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Michel Christol et Olivier Masson (dir.

Actes du Xe congrès international d’épigraphie grecque


et latine
Nîmes, 4-9 octobre 1992

Éditions de la Sorbonne

Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive :


les provinces de langue latine
Claude Lepelley

DOI : 10.4000/books.psorbonne.24052
Éditeur : Éditions de la Sorbonne
Lieu d'édition : Éditions de la Sorbonne
Année d'édition : 1997
Date de mise en ligne : 25 juin 2019
Collection : Histoire ancienne et médiévale
ISBN électronique : 9791035102289

http://books.openedition.org

Référence électronique
LEPELLEY, Claude. Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue latine In :
Actes du Xe congrès international d’épigraphie grecque et latine : Nîmes, 4-9 octobre 1992 [en ligne]. Paris :
Éditions de la Sorbonne, 1997 (généré le 16 mars 2020). Disponible sur Internet : <http://
books.openedition.org/psorbonne/24052>. ISBN : 9791035102289. DOI : https://doi.org/10.4000/
books.psorbonne.24052.

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 1

Évergétisme et épigraphie dans


l'Antiquité tardive : les provinces de
langue latine
Claude Lepelley

1 Dans l'introduction de son très remarquable livre sur les inscriptions d'Aphrodisias
postérieures à 250, Charlotte Roueché note qu'elle a pu recenser quelque 230 textes
datables entre 250 et 550, alors qu'on évalue le nombre des inscriptions aphrodisiennes
du Haut-Empire à environ 1500. D'où ce jugement, auquel on ne peut que souscrire :
« This reflects the fundamental change in the nature and function of incriptions that
took place in the later third century : the number of texts which were inscribed
dropped dramatically. This is true of all kinds of inscribed texts, but more particularly
of formal, public inscriptions, honouring rulers or benefactors, recording decrees, or
dedicated buildings »1. Et pourtant, remarque Charlotte Roueché, Aphrodisias fait
partie, avec Ephèse, du très petit groupe de cités d'Asie mineure où l'on peut constater
un maintien de l'activité épigraphique à l'époque romaine tardive, et ce jusqu'au milieu
du VIe siècle. Certes, le recueil d'Aphrodisias nous révèle des textes tardifs de très
grand intérêt : ainsi ceux qui transmettent les acclamations du peuple, ou encore des
inscriptions métriques en l'honneur de bienfaiteurs, dont Louis Robert avait révélé dès
1948 la date et l'intérêt2. Pourtant, la diminution du nombre des inscriptions amène à
poser une question de fond : l'épigraphie est la discipline reine pour qui veut étudier
l'histoire des cités et de la société du Haut-Empire, donc l'histoire de l'évergétisme ;
serait-elle un apport mineur et presque accessoire pour l'histoire des villes du Bas-
Empire, brillamment éclairée en revanche par les documents juridiques et de
nombreuses sources littéraires, païennes ou patristiques ? Le quasi-silence
épigraphique constaté en Asie se retrouve en Espagne, autre région ayant fourni une
moisson majeure d'inscriptions du Haut-Empire3. L'explication traditionnelle de ce
phénomène était le déclin de la cité classique, la disparition de ses structures
institutionnelles, sociales et culturelles, la fuite des curiales, leur refus de charges qui
n'auraient plus été que des contraintes imposées par l'autorité impériale ; en bref la

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disparition d'un esprit civique dont l'évergétisme était la manifestation la plus


significative.
2 Cette interprétation est aujourd'hui mise en cause. Charlotte Roueché met en garde
contre un tel argument a silentio ; dès 1960, Louis Robert avait montré comment des
textes patristiques du IVe siècle et du début du Ve siècle décrivaient les pratiques
évergétiques pour les spectacles avec une grande précision et dans les termes les plus
traditionnels4 : une homélie de saint Basile prononcée en 3685, ou le traité Sur la vaine
gloire de saint Jean Chrysostome, écrit à Antioche entre 387 et 398, probablement en 393
ou 3946, révèlent, écrit Robert « une tradition continue depuis le Haut-Empire et
auparavant, et des moeurs identiques de la foule et des notables dans leurs rapports
mutuels. Que s. Jean Chrysostome ou s. Basile nous fournissent le commentaire des
inscriptions du Haut-Empire, à l'égal d » Dion Chrysostome, cela, si l'on s'en avise,
montre assez vigoureusement quelle est, au IVe siècle, la persistance de la vie des cités,
de l'esprit municipal de l'Antiquité ». Réciproquement, ajoutait Robert, « c'est
l'épigraphie [du Haut-Empire] qui fournit le commentaire d'auteurs chrétiens du
ive siècle »7.
3 Pourtant, le faible nombre de communications consacrées au Bas-Empire dans ce
congrès incite à poser une question délicate : l'étude de l'évergétisme à l'époque
romaine tardive a-t-elle sa place dans une rencontre d'épigraphistes ? L'honneur de
consacrer une séance de notre congrès aux inscriptions évergétiques tardives ne
saurait être seulement légitimé par une réflexion, au demeurant nécessaire, sur les
causes et les modalités du déclin d'une forme de graphie et d'expression. Il convient
aussi de scruter le témoignage d'une documentation méconnue, car trop négligée et
moins réduite qu'on ne le croit d'ordinaire. Ainsi, comme Charlotte Roueché l'a montré
pour les acclamations populaires, des textes tardifs peuvent faire connaître des usages
bien antérieurs sur lesquels les inscriptions plus anciennes sont muettes 8. Mais il est
une autre raison qui justifie la présente étude : on peut constater qu'en certaines
régions de l'Empire, la coutume d'honorer les dirigeants et les bienfaiteurs par la
gravure d'inscriptions commémorant leurs évergésies, ou rappelant la construction ou
la restauration d'édifices publics, ne s'est pas interrompue au cours du III e siècle. Ce fut
le cas en Afrique, en Italie péninsulaire, en Syrie du sud et en Arabie. Il se révèle que les
épigraphistes ont beaucoup négligé cette documentation jusqu'à une date récente ;
ainsi, quand j'ai rassemblé pour l'Afrique un abondant dossier d'inscriptions tardives,
j'ai été surpris par la minceur de la bibliographie qu'elles avaient suscitée 9. Il en est de
même pour les nombreux documents de l'Italie péninsulaire 10.
4 Une question ne peut être éludée : la présence de ces inscriptions évergétiques
nombreuses révèle-t-elle, dans les régions où on la constate, un maintien particulier de
la vie municipale classique, lié tant à la prospérité qu'à une survivance plus forte
qu'ailleurs des mentalités traditionnelles ? Je l'ai écrit naguère, en suggérant que
l'Afrique romaine tardive fut un monde exceptionnel et privilégié, un îlot de prospérité
et de traditionalisme, du fait d'une manière d'insularisme 11. Dans son livre récent sur la
corruption et le déclin de Rome, où il reprend en les modernisant les vieilles théories
sur la décadence romaine, Ramsay Mac Mullen accueille avec beaucoup de faveur cette
hypothèse que j'avais formulée assez imprudemment en 1979, et qui voit dans l'Afrique
une brillante exception12. Au vrai, une autre hypothèse est possible, celle d'un déclin,
dans beaucoup de régions, moins de l'évergétisme que de l'usage de graver des
inscriptions pour en commémorer la pratique. Comme le suggère Charlotte Roueché, il

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semble, de fait, très improbable qu'Aphrodisias et les autres grandes cités asiates aient
connu aux IVe et Ve siècles, un déclin radical de la vie municipale traditionnelle, dont la
vitalité en Orient est attestée par des témoignages littéraires fort explicites.
5 A titre d'exemples, nous examinerons d'abord trois inscriptions évergétiques tardives,
trouvées respectivement en Italie, en Afrique et en Gaule. Le document italien, une
inscription provenant d'Hispellum, en Ombrie, mérite d'être cité en premier, car il
manifeste avec éclat comment, en certains cas, la continuité avec le Haut-Empire paraît
évidente. De fait, le rédacteur de ce texte a montré une volonté délibérée de
traditionalisme en se conformant strictement au formulaire épigraphique ancien.
6 Hispellum (Spello) - CIL, XI, 5283 (ILS, 6623)
C(aio) Matrinio Aurelio / C(aii) f(ilio), Lem(onia), Antonino, u(iro) p(erfectissimo), / coronato
Tusc(iae) et Umb(riae), / pont(ifici) gentis Flauiae, / abundantissimi muneris sed et /
praecipuae laetitiae theatralis edi[t]o[r]i, / aedili, quaestori, duumuiro/iterum
q(uin)q(uennali) i(ure) d(icundo) huius splendidissimae / coloniae, curatori r(ei) p(ublicae)
eiusdem / colon(iae) et primo principali, ob meritum / beneuolentiae eius erga se, / [ple]bs
omnis urbana Flauiae / Constantis patrono/dignissimo.
7 On voit dès le début le parti pris de fidélité aux modèles du Haut-Empire, par la
mention du prénom, et surtout de la filiation et de la tribu du personnage - C(aii) f(ilio),
Lem(onia tribu) -, archaïsme unique au milieu du IV e siècle13. La cité est appelée
slendidissima colonia, alors qu'à l'époque le mot ciuitas se substituait de plus en plus en
Italie (sinon en Afrique) aux appellations de municipium et de colonia. La formule i(ure)
d(icundo) accolée à la mention du double duumvirat, ou l'adjectif urbana, qui qualifie la
plèbe, constituent d'autres archaïsmes. Pourtant, l'inscription exprime très exactement
les étapes d'une carrière municipale du IVe siècle : après les magistratures
traditionnelles, désormais fonctions de début (édilité, questure, duumvirat,
quinquennalat), le personnage a été curateur de la république (cette fonction étant
désormais intégrée dans la carrière locale), puis principalis 14. Il avait été coronatus, c'est-
à-dire prêtre du culte impérial pour la province de Tuscie-Ombrie, et pontife de la
famille constantinienne, la gens Flauia, donc prêtre du culte impérial créé par
Constantin pour l'Ombrie à Hispellum, désormais appelée Flavia Constans, selon un
célèbre rescrit connu par une autre inscription d'Hispellum datable des années
333-33515. Notre texte est évidemment postérieur à ce rescrit. Les évergésies qui avaient
suscité l'érection de la statue et la gravure de l'inscription étaient un spectacle théâtral
et un munus, probablement gladiatorien comme il était prévu dans le rescrit.
8 Notre second exemple est africain et il fait partie d'une série d'inscriptions de Lepcis
Magna que l'on date de l'époque de la dynastie constantinienne 16.
9 Lepcis Magna (Tripolitaine) - IRT, 567
Uno eodemque anno / du(u)muiro Lepcimagn(ensium) / et sacerdoti prou(inciae)
Trip(o)l(itanae), / innocentissimo uiro, / principali integerrimo, / amatori patriae ac ci/
uium suorum, T(ito) Flauio / Vibiano, u(iro) p(erfectissimo), fl(amini) p(er)p(etuo) et
pont(ifici), / cu(atori) rei pub(licae) Lepcimagn(ensis), / sac(erdoti) Lau(entium)
Lab(inatium) et sac(erdoti) M(atris) D(eum), / praef(ecto) omnium sacr(orum), ob
diuersarum volup/tatum exhibitionem/et libycarum ferarum (decem), ex populi suf(f)ragio
et ordin(is) d(ecreto).
10 Vibianus possédait le rang équestre de perfectisime. Il fut duumvir et prêtre provincial,
principalis et curateur de la république. Il reçut en tout six sacerdoces : deux du culte
impérial (le sacerdoce provincial et le flaminat perpétuel municipal) ; deux d'ordre
local (le pontificat et la préfecture omnium sacrorum, fonction propre à Lepcis) ; deux

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d'ordre personnel, le sacerdoce de Cybèle et enfin le vieux sacerdoce latin des


Laurentes de Lavinium. Cette énumération de prêtrises est probablement, comme dans
des inscriptions relatives à des sénateurs romains du IV e siècle, un indice de réaction
païenne. L'inscription ne précise pas si le don de spectacles (voluptates), dont une chasse
à dix « bêtes libyques », c'est-à-dire à dix léopards, fut en rapport avec l'un des
honneurs reçus par l'évergète. A tous égards, le contenu de cette dédicace est fort
traditionnel, mais on n'y retrouve pas l'archaïsme du formulaire de l'inscription
d'Hispellum.
11 Le troisième exemple est gaulois, et plus précisément aquitain ; il s'agit de l'épitaphe
métrique de Nymfius, le propriétaire de la vaste villa de Valentine, dans le Comminge.
12 Lugdunum Convenarum (Novempopulanie) - CIL, XIII, 128 (Bücheler, CLE, 2099 ; ILCV,
391 ; J.-M. Pailler, Gallia, 44, 1986, 152-165).
Nymfius aeterno deuinctus membra sopore / hic situs est, caelo mens pia perfruitur ; / mens
uidet astra, quies tumuli complectitur artus, / calcauit tristes sancta fides tenebras. / Te tua
pro meritis uirtutis ad astra uehebat/intuleratque alto debita fama polo. / Immortalis eris,
nam cum multa laude uigebit/uiuax uenturos gloria per populos. / Te coluit proprium
prouincia cuncta parentem, / optabant uitam publica uota tuam, / excepere tuo quondam
data munera sumptu / plaudentis populi gaudia per cuneos. / Concilium procerum per te
patria alma uocauit/seque tuo duxit sanctius ore loqui. / Publicus orbatas modo luctus
conficit urbes, / confusique sedent anxia turba patres/ut capite erepto torpentia membra
rigescunt, / ut grex, amisso principe, maeret iners...
13 [les six derniers vers évoquent le deuil de Serena, veuve de Nymfius]
« Nymfius est ici enseveli, les membres liés par l'éternelle torpeur ; son âme pieuse
jouit du ciel, son âme voit les astres, l'étroit repos du tombeau l'enferme, sa sainte
fidélité a foulé les lugubres ténèbres. Ta renommée bien due t'élevait vers les
as »res, à cause des mérites de ta vertu, et elle t'avait porté vers le ciel élevé : tu
seras immortel, car une gloire vivace, chez les peuples à venir, fleurira avec de
multiples louanges. En toi toute la province a honoré son propre père, les vœux
publics souhaitaient ta vie, les spectacles naguère donnés à tes frais dans
l'amphithéâtre ont recueilli la joie du peuple applaudissant sur les gradins. Par toi
la patrie féconde a convoqué le conseil des dirigeants, et elle a décidé de parler elle-
même par ta bouche de manière irréprochable. La douleur publique a accablé
récemment les villes endeuillées, et les sénateurs bouleversés siègent comme une
troupe tourmentée, comme des membres devenus rigides quand la tête est enlevée,
comme un troupeau qui s'afflige inerte lorsqu'il a perdu son chef... »
14 Cet éloge funèbre fut considéré comme chrétien, à cause de croix qui figurent sur la
pierre. Dans des études récentes, G. Fouet et J.-M. Pailler ont montré que ces croix
étaient un rajout médiéval tardif, lié au remploi de la pierre comme autel dans une
église17. L'immortalité astrale acquise par Nymfius était celle qu'on voit promise aux
bienfaiteurs des cités terrestres dans le « Songe de Scipion », du De Republica de
Cicéron18. Un notable païen de Calama, Nectarius, a évoqué cette notion dans une lettre
à saint Augustin écrite vers 40819. Un seul passage pourrait être susceptible d'une
interprétation chrétienne, le quatrième vers, calcauit tristes sancta fides tenebras : la fides
qui permet de vaincre les ténèbres de la mort pourrait, de fait, être la foi au Christ ; si
tel était le cas, cette unique allusion, fort discrète, ne suffirait pas pour classer ce texte
dans l'épigraphie chrétienne. Le munus offert par l'évergète était très probablement
une uenatio, qui suscita les applaudissements du peuple rassemblé sur les gradins (per
cuneos). Comme dans les deux exemples précédents, les dignités provinciales sont
évoquées conjointement avec les charges municipales, et le don de spectacles était
spécialement lié au sacerdoce de la province (le concilium procerum évoqué au vers 13

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est assurément le conseil provincial de Novempopulanie). En conclusion, il semble bien


qu'il faille se rallier à l'interprétation de J.-M. Pailler, qui conclut que cette épitaphe est
païenne et qu'elle n'a pas sa place dans les recueils d'épigraphie chrétienne 20.
15 Ces trois inscriptions manifestent le maintien à l'époque tardive, et de la pratique
évergétique, et de son exaltation épigraphique. Toutefois, les documents italiens et
africains sont des éléments d'un gros dossier, alors que le texte gaulois est
exceptionnel. Une excellente recherche récente donne une vue claire de cette
disproportion : dans son étude sur le patronat des villes et des provinces dans
l'Occident romain tardif21, J.-U. Krause a procédé à des dépouillements exhaustifs qui
lui ont permis d'établir une statistique précise : il a relevé 74 patronats tardifs pour
l'Afrique, 96 pour l'Italie, trois pour la Sicile, quatre pour la Gaule, deux pour l'Espagne
et un pour la Dalmatie. J'ai, pour ma part, recherché les évergésies connues pour
l'Afrique de Dioclétien à la conquête vandale, et j'en ai recensé 108, commémorées sur
85 documents, parmi lesquels 83 inscriptions, dont certaines expriment avec force et
beauté l'idéal évergétique22. Il faut désormais ajouter plusieurs cas connus par des
inscriptions nouvellement découvertes, dont je donnerai deux exemples. Lors de ses
fouilles du capitole d'Abthugni (Proconsulaire, près de la frontière de la Byzacène),
Naïdé Ferchiou a découvert quatre bases honorifiques commémorant la restauration du
podium du temple, appelé rostra, et l'érection en cet endroit d'une statue de l'aeterna
urbs Roma, aux frais et par les soins du flamine perpétuel et curateur de la république
Publicius Félix Hortensius, sous le règne de Valens, Gratien et Valentinien II (375-378).
L'utilisation de la première personne du singulier (in meliorem faciem reducxi [sic]
itemque dedicaui ; cum ordine posui) exprime de manière forte et originale l'action et la
générosité du dignitaire dédicant23. A Leges Maiores, en Numidie méridionale, Jean
Marcillet-Jaubert a découvert et publié une inscription du IVe siècle dont François
Jacques a amélioré la lecture : on y voit le flamine perpétuel Quintus Cassius Taurus
restaurer à ses frais, ob honorera flamonii paterni, la curie de la cité, qualifiée de genitalis
curia, « la curie ancestrale »24.
16 Nul doute qu'une comparaison du nombre de ces inscriptions évergétiques africaines
avec les autres régions de l'Occident ne donne des résultats comparables à ceux que J.-
U. Krause a obtenus pour le patronat. Une disproportion aussi spectaculaire entre les
provinces s'explique au moins partiellement par un déclin local de la pratique de la
gravure sur pierre. Est-il possible de discerner concrètement un tel processus ? De
grandes inscriptions de Lepcis Magna me semblent donner sur ce point un bon
témoignage.
17 La Tripolitaine a connu de grands malheurs sous Valentinien I : elle fut ravagée entre
364 et 367 par trois raids dévastateurs de barbares sahariens, les Austuriens. Le comte
d'Afrique Romanus refusa de secourir les Tripolitains, qui se plaignirent à l'empereur.
Valentinien leur donna tort et condamna leurs ambassadeurs ; cinq personnes furent
mises à mort, d'autres durent se cacher, et la province vit une cuisante injustice
s'ajouter aux ravages des barbares. Toute cette affaire est longuement exposée par
Ammien Marcellin25, qui en tira argument pour fustiger une fois de plus l'injustice et la
cruauté de Valentinien I à l'égard des élites de l'Empire. Après la mort de l'empereur en
375, justice fut enfin rendue aux Tripolitains : un procès présidé à Carthage en 377 par
le proconsul Hesperius et le vicaire Nicomaque Flavien les disculpa pleinement 26. A
Lepcis Magna furent retrouvées quatre grandes inscriptions qui confirmaient et
complétaient le témoignage d'Ammien, en rendant grâce aux dignitaires qui avaient

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permis une réhabilitation rendant leur honneur à la cité et à la province : le vicaire


Nicomaque Flavien, le proconsul Hesperius, le comte d'Afrique, successeur de Romanus,
Flavius Victorianus, et le gouverneur de la Tripolitaine Flavius Vivius Benedictus 27. Leur
action n'était pas à proprement parler une évergésie, mais des décisions prises dans
l'exercice de leurs fonctions ; pourtant, les Tripolitains y virent d'insignes bienfaits,
qu'ils commémorèrent par l'érection de statues sur le forum sévérien et la rédaction
d'inscriptions fort solennelles. Voici les textes des inscriptions en l'honneur de
Nicomaque Flavien et d'Hesperius.
18 IRT, 475
Flauiani u(iri) c(larissimi). / Nicomacho Flaviano agentis [sic] / tunc uicem praefectorum
prae/torio per africanas prouincias, / pubescente romani nominis glo/ria et uigente
fortuna/dominorum principumq(ue) nostrorum / Valentis Gratiani et Valentiani /
perpetuorum semper Augg(ustorum) et ubiq(ue) / uincentium Lepcimagnensis / fidelis et
innocens ordo cum po/pulo pr(a)estantissimo patrono / uotis omnibus conlocauit.
19 IRT, 526
Esperii u(iri) c(larissimi). / Decimio Esperio u(iro) c(larissimo) ex proconsule prouinc(iae)
Africae, iudici / sacrarum cognitionum, / prosapiae dignitatum et crescenti/per gradus et
merita gloriar(um), / optionorim [sic] iustitiae quam/causae Tripolitanorum / deligatae
[sic] sacro iudici / exhibuit, praestanti / patro(no) Lepcimagnen/sis cliens semper ordo /
cum populo conlocauit.
20 On remarque d'emblée le soin apporté à la rédaction de ces textes solennels. Dans la
première inscription, l'avénement du jeune Gratien, qui a permis que justice soit
rendue, est assimilé à une nouvelle jeunesse de la romanité ; l'ordre des décurions est
qualifié de fidelis et innocens, allusion aux événements récents, mais aussi au vieux titre
colonial de la cité, Colonia Ulpia Traiana Fidelis Lepcis Magna. Dans le second texte,
l'allusion à la lignée illustre du proconsul Hesperius (prosapiae dignitatum) était
évidemment une manière de rendre hommage à son père, Ausone, dont l'influence
politique fut dominante durant les années 375-378. Assurément, la nomination de son
fils (et celle de Nicomaque Flavien) en Afrique avait pour but principal de réparer
l'injustice subie par les Tripolitains.
21 Or il existe un contraste frappant entre, d'une part, la gravité des événements, le rang
éminent des bienfaiteurs, la pompe des formules, et, d'autre part, la forme matérielle
des inscriptions, gravées sans soin sur des bases du Haut-Empire remployées. Les
inscriptions antérieures ont été érasées, mais le champ épigraphique est resté rugueux,
les hauteurs des lettres sont inégales, elles ne sont pas alignées sur la gauche et encore
moins sur la droite, les lignes sont irrégulières, la graphie maladroite et grossière. Il n'y
a pas eu de mise en page préalable : les lignes sont trop serrées, et pourtant un large
espace vide demeure en bas du champ épigraphique, où l'on distingue seulement les
marques du martelage des inscriptions du Haut-Empire. De toute évidence, les
dirigeants de la cité n'ont pas pu trouver un lapicide expert, capable de graver ces
inscriptions d'une manière digne et des circonstances et du libellé. Des fautes n'ont pu
être corrigées : ainsi agentis pour agenti à la seconde ligne de la dédicace à Nicomaque
Flavien, optionorim pour ob tenorem à la ligne six de la dédicace à Hesperius 28, ou encore
deligatae pour delegatae à la ligne sept. Ces grandes inscriptions nous permettent donc
d'avoir une vue claire et précise du déclin de l'art de la gravure sur pierre ou sur
bronze au Bas-Empire dans un lieu donné, de la disparition des artisans maîtrisant cette
technique.

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22 On peut citer un autre exemple typique du même processus : une inscription de


Velitrae, dans le Latium, gravée dans les années 364-367 en l'honneur d'un évergète :
23 CIL, X, 6565 (ILS, 5632)
Dd(ominis) nn(ostris) Valentiniano et Valente senper [sic] Augg(ustis, / Loll(ius ?) Cyrius
princ(ipalis) cur/iae et eritor [sic] duodena de prop(r)io suo uetustatem [sic] conlapsum at
statum pristinum re[u]c(sit) / amphiteatrum cum portis posticiis [sic] et omnem
fabric[cam] / aren(a)e, nepus [sic] Lol(lii) Cyri princ(ipalis) cur(iae) et ante eretoris [sic],
filius Lol(lii) Claudi(i) princ(ipalis) et patroni curiae, pronepos Messi(i) Gorgotis/
princ(ipalis). Filiciter ! [sic].
24 Le dédicant commémore une importante évergésie, la restauration à ses frais d'un
amphithéâtre ; il exalte fièrement son ascendance : son père, son grand-père et son
arrière grand-père ont dirigé la cité avant lui en tant que principales. Or cette
inscription qui se voudrait solennelle est d'une rare maladresse et les fautes y sont
multiples. Mommsen a proposé des corrections pour certains mots incompréhensibles :
la ligne deux, eritor duodena est peut-être mis à la place de erogator duodecim munerum
« donateur de douze spectacles d'amphithéâtre » ; à la ligne trois, portis posticiis est
probablement une faute pour portis posterulis, les portes de l'arrière, opposées aux
entrées principales ; à la ligne suivante, eretoris est mis pour erogatoris (ou editoris). Le
riche dirigeant évergète n'avait donc pas pu trouver dans sa cité un graveur capable de
fabriquer une inscription correcte.
25 On pourrait ajouter que la multiplication à cette époque des inscriptions sur mosaïque
peut être liée au même processus. Cette pratique fut courante dans les églises, mais
également ailleurs, ainsi dans les maisons privées 29 Lors d'un colloque réuni à Madrid
en 1990, Marcos Mayer a évoqué une dédicace à Licinius trouvée à Singilia, en Bétique,
dont l'inscription n'était pas gravée mais seulement peinte et qui était pourtant restée
tout à fait lisible30. D'où l'hypothèse formulée par Marcos Mayer : le silence
épigraphique de l'Espagne tardive pourrait s'expliquer, au moins en partie, par la
disparition de nombreux textes peints sans avoir été préalablement gravés (« Un
sistema económico de continuidad... »).
26 On retrouve en Occident ce que Louis Robert avait relevé pour l'Orient grec : des textes
patristiques évoquent en des termes très précis les dons de spectacles par des
évergètes, mêmes dans les régions où les inscriptions manquent. En Afrique, Augustin
donne sur ce point de multiples témoignages, qui confirment un dossier épigraphique
abondant. Citons le plus connu, l'éloge de l'évergète de Thagaste, Romanianus, qui fut
le bienfaiteur personnel du futur évêque, et qu'on lit dans le Contra Academicos, le plus
ancien des ouvrages d'Augustin conservés, écrit en 386.
« Quand tu offrais à nos compatriotes des jeux où figuraient des ours, et des
spectacles jamais vus ici, quand tu recevais au théâtre les applaudissements les plus
chaleureux, quand tu étais porté aux nues par les clameurs confondues et unanimes
des hommes »stupides dont la foule est immense, quand personne n'osait se
déclarer ton ennemi, quand des tablettes municipales te déclaraient dans le bronze
le patron, non seulement de tes concitoyens mais aussi des voisins, quand des
statues t'étaient élevées, quand étaient même ajoutés des pouvoirs qui surpassent
l'usage municipal, [...] quand, par la bouche de tes clients, par la bouche de tes
concitoyens, en bref par la bouche des foules, on proclamait que tu étais le plus
bienveillant, le plus généreux, le plus probe et le plus fortuné des hommes, qui
donc, je te le demande, Romanianus, eût osé te parler d'un autre bonheur, qui est le
seul vrai bonheur ? »31.

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 8

27 On peut noter dans ce texte deux allusions à la pratique épigraphique : la gravure des
tablettes de patronat en bronze, échangées entre le patron et la cité cliente (municipales
tabulae te non ciuium tantum sed etiam uicinorum patronum aere signarent) ; l'érection de
statues à l'évergète, qui impliquait, bien entendu, la gravure d'inscriptions sur les
socles. On retrouve également ici ce que L. Robert avait signalé en Orient : la reprise
dans un texte littéraire de mots ou de formules épigraphiques ; ainsi pour les spectacles
jamais vus auparavant (nunquam ibi antea uiso spectacula), ou pour les épithètes
laudatives de la fin du texte, retrouvées sur les inscriptions tardives et correspondant
aux acclamations populaires rituelles (in ore clientiwn, in ore ciuium, in ore denique
populorum, humanissimus, liberalissimus, mundissimus, fortunatus ut fuisse iactareris). Dans
cette page fort rhétorique, Augustin a fait un pastiche à la fois des éloges oratoires des
évergètes et des formules des inscriptions32.
28 Si les témoignages d'Augustin ne font, en Afrique, que s'ajouter à une substantielle
série d'inscriptions, un texte concernant l'Espagne manifeste que le silence
épigraphique ne signifie pas nécessairement la disparition des pratiques évergétiques.
Il s'agit d'une lettre adressée par le pape Innocent Ier aux évêques espagnols réunis en
concile à Tolède en 40033, lettre qui fut, en fait, remise à des délégués du concile assez
longtemps après sa tenue, soit entre 402 et 407 selon Charles Pietri 34. Le pape déplorait
que fussent devenus clercs et même évêques de nombreux anciens curiales qui avaient
offert au peuple des spectacles jugés immoraux par l'Eglise : Quantos qui uoluptates et
editiones populo celebrauerunt, ad honorem summi sacerdotii peruenisse ! Le summum
sacerdotium était évidemment l'épiscopat. Certains, après le baptême, étaient devenus
coronati, c'est-à-dire prêtres provinciaux du culte impérial : ils avaient donc obtenu le
« prétendu sacerdoce » (uel coronati fuerint, uel sacerdotium quod dicitur sustinuerint) ; à
cette occasion, ils devaient offrir des spectacles (editiones publicas celebrauerint). Le pape
n'exigeait pas que fussent destitués ceux qui étaient en fonction dans le clergé, mais il
ordonnait de ne plus recruter à l'avenir des clercs parmi ces dignitaires évergètes.
Cette lettre présente donc comme une pratique courante les dons évergétiques de
spectacles, en particulier de la part des prêtres provinciaux, en Espagne au début du V e
 siècle35. Il ne s'agissait pas de considérations générales abstraites, puisque la lettre
était une réponse à des questions précises posées par les évêques espagnols et
concernant la situation locale. Ce document révèle aussi que les dirigeants provinciaux
recherchaient à cette époque les honneurs ecclésiastiques et briguaient l'épiscopat, qui
leur semblait un couronnement enviable de leur cursus honorum. Il ne faut donc pas
imaginer deux sociétés opposées et totalement distinctes ; Paul-Albert Février a
remarqué qu'à Cuicul, en Numidie, on trouve sur la dédicace de la basilique civile datée
de 364-36736 les noms des flamines perpétuels Pomponius Pudentianus et Tullius
Praestantius, et sur les mosaïques d'une basilique chrétienne datable de la première
moitié du Ve siècle, les noms du sacerdotalis Tullius Adeodatus et du uir honestus
Pomponius Rusticus37. « Intéressant exemple, note Février, de la richesse, à la fin du
ive siècle, de quelques familles qui apportent autant de zèle à élever des bâtiments
profanes qu'à bâtir des sanctuaires chrétiens »38. Un autre exemple du même état
d'esprit se retrouve en Italie, sur l'épitaphe de Maecius Paternus, trouvée dans les
ruines d'une église des Volsinies. Sa veuve lui souhaitait « la paix avec les saints », mais
cette bonne chrétienne n'oubliait pas de mentionner dans l'inscription que son époux
avait été curator rei publicae et patron de sa cité, et qu'il avait restauré des thermes
publics39.

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 9

29 Le processus observé en Espagne grâce à la lettre l'Innocent I er se rencontre dans tout


l'Empire : à partir du Ve siècle, les membres des familles dirigeantes ont recherché
l'épiscopat, et ils ont été poussés à l'accepter par la population de leur cité. Dès 395
(environ) Alypius, proche parent (probablement neveu) de l'évergète de Thagaste
Romanianus, devient l'évêque de cette cité40 ; en 410, Synésius de Cyrène, puissant
notable et bienfaiteur de sa province, est élu évêque de Ptolémaïs 41. Un destin
semblable attendait Sidoine Apollinaire, préfet de Rome en 468 et évêque de Clermont
l'année suivante42. Tant les dirigeants que le peuple estimaient donc à cette date que
l'épiscopat était une manière plus efficace que les anciennes fonctions civiques
d'assumer le rôle de commandement, de protection et de bienfaisance
traditionnellement imparti aux membres des familles nobles. Je laisse à d'autres, plus
compétents, le soin d'analyser cette fondamentale mutation ; je voudrais simplement
montrer, grâce à une inscription, comment ces gens transposèrent souvent dans leurs
nouvelles fonctions les mentalités anciennes.
30 Il s'agit des cinq premiers vers de la dédicace métrique, figurant sur une mosaïque de
pavement, de la chapelle funéraire de l'évêque Alexandre à Tipasa, datable du début du
Ve siècle, comme l'inscription à peu près identique trouvée à Cuicul (Djemila), dans la
basilique de l'évêque Cresconius43.
31 CIL, VIII, 20903 - Tipasa (Maurétanie Césarienne)
Hic ubi tam Claris laudantur moenia tectis, / culmina quod nitent sanctaque altaria cernis,
/ non opus est procerum, set tanti gloria facti / Alexandri rectoris ouat per saecula nomen, /
cuius honorificos fama os tende te labores...
« On loue ici les constructions pour leurs sommets si brillants, tu vois des faîtes
étincelants et de saints autels : ce n'est pas l'oeuvre des dirigeants, mais, par la
gloire d'un tel ouvrage, c'est le nom de l'évêque Alexandre qui triomphe à travers
les s »ècles, lui dont la renommée fait connaître les ouvrages qui l'honorent... ».
32 Les clara tecta étaient probablement, non les toits, mais les plafonds de la chapelle
(voûte d'abside, arcs), ornés de mosaïques aux riches couleurs (disparues) 44 Le fait
qu'on ait retrouvé deux exemplaires de ce texte dans deux cités distinctes prouve son
succès. On a noté les termes tout traditionnels de la louange de l'évergète, dont le don
éternise la mémoire (tanti gloria facti... ouat per saecula nomen ; honorificos fama ostendet
labores) : pas de trace, ici, d'esprit spécifiquement chrétien, mais la fière affirmation
d'une générosité génératrice de gloire. L'évêque est appelé rector, certes pour les
besoins de la métrique, mais on ne doit pas oublier que ce titre désignait les dirigeants
civils, et notamment, à l'époque, les gouverneurs de province 45. La formule non opus est
procerum est fort remarquable ; elle rappelle les inscriptions municipales exaltant la
restauration d'un édifice réduit à la ruine par suite d'une longa incuria, ou de l'incuria
maiorum, à laquelle mettait fin l'ouvrage commémoré 46. Ici, les notables (proceres)
avaient refusé d'assumer les frais de l'opération, qui frirent supportés par l'évêque
seul. Peut-être consacraient-ils leurs générosités à des évergésies traditionnelles, d'où
leur refus de participer à cette construction, comme ces dirigeants de Carthage à qui, à
la même époque, saint Augustin reprochait de financer des spectacles plutôt que de
secourir les pauvres ou de construire des basiliques47. Du coup, la gloire de l'entreprise
revenait entièrement à l'évêque, qui s'en vantait sans nulle trace d'humilité chrétienne.
Certes, l'identité des inscriptions de Tipasa et de Cuicul montre que des copies de ce
poème circulaient et étaient reproduites sans grand souci des circonstances précises de
la construction de ces monuments. Pourtant, le fait que les clercs de Cuicul et de Tipasa
aient choisi ce texte implique qu'il ait correspondu à leur état d'esprit 48. On voit bien ici

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 10

que les membres de familles dirigeantes promus à l'épiscopat pouvaient conserver les
comportements les plus traditionnels : le goût du pouvoir et de la popularité, l'étalage
du faste, la gloriole et, indissociablement, la générosité et de dévouement au service de
la collectivité ; en bref tous les traits de la philotimia la plus classique, alors que les Pères
de l'Eglise avaient pourtant fermement condamné la recherche de la « vaine gloire »
par les honneurs et les évergésies jugées frivoles49. Cependant, l'insistance, dans les
documents chrétiens, sur le souci, chez ces mêmes évêques, de venir en aide aux
pauvres et de leur fournir la nourriture, marquait une nette différence avec les
évergètes donateurs de spectacles. Augustin disait fort pertinemment que les
distributions de nourriture apportaient moins de prestige qu'un spectacle, que ce
n'était pas un « usage glorieux de l'or » (non est decus auri) 50. On doit reconnaître que,
pour les évêques Alexandre de Tipasa et Cresconius de Cuicul, les constructions qu'ils
avaient financées étaient bel et bien un decus auri.
33 Cet état d'esprit se maintint chez les évêques qui dominèrent les cités gauloises aux V e
et VIe siècles, et dont Martin Heinzelmann a établi la prosopographie 51 : ils exaltaient
volontiers leur noble origine, voire leur rang sénatorial romain, aussi bien que les
constructions d'églises qui immortalisaient leur nom. Ainsi ce Panthagathus de Vienne,
ancien questeur du Palais des derniers rois burgondes, qui devint ensuite évêque et
siégea en 538 au concile d'Orléans. Son inscription funéraire, transmise par un
manuscrit du IXe siècle52 le loue en ces termes :
... Hoc igitur sancti conduntur membra sepulchro / Pantagati patris pontificisque pii, /
cuius uita fuit gemino sublimis honore : / fascibus insignis, religione potens. / Arbitrio
regum quaesturae cingula sumpsit, / stemmata praecipuus, plus probitate cluens, / dans
epulum primis, et largo munere gazas / pauperibusque dedit, caelica regna petens...
« C'est donc en ce sépulcre que sont contenus les membres du saint Pantagathus,
pieux père et pontife, dont la vie fut sublime par un double honneur : il fut illustre
par les faisceaux et puissant par la religion ; par le jugement des rois, il reçut le
cei »turon de la questure ; insigne par sa lignée, plus éminent encore par sa probité,
offrant des banquets aux grands, il donna par une large munificence des trésors aux
pauvres, cherchant les royaumes célestes... ».
34 Françoise Prévot a donné, lors du présent congrès, un excellent exemple de cet état
d'esprit. L'épitaphe de Sidoine Apollinaire était connue par des copies médiévales, et
son authenticité fut parfois mise en doute. Or un important fragment de l'inscription
originelle a été récemment découvert à Clermont ; on y lit distinctement le début des
neuf premiers vers. Cette épitaphe exalte la noblesse de Sidoine, sa carrière, son rang
d'illustris, le pouvoir qu'il détint en tant que iudex (allusion à sa préfecture urbaine), son
rôle pacificateur dans les rapports aves les barbares, sa glorieuse oeuvre littéraire.
L'épiscopat est ensuite rapidement évoqué en deux vers, comme une honorable
retraite : « Siégeant sur la chaire du pontife suprême, il se déchargea des affaires du
monde sur sa descendance »53. Il n'est pas question d'évergétisme stricto sensu dans ce
texte, mais s'y exprime un maintien évident de l'éthique aristocratique romaine, qui est
en parfaite consonance avec l'exaltation des générosités financières d'autres évêques.
35 La naissance de la cité épiscopale fut assurément une mutation radicale, une rupture
évidente avec la cité classique. Toutefois, on constate que ces évêques issus de
l'ancienne couche dirigeante ont, pour une large part, transposé dans leur fonction les
usages et les mentalités de leurs ancêtres, notamment dans la pratique de
l'évergétisme. L'historiographie traditionnelle imaginait un vide, entre une cité
classique dont elle situait la disparition tôt dans l'histoire impériale romaine, et la cité

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 11

épiscopale du haut Moyen Age. Nous devons, en fait, constater que la cité chrétienne
fut l'héritière directe d'une cité classique dont la vitalité se maintint, en particulier
sous la forme de l'évergétisme, jusqu'à l'époque des invasions. C'est assurément ce
maintien tardif de la cité traditionnelle, avec la pratique ancestrale de l'évergétisme,
qui rendit possible la transmission de nombreux éléments de son système de valeurs à
la cité épiscopale médiévale.
36 L'étude de l'évergétisme au Bas-Empire se révèle donc très féconde, à condition de
dépasser les cloisonnements qui fractionnent nos études et mutilent la réalité
historique : entre le Haut et le Bas-Empire, entre l'Orient grec et l'Occident latin, entre
les documents païens et les documents chrétiens, entre les sources épigraphiques et les
sources littéraires. Ainsi, de nombreuses permanences exigent de prendre en compte la
documentation antérieure, celle du Haut-Empire et même celle de l'âge hellénistique.
C'est, de fait, dans la longue durée qu'il convient d'appréhender la pratique de
l'évergétisme. Son maintien dans l'Antiquité tardive est une découverte de la recherche
récente, qui a su, en particulier, mettre en lumière un dossier épigraphique méconnu et
bien plus abondant qu'on ne le croyait. Il reste cependant beaucoup à faire pour que
l'inventaire et l'exploitation de sources multiformes soient achevés. Il faut souhaiter
que notre rencontre suscite, sur ce terrain, de nouvelles et nécessaires recherches *.

NOTES
1. Charlotte ROUECHÉ, Aphrodisias in Late Antiquity, Journal of Roman Studies Monographs, 5, Londres,
1989, p. XIX-XX.
2. L. ROBERT, Hellenica, IV, 1946, p. 115-133. Pour les acclamations, voir infra, n. 8.
3. Sur l'Espagne, voir infra, p. 341.
4. L. ROBERT, « Tropheus et aristeus », dans Hellenica, XI-XII, 1960, p. 569-576.
5. S. Basile, Homélie sur la richesse, éd. Y. CORTONNE, Paris, 1935, p. 14-37.
6. S. Jean Chrysostome, Sur la vaine gloire et l’éducation des enfants, éd. A.-M. MALINGREY, SC, 188,
p. 14-37.
7. L. ROBERT, loc. cit., p. 570-571 (et η. 1, p. 571).
8. C. ROUECHÉ, Aphrodisias, op. cit., n o 59 ; 78-80 ; 83-84. Cf. C. ROUECHÉ, « Acclamations in the Later
Roman Empire : new evidences from Aphrodisias », JRS, 74, 1984, p. 181-199.
9. C. LEPELLEY, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. I, Paris, 1979 ; t. Π, Paris, 1981.
10. Approche rapide de l'abondante épigraphie municipale tardive de l'Italie péninsulaire dans C.
LEPELLEY, « Permanences de la cité classique et archaïsmes municipaux en Italie au Bas-Empire »,
dans Institutions, société et vie politique dans l'empire romain au IV e siècle ap. J.-C. (Mélanges André
Chastagnol), Coll. Ec.Fr. de Rome, 159, Rome, 1992, p. 353-371.
11. C. LEPELLEY, Cités, t. I, p. 149 ; 163 ; 165 ; 195.
12. R. MAC MULLEN, Corruption and the Decline of Rome, Yale, 1988 ; trad. franç. Le déclin de Rome et la
corruption du pouvoir, Paris, 1991, p. 55-58 et 34. R. MAC MULLEN (ibid., p. 58-62) évoque à juste titre
une autre région où l’on dénote une évidente prospérité tardive, la Syrie et la Palestine.
13. Cf. G. FORNI, « La più recente menzione di tribù romana », dans Atti dellAccademia Romanistica
Constantiniana, 3 conv. intern, Pérouse, 1977 (1979), p. 223-237 ; hormis la présente inscription,

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 12

remarque G. Forni, les mentions les plus récentes de tribus romaines sur des inscriptions ou des
papyrus sont antérieures à 254. Le rédacteur du texte d'Hispellum avait assurément sous les yeux
des inscriptions du Haut-Empire dont il a délibérément fait le pastiche, tout en mentionnant avec
une scrupuleuse exactitude les institutions de son temps.
14. Sur ce cursus du Bas-Empire, cf. C. LEPELLEY, « La carrière municipale dans l'Afrique romaine
sous l'empire tardif », Ktèma, 6, 1981, p. 333-347.
15. CIL, XI, 5265 (ILS, 705). Cf. Jacques GASCOU, « Le rescrit d'Hispellum », MEFR, 1967, p. 609-659.
16. Outre le présent texte (IRT, 567), voir aussi IRT, 564 ; 568 ; 578 ; 595.
17. J.-M. PAILLER, « L'énigme Nymfius », dans Gallia, 44, 1986, p. 151-165. Sur la date médiévale
tardive des croix (déjà signalée par G. FOUET, dans Gallia, 1984, p. 153-173) voir p. 157-159.
18. Cicéron, De Republica, VI, 26.
19. Lettre de Nectarius à Augustin, parmi les lettres d'Augustin, 203, éd. GOLDBACHER, CSEL, 34, 2,
p. 578-581 ; ainsi, § 2, p. 579-580 : « ... de qua (patria) bene meritis uiris doctissimi homines ferunt
post obitum corporis in caelo domicilium praeparari, ut promotio quaedam ad supernam
praestetur his hominibus qui bene de genitalibus urbibus meruerunt, et hi magis cum deo
habitent, qui sa »utem dedisse aut consiliis aut operibus patriae doceantur... ».
20. J.-M. PAILLER, loc. cit., p. 160-165.
21. J.-U. KRAUSE, « Das spätantike Städtpatronat », dans Chiron, 17, 1987, p. 1-80.
22. C. LEPELLEY, Cités, t. I, p. 304-318
23. N. FERCHIOU, « Un témoignage de la vie municipale d'Abthugni au Bas-Empire », dans L'Africa
Romana, VII convegno, 1989. a cura di A. MASTINO, Sassari, 1990, p. 753-761 (A.E., 1991, 1641-1644).
Texte de la base 3 (les bases 1 et 2 donnent un texte identique mais mutilé) : Conpellente tem/
porum felicitate / ddd(ominorum) nnn(ostrorum Valentis / Gratiani ac Valenti/niani inuictissimo/rum
semper Auggg(ustorum) / Publicius Felix Hortensias fl(amen) p(er)p(etuus) cur(ator) r(ei) p(ublicae) /
rosira ad ornatum patriae in meliorem/statum redducxi [sic] / idemquededicaui.
Texte de la base 4 : Temporum fe/licitate conpellen/te ddd(ominorum) nnnfostrorum) / Valentis
Gratiani/ac Valentiniani in/uictissimorum sem/per Auggg(ustorum) aeternam/urbem Romam Publi/cius
Felix Hortensi/us fl(amen) per)p(etuus) cur(ator) r(ei) p(ublicae) cum ordineposui.
L'absence de mention du gouverneur de province implique que les frais de l'opération ont été
assumés entièrement par l’évergète : le gouverneur n'avait pas à intervenir pour autoriser la
dépense, comme il l'aurait fait pour des travaux effectués aux frais de la pecunia publica
municipale.
24. J. MARCILLET-JAUBERT, Epigraphica, 41, 1979, p. 66-72 et F. JACQUES, ZPE, 59, 1985, p. 146-150 = AE.,
1982, 961 : Pro felicitate temporum beatorum / Quintus Cassius Taurus, fl(amen)p(er)pfetuus) Legalis, / ob
honorem flamoni(i)paterni con/sensu splendidissimi ordinis sibi con/locati, cenitatem [sic] curiam
sum(p)tu proprio/repparauit[sic].
A la ligne 4, cenitatem curiam doit être lu genitalem curiam, comme F. Jacques l'a démontré. Ce
texte, qu'on doit dater de la seconde moitié du IV e siècle, montre la persistance de l'évergésie ob
honorem (la curie est restaurée pour l'honneur du flaminat du père, attribué également au fils par
l'ordo), ainsi qu'une fière exaltation de l'hérédité des honneurs municipaux, nullement présentée
comme une contrainte.
25. Ammien Marcellin, Histoires, XXVIII, 6, 1-30. Sur ces événements et sur leur chronologie, se
reporter à A. DEMANDT, « Die Tripolitanischen Wirren unter Valentinian I », dans Byzantion, 3,
1968, p. 333-363.
26. Ammien Marcellin, Histoires, XVIII, 6, 26-29.
27. IRT, 475 (à Nicomaque Flavien vicaire d'Afrique en 377) ; IRT, 526 (à Decimius Hilarianus
Hesperius, proconsul d’Afrique en 376-377) ; IRT, 570 + PBSR, 23, 1955, p. 130-131 = AK, 1957, 236 (à
Flavius Victorianus, comte d'Afrique en 375/378) ; IRT, 571 et J. GUEY, dans RFA, 1953, p. 346 (à
Flavius Vivius Benedictus, praeses de Tripolitaine en 378).

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28. L' emendatio proposant à la place d' optionorim iustitiae, ob tenorem iustitiae (soit « pour le
déroulement de la justice ») est due à Joyce REYNOLDS (IRT, loc. cit.). Julien GUEY (« Encore l'affaire
Romanus et le scandale de Lepcis Magna sous Valentinien », dans RFA, 1953 p. 45), propose de
corriger en ob honorem iustitiae, ce qui n’est guère satisfaisant. Voir planche I.
29. Citons une découverte récente, qui exprime bien l'esprit évergétique. A. Ennabli a fouillé les
bains privés d'une très vaste demeure sise à Sidi-Ghrib, près de l'antique Sicilibba, à une
quarantaine de kms au sud-ouest de Carthage. (A. ENNABLI, « Les thermes du thiase marin de Sidi-
Ghrib — Tunisie- », dans Monuments et Mémoires publiés par l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres (Monuments Piot), t. 68, 1986, p. 1-59. Ces bains sont décorés de magnifiques mosaïques de
sol. Sur celle qui orne la contremarche d'un degré séparant la salle principale des thermes d'un
bassin, on peut lire une inscription mosaïquée : Plus feci quam potui, minus quant uolui, si placet
commune est, si displicet nostrum est... (« j'ai fait le plus que j’ai pu, moins que j'aurais voulu ; si celà
plaît, c'est à tous, si celà déplaît, c'est à nous... »). La fin du texte, non citée ici, est obscure. La
formule implique que le propriétaire mettait généreusement ses bains privés à la disposition du
voisinage, (cf. loc. cit., p. 7, et note sur cette inscription par Liliane ENNABLI, ibid, p. 56-57 ; AE, 1987,
1006). L'ensemble (bâtiments, mosaïques et inscription) est datable d'après les trouvailles de
céramique des dernières années du IVe siècle ou du début du Ve siècle.
30. A.E. 1989, 422 (E. SERRANO RAMOS, P. RODRIGUEZ OLIVA, dans Baetica, Π, 1988, p. 252-256). Marcos
MAYER, « El paganismo civico en la Hispania Citerior », dans Cité et la communauté civique en
Hispanie aux IIe· et IIIe siècles ap. J.-C., colloque réuni à la Casa de Velasquez, Madrid, 25-27 janvier
1990, coll. de la Casa de Velasquez, 40, Madrid, 1993, p. 170.
31. Augustin, Contra Academicos, I, 2, éd. JOLIVET, Bibl. Aug., 4, p. 16-19 : « An uero si edentem te
munera ursorum et numquam ibi antea uisa spectacula ciuibus nostris, theatricus plausus
semper prosperrimus accepisset, si stultorum hominum quorum immensa turba est conflatis et
consentientibus uocibus ferreris ad caelum ; si nemo t »bi auderet esse inimicus ; si municipales
tabulae te non solum ciuium sed etiam uicinorum patronum aere signarent ; collocarentur
statuae, influerent honores, adderentur etiam potestates quae municipalem habitum
supercrescerent ; [...] ; in ore clientium, in ore ciuium, in ore denique populorum, humanissimus,
liberalissimus, mundissimus, fortunatus ut fuisse iactareris... ».
32. Sur ce texte, cf. C. LEPELLEY, Les cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. I, p. 298-300 ; 319 ; 325 ;
t. II, p. 178-181.
33. Innocent Ier, epist. 3, PL, 20, 485-494 (§ 4, loc. cit. col. 491 ; § 5, loc. cit., col. 492).
34. C. PIETRI, Roma Christiana, Rome, 1976, p. 1062-1066.
35. Rapelons qu'au début du IV e siècle (dans les années 305-314), soit à une époque où les
témoignages épigraphiques sont déjà fort rares en Espagne, les actes du concile d'Elvire (Illiberis,
aujourd'hui Grenade) évoquent les dons de spectacles d'amphithéâtre par des flamines du culte
impérial (PL, 84, 301-310)
36. AE, 1946, 107.
37. CIL, VIII, 837 ; 8348.
38. P.-A. FÉVRIER, « Inscriptions chrétiennes de Djemila (Cuicul) », dans Bull, d'archéol. Algérienne, I,
1962-1965, p. 211-212.
39. CIL, XI, 7298 ; meilleure lecture dans Inscr. Christ. Ital., Volsinii, 18.
40. Cf. A. MANDOUZE (et aliï), Prosopographie chrétienne du Bas-Empire, I, Afrique, Paris, 1982, p. 53-56.
41. Cf. PLRE, II, p. 1048-1050.
42. Cf. PLRE, II, p. 115-118.
43. AE, 1922, 25 (BACTH, 1922, p. XX). Cette inscription de Cuicul (Djemila) présente fort peu de
différences avec son homologue de Tipasa. Le document de Cuicul est étudié (avec une
rectification de lecture) par P.-A. FÉVRIER, « Le développement urbain en Afrique du Nord : les
exemples comparés de Djemila et de Sétif », dans Cahiers Archéologiques, 14,1964, p. 15-19.

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Évergétisme et épigraphie dans l'Antiquité tardive : les provinces de langue ... 14

Cresconius siégea parmi les évêques catholiques à la conférence de Carthage en 411. L'attribution
de l'inscription à un évêque homonyme, dans A. MANDOUZE, Prosopographie, op. cit., p. 240, apparaît
non fondée. L'évêque Alexandre de Tipasa n'est connu que par l'inscription évoquée ici, et deux
autres trouvées au même endroit (CIL, VIII, 20904 et 20905 ; A. MANDOUZE, Prosopographie, p. 52).
44. Sur la basilique de l’évêque Alexandre, se reporter à L. LESCHI, « Fouilles à Tipasa dans l'église
d'Alexandre », BACTH, 1938-1939, p. 422-431 ; ibid ; 1941-1942, p. 355-370 = Etudes d'épigraphie,
d'archéologie et d'histoire africaines, Paris, 1957, p. 377-388. L'inscription se trouve au musée
archéologique d'Alger.
45. Le terme de rector prouinciae est habituel (avec celui de iudex prouinciae ) dans les textes
juridiques du Bas-Empire pour désigner les gouverneurs sans distinction de grade, de préférence
à celui de praeses, qui désigne plutôt les gouverneurs de rang inférieur aux consulares.
46. On peut citer un exemple récemment publié : une inscription d'Hippone relatant la
restauration d'un marché sous le règne de Valentinien et de Valens (364-367) après un abandon
dû à une longa incuria, ainsi qu'à une discissio, une division, due assurément à des querelles dans
l'ordre des décurions (texte édité par P. CORBIER d'après les papiers d’E. MAREC, dans ZPE, 43, 1981,
p. 89-95 = AE, 1982, 943). On peut encore évoquer la curie de Lambèse (Numidie), qui fut restaurée
dans les années 379-383, alors qu'elle était tombée en ruines par suite de l'incuria ueterum (ILS,
5520).
47. Augustin, sermon 32, 20, CCL, 41, p. 407 ; en. in ps. CIII, serm.3, 12, CCL, 40, p. 1511 ; en. inps. LXXX,
CCL, 39, p. 1123 ; en inps. CXLIX, 10, CCL,, 41, p. 2184.
48. Une formule comparable, exprimant le même état d'esprit, se retrouve dans l'inscription
rédigée par le pape Damase (336-384) pour l'église urbaine de Saint-Laurent in Damaso (ILCV, 970
— d'après un manuscrit médiéval —) : Archibus his fateor uolui noua condere tecta / addere praeterea
dextra leuaque columnas, / quae Damasi teneant proprium per saecula nomen (« à ces palais, je l'avoue,
j'ai voulu donner un nouveau toit, ajouter en outre à droite et à gauche des colonnes, qui
puissent de Damase garder le nom intact au long des siècles »). Face aux arrogants sénateurs
païens, le pape affirmait sa gloire de bâtisseur (référence aimablement communiquée par Jean
Guyon).
49. La critique la plus brillante de la « vaine gloire » de l'évergète se lit dans le traité Sur la vaine
gloire et l'éducation des enfants de s. Jean Chrysostome (éd. A.-M. MALINGREY, SC, 188, p. 14-37).
50. Augustin, sermon 21, 10, CCL, 41, p. 285-286 (« edit pompaticos ludos, insana munera, donat
histrionibus, pauperibus non donat ; non est decus auri »).
51. M. HEINZELMANN, Bischofsherrschaft im Gallien. Soziale, prosopographische und bildungsgeschichtliche
Aspekte der Kontinuität romischer Führungsschichten von IV bis VII Jahrundert (Beiheft der Francia, 5),
Munich, 1976 ; ID., Gallische Prosopographie 260-527 (Francia, Sonderdruck 10), Munich, 1983. Voir
aussi K.F. STROHEKER, Der Senatoren - Adel im spät antiken Gallien, Tübingen, 1948.
52. Cf. F. DESCOMBES, RICG, xv, 95 ; LE BLANT, 429.
53. L'épitaphe est reproduite d'après les manuscrits dans E. LE BLANT, Inscriptions chrétiennes de la
Gaule, Paris, 1856, 562 ; dans E. DIEHL, ILCV, 1067 ; dans MGH, AA, 8, p. VI. L'inscription récemment
découverte à Clermont, qui établit définitivement l'authenticité du texte transmis par les
manuscrits, a été publiée par Françoise PRÉVOT dans Antiquité tardive, t. I, 1993, p. 223-229.

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NOTES DE FIN
*. Addendum. Il convient de signaler la publication récente de l'importante thèse de Jean - Pierre
Caillet, L'évergétisme monumental chrétien en Italie et à ses marges, Coll, de l'Ecole Française de Rome,
175, Rome, 1993, 502 pages. On y trouvera un corpus exhaustif pour le domaine géographique
envisagé (Rome étant exclue) des inscriptions mentionnant des dons.

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