël, « Le
refroidissement de la terre depuis
son origine : le champ
géomagnétique » (https://mdhl.me
diatheques.fr/#album&docid=1591
18)  [archive], 196e conférence de
l'Université de tous les savoirs
[présentation et vidéo], sur
mdhl.mediatheques.fr,
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avril 2022).

F. Ellenberger, Histoire de la
géologie, Tome 1

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4. p. 40
5. pp. 63-69
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10. p. 91
11. pp. 87-90
12. pp. 92-97
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C. Ronan, Histoire mondiale des


sciences

1. pp. 341-342
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3. pp. 244-245
4. pp. 360-365
5. pp. 353-366
6. pp. 359-366
7. p. 377
8. p. 418
9. pp. 410-412

Collectif, Histoire des sciences de


l'antiquité à nos jours
1. p. 414
2. p. 413

René Taton, La science moderne de


1450 à 1800

1. pp 3-5
2. pp. 113-114
3. pp. 111-113
4. pp. 114-116
5. p. 113

Gabriel Gohau, Une histoire de la


géologie

1. p. 16
2. pp. 17-18
3. p. 32
4. pp. 42-44
5. pp. 40-41
6. pp. 42-43
7. p. 41

Voir aussi

Bibliographie

xixe siècle

Adolphe d'Archiac, Introduction à


l'étude de la paléontologie
stratigraphique. Tome I, Précis de
l'histoire de la paléontologie
stratigraphique et supplément au
Tome I dans le tome II, éditeur F.
Savy, 1864
Archibald Geikie, The Founders of
Geology, éditeur MacMillan, 1897
Karl Alfred von Zittel, Geschichte
der Geologie u. Paläontologie bis
Ende d. 19. Jahrhunderts, München,
Oldenbourg, 1899

xxe siècle

François Ellenberger, Histoire de la


Géologie, 2 tomes, Éditions
Lavoisier - Technique et
Documentation, Paris, 352 pages,
1988 (ISBN 285206457X), et 381
pages, 1994 (ISBN 2852066742).
Geneviève Bouillet-Roy, La géologie
dynamique chez les anciens grecs
et latins d'après les textes, thèse de
doctorat, Paris 6, 1976, 438 pages.
Joseph Needham, Science and
Civilization in China, volume 3,
Mathematics and the Sciences of
the Heavens and the Earth. 1986,
Taipei : Caves Books, Ltd.
Colin Ronan, Histoire mondiale des
Sciences, 1983, éditions du Seuil,
(ISBN 2020362376)
Histoire générale des sciences,
collectif, sous la direction de René
Taton, PUF, 4 volumes, 1995,
(ISBN 2130471579)
Gabriel Gohau, Une histoire de la
géologie, 1987, 1990, éditions du
Seuil, (ISBN 2020123479)

xxie siècle

Histoire des sciences de l'antiquité


à nos jours, Éditions Tallandier,
2004, collectif, (ISBN 2847340521)

Articles connexes

Comité français d'histoire de la


géologie
Étymologie des éons, ères et
périodes géologiques
Histoire de la volcanologie
Histoire de la paléontologie
Histoire de la minéralogie
Portail de la géologie
Portail de l’histoire des sciences

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