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Études d'antiquités africaines

L’habitation tunisoise. Pierre, marbre et fer dans la construction et le


décor
Jacques Revault

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Revault Jacques. L’habitation tunisoise. Pierre, marbre et fer dans la construction et le décor. Paris : Éditions du Centre
National de la Recherche Scientifique, 1978. pp. 3-320. (Études d'antiquités africaines)

http://www.persee.fr/doc/etaf_0768-2352_1978_mon_1_1

Document généré le 22/10/2015


ÉTUDES D'ANTIQUITÉS AFRICAINES

L'HABITATION TUNISOISE

PIERRE, MARBRE ET FER

DANS LA CONSTRUCTION ET LE DÉCOR

par

Jacques REVAULT
Maître de Recherche honoraire au C.N.R.S.

ÉDITIONS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE


75, quai Anatole-France, 75700 PARIS
1978
Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1978
ISBN 2-222-02179-0
(Dâr Djellouli) - Grande porte cochère s'ouvrant dans un arc brisé outrepassé avec encadrement de pierre richement sculpté à la base
des piédroits (XVIIIe-XIXe s.).
SOMMAIRE

AVANT-PROPOS 11

INTRODUCTION 13
Tunis, médina, faubourgs et environs 15
Historique 17
Tunis sous les Hafsides (XIIIe-XVIe s.). — Domination turque (XVIe s.) — Les Beys Moura-
dites (XVIIe s.) — Les Beys Husseinites (XVIIIe-XIXe s.).

Origine et évolution des techniques de la construction et du décor 25


La construction aux époques romaine et byzantine — Techniques byzantines — Architecture
musulmane et techniques ifriqyennes — Période aghlabite, IXe siècle — Période fatimide et
sanhajienne, Xe-XIIe s. — Période almohado-hafside, XIIe-XVP s. — Le décor de la pierre
et du marbre (IXe-XVe s.) — Influence de l'art byzantin — La décoration sculptée sous les
Aghlabites (IXe s.) — Le décor fatimide et ziride (Xe-XIIe s.) — L'ornementation sous les
Hafsides (XIIe-XVIe s.).

LA CONSTRUCTION 145
Etablissement d'un projet de construction — Matériaux — Main d 'œuvre — Début des travaux.
Fondations, citerne, cave, murs — Rez-de-chaussée, voûtes, arcs, terrasses — Toits —

Etage — Enduit et blanchiment — Décoration de l'habitation et des communs. —


Patio et entrée — Murs, lambris et frise — Céramique — Plâtre sculpté — Voûtes et plafonds.
Décor des voûtes — Décor des plafonds — Pierre et marbre — Encadrements de portes,
fenêtres, citernes et puits — Bois. Portes, contrevents, mobilier fixe — Achèvement de la
construction — Inauguration de la nouvelle demeure.

LA PIERRE ET LE MARBRE 77
Les tailleurs-sculpteurs de pierre et de marbre — Lieux de travail — Sûk al-nakkâsha. Origine —
Corporation et formation artisanale des nakkâsha — Les matériaux — Carrières — Calcaire —
Marbre — Commande et transport des matériaux — Préparation des matériaux — L'outillage —
Ateliers de taille et de sculpture — Coutumes des nakkâsha.
La pierre et le marbre dans Varchitecture domestique 91
Extérieur — Intérieur — Façade extérieure.
Les portes 92
Portes droites 92
Centre de la Médina 97
Porte du Dâr Rassâ'a (rue des Tamis) — Portes des Dâr Sayadi et Dâr Dennouni (rue de la
Kasbah, Impasse Bou Hachem).
J. REVAULT

Partie Nord 99
Portes des Dâr Mohamed Kassem (rue Dâr Jeld) et Dâr El-Maharsi (rue de l'Obscurité) —
Portes du Dâr Hamadi Chérif (rue Dâr Jeld) — Porte du Dâr El-Guizani (rue du Pacha).
Partie Sud 101
Porte de Jama' Jdid (rue des Teinturiers).
Portes droites sous arc outrepassé 101
XVe s 101
XVP-XVIIe s 103
Porte du Dâr 'Othman — Porte du Dâr El-Hedri — Porte du Dâr Bel-Hassen — Porte du Dâr
Rassâ'a (ou Dâr Khira) (rue Sidi Zahmoul) — Porte du Dâr Ben Salem (Impasse Ben Salem).
Partie Nord 110
Porte du Dâr Romdane Bey (rue Bir el-Hajar).
Portes droites sous arc surbaissé (XVIIe s.) 114
Partie Nord de la Médina 114
Porte du Dâr Ibn 'Arafa (rue Achour) — Porte du Dâr Daouletli (rue Ben Nejma) — Portes,
rue Sada 'Ajoula — Porte du Dâr Ben Mahjoub — Porte du Dâr Gahgouh.
Centre de la Médina 120
Portes des Dâr Khaznadar et Dâr el-Ayari (rue de la Kasbah, Impasse des Jnoun) — Porte du
Dâr Mellouli (rue de la Kasbah, Impasse Bou Hachem) — Porte du Dâr Zaha (rue de la Kasbah).
Partie Sud de la Médina 123
Portes de la rue des Juges — Porte du Dâr Stamerad — Porte du Dâr Zarrouk.
Portes à arc bombé (makhzen) 126
Partie Sud 126
Porte du Dâr El-Mbaza'a (rue El-Mbaza'a) — Porte du Dâr El-Hédri (rue du Trésor) — Porte
du Dâr Stamerad (rue des Juges) — Portes du Dâr El-Hadi Chahed (rue En-Nayyar).
Portes à arc brisé outrepassé 1 30
Portes à arc brisé (communs) — Portes à arc brisé (demeures) — Origine des portes à arc brisé.
XVIIe siècle 132
Porte du Fondouk des Français (Quartier Est) — Porte du Dâr Jamilou (rue El-Methira,
quartier Sud) — Porte du 2e Dâr Romdane bey (rue Ben Nejma, quartier Nord) — Porte du Dâr
Chahed (rue Sidi Ben Arous, quartier Nord) — Porte du Dâr El-Asfouri (rue des Tamis, centre
de la Médina).
XVIIIe-XIXe siècles 137
Evolution des portes husseinites 1 37
Quartiers Sud 138
Porte de l'annexe du Dâr 'Othman (rue El-Mbaza'a) — Porte du Dâr Mhamed Djellouli (rue
Sidi Et-Tinji) — Porte du Dâr Djellouli (rue du Riche) — Porte du Dâr Bach-Hamba (rue
Bach-Hamba) — Porte du Dâr El-Messa'oudi) (rue 'Abba) — Porte du Dâr Lakhoua (rue Sidi
Es-Sourdou) — Portes du Dâr Lakhoua (rue des Andalous) — Porte du Dâr Ben Abd-Allah
(rue Ben Abd-Allah).
Quartiers Nord 145
Porte du Dâr Baïram es-Sellami (rue de la Montagne et rue du Divan) — Porte du Dâr Lakhoua
(rue Sidi Ben 'Arous) — Porte du Dâr El-Monastiri (rue El-Monastiri).
L HABITATION TUNISOISE 9

Faubourg Sud 148


Porte de la driba du Dâr Zaouche (rue Sidi El-Mouahed).
Portes cintrées (à l'italienne) 1 50
Porte du Dâr El-Mrabet (rue Sidi Ben eArous) — Porte du Dâr Chérif (rue Sidi Maouïa).
Colonnes et consoles (extérieures) 152
Colonnes de sâbât — Colonnes cantonnées (porte et mur) — Consoles — Consoles de voûte —
Consoles d'encorbellement.
Aménagement intérieur (pierre et marbre) 157
Couloir d'entrée 161
XVIe-XVIIe siècles 163
Entrée du Dâr 'Othman (rue El-Mbaza'a) — Entrée du Dâr Zarrouk (rue des Juges) — Entrée
du Dâr El-Haddad (Impasse et-Tobjia) — Entrée du Dâr Romdane Bey (rue Bir el-Hajar).
XVIIIe-XIXe siècles 170
Entrée du Dâr Djellouli (rue du Riche) — Entrée du Dâr Zarrouk (rue des Juges) — Entrée
du Dâr Ben Abd-Allah (rue Ben Abd-Allah) — Entrée du Dâr El-Monastiri (rue El-Monastiri).
Cour intérieure 175
XVIe-XVIP siècles 177
Cours avec façades intérieures à défoneements (ou niches à fond plat) 178
Dallage du sol — Cour du Dâr Riahi (rue Sidi Bou Khrissan, impasse du Chanteur) — Cour
du Dâr Chaouch (rue Torbet el-Bey, impasse du Saint) — Cour du Dâr Rassâ'a (rue des Tamis)
— Cour du Dâr Bou Zaïane (rue El-Arian) — Cour du Dâr Dennouni (rue de la Kasbah,
impasse Bou Hachem).
Cours avec niches à fond plat et galerie haute (ou loggia) 183
Cour du Dâr Khojt el-Khil (rue du Trésor) — Cour du Dâr Mazhoud (rue Souk el-Blat) —
Cour du Dâr El-Ayari (rue de la Kasbah, impasse des Jnoun).
Cours avec portique (sans loggia) 187
Cour du Dâr Temimi (rue Souk el-Blat), à un portique — Cour du Dâr Baïram Turki (rue Sidi
'Ali 'Azouz), à deux portiques — Cour du Dâr Romdane Bey (rue Bir el-Hajar), à deux portiques
— Cour du Dâr Daouletli (rue Sidi Ben 'Arous, impasse de la Driba), à trois portiques.
Cours à galeries inférieure et supérieure 196
Cour du Dâr Balma (rue Sidi Bou Khrissan) — Cour du Dâr 'Othman (rue El-Mbazâ'a) —
Cour du Dâr El-Mrabet (rue Sidi Ben 'Arous) — Cour du Dâr El-Hedri (rue du Trésor).
XVIIP-XIXe siècles 210
Appartements 213
XVP-XVIP siècles 214
Appartements du Dâr 'Othman — Appartements du Dâr El-Mrabet — Appartements du Dâr
El-Haddad — Appartements du Dâr Lamine Chahed (ou Dâr Hamouda Pacha).
XVIIP-XIXe siècles 223
Communs — Dwïrïya et hammam du Dâr El-Haddad (XVP-XVIP siècles) — Dwïrïya et
hammam du Dâr Romdane Bey — Caves du Dâr Khojt el-Khil — Makhzen — Makhzen du Dâr
El-Mrâbet.
10 J. REVAULT

LE DÉCOR DE LA PIERRE ET DU MARBRE 231


Eléments du décor 233
Epoque hafside. XIIIe-XVIe s 233
Chapiteau hafside — Chapiteau hispano-maghrébin.
Epoque turque et mouradite. XVIe-XVlIe s 238
Chapiteau turc.
Epoque husseinite. XVIIIe-XIXe s 239
Piédroits des portes 241
Premiers motifs décoratifs.
Epoque hafside.
Epoque turque.
Origine du décor de la pierre et du marbre 242
Décoration sculptée 246
Epoque turque et mouradite — Décor intérieur du Dâr Baïram Turki.
Décor extérieur de portes d'entrée (XVP-XVIP siècles) 249
Porte du Dâr Dennouni (impasse Bou Hachem) — Porte du Dâr El-Ayari (impasse des Jnoun)
— Portes du Dâr Hamadi Chérif (rue Dâr Jeld) — Portes de la Mosquée d'Hamouda Pacha
et de plusieurs demeures mouradites — Décoration sculptée du mausolée d'Hamouda Pacha —
Mausolée El-Fellari (XVIIe s.).
Décoration incrustée (XVP-XVIP s.) 266
Mid'at es-Soltane (XVe s.) — Zaouïa de Sidi Kassem el-Jallizi (XVe s.) — Palais du Dey 'Oth-
man (XVP-XVIP s.) — Dâr Bou Zaïane (XVP-XVIP s.).
Portes à décor incrusté sous arc de décharge (XVIP s.) 271
Incrustation de marbre et de pierre dans les monuments religieux et civils (XVIP s.) 271
Décoration sculptée en marbre et pierre ( XVIIP-XIXe siècles) — Porte de Jama' Jdid (début
XVIIP s.) 273
Première moitié du XIXe siècle 278
Deuxième moitié du XIXe siècle 279
Partie Sud 279
Partie Nord 280

LA FERRONNERIE 285
Le souk des Forgerons — Forgerons (haddàda al-kahâla) — Le souk des Serruriers —
Coutumes des artisans du fer — Fer et charbon.
Le cloutage des portes 293
Le décor clouté — Porte du Dâr El-Messa'oudi (rue des Silos) — Porte du Dâr Sidi El-Béchir
(rue des Silos) — Porte du Dâr Lasram (rue du Pacha) — Porte du Dâr Lakhoua (rue des An-
dalous).
Les grilles 300

CONCLUSION 305

BIBLIOGRAPHIE 308

TABLE DES ILLUSTRATIONS 310


AVANT-PROPOS

Le présent ouvrage est le complément de trois livres publiés par le Centre National de la Recherche
Scientifique, entre 1967 et 1974, sur V Habitat urbain et suburbain de l'ancienne capitale de VIfriqiya et de la Régence
de Tunis (1).
Débutant au XVe siècle pour se terminer au XIXe, cette étude intéresse les périodes historiques comprises
entre la fin du Royaume hafside et la veille du Protectorat, en passant par les époques turque et husseinite. Elle
a permis de découvrir V empreinte des influences diverses qui se sont manifestées, au cours des siècles, aussi
bien sur la structure traditionnelle des palais princiers et des demeures bourgeoises que sur leur mode de
construction et leur' décor. On y a aussi reconnu la fidélité à certains éléments essentiels d'origine lointaine, tels que
le patio et /'iwân, hérités de V Antiquité gréco-romaine et mésopotamienne. Il devait en résulter une configuration
presque immuable, caractéristique de la maison tunisoise la plus modeste comme du palais le plus somptueux,
également axés sur leur cour centrale.
Cependant, on a pu constater, à V intérieur du cadre architectural fixé par la tradition, une évolution
décorative déterminée par le renouvellement d'interventions artistiques attribuées tantôt aux Andalous (XIIIe- XVIe
s.) et Morisques (XVIIe), tantôt aux Turcs (XVIIe- XVIIIe) ou aux Italiens (XVIIIe- XIXe).
La diversité de l'ornementation correspondante ainsi réalisée à Tunis ne devait pas manquer de se
distinguer d'une certaine uniformité du décor architectural observé dans les autres villes du Maghreb, telles que
Alger, Fés et Marrakech. C'est pourquoi il nous a paru nécessaire d'approfondir l'examen d'un aspect décoratif
particulièrement important dans l'habitation tunisoise durant ces derniers siècles.
Nous nous proposons alors d'ajouter à nos études précédentes deux ouvrages complémentaires. Le premier
concerne, outre la construction proprement dite, l'évolution du décor de la pierre et du marbre sculpté (ou
incrusté) ainsi que de la ferronnerie : le second sera réservé à l'étude des formes ornementales de la céramique,
des boiseries et du stuc.
Les enquêtes effectuées sur place, à cet effet, ont été entreprises en même temps que les recherches qui
ont abouti aux ouvrages déjà publiés. Elles ont bénéficié de conditions également favorables qui méritent notre
gratitude car elles nous ont permis de poursuivre l'exécution de notre programme, grâce à l'aide du Centre
National de la Recherche Scientifique, et l'appui des Services des Affaires Culturelles et de la Coopération
Technique, à l'Ambassade de France en Tunisie.
Nous sommes également redevables de l'avancement de nos travaux aux habitants de la médina qui les ont
facilités en nous accueillant à l'intérieur de leurs propres demeures.
Nous exprimons notre vive reconnaissance, pour l'importance de ses informations, à Ali Chiha, aminé des
maçons et des tailleurs de pierre. En faisant appel à son expérience personnelle de maître-artisan, il nous a été
possible d'obtenir des renseignements précis sur des traditions disparues ou en voie de disparition. A la même
source nous devons souvent de précieuses indications touchant les coutumes des corporations tunisoises de maçons,
tailleurs de pierre et forgerons.

1 Palais et Demeures de Tunis (XVI-XVIP), t. I.


Palais et Demeures de Tunis (XVIII-XIXe), t. II.
.

Palais et Résidences d'été de la Région de Tunis (XVI-XIXe), t. III.


12 J. REVAULT

Nous remercions aussi, à Tunis, le Personnel du Bureau Permanent du C.N.R.S. pour Vaide matérielle
que nous y avons trouvée auprès de son Directeur, le R.P. A. Louis, directeur de recherche, M. A. d'Ancona,
ingénieur, M. J.P. Gess, photographe, Mme Cavasino, secrétaire et Mme Ennobli, bibliothécaire ; à Aix- en-Provence,
M. M. Euzennat, Directeur de V Institut d'Archéologie Méditerranéenne, Mlle Sempère, qui a bien voulu nous
apporter son concours pour la mise au point de cet ouvrage, et la Diection d' Antiquités africaines, M. R. Man-
tran, Professeur de Langue et de Civilisation Turques, et M. A. Raymond, Professeur d'Histoire et de Civilisation
dans le Monde Musulman, pour Vintérêt qu'ils ont témoigné à cette étude.
INTRODUCTION
TUNIS

Médina, faubourgs et environs

Les collines situées entre deux lacs — « Bahira » et « Séjoumi » — au voisinage de la mer, furent choisies,
de préférence à l'ancienne Carthage punique et romaine, pour y établir la nouvelle capitale du Royaume
de l'Ifriqya (1). Avec l'instauration d'un pouvoir almohado-hafside, au XIP-XIIP siècle, Tunis succéda
ainsi à une première bourgade berbère après que celle-ci eut déjà été remplacée successivement par la cité
maritime du conquérant arabe Hassan ben No 'man et celle des Princes Sanhajiens Béni Khôrasan.
Entourés d'une double ceinture de remparts, la Médina et ses faubourgs s'établirent sur les pentes
orientées vers l'Est. La grande Mosquée Zitouna — contemporaine de la Mosquée de Sidi Oqba à Kairouan —
détermina le centre de la ville tandis que la Kasbah royale occupait le sommet de la colline avec sa place-
forte et ses palais. C'est au voisinage de ces deux fondations politico-religieuses que durent s'installer les
quartiers aristocratiques et économiques de la capitale (2). En témoigne jusqu'à ce jour la présence, autour
de la Grande Mosquée, des premiers souks des étoffes et de vêtements traditionnels, ainsi que des fondouks
et ateliers réservés aux corporations nobles. De même peut-on observer à cet endroit les quartiers où
subsistent de belles demeures ayant appartenu autrefois à des personnages du Makhzen, des magistrats et des maîtres-
artisans (tisserands de soie et fabricants de chéchias).
A la périphérie, intra muros, subsistèrent longtemps des espaces vides de toute habitation, partagés
entre jardins et cimetières. Plus tard ceux-ci se transformèrent à leur tour en quartiers neufs que nécessita
l'accroissement de la population citadine ; il s'y ajouta encore, venus d'Espagne, par « vagues successives»,
Andalous et Morisques, puis les nouveaux maîtres turcs. On doit enfin rappeler l'établissement d'un quartier
Juif (Hara) et d'un quartier Franc (ou Chrétien) dans les parties basses de la ville qui leur furent affectées.
A l'exemple des anciens quartiers, les nouveaux eurent également, à portée de leurs demeures, leurs
lieux de prières, de travail, de réunion et de divertissement. Aussi voit-on se multiplier à travers la Médina
au cours des siècles, mosquées, oratoires, médersas, écoles coraniques, zaouias, hammams, souks et fondouks.
Si des ruelles nombreuses, au tracé souvent capricieux, desservent l'ensemble de la capitale, celle-ci est
cependant traversée dans toute sa longueur et sa largeur par deux voies principales assez régulières. S 'entrecroisant
auprès de la Grande Mosquée, l'une joint la Porte Sud (Bâb el-Jazira) à la Porte Nord (Bâb Souika), l'autre
la Zitouna et la Kasbah à la Porte Est (Bâb el-Bahr) (3).
L'extension de la cité devait naturellement déborder les limites de la Médina et gagner les deux faubourgs
extrêmes, au Nord le Rbat Bâb Souika, au Sud le Rbat Bâb Zira (ou el-Jazira ) (4). Entourés, soit de cimetières
(El-Jellaz, El-Gorjani) ou de lagunes (sebkha), soit de cultures maraîchères, d'oliveraies et de vergers, ces
faubourgs conservèrent longtemps l'aspect de grands villages aux maisons basses, parfois clairsemées le
long de rues semblables à des pistes, voire au bord de vastes places où se tenaient, chaque semaine, des marchés
importants — marché aux moutons, marché aux chevaux, marché du blé, marché du charbon, marché de
l'alfa... etc.

1. Palais de Tunis, I, p. 5 et ss.


2. Ibid., p. 8. R. Brunschvig, article Tunis et Tunisie dans Encyclopédie de V Islam, Paris, 1931, passim.
3. Palais de Tunis, I, p. 30 et ss.
4. Ibid., p. 37-38.
16 J. REVAULT

Aussi bien, les habitants de ces faubourgs sont-ils constitués par les éléments les plus modestes de la
population tunisoise, en dehors des ruraux groupés par affinité selon leur origine. Il dût s'y joindre encore
une partie des émigrés musulmans venus d'Espagne. L'installation de ces étrangers à proximité de Bâb
Souika et des ateliers de poterie contribua, sans doute, à l'essor de la céramique, établie extra muros, non
loin des ateliers de tanneurs.
Il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe pour voir certains grands personnages du
Makhzen, des chefs de confréries religieuses, et de riches propriétaires terriens porter leur choix sur les
faubourgs afin d'y faire bâtir plus librement leurs palais ou de luxueuses demeures (1).
Cette pénétration des agglomérations populaires par des éléments appartenant à une société plus élevée
ne manquera pas d'y provoquer embellissements et œuvres pies, tels que la construction de bâtiments d'intérêt
public, civils et religieux — mosquées, zaouïas, médersas, hammams, souks et oukalas.
Si les périodes de paix favorisèrent la prospérité de la capitale et, par là, le développement de ses différents
quartiers, l'intérêt des citadins se porta aussi vers l'aménagement de résidences d'été et de maisons de
plaisance édifiées aux environs de Tunis, à la campagne ou sur le littoral. L'exemple en venait de haut. Déjà au
temps des Hafsides, les Sultans n'avaient-ils pas été séduits par la construction de palais et pavillons au milieu
de vastes jardins agrémentés de pièces d'eau, à Ras-Tabia et Abou Fihr (2) ?. Sans doute, ne reverra-t-on
plus, aux siècles suivants, des réalisations de cette importance ; mais aux époques turque, mouradite et hus-
seinite, les souverains, ministres et notables se plairont à multiplier leurs villégiatures d'été (3). Ils choisiront
à cette intention les collines de Sidi Bou Said et de Gamarth, les plaines de la Marsa, de l'Ariana, du Bardo
et de la Manouba, ou le littoral compris entre Carthage et la Goulette.
L'évolution du style architectural et décoratif particulier aux constructions tunisoises apparaîtra alors
aussi bien dans les habitations urbaines que dans les villégiatures suburbaines, édifiées à l'intérieur ou autour
de la capitale.

1 . Palais de Tunis, II, passim.


2. G. Marçais, Tunis et Kairouan, p.
3. Résidences d'été, III, passim.
HISTORIQUE

Tunis sous les Hafsides (XIIIe- XVIe siècles)

On sait qu'aux premiers temps de la conquête arabe, Tunis fut reléguée au second plan, simple ville
côtière éclipsée par Kairouan, la Ville Sainte des Aghlabites et des Zirides. Devenue petite république
indépendante sous l'égide des Princes Beni-Khorasan (1059-1159), la cité maritime s'organise, semble-t-il, en
prévision d'un rôle ultérieur plus important, au milieu d'un pays bouleversé par les invasions Maliennes qui
y entretenaient le désordre et l'anarchie (1). Ce rôle lui fut dévolu, au XIIe siècle, avec le rang de capitale,
grâce au succès de l'expédition almohade qui traverse victorieusement le Maghreb et pénétra en Espagne (2),
manifestation éclatante de la puissance berbère longtemps contenue par les Carthaginois, Romains, Byzantins
et Arabes.
Ainsi, Tunis se trouve placée à la tête du nouveau royaume créé par le gouverneur de ITfriqya, Abou Zaka-
riya, fondateur de la dynastie hafside (3). Elle n'a rien à envier à Tlemcen et à Fès, capitales des deux autres
royaumes avec lesquels l'Ifriqya a renouvelé l'ancien partage du Maghreb (4). Ces états voisins sont souvent
amenés à reconnaître la supériorité ifriqyenne, le prestige des souverains hafsides s'imposant aussi à l'ensemble
des pays méditerranéens, ceux de l'Orient comme ceux de l'Occident. Prestige religieux, intellectuel et
économique, qui se maintiendra aux XIIIe et XVe siècles avec une interruption, au XIVe siècle, provoquée par les
intrigues de palais et les deux interventions successives des Mérinides (5).
L'ordre et la prospérité du royaume — qui ne dura pas moins de trois siècles et demi — nécessita la
répression constante des tribus arabes, voire le démantèlement de certaines principautés retranchées dans les
régions semi-désertiques et les oasis du Sud (Tripoli, Gafsa, Tozeur, Biskra). Ailleurs, des traités de bon
voisinage et de commerce furent établis avec les pays chrétiens (Gênes, Pise, Venise, Florence, la Provence)
et les pays musulmans (Grenade, Egypte, Villes Saintes), enfin le Grand Seigneur en 1450. Au XIIIe siècle,
Abou Zakariya (1229-1249) étend son domaine jusqu'à Constantine, Bougie et Alger, tandis que son
successeur, El Mostanser (1249-1277) réussit à prendre le titre de calife (1253). «Il menait, dit-on, une politique
de prestige, aménageant avec faste la Qaçba de Tunis, créant « des jardins magnifiques avec pièces d'eau dans
la région de Tunis», s'entourant de lettrés et de poètes». On sait qu'il eut raison de la sérieuse menace que
constitua en 1270, le débarquement de Saint Louis à Carthage et ses attaques contre la capitale (6).

1 Palais de Tunis, I, p. 7.
.

2. Succédant à Ibn Toumert à la tête des Almohades, Abd-el-Moumin reprit, vers l'Est, la route déjà suivie par les Almo-
ravides et atteignit l'Ifriqya dont il délaissa, au profit de Tunis, les anciennes capitales zirides, Kairouan et Mahdia.
3. En 1229. Cf. Ch. A. Julien, Histoire de l'Afrique du Nord, Paris, 1966, p. 135-136, Abou Zakariya petit-fils du Cheikh Abou
Hafs 'Omar el-Hintati et fils du premier gouverneur de l'Ifriqya qui en fut le défenseur contre les entreprises des Almoravides
dirigées par Ibn Ghaniya.
Le royaume hafside tire son nom de celui de son fondateur, Abou Hafs. Sur les Hafsides : R. Brunschvig, La Berbérie
Orientale sous les Hafsides, des origines à la fin du XVe siècle, 2 vol., Paris, 1940-1947 ; G. Marçais, La Berbérie Musulmane et
V Orient au Moyen-Age, Paris, 1946.
4. Royaumes du Maghreb à la fin du XIIIe siècle : Royaume mérinide de Fès, Royaume Abd-el-Wadide de Tlemcen et
Royaume hafside de Tunis.
5. Ch. A. Julien, op. cit., p. 141-142. Prise de Tunis par le Sultan mérinide Abou-1- Hasan, en 1347, puis par son successeur
le sultan Abou 'Inan, en 1357.
6. Ibid., p. 138-139. Après le rembarquement des Chrétiens, El-Mostanser rasa les ruines de Carthage qui leur avaient
servi d'abri.
18 J. REVATJLT

Après l'intermède mérinide du XIVe siècle, la fin de ce siècle et le XVe voient renaître le royaume hafside
à nouveau reconnu par les pays méditerranéens comme le principal état du Maghreb. Cette seconde période
s'illustra avec Abou-l-'Abbas (1370-1394) — qui vint de Constantine s'emparer de Tunis — Abou-Farès
(1394-1434) et Abou 'Amr 'Othman (1435-1488).
La malheureuse succession du calife 'Othman aboutit au règne «d'Abou 'Abd Allah Mohammed,
homme « faible et ami des plaisirs » peu apte à enrayer la brusque décadence de l'Etat hafçide et à faire face à
la situation difficile qu'allait provoquer en Ifriqya le choc des Turcs et des Espagnols (1)».
Tunis doit aux Hafsides sa véritable physionomie de capitale avec son ancienne Médina augmentée,
au Nord et au Sud, de deux faubourgs que des remparts percés de portes mirent à l'abri des incursions armées
(2). A l'Ouest, sur les hauteurs dominant la ville, la Kasbah fut restaurée et agrandie. A l'Est, les espaces
libres séparant la porte basse de la Cité (Bâb el-Bahr) des abords du Lac (El-Bahira) furent occupés par
l'Arsenal et les « fondouks » des Chrétiens. La présence de ceux-ci ne manqua pas de favoriser les échanges
commerciaux entre les deux rives de la Méditerranée (3), l'essor économique de Tunis bénéficiant, en outre, de
l'immigration des Musulmans et des Juifs chassés d'Espagne (4). La supériorité des Andalous dans les Arts et les
Lettres devait les faire particulièrement apprécier des souverains comme des notables de la capitale. Elle est
attestée dans les lignes suivantes : « Les sultans hafsides furent aussi des bâtisseurs. Ils trouvaient dans les
villes les nombreux souvenirs de l'architecture aghlabite et çanhajienne. Mais plus encore qu'aux traditions
antiques et aux influences orientales qu'elle leur rappelait, ils se soumirent aux leçons des artistes andalous
qui affluaient à la cour de Tunis » (5). « Le sultan actuel (Abou Zakariya), écrivait Ibn Saïd à un notable
émigré d'Espagne, construit des monuments, bâtit des palais, plante des jardins et des vignobles, à la manière
des Andalous. Tous ses architectes sont natifs de ce pays, de même que ses maçons, ses charpentiers, ses bri-
quetiers, ses peintres et ses jardiniers. Les plans des édifices ont été tracés par des Andalous, ou copiés sur
des monuments de leur pays » (6).
On en retiendra pour exemples la mosquée de la Kasbah (7) et la Medersa ech-Chamma'iya bâties au
XIIIe siècle par Abou Zakariya, le Palais de Ras Tabia — embelli par El Mostanser — entouré de jardins qui
s'étendaient au Nord-Ouest de la ville ; le Palais du Bardo créé au XVe siècle par Abou Faris et 'Othman ;
enfin la maison de plaisance élevée, vers 1500, à la Marsa par Abou-'Abd Allah Mohammed (8).
Mais en dehors de ces réalisations princières, la forte influence du constructeur et du décorateur andalous
apparaît dans un grand nombre d'habitations citadines conservées jusqu'à ce jour à l'intérieur de la Médina (9).
Dans le domaine littéraire, on sait que l'œuvre du génial Ibn Khaldoun domina son temps avec les
Prolégomènes et Y Histoire des Berbères (10). Après ce grand historien philosophe d'origine sévillane se rangent
des biographes connus, tels que Tijani (XIVe) et Zarkachi (XVe).

1. Ibid., p. 144-145.
2. Palais de Tunis, I, p. 5 et 11. Grâce à son élévation et aux deux lacs qui en défendent les abords, Tunis bénéficie d'une
situation privilégiée pour assurer sa sécurité.
Aux remparts qui protègent déjà la médina sont ajoutés, au XIVe siècle, d'autres murailles autour des faubourgs Nord et
Sud (Rbat Bâb Souika et Rbat Bâb el-Jazira). R. Brunschvig, op. cit., p. 338 et ss. Ch. A. Julien, op. cit., p. 150-151.
3. Le trafic avec les pays d'Europe s'effectue de préférence avec les navires des Chrétiens, supérieurs aux bateaux de guerre
et de commerce ifriqyens, trafic trop souvent gêné par la piraterie barbaresque. Ibid., p. 151.
4. Ibid. p. 140. Exode des Juifs après la prise de Grenade (1492) bien accueillis par les Hafsides, contrairement aux Almo-
hades qui les avaient maltraités auparavant.
5. Ibid., p. 153.
6. Trad. Gayancos, citée par G. Marçais.
7. Son minaret est souvent comparé à ceux du Maroc et de l'Andalousie.
8. Palais de la Région de Tunis, ITT, passim. G. Marçais, Tunis et Kairouan, Paris, 1937, passim.
9. Palais de Tunis, I, passim.
10. Né à Tunis, en 1332, d'une famille originaire de Seville, Abd er-Rhaman Ibn Khaldoun mourut au Caire en 1406. On
sait que son existence aventureuse le mena successivement au Maroc, en Espagne, en Algérie (Biskra, Tiaret) et en Egypte, dont
il servit tour à tour les royaumes « à des postes de choix, qui lui permirent de suivre les événements et de connaître les hommes ».
Ch. A. Julien, op. cit., p. 134 ; Yves Lacoste, Ibn Khaldoun, Paris, 1969, p. 50.
l'habitation tunisoise 19

Planche A

BAB SAADOUN BARDO

ABD-ES-SLAM

B A H R A LAC DE TUNIS
I

Tunis. Plan schématique de la Médina et de ses faubourgs (d'après G. Marçais).


20 J. REVAULT

Au temps d'Ibn Khaldoun, les Mérinides s'efforcèrent en vain de rétablir l'unité de l'empire sur le
Maghreb. On doit reconnaître cependant que le prestige de leur culture, révélée par les savants qui entouraient
Abou 1-Hasan, se fit également sentir sur l'art de l'Ifriqya (1).
A la même époque, la religion musulmane brille d'un éclat particulier au royaume hafside, avec la
renaissance du malékisme prêché par le célèbre docteur Ibn 'Arafa (1316-1401) (2) tandis que le mysticisme multiplie
ses adeptes sous la direction de santons jouissant de la protection des souverains.

Domination turque (XVIe siècle)


« Le XVIe siècle, si tourmenté, fit de la malheureuse Tunis un des principaux objectifs des Espagnols
et des Turcs au cours de leurs longues hostilités » (3).
Les premiers succès obtenus, en 1534, par les troupes de Charles Quint furent éphémères et ne s'étendirent
jamais sérieusement hors de la Goulette et de la capitale. Les efforts tentés pour rétablir sur le trône hafside
le Sultan Mouley-Hassan furent battus en brèche par sa propre famille et la population musulmane, irritée
de son alliance avec les Infidèles (4).
Le Grand Seigneur sut opposer à son ennemi ses Corsaires qui réussirent à prendre pied en divers points
du littoral, depuis Tripoli jusqu'à Alger d'où ils préparèrent les opérations qui allaient avoir raison des
défenses espagnoles organisées autour de Tunis. Malgré la grave défaite subie à Lépante (1571), la flotte
turque reconstituée se joignit aux forces terrestres dirigées par Eulj fAli et Sinan Pacha pour s'emparer,
en 1574, de la Goulette et de Tunis. Ainsi prit fin le rêve qu'avait formé Don Juan d'Autriche — contre la
volonté de Philippe II — de fonder à son profit un royaume en Ifriqya (5).
Période de terreur, de pillage et d'exode pour la population tunisoise, obligée de fuir, à deux reprises
les déprédations de la soldatesque espagnole, italienne et allemande à travers la Médina et ses faubourgs (6)
« Sinan Pacha instaure à Tunis un régime suffisamment stable, qui devait permettre bientôt un renouveau
architectural important » (7).
Ce régime est celui d'un Pachalik faisant de Tunis une province ottomane, comme les Pachaliks de
Tripoli et d'Alger.
Le pacha (ou beylerbeyi) assume les fonctions de gouverneur civil et militaire pour l'administration
de sa province au nom de la Sublime Porte (8). Il est assisté d'un Conseil ou Divan (Diwan) composé d'offi-

1. Ch.A. Julien, op. cit., p. 153.


2. Ibid., p. 152. Après Sidi Bou Said, Sidi Bel-Hassen et Lalla Manoubia qui vécurent au XIIIe siècle — émules de Sidi Bou
Médine, mort à Tlemcen en 1197-98 — Sidi Ben Arous connut, durant sa vie, une étrange renommée ; ses funérailles attirèrent,
dit-on, en 1463, une foule considérable en tête de laquelle se trouvaient les fils du souverain Abou fOthman.

Ibid., p. 152, R. Brunschvig, op. cit., II, p. 317 et ss.


3. R. Brunschvig, articles Tunis et Tunisie, Encyclopédie de VIslam, 1931, IV, p. 885.
J. Pignon. La Tunisie turque et husseinite, dans Initiation à la Tunisie, Paris, 1950, p. 96, Ch.A. Julien, Histoire de l'Afrique
du Nord, Algérie, Maroc, Tunisie (de la conquête arabe à 1830) (2e édit. revue par R. Le Tourneau, Paris, 1952, p. 25 et ss.).
4. Palais de Tunis, I, p. 9 et ss.
5. Ibid. P. Grandchamp, La France en Tunisie, II et III.
6. P. Sebag, Une ville européenne à Tunis au XVIe siècle, C.T., 1961, p. 97-107. Une relation inédite de la prise de Tunis
par les Turcs en 1574. Tunis, 1971. Après avoir été livrée au pillage des troupes espagnoles et abandonnée une première fois par
ses habitants en 1534, Tunis subit à nouveau les méfaits de ses « protecteurs» étrangers qui en occupent les maisons pendant
toute la durée de la construction de la « Nova Arx », aux portes de la ville (Bâb el-Bahr).
7. R. Brunschvig, op. cit.
8. Palais de Tunis, I, p. 11. «Le pacha de Tunis dispose d'un corps d'occupation de 4 000 janissaires (oudjak) composé de
« Turcs naturels» et « Turcs de nation» (renégats). Un agha commande cette milice et a sous ses ordres 40 deys, chacun d'eux
étant à la tête d'une centaine d'hommes ».
R. Mantran, L'évolution des relations entre la Tunisie et Vempire ottoman, du XVIe au XIXe siècle, C.T., 1959, p. 321.
Le terme turc odjak signifie « foyer ».
l'habitation tunisoise 21

ciers supérieurs de la Milice des Janissaires. Mais une révolte de ceux-ci provoquée par les exactions des
boulouk-bachis aboutit à la destitution du pacha qui ne conservera plus désormais qu'un titre honorifique.
Il est alors remplacé à la tête de la Régence par un dey que les Janissaires ont élu. Le Divan sur lequel s'appuie
le nouveau souverain comprend des représentants de la Milice et des Corsaires (1). Un bey est maintenu
auprès des tribus. Son rôle est de les administrer et d'organiser, à l'intérieur du pays, la tournée armée (mehal-
la) qui doit y renouveler deux fois par an la levée des impôts. Enfin, le dey est encore assisté par un Kapoutan
qui a la haute main sur les corsaires. L'un des premiers deys (2) ainsi nommés fut Kara 'Othman (ou 'Othman
dey) (1594-161 1) (3) « qui fit asseoir la terreur à ses côtés ».
Il eut pour tâche essentielle — à l'instar des Sultans hafsides — de rétablir l'ordre et la prospérité dans le
pays avec la répression des désordres causés par les tribus arabo-berbères. On lui doit aussi d'avoir accueilli
des milliers de Morisques chassés d'Espagne par Philippe III et de les avoir installés, selon leur rang et leurs
connaissances, soit dans la Médina ou les faubourgs de Tunis, soit dans les plaines fertiles du Cap Bon ou
les vallées de la Medjerda (4). Cet accueil massif ne manquera pas d'avoir la plus heureuse répercussion
économique, intellectuelle et artistique ; il en résultera surtout une amélioration des industries artisanales
citadines — fabrication des chéchias, tissage de la soie, teinturerie, céramique — aussi bien que de la culture
et de l'arboriculture dans les campagnes.
A 'Othman dey succède son gendre, Yousef dey (1611-1637) qui étend et consolide son domaine avec
le rattachement de l'île de Djerba à la Régence de Tunis et la délimitation des frontières algéro-tunisiennes (5).
Il élèvera, à l'imitation des souverains ottomans, une première mosquée funéraire à proximité de la Kasbah (6).
L'innovation de son minaret octogonal, caractéristique du nouveau rite officiel — hanéfite — s'opposera
au minaret carré de l'ancienne Mosquée hafside consacrée au rite malékite. On sait que ce bouleversement
de l'architecture religieuse traditionnelle sera le seul qui semblera vraiment importer aux yeux des nouveaux
maîtres turcs, à l'intérieur de leur capitale. Aussi ne doit-on pas s'étonner de voir, au XVIIe siècle, puis au
XVIIIe siècle, les beys mouradites et les beys husseinites prendre comme modèle de leur propre mosquée
le style architectural adopté en premier lieu par Yousef dey.
Ailleurs, l'architecture domestique, fidèle à ses lointaines traditions, paraît bien donner satisfaction
à chacun, quelle que soit son origine et sa fortune. Elle bénéficie, en outre, d'un luxe décoratif dû à
l'intervention des artisans venus d'Espagne. Elle répond au goût des notables tunisois de vieille souche, aussi bien
que de la nouvelle aristocratie turque. Les uns tirent leurs ressources de la magistrature ou de l'exercice du
commerce sinon d'un métier noble souvent pratiqué aux alentours de la Grande Mosquée, à l'intérieur des
souks ou de fondouks qui se sont multipliés. Les autres s'enrichissent grâce à leurs fonctions au Makhzen
sans compter les profits que procure à beaucoup la piraterie sur mer, à « l'âge d'or de la Course » (7).

1 . Ta'ifa des Raïs (patrons corsaires).


2. A. Raymond, Une liste des deys de Tunis de 1590 à 1832, C.T., 1960, 4e trim., n° 32, p. 130.
3. Palais de Tunis, I, p. p. 94 et ss. : Palais du Dey Othman.
4. J. Pignon, op. cit., p. 202 (note 156). H.H. Abdulwahab, Apports ethniques étrangers en Tunisie, R.T., nov. 1917, n° 124,
p. 370-379.
Le nombre des émigrés chassés d'Espagne par Philippe III et recueillis en 1609 par 'Othman Dey aurait atteint 60 à
80 000 Morisques.
Ch.A. Julien, op. cit., p. 278-279. « Othman Dey, assure Ibn Abi Dinar, leur fit place dans la ville et distribua les plus
nécessiteux entre les gens de Tunis. »
« La province de vieille civilisation qu'était l'Ifriqiya absorba non seulement des immigrants, mais même les Orientaux
attirés par le régime turc, qui adoptèrent rapidement les modes tunisiennes ».
5. R. Brunschvig, op. cit., p. 898.
6. Jarna' Sidi Yousef. Au voisinage de cette mosquée sont aménagés le Souk el Bchamqiya (mules de cuir), le Souk
el-Trûk (tailleurs et brodeurs de vêtements turcs), le Souk el Berka (vente des esclaves), le Qahouat el-Mrabet (premier Café turc)
proche d'une « mid'a » neuve — transférée au Parc du Belvédère. Par ailleurs, on attribue au ministre de Yousef Dey, Aly Thabet,
l'élévation du minaret carré de la mosquée du Ksar. L. Poinssot, Quelques édifices du Moyen Age et des Temps Modernes, in
Atlas de Tunisie, Paris, 1936, p. 50-51.
7. Ch.A. Julien, op. cit., p. 277 A Tunis comme à Alger, « Toute la population s'enrichissait du commerce des marchandises
et du trafic des esclaves ». D'où les belles habitations qui sont alors édifiées aussi bien à la ville qu'à la campagne.
Sur «l'esclavage en Barbarie», p. 279-281.
22 J. REVAULT

Cependant les deys ne conserveront pas le pouvoir (1), la puissance militaire et financière détenue par
les beys devant leur assurer la prééminence et leur permettre de prendre à leur tour la tête de la Régence.

Les Beys Mouradites (XVIIe siècle)


En transmettant, en 1641, ses fonctions de bey — qu'il détient depuis 1613 — à son fils Mohamed, le
renégat corse Mourad (Osta Moratto Corso) fonde la nouvelle dynastie des Beys mouradites.
De même que son père, dont il a conservé la valeur guerrière, Mohamed bey — mieux connu, par la suite,
sous le nom de Hamouda Pacha (1640-1663) — fait régner l'ordre, du Nord au Sud de la Tunisie, si bien que
« les marchands pouvaient circuler partout sans armes avec leurs marchandises » (2).
« Après lui les Muradites se succédèrent — ses fils Murad et Muhammad al-Hafsi, ses petit-fils
Muhammad, 'Ali, Ramadan — au milieu de luttes intestines et de compétitions... » (3).
Le premier qui reçut la charge de bey, Mourad II, eut à reprimer la révolte des Ousseltia, dont les
montagnes demeureront un foyer d'insurrection jusqu'au siècle suivant.
On dit que ce souverain aimait mener une existence fastueuse au Palais du Bardo, préludant à la remise
en honneur de l'ancienne résidence hafside par les Beys husseinites.
Les troubles qui suivent son règne (1663-1675) ne pourront être arrêtés par les tentatives d'Ibrahim
Chérif (1702-1705) et son usurpation des titres de pacha, bey et dey. Il n'évitera pas à la capitale l'occupation
algérienne encore aggravée par une épidémie de peste. « Jusqu'en 1675, l'Etat de Corsaires que constitue la
Régence de Tunisie bénéficie de la paix que lui apportent les maîtres étrangers de la Dynastie Mouradite.
Ceux-ci se révèlent de grands bâtisseurs, et comme les deys qui les ont précédés, ils se plaisent à embellir la
ville de monuments d'intérêts public, religieux et civils — mosquées, medersas, mausolées, fontaines, citernes,
ponts. Grâce à eux, les souks s'étendent autour de la Grande Mosquée et en divers points de la Médina.
Des palais et demeures somptueuses s'élèvent à l'intérieur de la cité et dans la campagne environnante » (4).
Au nombre des travaux les plus importants que réalisent les Mouradites à l'intérieur de la Médina, il
y a lieu de retenir la restauration de la Grande Mosquée (5) — minaret et portiques entourant la cour —
et de la médersa ech-Chamma'iya ; la construction, dans leur voisinage, de la Mosquée funéraire de Hamouda
Pacha (ou de Sidi Ben Arous) ; l'aménagement de nouveaux souks proches de la Zitouna ; l'extension du
souk des chéchias et la création de la Medersa Mouradiya au Souk el-Qomach (6).
On attribue aussi à Hamouda Pacha l'édification du Dâr el-Bey, à côté de la Kasbah — tout au moins
dans sa première partie - — ainsi que l'embellissement du palais du Bardo dont profitera son fils Mourad II (7).
A la fin du XVIIe siècle, l'ancien oratoire de Sidi Mahrez est surélevé d'une importante mosquée
couronnée de coupoles claires évoquant les lieux de prières d'Istanbul, fondation pieuse dont bénéficiera le
quartier Nord de Bâb Souika.

1. A Yoused Dey succéda Osta Mourad (Osta Moratto Genovese). Mort en 1640, ce dey fut inhumé près du Souk des
Selliers et de Bâb Menara, dans un mausolée aujourd'hui en ruines. Avec lui disparaît l'autorité des deys.
2. Ibn Abi Dinar el-Kairouani, Histoire de l'Afrique, trad. Pellissier et Rémusat, Paris, 1845, Hamouda Pacha renforce son
armée en créant auprès de la milice des Janissaires un corps de fantassins (zwâwa) et de cavaliers (sbaïhiya).
3. R. Brunschvig, op. cit., p. 898. Ramadan ou Romdane bey.
4. Palais de Tunis, I, p. 15. R. Brunschvig, op. cit., p. 886-887.
5. L. Poinssot, op. cit., Reconstruction du minaret de la Grande Mosquée en 1894.
6. On doit encore ajouter : la restauration de la Medersa el'Onqiya, rue rOnq Jmel et la fondation de la Medersa el-Hafsiya,
rue Achour. C'est en 1859-60 que le Divan autorisa, près de Bâb el Bahr, la construction d'un Fondouk destiné à abriter le Consul
de France, le P. Jean Le Vacher, et les commerçants chrétiens installés à Tunis — à l'exception des Anglais et Hollandais. P.
Grandchamp, op. cit., III et IV. J. Pignon, op. cit., p. 109.
7. Palais de Tunis, I et II.
l'habitation tunisoise 23

A Tunis comme à Alger, l'embellissement de la ville avec la construction de monuments d'intérêt public
résulte bien souvent d'un enrichissement particulier à l'époque, provenant des prises en mer dans lesquelles
la vente des captifs ne représentait pas le moindre profit (1). Mais les dissensions, que les derniers Beys Mou-
radites n'ont pu éviter, ne manquent pas de provoquer des troubles qui s'étendent à l'ensemble du pays ;
cette situation se trouvera encore aggravée par l'invasion étrangère, l'armée algérienne ne cessant guère de
guetter les défaillances de ses voisins pour chercher à s'emparer de la capitale (2).

Les Beys Husseinites (XVIH-XIXe siècles)


Dans la capitale en proie à l'occupation algérienne et à une épidémie de peste, un nouveau maître va
s'imposer. Un agha des spahis, Hussein b. Ali Turki, est reconnu Bey et repousse l'envahisseur (1705).
Constantinople lui accordera le titre de pacha (1708) et une assemblée spéciale l'hérédité du pouvoir (1710).
Avec lui naîtra la Dynastie Husseinite (3).
Le règne du nouveau bey s'annonça donc sous d'heureux auspices. Il sut prendre à la fois les mesures
sages et énergiques qui s'imposaient pour accomplir certaines réformes et rétablir l'ordre sur tout le territoire
de la Régence.
« Le bey Hassine ben Ali, écrit Mohammed Seghir ben Yousef (4), gouverna toujours à la satisfaction
de ses sujets, et fut pitoyable aux pauvres. Ses intentions étaient pures, et son cœur rempli de bonté ; il rendit
la justice en appliquant la loi sainte de Notre Seigneur Mohammed, et remit en honneur les préceptes de la
sounna illustre. Sous son règne, les routes devinrent sûres et le pays prospère... les villes et les jardins se
repeuplèrent et des palais, en nombre incalculable, furent construits dans la campagne, ce qui ne s'était pas vu
aux époques précédentes ».
On pouvait espérer une longue période de tranquillité sans la malheureuse intervention de 'Ali Pacha,
neveu du Bey Hussein et prétendant au trône. Après avoir fomenté des troubles (5) et provoqué des
soulèvements parmi les tribus arabes, tout en recherchant l'appui des Algériens (6), 'Ali Pacha réussit à vaincre son
oncle qui s'était réfugié à Kairouan (1740). S'étant emparé du pouvoir, il devait périr seize ans plus tard
(1756) sous les coups de l'armée algérienne gagnée à la cause des fils du Bey Hussein et à leur rétablissement
sur le trône de leur père (7).
La sagesse et la fermeté avec laquelle Mohamed et 'Ali gouvernèrent successivement la Régence (1756-
59, 1759-82) (8) rendirent l'espoir à ses habitants et préparèrent l'heureux avènement de Hamouda Pacha
(1782-1814).
Par son intelligence et son énergie, le nouveau souverain mit un terme aux abus des Janissaires et réussit
à tenir en respect les Algériens à ses frontières, tout en cessant de leur payer tribut. Il assura l'ordre et la
sécurité à l'intérieur de la Régence (9), établissant les conditions favorables à la reprise d'un sérieux essor
économique, indépendamment d'une recrudescence de la Course en mer. Son règne s'illustra aussi par d'importantes

1. Ch.A.Julien, op. cit., p. 278.


2. Palais de Tunis, I, p. 16.
3. Ibid., I et II. R. Brunschvig, op. cit., p. 887.
4. Mohammed Seghir ben Youssef, Mechra el-Me/ki, Paris, 1900.
5. Ibid., pp. 189-196. « Les gens de la capitale s'étaient divisés en deux partis opposés, les Hussainiya (partisans d'Hussein)
et les Bachiya (partisans du Pacha), division qui persista souvent après la mort des deux souverains. »
6. Ce fut pour eux une nouvelle occasion d'un « sac épouvantable » de la capitale (1736).
7. A. Rousseau, Annales tunisiennes, Alger, 1864, p. 300. « Les Algériens en profitèrent pour envahir la Tunisie. Ils entrèrent,
sans effort, dans la capitale, prirent et décapitèrent le bey et proclamèrent un fils de Hosain, Mohamed, qui dut accepter de
payer tribut (1756)».
8. Ch.A. Julien, op. cit., p. 300.
9. Ibid, Palais de Tunis, II, p. 16-17. Durant le règne de Hamouda Pacha, la Révolution française, l'Expédition de
Bonaparte en Egypte et les guerres napoléonniennes durent être également ressenties jusqu'à Tunis.
24 J. REVAULT

constructions civiles, religieuses et militaires (1). Le rôle bienfaisant qu'il exerça en faveur de son pays permet
de le considérer comme le dernier bey de grande envergure.
Les beys Mahmoud ben Ali (1814-1824) et Hussein ben Mahmoud (1824-1835) sont témoins du
développement de la puissance européenne qui suscite une nette amélioration des rapports commerciaux appuyés
par la suppression de la Piraterie (Traité d'Aix-la-Chapelle, 1818) et l'intervention de la France en Algérie
(1830) (2).
Avec l'arrivée au pouvoir d'Ahmed Bey (1837-1855) (3), on rêva de faire de la Tunisie un «petit
Etat moderne organisé à l'Occidentale (4)» ; premier gage d'un libéralisme nouveau, on décréta l'abolition
de l'esclavage, des libertés furent accordées aux Juifs et on autorisa l'ouverture d'écoles chrétiennes.
L'influence française se révéla bientôt prépondérante lorsque le Bey Ahmed fut reçu à Paris par Louis
Philippe avec les égards dûs à un souverain (1846) (5). Il en revint ébloui par les visites organisées en son
honneur. En « despote éclairé », il résolut alors de faire œuvre de novateur sans tenir compte malheureusement
du temps et des ressources dont il disposait. Ses réalisations coûteuses et disproportionnées furent alors
vouées à l'échec, entraînant la ruine de ses finances et de son pays (6).
Cette situation continua à s'aggraver devant l'impuissance des successeurs d'Ahmed Bey, Mohamed
Bey (1855-1859) et Saddok Bey (1859-1881). La vénalité de leur entourage et la corruption de ministres tout
puissants précipitèrent encore la suite des événements dont on connaît le dénouement avec l'intervention des
Puissances étrangères et l'instauration du Protectorat Français.
Entre le XVIIIe et le XIXe siècles, la Dynastie Husseinite mit à profit les périodes de paix et de prospérité
pour apporter à la cité de nouveaux embellissements (7). Se conformant au style adopté dans leurs mosquées
funéraires par Yousef Dey et Hamouda Pacha, le Bey Hussein ben Ali éleva une « Mosquée neuve » (Jama'
Jdid) dans les quartiers Sud de la Médina. On lui doit aussi la construction de plusieurs medersas et
mausolées (8). D'autres fondations pieuses marquèrent également le règne d'Ali Pacha (9).
Hamouda Pacha accorda un soin particulier à étendre les constructions du Dâr el-Bey (10) et du Bardo (1 1).
Il se plut à y ajouter le palais de la Manouba édifié au milieu de jardins (12). On vante aussi ses ouvrages
militaires, casernes de Janissaires et remparts des faubourgs destinés à renforcer la sécurité de la capitale.
La prodigalité d'Ahmed Bey n'a guère laissé que les ruines d'un rêve trop ambitieux : le palais de la
Mohammadia — rival du Bardo — qu'il fit élever entre Tunis et Zaghouan (13).
A ses successeurs, Hussein ben Mahmoud, Mohammed et Saddok, revient le mérite de s'être efforcé de
rehausser le prestige du Palais du Bardo (14), qui demeura toujours la résidence officielle particulièrement
chère aux Beys Husseinites.

1. Infra.
2. R. Brunschvig, op. cit., p. 898, J. Pignon, op. cit., p. 111. « La conquête d'Alger par la France débarrassait la Tunisie
d'un ennemi séculaire. Aussi le Bey de Tunis adressa-t-il ses félicitations au vainqueur, le comte de Bourmont».
J. Ganiage, les origines du Protectorat Français en Tunisie (1861-1881), Paris, 1959, p. 14-18. Cet événement ne fut pas
sans inquiéter la Turquie jalouse d'une suzeraineté pourtant très affaiblie sur les Régences Barbaresques.
3. Palais de Tunis, 11, p. 18. Ahmed Bey, fils de Mustafa Bey, frère de Hussein Bey auquel il succéda peu de temps.
4. J. Pignon, op. cit., p. 111.
5. J. Ganiage, op. cit., p. 18.
6. Ibid., p. 69-71. R. Brunschvig, op. cit., p. 889-899.
7. Palais de Tunis, II, p. 19 et ss.
8. Ibid., Médersa el-Jdida attenante à Jama rJdid, rue des Teinturiers ; Medersa es-Soghra, rue Sidi es-Sourdou ; Médersa
en-Nakhla, rue des Libraires ; Torba Sidi Kassem es-Sababti (qui renferme la sépulture du Bey Hussein) ; Torbet 'Aziza 'Othmana,
impasse ech-Chammaiya ; Torba Kara Mustafa Dey, Place du Ksar (d'où elle a disparu vers 1961).
9. Ibid, Medersas Hawanit Achour, Slimaniya, Bachiya et Bir el-Hijar.
10. Ibid., p. 294-307.
11. Résidences d'été, III, p. 303.
12. Ibid., p. 347.
13. J. Ganiage, op. cit., p. 179. « II s'y installait en 1846 avec sa cour et son armée, multipliait les constructions et s'efforçait
de créer une ville royale autour de son palais. Ahmed Bey voyait grand, il ne ménageait pas l'argent ; il aurait englouti des millions
dans ses constructions de la Goulette et de la Mohammedia ».
14. Palais de Tunis, II, p. 25.
l'habitation tunisoise 25

ORIGINE ET ÉVOLUTION DES TECHNIQUES DE CONSTRUCTION ET DU DÉCOR

En décidant leur installation sur des hauteurs défendues par de grandes étendues d'eau — lacs et mer —
les conquérants arabes, puis berbères, pensaient bien assurer le mieux possible la sécurité de leur nouvelle
cité ifriqyenne.
C'est, sans doute aussi, la présence de l'eau dans le sous-sol des collines qui confirma la détermination
de s'établir à cet endroit ; élément vital pour les populations à venir, l'eau souterraine recherchée au fond
des puits s'augmentant, en outre, de l'eau du ciel recueillie dans les citernes (1) à la saison des pluies.
En agissant ainsi, les habitants musulmans de la ville neuve ne pouvaient méconnaître l'exemple tracé
par leurs devanciers phéniciens et romains. Us ne paraissent pas moins initiés aux techniques locales
antérieures dans la construction de leurs demeures. De même celles-ci s'inspirent-elles, dans leur plan et leur
configuration générale, de la maison gréco-romaine trouvée sur place ainsi que des habitations de Samarra et de Fostat
bâties sur les rives du Tigre et du Nil (2).
A cette double influence — occidentale et orientale — les Tunisois se sont également soumis, en adoptant
notamment un élément caractéristique constitué par la cour intérieure, auquel ils demeureront fidèles pendant
des siècles. Ce sera le centre exclusif de toute vie familiale. Autour s'ouvrent les pièces d'habitation, voire
les communs. Une autre forme architecturale apparaît avec les chambres des palais et riches demeures, née
de Y œcus gréco-romain et de Vlwan mésopotamien ; elle correspond au défoncement médian (kbû) de la
pièce en T destiné, à Tunis, aux réunions et réceptions intimes (3).
Le choix de ce cadre particulier, si fréquent dans le Bassin Méditerranéen, avec sa fermeture complète
sur l'extérieur, ne pouvait que satisfaire un même goût d'indépendance et la même exigence à l'égard de la
claustration à l'intérieur de chaque habitation citadine.
On constate que les principes essentiels qui commandent la distribution d'une simple demeure tunisoise
(fig. 145) ou l'ordonnance d'un palais se maintiennent longtemps presque immuables. En fait, les règles
architecturales appliquées ici ne s'opposent pas à certaines variations dans les techniques et modes de
construction — emploi de moellons, briques et pierres de taille ; couvertures en voûte ou en charpente ; introduction
de portiques et loggias... Elles s'accomoderont aussi bien de modifications apportées au cours des siècles
dans le décor extérieur et surtout intérieur — pavements, lambris, plafonds. Il ne pouvait en être
différemment dans un pays soumis à tant d'influences successives, venues de l'Orient et de l'Occident (4).
Cette évolution du décor de l'habitation tunisoise ressort particulièrement de la pierre et du marbre
sculptés — ou incrustés. On peut les considérer sans doute comme les éléments traditionnels les plus originaux
et les plus anciens, associés à la fois à la structure des murs et à leur parure (5).
Il n'en va guère autrement de la ferronnerie dont les solides grilles et l'ingénieux cloutage contribuent à
la protection des ouvertures et à leur embellissement, au dedans comme au dehors de toute maison citadine (6).

La construction aux époques romaine et byzantine


Pour comprendre les modes de construction employés à Tunis tant au Moyen Age, sous les Hafsides,
qu'aux siècles suivants, aux époques turque et husseinite, il est nécessaire de se reporter aux périodes anté-

1. Palais de Tunis, I, p. 75-76.


2. Ibid., p. 44-52.
3. Ibid., p. 54-74.
4. Ibid., p. 75-90, I, II, III, passim.
5. Infra.
6. Infra.
26 J. REVAUI.T

rieures qui les ont inspirées. Il apparaît clairement, en effet, que les constructeurs qui ont œuvré dans la
nouvelle capitale islamique, ont emprunté leurs principales techniques aux civilisations romaine et byzantine
dont la Tunisie toute entière s'était enrichie auparavant. Aussi bien continuèrent-ils à bénéficier des matériaux
régionaux dont leurs prédécesseurs avaient largement usé pour l'édification des monuments publics et des
divers types d'habitation (1). On ne doit donc pas s'étonner de retrouver plus tard l'emploi des mêmes matériaux,
tels que calcaire (keddâl), grès coquillier (harsh) et marbre (khram) sans compter les différents éléments —
sable, chaux, argile — rentrant dans la composition des mortiers, briques crues ou cuites. Le recours aux
carrières régionales contribua également au maintien de formes architecturales — ouvertures, arcs, colonnes,
voûtes — longuement éprouvées auparavant et auxquelles on ne devait pas manquer de demeurer fidèle
par la suite.

Techniques romaines

Dans son traité sur la construction, Vitruve recommandait lui-même l'emploi des matériaux locaux (2),
en commençant par le plus courant, l'argile, qui mêlée de paille, donnait la brique crue (3) avant l'usage de
la brique cuite. C'est un mélange semblable qui rentrait aussi dans la préparation d'un mur en pisé au moyen
d'un coffrage en planches (4).
On préférait, dit-on, pour l'élévation d'un mur, des pierres de dureté moyenne, résistant mieux aux
charges, aux gelées et au feu (5).
On se serait alors contenté de l'emploi de ce matériau, même dans l'édification des monuments publics,
l'usage du marbre n'apparaissant pas avant le règne d'Auguste sous forme de revêtements décoratifs (6).
En dehors des murs bâtis en pierre de taille, à joints vifs — sans mortier — ou en moellons liés au mortier
de sable et de chaux (7), existaient des formes de construction mixte. Dans le système grec, on procédait par

1 . Communication de Charles Saumagne : « Les matériaux locaux employés par Puniques et Romains étaient le calcaire,
le tuf et le grès coquillier du Cap Bon.
L'exploitation des carrières de grès coquillier s'effectuait dans les falaises creusées de latomies près du village actuel
d'El-Haouaria. Les blocs taillés sur place étaient roulés jusqu'aux ouvertures donnant sur la mer — à 15 cm au-dessus du niveau
de l'eau à marée haute. — De là ces blocs étaient chargés sur des radeaux que l'on remorquait à la rame jusqu'au lieu de
destination, principalement Carthage et Utique. Le long de la côte, on peut voir aussi les excavations des carrières d'où l'on extrayait le
tuf coquillier qui était utilisé jusque dans les villes de l'intérieur. Il ne semble pas que l'on ait continué à exploiter les carrières de
grès et de tuf coquilliers après la période romaine. On se serait plutôt contenté du remploi de ces matériaux provenant notamment
de Carthage et d'Utique qui furent entièrement dévastées et pillées. L'exemple d'un tel remploi nous est donné par celui des
colonnes antiques débitées sur place ».
Selon A. Lézine, l'exploitation des carrières du Cap Bon n'aurait été reprise qu'entre le IXe et le XIe siècle.
L. Maurin, Thuburbo. Majus et la Paix Vandale, C.T., t. XV, 1967, p. 239. A. Lézine, Architecture romaine, s.d., p. 139-141.
2. A. Choisy, Vitruve, I, Paris, 1919, p. 7 et ss.
3. Ibid. Préparation de ces briques au printemps et en automne. Séchage à l'ombre. Brique grecque carrée ; brique romaine
oblongue, p. 22 et ss. A Rome, les briques mesuraient un pied et demi sur un pied. Dans la construction d'un mur, elles étaient
disposées par files, au cordeau, alternant avec une rangée de demi-briques en assises sur un bord et sur l'autre. On vantait leur
résistance dans la réalisation d'ouvrages importants à Athènes et à Rome — enceintes, temples, maisons.
4. Ibid.
5. Ibid., p. 10-1 1. Avant d'être utilisée, la pierre tendre, extraite en été, devait subir, pendant deux ans, l'épreuve de
résistance aux gelées.
6. Ibid. Emploi de la poussière de marbre dans la fabrication des stucs.
7. A. Lézine, Notes sur la consolidation des monuments historiques de Tunisie, Tunis, 1953, p. 13. « Les Romains, Byzantins
et Arabes ont tous employés la chaux grasse mélangée au sable de rivière, de dune ou de carrière, avec ou sans incorporation de
tessons de poterie écrasés ou même de cendre de bois ».
A. Choisy, Vitruve, p. 12-13, 26-30. Pour préparer le mortier de chaux (chaux grasse), la meilleure chaux était tirée de
calcaires. Sa transformation donnait lieu aux trois états suivants : mottes à la sortie du four (calx viva) ; chaux gâchée ou pâte
(calx macerata) ; chaux fusée (calx extincta), pulvérisée par une rapide immersion ou addition d'eau. En dehors de son usage
dans les travaux de maçonnerie et de bétonnage, la chaux grasse n'était employée pour les enduits qu'au bout de deux ans.
l'habitation tunisoise 27

assises de moellons maçonnés, de taille régulière ou non (1). Le système (ou emplecton) romain désignait un
ouvrage ainsi conçu : à l'intérieur d'un coffrage en dalles de pierre posées sur champ était agrégé, par
pilonnage, un massif composé de couches alternatives de cailloux et de mortier (2).
La consolidation des gros murs à parements de moellons nécessitait un liaisonnement artificiel en bois,
imputrescible. Le secours du bois était encore nécessaire pour remédier aux inconvénients d'un sol vaseux,
impropre aux fondations ordinaires. On avait alors recours à l'appui d'une substruction sur pieux plantés en
quinconce — avec charbon pilé entre les têtes de pilotis (3). On connaît enfin la faveur que les Romains
accordèrent au mélange de la pierre et de la brique cuite — formant arase et chaînage — superposées en couches
alternées (4).
Dans la préparation des mortiers, leur préférence allait au sable de carrière — sinon au sable de rivière —
que l'on mélangeait à l'eau et à la chaux par un corroyage énergique (5). On y ajoutait parfois des poussières
de tuileaux ou de poterie, voire de la cendre de bois (6). Le mortier romain acquérait, dit-on, avec le temps,
une dureté et une résistance remarquables.
Briques et moellons servaient aussi à la construction d'arcs et de voûtes. Au sujet de celles-ci, A. Lézine
nous rapporte les observations suivantes : « On a le plus souvent affaire en Tunisie à des voûtes en blocage,
... dans les monuments romains où elles sont dans bien des cas contruites sur coffrage perdu, composé de
tubes en poterie spéciaux, encastrés les uns dans les autres... Le poids des voûtes en blocage est diminué
parfois, par l'incorporation dans leur masse d'éléments de terre cuite, grandes amphores cassées dans les
voûtes romaines... » (7).
Si le linteau droit caractérisait la plupart des portes, linteau droit monolithe ou linteau appareillé —
parfois avec crochets (8) — il arrivait que celui-ci fut surmonté d'un arc de décharge cintré, le même arc
cintré et appareillé étant retenu pour donner la forme classique d'une fenêtre (9).

1. Ibid., p. 26-30. Emplecton grec : « Maçonnerie de moellons bruts, liaisonnée par des parpaings « diatomi » et parementée
en moellons taillés. Dans chaque assise, les moellons de parement se présentent en boutisses sur une rive, en carreaux sur l'autre
rive ; chaque parement est une alternance de carreaux posés par files sur des files de boutisses, et formant des harpes où s'engagent
et s'enchevêtrent les moellons bruts du garni... L'emplecton grec fut en usage à Rome dans l'ancienne architecture; à l'époque
de Vitruve, la tradition ne s'en est conservée que dans les campagnes».
2. Ibid. Ce mode de construction manquait, dit-on, d'homogénéité. Pour obtenir une structure égale et compacte propre
à assurer l'étanchétié des parois d'une citerne, les Romains utilisaient le bétonnage : « Le béton proprement dit, où les cailloux
sont d'avance malaxés avec le mortier, porte, lorsqu'il est aggloméré par battage, le nom de signinum opus».
3. Ibid., p. 31-33. Les meilleurs bois étaient recherchés sur les versants méridionaux, avec l'abattage des arbres en automne
— au moment du ralentissement de la sève. On appréciait surtout une sorte de mélèze avant le sapin (abies) et le chêne ; la faible
résistance du cèdre, du cyprès, du pin et du genévrier, les faisait reléguer en second lieu malgré leurs qualités d'imputrescibilité.
4. G. Lugli, La teclmica edilizia romana, \, Rome, 1957, p. 643 et ss. Il, passim.
5. A. Choisy, op. cit., p. 15-16. Après le sable de carrière et le sable de rivière souvent trop chargé de limon, venait le sable
de mer que l'on ne pouvait utiliser qu'après un lavage à l'eau douce pour en enlever le sel. On évitait son emploi dans la
construction des voûtes.
6. Ibid. Il semblait avantageux de remplacer éventuellement le sable par la poussière de tuileaux.
7. A. Lézine, op. cit. L'auteur signale le recours à des procédés semblables par des constructeurs musulmans en Tunisie.
G. Lugli, op. cit., I, p. 665 et ss. Voûtes édifiées en éléments de poterie, tuyaux ou autres formes.
A. Choisy, p. 35-36. La construction voûtée, qui apparaît tardive chez les Romains, ne présente, à l'époque de Vitruve,
que deux types exécutés en moellons le berceau (« camera ») et la voûte sphérique. « Rien ne fait présumer l'usage de la voûte
d'arête ».
:

8. Communication de Ch. Saumagne. L'emploi d'anciennes portes carthaginoises — montants et linteau — dans
l'architecture ifriqyenne, pourrait expliquer que celles-ci aient ensuite servi de modèle, avec leur forme générale et leurs moulures,
aux encadrements caractéristiques des portes droites de Tunis, voire de Kairouan, Sousse et Sfax.
9. La forme cintrée, conservée dans l'arc de décharge des édifices musulmans de Tunisie, entre le IXe et le XIe siècle, sera
maintenu plus longtemps dans les ouvertures surmontant les portes droites (claustra).
28 J. REVAULT

Techniques byzantines

Comme la maison romaine, l'habitation byzantine était axée sur une cour intérieure, avec ouvertures
— portes et fenêtres — droites ou cintrées (1). Ses murs appareillés en pierre de taille ou en briques et moellons
par couches alternées supportaient une terrasse ou un toit à deux pentes (2)
« Dans tous ces types, le corps du mur est toujours en blocage, les moellons assez gros étant soit jetés
pêle-mêle dans la gangue du mortier, soit disposés par assises régulières » (3). Souvent, sur les deux faces,
des pierres de taille forment le revêtement, liées au mortier, en l'absence de tout scellement habituel à
l'architecture romaine (4).
« Le mortier se compose en général d'un tiers de chaux grasse, un tiers de sable, un tiers de brique pilée,
qui en assure la consistance et en fait une sorte de béton. Ainsi, il peut être, sans crainte d 'endettement,
employé sous les épaisseurs que lui attribuent les Byzantins » (5).
Ceux-ci disposent, avec la colonne en marbre ou en bois, d'un autre élément porteur. Sa fonction diffère
alors du rôle surtout décoratif affecté à la colonne romaine. Son emploi est fréquent dans les galeries et loggias
donnant sur la cour intérieure (6). Tandis que sa base est souvent copiée de la base antique, le chapiteau
importé est parfois caractérisé par l'adoption d'une forme nouvelle, circulaire au-dessus du fût, carrée sous
la retombée des arcs (7). On signale aussi l'usage de la brique et de la pierre pour l'exécution de colonnes
rondes et de piliers quadrangulaires destinés également à supporter des arcades (8).
L'une des grandes innovations que l'on reconnaît aux constructeurs byzantins est le perfectionnement de
la voûte et de la coupole. S'appuyant sur les murs, colonnes et piliers, ces voûtes avaient recours au cintre
lorsqu'elles étaient bâties en pierre de taille ou moellons. En utilisant la brique, les Byzantins élevèrent leur
voûte dans l'espace, sans l'aide du cintre. « Ce fut l'une des nouveautés caractéristiques que leur architecture
emprunta à l'Orient». A cet effet, ils usèrent de plusieurs procédés. La solution la plus pratique — solution
mixte — consistait à commencer la construction par lits rayonnants, aussi longtemps qu'elle était possible
sans cintre ; puis, changeant de procédé, on la terminait par tranches (9).

1. L. Brehier, Le monde byzantin, La civilisation byzantine, Paris, 1950, p. 29 et ss.


2. L. Brehier, op. cit., p. 31-32.
3. Ch. Diehl, Manuel d'art Byzantin, I, Paris, 1925, p. 169 et ss.
4. A. Choisy, Vart de bâtir chez les Byzantins, Paris, 1872, p. 11-13. En Asie, l'emploi du mortier dans la construction
appareillée remonte au IIe siècle av. J.C., le gypse y était parfois exigé. Le meilleur type de parement : brique, pierre, mortier
(blanc rougeâtre) se trouvait en Grèce.
Ch. Diehl, op. cit., p. 170. « Pour consolider la construction, chaque assise présente, mêlées aux blocs posés sur leur lit
de carrière, des pierres posées en délit qui s'insèrent dans l'épaisseur du mur et font office de boutisse. Mais plus souvent la brique
fait le fond de la construction byzantine. L'échantillon usuel mesure de 0 m 30 à 0 m 45 de côté sur 0 m 04 à 0 m 05 d'épaisseur ;
il est cuit très soigneusement et porte généralement une estampille. Tantôt cette brique est employée uniquement dans la
construction, alternant avec des lits de mortier d'une épaisseur égale et souvent supérieure à celle des briques. Tantôt elle se mêle à
la construction en blocage, et des assises régulières de briques, souvent au nombre de trois, généralement au nombre de cinq,
interrompent alors le blocage, formant arases et donnant à la masse une liaison transversale bien assurée. Tantôt elle remplace
les boutisses et s'intercale en une, deux ou trois assises, entre les cours de moellons... ».
5. A. Choisy, op. cit., p. 9 et ss. Importance du mortier employé en couches épaisses. Le béton obtenu avec de la tuile
écrasée ou de la brique pilée donnait aux maçonneries une grande consistance. On recherchait la chaux provenant de préférence de
la cuisson du marbre, utilisée selon un vieil usage romain, après trois ans d'extinction. A défaut du marbre coûteux, on se
contentait de poussière de calcaire délitée à l'eau avant d'être répandue sur du sable ou des tuileaux piles avec lesquels on la mélangeait
pour obtenir le mortier.
6. Ch. Diehl, op. cit., p. 170. Colonne tantôt monolithe, tantôt faite de tambours « sur feuille de plomb laminé d'un
millimètre d'épaisseur». A. Choisy, op. cit., p. 16-17 « L'usage des lits de plomb remonte à l'époque du Haut Empire et, tout aussi
bien que celui du mortier dans les constructions d'appareil, il se rattache à des origines orientales... ».
7. Cette disposition sera retenue dans la forme des chapiteaux hispano-mauresques, infra.
8. Ch. Diehl, op. cit., p. 170-171.
9. Ibid.
A. Choisy, op. cit., p. 19 et ss. La voûte par tranche offrait une poussée moindre que la voûte par assises. La construction
d'une voûte d'arête résultait de la combinaison de deux berceaux entrecroisés « Le tout se réduit à mener de front l'exécution
des deux berceaux élémentaires... »
l'habitation tunisoise 29

« Les voûtes ainsi construites purent être de différents types, voûtes en berceau, voûtes d'arête résultant
de la pénétration de deux berceaux, voûtes sphériques sur plan circulaire ou coupoles. L'emploi de la brique,
on le sait, facilita prodigieusement la construction de ce dernier type » (1). L'allégement de la coupole devait
être encore recherché au moyen de tubes de terre cuite emboîtés les uns dans les autres (2). « Plus tard, l'usage
se répandit de monter les coupoles sur des tambours cylindriques et polygonaux, ayant aux angles, comme
contreforts, des colonnes engagées reliées par des arcades » (3). Il fallut alors résoudre le problème que posait
le raccord du tambour au plan carré qu'il surmontait, en s'inspirant encore de l'architecture orientale. D'où
la réalisation de la coupole sur trompes, et de préférence sur pendentifs (4).
Le constructeur byzantin jouait des divers modèles de voûte — berceau, voûte d'arête, coupole — qu'il
connaissait pour établir des combinaisons d'équilibre, selon l'emplacement et le niveau des parties à couvrir.
« Pour assurer enfin la solidité de tout l'édifice, on double volontiers la tête de la voûte par des arcs en
décharge, exécutés en matériaux plus épais que ceux de la voûte même » (5).
C'est aussi dans un but de consolidation que l'on noya des chaînages en bois dans l'épaisseur de la
coupole et des murs (6) tout en étayant ceux-ci par des contreforts placés, non à l'extérieur — comme en
Occident — mais à l'intérieur (7).
Dans l'art de construire des Byzantins, tout est combiné et calculé pour résister au jeu des poussées.
« Les poussées des voûtes réclament des masses d'appui d'un type nécessaire, qui découle du système des
voûtes comme son corollaire et rend un plan byzantin reconnaissable à première vue » (8).
On ne doit pas s'étonner du rayonnement extraordinaire que dut exercer l'architecture de
Constantinople, non seulement sur toute l'Asie Mineure mais aussi dans les limites de l'Empire Byzantin. De la capitale
essaimèrent sans doute les meilleurs architectes et les artisans les plus qualifiés qui répandirent les nouvelles
règles du bâtiment ainsi que l'usage des matériaux correspondants (9).

1. Ch. Diehl, op. cit., p. 172.


2. Ibid.
A. Choisy, op. cit., p. 70-71. L'auteur estime que cette méthode qui appartient au vieux fond de l'art byzantin —
emboîtement de tubes en spirale — n'a laissé de souvenir qu'en Syrie et sur la côte d'Afrique. En Syrie aurait été maintenu l'usage
de tubes, non emboîtés, mais disposés en voussoirs, scellés avec un bon mortier. Ce procédé assurait aux habitations qui
l'utilisaient une défense efficace contre les températures extrêmes. Il ne semble pas avoir été ignoré en Tunisie où l'on eut recours
jusqu'au siècle dernier à des matériaux de même nature, légers et isothermiques, infra.
3. Indépendamment de l'intérieur de monuments religieux tunisois — mausolées, zaouïas, etc. — certaines drîba présentent
un aspect architectural comparable à celui qui est décrit ici — Entrée des Dâr 'Othman, Dâr Romdane Bey... Infra, Palais de

Tunis, I, II, III.


Ch. Diehl, op. cit., p. 171. Création de niches arrondies pour la consolidation et l'allégement des murs sous coupoles.
4. Ch. Diehl, op. cit., p. 173. A. Choisy, op. cit., p. 87 et ss. Difficultés rencontrées, au début, par les Romains pour appuyer
leur coupole sur un plan carré, avec la pose de pierres d'angle transversales.
Les voûtes de Jérusalem paraissent appartenir à l'époque de Justinien (VIe s.). « Vers le Xe siècle, sous les empereurs
Macédoniens, l'usage se répand de séparer la coupole des pendentifs par un tambour en tour ronde ».
5. Ch. Diehl, ibid., A. Choisy, ibid.
6. Ibid., p. 1 15 et ss. Les Byzantins comptaient sur le secours du chaînage dans deux cas : pendant la période des tassements
et lors des secousses accidentelles du sol, un système de butée s'opposant aux efforts permanents. Chaînage des murs, piédroits,
arcades et galeries voûtées. « Dans les murs byzantins, des longrines et des traverses s'associent habituellement pour former de
véritables grillages ».
7. En Tunisie, contreforts intérieurs, sinon arcs doubleaux, renforcent fréquemment les murs et les voûtes des communs
{makhzeri).
8. Ch. Diehl, op. cit., p. 181. A. Choisy, op. cit., p. 105 et ss.
La voûte sphérique est la plus recherchée car elle cause moins de poussées... « Une voûte sur pendentifs concentre sa
poussée sur ses quatre angles, une voûte sur trompes la partage entre huit points de son pourtour ».
A Sainte Sophie, les coupoles ont été réservées à la partie supérieure de l'édifice, les voûtes d'arête aux galeries inférieures.
9. Ch. Diehl, op. cit., p. 181 et ss.
30 J. REVAULT

La maison byzantine
Les renseignements que l'on possède sur l'habitation byzantine proviennent surtout de la Syrie qui a
seule conservé des ruines de villas rurales et de maisons urbaines (IVe-Ve siècles). On y trouve plusieurs
corps de bâtiment de deux ou trois étages disposés autour d'une cour intérieure — habitation et
dépendances — (1). Dans une large façade extérieure souvent nue et percée de rares fenêtres, la porte cochère était
flanquée d'une tour pourvue ou non d'un balcon. Par contre, portiques et loggias s'ouvraient sur trois côtés
de la cour généralement assez vaste (2). Au rez-de-chaussée, une grande salle de réception était aménagée
dans la partie antérieure où elle était réservée aux hommes. L'étage, auquel on accédait par un escalier
extérieur était affecté aux femmes et aux enfants (3).
Ayant pris à l'origine, ses techniques de construction à l'antiquité occidentale et orientale, les bâtisseurs
byzantins firent bénéficier à leur tour, les pays du Bassin Méditerranéen des perfectionnements importants
qu'ils apportèrent eux-mêmes à ces techniques. Rappelons à ce sujet le jugement émis par A. Choisy : « L'art
classique personnifie le génie grec dans son expansion libre et spontanée ; l'art byzantin, c'est l'esprit grec
s'exerçant au milieu d'une société à demi asiatique, sur des éléments empruntés à la vieille Asie».
Les qualités d'élégance, de netteté et de flexibilité ont alors répondu à la civilisation du Bas-Empire :
« Toutes les architectures de l'Orient se sont inspirées de ses exemples (4) ».

Architecture musulmane et techniques ifriqyennes

Période aghlabite, IXe siècle

Le plan et la configuration de l'habitation tunisoise se sont inspiré de bonne heure, nous l'avons vu,
des maisons gréco-romaine et mésopotamienne. Aux anciennes civilisations fut également emprunté l'art
de bâtir avec le choix des matériaux et des éléments de construction les plus caractéristiques. Nous en voyons
l'application en Ifriqya, dès l'instauration du règne des Aghlabites au IXe siècle (800-909). G. Marçais en
a donné une description précise que nous rapportons dans les lignes suivantes :

« Matériaux et appareils (5)


Les bâtisseurs du IXe siècle ont employé le pisé, la brique crue, la brique cuite, le moellon et la pierre
de taille.
Pisé et briques crues. Le pisé (tâbiya), mélange de terre et de chaux pilonné entre deux panneaux de bois,
paraît avoir été d'un usage courant dans les constructions civiles et militaires. On l'emploie seul ou en
combinaison avec la brique crue (toûb) faite de terre dans laquelle on incorpore de la paille hachée, comprimée
dans un calibre et séchée au soleil...

1. L. Brehier, op. cit., p. 29. « La plupart sont datées suivant l'ère des Séleucides par des inscriptions grecques. Bâties en
magnifique appareil à joints vifs, avec des galeries, des balcons couverts, des terrasses, des cuisines souterraines, de larges écuries,
elles témoignent d'une vie large et opulente... »
2. La cour à trois portiques sera aussi, à Tunis, une particularité de la riche demeure citadine aux XVIIe et XVIIIe siècles
sinon à l'époque hafside.
3. Ibid., p. 32. « A l'intérieur, les pièces étaient disposées aux divers étages autour d'une grande salle, le triclinium, placé
au rez-de-chaussée ou au premier étage, mais dont la hauteur était celle de l'édifice ». L'ensemble était pourvu de latrines. Au-delà
de la cour avec puits ou citerne, un jardin renfermait souvent un bain privé. Tout indiquait une vie pratique et aisée, servie
par une nombreuse domesticité.
Un pareil souci inspirera plus tard l'aménagement des luxueuses demeures tunisoises et leur division intérieure —
publique et privée.
4. A. Choisy, op. cit., p. 6.
5. L'Architecture Musulmane d'Occident, Paris, 1954, p. 39 et ss.
l'habitation tunisoise 31

II est difficile de décider si l'emploi de la brique crue et du pisé est un apport de l'Orient ou une
survivance locale. L'Afrique romaine ne les a pas ignorés et l'on sait que les toûb sont d'un usage très général
et vraisemblablement ancien dans tout le Sud de la Berbérie (1).
Briques cuites. Semblable incertitude concerne l'emploi de la brique cuite, habituelle dans certains
monuments romains comme les Thermes et, d'autre part, constituant, en Mésopotamie, de grands édifices comme
ces minarets à rampe en hélice, prototypes probables de celui de 'Abbâssiya. Par une singulière fortune, la
brique cuite (âjoûr) dite aghalbi (Paghlabite) est encore connue des maçons kairouannais; et c'est elle qu'on
trouve, en assez faible quantité d'ailleurs, dans le tell de 'Abbassiya... (2).
Moellons et pierres de taille, mortiers et enduits. Les moellons réunis par un excellent mortier et revêtus
d'un enduit épais figurent dans certains murs de villes et dans les travaux hydrauliques. La composition
des mortiers et des enduits, où se marquent les étapes d'une évolution, fournit d'utiles données
chronologiques. Assez différents des mortiers et des enduits romains, ceux des Aghlabites s'en distinguent de plus en
plus... Ils sont plus riches en sable et chaux et contiennent des débris de tuileaux... le charbon de bois entre
dans la composition de plus en plus abondant.
Les moellons se combinent avec la pierre de taille employée comme parement ou comme chaînages ».
La pose des pierres en délit, interrompant les assises de distance en distance, est pratiquée au IXe siècle (3)
selon un procédé connu dans l'Afrique romaine (4).
« L'appareil de pierre de taille présente souvent une très notable régularité.
Bois. A ces matériaux, il faut ajouter le bois, qui s'insère dans les murs de Sfax sous forme de longrines
noyées dans la maçonnerie... (5)».
A la même époque, l'auteur de Y Architecture Musulmane d'Occident rappelle le rôle important affecté
à l'usage des colonnes et des arcs. Colonnes de remploi arrachées aux temples et basiliques, éléments
antiques — romains et byzantins — sur lesquels on posa, non des architraves, mais des arcs outrepassés ou cintrés.
Les arcs. Comme l'art musulman occidental, l'art ifriqyen aurait adopté, en premier lieu, la forme cintrée
des arcs de la Mosquée d"Amr. De même attribue-t-on à l'Egypte l'inspiration de l'arc brisé dont l'usage se
répandit dans de nombreux monuments de l'Afrique du Nord et de l'Espagne (6).
«L'arc outrepassé, dit «enfer à cheval» (menfoukh — gonflé). Il est parfois en plein cintre, tracé au
moyen d'un seul coup de compas et autour d'un centre unique (7). Tel il nous apparaît, au IXe siècle, dans
les portes de dimensions réduites, dans les ouvertures de mihrâbs et dans les arcatures décoratives. Plus
souvent l'arc outrepassé, pour lequel s'impose une proportion plus élevée est brisé (mahmoûz = poussé, allongé
en pointe)... ». A ces diverses formes s'ajoute l'arc découpé en lobes circulaires utilisé par l'Ifriqya aghlabite

1. Ibid, « Le rapprochement des mesures (0,42 cmxO,21 cmx 0,105 cm) inciterait d'autre part à rattacher l'emploi de ce
matériau à la Syrie oméiyade ».
2. Ibid. « Son épaisseur est assez constamment de 45 mm. Comme longueur et largeur, elle varie de 210 mmX 115 mm à
220mmXl50mm».
3. Ibid, p. 41. Ribât de Monastir, Moquée de Kairouan, Zaytouna à Tunis.
4. Ibid, Capitole de Dougga, constructions agricoles de la Province.
5. Ibid, p. 42.
6. Ibid, p. 45.
7. Cette forme d'arc apparaît déjà à l'époque wisigothique en Espagne, où elle sera l'objet d'une curieuse prédilection
dans l'architecture des Omeyades — comme dans celle des Aghabites. Cf. Terrasse, Islam d'Espagne, Paris, 1958.
32 J. RE VAULT

dans les fenêtres et les arcatures décoratives de petites dimensions. L'origine en demeure obscure (1). Ainsi
l'Art Tunisien du IXe siècle dispose-t-il déjà d'une variété d'arcs spécifiquement musulmans (2).

Les colonnes
En dehors des colonnes à chapiteaux antiques qui partagent en nefs et travées la salle de prières de la
Mosquée de Kairouan, la coupole qui précède le mihrab de celle-ci s'orne de colonnettes dont les chapiteaux
se différencient assez nettement des modèles classiques. Dérivés lointains du chapiteau corinthien, ils
présentent, sur chaque face, deux feuilles larges et lisses généralement soudées par le bas et s'écartant l'une de
l'autre en V. Une feuille arrondie ou lancéolée, monte dans l'intervalle et parfois se détache en relief sur
l'abaque...
On peut affirmer que nos chapiteaux ifriqyens, s'ils ne sont pas directement issus des modèles d'Egypte
procèdent d'une série de même famille et se rattachent à l'art chrétien d'Afrique (3) ». Il est alors possible
de reconnaître dans le chapiteau original décrit plus haut le précurseur du chapiteau hafside dont on verra
la fortune à partir du XIIIe siècle (4).

Sous l'impulsion de l'Islam, on a pu vanter, en Ifriqya, la renaissance du IXe siècle. Elle s'est manifestée
par un renouveau des activités urbaines et architecturales (5). Une transition s'y effectua, sans rupture, entre
l'art de la Berbérie romaine, puis byzantine et celui d'une Berbérie musulmane. En faisant appel aux
constructeurs locaux — probablement d'origine chrétienne et africaine (6) — les nouveaux maîtres respectèrent les
traditions du pays. Ils ne manquèrent pas de maintenir l'application des vieilles techniques connues des
maçons, sculpteurs, mosaïstes et peintres qu'ils employèrent.
Par ailleurs, la Province d'Afrique contenait tant de ruines importantes qu'il paraissait impossible
d'échapper à leur influence, soit avec l'utilisation directe de certains bâtiments, sinon de leurs matériaux, soit par
l'imitation de l'ancien style architectural. Il s'y ajouta cependant, dans l'esprit des conquérants asiatiques,
avec le souvenir du faste de Bagdad, la tentation de copier ses monuments, ses palais et ses jardins.
« Ainsi les leçons de la Mésopotamie lointaine, celle de l'Egypte plus proche, se superposent aux
traditions locales qui, semble-t-il, demeurent prépondérantes » (7).

Période fatimide et sanhajienne, Xe- XIIe siècles


Sous le règne des Fatimides et de leurs successeurs, les Zirides sanhajiens (909-1148) également venus

1. G. Marçais, op. cit., p. 45. «Il n'est pas absolument étranger au style chrétien d'Afrique. On peut supposer toutefois
que l'Orient qui l'avait transmis au pays à l'époque byzantine, le lui a fait parvenir de nouveau à l'époque musulmane».
2. Ibid.
3. Ibid, p. 46-47. Sans doute existe-t-il, au IXe siècle, d'autres types de chapiteaux proprement musulmans ; certains avec
un décor végétal (palmier ?) ; d'autres ornés de « rosaces familières à notre art ifrîqyen ».
4. Palais de Tunis, I, Infra.
5. G. Marçais, op. cit., p. 60-61.
6. Ibid. Des affranchis d'origine non musulmane étaient chargés, dans l'entourage des émirs, de surveiller les nouvelles
constructions. « Auprès des gouverneurs immigrés, ces hommes de confiance représentaient la primauté de la civilisation locale
et en assuraient la permanence ».
7. Il en résultera un art proche de notre art roman : « Analogie explicable, car les mêmes éléments hellénistiques et
orientaux contribueront à former l'art roman, mais deux siècles plus tard et sans que le premier art ait en rien déterminé l'apparition
du second ».
l'habitation tunisoise 33

de l'Ouest, le goût du luxe et de la grandeur ne cessa de s'imposer avec l'influence accrue de l'Egypte et de
la Mésopotamie.
Dédaignant les derniers palais construits par les Aghlabides à Kairouan (1), le Mahdi et son fils (2),
en fondant leur nouvelle capitale, Mahdia (915) sur le littoral, y édifièrent de somptueuses résidences (3).
Celles-ci semblaient alors préluder à la réalisation du grand rêve fatimide, la conquête de l'Egypte prestigieuse
que le Calife El-Moïzz allait doter de sa propre cité royale, Le Caire (El-Qahira) (970) dans laquelle
s'élèveraient, au voisinage du Nil, des palais magnifiques au milieu de jardins (4).
S'il ne subsiste que de rares vestiges de ces anciennes constructions en Ifriqya, on peut cependant en avoir
quelque idée grâce aux monuments contemporains qui, en divers endroits, ont conservé certains éléments
architecturaux caractéristiques. On retiendra notamment les défoncements, les coupoles, les niches, les arcs
et les colonnes. Ces formes constructives sinon décoratives ont été relevées, en premier lieu, à la Qal'a des
Beni-Hammâd (5). « Ce que l'on trouve surtout, à l'intérieur des salles, ce sont les niches à fond plat, thème
fécond et dont il est intéressant de noter les variations. Parfois un seul défoncement couvert en berceau se
creuse au milieu du mur opposé à l'entrée, là où nous le trouvons dans les intérieurs modernes (6). Parfois,
deux autres défoncements semblables prolongent les faces latérales de la pièce... Enfin le palais du Manâr
nous a fourni un exemple de plan cruciforme obtenu au moyen de niches défonçant les quatre parois d'une
salle carrée (7).
Au Manâr, voûtes d'arête, coupole sur trompes en demi-voûtes d'arête (les premières) dont on verra
l'emploi fréquent tant en Sicile qu'au Maghreb à partir du XIIe siècle. Il faut sans doute en chercher l'origine
en Mésopotamie qui pratiqua la voûte d'arêtes et donna de la trompe d'angle des solutions si variées» (8).
Déjà au IXe siècle, les coupoles de la Mosquée de Sidi Oqba nous avaient familiarisé, à l'intérieur de leur
tambour, avec l'emploi des niches à fond plat (9). L'usage généralisé de celles-ci tel qu'il ressort du célèbre
porche de la Mosquée de Mahdia et des façades des mosquées de Sfax et de Tunis (Jama* El-Qsar) (10) laisse
à penser que les palais et les riches demeures fatimides et sanhajiennes ne devaient pas présenter un aspect
différent.
Ces constructions civiles en auraient retenu le principe, au-delà des temps hafsides jusqu'au terme de
leur prolongement, à l'époque turque (XVIIe s.). Aussi l'importance accordée par G. Marçais à leurs
défoncements caractéristiques mérite-t-elle d'être soulignée (11) : «Parmi les grandes formes décoratives que mit

1. Ibid., p. 78 et ss. Palais de Raqqâda.


2. Obeid Allah et Aboû 1-Qâsim.
3. Ibid. Mahdia fut le siège des deux premiers émirs fatimides et des deux derniers zirides, avant de devenir momentanément
une cité normande. Avec l'installation du souverain sanhajien El-Mansour est élevé le palais de Cabra Mançouria dont le plan
rappelle celui des maisons touloûnites de Fostat.
4. Ibid. Le palais d'El-Moïzz — édifié près d'El-Azhar — et celui de son successeur, El-Aziz (décrit par El-Bokri) étaient
séparés par la place de Bain el-Qaçraïn.
5. Ibid, p. 81 et ss. La Qal'a des Béni Hammâd comprend notamment le palais de Dâr el-Bahr et le Manâr. L. Golvin, La
Qal'a des Beni-Hammâd, Paris, 1966.
6. Cette particularité architecturale continuera à marquer, aux siècles suivants, les salles d'honneur et les appartements
des palais et luxueuses habitations de Tunis, Palais de Tunis, I, II, III.
7. Le plan cruciforme sera remis en honneur aux XVITI0 et XIXe siècles dans certaines salles d'apparat, urbaines et
suburbaines de la région tunisoise. Ibid, II et III.
8. G. Marçais, op. cit., p. 87.
9. Ibid, Premières niches ifriqyennes ressemblant à celles d'Okhaydir et du Qaçr el-'Achiq, près de Samarra.
10. Ibid, p. 87 et ss. On doit aussi mentionner les arcatures à fond plat répétées aux étages supérieurs du minaret de la Qal'a
des Beni-Hammâd, sur les tours du Borj el-'Arif (à l'ouest de Mahdia) et dans les monuments de la Sicile normande. On signala
encore la présence de ces niches au Palais de Bougie (disparu) et au Qsar des Béni Khorassân à Tunis.
1 1 Ibid, p. 88-89.
.
34 J. REVAULT

en œuvre l'art fâtimite et canhâjien, il n'en est pas qui s'impose plus immédiatement à l'attention que les
défoncements en niches. Il y a bien là ce qu'on peut appeler un principe de décor. Pour meubler les vastes
surfaces de leurs façades, les artistes de cette période n'ont pas imaginé qu'il y eût moyen plus sûr que d'y
ménager des creux allongés, à fond plat ou demi-cylindrique, terminés à leur sommet en voussure ou en demi-
coupole » (1).
Les Fatimides conservent aussi les divers types d'arcs — cintrés, outrepassés, brisés, lobés — utilisés
par leurs prédécesseurs, en y ajoutant l'arc recti-curviligne. En outre les colonnes ne different pas de celles
des monuments aghlabites, remplissant le même rôle de support au-dessous des arcs, sinon de décor à l'angle
des piédroits ou à l'ouverture des mihrâbs. On retrouve encore, en complément des colonnes, des types
de chapiteaux correspondant à ceux qui ont été décrits plus haut : en effet, en dehors « des chapiteaux plus
proches du corinthien avec acanthes et caulicoles », se perpétue le chapiteau orné de « quatre feuilles lisses
qui se recourbent en crochets aux quatre angles » (2).
Nous avons déjà annoncé l'évolution de cette forme au Moyen Age et quelle en serait la facture jusqu'aux
temps modernes.
On doit aussi noter la variété des consoles de pierre ou de bois issues de modèles aghlabites ou antiques.
C'est enfin aux époques fatimide et ziride que les voûtes d'arête prennent une importance nouvelle
avec le remplacement plus fréquent des voûtes en berceau et des anciens plafonds en charpente.
Cette particularité, que l'on relève en son temps dans l'aménagement intérieur des mosquées (3),
conservera longtemps la faveur des bâtisseurs. Jusqu'à la fin du siècle dernier, on peut alors observer une préférence
marquée pour la voûte en briques dans certaines parties de l'architecture domestique, dépendances sinon
appartements du rez-de-chaussée (4).
Après la période fatimide, l'époque ziride laissera le souvenir d'un âge d'or aux goûts fastueux.
L'originalité de ses constructions apparaîtra dans les vestiges que l'on aura pu préserver et dont « un des traits
les plus notables de l'architecture çanhajienne est la composition de vastes façades» conformes aux
antécédents mésopotamiens.

Période almohado-hafside, XIIe- XVP siècles

En permettant la création d'un nouveau royaume ifriqyen sous l'égide de la dynastie hafside, la conquête
almohade partie du Maghreb ouvrit l'ère d'une longue période de paix et de prospérité favorable au
développement d'une civilisation souvent brillante. Dès lors, Tunis, érigée en capitale d'une Ifriqya soumise à un
gouvernement berbère, continua, sans doute, d'appliquer, dans la création de ses quartiers d'habitation et
l'élévation de ses monuments civils et religieux, les règles de construction élaborées aux siècles précédents.
Mais celles-ci ne devaient plus bénéficier seulement, comme auparavant, des influences de l'Egypte et de
l'Orient ; désormais architecture et décor allaient s'enrichir des innovations remarquables réalisées par
l'Espagne musulmane, grâce à l'émigration d'une grande diversité d'artisans andalous.
Des chroniques relatives à cette époque nous renseignent sur l'organisation des corporations artisanales

1 . Ibid, p. 100-102. Apparition des nids d'abeilles d'origine mésopotamienne dans les demi-coupoles hammâdites préludant
à celle des stalactites (moqarnas) en Berbérie.
2. Ibid, p. 104-105. « Au milieu de chaque face et en haut, une sorte de tasseau triangulaire, en forme de cornet, occupe
l'intervalle des feuilles». Ce chapiteau sanhajien a été identifié sur le site de Cabra, dans la Mosquée Zitouna et celle des Béni
Khorassân.
3. Mosquées de Tunis (El-Qsar), Sfax, Sousse, Mahdia... Mode de construction hérité de la Mésopotamie et adopté plus
argement par les bâtisseurs des Xe, XIe et XIIe siècles, sans doute en raison d'une pénurie de bois de charpente, Ibid, p. 125-127.
4. Palais de Tunis, I, II, III.
l'habitation tunisoise 35

réparties entre les différentes spécialités du bâtiment. Il suffit alors de s'y reporter pour comprendre
l'importance qui était accordée à la qualité des travaux soumis à des critères précis et au contrôle sévère du moh-
taseb, chef suprême de l'ensemble des corporations (1).
C'est ainsi qu'Ibn Khaldoun, l'auteur des Prolégomènes, nous rapporte ses observations sur l'art de
bâtir, au temps des Hafsides (2) :
« (Murs) L'art de bâtir se partage en plusieurs branches : l'une consiste à faire des murs avec des pierres
de taille (ou en briques), que l'on cimente ensemble au moyen de l'argile ou de la chaux, matières qui, en se
consolidant, forment une seule masse avec ces matériaux. Un autre mode de bâtir, c'est de construire des
murs avec de l'argile seulement. On se sert pour cela de deux planches de bois, dont la longueur et la largeur
varient selon les usages locaux ; mais leurs dimensions sont en général, de quatre coudées sur deux... (3).
Ce genre de construction s'appelle tabia (pisé) ; l'ouvrier qui la fait est désigné par le nom de taouwab
(piseur).
(Chaux) Une autre branche de l'art de bâtir consiste à revêtir les murs de chaux, que l'on délaye dans
de l'eau et qu'on laisse ensuite fermenter pendant une ou deux semaines (4). Elle acquiert alors un
tempérament convenable, s 'étant débarrassée de la qualité ignée qui s'y trouvait en excès et qui l'aurait empêchée
de tenir. Quand l'ouvrier juge qu'elle est bien préparée, il l'applique sur le mur et la frotte jusqu'à ce qu'elle
y reste attachée.
(Terrasses) La construction des toits forme encore une branche de cet art (5). On étend, d'un mur à
l'autre, des poutres équarries, ou bien des morceaux de bois non dégrossis, sur lesquels on pose des planches
qu'on assujettit au moyen de chevilles. On verse là-dessus un mélange de terre et de chaux qu'on bat ou qu'on
aplatit avec des pilons, de manière que les particules de ces deux matières soient intimement combinées et
forment une surface solide (6). On recouvre ensuite cette surface d'une couche de chaux, de la même manière
que pour le crépissage des murs ».
Ibn Khaldoun nous renseigne également sur les conditions observées par dignitaires du Makhzen et
notables dans l'édification de leurs palais et riches demeures (7).
« Quelques personnes font élever des palais et de vastes constructions renfermant plusieurs corps de
logis et une foule de chambres et de pavillons, afin d'y installer leurs fils, les autres membres de leurs familles,
leurs domestiques et leurs subordonnés. Les murs de ces édifices se composent de pierres liées ensemble par
un ciment de chaux ; ils sont enduits de plâtre et peints en diverses couleurs, et le tout ensemble est orné et

1. R. Brunschvig, La Berbérie Orientale sous les Hafsides, des origines à la fin du XVe siècle, 2 vol. ,Paris, 1940-1946.
2. Ibn Khaldoun, Prolégomènes, Paris, 1865, p. 369 et ss.
3. Ibid. « On dresse ces planches sur des fondations (déjà préparées), en observant de les espacer entre elles, suivant la largeur
que l'architecte a jugé à propos de donner à ces mêmes fondations. Elles tiennent ensemble au moyen de traverses en bois que
l'on assujetit avec des cordes ou des liens ; on ferme avec deux autres planches de petite dimension l'espace vide qui reste entre
les [extrémités des] deux grandes planches, et l'on y verse un mélange de terre et de chaux que l'on foule ensuite avec des pilons
faits exprés pour cet objet. Quand la masse est bien comprimée, et que la terre est suffisamment combinée avec la chaux, on y
ajoute encore de la terre à plusieurs reprises, jusqu'à ce que le vide soit tout à fait comblé. Les particules de terre et de chaux se
trouvent alors si bien mélangées qu'elles ne forment qu'un seul corps. Ensuite on place ces planches sur la partie du mur déjà
formée, on y entasse encore de la terre et l'on continue jusqu'à ce que les masses de terre, rangées en plusieurs lignes superposées
forment un mur dont toutes les parties tiennent ensemble, comme si elles ne faisaient qu'une seule pièce... »
Cette technique murale demeura longtemps connue et pratiquée dans toute l'Afrique du Nord. P. Ricard, Pour comprendre
Fart musulman, Paris, 1924, p. 91 et ss.
4. Ibn Khaldoun, op. cit., p. 372.
5. Ibid, p. 373.
6. On a maintenu ce procédé à Tunis pour l'aménagement des terrasses. Infra.
7. Ibid, p. 370-371.
36 J. REVAULT

embelli de manière à faire reconnaître l'extrême soin qu'on a mis à se préparer une magnifique demeure (1).
On y dispose aussi des conduits pour les eaux, des souterrains pour emmagasiner les grains (2) et des écuries
pour les chevaux, dans le cas où le propriétaire appartient à la classe militaire et a beaucoup de subordonnés
et de serviteurs. Tels sont les émirs et les personnages de haut rang.
Les magistrats ont quelquefois recours à l'avis des architectes quand il s'agit de bâtiments, parce que
ceux-ci s'y entendent mieux que les autres hommes (3). Dans les grandes villes, la population est si nombreuse
et si pressée que chacun tient, comme un avare, à l'emplacement (qu'occupe sa maison) et à la jouissance
de l'air (dans toutes les parties de l'habitation), depuis le haut jusqu'en bas ; il ne permet à qui que ce soit
de tirer parti de l'extérieur de sa maison, de peur que cela ne nuise à la solidité des murailles. Il empêche
ses voisins d'en profiter, à moins qu'ils n'aient le droit de le faire. On a des contestations au sujet du droit
de passage, des ruelles, des égouts et des conduits qui laissent écouler les eaux de ménage... ».
D'autres contestations sont naturellement fréquentes entre voisins à propos de la hauteur des murs,
le partage de bâtiments, etc. Ibn Khaldoun insiste aussi sur la nécessité, pour un architecte, de posséder des
connaissances en géométrie aussi bien pour assurer l'équilibre de certains murs et déterminer l'écoulement
des eaux que pour toutes autres opérations de même nature. Il ne doit pas ignorer non plus l'usage des
machines indispensables à l'élévation des matériaux lourds sur un chantier (4).
Déjà au début du XIIe siècle, nous savions, par le traité d'Ibn 'Abdun, le soin particulier apporté à
l'organisation artisanale du bâtiment et au perfectionnement de ses techniques dans l'Espagne musulmane d'où
leur influence allait se porter en Ifriqya (5).
« L'industrie du bâtiment occupe des maîtres maçons et des maîtres charpentiers et menuisiers. Ils
doivent se conformer à des mesures-types, qu'il s'agisse de blocs de pisé, de poutres maîtresses, de solives
ou de planches de parquet. Il en va de même des fabricants de tuiles et de briques, qui doivent avoir des
moules de dimensions déterminées, dont les étalons, auxquels on peut toujours se reporter en vue de
vérification, sont en principe suspendus dans la grande mosquée (6). La préparation et la vente de la chaux font
travailler de nombreux ouvriers ; il y a aussi des potiers et des verriers.
L'industrie du fer est également assez active et occupe des forgerons, des cloutiers, des maréchaux-
ferrants... (7).
Pour ce qui est des bâtisses, elles constituent des refuges où s'abritent les âmes, les esprits et les corps (8).
Aussi doit-on veiller à tout ce qui a trait aux matériaux de construction.
C'est ainsi qu'il faut d'abord s'assurer que l'épaisseur donnée aux murs est suffisante, que les grosses
poutres maîtresses employées pour la bâtisse ne sont pas trop écartées les unes des autres, car ce sont elles qui
supportent le poids de l'édifice et le soutiennent. L'épaisseur de chaque pan de maçonnerie de la façade ne
devra pas être inférieure à deux empans et demi (9). Les recommandations qui précèdent feront l'objet de
prescriptions du cadi et du muhtasib auprès des maîtres d 'œuvre et des maçons...

1. A Tunis, l'enduit au plâtre — où il remplaçait le simple enduit au mortier — était réservé aux murs des plus riches
habitations. Les couleurs évoquées ici par Ibn Khaldoun semblent concerner, à l'intérieur des chambres, les parties supérieures
ornées de plâtre sculpté (naksh hadida) que ces couleurs devaient rehausser. La mode en aurait été importée d'Espagne et du Maroc.
2. On peut entendre par là, soit les silos (matmura) creusés dans le sol, exclusivement réservés aux céréales, soit les caves
(damus) longtemps utilisées comme magasins à vivres (makhzen).
3. Ibid, p. 374-375 « Les architectes sont plus ou moins habiles, et... leur talent est toujours en rapport direct avec la
puissance de la dynastie sous laquelle ils vivent... ».
4. Ibid, p. 375-376.
5. E. Lévy-Provençal, Seville musulmane au début du XIIe siècle. Le traité d'Ibn 'Abdun, Paris, 1947, p. XXIV.
6. L'usage de ces moules en bois (kâleb, kwâleb) n'est pas entièrement abandonné des potiers nord-africains, tout au moins
en milieu rural. A Testour (Vallée de la Medjerdah), il est encore en honneur pour la préparation des briques et des tuiles creuses.
7. E. Lévy-Provençal, op. cit., p. XXV. Aux artisans du bâtiment sont ajoutés ceux qui exerçaient d'autres métiers.
8. Ibid. p. 74.
9. Ibid. Empan égyptien = 225 m/m.
l'habitation tunisoise 37

Les briques doivent être épaisses et de la dimension du mur à construire (1). Une série de formes-types
destinées à fixer l'épaisseur des briques, la surface des tuiles... se trouveront chez le muhtasib ou seront
suspendues dans la mosquée-cathédrale. Ces formes seront en bois dur... Les maîtres ouvriers auront d'autres
exemplaires de ces formes-types pour leur travail. C'est là l'un des points les plus importants et essentiels
sur lesquels doit s'exercer un contrôle.
Les tuiles et les briques doivent être fabriquées hors des portes de la ville (2) ; il y a lieu de mettre à
la disposition de leurs fabricants les abords du fossé qui protège la cité, car ils y disposeront de terrains plus
spacieux que les emplacements qu'ils occupent actuellement, d'autre part les espaces vides se font de plus
en plus rares en ville » (3).
D'autres recommandations concernent la taille des poutres et voliges, la résistance des cordes de puits,
la consolidation des doubles paniers de sparterie et des couffins pour le transport de la terre et de la glaise,
sans compter la fabrication des échelles « qui doivent être en bois épais et massif, munies de forts montants
et bien clouées, sans quoi elles pourraient occasionner des accidents » (4). Enfin, on ne doit pas moins veiller
à la qualité du plâtre et de la chaux ainsi qu'à leur mode de vente: « On ne vendra le plâtre qu'à la mesure,
de même, la cendre et la chaux... (5) on ne vendra la chaux que criblée ; de même le plâtre et la cendre».
Sur l'évolution de l'architecture hafside, il y a encore lieu de retenir les observations de G. Marçais.
En réalité, il s'agit surtout de la variation de modes constructifs et décoratifs. L'auteur de V Architecture
Musulmane d'Occident constate en effet le caractère permanent du plan classique de l'habitation tunisoise
avec sa cour intérieure et ses chambres donnant ou non sur une ou plusieurs galeries. Les plus belles de ces
chambres demeurent fidèles à la conception des salle et antisalle groupées en T et dérivées de Viwân mésopo-
tamien (6).
Les constructeurs du Moyen Age se montrent, en même temps, très attachés à certains éléments de
structure traditionnelle tels que la voûte d'arête (7), l'arc, la niche à fond plat, la colonne, et le mur appareillé
en pierre de taille. On peut cependant y relever les transformations suivantes : élévation de murs avec
alternance d'assises minces et d'assises épaisses, dont le minaret de la Kasbah présente l'un des premiers exemples
(8) ; adoption de l'arc brisé outrepassé caractéristique des belles portes almohades en honneur au Maghreb
et en Espagne (9), et retenu aux nouvelles entrées de la Médina de Tunis — Bâb Jdid, Bâb Menara... — comme
à celles d'autres constructions hafsides ; colonne en marbre (ou pierre) à fût cylindrique et chapiteau issu
du type sanhajien ou du modèle hispano-maghrébin. Dans ce dernier « l'évolution, qui s'indiquait déjà an

1. Ibid, p. 75.
2. Ibid, p. 75-76. « II y a lieu d'améliorer la cuisson des briques et des tuiles... Il sera prescrit aux briquetiers de fabriquer
régulièrement les différentes sortes de briques... Cela leur sera prescrit par le muhtasib et les chefs de la corporation des maçons.
On ne doit pas utiliser, pour la fabrication des briques, des tuiles et des briques crues, des moules usagés qui ont été rabotés et
ont perdu de leur épaisseur ; ces moules doivent être massifs, de longueur, de largeur et d'épaisseur déterminées et connues du
muhtasib et des ouvriers... ».
3. Des mesures semblables furent adoptées à Tunis où les potiers (Qellaline) auraient été installés, depuis longtemps, extra
muros, Cf. Palais de Tunis, I.
4. Ibid, p. 77.
5. Le kafiz de chaux doit avoir une valeur de vingt cinq kadahs, à cause des cailloux et des déchets qu'elle contient.
6. G. Marçais, op. cit., p. 359. On pourrait suivre cette survivance «en pays musulman depuis les palais d'Okhaïdir (2e
moitié du VIIIe s.) et de Samarra (IXe s.), dans les maisons touloûnites de Fostat (IXe s.) et les salles récemment exhumées de
Cabra (Xe s.) ... à l'Alhambra de Grenade».
Dans la cour intérieure, le péristyle gréco-romain est de conception hellénistique.
7. Employée surtout depuis le Xe siècle.
8. Cet appareil en pierre de taille, relevé aussi dans d'autres monuments hafsides (Medersa ech-Chamma'iya, Mid'at
el-'Attarine, etc.) a été sans doute adopté pour l'embellissement des palais hafsides construits dans l'enceinte de la Kasbah.
9. Portes des Oudaïas (Rabat) et du Chellah au Maroc ; Porte du Vin à l'Alhambra, en Espagne.
38 J. REVAULT

XIIe siècle, s'achève et se précise » (1) avec la superposition de deux parties distinctes. Ces deux parties
du chapiteau sont meublées de décors de faible relief. L'une et l'autre comportent des éléments traditionnels...
la partie inférieure « cylindrique invariablement enveloppée de ce méandre incurvé au sommet », élaboré à
l'époque almohade.
« Les faces du parallélépipède s'accomodent d'un décor plus libre. Des formes florales sans tige, en
ordonnance compacte, occupent ces sortes de panneaux rectangulaires. Toutefois, au milieu de ces palmes
et de ces fleurons, se reconnaissent quelques éléments permanents... (2).
Parallèlement à ces types importés, les artistes tunisiens dont certains étaient rebelles aux modes
étrangères continuaient à sculpter des formes où s'avéraient les traditions proprement ifrîqyennes ».
Elles caractérisent des chapiteaux cylindriques s'évasant en calice, dérivés des chapiteaux sanhajiens du XIe
siècle, et « meublés, aux angles, par quatre feuilles lisses dressées » (3).

* **

Ainsi se sont perpétués, à travers les siècles, des méthodes de construction et l'emploi de matériaux
inchangés, nés de survivances locales et enrichis d'influences extérieures. Il en résultera, à la fin du Moyen Age,
des traditions longuement éprouvées, sinon perfectionnées, que l'on se gardera d'abandonner au moment
de la disparition des souverains hafsides. Nous verrons comment les nouveaux maîtres turcs conserveront
ces traditions et en tireront le meilleur parti possible pour l'embellissement de leur capitale.
Ce n'est qu'au XVIIIe siècle, avec l'apparition de la dynastie husseinite, qu'interviendront des
changements importants dans l'architecture tunisoise, sans porter atteinte, cependant, aux principes essentiels de
l'habitation citadine de la Régence, hérités de ceux de l'ancienne Ifriqya (4).

Le décor de la pierre et du marbre


L'ancienne Province d'Afrique étant devenue terre d'Islam, il n'y eut pas rupture, nous l'avons dit,
entre les techniques de construction romaines ou byzantines et celles que les conquérants musulmans
adoptèrent au VIIIe siècle. Pour des raisons semblables, ceux-ci ne se comportèrent pas autrement à l'égard de
l'ornementation de leurs monuments civils et religieux, en empruntant aux peuples vaincus leurs traditions
décoratives. Ils y étaient incités par la présence d'une multitude de ruines païennes et chrétiennes qu'ils
ne manquèrent pas d'utiliser fréquemment, sinon d'en copier le décor en même temps que les modes de
construction. Cette imitation ne pouvait que leur être facilitée par la survivance d'ateliers d'artisans spécialisés
notamment dans la sculpture de la pierre et du marbre et demeurés fidèles aux formules ornementales des
époques précédentes.
Enfin les matériaux nécessaires à la pratique de cet art se trouvaient toujours en abondance dans les

1. Ibid, p. 341.
2. Ibid. Le modèle le plus souvent représenté « s'inspire directement du chapiteau andalou et maghrébin des XIIIe et
XIVe siècles. On le trouve à l'intérieur de la petite mosquée funéraire de Sidi el-Jâllizî et sa présence à la Mîdhâ du Soûq el-
'Attârîn atteste la contemporanéité de la mîdhâ et de la zâwiya (milieu ou deuxième moitié du XVe siècle) ». L'usage s'en
perpétuera à l'époque turque comme en témoignent, au Dâr Othman, la façade extérieure et les colonnades intérieures, ainsi qu'au
Mausolée de Sidi Yousef où des colonnettes de même type flanquent les angles externes. Infra. Palais de Tunis, I.
3. Infra.
4. Infra. Palais de Tunis, I, II, III.
l'habitation tunisoise 39

carrières régionales (1), principalement celles du Cap Bon, d'où les bâtisseurs et les sculpteurs de Carthage
n'avait cessé de tirer, auparavant, calcaire (keddâl) (2) et grès coquillier (harsh).
A l'exception des motifs décoratifs animés — interdits par la nouvelle religion — nous verrons comment
seront conservés, voire transformés, les éléments géométriques et floraux que l'on aura retenus de l'ancien
répertoire ornemental.

Influence de VArt byzantin

Les sculpteurs africains auxquels les maîtres arabes eurent recours au moment de la fondation de leur
capitale et Ville sainte, Kairouan, étaient certainement initiés à l'art byzantin qui s'était répandu sur toutes
les rives de la Méditerranée. Son caractère hybride, résultant d'une double influence, occidentale et orientale,
ne pouvait qu'en favoriser le succès auprès des nouveaux venus.
« La nécessité où se trouva Constantin, nouvellement établi à Byzance, d'employer des artistes et des
ouvriers orientaux, produisit un changement plus vital et plus marqué dans le style traditionnel romain (3) ;
et il ne peut guère y avoir de doute que chaque nation voisine n'ait fourni son contingent à la formation de
l'école nouvelle, selon son état de civilisation et ses connaissances de l'art, jusqu'à ce qu'enfin, cette masse
composée d'éléments hétérogènes, finit par se fondre en un ensemble systématique, pendant le règne long
et prospère, pour les arts, du premier Justinien ». Ainsi aurait-on employé, en grand nombre, artistes et
ouvriers persans dont l'influence se fit sentir à Byzance dès le IVe siècle (4).
« Nous voyons donc que Rome, la Syrie, la Perse et d'autres pays prirent leur part à la formation de
l'art byzantin et de ses décorations concomitantes, lequel, tout complet qu'il était du temps de Justinien,
réagit dans sa forme nouvelle et systématisée sur la partie occidentale du monde connu alors, subissant dans
son cours certains changements ; changements qui, provenant de l'état de la religion, de l'art et des mœurs
des pays où l'art byzantin fut introduit, lui donnèrent un caractère spécifique, et produisirent, dans certains
cas, des styles d'ornements co-relatifs et cependant distincts, comme on le voit dans les écoles celtique,
anglo-saxonne, lombarde et arabe...
Le pur ornement byzantin se fait remarquer par des feuilles pointues à dentelures larges, qui en sculpture
sont coupées de biais aux extrémités, profondément cannelées et perforées... aux différents points de la
dentelure... ».
A cette forme décorative s'ajoutaient encore d'autres éléments floraux et géométriques (5).

1. (Marbre) Les carrières de Chemtou fournissaient un marbre de couleur qui semble avoir été délaissé à l'époque
musulmane, où l'on aurait préféré le marbre clair de l'Ichkeul. Cf. E. Violard, La Tunisie du Nord (Rapport à Mr le Résident Général,
J. Pichon). Paris, 1900 p. 276 «Région de Bizerte)... Le lac Achkel se trouve sur le Caïdat de Mateur, au nord de cette ville...
(Sisara des Anciens), [II] tire son nom de la pittoresque montagne qui s'élève sur sa rive sud-est, et qui autrefois était une île...
L'abondance des fossiles marins qui couvrent ses rives, démontre que ce lac fut salé ; les terrains qui l'enserrent sont composés
de marne et de couches de sable superposées, tandis que le djebel Achkel est formé de marbre et d'ardoise». (Grès coquillier)
voir supra.
2. (Calcaire) Dureau de la Malle, Recherches sur la topographie de Carthage, Paris, 1835, p. 242-243. Pierre calcaire (désignée
ici sous le nom de marbre) qui paraît appartenir aux dernières époques des terrains tertiaires et ressemble aux travertins des
environs de Rome. « Ce marbre est employé aujourd'hui pour faire des colonnes, des dalles et des pierres tumulaires. On s'en sert
aussi pour fabriquer une espèce de chaux, de qualité supérieure... Il est connu dans le pays sous le nom de kadal ou kadan».
On le rapproche de la pierre calcaire du Djebel Mokattam, aux environs du Caire.
« Les carrières se trouvent à un endroit appelé Musratia, près de la montagne de Hammam el-Enf ».
L'auteur signale encore l'existence d'un marbre noir aux environs de Kairouan. J. Weyland, Le Cap Bon, Essai
historique et économique, Tunis, 1926, p. 13 (Le port de Carpi) « Là, sans doute aussi, apportait-on les pierres extraites des carrières
environnantes et que chargeaient des vaisseaux voguant ensuite vers Carthage...»
3. Owen Jones, Grammaire de Vomement, Londres et Paris, s.d., Ornements byzantins, p. 50-54, pi. XXVIII, XXIX, XXX.
4. Ibid, p. 52. «On trouve aussi à Persépolis les feuilles pointues et cannelées, si caractéristiques du travail byzantin...».
5. Ibid, p. 54. L'influence de l'art romain se manifeste, à Florence, avec l'emploi du marbre blanc et noir (XIe, XIIe et XIIIe
siècles).
40 J. REVAULT

Si l'influence exercée par l'art byzantin sur l'Europe fut importante (1), elle fut cependant dépassée
en Orient et ailleurs, sur l'art musulman, comme en témoignent les premiers édifices construits au Caire,
à Alexandrie, à Jérusalem, à Cordoue et en Sicile.
Nous verrons aussi combien cette influence marqua, à Kairouan, l'ornementation sculptée de la célèbre
mosquée qu'élevèrent, au IXe siècle, les premiers émirs aghlabites.

La décoration sculptée sous les Aghlabites (IXe siècle)

La sculpture de la pierre et du marbre contribua particulièrement à l'ornementation des monuments


aghlabites. Avec le remploi fréquent de fragments antiques, les artistes locaux eurent aussi recours au placage
pour la nouvelle décoration musulmane, en s'y inspirant de l'art chrétien d'Afrique.
On sait déjà quel rôle important ces divers éléments ont joué, à la Mosquée de Kairouan, avec l'emploi
des arcs outrepassés, colonnes et chapiteaux. C'est dans l'ornementation florale que l'influence syrienne des
Omeyades paraît aussi se conjuguer avec la participation de l'art byzantin. Elle donnera lieu à des formes
et à des procédés d'exécution dont on constatera longtemps la conservation en dépit de certaines variations.
Dans son analyse des éléments floraux fondamentaux, G. Marçais nous en a laissé la description
suivante (2) : «Le décor floral, tel que l'art musulman l'a conçu, se décompose en deux éléments, qui se sont
développés presque indépendamment l'un de l'autre et dont on pourrait dissocier l'étude : d'une part, un
élément végétal proprement dit, la feuille, à laquelle il conviendra de joindre le fruit et très rarement la fleur,
et d'autre part, le support de la feuille, la tige, le rameau, qui fait plutôt figure d'élément géométrique. Dans
les panneaux de quelque étendue, cette tige est un filet sinueux, dont les involutions ne rappellent que bien
rarement le port naturel de la plante. Ces involutions de la tige constitueront l'élément essentiel de l'entrelacs,
qui doit être capable à lui seul de garnir le panneau, et dont la feuille n'a plus qu'à remplir des intervalles.
Suivant une pratique habituelle à l'art byzantin, la tige des premiers décors musulmans est le plus souvent
un filet de largeur constante, sillonné dans sa longueur par une rainure médiane... La feuille n'est qu'un
élargissement de la tige, dont elle prolonge le mouvement ; la rainure médiane de la tige se poursuit à l'intérieur
de la feuille par un ou plusieurs défoncements de section triangulaire...» (3).
L'élément végétal présente une grande unité, rehaussé exceptionnellement de motifs tels que grenade,
palmier et acanthe. Il est dérivé le plus souvent de la feuille de vigne : « deux feuilles composent presque à
elles seules le répertoire des formes végétales : l'une est symétrique et à cinq lobes pointus et arrondis, l'autre
est asymétrique et l'un de ses bords est découpé en trois blocs. Ces deux feuilles n'en font en somme qu'une.
Nous avons là les deux aspects de la feuille de vigne, étalée et présentée de face, lorsqu'elle est symétrique,
ou pliée le long de sa nervure principale et ne montrant que trois lobes ou mieux deux lobes et la moitié du
troisième » (4).
Ailleurs un style proprement ifriqyen s'est attaché à la conservation de rosaces, figures mi-géométriques,
mi-florales, qui fournissent un autre aspect caractéristique de la sculpture aghlabite (5).
La conception berbère de cet ornement ne sera jamais oubliée ; nous le retrouverons plus tard sculpté
également dans la pierre d'une stèle funéraire ou sur un linteau de porte (6).

1. Ibid. On sait comment l'art byzantin contribua à la formation de l'art roman, à son architecture et à son décor.
2. G. Marçais, L'Architecture Musulmane d'Occident, p. 50-52.
3. Ibid. (Kairouan) Façades de la Mosquée des trois Portes et de la Grande Mosquée ; sommiers et corniches des impostes ;
sculpture des trente panneaux de marbre du mihrab et des panneaux de pierre de la coupole. Les rieurs sont représentées de face.
4. Ibid, p. 53. Dans la demi-coupole du mihrab de la Grande Mosquée de Kairouan, représentation peinte de feuilles de
vigne et de pampres avec rinceaux — rappelant peinture ou mosaïque murale de la Grande Mosquée de Damas.
5. Ibid, p. 54.
6. La rosace figurait déjà sur les stèles puniques.
l'habitation tunisoise 41

Le décor fat imide et ziride ( Xe- XIIe siècles)

Durant les trois siècles que représentent en Ifriqya les périodes fatimide (Xe siècle) et sanhajienne (XIe-
XIIe siècles), la décoration architecturale évolua entre l'imitation des ornements aghlabites et l'adoption
d'éléments nouveaux d'origine mésopotamienne. On a déjà relevé le rôle décoratif que joua, dans les façades,
l'usage des niches à fond plat ou arrondi, constituant, avec l'emploi généralisé de la voûte d'arête, une
véritable innovation.
Tout d'abord, les sculpteurs du Xe siècle se limitèrent au répertoire traditionnel de leurs précédesseurs,
inspiré de l'art omeiyade et byzantin. Aux siècles suivants, ils subirent, à travers l'Egypte toulounide,
l'influence du décor sassanide et abbasside (1). Décor floral, généralement très fourni, « à défoncement linéaire »,
qui triompha à Samarra, puis à Fostat. Utilisés également dans la sculpture du bois et du plâtre, ses différents
éléments — filet ou tige, palme et fleuron — sont assemblés en arabesques florales. On peut en noter la
ressemblance avec les modèles du IXe siècle, bien que leur composition devienne plus savante et fréquemment
symétrique (2). Dans la symétrie des fleurons bulbeux ou lancéolés, on observera leur analogie avec les palmes
musulmanes du XIe siècle et les feuilles de vigne du IXe siècle (3). Cependant palmes et fleurons apparaissent
encore moins naturalistes, dans leurs formes ornementales, que le décor aghlabite (4).
On retrouve aussi, avec la conservation des rosaces — motifs en cercle et en carré — l'usage des éléments
archaïques appartenant au « vieux répertoire africain d'époque chrétienne » (5).
Le décor géométrique fait sa véritable apparition à la même époque, préludant au succès remarquable
que l'on connaît avec le développement que lui donneront plus tard les artistes andalous.
« C'est à l'époque fâtimite que cet élément prend sa tournure spécifiquement musulmane. Elle se
caractérise par une prédilection pour les polygones étoiles, où les angles rentrants alternent avec les angles sortants,
ces polygones étant composés par l'entrecroisement de galons continus qui vont suivant un rythme régulier,
former plus loin des figures identiques.
L'Egypte paraît avoir assuré un rôle important dans l'élaboration de cet élément essentiel de ce qu'on
nomme l'arabesque» (6). Pendant la double période fâtimite et ziride, l'ornementation architecturale fut
soumise, comme la construction elle-même, à une curieuse évolution, sans rompre entièrement pour autant
avec le style aghlabite.
Après le départ d'El-Moïzz pour l'Egypte (970), « l'art musulman d'Ifriqya, où l'on relève encore des
survivances locales tant que les maîtres du pays sont des Orientaux, devient purement oriental avec
l'apparition de la première dynastie autochtone » (7).
Dans les deux cas, la sculpture ifriqyenne — florale et géométrique — dût contribuer à embellir, non
seulement les monuments religieux qui ont survécu jusqu'à nous (8), mais aussi les palais — disparus —
que se firent construire califes et émirs, depuis Kairouan (9) et Mahdia jusqu'au Caire. Le rayonnement de

1. Ibid, p. 113-114.
2. Ibid, p. 114. Décors « symétriques, à arcs transversaux, le plus simple étant formé d'un S couché ou d'S redressés se
juxtaposant par leurs enroulements ».
3. Ibid, p. 115-116. La forme lancéolée est sassanide et les S rappellent les enroulements contrariés mésopotamiens.
4. Ibid, p. 1 14 « Cette méconnaissance systématique de la nature est un caractère nouveau de l'entrelacs végétal, qui
différencie le décor fatimide et çanhâjien du décor aghlabite issu de la sculpture chrétienne... ».
5. Ibid, p. 117.
6. Van Berchem, Notes d'archéologie, Journal Asiatique, 1891, 11, p. 81-85
7. G. Marçais, op. cit., p. 126.
8. Mosquées de Kairouan, Sousse, Sfax, Tunis.
9. Cabra Mansouriya.
42 J. REVAULT

cet art allait encore s'étendre au-delà de l'Ifriqya et de l'Egypte, aux constructions de Bougie et de la Sicile
Normande. On ne sera pas moins frappé par la ressemblance des éléments et des techniques employés dans
la sculpture ornementale fatimide et ceux de l'Espagne musulmane (Cordoue, Tolède, Médinet ez-Zâhrâ) (1).

V ornementation sous les Hafsides ( XIIIc-XVIe siècles)

Alors qu'aux siècles précédents, les artistes ifriqyens avaient surtout bénéficié, soit des survivances
locales de sculptures chrétiennes, soit d'apports extérieurs venus de l'Orient — Asie Mineure, Syrie, Egypte
et Perse — il en fut différemment après l'instauration d'un royaume almohado-hafside.
Indépendamment des influences orientales auxquelles on restait attaché, celles de l'Occident Musulman
revêtirent désormais une importance primordiale. Formé aux mêmes sources que l'art de la Berbérie, l'art
de l'Andalousie, qui atteignit son apogée sous les Califes almohades, exerça sur celui-ci une action profonde
et durable (2). Fondés sur la brillante civilisation des Califes omeiyades de Cordoue — qui s'effondra en
même temps que Kairouan (3) — les royaumes andalous qui lui succédèrent créèrent, en effet, le style hispano-
maghrébin dont l'éclat devait atteindre jusqu'aux capitales des pays d'Orient. On sait aussi comment la
Reconquête chrétienne en favorisa particulièrement l'introduction en Ifriqya où on ne cessa d'accueillir
les émigrés musulmans chassés d'Espagne, du XIIIe au XVIIe siècle.
Tout en demeurant fidèles au décor floral — à base de palmes, palmettes et fruits — les artistes andalous
imposèrent un nouveau décor épigraphique et développèrent largement l'ornementation géométrique (4).
Le décor floral apparaît tout d'abord sous forme de rinceaux asymétriques (écoinçons d'arc) et
d'entrelacs symétriques.
« L'époque mauresque ne connaît plus guère que deux silhouettes de palmes : la palme à deux lobes
triangulaires, souples et allongées en lanières ; la palme à lobe unique, également triangulaire et souple » (5).
A l'aide de ces éléments végétaux — qui iront s'appauvrissant — on s'efforce à une certaine diversité, dans
leurs combinaisons et leur remplissage (digitations transversales, petits cercles, œillets..)..
Le décor épigraphique, réservé généralement à des inscriptions eulogiques se déroule, le plus souvent,
sur les murs — à hauteur d'homme — où il figure divisé en cartouches sur un fond de rinceaux végétaux.
« Le décor géométrique (testir), qui fait intervenir des entrelacs de lignes brisées, a été parfois considéré
comme l'élément essentiel de l'arabesque (6). On ne peut nier que l'idée de constituer de vastes ensembles
à l'aide de figures polygonales apparaisse comme une invention proprement musulmane et que la subtilité
des Musulmans et leur éloignement pour les formes naturelles n'aient trouvé dans ce jeu savant des ressources
jusqu'alors insoupçonnées».
Implantés en premier lieu à Tunis par les émigrés Andalous, renforcés plus tard par les Morisques,
à l'époque turque, ces différents éléments du décor hispano-maghrébin connurent une nouvelle fortune dans
leur pays d'adoption. Considérés comme un art traditionnel auquel on s'était attaché au cours des siècles,

1. Ibid, p. 172-181. L'élément floral figure fréquemment en arabesques avec certains S couchés et liés et la palme
asymétrique. La taille de la pierre s'effectue en biseau, à défoncement triangulaire, procédé que l'on reconnaîtra encore dans la sculpture
décorative tunisoise aux époques turque et husseinite (XVI°-XIXe s.).
2. Ibid, p. 259. « Le plus clair des éléments qui constituent l'art almohade lui vient de l'art almoravide qui le tenait lui-
même de l'art omeiyade de Cordoue».
3. Ces événements provoquèrent, dans les deux capitales, une dispersion semblable de leurs ateliers d'artisans, dont certain
s'enfuirent à l'étranger.
4. Ibid, p. 352-355. Le décor de la pierre eut aussi recours au réseau recti-curviligne.
5. Ibid. Représentation de la palme combinée parfois en fleuron.
6. L'Architecture Musulmane, p. 356-357.
l'habitation tunisoise 43

ils furent conservés intégralement jusqu'à l'avènement des Beys husseinites au XVIIIe siècle. Cependant,
l'ornementation sculptée — ou incrustée — de la pierre et du marbre ne renouvelle plus son répertoire
géométrique et végétal, au point que celui-ci aboutit à l'emploi de palmettes de plus en plus réduites dans leurs
dimensions et simplifiées dans leur exécution.
Cette lente disparition des éléments décoratifs hafsides ne pourra que favoriser leur remplacement par
une nouvelle ornementation surtout florale due à l'intervention des nouveaux maîtres turcs. Dès la fin du
XVIe siècle et le début du XVIIe, nous verrons le rôle grandissant que jouera cette innovation auprès des
sculpteurs tunisois. Ceux-ci se laisseront séduire successivement par un art turquisant puis italianisant pour
en rehausser, avec des éléments de même style, l'entrée des demeures citadines aussi bien que les pierres
tombales. Nous y observerons bien souvent, avec la persistance fréquente des vieilles techniques, la fidélité
à d'anciennes formes décoratives et prophylactiques, locales ou importées (1).

1. On retrouvera notamment l'usage de la taille en biseau, la figuration de la rosace et de la palmette.


LA CONSTRUCTION
47

Aussi longtemps qu'ils restèrent attachés à leur ancienne Médina, il semble que les notables de Tunis (1)
ne se soient guère écartés des traditions de leurs ancêtres pour l'élévation d'une demeure citadine. Le choix
du quartier importait toujours et se fixait selon le rang et la fortune de chacun, soit au voisinage de la grande
mosquée, soit à proximité de la Kasbah et de ses palais, sinon auprès d'un lieu saint tel que mosquée ou zaouia.
En outre, on maintenait de préférence son foyer à l'endroit consacré par le séjour de plusieurs générations
successives (2). C'était le privilège des grandes familles tunisoises de ne pas quitter la demeure où avaient
vécu leurs parents et leurs aïeux. Parfois ceux-ci y avaient été ensevelis après y avoir vécu, laissant leurs tombes
à la vénération de leur descendance (3).
Depuis plusieurs siècles on appréciait dans ces vieilles demeures familiales la qualité de l'eau du puits
et celle de la citerne, éléments essentiels de toute habitation citadine. De même s'était-on habitué au voisinage
discret d'autres familles honorables.
Cependant, malgré l'entretien régulier dont elle était généralement l'objet (4), la maison ancestrale
n'était pas moins sujette à des reconstructions sinon à des remaniements. Ces travaux résultaient de la vétusté
des lieux, voire de nouveaux besoins ou certaines obligations correspondant à l'élévation de la situation
sociale d'un notable, à l'extension de son foyer et à l'installation de ses enfants.
Tout agrandissement appelait alors l'acquisition de jardins, terrains ou bâtiments mitoyens ou proches (5).
Ainsi en allait-il souvent lorsque la fondation d'un logement neuf s'avérait nécessaire à l'occasion d'un
mariage.

Etablissement d'un projet de construction

Lorsqu'une décision était prise concernant une nouvelle demeure, ur accord préalable devait d'abord
intervenir, tout au moins sur certains points, entre les principaux membres intéressés de la famille. Ainsi,
même une personnalité importante ne se faisait pas faute de consulter la maîtresse de maison sur tout
changement à prévoir au cadre de leur existence commune. Son avis devait s'inspirer souvent de telle habitation
d'un parent dont elle avait retenu l'heureux aspect du patio (wûst el-dâr) avec jardinet central (hùd) et
portique extrême, ou la disposition commode de la cuisine (matbkha) avec puits, citerne et porte indépendante
vers l'extérieur, les dimensions de la pièce à provisions (bit al-mûna), etc. (6).
Si la construction envisagée était destinée au fils, à l'approche de ses noces, sans doute son père n'agissait-
il pas autrement en consultant le fiancé au préalable afin d'aboutir à une réalisation qui donnât entière
satisfaction au nouveau ménage. Ne fallait-il pas tenir compte, en effet, du goût particulier de chacun sans oublier
l'évolution du style architectural et décoratif que l'on s'efforçait d'adopter selon les époques, l'influence de
l'Orient ou de l'Occident y prédominant tour à tour ? Ici le jeune homme s'entourait lui-même de l'avis de

1. Notable : kebir, kehâv ; citadin : beldi, beldia.


2. Palais de Tunis, I et II, passim.
3. Ibid. Cette coutume ne survécut pas au Protectorat qui interdit toute sépulture -n dehors des cimetières.
4. Autrefois les riches demeures citadines disposaient, comme les édifices religieux, de biens de main-morte (Jtabous) destinés
exclusivement à leur entretien.
5. La vente d'une maison se faisait à la criée. Les enchères avaient lieu le vendredi devant la Grande Mosquée. Le crieur
public (dellâl) annonçait le lieu et le prix de l'habitation mise en vente qu'il faisait ensuite visiter aux acquéreurs éventuels. Tout
acte de vente était passé devant notaire Çadel). Si les enchères n'aboutissaient à aucune transaction, elles étaient reportées au
vendredi suivant.
6. Les avis de la maîtresse de maison (moulât ad-dâr) se basaient, bien entendu, sur les demeures qu'elle connaissait dans
son entourage, par exemple celle de son oncle ou d'un autre parent.
48 J. REVAULT

ses parents et amis, non sans rechercher les innovations à la mode (1). Dans certains cas, pour répondre
aux habitudes de générations différentes, ne vit-on pas, au siècle dernier, aménager en même temps, autour
d'une cour à ciel ouvert ou couverte en terrasse, des appartements de type distinct : chambre traditionnelle
en T à trois alcôves (bit bel-kbû û mkàçer) et salon élargi (bit dïwànï, sala), modernisé selon une conception
italianisante ?
Les entretiens que le chef de famille tenait à ce sujet avec ses proches devaient avoir lieu dans le salon
intime que constituait l'alcôve médiane (kbù) de la chambre principale donnant sur le patio (bit râs al-dâr).
Il en allait différemment pour les consultations que l'on avait ensuite avec « l'homme de l'art» que l'on
recevait, selon la coutume, à l'entrée de la demeure.
Cependant, à l'exemple des dignitaires du Makhzen, tout notable important ne pouvait pas moins faire
que de s'adresser à l'aminé des sculpteurs sur pierre (amïn al-nakkâsha) qui faisait également fonction
d'architecte et de maître d' œuvre (2).
Celui-ci était alors accueilli sur l'une des banquettes (dukkâna) du hall d'entrée (driba) (3) ou de la
pièce attenante servant de parloir (bit al-drïba), réservée aux réunions d'hommes (4).
La valeur professionnelle de ce maître-artisan ainsi que sa probité faisaient autorité et lui méritaient
confiance et considération (5). Aussi le commanditaire ne lui ménageait-il pas ses attentions. Il arrivait
fréquemment que l'on examinât ensemble le projet d'agrandissement de la demeure devenue insuffisante en
raison du prochain mariage de l'un des enfants. A cet effet, convenait-il d'utiliser la partie la plus ancienne
de la maison familiale en la reconstruisant, ou d'acquérir, dans le voisinage, un nouveau terrain sinon de
modestes habitations que l'on démolirait pour faire place à une construction neuve?
Il fallait ensuite déterminer la distribution des appartements à réaliser autour du patio, avec ou sans
étage, le choix des matériaux et la décoration du bâtiment projeté. Ici, on choisirait un dallage de calcaire
ou de marbre, là un carrelage tunisois ou napolitain ; l'une des chambres serait couverte d'une voûte ornée
de rosaces entrelacées en plâtre sculpté, tandis qu'une pièce traditionnelle en T serait rehaussée d'un beau
plafond de bois peint dans le style hispano-maghrébin... A cette intention, notable et aminé allaient parfois
prendre modèle sur telle riche habitation connue pour la judicieuse répartition de ses pièces ou son heureuse
ornementation (6).

Plan
Enfin, le projet de construction était précisé si possible dans un véritable plan (mithâl) il). Pour un riche
commanditaire, on ne pouvait, dit-on, se contenter d'un simple tracé sur le sol. Aussi le maître d 'œuvre se
chargeait-il d'établir lui-même son plan sur papier, au crayon ou à l'encre, à la règle (mastra) et au compas

1. Ces innovations étaient plus en faveur chez les dignitaires et fonctionnaires du Makhzen que parmi les personnages
religieux très attachés aux traditions ancestrales. Cf. Palais de Tunis, I et II, passim.
2. En raison de son importance, la corporation des tailleurs et sculpteurs de pierre {nakkâsha) compte parfois plusieurs
amines. Voir infra. Pour la construction d'une habitation ordinaire, on se contentait de faire appel à un maçon, sinon à un
tailleur de pierre.
3. dukkâna, pi. dkâken : banquette de pierre, marbre ou bois.
4. La bit al-driba (ou bit sahra, chambre de veillée) s'éclairaii souvent sur la rut par une fenêtre haute. Palais de Tunis,
I et II, passim.
5. On rapporte que le bey lui-même traitait l'aminé des nakkâsha avec les plus grands égards.
6. Tout en cherchant leur inspiration à l'extérieur, le maître artisan et son commanditaire évitaient autant que possible
toute imitation servile.
7. mithâl, plan, signifie aussi modèle ; ex : mithâl bâb, plan d'une porte. Plan moderne : tasmim.
l'habitation tunisoise 49

(dâbïd) (1). Il y montrait, auprès de la cour intérieure, l'emplacement des appartements et des communs,
l'indication des portes et fenêtres étant marquée dans l'épaisseur des murs.
Le projet ainsi précisé devait permettre aux deux parties de tomber plus aisément d'accord sur la solution
recherchée. Il n'était pas moins utile pour déterminer la participation des différents corps de métier appelés
à exécuter ensemble le plan de la nouvelle construction.

Préparation des travaux


A cette intention, c'est à l'aminé des sculpteurs qu'il incombait, nous l'avons vu, de se rendre auprès des
chefs de corporation intéressés : chef des maçons (amîn al-bannâya), chef des stucateurs ou sculpteurs au
fer (amïn al-naksh-hadïda ) , chef des ferronniers (amïn al-haddâda), chef des peintres (amîn al-dahâna) (2).
Informé de ce que l'on attendait de lui, chacun de ces amines était en mesure de fournir un devis précis
de ses travaux respectifs.
Muni de ces renseignements, le responsable de l'entreprise communiquait au maître de maison (mouley
ed-dâr) l'estimation des sommes qu'il aurait à payer afin de lui permettre d'y pourvoir en temps voulu. En
fait, celui-ci n'ignorait pas qu'aucun retard n'était admis dans le règlement quotidien des salaires, les artisans
qui œuvraient sur un chantier ayant l'habitude d'être payés régulièrement en fin de journée (3).

Tracé du bâtiment sur le terrain


Toute construction nouvelle débutait naturellement par la détermination au sol de sa configuration
extérieure et intérieure, en application du plan arrêté sur papier. Cette première opération était dirigée par
l'aminé des sculpteurs avec l'aide de l'aminé des maçons. Les limites et le centre de la future construction,
avec ses deux cours intérieures, celle de l'habitation (wûst al-dâr) et celle des communs (wùst al-dwïrïya),
étaient prévus en fonction de l'emplacement du puits (bïr) et de la citerne (mâjen) (4). De même tenait-on
compte de l'orientation à prévoir pour les pièces principales, recherchée de préférence au Sud et à l'Est (5).
C'est au moyen de cordes mesurées autrefois en coudées (draa) et tendues entre des piquets (mûtek) (6)
que la délimitation du terrain à bâtir était effectuée. Le même procédé servait à situer les murs externes le

1. On utilisait auparavant une encre de couleur verdâtre tirée des interstices des pattes de mouton. Cette encre différait de
celle que l'on employait pour les textes religieux, qui était à base de safran, et donnait une teinte jaune-rougeâtre.
2. Ces divers artisans habitaient les faubourgs de la capitale.
3. La quantité de pièces destinées à ces payements étaient généralement réunie et portée dans un couffin.
4. Palais de Tunis, I, p. 75.
5. Si l'on était vraiment libre du choix de l'orientation à donner à sa maison, on évitait, parait-il, qu'elle fût entièrement
au Sud ou au Nord ; une position intermédiaire était en effet jugée préférable pour mieux s'opposer à la chaleur et aux intempéries,
à la façon d'un bateau luttant contre le vent et le mauvais temps. Il devait en résulter une meilleure exposition des appartements
et une plus grand solidité du bâtiment moins en butte aux vents violents du Sud et de l'Ouest.
En même temps aminé et commanditaire décidaient, en premier lieu, l'emplacement de la façade extérieure (wajah).
6. A l'aide de ces piquets (mûtek, pi. mwâtek) on fixait, à la fois, les angles extérieurs (shûka, pi. shûkât) et intérieurs (ter-
kina, pi. trâken) des murs, mesures qui aboutissaient, malgré tout, à une régularité souvent approximative. Il existait un drà'a
en métal Dour la mesure des coudées.
50 J. REVAULT

long d'une ruelle — une impasse ou un jardin — et les murs internes de la cour du logis. A la suite de ces
dispositions préliminaires, le chantier pouvait être organisé et ouvert à la construction (1).
On devait alors réunir les matériaux nécessaires et constituer l'équipe des terrassiers et maçons appelés
à entreprendre les premiers travaux.

Matériaux
Les divers matériaux (mawâd aî-banî) rentrant dans la construction du gros œuvre — fondations, murs
et voûtes — étaient amenés et rassemblés sur le chantier (mramma), par les soins de l'aminé des maçons (2).
On procédait à l'approvisionnement préalable en pierres, briques, bois, sable et chaux.
Qu'elles aient été trouvées sur place après démolition d'anciennes habitations, ou apportées des carrières
du Jbel Ahmar (3) par charrettes ou bêtes de somme, les pierres étaient entassées et rangées selon leur forme
et leur taille. D'une part les pierres les plus régulières (hajar bel-ùjah) destinées aux deux côtés des murs, de
l'autre les pierres de toute grosseur (hajar mkallab) réservées au blocage (4).
Les charges de briques venaient des fours de potiers de Qellaline établis hors de la Médina, entre les
remparts de Bab Souika et le Faubourg Nord. Elles étaient employées pour régulariser certaines parties
murales (encadrements des portes et fenêtres, chaînage) et devaient également servir à l'élévation des arcs et des
voûtes (5). Des bois résineux, genévrier (sardâwï) et pin (çnùbar), étaient amenés des forêts du Nord tunisien
(Khroumirie), importés aussi de l'extérieur. Leur usage répondait au chaînage et à l'ancrage (rbàt) des murs
comme aux linteaux des ouvertures sur le patio (6).

1. En fait, on pratiquait autrefois deux méthodes différentes pour la préparation des fondations (sas, pi. sisân) selon
que l'on avait affaire à une construction ordinaire ou de grande valeur. Dans le premier cas, on creusait des tranchées
correspondant aux dimensions des murs, selon le procédé conservé jusqu'à ce jour ; dans le second cas, toute la surface du terrain à
bâtir était creusée à coups de pioche (fus) et de pelle {bâla) pour former une sorte de vaste bassin (jabia) profond d'environ 2 m.
Quoiqu'il en soit le contour général des fondations était délimité de la même manière par Yamïn al-bannàya
conformément aux indications et au plan de Yamïn al-nakkâsha. On le fixait au moyen de piquets (mwâtek) et de cordes (kheztnât) — sans
doute en poil de chèvre — avec traçage à la chaux versée d'un couffin percé (kùffa jîr menkûba).
Au fond de la fosse élargie on procédait de même — avec corde et petits piquets — pour la distribution des murs entre
cour, appartements et communs, la citerne étant creusée en priorité, au-dessous du patio (profonde de 3 à 5 m). Cette répartition
préliminaire donnait lieu, assure-t-on, à plusieurs vérifications — au moins trois — avant d'être adoptée définitivement.
La terre (trâb) que l'on avait rejetée à l'extérieur de la fosse servait ensuite à plusieurs usages — après avoir été
débar as ée de son argile (tfel) et de ses pierres. On l'utilisait, en effet, dans le mortier des fondations, le support du rez-de-chaussée —
que l'on désirait généralement surélevé — et l'aménagement des terrasses (voir infra). Le reste était éventuellement mis de côté.

2. Ou, à défaut, d'un maître maçon (ma'llem bannâï).


3. Près du village de l'Ariana, à l'Est de Tunis.
4. Pierres connues aussi sous le nom de hajar râs al-kelb.
5. En dehors des poteries usuelles, émaillées ou non, sorties de leurs ateliers, les potiers de Qellaline fabriquaient
couramment des briques pleines (yajùr) — calibrées au moule en bois (kâleb) — Briques murales (yajûr mtaal-banî ou yajûr 'arbï) :
long. 22 à 24 cm ; larg. 12 à 15 cm ; épais. 4 à 5 cm. Briques de voûtes {yajûr mta' al-dames) : mélange d'argile et de paille,
12x22 cm.
L'argile n'était utilisée qu'après malaxage au pied — tel qu'il est encore pratiqué maintenant par les potiers de Nabeul
et Djerba — et un pourrissage d'environ trois mois. Cf. P. Lisse et A. Louis, Les potiers de Nabeul, I.B.L.A., Tunis, 1956, J.L.
Combes et A. Louis, Les potiers de Djerba, Tunis, 1967.
Briques de four à pain : (yajûr mtd kusha arbi) faites d'argile rouge (tfel ou beker) mêlée de balle de paille et d'un peu
de sel (melah) liées au mortier de même argile avec sel et débris de paille (sfaf) La préparation du mortier spécial destiné aux
fours à pain nécessitait une semaine de fermentation (takhmïra) durant laquelle le gros sel fondait tandis que la pâte était à
.

nouveau piétinée chaque jour.


6. Le frêne (dardâr) était également recherché pour sa solidité. Les ancres (rbât, pi. rbâfât), souvent fixées à l'intersection
de deux murs d'angle, étaient formées par l'entrecroisement de deux morceaux de bois. Elles sont encore visibles aujourd'hui
dans les ruelles de la Médina et des faubourgs (fig. 5).
l'habitation tunisoise 51

La chaux (jïr) abondait autour de Tunis ; elle donnait un bon mortier, mélangée au sable de rivière
(rmel al-wâd) que l'on allait chercher à l'Ariana, à faible distance de la capitale (1). On l'utilisait encore pour
le blanchiment des murs et le badigeonnage des terrasses.

Main-d'œuvre
En même temps qu'il réunissait les matériaux nécessaires à sa construction, l'aminé des maçons se
préoccupait de retenir la main d 'œuvre dont il aurait besoin au fur et à mesure de l'avancement des travaux.
C'est dire qu'il lui fallait prévoir les spécialistes habituels : terrassiers pour les fondations Çûsfàn) ;
bâtisseurs de murs (bannaï al-hâït) ; constructeurs de voûtes (bannâï al- dames), maçons chargés des enduits
(bannâï al-lïka), etc. (2).
Pour l'élévation d'une riche demeure citadine, on comptait une équipe de dix maçons ou davantage
(bannâya) secondés par des aides ou tâcherons (kheddàma) (3).
En outre, si le puits n'existait pas, on faisait appel à l'aminé des puisatiers (amïn al-bïyyâra) qui devait
procéder en priorité au forage et à l'aménagement du puits, élément indispensable à toute habitation urbaine
quelle qu'en fût l'importance.
« En s'adressant à lui, tout riche Tunisois sait que l'expérience de cet expert permettra de découvrir
l'eau recherchée, d'en connaître à l'avance la profondeur ainsi que les différentes couches du sol pour
l'atteindre — sable (rmel), marne (tarsh) ou argile (tfal) » (4). Comme les autres chefs de corporation, cet
homme âgé jouissait de l'estime générale en raison de sa compétence et de sa droiture.

Début des travaux


La haute société tunisoise recherchait de préférence, nous l'avons dit, les parties les plus élevées de la cité,
à proximité de la Grande Mosquée et des palais de la Kasbah. Elle y appréciait, en outre, la salubrité de
l'air et la douceur de l'eau des puits. Enfin la consistance du sol y assurait des bases solides aux constructions
réalisées à cet endroit. Par contre, les terrains de la ville basse, proches du Lac Bahira et des lagunes environ-

1. Palais de Tunis, I, p. 77.


2. Comme la plupart des artisans tunisois, les artisans du bâtiment (sana "iya al-bani) habitaient hors de la Médina,
à l'intérieur des faubourgs (arbât) — faubourg Nord et faubourg Sud (rbat al-fûkânï et rbat al-ùtâhnï) .
Exceptionnellement, la famille bien connue des Nigro avait son logement dans le quartier Nord de la cité, rue Bir el-
Hajar. On doit à Slimâne el Nigro et Tâhar ben Çaber la construction en 1894 du nouveau minaret de la Grande Mosquée.
Cf. G. Marçais, Tunis et Kairouan, Paris, 1937, op. cit., p. 70.
3. Une habitation modeste n'exigeait pas plus d'un ou deux maçons.
4. Ibid, p. 76.
Le forage et l'aménagement du puits constituaient naturellement la première étape à réaliser, afin que ce puits fut mis dès
le début à la disposition du chantier.
L'aminé des puits (amïn al-bir) — ou aminé des puisatiers (amïn al-bïyyâra) — se voyait confier un travail à forfait (bel
wafka) , tenant compte de la profondeur et de l'ouverture du puits ; celle-ci était préparée au moyen d'un gabaret en bois —■ ou
cercle (mïdha) — renforcé d'une large plaque de fer.
L'aminé était seul responsable (mesoul) de ses hommes en cas d'accident, contrairement aux autres artisans du chantier
placés sous la responsabilité (mesoulïya) du commanditaire. Aussi le voyait-on en permanence au sommet du puits, veillant lui-
même à la tenue de ses parois et à la sécurité des puisatiers durant leurs travaux. Les murs étaient construits en moellons liés
à un mortier mêlé de cendres de hammam (shahba) afin d'assurer l'étanchéité nécessaire. Le même procédé était appliqué aux
puits citadins et ruraux munis d'une noria (na'ùra) à godets de poterie (kadûs, pi. kwâdes) . Résidences d'été, III, 1974, passim.
Le dernier aminé des puisatiers de Tunis appartenait à la famille Ouled Douggaz.
52 J. REVAULT

nantes, furent longtemps abandonnés à une population plus modeste, voire à des cultures de jardins, ainsi
qu'à l'installation des quartiers juifs (Hara) (1) et chrétien (2). L'eau des puits y était toujours saumâtre.

Fondations

L'ouverture d'un chantier avait surtout lieu pendant la belle saison (3). Cependant, selon l'importance
des travaux à exécuter, ceux-ci se prolongeaient parfois au-delà d'une année.
A moins qu'elle n'existât déjà à l'endroit choisi, la citerne (mâjen) (4) était creusée en même temps que
les fondations et les conduits souterrains ; elle constituait alors avec la cave (dahlïz, dâmûs) — dont furent
souvent pourvues les plus anciennes demeures — la partie la plus profonde de la future habitation (5).
« L'aminé des maçons sait quelle largeur donner à ses murs de fondation (sas, pi. sïsân) et à quelle
profondeur en creuser la tranchée (hafir) — entre un et quatre mètres — (6). On confie généralement
l'exécution de ces fondations à des Noirs (ousfâne )(7) travaillant en équipe de dix à vingt ouvriers. Sur un lit de
mortier (baghlï) fait de terre (trâb) et de chaux (jïr) sont jetées pêle-mêle (8) des pierres de toute grosseur

1. P. Sebag, La Hara de Tunis, Paris, 1959.


2. Palais de Tunis, I et II, passim.
3. On s'efforçait de profiter du temps sec et des journées longues. Ainsi un chantier s'ouvrait-il, autant que possible, au
printemps, se poursuivant l'été pour s'achever en automne. Dès le lever du soleil, chacun s'y rendait après s'être acquité de la
prière du matin (al-sbah) et avoir pris le premier repas (ftour al-sbah). Les travaux cessaient au milieu de l'après-midi (avant
l'açeur), interrompus seulement par une collation vers 9 h et un repas, en fin de matinée. Celui-ci était généralement assuré par
le maître de maison, soucieux de l'entretien convenable de ses artisans aussi bien que de leur rendement — le repas matinal
consistait parfois en un grand plat rempli de dattes et de pains chauds — à l'exception de certains commanditaires connus pour leur
avarice. Cependant, on n'avait garde d'entreprendre les fondations du nouveau bâtiment sans avoir accompli, auparavant,
les rites propitiatoires suivis en cette circonstance. C'est après le traçage de la construction sur le sol et avant le premier coup de
pioche que l'on se préoccupait de bénir les lieux. A cet effet, on invitait personnages religieux (chérifs) et notables à réciter la
« Fatiha» et des versets du Coran afin d'attirer la « baraka» sur le chantier ; puis on sacrifiait un mouton à l'endroit désigné
pour la future porte d'entrée — sacrifice qui devait être renouvelé plus tard, au moment du montage de la porte (tarkib al-bâb) —
Enfin un repas était offert sur place par le maître de maison qui se tenait au milieu de ses invités. D'autres moutons étaient parfois


égorgés et les morceaux distribués entre les artisans présents à cette cérémonie inaugurale.
Certains constructeurs désireux de renforcer la « baraka » de leur chantier versaient du miel et du lait ('assel ou halib)
dans les fondations, à leur début, afin de se concilier la faveur des « jnoun » (nass al-okhra). Par la suite, on pouvait encore ajouter
de l'huile dans certains trous des murs et procéder à des fumigations, toutes choses agréables aux habitants cachés de la nouvelle
demeure qu'il importait de se concilier.
4. La solidité d'une citerne permettait fréquemment de l'utiliser plus longtemps que l'habitation qui la surmontait.
5. Palais de Tunis, II, voir Dâr Hussein, Dâr el-Monastiri...
6. Profondeur moyenne : 2 m ; largeur 70 cm à 1 m.
7. Ousif, pi. ousfâne, esclave noir. Autrefois les terrassiers noirs étaient groupés au quartier d'Halfaouine. Ils avaient
leur café, leurs occupations (tissage de corbeilles et de couvercles en palmes) et s'administraient eux-mêmes. En l'absence de
cheikh et de cadi, ils reconnaissaient une autorité identique à celui d'entre eux qu'ils avaient choisi pour chef (galàdima). S'étant
imposé par son intelligence et son intégrité ainsi que par sa connaissance des langues — y compris la langue soudanaise — le
« galàdima » était chargé de juger les différends entre « ousfâne », il disposait même d'une prison.
En général, les Noirs étaient appréciés pour leur franchise et leur gentillesse, se prêtant aux farces et aux plaisanteries
dont ils étaient souvent l'objet. Ils se mêlaient volontiers aux Musulmans tunisiens, et épousaient quelquefois une blanche. On
dit que le mariage des Noirs fut tout d'abord célébré, seulement avec la « fatiha », puis plus tard avec le contrat musulman (sdeq).
Leur goût pour les beaux vêtements était connu.
En Tunisie, la plus haute responsabilité noire était l'eunuque de la Cour beylicale où il remplissait les fonctions de bach-
agha. Au Palais du souverain, son autorité s'étendait sur toutes les femmes du harem. Ailleurs, les Noirs le considéraient comme
leur bey.
8. Couche (Jarsha) de 20 cm environ. On y ajoutait naturellement de l'eau, tout en la piétinant, les jambes enveloppées
d'une peau de chèvre — comme pour le marchage de V'ajna et en la tassant avec la rezma — pilon en bois d'olivier long de 80
cm et large de 40 cm à sa base.

L'HABITATION TUNISOISE 53

(hajar mkallab) (1) avec tassage et damage (tarzïm) conduits, au fur et à mesure, par le chef d'équipe,
selon un rythme de chant plus ou moins lent (2). Ce n'est qu'à 50 cm environ au-dessous du niveau du sol
que l'on commencera à élever les murs de construction avec des pierres plus régulières (hajar bel-wajah)
(3). Les Noirs cèdent alors leur place aux bannâya et ne la reprendront, vers la fin des travaux, que pour le
damage des terrasses (stah) » (4).
Lorsque le fond des tranchées était jugé trop mou, on y remédiait avec l'emploi de pieux de fondations
(reshk, pi. arshak) en bois imputrescible (sardàwï) (5). Disposés en double rangée et en quinconce (bel-
khlaf), ces pieux étaient enfoncés en terre à l'aide d'une masse (massa) à la recherche d'un sol dur ou
sablonneux (6).

Citerne

La citerne particulière à chaque demeure était toujours l'objet des plus grands soins (7). Aménagé
ordinairement au-dessous de la cour intérieure afin de recevoir directement les eaux de pluie, ce réservoir exigeait
un espace proportionné à celui de l'habitation, si bien que sa profondeur pouvait atteindre la hauteur d'un
étage, alors que sa superficie s'étendait aussi largement que l'on voulait, grâce à la répétition de piliers en
pierres de taille reliés entre eux par des arcs — longitudinaux et transversaux (8). Les voûtes en berceau (9)
qui recouvraient la citerne se multipliaient en conséquence, reposant à la fois sur les murs de la citerne et
les piliers qui la partageaient éventuellement en plusieurs travées communicantes. L'étanchéité du mâjen —
sol et murs — était obtenue avec l'usage d'un mortier spécial composé de cendres et chaux ('ajna
be shahba) (10).
Plusieurs ouvertures étaient ménagées dans la couverture de la citerne afin d'en permettre le contrôle
régulier et l'entretien annuel, et d'y effectuer un puisage quotidien (11).

1 . Voir supra, la préparation des fondations des anciennes maisons de Fostat.


2. Dirigés par le chef (rannâï) ces chants parfois en langue soudanaise (ranâ V'ajimi) variaient suivant le travail à
accomplir, ralentissant pour le tassage difficile des pierres, se précipitant pour le tassage du mortier.
Damage : tarzïm ; dame : rzâma, pi. rzâïm.
3. C'est-à-dire les pierres qui ont une face assez régulière pour être tournée vers l'extérieur.
4. On fait ainsi l'acquisition d'une maison en mauvais état pour le seul remploi de ses matériaux.
5. Longs de 1 m 50 à 2 m (rarement 2 m 50), ces pieux étaient taillés en pointe à l'aide d'une herminette (kaddûma) .
On les enfonçait à 1 m de distance les uns des autres.
6. Au contraire, on se dispensait de toute fondation si l'on rencontrait un sol rocheux d'une résistance certaine.
7. Les demeures importantes possédaient plusieurs citernes — entre habitation et dépendances — certaines s'étendant
au-dessous d'une chambre. La citerne privée se distinguait des citernes publiques (feskiya) créées autour de la ville.
8. Palais de Tunis, II, citerne du Dâr Hussein.
9. dames, pi. admas, voûte en berceau brisé pour en atténuer la poussée — construite en pierre et mortier de cendres,
épais. 30 cm sur bâti en bois (kâleb lùha)
.

10. L'étanchéité recherchée dans la construction d'une citerne (mâjen, pi. mwâjen) était obtenue grâce à l'emploi de cendres
(shahba) composant le mortier et utilisé aussi bien pour les sols, murs et voûtes que l'enduit des parois — cendres provenant
des fours de hammam (rmad mtd frânak) . La même précaution était prise à tout endroit soumis à l'humidité ou contact avec
l'eau : hammam, réservoir à huile (mâjen al-zït) , latrines (mihâd) On peut observer également l'usage de ce mortier particulier
dans les anciennes constructions du Caire, aux périodes mamelouke et ottomane.
.

11. Palais de Tunis, I et II, passim. Chaque année, après les premières pluies d'automne, on descendait dans les citernes
pour procéder à leur nettoyage et à leur chaulage complet. A cet effet, une dalle mobile fermait le plus souvent l'ouverture d'accès
(nokra, pi. nkor) pour le passage d'une personne. Le puisage de l'eau s'effectua, en premier lieu, dans la cour même par l'orifice
d'une margelle de pierre surélevée (memla bel-rokba, ou bel-kherza) semblable à celle des puits. Plus tard, les bouches (memla,
pi. memlât) de la citerne furent aménagées dans des niches murales, ouvrant sur le patio et la courette de la dwiriya.
On creusait aussi des fosses d'aisance (gomma) à l'écart du puits et de la citerne. Profondeur : 4 à 6 m ; largeur : 4 m.
Les murs de pierre en étaient construits sans enduit, surmontés de l'étroite ouverture des latrines (mihâd). L'enlèvement des
ordures — mêlées au sable — s'effectuait à dos d'âne, par « zenbils» que les sorrâba (sing, sorrâb) déversaient ensuite dans les
jardins ou du côté de la mer.

54 J. REVAULT

Enfin des orifices étaient pratiqués aux quatre angles du réservoir, des conduites en poterie (1) devant
plus tard y aboutir pour y déverser l'eau des terrasses au moment des pluies (2).

Cave
Si la cave (dâmûs) était, comme la citerne, établie au sous-sol, ses proportions n'atteignaient jamais
celles d'une grande citerne. De plus, sa forme allongée demeurait soumise à celle de la chambre appelée à
la surplomber (3).
Couverte en voûte et faiblement éclairée sur la cour, cette pièce maintenait, hiver comme été, une
température égale favorable à la conservation des réserves alimentaires ; on y séjournait aussi volontiers pour
s'abriter du froid en hiver et de la chaleur en été.
L'installation souterraine de magasins à vivres ne semble pas avoir dépassé le XVIIe siècle. Elle
devait disparaître aux siècles suivants, remplacée par des communs (makhzen) plus vastes et plus commodes,
étant bâtis désormais au même niveau et à côté des locaux d'habitation.
L'accès du dâmûs, comme celui du puits et de la citerne, se trouvait à portée des dépendances (dwïrïya)
renfermant la cuisine (matbkha).

Murs
« Pour l'élévation du mur (4), on utilise, soit des pierres de remploi qui présentent l'avantage d'être déjà
prêtes, soit des pierres de carrière (hajar maktd ) que fournissent les collines environnantes (5).
Sommairement taillées, elles sont amenées sur le chantier, à dos d'âne (behim) ou de mulet (beghel), triées et réparties
en tas suivant leur grosseur.
C'est à une longue préparation que donnera lieu, par ailleurs, le mortier Cqjna), mélange de sable de
rivière et de chaux (6) apportés également par de longues théories de bêtes de somme (zwaïl) (7) sinon par des
charrettes (8). On s'efforcera d'en achever, à l'avance, l'approvisionnement complet bien que le malaxage
du mortier effectué au pied exige d'être renouvelé plusieurs fois (9)».

1 Conduite en poterie : mizab ; conduite recourbée : rokba.


.

2. Les conduites fixées aux angles de la cour se composaient de tuyaux de poterie ( halkûm fokhar, pi. halâkem) vernissée
(motli) ou non, assujettis les uns aux autres. A hauteur d'homme, on plaçait un petit tamis également en poterie (keskas al-
mizàb) que l'on pouvait retirer à volonté pour en enlever les débris venus des terrasses.
3. Grande cave : dâmûs, pi. dwâmes ; petite cave : dahliz, pi. dhâlez. Alors qu'une citerne s'établissait ordinairement sur
plan à peu près carré — reliée par une tranchée à la niche de puisage — les caves conservaient une forme rectangulaire. Leur
disposition au-dessous d'une ou de plusieurs chambres formait une couche d'air isothermique, préservant les pièces d'habitation
de l'humidité du sol. La surveillance des vivres que l'on y rangeait était plus aisée qu'ailleurs. Cf. Palais de Tunis, I et II, passim.
4. Palais de Tunis, I, p. 77-78.
5. Carrières du Jbel 1-Ahmer près de l'Ariana.
6. Chaux grasse (jlr al-maktd'). Sa consistance se liquéfie et devient comme du lait lorsqu'on y ajoute de l'eau au moment
de son mélange au sable.
7. D'où le décompte habituel des matériaux, soit par charge d'âne ou de mulet, soit par « zenbîl ».
8. Charrette à deux roues : karrita, pi. krâret.
9. Un mortier de qualité exigeait qu'il fût préparé plusieurs mois à l'avance (environ six mois). Après extraction, la pierre
à chaux était soumise au four (kûsha), puis la pierre calcinée (tafian) était réduite en poudre et passée au tamis (ghorbâl) avant
d'être jetée dans une fosse où diluée dans l'eau ( mahlûl fel-mâ ) , elle prenait la consistance du lait caillé (Iben) en formant la chaux
grasse (jir 'arbï). On versait ensuite celle-ci dans le sable (rmel), le mélange (tabsiss) étant recommencé trois à cinq fois, (10
minutes environ) par jour, en plusieurs parties successives ( terf bel-terf) . On comparait cette opération à celle du pétrissage
de la pâte à pain — dont elle prenait le nom : 'ajna — suivie aussi d'une fermentation (takhmir) . Celui que l'on chargeait de ce
malaxage l'effectuait au pied et à la bêche (mesah) piétinant (ihafes) vigoureusement le mortier — comme une grande galette
d'argile — les jambes et les pieds enveloppés de chiffons (shlaïk) , et de peaux de chèvre (jild maaz) pour les préserver des
brûlures de la chaux que l'on renouvelait régulièrement.

U'ajna mtael-bani acquérait alors de plus en plus de force et de solidité (qoua).


l'habitation tunisoise 55

Dans les différentes parties du bâtiment, l'élévation des murs commençait par la construction de tous les
angles jusqu'à une hauteur de un mètre environ (shûkât mtd dàr al-kûl). Ainsi apparaissait nettement,
dès le début des travaux, la délimitation de l'ensemble des pièces entre la ruelle extérieure et la cour intérieure.
« Les parois du mur sont constituées par une double rangée (soft in) de pierres de même taille (hajar
soff), liées ensemble par V'ajna avec remplissage intérieur de pierres de blocage ( hajar malia) (1). Pour
obtenir le nivellement nécessaire, on établit, à certaines intervalles, des couches (soffât) de pierres plates,
sinon de briques pleines (yâjùr malyân) (2) (PI. I, fig. 9) ; le chaînage et l'ancrage d'un mur utilisent aussi,
comme à Fostat et dans les constructions de la Méditerranée Orientale, le bois de pin (snùbar) ou de genévrier
(sardâwï) (3) destinés à en assurer la régularité et la consolidation» (4).
Bien entendu, dans l'élévation des murs, on tenait compte de l'emplacement des portes et fenêtres
conformément aux dimensions prévues (5). Les montants en étaient souvent constitués par des piliers en briques
Carsa yâjùr) (6), le linteau étant fait d'un bois résineux fixé au plâtre (zebs) (7). Ala fin de la construction
seulement étaient montés autour des portes et fenêtres les encadrements de pierre comme nous le verrons
plus loin.
En même temps que les murs sont construites les galeries (burtâl) de la cour intérieure (wust al-dâr) avec
ses colonnes de calcaire (sârya kaddâl) ou de marbre (8), ses arcs de pierre ou de briques (akwâs) (9).
Le plâtre que fournit également la région de Tunis (10) servira aux enduits extérieurs et intérieurs (lïka) (11).
L'exécution de ces travaux demeure placée sous la surveillance d'un maître maçon (mallem) sinon de l'aminé
lui-même, depuis le rez-de-chaussée jusqu'à l'étage (12).

1. Largeur moyenne d'un mur : 70 à 80 cm (rarement 1 m).


2. Briques appelées aujourd'hui yajùr' arbi ; exécutées à l'aide d'un cadre ou moule en bois (kâle'o). A Tunis, la construction
devait utiliser surtout les briques de Qellaline.
3. Bois résineux, imputrescible, réduisant l'humidité des murs. Emploi du sardâwï — ou bois de genévrier far'ar) — dans
les linteaux des portes et fenêtres. Une rangée de petits rondins formant chaînage portait le nom de hasïra bel-sardâwî. On vantait
la résistance et le coût peu élevé de ce bois.
4. Pour verifier la régularité d'un mur en cours de construction, le maître maçon utilisait une équerre en bois ou en fer
à deux côtés (mizân lûha walla hadid ou kartbûn) et un fil à plomb (mizân el-khit) Ce dernier se terminait par un poids en fer
(ex : forme de toupie) surmonté d'une petite pièce de bois coulissante taillée en diabolo, plate aux deux extrémités. Le début
.

d'un mur était jugé en appuyant contre lui le rebord aplati du diabolo et en laissant pendre le fil à plomb jusqu'au sol. Par la
suite, un mur plus élevé était examiné à distance, le fil à plomb tendu devant les yeux du maçon.
5. Les plus anciennes demeures ne s'éclairaient sur la cour que par leur porte et sa lucarne haute. Plus tard, les premières
fenêtres flanquant cette porte de part et d'autre étaient de petites dimensions. Palais de Tunis, I et II, passim.
6. L'emploi de la brique était plus coûteux que celui de la pierre, dont on ne payait guère que le transport.
7. Au-dessus de la porte, ces bois étaient dissimulés par une planche peinte.
8. Palais de Tunis, I et II, p. 78.
9. kus, pi. akwâs.
10. La pierre à plâtre ramassée non loin de Tunis dans la région qu'elle désigne, Zabbas, était successivement calcinée au
four et réduite en poudre dans un grand mortier en bois (mahrâs lûha) que devait plus tard remplacer la tâhûna mtd zebes,
moulin actionné par un animal ; le plâtre pulvérisé était tamisé puis versé dans une cuve en poterie vernissée de Nabeul (mahbes
motli) où il était mélangé et brassé à l'eau pour former une pâte claire et homogène.
11. Etendu directement à la main dans les constructions ordinaires.
12. Achèvement fréquent, en priorité, de la cour avec sa galerie et sa corniche pour lui donner rapidement un bel aspect.
56 j. revault

Planche I

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arc. Modes de construction

1. Tuyau de poterie (shkaka) ; 3. Arc en briques sur champ ; 6. Alternance de rangées de briques
2. Mur construit en rangées de shkâk 4- Brique iyajïir) ; et de tuyaux de poterie.
entrecroisés ; 5 et 8. Mur en assises de briques ; 7. Alternance de pierres et briques.
l'habitation tunisoise 57

Rez-de-chaussée
Nombre d'habitations citadines, même parmi les plus riches, ne possédèrent longtemps qu'un rez-de-
chaussée (1). Le cas devait en rester plus fréquent encore autour de la Médina, à l'intérieur des faubourgs
(rbat) qui gardèrent, en l'absence d'étage durant les premiers siècles, l'aspect de grands villages (2).
Ces belles demeures de notables n'en imposaient pas moins par la hauteur particulière de leurs murs
— généralement aveugles sur le dehors — et les proportions des appartements s 'ouvrant sur la cour centrale.
Il s'y ajoutait aussi les dépendances habituelles comprenant magasins à vivres (bit el-mùna, makhzen), cuisine
(matbkha), logement domestique (dâr el-khdem), voire un bain privé (hammam), autour d'une courette
(dwïriya) (3) dont on soignait le charme interne et l'élégance architecturale. Les communs les plus
importants s'augmentaient enfin d'une seconde courette (rwâ) qu'entouraient des écuries réservées aux montures
du maître, à ses bêtes de somme et jusqu'au bétail amené parfois des henchirs (4).

Voûtes
Si l'on adopta toujours la voûte pour en couvrir l'ensemble des dépendances, ce mode de couverture
connut une faveur spéciale en milieu citadin pour assurer la protection du couloir d'entrée (drïba, skïfa)
et des appartements (bit, pi. byût) (5). L'usage devait s'en répandre également dans les maisons de plaisance
et résidences d'été (ksar, borj) édifiées par dignitaires et notables de Tunis dans la campagne environnante (6).
Dès que les murs appelés à supporter les voûtes étaient achevés, la construction de celles-ci était
entreprise (7).
Le plus souvent élevées en briques posées sur chant (8) (dams-bel-yajûr ràkdd) et fixées au plâtre (fig. 6),
elles sont doublées d'une voûte en pierre (dams hajar ou tahawïla), que recouvre ou non une terrasse en terre
battue (9). Parmi les formes qu'elles adoptent, la voûte en berceau (dams karrïta) (10) et la voûte d'arête
(dams tarbVa) sont les plus répandues. Il s'y ajoute encore la voûte simple, légèrement aplatie (dams ?hâr

1. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle que les riches demeures citadines s'augmentèrent plus souvent d'un étage, tandis
que le XIXe siècle vit parfois les palais se surélever de deux étages, Palais de Tunis, I et II, passim.
2. La surélévation de certaines maisons des faubourgs, à l'imitation de celles de la Médina, n'apparaît guère avant la fin
du XIXe siècle.
3. Le terme dwïriya (petite maison) ne possède que dans les grandes demeures le sens de maison domestique (dâr al-harka,
dâr al-khdem) , comprenant autour de sa courette (wusf al-dwirïya) , cuisine, chambre à provisions, logement des servantes (bit
al-khdem) et latrines (mïhâd, bit al-raha) Ailleurs, cette dernière signification correspond à la dwiriya.
.

4. Propriété rurale.
5. Les voûtes (dames ou dams, pi. admes) étaient appréciées pour leur solidité et la protection qu'elles assuraient contre
la chaleur et le froid.
6. Palais et résidences d'été de Tunis, III, passim.
7. L'exécution des appartements autour de la cour principale était suivie de la réalisation des dépendances (dwiriya et
makhzen) annexées à l'habitation.
8. Palais de Tunis, I, p. 79.
9. Certaines voûtes en briques sont doublées ou triplées pour en augmenter la résistance.
10. Littéralement : voûte en demi-roue de charrette ; appelée également dams nufs dura (voûte en demi-cercle) et dams ja'ba
(voûte en demi-tuyau).
58 J. REVAULT

fakrùri) (1), la voûte à pans — ou en arcs de cloître (dams-men -janbïn ù bsât) — et la coupole (kubba), les
deux premières construites en briques, la dernière en tuyaux de poterie (shkâk) (2).

Arcs
L'emploi des arcs (kus, pi. akwàs), comme celui des voûtes (3), était autrefois réservé exclusivement à
l'aménagement du rez-de-chaussée (4). Qu'ils soient brisés - outrepassés (kus mahmez) (XVe-XVIe et XVIIe
siècles) ou cintrés (kus nûfs dura) (XVIIIe et XIXe siècles), ces arcs apparaissent liés surtout à l'élévation
d'un élégant portique à colonnes de pierre ou de marbre, principale ornementation d'une cour intérieure.
Souvent limité à un seul côté — au-devant de la chambre - salon (bit ras al-dâr) — ce portique se répétait
parfois sur deux ou trois côtés d'un patio (5). Plus rarement se reproduisait-il sur les quatre côtés, le péristyle
ne pouvant appartenir qu'à la cour d'un palais.
Pourtant l'usage de l'arc s'étendait ailleurs (6). Nous verrons plus loin, avec l'étude de la pierre sculptée,
quelle importance on lui donnait pour rehausser l'entrée d'une riche demeure ; puis combien il fut en honneur
dans les luxueuses chambres à coucher (bit bel-kbû û mkâser) dont il constituait l'élément essentiel, marquant
l'ouverture des trois alcôves — médiane et latérales — d'une pièce en T, ainsi que la porte d'accès sur la cour.
Nous le retrouvons aussi dans les arcatures à fond plat des plus anciens patios, les niches de puits et
de citerne, sans compter l'arche ou le modeste portique des courettes domestiques (7). On l'utilisait enfin
en tout lieu de l'habitation ou des communs : arc doubleau et arc de redressement, pour renforcer la
résistance des voûtes d'une driba, d'un bortàl ou d'un makhzen. Aujourd'hui encore il suffit de parcourir les
anciens quartiers de la Médina pour comprendre la valeur que l'on attachait au bel aspect de l'entrée d'une
demeure. Une belle porte arquée apparaissait comme un véritable signe de noblesse qui s'imposait à la vue
des passants, contrastant curieusement avec la nudité et la blancheur uniforme des murs voisins.

1. Voûte en dos de tortue.


2. La voûte en briques sur chant s'appelait : dams bel-yajùr 'ala jneb (voûte en briques — posées — sur le côté) ou dams
bel-jrida û shajerwân (voûte — aux imbrications — en palme = arête de poissons, et en motif arborescent = croix à plusieurs
branches) (fig. 6 et 7). Le montage en était plus long que pour des briques disposées à plat justifiant cette autre appellation :
dams mbenï bel-nufs yajûra (voûte construite en demi-brique). Une voûte faite de briques à plat (dams bel-yajùr rakda) s'effectuait
rapidement, liée au plâtre au fur et à mesure (fig. 8). Ce procédé connu à Tunis depuis près de deux siècles y est encore appliqué
aujourd'hui et jouit de la même faveur à Nabeul et dans d'autres villages du Cap Bon. Rien n'est plus solide, affirme-t-on, que le
montage (tarkib) d'une voûte en briques effectué au mortier de plâtre. Le maçon qui réalise ce travail a toujours soin de conserver
un peu de plâtre frais dans sa main gauche pour en lier rapidement chaque brique à la suivante, tant ce plâtre sèche vite tout en
durcissant à l'air. On le réservait aux parties intérieures d'une construction (murs, voûtes, etc.) à l'abri des intempéries. La voûte
en pierre (dams bel-hajar) ajoutée fréquemment à la voûte en briques en vue de la renforcer était formée de rangées (soff) de
pierres disposées en quinconce — pour en assurer la meilleure cohésion possible — et tenues par un mortier de chaux.
On sait que l'usage de la voûte en pierre ou en brique est pratiqué de longue date dans la plupart des habitations
tunisiennes, citadines et rurales, depuis la région de Bizerte jusqu'à celles du Cap Bon, du Sahel et de Djerba.
Les palais d'Alger édifiés au XVIIIe siècle en montrent également un large emploi. G. Marçais, La Maison d'Alger, 7°
Cahier des Arts et Techniques d'Afrique du Nord, Tunis, 1974.
3. La brique et le mortier de plâtre servaient aussi à la construction des arcs.
4. Contrairement aux galeries des anciens patios algérois, comportant également des arcades au rez-de-chaussée et à l'étage.
Cf. G. Marçais, op. cit.
5. Palais de Tunis, I et II ; Palais et résidences d'été de la Région de Tunis, III, passim. On connaît encore la fortune des
arcs et des colonnes dans l'architecture religieuse tunisienne. G. Marçais, U Architecture musulmane d'Occident, Paris, 1954,
passim.
6. Emploi fréquent des arcs doubleaux pour conforter les voûtes des makhzen et des mâjen. Palais de Tunis, I et II ; Palais
et résidences d'été de Tunis, III, passim.
7. Jusqu'au XVIIe siècle, certains patios tunisois possèdent, à l'étage, d'élégantes fenêtres géminées, ibid.
l'habitation tunisoise 59

Nous expliquerons ailleurs la diversité de forme de ces arcs et le rôle qu'ils jouaient dans les façades
sur la rue avec leur parure de marbre ou de pierre : encadrement de porte ou arc de décharge — brisé -
outrepassé, surbaissé, cintré.
L'arc brisé-outre-passé, le plus difficile à exécuter, pouvait nécessiter la préparation préalable de son modèle
par un tracé au crayon sur la surface claire d'un mur, sinon l'exécution d'un solide bâti en bois (kâleb) (1)
correspondant à la forme à donner à l'arc. Cette forme était obtenue à l'aide d'un roseau ou d'une corde
tendue partant des différents centres déterminés pour le tracé de l'arc (2).

Terrasses
Lorsqu'une construction neuve se limitait à un rez-de-chaussée, on laissait souvent apparente à
l'extérieur sa couverture en voûte. Sinon on dissimulait celle-ci sous une terrasse, selon le procédé adopté
communément au-dessus des plafonds en charpente, particulièrement en honneur dans les palais des dignitaires du
Makhzen et nombre de demeures bourgeoises.
Si la voûte convient aux pièces d'habitation (3), nous en connaissons l'usage plus fréquent dans les
dépendances. Aux appartements comme aux galeries et bien souvent à la skifa, on préfère donner un plafond
en charpente (skaflûha). Le bois en vient des forêts de Khroumirie et son emploi toujours coûteux est
naturellement signe de richesse (4). Charpentiers et menuisiers se répartissent non seulement la préparation et la
pose des plafonds à solives apparentes ou à caissons, mais aussi celle des portes, placards, contrevents, lits
fixes, balustrades, intégrés à la construction (5).
Pour établir une terrasse (stah) au-dessus d'une voûte on recouvrait celle-ci d'une couche de terre, après
que les bords et les creux des intervalles eussent été comblés avec de grosses poteries inutilisables (jarres :
jrâr, khwâbï), celles-ci laissées vides pour ne pas surcharger la voûte (6).
Qu'elles fussent aménagées sur voûte ou sur plafond, les terrasses, caractéristiques de l'architecture
nord-africaine, avaient la même utilité. Leur but était également de protéger des intempéries les différentes
pièces qu'elles abritaient, en y atténuant le plus possible les rigueurs du froid en hiver et les excès de la chaleur
en été.
Sur un plafond en bois complété par une véritable charpente maçonnée, la terrasse devait former une
masse compacte et isolante, capable de résister à l'humidité et au poids des eaux de pluie (7). Celles-ci étaient
évacuées vers les conduites en poterie (halkùm) des citernes, grâce à la pente (solbân) ménagée à la
surface des terrasses (8). A cet effet, une couche de terre tamisée était tout d'abord étendue et mouillée (9),
puis on y ajoutait une couche de cailloux et de pierres concassées (sharshûr). Le mélange en était tassé et

1. ou cintre.
2. Infra. Nous savons que cet arc, très en faveur parmi les bâtisseurs andalous et morisques chassés d'Espagne, demeura
l'un des éléments les plus caractéristiques de l'architecture civile et religieuse à Tunis durant les périodes hafside et turque.
3. Palais de Tunis, I, p. 79.
4. On utilisait aussi le bois importé d'Asie Mineure, d'Italie et de France.
5. Pose de menuiserie des portes, placards et fenêtres après dallage et pavage des sols.
6. khwâser mta' dames.
7. La terrasse évitait à un plafond en bois de pourrir par l'humidité. Son épaisseur atteignait entre 15 cm (minimum) et
50 cm (maximum).
8. La pente (solbân, pi. slàben) d'une terrasse était calculée avec un abaissement de 3 cm environ par mètre entre les parties
les plus élevées et le voisinage du halkûm.
9. On utilisait si possible la terre d'anciennes terrasses que tamisaient au préalable les kheddâma.
60 J. REVAULT

aplati avec une planchette par des maçons auxquels incombait ce premier travail. Venait ensuite une seconde
couche faite de sable (rmel), de chaux grasse (jir sawâri) et de débris de poterie Qhkaf) (1), dont l'amalgame
était confié à des terrassiers noirs (ousfane). Accroupis en une seule rangée sur des petits tabourets très bas,
ces terrassiers procédaient au deuxième damage à l'aide d'une planchette en bois d'olivier (sbâtà), frappant
le sol en cadence en s 'accompagnant de chants. Puis la surface des terrasses était entièrement passée à la chaux,
que l'on étalait généralement avec une toile de sac (2). Ce procédé aboutissait, dit-on, à donner à la terrasse
la solidité du ciment et la blancheur du marbre (3).
Alors qu'une murette basse (gâffùri) formait l'encadrement habituel des terrasses (daïra mtd al stah)
on en élevait parfois la hauteur de façon à obtenir une véritable clôture (stàra). La stâra renforçait alors la
protection de la maison contre les incursions des voleurs (4), tout en permettant l'accès des terrasses aux
habitants de la demeure qui pouvaient s'y tenir à l'abri des regards du voisinage. Enfin l'aménagement complet
d'une riche terrasse appelait nécessairement son couronnement par une corniche en tuiles creuses vernissées
(kharnuk ou gaffûn karmûd). Cette corniche de tuiles vertes — plus rarement jaunes — terminait
heureusement un patio (5) et rejetait la pluie à l'écart de ses murs (PI. II).

Toits
Les couvertures en tuiles creuses apparaissent assez rares, à Tunis (6). On n'en trouvera tout d'abord
l'usage que dans les toits en pavillon d'inspiration hispano-maghrébine couvrant certains mausolées de leurs
tuiles vernissées (7). Il faudra attendre le XIXe siècle pour constater le nouvel engouement de la Cour beyli-
cale — imité par la haute société de la capitale — à l'égard des patios couverts d'un toit à deux pentes formant
lanterneau. Cette nouvelle mode italianisante a vite fait de s'étendre de la Médina à ses faubourgs, jusqu'aux
palais et résidences d'été des dignitaires et notables de Tunis (8).

1. L'usage des tessons de poterie (hamra) était réservé aux riches constructions auprès desquelles on les amenait de Qella-
line à pleines charrettes. Il s'agissait de débris de poterie non émaillée (shawât) jetés au rebut, que les potiers réduisaient en miettes
à coups de marteau avant de les vendre par couffins. Ce procédé était appelé à garantir l'imperméabilité de la terrasse. Dans le
mortier composé de sable (rmel) , chaux (jïr keddâl ou jîr sawân) et débris de poterie — ou chamotte — (shkaf) , on recommandait
contre les pousses végétales l'emploi du sable sec de plage, la même précaution valant pour les enduits des façades extérieures,
aussi bien dans les riches demeures que dans les monuments religieux. Le dosage de la chaux — chaux grasse employée encore
chaude — devait être soigneusement préparé, tout excès de chaux provoquant des fissures par éclatement dans une terrasse.
Le blanchiment avait lieu après trois ou quatre jours de séchage du mortier en été, davantage en hiver.
2. Le chaulage (tajria) des terrasses était renouvelé chaque année et faisait partie de l'entretien habituel de toutes les
maisons de la Médina. A cet effet, on utilisait de courts balais en palmier nain (msalha) que l'on avait soin d'épointer au couteau
pour le blanchiment des murs (tabîid) , non pour celui des terrasses (tajïir) ,
3. Dans les constructions modestes on se contentait d'une simple terrasse de terre et de pierres concassées recouvertes
d'un mortier ordinaire (baghll).
4. A cette précaution on ajoutait parfois celle d'une solide grille de fer (shabbak hadid) que l'on étendait sur l'ouverture
de la cour, les voleurs ne pouvant guère utiliser que le chemin des terrasses pour commettre leurs larcins.
5. zina al-akhâniya (embellissement final). On usait plus rarement de l'alternance de tuiles vernissées jaunes et vertes.
6. Comme les briques, les tuiles creuses étaient fabriquées jadis par les potiers de Qellaline jusqu'à la fin du siècle dernier.
Leurs anciens procédés sont conservés au village andalou de Testour, avec l'emploi du moule traditionnel en bois (kâleb).
7. Tuiles vertes, arrondies dans les toits en pavillon, en forme d'écaillés sur les coupoles.
8. Palais de Tunis, II, et Résidences d'été, III, passim. Bardo, Ksar-Saïd, Mohammedia, La Marsa, Carthage.
l'habitation tunisoise 61

Planche II

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i:
;

Tuiles rondes (karmûd) (pour toit et corniche)

1. Tuile ordinaire (élévation et plan) ; 3. Détail de jointure ; 5 et 6. Disposition des tuiles sur
2. Coupe ; 4. Tuile courte (élévation) ; corniche.
62 J. REVAULT

II s'agit souvent de vastes toitures faites de nombreuses rangées de tuiles romaines (1) dont le poids
énorme nécessitait une solide charpente et des murs d'une forte épaisseur (PI. III).
A l'intérieur du patio couvert, charpente et toit disparaissaient à la vue, cachés par le plafond peint
qu'ils abritaient (2).
Cependant, en dehors de cette adjonction apportée à certaines cours — qui se trouvaient ainsi
transformées en véritables salons de réception — appartements et communs conservèrent généralement leur
couverture traditionnelle en terrasse (3) et en voûte.

Etage
Lorsque l'élévation d'un étage était décidée au-dessus du rez-de-chaussée, elle pouvait être réalisée soit
au moment de la construction de l'ensemble de l'habitation (4), soit plus tard, pour répondre à des besoins
nouveaux (5). Quoi qu'il en soit, on se contentait de reproduire le même plan aux deux niveaux superposés
(al-soflï ù aVali) (6) : pièces simples (bit trïda) et pièces à trois alcôves (bit bel-kbù ù mkâçer).
De même le portique inférieur pouvait être surmonté, selon les cas, d'une seule loggia (gannàrïya)
donnant sur le patio, sinon de deux loggias symétriques (7) ou d'une galerie circulaire. Les unes et les autres
contribuaient à l'élégance et à l'agrément de l'habitation avec leurs colonnettes de marbre, de pierre ou de bois
supportant les poutres (kontra) ou linteaux au-dessous des terrasses (8). Leur aménagement était complété,
au moment de l'installation des boiseries — portes, fenêtres etc. — par la pose d'une balustrade en bois
tourné (darbùz) (9).
Au XVIIIe siècle devait être créé un nouveau type d'étage, différent et indépendant du précédent (10).
Le premier étant réservé à la famille (harem), le second fut affecté tout d'abord aux étrangers et visiteurs de

1. Tuiles creuses non émaillées (karmûda, karmud, pi. krâmad), disposées en rangées alternées concaves et convexes (pi. III).
2. On distinguait alors deux plafonds superposés : 1° le plafond inférieur comportant un décor peint sur bois ou toile
( skaf al-ûtâni ou skaf al-smâyd), 2° le plafond supérieur ( skaf al-fûkânî ou skaf al-mghatti bel-karmûd, désigné encore sous
l'appellation turque diwûr) .
3. Dans le Sud tunisien, le bois est remplacé communément par les troncs de palmier pour l'exécution des terrasses.
4. Les proportions des fondations et des murs variaient en conséquence. L'exécution de cloisons en briques était inconnue.
5. Les portes de communication intérieure (dwïriya, skifa...) étaient placées, nous l'avons vu, dans les angles du patio.
Il en était de même pour l'accès à l'escalier (drùj) reliant le rez-de-chaussée à l'étage. Si le support du drûj en maçonnerie (manjel
al-drùj) était effectué en même temps que les autres parties du bâtiment, on attendait l'achèvement des travaux salissants pour
entreprendre le montage des marches (darja) en calcaire, ardoise ou marbre. Cette installation suivait alors les travaux de
menuiserie et précédait ceux du peintre. L'escalier réservé aux terrasses portait le nom de mat la .
6. Termes plus récents : tâk al-soflï et tâk al 'alouï. L'étage était souvent moins haut de plafond et moins luxueux que le
rez-de-chaussée.
7. En face l'une de l'autre ; exceptionnellement jointes dans un même angle de la cour. Palais de Tunis, I et II, passim.
8. kontra, pi. knâtar. Le plafond de l'étage — galerie et chambres — était généralement en charpente, rarement en voûte.
9. Le pavage des galeries ne différait guère de celui des chambres qu'elles desservaient. On sait que l'usage des mosaïques
polychromes fut suivi, au XVIIe siècle, de l'emploi de petits carreaux de faïence (6 cm) dont la mode fut conservée par la suite
avec des dimensions variables (10 cm à 15 cm). Les carreaux bicolores (divisés en deux triangles noir et blanc) se prêtaient à
diverses compositions géométriques, très recherchées au XVIIIe siècle {Palais de Tunis, I et II, Résidences d'été, III).
La pose du carrelage nécessitait, au préalable, la préparation d'un mortier appelé à le supporter et à l'isoler du plafond
inférieur ; mélange de sable (rmel) , chaux (jir) et cailloux (sharshûr ) que des maçons damaient pour obtenir un sol plat et
résistant. Après trois ou quatre jours de séchage que complétait une couche de sable ordinaire (rmel mta" jbel), maçons ou nakkâsha
plaçaient les carreaux.
10. Palais de Tunis II, passim.
l'habitation tunisoise 63

Planche III

Tuiles creuses -(karmùd)

1. Vue perspective ; 4 et 5. Disposition par couches


2 et 3. Détail ; inversées et superposées
64 J. REVAULT

marque (selâmlîk) (1). Ce fut une vraie maison des hôtes {dàr al-dyâf) avec ses appartements autour d'un patio
que l'on imagina d'édifier au-dessus de l'entrée et des communs en raison de la solidité de leurs murs et de
leurs voûtes.
Ici, le patio atteignait rarement les grandes dimensions de certaines cours du rez-de-chaussée, si bien que
quatre colonnes d'angle suffisaient à porter le linteau — remplaçant les arcs — de sa galerie circulaire (2).
Un autre signe de richesse apparaissait encore à l'étage — de l'habitation ou des hôtes — dans son
extension au-dessus de la rue, sous forme d'encorbellement {kharâj), voire par un débordement complet enjambant
la ruelle sur une voûte en briques (sâbât) (3).
L'évolution de l'encorbellement, exécuté successivement en maçonnerie puis en bois sera précisée
ailleurs (4). On en voyait souvent la saillie surplombant la porte d'entrée, dont les abords pouvaient être
observés à loisir par les fenêtres barreaudées du kharâj.
Il arrivait que cette avancée présentât, aux yeux du passant, une irrégularité surprenante (5). Défaut
extérieur jugé sans inconvénient par le propriétaire qui en avait décidé ainsi pour corriger sa construction
et régulariser intérieurement la pièce correspondante.
L'élévation d'une chambre haute {kshuk) dominant les terrasses d'une habitation citadine en révélait
encore l'importance. Comme celle du dàr al-dyâf, la création du kshuk ne semble pas antérieure à l'époque
husseinite (6). Ouverte de tous côtés grâce à plusieurs fenêtres, cette pièce largement éclairée découvrait une
vue très étendue sur l'ensemble de la Médina et ses environs. Elle servait de retraite au maître ainsi que
d'observatoire au-dessus de sa propre maison et des rues voisines.
La surélévation du rez-de-chaussée par un étage (7) et une chambre haute exigeait naturellement l'ins-

1. On utilisait ce nouvel étage à l'occasion d'une fête ou d'un mariage. Cependant, on devait découvrir un tel attrait à
cette innovation que le maître de maison en fit de plus en plus souvent son lieu de séjour préféré, laissant à ses parents et à la
domesticité l'habitation traditionnelle avec patio au rez-de-chaussée.
On désignait habituellement la partie d'un étage selon ses caractéristiques : orientation, fonction, etc. ex : 'ail al-shorkl
(l'étage tourné à l'Est) ; 'ali al-gharbi (l'étage orienté à l'Ouest), 'ail al-gannàrîya (l'étage avec galerie)...
2. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que l'on renonça à la cour supérieure à ciel ouvert pour y adopter une couverture
à lanterneau — terrasse ou toit à deux pentes — disposition qui créait un large dégagement abrité en toute saison.
3. A l'écart de l'habitation familiale et bénéficiant d'une vue plongeante sur la rue — par une ou deux fenêtres grillagées
— cette pièce était fréquemment affectée à la réception de visiteurs de marque. Palais de Tunis, II, passim.
4. Dans la Médina de Tunis, les encorbellements apparaissent en moins grand nombre que dans les anciens quartiers d'Alger
(G. Marçais, op. cit). On en remarque aussi l'usage fréquent dans les palais mamelouks et ottomans du Caire et les maisons en
maçonnerie ou en bois d'Istamboul.
5. Encorbellement oblique : kharâj ma 'ûj ; encorbellement droit : kharâj mestouï. Cette saillie correspond souvent au
défoncement intérieur d'un kbû, sinon à une pièce de repos réservée au maître des lieux. De là, celui-ci se récréait en suivant
de ses fenêtres les mouvements de la rue, tout en surveillant les abords de sa porte d'entrée. Pour ces raisons, on prétend que
l'accès de cette pièce ouverte sur l'extérieur demeura longtemps interdit aux femmes et aux filles de la maison.
6. Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
7. Ce n'est que dans la seconde moitié du XIXe siècle que l'on s'enhardit jusqu'à superposer plusieurs étages dans certains
palais tunisois (Dâr Zarrouk, Dâr Ben Ayed...), à l'exemple des premiers grands immeubles italiens élevés dans le Quartier Franc
de la Médina {Palais de Tunis, II). Mais la fragilité de leur construction ne devait pas en permettre une longue durée.
l'habitation tunisoise 65

tallation d'échafaudage (sarir) en conséquence (1). Cependant, la construction des murs supérieurs
pouvait être allégée par l'emploi d'autres matériaux que la pierre. On remplaçait alors celle-ci par des rangées
de briques (çoffyajùr) (2) alternant avec des rangées de tuyaux de poterie (çoffshkàk) (PI. I) (3) et de poutres
de genévrier {§off sardâwï).
L'usage presque exclusif de shkâk était souvent jugé suffisant pour l'aménagement d'un k$huk afin de
ne pas surcharger la terrasse d'un poids excessif.

Enduit et blanchiment
Après l'achèvement du gros œuvre d'une construction on procédait à son enduit (lika) puis à son
blanchiment (tabiid). Les spécialistes de ces opérations venaient autrefois d'Oudref (Ouderfi, pi. Ouderfa) (4).
Les bannàya al-lïka commençaient leurs enduits par le centre de l'habitation pour répondre au désir du
« mouley ed dâr », impatient de pouvoir admirer le bel aspect de sa cour intérieure presque terminée. De plus,
on assurait ainsi la protection des murs contre la pluie, précaution renforcée, nous l'avons vu, parla pose
d'une corniche en tuiles rondes au niveau des terrasses.
De là on passait successivement à l'exécution des enduits dans les appartements et dans les communs.
Le mortier en était fait de sable de rivière et de chaux (5).

1. La nécessité pour le maçon de dominer constamment son mur en cours de construction l'obligeait déjà à monter un
échafaudage (sarïr) pour l'achèvement du rez-de-chaussée (al-sofli) avant le début de l'étage (al- ail). Il devait être exécuté,
dit-on, avec des mâts (wakaf) « aussi souples et solides que le roseau », et des traverses (blasât) ayant « la résistance du palmier ».
On attachait, au besoin, plusieurs mâts ensemble avec une corde d'alfa pour constituer un support suffisant. On estimait que pour
éviter les accidents — qui étaient alors peu nombreux — le temps accordé au montage d'un échafaudage (sarir mtd al-bani)
importait peu. Aussi avait-on coutume de l'expliquer ainsi : « khedma mta 'nhâr ; travail d'un jour de construction û sarïr mta'
jema^a : et échafaudage d'une semaine ». On évaluait à peu près à cinq ans la durée du matériel d'échafaudage.
Les matériaux nécessaires à l'élévation des murs étaient hissés sur l'échafaudage au moyen d'une corde et d'une poulie
(jerrâra) en bois (le mortier dans un seau en bois — beliûn lûha — , les briques, etc., dans un couffin d'alfa — kuffa halfa —),
sinon avec un palan (balanko) muni également d'une poulie et de chaînes.
Lorsqu'il ne provenait pas des forêts de Khroumirie, c'est par voilier (merkeb, pi. mrâkeb) qu'était importé à l'état
sec le bois destiné à la fabrication des pièces d'échafaudage. Du port de débarquement à Halq el-Oued (La Goulette), il était
ensuite acheminé par charrettes (krâret) jusqu'à Tunis.
Amené sous forme de tronc équarri (taillé sur trois faces), ce bois devait alors être confié aux neshshâra (scieurs) qui le
débitaient, à deux hommes — le plus souvent originaires d'Algérie — à l'aide d'un chevalet (fiammâr) et d'une scie (monshar)
maniée de haut en bas.
2. L'élévation d'un mur en briques s'effectuait rapidement grâce à la répartition des tâches, l'un des aides préparait le
mortier et l'apportait à pied-d 'œuvre, un autre présentait les briques au maçon qui les plaçait au fur et à mesure.
3. soffa, soff, pi. sfâf. On appréciait aussi la solidité, la résistance et la légèreté des shkak (sing, shkaka) dans les coupoles
des zaouias et torbas (mausolées).
4. Village proche de Gabès, dans le Sud tunisien.
5. rmel al-wâd et jir étaient toujours utilisés dans les enduits d'une riche demeure. La chaux extraite de la pierre calcaire
(jir keddâl) était recommandée, malgré son coût élevé.
Si on limite aujourd'hui l'enduit à deux couches de mortier, autrefois il était d'usage d'appliquer trois couches
suc es ives ; la première était destinée à couvrir les aspérités et inégalités des pierres ; la seconde présentait un aspect rugueux tandis
que la troisième donnait au mur une surface lisse (rofba) .
Perché sur son échafaudage, l'Ouderfi puisait dans un récipient au fond incurvé (sondùk al-ajna) le mortier qui lui était
nécessaire à l'aide d'une planchette de bois (kaf) . Il en chargeait une sorte de truelle (mellâka) — également en bois — et pourvue
d'une poignée.
66 J. REVAULT

S'agissant d'un palais princier ou de la résidence d'un haut personnage, l'enduit au mortier était
remplacé de préférence — tout au moins à l'intérieur des appartements — par un enduit au plâtre (zebs) (1)
qui donnait une belle surface unie et claire. Ensuite avait lieu l'installation des tuyaux de poterie vernissée
dans les angles du patio (2). Le blanchiment des murs ne pouvait être entrepris sur l'enduit ordinaire (sable
et chaux) qu'après un séchage complet de celui-ci, variable suivant les saisons (3). A la suite de l'enlèvement
des échafaudages, on dressait le long des murs des échelles (slâlem) (4), que l'on joignait bout à bout par
des cordes afin de permettre aux blanchisseurs (bayyâda) (5) de couvrir de chaux les surfaces murales de haut
en bas, à l'aide de petits balais (msalha) en palmier nain (6).

Décoration de l'habitation et des communs


II restait à exécuter, pour l'ensemble de la nouvelle construction, sa garniture {harj) (7) de pierre, de
faïence, de bois et de fer, sans compter l'ornementation sculptée et peinte destinée à donner à la future demeure
tout l'éclat et l'agrément souhaitables.
Sols : dallage et carrelage
La pose des sols — pierre {keddâl), marbre (rkhâm) ou faïence (zellij) (8) — incombait aux tailleurs
de pierre (nakkâshà) (9). On commençait par le dallage ou le carrelage des appartements, les dalles et carreaux
nécessaires ayant été préparés à l'avance. On continuait par les dépendances, laissant en suspens la cour et
l'entrée pour le passage et le dépôt des matériaux ainsi que la préparation des mortiers (10).
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, l'usage des mosaïques puis des carreaux de faïence prévalut dans
l'aménagement du sol des chambres et salles de réception, les dalles étant réservées à l'encadrement général des
carrelages ainsi qu'au revêtement des sols de la cour, des portiques, couloirs de communication, escaliers
et communs (11).
Au siècle dernier, la mode du dallage en marbre de Carrare, lancée par la Cour beylicale, devait être
adoptée non seulement par ministres et dignitaires du Makhzen, mais aussi par toute la bourgeoisie tunisoise.
Désormais le marbre italien — complété par les carreaux de faïence napolitaine (12) — allait connaître la

1. On trouvait du plâtre, nous l'avons dit, non loin de Tunis, près de la route de Bizerte (région de Zabbas). De pauvres
gens faisaient parfois métier de le ramasser (zebbâs) et de le transporter jusqu'au four (kûsha) à dos d'âne ou de chameau.
2. Cette installation ne pouvait avoir lieu qu'après achèvement des enduits de la cour, une gouttière verticale concave
étant ménagée dans les angles pour les tuyaux de poterie (mizâb) à émail vert des palais et riches demeures — non vernissées
dans les habitations ordinaires.
3. On tentait de remédier au salpêtre fréquent dans les murs par grattage (karkish) sinon par de véritables réparations.
4. sallûm, pi. slâlem.
5. bayyâd, pi. bayyâda.
6. Parfois on préférait avoir recours à un mélange de chaux (jir keddâl) et de poudre de marbre blanc d'Italie qui
donnait au badigeon un éclat très recherché et une résistance particulière à l'eau.
7. harj, vocable employé également pour désigner la garniture d'une chambre: tentures, tapis, rideaux...
8. Voir infra.
9. Sinon aux maçons selon les indications des nakkâshà.
10. Au cas où la dwiriya disposait d'une porte de communication avec l'extérieur, les travaux se terminaient de ce côté.
11. Les faïences tunisoises seront l'objet d'une étude ultérieure.
12. Carreaux de 20 cm.
l'habitation tunisoise 67

plus grande vogue en milieu tunisois, l'emploi s'en étendant de plus en plus depuis les patios jusqu'aux
appartements — à l'exception des communs toujours dallés de calcaire.
Avant de disposer dalles ou carreaux de faïence, on avait soin d'étendre au préalable un lit de mortier
semblable à celui dont on avait couvert les terrasses. Un mélange de cailloux (sharshùr) et mortier de sable
et de chaux (baghli) était appelé à aplanir la terre et à constituer un support solide. A cet effet la couche de
mortier était damée (1) puis on la laissait sécher plusieurs jours, une couche de sable ordinaire (2) y étant
ajoutée pour faciliter le séchage.

Murs, lambris et frises

Le décor mural était réservé exclusivement aux parties nobles de l'habitation. Fidèle à une tradition
séculaire, il se composait essentiellement de faïence et de plâtre sculpté.

Céramique
La céramique ornait en priorité les lieux de réception, qu'ils fussent réservés aux étrangers à l'entrée
de la demeure {driba et skïfa), ou à l'accueil des intimes ou des grands personnages dans la plus belle pièce de
la maison (kbû bit ras al-dâr). Ici les revêtements muraux couvraient les trois côtés du défoncement médian de
la salle en T — face au patio — jusqu'au niveau des étagères qui les surmontaient (3). Leur style s'accordait
avec celui du pavage. Les jeux de fond polychromes à motifs géométriques et floraux succédèrent aux
mosaïques de type hispano-maghrébin et précédèrent les panneaux à arcs, vases et bouquets turquisants qui furent
particulièrement en honneur au XVIIIe siècle (4). Ailleurs des bandeaux de faïence pouvaient rehausser les
encadrements de pierre ou de marbre des portes et fenêtres, à l'extérieur et à l'intérieur des appartements (5)
Longtemps cette ornementation colorée égaya les intérieurs tunisois avec une sobriété de bon aloi,.
contrastant heureusement avec la blancheur uniforme des murs et la sévérité des arcs et parements de pierre.
Cette juste mesure allait disparaître vers le milieu du XIXe siècle devant l'importation des carreaux
italiens (zellij taliari) dont la vogue envahissante devait causer la ruine de l'industrie locale de Qellaline (6).
Dès lors, ces nouveaux carreaux se répandirent à profusion — telle une véritable tapisserie — sur toute
la surface des murs des palais beylicaux et habitations citadines, depuis le sol jusqu'au plafond (7). Dans les
divers cas, on chargeait de la pose des faïences murales les artisans qui avaient effectué celle du carrelage.
Le choix, le décompte et la composition en avaient été généralement arrêtés auparavant par l'aminé des
sculpteurs (8). La fixation au mur des carreaux était réalisée le plus souvent au plâtre.

1 . On dit des maçons qui exécutent le damage : irzemïi.


2. Sable du Jbel Ahmar près de l'Ariana.
3. Même niveau que celui des portes de la chambre principale et de ses chambrettes (mkâser).
4. Palais de Tunis, I, p. 86-87, II, passim.
5. Ce décor polychrome pouvait s'étendre jusqu'à certaines parties du patio : frise, boucles des arcs, niches murales.
6. Notons auparavant la mode de carreaux étrangers (12 à 15 cm) provenant surtout de France et d'Espagne.
7. Ces carreaux italiens étaient distribués fréquemment en trois zones distinctes : soubassement, lambris et frise — qui
remplacera désormais l'ancienne frise de stuc — . On disait alors : ksawû al-hyût be zellij {aliân (on a revêtu les murs de faïence
italienne).
8. Le choix des carreaux était réalisé avec l'accord du propriétaire auquel des échantillons avaient été soumis au préalable.
Les carreaux italiens plaisaient non seulement pour leur nouveauté mais aussi pour la commodité de leur emploi due à la régularité
des formes et à la facilité de la taille.
68 J. REVAULT

Plâtre sculpté
Le plâtre sculpté au fer (1) {naksh hadïda) fut pratiqué de longue date dans la capitale de l'Ifriqiya puis
de la Régence de Tunis (2).
Nous en reconnaîtrons longtemps le style caractéristique importé d'Espagne, dans lequel s'entremêlent
des éléments géométriques et floraux — rosace entrelacée, palmette, pomme de pin, etc. qu'accompagnent
fréquemment des bandeaux et cartouches épigraphiques (3).
A cette ornementation classique allaient s'ajouter, entre le XVIIIe et le XIXe siècle, de nouveaux motifs
de type husseinite inspirés de la Turquie et de l'Italie : étoile à huit pointes, médaillon persan, cyprès stylisé,
vase à rinceaux (4).
En dépit de ces changements, le décor de stuc demeura, au cours des siècles, lié principalement à
l'enrichissement des habitations citadines (5), une véritable dentelle de plâtre s'y déroulant en frise autour du patio
comme à l'intérieur de l'entrée (drîba, skïfa), des chambres et salles de réception (6).
« Le décor du plâtre sculpté au fer {naksh hadïda), tel qu'il est encore pratiqué à Tunis par les derniers
artisans spécialisés dans cet art (7), utilise du plâtre (zebs) gris ou blanc de provenance locale (8). Réduit en
poudre et tamisé (mgharbal), il est mélangé à l'eau et malaxé de façon à pouvoir être étendu à la main, par
couches successives, au fur et à mesure de la décoration murale. Comme il importe de conduire ce travail
rapidement, celui-ci nécessite toujours une équipe de deux ou trois sculpteurs (nakkâsh) (9) — m'allem et
kalfa. Tandis que l'un d'eux esquisse (irsham), à la pointe (bùnta), à la règle (mastra) et au compas (dâbid),
le tracé général sur le plâtre frais (10), un autre entreprend l'ébauche du découpage au fer avant de procéder
au finissage détaillé — confié, au Maroc, à un troisième sculpteur. On a soin de creuser le plâtre en biais
dans une frise murale qui doit être vue d'en bas. Celle-ci se composant toujours de panneaux (11) entourés
de bandes d'encadrement, le découpage du plâtre y débute par le panneau inférieur (12). Par ailleurs, des vitraux
surmontent la porte des appartements. Ce sont les « claustra» dont l'arcature se relie souvent à celle des
frises. Comme l'ornementation murale, ces fenêtres hautes cloisonnées de plâtre, existaient déjà en Ifriqiya

1. L'outillage du stucateur ne comprenait pas moins de quinze outils en fer.


2. Palais de Tunis, I, p. 87-88.
3. Inscriptions eulogiques.
4. Ces éléments décoratifs proviennent d'une source commune à certaines faïences de même époque.
5. L'évolution de son style s'accorde avec celle de la céramique murale et de l'ornementation des plafonds.
6. Palais de Tunis, I et II ; Résidences d'été, III, passim.
A l'intérieur d'un patio, la décoration stuquée se prêtait à une réelle variété de compositions : succession de panneaux
carrés ou rectangulaires, frise de motifs géométriques ou d'arabesques, arcs répétés autour d'un foisonnement d'éléments
géométriques et floraux...
7. Palais de Tunis, I, p. 87.
Le travail du stucateur nécessitait l'emploi d'un échafaudage.
8. En cas d'emploi de plâtre gris, celui-ci est dissimulé sous une couche de plâtre blanc.
9. nakkâsh, pi. nakkâsha.
10. Le mélange du plâtre est confié au kalfa, le m'allem se réservant le soin de l'appliquer et de l'étaler à la main sur le mur
(iliyek be yeddoh tarf be tarf).
1 1 Répétition de panneaux à arceaux cintrés ou à lambrequins.
.

12. L'exécution initiale de la bande d'encadrement de ce panneau servait de base au travail qui s'ensuivait.
l'habitation tunisoise 69

aux Xe-XIe siècles (1). Leur exécution se fait à l'intérieur d'un cadre de bois rempli de plâtre frais que l'artisan
découpe selon différents motifs parmi lesquels la rosace entrelacée semble l'un des plus usités. L'envers du
claustrum est ensuite garni de morceaux de verre de couleurs dont l'assemblage traversé par la lumière égayera
chacune des chambres » (2).

Voûtes et plafonds

Décor des voûtes


Le décor des voûtes — voûtes d'arête, berceaux, voûtes à pans — ainsi que des coupoles, eut également
recours à l'art du sculpteur sur plâtre. Le répertoire ornemental que l'on y adopta ne différait guère de celui
qui a été décrit plus haut, également soumis à la même évolution artistique (3). Il en résulta aussi un mélange
de styles qui ne fut pas toujours évité. En fait, on le rechercha au siècle dernier en raison de l'importance des
surfaces à décorer. Par ailleurs un maître artisan résistait difficilement aux occasions qui lui étaient offertes
de montrer la diversité de ses connaissances, sa fierté étant partagée par son commanditaire (4).
Le goût que l'on conserva si longtemps pour le décor stuqué se manifesta non seulement dans les palais
et demeures de Tunis, mais aussi dans les luxueuses résidences d'été édifiées autour de la capitale.

Décor des plafonds


Pendant la période turque et une partie de la période husseinite, on conserva l'usage des plafonds haf-
sides ; plafonds à solives apparentes, et à décor géométrique et floral (5). L'exode renouvelé des émigrés
andalous, puis morisques, contribua, nous l'avons dit, au maintien de cette forme architecturale et
ornementale entre le XIIIe et le XVIIe siècle, comme il l'avait fait pour la céramique et le stuc.
Depuis la drïba et la skïfa jusqu'au portique {bortâl) de la cour et aux chambres, cimaise (îzâr),
encadrement (mkabba) du plafond, solives (kontra) et entre-deux se couvrirent soit d'arceaux à lambrequins avec
palmettes, soit de rosaces entrelacées, hexagones allongés et étoiles octogonales. Les mêmes éléments se
répétèrent dans le plafond à caisson (kubba) du kbû (6).
A la fin du XIXe siècle, un retour momentané au style hispano-maghrébin devait se manifester une
dernière fois à Tunis, à l'instigation des beys Mohamed et Mohamed es-Sadok, qui désiraient en rehausser
l'ornementation de leur palais du Bardo.

1. Palais de Tunis, I, p. 88.


2. Ibid. La même technique — vitraux fixés dans une armature de plâtre — fut en honneur à Istamboul et au Caire où
les monuments religieux et les palais en ont conservé de nombreux exemples.
3. Les rosaces entrelacées et les vases à rinceaux y apparaissent les thèmes décoratifs préférés. Un décor identique revêt
les coupoles des monuments religieux.
Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
4. Ibid.
5. Ibid. p. 89-90. Plafonds à solives transversales, — plus rarement en carène — ornées de sculptures (takhrîsh) et de
peinture (dehan) au coloris bleu, vert, jaune, blanc, noir, et or sur fond rouge.
Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le style hispano-maghrébin conserva la faveur des Tunisois qui accueillirent en même
temps le nouveau décor italo-turc dans certaines parties de leurs demeures.
6. Un soin particulier était apporté à l'ornementation de ce plafond comme à l'embellissement de l'ensemble du kbû.
70 J. REVAULT

Entre temps les menuisiers et peintres de plafonds adoptèrent un nouveau type de charpente et de décor
— sans abandonner entièrement pour autant leurs anciennes traditions. Ces plafonds comportèrent alors une
charpente — sous terrasse — (skaf al-fûkânï) à laquelle était fixé un second plafond à surface plane (tajlîd)
destiné à recevoir la décoration peinte (skaf al-ûtânï) (1).
On y admira des motifs floraux inspirés de la Turquie et de l'Italie, les compositions innovées par les
peintres (dahhân) tunisois présentant souvent une curieuse ressemblance avec les tapis dont elles imitaient la
distribution entre champ central, écoinçons et cadre. Leur dominante jaune et rouge devait se retrouver
également dans le plafond des chambres et les ciels de lit (sadda) (2).
Qu'il s'agisse d'un palais ou d'une riche maison de notable, les travaux de plâtre sculpté et de peinture
des plafonds étaient généralement menés de pair. Cependant, de tous les artisans employés au chantier, le
dahhân restait toujours le dernier à la tâche, l'importance de celle-ci le retenant plusieurs mois, voire une année
entière, au même endroit.

Pierre et marbre. Encadrements de portes, fenêtres, citernes et puits

Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, le beau calcaire (keddâl) gris ou rose du Cap Bon joua un rôle essentiel
dans toute grande construction civile ou religieuse. On le remplaçait seulement dans les palais et certains
monuments religieux par le marbre clair (rkhâm) du Jbel Ichkeul (3). Dans toute la Médina de Tunis, il
n'existait pas de porte, aussi modeste fût-elle, qui n'apparût encadrée de keddâl. La forme, les dimensions, le décor
de chaque porte fournissent encore aujourd'hui de précieuses indications sur ses fonctions particulières (entrée
principale, communs), ancienneté de l'habitation à laquelle elle appartient et la fortune passée de ses maîtres.
Ainsi, l'importance d'une façade reste l'unique signe visible de la richesse d'une demeure jalousement
fermée ; elle permettait d'imaginer à l'intérieur de celle-ci un plus large emploi de la pierre de taille entre le
couloir d'accès, la cour, les appartements et une partie des communs.
« Une riche façade (ûjah al-dâr) ne comporte, on l'a vu, que l'ornementation de sa porte (4), porte cloutée
que rehausse un large encadrement de pierre calcaire souvent doublé de grès coquillier disposé en assises
sur les côtés (5) et parfois en plate-bande appareillée (mrâya) au-dessus du linteau. Parmi les divers types de
portes en usage, à l'époque turque — portes à linteau droit, à arc bombé, à arc outrepassé — l'un des plus
caractéristiques est, sans doute, l'encadrement de pierre droit surmonté d'un arc de décharge (tahlïla).
L'ornementation sculptée s'y cantonne à la base des piédroits (kursï) (6) ainsi que dans les parties médiane et
latérales du linteau (jabha). Technique et inspiration décorative en sont orientales : sculpture à champlevé et
en biseau, motifs turquisants ; géométriques (rosace rayonnante — kamra — ou entrelacée - khatïm), floraux
(rinceaux - nawwâr - vase et bouquet - mhabas û mashmùm - rosette - ward), arborescents (cyprès - sarwal),
architecturaux (arcatures - akwas). Dans certains cas, le tympan se creuse d'une petite niche (mïhrab) qui
signale au passant, dit-on, la demeure d'un personnage religieux. Ces éléments décoratifs utilisés dans la
sculpture de la pierre, on les retrouve en Asie Mineure d'où les nouveaux maîtres de la Tunisie les ont cer-

1. Appelés aussi skaf al-smâya, ces plafonds rappellent quelquefois, par leur forme et leur décor floral, certains plafonds
de palais ottomans au Caire.
2. Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
Une étude détaillée sera consacrée aux boiseries et plafonds peints des anciens palais et demeures de Tunis
3. Près de Bizerte.
4. Palais de Tunis, I, p. 81.
5. Ces côtés prennent parfois la forme de pilastres.
6. Jambage ou montant : khadd, pi. khdûd, base des pieds-droits : kursi, pi. krâsi
l'habitation tunisoise 71

tainement apportés avec eux (1) ; ils s'associent très heureusement ici aux portes cloutées que l'on doit aux
Musulmans émigrés d'Espagne. Ne reconnaît-on pas, d'ailleurs, une même valeur prophylactique aux motifs
cloutés et sculptés et ne voit-on pas encore ces derniers apparaître fréquemment, au cimetière du Jellaz, sur
les tombes de calcaire ou de marbre contemporaines (1) ?
A l'intérieur d'un palais ou d'une luxueuse habitation, la sculpture de la pierre contribue aussi à leur
embellissement. Mais que ce soit dans la skïfa, le patio ou les chambres, elle n'y souligne plus guère que la
base des montants des portes (2), alors que se développe largement autour des encadrements de pierre unie,
toute une ornementation céramique, stuquée et peinte ».
Avant que ne se répandît auprès de la haute société tunisoise l'usage du marbre d'Italie dont le Palais
du Bardo donna l'exemple, on s'enorgueillissait de posséder une belle demeure — quelle qu'en fût
l'importance — entièrement parée de keddâl.
Les palais princiers qui pouvaient avoir recours au marbre clair de l'Ichkeul le rehaussaient d'un marbre
noir dans le clavage des arcs et les linteaux appareillés des portes et fenêtres (3).
Aux XVIe et XVIIe siècles on avait à peine franchi le seuil de l'entrée que le calcaire apparaissait
soigneusement taillé dans les banquettes (dukkâna) de la drïba (ou de la skïfa). Une rangée de niches en creusait
souvent la partie inférieure, des colonnettes à arcatures en divisant parfois le siège. La vue du patio révélait
encore davantage l'art du tailleur de pierre ; autour d'un dallage formé lui-même d'un solide assemblage
en keddâl, les quatre façades présentaient un heureux ensemble en pierre de taille. En l'absence de portique,
l'alternance de hautes niches à fond plat terminées par un arc brisé outrepassé — et des portes et fenêtres à
linteau droit, suffisait à donner à la cour intérieure un aspect reposant, équilibré et avenant (4).
Lorsque s'ajoutait la présence d'un ou de plusieurs portiques également en keddâl, l'effet obtenu devenait
particulièrement agréable (5). Ce fut le cas des élégantes demeures à galerie unique ou triplée que complétaient
une ou trois façades à hautes niches arquées, appareillées en calcaire gris ou ocre.
L'emploi du calcaire se manifestait d'une façon non moins harmonieuse dans chacune des chambres
donnant sur le patio (6). La pièce à trois alcôves — médiane et latérales — (bit bel-kbù û mkâser) était
naturellement la plus richement parée. Devant la porte à linteau droit (7) flanquée de deux fenêtres symétriques,
s'ouvrait le grand arc brisé outrepassé du kbù (8) entre les deux portes des maksùra ; semblables à l'arc de
l'alcôve centrale se répétaient ceux des alcôves extrêmes réservées aux lits.
La pose du keddâl par les nakkâsha avait lieu, selon les cas, à diverses étapes de la construction (9). Le
dallage du sol précédait toujours, nous l'avons dit, le revêtement mural, à l'exception du dallage de la cour

1. Dans certains linteaux de porte, la sculpture est remplacée par des incrustations de plomb (rsâs).
2. Tandis qu'à l'époque turque et au début de la période husseinite, la dalle d'une tombe importante s'orne d'un « mihrab »
avec vase et bouquet, sinon d'une rosace ou d'un carré entrelacé, les côtés présentent soit des rinceaux, soit des arcatures, sinon
une rosace entre deux cyprès. Les tombes en calcaire sont exécutées par des artisans tunisois qui s'inspirent des sépultures de
marbre clair commandées à Istamboul par les grands personnages du Makhzen et certains notables (communication orale de
H.H. Abdulwahab).
3. Palais de Tunis, I, : Dâr Othman, Dâr Bel Hassen, Dâr Mrabet...
4. Ibid. : Dâr El-Haddad, Dâr El-Hedri, Dâr Romdane bey, Dâr Dennouni...
5. Voir infra.
6. Sans compter les niches de puits et de citerne.
7. Remplacé par un arc brisé à claveaux bicolores dans plusieurs palais et luxueuses demeures, entre le XVIe et le XVIIIe
siècle.
8. Au XVIIIe siècle, cet arc brisé se transforma en arc à plein cintre, réalisé en maçonnerie et recouvert d'un décor de
naksh-hadida.
9. Avant tout revêtement mural de faïence et de stuc ainsi que le décor des plafonds.
72 J. REVAULT

intérieure et des couloirs d'accès, sinon de la dwîrïya (1). Toutefois les contours (mâdda) du patio étaient
déterminés en même temps que la bordure en pierre de taille d'un bortâl (2). Le niveau (mïzân) de cet encadrement
était calculé par l'aminé des nakkàsha qui se basait sur la mâdda pour donner à la surface de la cour la pente
(solbân) indispensable (3) à l'écoulement des eaux (4). Les matériaux nécessaires aux parements ayant été
préparés à l'avance, dans les ateliers des tailleurs de pierre, leur montage était effectué par les nakkàsha eux-
mêmes dans l'ordre habituel. L'installation d'un encadrement d'alcôve, comme celui d'une porte, d'une fenêtre
ou d'une niche de citerne, commençait régulièrement par la base (kursï) des piédroits (khdûd) pour se terminer
par l'arc (kùs) ou le linteau (jabha) (5). Par la suite, le dallage complet de la cour principale et de l'un des
accès sur l'extérieur — skïfa ou bâb al-dwîrîya — annonçait la fin de la construction.

Bois. Portes, contrevents, mobilier fixe


L'achèvement du revêtement en keddâl des murs intérieurs puis de leur décor en faïence et en stuc,
laissait le champ libre aux menuisiers pour réaliser leurs divers travaux. Les uns (nejjâra al-bibân) avaient
la responsabilité des portes (bâb), contrevents (sarfâka) et placards (tâka) ; les autres (nejjâra al-âtât) étaient
chargés d'exécuter le mobilier fixe : lit (sarïr, hânùt hajjâm) avec ciel de lit (sadda), étagères (marfd).
Ces divers travaux étaient exécutés plus aisément par les artisans dans leurs ateliers respectifs. Ils
disposaient à cet effet de réserves de bois entreposées dans leur makhzen où ils le laissaient sécher durant cinq
ou six ans. Si on utilisait couramment les essences locales que fournissaient surtout les forêts de Khroumirie,
on appréciait également les bois importés, notamment le «bois rouge» que l'on faisait venir d'Istamboul.
Nous montrerons plus loin le rôle des scieurs professionnels (neshshâra) auxquels les menuisiers confiaient
le débitage de leurs planches (6). Portes à deux battants — pliants ou non — et contrevents étaient amenés
à pied d'œuvre, souvent rehaussés d'une ornementation cloutée ou sculptée (takhrïsh). Avant l'usage des
cadres en menuiserie, les portes étaient munies de gonds tournant, en bas, dans des crapaudines, en haut
dans les orifices d'un linteau en bois (7).
Compte tenu de la qualité du bois utilisé, portes et contrevents étaient peints ou passés à l'huile et à la
cire (8). Par ailleurs, dans toute habitation luxueuse on accordait un soin particulier à la décoration des lits

1. Il était, en effet, nécessaire de laisser certains endroits inachevés à la disposition des maçons et autres artisans pour en
permettre librement les allées et venues de l'extérieur à l'intérieur de la construction, la préparation du mortier, le dépôt des
matériaux, etc.
2. mâdda, bordure en calcaire ou en marbre d'une cour ou d'un portique {mâdda mtdal-borfâl).
3. Une disposition analogue était adoptée dans la galerie de l'étage.
4. A l'une des extrémités de la cour d'habitation ou de la courette de la dwiriya, une dalle percée de trous (maskùka) servait
à l'évacuation des eaux de pluie et des eaux usées vers les canalisations souterraines (sakiyât al-mâ), peu profondes, réalisées
en briques.
Un autre type de conduites était adapté à l'usage des latrines, conduites (sakiyât al midâh, pi. swâkî) ou égoûts
particuliers dont le fond, profond de 50 cm et large de 30 à 40 cm était fait d'une couche de pierres plates (farsha keddâl). Ces conduites
aboutissaient soit à une fosse d'aisance (gomma) creusée dans les communs — si possible auprès du lieu réservé au bétail — soit
aux égouts publics (khandak, pi. khnâdek). Egalement construits en pierre, en partie à ciel ouvert, avec une profondeur de 2 m
environ, ces khandak dabiyan se déversaient dans le Lac de Tunis. Le plus ancien, sans doute, partait de la Kasbah et longeait
la rue de la Grande Mosquée. Deux autres avaient également leur origine à Bâb Saadoun pour passer, le premier près de Bâb
Sidi Abd es-Slam — à l'endroit qui a conservé à la rue le nom de nhaj al-khandak — le second, place Halfaouine, à côté de la
Mosquée de Yousef Saheb et Taba'a
5. Voir infra.
6. Infra.
7. Palais de Tunis, I et II, passim.
8. Ibid. Ce dernier procédé était réservé aux portes et contrevents à panneaux rehaussés d'un cloutage de cuivre en raison
de la qualité du bois employé (zùz : noyer) (XVIIIe-XIXe siècles).
Palais de Tunis, II, passim.
l'habitation tunisoise 73

d'alcôve (hanût hajjâm). Selon les époques ces lits monumentaux comportaient une ornementation sculptée,
tournée, peinte ou entièrement dorée (1).
On ne manquait pas d'assortir ensuite à ces premiers meubles les autres pièces de mobilier traditionnel
(âtât ai-bit) ; longtemps inspiré de l'Orient, celui-ci se composait essentiellement de divans, tables basses,
coffres, étagères auxquels s'ajoutaient tapis, tentures, coussins, miroirs et lustres (2).
Enfin on ne doit pas oublier le rôle des grilles de fer (shabbâk) dont il sera donné une étude détaillée.
Fixées aux fenêtres extérieures aussi bien qu'intérieures, ces grilles s'ajoutaient aux solides portes cloutées
des habitations citadines, riches ou pauvres, pour assurer la défense de toutes les issues. Grilles en fer rond,
carré ou plat, aux barreaux entrecroisés, disposés en volutes ou en réseau losange (3).
La protection contre les voleurs ne rendait pas moins nécessaire l'usage d'une grille au-dessus de la cour
d'habitation et des communs, ses larges mailles en fermant fréquemment l'ouverture à la hauteur des terrasses.

Achèvement de la construction
L'ensemble de la construction étant terminé, il convenait d'effectuer le nettoyage (ndâfa) complet de
l'habitation et des communs tout en procédant à l'aménagement final de la porte d'entrée. A de jeunes
artisans nakkâsha était confié le soin d'assurer la propreté de toute nouvelle demeure avant que celle-ci ne fût
livrée à son propriétaire (4). On les distinguait sous l'appellation de sakkâl (5). A l'aide d'une sorte de lime
de fer et d'une pierre spéciale, ils devaient faire disparaître du sol, des murs et des colonnes, toute trace de
chaux ou de peinture.
Quant à l'installation de l'entrée, le montage de son encadrement suivait la pose du dallage de la drïba
et précédait celle de la porte à deux vantaux (bâb bel-frâdl) cloutés. On sait quelle importance on accordait
au cadre en pierre ou en marbre de cette porte que décoraient des motifs géométriques et floraux, sculptés
ou incrustés ; ces éléments traditionnels étaient destinés à mettre la maison et ses habitants à l'abri du malheur.
Au moment de l'aménagement du seuil de l'entrée principale un autre rite propitiatoire exigeait le
sacrifice d'un mouton à cet endroit. Il fallait, dit-on, que le sang coulât sur le seuil de l'habitation pour faire régner
dans celle-ci bonheur et prospérité (6). A cette intention la coutume voulait aussi que l'on plaçât sous la
pierre même du seuil un poisson (hûta) avec une pièce ou un objet d'argent dans la gueule.

Inauguration de la nouvelle demeure


La demeure qu'il avait rêvé de posséder se trouvant achevée conformément à ses désirs, son propriétaire
ne manquait pas de manifester sa satisfaction et sa joie autour de lui. Bien qu'il eut réglé chaque soir leur dû
à tous les artisans qui travaillaient à son chantier, il tenait à leur marquer sa reconnaissance, à la fin de celui-
ci, en leur remettant dons et récompenses et en organisant une fête en leur honneur.

1 . La commande du mobilier était confiée à des menuisiers spécialisés dans cet art (nejjâra al-atât).
2. Palais de Tunis, I et II ; Arts Traditionnels en Tunisie, Paris, 1967, passim.
3. Ibid.
4. Ce nettoyage pouvait aussi être effectué dans chacune des pièces au fur et à mesure de son achèvement.
5. La simplicité de cette tâche convenait à déjeunes débutants dans la corporation des tailleurs et sculpteurs de pierre. Aussi
pouvait-on dire que ce frottage des dalles et parements de calcaire, à l'aide d'une pierre (provenant de Korbous ou de Sidi Bou
Said) constituait le premier travail d'un nakkâsh.
6. Selon la fortune du propriétaire {mallâk, pi. mallâka), on consentait au sacrifice {debiha) d'un ou de plusieurs moutons.
Bien que chaque musulman eût été initié de bonne heure à ce rite, on faisait appel ici au plus habile dans le maniement du coutelas.
74 J. REVAULT

Ainsi au dernier salaire de chacun (1) le commanditaire avait-il l'habitude d'ajouter une gratification
en argent, voire un vêtement neuf, telle une «jebba», réservé aux maîtres-artisans (2). L'aminé des nakkàsha
était l'objet d'attentions particulières de la part de certains notables réputés pour leur richesse et leur
générosité. Ils lui faisaient alors don d'un assortiment complet de vêtements (keswa). La commande en était portée
par le maître lui-même (moulay al-dâr) auprès des tailleurs-brodeurs (3) après accord sur le choix des tissus :
le bransi pour la confection d'un burnous de laine fine et d'une jebba de soie, le tarzi pour l'exécution d'un
costume à la turque — culotte bouffante (serouâl), gilets (sedria, farmla, badarya) et veste courte à parements
de soie (mentân) (4). Le maître se contentait ensuite de dire à l'aminé : « rends-toi chez tels tailleurs, ils ont
besoin de toi ».
Pour fêter la nouvelle demeure et l'inaugurer sous d'heureux auspices, on y préparait plusieurs repas
semblables à de véritables repas de noces. Etaient invités à tour de rôle artisans, notables, parents et amis.
On conviait en premier lieu les différentes équipes d'artisans qui avaient pris part à l'édification de la
construction neuve et à sa décoration (5). On les installait plus commodément dans la cour à ciel ouvert, jonchée
de nattes en jonc (6) et de klims rayés, sur lesquels étaient dressées des rangées de tables basses (sefra) (7)
entourées de petits matelas (jerrâya) (8) à l'usage des convives. Ceux-ci y prenaient place, revêtus de leurs
plus beaux vêtements. Préparé au dehors, ce repas de fête avait lieu généralement l'après-midi (9). Dès l'entrée,
on avait reconnu le parfum agréable de la « mloughiya » (10). Rires, plaisanteries et chants fusaient de toutes
parts sous l'œil amusé du maître de maison et de l'aminé (11) qui présidaient ensemble à cette première
réception comme ils devaient le faire pour les suivantes. Aucune musique, cependant, n'était admise, si ce n'est
parfois quelque aubade populaire. Ainsi les joueurs de hautbois (zokra) et de tambour (tobbâl) qui se
faisaient entendre à la porte du nouveau logis pouvaient-ils être invités à jouer un instant à l 'intérieur de la cour (12).

1. Le payement de son salaire était réglé à chacun, à la fin de la journée par le propriétaire même de la construction
ou par son intendant (oukil) au vu des comptes du maître d'œuvre. Un dicton connu rapportait en effet cette coutume que l'on
tenait à respecter :
« tkheles al-kheddâm
« kbel ma ibered al- are k mta'ho ».
« Tu payeras le travailleur avant que sa sueur ne refroidisse ».
2. Les vieux artisans de Tunis se souviennent d'avoir connu la survivance de ces coutumes dans leur jeunesse, et de les avoir
entendu vanter par leurs parents et grands-parents. Elles auraient été abandonnées progressivement depuis près de cinquante
ans. Cependant on vante parfois la générosité de quelque grande famille d'ulémas soucieux de récompenser encore par un don
en argent l'heureux achèvement de leur nouvelle demeure.
3. Arts Traditionnels en Tunisie, p. 103-107 — bransi, pi. bransiya ; tarzi, pi. tarziya.
4. Le bénéficiaire y ajoutait une longue ceinture de soie de type traditionnel (shemla harir) exécutée par les tisserands de
soie de la capitale (haràiriya). Ibid, p. 34 et 35.
5. Entre eux, les artisans du bâtiment avaient coutume de se prêter main forte, chacun selon sa spécialité, lorsqu'il
s'agissait de remettre en état un mur, une porte ou un plafond dans l'une de leurs habitations. Cette entr'aide bénévole entre
artisans (mdûna bin sna'iya) ne diffère pas de celle que l'on pratiqua longtemps en milieu rural à l'égard des activités agricoles
et domestiques (twâza).
6. hasira, pi. hesor. Ibid, p. 53-54.
7. sefra, pi. sfor. Table rectangulaire.
8. jerrâya, pi. jerâri.
9. Cette fête était organisée avant le moghreb, afin de ne pas gêner les artisans dans leurs travaux. Toutefois, il arrivait
que le propriétaire conviât auparavant les artisans employés à la construction de sa nouvelle demeure pour leur témoigner sa
satisfaction et sa reconnaissance, après l'achèvement de certaines pièces qu'il jugeait particulièrement réussies.
10. « La mloughiya embaume la maison » disait-on de ce plat très odorant réservé à certaines fêtes, à base de viande de bœuf
et de corète longuement mijotes (E.G. Gobert, Usages et rites alimentaires des Tunisiens, Tunis, 1940).
1 1 L'air détendu et souriant du maître d'œuvre contrastait alors avec l'aspect sévère qui ne le quittait guère sur le chantier.
Il était convié à s'asseoir auprès du maître de maison et de ses proches dans l'une des salles de la nouvelle demeure pour y
.

partager le repas de fête.


12. Us quittaient le patio après avoir reçu un don en argent. Familiers et amis étaient invités à visiter appartements et
communs. A ceux qui ne pouvaient venir on faisait porter à! eur domicile un plateau chargé de mets choisis.
l'habitation tunisoise 75

Puis le maître de maison et les artisans se quittaient après un échange de congratulations en se félicitant
de l'heureuse issue de l'entreprise surtout si celle-ci s'était déroulée sans incident (1).
Alors que la réception des artisans du chantier avait eu lieu dans une maison soigneusement nettoyée,
certes, mais dépourvue encore de tout mobilier, il en était autrement pour la réception des notables. Il fallait
alors attendre que le menuisier eut livré les meubles nécessaires à l'aménagement complet de la nouvelle
demeure. A ce moment, les femmes de la maison, maîtresse et servantes pénétraient dans leur nouvelle demeure
avec des you-you d'allégresse (2). A leur tête, la négresse (ousîfa) la plus âgée et la plus respectée prononçait
des paroles bénéfiques (3), afin d'attirer en ce lieu la protection divine. Puis on déposait au milieu de la cour
un brasero de cuivre (darâr) pour les premières fumigations rituelles (4). Après y avoir placé la braise d'un
« kanoun » (5), on y jetait les divers ingrédients propres à éloigner les « jnoun » et à conjurer le mauvais œil
(nafs) (6). Bientôt la cour entière était embaumée. On avait plaisir à y sentir l'odeur fraîche de la chaux mêlée
aux parfums de l'ambre, du jasmin et d'autres essences rappelant la chambre d'une jeune mariée.
Lors de la visite des appartements et des communs, la maîtresse de maison ne cachait pas sa satisfaction,
quite à exprimer toutefois ses observations personnelles, s'il y avait lieu (7).
A partir de ce moment, les femmes prenaient possession de l'habitation et des dépendances pour en
compléter et parfaire l'installation. A cette intention, la maîtresse de maison faisait parfois appel, malgré le
secours de ses domestiques, à des parentes qui lui venaient en aide pendant quelques jours.
Cet aménagement ne durait pas moins de deux semaines. On devait, en effet, s'occuper de garnir lits
et divans de tentures et coussins, sans oublier portières et rideaux des portes et fenêtres, assortis aux tapis
à haute laine ou à poil ras du sol (8).
L'organisation des lieux domestiques requérait autant de soin pour le rangement de la cuisine, de la
pièce à chaudrons et récipients de cuivre, de la chambre à provisions, voire du hammam relié au dâr al-harka
(9). La mise en ordre des magasins à vivres n'était pas plus chose aisée avec ses nombreuses jarres de toutes
formes et de toutes dimensions contenant les réserves de l'année préparées à domicile (10).
La seconde réception suivait de près celle des artisans (11). On lui accordait la valeur d'une plus grande fête
{hafla al-kebïra) puisqu'elle était réservée aux notables, aux proches et aux amis du maître de maison. Celui-

1. Les accidents les plus graves pouvaient provenir notamment de chutes d'un échafaudage.
2. izerertû kif idkhelû.
3. « nhâr mabrûk, khamsa û khemis ».
4. Les familles riches se servaient aussi de darâr en argent
5. Braise de charbon de bois (fham).
6. Glu, chardons et gros sel : ushak û dâd û mêlai}.
d'où le dicton connu : ushak ù dad : « chardon et glu
// 'aïn el-hesâd : dans l'œil de l'envieux ».
Le benjoin et l'ambre donnaient un parfum moins acre et plus agréable.
7. Lorsqu'elle jouissait d'une autorité suffisante, la «moulât al-dâr» n'hésitait pas à reprendre certains aménagements,
selon son goût. Mais, bien souvent, la crainte l'empêchait de formuler la moindre critique.
8. Tapis d'Orient et tapis exécutés en Tunisie, principalement à Kairouan, cf. L. Poinssot et J. Revault, Tapis Tunisiens
I. Kairouan, 1er éd., Paris, 1937, I. Kairouan et imitations, 2e édit., Paris, 1955, II, Tapis bédouins, IV, Tissus ras décorés de
Kairouan, du Sahel et du Sud Tunisien, Paris, 1957.
9. « Maison de service » ou « maison des servantes »{dâr al-khdem).
10. Palais de Tunis, I et II, passim. Une grande partie de ces provisions ('aoula) était préparée en été, aussitôt après les
moissons. Les grandes jarres de Djerba avaient des formes différentes selon leur contenu : semoule (kesksî), farine (smîd), viande
boucanée (qadîd), petits poissons séchés (ouzîf), blé concassé (bêghol)...
11. Entre trois jours et une semaine.
76 J. REVAULT

ci se dérangeait lui-même pour porter ses invitations aux personnages religieux (1), voire aux dignitaires
du Makhzen. Il agissait de même à l'égard de ses voisins (2), des membres de sa famille et de ses amis (3).
Il arrivait que le nombre des invités obligeât à une succession de services (derz) (4) qui débutaient l'après-
midi et pouvaient se terminer à une heure avancée de la nuit (5). Le premier service était réservé aux notables
que l'on installait aux places d'honneur, à l'intérieur du kbû ; ils étaient reçus par le maître de maison ayant
à ses côtés l'aminé en qualité de responsable de la nouvelle habitation que l'on inaugurait. On veillait à ce
que le repas des personnages religieux eût lieu entre les prières de l'Aceur et du Moghreb afin de ne pas leur
faire manquer celles-ci. En même temps, parents et amis étaient accueillis dans les autres parties de la salle
d'apparat (bit râs al-dâr).
Alors que les serviteurs noirs (ousfane et ouarglia) s'affairaient à porter leurs plats d'une table à l'autre,
l'hôte goûtait à peine à ceux-ci, s'occupant principalement de ses invités (6). A la fin du repas, avant de se
laver les mains (7) et de se lever de table (8), les convives priaient l'un d'entre eux, considéré comme le plus
éloquent, de prendre la parole pour remercier en leur nom le maître de maison (9).
A la suite de cette journée de fête réservée exclusivement aux hommes, les femmes étaient invitées à
leur tour, généralement le lendemain. Cependant étaient seulement conviées celles qui appartenaient à la
famille du moulay al-dâr (10).
Leur repas se tenait de préférence à l'étage, en début d'après-midi. La fête se poursuivait sans qu'il soit
fait appel à aucune musicienne, chanteuse ou danseuse venue de l'extérieur. On se plaisait dans l'intimité,
aux chants religieux les plus beaux et les mieux connus ;le rythme d'une tabla (11) les soutenait, que frappaient
de leurs doigts agiles deux femmes accroupies l'une en face de l'autre.
Cette dernière fête se terminait avant le moghreb (12). Elle clôturait les premières réjouissances qui
célébraient l'ouverture de toute nouvelle demeure au moment où elle prenait place et vie parmi les nombreuses
habitations de l'ancienne Médina.

1. Si possible le plus ancien parmi les Chérifs : cheikh, mufti, cadi, mouderres...
2. Auxquels on présentait ses souhaits de bon voisinage.
3. Le maître de maison pouvait être accompagné d'un parent lorsqu'il se rendait auprès de sa famille.
En cas de refus de la part de certains invités, il était bienséant d'en fournir une raison valable afin d'éviter toute
confusion fâcheuse — voyage, visite d'un henchir, décès dans la famille, etc.
4. derz, pi. drâz.
5. Jadis l'éclairage nocturne n'était fourni que par des lampes à huile (kandîl, mosbâh) que renforçaient parfois des cierges
de provenance locale (shema'). L'introduction des lustres vénitiens (thria), au XVIIIe siècle, fut alors considérée comme un luxe
dispendieux. Palais de Tunis, I et II, passim.
6. Le maître de maison ne cessait d'être accompagné par l'aminé des nakkàsha qui ne prenait jamais place parmi les convives.
Nappes (melhâfa) et serviettes (mendil) étaient renouvelées à chaque changement de plat. Des serviettes brodées de soie et
d'argent étaient réservées aux notables — qui ne les salissaient pas.
Sur la sefra étaient posés un ou deux plats dans lesquels, selon la coutume, chacun se servait des trois doigts de sa main
droite. On n'avait recours à une cuiller que pour les mets liquides, cuiller en bois d'olivier finement taillée (megharfa) que l'on
importait d'Istamboul avant de les imiter à Aîn-Draham. — différente des lourdes cuillers en bois (megharfa teskiya) employées
pour verser le contenu d'un tâjin (pi. twâjen) dans une assiette (sahn).
7. Usage de l'aiguière (brik) et du bassin (lian) en cuivre avant et après le repas.
8. La table basse rectangulaire (sefra) utilisée pour les repas se distinguait de la table ronde (midah) affectée aux usages
domestiques de la dwïriya.
9. Confiseries et cafés étaient servis dans une autre pièce.
10. On se gardait des relations avec ses voisines comme on se méfiait des inconnues et de leurs commérages.
1 1 . Tabla : instrument à percussion que l'on empruntait à la « moqadma » de la Zaouïa de Sidi Ahmed Tijani. Cf. J. Revault,
Notes sur les instruments traditionnels de musique populaire dans le Sud Tunisien, in VIe Congrès International des Sciences
anthropologiques et ethnologiques, Paris, 3 juillet-6 août 1960, Paris, 1964, p. 116 ; « Le tambour plat {tabla be-qessa'a) : la caisse de
résonnance faite d'un grand plat taillé dans l'olivier ne diffère pas des ustensiles traditionnels utilisés pour la préparation du
couscous. Une peau de chèvre tendue à sa surface est maintenue par une cordelette attachée sous le fond du plat.
Selon les lieux et les circonstances, la tabla est frappée, soit des deux mains, soit de deux baguettes».
12. On retenait jusqu'au dîner les parents les plus proches tandis que l'on gardait les personnes âgées jusqu'au lendemain
matin.
LA PIERRE ET LE MARBRE
79

On sait quelle importance fut accordée à l'emploi de la pierre et du marbre d'abord en Ifriqya puis
dans la Régence de Tunis. Nulle part ailleurs, dans toute l'Afrique du Nord, n'apparaît un pareil attachement
à la survivance de lointaines influences gréco-romaines, conjuguées ensuite avec celles de l'Orient. On doit
y voir, sans doute, l'une des particularités les plus originales de l'architecture tunisoise qui se soit conservée
à travers les siècles, sous les règnes successifs des Hafsides et des Turcs (1). De longue date, en effet, la pierre
de taille soigneusement appareillée fut utilisée à Tunis pour y assurer la solidité des principales constructions
et en constituer la parure essentielle. Aussi bien l'usage s'en imposa-t-il dans les plus beaux monuments
religieux et civils mosquées, médersas, zaouïas, palais et grandes demeures citadines.
:

Bien que la vue en restât souvent cachée au regard du passant, celui-ci avait cependant l'occasion
d'admirer, à l'intérieur de la Médina ou de ses faubourgs, la teinte claire d'un marbre, les calcaires gris ou roses
et les tons roux des grés coquilliers rompant l'uniformité des ruelles aux murs blanchis à la chaux.
A cela devait encore s'ajouter le curieux cloutage des portes sur fond rouge, vert ou jaune dont l'étude
sera présentée plus loin.
Si le marbre blanc d'origine locale ou étrangère était généralement signe d'un luxe suprême, le calcaire
et le grés régionaux n'en furent pas moins appréciés dans nombre de bâtiments à destination variable. D'où
leur usage si fréquent à l'entrée même d'un simple oratoire ou d'une modeste habitation, dans l'encadrement
de la porte.
Il n'est cependant pas douteux que cette coutume n'aurait pu se perpétuer aussi longtemps sans la
présence en Tunisie des carrières nécessaires. Nous verrons ailleurs que des conditions semblables observées
en divers lieux de ce pays ont certainement contribué à faire naître et développer, à l'exemple de la capitale,
l'art de la pierre taillée et décorée dans plusieurs villes et localités provinciales.
Dans les différents cas, le travail du tailleur de pierre s'associa toujours à celui du maçon, ce dernier
étant souvent placé sous la dépendance du premier, comme nous l'avons déjà expliqué dans nos études
précédentes sur l'habitation tunisisoise (2).
Pour répondre aux besoins des souverains et de leur Cour, à ceux des notables et autres commanditaires,
Tunis disposa pendant plusieurs siècles de la Corporation des nakkâsha (3) qui jouissait d'une considération
particulière dans toute la cité, et suscitait au dehors des imitateurs.

Les tailleurs-sculpteurs de pierre et de marbre

Lieux de travail

Aux dires des anciens nakkâsha tunisois qui ont exercé, avant sa disparition presque complète, une
profession artisanale autrefois renommée et prospère (4), leur installation se trouvait hors du centre de la Médina

1 J. Revault, Palais et demeures de Tunis, (XVIe et XVIIe siècles) I, 1967, passim.


.

2. Ibid, p. 75 et ss.
3. nakkâsh, pi. nakkâsha, sculpteur de la pierre, du marbre, ou du plâtre.
4. Nous devons nos principales informations sur l'ancienne corporation des nakkâsha, à Ali Chiha, qui exerça les fonctions
d'aminé des maçons et sculpteurs sur pierre à Tunis, cf. Palais de Tunis, I et II.
80 J. REVAULT

réservé surtout aux corporations vestimentaires — chéchias, tissus de soie, coton et laine, broderies, babouches
— groupées autour de la Grande Mosquée Zitouna (1). Le travail de la pierre demeura confiné à la périphérie,
aux abords des portes de la ville où il pouvait être pratiqué plus commodément. On a conservé ainsi le souvenir
des derniers nakkâsha établis à proximité des remparts (2), en ateliers isolés ou groupés : à Bâb Aléoua, rue
Sebbaghine, près de la Kasbah, Place Bâb Souika — où il est encore possible de rencontrer l'un des rares
survivants de l'ancienne corporation — (3).
Cependant le plus grand nombre se tenait de préférence Place de la Kasbah, à l'entrée de la ville haute
et des quartiers aristocratiques. Leurs ateliers existaient, paraît-il, à cet endroit, à la fin du siècle dernier,
au moment de l'instauration du Protectorat Français en Tunisie. Alignés contre le cimetière « Es-Selsela»
— aujourd'hui disparu (4) — ils voisinaient avec la porte et les bastions de la Kasbah, le Palais beylical
(Dâr el-Bey) et les mausolées (torba) de Mohammed Laz, d'Ahmed Khoja dey et de Sidi 'Ali ben Ziad (5).
On y aurait compté, dit-on, près de quatre cents artisans. Sans doute leur établissement en ce lieu remontait-il
assez loin, en raison même de la notoriété de la Place, sa fréquentation incessante et l'espace qu'elle offrait
au transport des matériaux amenés de l'extérieur (6).
Jusqu'au début du XIXe siècle, la profession des nakkâsha ne comprenait que des artisans musulmans.
A cette époque, l'intérêt grandissant à l'égard du marbre d'Italie détermina certains Juifs de Tunis à s'en
faire successivement les importateurs puis les tailleurs et sculpteurs (7). Dès lors, les uns et les autres
coopérèrent souvent aux mêmes travaux, œuvrant également pour la préparation d'éléments de construction ou
de pierres tombales.
Néanmoins, les nakkâsha musulmans réunis en majorité Place de la Kasbah, bénéficiaient des avantages
d'une corporation solidement organisée, dont les chefs faisaient autorité, s'imposant fréquemment comme
maîtres d'œuvre sur un chantier où ils remplissaient parfois le rôle d'architecte.

Sûk al nakkâsha
Origine
On ne sait plus à quel moment s'installèrent les premiers ateliers de tailleurs de pierre, Place de la Kasbah.
Sans doute, celle-ci en fut-elle complètement entourée, en raison du développement important de la corpora-

1. J. Revault, op. cit., p. 17 et ss. Arts traditionnels en Tunisie, Paris, 1967, passim.
2. thet al-sûr. La démolition des remparts de Tunis fut entreprise avant la fin du XIXe siècle.
3. Mokhtar Fellah et son frère, Hamida Fellah (disparu) ont conservé leur atelier, près de la Place Bâb Souika. Certains
artisans préféraient travailler à domicile.
4. Cet ancien cimetière est remplacé aujourd'hui par l'Hôpital Sadiki. Grâce à l'intervention de Louis Poinssot, Directeur
du Service des Antiquités et Arts, plusieurs pierres tombales ornées de sculptures ont été recueillies en ce lieu pour être conservées
au Musée du Bardo.
5. Alors que porte et remparts de la Kasbah ont été démolis depuis l'Indépendance de la Tunisie, les monuments voisins
ont été préservés : Torbet Laz, Torbet Ahmed Khoja dey et Dâr el-Bey, Cf. J. Revault, Palais de Tunis, II, p. 294 et ss.
Dès le début de l'instauration du Protectorat, la Place de la Kasbah devint, auprès du Palais beylical, le nouveau centre
administratif du Gouvernement Tunisien.
6. Lorsque les Troupes Françaises entrèrent à Tunis, en 1881, les artisans-sculpteurs montèrent sur les terrasses de leurs
ateliers pour mieux assiter au défilé militaire.
P.H.X .D'Estournelle de Constant {La Politique Française en Tunisie. Le Protectorat et ses origines (1854-1891), Paris,
1891. C'est à la fin de la 2e campagne (juillet-novembre 1881) que les Troupes Françaises entrèrent à Tunis pour la première
fois.
J. Revault, Palais de Tunis, II, p. 232. Installation du général Forgemol, Commandant les Troupes Françaises de Tunisie
avec son état-major, au Palais Hussein, à Tunis (1882).
7. Cette innovation aurait été vivement encouragée par le trafic maritime établi entre la Péninsule et la Régence de Tunis
dont Youssef Saheb et-Tabâ'a, ministre de Hamouda Pacha, prit lui-même la tête.
On rapporte que les Juifs auraient été initiés à la taille et à la sculpture par le nakkâsh Mohamed el-Hawet. Leurs makhzen
servirent alors de dépôt de matériaux et d'atelier de travail.
l'habitation tunisoise 81

tion des nakkâsha, si bien que des rangées d'échoppes se seraient également appuyées aux murailles mêmes
de la Kasbah, aux habitations de la Médina et aux deux cimetières opposés de part et d'autre de la place :
« la Selsela » et « la Debdaba » (1).
A la fin du siècle dernier, nous l'avons dit, le nombre d'artisans travaillant à cet endroit aurait atteint
400 — dont 200 particulièrement qualifiés — .
A l'encontre de tant d'ateliers et de magasins citadins, les nakkâsha ne devaient aux Habous aucune
redevance pour leurs échoppes dont ils avaient l'entière propriété.
Des dispositions semblables à celles des autres souks de la cité étaient prises à l'égard de celui des
nakkâsha, en vue d'y assurer la sécurité nécessaire. Bien que l'on eut moins à craindre ici le vol de matériaux lourds
et encombrants, des veilleurs de nuit remplissaient comme ailleurs le rôle de gardiens fasses). Us étaient
alors choisis, selon la coutume, à cause de la confiance qu'ils inspiraient, parmi les hommes originaires de
Ouargla (ouarglïya) ou de l'île de Djerba (jrâba). Une pièce leur était réservée sur les terrasses où ils se
tenaient souvent pour effectuer les rondes nocturnes, accompagnés de leurs chiens ; les appels s'y répétaient
d'un gardien à l'autre, modulés dans leur propre langue pour tout incident à signaler.
Le « Souk en-nakkâsha » fut amené à disparaître quelques années après l'arrivée des Français en Tunisie,
à la suite des transformations dont la Place de la Kasbah devint l'objet : construction de l'Hôpital Sadiki
sur les lieux mêmes de l'ancienne « Jebbanat es-Selsela », sur les autres côtés élévation des premiers bâtiments
administratifs (2).

Corporation et formation artisanale des nakkâsha

Le « Souk en-nakkâsha » constituait, comme les divers souks d'artisans tunisois, une véritable corporation.
On y distinguait une hiérarchie semblable à celle de tous les corps de métier, les mêmes titres correspondant
aux différents niveaux professionnels basés sur des critères déterminés (3).
Conformément aux coutumes locales, le choix du métier de nakkâsh répondait le plus souvent, pour
un enfant, à l'exercice de cette profession par son père, une longue filiation apparaissant ainsi dans les familles
les plus connues pour leur valeur artisanale. Aussi l'initiation du fils par son père pouvait-elle s'effectuer
de bonne heure à domicile sous forme de jeu. Très jeune, l'enfant s'exerçait, de cette façon, à tailler divers
éléments et à les assembler dans quelque construction réduite, en guise de jouet (4).
En même temps, il fréquentait l'école coranique du quartier (kuttâb) pour y acquérir, avec la
connaissance de la lecture et de l'écriture, les préceptes de la religion musulmane (5). Puis, vers l'âge de douze ans,
le jeune garçon entrait en apprentissage dans l'atelier de son père — sinon d'un autre patron — où on lui
confiait, en premier lieu, le nettoyage de vieilles pierres. Plus tard, on lui mettait entre les mains les divers
outils en fer (ma* un) utilisés pour la taille ou la sculpture de la pierre et du marbre. Il apprenait ainsi à
exécuter progressivement des formes de plus en plus difficiles, à l'herminette et au ciseau, formes planes
ou arrondies qui nécessitaient, avec un œil exercé, application et vérification constantes.

1. Hamida ben Raïs (père d'Ali Chiha), aminé des nakkâsha, possédait lui-même un atelier à cet endroit.
2. Les nakkâsha installés Place de la Kasbah auraient quitté définitivement cet endroit environ quinze ans après
l'établissement du Protectorat. Ils se seraient alors dispersés entre la Place Bâb Souika, les abords de Bâb Zira et de la rue Sebbaghine.
L'un des côtés de la Place Bâb Souika demeura longtemps entièrement occupée par une rangée d'ateliers de tailleurs de pierre.
II n'en reste plus aujourd'hui qu'une modeste échoppe où travaille encore le dernier sculpteur de la lignée des Fellah : Moncef
ben Mokhtar ben Sadok Fellah.
3. P. Pennée, Les transformations des corps de métiers de Tunis, Tunis, 1964.
J. Quemeneur, Contribution à l'étude des corporations tunisiennes, I.B.L.A., 1942, 1946.
4. Tout en s'initiant de bonne heure au métier de son père, le jeune Ali Chiha ne manquait pas d'accompagner celui-ci
à son atelier et sur ses chantiers.
5. Béchir Sfar, Cheikh el-Médina de Tunis (avant la première guerre mondiale), encouragea cet enseignement traditionnel
auprès des jeunes artisans.
82 J. REVAULT

La formation professionnelle durait de vingt à trente années pendant lesquelles le nouveau nakkâsh
s'efforçait de franchir les stades successifs correspondant à un grade de plus en plus élevé. D'apprenti (sànd )
on pouvait alors devenir artisan ou compagnon (kalfa), voire super-compagnon (bâsh-kalfa) avant de
prétendre éventuellement à la nomination de maître (ma Hem) (Y).
Toute nouvelle promotion décidée avec l'assentiment du « Conseil des Dix» — choisis parmi les chefs
les plus qualifiés de la corporation des nakkâsha — donnait lieu à des réjouissances qui rappelaient celles
d'une noce. L'élévation dans la profession était enfin signalée aux yeux de tous par la courte barbe taillée
aux ciseaux (2) que l'intéressé se voyait autorisé à ajouter à des moustaches déjà imposantes, alors qu'il
pouvait désormais porter, autour de la chéchia de ses débuts — avec ou sans gland — un turban blanc brodé
de soie (3).
Il va sans dire que la nomination d'un ma Hem au grade suprême d'aminé (âmïn) de la corporation
représentait un choix particulièrement délicat (4). Aussi l'accord de l'ensemble de cette corporation était-il
indispensable à la validation des propositions qui étaient adressées dans ce sens au Cheikh el-Médina. Celui-ci
les transmettait au souverain qui accordait, en retour, par décision beylicale ('omor al-bey), la nomination
sollicitée.
On assure que cette élévation supérieure ne pouvait récompenser la connaissance d'une seule spécialité
artisanale — travail de la pierre et du marbre — mais valait consécration d'une parfaite maîtrise dans les trois
matières requises ; pierre, marbre et carreaux de faïence (5), indépendamment d'une sérieuse expérience dans
le tracé de plans et dessins ainsi que dans la conduite des chantiers de construction.
Cependant ces qualités professionnelles auraient été jugées insuffisantes pour l'octroi du titre d'aminé
si elles ne s'étaient appuyées sur de solides qualités morales. En alliant la plus haute expérience professionnelle
à une parfaite probité (6), l'aminé des nakkâsha imposait à ceux-ci son autorité en échange de leur confiance,
dans les cas d'arbitrage difficile aussi bien que dans la direction de travaux importants (7).

Les matériaux
Carrières

La pierre calcaire (keddâl) et le marbre (rkhâm) connurent une faveur spéciale dans les constructions
tunisoises, grâce à la présence de gisements importants aux environs de la capitale, des carrières (maktd )
ayant déjà été ouvertes et exploitées avant l'islamisation du pays. C'est ainsi que le keddâl continue à être
extrait jusqu'à ce jour dans les parties montagneuses avoisinant Hammam-Lif et Soliman.
Il en est autrement pour le marbre et le grés coquillier (harsh). Le marbre clair fut longtemps recherché
dans les flancs du Jbel Ichkeul, à proximité de Bizerte. On l'appréciait pour sa résistance et la finesse de son

1 . Ces nominations artisanales ne donnaient lieu à aucune attestation écrite.


2. Le barbier (hajjâm) connaissait les différentes coupes de barbe en usage, exécutées sans l'aide d'un rasoir.
3. Lorsque, par décision de l'aminé et du conseil des nakkâsha, un kalfa obtenait le titre de ma' Hem, sa nomination était
fêtée par un repas organisé en son honneur.
4. Si la corporation des maçons (bannâyà) compta plusieurs amines — ce qui n'allait pas sans inconvénients — ce fait semble
avoir été plus rare parmi les nakkâsha.
5. Préparation (taille) et pose des carreaux de faïence de Qallaline ou d'Italie (zliz).
6. sana' au fïka : métier et droiture constituaient la double qualification requise pour un chef de corporation.
7. Disposant d'un atelier personnel, l'aminé des nakkâsha pouvait y exécuter des travaux en tout indépendance. Il
percevait pour une même tâche, une somme double de celle qui était accordée au ma'llem.
Les derniers amines connus au début du XIXe siècle furent : Hamida ben Raïs et ses deux petits-fils, Mohamed et Hadj
Salah ben Ali ben Raïs (Chiha), Mohamed el-Fellah, fils de Sadok el-Fellah.
l'habitation tunisoise 83

grain, sa blancheur rehaussée de longues veines bleues (1). Les sultans hafsides puis les nouveaux maîtres
turcs ne se rirent pas faute d'y recourir comme en témoignent les monuments érigés sous leur règne, entre le
XIIIe et le XVIIe siècle. Mais l'exploitation de ces carrières et l'utilisation du marbre régional devaient être
abandonnées, entre le XVIIIe et le XIXe siècle, au profit des marbres blancs importés d'Italie (2).
Quant au grés coquillier, malgré l'intérêt que l'on ne cessa de lui porter, en raison surtout de sa chaude
coloration granuleuse, il ne semble pas que l'on ait jamais rouvert les célèbres carrières (latomies) puniques
et romaines, découvertes à la pointe du Cap Bon, non loin du village d'El-Haouaria (3). Après la conquête
arabe de l'ancienne Africa, on se serait alors contenté de prendre, en vue de leur remploi, des éléments de
grés provenant de constructions romaines ou byzantines.

Calcaire

Au Cap Bon, l'exploitation d'une carrière de calcaire était dirigée par son propriétaire (mûley al-makta )
sinon par celui qui l'avait prise en location (sâheb al-makta'). Cette exploitation était jugée d'autant plus
profitable qu'elle se trouvait à faible distance de la ville. Les bénéfices s'accrurent encore, à l'époque des
Corsaires, avec l'emploi d'une main d'œuvre servile peu coûteuse.
On ne se souvient plus maintenant que des ouvriers-carriers (mkâtai) exerçant leur métier dans les
conditions suivantes (4) : ils travaillaient principalement l'été, l'extraction de la pierre s'effectuant à l'aide
de galeries (ghâr) creusées dans le roc (5). Armés de coins (shûka) et d'outils à double tranchant (shakûr),
ils procédaient au dégagement de blocs sommairement taillés (sondûk) qui pouvaient atteindre jusqu'à 2 m
de long.
Il appartenait ensuite aux nakkâsha de retailler ces blocs lorsqu'ils en prenaient livraison, afin d'obtenir
les dimensions désirées. Plus loin seront indiqués les moyens auxquels on avait recours pour amener, par
terre ou par mer, la pierre à l'état brut jusqu'à son lieu de transformation, Place de la Kasbah.

Marbre

Au temps où l'on utilisait encore le marbre du Jbel Ichkeul, des carrières y furent exploitées comme celles
du Cap Bon. Il fallait y dégager, à l'aide d'outils appropriés, les couches de marbre recherchées. Une même
couche (farsha) montrait souvent des teintes différentes, variant du blanc au gris-bleu.
Au contact du fer, le marbre avait une odeur de soufre ; les carriers se plaignaient de sa dureté qui rendait
le travail d'extraction très pénible et soumettait leurs outils (zenzar) à rude épreuve, nécessitant de fréquentes
interventions du forgeron (haddâd).
On sait que, malgré ses qualités, le marbre de l'Ichkeul cessa définitivement d'être exploité, avec
l'importation du marbre d'Italie. Lorsque les Juifs se mettront à l'importer, puis à le travailler, ils sauront le faire
venir à moindres frais en le commandant, de préférence, en blocs importants.

1. En dehors de ce marbre clair différent des marbres turcs et italiens, le Jbel Ichkeul fournissait encore l'ardoise utilisée
dans certains escaliers et dallages.
Les marbres de couleur, qui avaient fait la réputation des carrières du Jbel Oust et de Chemtou, à l'Ouest et au Nord-
Ouest de Tunis, avant la Conquête arabe, auraient été ensuite délaissés.
2. Le succès des marbres de Carrare en milieu tunisien devait être égalé par le nouvel attrait des carreaux de faïence
importés de l'Italie méridionale. Palais de Tunis, II, Palais et Résidences d'été de la Région de Tunis, passim.
3. Carrières antiques semblables à celles de Sicile.
4. ouvrier, tâcheron khaddâm, khaddâma ; carrier : mkâta'i, mkâta'ya.
:

5 ghâr, ghirân ; ifokû ghora : ils creusent une galerie.


84 J. REVAULT

Commande et transport des matériaux

Ces deux opérations étaient bien souvent confiées à la même personne, qui était le transporteur. Celui-ci
cumulait alors ses fonctions habituelles et celles de courtier (semsâr) grâce à ses rapports constants avec les
carriers et tailleurs de pierre. Les divers transporteurs, entre lesquels se répartissaient commandes et livraisons,
connaissaient suffisamment leurs fournisseurs et clients pour donner satisfaction aux uns et aux autres et se
plier à leurs exigences selon les cas.
Les commandes de pierre calcaire étaient alors précisées par les nakkâsha suivant leur qualité et la taille
des blocs correspondants. Leur importance déterminait le choix du mode de transport : voie maritime pour
les blocs les plus lourds, voie terrestre pour les autres. Dans le premier cas, on utilisait un solide bateau
(merkeb) avec voile et rames. Dans le second cas, on employait charrettes (karrita) ou chameaux (jmel).
De toute façon, il était nécessaire d'amener, au préalable, les blocs d'une carrière jusqu'au lieu de transport
choisi. A cet effet, on avait recours à la méthode archaïque des rondins déplacés sous chacun des blocs, et
l'aide d'une traction animale, voire humaine — emploi des captifs fournis par la Course — .
Lorsque les matériaux devaient arriver d'une carrière à la capitale par voie de terre, leur mode de
transport ne différait pas de celui dont usaient communément les commerçants pour leurs marchandises. La
charrette traditionnelle remplissait cet office à moins que le trajet à effectuer sur une piste sablonneuse ne
nécessitât son remplacement par le chameau. La conformation rudimentaire de la karrita (1) robuste mais
étriquée, avec son étroite plate-forme entre deux grandes roues, en limitait forcément la charge. Aussi le
nombre de ces charrettes devait-il se multiplier pour réaliser un transport de quelque importance. En outre, il
était toujours recommandé de voyager en convoi afin d'être en mesure de parer à toute mauvaise surprise
en cours de route (2). Revêtus d'une kashàbbïya à capuchon (3) pour se protéger du froid et des intempéries,
les charretiers (karârtïya) (4) étaient de solides gaillards armés de fusil et poignard (5). On les disait doués
d'une force et d'un appétit peu commun (6).

Préparation des matériaux

Marbre et calcaire arrivaient des carrières sous forme de blocs de taille diverse. Selon leur destination,
ces blocs seulement dégrossis étaient retaillés à proximité des ateliers des nakkâsha ou sur le chantier même
de leur utilisation. On se rappelle mieux la préparation du calcaire dont l'usage demeure si répandu à Tunis.
On effectuait, en premier lieu, un tri des blocs livrés à l'état brut, basé sur leurs qualités respectives. Ceux qui
présentaient le grain le plus fin et la couleur la plus belle et la plus uniforme étaient réservés aux parties nobles
d'une construction : encadrement de porte, colonnes et arcs d'un portique, niche de citerne. Les autres
servaient surtout au dallage de la cour principale et de la courette des communs (fig. 10).

1. Ces charrettes, différentes des « arabas» peintes demeurées en usage à Tunis jusqu'à l'Indépendance, étaient tirées par
des mulets — d'un entretien plus économique que les chevaux — sans doute ressemblaient-elles aux charrettes que l'on rencontre
encore aujourd'hui dans les vieilles rues du Caire. Leur charge ne dépassait pas, dit-on, 800 kg.
2. Loin d'une localité, une charrette ne voyageait jamais seule. Elle faisait obligatoirement partie d'un convoi de dix à vingt
voitures. On peut alors supposer que cette nécessité provoqua la création d'entreprises de transport sur terre comme sur mer.
Naturellement les convois et caravanes de marchandises ou de voyageurs restaient les plus exposés aux attaques des
brigands.
3. Un charretier portait jusqu'à deux kashàbbïya de laine pour s'abriter du froid et de la pluie.
4. karârtï, pi. karârtiya.
5. mekhala û sbùla.
6. Leur appétit légendaire se rassasiait surtout de pain, viande et têtes de mouton.
l'habitation tunisoise 85

S'agissait-il de retailler en plusieurs morceaux un bloc de 1,50 m de côté, cette opération était alors
réalisée sans le secours d'une scie. Après avoir tracé une ligne continue sur trois faces du bloc à partager,
ligne accentuée par une rainure en gouttière (sakîya), le nakkâsh, armé d'un ciseau (zenzir) et d'un lourd
marteau à tête carrée (marsita), frappait celle-ci à petits coups répétés sur toute sa longueur pour aboutir
à une entaille de 5 cm environ (1). Il n'en fallait pas davantage pour briser le bloc de calcaire et le diviser
en deux parties semblables, au grand ébahissement des jeunes apprentis. La même méthode était adoptée
pour détacher de nouveaux éléments suivant d'autres dimensions, l'épaisseur de ceux-ci ne pouvant cependant
être inférieure à 20 cm.
Lorsque le marbre de Carrare devint à la mode en milieu tunisois, son importation se fit aussi, nous
l'avons vu, en blocs de toutes dimensions (2). On le débitait et on le taillait à l'intérieur des ateliers-dépôts
(makhzen) des Juifs ou sur le lieu même d'une construction (3).
Il appartenait au tailleur de marbre de déterminer les mesures et les formes à obtenir après un tracé
préalable à la surface des blocs que l'on devait fendre et scier. Au siècle dernier, le marbre italien servit le
plus souvent à la préparation de dalles et de carreaux (4) dont on se flattait de couvrir le sol de sa cour et de
ses appartements (PI. IV).
A cette intention, le bloc à diviser était posé à hauteur voulue sur deux morceaux de marbre —- avec
fixation provisoire au plâtre. Le partage était exécuté à l'aide d'une scie (5) à trois lames que deux hommes
tiraient, bras tendus.

L'outillage

Les outils traditionnels en fer (ma un hadid), tranchants et perforants, offraient une grande variété de
forme et de grandeur. Chaque ma'llem enfermait sa réserve d'outils, rangés selon leur taille, dans le coffre de
son atelier (6). Les instruments nécessaires au travail des nakkàsha en étaient retirés chaque matin, portés,
au besoin, dans un coffret ou un couffin d'alfa jusqu'au chantier en activité.
Pour la seule taille de la pierre, on connaissait au moins trois sortes de ciseau (shûka) — pointu (shûka
bunta), dentelé (shûka snan) et tranchant (shûka fumm) — répondant aux trois opérations successives
indiquées plus haut. Des ciseaux d'un genre différent (zenzîr) servaient ensuite à des travaux plus délicats :
par exemple le ciseau arrondi en forme de gouje (zenzîr helel) pour l'exécution des moulures (gurnîza,
tahalîla), frappé avec un maillet de bois (tekmâk). On utilisait aussi divers outils munis d'un manche
tels que le vilebrequin primitif (brûkât el-ïd), l'herminette, effilés ou tranchants, pour le percement ou la taille
de la pierre (7).

1. zenzir, znâzer. On en connaissait une vingtaine de types différents : zenzir fumm, zenzîr talfik (à bout élargi), zenzîr
bunta (pointerolle), zenzir snan (dentelé)... etc. Outillage comparable à celui que les tailleurs de pierre égyptiens utilisent encore
aujourd'hui au Caire (calcaire du Moqattam).
2. Blocs de marbre : tawûlât rkjiâm. Exemple de taille ; longueur 2 m, largeur, 1 m ; épaisseur, 0,20 cm.
3. A l'exception d'ouvrages exécutés, sur commande, par des artistes italiens — vasque, colonne, fontaine, pierre tombale —
à l'intention du Souverain ou d'un haut personnage de la Cour beylicale.
4. Carreaux débités « au cent ».
5. monshâr, pi. mnâshar.
6. Ce coffre (sondûk) pouvait être aussi grand qu'un coffre de voyage (sahara).
7. brûka, brûkât, brûkât al-id, sorte de vilebrequin primitif muni de pointes pour percer la pierre ou le marbre par
mouvement giratoire (ex : trou pour le jet d'eau d'une vasque) — tanadro, autre vilebrequin en forme de toupie manœuvré avec archet.
Certains outils possédaient un côté tranchant (jiha madia) et un côté pointu (jiha mdebbeb).
Les tailleurs de pierre utilisaient aussi l'équerre (kartbûn) avant de connaître le niveau d'eau (mïzân al-mâ).
86 J. REVAULT

Planche IV

Dallage clair
(dalles de marbre hexagonales)
Dallage bicolore étoile "'■■ -
,

(hexagones et triangles de marbre


blanc et noir)

Dallage hexagonal et losange Dallage quadrillé


(marbre blanc et noir) (marbre blanc et noir)
l'habitation tunisoise 87

L'exécution des uns et des autres était commandée aux forgerons (haddâda) (1) de la Médina ou des
faubourgs (rbaf), établis à Bâb Jdid et à Bâb Sâ'adoun. Ces artisans devaient posséder l'expérience (2)
nécessaire pour donner satisfaction aux tailleurs et sculpteurs de pierre et de marbre aussi bien qu'aux maçons
et aux stucateurs qui s'adressaient également à eux. Cela supposait une connaissance précise du fer à employer,
de l'usage du feu et du temps de trempage dans l'eau (3). Il fallait, en effet, obtenir des instruments résistants,
bien découpés, soigneusement polis et aiguisés à la meule (rhâ) (4).
Dès qu'un kalfa pouvait s'élever au grade de ma Hem dans la corporation des nakkâsha, il se préoccupait
aussitôt de réunir l'argent nécessaire au choix de son atelier et à l'achat de son outillage. Par la suite, il ne
manquait pas d'accorder le plus grand soin à ses instruments de travail, sans oublier de noter, à l'instar de
son ancien patron, les noms de ceux qui lui empruntaient ses précieux outils. On attachait naturellement de
l'importance à la conservation en bon état de son outillage. L'apprenti lui-même, comme les autres nakkâsha,
était tenu d'apprendre à entretenir ses outils. Pour les aiguiser, il avait toujours près de lui une meule, apportée
des rivages les plus proches (Sidi Bou Said, Korbous...) (5). On disposait encore, dans un coin de l'atelier,
d'une petite forge suffisante pour les réparations courantes. Celle-ci pouvait se réduire à un simple fourneau
en terre (kânûn) et un soufflet à main (kir). Il était alors nécessaire d'acquérir la pratique du chauffage du
fer puis de son immersion dans l'eau. En prenant ces précautions, les nakkâsha se trouvaient rarement dans
l'embarras et réduisaient le plus possible les frais d'entretien et de fonctionnement de leurs ateliers.

Ateliers de taille et de sculpture

La rangée d'ateliers (6) qui entourait la place de la Kasbah depuis la Jebbânat as-Selsla jusqu'à la Jebbâ-
nat ad-Debdâda devait présenter un aspect semblable, d'une échoppe (hânùt) à l'autre (7). Même couverture
en terrasse, même surélévation au-dessus du sol extérieur et même porte à panneaux pleins largement ouverte
dans la journée.
Afin d'offrir un abri résistant à la pluie et au soleil, chaque hânùt était solidement construite, capable,
assurait-on, de durer un siècle. Aussi attachait-on toujours un intérêt particulier à l'exécution de la terrasse,
mi-charpente (ou voûte), mi-terre. Les solives y étaient faites de bois seulement écorcé sous voligeage ou
branches fines et serrées que recouvrait une couche de plâtre (zebs) (8). Selon la coutume, on étendait sur
ce plafond une forte épaisseur de terre en y ménageant la dénivellation nécessaire à l'écoulement des eaux de
pluie (9). On pouvait aussi dissimuler la charpente sous un faux plafond (smawi) peint d'une seule couleur
— rouge ou verte — à moins qu'un riche artisan n'ait eu la fantaisie d'y ajouter quelque décor.

1. haddâd, pi. haddada, Souk des forgerons sûk al-haddadin.


:

2. ghrem fi sanaa.
3. iskiù al-maûn (sakïan).
4. Les forgerons disposaient toujours d'une meule carrée, à portée de la main.
Le dernier atelier de forgeron spécialisé dans la préparation des outils de nakkâsh était connu sous le nom de hânût
Fezghal.
5. el rhâ mtà> el-maun.
6. soffhawânet.
7. Chaque hânût (pi. hawânet), surélevée de 20 cm environ au-dessus du sol de la place, présentait les dimensions suivantes :
largeur, 3 m ; hauteur, 2,50 m à 2,80 m, profondeur, 6 à 8 m.
8. Solives (kontra, pi. knater) en genévrier, (larg. 20 cm) disposées transversalement ; ou couche de branches (bû nasrï)
peu épaisse.
9. Epaisseur de la terrasse 60 à 30 cm. Son étanchéité pouvait être renforcée par une couche inférieure de carreaux de rebut,
émail en dessous.
:
88 J. REVAULT

L'ouverture des ateliers sur la place était surmontée d'une imposte barreaudée et protégée des averses
par un auvent de bois (stâra lùha). Un simple assemblage de planches unies constituait la fermeture courante
(bâb mjelled) des échoppes que l'on verrouillait en les quittant, avec la serrure à grosse clef traditionnelle
(kuba 'arbi). La couleur extérieure variait au gré des artisans.
Au milieu de cette simplicité générale, seule la porte à panneaux (bâb be-tatbik) de Famine des nakkâsha
permettait parfois de distinguer son atelier des autres échoppes.
Les murs intérieurs blanchis à la chaux ne montraient que niches murales ou petits placards dans lesquels
on déposait quelque aliment et diverses choses sans oublier le turban propre qu'il fallait préserver des
poussières de l'atelier.
Ailleurs étaient accrochés à des sortes de patères pointues les amples et longs vêtements — burnous,
jebba — que l'on retirait pour travailler.
Dans chaque atelier prenaient place patron, aides et apprentis, avec leurs outils, leurs travaux en cours
et la réserve de matériaux (1). La taille ou la sculpture de la pierre n'exigeant souvent qu'une place réduite,
une échoppe pouvait contenir en moyenne quatre ou cinq artisans. Un costume usagé de type traditionnel
servait de tenue de travail. Il se composait des pièces habituelles répondant à une mode importée de Turquie
en milieu citadin (2) : culotte bouffante (3), gilet fermé, gilet ouvert et veste, de toile claire (4). Ainsi vêtus,
les nakkâsha s'installaient, jambes croisées, sur des peaux de mouton et nattes en jonc (5), de part et d'autre
de l'échoppe. Chacun pouvait appuyer son ouvrage contre ses genoux sinon le caler entre ses pieds, pour le
maintenir immobile (fig. 10).
Dans les divers ateliers, le mdllem fixait la tâche de ses artisans, compte tenu de leur force et de leur
habileté. Aux jeunes apprentis (sând ) était seulement confié tout d'abord, nous l'avons dit, un travail aisé
tel que le nettoyage et le polissage de pierres déjà taillées, puis l'égalisation de dalles de calcaire, plus tard
la préparation complète de pierres de taille droites destinées à être assemblées pour former soit un coffrage
(sondûk), soit le revêtement extérieur d'une construction.
Les travaux qu'il devait ainsi effectuer au cours de ses premières années d'apprentissage servaient en
même temps à familiariser le jeune artisan avec tous les outils du nakkâsh dont il lui fallait connaître l'usage,
sans compter la justesse du coup d'œil qu'il avait à développer.
A ses aides (kalfa), un mdllem demandait naturellement un travail plus difficile que la simple taille d'une
pierre droite. Leur expérience était alors jugée suffisante pour leur permettre d'accepter l'exécution d'un arc
(kûs) avec les mensurations et vérifications délicates de ses différents éléments (claveaux : afrâd) ou la
sculpture régulière d'une moulure (taddïfa) appelée à rehausser l'encadrement d'une porte, d'une fenêtre ou
d'une citerne.
D'un niveau supérieur, le bâsh-kalfa était capable de seconder le mdllem aussi bien dans la préparation
des modèles à exécuter que dans la réalisation des travaux les plus compliqués. Cela revenait à dessiner sur
papier soit des formes architecturales, soit des motifs décoratifs — dessins rangés et conservés ensuite dans un
placard — sinon à sculpter un chapiteau (râs sarya), une console (kabash), ou l'ornementation géométrique
(khwâten) et florale (nawârât) d'un linteau ou de piédroits.
La plupart des travaux répondaient ordinairement à des commandes du Beylik et à celles des notables
ou de la bourgeoisie tunisoise. Au début du siècle, lorsque ceux-ci vinrent à diminuer, l'activité des nakkâsha

1. Cette réserve nécessitait, selon les cas, un emplacement particulier au fond de l'atelier, ou une seconde échoppe servant
de makhzen. Le premier pouvait rester à ciel ouvert pour le dépôt de matériaux à l'état brut.
2. J. Revault, Arts Traditionnels en Tunisie, p. 103 et ss. Costume turc de Tunis à rapprocher de celui d'Alger étudié par G.
Marçais ; Le costume musulman d'Alger, Paris, 1930, passim.
3. L'ampleur de cette culotte à fond très large lui valut l'appellation de seroual be-kandlisa.
4. umberguiz (ou « malti »).
5. jilda û Jiasïra.
l'habitation tunisoise 89

reposa principalement sur les commandes officielles de la Jerna' iya des Habous pour l'entretien des
monuments religieux (1).
En l'absence de commande, il ne restait plus qu'à préparer librement certaines pièces toujours
recherchées par la clientèle locale : seuil d'entrée sur la rue ou sur la cour Çatba) (2), encadrement de porte avec
arc ou linteau, pierre tombale (3), etc. A l'intérieur de l'atelier, ces éléments demeuraient alors exposés à la
vue et à la tentation des passants (4).
Autrefois, l'organisation d'un chantier important pour l'élévation d'un bâtiment civil ou religieux
nécessitant l'intervention de l'aminé des nakkâsha (5) , c'est à lui qu'étaient confiés non seulement la
préparation des plans du futur édifice, mais aussi le calcul de leur réalisation ainsi que la distribution des tâches
correspondantes entre les différents corps de métier intéressés : maçons, tailleurs de pierre, menuisiers,
ferronniers, peintres et stucateurs (6).
A l'aminé revenait le soin de choisir les matériaux de qualité satisfaisante — pierre ou marbre — pour


toute construction envisagée avec son concours — monument religieux ou grande demeure — .

Coutumes des nakkâsha

Comme on a pu l'observer chez la plupart des artisans tunisois, la journée de travail des nakkâsha
commençait et se terminait de bonne heure. Cette habitude les distinguait alors des commerçants musulmans
et juifs, peu pressés d'ouvrir leurs boutiques avant la venue de leur clientèle.
Eté comme hiver, les tailleurs de pierre se levaient à l'aube. Ils quittaient souvent leur domicile par
nuit noire, non sans avoir pris leur café matinal — leurs ablutions faites avec les prières du matin — et un
déjeuner reconstituant à base d'huile, de miel et de beurre, sinon d'«'assida» et de couscous à la viande.
Quelle que fut la distance, on se rendait à pied à son lieu de travail, éclairé au besoin par une lanterne
dans le dédale des ruelles sombres. Seules les personnes riches et âgées, ou ayant qualité d'aminé, montaient
à mule jusqu'à la Place de la Kasbah, accompagnées d'un esclave noir (ûsïf).
A l'exception des apprentis, autorisés à venir plus tard, tous les artisans gagnaient en même temps leurs
ateliers respectifs, précédés par les bâsh-kalfa, détenteurs de la clef d'entrée (7).
Tant que la nuit n'était pas dissipée, on devait garder allumée, à l'intérieur des hawânet, une lampe à
huile vernissée à plusieurs becs (8).
Après s'être débarrassé de sa «jebba» et de son burnous, même de son turban, chacun des nakkâsha
reconnaissait sa peau de mouton ou sa natte en jonc sur laquelle il s'asseyait à la turque et reprenait le travail
abandonné la veille. Aucun chant — jugé malséant — ne soutenait jamais celui-ci. Aussi bien aurait-il été
couvert par le bruit des instruments de fer dont le martèlement sourd et joyeux sur la pierre ou le marbre
s'étendait à toute la Place de la Kasbah.

1. Restauration de Torbet el-Bey, Jama' Sidi Yousef, Jama' Saheb et-Taba'a, etc
2. Terme distinct de celui qui désigne un seuil d'appartement (sofli, pi. sfâli ; actuellement clorja).
3. kobria.
4. Pour un artisan sans atelier, la recherche de travail pouvait s'effectuer de la façon suivante : l'intéressé s'installait au
café des nakkâsha pour y attendre un commanditaire éventuel. On savait alors le trouver là, en cas de besoin, sinon à la mosquée
du quartier, voire chez le barbier ou auprès d'artisans amis. Si on l'interrogeait sur sa situation du moment, il répondait qu'il
était, non en chômage (batrâl), mais disponible (metfàji).
5. Sinon d'un maillent réputé.
6. Palais de Tunis, I et II.
7. Vers 5 h en été, 6 h 30 à 7 h 00 en hiver.
8 Lorsque le froid était trop vif durant la journée, on maintenait la porte tirée.
90 J. REVAULT

Cette activité bruyante se poursuivait sans interruption, aux abords des deux cimetières, de la Kasbah
et du Dâr al-Bey, jusqu'à la prière « ed-dhor » qui annonçait le milieu de la journée (1).
L'aspect général des ateliers de pierre devait paraître assez rude bien que l'on s'efforçât d'en atténuer
la sévérité en y apportant les mêmes agréments. Ainsi y trouvait-on généralement, près de l'entrée, en haut
une cage d'oiseau, en bas, un pot de basilic ou d'oeillets, voire un bouquet de fleurs acheté en chemin ou apporté
de son jardin par l'un des artisans (2). C'était aussi une façon d'honorer tout visiteur, notable ou
commanditaire, qui venait s'asseoir sur le « bank » de l'atelier pour s'entretenir avec le ma lient.
Si l'on demandait à l'épicier (sûki) le plus proche la collation habituelle au milieu de la matinée (3),
la seule boisson prise pendant le travail (4) était l'eau contenue dans une jarre commune (kolla), tandis que
la ma' Hem pouvait disposer d'une gargoulette personnelle (sharbïa). Enfin, seuls le patron et les kalfa âgés
se permettaient de fumer des pipes en terre (sebsi tin) dans leurs échoppes (5). Sans doute l'animation de la
Place de la Kasbah demeurait-elle la distraction principale des artisans travaillant à l'entour, alors que s'y
mêlait fréquemment le déchargement des chameaux et des charrettes apportant les blocs de pierre que les
nakkâsha s'employaient ensuite à partager.
Il arrivait parfois qu'un événement inattendu apportât à cet endroit une diversion plus rare, toujours
appréciée des artisans. C'était le cas des cortèges beylicaux — les jours de fêtes religieuses, ou de défilés
militaires — départ ou retour des Mehallas annuelles, et funérailles pompeuses avec arrêt du Bey du Camp
(successeur du Bey défunt) au Dâr el-Bey et à Torbet el-Lâz (6), toutes occasions de fermer les ateliers et
de monter sur leurs terrasses pour y dominer la foule et mieux jouir du spectacle (7).
Après la prière qui clôturait la matinée de travail, chacun rentrait chez soi et prenait le principal repas
de la journée (8), que suivait bientôt la prière de l'après-midi (raser) (9). Ensuite, les artisans se délassaient
jusqu'au soir, se rendant souvent à leur zaouïa préférée où ils savaient rencontrer leurs amis (10). D'auties
— surtout les khaddâma (11) — se retrouvaient au Café Maure pour s'y distraire aux cartes et autres jeux
(« ronda», « chkoba», « tricité »), etc. (12).
Quelquefois, les parents profitaient de ces loisirs pour promener leurs enfants à l'intérieur des faubourgs
ou de la Médina, jusqu'au dehors des remparts, vers la campagne et les jardins maraîchers tout proches.

1. Entre 13 h et 13 h 30. Tandis que les artisans (sanâ'i, sana'ïya) étaient rétribués à la tâche, le ma' lient accordait une légère
gratification aux apprentis (sând, sonncTa) à titre d'encouragement.
2. On élevait aussi près de l'atelier quelques poulets d'Egypte ou d'Europe (djâj masrî ou suri).
3. A moins qu'elle ne fût portée de son domicile.
4. Chacun buvait dans sa propre coupe en poterie (hallâb) renouvelée fréquemment. Cf. J. Revault, Arts traditionnels,
A. Louis et P. Lisse, Les Potiers de Nabeul, Tunis, 1956.
On préférait «l'eau du ciel» puisée dans les citernes telles que certains nakkâsha en possédaient au-dessous de leurs
ateliers où elles étaient l'objet d'un entretien régulier. On faisait aussi appel aux fontaines publiques (sebbâla) et au porteur d'eau
(gerbâji).
5. On eut blâmé un jeune artisan qui aurait fumé en présence de son patron aussi bien que devant son père. L'usage des
pipes en bois n'aurait été introduit que tardivement en Tunisie par les Italiens.
6. Palais de Tunis, I et II, passim.
7. Grâce à une échelle dressée à l'intérieur des échoppes.
8. Repas composé de couscous et de viande auxquels s'ajoutaient, au printemps, des laitages.
9. Entre 15 h et 16 h 30, selon les saisons.
10. Nombre de nakkâsha se réunissaient, paraît-il, le jeudi soir, comme adeptes de Sidi Ben Aïssa, à la Zaouïa de Sidi el-
Hari — qui existe encore Place des Potiers. D'autres fréquentaient, dans leur quartier, la Zaouïa de Sidi Ahmed Tijani ou de
Sidi Abd el-Kader Jilani. Tous étaient attirés, certains jours, par la célèbre Zaouïa de Sidi Bel-Hassen où les visites pieuses avaient
lieu toute l'année — le samedi ou le vendredi — et particulièrement pendant l'été (Pèlerinage annuel). Le samedi aurait été choisi,
disait-on, pour faire échec au sabbat des Juifs.
11. Alors que l'emploi de manœuvres (khaddâma) était courant parmi les maçons, il était rare chez les tailleurs de pierre où
ils servaient seulement au transport de matériaux ou des outils.
12. Les consommations en café étaient, bien entendu, à la charge du perdant.
l'habitation tunisoise 91

Plus tard — à la fin du siècle dernier — ils pouvaient se rendre sur les lieux de la nouvelle Avenue de la Marine
qui allait devenir la promenade à la mode entre la Porte de la Mer et le Port de Tunis.
Tous regagnaient leur domicile ou leur mosquée pour la prière du « Coucher du soleil » (moghreb)
qui était suivie du repas du soir avant ou après la dernière prière de la journée ('acha).
En été, on ne tardait pas à se coucher, alors qu'en hiver les veillées (sahria) se prolongeaient souvent
jusqu'à une heure avancée de la nuit. La pièce où l'on se réunissait était sommairement meublée, entourée
seulement de petits matelas en guise de divans posés sur des nattes en jonc et des peaux de mouton formant
tapis. Chauffage et éclairage étaient fournis par un « kanoun » en terre et une lampe à huile à plusieurs
mèches (1).
Chacun s'occupait à son gré, Famine à la préparation de ses plans, la femme et les filles à des ouvrages
de tricot (ceinture), dentelle (chebka) ou broderie (triza)... tout en devisant ou en écoutant les contes de
l'aïeul (2).
La musique et le chant comptaient aussi parmi les distractions favorites durant les veillées, au point
que l'on aimait se retrouver entre voisins et amis pour fêter ensemble « la veille du vendredi » (lilt Jemâ'a),
avec les instruments de son choix. Si le piano et le luth étaient particulièrement prisés, on se contentait
aussi de chanter, accompagné du rythme d'un tambourin (târ) ou de la « derbouka».
Les nakkàsha se vantaient enfin de leurs manières plus raffinées que d'autres artisans, les ayant adoptées,
pensaient-ils, au contact des notables dont ils recherchaient la fréquentation.

La pierre et le marbre dans l'architecture domestique

Alors que le marbre local (rkhâm) fut réservé le plus souvent aux seules constructions royales, l'emploi
de la pierre calcaire du Cap Bon (keddâl) intéressa de tout temps les palais princiers aussi bien que les
demeures bourgeoises de Tunis (3).
Dans les deux cas, l'usage de ces matériaux — auxquels s'ajoute parfois le grés coquillier (harsh) —
apparaît tout d'abord dans la façade extérieure (ûjah), aux yeux du passant, puis à l'intérieur de l'habitation
que pouvait seulement voir le maître des lieux et ses familiers.

Extérieur

Au dehors, contrastant avec l'uniformité des murs aveugles, la porte d'entrée d'un logis (bâb al-dâr)
témoignait aussitôt de l'ancienneté et de la valeur de celui-ci selon l'importance et le décor de son encadrement
de pierre ou de marbre. Cette entrée donnait rarement sur une place, mais plutôt sur une ruelle ou un passage
privé (drïba) fermé à son intersection avec la rue (4).
Un indice supplémentaire était encore fourni par l'adjonction éventuelle d'un encorbellement (kharâj)
sur consoles de pierre.

Intérieur

Pierre et marbre intervenaient aussi dans la construction et l'ornementation intérieures d'un palais
ou d'une riche demeure, depuis le couloir d'accès jusqu'à la cour et ses appartements. A moins qu'elle n'ait

1. Lampes à deux ou quatre becs.


2. Seuls les hommes âgés buvaient parfois du café, avant que l'usage du thé ne fut introduit en Tunisie.
3. Palais de Tunis, I, passim.
4. La plupart de ces anciennes drïba sont maintenant transformées en impasses.
92 J. REVAULT

conservé une réelle simplicité, l'entrée en chicane d'un domicile urbain (driba, skïfa) présentait, pour l'accueil
des étrangers exclusivement admis à cet endroit, une riche ornementation de pierre ou de marbre, rehaussée
de faïence et de plâtre sculpté, cette décoration d'avant-scène préfigurant le luxe des salons et chambres
intimes (PL IV).
Plus loin, la cour centrale (wûst al-dâr) apparaissait avec son sol soigneusement dallé, ses murs tantôt
appareillés avec niches à fond plat, tantôt abrités par un ou plusieurs portiques à arcades (bortâl) au-dessous
d'une galerie formant loggia (gannârïya).
De chaque côté se répétaient, donnant sur le patio, les portes à linteau droit ou arc à claveaux.
A l'intérieur des appartements (bit) — pièces longues ou en T — on retrouvait, selon les époques,
des éléments semblables marquant les portes droites des chambrettes (maksùra) et l'ouverture courbe des
alcôves, médiane et latérales : celle du kbû face à l'entrée de la chambre, celles des lits aux deux extrémités
de la pièce.
Les locaux domestiques (clâr al-khdem, dâr al harka) offraient eux-mêmes une élégance architecturale
assez inattendue, grâce à l'emploi judicieux de la pierre de taille — dallage, portique à colonne, puits, citerne.
Enfin, les communs — magasins à vivres, écuries (makhzen) — pouvaient conserver un aspect fruste et sévère,
sans nuire pour autant à l'unité de l'ensemble, avec leurs solides colonnes de pierre supportant voûtes en
berceau et voûtes d'arête.
Nous verrons, au cours des siècles, à quelle évolution furent soumises les façades extérieures et intérieures,
ainsi que les appartements d'un palais et d'une demeure citadine, entre les périodes hafside, turque et hussei-
nite. C'est à des changements successifs que les tailleurs et sculpteurs de pierre furent alors tenus de s'adapter,
compte tenu d'influences diverses, andalouse, turque, italienne.
Cette variation du style architectural tunisois, qui s'étendit également aux monuments civils et religieux
de la capitale, n'épargna guère que les communs dont la conception primitive sembla toujours répondre à
des préoccupations domestiques inchangées (1).

Façade extérieure
Les portes
La porte à linteau droit sur deux montants représente bien la forme classique la plus ancienne de l'entrée
d'une demeure tunisoise (2). Issue apparemment, dans sa simplicité, d'un type gréco-romain particulièrement
répandu dans toute l'Afrique du Nord, cette porte a survécu aux autres formes que des innovations firent
naître dans la capitale à certaines époques. C'est ainsi qu'elle s'associa, au besoin, à des arcs de décharge
d'aspect variable, d'une période à l'autre : avec cintre surhaussé (aghlabide, fatimide et ziride), arc brisé
outrepassé (hafside), arc surbaissé (turc).
Plus tard, indépendamment de cette porte droite toujours en honneur, le règne des Beys mouradites,
puis husseinites, verra adopter une nouvelle porte — d'inspiration orientale — s'ouvrant entièrement dans
un arc brisé outrepassé.
Enfin, une mode plus récente correspondra à l'imitation de l'arc cintré des portes italiennes.

Portes droites
II est permis de penser que les premiers palais ifriqyens élevés successivement par les émirs aghlabides,
fatimides, zirides et Beni-Khorassan s'ouvraient par des portes semblables à celles de la Grande Mosquée

1. Il en fut de même des citernes, fidèles aux plus anciennes traditions.


2. S. M. Zbiss, Portes, baies et façades datées dans V architecture musulmane de la ville de Tunis, in Cahier des Arts et
Techniques d* Afrique du Nord, 6, 1960-1961, p. 131 et ss.
l'habitation tunisoise 93

Zitouna qui leur sont contemporaines : des exemples caractéristiques y sont, en effet, visibles dans la galerie
surélevée tournée vers l'Est (1) : grande porte à linteau et piédroits de marbre clair monolithe que surmonte
un arc de décharge surhaussé et cintré, sinon un arc réduit surbaissé sous plate-bande appareillée (2) (PI. V, VI).
A l'intérieur de la cité, de belles portes encadrées de marbre devaient également signaler l'entrée des
habitations les plus importantes si l'on en croit les récits des voyageurs qui visitèrent Tunis durant le Haut
Moyen Age (3).
Aux siècles suivants des portes de même style demeurèrent en honneur comme en témoignent , à l'entrée
de monuments hafsides, des encadrements de calcaire et de marbre clair à linteau droit. On en retiendra,
tout d'abord, l'entrée majestueuse du premier collège musulman institué en Ifriqya et en Afrique du Nord,
la Médersa ech-Chama'iya (XIIIe s.) (4). Elle apparaît, surélevée, dans l'impasse attenante à l'ancien Souk
ech-Chama'iya (souk des cierges) qui lui a donné son nom. Haute porte droite, à laquelle professeurs et
étudiants accédaient jadis par le perron à emmarchement latéral conservé jusqu'à ce jour.
C'est un modèle de simplicité puisque l'encadrement de la porte cloutée ne montre que du calcaire uni
à l'exception du linteau de marbre blanc. Les deux parties assemblées en un cadre complet comprennent
piédroits et linteau internes joints par une moulure à un large bandeau avec plate-bande appareillée externe.
De chaque côté de celle-ci subsistent deux consoles à lambrequins de type maghrébin qui devaient auparavant
soutenir une corniche de tuiles vernissées formant auvent (5).
Ce sera le cas de deux belles portes de zaouïas s 'opposant de chaque côté de la rue Sidi Ben Arous :
Sidi el-Kala'i et Sidi Ben Arous (XVe siècle). Dans l'une et l'autre, le linteau rehaussé d'un bandeau épigra-
phique (6) est surmonté d'une plate-bande appareillée, tandis que les montants se doublent d'assises de grès
coquillier formant pilastres. Auparavant, ceux-ci se prolongeaient en hauteur au-dessus de l'entrée de Sidi
el-Kalafi, lui donnant l'aspect d'une porte monumentale (7) (PI. VII). Nous verrons quelle fortune connut
ce type de porte sous le règne des sultans hafsides. A la même époque on peut supposer que la porte à linteau
droit était communément employée à l'intérieur de la Médina et de ses faubourgs. Réalisée le plus souvent
en calcaire, elle devait naturellement montrer des proportions différentes variant au gré des citadins et selon
l'importance des habitations. En l'absence d'autres ouvertures sur la rue, sans doute cette porte
s'accompagnait-elle déjà d'une simple imposte carrée ou rectangulaire éclairant faiblement la skïfa.

1. Ibid.
2. Ibid. Portes contemporaines des Zirides et Beni-Khorassan (au XIe siècle) exécutées en marbre de l'Ichkeul sinon avec
des matériaux de remploi.
3. G. Marçais, Tunis et Kairouan, p. 80. Description de Tunis d'après El-Bekri, (XIe siècle) : « Dans la ville, les portes
des maisons s'encadrent de trois bandeaux de marbre. Les ruines de Carthage avaient évidemment fourni les matériaux de cette
luxueuse parure ».
4. L. Poinssot, op. cit., p. 50. Sa fondation est attribuée au premier sultan hafside Abou Zakariya (1225-1249).
G. Marçais, Tunis et Kairouan, pp. 99-100. « L'apparition de la medersa — ou madrassa, selon la forme que le nom
conserve en Orient — marque une étape importante dans l'histoire de la culture musulmane. Née en Iraq vers le milieu du XIe siècle,
avec le triomphe des Turcs Seldjouqides, importée en Egypte par le sultan Saladin dans la deuxième moitié du XIIe siècle, elle
affecte déjà le caractère qui restera le sien, en Tunisie comme au Maroc. Elle est une institution d'Etat, et, dans l'esprit du prince
qui la fonde, un séminaire où il recrutera des agents éclairés pour son gouvernement, des serviteurs dévoués pour sa politique.
Les études porteront exclusivement sur les sciences religieuses, en particulier la jurisprudence ; et ceci n'écarte pas la Tunisie
de ses traditions erudites ».
5. La même grandeur et la même simplicité ressortent de l'harmonie architecturale intérieure, qui permet d'évoquer ce
que durent être les luxueuses demeures hafsides avec leur cour centrale entourée de deux galeries superposées — à arcades en
bas, à linteau en haut — faites également de beau calcaire local associé au marbre de l'Ichkeul.
6. Ces inscriptions gravées dans le marbre clair précisent que les deux zaouïas voisines ont été l'objet de restaurations
réalisées en 896 H (1490-91), sous le règne du Sultan Abou Yahia Zakariya, par les soins de Abou Zaïd Abd-er-Rhaman al-Misri.
On doit, sans doute, à l'intervention de cet architecte égyptien l'emploi qui a été fait ici du « naskhi » dans l'épigraphie
du linteau ainsi que d'une plate-bande appareillée en marbre noir et blanc (Sidi Ben Arous), conformément aux traditions
cairotes d'époque mamelouke.
7. S. M. Zbiss, op. cit., p. 135, L. Poinssot, Quelques édifices du Moyen Age et des temps modernes, in Atlas de Tunisie, Paris,
1936, p. 50. La partie supérieure de cette porte du XVe siècle a disparu.
J. REVAULT

(Mosquée Zitouna, Tunis). Porte de la salle de prières (XIe s.) à linteau droit sous arc de décharge cintré
— galerie Est.
L HABITATION TUNISOISE 95

Planche VI

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(Mosquée Zitouna). Porte à linteau droit sous plate-bande appareillée (XIe s.) — galerie Est — Essai de
restitution.
96 J. REVAULT

Planche VII

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(Zaouïa de Sidi El-Kaldï). Porte monumentale à double encadrement de pierre calcaire et grès coquillier
(XVe) — restitution.
l'habitation tunisoise 97

La richesse d'une entrée ne ressortait pas toujours de ses grandes dimensions, mais plutôt de la qualité
de la pierre utilisée entre linteau et piédroits, sans fractionnement des principaux éléments (1).

Porte du Dâr Rassâ'a (rue des Tamis) (Centre de la Medina)

Du même style on doit encore retenir, à l'époque hafside, la belle façade qui commémore le souvenir
de l'illustre famille des Rassâ'a venue d'Espagne et d'Algérie s'installer à Tunis au XVe siècle (2).
Dans le quartier aristocratique choisi par la lignée de personnages religieux que furent les Rassâ'a, à
proximité de la Grande Mosquée, la porte d'entrée surprend par sa grande sobriété : porte à linteau droit
sur fond de grés coquillier appareillé en assises régulières, entre trois fortes colonnes de marbre à chapiteau
antique, soutenant une large et haute voûte d'arête s'étendant au-devant de l'entrée (3). Le décor s'y limite
au cloutage des deux battants dont la curieuse épigraphie sera décrite plus loin (PI. VIII).
Le caractère architectural de cette entrée laisse deviner l'importance que dut connaître autrefois l'ancienne
demeure à l'intérieur de laquelle ne subsistent que de trop rares vestiges originels.
Pas plus que dans les portes des XIe et XIIe siècles de la Grande Mosquée et celle de la Medersa ech-
Chama'iya du XIIIe siècle, ne figure ici le moindre ornement sculpté (piédroits ou linteau). Nous en relèverons
seulement les premières et timides apparitions à l'entrée de certains monuments hafsides du XVe siècle.
Aux époques turque et mouradite (XVIe et XVIIe siècle), ce type d'entrée semble avoir été recherché
par certains notables. Sans atteindre les proportions des portes monumentales à arc de décharge, ces portes
à linteau droit ne s'en distingueront pas moins des portes ordinaires en montrant une hauteur inusitée dans
un double cadre de pierre — keddàl et harsh — qui étonnera toujours par son ampleur. On pourrait alors
penser que la largeur de l'ouverture reproduite de part et d'autre dans son encadrement a été déterminée
ainsi pour donner à l'ensemble un aspect à la fois solide et équilibré.
De beaux exemples illustrent ce modèle en plusieurs endroits de la capitale — Médina et faubourgs — .
Dans la partie Nord, on retiendra notamment des portes d'anciennes demeures, rue Dâr Jeld et rue de
l'Obscurité.
Une identité de style apparaît aussi, nous l'avons dit, à l'entrée de certains monuments religieux. Nous
en donnons comme preuve, rue Torbet el-Bey, la riche porte sculptée de la Torbet El-Fellari (PI. LXXIX,
LXX).
Au début de l'époque husseinite, ces grandes entrées droites étaient encore en honneur, comme le montre,
rue des Teinturiers, la porte de la « Mosquée neuve » avec sa nouvelle ornementation géométrique et florale,
que rehausse le choix des pierres locales habituelles.
Les premiers modèles de porte à double encadrement de marbre (ou calcaire) et de grès coquillier
s'imposeront pendant plusieurs siècles aux constructeurs tunisois désireux d'ennoblir l'entrée d'une mosquée,
d'une zaouïa ou d'une demeure de haut rang. Nous en verrons le type maintenu, grâce à sa simplicité antique,
concurremment aux modes nouvelles qui se succéderont sous des formes différentes, avec l'emploi de l'arc
brisé ou cintré. Les citadins de la société moyenne et modeste lui resteront fidèles jusqu'au bout.

1 . On notera l'imitation des portes de la capitale dans les principales villes de Tunisie : Kairouan, Sousse, Sfax...
2. J. Revault, Palais de Tunis, I, p. 306 n. 4. Les premiers Rassâ'a qui vinrent s'installer à Tunis (1427) devaient y remplir,
nous l'avons vu, des fonctions religieuses (mufti, cadi, imâm, notaire, sinon écrivain), fonctions qu'ils conservèrent d'abord sous
les Hafsides, puis sous le règne des Deys et des Beys. R. Brunschvig, op. cit., p. 31.
3. Sur les trois colonnes à chapiteau corinthien qui se dressent contre la façade du Dâr Rassâ'a retombent les trois arcs qui
supportent la double voûte d'arête (en briques) au-dessus de la rue. Le seuil extérieur de l'entrée est encore formé d'une large
pierre plate apportée, dit-on, de Djeddah, à l'occasion d'un pèlerinage à la Mecque, cf. J. Revault, op. cit., p. 307.
J. REVAULT

( Dâr Rassaa, rue des Tamis). Porte droite (XVe-XVIe s.) en calcaire sur fond de grès coquillier, flanquée
de colonnes antiques de remploi.
l'habitation tunisoise 99

C'est en son centre et dans les quartiers Nord que la Médina a conservé les exemples de portes les plus
remarquables à double encadrement de pierre. On y reconnaît toujours le signe évident d'une luxueuse demeure
édifiée entre le XVIIe et le XVIIIe siècle.

Porte des Dâr Sayadi et Dâr Dennouni (rue de la Kasbah, impasse Bou Hachem)

Proches de la partie haute de la rue de la Kasbah, le Dâr Sayadi et le Dâr Dennouni s'associent à un
groupe de riches habitations de la vieille aristocratie tunisoise (XVIIe siècle) également desservies par une
ancienne drïba — aujourd'hui impasse Bou Hachem — (1). Autour de la porte à deux battants et cloutage
arrondi, un solide cadre de pierre montre, limité encore à la base des piédroits, un nouveau décor sculpté de
style turquisant, appelé à se répandre de plus en plus à l'intérieur comme à l'extérieur des constructions
mouradites, puis husseinites.

Portes des Dâr Mohammed Kassem (rue Dâr Jeld) et Dâr el-Maharsi (rue de V Obscurité) (Partie Nord)

Un aspect identique rapproche les portes de ces habitations d'époque mouradite situées dans le même
quartier, à peu de distance l'une de l'autre (2). Leurs grandes proportions accentuées par l'épaisseur de leur
double encadrement — keddàl et harsh — dépassent la moyenne des entrées environnantes. Un décor floral
stylisé y apparaît aussi à la base des jambages.

Porte, Dâr Hamadi Chérif (rue Dâr Jeld)

A proximité des portes précédentes dont elle garde le style et la sobriété ornementale, l'entrée du Dâr
Hamadi Chérif (actuellement murée) est aussi l'indice d'une grande fortune à la même époque (3). Cette
importance passée est soulignée ici par l'adjonction de deux autres portes à l'entrée principale des maîtres,
une porte droite plus petite réservée aux hôtes logés dans les appartements à un étage indépendant (4) ; une
porte à arc brisé outrepassé desservant les communs, ces deux dernières portes s 'abritant sous les voûtes
d'un sàbât (PI. LXXIII). Nous retrouverons ailleurs la répétition de cette triple entrée dont l'usage sera
conservé jusqu'au XVIIIe siècle sous la même forme (5).

Porte, Dâr El-Guizâni (rue du Pacha)

Des portes de dimensions inférieures correspondent à des maisons plus modestes de l'époque mouradite
lorsque leur encadrement atteste surtout le souci de solidité de la pierre — montants et linteau monolithes —

1. Palais de Tunis, I, pp. 312-314.


Tandis que la porte du Dâr Dennouni possède des montants formés chacun de deux parties égales dans son cadre de
keddâl — non doublé de harsh (PI. LXXO — la porte du Dâr Sayadi est flanquée de deux piédroits monolithes sous linteau en
calcaire et plate-bande appareillée en grès coquillier.
2. Dâr Mohamed Kassem, n° 40, rue Dâr Jeld ; Dâr el-Maharsi, n° 6, rue de l'Obscurité (fig. 17). Jambages des portes en
deux parties jointes par un morceau intercalaire. Même type d'habitation aux murs aveugles élevés, skïfa ornée de stuc andalou,
cour dallée de calcaire ornée, en son milieu, d'un oranger, puits avec margelle près d'une citerne, cuisine à côté de l'entrée,
chambres hautes de plafond avec alcôves latérales à arc festonné.
3. Jambages monolithes et plate-bande appareillée semblables à ceux de l'entrée du Dâr Sayadi.
4. Cadre de calcaire plus étroit, proportionné à l'ouverture de la porte. Il en est ainsi des motifs sculptés à la base des
piédroits et sur le linteau — carré étoile entre deux cyprès stylisés — de facture apparemment moins ancienne aue les sculptures
de la grande porte.
5. Dâr Nifer, Dâr Ben Mahmoud, Dâr Ben Abd-Allah.
100 J. REVAULT

Planche IX

(Faubourg Sud de Tunis, rue des Silos). Porte d'habitation à double encadrement de keddâl et harsh (XVIIIe-
XIXe s.).
l'habitation tunisoise 101

et de sobriété du décor. Cette variation d'un même style apparaît nettement dans la porte du Dâr El-Guizâni
(1), sous la voûte d'un sâbât, rue du Pacha. Jambages et linteau de calcaire uni ne se doublent ici que d'un
simple bandeau de grés coquillier, excluant tout décor sculpté hors de la base des piédroits (double motif
floral turquisant).
A l'époque husseinite les portes droites d'importance diverse se multiplient aussi bien à l'intérieur de
la Médina que des faubourgs (PI. IX). On y voit les plus simples à cadre unique en keddâl souvent dépourvu
d'ornement jusqu'aux plus complexes à double encadrement — keddâl et harsh — . Celles-ci seront parfois
surchargées, sans mesure, de sculptures et de moulures pour satisfaire leurs riches propriétaires (XVIIP
et XIXe siècles) (2).
On y emprunte alors de plus en plus, sans souci de style, des éléments décoratifs composites que de
nouvelles modes ont introduites en milieu tunisois dans l'encadrement des portes arquées.

Porte de JamdJdid (Partie Sud)


Cependant des portes d'un très bel équilibre architectural et d'une réelle harmonie décorative marquèrent
une excellente orientation. Celle-ci apparaît principalement dans la façade extérieure de Jama'Jdid, rue
des Teinturiers. On sait que la création de cette « Mosquée neuve » fut l'œuvre du fondateur de la Dynastie
husseinite, Hussein ben Ali Turki, au début du XVIIP siècle (3). En l'élevant dans la partie Sud de la capitale
adoptée par Turcs et Andalous, le souverain désirait accomplir à la fois une œuvre pie et originale. Répondant
au rite hanéfite mis en honneur par les deys et beys régnants, ce monument religieux devait imposer
l'innovation de son architecture et de son ornementation extérieure et intérieure également inspirées de l'Orient.
C'est pourquoi la porte qui donne de plain-pied dans la cour de la mosquée, tout en maintenant sa forme
classique, s'enrichit-elle d'un ensemble décoratif inconnu auparavant. Le triple encadrement de calcaire et
de grés coquillier qui entoure l'entrée se rehausse de motifs floraux, géométriques et moulurés se répétant
en panneaux symétriques à la base des piédroits et pilastres ainsi qu'à la surface du linteau (4). Carré entrelacé
de type andalou, vase, bouquet et rinceaux turquisants, médaillon, pointes de diamant et moulures
italianisantes s'assemblent dans un heureux mélange caractéristique de cette époque. L'imitation s'en étendra
longtemps non seulement à travers toute la cité mais aussi au dehors, jusque dans les principales villes de
l'intérieur (5).

Portes droites sous arc brisé outrepassé


XVe siècle
La porte à linteau droit sous arc de décharge brisé outrepassé remonte au Moyen Age, à l'époque
hafside, où elle fait figure de porte monumentale. Exécutée en marbre blanc rehaussé de marbre noir, telle
apparaît, impasse el-Attarine, l'entrée de la Mîd'at as-Soltane (XVe siècle) (6). Limitée à l'entrée principale

1. Dâr El-Guizâni, n° 10.


2. Porte de la Zaouïa de Lalla Radija Ferjia, rue Amoune, qui fut auparavant sa demeure propre, dans laquelle elle vécut
jusqu'à sa mort assez récente. On s'en souvient comme d'une fervente adepte de Saïda Manoubia dont elle présidait, en jebba
verte, les séances rituelles.
Aujourd'hui, elle est l'objet de visites pieuses (mi'ad), le vendredi soir, avec danses rythmées par « naghrât » et «bendir »,
et demandes d'intercessions accompagnées de cadeaux (pain, couscous, cierges...).
3. Palais de Tunis, II, p. 100.
4. Une première imitation de la porte de la mosquée apparaît sous le sâbât voisin, à l'entrée de la médersa rattachée au lieu
de prières — porte à linteau droit sous arc de décharge — Infra.
5. Kairouan, Sousse, Sfax (malgré l'originalité des sculptures particulières à cette ville), plus tard certaines localités du Cap
Bon et du Sahel, Cf. P. Lisse, Tradition, évolution, adaptation de la sculpture sur pierre dans le Cap Bon, I.B.L.A., n° 75, 1956,
pp. 81 à 92.
6. J. Revault. Deux mida's tunisoises, Revue de l'Occident Musulman, 2e tr. 1973, p. 277.
G. Marçais, Tunis et Kairouan, Paris, 1937, p. 96 : Fondation en 1450.
A. A. Daouletli, Tunis sous les Hafsides, Tunis, 1976, pp. 213-221.
Planche X

(Tracé géométrique ) Porte à linteau droit sous plate-bande appareillée et arc brisé outrepassé à claveaux
et bandeau avec boucle.
l'habitation tunisoise 103

de la mîd'a, la façade extérieure est orientée au Nord. Elle présente la grandeur majestueuse particulière à
la période hafside, dont certains monuments et riches demeures s'inspireront encore à l'époque turque (1).
L'ancienne porte droite à deux battants peints en vert y avait adopté le beau cloutage godronné et les
heurtoirs de fer (2) chers aux constructeurs andalous. Autour de cette porte à linteau droit, l'encadrement
s'élève jusqu'à hauteur des terrasses. On a choisi à cet effet le marbre clair du Jbel Ichkeul qui forme la parure
complète de la façade : montants et linteau que domine un arc brisé outrepassé avec tympan percé d'une
lucarne. Une plate-bande appareillée de marbre blanc et noir sépare linteau et arc, au-dessus de deux colon-
nettes cantonnées à chapiteau hispano-maghrébin (3) (PI. XI).
La beauté de cette façade n'est pas trompeuse, car elle annonce bien la grandeur architecturale que les
fidèles pouvaient admirer autrefois, à l'intérieur de la mïd'a, avant leurs prières rituelles (4). Elle représente
aussi un exemple précis des portes que les sultans hafsides se plurent, sans doute, à édifier à l'entrée de leurs
palais groupés dans la cité royale de la Kasbah, non sans susciter des imitations probables auprès des grands
personnages du Makhzen (5).

XVP-XVIP siècles
Porte du Dâr ' Othman
S'il ne reste plus rien aujourd'hui de ces portes royales et seigneuriales de l'époque hafside, en revanche,
on peut en trouver d'intéressantes répliques réalisées à l'intérieur de la Médina, voire des faubourgs, après la
conquête ottomane, entre le XVIe et le XVIIe siècle. Qu'elles soient exécutées en marbre ou en pierre, elles
témoignent d'une même fidélité à la noblesse d'un style qui se prolongea longtemps dans la construction
des monuments civils et religieux, turcs et mouradites.
La plus ancienne et la plus imposante de ces portes monumentales est celle qui s'élève au-devant du
palais du Dey Othman, édifié en pleine Médina (6).
« La façade réservée exclusivement à l'entrée du palais se dresse majestueuse, dans son revêtement de
marbre blanc et noir (7) (PI. XII, fig. 1 1). La porte droite est surmontée de deux linteaux appareillés que
sépare un arc brisé outrepassé à clavage bicolore, le linteau inférieur s 'accompagnant de deux carrés de marbre
noir entrelacés. Une succession de motifs cruciformes s'élève de part et d'autre — une croix séparant deux
groupes de trois svastika — tandis que les deux angles de la façade sont flanqués symétriquement de deux
colonnes de marbre blanc superposées. Leurs chapiteaux y apparaissent de type hispano-mauresque en bas.

1 . J. Revault, Palais de Tunis, I, Dâr Othman, Dâr El-Hedri, Dâr El-Haddad.


2. Heurtoirs en forme de lourds anneaux.
3. Les parements muraux (marbre ou calcaire) étaient appliqués autrefois sur une couche de plâtre (zebs) et fixés à l'aide de
crochets en cuivre (kabash).
4. « La mid'at as-Soltane» (ou Mid'at al-Attarine) est aujourd'hui désaffectée. La restauration en a été effectuée en 1960
par Si Hassen Abdulwahab, Directeur de l'Institut d'Archéologie et d'Arts (Ministère des Affaires Culturelles et de l'Information).
R. Brunschvig, op. cit., p. 353. « Les aménagements hydrauliques se multiplièrent surtout vers la fin du XIVe siècle et
dans le courant du XVe, à partir du règne d'Abu l-'Abbàs... 'Utmàn fit encore installer une fontaine et une massâsa, près de la
Grande Mosquée... à plusieurs portes de la ville, l'eau était désormais offerte généreusement à tout venant. Le même 'Utmân,
de 1448 à 1450, construisit au nord de la Zaitûna, dans la rue dite alors darb Abdassalâm qui est aujourd'hui une impasse du
Souk el-Attarine, la belle salle d'ablutions ou midha (mïda'â) qui s'y trouve encore : il en faisait chauffer l'eau en hiver.
'

Cependant, au début du XVIe siècle, l'ensemble de ces installations, mal entretenues, ne fonctionnait déjà plus d'une manière
convenable, et le problème de l'eau potable notamment était loin d'être résolu». Léon l'Africain, Description de l 'Afrique, II, Paris,
1896, p. 140.
5. De l'ancienne cité royale, il ne reste plus que des ruines (cf. Abdelaziz Daoulatli, Recherches archéologiques à la
Kasbah de Tunis, in Africa, III et IV, Tunis, 1972, p. 253 et ss.) en dehors de la Mosquée de la Kasbah (« Jama' as-Soltane»)
élevée au XIIIe siècle.
Tunis sous les Hafsides, Tunis, 1976, passim.
6. L. Poinssot, ibid., G. Marçais, Y Art Musulman de Tunisie, in Initiation à la Tunisie, Paris, 1950, p. 131
J. Revault, Palais de Tunis, I, p. 93-1 17.
7. Ibid., pp. 96-97
Planche XI

•*o

ÎZi

(Mid'a du Souk el-Attarine). Porte monumentale en marbre blanc et noir et calcaire clair (XVe s.). Linteau
droit (entre deux colonnes à chapiteau hispano-maghrébin) sous plate-bande appareillée et tympan
percé d'une imposte dans un arc brisé outrepassé.
L HABITATION TUNISOISE 105

Planche XII

HHHHHHHHHHHHH'HHHHHHHHH

(Palais du Dey ' Oihman). Porte monumentale en marbre blanc et noir (XVIe-X VIIe s.). La disposition
générale de la façade extérieure s'apparente à celle de la mid'a hafside.
106 J. REVAULT

de type hafside en haut. De chaque côté, l'ocre jaune d'un appareil en grés coquillier fait ressortir la blancheur
des marbres qu'il encadre. Supportée par trois consoles de marbre, une corniche de bois couverte de tuiles
vertes couronne le tout. L'homogénéité de la composition ornementale — prédominance du motif carré
dans la moitié inférieure, et du rayonnement dans la moitié supérieure — l'équilibre des pleins et des vides,
aboutissent à un effet remarquable. L'ensemble est nettement de style hafside. Nous en retrouverons les
particularités à l'intérieur du palais. Ici, son entrée pourrait être inspirée de celle de la Mîd'a dont fut dotée,
en 1450, la Grande Mosquée (1). Pourtant la grandeur et la beauté de l'imitation semblent bien dépasser
celles de l'original ». La valeur architecturale de cette façade extérieure répond également à celle que présente
jusqu'à ce jour l'intérieur de l'ancien palais où s'est perpétué le style des constructions moyenâgeuses.
Cependant l'emploi du marbre demeure un luxe exceptionnel réservé aux bâtiments d'un souverain.
Aussi observons-nous plus souvent la survivance de portes monumentales réalisées en pierre (keddâl et
harsh), même à l'entrée d'habitations seigneuriales. Ces matériaux n'ennoblissaient pas moins les façades
sur rue de grandes demeures telles que les Dâr Rassâ'a (ou Khira), Dâr Ben Salem, Dâr El-Hedri, Dâr
Bel-Hassen, Dâr Romdane bey (2).
Il est certain, toutefois, que nombre d'habitations édifiées aux XVIe et XVIIe siècles n'ont pas conservé
leurs portes originelles ; celles-ci seront souvent remplacées par de nouvelles portes que l'on pouvait se vanter
d'adapter au goût du jour, c'est-à-dire aux innovations du style husseinite (XVIIIe et XIXe siècles) qui seront
examinées plus loin (3).
Les dernières portes monumentales de type hafside qui ont été maintenues en Médina présentent les
mêmes caractéristiques : alternance de calcaire — rehaussé parfois de marbre bicolore — et de grés coquillier,
entre la porte à linteau droit, l'arc brisé outrepassé qui la surmonte, et l'encadrement général.
On les reconnaît au Centre comme dans les quartiers Nord et Sud de l'ancienne cité : vers le milieu
de la Médina, se dressent à côté l'une de l'autre deux belles portes de même hauteur, distinguant les entrées
du Dâr Bel-Hassen et du Dâr El-Hedri, rue du Trésor.

Porte du Dâr El-Hedri (4)

L'entrée est de style noble (PI. XIV) : porte droite cloutée, pourvue d'un large encadrement de keddâl
que surmontent un linteau appareillé avec arc de décharge en marbre clair rehaussé de pierre noire et un arc
brisé outrepassé en harsh au-dessus duquel s'ouvre une fenêtre grillagée (5). Sont en calcaire, outre le seuil

1. Supra, G. Marçais, ibid., p. 125. « Les chapiteaux de la jolie midhâ (cour d'ablutions et latrines) du Souq el-Attârine
(1450) sont des traductions tunisiennes de ceux que créaient des sculpteurs de Grenade et de Fès ».
2. J. Revault, Palais de Tunis, I, passim.
3. Ibid. Dans ce premier ouvrage, les descriptions extérieures et intérieures des habitations tunisoises édifiées entre le XVIe
et le XVIIe siècle permettent déjà de déterminer celles dont la porte d'entrée a été modifiée.
4. Ibid., pp. 130-131. Sur l'origine de la famille et de son installation au Dâr El Hedri, les habitants actuels de celle-ci nous
ont fourni les renseignements suivants : connus autrefois sous l'appellation de Lakhdari, les ancêtres de la famille El-Hedri,
venus d'Arabie, se seraient établis de bonne heure en Tunisie et y auraient précédé, dit-on, les immigrés andalous. Après avoir
habité, rue de la Sebkha, dans le quartier choisi par les Béjaoua, c'est sous le règne des premiers Beys Mouradites que les
descendants des Lakhdari se seraient installés, rue du Trésor (XVIIe siècle). Les cinq générations qui s'y seraient succédées jusqu'à ce
jour compteraient alors plusieurs personnages religieux, notamment des mouderres à la Mosquée Zitouna, des commerçants,
artisans et propriétaires terriens.
5. Le linteau appareillé avec arc de décharge — que nous n'avons pas relevé ailleurs — constitue cependant un élément
particulier au Dâr El-Hedri. L'ouverture pratiquée le plus souvent au-dessus du linteau et qui sert — selon l'usage de certains
claustra surmontant les portes des chambres — à éclairer faiblement l'intérieur de l'entrée, a disparu ici : une fenêtre de mêmes
dimensions apparaît alors au sommet de l'arc brisé pour donner jour à une pièce établie sur la driba. Autrefois, était scellé dans
l'encadrement en grès de la porte un anneau de fer destiné à attacher la monture du maître ou d'un visiteur (fig. 13).
L HABITATION TUNISOISE 107

Planche XIII

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ECHELLE

( Dâr Rassaa — ou Dâr Khira, rue Sidi Zahmoul). Porte monumentale (XVIe-XVIIe s.) en calcaire et grès
coquillier.
108 J. REVAULT

et le cadre de l'entrée (1), les extrémités latérales de l'arc de décharge ainsi que l'entourage de la fenêtre
supérieure. Le reste est en grés coquillier appareillé depuis les montants extérieurs formant pilastres jusqu'à
l'arc à boucle et claveaux, avec écoinçons et tympan.

Porte du Dâr Bel-Hassen (2)

« Contemporain du Dâr El-Hedri, le Dâr Bel-Hassen s'ouvre, face à la rue El-Khomsa, à sa rencontre
avec la rue du Trésor (PL XV, fig. 13).
Sa grande façade de pierre paraît plus imposante que celle de la demeure voisine. Une porte droite de
même style s'encadre dans une triple arcature (kûs) soutenue par quatre pilastres en maçonnerie. Un second
linteau de calcaire appareillé se prolonge en frise, de part et d'autre, au-dessous de trois arcs brisés à claveaux
et assises de grès coquillier (harsh) (3). Un encorbellement (kharâj), dont il ne subsiste plus que les consoles
(kabâsh) en kaddâl, surplombait autrefois la façade et ajoutait à sa noblesse. Du plus loin qu'on l'aperçoive
au-delà des voûtes précédant la Medersa Slimania, l'aspect en est surprenant. Seul, un personnage puissant
et riche pouvait se permettre cet extérieur princier (4). En effet, le bâtiment est encore désigné aujourd'hui
sous le nom de l'une des plus illustres familles maraboutiques de Tunis, dont les descendants sont demeurés
à cet endroit (5). Il s'agit des Cheikhs de la confrérie d'Abou 1-Hassen Ech-Châdili, qui fonda, au XIIIe siècle,
la secte des Châdlia (6) ».

Porte du Dâr Rassaa ou Dâr Khira (1 ) (Partie Sud)

« En remontant la rue Sidi Zahmoul, avant sa rencontre avec les rues Sidi Kassem, Sidi Es-Sourdou et
Torbet el-Bey, on retrouve, à nouveau, de très belles demeures. La haute façade de l'une d'elles (PI. XIII,
fig. 13), le Dâr Khira (8), semble bien, par son importance, commander toute la rue, au-devant du sâbât,
qui donne accès au Dâr Lajimi. Sa porte monumentale se dresse du côté opposé au mausolée de Sidi Zahmoul
et à l'impasse des teinturiers. Un cloutage aussi simple que celui d'une porte de mosquée s'y superpose en
lignes parallèles sur le fond jaune de ses deux lourds battants. Egal dépouillement dans le grand encadrement

1. A défaut de blocs d'un seul tenant, le cadre en keddâl de l'entrée est partagé en cinq éléments principaux de mêmes
dimensions — linteau et piédroits — que joignent entre eux six éléments intermédiaires plus petits.
2. Ibid., pp. 148-152.
3. Ibid. Contrairement au second linteau de renforcement de l'entrée du Dâr El-Hedri, celui du Dâr Bel-Hassen n'est pas
en marbre et n'affecte pas la forme d'un arc de décharge. En calcaire comme l'encadrement général de la porte, avec joints et
bordure de pierre noire, il se compose d'un appareil réduit à trois parties (monolithe trapézoïdal fixé entre deux extrémités trian
gulaires). Une même moulure souligne les grandes lignes horizontales et les arcs de la façade.
4. L'arcature murale, très en honneur à l'époque turque pour l'embellissement des monuments civils et religieux des XVIe
et XVIIe siècles, est empruntée à l'architecture hafside. La galerie extérieure de la Grande Mosquée Zitouna — côté Est (XVIIe
siècle) — inspirera à son tour les galeries placées autour de la salle de prières des mosquées d'Hamouda Pacha et de Sidi Mahrez.
Ailleurs, l'emploi de l'arcature apparaîtra aussi dans les façades du Dâr el-Bey et des mausolées de Mohamed Lâz, Ahmed Khoja
Dey, Sidi Ben-Arous.
5. Sur la descendance attribuée à Sidi Bel-Hassen, les avis demeurent partagés. Défendue par certains, elle est niée par
d'autres. Dans ce dernier cas, il s'agirait alors ici de la famille des cheikhs de la célèbre zaouïa, descendants présumés des princi
paux disciples du saint.
6. R. Brunschvig, op. cit., II, p. 322 et ss. Sidi Abu l-Hasan 'Ali as-Sâdili venait du Maroc où il était né vers 1197. « II
devait son ethnique à un village de la région de Tunis, Sâdila, aujourd'hui disparu » où il avait commencé à manifester son
soufisme en Ifriqiya.
7. J. Revault, Palais de Tunis, I, pp. 301-303.
8. Ibid., p. 301. Appelé aussi Dâr Rassâ'a, nom que l'on retrouvera, rue des Tamis. Cf. Ben Diaf, 7, pp. 64, 65, 66-110. :
« Abou Abdallah Sidi Mohamed Ben Kacem des Ansars par la généalogie, Tlemcénien de naissance, Tunisien d'habitation et
de culture, connu sous le nom de Er-Rassâ'a... ».
Depuis leur arrivée en Ifriqiya au XVe siècle, le prestige des Rassâ'a ne cessa de se maintenir dans la capitale. Cf. Ibn
Abi Dinar, Edition de la Nhada, Tunis 1931, p. 265.
L HABITATION TUNISOISE 109
Planche XIV

-
(S
raj) é)é
(9)
u (S)

(plate-bande
El-Hedri ). Porte
arquée).
monumentale (XVIe-XVIIe s.) en keddâl et / y/z rehaussé de marbre noir et blanc
110 J. REVAULT

de pierre — kaddâl et harsh — d'où est bannie la moindre sculpture ornementale. La beauté et la grandeur
de cette entrée ressortent alors de l'équilibre de ses proportions ainsi que de l'harmonie de ses lignes et de
ses matériaux. Façade rectangulaire dans laquelle s'inscrit, au-dessus d'un arc brisé outrepassé, au tympan
garni d'une lucarne, une porte couronnée d'une large plate-bande appareillée (1).
Le calcaire est l'élément dominant de cette partie inférieure de la façade, le grès coquillier étant surtout
réservé à la partie supérieure ».
Une même règle s'impose dans la composition et la construction de cette porte monumentale et celles
des portes précédentes : 1) sa division en deux parties superposées — à peu près égales — par une plate-
bande appareillée, soit : en bas l'ouverture de l'entrée, en haut l'arcature avec imposte ; 2) l'emploi du calcaire,
plus résistant et d'une taille plus aisée, pour la structure de l'ensemble, le grès coquillier servant d'élément
complémentaire et de remplissage des intervalles.

Porte du Dâr Ben Salem (2)

« L'impasse Ben Salem, qui donne actuellement sur la place Torbet el-Bey, justifie l'importance de la
demeure à laquelle elle servit jadis de drïba. Fermée alors à son entrée vers cette place, la Driba Ben Salem,
mi-voûtée, mi-découverte, desservait de part et d'autre des bâtiments annexes avant d'aboutir à l'habitation
principale. L'entrée de celle-ci, au bout de l'étroite ruelle, apparaît, sur le côté gauche, en pleine lumière :
façade de pierre — keddâl et harsh — (3) surprenante par la vétusté de son style ainsi que par la grandeur
de ses proportions dans un passage si resserré ; porte droite cloutée que surmonte un arc brisé outrepassé
au tympan percé d'une fenêtre à grille entrecroisée. Signe évident d'une ancienneté que des transformations
successives auront généralement effacée à l'intérieur de cette demeure ».
A rencontre de tant d'habitations tunisoises dont on s'est attaché surtout à rénover l'entrée extérieure,
le Dâr Ben Salem a mieux respecté celle-ci, dans sa forme primitive, que l'intérieur de la demeure aménagé
selon le goût particulier au XVIIIe siècle.

Porte du Dâr Romdane Bey (A) (Partie Nord)

La porte monumentale (fig. 12) que l'on peut encore admirer, rue Bir-el-Hajar, conserve le souvenir
du Bey mouradite qui construisit sa résidence à cet endroit et lui laissa son nom (5).
« Au centre de la place vers laquelle convergent les principales rues du quartier, l'entrée apparaît prin-
cière (6). Une poterne se dresse devant le sâbâ( dont elle défendait autrefois l'accès, tandis que plusieurs
marches basses s'allongeaient sous son arc et sa voûte pour atteindre le niveau surélevé de l'ancienne drïba.

1. Faite, comme à l'entrée du Dâr Bel-Hassen, de l'assemblage de trois blocs de taille différente : trapézoïdale au centre,
triangulaire de chaque côté. Le cadre en kaddâl de la lucarne supporte également une plate-bande appareillée ocre jaune et rouge.
2. J. Revault, op. cit., II, p. 147-150.
3. Au-dessous d'une plate-bande appareillée — aujourd'hui disparue — un linteau de calcaire est sculpté de trois petits
motifs turquisants semblables : vase pointu avec fleurs stylisées surmonté d'un croissant. Cette décoration est apparemment
postérieure à la fondation de la porte d'entrée.
4. Ibid., I, pp. 244-257.
5. Sur l'origine de RomdameBey, cf. H. H. Abdulwahab, Chahirat Tounsiyat, Tunis, 1917, 2e édit. 1966. Dans son Histoire
des Femmes célèbres en Tunisie, l'auteur nous conte l'aventure d'une captive italienne d'une grande beauté, enlevée aux environs
de Florence. Admise au harem beylical, elle devint l'épouse de Mourad II. De cette union serait né Romdane Bey qui semble
avoir voué à sa mère la plus grande piété filiale.
Sur la disparition tragique qui mit rapidement un terme au règne du malheureux Bey (1696-1698) et sur les intrigues
de Mourad III pour s'emparer du pouvoir, cf. E. Plantet, Correspondance des Beys de Tunis, Paris, 1893, T, p. 593.
6. Palais de Tunis, I, p. 247.
l'habitation tunisoise 111

Planche XV

(Dâr Bel-Hassen, Tunis). Porte monumentale (XVIe-XVHe s.) en keddâl et harsh dans façade à trois arcs
brisés outrepassés sous encorbellement.
112 J. REVAULT

Les lourds vantaux de sa porte ouverts et rabattus sur les deux côtés, les cavaliers eux-mêmes pouvaient
aisément franchir la poterne. Au-dessus de leurs têtes, un poste de guet surveillait à la fois les mouvements
de la place et les allées et venues du sâbâf. A l'autre extrémité, celui-ci était généralement fermé par une solide
porte, sur la rue Dâr Jeld, face à la Torba Mustapha Lâz.
Au-delà de la poterne, un espace à ciel ouvert découvrait en pleine lumière les beaux arcs outrepassés
de la façade principale du palais et de sa driba. Aussi accédait-on immédiatement aux deux portes de taille
inégale placées sur le côté droit et marquant les seules entrées des lieux d'habitation. Autrefois un large
emmarchement s'élevait au-devant du double seuil et des portes cloutées qui s'ouvraient également dans un
encadrement de pierre (keddâl) rectilinéaire. La moins grande des deux portes était celle des logements
réservés aux hôtes sinon aux officiers de la garde du Bey. Par ses dimensions imposantes, l'autre porte
annonçait la demeure principale. Comme dans les façades de marbre ou de pierre du Palais du Dey 'Othmân, du
Dâr El-Hedri et du Dâr Bel-Hassen, les constructeurs du Dâr Romdane Bey n'ont pas manqué de s'inspirer
des proportions majestueuses des monuments hafsides. Ici la haute façade rectangulaire, toute en kaddâl
et harsh, se divise en deux parties superposées que sépare un large linteau appareillé, l'une encadrant la partie
droite, l'autre entourant de son arc brisé une imposte au centre du tympan.
Une corniche à tuiles vernissées surmonte le tout ».
Le Dâr Romdane Bey nous offre donc un autre exemple de porte monumentale s 'ouvrant sur un passage
privé ou driba. Alors qu'une porte de même importance peut s'élever librement sur une place ou une rue
découverte, il en va autrement dans le cas présent. En effet, l'ancienne Drïbât al-Sayâra a l'aspect d'un sâbâf
dont les voûtes ont dû s'interrompre devant l'entrée du palais, afin d'en dégager la façade entière, laissée seule
en pleine lumière. C'est dire l'intérêt que l'on accordait au dégagement et à la mise en valeur d'une entrée
de maître, grâce à cette ouverture sur le ciel (rokba) dont on connaît l'usage si fréquent dans les anciennes
drïba tunisoises (1). Cette disposition facilitait, en outre, la surveillance que l'on désirait exercer aux abords
de l'entrée principale.
Si des portes de type hafside existèrent — plus rarement — autrefois, hors de la Médina, à l'intérieur
des faubourgs Nord et Sud, il n'en reste plus trace aujourd'hui. Tout au plus, a-t-on pu découvrir une modeste
imitation de ce style au Rbat el-Jazira (PI. XVI).
Au fond d'une étroite impasse, rue des Silos, on aperçoit, en effet, une curieuse façade, véritable réduction
d'une entrée monumentale (2). Elle en présente toutes les caractéristiques avec sa porte droite en keddâl
sous un arc brisé outrepassé garni d'assises en harsh. Les mêmes proportions se répètent à l'intérieur de la
demeure qui montre aussi un désir d'adaptation de riche habitation citadine à une réplique de moindre
importance.
Nous aurons l'occasion de voir ailleurs, à différents niveaux de la société tunisoise, d'autres exemples
d'imitation de fortunes plus élevées, le modèle suprême appartenant naturellement au souverain.
Si les différentes portes monumentales examinées ici présentent bien les caractéristiques communes dues
à une même origine hafside, il importe néanmoins de distinguer deux types de portes droites avec arc brisé
outrepassé, selon qu'elles s'intègrent à une façade plane ou non.
Aux façades planes correspondent, nous l'avons vu, les exemples de portes de riches demeures datant
de l'époque turque et mouradite (XVIe-XVIIe siècles). A la même période mais aussi à des temps plus reculés
on doit rattacher les façades en relief avec défoncement sous arc brisé, souvent flanqué de deux colonnes
latérales. Ces sortes de porches se répètent à l'entrée de divers monuments religieux — mosquée, médersa,
mid'a, zaouïa — : porte médiane de la grande mosquée (côté Est), porte de la Mid' at al-Attarine, porte
de la Mosquée el-Jazira el-dakhlani, etc. (3).

1 . Ibid., I et II, passim.


2. Dâr Chahed.
3. S. M. Zbiss, op. cit. ; G. Marçais, Manuel d'Art musulman, 2 vol. Paris, 1926-1927.
l'habitation tunisoise 113

Planche XVI

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r Chahed, Faubourg Sud). Réduction de porte monumentale (XVIe-XVIIe s.) au fond d'une impasse,
rue des Silos.
114 J. REVAULT

Sous cette forme, les portes monumentales de Tunis ne sont pas sans rappeler, dans leur conception
essentielle, les entrées des bâtiments religieux et civils du Caire édifiés entre le XIVe et le XVIIe siècle (1).
Dans les deux cas, on trouve, en effet, à l'abri d'un renfoncement, une porte à linteau droit sous imposte que
domine un arc brisé — souvent rehaussé, en Egypte, d'un décor de stalactites. Cette ressemblance, qui s'appuie
également sur l'emploi de la pierre de taille, ne doit pas surprendre lorsqu'on sait quels rapports constants
furent maintenus entre les deux pays.

Portes droites sous arc surbaissé (XVIIe siècle)

Ce second type de porte citadine ne semble pas avoir fait son apparition à Tunis avant la conquête
ottomane. L'usage en aurait été particulièrement en honneur au XVIIe siècle. Bien que ce nouveau style ait
été adopté dans toute la Médina sans compter les faubourgs, on ne s'étonnera pas qu'il ait marqué
particulièrement les quartiers turcs situés en premier lieu dans la partie Sud de l'ancienne ville.
De même que la porte de type hafside, celle-ci a conservé l'élément traditionnel de l'entrée : ouverture
encadrée de deux piédroits sous linteau. Seul l'arc supérieur a changé, ramené ici à un simple arc de décharge
surbaissé avec plate-bande appareillée, que surmonte une imposte grillée. Alors que la construction de cet
ensemble fut réalisée le plus souvent en calcaire, il s'y est ajouté généralement un encadrement de grès coquil-
lier d'importance variable.
On remarquera, dans le grand nombre de portes à arc de décharge que renferme encore la Médina de
Tunis, une diversité de proportions en rapport avec l'ancienneté et la richesse des demeures. On y relèvera
aussi, pour la première fois, à la base des piédroits et la surface des linteaux, une ornementation sculptée
— plus rarement incrustée — faite de motifs géométriques et floraux d'inspiration turque, dont l'étude
détaillée sera présentée plus loin.
Enfin, on notera que les portes à linteau droit sous arc de décharge surbaissé n'ont pas été adoptées
exclusivement dans l'habitation domestique. On en voit aussi bien l'emploi dans les bâtiments religieux
édifiés sous les Mouradites — Portes extérieures de la Mosquée d'Hamouda Pacha, des torbas de Mohamed
Laz et d'Ahmed Khoja dey. ...
Bien plus, la persistance de ces portes au XVIIIe siècle en révèle le succès dans certaines constructions
pieuses des premiers Beys husseinites — medersas, zaouïas, oratoires (3). Elles ne diffèrent pas de l'entrée
des demeures tunisoises, dans leur aspect général, le choix de leurs matériaux et motifs décoratifs. De cette
entrée citadine seront montrés les exemples les plus caractéristiques recueillis au cours des recherches effectuées
à travers la Médina et les faubourgs de Tunis (4).

Partie Nord de la Médina


Porte du Dâr Ibn ' Arafa

Située dans un quartier dont on connaît la fortune au temps des Hafsides, l'ancienne demeure du célèbre
imam (5) donne, par son impasse actuelle, sur la rue Achour, à côté de la rue de l'Agha. Sans doute, sa belle
1. Portes des périodes mamlouke et ottomane. Cf. P. Coste, Les monuments du Caire, Paris, 1837, G. Migeon, Le Caire,
in Les villes d'art célèbres, Paris, 1909, E. Pauty, Les palais et les maisons d'époque musulmane au Caire, Le Caire 1933 (Mém.
I.F.A.O. n° 62). J. Revault et B. Maury, Palais et maisons du Caire (XlVc-XVIIIe siècles), I et II, Mém. I.F.A.O., 1975 et 1977.
2. La mosquée d'Hamouda Pacha est accessible, rue Sidi Ben Arous et rue de la Kasbah, par des portes droites qui s'ouvrent
entre deux colonnes symétriques dans un défoncement à arc surbaissé formant porche. Cet arc s'apparente et s'accorde avec
l'arc de décharge en honneur au XVIIe siècle (fig. 16).
3. Medersa Bir el-Hijar, rue du Pacha ; Médersa Achouria, rue Achour ; Médersa el-Kobra, rue Sidi es-Sourdou, etc.
4. Recherches entreprises tout d'abord avec le concours de l'Office des Arts Tunisiens, entre 1933 et 1956, et poursuivies,
à partir de 1957, avec l'aide du C.N.R.S. Palais de Tunis, I, passim.
5. L. Poinssot, op. cit., p. 50. J.R. ibid., pp. 197-201. Dans la partie Nord de la Médina — où s'éleva la Mosquée de Sidi
Mahrez — on garde le souvenir de ses deux anciennes résidences princières, le Qsâr el-Benât et le palais d'Ibn Tafrajin, cf. Palais
de Tunis, I, p. 197.
l'habitation tunisoise 115

Planche XVII

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rArafa). Porte à linteau droit sous arc de décharge avec boucle — en keddâl et harsh (XVIIe s.).
116 J. REVAULT

porte ne correspond pas au style contemporain du pieux savant, pour avoir fait l'objet d'une restauration
postérieure, avec un désir d'embellissement conforme au nouveau goût du XVIIe siècle (PI. XVII). Le soin
qui y fut apporté s'étendit certainement à l'ensemble de l'habitation dont les proportions modestes ne laissent
pas de surprendre. On peut y voir un témoignage de vénération à l'égard du grand juriste musulman que
connut Ibn Khaldoun (1).
L'impasse sombre et voûtée qui s'arrête au seuil de la maison devait, auparavant, servir à celle-ci de
drïba qu'une autre porte fermait sur l'extérieur. « La pénombre de ses voûtes contraste avec l'entrée du Dâr
Ibn 'Arafa dont l'éclairage par la lumière du jour, au fond de la ruelle, prend un aspect mystérieux (2).
Porte droite à deux vantaux peints en jaune, sobrement cloutée et munie de trois heurtoirs (3). Le kaddâl
l'entoure d'un double encadrement que surmonte un tympan creusé en son milieu d'une niche à colonnettes
et arc outrepassé (4) et que complète un arc de décharge avec boucle et écoinçons soutenus par deux pilastres
en harsh. Une moulure parsemée de rosettes souligne les contours du calcaire dont l'ornementation sculptée
de motifs turquisants se limite au linteau de la porte (carré entrelacé entre deux cyprès entouré de rinceaux)
et au sommet des pilastres (triple arcature avec rosette et croissant) (5).
Une étroite fenêtre grillée surplombe l'entrée au-dessous d'un couronnement de tuiles vernissées à
hauteur des terrasses ».
Dans la création de ce nouveau type de porte, on constate que ses auteurs ont accordé le même intérêt
qu'autrefois à l'association du keddâl et du harsh. Il en résulte une réelle harmonie dans ce double
encadrement de calcaire gris-rose et de grés coquillier doré. La largeur de l'ouverture s'y égalise avec celle des
montants verticaux et la partie supérieure horizontale. La construction du cadre intérieur en calcaire n'a rien perdu
de son importance originelle, bien au contraire : piédroits et linteau — formés des cinq éléments principaux
et six secondaires — sont maintenant renforcés par un large bandeau dont une moulure les sépare. Celle-ci

se répétera encore autour du tympan, également en keddâl, qui couronne l'ensemble au-dessous de l'arc de
décharge en harsh (6). Le rayonnement des claveaux est surmonté de l'ancienne boucle des arcs hafsido-
turcs, tranchant sur les assises des éçoincons et des pilastres.

Porte du Dâr Daouletli


La porte du Dâr Daouletli est proche de celle du Dâr Ibn 'Arafa, elle-même peu éloignée du Palais de
Romdane bey et du quartier mouradite qui l'entoure (7). Elle donne sur la rue Ben Nejma — parallèle à la
rue du Pacha — auprès d'autres demeures contemporaines de même importance (8).

1. R. Brunschvig, op. cit., II, p. 286 et ss. Abu Abdallah Muhammedb. ' Arafa al-Warghammi (1316-1401). « Dans le domaine
de la religion, ce nom éclipsa tous les autres durant la deuxième moitié du XIVe siècle ». Nommé imam à la grande Mosquée
de Tunis, il y demeura attaché durant toute son existence. « Frayant peu la cour... on soulignera son austérité et sa dévotion
rigoureuse». Bien qu'il mourût riche, dit-on, « vers la fin de sa vie, il s'était détaché plus que par le passé des contingences d'ici-
bas... Il constitua habous certaines de ses propriétés urbaines au profit immédiat d'œuvres pies».
2. Particularité de certains palais et grandes demeures dont la driba couverte en voûte se découvre et s'éclaire devant la
première porte de la skifa — Dâr el-Pacha, Dâr Hussein, Dâr Zarrouq, Dâr Bach-Hamba.
3. Deux heurtoirs à hauteur d'homme et un à portée d'enfant.
4. Ce décor n'est pas sans rappeler la niche sacrée du mihrâb ; sa valeur symbolique et propitiatoire s'ajoute ici à celle des
ornements sculptés dans la pierre d'encadrement de la porte.
5. Impossible à sculpter, le grès coquillier est remplacé par le calcaire aux endroits où une ornementation apparaît nécessaire.
6. Le tympan est formé par l'assemblage de pierres de taille trapézoïdales disposées verticalement et symétriquement.
Son seul décor, en dehors de sa niche médiane (mihrab) apparaît aux angles de la moulure d'encadrement, sous forme de deux
petits motifs floraux identiques.
7. J. Revault, Palais de Tunis, I, p. 330-332. Cette demeure est habitée aujourd'hui par une riche famille de commerçants
tunisois, les Khemiri. Fondé au XVIe-XVIIe siècle, le Dâr Daouletli est antérieur à cette appellation de fonction qui ne remonte
qu'à 150 ans environ.
8. Les demeures voisines du Dâr Daouletli présentent cependant des portes différentes. Voir infra celle du 2e Dâr Romdane
bey.
L HABITATION TUNISOISE 117

Planche XVIII

1
ÀH

r Zarrouk). Porte de même type que la précédente, avec dimensions supérieures (XVIIe s.).
118 J. REVAULT

Des proportions supérieures à celles de l'entrée précédente donnent à celle-ci un aspect plus imposant
dans sa haute façade blanche (1). Grande porte cloutée caractéristique de l'époque mouradite avec son double
encadrement de pierre et son arc de décharge à claveaux bicolores (kaddâl et harsh) que surplombe la grille
arrondie d'une fenêtre.
Par la grandeur peu commune d'une telle entrée, il semble que l'on ait été tenté de retrouver la noblesse
des anciennes portes empruntées aux Hafsides. Aussi bien était-elle le signe extérieur de la demeure d'un
Dignitaire de haut rang ou d'un riche personnage religieux. Nous n'en retrouverons qu'en pareil cas de
semblables, notamment au Centre et dans les quartiers Sud de la Médina (2).
Ici, le choix et la préparation du keddâl qui forme l'encadrement traditionnel ont été l'objet de soins
particuliers; aucun fractionnement n'y apparaît en dehors des trois éléments monolithes indispensables
— montants et linteaux. — Pour rompre l'uniformité du cadre complémentaire en harsh, le calcaire s'y mélange
sous forme de claveaux dans l'arc de décharge et par des bandes horizontales dans les deux écoinçons.
Toutefois, la sobriété de l'ensemble reste entière, en l'absence de toute sculpture ornementale à la surface du linteau
et du tympan. On n'y voit que la moulure de séparation entre cadres intérieurs et extérieurs en calcaire,
ainsi que les motifs sculptés — géométriques et floraux — qui en soulignent la base avec celle des pilastres (3).

Portes, rue Saïda 'Ajouta


A l'exemple des Beys mouradites qui témoignèrent une véritable prédilection aux quartiers Nord de la
capitale, la haute société tunisoise semble s'y être établie de plus en plus. Elle y bénéficiait, en effet, d'une
situation élevée et bien aérée dont l'attrait se trouva encore renforcé, au XVIIe siècle, par la construction
de deux grandes mosquées : la mosquée d'Hamouda Pacha et la mosquée de Sidi Mahrez (4).
Bien que de nombreuses portes y aient été changées comme ailleurs, il est cependant possible d'y trouver,
en divers endroits, certains vestiges d'anciennes entrées apparentées à celles du Dâr Ibn Arafa et du Dâr
Daouletli. Ainsi, la rue Saïda Ajoula — qui joint la rue de la Kasbah à la Place Romdane bey — nous montre,
dans le voisinage l'une de l'autre, deux portes dont les particularités sont les suivantes :

Porte du Dâr Ben Mahjoub


Le double encadrement de calcaire et de grès coquillier (5) ne présente que des surfaces unies à l'exception
de ses extrémités, base des piédroits et tympan : en bas, décor floral turquisant (6) et cannelures ; en haut,
rosace étoilée au centre du tympan avec deux petits motifs floraux dans les angles de la moulure. A la suite
d'une restauration incomplète, les claveaux de l'arc de décharge ont disparu au-dessous d'une étroite fenêtre
barreaudée, remplacés par de simples assises en harsh.

Porte du Dâr Gahgouh


Malgré la similitude des deux portes dans leur aspect général et leurs proportions moyennes, celle-ci
n'offre pas la même sobriété ornementale que la précédente. Au contraire, il semble que le nakkâsh chargé

1. Ibid., p. 330.
2. Infra. Portes du Dâr Stamerad et du Dâr Zarrouq, rue des Juges, etc.
3. Infra. Description détaillée de cette ornementation turquisante comparée à celle des monuments religieux de même
époque.
4. Ces deux mosquées ont été élevées aux deux extrémités de la partie Nord de la Médina : la Mosquée d'Hamouda Pacha
(ou de Sidi Ben Arous), à l'intersection de la rue de la Kasbah et de la rue Sidi Ben Arous, la Mosquée de Sidi Mahrez, près
de la Place Bâb Souika (entre le milieu et la fin du XVIIe siècle).
5. L'encadrement de calcaire est encore partagé par une moulure. Celui de grès coquillier ne présente plus la largeur d'un
pilastre mais d'un simple bandeau — avec cannelures à la base.
6. De chaque côté d'un seuil surélevé, le décor floral sculpté autour d'une ligne sinueuse se complète de deux cyprès stylisés.
l'habitation tunisoise 119

Planche XIX

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ardans
Bou leChoucha,
tympan rue
(XVIIe
Sidi s.).
el-Haraïri). Porte à linteau droit sous arc de décharge avec inscriptions gravées
120 J. REVAULT

de son exécution se soit ingénié à répondre aux exigences du commanditaire en fournissant une preuve
complète de son savoir. C'est pourquoi on ne verra pas seulement la partie inférieure des jambages ornés de sculptures
florales turquisantes (1) mais encore le prolongement de celles-ci en arabesque sur toute la longueur de la
moulure intermédiaire (2). De part et d'autre des piédroits, la base de l'encadrement complémentaire en
harsh se creuse de cannelures d'inspiration occidentale. Un dernier motif sculpté — arborescent — (3)
surmonte l'arc de décharge au-dessus d'un tympan vide. A cela s'ajoute enfin, d'un bout à l'autre du linteau,
une décoration plus rare, réalisée par incrustation de plomb : au centre carré entrelacé ; de chaque côté,
avec bouquet stylisé et étoile à huit pointes (4) (fig. 142).
Le mélange de divers éléments et procédés décoratifs dénote apparemment une exécution moins ancienne
que celle des premières portes examinées plus haut.

Centre de la Médina

Lorsqu'on aborde la partie supérieure de la rue de la Kasbah et ses premiers souks, on découvre, côté
Sud, deux étroites ruelles parallèles, l'impasse des Jnoun et l'impasse Bou Hachem (5). L'une et l'autre étaient
auparavant des passages privés (driba) réservés aux seuls propriétaires des grandes demeures qu'ils
desservaient. Elles étaient également défendues par une porte cochère sur la rue de la Kasbah, couvertes à cet endroit
par des voûtes d'arête et en berceau, puis entièrement à ciel ouvert au-dessus des portes donnant sur les
driba.

Portes des Dâr Khaznadar et Dâr El-Ayari

Entre ses hauts murs aveugles, l'impasse des Jnoun est, en outre, confortée par de gracieux arcs de
redressement — brisés - outrepassés — . Si elle aboutit à des habitations élégantes, certes, mais de proportions
réduites, en son milieu deux grandes portes situées presque en vis-à-vis attestent le luxe passé des demeures
correspondantes (6). De la plus importante de celles-ci le nom du fondateur a été remplacé par celui du riche
ministre, Mustapha Khaznadar, qui la compta, au siècle dernier, parmi ses nombreuses propriétés (7).
L'entrée du Dâr Khaznadar apparaît très imposante dans son double encadrement de kaddàl et de harsh
avec tympan percé d'une petite niche en mihrâb (8). Linteau et piédroits sont en beau calcaire monolithe,
dépourvus de toute ornementation. Celle-ci se limite seulement, en bas des jambages, à un décor sculpté
géométrique et floral.
A l'opposé, la seconde porte — qui appartient maintenant au Dâr El-Ayari — présente un aspect assez
semblable à celui de l'entrée précédente sans en atteindre cependant la grandeur (9).

1. Dans deux bandes superposées, la première (plus large) composée d'un vase arrondi au milieu d'un foisonnement de
fleurs symétriques ; la seconde faite d'un méandre floral.
2. A rapprocher de la moulure d'encadrement sculptée autour de la porte du Mausolée El-Fellari, rue Torbet el-Bey.
3. En forme de voussoir au centre d'une plate-bande appareillée en grès coquillier (éléments verticaux), entre deux bandes
de calcaire (fig. 136).
4. Cette décoration n'est pas sans rappeler celle qui orne les linteaux de l'entrée de Jamar Jdid et de la médersa attenante,
rue des Teinturiers — édifiées au début du XVIIIe siècle par le Bey Hussein.
5. J. Revault, Palais de Tunis, I, pp. 319-322.
6. Ibid. A l'origine ce groupe de quatre demeures appartenait sans doute à un seul palais.
7. Ibid., p. 320. On doit à Mustapha Khaznadar d'avoir laissé son nom à cette riche demeure alors qu'il remplissait, au
siècle dernier, les fonctions de Ministre des Finances à la Cour beylicale. Sa mère, d'origine grecque, y aurait séjourné jusqu'à
la fin de sa vie.
8. Porte aujourd'hui murée. Comparable à celle du Dâr Stamerad, du Dâr Bel-Cadi.
9. Ibid., p. 321. Infra...
l'habitation tunisoise 121

Porte du Dâr Mellouli

La seconde driba, ou impasse Bou Hachem se prolonge et se termine par un détour à angle droit. Il
fut alors nécessaire de la munir autrefois de deux portes, l'une à son début, près de la rue de la Kasbah,
l'autre vers le milieu à son intersection intérieure (1). La richesse de ses anciens riverains ressort jusqu'à ce
jour de la beauté particulière aux entrées de leurs demeures. Ici, également, une ou deux propriétés initiales
donnèrent sans doute lieu plus tard à des partages (2). Au fond du passage, face à son accès, existe encore
le lieu où habitait Ali Thabet, ministre favori de Youssef dey (1611-1637) (3). A son porche de style hafside
s'oppose la porte voisine, de type mouradite, du Dâr Mellouli (4) (fig. 17). Cette ancienne demeure devint,
il y a 150 ans, la propriété de la famille Mellouli, originaire de Sfax.
Comprise entre les makhzen de la driba, le Dâr Rassâ'a et le Dâr Stambouli, elle possède deux issues,
l'une impasse Bou-Hachem, réservée aux maîtres, l'autre rue des Tamis, affectée aux serviteurs.
Avant de devenir propriété Mellouli, cette belle maison appartenait aux Rassa'a qui possédaient encore
d'autres habitations, rue des Tamis.
La porte principale, richement cloutée, s'encadre de kaddâl et de harsh avec arc de décharge.
L'entrée des autres demeures, impasse Bou Hachem, présente, autour d'une porte cloutée à deux battants,
le double encadrement traditionnel en pierre, sans arc de décharge.

Porte du Dâr Zaha (rue de la Kasbah)

Les portes de style mouradite ne furent pas réservées exclusivement aux plus hautes fortunes. La
bourgeoisie aisée — magistrats, tisserands de soie, fabricants de chéchias — s'efforça d'en adapter la mode à
des habitations citadines plus modestes, mais toujours élégantes. Au premier exemple de cette adaptation
donné plus haut (Dâr Ibn Arafa) on ajoutera ici celui du Dâr Zaha (6). Les passants qui descendent ou
montent la rue de la Kasbah peuvent toujours admirer la jolie porte cloutée à fond jaune de cette maison d'artisan
que la lumière met pleinement en valeur à certaines heures du jour (fig. 15). L'entrée du Dâr Zaha apparaît
au fond d'une courte impasse, prolongeant presque la rue des Tamis à travers la rue de la Kasbah (7). Sur
celle-ci se fermaient autrefois les portes de l'étroit passage faisant office de driba. La pénombre de la voûte
fait place à une rokba claire et aérée devant la porte de la skïfa. Porte cloutée encadrée de pierre avec un arc
de décharge à laquelle s'ajoutent, de part et d'autre de la drîba, la porte droite de l'étage des hôtes et la porte
en arc brisé d'un makhzen (8).

1. Ibid., pp. 311-312. L'accès de la driba était défendu naturellement par une solide porte fermée, chaque soir, sur la rue
de la Kasbah. Passage étroit, couvert, à son début, d'une succession de cinq voûtes d'arêtes élevées sur arcs brisés, se prolongeant
à ciel ouvert, entre de hautes murailles.
Selon une coutume fréquente, les portes des makhzen s'ouvraient à l'abri du sâbat initial.
2. Le Dâr Bou Hachem occupa, jusqu'à sa récente démolition, le début de l'impasse à laquelle il avait donné son nom.
Les Bou Hachem qui étaient de riches propriétaires terriens ne s'installèrent à Tunis qu'à l'époque husseinite (communication
orale de H.H. Abdulwahab).
3. Ibid., p. 134. Le Dâr Ali Thabet est également désigné sous le nom de Dâr Stambouli — devenu propriété récente de
Fatma b. Md Stambouli qui l'a transformée en oukala.

4. Ibid., p. 315.
5. Ibid., pp. 312-319, Dâr Sayadi, Dâr Dennouni.
6. Ibid., p. 310-311. Mohamed Zaha, « haraïri» très âgé, est spécialisé dans la fabrication des foulards de tête féminins
(takrita).
7. Entre le Souk du Cuivre (Souk en-Nhâs) et le souk des Babouches (Souk el-Blaghjiya) une double rangée de boutiques
borde la rue de la Kasbah.
8. Porte commune à celle des makhzen contemporains à usage privé ou commercial.
122 j. revault

Planche XX

flr Cheikh Zaouia Sidi El-Béchir. Faubourg Sud). Porte à linteau droit sous arc de décharge, flanquée
d'une colonnette cantonnée et surmontée d'une imposte barreaudée — keddâl et harsh — Elévation,
plan et coupe (XVIIc-XVIIIe s.).
l'habitation tunisoisi; 123

Partie Sud de la Médina

On sait qu'après avoir fourni aux Princes Khorassanides (XIe-XIIe siècles) le vaste emplacement qu'ils
préféraient pour y établir leur résidence, les quartiers Sud de la Médina devaient être également retenus,
quatre siècles plus tard, par les nouveaux maîtres turcs à proximité des palais précédents.
On relèvera les principaux vestiges de leurs installations aux deux extrémités du « Quartier des Andalous »,
créé au XVIIe siècle, à l'instigation du Dey 'Othman, pour l'accueil partiel des Morisques chassés d'Espagne
par Philippe III (1). Il en résultera, avec le temps, un heureux voisinage entre Musulmans d'origine espagnole
ou turque et Tunisiens de vieille souche (2).

Portes de la rue des Juges

C'est près de la rue Torbet el-Bey, dans la rue des Juges, que l'on trouve les entrées les plus importantes
de l'ancien quartier turc. Leurs grandes proportions et leur style caractéristique se répètent de chaque côté
de cette voie, la chaude couleur des encadrements de pierre tranchant sur la blancheur uniforme des hautes
façades aveugles.
Elles rappellent alors le souvenir de personnages célèbres — Osta Morad et Mourad III — qui choisirent
cette artère spacieuse pour s'y installer au XVIIe siècle ; les familles Stamerâd et Zarrouk resteront longtemps
fidèles à leurs belles demeures (3).

Porte du Dâr Stamerâd

« On connaît le rôle important que joua en Tunisie, au début du XVIIe siècle, le fondateur de cette riche
habitation (4). Ancien affranchi d'origine génoise, Osta Morad Dey (ou Stamerâd) se vit confier par Youssef
Dey (1611-1637) le commandement de la marine dans la Régence (riyâsat el-bahr). Ses nombreuses prises
en mer lui valurent honneurs et fortune. Mort en 1640, il fût enterré à Tunis dans un mausolée édifié auprès
de la rue des Selliers (5).
A chaque extrémité de la muraille extérieurement blanchie à la chaux, s'opposent les deux types de portes
caractéristiques des grandes demeures citadines aux XVIe et XVIIe siècles. Au début de la rue des Juges,
une porte domestique en calcaire à arc bombé (PI. XXIV). Plus loin, une porte seigneuriale ; piédroits et
linteau en sont largement taillés dans le kaddâl avec tympan incrusté en noir d'un carré entrelacé sous un arc
bombé à claveaux de calcaire et de grès coquillier, le harsh formant l'encadrement extérieur (6) ».

1. Entre la Médina et ses faubourgs, Tunis possède plusieurs quartiers andalous. Celui-ci aurait été affecté à des familles
de notables. Son artère principale y porte le nom de rue des Andalous.
Palais de Tunis, p. 13. 'Othmân Dey accueille sur son sol plusieurs milliers d'Andalous qu'il installe, en partie, dans la
capitale où ils améliorent plusieurs industries artisanales (fabrication des chéchias, tissage de la soie, teinturerie, céramique),
en partie dans les régions les plus favorables à l'application de leurs connaissances agricoles (Cap Bon, Vallée de la Medjerda).
2. Cf. J. Pignon, La tunisie turque et husseinite, dans Initiation à la Tunisie, Paris, 1950, p. 202, note 156.
Le nombre des émigrés chassés d'Espagne par Philippe III et recueillis en 1609 par Othmân Dey aurait atteint 60 à 80 000
Morisques. H. H. Abdul Wahab, Apports ethniques étrangers en Tunisie, R.T., 1917, n° 124, pp. 370-379.
3. J. Revault, op. cit., p. 287. Autour de la rue des Juges, les palais qui s'y rassemblent auraient formé, au XVIIe siècle,
de grandes propriétés appartenant au Dey Osta Morad (Stamerâd) et à certains Beys mouradites...
Par la suite, une partie seulement de l'ancien domaine familial demeura entre les mains des Stamerâd, l'autre prenant
désormais le nom de Dâr Zarrouk.
4. Ibid., p. 287-289.
5. Ibid., p. 289. On ne doit pas confondre cet ancien dey avec Osta Morad bey qui vécut à Tunis à la même époq ue... et
fut le fondateur de la dynastie mouradite. Ce dernier était d'origine corse.
6. Comme on peut en observer fréquemment des cas semblables à l'intérieur de la Médina depuis l'fndependance de la
Tunisie, le Dâr Stamerâd a été acquis récemment par une famille venue de l'Ile de Djerba.
124 J. REVAULT

Planche XXI

(Faubourg Sud, rue des Silos) Porte droite sous arc surbaissé et imposte — keddal et harsh — (XVlIe-XVlIP s.)
.
L HABITATION TUNISOISE 125

Planche XXII

Q . , ,
.
.

(Dâr Boit Zaïane, rue El- Arian). Porte à linteau droit sous arc de décharge (XVIe-XVIIe s.).
126 J. REVAULT

Comparée à la porte du Dâr Daouletli, rue Ben Nejma, la porte du Dâr Stamerâd présente un aspect
général semblable. Elle montre, en effet, le même seuil surélevé, un double encadrement — kaddâl et harsh —
dont la largeur des montants et des pilastres égale celle de l'entrée, un arc surbaissé à claveaux bicolores
surmonté d'une boucle.
La taille du calcaire — piédroits, linteau , bandeau et tympan — a été réalisée dans les plus fortes dimensions
possibles. Le décor sculpté et incrusté de plomb s'y montre à la fois riche et varié sans nuire à la solidité de
l'ensemble. En effet, tout en ménageant de grandes surfaces nues, l'ornementation — qui dépasse ici celle du
Dâr Daouletli — rehausse l'essentiel de l'encadrement de pierre en se limitant à ses deux extrémités —
inférieure et supérieure. Des éléments géométriques et floraux se répartissent entre la base des piédroits, moulure
et bandeau en kaddâl, celle des pilastres en harsh et leur sommet, complétés par un motif d'incrustation
entrelacé au centre du tympan.

Porte du Dâr Zarrouk


Encadré par la rue des Juges, la rue Torbet el-Bey et la rue des Plaideurs, cet ancien palais mouradite
présente, en face du Dâr Stamerâd, une façade de même importance dans laquelle s'ouvre une porte de style
et de proportions identiques (1) (PI. XVIII).
La même recherche d'entrée imposante apparaît ici grâce à la surélévation du seuil et celle du double
encadrement en belle pierre de taille. On y a procédé à une distribution analogue de motifs variés à l'intérieur
de carrés et rectangles généralement cernés de moulures contrastant avec la nudité et la simplicité des autres
parties. Le tympan supérieur s'orne aussi d'un élément géométrique incrusté de plomb — étoile à dix pointes
— au-dessous de Tare de décharge à boucle et claveaux en harsh sans mélange de kaddâl.

Portes à arc bombé (makhzen).


Souvent, les entrées de maîtres examinées plus haut étaient accompagnées de portes de communs d'un
type très différent. Elles se distinguent, en effet, des portes précédentes par leurs dimensions inférieures et
leur forme particulière. Elles présentent alors un arc bombé (ou surbaissé) avant d'adopter plus tard un arc
brisé outrepassé. On les trouvera en divers endroits de la Médina, dont elles accusent toujours l'ancienneté,
ouvrant aussi bien sur une ruelle découverte qu'à l'abri de la voûte d'un sabât.
Généralement elles s'identifient avec l'accès d'un magasin à vivres {makhzen), de cuisines ou d'écuries,
couverts en voûtes d'arête reposant parfois sur des colonnes de pierre.
Nous savons aussi qu'à la porte des maîtres et celle des communs s'ajoutait plus rarement une petite
porte surbaissée fermant l'escalier raide qui s'élevait à l'étage des hôtes {dâr al-dyâf).
Cet ensemble caractéristique de grandes demeures des XVIe et XVIIe siècles préfigure un développement
important des fonctions correspondantes aux siècles suivants, en même temps que la transformation des
différentes portes — habitation familiale, maison des hôtes et dépendances.

Porte du Dâr El-Mbaza'a (rue El-Mbaza'a) (Partie Sud)


Le Dâr El-Mbaza'a fut, sans doute, l'une des plus riches demeures édifiées au voisinage du palais du
Dey 'Othman (XVIe-XVIIe siècles) (2).

1. Ibid., p. 294-295. Ce bâtiment est désigné ici sous le nom de Dâr Zarrouk (lcro partie) pour le distinguer du Dâr Zarrouk
(2° partie) qui aurait été habité, dit-on, par Mourad III, petit-fils de Mourad II et arrière petit-fils d'Hamouda Pacha.
De ce second palais, sans doute la porte monumentale qui s'ouvrait face à la rue des Juges — qui semblait faite pour
mener directement au palais principal — ne différait-elle pas, à l'origine, de celle des deux palais voisins.
2. Palais de Tunis, p. 107-1 1 1
.
l'habitation tunisoise 127

Planche XXIII

0 m
(Dâr El-Mbazaa). Porte de makhzen à montants et arc bombé en calcaire doublé de grès coquillier, avec
imposte à barreaux de bois (XVIIe s.).
128 J. REVAULT

La présence de makhzen apparaît non seulement en face du Dâr El-Mbaza'a, mais aussi depart et d'autre
de cette demeure. Toujours couverts de voûtes construites en briques, certains comprennent plusieurs rangées
de voûtes d'arêtes s'appuyant sur des colonnes massives ou des piliers carrés. L'un d'eux, situé à l'angle de
la rue El-Mbaza'a, a conservé la fermeture caractéristique des anciens makhzen rattachés autrefois à des palais
ou à de riches demeures de notables. Porte simple et solide avec encadrement de pierre formée de deux
piédroits et d'un arc bombé que surmonte une lucarne munie de deux barreaux de bois non équarri (1) (PI. XXIII).
L'arc bombé est composé d'un voussoir bloqué par deux éléments semblables en quart d'arc eux-mêmes
calés à leur base par un coin de pierre prenant appui sur les piédroits. Ceux-ci étaient pareillement formés,
à l'origine, de monolithes avec allonge aux deux extrémités. Malgré sa simplicité, cet encadrement en kaddal
se double encore de harsh le long des montants et dans les écoinçons de l'arc.
Pas plus que les autres portes de même type, elle n'est rehaussée de quelque décor.
Par ailleurs ces portes ne différeront pas dans leur apparence sans adopter nécessairement un montage
identique.

Porte du Dâr El-Hedri (rue du Trésor)


Séparée de l'entrée seigneuriale de l'ancienne demeure par la voûte d'un sâbât, la porte des communs
du Dâr El-Hedri (PL XXV) s'apparente nettement à celle du Dâr El-Mbaza'a (2). Même partage de l'arc
bombé en trois parties que deux petits éléments disposés en équerre relient aux jambages monolithes. Ceux-ci
reposent, au-dessus du seuil de pierre, sur une base à semelle arrondie qui en consolide l'appui tout en écartant
le frottement des bêtes contre les parois. En effet, il faut voir ici un accès commun aux écuries (rwà), à la
dwlrîya et aux caves (dâmûs), tenant lieu de makhzen (3). Le cadre interne en calcaire uni s'augmente également
d'un cadre externe en grès coquillier avec boucle traditionnelle gravée au-dessus de l'arc (fig. 22).

Porte du Dâr Stamerad (rue des Juges)


Dans la longue et haute façade claire de l'ancienne habitation d'Osta Morad dey (Stamerad) qui se dresse
rue des Juges, les deux portes apparaissent à quelque distance l'une de l'autre ; au fond la grande entrée
déjà décrite, à linteau droit sous arc de décharge ; au début — à proximité d'un sâbât — la porte basse à
arc bombé (4) (PL XXIV).
Celle-ci ne diffère que par certains détails des deux portes de makhzen précédentes. On y remarque aussi
un seuil surélevé portant deux jambages monolithes que prolongent une base à semelle ronde et un sommet
intercalaire. Mais ici l'arc s'équilibre avec l'assemblage de trois éléments de même importance. Le voussoir
élargi bute contre deux portions d'arc (raccourci) dont la taille spéciale, d'un seul bloc, assure un solide
maintien entre montants, écoinçons et cadre externe. Un encadrement de grès coquillier présente, en outre,
des dimensions plus importantes, ses deux pilastres supportant une plate-bande appareillée qu'entoure un
bandeau de calcaire.
L'emplacement de cette ancienne porte rappelle l'étendue des dépendances construites à la suite de
l'habitation du dey, comprises entre la rue des Juges et la rue Torbet el-Bey (5).

1. Type de porte solidement construite de plusieurs blocs de pierre s 'arrondissant au sommet pour laisser passer les charges
d'hommes. La porte des communs du Dâr El-Mbaza'a a été modifiée récemment.
2. Ibid., pp. 124-147.
3. Des anciennes dépendances du Dâr El-Hedri il ne reste plus que les caves et certains vestiges de la dwiriya et du Ijammâm
qui s'y rattachent.
4. S'ouvrant à la sortie du sâbât qui marquait le début d'une voie importante fermée autrefois par une porte de quartier
— l'ancienne entrée des makhzen a été convertie en fenêtre avec grille.
5. Ibid., pp. 287-289.
L HABITATION TUNISOISE 129

Planche XXIV

(Dâr Stamerad, rue des Juges). Porte de makhzen au seuil surhaussé, avec piédroits à semelles, et arc bombé.
2e encadrement de calcaire et grès coquillier avec plate-bande appareillée (XVIIe s.).
130 J. REVAULT

Portes du Dâr El-Hadi Chahed (rue En-Nayyar)

A l'entrée de la rue En-Nayyar — sur la rue Souk el-Blat — s'ouvrent, à côté l'une de l'autre, deux
portes de communs appartenant au Dâr El-Hadi Chahed (fig. 20).
Séparées entre elles par les robustes colonnes de calcaire supportant les voûtes en briques qui les abritent,
ces deux portes, placées à des niveaux différents, desservent, la plus basse une cave, l'autre un makhzen.
Sans présenter, dans leur encadrement, le même soin que les portes des communs précédents, celles-ci
montrent un autre exemple de l'attachement du constructeur à l'arc bombé (cave) et à un nouvel arc brisé
(makhzen) ; exécuté plus sommairement avec des claveaux ordinaires, l'arc surbaissé repose ici sur des
montants moins bien taillés.
Quel que soit le mode de réalisation, à l'intérieur de la Médina, des portes de communs à arc bombé,
il ne témoigne pas moins de son appartenance aux époques turque et mouradite pendant lesquelles il fut
particulièrement en honneur.

Portes à arc brisé outrepassé

A la porte de communs à arc bombé (1) on semble avoir préféré, pour l'adopter ensuite définitivement,
la porte à arc brisé outrepassé. Si l'on veut se convaincre de la faveur dont cette forme d'inspiration orientale
jouit dans toute la Médina de Tunis, sinon dans l'ensemble de la Tunisie, il suffit d'en rechercher les nombreuses
adaptations à une grande variété de dimensions. Aussi en verrons-nous l'emploi de plus en plus répandu à
partir du XVIIIe siècle, non seulement à l'entrée des communs, mais aussi à l'entrée des habitations citadines.
Palais, riches demeures de notables et de bourgeois n'en connaîtront pas d'autres durant longtemps.

Portes à arc brisé (communs)


Lorsqu'il fut affecté à des communs, ce nouveau type de porte conserva parfois les proportions de la
porte à arc bombé et sa structure mi-calcaire, mi-grès coquillier. Ainsi fut maintenu l'emploi du keddal pour
la solide assise des piédroits à semelle arrondie sur la forte épaisseur du seuil, l'usage du harsh étant réservé
à la construction supérieure de la porte (arc et écoinçons) et à son cadre général.
Ce modèle de porte semble également avoir été retenu pour la fermeture de certains fondouks et oukalas
considérés comme les plus anciens de la Médina, indépendamment de certains souks créés au XVIIe siècle (2).
Sous le règne des Beys husseinites, l'accroissement des fortunes résultant de périodes moins troublées,
favorisa, comme on le sait, une recrudescence des constructions à l'intérieur de la capitale (3). On y voulut
des dépendances plus étendues avec accès plus large et plus commode à l'intention des montures, charrettes,
voitures, voire des caravanes venues des oasis ou des « henchirs ».
La porte à arc brisé outrepassé se prêta parfaitement à ces innovations qui permettaient d'atteindre les
proportions souhaitées. Il est toujours possible d'en observer les fréquents exemples qui s'imposent par leur
sobriété et l'élégance de leurs lignes. D'où l'heureuse harmonie architecturale qui apparaît, au dehors avec
les arcades des ruelles voûtées, au dedans avec les doubleaux et voûtes des makhzen.

1 . Dans certains cas, la porte à arc bombé a remplacé la porte à linteau droit, à l'entrée des habitations (rue Ben Mahmoud,
rue du Tribunal), ou d'oukalas (Oukalât al-rAttarine, près de la Mid' at as-Soltâne, oukala rue es-Saïda Ajoula) (PI. XXVI).
2. Fondouk des tisserands de soie (Ribât el-Harir), rue Torbet el-Bey (PI. XXVII), oukalas, rue du Qsar, n° 6 et n° 11 ;
Souk des chéchias, rue Sidi Ben Arous et rue de la Kasbah.
3. Cette reprise des constructions, signalée par Mohammed el-Beji (Mechrat el-Mekki) devait également s'étendre à toute
la campagne aux environs de Tunis, Palais de Tunis, II ; Palais et Résidences d^été de la région de Tunis, passim.
l'habitation tunisoise 131

Planche XXV

0 m 1
( Dâr El-Hedri, rue du Trésor). Porte de rwâ et communs. 1° cadre en calcaire à montants sur semelles et
sous arc bombé ; 2° cadre en grès coquillier (XVIe-XVIIe s.).
132 J. REVAULT

En raison même de ses diverses qualités — solidité, beauté, commodité — il n'est pas surprenant que


cette nouvelle ouverture arquée ait connu un égal succès à l'entrée domestique et à celle des maîtres. Nous
verrons que leur aspect ne différera le plus souvent que par le décor réservé seulement aux entrées nobles.
Dans les deux cas, keddâl et harsh demeureront les matériaux traditionnels d'usage courant.

Portes à arc brisé (demeures)

Après une longue fidélité à la porte droite, qu'elle fut surmontée ou non d'un arc de décharge, le nouvel
engouement de la haute société tunisoise pour la porte à arc brisé outrepassé ne devait pas manquer de
provoquer de sérieux changements dans les façades extérieures. Cependant, cette innovation ne fut pas adoptée,
nous l'avons dit, au point de faire disparaître entièrement la mode précédente qui ne fut jamais abandonnée,
surtout par les citadins de condition modeste.
En découvrant les avantages réels de la porte arquée, les Tunisois ne favorisaient-ils pas une sorte de
Renaissance, avec un retour évident à des formes architecturales en honneur au temps des Hafsides, formes
vers lesquelles ils semblaient de nouveau attirés ? En fait, la différence entre les deux types d'ouverture arquée
apparaît surtout dans l'emploi conjugué de celle-ci avec la porte à linteau droit jusqu'au XVIIIe siècle, et de
l'usage exclusif de la porte à arc brisé entre le début du XVIIIe siècle et le XIXe siècle.

Origine des portes à arc brisé

Quels sont les exemples les plus caractéristiques de cette métamorphose et à quel moment en
remarque-ton l'apparition à Tunis ?
Alors que les portes extérieures des monuments religieux de rite hanéfite semblent conserver, en général,
la forme rectilinéaire en usage dans les constructions malékites (1), on notera un premier changement en faveur
de l'ouverture arquée dans les portes en marbre bicolore qui permettent d'accéder à la Mosquée de Sidi Yousef
(1611-1637) (2). Auparavant, ces formes recherchées n'étaient pas inconnues des constructeurs tunisiens, mais
ceux-ci en réservaient l'élégance particulière à l'intérieur d'un bâtiment, pour marquer l'entrée sur la cour
d'une salle de prière ou d'un luxueux appartement, selon une coutume qui demeurera longtemps en honneur.

XVIIe siècle

C'est au milieu du XVIIe siècle que l'on peut noter l'élévation des premières portes arquées réalisées
en calcaire dans des constructions civiles. Il en résulta un même aspect majestueux, grâce aux grandes
proportions des nouvelles portes et à l'élégance de leurs lignes, courbes et droites.
De solides jambages s'y ornent parfois d'une colonnette au-dessous de la saillie servant d'appui à la
retombée de l'arc. Celui-ci se distingue par ses nombreux claveaux soigneusement taillés et assemblés. Des
écoinçons le complètent, à l'intérieur d'un encadrement en calcaire doublé parfois de grés coquillier. Un décor
sculpté s'y ajoutera bientôt à la base des piédroits.

1. Portes des nouvelles Mosquées à minaret octogonal d'Hamouda Pacha — ou Sidi Ben Arous (XVIIe siècle), de Hussein
ben Ali — Jama'Jdid — (XVIIIe siècle).
2. Rue el-Bchamqiya, les deux portes d'accès de la Mosquée de Sidi Yousef sont séparées par le mausolée (torba) du
souverain. L'arc brisé outrepassé, surmonté d'une boucle, est formé de trente-trois claveaux de marbre noir et blanc. La simplicité
du décor sculpté à la base des piédroits (palmette) rappelle l'ornementation hafside (J. Revault, Deux mid' as tunisoises, p. 276-290).
A la dynastie des Beys mouradites on doit encore deux autres portes de mosquée exécutées en calcaire avec un arc brisé outrepassé
de proportions différentes : — rue de la Kasbah, porte (arc à 25 claveaux) de la Mosquée d'Hamouda Pacha (1654); — rue Sidi
Mahrez, porte de la Mosquée de Sidi Mahrez (1698). La base des montants y est également rehaussée par les nouveaux motifs
floraux de style turquisant dont la sculpture sera imitée de chaque côté du seuil des riches demeures tunisoises au XVIIe siècle.
l'habitation tunisoise 133

Planche XXVI

0 m
(Oukalât el- Attarine, Impasse El- Attarinè). Porte à arc bombé dans un double encadrement — keddâl
et harsh (XVP-XVIP s.).
134 J. REVAULT

De ce nouveau style architectural, on retiendra les exemples suivants : les portes du « Fondouk des
Français », du 2e Dâr Romdane Bey, du Dâr Chahed ou Dâr Hamouda Pacha et du Dâr cAsfouri (1).

Porte du Fondouk des Français (Quartier Est)


On sait que l'édification de cet « hôtel » fut décidée, par faveur spéciale, sous le règne des Beys moura-
dites, à proximité de la « Porte de la Marine » (ou Bâb el-Bahr) (2). Ce bâtiment était destiné à abriter plus
commodément le corps consulaire français et les rares commerçants chrétiens installés à Tunis. La nécessité
d'un établissement distinct pour le consul et ses ressortissants entraîna rapidement l'extension et le
dédoublement du bâtiment initial. Celui-ci fut alors construit conformément au caravansérail traditionnel, avec cour
centrale, et galerie circulaire au rez-de-chaussée et à l'étage (3). Il n'est pas douteux cependant que les égards
que le « Diwan » de Tunis tenait à marquer envers la « Nation la plus favorisée » valurent à ce bâtiment un
soin particulier, aussi bien dans l'aménagement de la façade extérieure que dans celui des deux galeries
intérieures superposées, avec colonnes de calcaire. Aujourd'hui on distingue difficilement, dans l'ancien
bâtiment, la porte du Consulat de France et celle du Fondouk des Commerçants, l'une et l'autre se confondant
dans un même style.
Les deux entrées — séparées maintenant par des boutiques — apparaissent très proches l'une de l'autre,
rue de l'ancienne Douane — autrefois rue des Consuls — , débouchant elle-même sur l'ancienne Place de la
Bourse, à l'extrémité de la partie basse de la Médina.
L'entrée de l'hôtel qui fut réservé pendant deux siècles aux consuls de France, montre encore dans son
encadrement de calcaire, une solide porte cochère à deux vantaux couverts de gros clous à tête de diamant (4)
(fig. 23).
Sur le seuil de pierre se dressent les montants qui ont conservé des anciennes portes la plus forte épaisseur
connue. Deux consoles les surmontent au-dessous de la retombée de l'arc divisé en vingt et un claveaux. Le
long des piédroits et des écoinçons s'élève le bandeau de calcaire — à l'exclusion de grés coquillier — formant
encadrement (5). La sobriété de l'ensemble n'est atténuée que par la moulure à trois boucles qui cerne arc
et écoinçons, ainsi que par la robuste colonnette avec chapiteau à méandres taillée dans le bord intérieur des
jambages (6).

Porte du Dâr Jamilou (quartier Sud) (rue El-Methira)


Dans l'étroite ruelle qui relie la rue Souk el-Blat à la rue Torbet el Bey, une façade de pierre semblable
à celle du Fondouk des Français rappelle l'existence, à cet endroit, de l'une des plus riches demeures édifiées

1. Sans doute, les premières portes du Dâr el-Bey, place de la Kasbah, avaient-elles également adopté ce style avant leur
transformation à l'époque husseinite.
2. Sur la fondation, en 1660, de l'ancien Fondouk, à la demande du Père Jean Le Vacher, voir P. Grandchamp, Le Fondouk
des Français (1 660-1 861 ).
3. D'où le nom de Fondouk sous lequel on le désigne habituellement. Le bâtiment consulaire (voisin de celui de la Grande-
Bretagne), comprenait, en bas les bureaux, magasins, chapelle, boulangerie et écurie ; en haut les appartements du consul.
Dans le fondouk réservé aux commerçants de la « Nation », la partie inférieure renfermait les magasins, la partie
supérieure les logements. Cette situation dura jusqu'au remplacement de l'ancien Consulat, intra muros, par un nouveau consulat
élevé, extra muros, avenue de la Marine (1861), à l'instigation de Saddok bey. Depuis sa désaffection, le Fondouk des Français
a été classé monument historique (nos 5 et 15). A l'intérieur de l'ancien quartier franc, il apparaît le premier bâtiment consulaire
établi entre Bâb el-Bahr, la rue des Consuls et la rue Zarkoun (Consulats d'Italie, d'Allemagne, d'Amérique, etc.).
4. Cloutage de type occidental différent du cloutage traditionnel d'inspiration andalouse. Le renforcement de la porte
d'entrée — que défendait une garde de Janissaires turcs — n'était pas superflu en cas de troubles.
5. La porte et son encadrement de pierre s'inscrivent dans un grand rectangle vertical, que l'on pourrait également diviser
en deux rectangles horizontaux d'égale importance, le premier correspondant aux piédroits, le second à l'arc et aux écoinçons.
6. Au Fondouk des Commerçants, la colonnette des piédroits, moins robuste que celle de la porte voisine, se termine par
un chapiteau à volutes gravées, fréquemment employé au XVIIIe siècle.
L HABITATION TUNISOISE 135

Planche XXVII

( Ribat el-Harir — ou Fondouk des tisserands de soie, rue Torbet el-Bey). Porte à piédroits sur semelles en
keddâl, avec arc brisé outrepassé et 2e cadre en harsh.
136 J. REVAULT

à la même époque (1). L'entrée principale vaut également par ses belles proportions et les soins apportés à la
taille du keddâl (2). Une porte à deux battants — et portillon — y ferme l'accès au premier hall (dribà) couvert
en voûte d'arête (3) : lieu de réception pourvu, à gauche, d'une porte de communication à linteau droit
donnant sur la skïfa qui conduit à la cour intérieure, au fond, d'une seconde porte arquée fermant un makhzen.
En dehors du décor de l'arc — boucles — et de ses jambages — colonnette — (4) qui rappelle le décor
extérieur de l'ancien Consulat de France, la base des piédroits est sculptée de motifs floraux turquisants (5).

Porte du 2e Dâr Romdane bey (rue Ben Nejma, quartier Nord)

Du même style un autre exemple a déjà été cité, rue Ben Nejma (6). Dans ce quartier illustré par la
présence des Beys mouradites, on sait que Romdane bey aurait possédé deux luxueuses résidences auprès de la
place désignée sous son nom.
De la plus importante nous avons décrit plus haut la porte droite sous arc brisé (de type hafside) ; la
seconde demeure se signale alors par une porte très différente — à arc brisé — dont l'emploi nouveau au
XVIIe siècle s'avère encore très limité. L'aspect général de cette porte serait identique à celui des portes
précédentes si l'on n'y avait ajouté un second encadrement en harsh comme un retour partiel aux coutumes
antérieures (7). Les pilastres habituels en grès coquillier assemblé supportent une plate-bande appareillée
que divise et qu'entoure un bandeau de calcaire uni terminé en corniche. Seul décor visible à la surface de
cette façade : autour de l'arc les trois boucles traditionnelles reliées par une moulure, à la base des piédroits
et pilastres un double panneau rectangulaire, mouluré ou gravé.

Porte du Dâr Chahed (rue Sidi Ben Arous, quartier Nord)

On sait que ette somptueuse demeure qui illustra la voie mouradite de Sidi Ben Arous fut aussi connue
sous le nom de Dâr Hamouda Pacha qui l'aurait, dit-on, habitée (8). Cependant sa porte présente, comme
l'entrée voisine — Dribat el-Daouletli — (9) une curieuse simplicité qui fournit un autre exemple de la porte
arquée au XVIIe siècle. Elle est caractérisée principalement par l'emploi du calcaire dans la moitié inférieure
— seuil et montants — et de grés coquillier dans la moitié supérieure — arc à claveaux (10) et plate-bande
appareillée — et l'encadrement général.
Cette nouvelle disposition moins raffinée que celle des portes précédentes se rapproche de l'ouverture
particulière à certaines ruelles voûtées et à des soûles artisanaux (Entrée du Souk des Chéchias). On doit
encore noter la forte épaisseur des jambages à console qui ont été doublés pour former au-dessous de l'arc
un support de même largeur (11).

1 Parallèle à la rue du Trésor, la rue El-Methira possède aussi un hammam et une riche habitation — récemment disparue —
également célèbres pour avoir été fréquentées, dit-on, par Sidi Bel-Hassen.
.

2. Arc brisé outrepassé à 27 claveaux.


3. L'endroit est affecté aujourd'hui à un moulin à farine.
A gauche de l'entrée principale (porte arquée), une porte secondaire à linteau droit dessert un escalier conduisant à
l'ancien dâr al-dyâf qu'éclaire sur la rue une petite fenêtre à grille arrondie.
4. Chapiteau à méandres.
5. Rectangle inférieur garni d'une rose entre quatre tulipes, surmonté d'une moulure avec une rose et deux tulipes.
6. Palais de Tunis, I, pp. 258-266.
7. Arc à 27 claveaux entouré d'une moulure à 3 boucles reposant sur deux épais jambages.
8. Ibid., pp. 216-222.
9. Porte connue jusqu'à ce jour sous le nom de Porte de la Driba.
10. 29 claveaux.
11. Comme aux deux portes du Fondouk des Français et à celle du Dâr Jamilou.
l'habitation tunisoise 137

Porte du Dâr El- Asfour i (rue des Tamis, centre de la Médina)


Précédant, au début de la même étroite ruelle, les demeures des célèbres Cheikhs En-Nifer et Er-Rassâ'a,
le Dâr El-'Asfouri n'était pas habité jadis par un personnage de moindre renom (1). Au siècle dernier en effet,
Mohammed El-'Asfouri exerçait encore les fonctions de Cheikh el-Medina à Tunis.
Fermée depuis plusieurs années, la grande porte cochère de l'ancien logis semble cacher quelque mystère
derrière la haute façade de ses murs aveugles (2). Le passant ne saurait deviner que ceux-ci dissimulent les
ruines d'une luxueuse habitation dont le sol, les murs et les colonnes de calcaire et de marbre sont aujourd'hui
envahis par une végétation très dense dominée par les figuiers. Au dehors l'ancienne porte cloutée sur fond
vert se dresse encore fièrement dans son encadrement de pierre. Les montants en keddâl flanqués d'une colon-
nette à volutes supportent un arc brisé outrepassé avec écoinçons en harsh dans un cadre traditionnel fait
également de grés coquillier (3).

XVIIIe- XI Xe siècles

A l'époque husseinite, le succès des portes arquées ne cesse de croître. Dignitaires du Makhzen et notables
tunisois donnent l'exemple. Fiers de montrer au dehors le seul signe extérieur de leur richesse que la coutume
autorise, ils ne se font pas faute de faire exécuter l'entrée de leur palais ou demeure dans des proportions
toujours imposantes (4). L'effet en est encore rehaussé par la richesse ornementale : cloutage des vantaux de
bois peint et sculpture du double encadrement de pierre — keddâl et harsh — dépassent ce que l'on a connu


auparavant. Dans cet effort d'ostentation, chacun veut égaler le luxe de son voisin, sinon le surpasser. Aussi
certains excès ne pourront-ils être évités, au détriment de la mesure qui fut longtemps observée. Au XIXe
siècle, on sait que la décadence architecturale qui se manifestera en premier lieu dans la capitale altérera aussi
le style traditionnel des portes au contact d'une influence occidentale de plus en plus forte.

Evolution des portes husseinites


Entre le milieu du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, la grande porte arquée se distingue par sa
fidélité à l'arc brisé outrepassé, son double encadrement de calcaire et grès coquillier, ainsi que
l'enrichis ement de son décor. Celui-ci ne se limite pas à la sculpture des piédroits — base et colonnette — mais déborde,
de part et d'autre, sur les pilastres. A l'exemple, semble-t-il, de la façade de Jarna' Jdid (5), ces pilastres
reçoivent, à leurs deux extrémités, des motifs sculptés — turquisants et italianisants — répartis entre divers
panneaux moulurés et superposés (6). L'ensemble est quelquefois surmonté d'une imposte barreaudée pour
l'éclairage de l'entrée (7).

1. Ibid., pp. 307-308. Telle était la renommée de cette maison que sa rue d'accès était mieux connue sous le nom de Dribet
El-Asfouri, descendant par un passage coudé et voûté (appelé aussi Sabât El-rAsfouri), vers le Souk el-Attarine.
2. Ibid. Depuis une trentaine d'années, la vieille demeure semblait vouée à un étrange abandon qui en rendait la visite
assez malaisée, avant sa démolition en 1977.
Mohammed El-'Asfouri exerçait ses fonctions non loin de sa demeure, rue Sidi Ben Arous, près de la rue de la Kasbah.
Ben Diaf (7, p. 65) : « Abou l-Baraket Mohammed b. Mohammed Ibn 'Asfouri (XVe s.) était d'origine andalouse. Il enseigna à
la Médersa d'Ibn Tafrajin dans le quartier d'Hawanet Achour et en devint le grand maître après la mort de Bourzouli (cf. Zar-
kachi). Ibn Abi Dinar dit qu'il fut même imâm de la Grande Mosquée et Sidi Mansour ben Jerdan mourut dans ses bras (1498) ».
3. Avec son grand arc caractéristique de la fin du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe siècle, la porte d'entrée du Dâr
El-'Asfouri est certainement postérieure, sous son aspect actuel, à la construction intérieure de la demeure. En effet, celle-ci a
conservé parmi ses ruines des éléments de style hafside : chapiteaux sculptés et plafonds peints.
4. Contrairement à la discrétion fréquemment observée auparavant dans la simplicité des portes extérieures qui ne laissaient
pas soupçonner l'opulence intérieure, on relève souvent une tendance à se prévaloir d'une entrée luxueuse dont l'importance
apparaît supérieure à celle de l'habitation.
5. Supra.
6. Indépendamment des écoinçons quelquefois ornés. Les portes de dépendances se distinguent des portes d'habitation
par une absence complète de décoration sculptée et cloutée.
7. Imposte rectangulaire ou carrée.
138 J. REVAULT

Vers le milieu du XIXe siècle, le type de porte précédent suscite certaines imitations dans des dimensions
inférieures sans modifier toutefois l'aspect caractéristique initial, qui a valeur classique.
A la même époque, une tendance italianisante se fait jour dans plusieurs portes avec une première
transformation de l'arc brisé en arc cintré, sans faire disparaître encore pour autant sa forme outrepassée (1).
Cependant il en résulte aussitôt un raccourcissement de cet arc au profit des piédroits dont l'allongement
s'affirme davantage.
A la fin du XIXe siècle, si les formes traditionnelles des portes à linteau droit ou à arc brisé outrepassé
ne sont nulle part abandonnées, l'exemple même de la Cour beylicale y fait ajouter le nouveau modèle de
porte cintrée à l'italienne, porte à l'intérieur de laquelle le cloutage andalou est remplacé par des panneaux
de bois sculpté — rosaces ou motifs floraux européens.

Quartiers Sud
Porte de l'annexe du Dâr ' Othman (rue El-Mbazd a)

A côté de la façade monumentale en marbre clair du palais du Dey 'Othman, caractéristique du style
hafside, l'entrée des bâtiments annexes montre une porte plus récente et moins importante de type hussei-
nite (2). Porte à deux battants cloutés sur fond jaune qu'entourent calcaire et grés coquillier. L'aspect général
reste sobre tant par la simplicité du décor sculpté et clouté que par celle du double encadrement (PI. XXVIII).
Surélevé de deux marches, le seuil est flanqué de piédroits ornés, à leur base, d'une double rosace dans un
cadre incurvé, et sur leur bord interne, d'une colonnette avec chapiteau à volutes. L'arc outrepassé de
l'ouverture est sculpté, à son sommet, d'un motif à deux rinceaux. Une moulure à trois boucles ponctuée de rosettes
relie arc, écoinçons et montants. Deux bandeaux en keddal et harsh complètent l'encadrement de la porte,
à l'exclusion de tout ornement.

Porte du Dâr Mhamed Djellouli (rue Sidi Et-Tinji)

Au voisinage du Dâr 'Othman, le Dâr Mhamed Djellouli est connu comme l'une des demeures les plus
somptueuses et les plus représentatives de la période husseinite Ci). En effet, avant de devenir la propriété
du ministre qui lui laissa son nom, à la fin du siècle dernier, le Dâr Djellouli avait appartenu à deux autres
dignitaires du Makhzen : 'Abd-er-Rahman el-Baklouti, ministre d'Ali Pacha (XVIIIe s.), et Hassine Khoja,
ministre du Bey Hussein ben Mahmoud (XIXe s.). C'est sans doute à ce dernier personnage que l'on doit
d'avoir élevé, à l'entrée de l'ancienne demeure, la belle porte cochère qui se dresse au milieu de la rue Sidi
Et-Tinji (4) (fig. 30).

1. L'imposte traditionnelle à barreaux entrecroisés est alors remplacée par une imposte en quart de lune munie d'une grille
à volutes.
2. Palais de Tunis, I, p. 111. Les dépendances du Dâr 'Othman présentent un autre type de fermeture auprès de l'entrée
même du palais. Ouvrant sur la cour extérieure de celui-ci, une grande porte jaune à deux vantaux et portillon cloutés (bâb bel-
khokha) montre l'importance de l'annexe dont l'étage déborde sur la rue El-Mbaza'a jusqu'à la rue Sebbâghine. Le mélange
de motifs italianisants et d'éléments traditionnels annonce, avec la nouvelle forme de la porte, l'apparition du style husseinite.
Tendance de l'arc brisé à la courbe cintrée.
3. Palais de Tunis, II, pp. 68-83.
4. Ibid., p. 71. C'est en face de la Zaouïa de Sidi Belkhit que s'ouvrira la porte du nouveau palais, grande porte à arc brisé
outrepassé dont le style deviendra de plus en plus à la mode à l'entrée des riches demeures citadines, à partir du XVIIIe siècle.
Dans un encadrement de pierre calcaire (keddâl), deux vantaux conservent tout d'abord l'ornementation cloutée dont l'usage
importé d'Espagne s'était déjà répandu à l'intérieur de la cité, aux siècles précédents. Sans doute cette entrée fut-elle rehaussée,
de bonne heure, par un encorbellement — comme en montrera, dans le voisinage, le Dâr Bach-Hamba — sinon par une baie
grillagée en surplomb correspondant à l'étage des hôtes.

Ici, comme c'est généralement le cas ailleurs, la porte actuelle ne correspond pas forcément à la fondation de l'immeuble,
pouvant être l'objet d'embellissements et rajeunissements ultérieurs.
Planche XXVIII

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ar r O thru an — annexe — , rue El-Mbazad). Porte encadrée de keddâl et harsh : piédroits à colonnettes
sous arc outrepassé (XIXe s.)- 9 ^ 20
140 J. REVAULT

De chaque côté d'un seuil de pierre très usé, les montants en calcaire sont surmontés d'un arc outrepassé
— à peine brisé — au-dessous d'une imposte en quart de lune, entre deux pilastres en keddàl et harsh. A
l'encontre de la porte précédente, le décor sculpté abonde ici, de haut en bas de la façade. Des motifs
italianisants à forte saillie prédominent auprès d'éléments turquisants à faible relief. La base des montants est
marquée d'une large fleur à médaillon baroque sous arabesque et moulure. Une colonnette torse flanque
chacun des jambages, couronnée d'un chapiteau à volutes. L'arc à larges claveaux s'orne, en son milieu, d'un
croissant-vase avec bouquet, au-dessous de l'une des trois boucles traditionnelles. Entre les moulures à rosettes,
deux vases avec bouquets à rinceaux symétriques garnissent les écoinçons. Les deux extrémités des pilastres
sont décorées pareillement d'une forte rosace italianisante dans un carré mouluré que limitent deux bandeaux
cannelés. Aux panneaux inférieurs se superposent encore deux vases à bouquets turquisants. L'imposte à
grille rayonnante s'accompagne de deux panneaux verticaux avec vases et bouquets symétriques, au-dessous
d'une corniche en tuiles arrondies.

Porte du Dâr Djellouli (rue du Riche)

Dans un quartier illustré surtout par la présence de familles andalouses et turques, une autre grande
demeure portant aussi le nom des Djellouli s'ouvre par une porte de même apparence, rue du Riche (1).
Belle façade largement éclairée à la sortie d'un sàbàt qui joint les deux bords de l'ancien domaine seigneurial.
Ses dimensions imposantes et son luxe ornemental correspondent bien au rang élevé de Grand Douanier
qu'occupa Mahmoud Djellouli sous le règne d'Hamouda Pacha (1782-1814) (2). Les deux vantaux cloutés à fond
jaune s'ouvrent dans leur encadrement classique — keddàl et harsh. L'arc brisé outrepassé entouré d'une
moulure à trois boucles repose sur deux montants à colonnette torse et chapiteau à volutes. Si les motifs
sculptés à la base des piédroits et des pilastres ainsi qu'au sommet de ceux-ci ne le cèdent guère en importance
à l'ornementation de l'entrée du premier palais Djellouli, le style en est cependant moins composite. On y
reconnaît davantage les anciens vases et bouquets turquisants, compartimentés et limités ou non par des
moulures. L'influence occidentale demeure timide avec les pointes de diamant déjà relevées au bas des
pilastres, le sommet de ceux-ci restant garni des arceaux fleuris traditionnels au-dessous d'une large plate-bande
appareillée. On pourrait alors en déduire que l'exécution de cette porte avait précédé celle de la rue Sidi
Et-Tinji (3) (Planche en couleur du frontispice).

Porte du Dâr Bach-Hamba (rue Bach-Hamba)

Comme la plupart des palais et grandes demeures de Tunis, le Dâr Bach-Hamba porte le nom de la
dernière famille importante qui en fut le maître (4). En effet, on rapporte qu'après avoir été fondée par les Rassâ'a,
sans doute au XVIIe siècle, cette riche habitation citadine serait devenue propriété de la famille Nakkache
avant d'être acquise par El-Hadj Ahmed Bach-Hamba en 1789 (5). C'est après avoir annexé à son immeuble

1. Ibid., pp. 194-204. Avec ses nombreuses et vastes annexes et dépendances, le Dâr Djellouli atteint l'importance d'un
véritable palais, entre la rue du Riche, la rue des Andalous, la rue des Juges et la rue Torbet el-Bey.
2. Ibid., p. 195. Mahmoud Djellouli était déjà chargé du gouvernorat de Sfax, lorsqu'il fut appelé dans la capitale par
Hamouda Pacha pour y remplir à la fois le rôle de Conseiller auprès du Bey et celui de Grand Douanier (1805).
C'est à la fin du XVIIIe siècle que Mahmoud Djellouli fit l'acquisition d'une riche demeure tunisoise qu'il devait convertir
en palais au siècle suivant. Il s'agissait, dit-on, d'une habitation princière que le Bey Hussein ben Ali avait fait édifier, au début
du XVIIIe siècle, pour en doter sa fille Fatima, à l'occasion de son mariage avec Rjeb Khaznadar.
3. La richesse passée des Djellouli apparaît encore, à l'autre extrémité, du sâbât, dans une seconde porte dont les
proportions ne sont pas inférieures à celles de la première. Mais comme il s'agit ici d'une entrée de communs, celle-ci se
distingue par sa grande simplicité porte cochère à portillon s'ouvrant dans un arc brisé outrepassé en fiarsh que supportent deux
piédroits unis en keddàl, au-dessous d'une lucarne barreaudée. L'ensemble a été aménagé dans un défoncement en arc brisé
:

blanchi à la chaux dont l'élévation accentue la noblesse, rappelant le style particulier à certaines façades hafsido-turques (fig. 24).
4. Ibid., pp. 90-96. Le Dâr Bach-Hamba est entouré par la rue Kouttab el-Ouzir, la rue Souk el-Blat et la rue Bach-Hamba.
5. Ibid., Ahmed Bach-Hamba, fils d'Ali Bach-Hamba, originaire de Turquie.
l'habitation tunisoise 141

une maison voisine — le Dâr Ben Bakir — que le nouvel acquéreur aurait ouvert sur la rue qui porte son nom,
l'entrée de sa drïba telle que nous la voyons maintenant. Celle-ci présente l'aspect suivant : « Une porte
cochère, autrefois cloutée — aujourd'hui montée en épis — occupe la façade extérieure du Dâr Bach-Hamba
(1). Encadrement de pierre commun aux riches habitations citadines de cette époque, keddâl et harsh, que
rehausse la sculpture inférieure des piédroits (2) à colonnettes torses et que flanquent, de part et d'autre, deux
colonnes à chapiteau turc surélevées d'un socle et d'une imposte. Surplombant la porte, un encorbellement
repose sur cinq consoles de pierre et le prolongement des tailloirs latéraux (3), complétant l'aspect seigneurial
de cette façade. Une fenêtre barreaudée surmontait auparavant l'entrée du Dâr Bach-Hamba, seul regard
permis sur le dehors » (PI. XXIX).
Cette façade imposante correspond bien ici à un domaine important. De même qu'au Dâr Djellouli de
la rue Sidi Et-Tinji et à celui de la rue du Riche, la porte cochère donne sur un vaste hall (drfba) qui aboutit
par un couloir en chicane (skifa) à la cour centrale. A l'entrée de la skïfa se répète la porte extérieure avec les
mêmes dimensions et un décor à peu près semblable, renforçant encore la haute idée que donnait, dès son
abord, l'accès du Dâr Bach-Hamba (4).

Porte du Dâr El-Messaoudi (rue 'Abba)

Reliant entre elles la rue du Riche et la rue des Juges, la rue 'Abba marque, avec ses élégants passages
couverts et ses belles portes cloutées, la limite d'un vaste quartier aristocratique. Le Dâr El-Messa'oudi est
l'une de ces riches demeures, également proches des anciens cimetières situés autrefois, à l'abri des remparts,
entre Bâb Menara et Bâb Jdid.
Bien que l'on y trouve autour de la cour intérieure entre les deux portiques et les appartements, un mélange
de style andalou et husseinite, la porte d'entrée correspond à un embellissement de dernière main. Elle ne
saurait alors être antérieure au XVIIIe siècle. Tout en appartenant au style des habitations environnantes
décrit plus haut, celle-ci présente certaines particularités que l'on rencontre rarement ailleurs. Son ouverture
s'encadre des piédroits devenus traditionnels avec leurs colonnettes torses cantonnées, moulure à rosettes
et base à décor floral turquisant. Mais l'arc outrepassé est cerné d'un bandeau saillant dépourvu des boucles
habituelles. En outre, le grés coquillier a été adopté comme élément prédominant entre les écoinçons et le
second encadrement qui prend une valeur inusitée. En effet, les deux côtés — ou pilastres — apparaissent
sous forme de longs panneaux dont l'assemblage de pierre nue s'entoure d'une moulure de calcaire en relief,
joignant les deux extrémités décorées : en bas triple rose dans un compartimentage à bords incurvés, en haut
rangée de cinq arceaux fleuris (5). Cet encadrement se complète au sommet par une plate-bande de même
largeur que les pilastres et pareillement limitée. De lourds motifs floraux d'inspiration italo-turque en relèvent,
en son milieu, la sobriété ainsi que celle des écoinçons (6).

1. Porte à deux battants et portillon munis de heurtoirs.


2. Motifs floraux turquisants auxquels s'ajoutent les rosettes des moulures (piédroits et écoinçons de l'arc).
3. Deux rangées de larmiers soulignent la partie inférieure de l'encorbellement, faite de tuiles plates à bout arrondi (hân
begra)
.

4. Ibid., p. 92. Alors qu'au siècle précédent les plus grandes demeures ne fermaient leur skifa que par des portes droites,
le style de cette seconde porte d'entrée ne diffère guère de celui de la première, rue Bach-Hamba. Même arc brisé outrepassé
sur piédroits à colonnettes torses et moulures ornées de rosettes. Même ornementation florale turquisante observée également
sur la façade du Dâr Djellouli, à la base des jambages et dans les écoinçons des arcs aussi bien que dans le double encadrement
en keddâl et harsh imitant des pilastres. Ornementation compartimentée superposant, en bas, pointes de diamant, rosaces et
vase avec bouquet que séparent des moulures arrondies tandis que le sommet des pilastres est décoré de trois arceaux floraux.
Ce style ornemental prévaut à l'entrée des riches demeures tunisoises comme à celle des médersas du XVIIIe siècle.
5. Ibid., p. 193. Ouvrant à l'entrée du sâbât, une grande porte encadrée de pierre (keddâl et harsh) nous montre à nouveau
l'arc des grandes demeures du XVIIIe siècle. L'étage en bordure de la rue confirme l'importance du Dâr El-Messa'oudi. Suit
une driba à voûtes d'arête sur laquelle donnent bit al-drïba, escalier du dâr al-dyâfet skifa,
6. L'ensemble est surmonté aujourd'hui d'une imposte rectangulaire garnie d'une grille moderne insolite.
142 J. REVAULT

Planche XXIX

ffl eb ra ta a

r Bach-Hamba, rue Bach-Hamba J. Porte à arc brisé outrepassé sur montants à colonnettes torses entre
deux colonnes surhaussées (XVIIIe-XIXe s.).
l'habitation tunisoise 143

Près de la porte d'entrée notons enfin la présence d'une colonne d'angle mural à chapiteau turc qui sert
au renforcement de la construction ainsi qu'à son ornementation.

Porte du Dâr Lakhoua (rue Sidi Es-Sourdou)

« Le nom des Lakhoua est connu à Tunis comme celui de l'une des familles les plus riches de la capitale.
Ils auraient quitté l'Espagne au moment du grand exode des Andalous chassés par Philippe III en 1609
pour s'installer à Tunis où leur fortune devait rapidement leur permettre de posséder de grandes demeures
dans les principaux quartiers de la Médina (1).
Cette fortune apparaît liée à la prospérité des chaouachis, corporation des fabricants de chéchias
longtemps enviée, à laquelle appartiennent encore aujourd'hui certains Lakhoua... Les abords immédiats
du Dâr Lakhoua, rue Sidi El-Sourdou, en annoncent toute l'importance, sa façade étant précédée d'autres
entrées luxueuses ainsi que d'un beau sâbât dont les voûtes retombent sur des colonnes à chapiteaux antiques.
Une grande porte cloutée dans un arc de pierre défend l'entrée de la demeure au-dessous de trois fenêtres
droites en saillie. Derrière cette porte imposante et les grilles à volutes de l'étage, on devine un vestibule
important surmonté d'une salle de réception comme nous en avons déjà montré plusieurs exemples. En effet,
le seuil franchi, la driba n'apparaît pas moins longue que celle du Dâr Djellouli, du Dâr Bach-Hamba et du
Dâr Ben Abd-Allah ».
Autour de la porte à deux battants peinte en jaune, la pierre sculptée reste fidèle aux éléments décoratifs
de type turquisant. Motifs géométriques et floraux sont alors visibles à la partie inférieure des jambages et
à l'angle des écoinçons.
Ailleurs, les Lakhoua témoignent du même souci de grandeur et d'élégance dans l'aménagement de leurs
façades extérieures, aussi bien à l'entrée de leur demeure, rue des Andalous qu'à celle de la rue du Pacha.

Portes du Dâr Lakhoua (rue des Andalous)

A l'abri des voûtes qui se succèdent, rue des Andalous, sur presque toute sa longueur, s'ouvrent de part
et d'autre les portes des habitations que les Lakhoua ont édifiées à cet endroit (fig. 25) (2). On peut remarquer,
d'un même côté, entre les colonnes du sâbât, le voisinage de deux entrées qui offrent un curieux exemple de
la variation des portes arquées au XVIIIe siècle. L'une d'elles demeure très proche de la forme traditionnelle
en honneur au XVIIe siècle (3), l'autre adopte un arc se cintrant et se raccourcissant (4) sur des piédroits
exhaussés. La première est en calcaire dans sa partie inférieure, en grès coquillier dans sa partie supérieure.
La seconde est entièrement en keddâl, se prêtant à l'ornementation souhaitée entre les montants à colonnettes
simples et les écoinçons de l'arc — ornés d'un vase côtelé avec bouquet stylisé. Dans les deux cas, un même
bandeau en harsh s'ajoute à l'encadrement de chacune des portes (5).
La nature du cloutage, plus complexe dans la porte d'exécution tardive, permet encore de distinguer le
style respectif des entrées jumelées du Dâr Lakhaoua.

1. Ibid., pp. 150-153.


2. Ibid., pp. 210-215.
3. Arc à boucle unique (en grès coquillier).
4. Arc à trois boucles liées à la moulure de l'ensemble parsemée de rosettes. Claveau central orné d'un bouquet sculpté.
5. Malgré leur différence de style, les deux portes voisines présentent la même colonnette lisse à chapiteau à volutes au bord
interne de leurs piédroits. A leur sommet, on a substitué une imposte en quart de lune à la lucarne droite originelle.
144 J. REVAULT

Porte du Dâr Ben Abd-Allah (rue Ben Abd-Allah)


Si cet ancien palais porte le nom du riche tisserand de soie — Mohammed et-Tahar ben Salah ben Abd-
Allah — qui en fit l'acquisition vers la fin du siècle dernier, il n'en fut pas moins auparavant propriété d'un
Dignitaire du Makhzen, entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe (1). Après avoir assumé ses premières
fonctions sous le règne d'Hamouda Pacha, Slimane Kahia connut par son mariage avec la fille du Bey
Mahmoud (1814-1824) honneur et fortune (2).
Comme les Djellouli et les Bach-Hamba, ce chef d'armée avait été attiré par le quartier de Bâb el-Jazira
qui semblait bénéficier de la faveur spéciale des Beys husseinites. Ne doit-on pas, en effet, au fondateur de la
dynastie d'avoir témoigné le premier sa sollicitude en élevant la Mosquée Neuve, rue Sebbaghine ? Plus
tard, 'Ali Bey (1759-1782) ne choisira pas d'autre lieu pour y édifier le mausolée des souverains (Torbet
el-bey), non loin de Jama' Jdid (3).
On sait aussi que cette partie Sud de la Médina disposait encore, à cette époque, de terrains libres et de
jardins dont les propriétaires successifs du Dâr Ben Abd-Allah ne devaient pas manquer de tirer profit pour
s'étendre de chaque côté de l'ancienne ruelle privée (4). Celle-ci, défendue à son entrée par une poterne (5),
aboutit jusqu'à ce jour à une cour (place El-Ouez) que fermait autrefois une seconde porte. Sur le pourtour
de cette cour intérieure s'ouvrent la porte principale du palais, celles des annexes et des communs (fig. 40).
Tous les types de porte y sont réunis : porte à linteau droit {dâr al-dyâf), porte à linteau droit sous arc de
décharge (ancienne annexe) (6), portes de taille diverse à arc brisé outrepassé {makhzen, rwâ et jnïna) (7),
grande porte cochère décorée à arc cintré {drïba du palais) (fig. 29).
« Ici la différence de style que présentent les portes de l'ancien palais autour de la même cour ne pourrait-
elle aider à reconnaître les grandes périodes de construction et d'aménagement du bâtiment ? Aux XVIIe
et XVIIIe siècles remonteraient, semble-t-il, les portes des dépendances, des communs et du jardin ; au XIXe
siècle, la grande porte cloutée. Ne devait-on pas accorder à celle-ci un soin particulier de telle sorte qu'elle
annonçât, au-dehors, l'évolution du goût dont on désirait se prévaloir dans les transformations intérieures ?
Des formes traditionnelles on n'aura conservé que les portes à portillon cloutées — lignes d'arceaux, éto'les,
cyprès, etc. — alors qu'une nouvelle inspiration italienne apparaîtra dans les piédroits surélevés et moulurés
qui soutiennent l'arc en plein cintre, au-dessous d'une imposte de fer forgé, leur ornementation étant sculptée
de motifs géométriques et floraux moins symétriques et plus lourds que les sculptures andalouses et turques.
On ne sera pas moins surpris en découvrant un mélange décoratif assez semblable à celui-ci, dès l'entrée, qui
réunit drïba, skïfa et drûj».
Ainsi la grande porte du palais Ben Abd-Allah (8) apparaît-elle, après celle du Dâr Lakhoua (rue des
Andalous) comme une forme de transition entre la porte à arc classique — brisé outrepassé — et la porte
à arc italianisant — cintré.

1. Ibid., pp. 99-128. Le Dâr Ben Abd-Allah, appelé encore Dâr Kahia, est situé à proximité du Dâr 'Othman dans le quartier
de Bâb-el-Jazira. Si la date de fondation de l'ancien palais nous échappe, des actes notariés nous en révèlent cependant l'histoire
à partir du XVIIIe siècle. Sous le règne de Hamouda Pacha, deux personnages importants en prennent successivement possession ;
Hadj Mohammed ben Ali el-Bradaï el-Ksanteïni (1796) et Slimane Ben Abd-Allah el-Hanafi, Kahia de l'Oudjak de Béja (1801).
2. On peut imaginer que la fortune de Slimane Kahia lui permit de réaliser des aménagements et des embellissements
importants.
3. Le mausolée de Hussein ben Ali se trouve lui-même, rue Sidi Kassem, à proximité de la rue Ben Abd-Allah.
4. La rue Ben Abd-Allah joint la rue Sidi Kassem à la rue des Teinturiers.
5. Comme l'accès du Dâr Romdane bey et du Dâr Ben Ayed.
6. Annexe connue sous le nom actuel de Dâr El-Mokrani.
7. Portes sans décor, en keddâl et harsh : makhzen (magasin), rwâ (écurie ou remise), jnïna (jardin).
8. La peinture bleue, si souvent adoptée actuellement dans la plupart des portes tunisiennes, remplace la couleur jaune
originelle.
l'habitation tunisoise 145

Ici les piédroits se sont davantage élevés au-dessous d'un arc très diminué — arc que répète celui d'une
imposte plus importante que jamais. Cependant, l'encadrement général maintient l'usage des matériaux
habituels : keddàl dans la partie interne, harsh dans la partie externe, tandis qu'un encorbellement à trois
fenêtres barreaudées (1) surplombe l'ensemble.
De la transformation du style de cette façade il ressort que, malgré l'aspect imposant que lui ont conservé
ses grandes proportions, elle n'en a pas moins perdu l'heureux équilibre et l'agréable harmonie des portes
précédentes de style classique.

Quartiers Nord
II serait possible d'examiner beaucoup d'autres exemples de portes arquées relevés dans le Centre et
la partie Nord de la Médina, mais cela n'ajouterait rien à notre démonstration en raison de la répétition des
mêmes types de portes dans toute la cité, jusque dans les faubourgs. Aussi se limitera-t-on à la description
de quelques cas particuliers choisis parmi les plus représentatifs.

Porte du Dâr Bairam al-Sellami (rue de la Montagne et rue du Divan)


A proximité de l'ancien dïwàn turc transformé, au XVIIIe siècle, en Tribunal du Chara'a, on ne doit
pas s'étonner que plusieurs magistrats musulmans aient élu domicile. Ainsi s'installèrent, sous le règne des
Beys husseinites, les Baïram, El-Madani et Bel-Cadi, entre la rue El-Agha et la rue du Divan.
Une des familles les plus renommées, celle des Baïram Sellami, devait édifier sa grande demeure de part
et d'autre de la rue du Divan et de la rue de la Montagne, à la porte même du Tribunal du Chara'a (2).
On y dispose de deux accès situés à l'opposé l'un de l'autre, dans une impasse (rue de la Montagne) et au
sommet de la pente aboutissant au Divan (3). Des deux portes arquées également adoptées ici (4) sera
seulement examinée la seconde. Celle-ci apparaît légèrement surélevée (5), dans l'intervalle des deux voûtes qui
abritent la partie haute de la rue du Divan (fig. 26). Cette entrée joliment cloutée conserve une sobriété de
bon aloi (6). L'ornementation de la pierre calcaire se limite, en effet, à la sculpture des jambages — colonnettes

torses et motifs floraux turquisants — et de l'arc mouluré à trois boucles (7), un carré entrelacé étant incrusté

de plomb dans l'angle des écoinçons.


Le deuxième encadrement en grès coquillier ne comporte qu'un simple bandeau qui se prolonge autour
de l'imposte supérieure de type traditionnel.

Porte du Dâr Lakhoua (rue Sidi Ben Arous)


L'une des portes les plus remarquables que les passants peuvent admirer dans les quartiers Nord de
la Médina est certainement l'entrée du Dâr Lakhoua, rue Sidi Ben Arous (fig. 28). Sans doute son style s'appa-
rente-t-il à celui de la porte du Dâr Lakhoua déjà décrite, rue des Andalous. Elle s'impose toutefois davantage

1 . Encorbellement appartenant à « la maison des hôtes » (dâr al-dyâf) aménagé au-dessus de la driba.
2. Ibid., pp. 340-343. Des Baïram, nous connaissons l'origine turque et leur venue à Tunis aux premiers temps de la
domination ottomane. Au XVIIf0 siècle, Mohamed Baïram — ou Baïram I — se voit confier, sous Ali bel-Hussein, les hautes fonctions
de Cheikh el-Islam. Ses descendants devaient conserver cette charge jusqu'à la fin du Protectorat.
Dans la grande demeure qu'ils occupent encore aujourd'hui, au voisinage du Divan, les Baïram Sellami avaient l 'habitude
de recevoir principalement les personnes de qualité pour y traiter leurs affaires.
3. Un ancien hammam public est demeuré inclus aux constructions du Dâr Sellami — habitation et dépendances — dont
les étages franchissent les ruelles attenantes sur les voûtes de leurs sâbât.
4. Portes cloutées autrefois sur fond jaune et vert.
5. Seuil de deux marches.
6. Porte à deux vantaux et un portillon, munie de trois heurtoirs.
7. Avec bouquet sculpté sur le claveau médian (arc divisé en sept claveaux).
146 J. REVAULT

par ses grandes proportions adaptées à une voie plus large, plus ouverte et moins entrecoupée de sâbât.
Le riche cloutage des deux battants (1) est soigneusement mis en valeur dans l'arc de l'ouverture par un large
encadrement de keddâl et de harsh. On y retrouve les montants à colonnettes (2). L'arc outrepassé — à peine
brisé — s'entoure de trois boucles et de la moulure habituelles à fleurettes. Une rosace en relief en rehausse
le claveau central, contrastant avec le décor traditionnel des écoinçons — incrustation de deux carrés
entrelacés (3). Les pilastres latéraux montrent en bas une superposition d'éléments floraux de type baroque et
italianisant séparés par des moulures saillantes, en haut deux panneaux décorés de trois arceaux fleuris.
Une plate-bande appareillée en grès coquillier couronne arc, écoinçons et pilastres.

Porte du Dâr El-Monastiri (rue El-Monastiri)

Le Dâr El-Monastiri (ou Dâr El-Mestiri) est l'une des plus belles demeures édifiées, au début du XIXe siècle,
à proximité de la Mosquée de Sidi Mahrez (4). Elle constitue le bâtiment principal d'un îlot compris entre
la rue El-Monastiri, la rue Sidi-Mahrez, la rue El-Kamarti et la rue El-Gamarthou. On la dit construite sous
le règne de Mahmoud Bey (1814-1824), par son fils, le prince Hussein, qui l'aurait concédée à M'Hamed el-
Monastiri (ou el-Mestiri) dont aurait hérité son fils Mohamed (5).
Ouvrant sous les larges voûtes d'arête d'un sâbât, face à la porte cochère des communs, l'entrée de cette
luxueuse habitation pourrait être comparée à celles qui viennent d'être décrites et auxquelles elle s'apparente,
rue du Divan et rue Sidi Ben Arous : « Surélevée de deux marches et encadrée de keddâl et de harsh, une
belle porte cloutée apparaît dans un arc outrepassé que surmonte une imposte rectangulaire. Grande porte à
deux battants et portillon maintenue par un cache-joint et munie de trois lourds anneaux de fer — ou heurtoirs
— (hallâk) (6). Ornementation cloutée habituelle, faite de simples lignes horizontales et verticales correspondant
au bâti de la porte, alors que se répètent symétriquement des éléments traditionnels groupés dans l'arcature
— croissants, étoiles, cyprès, arceaux — . Inversement, le décor sculpté dans la pierre se limite à un semis de
rosettes soulignant, dans les moulures, la courbe de l'arc et les lignes droites de l'encadrement, tandis que
des motifs plus riches et plus variés couvrent une grande partie des piédroits — colonnettes torses et bandes
à dessins turquisants — » (PI. XXX).
Si l'aspect général et les proportions de cette porte établissent une curieuse ressemblance avec l'entrée
du Dâr Es-Sellami (7), en revanche la conception du décor sculpté à la surface du keddâl ne diffère guère
de celle que l'on a pu observer autour de la porte du Dâr Lakhoua (rue Sidi Ben Arous). Les piédroits y ont
également adopté, en effet, une arabesque parallèle aux colonnettes torses tandis qu'une bande ornée d'une
succession de petits carrés et doublée d'un listel à éléments géométriques contourne l'ensemble de la porte
à l'intérieur du bandeau d'encadrement externe en harsh (8). On peut alors considérer ce modèle de porte
comme l'achèvement des formes classiques précédant l'abâtardissement dont le portail du Dâr Ben Abd- Allah
nous a déjà fourni un exemple.

1. Grande porte à quatre heurtoirs, deux supérieurs près du cache-joint (à hauteur de cavalier), deux inférieurs, au niveau
du portillon (à portée des enfants).
2. Le décor du troisième bandeau se prolonge en arabesque sur toute la hauteur des piédroits, doublant la moulure à rosettes.
Il en est de même du premier bandeau dont la chaîne géométrique — petits carrés sur pointe — s'élève le long des pilastres jusqu'à
leur sommet. Il n'est pas jusqu'à la surface des pilastres qui ne soit sommairement gravée d'un réseau losange.
3. Incrustation de plomb semblable à celle qui a été employée au même endroit dans la façade du Dâr Sellami. Ici le désir
de se surpasser est évident tant par la richesse que par la diversité de l'ornementation qui témoignent du savoir de l'artisan.
4. Palais de Tunis, II, pp. 371-386.
5. Ibid., p. 371. Cet homme, nous dit Ben Diaf, comptait parmi les notables de la ville où il exerçait la profession de « cha-
ouachi ». Beau-fils de Mahmoud Bey et frère de la femme de Hussein-Bey, il occupa par la suite de hautes fonctions et fut chargé
de plusieurs caïdats.
6. Deux heurtoirs élevés. Un troisième accroché au portillon.
7. Même forme d'arc et même encadrement secondaire limité à un bandeau (harsh) .
8. Bandeau gravé d'une succession de losanges.
l'habitation tunisoise 147

Planche XXX

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( Dâr El-Monastiri, rue El-Monastiri). Porte au seuil surélevé avec piédroits à colonnettes torses sous arc
outrepassé que surmonte une lucarne barreaudee (XVIIIe-XIXe s.).
148 J. REVAULT

Avant d'aborder les formes qui suivront la période des XVIIIe-XIXe siècles, inspirées de la Péninsule
dans la seconde moitié du siècle dernier, il est nécessaire de montrer l'adaptation de la porte à arc brisé
outrepassé à des dimensions parfois inférieures à celles qui ont été présentées plus haut. On ne devra pas en déduire
que cette diminution de sa taille habituelle corresponde toujours à une habitation d'importance secondaire.
L'exemple qui en sera fourni ici suffirait à démentir cette assertion.

Faubourg Sud
Porte du Dâr Zaouche (rue Sidi El-Mouahed)

Alors que les constructions se pressaient de plus en plus nombreuses à l'intérieur de la Médina, rendant
plus rares et plus inaccessibles les endroits particulièrement recherchés, on sait que les faubourgs (rbat)
situés au Nord et au Sud de la cité suscitèrent, au siècle dernier, un attrait nouveau auprès de certains notables
et dignitaires du Makhzen (1). Ce fut le cas du Dâr Zaouche, connu auparavant sous le nom de son fondateur,
Mohamed El-' Asfouri, qui l'édifia au faubourg Sud dans la première moitié du XIXe siècle (2).
Le lieu choisi bénéficiait d'avantages appréciables (3) tels que son élévation et la salubrité de l'air sans
compter sa proximité de la mosquée hafside, Jama 'at-Taoufiq, fondée au XIIIe siècle par El-'Atf, veuve du
Sultan Abou Zakkariya.
C'est sur la rue Boukhris que donnait, jusqu'à sa récente démolition (4), la porte de l'ancienne drïba
du Dâr Zaouche, dans laquelle apparaît l'entrée de cette demeure. Avec son double cadre de pierre — keddâl
et harsh — que flanquait une colonne massive, cette première partie richement sculptée de motifs floraux (5)
ne pouvait permettre de se méprendre sur la valeur passée du domaine qu'elle desservait — habitation et
communs — (PI. XXXI). Elle fermait l'accès d'un sâbât voûté sur lequel s'ouvraient vis-à-vis l'une de l'autre,
la porte du logis dans un second arc de pierre et celle d'un makhzen. Sans doute la porte de l'habitation
n'atteignait pas les proportions habituelles aux luxueuses demeures de la Médina. Les deux vantaux — avec portillon
— peints en vert foncé et munis de quatre heurtoirs n'en montraient pas moins une ornementation cloutée
et un encadrement de keddâl exécutés avec autant de recherche que dans la cité elle-même (6).
Ainsi peut-on constater, dans les différents types de portes en usage sous les dynasties mouradite et hussei-
nite, la même possibilité d'adaptation à des tailles diverses sans en altérer le caractère.
D'une porte à l'autre, qu'elle soit à linteau droit — avec ou sans arc de décharge — ou arquée, leur
distinction essentielle provient, d'une part de leur ornementation cloutée et sculptée plus ou moins riche (7),
d'autre part de l'importance accordée à l'encadrement complémentaire en grès coquillier — simple bandeau
ou pilastre — .

1. Ibid., passim. G. Marçais, Tunis et Kairouan, Paris, 1937.


2. Sur les autres demeures que posséda en Médina la famille El-'Asfouri, voir Palais de Tunis, II, pp. 307-308 et 140 n. 4.
A la fin du siècle dernier, Mohamed El-'Asfouri exerça les fonctions de Cheikh el-Médina.
P. 409. Après avoir été élevé au rang d'aide de camp de Ali Bey, frère de Sadok-Bey, Tahar Zaouche avait acquis une
fortune importante et possédait immeubles à Tunis et propriétés terriennes en divers points de la Régence.
3. Au faubourg Sud, le Dâr Abdulwahab et le Dâr Bach-Hamba sont également connus pour l'agrément de leur situation
et de leur luxe intérieur. Ibid., pp. 427-430, 431-434.
4. En 1961.
5. Motifs turquisants et italianisants (rosaces, vases, bouquets).
6. Le décor sculpté présente cependant plus de sobriété qu'à l'entrée de la driba, concentrée dans l'ornementation des
piédroits — colonnettes cannelées et bandes parallèles garnies d'une arabesque.
7. Entre les portes droites et les portes arquées du XVIIIe siècle, il est souvent possible de relever une identité du répertoire
décoratif employé à la base des piédroits et aux deux extrémités des pilastres, certains motifs pouvant aussi être mutés de la surface
d'un linteau à celle des écoinçons d'arc.
L HABITATION TUNISOISE 149

Planche XXXI

ir Zaouche, rue Sidi El-Mouahed, Faubourg Sud). Porte de driba : piédroits à colonnettes torses sous arc
brisé outrepassé entre deux pilastres en keddâl (sculpté) et harsh (assises). Grosse colonne d'angle.
Elévation (XIXe s.).
150 J. RE VAULT

Portes cintrées (à V italienne)

Ahmed Bey (1837-1855), qui rêva de faire de son pays un Etat moderne, fut le premier à lancer le signal
d'une transformation complète des façades de ses palais auxquelles il voulut donner un aspect européen.
Grâce à sa proximité, l'Italie fournit aisément les modèles et les matériaux nécessaires aux changements
souhaités.
En dépit de la durée éphémère de son « Versailles tunisien », dit la Mohammedia, cette nouvelle cité
beylicale — distincte de celle du Bardo, ne pouvait qu'en imposer tant par ses proportions gigantesques
que par l'abondance des marbres et faïences qui devaient en constituer la parure essentielle (1).
Ministres et notables furent naturellement tentés d'imiter à leur tour ces innovations architecturales
dont l'exemple venait de si haut. On sait cependant que leur adoption en milieu citadin ou suburbain ne fut
le plus souvent que partiel, se limitant surtout aux salons et salles de réception meublés également à
l'européenne. Pour le reste, la haute société et la bourgeoisie tunisoises étaient trop attachées aux formes
traditionnelles de leurs habitations pour se résoudre à les abandonner entièrement (2).
La modernisation d'une entrée compta parmi les changements que l'on pouvait admettre sans risquer
de troubler l'ordre et les coutumes qui réglaient la vie intérieure de toute demeure. Elle allait continuer à
répondre, nous l'avons vu, à ce besoin d'ostentation qui ne pouvait, à l'extérieur, se manifester autrement.
On observera aussi que cette modernisation de certaines portes sur la rue ne fut pas toujours réalisée
intégralement. Il sembla parfois préférable de conserver le cadre traditionnel en pierre avec son arc outrepassé
— brisé ou non — et de remplacer seulement les portes cloutées à l'andalouse par de nouvelles portes à
panneaux sculptés et peints à l'italienne (3).

Porte du Dâr El-Mrabet (rue Sidi Ben Arous)

II n'est pas douteux que le portail actuel ait été substitué à une ancienne porte droite — avec ou sans
arc de décharge — correspondant au style de la belle demeure du XVIIe siècle à laquelle elle donna tout d'abord
accès (4). La fermeture de la drïba du Dâr El-Mrabet par une nouvelle porte de style italianisant n'allait
pas entraîner pour autant la modernisation de l'habitation de style mouradite ; par contre, elle était appelée
à répondre à la modernisation d'un étage neuf aménagé en maison des hôtes et salons de réception, au-dessus
de la drïba et des makhzen (5).
On doit probablement la transformation de l'entrée, rue Sidi Ben Arous, à l'initiative du Général Mrabet
dont on connaît la faveur auprès d'Ahmed Bey puis de Sadok Bey et qui laissa son nom à la somptueuse
demeure qu'il habita (6). Des anciennes portes n'est conservé ici que l'usage habituel d'un double encadrement.
Mais formes, proportions et décor ont été entièrement bouleversés par l'adoption d'un portail à l'italienne
(fîg. 35). Le cadre principal est fait de marbre clair qu'entoure un simple bandeau de grès coquillier. Par leur

1. J. Revault, Palais et Résidences d'été de la Région de Tunis, Paris, 1974, pp. 414-426. En dehors des éléments préparés,
avant leur exportation, par des artisans italiens, les blocs de marbre blanc de Carrare étaient transformés par les nakkâsha
tunisiens, musulmans et juifs (voir supra).
2. Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
3. Porte du Dâr Kahia, rue des Andalous ; porte de la skifa du Bâr Bach-Hamba, rue Bach-Hamba ; porte du Dâr Ben
Salem, rue de la Hafsia, — etc. (fig. 27, 29, 33).
4. Palais de Tunis, I, p. 223-241. La démolition du Dâr El-Mrabet a été entreprise en 1963.
5. Le bâtiment avait été affecté, en dernier lieu, au Cheikh el-Medina et à ses services.
6. Ibid., p. 223 (2). Ce fut Mohamed ben Sadok ben Ali ben Abbess (ou Hassen) el-Mrabet auquel Sadok Bey fit donation
de l'ancien palais, à la fin du siècle dernier. Successivement farik (général) au palais (srâya) du Bardo sous Ahmed Bey — dont
il était le beau-frère — tombé en disgrâce avec Mhamed Bey qui le relégua à Kairouan, il fut réhabilité dans ses fonctions par
Sadok Bey qui le tenait en haute estime. L'origine maraboutique du farik n'était peut-être pas étrangère à cet attachement
particulier du souverain.
l'habitation tunisoise 151

allongement inusité les piédroits ont l'apparence de pilastres au-dessous de la nouvelle réduction de l'arc
cintré et de ses écoinçons. L'effet qui en résulte se rapproche de l'aspect des arcades à colonnes de marbre
devenues à la mode à la même époque. Les montants consistent en deux étroits pilastres jumelés — l'un cannelé,
l'autre uni — que surélèvent encore deux hautes bases accouplées. Les cannelures se prolongent de chaque
côté de l'arc jusqu'à la corniche supérieure.
En dehors d'une palme sculptée à la base des pilastres, le décor se limite aux extrémités du portail :
en bas quatre losanges fleuris, en haut deux rosaces. A cette ornementation italianisante répond celle de la
porte avec ses deux battants sculptés et peints, partagés en six grandes rosaces rayonnantes (1). L'imposte
garnie de fer forgé qui surmontait auparavant la porte y est maintenant insérée à l'intérieur de l'arc.

Porte du Dâr Chérif (rue Sidi Maouïa)

« Le Dâr Chérif est la plus grande demeure située rue Sidi Maouïa — ruelle tournant à angle droit et
débouchant, d'un côté, rue Achour, de l'autre, rue El-Monastiri — . Il n'est séparé de la médersa voisine que
par la rue Achour et se trouve très rapprochée de la Mosquée de Sidi Mahrez.
Venus de Turquie, comme les Baïram et les Bel-Khoja, les Chérif comptent de nombreux personnages
religieux parmi lesquels des imams de la Grande Mosquée.
Leur demeure s'ouvre sur une place privée qui sépare bâtiments d'habitation des communs. On la dit
construite, il y a plus de cent vingt ans, sous le règne d'Ahmed Bey. Au début du siècle, on en aurait modernisé
certaines parties à l'occasion d'un mariage. A l'arrière, elle était agrémentée autrefois d'un jardin.

Large et haute avec compartimentage de ses deux vantaux, la porte principale du Dâr Chérif apparaît
dans un arc cintré en marbre d'Italie. Sur le côté, un bloc de pierre servait de marchepied à l'usage des
cavaliers. C'est là que, monté sur sa mule, l'imam se rendait à la Mosquée Zitouna, accompagné d'un serviteur
tenant la bride. Une drïba et une skïfa d'aspect moderne conduisent à la cour intérieure ».
De part et d'autre de la cour privée des Chérif deux portes d'aspect différent se font face. La porte
neuve, empreinte du dernier style italien se dresse comme un défi à l'opposé d'un ancien portail qui a conservé
cloutage et double encadrement de pierre d'autrefois. Pourtant cette entrée (2) — que surplombent trois
fenêtres à grilles arrondies — l'emporte sur la précédente par la noblesse et la beauté de sa façade.
Bien qu'elle soit sans doute d'exécution plus récente que la porte du Dâr El-Mrabet, celle du Dâr Chérif
présente les mêmes caractéristiques : recours prédominant au marbre de Carrare dans l'encadrement principal
qu'accompagnent de faux pilastres en grès coquillier. L'ouverture de l'entrée montre également des formes
similaires avec ses longs piédroits mi-unis, mi-cannelés sur bases surélevées au-dessous de l'arc cintré à
l'italienne (fit. 35). Les médaillons oblongs se substituent, à la même place, aux losanges des montants du Dâr
El-Mrabet, dont les palmes sont remplacées par deux vases avec bouquet et les rosaces par des tiges feuillues
à l'angle des écoinçons. Au-dessous de la grille de l'imposte, le triple compartimentage de la porte en bois
sculpté et peint est lourdement chargé d'une flore baroque assortie au modernisme en honneur depuis le
règne d'Ahmed Bey.
On pourrait multiplier les exemples de portes à l'italienne, semblables à celles du Dâr El-Mrabet et
du Dâr Chérif, puisqu'il en existe en plusieurs endroits, depuis la Médina jusqu'aux faubourgs et aux environs
de Tunis (3).

1 . L'entrée comporte un portillon simple — sans découpage de la partie supérieure en arc. — Les lourds anneaux traditionnels
ont fait place à des heurtoirs piriformes. La rosace rayonnante, répétée ici à l'intérieur de carrés et rectangles moulurés, connaîtra
une faveur spéciale dans l'ornementation des portes aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur des palais et habitations de Tunis
et de sa région. Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
2. Porte classique à arc brisé outrepassé.
3. Ibid., II, et III, passim.
152 J. REVAULT

On s'explique mieux la facilité d'expansion de cette nouvelle mode lorsqu'on sait que des modèles
originaux se trouvaient réalisés dans la capitale, dès le début du XIXe siècle. C'est en plein quartier franc
qu'il est possible, en effet, de reconnaître ces sources d'inspiration du goût occidental dans les portails de
maîtres des grands hôtels particuliers italiens (1). A l'avant-garde des nouvelles constructions encore enserrées
par les anciens remparts qu'ils dépassaient de leurs nombreux étages, ces hôtels préfiguraient, certes, la
naissance prochaine de la ville européenne extra muros (2) ; ils contribuèrent aussi à détourner constructeurs,
artisans et usagers des anciennes traditions locales au profit d'innovations qu'il semblait opportun d'admettre,
tout au moins partiellement (3).

Colonnes et consoles (extérieures)

II est bien vrai, que la porte cloutée dans son encadrement traditionnel en pierre est une expression
architecturale particulière à Tunis. Lorsqu'elle appartient à une habitation, elle peut nous renseigner sur son
ancienneté, sinon sur la fortune et le rang social de son propriétaire. On comprend alors l'intérêt que celui-ci y
attacha de tout temps et la considération qu'il témoigna en conséquence à la corporation des tailleurs et
sculpteurs de pierre. Pourtant, en dehors de la préparation de la porte originelle de chaque demeure, puis
de son renouvellement éventuel au cours des âges, les nakkâsha recevaient d'autres commandes intéressant
parfois l'extérieur de cette demeure. Il s'agissait, soit d'une ou plusieurs colonnes à installer en quelque partie
inférieure d'un mur, soit de consoles à placer sous l'encorbellement d'un étage.

Colonnes de sâbât
L'usage le plus fréquent des colonnes de pierre (kaddâl) répondait à l'aménagement des passages voûtés
(sâbât). Les voûtes basses et ordinaires en étaient généralement dépourvues ; mais tout sàbât élevé, qui
s'ouvrait dans un bel arc brisé outrepassé en briques ou en grès coquillier, avait naturellement recours au support
des colonnes (4). Colonnes généralement de fort calibre, à fût cylindrique et chapiteau de type hafside —
souvent épannelé (fig. 12, 20, 25, 26, 31, 36, 37, 38, 39, 41) — ou turc — à quatre crosses (fig. 15, 39). La
fourniture en incombait aux riverains, après autorisation par le Cheikh el-Médina, d'élargir leur étage par
débordement sur la rue franchie au moyen d'un sâbât. Selon la fortune et le goût de ces riverains, les voûtes d'arête
en briques (5) — apparentes ou non — de leur sàbât retombaient, tantôt sur une double rangée de colonnes
accotées aux murs de la ruelle (fig. 36, 37, 41), tantôt sur une seule rangée que complétaient, de l'autre côté,
des consolettes de pierres (6) (fig. 45).
De ces différentes sortes de sabât, la Médina offre de nombreux exemples : rue des Tamis, rue du Riche,
rue 'Abba, rue des Andalous (fig. 27), rue Mohsen, rue Sidi Ben Arous, rue de l'Agha...

1. Palais de Tunis, II, Quartier Franc, p. 396-398. On verra alors s'élever, rue de la Grande Mosquée (ou rue de l'Eglise)
et rue de la Commission, de grands immeubles à étages — véritables gratte-ciel de l'époque — dus aux Gnecco, Cardoso... On y
reconnaîtra le goût monumental des palais génois aux entrées seigneuriales, vastes patios, portiques à colonnes et escaliers
d'honneur en marbre. Dallage de marbre, rampes de fer forgé, lambris de faïence italienne, boiseries à panneaux sculptés, hautes
fenêtres à persiennes vertes, constitueront désormais autant d'attrait pour les dignitaires de la Cour beylicale et les notables
tunisois que les grandes proportions des luxueux appartements importés dans la capitale de la Régence par les constructeurs
de la Péninsule.
2. Ibid., p. 397. 11 n'est pas jusqu'au nouveau palais consulaire offert en hommage à la France par Sadok Bey en 1860-
1861, et dont la conception et l'adaptation par l'ingénieur Colin connaissent également un réel retentissement auprès de la haute
société tunisoise.
3. Les nouvelles tendances à la modernisation du cadre de vie tunisien ne firent jamais abandonner complètement, au siècle
dernier, nous l'avons dit, les conceptions traditionnelles auxquelles les familles étaient encore fermement attachées. D'où une
hybridation de plus en plus fréquente des formes architecturales et du décor en honneur dans les palais aussi bien que dans
certaines maisons bourgeoises de Tunis.
4. Qu'il s'agisse d'une voie publique ou d'une ruelle privée (driba).
5. Voûtes en briques sur chant.
6. En dehors des appartements aménagés au-dessus d'un sâbât, celui-ci pouvait encore être surmonté d'une école coranique
(kuttàb) dont les fenêtres géminées plongeaient sur la rue, au voisinage d'une mosquée ou d'une médersa.
l'habitation tunisoise 153

Colonnes cantonnées (porte et mur)

Le rôle d'une colonne employée au dehors ne fut pas seulement constructif pour assurer le support des
voûtes d'un sâbât au même titre que celles d'une drïba ou d'un makhzen, à l'intérieur d'une habitation (l) ;
il fut également décoratif. On connaît déjà, au XVIIIe siècle, la valeur ornementale accordée aux colonnettes
— lisses, cannelées, torses — sculptées à l'angle des piédroits d'une porte arquée. On peut encore relever
en Médina d'autres usages semblables de la colonne à l'instar de certains mausolées turcs ou husseinites
construits aux XVIIe et XVIIIe siècles (3). Ici, une ou deux colonnes de pierre, voire de marbre, servent toutes
à rehausser l'aspect architectural d'une entrée. Un premier exemple en est donné par la belle porte de marbre
clair de la mïcTa du Souk el-'Attarine (XVe siècle) (PI. XI). De part et d'autre de l'encadrement interne,
deux colonnes cantonnées à chapiteau hispano-maghrébin amorcent l'encadrement externe que surmontent
plate-bande appareillée et arc brisé outrepassé (3). La beauté de cette façade permet d'imaginer ce que devait
être, au temps des Hafsides, l'entrée de certains palais édifiés, à l'intérieur de la Kasbah ainsi que des pavillons
de plaisance élevés dans les jardins de Ras Tabia et d'Abou Fihr (4).
Entre les époques mouradite et husseinite, nous citerons deux portes dont l'encadrement en grès coquillier
s'enrichit d'une seule colonne de calcaire : (Dâr El-Mbaza'a) sur le côté droit, colonne à chapiteau hafside
(5) ; (Dâr Cheikh Zaouïa Sidi El-Bechir) sur le côté gauche, colonne à chapiteau turc (6) (PI. XX). Longue
de près de deux mètres, chacune de ces colonnes a sa base distante du sol d'un mètre environ tandis que son
sommet atteint le niveau du linteau (7).
Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, les portes arquées des plus riches demeures ont parfois recours également
aux colonnes décoratives ; tel est le cas du Dâr Bach-Hamba, dont l'entrée est flanquée, nous l'avons vu,
de deux colonnes en keddâl à chapiteau turc adossées aux pilastres en harsh. Proportionnées aux plus grandes
dimensions de cette porte, ces colonnes dépassent en longueur les colonnes des portes précédentes — à linteau
droit — tout en conservant leurs bases à un mètre du sol et leur chapiteau à la hauteur de l'arc central (8)
(PL XXIX).
D'un type très différent est la lourde colonne — au chapiteau sommairement taillé — dressée à droite
de l'entrée de la drïba du Dâr Zaouche (9). Aussi bien sa fonction est-elle partagée entre le décor de la façade
et le renforcement de l'angle mural au-dessous de l'étage des hôtes (dâr al-dyaf) (PI. XXXI).
Les nakkâsha se voyaient encore commander, pour en orner l'angle mural d'une rue, colonnes de marbre
ou de calcaire. Les plus anciennes de ces colonnes décoratives remontent à la période hafside et sont réalisées
en marbre. L'une d'elles apparaît, rue Sidi Ibrahim, entre l'ouverture d'un sâbât — elle-même flanquée
d'une colonne identique — et la porte surélevée de l'ancienne Medersa Tafrajine (10) ; une autre se dresse

1. Souvent, les colonnes en calcaire d'un sâbât présentent un fût cylindrique et un chapiteau épannelé qui ne diffèrent pas
de ceux des colonnes de makhzen (fig. 20, 25).
2. Mausolées rattachés aux mosquées funéraires de Sidi Youssef et de Hamouda Pacha (XVIIe siècle) (fig. 16) ; Torbet
El-Fellari et Torbet el-Bey (XVIIIe siècle). Sans doute faudrait-il aussi rappeler des modèles plus lointains dont la présence si
fréquente sur le sol tunisien a pu inspirer les constructeurs musulmans : monuments d'époque romaine et byzantine bien connus
pour l'emploi fréquent de colonnes décoratives.
3. Style de façade conservé, nous l'avons vu, à l'entrée du palais du Dey 'Othman (XVI-XVII1' siècles) (fig. 11).
4. Sans compter les premiers bâtiments qui auraient marqué le début du Palais du Bardo au XVe siècle.
5. Palais de Tunis, I, p. 110, pi. VI.
6. Ancienne demeure située dans le faubourg Sud (Rbat Bâb al-Jazira). Sur le Cheikh Sidi El-Bechir, voir Résidences d'été,
Dâr El-Bechiri, p. 254-260.
7. Hauteur des colonnes de la Mîd'at al-'Attarine : 2,50 m.
8. La longueur des deux colonnes (2,50 m) s'augmente de l'adjonction d'une imposte. Leurs chapiteaux correspondent au
sommet de l'arc central.
9. Palais de Tunis, II, pi. CI II.
10. Ibid., T. Il ne reste plus aujourd'hui que des ruines de la medersa hafside laissée près de son palais (disparu) par Ibn
Tafrajine. Dâr (ou Ksar) Ibn Tafrajine (Abou Mohammed b-Tafrajine). Illustre chambellan des princes hafsides au XIVe s. qui
fit édifier sa résidence personnelle, à proximité de Sidi Mahrez et de Bâb Souika.
A côté de la colonne et de la porte à linteau droit de la medersa se trouve une plaque murale en marbre avec inscriptions.
154 J. REVAULT

à l'angle de la rue Sidi Ben Arous et de la ruelle 'Onk Jmel. De dimensions aussi réduites que celles des
colonnes d'entrée présentées plus haut, celles-ci sont également surhaussées au-dessus du sol, remarquables par
la grâce de leurs chapiteaux élancés.
Aux siècles suivants, des colonnes de style différent rempliront le même office dans des conditions
semblables. Aussi bien que les portes, ces colonnes extérieures permettront d'évoquer celles du patio qui demeurent
cachées aux yeux du passant et d'imaginer l'ancienneté de la construction. Il en est ainsi pour le Dâr El-Hedri,
rue du Trésor, dont la colonne d'angle placée au dehors possède un chapiteau turc analogue à celui des
portiques intérieurs (1) (fig. 42). De la même façon se signalera à l'extérieur, rue du Boulanger, une autre
habitation contemporaine (XVP-XVIIe siècle), le Dâr El-Ouzir (2). Un chapiteau à volutes de type husseinite
coiffe la colonne d'angle en keddàl d'un Dâr El-Messa'oudi, rue 'Abba, comme celle d'un Dâr Chelbi, au
coin de la rue Saïda Ajoula et de la rue 'Onk Jmel (3).
Ailleurs, le rajeunissement tardif du Dâr Ben Abd-Allah est annoncé à l'entrée de sa cour d'honneur,
place el-Ouez, par la colonne d'angle de son sâbât surmontée d'un chapiteau à méandres (fig. 40).
Bien d'autres exemples pourraient s'ajouter à ceux-ci tant ils sont nombreux à l'intérieur de la Médina
et de ses faubourgs. Remplaçant l'angle vif d'un mur (4), la colonne d'angle (5) correspondait certainement
au désir de certains notables d'embellir leur propre rue d'accès et demeurait ensuite, aux yeux de tous, le
signe de la présence d'une riche habitation, s'ajoutant à la porte d'entrée avec son encadrement caractéristique.

Consoles

La préparation des derniers éléments de pierre sculptée utilisés à l'extérieur des habitations intéressait
encore la corporation des tailleurs de pierre avec l'exécution des consoles en keddàl (kabàsh). Réalisées
dans diverses formes et dimensions, elles servaient à supporter soit les voûtes d'un sâbât, soit la saillie sur
rue d'un encorbellement.

Consoles de voûte

Des plus anciennes consoles fixées au bas de la retombée d'une voûte, rappelons celles qui ont été
épargnées jusqu'ici dans la démolition de la Kasbah, à l'entrée de l'un de ses bastions (6). Ces consoles arrondies
en forme de disques couplés appartiennent probablement aux derniers vestiges de constructions hafsides.
Nous verrons plus loin la survivance de ces premières formes dans certaines consoles d'encorbellement (fig. 44).
Dans les sâbât, les consoles utilisées communément pour le support des voûtes d'arête, en complément
ou non de colonnes, sont de petite taille. Elles présentent une double incurvation — concave et convexe —
propre à recevoir l'extrémité d'une voûte d'arête en briques (7) (fig. 6, 45).

1. Ibid., p. 124-147.
2. Près d'une ancienne porte en ruines.
3. Supra.
4. Angle mural (shûka) distinct de l'angle rabattu (shûka maksûsa) dans sa partie inférieure pour faciliter le passage des
voitures et bêtes de somme (fig. 9).
5. Une colonne d'angle (ou colonne cantonnée) comprend de bas en haut : un socle (kursi) ; la colonne même (sarya)
entre les deux côtés (tebtin) de l'angle rentrant contre lesquels elle s'appuie ; au-dessus reprise du saillant mural {shûka mrabd) ;
parfois un bandeau d'encadrement en pierre (fargha dalra).
6. Bastion situé à l'Ouest de l'ancienne Kasbah. A. Daoulatli, La Kasbah de Tunis, Tunis, d.s.
7. G. Marçais, Manuel d'Art Musulman, II, Paris, 1927, p. 883-884. « Ces voûtes... sont construites en briques. Parfois
appareillées avec soin, les tranches de briques forment des rangs contrariés en arêtes de poisson. Le plus souvent — et d'après
une méthode peut-être plus récente, à coup sûr moins savante — les briques posées à plat suivant le plan de révolution forment
des rangs qui se chevauchent à la rencontre des portions de voûte ». Supra.

l'habitation tunisoise 155

Planche XXXII

(Rue du Bon Secours). Consoles de bois rudimentaires. Perspective et profil (XVIIe s.).
Console de bois en rondin doublée d'une console de pierre et d'une planche (XVIIe-XVIIIe s.).
156 J. REVAULT

Consoles d'encorbellement

Bien qu'elles soient généralement taillées suivant des dimensions supérieures à celles des consoles de
voûte, les consoles d'encorbellement ne s'apparentent pas moins à celles-ci dans l'une de leurs deux formes
caractéristiques. Leur juste adaptation à ces nouvelles fonctions leur permet de contribuer à l'embellissement
d'une façade dont l'encorbellement témoigne de l'aisance de son propriétaire.
Sans doute trouve-t-on parfois, dans certains quartiers de la Médina, un encorbellement d'importance
secondaire au-dessous duquel on s'est contenté d'enfoncer plusieurs rondins en guise de console (PI. XXXII,
fig. 46). Mais dans les constructions de dignitaires ou de notables, le bois n'est employé éventuellement que
pour compléter et renforcer un support de pierre. En effet, un bel encorbellement (kharâj) en maçonnerie
est un signe de richesse seulement visible dans un quartier aristocratique. Il surmonte très souvent l'entrée
avec une fenêtre simple en surplomb ou une triple ouverture munie de grilles à volutes — une médiane entre
deux latérales — . La saillie de l'étage correspond alors au défoncement du kbù d'une chambre haute dont
la vue plongeante sur la rue était jadis un rare agrément. Il arrivait aussi que cet endroit fût affecté à une pièce
particulière réservée exclusivement au maître (1) (fig. 48, 49).
Dans certains cas on est surpris par l'irrégularité d'un encorbellement dont la saillie prend figure de
proue angulaire au-dessus de la rue. En fait, on sait que cette irrégularité extérieure apparaissait aux yeux des
Tunisiens de peu d'importance, jugée alors comme le seul moyen de rétablir, à l'étage, une symétrie plus
nécessaire à l'intérieur de l'habitation.
Inspiré, semble-t-il, des formes architecturales les plus simples empruntées aux villes de l'Egypte
musulmane et de l'Orient, l'encorbellement tunisien pourrait encore être comparé à ceux d'Alger s'il n'en différait
à la fois par son mode d'appui et un usage beaucoup moins étendu au-dessus des rues de la cité (2).
Qu'elle fût à profil arrondi ou sinueux, la console pouvait être employée seule, sinon superposée en double
ou en triple assise, les éléments supérieurs s 'avançant au-devant des éléments inférieurs. Le choix de la
disposition adoptée variait selon la profondeur de l'encorbellement à soutenir. Quoi qu'il en soit, tailleur de pierre
et bâtisseur s'accordaient toujours sur les dimensions à donner à une console et la longueur qui devait pénétrer
dans le mur pour assurer une assise solide (3).
Les consoles à tête arrondie ressemblent fort à celles des anciens palais et maisons du Caire (périodes
mamlouke et ottomane) (4). De leur usage à Tunis nous retiendrons deux cas, l'un d'aspect régulier, rue
Achour (PI. XXXV), à l'entrée de la rue du Divan, l'autre de type irrégulier — en équerre — rue Zarkoun (5).

1. Aménagée au-dessus de l'entrée, cette pièce intime jouait un rôle analogue à celui d'une chambre haute (kshuk) élevée
sur les terrasses. Palais de Tunis, I, II et III, passim.
2. On sait que, pour des raisons diverses, les habitants d'Alger furent amenés à faire déborder leurs étages au-dessus des
ruelles voisines, les encorbellements ainsi formés reposant non sur des consoles en pierre mais sur des béquilles en bois que
confortaient parfois des sortes de consoles moulurées. G. Marçais, op. cit., p. 811-815 « Ces avant-corps qui correspondent
généralement aux défoncements médians des chambres, jouent un rôle important dans les façades... Quelques fortes moulures
appliquées sur le mur soutiennent ces encorbellements. Fréquemment aussi les poutrelles de l'étage supérieur, émergeant sous l'avant-
corps, s'appuient sur des rondins posés obliquement, sortes de jambes de force, qui s'enracinent plus bas dans le mur ». Les
encorbellements « prennent parfois un développement considérable... Il semble bien qu'on doive en rechercher l'origine dans les pays
du Levant, dans les villes de la péninsule des Balkans ou de l 'Asie-Mineure ».
Les origines de la Maison nord-africaine, in 7e Cahier des Arts et Techniques d'Afrique du Nord, 1974, p. 61.
3. La partie d'une console fixée à l'intérieur du mur devait avoir un tiers en plus de la longueur extérieure.
4. A Tunis, cependant, ces consoles n'apparaissent jamais doublées (ou jumelées) comme ce fût fréquemment le cas dans
les constructions du Caire afin d'augmenter la résistance des supports.
5. Il ne faut pas confondre ces consoles rondes avec un autre type de console à bord arrondi dont nous ne connaissons qu'un
seul exemple, rue du Trésor, au-dessous de l'encorbellement du Dâr El-Hedri. Plus larges mais moins épaisses que les consoles
précédentes, celles-ci sont taillées comme des planches et disposées par deux au-dessous de l'encorbellement pour compenser
la faiblesse de leur portée (PI. XXXIII, fig. 48).
l'habitation tunisoise 157

Le premier support d'encorbellement est formé d'une rangée de cinq consoles doubles (1) ; le second de quatre
éléments également doublés (2).
Un exemple différent est fourni par un encorbellement, rue de Médenine (3) ; la pierre n'y apparaît
que dans la console inférieure du triple support, les deux consoles supérieures ayant été taillées dans des
madriers (4).
La console à tête incurvée, de type occidental, nous est plus familière. Elle change naturellement
d'apparence suivant qu'elle est employée isolément ou en groupe. L'effet de la première formule ressort du long
encorbellement qui surplombe le début de l'étroite ruelle Mosmar el-Qasa'a (PI. XXXIV). La répétition
— sur une même ligne — d'une seule console de pierre (5) se renforce nécessairement d'une console de bois
(poutre) dissimulée dans un coffrage de bois peint à extrémité arrondie (fig. 50).
Un résultat plus solide et plus imposant a été obtenu au XVIIIe siècle, rue du Tribunal, dans le bel
encorbellement du Dâr Lasram, que soutient, près de l'entrée, une rangée de cinq éléments en keddâl faits de trois
consoles superposées (PI. XXXVI). Cette élégante disposition architecturale se complète de quatre ouvertures
barreaudées sur le devant et de deux autres sur les côtés, correspondant à un agréable aménagement intérieur
qui permettait de se distraire au spectacle de la rue (fig. 49).
Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, on aura de moins en moins recourt aux consoles de pierre que l'on
remplacera par des soliveaux qui imiteront seulement le keddâl par la taille sinueuse de leur extrémité. Ces
changements seront suivis eux-mêmes, vers la fin du siècle dernier, par la disparition des encorbellements
en maçonnerie au profit des nouveaux balcons de bois peint (gannâriyà) que l'influence de la Turquie mettra
à la mode à l'intérieur de la capitale comme aux environs de Tunis (6).

Aménagement intérieur (pierre et marbre)

De la façade extérieure l'emploi de la pierre ou du marbre s'étendit autrefois à l'intérieur des palais
et riches habitations — comme à l'intérieur des monuments religieux — où il connut longtemps son plein
épanouissement. Sans doute l'âge d'or de la pierre et du marbre d'origine locale exista-t-il, à la suite de la
période hafside dont elles apparaissent comme le prolongement, aux époques turque et mouradite (XVIe-
XVIIe siècles) (7). Ce fut certainement aussi pour la corporation des nakkâsha une ère d'activité et de prospérité
qui ne devait plus jamais être atteinte aux siècles suivants. Cette situation procédait à la fois d'un fidèle
attachement aux modes de construction traditionnels et du rétablissement de la paix dans la nouvelle Régence
après la victoire des Ottomans sur les Espagnols. En outre, il y avait encore à réparer les innombrables
déprédations commises par les troupes de Charles Quint (1534) et celles de Don Juan d'Autriche au moment de
leur occupation des habitations de la Médina et des palais de la Kasbah (8).

1. Dans la façade du Dâr Bel-Hassen, rue du Trésor, on peut également observer des consoles de même nature qui devaient
soutenir, au-dessus de l'entrée, un encorbellement maintenant disparu (fig. 48).
2. Dans ces différents cas, la tête de la console supérieure affleure toujours le bord extrême de l'encorbellement.
3. Disposition hardie — en porte-à-faux — qui n'aurait sans doute pas résisté sans des mesures de renforcement ultérieures
— en fer.
4. Taille incurvée.
5. Trois rosettes sculptées sont réparties entre la face et les deux côtés de chacune des consoles.
6. Palais de Tunis, II ; Résidences d'été, III, passim. A la même époque s'élevaient à Tunis et à la Goulette les nouvelles
constructions européennes pourvues de balcons en fer.
7. Palais de Tunis, I, passim.
9. P. Sebag, Une relation inédite sur la prise de Tunis par les Turcs en 1574, Tunis, 1971, passim.
A. Daoulatli, La Kasbah de Tunis, Tunis, s.d., passim. Tunis sous les Hafsides, Tunis, 1976, passim.
Sans doute des matériaux tels que le marbre et la pierre paraissaient moins vulnérables que les boiseries et les stucs à
l'acharnement de la soldatesque espagnole avide de pillage et de destruction. Ils n'en furent pas moins enlevés en maint endroit
et transportés hors de la ville afin de servir à la construction des nouvelles habitations destinées aux officiers espagnols et italiens
à l'intérieur de la « Nova Arx ».
158 J. REVAULT

Planche XXXIII

E?

(Dâr(XVP-XVIIe
(Impasse
El-Hedri,
du Masseur).
rues.).du Trésor).
ConsolesDouble
de pierre
console
se terminant
de pierreenaux
quart
extrémités
de rond arrondies
(XVIe-XVIIe
— perspective
s.). et profil
l'habitation tunisoise 159

Planche XXXIV

(Impasse Mousmar el-Qaçda). Consoles superposées en pierre et bois (XVIIIe s.).


160 J. REVAULT

Planche XXXV

(Rue Achour, Entrée de la rue de VAgha). Double console de pierre à tête arrondie — perspective et profil
(xviie-xvnre s.).
( Dâr Bach-Hamba, rue Bach-Hamba). Double console de pierre à bords incurvés — perspective et profil
(XVIIIe-XIXe s.).
l'habitation tunisoise 161

Qu'il se soit agi de constructions neuves ou de la restauration de bâtiments saccagés, il semble bien que
l'on se soit tenu à l'application des régies architecturales et à l'emploi des matériaux toujours en honneur
sous le règne des derniers Sultans hafsides. Style architectural, marbre et pierre, nous les retrouverons
également à l'intérieur d'un somptueux palais princier et d'une simple maison bourgeoise. Un artisan aisé
s'efforçait, en effet, d'imiter la riche demeure d'un notable qui s'inspirait, à son tour du palais de son ministre ou
de son souverain. D'où cette unité d'aspect architecturale aux époques turque et mouradite, grâce à laquelle
il est possible d'imaginer ce que devaient être les constructions contemporaines — sinon antérieures — avant
leur disparition ou leur transformation.
Nous verrons alors quelle place importante fut prise par le marbre (rkhâm) ou la pierre de taille (keddâl)
dans les différentes parties d'une habitation tunisoise (1), depuis le couloir d'entrée (drïba, skïfa), la cour
intérieure (wûst al-dâr) et les appartements (bit) jusqu'aux bâtiments domestiques (dwïriya), caves (dâmùs),
écuries et magasins à vivres (makhzen).

Couloir d'entrée

Le couloir d'entrée en chicane d'une habitation tunisoise n'est pas seulement un passage, divisé, selon
son importance en deux ou trois parties séparées entre elles par autant de portes ; il est aussi une véritable
antichambre — dans sa première ou seconde partie — ou lieu de réception réservé aux audiences masculines (2).
C'est là où un prince accueillait courtisans et notables ; un propriétaire terrien y traitait de ses cultures, de
ses récoltes et de ses troupeaux avec ses métayers venus des henchirs ; un maître tisserand ou « chaouachi »
trouvait cet endroit commode pour s'entretenir avec artisans et commerçants des problèmes inhérents à sa
profession ; ailleurs, un cadi accordait avec toute la discrétion souhaitée une consultation juridique à quelque
personnalité de la haute société tunisoise. On pouvait enfin recevoir à loisir amis et visiteurs et converser
avec eux en toute tranquillité, en dehors des heures de travail, de prières et de repos (3). C'est pourquoi
chacun s'évertuait à donner à ce lieu l'apparence la plus agréable, la mieux décorée et la plus luxueuse possible
afin d'honorer ceux qu'il recevait. L'aménagement de la drïba et de la skïfa étant alors comme le reflet de
l'installation intérieure de l'habitation cachée aux étrangers, il était cependant possible à ceux-ci d'en deviner
la valeur sans dépasser les limites de la skïfa.
A l'entrée de toute habitation citadine, modeste ou luxueuse, le dallage était de rigueur, préludant à celui
qui recouvrait entièrement le sol du patio. Mais si l'emploi de la pierre de taille se limitait à cela dans une
maison ordinaire où l'on n'accueillait les visiteurs, près de la porte, que sur une banquette en bois ou en
maçonnerie, la pierre ou le marbre connaissaient un autre développement dans une entrée de maître. Leur
adaptation particulière dût apparaître pleinement satisfaisante depuis longtemps puisque l'on en conserva les
formes essentielles durant plusieurs siècles (4). Banquettes de pierre (dukkâna) (5) souvent rehaussées de
colonnes et d'arcs en calcaire ou en marbre (fig. 51, 52, 53) se répéteront ainsi d'une riche drïba (ou skïfa)
à l'autre (6). Leur différence ressortira moins d'un style presque constant que de la configuration des pièces
que garnit seulement ce curieux mobilier de pierre. Drïba ou skïfa affecteront alors des formes carrées ou
rectangulaires, de proportions variables, comme le montreront les exemples choisis ici parmi les plus
caractéristiques entre période turque-mouradite et époque husseinite.

1. Dans la plupart des demeures tunisoises, le grés coquillier n'entre pas à l'intérieur du patio et des chambres, réservé
parfois à certaines parties de la citerne et des makhzen. En revanche, on en reconnaît l'emploi dans les cours basses à portiques
du Dâr el-Bey aménagées au XVIIe siècle. Palais de Tunis, II, fig. 102 et 103.
2. Palais de Tunis, I et II ; Résidences d'été, III, passim.
3. Indépendamment de la chambre particulière rattachée à la drïba ou à la skïfa (bit al-driba, bit al-skïfa, bit sahra), réservée
aux réunions d'amis et aux veillées. Ibid., passim.
4. Cet état statique pourrait être comparé à celui des communs (dwiriya, makhzen).
5. dukkâna, pi. dkâken.
6. Alors que dans un palais ou une grande demeure la drïba constitue le plus souvent le hall d'entrée de la skïfa, celle-ci
est le seul mode d'accès des maisons ordinaires sinon aisées.
162 J. REVAULT

Planche XXXVI

(DârLasram, rue du Tribunal). Triple console de pierre à bords incurvés — perspective et profil — (XVIIIe-
XIXe s.).
(Rue SidiEt-Tinji). Double console de pierre à bords sinueux (XVIIIe-XIXe s.).
l'habitation tunisoise 163

XVI- XVIIe siècles

Entrée du Dâr ' Othman (rue El-Mbazaa)

La survivance, dans les quartiers Sud de la Médina, de l'ancien palais du Dey 'Othmân (1598-1611),
permet d'avoir une idée précise de la beauté d'une architecture princière encore imprégnée de l'art des
souverains hafsides à peine disparus (1). Au-delà d'une façade de marbre clair dont l'originalité et la noblesse
étaient déjà frappantes, l'ampleur et l'heureuse ornementation de l'entrée, vaste drïba sur plan carré,
confirment l'aspect seigneurial de cette somptueuse demeure privée (fig. 52, 53).
« L'accès du Dâr 'Othman est défendu par une solide porte cloutée à deux battants encadrée de piédroits
et d'un linteau de marbre. Elle s'ouvre sur la drïba, pièce carrée au plafond élevé. Sur la droite une seconde
porte permettra de pénétrer à l'intérieur du palais par un couloir en chicane, la skïfa.
Le sol dallé de calcaire s'orne, au centre de la drïba, d'un carré entrelacé de pierre noire. Les murs se
creusent d'arcatures au-dessus des banquettes en maçonnerie aménagés autour de la salle d'entrée. Un grand
arc brisé outrepassé à claveaux noirs et blancs fait face à la porte et indique la place du maître. A gauche,
deux arcs jumelés dont la symétrie recherchée du côté opposé se trouve limitée à un seul arc par la petite
porte de la skïfa. La porte principale elle-même s'ouvre entre deux arcs plus étroits formant niche.
S'appuyant sur les banquettes murales qu'elles divisent de part et d'autre, des colonnes supportent la
retombée des arcs en marbre clair communs à l'ensemble du revêtement intérieur. Leurs chapiteaux sont
composites (2) — formés d'une couronne de huit feuilles verticales surmontées de quatre volutes — ou
hispano-mauresques comme ceux de la façade, de chaque côté du grand arc central. Les écoinçons de celui-ci
s'ornent d'un fleuron de marbre clair sur fond noir, à l'intérieur d'un large bandeau entrelacé. Des panneaux
de faïence polychrome colorent le devant et le fond des banquettes (3), contrastant avec la blancheur des
stucs qui les surmontent et des marbres qui les encadrent. Un plafond de bois peint couvre la salle d'entrée... (4).
Au Dâr 'Othmân c'était le cadre somptueux qui convenait aux audiences privées du Dey. Conformément
à l'usage, nombre d'affaires se traitaient en ce lieu et Kara-'Othmân devait se plaire à s'y entretenir avec ses
familiers et ceux de son entourage qu'il ne pouvait admettre dans l'intimité de son palais. Pour les uns et
les autres, tapis et coussins adoucissaient le contact trop rude des banquettes de marbre et de faïence ».
A l'intérieur de cette drïba princière il nous faut retenir l'un des éléments architecturaux les plus
intéressants qui relèvent des anciennes traditions ifriqyennes et se prêtent particulièrement à l'emploi du marbre et
de la pierre de taille (5) (fig. 54). Il s'agit de la niche murale à fond plat. Autour de la salle d'audience du Dey,
le rôle attribué à ce haut défoncement est parfaitement démontré, à la fois constructif et décoratif. Il en résulte
un déroulement d'arcades aveugles, non pas uniformes, mais diversifiées dans leurs formes et proportions qui
s'adaptent heureusement à l'aménagement des dukkâna. Nous observerons ailleurs toute l'importance que

1. Palais de Tunis, I, p. 93-117.


2. Ces chapiteaux cylindriques ornés d'acanthes ont été vraisemblablement exécutés par des artisans d'origine italienne.
L'intrusion du style européen ne fera que se développer aux siècles suivants.
3. Les panneaux de faïence murale de la drïba proviennent, comme ceux de l'ensemble du Dâr Othmân, d'aménagements
postérieurs à la fondation du palais (XVIIie-XIXe siècles). Certains carreaux de même époque ont été placés par les soins du
Service des Antiquités et Arts au moment de la restauration du bâtiment.
4. Ce plafond à décor floral ne paraît pas antérieur au XVIIIe siècle.
5. L'aménagement intérieur de la driba ne se conforme pas moins que son aspect extérieur aux principes de l'architecture
hafside que nous trouvons appliqués aux XVe et XVIe siècles, parements de marbre, arcs brisés outrepassés à claveaux noirs et
blancs, colonnes à chapiteaux hispano-mauresques ornés de palmettes, sont identiques à ceux de la Mîdhât es-Soltâne comme à
ceux du Mausolée de Sidi Kâsem el-Jalizi (fig. 54). Ailleurs, le goût en persistera même dans la driba moins spacieuse des grandes
demeures des XVIIe et XVIIIe siècles (Dâr Baïram Turki, Dâr Zarrouk).
G. Marçais, op. cit., II, p. 862, p. 891-893.
Planche XXXVII

i)$»lti^

( Dâr Zarrouk). Fond de la drlba porte de la skifa encadrée de calcaire et de pierre noire, entre deux niches
:

latérales à colonnettes sur dukkâna (XVIIe s.).


l'habitation tunisoise 165

les nakkâsha attachèrent à l'exécution de ces niches murales qui constituèrent longtemps l'ornementation
essentielle d'un patio, s'harmonisant avec les arcades d'un portique (1) ou suppléant à leur absence (2).

Entrée du Dâr Zarrouk (rue des Juges)

De plan également carré apparaît l'entrée de l'ancienne résidence mouradite connue ensuite sous le
nom de Dâr Zarrouk (3). Loin de présenter les proportions imposantes de la drïba du Dey 'Othmân, elle en
conserve néanmoins sous une forme réduite certains éléments caractéristiques — dallage, dukkâna, colonnes,
arcs à claveaux bicolores — qui ont permis aux tailleurs de pierre de montrer toute la mesure de leur art. Aussi
cette agréable antichambre ne devait-elle pas décevoir celui qui y était accueilli après avoir admiré au dehors
le style de la façade telle qu'elle a été décrite plus haut (PI. XVI II).
« A la grandeur de l'entrée correspond une première skîfa d'une rare élégance. Ce sera aussi la seule
partie de l'édifice dont l'aspect primitif aura été maintenu. De plan carré, elle comprend le dallage habituel (4)
surmonté d'un plafond de bois peint. Les quatre côtés opposent, deux à deux, la double symétrie de leur
assemblage de pierre bicolore. Vers la rue et la deuxième skîfa, ce sont les mêmes portes droites couronnées
d'une plate-bande appareillée en pierre claire et sombre (PL XXXVII), tandis que les murs latéraux se creusent
de deux niches à fond plat abritant une banquette en kaddâl (PI. XXXVIII).
De chaque côté de la dukkâna (5) s'élèvent, adossées à la face intérieure des montants d'encadrement des
niches, deux colonnettes jumelées à chapiteau hafside, au-dessous d'un arc brisé outrepassé à claveaux
bicolores. Le calcaire se répète en parement depuis la base jusqu'aux écoinçons et au tympan que rehausse un carré
à entrelacs de pierre noire. Entre la dukkâna et le tympan, le fond de la niche est lambrissé de faïence dont la
chaude polychromie atténue la sévérité de la pierre (6).
Ainsi relève-t-on dans cette skîfa les particularités architecturales et décoratives qui caractérisent le
style des cours et appartements tunisois à l'époque turque : prédominance de la pierre, rythme des formes
rectilinéaires et curvilignes, alternance des surfaces murales planes et des niches en arcature à fond plat (ou
des portiques) » (7).

Entrée du Dâr El-Haddad (Impasse et-Tobjia)

Aux époques turque et mouradite, une entrée d'apparence modeste se révélait parfois trompeuse. L'accès
du Dâr El-Haddad en est un exemple (8). On le découvre difficilement au bout d'une impasse —
transformation d'une ancienne drïba couverte ou non. Là s'éclaire, comme un puits de lumière {rokba), un étroit espace
que ferment vis-à-vis l'une de l'autre deux portes ordinaires, l'une communiquant avec Yex-driba, l'autre
avec la skîfa. Malgré l'étroitesse de ce couloir, on ne se rend compte qu'en y pénétrant du luxe passé de
l'habitation attenante (9).

1. Dâr El-Hedri, Dâr Baïram Turki, Dâr Romdane Bey, Dâr Balma, Dâr Temimi.
2. Dâr Bou Zaïane, Dâr Khojt el-Khil, Dâr Mouldi...
3. Palais de Tunis, I, p. 294.
4. Dallage formé de dalles rectangulaires à disposition concentrique (PI. XXXIX).
5. Chacune des deux dkâken est creusée de trois niches à arceau brisé. De petits motifs turquisants en marquent les deux
bords extrêmes, se répétant à la base des piédroits, tandis que les trois boucles traditionnelles acccompagnent les arcs du double
défoncement mural (PI. XXXVIH).
6. Ibid., mosaïques de petits carreaux de faïence de Qellaline — remplacés plus tard par des carreaux italiens.
7. On peut supposer que le style architectural maintenu seulement dans la ski/a, régnait aussi, autrefois, à l'intérieur du
patio et des pièces d'habitation.
8. Ibid., p. 169-196. Impasse Et-Tobjia.
9. Ibid., p. 172. De la rue Sidi Bou-Khrissan reliant la place du Ksar au Souk es-Serrâjine, l'ancienne drïba conduit à
l'entrée du Dâr el-Haddad, précédée par une rokba.
De part et d'autre de la rokba s'ouvrent, à droite, écuries et logements, à gauche, mausolée et magasins à vivres.
Planche XXXVIII

(Dâr Zarrouk). Côté droit de la drïba banquette de pierre sous niche à fond plat et arc brisé à claveaux
bicolores (XVIIe s.).
:
Planche XXXIX

(Dâr Zarrouk). Plan et dallage de la drïba — entre les deux dukkâna latérales (XVIIe s.).
168 J. REVAULT

« L'entrée du Dâr El-Haddad présente, du côté de la rokba, une porte cloutée à deux battants (bâb
sallùm bel-tajlïd) dans un simple encadrement de kaddâl et, vers le patio, une porte traditionnelle à portillon
{bâb bel-kamja). Ni façade monumentale, ni driba couverte, malgré l'importance du palais. Cependant, le
couloir d'accès en chicane, de dimensions restreintes, se compose de trois skïfa luxueusement décorées.
L'ensemble a recours au dallage de pierre habituel, au stuc mural et au bois peint des plafonds. Dans les formes
et le décor, le style hispano-maghrébin prédomine. Entre ses deux portes, la première skïfa est bordée d'une
dukkâna en keddàl percée de niches en arc brisé. Cette banquette recouverte autrefois de nattes ou de tapis
permettait de recevoir, à tout moment, amis et visiteurs ou de s'entretenir avec ses serviteurs. Elle a conservé
ses arcatures aveugles, arcature simple à gauche, double à droite, avec colonne médiane et chapiteau hafside.
Cette arcature se répétera dans les skifa suivantes avec son ornementation de plâtre ciselé selon le style
andalou ».
Il est clair qu'une certaine différence ressort des deux dernières entrées décrites ici, l'une dominée par
l'emploi de la pierre taillée, assemblée et sculptée, l'autre où stuc et faïence supplantent en grande partie la
pierre traditionnelle (1). On pouvait alors y voir une conséquence de la rivalité qui dut opposer de plus en
plus les défenseurs des anciens modes de construction ifriqyenne et les novateurs séduits par les apports
artistiques venus de l'Espagne musulmane (2).

Entrée du Dâr Romdane Bey (rue Bir el-Hajar)

A l'encontre du Dâr el-Haddad, le Dâr Romdane Bey ne présente aucune restriction dans
l'aménagement d'un accès qui se révèle aussitôt digne de l'ancienne résidence mouradite (3). A côté d'une place qui
porte son nom, celle-ci possède un passage privé (ou drîba extérieure) avec poterne et sâbât (4) dont les voûtes
s'arrêtent au-devant de la porte monumentale de type hafside (5) (flg. 12). Cette porte franchie, une première
salle carrée, couverte en voûte d'arête, accueille le visiteur, dès l'entrée. A la simplicité de cette drîba intérieure,
au sol dallé de calcaire et aux murs nus, succède le décor inattendu de la skïfa. On y pénètre, sur le côté
gauche, par une porte droite, encadrée de keddâl, surmontée d'une plate-bande appareillée et d'une imposte
barreaudée (fîg. 55).
De dimensions semblables à celles de la petite drîba à laquelle elle fait suite, la première skïfa surprend
par le luxe de son ornementation intérieure. Les portes de communication se font face — vers la 2e skïfa et
la bït al-drïba — entre deux côtés décorés symétriquement. La survivance du style andalou y est aussi
remarquable que dans la skïfa du Dâr Daouletli et du Dâr El-Mrabet dont la skïfa du Dâr Romdane Bey ne diffère
guère que par les proportions.
Simple couloir étroit et court, la dernière skïfa débouche sur la cour par la bâb bel-kamja traditionnelle.
En dépit du développement de l'ornementation hispano-maghrébine dans les défoncements muraux et le
plafond à caisson, la pierre soigneusement taillée, assemblée et sculptée a conservé ici un rôle important.
Autour du sol dallé, le calcaire rose forme les parties essentielles de la salle d'accueil : longues dukkâna aux
nombreuses alvéoles en arceau qu'encadrent des colonnes à chapiteau à méandres flanquées elles-mêmes, de part
et d'autre, du large cadre en kaddâl des portes ouvrant sur les pièces voisines. Il en résulte un réel équilibre
entre les endroits occupés par la pierre nue et les surfaces décorées de faïence ou de stuc. Aussi ne faut-il
pas s'étonner de découvrir ensuite l'imitation de cette disposition à l'intérieur des plus belles salles donnant
sur le patio.

1. Au Dâr el-Haddad, les arcs à claveaux de pierre ont été remplacés par des arcs en plâtre sculpté que complétaient
auparavant des lambris de mosaïques de couleurs. Ensemble de style hispano-mauresque dont on observera la similitude avec la
skïfa du Dâr El-Mrabet — aujourd'hui disparue — (Palais de Tunis, I, p. 222-241) (PI. XL, XLT).
2. Le goût du changement qui se manifeste ainsi prépare déjà l'avènement du style husseinite à tendance italianisante.
3. Ibid., I, p. 244-257.
4. Ou Sâbât al-Sayâra.
5. Supra.
L HABITATION TUNISOISE 169

Planche XL

9 1
El-Mr abet). Fond de la drlba : entrée de la skïfa encadrée de keddâl (XVIe-XVIIe s.).
170 J. REVAULT

XVIIP-XIXC siècles

Le nouveau style husseinite se manifeste nettement au XVIIIe siècle avec la configuration adoptée
désormais à l'entrée d'un palais ou d'une riche demeure citadine. Il n'y a plus d'alternative entre driba et skïfa
pour accueillir visiteurs et amis. A la driba seule sont alors dévolues ces fonctions, une drïba qui s'intègre
définitivement à toute entrée importante et dont la skïfa demeurera un simple couloir de prolongation et
d'accès en chicane vers la cour centrale.
Aussi bien, la drîba prend-elle maintenant figure de hall seigneurial, à plan généralement rectangulaire.
Au-delà du portail s 'ouvrant dans un arc brisé outrepassé, l'entrée devient une large allée d'accès qui aurait
également l'aspect d'une salle de réception grâce à sa double rangée de banquettes latérales. On y retrouve
alors les principaux éléments des lieux d'accueil précédents ; ces éléments sont essentiellement constitués
par la pierre de taille, depuis les dalles du sol — disposées transversalement — jusqu'aux dkàken — plus larges
— toujours percées d'une rangée de niches inférieures tandis que des colonnes jumelées reliées, à leur sommet,
par des arcs surbaissés, évoquent le souvenir des anciens défoncements à fond plat (fig. 55, 56). Ailleurs, murs
et voûte sont uniformément blanchis à la chaux, dépourvus le plus souvent de tout ornement (fig. 57).
Faut-il attribuer ce dernier changement à l'arrêt de l'immigration des Morisques au XVIIe siècle
entraînant le tarissement d'une inspiration artistique venue d'Espagne ? On doit alors constater que l'usage
traditionnel de la pierre n'a pas subi de pareille éclipse et que le kaddal conserve intégralement — sans plus — le
rôle que nous lui avons connu à l'époque mouradite, alors qu'il commençait à céder bien souvent une partie
de ses attributions antérieures au décor hispano-maghrébin (1). On trouvera donc peu de différence d'une
drïba à l'autre, leur premier rôle de lieu de communication étant de desservir non seulement l'habitation
principale par la skïfa, mais aussi le nouvel étage réservé aux hôtes — dâr al-dyâf — ce qui nécessitera
l'ouverture de deux portes distinctes, éloignées l'une de l'autre (2).

Entrée du Dâr Djellouli (rue du Riche)

Curieusement aménagée à l'angle de la rue du Riche et de la rue des Plaideurs, la drîba est une véritable
antichambre qui précède la skïfa conduisant à la cour intérieure des maîtres et à leurs appartements (3).
De part et d'autre du sol dallé de keddâl (4), s'allongent les dukkâna de pierre (5) creusées de niches que
divisent quatre colonnes médianes à chapiteau hafside au-dessous des voûtes d'arête. A ces voûtes pendent
encore aujourd'hui les chaînes des trois lanternes qui éclairaient autrefois les portes de communication
intérieure, celle de l'escalier, près de l'entrée, et celle de la skïfa, au fond de la drïba (6).
A cet endroit, Mahmoud Djellouli disposait, dit-on, de serviteurs et gardiens.
De cette drïba se rapproche la conception même de l'entrée du second Dâr Djellouli (rue Sidi Et-Tinji),
aussi bien que celle d'autres drïba réalisées entre le XVIIIe et le XIXe siècles comme le montreront les exemples
suivants.

1. Ibid., I et II, passim.


2. La porte de l'escalier menant au dâr al-dyâf se trouve le plus souvent à côté de l'entrée — à gauche ou à droite — l'étage
des hôtes étant toujours construit en façade. Rappelons que cette nouvelle annexe, à ses débuts au XVIIe siècle, n'était guère
accessible que par une petite porte indépendante donnant sur la rue, près de la porte principale (Dâr Hamadi Chérif, Dâr Ben
Mahmoud).
3. Ibid., p. 194-203.
4. Disposition longitudinale des dalles formant l'allée centrale contre-butées par des rangées latérales placées
transversalement.
5. Garnies autrefois de nattes en jonc, unies (sièges) ou décorées d'arcatures vertes et rouges (murs).
6. Porte droite à deux battants peints en jaune dont le cloutage et le double encadrement de pierre — linteau orné de trois
bouquets turquisants — rappellent les drïba du Dar Zarrouk et du Dâr Ben Salem.
L HABITATION TUNISOISE 171

Planche XLI

(Dâr Zarrouk). Driba. Porte de communication avec la courette (rokbaj d'accès à la skifa (XVIIIe s.).
172 J. REVAULT

Entrée du Dâr Zarrouk (rue des Juges)

Situé au voisinage du Dâr Djellouli, le Dâr Zarrouk possède une drïba plus longue, appelée à remplir
également la double fonction de passage et de salle d'accueil (1). Son originalité apparaît surtout dans ses
grandes dimensions et la répartition de ses différentes portes de communication intérieure.
« Les proportions de la drïba annoncent bien celles du palais qu'elle dessert (2). Drïba imposante, digne
d'un prince ou d'un dignitaire du Makhzen. Dallée et voûtée, elle surprend par la longueur de sa dukkâna
de pierre creusée de bkhïrïât (3) que domine en son milieu la niche murale marquant la place du maître (4).
Là aussi, apparaissent en faisceau les accès de toutes les parties du palais : à droite, se suivent les portes du
dâr al-dyâfet de l'habitation des maîtres que sépare une chambrette de gardien, à gauche celles des makhzen
(5) ; au fond, seuil surélevé de l'escalier raide (6) menant aux appartements de l'étage aménagé au-dessus de
la drïba. Mêmes portes droites (7) dont celles des maîtres ont conservé le beau cloutage sur fond jaune dans
un double encadrement de pierre (kaddâl et harsh).
Skïfa. La porte du logement primitif se dresse au milieu de la drïba (PI. XLI, XLII), vis-à-vis de la niche
médiane de la dukkâna. Une courette intermédiaire à ciel ouvert (wastïa, rokbd) sépare entre elles deux portes
de même style, celle de la drïba et celle de la skïfa ; devant celle-ci, trois marches en keddâl indiquent la
surélévation de la skïfa, couloir en chicane couvert en voûte d'arête et défendu encore par d'autres portes (8) ».
A la suite du portail de l'entrée qui s'ouvre aujourd'hui sur la rue des Juges dans un arc brisé outrepassé en
keddâl (9), les portes droites qui ferment les autres issues à l'intérieur de la drïba sont également encadrées
de calcaire. Un soin particulier a été apporté à l'ornementation des deux portes principales — habitation des
maîtres et appartements supérieurs — (10). Des motifs floraux turquisants y ont été sculptés à la base des
piédroits et à la surface des linteaux — cette décoration s'étendant encore à l'entrée de l'escalier, aux deux
extrémités des pilastres du double encadrement en grès coquillier (11).
Le keddâl n'est pas moins employé largement dans le dallage transversal du sol, les banquettes latérales
et extrême ainsi que les nombreuses marches précédant les portes de communication ou constituant le grand
escalier de l'étage (drûj), siège des dukkâna et marches présentant un même rebord arrondi (12).

1. Ibid., p. 154-186.
2. Drïba connue autrefois sous le nom de Drïba el-Grandou avant d'être appelée Drïba Si Mohamed el-Arbi Zarrouk.
3. Cette appellation désigne aussi bien les niches des banquettes à usage de siège ou de fourneau.
4. Alors que cette place de marque est l'objet d'une ornementation stuquée (encadrement et voûte d'arête), une seconde
niche plus simple est aménagée près de l'entrée à l'intention du gardien (baouâb) chargé d'ouvrir la porte de la drïba tenue
généralement fermée.
5. Porte aujourd'hui murée.
6. P. Ricard, Pour comprendre l'Art Musulman dans l'Afrique du Nord et en Espagne, Paris, 1924, p. 1 14 : «Les escaliers —
La construction maghrébine... ne connaît guère que Vescalier droit et l'escalier brisé. Le premier monte d'une seule traite. Le
second s'élève par volées successivement perpendiculaires ».
7. Portes à cloutage traditionnel sur fond jaune.
8. Couloir fractionné en trois parties, carré au début, rectangulaire et parallèle ensuite.
9. Au temps des Stamerad, l'entrée principale du futur palais Zarrouk devait occuper la même place que nous lui voyons
aujourd'hui ; seul le style différait et les étages supérieurs n'existaient pas encore. On peut imaginer une belle porte cloutée dont
'encadrement de pierre — à linteau droit et arc de décharge — correspondait à celui qui apparaît jusqu'à ce jour, de part et
Id'autre de la rue des Juges, sur les façades de l'ancien domaine Stamerad.
10. A l'entrée de la skïfa se répète cette décoration turquisante — piédroits — dans un encadrement de keddâl doublé de
harsh.
11. Mélange d'éléments turquisants et italianisants sculptés dans le calcaire, compartimentés et séparés par des moulures,
comme dans les portes extérieures de la période husseinite. Voir supra. S'ajoutant aux deux pilastres latéraux, une plate-bande
appareillée en grès coquillier surmonte l'ensemble.
12. La faïence italienne qui surmonte les dkâken et entoure certaines portes intérieures correspond à un «embellissement»
tardif de la drïba.
L HABITATION TUNISOISE 173

Planche XLII

1—
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r

r Zarrouk). Driba. Porte de la rokba : envers avec châssis (montants et traverses) — élévation, plan et
coupe.
174 J. REVAULT

Entrée du Dâr Ben Abd-Allah (Rue Ben Abd-Allah)


Alors que la skïfa reste le seul mode d'accès traditionnel des habitations ordinaires, nous constatons
l'extension prise au XVIIIe siècle par la dnba sous forme de vaste hall d'entrée chez les citadins les plus
fortunés, innovation devenue indispensable à leurs besoins et à leur dignité (1) (fig. 55). En réalité nous savons
que cette innovation va de pair avec une autre création, celle de l'étage des hôtes qui repose sur les voûtes
agrandies de l'entrée et des makhzen attenants (2). Malgré son accroissement, le bâtiment réservé aux
étrangers — hôtes et visiteurs — ne se maintient pas moins à l'écart et au-devant de la demeure familiale.
Cette disposition est particulièrement visible au Dâr Ben Abd-Allah, la superposition drïba-dàr al-
dyâf ressortant de l'aspect même de la façade, sur la cour extérieure (3). « Vaste antichambre rectangulaire
donnant sur la place el-Ouez, la drïba comprend, au fond et sur le côté gauche, deux issues vers le rez-de-
chaussée (fig. 56) et l'étage. Un dallage de calcaire s'étend entre les banquettes en maçonnerie et keddâl (4),
aménagées dans des niches à fond plat, au-dessous d'une voûte d'arête et de deux voûtes en berceau
consolidées par des arcs doubleaux.
La plus grande fantaisie a présidé au décor composite de cette pièce : portes traditionnelles à heurtoirs
et cloutage andalous dans un double encadrement de marbre blanc et de couleur où se mêlent
l'ornementation turquisante des piédroits et la coquille italianisante du linteau. La base et le fond des dukkâna s'ornent
de carreaux de faïence tunisoise de types divers — andalous, espagnols, turcs et italiens » (5).
Au-delà de la drïba, entre les deux portes de la skïfa (6), apparaît la niche d'une citerne richement
encadrée de marbre sculpté dans le style italianisant que l'on avait tenu à imposer dès l'entrée.
L'aménagement intérieur de la drïba Ben Abd-Allah montre un autre aspect de l'évolution du hall d'accès
entre le XVIIIe et le XIXe siècle. La principale raison des nouveaux changements intervenus ici réside dans
le goût immodéré d'une ornementation abondante — faïence, marbre et stuc. L'usage du keddâl se réduit à
couvrir sol et banquettes (7). Au fond de la drïba, la tradition n'a été respectée que dans la porte cloutée à deux
battants. En effet, le double encadrement — keddâl et harsh — tel que nous l'avons vu, à la même place, au
Dâr Djellouli et au Dâr Zarrouk, a été modernisé et enrichi par l'emploi exclusif du marbre d'Italie, marbre
clair rehaussé de marbre de couleur — rouge — à l'endroit des pilastres. A la base et au sommet de ceux-ci
on a bien sculpté encore des motifs turquisants et italianisants mais le linteau a pris la forme d'une corniche
moulurée que surmonte une lourde coquille entre deux volutes, objet d'une prédilection nouvelle (8).

Entrée du Dâr El-Monastiri (rue El-Monastiri)


A l'autre extrémité de la cité, dans le quartier de Bâb Souika, et de Sidi Mahrez, se renouvellent des
drïba de même style que celles qui ont été décrites dans la partie Sud de la Médina.

1. Avec l'adoption de la drïba sous sa nouvelle forme — hall-antichambre — tend à disparaître l'ancienne drïba extérieure,
ruelle privée semblable à un sâbâf (fig. 57).
2. On sait que le dâr al-dyâf présente des avantages de plus en plus appréciés des maîtres qui préfèrent alors en faire leur
lieu de séjour habituel (srâya), abandonnant l'habitation traditionnelle aux membres âgés de leur famille.
3. Palais de Tunis, H, p. 99-121.
4. De taille rectangulaire, les dalles de pierre sont placées par rangées parallèles à la porte d'entrée et perpendiculaires aux
murs de la drïba qui les contrebutent et en maintiennent la fixité.
5. Cette décoration semble avoir été l'objet de divers remaniements jusqu'au début de ce siècle : motifs géométriques et
floraux répétés en jeux de fond ou dans des bandes d'encadrement, vases à bouquets et rinceaux remplissant des panneaux
semblables aux ornements stuqués des tympans et des voûtes.
6. Porte à cloutage et anneaux de cuivre donnant sur le patio. Carré grillagé de petits éléments de bois tourné et ajusté en
moucharabieh.
7. Des dukkâna ont disparu niches inférieures et colonnes de calcaire.
8. L'emploi de la coquille apparaît surtout à partir du XVIIIe siècle sur les linteaux de marbre des palais tunisois et de
certains monuments religieux (Dâr Hussein, Palais et Mosquée du Bardo, Palais de la Manouba, Médersa Bir El-Hijar, Maristan
'Aziza 'Othmana).
l'habitation tunisoise 175

La drïba du Dâr El-Monastiri compte parmi les plus intéressantes de l'époque husseinite (début du XIXe
siècle) (1). Derrière le grand portail clouté et son encadrement de pierre sculptée, le hall de l'entrée s'apparente
à celui du Dâr Djellouli dans sa physionomie générale. On y a conservé le goût du keddâl non seulement
dans le dallage du sol mais aussi dans les colonnes qui devaient partager autrefois les dkâken — aujourd'hui
disparues — sans compter les encadrements de portes à linteau droit réparties de part et d'autre de la drïba.
« En dépit des modifications apportées à la configuration des lieux et rendues inévitables par des
affectations nouvelles, on peut reconstituer aisément l'aspect originel de l'ancienne driba et de la skïfa attenante.
La drïba forme, dans l'axe de la porte d'entrée, une large pièce rectangulaire dallée de calcaire et couverte
de voûtes en berceau sur doubleau et colonnes latérales jumelées (2) — colonnes surélevées en keddâl avec
chapiteau à volutes, que devaient séparer auparavant des banquettes de pierre (dukkâna) (3). De chaque côté,
s'ouvrent les portes de communication intérieure, à gauche (fig. XLIII) vers la skïfa en chicane — pourvue
d'un puits et d'une citerne — débouchant sur le patio, à droite près de l'escalier de l'étage (dâr al-dyâf), ces
deux portes droites étant également cloutées dans un double encadrement de pierre (4) ; celle de la skïfa
oppose le décor traditionnel de son cloutage andalou aux sculptures sur bois italianisantes de la bob bel-
kamja — divisée en panneaux — fermant l'autre extrémité d'accès au patio (5) ».
Vers la fin du siècle dernier, l'imitation, par les Dignitaires de la Cour beylicale, des hôtels bâtis à
l'italienne, leur fait adopter une entrée avec drïba assortie au nouveau style occidental. Le hall d'accès s'élargit
encore et devient exclusivement lieu de passage flanqué d'une ou deux antichambres réservées aux audiences
et visites masculines (6). En même temps l'usage de la pierre locale disparaît complètement comme
disparais ent banquettes et colonnes traditionnelles, seul le marbre d'Italie étant désormais admis pour le dallage
uniforme du sol, d'un bout à l'autre des nouveaux bâtiments.

Cour intérieure

Dans toute habitation tunisoise, riche ou pauvre, la cour intérieure (wust al-dâr) est le véritable centre
familial. Toutes les issues de la maison convergent là depuis la porte de la skïfa jusqu'à celles des chambres
(bït) et des communs (dwïrïya, makhzen).
Le sol n'y est jamais en terre battue, mais soigneusement dallé au-dessus des citernes que protège un
dallage séculaire. Entre ses murs simplement blanchis à la chaux sinon revêtus de calcaire régulièrement
taillé et assemblé, un oranger ou citronnier vient souvent égayer le milieu de la cour de son feuillage toujours
vert, de ses fleurs ou de ses fruits. A l'écart du bruit et de l'animation de la rue, le plus grand calme règne
dans chaque patio, indépendant de ses voisins. L'air et la lumière s'y renouvellent constamment, pénétrant
jusque dans les appartements.
Le matin, après le lavage du sol à grande eau, les femmes s'installent sur une natte — un tapis ou une
peau de mouton — - pour s'adonner aux travaux ménagers, tandis que leurs enfants s'ébattent joyeusement
autour d'elles. Au terme de sa journée de travail, le premier spectacle qui s'impose aux yeux du maître
lorsqu'il rentre chez lui est ce patio rempli d'une vie familiale dont il retrouve avec joie le charme en toute quiétude.

1. Palais de Tunis, II, p. 370-386. Construction sous le règne de Mahmoud Bey (1814-1824).
2. Colonnes reliées entre elles par des arcs surbaissés. Voûtes ornées de grands motifs husseinites en naksh-hadïda — étoiles
et cyprès.
3. Soubassement mural orné de faïence de Qallaline à dominante verte et jaune.
4. Porte de skïfa plus grande que celle de l'escalier ; cloutage décoratif important — arceaux, étoiles, cyprès, triangles,
croissants.
5. Porte traditionnelle à portillon divisée en panneaux rectangulaires et carrés, sculptés et moulurés. Guichet fait d'une
grille en moucharabieh (assemblage de petits éléments en bois tourné).
6. Meublées de banquettes en bois à dossier et accoudoirs. Des anciens modes de construction ne survit guère que la voûte
— voûte d'arête parfois aplatie — avec décor traditionnel en naksh-hadida. Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
176 J. REVAULT

Planche XLIII

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( Dâr El-Monastiri) . Driba. Porte latérale encadrée de pierre communiquant avec la skîfa (XIXe s.).
l'habitation tunisoise 177

On s'y satisfait de la principale vue du carré de ciel qui vous domine et qui semble vous appartenir en
propre, variant selon les saisons et les heures du jour. On se plaît aussi à y contempler les nuits étoilées et à
y reposer en paix après les chaudes journées d'été.
Indépendance, tranquillité, air et lumière, tels sont les bénéfices que procure le patio à chaque famille
tunisoise au point que celle-ci n'aurait pu concevoir un autre mode de vie durant longtemps (1). Aussi bien
en trouva-t-on la coutume également appliquée dans toutes les autres villes du Maghreb et de l'Orient (2).

XVr-XVIP siècles
Devant l'intérêt particulier que présentait jadis la cour intérieure il est naturel que l'on se soit efforcé
de l'agrémenter et de l'embellir le plus possible. C'était y rendre le séjour habituel plus agréable sans oublier
le profit que pouvaient en tirer les appartements, voire les cuisines, qui n'avaient d'autre vue au dehors que
celle du patio.
Durant plusieurs siècles, les tailleurs de pierre restèrent les principaux artisans responsables de ces
embellissements intérieurs comme ils l'étaient pour les façades extérieures (3). S'il s'agissait seulement d'une
habitation ordinaire, on considérait déjà comme un luxe inappréciable de disposer d'une courette au sol couvert
de solides dalles en keddâl, autour duquel la même pierre de taille encadrait joliment les différentes portes
droites ouvrant sur la cour ; le contraste de la teinte gris-rose ou mauve du calcaire et de la blancheur des
murs suffisait à donner à l'intimité de cette modeste cour un aspect net et accueillant. Rompant l'uniformité
des murs, il s'y ajoutait parfois un défoncement, véritable niche à fond plat réservée au puits ou à la citerne
à margelle surélevée (4).
Cette disposition élémentaire servira alors de base à des aménagements plus ou moins luxueux qui
conserveront, jusqu'à la fin de l'époque turque et mouradite, l'usage de la pierre — plus rarement du marbre —
comme l'élément essentiel du patio tunisois. Avec cette parure de pierre les patios de Tunis atteindront une
originalité et une diversité remarquable permettant de juger de la valeur des nakkasha qui y donneront toute
leur mesure. Dans l'application de leur art à l'ornementation d'une cour on peut alors distinguer les formes
suivantes, autour d'un dallage commun (5) :
— revêtement des murs creusés de hautes niches à fond plat avec des rangées d'assises en keddâl —
alternées étroites et larges ;
— adjonction au revêtement précédent soit d'une loggia haute, soit d'un portique à arcs brisés
outrepassés — portique unique, sinon double ou triple (6) — Au portique inférieur peut enfin s'ajouter une galerie
.

supérieure, tantôt simple ou doublée, tantôt circulaire.


La réalisation de ces trois thèmes donnera lieu à une grande variété d'interprétation, au gré des artisans
et de leurs commanditaires, diversité de bon aloi dans un même style que ne connaîtront plus les patios

1. Au sujet de l'origine du patio tunisois dans la maison gréco-romaine et orientale, voir Palais de Tunis, I, p. 44-52.
2. Alger, Constantine, Fès, Marrakech, Le Caire, Damas, Alep.
3. Ibid, passim.
4. Ibid, voir Dâr Ternane, p. 300-301.
De riches demeures tunisoises n'ont parfois possédé qu'une cour d'aspect simple dont l'importance ressort seulement
de la hauteur inhabituelle de ses murs.
5. G. Marçais, Manuel d'art Musulman, Paris, 2, 1927, p. 891. « ... là apparaissent des dispositions nouvelles, dont une du
moins, la superposition d'assises larges et d'assises minces, semble bien une importation des Almohades. L'époque moderne
conservera ces méthodes d'appareil décoratif ; l'alternance des assises larges et minces est assez fréquente ; la juxtaposition des
assises et des claveaux sombres et clairs — marbre noir et pierre blanche — l'est beaucoup plus ; elle aussi pourrait se rattacher
à des traditions fort anciennes en Ifriqya».

6. L'introduction du péristyle ne semble pas avoir existé à Tunis avant le XVIIIe siècle. On se serait alors limité au portique
à trois côtés — cas unique en Afrique du Nord — le quatrième côté étant occupé par l'escalier de l'étage que dissimule la plus
belle façade intérieure, à l'opposé des pièces principales {bit râs al-dâr).
178 J. REVAULT

des constructions husseinites. Nous reconnaîtrons l'usage des mêmes éléments, quelles que soient les
proportions des cours qui y auront fait appel, leur adaptation à des cas très différents se trouvant ainsi largement
prouvée. La démonstration en sera fournie ici avec la présentation d'exemples qui seront donnés selon un
ordre progressif.

Cours avec façades intérieures à défoncements (ou niches à fond plat)


Une cour sans portique peut aussi bien appartenir à une maison modeste qu'à une grande demeure.
Cependant les différences de proportions n'en modifient guère la disposition générale qui reste soumise à des
normes traditionnelles.

Dallage du sol

On sait qu'après avoir creusé et construit citernes et puits, en même temps que les fondations de toute
nouvelle habitation, on se préoccupe tout d'abord d'aligner autour du sol du patio en terre battue une bordure
en keddàl de faible hauteur (màdda) qui servira de niveau à l'ensemble des travaux (1). C'est seulement à la
fin de ceux-ci — après l'installation des appartements — que la pose du dallage est exécutée sur une couche
de sable. Les dalles, de forme généralement rectangulaire, auront été préparées, à l'avance, par les nakkàsha
avec face unie et envers grossièrement taillé (fig. 10). Compte tenu du niveau régulier de la màdda, une légère
pente est ménagée à la surface du dallage — comme celle des terrasses — afin de faciliter l'écoulement des
eaux de pluie aussi bien que des eaux usées. A cet effet, une petite dalle percée de trous (maskûka) est placée
à l'extrémité inférieure de la cour pour permettre l'évacuation des eaux du sol vers les égouts (khandak) (2).
La pose des dalles n'était pas effectuée au hasard ou selon la fantaisie de chacun. Elle se conformait
toujours aux mêmes règles, résultat d'une longue expérience, destinées à assurer la fixité du dallage et sa
résistance à l'usure et aux intempéries. La disposition traditionnelle apparaît alors selon un plan cruciforme ;
les branches de la croix forment deux allées transversales — correspondant aux deux axes de la cour. Le
compartimentage des intervalles est garni de rangées successives de dalles dont la formation angulaire vient
contrebuter et affermir la croisée de l'allée centrale (fig. 65, 66, 76). La qualité de cette méthode de
construction, héritée de lointaines traditions, se trouve confirmée jusqu'à ce jour, la durée du dallage en keddàl d'une
cour excédant bien souvent celle des bâtiments qui l'entourent (3).

Cour du Dâr Riahi (rue Sidi Bou Khrissan, impasse du Chanteur)

Nous connaissons déjà la belle entrée de cette demeure située dans l'ancien quartier aristocratique des
Beni-Khorassan remis plus tard en honneur par les Dignitaires turcs (4).
De la porte à linteau droit sous arc de décharge (5), on accède, par une skïfa en chicane, à l'intérieur de
l'habitation en contrebas. De dimensions restreintes, celle-ci est caractéristique d'une élégante architecture
aux parements de calcaire à sa mesure (6). « Simplicité de la cour dépourvue de portique au rez-de-chaussée
et à l'étage ; mais l'emploi de la pierre soigneusement taillée et l'heureuse combinaison des courbes et des

1. On craindrait d'abîmer le dallage de la cour par une installation prématurée, le sol nu étant préférable pour le dépôt
des matériaux, la préparation du mortier, etc.
2. Supra.
3. Il en est de même des citernes si solidement construites et voûtées en sous-sol qu'elles peuvent être utilisées par plusieurs
générations qui se succèdent au même endroit.
4. Supra.
5. Au tympan décoré d'une étoile à huit branches incrustée de marbre blanc et noir.
6. Palais de Tunis, I, p. 271-272.
l'habitation tunisoise 179

droites n'y apportent pas moins une sobre distinction. Déjà, à l'angle du patio, l'originalité de l'accès à la
skïfa ressort du remplacement de l'ouverture rectangulaire, mieux connue {bâb bel-kamja) et généralement
assez basse, par une ouverture plus élancée que termine un arc outrepassé s 'appuyant sur une colonne de
marbre cantonnée à chapiteau hafside. A l'opposé lui répond une gracieuse façade de pierre dissymétrique
dans laquelle l'arc cintré d'un claustrum et l'arc brisé d'une niche à fond plat se juxtaposent aux linteaux droits
des portes et fenêtres de la pièce principale (1).
Les faces latérales contrastent avec la précédente par leur aspect rectilinéaire sinon par la symétrie de
la porte entre deux fenêtres, telle que la présente la seconde chambre dont les parements extérieurs en keddâl
dépassent le niveau des linteaux (2). A l'intérieur des chambres un défoncement médian tient lieu de kbù.
S 'ouvrant entre puits et citerne, la cuisine fait suite à une petite pièce (bit al-manjal) au sol surbaissé
pouvant servir également de chambre de domestiques ou de resserre à provisions dont l'étage devait être
le complément ».
De cette maison de proportions modestes mais digne cependant d'un notable, on retiendra en plus de
la porte extérieure, la façade sur cour qui présente, côte à côte, les deux éléments architecturaux typiques
de l'époque turque-mouradite : porte à linteau droit sous claustrum avec arc cintré à claveaux rayonnants,
et longue niche à fond plat terminée par un arc brisé outrepassé (3). Eléments uniques ici mais essentiels dont
on verra ailleurs la répétition autour d'une cour plus spacieuse.

Cour du Dâr Chaouch (rue Torbet el-Bey, impasse du Saint)

Dans un autre quartier de la Médina, à proximité de Bâb Jdid, la cour du Dâr Chaouch présente une
façade intérieure de même style que celle du Dâr Riahi (4). La porte extérieure richement sculptée ne lui est
pas contemporaine, mais indique cependant l'aisance passée du propriétaire en dépit des proportions de
son habitation qui ne dépassent guère celles de la maison précédente (5).
Avec son revêtement de calcaire, la façade intérieure à double ouverture — située à droite en entrant —
semble avoir été aménagée spécialement à cet endroit, face à la chambre principale — avec kbù — ouvrant
sur la cour et orientée au Sud-Est (6). Malgré certaines altérations tardives qui en modifient un peu l'aspect
originel (7), on reconnaît, d'un côté (à droite) la grande niche à fond plat et arc brisé outrepassé abritant une
dukkâna (8), de l'autre (à gauche) une porte à linteau droit que surmontait auparavant un claustrum dans un
arc cintré (9). Les autres façades ne présentent qu'un intérêt secondaire avec leurs portes et fenêtres droites
répondant également à des restaurations postérieures à la fondation du Dâr Chaouch.

1. On peut imaginer que la fenêtre, qui apparaît ici au-dessous de la niche à fond plat, n'a pas toujours existé, cette niche,
à l'origine, se prolongeant sans doute, vers le sol, en arcature aveugle.
2. Il est certain que cette seconde façade, située à droite de la façade principale dont elle diffère entièrement, correspond à
un aménagement ultérieur. En effet, il est permis de supposer que cette demeure, dans son aspect primitif, ne comportait pas de
fenêtre, sinon de petites dimensions. Dans la façade principale, le claustrum en tenait lieu.
3. De même qu'à l'entrée, une moulure souligne ici les formes de la porte et du défoncement qui l'accompagne, complétée
par une boucle au sommet du claustrum, de deux boucles latérales et d'une double boucle supérieure autour de l'arc de la niche
à fond plat. La discrétion du motif sculpté à la base des piédroits confirme encore l'ancienneté de cette façade intérieure,
contemporaine de la façade extérieure.
4. Ibid, p. 299.
5. Ibid. Porte à linteau droit richement sculpté de rinceaux que surmonte, dans une moulure, une inscription pieuse «Bismillah
er Rhaman ou er Rhaïem... »
6. Ibid. Ici la façade principale ne correspond qu'à une chambre secondaire qui n'en est que le support, au profit de la
plus belle chambre située à l'opposé.
7. Des fenêtres inexistantes auparavant, ont été ajoutées, notamment à l'intérieur de la niche à fond plat.
8. Percée, sur le dessus, de la bouche d'une citerne (mâjen), et sur le devant, du soupirail d'une cave.
9. L'ancien claustrum renferme aujourd'hui une grille à volutes et son encadrement de pierre cintré se dissimule sous un
badigeonnage à la chaux, tandis que le cadre originel de la porte a été remplacé comme ailleurs par des montants et un linteau
moins larges.
180 J. REVAULT

Dans les deux exemples d'habitation simple examinés ici, un même souci apparaît de mettre en évidence
la plus belle façade intérieure afin d'en profiter le mieux possible. Aussi la voyons-nous exposée soit en face
de l'entrée (Dâr Riahi), soit vis-à-vis de la chambre principale et de son kbù (Dâr Chaouch). Cette
préoccupation ne manquera pas de se manifester de la même façon lorsqu'il s'agira d'une demeure plus
importante (1).

Cour du Dâr Rassâ'a (rue des Tamis)

Edifiée au cœur même de la cité, la belle demeure des Rassâ'a en fut certainement l'une des plus
importantes et des plus anciennes (2). L'aspect imposant de la porte d'entrée (3) et celui de la cour intérieure
confirment cette impression. La qualité des vestiges que l'on y a conservés permet de supposer qu'ils appartiennent
à l'architecture hafside elle-même puisque la fondation de l'habitation familiale des Rassâ'a remonterait
sans doute à l'époque de leur venue à Tunis (XVe siècle) (4).
« Près de l'entrée, la skïfa montre encore, sur son côté droit, un grand arc massif outrepassé, avant
d'aboutir à la cour intérieure par une porte rectilinéaire.
Autour du patio dallé de pierre et agrémenté d'orangers, les hautes façades en keddàl précédaient iadis
de somptueux appartements exclusivement situés, semble-t-il, au rez-de-chaussée.
La survivance de l'architecture hafside y est frappante et son exemple a pu déterminer les nombreuses
répliques de même style que les notables « beldis » ont adoptées dans les belles demeures environnantes.
De ces façades, deux prototypes — qui devaient se reproduire symétriquement sur le mur opposé —
apparaissent à peu près intacts, au fond et à droite de l'entrée. Au fond : porte médiane à linteau droit entre
deux hautes niches à fond plat dont l'arc brisé outrepassé enferme un décor de plâtre sculpté de motifs
octogonaux ; à droite, le centre de la façade se compose, pour la première fois, de la superposition d'une colonne
de marbre à chapiteau hafside entre deux arcs outrepassés et d'une fenêtre géminée aveugle à colonnette
médiane. Puits et citerne leurs font face, au-devant des anciennes dépendances qui devaient se trouver à
proximité ».
Ces deux façades associent la symétrie et la grandeur architecturale à une heureuse diversité (5). La
symétrie est obtenue par la répétition des mêmes portes axiales à linteau droit sous imposte cintrée à clavage
rayonnant que surmonte parfois une plate-bande appareillée dans un cadre mouluré. La diversité résulte
du recours du constructeur à des types d'arcatures différents auprès de chacune des portes, contrastant dans
leurs proportions et leurs formes. Côté Nord-Est (face à l'entrée), la porte est flanquée de deux défoncements
semblables, larges et hauts, que traverse une plate-bande moulurée au-dessous de l'arc brisé outrepassé à
trois boucles ; côté Sud-Est, l'arcature jumelée à colonne médiane sous plate-bande moulurée constitue
l'élément le plus original de cette façade (6) avec fenêtre géminée à l'étage (7). A rencontre des deux niches à fond
plat, qui encadrent la porte Nord-Est, cette arcature n'apparaît que d'un côté (à gauche) de la porte Sud-
Est. Doit-on regretter la disparition d'autres éléments de même nature avec lesquels un ensemble architectural
aurait été recherché à l'origine ?

1. Dâr Baima, Dâr Temini, Dâr El-Hedri, Dâr El-Haddad.


2. Ibid, I, p. 306-307.
3. Supra.
4. Ibid, p. 306, R. Brunschvig, op. cit., p. 32. « Les Banu Rassâ'a figurent parmi les ulémas de familles illustres et respectées
sous le règne des Deys et des Beys Mouradites. L'un d'eux, Abu Yahia ar-Rassâ'a, « imam hatib», exerça à Tunis les hautes
fonctions de Saih el Islam ».
5. Les revêtements de kaddâl correspondant au rez-de-chaussée atteignent à peu près la même hauteur.
6. Peut-être abritait-elle jadis une banquette de pierre.
7. Cette fenêtre géminée — avec colonnette à chapiteau hafside — devait s'ouvrir sur une chambre haute, comme le Dâr
Bou Zaïane en offre d'autres exemples.
l'habitation tunisoise 181

Le Dâr Rassâ'a appartient à un ilôt de la vieille aristocratie tunisoise, à proximité de la Grande Mosquée,
compris entre la rue de la Kasbah, la rue des Tamis et la rue Souk el-Ouzar (1). On rapporte qu'à l'intérieur
de ce quartier privilégié — desservi par plusieurs drïba — les Rassâ'a, dont on connaît le rang élevé et la
fortune, auraient possédé autrefois d'autres belles habitations ; ceci expliquerait la diffusion particulière de
l'architecture hafside dans ce milieu urbain comme nous le montrerons plus loin (2).

Cour du Dâr Bou Zaïane (rue El-Arian)

Entre la rue Torbet el-Bey et la rue Souk el-Blat un autre quartier aristocratique renferme d'anciennes
demeures dont certaines ne semblent pas éloignées de l'époque hafside. C'est le cas du Dâr Bou Zaïane (3)
qui mérite d'être présenté à la suite du Dâr Rassâ'a. Rue El-' Arian, une belle porte cloutée sous linteau
richement orné — avec arc de décharge — révèle déjà au passant toute l'importance de l'habitation qui lui reste
cachée (4) (PI. XXII).
Une skifa en chicane pourvue d'une dukkâna en keddâl et décorée de stuc aboutit au centre de l'ancienne
demeure (5). Malgré son état d'abandon et l'absence de portique — comme dans les habitations précédentes —
la cour à ciel ouvert du Dâr Bou Zaïane donne une haute idée de l'architecture domestique de style hafside
(fig. 61, 62). « Spacieuse, claire, aérée, apparaît la grande cour intérieure. Ni galerie, ni arbre fruitier ne
viennent en réduire les proportions ni en rompre l'harmonieux équilibre. Un revêtement de pierre savamment
assemblée, parfois rehaussée de marbre blanc et noir y est l'élément dominant ; le thème favori des patios
de l'époque turque — comme de l'époque précédente — jouant de l'alternance des droites et des courbes,
est remarquablement traité et apparente celui-ci à d'autres cours ayant appartenu à l'aristocratie tunisoise.
Le sol dallé de keddâl distribué selon un plan cruciforme si fréquent présente un ornement central
proportionné à ses larges dimensions : grand carré de marbre incrusté en son milieu d'un entrelacs de marbre
noir qu'entoure une bande de motifs à bâtons rompus, blanc sur noir, tandis que les quatre angles extérieurs
semblent avoir été agrémentés, auparavant, de carreaux de faïence polychrome (fig. 61).
De part et d'autre de ce tapis de marbre, deux carrés plus petits, ornés d'une figure octogonale à quatre
boucles marquent l'entrée des chambres latérales (6) dont le seuil est également décoré d'un cercle noir
rattaché par quatre boucles au carré qui l'encadre. Autour de ce parterre, les façades de la cour montrent une
symétrie qui, même approximative, n'en diminue ni la beauté ni le charme. La recherche de l'équilibre architectural
y est, en effet, évidente, suivant certaines règles déjà exposées. Elle s'appuie, en premier lieu, sur la régularité
des surfaces murales revêtues de kaddâl, dont une moulure limite la hauteur commune à même distance
des terrasses.
Le souci de la symétrie ressort ensuite d'un angle de la cour à l'autre, qu'une diagonale réunirait suivant
un axe Est-Ouest, similitude des façades s'opposant alors deux à deux : d'une part, les façades orientées au
Sud-Ouest et au Sud-Est, d'autre part, celles tournées vers le Nord-Est et le Nord-Ouest (fig. 61). Les premières
sont les plus importantes : deux portes à linteau droit surmonté d'un claustrum cintré s'intercalent entre deux
hautes niches à fond plat et arc brisé outrepassé à claveaux bicolores (7). Elles correspondent aux chambres

1. Ibid., I, pi. LXVIir.


2. Ibid, I, Dâr Dennouni, Dâr Melliti, etc.
3. Ibid, I, p. 277-282. Le terme Bou Zaïane provient de l'intérieur de la Tunisie. Cf. R. Brunschvig, I, p. 261. Prise de Tlem-
cen par le Prince Abdelwadide Abou Abdallah ben Abi Zayyan (1462).
4. Supra.
5. Ibid, p. 279. Le couloir d'accès intérieur comprend trois skifa dallées de pierre. Près de la porte d'entrée, la lre skifa
est meublée de niches en arcature garnies de dukkâna.
6. Ibid, p. 281. Quatre chambres ouvrent sur la cour, les plus grandes disposées vers le Sud et l'Est, les plus petites vers le
Nord et l'Ouest. A l'origine, elles ne semblent avoir été éclairées que par la porte et son claustrum, des fenêtres ayant été ajoutées
plus tard à l'intérieur des arcatures.
7. Ibid, p. 281 Les deux façades principales ont adopté un même ordre de succession de leurs éléments essentiels : 1 . porte de
communication, 2. arcature, 3. porte de chambre, 4. arcature.
.
182 J. REVAULT

principales que flanque, sur le côté, une communication vers l'extérieur (skïfa) ou l'intérieur (mjâz). Bien
qu'elles appartiennent à des chambres secondaires, les autres façades présentent les mêmes éléments
architecturaux — portes droites et arcatures — auxquels s'ajoute, à la partie supérieure extrême, une élégante
fenêtre géminée (fig. 62) (1). Faites de calcaire ou marbre clair, ces deux fenêtres possèdent une colonnette
médiane à chapiteau hafside et turc supportant deux arcs outrepassés à claveaux bicolores (2). Symétrie
encore dans l'uniformité des quatre portes axiales des appartements dont les dimensions et la robuste
simplicité dépassent celles des portes de communication et de dépendances. Identité aussi des deux niches qui
s'opposent aux deux extrémités de la cour, l'une réservée à la citerne — près de la skïfa — l'autre au puits —
à côté de la dwïrïya. L'unité d'aspect de la cour résulte enfin du choix de son ornementation : au décor
géométrique du sol — carré entrelacé, octogones et cercles de marbre blanc et noir — répond un décor
géométrique mural limité avec la même sobriété, aux seuls tympans des arcatures — plâtre sculpté de réseaux losanges
ou de la répétition de cercles entrelacés — sinon à l'encadrement des fenêtres géminées ».
L'examen de la cour du Dâr Bou Zaïane montre quel développement architectural on pouvait atteindre
avec l'emploi répété de deux éléments de base : porte à linteau droit sous claustrum cintré et défoncement
à arc brisé outrepassé.
En effet, on ne se contente pas toujours ici d'une seule porte médiane flanquée d'une ou deux niches
à fond plat, deux portes pouvant alterner, sur certains côtés, avec deux défoncements semblables ou inégaux.
Si l'on veut retrouver la physionomie primitive des lieux, il est nécessaire de faire abstraction des nouvelles
ouvertures que l'on a multipliées autour de la cour — portes et fenêtres (3) — notamment à l'intérieur des
niches à fond plat, au détriment des dukkàna qui en garnissaient la partie inférieure (4). Il faut également
imaginer ouvertes les deux gracieuses fenêtres géminées qui s'éclairaient auparavant sur la cour, les seules
chambres hautes, dominant, l'une la porte de la skïfa, l'autre celle de la dwïrïya.
Dans ce cadre harmonieux et lumineux, une paisible activité devait se renouveler chaque jour, en l'absence
du maître, les esclaves noires vêtues de tuniques de laine rouge ou indigo serrées à la taille, s'affairant entre
les chambres et les communs pour répondre aux ordres de la maîtresse de maison ou de sa préposée (kom-
manjïya) .

Cour du Dâr Dennouni (Impasse Bou Hachem, rue de la Kasbah)

Situé à l'intérieur de l'ilôt que borde le Dâr Rassâ'a, le Dâr Dennouni compte également parmi les plus
anciennes demeures de notables rassemblées dans ce quartier (5). De même que les habitations précédentes
auxquelles l'apparente son style architectural, le Dâr Dennouni ne possède ni galerie ni loggia. Nous y
retrouvons les éléments connus mais dont l'emploi particulier donne à cette demeure une physionomie différente
et originale (fig. 64).
« La cour, aussi vaste et irrégulière que les deux cours voisines (6), du Dâr Stambouli et du Dâr Sayadi,
n'en diffère pas non plus par la hauteur de ses murs très élevés. Mais à l'encontre de celles-ci, elle ne possède
pas de portique. Sol dallé, d'où émerge près de l'entrée, la bouche d'une citerne, tandis que l'angle opposé
s'agrémentait encore récemment, d'un oranger entre deux cognassiers.

1 Ibid. Egalerrent placées dans un angle de la cour, les deux fenêtres géminées s'ouvrent cependant à une hauteur différente,
l'une ne dépassant pas, au-dessus de la porte de la dwïrïya, le niveau supérieur des parements de pierre, l'autre surmontant celui-
.

ci, à l'entrée du patio.


2. Ibid. De même type que les fenêtres géminées relevées au Dâr El-Mrâbet, au Dâr Bou Choucha, au Dâr Bou Hachem,
au Dâr Mellouli, et au Dâr Rassâ'a.
3. Alors que des arcs à claveaux ont disparu de certains claustra au-dessus de leurs portes.
4. A l'exception de la dukkâna avec mâjen située près de l'entrée de la skifa.
5. Ibid, p. 316-318. Vieille famille de notables tunisois dont certains s'enrichissent dans la fabrication et le commerce des
chéchias (communication orale de H. H. Abdulwahab).
6. Ibid, p. 318.
l'habitation tunisoise 183

Belle ordonnance architecturale des quatre façades de pierre jouant de l'alternance traditionnelle des
droites et des courbes. Deux façades à peu près semblables s'élèvent de part et d'autre de l'entrée : porte
à linteau droit et claustrum cintré entre deux grandes arcatures brisées à fond plat (1) reposant sur un
soubassement de pierre formant dukkàna (2) — l'une des portes médianes étant surmontée d'une fenêtre géminée (3)
qu'accompagnent symétriquement deux petites fenêtres en bois découpé (fig. 85).
On peut s'étonner des fonctions très différentes correspondant aux deux plus élégantes façades intérieures
du Dâr Dennouni, l'une, annonçant la salle de réception (4), l'autre, la dwïrïya (5). Par contre, les côtés de
l'angle opposé à celui de l'entrée ne prêtent à aucune confusion, une simple façades percée de trois portes
identiques voisinant avec la dwïrïya dont elle apparaissait le complément, la dernière façade, près de la salle
d'apparat, avec porte à claustrum flanquée d'une haute niche à fond plat (6), précédant aussi une très belle
chambre. Répartition peu commune, on le voit, de cette demeure (7), une moitié en étant réservée aux maîtres,
l'autre aux serviteurs et aux provisions».
Comme le Dâr Bou Zaïane, le Dâr Dennouni dispose de deux chambres luxueuses avec kbû; au-dessus des
parties secondaires du rez-de-chaussée, il s'y ajoute pareillement deux pièces hautes, une jolie fenêtre géminée
éclairant la plus importante (8) — qui surplombe la dwïrïya. Cette fenêtre contribue à donner à l'ensemble
de la façade — avec porte à claustrum entre deux arcatures aveugles — un aspect particulièrement agréable
dont bénéficiaient les habitants des deux grandes chambres (9).
On doit cependant noter une évolution de certaines formes architecturales telles qu'elles apparaissent
ici. L'essentiel des normes traditionnelles demeure, sans doute, inchangé, mais on constate la disparition des
deux plates-bandes appareillées placées, dans les cours précédentes, à la base et au sommet des arcs brisés
et cintrés ; cette modification dénote une tendance du constructeur à une nouvelle simplification dans
l'aménagement de ses façades intérieures.

Cours avec niches à fond plat et galerie haute (ou loggia)

Un autre modèle de cour à façades en keddâl est caractérisé par l'aménagement d'une galerie haute ou
loggia (gannârïya). Celle-ci se limite alors à un seul côté et apparaît bien comme un perfectionnement
architectural et un luxe nouveau.
On peut naturellement s'étonner qu'une galerie haute ait été conçue sans galerie basse à laquelle elle
se superpose plus aisément. En fait, il semble que ces loggias aient été réalisées comme les chambres à fenêtres
géminées qu'elles auraient sans doute remplacées à l'étage au-dessus des pièces secondaires — et basses
de plafond — du rez-de-chaussée (entrée et cuisine). Aussi jouent-elles le rôle de solarium plutôt que de
lieu de communication tel que nous le verrons dans des demeures plus importantes. On doit probablement
aux Andalous l'introduction à Tunis de cet élément dont on connaît ensuite la fortune dans toute la cité.

1. Disposition rappelant celle du Dâr Romdane Bey avec fenêtres ajoutées plus tard aux arcatures. Celles-ci sont
actuellement murées vers la dwïrïya (fig. 64).
2. Dukkâna percée de deux soupiraux carrés donnant sur la cave {dâmûs) (fig. 64).
3. Colonnette médiane à chapiteau turc et moucharabieh de bois peint en vert comme les fenêtres latérales géminées en bois
découpé.
4. A droite de l'entrée.
5. A gauche de l'entrée.
6. Creusée également de fenêtres. Epaisseur du mur : un mètre.
7. Signe probable de son ancienneté présumée.
8. De cette chambre ne subsistent que les murs, à la suite de l'écroulement de la terrasse.
9. De même qu'à l'entrée de la demeure, la base des piédroits de la porte des chambres est sculptée de motifs turquisant
(XV1-XVII0 siècles). Le linteau de l'une d'elles — chambre Sud — présente des motifs d'exécution postérieure (XVIIIe siècle) —
étoile entrelacée à 8 pointes entre deux vases à bouquets stylisés. Le linteau de l'entrée de la skïfa (sur la cour) présente une rosace
entre deux cyprès stylisés.
184 J. RE VAULT

Avec sa balustrade de bois tourné et ses colonnes à chapiteau hafside ou turc supportant les linteaux de la
terrasse, il ne manque pas d'évoquer les galeries des anciennes maisons de Tolède ou celles delà Médina de
Fès. Son adaptation à l'architecture ifriqyenne des cours hafsides ne pourra qu'en augmenter le charme et
la diversité. Quelques exemples suffiront à le démontrer.

Cour du Dâr Khojt el-Khil (rue du Trésor)

Le Dâr Khojt el-Khil (1) représente une curieuse synthèse de la demeure bourgeoise à Tunis au XVIe-
XVIIe siècles ; autour d'une courette et au-dessus des caves formant communs on a réussi à concentrer
appartements des maîtres et lieux domestiques (2) après un partage de l'habitation tel que nous l'avons déjà observé
au Dâr Dennouni (PI. XLIV).
Cette disposition pratique a donné lieu à une division extérieure des façades sur la cour répondant
clairement à leurs rôles respectifs : d'une part façades nobles de type hafside, de l'autre façades à loggia de style
hispano-mauresque (3).
« Les faibles dimensions de la cour se prêtaient mal à l'installation d'un simple portique en bas et d'une
galerie circulaire en haut. On s'est alors efforcé d'y pallier d'une façon originale : au seuil même du patio,
sa découverte surprend le visiteur charmé par son heureuse dissymétrie. Les deux angles Est et Ouest du patio
opposent la disparité de leur aspect ; d'un côté, double façade en keddâl (comme le dallage du sol) — porte
droite (4) à claustrum cintré (shamsa) entre deux hautes niches à fond plat et arc outrepassé (kùs) (fig. 84),
de l'autre, portes basses dans un mur uniforme sous une double galerie formant loggia (gannârïya).
La façade de pierre correspondait aux appartements, l'autre aux communs. L'emprunt en a également
été fait à l'architecture intérieure des palais du XVIIe siècle — l'exemple du Dâr El-Hedri pourrait bien
avoir déterminé le choix des éléments caractéristiques adoptés ici » (5).

Cour du Dâr Mazhoud (rue Souk el-Blat)

La rue Souk el-Blat — qui joint le centre de la Médina à l'extrémité Sud — est bordée par de belles
habitations bourgeoises dont les portes cloutées à linteau droit — avec ou sans arc de décharge — attestent
l'aisance et l'ancienneté. L'une d'elles, le Dâr Mazhoud, renferme une cour intérieure d'une élégance
remarquable, entièrement revêtue de calcaire taillé et assemblé sur ses quatre faces (6). « Autour du patio dallé,
planté autrefois d'un oranger, l'absence de portique au rez-de-chaussée et la fréquence de niches à fond plat
lui donnent une physionomie distincte, telle que nous pouvons l'imaginer à l'époque hafside. On retrouve
aussi dans cette maison bourgeoise les éléments architecturaux propres aux palais et riches demeures de
l'époque turque (7). Au rez-de-chaussée, symétrie curieuse des façades en keddâl s'opposant deux à deux,
celle de l'entrée vis-à-vis de celle de la pièce principale — surmontée d'une galerie à colonne médiane —

1. Palais de Tunis, I, p. 154-161 Prononciation algérienne Khodjet el-Khil. Cette demeure est également connue sous
l'appellation de Dâr Bel-Khoja.. D'ascendance turque, Hadj Ahmed Khodjet el-Khil avait été chargé par le dernier dey d'Alger,
.

Hussein, de participer à la défense de la ville avec la cavalerie placée sous ses ordres. D'autres membres de la famille Khodjet
el-Khil vivent aujourd'hui en Turquie, en Algérie et en Egypte. Ceux qui se fixèrent à Tunis y auraient exercé principalement le
métier de fabricant de chéchias ou d'armes.
2. Aménagés à l'entresol.
3. Ibid., p. 159. Dans la double façade de calcaire s'ouvrent les deux chambres de l'entresol, orientées au Sud et à l'Est.
4. Dans l'encadrement de la porte principale on a substitué au kaddâl un marbre clair de remploi, provenant de monuments
antiques.
5. La ressemblance du style adopté dans les façades de pierre des deux maisons voisines est particulièrement frappante.
6. Palais de Tunis, I, p. 283-284, PI. LX.
7. Dâr El-Hedri, Dâr Hamouda Pacha, Dâr Baïram Turki.
L HABITATION TUNISOISE 185

Planche XLIV

aa
DD DD
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ana

3m

( Dâr Khojt el-Khil). Cour (wust el-dâr). Coupes avec élévation. En haut, côté Nord-Est, mur nu à loggia
d'angle ; en bas, côté Sud-Ouest, angle mural revêtu de calcaire : porte droite sous claustrum entre deux
niches à fond plat (XVIIe s.).
186 J. REVAULT

avec sa porte à linteau droit et claustrum cintré (à claveaux bicolores) (1) que flanquent deux hautes niches
à fond plat et arc brisé (2).
Sur les côtés disposition inversée de la façade précédente : une grande niche à fond plat occupe le centre
du mur (3) : garnie d'une dukkâna, sinon d'un puits ou d'une citerne, elle sépare deux portes droites surmontées
d'une lucarne rectilinénaire ou cintrée » (fig. 63).
Malgré la régularité approximative de la cour — presque carrée — la réalisation de la symétrie des
façades de pierre ne manquera pas de poser de sérieux problèmes aux nakkâsha responsables. Dans l'ordre
des valeurs à considérer, ceux-ci donnèrent la priorité à la façade qui devait satisfaire la vue dès la sortie de
la ski/a aussi bien que par les porte et fenêtres de la pièce principale. Ils ajoutèrent à son importance en
superposant à cette belle façade une large galerie (4) dont l'horizontalité allait contraster avec la verticalité de la
porte médiane et des deux niches latérales du rez-de-chaussée. La solution adoptée ici permet d'évoquer les
cours les plus simples examinées plus haut — Dâr Riahi, Dâr Chaouch — et la cour plus complexe du Dâr
Bou Zaïane. Des premières, le Dâr Mazhoud semble imiter la grande arcature aveugle flanquée d'une porte
droite, de l'autre il reproduit la porte centrale entre deux niches à fond plat. Il en résulte une harmonieuse
diversité dans les jeux d'ombre et de lumière que provoque le rythme des défoncements muraux autour du
patio. Par la suite, un cadre de vie si bien étudié ne sera plus jamais réalisé puisque l'époque husseinite ne
connaîtra que l'uniformité de murs blanchis à la chaux ou lambrissés de faïence répétée en jeu de fond (5).

Cour du Dâr El-Ayari (impasse des Jnoun, rue de la Kasbah)

Edifié à l'intérieur du quartier déjà illustré par la présence du Dâr Rassâ'a et du Dâr Dennouni, le Dâr
El-Ayari (6) s'impose, au dehors, par sa grande porte droite sous arc de décharge en face de l'entrée de même
style du Dâr Khaznadar (7).
Une luxueuse skïfa (8) débouche sur une cour trapézoïdale de grandes proportions qui ne laisse pas
d'étonner par la hauteur et l'originalité de ses quatre côtés (9).
« Cour sans portique inférieur, mais dotée d'une très belle façade de pierre qui surprend, dès l'entrée.
Façade dissymétrique, la moitié en étant occupée, vis-à-vis de la skifa, par une haute arcature à fond plat
surmontant deux portes jumelées à linteau droit — escalier menant à l'étage et dwïrîya — l'autre moitié
étant percée des porte et fenêtres à linteau droit d'une chambre simple. Le tympan de l'arc outrepassé apparaît
joliment orné de rosaces de stuc entrelacées contrastant avec la nudité de la pierre.
Une large galerie supérieure ajoute encore à l'élégance de cette façade, avec ses quatre colonnes de pierre
à chapiteaux hispano-maghrébins et turcs (10). Elle se reproduira du côté opposé, au-dessus de la porte d'une
pièce secondaire s'ouvrant entre la niche à deux arcs superposés d'une citerne et la niche d'un puits (11).

1. De chaque côté du claustrum se superposent, en défoncé, deux carrés étoiles (fig. 63).
2. De petites fenêtres barreaudées ont été ajoutées à l'intérieur des niches à fond plat de la façade principale — plus grandes
sur l'autre façade, moins bien conservée (fig. 63).
3. Ruine partielle de l'une des deux arcatures.
4. Actuellement murée.
5. Palais de Tunis, II, Résidences d'été, III, passim.
Un autre exemple de cour entourée de façades symétriques à défoncements répétés deux à deux est fourni par le Dâr Mouldi
(impasse El-Baïli, rue Kaddy el-Hawaïj) qui présente aussi ses chambres principales orientées à l'Est et au Sud.
6. Ibid, I, p. 321-322, PI. XLVIII.
7. Supra.
8. La lre skïfa se creuse de deux niches à fond plat, face à l'entrée et à la porte de la 2e skifa, au-dessous d'un plafond à
caisson que souligne une légère frise de petits arceaux en stuc.
9. Ibid. PI. LXIX.
10. Ibid. Chapiteau à méandres, au centre de la galerie : chapiteau à volutes aux extrémités.
1 1 . Citerne près de l 'entrée.
l'habitation tunisoise 187

Les chambres à trois alcôves sont placées, de part et d'autre de la façade principale, aux deux extrémités de
la cour (1). Salles presque identiques dont l'arc outrepassé du kbù conserve les proportions de celui de la cour...
Symétrie des portes latérales des maksûra à double linteau droit, face aux fenêtres.
Ici, le rez-de-chaussée semble avoir été réservé exclusivement à l'habitation et aux travaux ménagers (2).
Par contre, la configuration particulière de l'étage répondait, sans doute, à une fonction très différente,
les pièces hautes paraissant destinées aux réunions d'amis et à la réception des hôtes » (3).
Actuellement, l'élément architectural qui s'impose au regard dans la cour du Dâr El-Ayari est le bel arc
en pierre outrepassé qui surmonte l'escalier, face à l'entrée (fig. 47). Entourée d'une moulure à boucles et
flanqué d'écoinçons en keddâl, ce grand arc en plein cintre annonce celui qui s'ouvre au-devant du kbù des
deux belles chambres en T. La galerie haute qui se répète au-dessus de la skîfa complète l'originalité de la
cour. Il y a toutefois lieu de s'étonner de l'absence de toute autre arcature, en dehors de celle qui commande
la cour et des étroites niches réservées au puits et à la citerne. Faut-il supposer qu'au moment d'ouvrir deux
fenêtres de part et d'autre de la porte des chambres, on ait été amené à supprimer, à leur place, des défon-
cements antérieurs ? Nous avons vu ailleurs des transformations semblables. De même auraient disparu,
au-dessus des portes, les claustra à arc cintré et claveaux rayonnants alors qu'ils ont été conservés à l'intérieur
des chambres principales, face au grand arc du kbù.
Le Dâr El-Ayari ne paraît pas avoir été à l'abri de certaines modifications dans son aspect primitif,
l'ouverture de nouvelles fenêtres sur la cour intérieure pouvant compter parmi les innovations les plus
fréquentes à l'époque husseinite (4).

Cours avec portique (sans loggia)

II a été démontré qu'une belle demeure citadine pouvait, sans déchoir, se limiter au seul rez-de-chaussée
autour de sa cour intérieure, avec adjonction éventuelle d'un étage secondaire réservé à la domesticité et
aux provisions sèches. Dans ce cas, il semble bien que l'un des vœux les plus chers de tout notable tunisois
ait été d'orner son patio, non seulement des niches à fond plat déjà décrites, mais aussi d'un élégant portique
destiné à en rehausser le prestige et l'agrément. Portique à trois arcs sur colonnes à chapiteau hafside, hispano-
maghrébin ou turc, on pouvait l'admirer dès l'entrée à peine caché quelquefois par le feuillage d'un oranger.
Sa place de choix correspondait naturellement à l'accès de la salle noble qu'elle abritait au-devant de la cour.
Le maître et les siens aimaient s'y reposer, installés sur des tapis et coussins, protégés contre l'ardeur du
soleil et rafraîchis par la brise de mer.
Les plus riches demeures possédaient autour de vastes cours, jusqu'à deux ou trois galeries (5). Dans le
premier cas, les deux portiques se dressaient l'un en face de l'autre, à chaque extrémité du patio. Une triple
galerie était disposée naturellement en forme d'U dont l'ouverture laissait à découvert la façade intérieure
la mieux décorée de niches à fond plat.

1. Chambres orientées au Sud-Est et au Nord-Ouest.


2. Limitée par l'une de ces chambres et l'escalier, la dwirîya est installée, à l'angle du bâtiment, avec sa courette barreaudée
et ses logements domestiques à l'entresol.
3. Aménagées au-dessus des grandes chambres du rez-de-chaussée — dont elles ne reproduisent aucunement la forme —
elles sont reliées par les deux galeries surplombant les communications et pièces inférieures. Contrairement aux dispositions
habituelles, leur élargissement a été obtenu grâce à l'emploi, dans chacune d'elles, d'une rangée de deux colonnes médianes à chapiteau
hafside. Ces colonnes prennent appui sur les murs antérieurs des maksûra du rez-de-chaussée.
4. Palais de Tunis, I, passim.
5. 11 existe pourtant d'importantes demeures qui ne possèdent qu'un seul portique à l'extrémité de leur vaste cour (Dâr
Stambouli, Dâr Ali Thabet).
188 J. REVAULT

Cour du Dâr Temimi (rue Souk el-Blat) à un portique

On doit à l'une des familles les plus estimées de Tunis, les Temimi (1), d'avoir établi — non loin du Dâr
Mazhoud — leur luxueuse demeure. On verra cependant que son fondateur, en se conformant au modèle
architectural indiqué plus haut, ne s'est pas laissé entrainer, malgré son rang et sa fortune, à une construction
démesurée, sachant se satisfaire d'une habitation de proportions modestes, certes, mais réunissant toutes
les qualités d'une demeure plus riche.
« Deux skïfa couvertes, l'une en voûte, l'autre en bois, mènent à la cour. De plan rectangulaire et de
dimensions moyennes, celle-ci réunit les éléments traditionnels essentiels qui doivent contribuer à son
harmonie : dallage régulier du sol avec son ornement habituel toujours verdoyant — oranger tantôt fleuri, tantôt
couvert de fruits dorés — deux murs latéraux percés en leur centre d'une porte rectilinéaire flanquée, de part
et d'autre, de deux hautes niches de pierre à fond plat (l'une d'elle réservée à la citerne) semblant conduire
à la galerie qui se dresse, à l'extrémité du patio, au-devant de la salle de réception. Portique de style hispano-
maghrébin à trois arcs inégaux — celui du centre plus large que les deux autres — festonnés et surhaussés,
retombant sur les impostes parallélépipédiques de deux colonnes de calcaire à chapiteau à méandres et abaque.
Au fond, composition murale correspondant aux trois arcs du portique afin d'en faire la plus belle façade
intérieure : porte à linteau droit surmonté d'un claustrum cintré à claveaux bicolores entre deux longues
niches en arcature aveugle garnies de fenêtres barreaudées (2) » (fig. 67).
En réalisant cette cour, bâtisseurs et décorateurs ont réussi à y obtenir un bel équilibre des formes
architecturales d'origine ifriqyenne — portes et niches à fond plat — associées avec succès à une gracieuse
ornementation importée de l'Espagne musulmane — arcs festonnés du portique et stucs muraux — (3).

Cour du Dâr Baïram Turki (rue Sidi Ali Azouz) — à deux portiques

Non loin de la rue du Trésor et à proximité de la rue de la Grande Mosquée se trouve l'ancienne
résidence turque désignée sous le nom de Baïram Turki (4). Il s'agit ici de l'un des membres de cette famille
qui se serait fixé à Tunis à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle. El Haaj'Abdou Baïram et - Turki
— également connu sous l'appellation de Kraïm Khoja — habitait, dit-on, vers 1616, le palais qui porte son
nom (5). Il exerçait, à ce moment, les fonctions de kâteb el-laoul auprès de Yousef Dey (ou kâteb ed-Diwan
el-Mansour) et siégeait à la Kasbah. Il y était chargé de préparer, avec le Conseil des deys — mejlas ed-
daoula — les décrets (camr, pi. 'aouamar) qu'il devait ensuite soumettre au sceau du souverain (6).
Des différentes habitations urbaines qui furent édifiées à la même époque, le Dâr Baïram Turki est l'une
de celles qui semblent avoir subi le moins de modifications, durant les derniers siècles, dans l'aspect primitif
de sa cour à double portique.

1. Ibid, p. 282-283, Cf. R. Brunschvig, op. cit.: «Iyad ben Mahlûf az-Zayyât at-Tamimi (disciple de Sidi Abu Sa'id) mort en
1252, enterré à Tunis, près de Bab al-Jadid (II, p. 328)...
Sous le règne d'Abû Hafs Omar, né de l'émir Abu Zakariya et d'une esclave appelée Zabya, en 1245, la chancellerie est
confiée au faqih Abdallah b. Ali b. Abi Amr at-Tamimi, serviteur fidèle du souverain... »
2. A l'origine, la porte avec son claustrum constituait la seule ouverture donnant sur la chambre en T, les deux fenêtres y
ayant été ajoutées plus tard.
3. On y retrouve ainsi la grâce et la fraîcheur des clairs patios de Rabat et Salé.
4. Palais de Tunis, I, p. 162-168, pi. XXIV, XXV.
5. Fondation habous de feu El-Haaj Abdou Youldach b. Baïram et-Turki. Ses fonctions de kateb el-laoul devaient, parla
suite, prendre le nom de bach-kâteb sous les Mouradites et ouzir el-klam sous les Husseinites.
6. On ignore quel rapport a pu exister entre ce Baïram et celui qui à la tête d'un contingent de soldats, prit part à la prise
de Tunis par Sinan Pacha, le 25 djumada 981 (24 septembre 1573).
l'habitation tunisoise 189

« Le keddàl revêt entièrement l'intérieur du patio ; dallage du sol et murs appareillés (1). Symétrie
remarquable des quatre côtés percés, en leur milieu, d'une seule porte droite à claustrum cintré, de hautes arcatures
creusant, de part et d'autre, de larges niches à fond plat garnies de banquettes de pierre.
Au rythme des grandes lignes droites et courbes, qui se répètent sur les quatre murs, s'ajoute celui des
galeries dont la colonnade à trois arcs brisés s'élève aux deux extrémités de la cour (PI. XLV).
Chaque portique se compose de quatre colonnes à base surélevée se terminant par un chapiteau turc
à volutes (2) et abaque supportant la retombée d'arcs outrepassés. Des claveaux noirs (3) rompent la
monotonie de la pierre calcaire — au nombre de sept dans les grands arcs brisés et cinq dans les arcs cintrés —
complétés par des moulures que réunissent des boucles simples ou doubles (fig. 83, 84, 88). A la hauteur des dukkâna
et des arcs, des moulures semblables bordent soubassements et entablements qui traversent les grandes surfaces
murales faites d'assises disposées régulièrement en lit et délit (4).
A l'exception de la base des piédroits des portes principales et de certaines arcatures, cette mouluration
s'accompagne rarement d'un décor sculpté — arabesque florale turquisante — . L'emploi exclusif du keddàl
dans les revêtements horizontaux et verticaux, et la prédominance des pleins sur les vides caractérisent, on
le voit, l'aspect architectural de cette cour. En dehors des plafonds de bois peint qui couvraient jadis les étroites
galeries, la pierre n'admet ici ni faïence ni stuc ; style sobre et sévère dont on ne manquera pas de regretter
plus tard la grandeur et la simplicité. Enfin les ouvertures sont limitées, nous l'avons dit, aux portes axiales
des appartements et de l'entrée ainsi que des communications placées aux angles de la cour sous les galeries.
Aucune fenêtre n'ouvre sur le patio, en dehors du claustrum des chambres, des lucarnes des couloirs et des
soupiraux des caves.
Avec sa voie d'accès bordée par les avant-corps de ses communs et fermée autrefois sur la rue Sidi ' Ali
'Azzouz, son entrée en double chicane, sa cour de pierre, et ses appartements (5) sans fenêtre parfois bâtis
sur caves, le Dâr Baïram Turki a su associer l'élégance de l'ancien style hafside à la sévérité apparente des
lieux, la défense et la sécurité demeurant un souci majeur de cette habitation citadine ».
On devra s'en souvenir comme témoin intégral de l'architecture domestique des XVIe-XVIIe siècles
pour effectuer un examen comparatif plus précis avec d'autres constructions contemporaines et déterminer
dans celles-ci les transformations éventuelles que la mode aurait suscitées à leur état primitif.

Cour du Dâr Romdane Bey (rue Bir el-Hajar) — à deux portiques

On connait le passé de cet ancien palais mouradite (6) qui fut successivement la résidence personnelle
de Romdane Bey (7), puis d'Ali Pacha (8). Dans la drïba autrefois privée (Sabat es-Sayara) qui desservait
les deux parties du palais, nous avons montré la façade princière en keddàl, porte monumentale de type hafside

1. Le keddàl constitue bien, après le marbre, un matériau de luxe particulièrement cher à l'époque turque. Ici son abondance
supplée à toute autre forme de revêtement et d'ornementation.
2. Conservés aux extrémités des portiques, ces chapiteaux ont été remplacés ailleurs par des chapiteaux néo-doriques sur
colonnes de marbre. Colonnes à fût cylindrique pour les premiers chapiteaux, à fût galbé pour les seconds.
3. Les claveaux ne se limitent pas à un simple revêtement des arcs mais en constituent l'élément constructif. Dans les grands
arcs, les claveaux noirs apparaissent parfois jumelés. Pour assurer la solidité de leur assemblage, les nakkâsha procédaient à
une taille particulière correspondant à la base des arcs.
4. L'alternance des assises en lit et délit en assure la fixité au mur qu'elles revêtent avec une pénétration variant de 20 cm
(lit) à 10 cm (délit).
5. Les appartements du Dâr Baïram Turki ne se répartissent que sur trois côtés de la cour, le quatrième côté étant occupé
par l'entrée (skifa) et la dwirïya. Ils se composent de deux chambres avec kbû et mkâser au Nord et à l'Est et d'une autre en T
sans maksùra au Sud.
6. Palais de Tunis, I, p. 244-257.
7. Ibid, p. 244. Mourad Bey, fils de Mourad II, ne régna que deux ans (1696-1698).
8. Ibid. Ali Pacha, neveu et rival du Bey Hussein Ben Ali Turki auquel ii succéda, au cours du XVIII0 siècle.
J. RE VAULT

2m
(Dâr Baïram Turki). Cour à deux portiques extrêmes symétriques (côtés Est et Ouest) reliés par un mur
revêtu de calcaire appareillé (côtés Nord et Sud) (XVIIe s.).
(Dâr Daouletli). Cour à trois portiques et une façade appareillée sans étage (xvne s.).
192 J. RE VAULT

précédant une entrée compartimentée, luxueusement décorée. Une telle entrée ne pouvait que déboucher
sur une cour de grande envergure. On s'étonne pourtant de découvrir cette cour entourée seulement d'un
rez-de-chaussée, ce qui semble en rapprocher le ciel et y permet une meilleure circulation d'air avec une plus
large diffusion de la lumière (fig. 64, 65).
L'ampleur des arcades qui le contournent contribue à faire de ce patio un lieu de séjour particulièrement
agréable. L'aspect général en est comparable à celui du patio du Dâr Dennouni auquel on aurait ajouté,
pour l'embellir, un portique à ses deux extrémités (fig. 64, 82). Telle qu'elle a été conçue, la disposition
architecturale de la cour du Dâr Romdane Bey est un exemple caractéristique de cour fastueuse à double portique
au XVIIe siècle.
« La cour à plan carré semble presque trop vaste avec sa double galerie et ses deux côtés à arcatures
aveugles (1). Il n'en était pas ainsi, il y a quelques années, assure-t-on, alors que citronniers, mandariniers
et néfliers donnaient au patio l'aspect d'un jardin.
Comme ailleurs, la teinte ocre du keddâl domine sol, murs et galeries. De même qu'au Dâr Daouletli (2)
les bâtiments d'habitation élevés autour de ce patio ne comportent qu'un rez-de-chaussée... (3). La
prédominance du calcaire soigneusement appareillé, l'ampleur et la symétrie des formes architecturales présentent
un contraste aussi équilibré des grandes surfaces et des lignes droites et courbes que celui de la cour du Dâr
Baïram Turki (4). — bien que son décor lui enlève la sévérité de ce palais — . Cette ressemblance s'affirme
surtout dans les parties suivantes : double galerie à trois arcs brisés sur colonnes galbées, double défoncement
à dukkàna disposé en larges arcatures identiques dans les murs latéraux, similitude des quatre portes médianes
ouvrant sur la cour, également droites et surmontées d'un claustrum cintré — n'alternant pas avec des portes
arquées.
Ainsi l'originalité du patio de l'ancien Bey mouradite résulte-t-elle de certaines particularités plus
décoratives qu'architecturales. On les relève notamment dans les portiques. Quatre colonnes à base surélevée (5)
se terminent par un chapiteau italianisant d'un type nouveau, transformation probable du chapiteau turc
à volutes par des artisans locaux ou italiens (6). Au fond des galeries, la porte de chaque appartement s'ouvre
dans un double encadrement de pierre au-dessous d'un claustrum à claveaux noirs et blancs. Deux fenêtres
basses l'accompagnent, munies d'une grille simple et exhaussées de linteaux supplémentaires (mrâya) (fig. 82).
Autour des portes et des fenêtres, le décor de la pierre se limite à une moulure parsemée de fleurettes et à
quelques motifs turquisants placés à la base des piédroits.
Les deux façades latérales qui se dressent entre les galeries reproduisent, nous l'avons dit, la même
disposition architecturale : porte et claustrum à double encadrement de calcaire entre deux arcatures aveugles
atteignent la hauteur des arcs des portiques. Dans les angles inférieurs, surmontant la dukkâna, deux étroites
fenêtres paraissent disproportionnées à l'intérieur des grands défoncements arqués. Près de la première galerie,

1. L'association des colonnades et défoncements en arcature fait partie des traditions architecturales demeurées en honneur
à l'époque turque. Elle a pu donner lieu à une grande variété d'interprétation des formes de cet ancien style hafside.
2. Infra.
3. C'est à l'écart de celui-ci que l'on édifie un étage destiné à la mahakma du Dâr Romdane Bey avec un même souci
d'indépendance que pour l'aménagement d'une Driba (Dâr Daouletli).
4. Infra.
5. Surélévation des colonnes posées sur socle (kursi), les deux colonnes latérales s'adossant au mur.
6. Chapiteau plus allongé et plus élégant que le premier chapiteau turc. Au-dessous et dans l'intervalle des autres volutes
apparaît un même nombre de volutes plus petites, innovation que l'on adoptera souvent dans les colonnades tunisoises (XVIIIe
siècle).
l'habitation tunisoise 193

aux abords de la dwïrïya, la fenêtre barreaudée se double de la niche d'une citerne, niche de pierre à fond plat
ornée d'un vase à bouquet stylisé (1), au-dessus de la margelle arrondie (2) (fîg. 65, 82).
On peut imaginer que le fond des arcatures murales était revêtu autrefois de kaddâl disposé en assises
s'accordant avec le reste de la façade. Comme ailleurs, une corniche borde les terrasses de sa rangée de tuiles
vertes autour du patio ».
Malgré la différence de proportions qui sépare la cour d'un Dâr Romdane Bey de celle d'un DârTemimi,
il est impossible de ne pas y reconnaître une appartenance commune à un même style architectural (ifriqyen)
et décoratif (andalou).
C'est bien de ce mélange harmonieux que résulte, à divers niveaux, l'originalité des patios turcs et mou-
radites comme des appartements qui les entourent.

Cour du Dâr Daouletli (Impasse de la Driba, rue Sidi Ben-Arous)

Si une grande cour intérieure à double portique est le privilège d'une résidence princière, un patio à
trois galeries ne pouvait paraître moins imposant. A la fois abri contre le soleil ou les intempéries et décor
architectural, ces cours sont d'un emploi très rare. Elles s'interrompent, nous l'avons dit, de chaque côté
de la plus belle façade intérieure qu'elles dégagent entièrement en regard de la salle de réception (PI. XLVI).
Ainsi se trouve toujours respecté le principe selon lequel un patio, centre de vie familiale, doit être rendu le
plus beau et le plus agréable possible. Il n'est pas douteux que ces avantages aient été recherchés dans la
cour du Dâr Daouletli (3) dont on connaît l'importance et l'ancienneté ainsi que l'excellent emplacement
au voisinage des palais du Dâr el-Bey et de la Kasbah, non loin de la Mosquée Zitouna et de la Mosquée
Almohade (4).
« A la limite de ce Centre gouvernemental, religieux, artisanal et commercial, le Dâr Daouletli marque
le début d'un nouveau quartier résidentiel de la haute société tunisoise (5)...
La symétrie incomplète déjà observée dans d'autres cours de même époque apparaît ici avec un portique
limité à trois côtés (6), le quatrième côté présentant une façade soigneusement appareillée en kaddâl, comme
de beaux exemples nous en ont été fournis par le Dâr El-Hedri, le Dâr El-Khoja et le Dâr Baïram Turki.
Ici, la pierre calcaire est également l'élément dominant, depuis le dallage de la cour jusqu'au revêtement des
murs et aux encadrements des portes et fenêtres.
Si la cour à trois portiques est une disposition commune à certaines demeures tunisoises, celle du Dâr
Daouletli possède cependant des particularités architecturales et décoratives :

1 Modèle de niche assez rare par la réduction de ses proportions et son décor turquisant — vase, cyprès, rosace — semblable
à celui que l'on rencontre, à travers la Médina, sculpté aux linteaux des portes et jusqu'au cimetière du Jellaz sur des tombes
.

contemporaines.
2. La margelle affleure le bord supérieur du stylobate ou soubassement de pierre mouluré qui longe les deux côtés du patio
(fig. 65).
3. Palais de Tunis, I, p. 203-215. PI. XXXVI11 et XXXIX.
Daouletli (Dawlatli), terme turc dérivé de l'arabe daoula : gouvernement. Les fonctions correspondantes furent
longtemps celle d'un gouverneur militaire, s'appuyant sur les forces de police des zaptia et des hamba.
4. Autrefois le Palais du Daouletli devait occuper, près de la place de la Kasbah, le côté opposé au Dâr el-Bey dont la
construction entreprise au XVIIe siècle allait se poursuivre au XVIIIe siècle. On y accédait par la rue Sidi Ben Arous, appelée
plus loin, rue du Pacha, l'une des grandes voies aristocratiques de Tunis.
5. On y trouvait, dans l'ordre habituel, une entrée en chicane (ski/a), une cour (wûst al-dâr) entourée de galeries (burtâl)
et d'appartements (byût) , que complétaient un oratoire (masjid) et des dépendances : cuisines (dwïrïya) et magasins (makhzen) .
6. Le patio à trois portiques qui distingue certaines cours intérieures de Tunis et celles du Maroc et de l'Algérie, répond
moins, sans doute, à un souci d'économie qu'à celui de l'élargissement d'un espace découvert.
(Dâr Balmd). Cour à un seul portique et deux galeries hautes entre deux côtés ornés de niches à fond plat (x
l'habitation tunisoise 195

— l'importance du lieu a imposé l'emploi du marbre aux parties nobles de l'édifice : colonnes,
encadrement de portes et fenêtres des salles d'apparat (1) ;
— les colonnes sont surmontées de chapiteaux de types divers, hispano-maghrébin aux deux extrémités
de la galerie, ailleurs italianisant — néo-dorique et néo-ionique, une fleur de lys entourée de six croissants
s'intercalant entre les volutes de ce dernier (2).
La recherche d'une répartition équilibrée des lignes droites et des lignes courbes s'affirme nettement
autour du patio : aspect rectilinéaire, dans le sens vertical et horizontal, des colonnes, portes et fenêtres
surmontées de claustra identiques (3), formes incurvées des arcs à peine brisés des portiques et des arcatures
aveugles disposées symétriquement au-dessus des fenêtres flanquant l'entrée des quatre salles d'habitation (4),
enfin des petits arcs de soutènement placés aux deux points d'intersection des trois galeries (5). La sévérité
de l'ensemble résultant de l'emploi exclusif de la pierre et du marbre n'est jamais atténuée par les notes vives
de quelques faïences colorées. Cette austérité volontaire, la sculpture composite des chapiteaux et le décor
floral turquisant de la base des piédroits non plus que les festons de certains panneaux ne parviennent à la
dissiper ; bien plus, elle se trouve encore accentuée par des incrustations de marbre ou de pierre noire, claveaux,
linteaux appareillés, bandes entrelacées soulignant le contour des arcs et des ouvertures à l'intérieur de la
cour» (6).
A cette description de la cour du Dâr Daouletli on pourrait encore ajouter les observations suivantes :
— à l'encontre des cours précédentes, les portes ne sont pas toutes de même type, à linteau droit, mais
alternent deux à deux avec des portes encadrées de marbre bicolore à arc brisé outrepassé (7). — les portes
arquées étant généralement réservées aux palais et mosquées ;
— le claustrum qui surmonte les différentes portes — ainsi que les fenêtres — n'est plus cintré sous cla-
vage rayonnant, mais uniformément droit ;
— les façades de pierre et de marbre, à l'intérieur comme à l'extérieur des galeries, conservent bien le
rythme habituel — portes, arcatures — mais avec un relief très diminué qui diffère nettement du défoncement
traditionnel des niches à fond plat.
Il en résulte un effet de placage uniforme qui ne présente plus les contrastes d'ombre et de lumière que
l'on se plaisait à admirer dans tous les autres patios. Sans doute, faut-il attribuer ces transformations à un
aménagement tardif des fenêtres basses à l'intérieur des anciennes arcatures (8) dont le tympan aurait été
alors égalisé et ramené au niveau des nouvelles ouvertures barreaudées.

1. Aux XVIe et XVIIe siècles, le marbre est surtout réservé aux monuments religieux et aux palais princiers.
2. On sait que les chapiteaux communément employés sous le règne des Deys et des Beys Mouradites sont les chapiteaux
hafside, hispano-maghrébin et turc ; ici, l'appel à des sculpteurs italiens (G. Marçais, Manuel d'Art Musulman, II, pp. 850-851)
aboutit à la création d'un style d'avant-garde inspiré de la Péninsule, qui sera tellement en faveur sous les Beys Husseinites.
L'innovation la plus originale apparaît, sans doute, dans le chapiteau historié — combinaison de volutes antiques, de la fleur
de lys des Rois de Naples et des croissants turcs — commandé spécialement par Hamouda Pacha pour en orner la salle de prières
de sa mosquée.
3. L'ensemble des portes ouvrant sur la cour — portes des chambres et portes de communication — sont droites et
surmontées d'un claustrum rectangulaire, à l'exception des deux portes latérales qui forment un arc brisé en marbre noir et blanc sous
un double claustrum.
4. Les appartements se composaient essentiellement de trois chambres de même type et d'une salle d'apparat :
— chambres donnant sur les deux ailes de la galerie et dans la façade de pierre appareillée ;
— pièce d'apparat de conception cruciforme ouvrant sous la galerie médiane. Les chambres — bit bel-kbù û mkâser —
affectaient la forme en T.
5. Ce détail de construction est conforme aux procédés de renforcement des galeries relevés ailleurs — monuments religieux
et civils.
6. Les claveaux clairs et sombres de proportions inégales et les arabesques florales sculptées à la base des portes sont
d'inspiration turque.
7. L'une de ces deux portes a dû être remplacée par une porte ordinaire au moment d'une restauration récente de la façade
correspondante.
8. De chaque côté des portes axiales donnant sur les appartements.
196 J. REVAULT

Cour à galeries inférieure et supérieure

Après l'examen des premières formes de cour décrites plus haut, une autre disposition plus complexe
du patio tunisois doit en compléter l'étude. Ce n'est pas la forme la moins recherchée puisqu'elle comporte
l'usage de tous les éléments précédents rassemblés dans un même patio. Aussi, malgré les différences existant
entre les cours de même époque à revêtement de calcaire, avec ou sans portique ou loggia, celles-ci ne
présentent pas moins une réelle unité de style.
La cour qui possédera également une galerie au rez-de-chaussée et à l'étage empruntera ces deux éléments,
pour les superposer l'un à l'autre, aux types de cour précédents. On retrouvera donc la combinaison de
ceux-ci soumise à une hiérarchie semblable, tenant compte des proportions de chacun des patios auxquels
elle sera appliquée. D'où la reprise des modèles suivants :
— cour de notable pourvue d'un seul portique surmonté d'une galerie formant loggia;
— cour d'un personnage de haut rang à double galerie (parallèle) inférieure et supérieure ;
— cour princière à trois portiques au rez-de-chaussée couronnée d'une galerie circulaire à l'étage.
Cette dernière conception architecturale marque le comble du luxe citadin auquel on aspire aussi bien
dans la haute société tunisoise que dans l'entourage de la Cour beylicale.
Des modes de construction antérieurs, l'usage d'une double galerie sera la seule survivance d'anciennes
traditions que l'on continuera à adopter dans les patios de l'époque husseinite alors que seront abandonnés
niches à fond plat, portes avec claustrum et revêtements de murs en calcaire appareillé.

Cour du Dâr Balma (rue Sidi Bou Khrissan)

De la cour de dimensions moyennes avec un seul portique surmonté d'une galerie haute le Dâr Balma (1)
fournit une excellente image. Belle demeure bourgeoise située dans l'ancien quartier turc (2) compris entre
la rue du Dey et la rue Ben Mahmoud, il côtoie de somptueuses habitations édifiées entre le XVIe et le XVIIe
siècle. « Propriété d'une ancienne famille andalouse, comme le Dâr El-Haddad qui en est voisin, le Dâr
Balma ouvre également sur la rue Sidi Bou Khrissan. D'apparence plus modeste, il présente à l'extérieur
une porte droite avec arc de décharge en kaddâl et harsh.
A l'intérieur, élégance de la cour dallée, agrémentée d'un oranger et entourée de quatre façades d'aspect
différent (fig. 68). Le calcaire en caractérise la partie basse : parements muraux, encadrement de portes,
citernes et claustra, arcs de portiques et arcs de niches à fond plat. Face à l'entrée et s'ouvrant vers l'Est,
la pièce principale accueille le visiteur, précédée d'une galerie à trois arcs brisés reposant sur quatre colonnes
à chapiteau hafside et fût cylindrique ou octogonal (3) (PI. XLVII). Sur les côtés deux chambres longues,
sans kbù (dont l'une sur dahliz orientée au Sud) opposent leurs façades presque symétriques, porte rectili-
gne surmontée d'un claustrum cintré entre deux hautes niches à fond plat et arc brisé (abritant aujourd'hui
fenêtres et puits) (PL XLVII).
A l'étage s'ouvrent, telles des loggias, deux galeries à double colonne et chapiteau turc en keddâl. L'une
domine, au-devant d'une chambre à alcôve centrale — comme celle du rez-de-chaussée — le portique
inférieur auquel le relie un escalier tournant réservé aux maîtres ; l'autre plus spacieuse, pouvait être affectée
aux domestiques et à certains travaux ménagers avec accès par un second escalier placé près des dépendances
(cuisine, pièce à provisions)... »

1. Palais de Tunis, I, p. 271. Balma, nom d'une famille andalouse originaire de Palma de Majorque.
2. Près de la rue des Andalous, et sur l'emplacement des anciens palais khorassanides.
3. Sous le portique, un autre carré en marbre blanc et noir renferme un polygone auquel il est réuni par quatre boucles.
L HABITATION TUNISOISE 197

Planche XLVIII

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Romdane Bey). Cour avec portique à trois arcs (façade Ouest) et galerie circulaire (XVIIe s.).
198 J. REVAULT

Cour du Dâr ' Othman (rue El-Mbazaa)

Pour illustrer la disposition d'une cour intérieure à deux galeries extrêmes superposées, les quartiers
aristocratiques de la Médina peuvent montrer divers exemples intéressants. Nous en retiendrons, en premier
lieu, celui du Dâr 'Othman (1) en raison de sa valeur particulière, historique et architecturale.
Du palais privé de l'ancien Dey (2) nous connaissons déjà la porte monumentale de style hafside et la
driba de l'entrée avec ses arcatures de marbre bicolore. La beauté et la noblesse de la façade extérieure et
de l'accès du palais ne pouvaient tromper sur la qualité artistique des constructions intérieures. Nous verrons
que celles-ci ont également été favorisées par l'emploi exclusif du marbre clair de l'Ichkeul et le recours au
style hispano-maghrébin allié aux vieilles traditions ifriqyennes.
« Un patio dallé (3) s'étendait entre deux portiques dont les longues et gracieuses colonnes de marbre
clair à chapiteau hispano-mauresque soutenaient le déroulement symétrique de cinq arcs brisés à claveaux
noirs et blancs — l'arc central dominant les arcs latéraux. Cette succession d'arcs se poursuivait sur les deux
autres côtés de la cour par deux grandes arcatures aveugles aux angles cantonnés par des colonnes à chapiteau
hafside (4) (PI. XLIX, fig. 77). A l'étage, on suppose que ces galeries se répétaient, sous la forme plus simple de
larges loggias s'ouvrant au-dessus d'elles, divisées par de fines colonnes de marbre retenant une balustrade
de bois tourné et supportant une poutre horizontale formant « linteau sur semelles en encorbellement » (5).
Une corniche à corbelets de bois peint et à tuiles rondes vernissées devait couronner l'ensemble. Une solide
grille de fer pouvait enfin assurer la sécurité de la cour en la protégeant au niveau des terrasses contre toute
tentative d'incursion et de vol.
Ruine et démolition ont bien fait disparaître le dallage de la cour et l'étage de l'ancien palais mais le
souvenir n'en est pas complètement effacé.
Au dallage des galeries fait de marbre blanc agrémenté d'un réseau quadrillé de marbre noir devait
répondre, dans la cour, un dallage non moins recherché. Un décor géométrique, sobre et robuste, pouvait alors
en rehausser la surface unie par des incrustations de marbre clair et sombre au centre du patio et devant
chacune des quatre portes médianes (6) (fig. 54).
Sur le patio et ses galeries prennent jour les appartements disposés symétriquement. S'ouvrant vis-à-vis
l'une de l'autre selon deux axes transversaux, des portes flanquées de deux fenêtres semblables donnent accès
à quatre chambres (7). Aux extrémités, des portes latérales desservent des pièces d'angle. Le marbre clair est
uniformément employé dans l'encadrement des portes et fenêtres droites : sous chacune des deux galeries,

1. lbid.,\, pp. 93-117.


2. 'Othman-Dey régna de 1598 à 161 1 . R. Brunschvig, Encyclopédie de l'Islam, s.v. Tunisie, Paris, 1 931 , p. 897 : « La Régence
doit son organisation à peu près définitive au troisième Day, Uthmân... »
J. Pignon : La milice des Janissaires de Tunis au temps des deys (1590-1650), Cahiers de Tunisie, n° 15, 1956, pp. 301-303.
« Othman fut le premier dey qui gouverna seul... il fit asseoir la terreur à côté de lui... ».Ben Diaf, 2, pp. 28-31. « II organisa la
Course et ses mains se remplirent de butin... ». En 1607 arrivèrent des groupes d'émigrés d'Andalousie. Othman Dey les accueillit,
leur donna asile et engagea les habitants de la capitale à les bien recevoir... — construction d'un quartier des Andalous avec
mosquée et médersa, nomination d'un Cheikh des Andalous.
3. Ibid., PI. III.
4. L'emploi de l'arcature (kus pi. akwâs) formant niche a déjà été relevé à l'intérieur de la driba. 11 caractérise l'aménagement
de la cour de certains palais et riches demeures aux XVIe et XVIIe siècles, visant à l'allégement et à la consolidation des murs
comme à la décoration de l'ensemble.
5. Cette disposition classique correspond à celle de la demeure citadine telle qu'elle n'a cessé d'être pratiquée depuis
longtemps dans la Médina de Tunis et imitée dans les principales villes de la Régence (Kairouan, Bizerte, Sfax).
6. A comparer avec le dallage de la cour du Dâr Bou Zaïane. Le même style ornemental apparaît dans les motifs de marbre
ou de faïence noire qui meublent les écoinçons des arcatures de la cour : entrelacs inscrit dans un carré ou une rosace.
7. Des anciens appartements, il ne reste maintenant que les quatre salles d'habitation du rez-de-chaussée. Un même plan
en T détermine la forme traditionnelle des pièces : bit bel-kbû ù mkâser (PL 111), chambre avec alcôve centrale entre deux chambret-
tes latérales.
(Dâr 'Othman). Coupe avec élévation sur cour. Façade avec galerie à cinq arcs abritant porte arquée sous claustrum
XVIIe S.).
200 J. REVAULT

l'entrée principale apparaît encadrée de deux piédroits à colonnette et d'un arc brisé outrepassé à claveaux
noirs et blancs surmonté d'un claustrum cintré en plâtre sculpté et ajouré (1). L'intérieur des fenêtres basses (2)
est protégé par des grilles de fer à barreaux droits entrecroisés, doublés de contrevents. La place de l'une de
ces fenêtres se trouve occupée, dans le mur Sud de la cour, par la niche arquée d'un puits (3) ».
Sous le règne des Deys et des Beys mouradites, le Palais d'rOthman dey semble avoir été un des rares
monuments civils à posséder un patio entièrement édifié en marbre de l'Ichkeul dont les vestiges aient été
conservés jusqu'à ce jour. Il faudra ensuite attendre l'avènement des Beys husseinites pour retrouver l'usage
plus étendu du marbre importé d'Italie dans les Palais beylicaux élevés au XVIIIe et au XIXe siècles. En
bénéficieront ainsi les deux patios aménagés à l'étage de ces palais, le premier au Dâr el-Bey par Hamouda Pacha
(1782-1814) (4), le second au Bardo par Hussein Ben Mahmoud (1824-1835) (5).

Cour du Dâr El- Mrabet (rue Sidi Ben Arous)

Au magnifique patio du Dey 'Othman on peut encore ajouter une autre cour intérieure, de moindres
proportions certes, mais également imposante tant par l'élégance de son architecture que par la richesse de
sa décoration et de ses marbres clairs rehaussés de faïence polychrome. « L'emploi généralisé du marbre
blanc et noir donne au patio du Dâr El-Mrabet (6) un aspect somptueux qui dépasse celui des cours voisines (7)
et permet de le rapprocher de certaines demeures princières des XVIe et XVIIe siècles comme le Dâr 'Othman
nous en présente un exemple si remarquable (8). Cette comparaison est alors valable pour le style adopté
non seulement dans la colonnade et les façades mais aussi dans le détail architectural et décoratif. Même forme
outrepassée des arcs des deux galeries dont le rythme ininterrompu des claveaux bicolores (9) se poursuit
sur les murs latéraux aux arcatures aveugles (PI. L, fig. 85). Même alternance des portes arquées, sous
portique, et des portes droites, sur les côtés, les unes et les autres flanquées de deux fenêtres symétriques (10)
et surmontées d'un claustrum cintré. Si l'on excepte les deux chapiteaux de type néo-corinthien qui marquent
l'entrée de la salle d'apparat, les autres chapiteaux des galeries du rez-de-chaussée rappellent encore le style
hispano-mauresque si caractéristique au Palais du Dey 'Othman. Enfin cette ressemblance est accusée par
le décor des écoinçons et des impostes de surélévation des colonnes, leurs motifs géométriques et épigraphi-
ques en noir et blanc complétant l'appareil classique des marbres contrastés (11).

1. Ce modèle de porte a été longtemps en honneur pour marquer l'entrée de toute salle importante aussi bien dans les
monuments civils que religieux de Tunis.
Le recours à certains éléments d'architecture européenne, visibles ici dans deux arcs moulurés de style baroque ne
cessera de se manifester dans la capitale de la Régence à partir du XVIIIe s. dans un but d'innovation et de modernisation.
2. L'ouverture de fenêtres barreaudées de chaque côté de la porte des appartements a dû faire partie des nouveaux
aménagements réalisés au XVIIIe s. dans l'ancien palais du Dey Othman.
3. Des carreaux émaillés à motifs géométriques verts et jaunes couvrent des surfaces murales importantes, alternant avec
le marbre des arcades, portes et fenêtres. Une telle profusion de couleurs est certainement contraire à la sobriété que l'on observait
au XVIIe siècle dans la décoration des cours intérieures.
4. Palais de Tunis, I, pp. 323-325 ; II, pp. 294-307.
5. Palais et Résidences d'été, III, pp. 303-335.
6. Palais de Tunis, I, pp. 223-241, pi. XLIII.
7. Une vasque en marbre de facture italienne devait être installée au milieu du patio, entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
8. Fondation présumée entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle — comme le palais du Dey 'Othman.
9. Clavage régulier rappelant celui des constructions hafsides (Midhât es-Soltâne).
10. Les appartements du rez de chaussée comprenaient une chambre simple au Nord, et des salles avec alcôves et chambrettes
sur les trois autres côtés du patio. Les fenêtres des chambres s'ouvrant sur la cour ne peuvent résulter que d'aménagements
tardifs.
11. Décor architectural obtenu à l'époque turque par inscrustation de marbre foncé (tahjir akhal) ou faïence noire selon
des procédés empruntés aux constructions hafsides : bandes de motifs hexagonaux (dans entrelacs) encadrant, comme au Dâr
Daouletli, certains claustra et rappelant une ornementation de même n ature au Dâr 'Othman (driba)
.
L HABITATION TUNISOISE 201
Planche L

1m

(Dâr El-Mrabei). En bas, façade Nord-Ouest de la cour à défoncements asymétriques — arcature et fenêtre
géminée aveugle — ; en haut, détail de la fenêtre flanquée de trois colonnettes à chapiteau turc (XVIe-
XVIIe s.).
202 J. RE VAULT

Le patio du Dâr El-Mrâbet n'en présente pas moins son originalité propre due aux particularités
suivantes : dans la galerie inférieure, colonnes octogonales — auxquelles l'architecture tunisoise a eu moins
recours que les palais et villas algéroises au XVIIIe s. — arabesque turquisante semblable à celle des piédroits
sculptés à la place des palmettes traditionnelles sur des chapiteaux de type hispano-maghrébin ainsi que sur
l'abaque qui surmonte chaque imposte (1) ; entre les deux portiques, rupture d'une symétrie assez rigide
obtenue ici par la substitution d'une fenêtre géminée à l'une des deux arcatures murales habituelles (2) ;
effet précieux de vitrail qui en résulte par la vivacité de couleurs de ses faïences ; alliance du décor andalou —
composition entrelacée de mosaïques et de stucs — et turquisant — colonnettes à chapiteau à volutes. Dans la
galerie de l'étage, colonnes à chapiteau à volutes aussi solidement modelées que ceux du Dâr El-Hedri.
Deux citernes creusent leurs niches sous un arc à claveaux aux angles extrêmes des galeries du patio ».
Jusqu'à sa disparition, à une date récente (3), le Dâr El-Mrâbet pouvait représenter l'une des demeures
les plus caractéristiques et les plus somptueuses de l'époque mouradite. On avait dû faire appel aux artisans
les plus qualifiés et recourir aux matériaux les plus rares pour tirer le meilleur parti possible d'une alliance
artistique hafside et andalouse.
Cette impression ressortait, non seulement, du beau patio à deux galeries superposées, mais aussi du
luxe de l'entrée — drïba et skifa — et de celui des appartements qui s'y rattachaient et dont on pouvait admirer
les marbres, stucs et boiseries sculptées et peintes.

Cour du Dâr El-Hedri (rue du Trésor)

Le développement des portiques autour d'une cour turque ou mouradite ne diffère pas selon que celle-ci
se limite ou non au rez-de-chaussée. Lorsque cette cour est dominée par un étage, la galerie inférieure pourra
abriter trois de ses côtés — rarement quatre (4) — avec une galerie supérieure qui sera toujours circulaire.
De cette dernière disposition, le Dâr El-Hedri représente, sans doute, le meilleur exemple que l'on puisse
choisir à l'intérieur de la Médina, en raison même du style caractéristique de sa cour centrale (5).
« Le seuil de la bâb bel-kamja franchi (6), l'apparition de la cour à demi-ensoleillée renouvelle
l'impression de grandeur que possédait déjà, dès l'entrée, la belle façade de l'ancienne demeure (fig. 70). Même harmonie
des lignes, équilibre des proportions, sobriété ornementale et qualité des matériaux employés, signes intérieurs
confirmant les signes extérieurs de la construction de type hafside conservés à l'époque turque.
Pourtant la symétrie n'est pas mieux observée qu'ailleurs : la forme de la cour est trapézoïdale, ses
galeries ne l'entourent entièrement qu'à l'étage (PI. LI, fig. 70, 72), la bordant seulement sur trois côtés au rez-
de-chaussée : les arcs sont inégaux aussi bien dans les portiques inférieurs que dans les niches à fond plat
du mur dépourvu de galerie. Mais l'emploi généralisé du kaddâl et le déroulement ininterrompu des arcs
brisés créent ici une curieuse unité de style à laquelle ne nuit aucunement la fantaisie du bâtisseur (fig. 70
à 75).

1. Les sculpteurs tunisiens ont aussi réalisé en calcaire le même chapiteau (certains d'entre eux ont été recueillis au Musée
du Bardo).
2. La fenêtre géminée a souvent disparu des patios sur lesquels elle s'ouvrait autrefois, au niveau de l'étage. Elle a été
mieux conservée dans la courette de certaines dwïriya.
3. Démolition des bâtiments effectuée à la suite de l'effondrement de l'un des côtés du patio (1962).
4. Alors que le péristyle se généralise dans les palais husseinites, il apparaît seulement au rez-de-chaussée du Dâr el-Bey
comme témoin de cette forme d'architecture contemporaine des Mouradites. On ignore si la Kasbah en renferma autrefois d'autres
exemples autour de ses cours intérieures.
5. Palais de Tunis, I, pp. 124-147, pi. XIV.
6. Comme toute demeure citadine importante, le Dâr el-Hedri se compose de deux parties distinctes reliées ici par un
couloir ; l'habitation proprement dite établie autour de la cour principale (wûst al-dâr) sur laquelle débouche la skïfa, et les
dépendances desservies par une courette secondaire (dwïrîya). L'ensemble comprend un sous-sol, un rez-de-chaussée et un étage. Une
solide grille de fer s'étend au-dessus des cours, protection habituelle contre toute tentative d'intrusion à partir des terrasses.
L HABITATION TUNISOISE 203

Planche LI

(Dur El-Hedri). Cour à trois portiques sous galerie circulaire côté Sud-Ouest trois arcs inégaux sur
:

colonnes de pierre à chapiteau turc (XVIc-XVIIe s.).


204 J. REVAULT

Le dallage du patio présente la disposition classique : répartition en quatre compartiments que séparent
deux axes se croisant à angle droit (1). Ainsi compris, ce parterre de calcaire, fait de dalles carrées et
rectangulaires, offre une grande résistance à l'usage et au temps, présentant naturellement une composition agréable
à la vue (fig. 76). Au centre de la cour, l'aspect décoratif du lieu est encore rehaussé d'une grande dalle
incrustée d'un cercle de pierre noire réuni par quatre boucles à un encadrement carré (sofra) (2). L'uniformité du
sol n'est rompue que par la fermeture de la citerne (màjen) et la dalle perforée de cinq trous pour l'évacuation
des eaux de la cour (maskûka), l'une placée près du décor central et de l'escalier, l'autre à l'angle voisin de
l'entrée — partie la plus basse de la cour aménagée en pente.
Les dalles de la cour s'étendent sous les galeries qui la bordent de trois côtés : plate-bande longitudinale
dans les entre-colonnements et succession de dalles transversales unissant colonnes et murs forment une autre
disposition rationnelle et solide, encadrement complémentaire de la composition rayonnante du patio. Le
même sol se prolongera, au-delà de l'habitation, dans la plus grande partie des dépendances.
Si la triple galerie du rez-de-chaussée constitue l'ornementation extérieure la plus élégante des principaux
appartements tout en protégeant leurs accès et communications, le mur aveugle qui s'élève devant la petite
pièce et l'escalier qui la surmonte n'en forme pas moins un heureux contraste grâce à l'ingénieuse conception
de son appareil en keddâl (PI. LU, fig. 70). Il devait offrir tout d'abord une résistance particulière aux pluies
dominantes venant de l'Ouest. Dans sa façade de pierre s'ouvre une porte droite au-dessous d'un claustrum
cintré (fig. 74) tandis que, de chaque côté, s'élèvent deux niches à fond plat terminées par un arc brisé
outrepassé répétant, semble-t-il, les arcs des galeries. Une niche supplémentaire plus petite surmontée d'une fenêtre
apparaît à gauche de celle-ci (fig. 70, 71). Trois bandeaux verticaux rejoignant, au-dessous de la galerie
supérieure, une plate-bande horizontale placée en frise (3), divisent cette façade en quatre panneaux rectangulaires.
La diversité de l'appareil correspond à celle des formes recherchées — alternance des droites et des courbes
harmonieusement combinées — large monolithe pour le linteau de la porte, savant agencement des claveaux
dans les arcs, disposition judicieuse des assises « couchées et debout » (kaim û ndim) dans l'encadrement des
ouvertures, les surfaces murales et le fond des niches.
Une moulure souligne et réunit entre elles les principales lignes droites et courbes, horizontales et
verticales (4).
Le style de cette façade en keddâl rose et mauve, ornée de défoncements en arcatures symétriques qui
s'allient parfaitement avec les arcades de la galerie, est bien caractéristique des riches demeures de l'époque
turque. En dehors de l'allégement et du décor mural qu'elles constituent, les niches à fond plat de la cour
présentent une autre utilité puisqu'y ont été superposées citernes et étagères taillées également dans le
calcaire (fig. 71).
Les deux ouvertures surélevées, l'une cintrée, l'autre droite, éclairent l'escalier et une chambre à
provisions. Quant à la pièce exiguë et basse, placée sous l'escalier de l'étage et complétée d'une soupente, l'air et
la lumière n'y pénétraient auparavant que par la porte cloutée à deux battants ouvrant sur le patio (5).
La galerie {burtâl) disposée en fer à cheval sur les trois autres côtés de la cour comprend dix colonnes en
kaddâl supportant neuf arcs brisés outrepassés que couronne, en prolongement de la plate-bande déjà indi-

1. Cette disposition des sols dallés de keddâl correspond à des règles précises en usage parmi les tailleurs de pierre à Tunis
où de nombreux exemples en sont fournis aux époques turque et husseinite.
2. Ce mode d'incrustation de pierre noire dans le calcaire ou le marbre clair caractérise certains monuments citadins de
l'époque turque. De grands motifs géométriques (cercles, entrelacs, étoiles, rosaces) sont alors utilisés pour l'ornementation de
surfaces horizontales ou verticales. Dans le sol dallé des cours intérieures, leurs parterres carrés occupent généralement le centre
du patio ou le devant des portes principales. Un encadrement de faïence en atténue parfois la sévérité. Cette décoration était déjà
connue et pratiquée en Tunisie avant le XVIIe siècle.
3. Aux siècles suivants, stuc ou carreaux de faïence se substitueront à la pierre pour former la frise du patio.
4. Moulure semblable à celle qui entoure piédroits et linteau dans l'encadrement de la porte d'entrée.
5. Une fenêtre a été percée récemment, à gauche de la porte, dans l'une des deux niches latérales.
L HABITATION TUNISOISE 205

Planche LU

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(Dâr El-Hedri). Façade appareillée (Nord-Est) ornée de deux hautes niches à arc brisé (XVIe-XVIIe s.).
206 J. REVAULT

quée, une même frise de pierre (fig. 70 à 75). Le soi légèrement surhaussé (1) est étroit et n'offre qu'un abri
limité. Des trois arcades répétées devant les trois appartements, la plus importante s'ouvre naturellement
vis-à-vis d'une porte (fig. 73), celle de la chambre d'honneur correspondant à la « face de la demeure » (ûjah
dâr) et les autres aux chambres latérales (ajnâb) (2).
Ailleurs, arcs et entre-colonnements apparaissent moins larges, les dimensions les plus étroites résultant,
à droite de la façade intérieure, de l'irrégularité même du plan de la cour. Intérieurement, quatre arcs de
soutènement prolongent les trois lignes du portique jusqu'aux murs des chambres sur lesquels ils s'appuient
(fig. 72, 73) (3). Extérieurement, la galerie présente des éléments semblables : colonnes en keddâl à fût
cylindrique monté sur base surélevée et terminé par un chapiteau sculpté de type turc dont l'abaque supporte la
retombée des arcs brisés ; assemblage de ceux-ci en claveaux soigneusement ajustés (4), et sertissage par une
moulure couronnée d'une ou plusieurs boucles enchâssant, comme des pierres précieuses, des faïences de
couleurs (fig. 71, 75) sur le fond appareillé des écoinçons, décor des intrados par un bandeau stuqué répétant
des motifs de flore stylisée (fig. 73, 74).
Cependant la colonnade tire surtout son originalité de chapiteaux qui dénotent une inspiration nouvelle,
d'où leur appellation de « chapiteaux turcs », différents des chapiteaux précédents de type hafside et hispano-
maghrébin. S'ils apparaissent à Tunis pour la première fois, semble-t-il, à l'époque des Beys mouradites (5),
ils donneront lieu, par la suite, à de nombreuses imitations tant parmi les monuments civils que religieux (6).
Sur un large épannelage commun à la forme évasée des chapiteaux hafsides, le nouveau chapiteau s'orne,
à la partie supérieure, de quatre crosses arrondies à double face, en volutes convergentes s'appuyant contre une
feuille trilobée (7). Sobriété décorative et qualité d'exécution donnent à ce chapiteau toute sa valeur
artistique, se distinguant alors des imitations que l'on verra plus tard. Le style en est également adopté dans les
colonnes de la galerie de l'étage qui se superposent exactement à celles du rez-de-chaussée (fig. 71, 72, 73).
Sous la galerie s'ouvre, entre deux fenêtres barreaudées, la porte des trois chambres disposées
symétriquement, tandis que les portes de communication, plus petites, sont reléguées aux extrémités du portique (8).
Un encadrement de pierre rectiligne marque chaque ouverture, rehaussée d'une moulure à l'entrée des
appartements. Toutefois le plus important de ceux-ci, vis-à-vis de la belle façade de pierre ornée d'arcatures, a
reçu un cadre plus riche en marbre clair avec claustrum de plâtre ajouré sous un arc à claveaux noirs et blancs
(fig. 73) (9). La base des piédroits est sculptée de motifs floraux turquisants. Ailleurs l'ornementation de la

1. Le sol ou dallage surélevé d'un portique est désigné, comme l'entourage de la cour en keddâl, sous le nom de madda,
l'un et l'autre indiquant le niveau sur lequel se baseront les constructions pour élever leurs murs et calculer la pente qu'il
conviendra de donner au patio.
2. La plus belle salle d'un palais se trouve fréquemment du côté opposé à la ski/ici de l'entrée.
3. Ce mode de consolidation n'est utilisé que dans l'angle d'une galerie.
4. Une disposition analogue a été relevée au Dâr Baïram Turki.
5. Sinon antérieurement.
6. Mosquées, médersas, zaouïas, mausolées, habitations citadines de l'époque husseinite.
7. Le même chapiteau couronne la colonne d'angle indiquée plus haut, à la limite extérieure du Dâr el-Hedri. Il ornait
aussi une galerie circulaire à l'intérieur d'une ancienne demeure classée, 21 rue du Divan, mais que son état de ruine n'a pu
préserver de la démolition (vers 1927) (fig. 69).
8. A l'origine, les portes du rez-de-chaussée ne devaient pas différer des grandes portes à deux vantaux de type andalou
et maghrébin qui n'ont été conservés qu'à l'étage. Orientée à l'Est, la chambre principale (bit bel-kbû û mkâser) affecte la forme
traditionnelle en T.
Des deux chambres complémentaires qui encadrent la chambre principale, l'une, située dans le prolongement de la
driba, regarde le Sud-Est, l'autre est tournée vers le Nord-Ouest.
9. Cette porte et les deux fenêtres latérales sont aujourd'hui murées, à la suite des aménagements intérieurs effectués par
le propriétaire actuel du Dâr El-Hedri.
(Dâr el-Bey) - Cour de style mouradite où dominent le calcaire et le grès coquillier, sculptés et incrustés (XVIie s.)-
l'habitation tunisoise 207

galerie est limitée au plafond de bois peint à solives apparentes, que borde une frise de stuc formée d'une
succession de rosaces entrelacées (1).
L'escalier qui mène à l'étage a la forme coudée des couloirs d'accès et de communication du rez-de-
chaussée (2). Une ouverture cintrée donnant sur la cour éclaire la montée (3). L'escalier débouche
directement sur les galeries supérieures, protégé par une balustrade (PI. LU).
Ce portique encadre complètement la cour, surmontant galeries et chambre basse du rez-de-chaussée.
Douze colonnes de kaddâl auxquelles est fixée une balustrade à double rangée de fine colonnettes en bois
tourné et peint (darbùz) supportent les poutres en linteau qui soutiennent plafond à « solives apparentes »
et corniche à tuiles vernissées (fig. 72).
Le sol est pavé de faïence et bordé, entre les colonnes, d'une plate-bande en keddâl. Une solide grille
(shabbak) s'étend comme un filet protecteur, d'une galerie à l'autre, au-dessus de l'ouverture béante du patio.
Sous la galerie s'ouvrent des chambres disposées pareillement à celles du rez-de-chaussée auxquelles
elles se superposent à l'exception de la petite pièce que recouvre l'escalier et le quatrième côté de la galerie (4).
Avec son entrée seigneuriale, ses appartements étages, la distribution judicieuse de ses communs, enfin
sa fidélité à la noblesse de style de l'architecture hafside, le Dâr El-Hedri offre un des exemples les plus
remarquables de la grande demeure tunisienne à l'époque turque.
Aussi ne doit-on pas s'étonner que ses riches contemporains n'aient pas cherché une inspiration
différente et se soient efforcé d'obéir aux mêmes règles architecturales dans leurs propres constructions.
Il en résulte une unité de style qui caractérise également les anciennes habitations de la rue du Trésor et
d'autres parties de la Médina édifiées entre le XVIe et le XVIIe siècle ».
Parmi les demeures qui ont suivi, dans leur cour centrale, la même inspiration que celle du Dâr El-Hedri,
notons, comme la plus ancienne et la plus belle, le Dâr El-Haddad (5).
L'entrée, nous l'avons dit, ne pouvait laisser prévoir l'importance du patio et des appartements qui
l'entourent. La disposition de la cour montre bien trois portiques au rez-de-chaussée et une galerie circulaire
à l'étage, dans des proportions cependant plus élevées qu'au Dâr El-Hedri (PI. LUI) ; en outre une luxueuse
façade intérieure y joue un rôle semblable, creusée de deux hautes niches à fond plat, en face de la salle de
réception (PI. LIV). On s'étonne toutefois d'y voir l'emploi du kaddâl moins étendu. En effet, il est réservé,
en dehors du dallage du patio aux encadrements des portes et fenêtres, aux colonnes des galeries (fig. 83) (6)
ainsi qu'aux dukkâna installées dans les défoncements de la façade. Ailleurs les nakkâsha ont cédé la place
aux stucateurs qui ont substitué à la rude pierre de taille des arcs et des parements muraux la blancheur de
leur dentelle de plâtre sculpté (7).

1. En raison de l'importance du lieu, il ne semble pas impossible qu'une ornementation plus riche ait couvert autrefois
les murs des galeries — parements en keddâl et panneaux de stuc — et ceux des appartements conformément à un luxe architectural
contemporain, mieux conservé ailleurs.
2. L'escalier s'élève droit, parallèlement à la cour, coupé en deux volées par un large palier. Sa raideur et l'élévation de
l'étage justifient l'ancienne coutume du palier de repos afin de rendre l'ascension moins pénible.
Les degrés taillés dans le calcaire présentent un bord arrondi et des contre-marches égayées d'une bande de faïence
polychrome.
3. Cette ouverture en claustrum surmonte, nous l'avons vu, la porte droite de la façade Nord-Est.
4. La suppression d'une pièce à cet endroit a été compensée par la création d'une autre salle au-dessus de la driba. Cette
chambre haute réservée au maître prend jour, rue du Trésor, par une fenêtre surplombant la façade de pierre de l'entrée décrite
plus haut.
5. Palais de Tunis, I, pp. 169-196, PI. XXVIII et XXIX.
6. Colonnes à chapiteau hafside, triplées aux quatre angles de la galerie supérieure.
7. Frise ornée de motifs géométriques — carrés entrelacés — au-dessus des arcs brisés à bord festonné.
208 J. REVAULT

Planche LUI

(DârEl-Haddad). Cour à trois portiques et galerie supérieure circulaire. Côté Ouest à arcs brisés et surhaussés
sur colonnes de pierre à chapiteau hafside (XVIe-XVIIe s.).
L HABITATION TUNISOISE 209

Planche LIV

1 2m

(Dâr El-Haddad). Façade sur cour à trois défoncements devant la chambre principale (XVIe-XVIIe s.).
210 J. REVAULT

II en ressort une répartition des tâches différente puisqu'elle donne ici une importance nouvelle aux
décorateurs andalous dont l'art du naksh-hadïda était généralement réservé à l'ornementation intérieure du couloir
d'entrée et des pièces d'habitation.
En agissant ainsi, les artisans du Dâr El-Haddad ont fait figure de précurseurs, l'innovation dont ils ont
eu l'initiative en changeant les modes d'aménagement du patio étant appelée à devenir une règle commune
aux patios de l'époque husseinite.

XVIIF-XIXe siècles

L'évolution de l'architecture domestique et de la cour qui en constitua toujours l'élément primordial


conduit à l'abandon progressif des vieilles traditions ifriqyennes et hafsides. En même temps, le goût du
changement se manifeste par une désaffection de plus en plus marquée à l'égard de la pierre de taille qui fut
longtemps le matériau essentiel des palais princiers comme des riches demeures de la haute société tunisoise (1).
On conserve cependant l'usage du keddâl aux endroits où il paraît indispensable, depuis l'encadrement
de la porte extérieure — d'un nouveau style (2) — jusqu'au dallage de la cour, cadre des portes et fenêtres
intérieures ainsi que des citernes (3), colonnes des portiques et sol des communs. En tout autre lieu, la pierre
de taille disparaît entièrement, qu'il s'agisse des arcs des galeries ou des revêtements muraux (4).
C'est alors que la faïence polychrome et le plâtre sculpté réservés jusqu'ici au décor des appartements,
voire des portiques, sont appelés à jouer un rôle nouveau qui ne durera pas moins de deux siècles dans
l'ornementation murale des patios husseinites. Le genre en variera, bien sûr, laissant percevoir des influences
successives venues des bords de la Méditerranée. Aux imitations de l'art andalou, les artisans tunisiens
substitueront la copie d'éléments décoratifs empruntés tantôt à l'Espagne, tantôt à la Turquie ou à l'Italie (5).
La surface des murs se couvre ainsi d'une véritable tapisserie de faïence répartie soit en jeux de fond soit
en panneaux verticaux (6) composés de carreaux de Qellaline jusqu'à leur remplacement, au siècle dernier,
par des carreaux napolitains. Cette transformation murale n'a pas été seulement opérée dans des patios
neufs, on l'a vue bien souvent réalisée, au XVIIIe siècle, à l'intérieur de cours plus anciennes afin d'en
moderniser l'aspect dans des conditions d'exécution relativement aisée et rapide (7). A cette ornementation colorée
et brillante qui s'étend sur les deux tiers environ des murs du rez-de-chaussée s'ajoute le tiers supérieur affecté
au décor des stucateurs. Le répertoire de ces artisans ne variera pas moins que celui des céramistes ; il passera
des formes géométriques et florales héritées de l'art hispano-maghrébin si cher aux siècles précédents, à de
nouveaux éléments stylisés importés de la Turquie et de l'Italie ; vase avec bouquet, étoile, médaillon et cyprès
(8).
Cependant la fortune de cet art commencera à décliner, sous le règne d'Ahmed Bey (1837-1852), lorsqu'on
jugera plus commode de couvrir entièrement de céramique italienne les murs d'un patio.

1. Palais de Tunis, II ; Résidences d'été, III, passim.


2. Supra.
3. Qu'elles soient en calcaire local ou en marbre d'Italie, les niches de puits ou de citerne — s'ouvrant généralement dans
un arc de forme variable — sont bien la dernière survivance des anciennes niches murales à fond plat qui se répétaient auparavant
autour d'un patio.
4. D'où égalisation uniforme des murs.
5. Ibid., J. Revault, Arts Traditionnels en Tunisie, Paris, 1967, pp. 85-102.
6. Sans compter la frise surmontant la colonnade de certains portiques qu'elle sépare de la galerie supérieure (Dâr Ben
Abdallah, Dâr Lasram, Dâr Sfar, Dâr Baïram, Dâr Mamoghli).
7. Dâr 'Othman, Dâr Bou Choucha...
8. Composition géométrique et florale rythmée par des arcs muraux rappelant la forme et les proportions des arcs de deux
portiques extrêmes, sinon distribution des motifs en panneaux verticaux se répétant en frise. Palais de Tunis, II.
l'habitation tunisoise 211

Si l'on peut regretter la disparition définitive des arcatures aveugles — ou niches à fond plat — qui
contribuaient à donner auparavant leur originalité architecturale aux cours tunisoises avec un revêtement de keddâl
soigneusement appareillé, il n'en va pas de même pour les portiques ; en effet, leur nombre ne cesse de se
multiplier dans les nouveaux patios qui s'ouvrent d'un bout à l'autre de la Médina, sinon dans les faubourgs
(1). De cette conception de galerie venue tout d'abord des pays d'Orient et de l'Espagne Musulmane,
renouvelée ensuite par la Renaissance italienne (2), on comprenait trop les avantages qu'elle conférait à une cour
intérieure pour en admettre l'abandon. On en verra donc l'usage maintenu sous les différentes formes adoptées
autrefois allant de la galerie unique (3) ou double (4), jusqu'au portique triple (5) et au péristyle (6) (fig. 91, 92).
A la galerie inférieure se superpose plus souvent qu'auparavant une galerie haute de même importance
(7). C'est aussi entre la fin du XVIIe siècle et le début du XIXe siècle qu'apparaît à l'étage, nous l'avons
dit, à l'instigation des Beys husseinites, un nouveau patio élevé à l'intention des réceptions et des hôtes. A
Hamouda Pacha (1782-1814) est dû le magnifique patio à deux portiques qu'il fit édifier au Dâr el-Bey dans
le style mouradite (fig. 89, 90) (8) ; à Hussein Ben Mahmoud (1824-1834) est attribuée la construction de la
gracieuse cour de palais surmontant les hautes salles inférieures du Bardo (9). Ces patios de souverains ne
diffèrent pas des cours traditionnelles aménagées au rez-de-chaussée, dont elles ont conservé les arcades. Il
en est différemment des patios de la Médina ajoutés à leur riche demeure, sur les voûtes du rez-de-chaussée,
par dignitaires ou notables ; de dimensions souvent restreintes, ils sont caractérisés par une galerie circulaire
et quatre longues colonnes d'angle supportant, non plus un arc, mais une poutre (ou linteau) semblable à celle
des galeries hautes (ou loggia) (10) (fig. 91). L'association portique inférieur et galerie haute est également de
plus en plus recherchée autour de la cour intérieure. En bas, la courbe des arcs brisés outrepassés s'est simplifiée

1. Ibid.
2. Avant d'avoir une portée directe sur les artisans tunisois au XIXe siècle, l'influence italienne se manifeste dans la Régence
par l'intermédiaire de la Turquie que l'on s'efforce naturellement d'imiter dans divers domaines.
Les portiques inférieurs comme les galeries hautes conservent longtemps l'usage de colonnes de pierre à chapiteau turc
allongé — à quatre crosses, voire à huit volutes étagées sur deux niveaux — . Cependant de nouveaux types de chapiteaux taillés
dans le marbre de Carrare sont introduits dans les palais de Tunis : chapiteaux néo-doriques, corinthiens, composites, s'alliant
à des colonnes galbées, octogonales ou torses (fig. 91, 92).
3. (Médina). Dâr Bel-Khoja (rue El-Abri), Dâr Ben Sedfi (rue 'Abba), Dâr Ben Abd-Allah (rue Sidi Et-Tinji), Dâr Khojt
el-Khil (rue Sidi Bou Khrissan), Dâr (Mokhtar) 'Azouz (rue El-Khomsa), Dâr Es-Settari (rue en-Na'al), Dâr Redouane (imp.
du Sabre) — galerie d'angle.
(Faubourg) Dâr Et-Toumi (rue Sidi er-Rassas), Dâr Slim (imp. de la Guerre).
4. (Médina) Dâr Baïram et Dâr Mamoghli (rue des Andalous), Dâr El-Messaoudi (rue 'Abba), Dâr El-Béji (rue des Juges),
Dâr Lakhoua (rue Sidi es-Sourdou), Dâr Ben Salem (imp. B. Salem), Dâr (Mhamed) Djellouli (Rue Sidi Et-Tinji), Dâr Sfar
(rue Sidi Bou Khrissan), Dâr Ben Zakour (imp. B. Zakour), Dâr Ben Turkia (rue Sidi 'Ali 'Azouz), Dâr El-Khalsi (rue Dâr
el-Jeld), Dâr Ben Khalifa (rue Sidi B. 'Arous), Dâr Ech-Chelbi (rue 'Onq ej-Jmel), Dâr Ben Achour (rue du Pacha), Dâr Turki
(imp. Amouna), Dâr Baïram Sellami (rue du Divan), Dâr Bel-Khoja (rue de l'Agha), Dâr Lasram et Dâr Dziri (rue du Tribunal),
Dâr Ben Diaf (rue Ibn Abi Diaf), Dâr Chérif (rue Sidi Maouïa), Dâr El-Monastiri (Rue El-Monastiri) — où quatre galeries
hautes surmontent les deux portiques inférieurs — (PI. LV).
(Faubourg) Dâr Zaouche (rue Bou Khris), Dâr Abdul Wahab (rue Abdul Wahab), Dâr El-Bokri (rue Ben 'Othman).
5. (Médina) Dâr El-Caïd Samana (rue Et-Toumi).
(Faubourg) Dâr El-Mrâbet (rue Zaouïa Bokria).
6. (Médina) Dâr Djellouli (rue du Riche), Dâr Rechid (ou Dâr Ben Ayed, rue de l'Ecole et imp. B. Ayed), Dâr Ben Abd-
Allah (rue Ben Abd-Allah), Dâr Mohsen (rue Mohsen), Dâr Hussein (Place du Qsar), Dâr el-Pacha (annexe) (rue Sidi Ibrahim),
Dâr (Mhamed) Khaznadar (rue de la Carrière), Dâr Bel-Cadi (rue du Divan).
(Faubourg) — Dâr Bach-Hamba (rue Bach-Hamba).
7 II arrive cependant qu'une galerie haute soit aménagée comme auparavant, sur l'un des côtés du patio, en guise de loggia,
même en l'absence de tout portique inférieur.
8. Palais de Tunis, II, pp.294-307.
9. Résidences d'été, III, pp. 303-335.
10. Dâr Djellouli, Dâr Ben Abd-Allah, Dâr Hussein, Dâr Ben Ayed, Dâr Zarrouq, Dâr Bach-Hamba.
212 J. REVAULT

Planche LV

( Dâr El-Monastiri) — Coupe et élévation — Patio à deux portiques extrêmes avec arcs cintrés sur colonnes
.

de marbre italien. Galerie haute circulaire (XIXe s.). A droite, ancienne porte de la skifa (à gauche,
porte récente).
l'habitation tunisoise 213

pour aboutir à l'arc cintré (1) que borde parfois le feston d'une ornementation stuquée (fig. 91, 92). En même
temps l'usage de marbre d'Italie tend, comme l'emploi des carreaux napolitains, à se généraliser après avoir
été l'apanage exclusif de la Cour beylicale et des Dignitaires du Makhzen (2).
Le nouveau luxe architectural dont s'enorgueillissent les habitants de la capitale se répand encore autour
de la cité ; avec la paix ramenée par les Beys husseinites il gagne les belles résidences d'été et maisons de
plaisance qu'on se plaît à édifier soit à l'intérieur des terres au milieu de jardins, soit sur le littoral (3). On y
retrouve naturellement la cour centrale, élément inséparable de toute habitation tunisoise, citadine ou
suburbaine. Elle adopte cependant une physionomie différente selon le lieu : imitation fidèle — souvent
simplifiée — du patio de la Médina sur les hauteurs de Sidi Bou Said (4), elle se surélève ailleurs au-dessus des voûtes
de la citerne et des communs (5), agrémentée parfois d'une pièce d'eau qui en occupe le milieu — La Marsa,
Gamarth, la Manouba, la Mohammedia... (6).
A moins qu'elle n'ait adopté une disposition de plus en plus en honneur avec couverture en voûte (7)
— puis terrasse (8) — la cour d'une résidence d'été ne manque pas de bénéficier d'un ou de plusieurs
portiques, plus rarement de galerie haute, en l'absence d'étage supérieur. En outre, la superposition loggia-portique,
si elle disparaît généralement d'une cour suburbaine, reprend ses droits devant un jardin et en face de la mer
dont les estivants désirent profiter pleinement à toute heure du jour.
Ainsi, à travers les différents aspects qu'affecte, au cour de son évolution, le patio tunisois, est-il possible
d'y déceler un même souci de tranquillité et d'intimité recherchées dans un cadre harmonieux, propice au rêve
et à la poésie... rythme des lignes, des motifs décoratifs ou des couleurs.

Appartements

II n'est pas de notable à Tunis qui n'ait été fasciné par le luxe architectural qu'il lui était permis
d'entrevoir dans un palais viziriel, sans être tenté de posséder, dans sa propre demeure, un reflet de ce luxe, ne serait-
ce que dans la partie noble de son habitation : la bit ras el-dâr. Plus haut, les dignitaires du Makhzen ne se
laissent pas moins éblouir par le faste dont s'entoure leur souverain et qu'ils rêvent d'imiter. Comme il devait
en être déjà ainsi au temps des Sultans hafsides, un même style continue à rayonner à l'intérieur de la capitale,
se répercutant de haut en bas, de la même façon sous le règne des Deys, des Beys mouradites, puis des Beys
husseinites.
Nous avons vu comment s'exerçait cette influence supérieure sur l'entrée d'un palais ou d'une riche
demeure ainsi que sur leur cour intérieure. Cette influence ne manque pas de s'étendre également aux
principaux appartements constitués par une ou plusieurs chambres en T (bit bel-kbû ù mkâser) selon le rang et la
fortune de chacun (9). On sait que cette salle en T, à l'encontre de la chambre simple (bit trîda) pourvue

1 . Selon la forme adoptée au XIXe siècle par certaines portes d'entrée.


2. Dâr el-Bey (étage), Bardo, Dâr Hussein, Dâr Ben Abd-Allah, etc. Dans certains cas, le nouvel engouement à l'égard
du marbre de Carrare conduit à l'embellissement du patio avec l'installation, en son milieu, d'une vasque à l'italienne (Bardo,
Dâr Ben Abd-Allah (fig. 91), Dâr El-Monastiri, Dâr el-Bokri).
3. Résidences d'été, III, passim.
4. Ibid., Sidi Bou Saïd : Dâr Lasram, Dâr Mohsen, Dâr Thameur, Dâr Zarrouq, Dâr Toumi, Dâr El-Bechiri.
5. La Marsa : Résidence de France, Résidence de Grande-Bretagne, Saniet el-Bahri, Saniet Ben Achour, Saniet Zaouche.
La Manouba : Palais Khereddine.
6. La Marsa : L'Abdalliya ; Camarth : Palais Ben Ayed, Borj El Mestiri ; La Soukra : Borj El-Ghattas ; La Malga : Borj
Bou Khris ; La Manouba : Borj El-Kebir, Borj Kobbet en-Nhas ; La Mornaguia : Borj d'Hamouda Pacha.
7. La Marsa : Borj Chaba'ane, Borj Ousleti.
8. Palais du Bardo et de Ksar Sâid ; Résidences estivales du littoral, du Cap Carthage à la Goulette (Mustapha Khaznadar,
Ahmed Zarrouk, Khereddine).
9. Palais de Tunis, I et II ; Résidences d'été, III, passim.
214 J. REVAULT

seulement de deux alcôves extrêmes, dispose de trois alcôves, l'une médiane et les deux autres latérales.
L'alcôve centrale (kbù) sert de pièce de réunion et de réception, face à la porte donnant sur le patio, tandis
que les deux alcôves s'opposant à chaque bout de la salle, réservées aux lits familiaux, font office de chambre
à coucher. A la pièce en T sont encore annexées deux chambrettes {maksûra, pi. mkâser) aménagées de part
et d'autre du kbù.
Il est alors curieux d'observer que les arcatures — niches à fond plat et portiques — qui ont longtemps
constitué les éléments essentiels d'une cour hafside, puis turque, se répètent jusque dans les appartements
ouvrant sur cette cour. Leur mode de réalisation a aussi recours au calcaire ou au marbre local, suivant les
cas, jusqu'à la période husseinite dont on connait déjà les modifications architecturales. Un bel arc brisé
outrepassé caractérise l'ouverture des trois alcôves reliées entre elles par des linteaux droits au-dessus des
portes de maksûra, voire des fenêtres flanquant la porte d'entrée. Marbre et pierre peuvent encore se
prolonger en revêtements muraux à l'intérieur des alcôves, dans les écoinçons des arcs et au-dessus des portes. Mais
il semble bien que l'on ait souvent préféré atténuer la sévérité d'un tel revêtement en introduisant à l'intérieur
des alcôves l'éclat joyeux et coloré de faïences murales — mosaïques ou panneaux — surmontées d'une légère
frise de stuc. Cette ambiance de couleurs chatoyantes à laquelle on était toujours sensible se poursuivait ensuite
sur le pavement du sol et la peinture des plafonds à solives apparentes.
A l'intérieur d'un palais, une chambre à trois alcôves pouvait se multiplier et occuper les quatre côtés
d'une cour. Par contre, un beldi (1) —personnage religieux, commerçant ou artisan — était heureux de
posséder une seule chambre d'honneur dans laquelle il pouvait accueillir dignement ses amis et visiteurs de marque.
Il fallait être un notable connu et avoir de grands biens pour disposer autour d'une cour plus spacieuse deux
salles en T, tout au plus trois. Quoi qu'il en soit, ces chambres ne différaient guère entre elles, sinon dans leurs
proportions. C'est pourquoi il importe surtout d'en montrer quelques exemples typiques, les plus intéressants
appartenant naturellement aux époques turque et mouradite avec l'usage maintenu de la pierre et du marbre
régionaux soigneusement taillés et appareillés.

XVP-XVIP siècles

Des Palais du Dey 'Othman et du Dâr El-Mrabet seront décrites les salles de réception dont les structures
et parements de marbre bicolore ont été le mieux conservés, du Dâr El-Haddad et du Dâr Chahed seront
présentés les mêmes éléments en calcaire.

Appartements du Dâr ' Othman (2)

« Des anciens appartements, il ne reste maintenant que les quatre salles d'habitation du rez-de-chaussée.
Un même plan en T détermine la forme traditionnelle des pièces : bit bel-kbù ù mkâsar, chambre avec alcôve
centrale entre deux chambrettes latérales (3). L'ordonnance intérieure des murs en a survécu intégralement
dans la salle Ouest (PL LVI). Elle est caractérisée par quatre grands arcs brisés outrepassés à claveaux de marbre
noirs et blancs s 'élevant aux quatre points principaux : alcôve centrale et porte à l'opposé (4), alcôves
latérales aux deux extrémités de la chambre (fig. 93). Entre les unes et les autres, les portes droites des maksûra

1. Citadin.
2. Palais de Tunis, I, p. 93-117.
3. Les grandes demeures citadines sont demeurées fidèles à cette disposition classique tant qu'elles sont restées à l'intérieur
de la Médina et dans les villégiatures environnantes. Le plan en T corrigeait, en effet, les inconvénients présentés par la longueur
des pièces et leur faible largeur soumise à la portée restreinte des couvertures en voûte ou en bois. Sa commodité correspondait
bien aux besoins exigés de chaque appartement au centre, dans le kbû, face à la cour, le divan réservé aux entretiens et aux repas ;
retirés aux deux extrémités de la chambre, les lits clos ; enfin les chambrettes servant de cabinet de toilette et de débarras.
:

4. Des arcs en marbre de deux couleurs marquent souvent l'ouverture des alcôves dans les riches demeures des XVII0
et XVIIIe siècles avant d'être remplacés par des arcs en stuc. Les piédroits s'ornent parfois de colonnettes engagées à chapiteau
hafside ou hispano-mauresque (fig. 121, 122) (Dâr Cheikh Bel-Hassen, Dâr Baïram Turki, Dâr el-Bey). La fixation des piédroits
est assurée au moyen de clous de cuivre à tête godronnée. Au début du XVIIIe s. l'arc en marbre bicolore ne semble plus maintenu
qu'à l'entrée du kbû, les alcôves des lits s'ouvrant désormais dans un arc en stuc.
(Dârarcs
' Othman).
de marbre
Coupe
blancavec
et noir
élévation
séparésd'une
par les
chambre
portes droites
entre deux
de deux
pièceschambrettes
: salle à trois
— bit
alcôves
bel kbû
(médiane
û mkâseret (XVP-X
latérale
216 J. REVAULT

et vis-à-vis d'elles les fenêtres sur la cour sont couronnées d'une même plate-bande appareillée de deux
couleurs. Ainsi alternent harmonieusement la courbe des arcs et la ligne droite des linteaux. Il en résulte, comme
dans la cour, une succession ininterrompue de formes contrastées dont la symétrie aboutit à un heureux et
puissant équilibre (1). L'impression s'en trouve renforcée ici par l'opposition entre la nudité des marbres de
revêtement mural et la polychromie brillante des panneaux de faïence dans chacune des trois alcôves. Cette
ornementation ainsi limitée aux seules places occupées le plus souvent par le maître des lieux et sa famille,
est allégée par la fine dentelle des stucs ; la frise en arceaux répétés des naksh hadïda (2) répond très
heureusement à la conception architecturale des appartements » (3) (fig. 93).

Appartements du Dâr El-Mrabet (4)

« Jusqu'à leur récente démolition décidée à la suite de l'effondrement de l'un d'eux (5), les appartements
du rez-de-chaussée comprenaient une chambre simple au Nord et des salles avec alcôves et chambrettes sur
les trois autres côtés du patio. En dépit de nombreuses altérations subies dans leur décor — à l'exception de
la salle d'apparat — les pièces d'habitation semblent avoir conservé leur disposition initiale. La chambre
longue sans kbû remplace celui-ci par un simple défoncement mural surmonté d'un arc au-dessus d'une
dukkâna entre deux placards (tâka) (6). Aux deux extrémités, les alcôves latérales avec sadda réservées aux
lits, l'une d'elles se doublant d'une chambrette (maksûra) sous une soupente (mustrak) (7).
Parmi les rares éléments d'origine, les colonnettes à chapiteau turc cantonnées à l'entrée du kbû
apparais ent encore au-dessous des assises de marbre blanc et noir qui devaient supporter autrefois un bel arc
outrepassé à claveaux bicolores. Toutefois, c'est par l'examen de la bit ras al-dâr que l'on parviendra le mieux à
la restitution complète des trois premières chambres (8) (PL LVII).
Bit ras al-dâr. — Jusqu'à sa disparition en 1963, la pièce de réception du palais fut sans doute
respectée presque intégralement en raison même de la beauté remarquable qui en caractérisait le style depuis
trois siècles environ.
Chambre d'honneur, orientée au Sud-Est comme la salle de réception du Dâr Chahed, elle servait
également de salon. Là encore, marbre, faïence, stuc, bois sculpté et peint jouent un rôle primordial dans un
équilibre harmonieux fait du contraste des grandes surfaces droites ou arrondies, uniformément blanches ou
colorées. Marquant les places nobles de la pièce, deux arcs outrepassés à claveaux noirs et blancs, appuyés
sur des piédroits bordés de colonnettes à chapiteau hispano-maghrébin, s'élèvent presque jusqu'au plafond,
au-devant des ouvertures centrales qui se font face, kbû et porte du patio (PL LVII, fig. 94) (9). Celle-ci ins-

1. Ce parti architectural atteint le même effet de grandeur et de beauté que la Midhât el-'Attarine et la Zaouïa de Sidi
Kasem el-Jalizi avaient déjà obtenu par les mêmes moyens au XVe siècle (fig. 54, 139).
2. Littéralement sculpture au fer.
3. Ici, les arcatures de plâtre ciselé qui compartimentaient un décor de style andalou observent la simplicité qui les
harmonisera avec les grands arcs de marbre des alcôves.
4. Palais de Tunis, I, pp. 223-241 .
5. Depuis la suppression de l'Administration de la Médina, l'ancien Palais Mrâbet était demeuré à l'abandon.
6. Cette disposition pouvait alors donner l'illusion d'une pièce plus importante, les portes des placards correspondant
à celles des chambrettes encadrant le kbû.
7. En raison de ses dimensions, cette maksûra pouvait compenser l'absence des deux chambrettes habituelles. La pièce
sunérieure (mustrak) était accessible par une ouverture pratiquée au niveau de la sadda.
8. Il en est ainsi dans d'autres palais de même époque où les montants du kbû ont seuls résisté aux transformations intérieures.
9. L'unité de style des colonnettes est donnée par l'emploi des mêmes chapiteaux hispano-maghrébins (certains, porteurs
d'inscriptions pieuses sur les quatre faces de l'abaque) à l'entrée du kbû (fig. 122) alors que les fûts sont tantôt cylindriques,
tantôt torsadés ou cannelés. La base des colonnettes et des piédroits est très sobrement sculptée de motifs turquisants.
L HABITATION TUNISOISE 217

Planche LVII

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El-Mrabet). Salle d'honneur : en haut, élévation côté kbû et mkaser ; en bas, élévation côté porte et
fenêtres sur cour (XVIe-XVIIe s.).
218 J. RE VAULT

crit dans le même style architectural son double encadrement de marbre bicolore au-dessous des tympans à
claustrum et faïences polychromes du grand arc supérieur (1).
Aux deux extrémités de la chambre, un arc de plâtre festonné surmonte l'emplacement réservé autrefois
au lit d'apparat en bois sculpté, doré et peint (2). Autour des deux portes de la maksûra et des deux fenêtres
sur le patio qui s'opposent symétriquement, un encadrement semblable de marbre rectilinéaire à linteau
appareillé relie entre eux les quatre grands arcs qui commandent l'ordonnance de la salle (fig. 96) (3) ; la clarté
des marbres du sol et des murs s'étend à la blancheur ouvragée des stucs. Au luxe architectural (fig. 95, 96)
répondait certainement la plus grande recherche dans l'ameublement pour le seul agrément du maître et
de ses familiers : brocarts tendus au fond du kbû ou retombant dans les alcôves des lits d'apparat, tissus et
coussins brochés garnissant les divans autour de tapis moelleux et chatoyants importés d'Orient, tables
basses et coffrets incrustés d'ivoire, de nacre et d'écaillé (4) ».
Bien que la salle d'apparat du Dâr El-Mrabet dépasse en somptuosité les belles salles du Dâr 'Othman,
les unes et les autres ont en commun leur porte d'entrée à arc brisé outrepassé — réservée aux seuls palais
et plus riches demeures citadines — les grands arcs intérieurs à claveaux de marbre bicolore et piédroits à
colonnettes cantonnées marquant l'ouverture de leurs trois alcôves, enfin les portes et fenêtres à linteau droit
sous plate-bande appareillée ; disposition caractéristique de l'ancienne architecture hafside à laquelle s'ajoute
encore le décor andalou des stucs, des plafonds et des faïences polychromes.

Appartements du Dâr El-Haddad

Alors que le Dâr 'Othman et le Dâr El-Mrabet comportent quatre chambres en T autour de leur patio
à double portique le Dâr El-Haddad ne dispose que de trois salles de même importance en raison de la
configuration de sa cour entourée de trois portiques et d'une façade intérieure creusée de niches à fond plat (5).
« Hors des galeries, la belle façade à triple arcature est un trompe-l'œil destiné à dissimuler l'escalier (6)
(PL LIV). La porte encadrée de pierre moulurée peut faire illusion, répondant à celle de la salle d'apparat
qui lui fait face (PI. LIIJ). Pourtant elle n'ouvre que sur une chambrette voûtée {bit al-manjaï), sorte de
soupente...
Ouvrant sur la galerie médiane (PI. LUI), la salle de réception est orientée vers l'Est (pi. LVIII). Les
dimensions s'en trouvent limitées par les deux grandes pièces domestiques qui la flanquent de part et d'autre.
Keddâl et naksh hadïda se partagent le revêtement mural. C'est surtout la place importante accordée à la
pierre et à l'élévation du plafond qui donnera à cette pièce toute son originalité (7) (PI. LVIII). Le calcaire
y est réservé naturellement au large encadrement de la porte (8) — à quatre battants cloutés — entre deux

1. Claustrum de plâtre ajouré, à rosaces entrelacées (répondant à celles qui se répètent en frise au fond du frbù), au centre
du tympan garni de petits carreaux de faïence polychrome ; boucles des arcs ornés de motifs étoiles en faïence grattée.
2. Lit sculpté et peint, sarïr ; lit doré : hanût hajjâm.
3. Nous avons déjà signalé la perfection de cette symétrie dans la salle la mieux conservée du Dâr 'Othman.
4. Cf. P. Ricard, Pour comprendre V Art Musulman dans /' 'Afrique du Nord et en Espagne, Paris, 1924.
J. Revault, Arts Traditionnels en Tunisie, Paris, 1967.
5. Palais de Tunis, I, pp. 169-196.
6. Supra.
7. Revêtement et encadrement de pierre comparables à ceux des palais mouradites de la rue Sidi Ben Arous, moins importants
dans les autres chambres du Dâr El-Haddad.
8. Porte à vantaux pliants surmontés d'un claustrum de stuc à lourds motifs.
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(Dâr El-Haddad). Salle d'apparat à parements de calcaire (côté cour) entre deux pièces des communs à colonnes de pier
220 J. REVAULT

fenêtres à double linteau {mrâya) auquel répondent l'arc brisé du kbû (1), retombant sur deux colonnes
cantonnées (2) et la double ouverture de ses maksûra (3). La nudité assez austère du calcaire met en valeur la
richesse des stucs se superposant en frises murales, se découpant en festons dans les arcs latéraux et couvrant
l'intrados de l'arc central » (PI. LIX).
Sans doute les proportions de la salle d'apparat du Dâr El-Haddad sont loin d'égaler celles de la salle
de réception du Dâr El-Mrabet, les premières ayant été arrêtées dans leur développement aux deux extrémités
de la chambre par la présence exceptionnelle à cet endroit de deux pièces symétriques appartenant aux
communs. On en retiendra cependant une certaine ressemblance de style qu'accentue un même type de
couverture — plafonds en carène et en pyramide (4).

Appartements du Dâr Lamine Chahed (ou Dâr Hamouda Pacha) (5)

De même ancienneté que les deux palais qui l'encadrent, le Dâr Daouletli et le Dâr El-Mrabet, le Dâr
Lamine Chahed aurait servi tout d'abord de résidence à Hamouda Pacha le Mouradite, avant d'appartenir
plus tard à une famille de juristes et de chaouachis fortunés dont il porte aujourd'hui le nom.
Au-delà de son portail arqué et de sa drïba qui donnent sur la rue Sidi Ben 'Arous, une vaste cour limitée,
à ses deux extrémités, par une double galerie superposée, témoigne de l'importance du lieu.
« Comme au palais voisin du daouletli, le kaddâl apparaît le matériau de revêtement prédominant :
dallage de la cour et des galeries, colonnes, encadrement des portes et fenêtres. Celles-ci sont également
surhaussées de linteaux appareillés bicolores comme les claveaux des arcs, sinon de claustra rectangulaires qui
se répètent au-dessus des portes s'ouvrant aux angles de la cour. Au calcaire on a substitué parfois un marbre
clair pour en rehausser certaines portes et fenêtres ; ailleurs des surfaces murales importantes ont échangé
leur ancien revêtement de pierre contre des panneaux de faïence polychrome, contraires, nous l'avons vu,
à la sobriété observée habituellement dans les cours des habitations mouradites... (6).
Selon la coutume, la salle d'apparat occupait la partie du palais opposée à la skîfa, bénéficiant ainsi de
la brise de mer pendant la saison chaude (7). A l'arc outrepassé de la porte répondent ceux de l'alcôve
centrale (kbû) et des deux alcôves latérales de même que la symétrie rectilinéaire des fenêtres reproduit celle des
portes des maksûra (8). La grandeur du lieu résulte alors de la beauté de ces trois arcs de pierre qui marquent
les places d'honneur. Le défoncement central ouvert sur la chambre, face au patio, s'inscrit entre deux
colonnes de marbre à chapiteau hafside (9). Jusqu'à la limite supérieure des étagères traditionnelles, ses parois se
recouvrent d'une véritable tapisserie de faïence. En dépit d'une richesse ornementale remarquable, sa
composition conserve la simplicité dont la skïfa offrait, dès l'entrée, un premier exemple».

1. Arc brisé non outrepassé.


2. Colonnettes de marbre à chapiteau composite remplaçant d'anciennes colonnes de calcaire, dont, seule, la base a été
conservée.
3. Le relief accusé du revêtement en kaddâl dans la salle de réception permet-il d'en supposer l'installation postérieure
à la construction du palais ?
4. Les deux chambres latérales encadrant la salle d'apparat ouvrent également sous galerie. De grandes proportions, elles
ne devaient guère différer autrefois dans leur aspect extérieur et intérieur.
5. Palais de Tunis, I, pp. 217-222.
6. Autrefois, ce revêtement de calcaire devait être plus important encore, enrichi sans doute par une ornementation stuquée
dans les frises des galeries et le tympan des arceaux latéraux.
7. On sait que les meilleures chambres sont tournées de préférence vers le Sud et à l'Est, recherchant également la chaleur
solaire et la fraîcheur maritime.
8. Une origine commune apparaît dans le style architectural relevé à l'intérieur du Dâr 'Othman (XVI°-XVIIe s.) mis en
pleine valeur par l'emploi du marbre blanc et noir.
9. S'agit-il d'un emploi de colonne du XIIIc'-XIVe siècle ou de la survivance à cet endroit d'une ancienne construction
hafside comme la pureté de ce chapiteau permettrait de le supposer ?
(Dâr El-Haddad). Salle d'apparat (côté kbu et mkaser) flanquée des communs.
222 J. REVAULT

II n'y a pas lieu de s'étonner que cette belle demeure mouradite ait été la résidence d'un haut personnage
du XVIIe s. Plusieurs raisons peuvent justifier cette affectation : une situation privilégiée à proximité de la
Grande Mosquée et de la Kasbah — centre religieux et centre gouvernemental :
— l'aspect imposant de la cour sur laquelle donnent les appartements avec le développement particulier
de ses portiques et de ses arcatures murales que surmonte une galerie circulaire (1) ;
— l'emploi de l'arc brisé outrepassé — dont on connaît la rareté — marquant l'entrée des deux pièces
principales qui se font face, et sa répétition intérieure au-devant des trois alcôves de la salle d'apparat.
Ce nouvel exemple montre, s'il en était besoin, combien la pierre de taille pouvait être appréciée, dans les
constructions princières elles-mêmes, concuremment au marbre.
L'examen d'une salle d'apparat dans une élégante maison bourgeoise, une grande demeure de notable
ou un palais, révèle une même prédilection à l'égard de la pierre de taille ou du marbre comme matériau
de choix, aux XVIe et XVIIe siècles. Depuis l'entrée et le patio jusqu'aux principaux appartements, il n'est
pas de parure jugée plus belle. Sans doute, à l'imitation des siècles antérieurs, estime-t-on suffisant de rompre
l'uniformité de ces grandes surfaces horizontales ou verticales, soit par l'incrustation d'un décor géométrique
ou par la plantation d'un arbre verdoyant au milieu du dallage d'une cour (fig. 66), soit par le défoncement
calculé des murs selon des arcatures destinées à faire naître d'agréables jeux d'ombre et de lumière. Partout,
un bel arc conforme aux meilleures traditions semble bien la forme la plus noble et la plus recherchée, s
'opposant à la rigidité archaïque des formes droites avec lesquelles une heureuse alternance s'établit souvent.
Comment des éléments étrangers s'introduisirent-ils entre ces matériaux — calcaire et marbre — qui
semblèrent longtemps se suffire à eux-mêmes ? Ces nouveaux éléments seraient, sans doute, apparu plus
tardivement sans l'intervention des artistes andalous dont l'immigration en Ifriqiya commencée au XIIIe siècle
ne se termina qu'au XVIIe siècle avec l'exode des Morisques. Il fallut bien alors se soumettre au raffinement
d'une civilisation dont on reconnaissait certainement la supériorité. Cependant il est permis de penser que
cette soumission se fit progressivement, à partir des lieux réservés à l'accueil des visiteurs (skïfa) (2) ou des
invités (bit ras al-dâr), avant de s'étendre aux endroits occupés journellement par les membres d'une famille
— cour, chambres — soucieux d'y préserver des traditions auxquelles ils se sentaient très attachés (3).
Cette intervention des artisans musulmans venus d'Espagne fut naturellement déterminante dans
l'évolution de l'ornementation architecturale en milieu tunisois. Ce fut d'abord le sol des chambres qui se couvrit
de carreaux émaillés unis (4). Dans la salle de réception, ce carrelage pouvait être rehaussé, en son milieu
— entre la porte et le kbû — d'un parterre de mosaïques polychromes ou de carreaux « à la cuerda secca»
ornés de motifs entrelacés (5). Puis ce décor coloré gagna successivement les parois inférieures du kbû et
des alcôves latérales en même temps que la partie supérieure des trois alcôves s'ornait de naksh-hadïda.
Enfin, les plafonds eux-mêmes, dont la peinture devait répondre à celle des lits monumentaux et des coffres
de mariage, échangèrent peu à peu leur ancienne décoration de style hafside contre le nouveau répertoire
géométrique et floral apporté de l'Espagne et du Maghreb.
La transformation de l'aspect intérieur des riches habitations citadines s'effectuera donc par étape.
La faïence, qui devait prendre, plus tard, une telle importance dans le décor des surfaces murales, débuta
discrètement par quelques notes de couleur — boucles d'arc, bandeau d'encadrement de porte — puis s'étendit
jusqu'à couvrir comme d'une tenture précieuse les lieux d'élection — alcôves — leur association avec le
naksh-ahdïda s'équilibrant momentanément avec les parements de pierre ou de marbre auxquels ils
ménageaient encore de larges emplacements.

1. Rappelons que les deux cours inférieures du Dâr el-Bey furent également réalisées en keddâl au XVIIe siècle, à l'initiative
d'Hamouda Pacha le Mouradite. Palais de Tunis, II, pp. 294-307.
2. Supra.
3. Plus tard, nous verrons d'autres modifications apparaître suivant un processus semblable.
4. Ibid., I, Dâr 'Othman..
5. Ibid., Dâr El-Mrabet, Dâr Dennouni...
l'habitation tunisoise 223

Cet équilibre devait être rompu, nous l'avons vu, à l'époque husseinite, au profit de l'ornementation
hispano-maghrébine qui fut elle-même condamnée à disparaître, remplacée par une décoration sans cesse
renouvelée pour répondre aux caprices d'une mode hésitant entre les influences venues de l'Orient et celles
de l'Occident.

XVIIIe- XI Xe siècles

C'est vers la fin du XVIIIe siècle et au début du siècle dernier que le marbre d'Italie fait son apparition
à l'intérieur des palais beylicaux et viziriels. Il connaîtra une faveur croissante à partir du règne d'Hamouda
pacha (1782-1814) pour s'étendre jusqu'aux demeures des notables séduits par l'exemple d'Ahmed Bey et
de son entourage (1837-1855). On peut alors y voir comme le signe de la désaffection définitive de la
Cour et de la haute société tunisoise à l'égard des matériaux locaux — marbre de l'Ichkeul et calcaire du
Cap Bon — ainsi que des éléments caractéristiques de l'ancienne architecture hafside qui y étaient attachés
depuis plusieurs siècles.
A travers de tels changements le maintien d'un plan traditionnel s'impose par sa constante : la forme
en T des chambres et salles d'apparat. Celle-ci correspond trop à un besoin essentiel — association salon-
chambre à coucher — et à la satisfaction de générations successives pour que l'on songe seulement à la
remplacer. On se contentera alors d'en adapter l'aspect, comme celui de l'entrée et du patio, à la mode du
moment : dallage de marbre clair, lambris de faïence polychrome — jeux de fond ou panneaux turquisants
— arcs cintrés des alcôves... (1). Bien plus, la bit bel-kbù û mkàser se superposera souvent à l'étage, au-dessus
de celle du rez-de-chaussée.
Ailleurs, ce que les souverains parviendront à réaliser à partir de la pièce traditionnelle en T, est une
salle de réception plus vaste établie sur plan cruciforme — à trois alcôves et six chambrettes (bit be thletha
kbûwât ù satta mkâsar). Sorte de renaissance d'une conception plus ancienne telle qu'elle a été relevée dans
les palais du XIe siècle à la Kala'a des Béni Hamed (2) et ceux du XIVe siècle à l'Alhambra de Grenade (3),
conception que l'on retrouve aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les pavillons des sultans d'Istanbul et les
« yalis » du Bosphore (4).
Le grand constructeur que fut Hamouda Pacha se signale par la somptueuse salle d'honneur qu'il éleva
dans sa résidence de campagne à la Manouba (Borj el-Kebir ou Palais de la Rose) (5). Dallée de marbre blanc,
lambrissée de marbre de couleur et de faïence de Qellaline, cette grande pièce est surmontée d'une coupole
couverte d'une ornementation stuquée (6). Autrefois, ses portes et fenêtres découvraient intérieurement
une grande pièce d'eau, à l'extérieur les orangers d'un magnifique verger.
A la même date, le célèbre ministre d'Hamouda Pacha, Yousef Saheb et-Taba'a ne choisit pas d'autre
modèle pour la salle d'apparat dont il enrichit le palais (Dâr el-Kahia) qu'il venait d'acquérir, place du
Ksar, à Tunis (7).
Au Palais du Bardo, le Bey Hussein ben Mahmoud suivra à son tour cet exemple pour édifier, à
l'extrémité de son charmant patio à colonnes torses en marbre d'Italie, la plus belle salle de sa résidence personnelle
(8). De cette pièce d'apparat à plan cruciforme il existe plusieurs répliques aussi bien dans la Médina qu'aux

1. Ibid., II, Dâr Ben Abd-Allah, Dâr Hussein...


2. L. Golvin, Recherches archéologiques à la Qal'a des Banû Hamtnûd, Paris, 1965, passim.
3. G. Marçais, Manuel d'art musulman, If, Paris, 1927, p. 541 et ss.
4. Ulya Vogt-Goknil, Turquie Ottomane, Fribourg, 1965, p. 144 et ss.
5. Résidences d'été, III, pp. 347-360.
6. Ibid., Imitation de cette coupole au palais voisin contemporain (Borj Kobbet en-Nhas), pp. 371-378.
7. Ibid., II, Dâr Hussein, pp. 229-262.
8. Ibid, III, pp. 303-335.
224 J. REVAULT

environs de la capitale. Les unes et les autres se distinguent par leur riche ornementation géométrique et
florale ainsi que par leur couverture en coupole ou en voûte, plus rarement en charpente (1). Enfin le faste
de cette salle d'honneur réinventée au XVIIP siècle est encore en faveur auprès des derniers souverains qui
se succèdent sur le trône de la Régence, à la veille du Protectorat. A l'étage du Palais du Bardo et au voisinage
des appartements laissés par Hussein ben Mahmoud, un nouveau salon — dit salle du Harem — s'est inspiré
de leur plan en croix et de leur voûte surchargée d'une ornementation stuquée. Avec les deux grandes salles
de réception disparates qui lui font suite, ce salon devait répondre au désir de grandeur et de diversité de style
des Beys Mohamed et Sadok (2).
Chez certains notables on a suppléé bien souvent à une innovation de cette importance par l'instauration
d'un salon de proportions plus modestes, mais dont la modernisation d'inspiration italo-turque était
également destinée à s'ajouter à la salle traditionnelle en T, à l'opposé de laquelle elle s'ouvrait sur un même patio.
Une telle disposition à forme mixte existe tantôt au rez-de-chaussée — Dâr Sfar... — tantôt à l'étage au
dâr el-dyàf — Dâr Djellouli, Dâr Ben Ayed... — . A une époque de transition, cette dualité convenait, semble-t-
il, aux personnes différentes d'âge, d'une même famille, les grands-parents se plaisant à vivre et à recevoir
dans le cadre traditionnel qui leur était cher, parents et enfants aimant témoigner leur goût du changement
et de l'évolution en adoptant aussi un salon modernisé de type occidental.
Dans les deux pièces prédominait cependant une ornementation commune italianisante, depuis les
marbres et les faïences du sol et des murs jusqu'au stuc des frises et à la peinture des plafonds. Il n'est pas
jusqu'au mobilier des trois alcôves qui n'ait subi l'influence de la Turquie et de la Péninsule voisine : large
banquette à accoudoirs cannelés pour le kbû, lits monumentaux encadrés de dorures sur fond de miroir dans
les alcôves de la chambre. Quant au nouveau salon on pouvait y installer en toute liberté des meubles importés
puis imités de l'Occident — dans le style Louis XV ou Restauration — fauteuils, canapés, consoles, armoires à
glace que complétaient portières et tapis, lustres et miroirs de Venise.
Un autre agrément, inconnu auparavant, était recherché avec l'ouverture de baies donnant sur l'extérieur
lorsque la construction des deux pièces à l'étage des hôtes (dâr el-dyâf) — devenu parfois celui des maîtres
(srâya) — le permettait. On choisissait, à cette intention, la proximité d'une rue ou d'une place privée (3).
Mais la situation certainement préférée entre toutes était procurée par les voûtes d'un sabât servant d'appui
aux deux salles extrêmes, leurs fenêtres barreaudées s'y prêtant mieux à la pénétration de l'air et de la lumière
et aux distractions que renouvelait la vue plongeante dans la ruelle (4) (fig. 27).

Communs

Toute habitation citadine — ou suburbaine — avait ses communs (5) dont l'importance variait en
fonction de la fortune de ses maîtres. On peut remarquer combien l'emploi de la pierre calcaire y a joué un rôle
persistant pour assurer la résistance des sols, la durée des margelles de puits et citernes, la solidité des colonnes
et piliers supportant arcs et voûtes.
Une maison ordinaire — voire de bourgeoisie aisée — ne possédait, le plus souvent, qu'une pièce à usage
de cuisine (matbkha) auprès d'une resserre à provisions (bit el-mûna) (6) ; situées, l'une et l'autre, du côté
de l'entrée, elles étaient accessibles par la cour intérieure sur laquelle donnaient également les chambres du
rez-de-chaussée (7).

1. Ibid., II, et III, passim.


2. Ibid., Ill, pp. 347-360.
3. Dâr Ben Abd-Allah, Borj Ousleti...
4. Dâr Djellouli, Dâr Ben Ayed...
5. nâfda.
6. Des latrines (mihâd) étaient aménagées du même côté.
7. Palais de Tunis, I, Dâr Ternane, Dâr Khojt-el-Khil, Dâr Temimi, Dâr Balma.
l'habitation tunisoise 225

II en allait autrement dans une grande demeure où centre d'habitation des maîtres et lieux domestiques
se trouvaient nettement séparés. Cependant pour la commodité du service, la dwïrlya (petite maison) (1)
était située à proximité de la cour principale, car elle comprenait autour de sa courette (avec ou sans portique)
cuisine, réserves alimentaires (kummânïya, bit el mûna) (2), logement pour les esclaves ou servantes, aménagé
entre rez-de-chaussée et étage. Il s'y ajoutait parfois un bain privé (hammam) placé entre la dwîriya et les
appartements. A l'écart étaient installés les magasins à vivres de l'année renfermant dans des jarres : huile,
céréales, olives, etc. Jusqu'au XVIIIe siècle ces magasins, véritables caves (dahliz, dâmùs), demeurèrent
fréquemment sous la garde directe de leurs propriétaires dont la chambre les surmontait (3). Ils ne s'étendirent
plus largement qu'à l'époque moins troublée des Beys husseinites. Il leur fut alors permis de disposer d'un
emplacement indépendant et facilement accessible de l'extérieur et de l'intérieur ; d'où la possibilité d'y
édifier au rez-de-chaussée de solides constructions voûtées destinées, soit à des magasins à vivres (makhzen)
soit à des écuries — établies quelquefois autour d'une cour particulière (rwâ).
Il sera donné ici plusieurs exemples de ces communs, choisis parmi les demeures et palais appartenant
aux périodes turque, mouradite et husseinite.

Dwïrïya

Dans une belle demeure de notable ou une résidence princière, la dwirïya représente vraiment une
habitation secondaire ; la cour en est soigneusement dallée de calcaire et protégée, à hauteur des terrasses, par une
grille de fer à larges mailles. Sur le pourtour ouvrent tantôt deux ou trois arches au-devant des cuisines et
des salles réservées aux travaux ménagers, tantôt la double arcature — ou le linteau — d'un élégant portique
à colonne médiane que surmonte une loggia à balustrade de bois tourné (fig. 103, 104). Cette partie des
communs prenait alors l'aspect d'une gracieuse maison bourgeoise dans laquelle avait plaisir à paraître
journellement la maîtresse des lieux pour veiller notamment à la préparation des repas.

Dwirïya et hammam du Dâr El-Haddad (XVIe- XVIIe s.)

A la dwirïya du Dâr El-Haddad (4) sont rattachés exceptionnellement deux grandes pièces à usage
domestique ouvrant sur le patio et séparées entre elles, nous l'avons dit, par la salle d'apparat (PI. LVIII,
LIX). Couvertes également de hautes voûtes d'arête, les deux pièces voisines avaient des fonctions distinctes,
l'une communiquant avec un jardin postérieur, servait de magasin à vivres ; l'autre, reliée directement
à la dwïrïya était affectée aux travaux ménagers.
« Etablie sur plan carré, chacune des deux salles entièrement dallée de pierre s'étend largement grâce
à l'appui d'une solide colonne médiane (5) flanquée de deux colonnes latérales supportant un faisceau de
quatre voûtes d'arête sur doubleaux (6). Un mur de refend (' ar§a twïla) correspondant partage le fond de
la pièce en deux berceaux inégaux. De plus, l'épaisseur des murs se renforce encore d'une double arcature
(kùs haïti) aménagée près de l'entrée. Une colonne la divise entre porte et citerne (mâjen). Une autre niche

1 Désignée aussi autrefois sous le nom de dâr el-harka, dâr el-khdem.


.

2. Ibid., I, II et III. Ces resserres répondaient aux besoins quotidiens de l'alimentation d'une famille et de sa domesticité.
On renouvelait régulièrement leur approvisionnement en puisant dans les réserves plus importantes que l'on reconstituait, chaque
année, à l'intérieur des magasins à vivres installés au sous-sol (dahliz, dâmûs) ou au rez-de-chaussée (makhzen) .
3. Ibid., I. Accessibles par un escalier de pierre, ces caves s'éclairaient sur la cour par des lucarnes encadrées de keddâl.
Dâr Ibn 'Arafa, Dâr Khojt-el-Khil, Dâr El-Hedri, Dâr Baïram Turki, Dâr Dennouni, Dâr Romdane Bey.
4. Ibid., pp. 169-196.
5. Colonne à chapiteau hafside à peine ébauché, telle qu'elle apparaît le plus souvent à l'intérieur des makhzen. Reliée
aux murs qui l'entourent — comme dans les salles de prières — par des tirants de bois (watra, pi. utâri).
6. Akwâs.
226 J. REVAULT

à fond plat, particulièrement élevée, se creuse dans l'angle de la salle où un puits (bïr) s'ajoute à la citerne.
De ce puits (1) la haute margelle de pierre (kharza keddâl) est profondément sillonnée par les cordes de
puisage (sakkât al-bïr) qui peuvent amener l'eau jusqu'à l'étage (2).
La première salle domestique se rattachait à la dwïrïya dont dépendaient aussi les cuisines et les bains
privés du palais. C'était à la fois un passage vers ces deux endroits, le lieu où se réunissaient les servantes
pour vaquer à leurs occupations quotidiennes, préparation alimentaire et lavage du linge. Toutefois la cuisson
elle-même en était généralement éloignée, gardant à l'écart de l'habitation ses fumets épicés. Pour parvenir
à la dwïrïya, on empruntait un couloir coudé aménagé sous l'un des berceaux indiqués plus haut. On
débouchait dans une courette à ciel ouvert ( wùst al-dwïrïya) protégée par une grille, sur laquelle donnaient cuisine,
hammam et latrines. Selon la coutume, de grandes arches laissaient pénétrer air et lumière à l'intérieur de
certaines pièces, notamment dans la cuisine proprement dite (matbkha). Longue, couverte en voûte d'arête et
dépourvue de fenêtre, celle-ci comprenait, face à l'entrée, une banquette (dukkâna) en maçonnerie, assez
basse pour y poser et surveiller commodément la rangée de réchauds en terre (kanoun) nécessaires à la
confection des divers plats destinés au « ftour» et à « Tacha» (3). A l'extrémité de la salle, la voûte était
percée d'une cheminée ronde pour l'évacuation des fumées (4). Un double mïhâd à portes basses et arquées
s'intercalait, au fond de la dwïrïya, entre matbkha et hammam (5). Le hammam était également accessible
par la grande salle précédant la dwïrïya, avec entrée réservée aux maîtres et aux personnes qui les
accompagnaient au bain ».
La simplicité et la commodité d'une dwïrïya dont les pièces domestiques communiquaient avec sa courette
par l'ouverture de grandes arches a fait adopter celles-ci non seulement aux XVIe et XVIIe siècles mais encore
aux siècles suivants en milieu urbain et suburbain (6) (fig. 105). On en verra l'emploi s'étendre aussi à certains
communs organisés autour d'une autre cour avec écuries attenantes (rwâ) (7).

Dwïrïya et hammam du Dâr Romdane Bey (S)

« Une partie des communs était attenante aux appartements du rez-de-chaussée. Au-dessous de ceux-ci,
des caves (dàmùs) pouvaient contenir certaines réserves alimentaires nécessaires aux habitants du palais (9).
De la première galerie du patio on accédait à la dwïrïya et au hammam réunis au même endroit, à l'angle
du Sabât as-Sayâra et de la rue Dâr Jeld. Un couloir en chicane (mjâz) reliait ainsi la cour des maîtres à la
courette des cuisines. A son début, le puits près de l'escalier domestique. Suivent deux courettes communiquant
entre elles par un étroit passage couvert entre deux arcs outrepassés. L'un d'eux retombant sur une colonne
de pierre à chapiteau hafside se dédouble pour former un portique (burtâl dwïrïya) abritant un puits dans
une niche à arc brisé (10), portique qui se répète en face, une loggia à colonne unique et balustrade de bois
peint le prolongeant à l'étage selon une tradition souvent observée (PL LX). Entre les deux portiques, adossée

1. Margelle faite d'un bloc cubique en kaddâl, au centre évidé et arrondi au-dessus duquel est fixée une traverse à peine
équarrie ('ud sardâwi) avec poulie, l'une et l'autre en bois.
2. Construit entièrement en briques, le défoncement mural réservé au puits se double, en son milieu, d'une large gouttière
facilitant le passage des eaux (belioun) de bas en haut et inversement.
3. Déjeuner et dîner.
4. Simple trou (shâruk) différent de la cheminée imitée plus tard des cheminées européennes (madakhna) .
5. Les deux portes outrepassées du mïhâd correspondaient aux lieux d'aisance séparés des maîtres et de leurs serviteurs;
aboutissant à une fosse (gumma) éloignée dans un coin du jardin, construite en pierres poreuses.
6. Palais de Tunis, 1 et II, Résidences d'été, III, passim.
7. Ibid.
8. Palais de Tunis, I, pp. 244-257.
9. Ces dàmûs auraient connu également, dit-on, un autre usage ; transformés en prison, ils pouvaient être témoins de
fins tragiques.
10. Survivance d'une ancienne forme de niche.
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228 J. REVAULT

à la rue Dâr Jeld, une pièce rectangulaire était affectée à la cuisine (matbkha) avec sa banquette maçonnée
et ses deux cheminées; à proximité se trouvait la chambre à provisions (bit al-mûna). La seconde courette,
plus petite que la précédente, conduisait au hammam et h une porte coudée réservée au service domestique».
On voit que l'on a préféré ici aux arches formant porche autour de la cour de la dwïriya un véritable
portique à deux arcs sur colonne médiane, portique surélevé d'une loggia et répété du côté opposé.
Le raffinement particulier de cette disposition architecturale au centre des communs connaîtra maintes
imitations dans les palais et riches demeures husseinites. Alors que le marbre d'Italie aura envahi le patio
à colonnade des maîtres, la courette domestique suscitera toujours la plus grande fierté pour son dallage de
calcaire et son portique — simple ou double — à colonne de kaddâl, sans compter puits et citerne dont la
margelle surélevée apparaîtra souvent dans une gracieuse niche encadrée de pierre sculptée (fig. 87, 88, 106).

Magasins à vivres

D'importance variable, dâmûs et makhzen renfermaient, nous l'avons dit, les provisions de l'année
destinées à l'alimentation familiale. En premier lieu, aménagés de préférence au sous-sol, ces magasins furent
édifiés ensuite au rez-de-chaussée où leur extension éventuelle devait s'avérer plus aisée.

Caves

Creusées près de la citerne du patio et au-dessous d'une ou de plusieurs chambres, les cave» (1), couvertes
en voûte, formaient un abri sûr pour les jarres que l'on y rangeait. En outre, elles ménageaient une réelle
séparation isothermique et un solide support à l'égard des chambres qui les surmontaient, préludant aux
mêmes fonctions que rempliront plus tard les makhzen appelés à supporter l'étage des hôtes.

Caves du Dâr Khojt el-Khil (2)

Les caves occupent, autour de la citerne qu'elles encadrent complètement, le sous-sol et le rez-de-chaussée
(3). Avec leurs murs épais et leur voûte de pierre, ces dâmûs constituaient les magasins de réserves alimentaires
de l'année, approvisionnés de l'extérieur par deux ouvertures — du côté de l'impasse et de la rue du Trésor —
et accessibles de l'intérieur par la cuisine (4). Elles formaient aussi le soubassement de la construction, tenant
lieu de fondation, élevant le patio au niveau d'un entresol et assurant un meilleur isolement aux chambres
qui les surmontaient (5).

Makhzen

Les magasins à vivres construits au niveau d'une habitation sont généralement attenants à celle-ci ainsi
qu'à la dwïrïya. Ils se composent soit d'un seul bâtiment de proportions variables, soit de plusieurs
constructions voûtées, groupées sinon séparées entre elles par une cour ou une drïba.

1. Ibid., passim. Petite cave : dahliz ; grande cave : dâmûs.


2. Ibid., pp. 155-161, pi. XXII.
3. En raison de la pente du terrain à laquelle dût s'adapter la construction du bâtiment.
4. Avec des murs d'une épaisseur moyenne de 1,45 m, les caves présentent une largeur variant de 1,25 m à 2 m et une
hauteur de 1,90 m. Le sol est surbaissé de deux marches.
5. On a étendu au maximum l'aménagement de ces caves en sous-sol, les limites du terrain interdisant toute autre
instal ation de magasins au niveau du sol, à côté de l'habitation.
l'habitation tunisoise 229

Dans une riche demeure, l'élargissement nécessaire d'un makhzen est obtenu grâce à l'emploi d'une forte
colonne médiane en calcaire (1) aidant à soutenir la retombée des voûtes. Nous en avons vu un exemple au
Dâr El-Haddad (2). On en trouverait de semblables, à la même époque, au Dâr Sayadi (3), plus tard au Dâr
Ben Abd Allah (4) et en d'autres endroits (5).
Parfois, les makhzen prennent une telle importance qu'ils exigent l'appui d'une rangée — simple ou
double — de colonnes trapues en keddâl, à chapiteaux épannelés, indépendamment de murs de refend et de
cloisonnement. Ils atteignent leur plus grand développement à l'intérieur des dépendances que seuls peuvent
posséder souverain et dignitaires, dans leurs palais de la capitale aussi bien que dans les résidences d'été édifiées
à la campagne ou sur le littoral. Ce sera le cas du Dâr el-Bey et du Dâr Ben Ayed à Tunis (6), du Palais du
Bardo, du Borj el-Kebir et du Borj Kobbet en-Nhas à La Manouba (7). On sait aussi que l'extension des
makhzen permettait d'asseoir sur ses voûtes une véritable plate-forme pour l'agrandissement des locaux
d'habitation avec l'élévation d'un étage secondaire (dâr el-dyâf ou srâya) (8), dans la Médina et ses faubourgs ;
aux alentours de la cité, où le rez-de-chaussée appartenait exclusivement aux communs, la multiplicité de
ceux-ci formait le soubassement indispensable à la surélévation habituelle des maisons de plaisance et
villégiatures de l'aristocratie et de la haute société tunisoise (9).

Makhzen du Dâr El-Mrâbet (10)

«Les principales dépendances sont comprises... entre la rue Sidi Ben Arous et la drïba sur lesquelles
elles ouvrent (11). Les deux makhzen qui les composent forment un ensemble voûté étayé de solides colonnes
de pierre. L'un communique par un couloir et plusieurs marches avec la bit al-mûna dont il assurait auparavant
l'approvisionnement. C'est là, en effet, que s'entassaient dans les sacs en poils de chèvre ('adila) et les grandes
jarres de Guellala (khabia), les réserves alimentaires de l'année, depuis les céréales, dattes, olives, beurre
fondu (smen) amenés des oasis et des henchirs jusqu'aux provisions préparées à domicile (12). Le grand
makhzen, beaucoup plus vaste que le magasin attenant, est accessible sur la rue par une porte cochère. Bordé,
des deux côtés, par un large grenier (sadda), il s'éclaire, à l'une de ses extrémités, par une ouverture pratiquée
dans les terrasses. En bas étaient aménagées les écuries et remises pour chevaux, voitures et charrettes. On
pouvait encore y parquer, entre deux transports, chameaux et bêtes de somme, voire le bétail amené dans les
communs du palais pour la consommation de ses habitants. En haut, la sadda servait à la fois de grange à
fourrage et de dortoir pour palefreniers et gardiens ».
Après avoir suivi l'évolution de la pierre et du marbre régionaux dans leur application à la parure
extérieure et intérieure de la demeure tunisoise, on constate que leur disparition finale affecte surtout le patio
et les appartements des maîtres. Encore faut-il remarquer les traces qu'ils ont laissées à ces endroits avec la

1 . Sinon de plusieurs colonnes


2. Supra.
3. Palais de Tunis, I, pp. 312-314.
4. Ibid., II, p. 99 et ss.
5. Ibid., passim.
6. Ibid.
7. Résidences d'été, 111.
8. Supra. Palais de Tunis, II, passim.
9. Résidences d'été, III, passim.
10. Palais de Tunis, i, pp. 223-241.
11. Les makhzen comme la driba auraient été, dit-on, reconstruits par Mhamed el-Mrâbet afin de permettre de les surélever
d'un nouvel étage.
12. L'approvisionnement du makhzen réservé aux provisions de l'année ('aoula) passait par le grand makhzen où avait lieu
le déchargement des bêtes de somme.
230 J. REVAULT

persistance d'éléments architecturaux caractéristiques, tels que les arcatures du burtâl et du kbû, les niches
de puits et de citerne.
Mais c'est hors de l'habitation principale que l'usage du keddâl sera le mieux conservé, partagé entre
l'encadrement de la porte d'entrée et l'aménagement des communs : dallage du sol, colonnes des portiques
et des makhzen, margelles de puits et citerne.
Enfin, on observera une fidélité plus complète à l'égard des matériaux traditionnels dans la construction
de nombreuses maisons de plaisance édifiées aux environs de la capitale de la Régence.
LE DÉCOR DE LA PIERRE ET DU MARBRE
233

On sait que les premiers monuments religieux et civils, élevés en Ifriqya par les nouveaux conquérants
arabes, utilisèrent pour les remployer à leur façon une partie des innombrables matériaux laissés sur place
par les anciennes cités abandonnées, romaines et byzantines. Ce fut le cas des deux principales mosquées
édifiées à Kairouan et Tunis entre le VIIIe et le IX siècle et qui devaient perpétuer, au cour des siècles suivants,
le centre politico-religieux des deux capitales successives du nouveau territoire musulman. Dans chacune
des vastes salles de prières, les rangées d'arcs outrepassés qui soutiennent des plafonds peints à solives
apparentes sont également supportées par une véritable forêt de colonnes de marbre couronnées de chapiteaux
de type divers, romain ou byzantin (1).
Si dans leur hâte d'implanter en terre ifriqyenne un cadre durable de la foi islamique, les chefs militaires
se laissèrent tenter par cet expédient, ils surent faire appel à des constructeurs de génie qui réussirent à faire
œuvre originale à l'aide d'éléments étrangers arrachés aux temples romains ou aux basiliques chrétiennes.
La prédominance de la pierre et du marbre que l'on voit employées dans la Mosquée de Sidi Okba et dans
la Mosquée Zitouna ne pouvait qu'en imposer l'exemple, depuis les colonnades de la salle de prières jusqu'aux
portiques et à l'immense esplanade dallée formant la cour. Le goût de leurs matériaux de choix — pierre
et marbre — vient donc de loin et de haut. Sans doute ce goût a-t-il pu être renforcé par le maintien
d'habitations urbaines utilisant aussi le marbre ou la pierre de taille, habitations conservées par les autochtones
et sans doute adoptées également par les nouveaux venus. La porte encadrée de pierre à linteau droit, la cour
dallée avec portique simple ou multiple ne seront pas oubliés, après que leur ruine aura fait disparaître ces
anciennes demeures sans effacer toutefois le souvenir de leur mode de construction et de certaines
particularités ornementales.
Ce n'est qu'après la conquête almohade (1159) que la nouvelle dynastie berbère des Hafsides (1229-
1574) fit preuve d'un réel esprit d'originalité avec la réalisation locale d'éléments décoratifs d'un type nouveau
sinon très évolué. Il s'agira d'éléments sculptés ou incrustés aussi bien dans le marbre de PIchkeul que dans
la pierre calcaire du Cap Bon. « Ce thème obligé, issu de la couronne d'acanthe qui se dressait autour du
chapiteau corinthien, ne se prête qu'à quelques variations ».
Cependant, que ce décor architectural intéressât les constructions religieuses ou civiles, il ne se manifeste
qu'avec une grande sobriété, conformément à l'esprit d'austérité malékite. En sculpture, il orne surtout
les chapiteaux et la base de certains piédroits : en incrustation, il rompt l'uniformité d'un mur en pierre de
taille ou du dallage d'un sol.

Eléments du décor

Epoque hafside XIIIe- XIVe siècles

Chapiteau hafside

Exécuté à l'origine en marbre clair de l'Ichkeul veiné de bleu, le chapiteau dit hafside, se distingue par
l'élégance de sa forme allongée et évasée. G. Marçais en a laissé la description suivante (2) : « La corbeille
comporte quatre feuilles lisses dressées aux angles, entre lesquelles montent quatre feuilles plus étroites
occupant le milieu des faces. Cette forme qui est proprement une création de l'art hafcite, subsistera dans
le pays sans variation appréciable pendant plusieurs siècles» (fig. 127).

1. G. Marçais, Architecture Musulmane d'Occident, Paris, 1954, passim. L. Golvin, La Mosquée, Alger, 1960.
2. G. Marçais, ibid., pp. 342-345.
234 J. REVAULT

Planche LXI

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Zaouïa de Sidi Kassem el-Jallizi (XVe s.). Palmettes de type hafside sculptées à la base des piédroits des portes
de la salle de prières (1) et du mausolée (2).
L HABITATION TUNISOISE 235

Planche LXII

Zaouïa de Sidi Ben ' Arous et Mid' at es-Soltane (XVe s.). Palmettes à écailles ornant la base des deux entrées
extérieures (1) et des arcatures intérieures de la mid'a (1 et 2).
236 J. REVAULT

On peut y voir une influence directe de chapiteaux sanhajiens, inspirés eux-mêmes de chapiteaux chrétiens
(en marbre ou en calcaire) (1).
Le plus bel exemple que donne l'utilisation multiple de ces colonnes à chapiteau hafside apparaît dans
la salle de prières de la Mosquée de la Kasbah (1233 )(2). Il résulte encore d'un remploi, non plus de matériaux
antiques, mais de matériaux islamiques enlevés à la mosquée de Batou, cité principale du Cap Bon détruite
au XIe siècle par l'invasion hilalienne (3).
Nous savons quelle faveur ne cessera de s'attacher, après le XVIe siècle, à l'usage du chapiteau hafside
à travers les périodes turque et husseinite, en dépit des transformations d'une forme de plus en plus alourdie
et traitée dans le calcaire pour servir souvent à des fins plus ordinaires (4).

Chapiteau hispano-maghrébin
Très différent du chapiteau précédent et de sa forme en corolle, le chapiteau hispano-maghrébin aurait
été créé plus tard en Andalousie d'où il aurait essaimé au Maghreb et en Ifriqya, favorisé par l'exode des
populations musulmanes chassées d'Espagne dès le XIIIe siècle.
Ce chapiteau original se compose alors de deux parties superposées, l'une cylindrique prolongeant
le fût de la colonne, l'autre en forme d'abaque carrée supportant la retombée des arcs. Décrite par P. Ricard
(5) et G. Marçais (6), cette forme caractéristique aurait été déjà pratiquée avant la conquête arabe, à en juger
par les vestiges chrétiens conservés au Musée de Carthage et provenant notamment de la basilique d'Ain
Beïda en Numidie (7) (fig. 125).

1. G. Marçais, ibid. L'auteur attribue tout d'abord l'origine du chapiteau hafside aux chapiteaux coptes (Karnak, Taoud)
et aux chapiteaux musulmans de Kairouan (IXe s.), puis aux chapiteaux sanhajiens provenant du site de Cabra (XIe s.). P. 46.
Coupole précédant le mihrab de Kairouan (IXe s.). « Dérivés lointains du chapiteau corinthien, [les chapiteaux] présentent, sur
chaque face, deux feuilles larges et lisses généralement soudées par le bas et s'écartant l'une de l'autre en V. Une feuille simple
arrondie ou lancéolée, monte dans l'intervalle et parfois se détache en relief sur l'abaque.
Des chapiteaux très analogues à ces œuvres musulmanes se rencontrent sculptées en bois, dans les monuments coptes
que conserve le Musée de Boulaq. On peut affirmer que nos chapiteaux ifriqyens, s'ils ne sont pas directement issus des modèles
d'Egypte, procèdent d'une série de même famille et se rattachent à l'art chrétien d'Egypte ».
P. 104-105. Les chapiteaux sanhajiens de Cabra sont aujourd'hui dispersés dans la Mosquée de Sidi Okba et à travers la ville
de Kairouan.
P. 46. « Leur galbe semble bien dérivé de celui des petits chapiteaux aghlabites qui figurent dans la coupole de Kairouan
(fig. 19). Sur chaque face se retrouvent les deux palmes soudées par le bas et la forme allongée qui monte dans l'intervalle. Notre
modèle du XIe siècle paraît être proprement ifriqyen ».
La Mosquée Zaytouna comporte des chapiteaux semblables dûs aux Beni-Khorâssân.
2. Ou Mosquée des Almohades, élevée par le Sultan Abou Zakariya, fondateur de la dynastie hafside, auprès de son palais
de la Kasbah. Cf. G. Marçais, Tunis et Kairouan, Paris, 1937.
3. Plusieurs des colonnes remployées dans la salle de prières de la Kasbah sont baguées et présentent des inscriptions
coraniques.
4. Supra, Palais de Tunis, I et II, Résidences d'été, III, passim.
5. P. Ricard, Pour comprendre Part musulman dans l'Afrique du Nord et en Espagne, Paris, 1924, pp. 118 à 124. Chapiteau
cylindro-cubique.
M. Pinard, Chapiteaux byzantins de Numidie, Cahiers de Byrsa, Paris, 1950-51, p. 234. Inspiré du chapiteau corinthien,
ce chapiteau doit être rapproché des beaux chapiteaux des Ve et VIe siècles de la Syrie du Nord. « Cet élément permet de passer
de la forme ronde se raccordant à l'astragale du fût de la colonne au sommier de plan carré qui devait porter les retombées
des arcs (fig. 125)».
6. G. Marçais, op. cit., pp. 340-342. Chapiteau de même type à Tlemcen,Fès, Grenade et Tunis (XIIIe-XIVe s.), p.
7. M. Pinard, op. cit., p. 231-268. La forme particulière de ces chapiteaux correspond à leur rôle d'abaque, de tailloir ou
sommier, destiné à porter non plus des architraves, mais des arcs. L'arc sur colonnes apparut pour la première fois au Palais de
Dioclétien à Spalato. Cf. Hébrard et Zeiller, Spalato, le Palais de Dioclétien.
Différent sur chacune des faces du tailloir, le décor témoigne ici d'une véritable renaissance du champlevé et d'une création
byzantine perpétuelle, mélange d'éléments linéaires et de flore stylisée.
« Cette conception toute sassanide du décor fut celle qu'adopta la Syrie pour être transmise à toute l'Empire byzantin ».
Ch. Diehl, Manuel d'art byzantin, T. I, p. 46. Choisy, Histoire de l'architecture, II, p. 25. « Cependant, dès maintenant, nous
pouvons affirmer que ces fragments appartiennent à un art de transition que nous pouvons situer dans le temps, entre les VIe et VIIIe
siècles. Cet art présente, avec la perfection de ce qui va se terminer en Afrique, les antécédents de ce qui va commencer. Le décor
annonce la combinaison géométrique musulmane et l'arabesque : l'ornementation des corbeilles à base polygonale évoque déjà
les méandres qui se dessineront plus tard sur les tambours des chapiteaux des mosquées ».
L HABITATION TUNISOISE 237

Planche LXIII

Palais du Dey ' Othman (XVIe-XVIIe s.) (Intérieur).

Décor de la base des portes des quatre salles axiales donnant sur la cour ainsi que des mkâser intérieures.
Ornements sculptés dans le marbre, dérivés de la palmette hispano-maghrébine, réduits le plus souvent à de simples fragments.
238 J. REVAULT

La différence entre les deux chapiteaux, chrétien et musulman, résulte surtout de leur décor respectif :
géométrique et archaïque dans le premier, formé de méandres et de motifs floraux dans le second.
De ce dernier, il nous faut alors retenir l'image qui en est donnée par l'auteur de l' Architecture musulmane
d'Occident (Y): « La partie cylindrique est invariablement enveloppée de ce méandre incurvé au sommet,
dont nous avons vu l'élaboration à l'époque almohade ».
C'est bien sous cet aspect — sans exclure certaines variations de détail — que l'on reconnaît une
véritable parenté entre les chapiteaux de PAlhambra de Grenade, de la Medersa el-Attarine à Fez, des Tombeaux
Sâadiens à Marrakech, de la Mosquée de Sidi Bel-Hassen à Tlemcen (2), de la Mid'at as-Soltâne (3) et de la
Zaouïa de Sidi Kassem al-Jallizi à Tunis (XIVe-XVIe s.) (4).

Epoque turque et mouradite, XVIe- XVIIe siècles

L'achèvement du règne des Sultans hafsides ne verra pas disparaître pour autant l'usage du chapiteau
hispano-maghrébin, bien que son prolongement ne semble guère dépasser le XVIIe siècle.
On en reconnaît la survivance intégrale dans plusieurs résidences célèbres contemporaines des deys
ou des beys mouradites. Avec sa colonne de marbre cylindrique ou octogonale, le chapiteau hispano-maghrébin
constitue la plus belle ornementation du palais du Dey Othman, depuis sa façade monumentale et sa driba

1. G. Marçais, ibid., pp. 341-342. «D'autres organes apparaissent comme très persistants. Ce sont, sur chaque face, de
part et d'autre de l'axe, deux doubles palmes qui paraissent implantées dans les intervalles du méandre de base et établissent en
quelque sorte la liaison entre les deux parties superposées du chapiteau. Il semble qu'on peut les identifier avec les caulicoles du
corinthien, dont j'ai signalé la présence dans les chapiteaux du XIIe siècle. Tandis que les lobes des bords s'enroulent en volutes,
les lobes du milieu s'associent en fleuron. Ce fleuron constitue un motif d'axe, d'où rayonnent parfois les cannelures d'une
coquille ».
2. P. Ricard, op. cit., pp. 118-124. Sur l'évolution du chapiteau depuis l'Antiquité.
3. J. Revault, Deux mid'as tunisoises, Revue de VOccident Musulman, Mélanges R. Le Toumeau, Paris, 1973, pp. 275-290.
4. G. Marçais, Manuel d'Art Musulman, II, Paris, 1927, p. 637 et ss. Il y a lieu de se rapporter également à l'évolution, que
donne l'auteur, des éléments caractéristiques de l'art hispano-mauresque dans l'ensemble de la Berbérie et de l'Espagne
Musulmane. « L'époque moresque ne connaît plus guère que deux silhouettes de palmes : la palme à deux lobes triangulaires, souples
et allongés en lanières ; la palme à lobe unique, également triangulaire et souple, implanté dans une sorte de culot au bord
supérieur généralement découpé en deux petits lobes. L'époque qui précède nous a permis de suivre l'élaboration de ces formes, l'une
et l'autre dérivées de l'acanthe, mais ayant subi, dans leur développement, diverses contaminations. Ces silhouettes étant données,
on peut en varier la valeur et l'effet par différents remplissages.
Le remplissage traditionnel est la division en digitations transversales simulant les nervures du limbe. Des petits cercles
ou des crochets, interrompant de distance en distance la succession de ces nervures le long d'un des bords du limbe, représentent
les oeillets de la feuille d'acanthe. Les palmes ainsi traitées donnent des valeurs fortes, qui, surtout au XIVe siècle, trouveront leur
emploi dans les fonds. La disparition des œillets (fig. 356 A) est un indice de l'exécution hâtive des ensembles.
Non moins fréquente que la palme à nervures, mais produisant un effet tout autre et appliquée à d'autres emplois est
la palme lisse, dont la silhouette subsiste seule (fig. 354, 358). Elle s'étale dans les surfaces qui doivent rester claires : elle figure
notamment dans les losanges formés de palmes juxtaposées et dessine de grands réseaux réguliers. Ces palmes lisses semblent
avoir été parfois dorées ou meublées de motifs peints.
Entre ces deux genres, le style connaît des palmes à remplissage conventionnel (fig. 357) : nervures contrariées rappelant
les grandes palmes de l'époque almohade (C) ; rinceaux de feuillages à lobes arrondis évoquant le souvenir de la feuille de trèfle
(D) ; défoncements triangulaires dits « dents de loup », suivant le bord externe du limbe (B). Ces garnitures, qui enrichissent
singulièrement le décor végétal semblent assez fréquentes au XIIIe siècle (Grandes Mosquées d'Oujda et de Taza, Sîdi bel-Hasan
de Tlemcen). Elles sont plus rares au XIVe s. L'Alhambra et, au Maroc, la médersa de Salé en offrent cependant d'assez
nombreuses variétés.
Outre ces palmes à un ou deux lobes et les fleurons qu'elles engendrent par leur groupement, l'époque moresque n'a pas
cessé d'employer la palmette à cannelures creuses dérivée de la coquille. C'est le motif traditionnel des centres d'écoinçons. De
même elle a fait un constant usage du fruit lancéolé perforé de trous, où l'on est naturellement tenté de reconnaître une pomme
de pin, mais où il convient plutôt de voir (je l'ai déjà dit) une déformation de la grappe de raisin.
Tels sont les éléments essentiels de cette flore purement conventionnelle, assez indigente en somme, et qui, semble-t-il,
l'est de plus en plus quand on s'avance dans le XIVe siècle, flore très homogène aussi, et qui présenterait, dans tout le domaine
musulman de Berbérie et d'Espagne, une remarquable unité si les artistes qui travaillèrent pour Mohammad V, à l'Alhambra,
n'avaient introduit dans ce palais un contingent notable d'éléments nouveaux ».
l'habitation tunisoise 239

jusqu'aux colonnades de son patio (fig. 11, 52, 77, 140), la même parure se reproduisant dans les portiques du
Dâr El-Mrabet (fig. 126) et du Dâr El-Asfouri (1). Sa faveur est telle que l'emploi s'en étend à l'entrée des
appartements somptueux, dont elle couronne, en réduction, la colonnette d'angle des piédroits (2) (fig.
121, 122).
Il arrivera aussi que le chapiteau hispano-maghrébin, comme le chapiteau hafside, se transformera en
se simplifiant et s'abâtardira avec le temps. Renonçant au marbre précieux de l'Ichkeul, on se contentera
du calcaire régional aussi bien pour en surmonter les colonnes d'une sfcifa (3), celles d'une cour intérieure
ou d'un simple sàbât (4). Du décor antérieur il ne restera plus que le ruban en méandre autour de la partie
cylindrique, tandis que l'imposte carrée sera réduite à un plateau de pierre nue (fig. 124).

Chapiteau turc

Le chapiteau turc est désigné sous cette appellation par G. Marçais en raison de son apparition en Afrique
du Nord au moment de la conquête ottomane. Au début, il s'inscrit dans une forme cubique et trapue
renfermant un tronc de cône renversé pourvu de quatre volutes ou crosses arrondies (5) (fig. 128).
Il semble bien que l'on doive en rechercher l'origine dans l'Italie de la Renaissance d'où il aurait été
transmis en Espagne. C'est de là que les Morisques en auraient alors introduit la mode, lors de leur
immigration, dans les constructions algéroises et tunisoises.
Malgré certaines modifications de forme et de décor inévitables, à partir du XVIIIe siècle, la fortune
du chapiteau turc dépassera celle des chapiteaux nés au temps des Hafsides. Exécutés comme les colonnes
qui les supportent, soit en marbre d'Italie, soit en calcaire du Cap Bon, les chapiteaux turcs tendent de plus
en plus à s'allonger (fig. 129); leurs volutes supérieures s'augmentant parfois d'excroissances intermédiaires
(6), sinon de coquilles renversées (7). Les exemples s'en multiplient à travers la Médina et ses faubourgs,
jusque dans les résidences suburbaines de Tunis, pendant la période husseinite (8).
A ces chapiteaux à crosses on pourrait encore ajouter l'apparition passagère, au milieu du XVIIe siècle,
des chapiteaux historiés à volutes introduits par Hamouda Pacha dans la salle de prière de sa propre mosquée
et dans les cours des palais voisins (9) (fig. 1 30).

Epoque husseinite, XVUF-XIXe siècles

L'avènement de la dynastie husseinite a été le signal, nous l'avons dit, d'un abandon de plus en plus
étendu des anciennes traditions de l'architecture et de l'ornementation hafsides conservées par les nouveaux
maîtres de la Régence de Tunis lors de leur installation dans la capitale (10).

1. Palais de Tunis, I. Dans les abaques, sinon les surabaques, le décor des palmettes classiques est remplacé par de nouveaux
motifs turquisants sculptés en biseau, avec nervures, selon le style adopté au XVIIe siècle dans l'ornementation de la base des
piédroits des portes extérieures et intérieures (Dâr El-Mrabet, Dâr Khaznadar...) (fîg. 126, 129).
2. Le tailloir ou turban de ces chapiteaux est souvent rehaussé d'inscriptions, Palais de Tunis, I (fîg. 122).
3. Ibid., Dâr Romdane Bey.
4. Rue de l'Agha, etc.
5. Ibid., p. 83, G. Marçais, Manuel d' Art Musulman, II, pp. 830-831.
6. Palais de Tunis, II, Dâr Djellouli, Dâr Dziri...
7. Ibid., II, Dâr Bach-Hamba, ...
8. Ibid., Résidences d'été, III, Dâr Lasram...
9. Supra, Ibid., I, Dâr Daouletli...
10. Supra
240 J. REVAULT

Planche LXIV

Palais du Dey 'Oîhman (XVIe-XVIIe s.). Arabesques végétales persano-turques sculptées à l'entrée et à
l'intérieur de la drïba.
l'habitation tunisoise 241

Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, le goût du changement et l'attrait de la nouveauté, qui se manifestent
dans tous les domaines à Istanbul, se répercutent naturellement dans les provinces d'Afrique, de Tripoli,
à Tunis et à Alger. On y suit avec un grand intérêt l'évolution des constructions civiles de l'empire ottoman
de plus en plus ouvertes aux influences occidentales, principalement de l'Italie. C'est pourquoi l'importation
de matériaux nouveaux (marbre de Carrare) constitue-t-elle déjà une sorte de révolution, commencée sous
Hamouda Pacha (1782-1814) et généralisée sous Ahmed Bey (1837-1855). Cette importation s'accompagne,
en même temps, de celle d'éléments architecturaux réalisés également par des artistes italiens avant d'être
imités sur place par des nakkâsha tunisiens — musulmans ou juifs (1). Les colonnes de marbre clair sont
particulièrement recherchées. Colonnes galbées, parfois veinées de rose, et que couronnent des chapiteaux
de type néo-dorique, néo-ionique et néo-corinthien (p. 130-131).
On peut en relever l'emploi non seulement dans les portiques et les péristyles de palais et luxueuses
demeures husseinites (Dâr Hussein, Dâr Ben Abd- Allah, Palais du Bardo...), mais encore dans la restauration
de cours plus anciennes (Dâr Daouletli, Dâr Baïram Turki...). Ainsi, par une curieuse évolution de l'Histoire
et de l'architecture qui lui est liée, voit-on la sculpture propre à la Péninsule marquer également de son
empreinte, à leur début et à leur fin, le décor des chapiteaux tunisiens, à l'intérieur des monuments religieux et
civils, à dix siècles de distance.

Piédroits des portes

Au début de l'ère musulmane en Ifriqya, il ne semble pas que l'on se soit préoccupé de rehausser d'une
ornementation sculptée la base des piédroits, dans l'encadrement des portes de monuments religieux ou civils.
Les exemples les plus anciens nous sont fournis à Tunis, dans les entrées Est et Nord de la Grande Mosquée
Zitouna (2) : portes classiques fidèles à la forme droite des anciens temples romains et des basiliques
chrétiennes (PI. V, VI). Edifiées aux époques ziride et khorassanide (XIe-XIIe s.), ces portes présentent une grande
unité d'aspect, leur beauté architecturale étant recherchée seulement dans l'équilibre de leurs proportions
et le choix des matériaux (marbre de l'Ichkeul) répartis entre montants et linteau monolithes dont la simplicité
n'est rehaussée que par une moulure externe. Un claustrum cintré à claveaux rayonnants couronne parfois
l'ensemble, garni éventuellement d'une plaque épigraphique et formant en même temps arc de décharge
au-dessus de la porte (3).

Premiers motifs décoratifs


Epoque hafside

En dehors des moulures habituelles en cavet et en méplat qui soulignent la bordure externe des
encadrements de portes, aucun motif ne s'y ajoute, à notre connaissance, jusqu'au troisième siècle de la période
hafside. En effet, ce n'est qu'au XVe siècle que l'on peut relever, à la base de certains jambages en marbre
ou en calcaire, les premiers motifs ornementaux qui allaient connaître, par la suite, un développement si
remarquable. A vrai dire, ces essais préliminaires restent timides et ne suffisent pas à atténuer la sévérité d'une
façade (fig. 107, PI. LXI). Le thème ne s'écarte pas du motif foliacé ; à peine modelé, simple ou doublé,
parfois gravé d'écaillés (PI. LXII), il s'apparente visiblement aux palmettes dont la composition se répète
symétriquement sur chacune des faces du chapiteau hispano-maghrébin en honneur à Tunis à la même
époque (fig. 12).

1 Supra.
.

2. Indépendamment de la porte Ouest entièrement constituée d'éléments de remploi antique en marbre sculpté. Cf. S. M.
Zbiss, Portes, baies et façades datées dans V architecture musulmane de ta ville de Tunis, Cahier des Arts et Techniques d'Afrique
du Nord, n° 6, 1960-1961, pp. 131-152.
3. Ibid.
G. Marçais, Architecture musulmane d'Occident, supra.
242 J. REVAULT

S'il est permis de présumer que cet ornement était également réservé à l'entrée des palais princiers, des
traces semblables n'existent plus aujourd'hui qu'à la partie inférieure de certains monuments religieux du
XVe siècle, à l'extérieur sinon à l'intérieur : porte et cour d'ablutions de la Mid'at as-Soltane (1) (fig. 139),
porte des Zaouïas de Sidi Ben Arous (fig. 16), Sidi El-Kela'i, Sidi Kassem el-Jallizi (fig. 107, PI. LXI).

Epoque turque

De même que le chapiteau hafside et le chapiteau hispano-maghrébin restent en faveur à la fin du XVIe
siècle et au début du XVIIe siècle, la simple palmette incurvée conserve son rôle décoratif à la base des
piédroits des portes de certains palais (portes de la cour du Dâr 'Othman) et de nouvelles mosquées hanéfites
(portes extérieures de Jama' Sidi Yousef) (PI. LXIII). Cependant, ces éléments hafsides ne tarderont pas à
être complètement abandonnés au profit de motifs nouveaux, mi-géométriques, mi-floraux, qui se mêlent
déjà aux dessins précédents — Dâr 'Othman, Mosquée de Sidi Yousef, etc. — .11 est alors curieux de constater
l'importance grandissante de cette innovation d'inspiration orientale dans le décor du marbre et de la pierre ;
une des rares initiatives turquisantes inspirées par les nouveaux maîtres ottomans apparaît elle-même soumise
à des influences persanes ; cette renaissance ornementale enrichira, sans les bouleverser — puisqu'elle comblera
une lacune — les vieilles traditions entretenues dans la capitale de la Régence par les décorateurs andalous,
stucateurs, faïenciers, peintres...
Il faut reconnaître une originalité et une qualité artistique remarquables dans les premières créations
d'un type nouveau dont on rehausse l'entrée de la salle de prières de Jama' Sidi Yousef (PI. LXV) et la porte
monumentale du Palais du Dey 'Othman (PI. LXIV, fig. 108). Il en ressort un souci particulier de grâce et
de diversité dans le choix et l'imitation de motifs naturalistes : grenades, tulipes, roses, feuilles dentelées
réunies entre elles suivant les courbes d'une véritable arabesque, garnissant en bas la moulure horizontale
des piédroits.

Origine du décor de la pierre et du marbre

On ne peut toutefois reconnaître dans ces figures particulières que des exceptions dont on chercherait
vainement ailleurs la réplique sculptée. Si l'on se rapporte aux avis les plus autorisés de la haute société
tunisoise concernant le répertoire en usage parmi les nakkâsha de la capitale, on devrait en découvrir l'origine
dans les pierres tombales qui auraient été commandées aux artistes d'Istanbul, depuis la conquête ottomane,
à l'intention des souverains et des principaux dignitaires du Beylik (2).
On sait que ces tombes forment, au-dessus du sol, un coffrage allongé (3), recouvert d'une dalle parfois
débordante que surmonte, en tête, un cippe coiffé d'un turban symbolique (4) (fig. 138). Une ornementation
stylisée qui ne cessera d'évoluer au cours des siècles s'attache principalement à l'encadrement de la dalle
funéraire, voire aux quatre côtés de la tombe (5). (PI. LXXXII).

1. J. Revault, Deux Mid'as tunisoises. Décor sculpté à la partie inférieure des angles de la cour d'ablutions de la Mid'at
al-'Attarine.
2. Communication orale de Si H.H. Abdulwahab.
3. Ce type de pierre tombale diffère entièrement des formes en «lame» dont les nécropoles zirides et khorassannides ont
laissé le souvenir à Tunis — Musée du Bardo et Musée lapidaire de Sidi Bou Khrissan, rue Ben Mahmoud.
4. Les cimetières d'Istanbul renferment des pierres tombales de forme parallélépipédique comparables, portant également,
outre des éléments épigraphiques et symboliques — arbre de vie, rosace, vase, etc. — un cippe enturbanné (hommes) ou deux
stèles extrêmes (femmes). Comme dans les cimetières musulmans de Tunis, ce monument en marbre ou en pierre commémore
seulement la véritable sépulture qu'il surmonte.
5. Malgré certaines similitudes dans leur aspect général et le caractère de leur décor, il ne semble pas que les tombes exécutées
sur commande pour la Régence de Tunis aient jamais répondu à une reproduction intégrale de tombe stambouliote.
(Jellâz) - Pierre tombale -blanchie à la chaux- ornée de motifs turquisants (XVIie - XVIIie s.)-
l'habitation tunisoise 243

Planche LXV

Jamd Sidi Yousef (XVIIIe s.). Motifs végétaux et arabesques florale ornant la base des portes centrale (4)
et latérales (1-3) de la salle de prières.
244 J. REVAULT

Planche LXVI

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Torba Sidi Yousef (XVIIe s.). Motifs floraux ornant la base des fenêtres et niches extérieures à fond plat.
L HABITATION TUNISOISE 245

Planche LXVII

Dâr Baïram Turki (début XVIIe s.). (Cour intérieure).


1. Motifs sculptés à la base des montants des arcatures aveugles en pierre de taille.
2. Décor géométrique et floral ornant la partie inférieure des piédroits à l'entrée d'un appartement (côté Sud).
246 J. RE VAULT

Les sépultures ainsi importées pour des personnages de haut rang étaient toujours exécutées en marbre
avec un soin particulier dans le choix et la qualité de leur ornementation. On les trouve en divers endroits,
à l'intérieur et autour de la cité : mausolées, zaouïas, mosquées funéraires, cimetières. Citons notamment
les pierres tombales du Dey 'Othman à la Zaouïa d"Aziza 'Othmana (1) ; de Yousef Dey (Mausolée de
Jamac Sidi Yousef) (fig. 4, 141), d'Hamouda Pacha le Mouradite (Mausolée de Jama' Sidi Ben cArous)
(fig. 16, 141), de Hassine ben 'Ali Turki (Zaouïa de Sidi Kassem) ,des beys et ministres de la fin de l'époque
husseinite (Torbet el-Bey). Or, il n'est pas douteux que ces tombes richement sculptées aient suscité
l'admiration de tous ceux qui étaient admis à les visiter. Commanditaires et sculpteurs tunisois étaient naturellement
tentés de les imiter. C'est ce qui dût se produire en même temps dans la décoration des tombes exécutées dans
le calcaire du Cap Bon, et dans l'ornementation des encadrements de portes et fenêtres en marbre ou en
keddâl, ces divers travaux étant également soumis aux artisans spécialisés de la corporation des nakkàsha (2).
Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner de voir, à une même époque, tel motif funéraire reproduit intégralement
à la base ou au sommet d'une porte, obéissant dans les deux cas à un souci identique, prophylactique et
décoratif.
En dehors des sépultures généralement datées à l'intérieur des zaouïas et mausolées, une datation même
approximative des innombrables tombes souvent anonymes qui se multiplient sur les pentes du Jellaz devrait
être facilitée grâce à la comparaison de leur décor avec celui des monuments religieux et des habitations
authentifiés à l'intérieur de la Médina.

Décoration sculptée

Epoque turque et mouradite

Dès le début de l'installation ottomane à Tunis, la nouvelle sculpture turquisante vient suppléer à
l'indigence de la décoration hafside dans les portes de marbre des premiers monuments hanéfites et des palais
élevés pour les nouveaux maîtres turcs.
Cette innovation décorative réservée à la base des piédroits dans les portes extérieures et intérieures,
apparaît, en premier lieu, comme un art de transition. Certains des motifs représentés semblent dûs, nous
l'avons dit, au ciseau d'une main d'oeuvre étrangère, en raison même d'un aspect inusité qui ne se renouvellera
jamais plus ; ailleurs des artisans locaux ne se sont guère écartés des seules figures traditionnelles connues,
appartenant au type hafside des chapiteaux à palmettes demeurés si longtemps en honneur à Tunis. D'où
un curieux mélange initial de motifs neufs, anciens et mixtes. Cette sorte de tentative apparente, à la fin du
XVIe et au début du XVIIe siècle, marque surtout le premier palais privé édifié par 'Othman Dey (fig. 108,
PI. LXIV) et la première mosquée hanéfite élevée par son successeur, Yousef Dey (fig. 4, 141, PL LXV, LXVI).
Dans les deux cas, contrairement à ce que nous verrons plus tard, chaque motif se limite au décor d'une
seule moulure à la base des montants de la porte principale comme des portes secondaires, voire des fenêtres
barreaudées.

Décor intérieur du Dâr Baïram Turki

On sait que cette ancienne demeure, située entre la rue Sidi 'Ali 'Azouz et la rue de la Grande Mosquée,
représente un des types les plus caractéristiques de l'habitation citadine restée fidèle aux modes de construc-

1. J. Pignon, Un document inédit sur la Tunisie au début du XVIIe siècle, dans les Cahiers de Tunisie, 1, 2e et 3e trim. 1961,
pp. 109-119.
2. De même que le répertoire ornemental des peintres, stucateurs et céramistes tunisois s'était enrichi au contact des artistes
andalous, celui des sculpteurs sur pierre connut sa plus forte expansion sous l'influence directe de spécialistes étrangers venus de
Turquie, ainsi que des œuvres importées de la Métropole qui devaient s'imposer comme modèles dans la capitale de la Régence
de Tunis.
l'habitation tunisoise 247

Planche LXVIII

10
Dâr Baïram Turki (cour intérieure).

Motifs sculptés symétriquement de part et d'autre d'ouvertures réelles — portes, claustra, soupiraux — ou aveugles — arcatures
(voir PL LXVII et LXIX).
248 J. REVAULT

Planche LXIX

Dâr Baïram Turki (cour intérieure).

Motifs floraux sculptés au sommet des montants et à la base des impostes supportant la retombée des arcs des niches murales
à fond plat.
l'habitation tunisoise 249

tion hafside aux premiers temps de la conquête ottomane (1). 11 en a déjà été souligné la noblesse et la sévérité
de l'aspect intérieur, avec la prédominance d'un revêtement général de la cour en pierre de taille — sol et
murs —- En l'absence de toute fenêtre, les portes à linteau droit sous imposte cintrée alternent
harmonieusement avec les arcatures des portiques ou des grandes niches à fond plat (fig. 133).
C'est aux nakkâsha que l'on doit la seule note décorative qui témoigne d'un souci de fantaisie en certains
points de la cour, décor, à la vérité bien sobre, mais qui précise déjà la naissance d'une coutume nouvelle
avec le remplacement des anciennes palmettes uniformes par une variété inconnue de motifs turquisants.
Plus discrète que la sculpture des chapiteaux à crosses des deux galeries du patio, cette ornementation se place,
sans doute comme autrefois, dans la cavité horizontale de certaines moulures, se répétant aux mêmes niveaux
des murs de la cour. C'est ainsi que l'on peut relever la reproduction symétrique de motifs divers, de bas en
haut des façades appareillées : 1° à la base des piédroits des portes, des montants de défoncements en arca-
ture et des encadrements de soupiraux des caves ; 2° au bord des impostes supportant les arcs muraux ; 3° aux
angles des claustra cintrés et de leurs écoinçons (PI. LXVITI, LXX).
Il faut distinguer de la plupart des éléments floraux sculptés ici selon un mode turquisant, un bandeau
rectangulaire plus important que les autres, réservé aux piédroits de l'entrée principale, et traité dans un
genre différent (PI. LXVII, LXVIII). Sa composition présente un curieux aspect baroque dans laquelle
s'impose la répétition de volutes plates en champlevé, les éléments floraux étant réduits au rôle de garniture
fragmentée. Apparemment d'inspiration occidentale, ce bandeau serait-il l'œuvre d'un artisan étranger (captif
chrétien ?) comme la faïence contemporaine de Qellaline nous en offre tant d'exemples de même nature (2) ?
Les autres figures représentées conservent la sinuosité de l'arabesque de caractère floral. Les tiges y
sont souvent doublées ou triplées, sinon remplacées par une nervure en biseau. Enroulements, palmettes
et fleurons renaissent sous une forme plus souple et plus vigoureuse ; il s'y ajoute parfois, comme à Jamaf
Sidi Yousef, des feuilles à digitations multiples, arrondies et creuses, tels des éléments cloisonnés (PI. LXVII,
LXX, fig. 110).

Décor extérieur de portes d'entrée (XVIe- XVIIe siècles)

Durant les périodes turque et mouradite, les éléments décoratifs choisis par les nakkâsha pour en orner
la base des piédroits à l'entrée d'une grande demeure, conservent une réelle sobriété. Qu'ils soient
géométriques ou floraux, leur disposition horizontale ne dépasse pas, tout d'abord, la moulure concave inférieure
déjà réservée auparavant à la palmette hafside. Cependant les dimensions habituelles de ce cadre devront
parfois s'agrandir pour permettre un développement plus important de la nouvelle ornementation. Nous
donnons de celle-ci plusieurs exemples choisis parmi les plus représentatifs des nombreuses portes ornées
entre Médina et faubourgs.

Porte du Dâr Dennouni (impasse Bou Hachent)

On pourrait s'étonner de constater une sorte de fidélité dans le choix du vieux thème favori : la palmette
(3). Bien sûr, la forme almohado-hafside, lisse et simplifiée à l'extrême, a disparu : on la trouve alors remplacée
par une palmette orientale d'inspiration persane. Sa silhouette gracieuse, allongée et dentelée nous est déjà
familière, si souvent représentée dans les céramiques de Nicée aux XVIIe et XVIIIe siècles (4).

1 . Supra, Palais de Tunis, T.


2. Collection de faïences du XVIIe s. au Musée du Bardo ; sofra carrée, couvrant autrefois de son pavage polychrome la
pièce principale de l'étage du Dâr El-Hedri ; faïence (0,06) ornant le sol de certaines chambres du Dâr Dennouni {Palais de
Tunis, I).
3. Supra.
4. A Tunis, des carreaux de céramique de Nicée à fond d'émail blanc décorent une partie des murs de la Mosquée de Sidi
Mahrez (fin XVIIe s.) et de la Mosquée Neuve (début XVIFIe s.). En outre, plusieurs spécimens sont exposés au Musée du Bardo.
Des peintres tunisois se sont également inspirés de ces éléments floraux pour la décoration de certains plafonds aux époques
turque et mouradite. Palais de Tunis, I, passim.
250 J. REVAULT

Planche LXX

Dâr Baïram Turki (cour intérieure).

Claustrum (surmontant l'entrée d'une chambre) : ouverture cintrée en pierre calcaire appareillée, cernée par une moulure à double
boucle que rehaussent, deux à deux, des éléments turquisants à la base des écoinçons et des piédroits.
L HABITATION TUNISOISE 251

Planche LXXI

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0.05 o;o

Dâr Dennouni (Impasse Bou Hachem).


Porte d'entrée avec détail de sculpture d'un piédroit (XVIIe s.).
252 J. REVAULT

Planche LXXI1

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/)ar El-Ayari (Porte, Impasse des Jnoun).


Double encadrement — keddàl et harsh — et arc de décharge (XVIIe s.).
l'habitation tunisoise 253

Ici, la figuration de deux palmettes symétriques s'inscrit dans un triangle, conformément à une
conception dont on pourra observer de fréquentes reproductions. Séparées par un fleuron, ces palmettes sont serrées
par un nœud d'où s'échappent deux tiges médianes s'arrondissant en forme de lyre et deux autres en forme
de palmettes inversées à double lobe (1) (PI. LXXI).
Deux palmettes dentelées garnissent les angles supérieurs du décor. La sobriété de celui-ci s'accorde
bien avec la simplicité générale du cadre en calcaire dont la composition classique ne présente que des
surfaces nues : deux montants avec linteau monolithe qu'entourent successivement une moulure concave
doublée d'un filet et un bandeau plat plus large. Cependant l'une des principales règles toujours appliquées
pour la mise en valeur de tout encadrement en pierre ou en marbre n'a pas été omise ici, puisque le relief
recherché entre ses différentes parties y a été parfaitement respecté. Ce relief se manifeste par des retraits
successifs à partir du cadre externe.
Notons aussi le contraste existant entre la nudité du keddâl et une certaine richesse du cloutage qui
renforce et orne les deux vantaux de la porte d'entrée du Dâr Dennouni. Contraste enfin entre cette
ornementation géométrique d'origine andalouse et la sculpture florale d'inspiration orientale, un même sens
prophylactique les unissant probablement pour la protection commune du seuil de la demeure.

Porte du Dâr El-Ayari (impasse des Jnoun)

On sait que le Dâr El-Ayari (2), voisin du Dâr Dennouni, est situé dans l'un des quartiers aristocratiques
les plus anciens de la Médina, à proximité de la rue de la Kasbah. Mais ici, une ruelle plus large s'est prêté
à l'élévation d'une entrée plus importante : en effet, au premier encadrement traditionnel en calcaire s'ajoute
un arc de décharge relié à un second encadrement en grès coquillier appareillé (PI. LXXII). L'ensemble forme
ainsi une façade majestueuse que rehaussent, à sa base, plusieurs éléments sculptés dans le keddâl. Toutefois,
ces éléments ne diffèrent pas de ceux du Dâr Dennouni. Une double palmette identique est reproduite dans la
moulure correspondante (fig. 113) ; elle se répète, en outre — en s'inversant — à la partie inférieure du
bandeau complémentaire tout en s 'adaptant à ses proportions plus larges. On observera aussi, à l'angle externe
de chacun de ces deux panneaux horizontaux, l'apparition d'un nouveau motif géométrique : en haut, simple
rosace à huit pointes fuselées (3), en bas, double rosace rayonnante inscrite dans un carré, aux angles garnis
d'une feuille à trois lobes. La base même des pilastres n'est pas dépourvue de décor, un dernier panneau sculpté
y ayant été placé dans le prolongement des précédents ; panneau de type occidental dont l'ornementation
se réduit au tracé de simples rectangles concentriques moulurés (4) (PI. LXXII).
Ces différentes innovations doivent alors être retenues comme les signes précurseurs d'une future
évolution décorative qui s'accentuera de plus en plus entre le XVIIe et le XVIIIe siècle.

Portes du Dâr Hamadi Chérif (rue Dâr Jeld)

Dans la pente de la rue Dâr Jeld, la triple entrée du Dâr Hamadi Chérif montre trois types de porte
distincts correspondant à leurs fonctions respectives (5). Séparées seulement par leurs encadrements de
pierre, les trois portes de l'ancienne demeure apparaissent groupées dans une même façade, en partie
découverte, en partie abritée sous les voûtes d'un sâbât (6) (PI. LXXIII). A l'extérieur, l'entrée principale de
l'habitation des maîtres (dâr el-kebïra) montre, autour de sa porte cloutée sous linteau droit, le double encadrement

1. Ibid., pp. 316-319.


2. Supra. Ibid., pp. 321-322.
3. Rosace inscrite dans un cercle.
4. Représentation discrète d'un motif européen de valeur secondaire.
5. Op. cit., pp. 326-328.
6. Supra.
Planche LXXIII

0 0,5 1m

2 L

Dâr Hamadi Chérif (Portes, rue Dâr Jeld, extérieur).


1. — makhzen 2. — dâr al-dyâf 3. — dâr el-kebira
l'habitation tunisoise 255

le plus important de la façade — en keddâl et harsh. A l'abri du sabât, l'accès au makhzen surprend par ses
fortes dimensions et la solidité de sa structure, deux larges montants à semelle (1) supportant un arc brisé
outrepassé avec boucle (2). Séparant portes d'habitation et des communs, la porte droite de l'escalier des
hôtes (dâr el-dyâf) semble secondaire malgré son seuil surélevé et sa plate-bande appareillée.
Seules, les deux portes droites présentent, à leur base, un décor sculpté, proportionné à l'importance de
chacune d'elles (PL LXXIII).
Grande porte : malgré la différence qui ressort du choix des motifs essentiels, un rapprochement s'impose
entre leur distribution, telle qu'elle a été adoptée ici et à l'entrée du Dâr El-Ayari : superposition, à la partie
inférieure des piédroits, de deux figures d'aspect encore inusité, celle du bas étant également flanquée d'une
rosace suivie d'un registre à rectangles concentriques.
L'innovation réalisée ici par le sculpteur consiste dans la représentation des deux sujets suivants : dans le
cavet, rangée de trois spirales reliées par deux fuseaux inclinés, aux angles garnis de palmettes à trois feuilles ;
dans le bandeau, composition rectangulaire faite d'une rosace centrale rayonnante (3) entre deux palmes
symétriques (4) opposées qu'entoure une chaîne entrelacée aux maillons arrondis (5). A l'angle du bandeau
d'encadrement en keddâl, un carré renfermant une autre rosace à douze pétales (6) sépare le rectangle
précédent du rectangle suivant de type occidental.

Petite porte : peut-être postérieure dans son exécution à l'ornementation de l'entrée des maîtres, le double
décor de la porte des hôtes n'en est pas moins caractéristique d'un style turquisant qui demeure longtemps en
faveur au XVIIe siècle. Le choix des figures y est exclusivement floral : en haut, arabesque à boucles et à nœud
(7) ; en bas — dans un rectangle — une rose entière à huit pétales, entre deux demi-roses, apparaît dans un
entremêlement symétrique de tiges aux contours de ruban et de feuilles rappelant la stylisation de palmettes
conventionnelles (PL LXXIII).
Dans les deux portes extérieures du Dâr Hamadi Chérif, il y a lieu de remarquer l'absence de tout autre
décor sculpté, en dehors des piédroits, notamment à la surface des linteaux.

Porte d'appartement (sur cour)

L'importance de la façade décrite plus haut correspond parfaitement à celle de l'aspect intérieur de la
demeure des maîtres : grande cour à deux portiques extrêmes que couronne, à l'étage, une galerie circulaire (8).
A l'opposé de l'entrée, s'ouvre, face au Nord-Ouest, la salle d'honneur (bit ras al-dâr) : porte cloutée à deux
battants pliants dans un encadrement de marbre clair surmonté d'un claustrum (PL LXXIV). La sculpture
des piédroits présente un autre type de décor, différent de ceux de l'entrée extérieure, adaptée ici à un matériau
plus riche (9). Si le cavet ne comporte qu'une double palmette à boucles et digitations traditionnelles, le
bandeau inférieur s'enrichit d'un rectangle et d'un carré garnis d'une curieuse ornementation florale (PL LXXIV) :

1. En calcaire arrondi.
2. En grès coquillier.
3. Rosace à 12 pétales.
4. Même nombre (12) dans la division de chacune des palmes.
5. 28 maillons. On observera l'identité de ces divers éléments sculptés et de ceux de certaines pierres tombales
contemporaines (Jellaz).
6. Pétales fuselés entre trois pétales d'angle arrondis.
7. Correspondant à un modèle fréquemment utilisé.
8. Op. cit., PI. LXX.
9. Répétition de ce décor à l'entrée de la première chambre, qui lui fait vis-à-vis, orientée Sud-Est.
256 J. RE VAULT

Planche LXXIV

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Dur Hamadi Chérif. Cour intérieure —- Porte de la chambre principale — bit ras al-dâr.
l'habitation tunisoise 257

Planche LXXV

0 OS 1

Zaouïa Sidi Yousef (XVIIe s.) (Rue de l'Obscurité, impasse Amouna).

La façade se divise entre deux matériaux : 1) double arcature en grès coquillier ; 2) porte entre deux stylobates en calcaire.
Ornementation géométrique de la porte : en bas (piédroits) double chaîne à maillons arrondis flanquée d'une rosace
rayonnante ; en haut (linteau) rosace.
258 J. REVAULT

la composition principale a l'apparence d'une arabesque fragmentée dont les courbes symétriques et modelées
se terminent par des palmettes et des fleurs stylisées, un œillet se répétant à chaque extrémité tandis qu'un
fleuron occupe le centre du registre. Dans l'angle du bandeau, le carré complémentaire ne renferme qu'une
simple rose à huit pétales, un quart de rosette s'y ajoutant dans les quatre coins du carré. Malgré son étrange
style composite, cette décoration ne semble pas une exception, et paraît bien la reproduction d'une base de
piédroit déjà observée à l'une des portes de Jama' Sidî Yousef.

Portes de la Mosquée d' Hamouda Pacha et de plusieurs demeures mouradites

Au début de la deuxième moitié du XVIIe siècle, de nouveaux modèles de pierre sculptée apparaissent
avec l'ornementation des portes de la seconde mosquée hanéfite élevée à Tunis, non loin de la Kasbah et de
la Grande Mosquée, par Hamouda Pacha le Mouradite (1). Aussi bien y accède-t-on de deux côtés, côté Nord
par la rue de la Kasbah — reliant celle-ci à Bâb el-Bahr — et côté Ouest, par la rue Sidi Ben Arous que
prolonge la rue du Pacha (fig. 16, 141).
Contrairement aux hésitations que l'on a pu relever dans la décoration des portes de la première mosquée
hanéfite construite par Yousef Dey, hésitations entre la reproduction d'anciens motifs hafsides et l'adoption
de nouveaux éléments turquisants, ici le choix d'un style décoratif unique s'impose également dans les
encadrements de portes extérieures (2) et intérieures (3). Au dehors, ces encadrements de calcaire s'accompagnent,
dans un défoncement mural, de colonnes à chapiteau hafside soutenant un arc surbaissé importé, semble-t-il,
d'Istanbul (fig. 16) ; au dedans, les cadres pareillement ornés des portes de la salle de prière s'abritent sous
un portique dont les colonnes portent des chapiteaux néo-doriques ou les chapiteaux historiés déjà décrits (4).
Dans les différents cartouches sculptés à la base des piédroits (PI. LXXVII), la rosace florale prédomine ;
elle est issue apparemment des représentations souvent timides et simplifiées des rosaces précédentes.
Maintenant, elle s'épanouit hardiment, s 'accompagnant de formes originales à conception géométrique ou florale.
Rue Sidi Ben Arous, les deux types de décor suivants ont été réalisés dans les deux entrées voisines qu'ils
permettent de distinguer :
1) deux rectangles superposés de grandeur inégale renferment : en haut une arabesque d'un genre de
plus en plus fréquent — faite d'attaches et de tulipes reliées aux involutions symétriques d'une tige nervée
en forme de ruban (PI. LXXVII, 3) ;
— en bas une forte rosace arrondie, rayonnante en son centre, s'entoure d'une couronne de tulipes,
tandis que se répètent, de part et d'autre, des fleurs semblables entre les nervures flexibles qui les contournent.
Mélange de figures florales présentées de face ou de profil, toujours taillées en biseau.
2) Superposition de deux autres figures de dimensions et d'aspect très différent : dans le cavet, décor
floral dissymétrique composé d'une rose (de face) et d'un bouton de fleur (de profil) se terminant par des
palmettes à spirales (PI. LXXVII, 1) ;
— dans le bandeau inférieur, un groupe de cinq fleurs s'inscrit au centre du registre allongé, à l'intérieur
d'un carré sur pointe ; disposition cruciforme de pivoines épanouies — de face au milieu, de profil sur les
côtés. Quatre formes foliacées s'ajoutent deux par deux en haut et en bas de cet ensemble fleuri dont la moitié
se répète à chaque extrémité du rectangle. Entre ces trois éléments floraux s'interposent deux grands motifs
géométriques semblables faits de rubans entrelacés.

1. Les deux mosquées (Sidi Yousef et Hamouda Pacha) sont caractérisées par l'élévation d'un minaret octogonal de même
style (fig. 4).
2. Trois portes extérieures encadrées de calcaire ; cinq portes intérieures encadrées de marbre clair.
3. Façade Nord : porte médiane s'ouvrant dans un arc brisé outrepassé à claveaux bicolores, entre deux portes — flanquées
de deux fenêtres barreaudées — à linteau droit ; les portes droites se répètent deux à deux aux extrémités Est et Ouest de la salle
de prières.
4. Supra, op. cit., I. Dâr Daouletli.
l'habitation tunisoise 259

Planche LXXVI

Zaouïa Sidi Abd el-Ouareth (XVIIe-XVIIIe s.), rue Torbet el-Bey. Façade à triple arcature et fenêtre de sabîl
sculptée à sa base (cyprès et bouquets stylisés dans cinq arceaux).
260 J. RE VAULT

Planche LXXVII

////

Mosquée Sidi Ben 'Arous (ou Hamouda Pacha) (XVIIe s.). Motifs géométriques et floraux, portes salle de
prières et rue Sidi Ben 'Arous (1), rue de la Kasbah (2 et 3).
l'habitation tunisoise 261

La sculpture de rectangles concentriques (en keddàl) apparaît à la base des pilastres de la façade
ap areil ée (en harsh) à arcs surbaissés séparant les deux portes sous arcs de décharge, flanquées de leurs colonnes
cantonnées (1).
Rue de la Kasbah, l'unique entrée de la mosquée ouvrant de ce côté (2) montre un décor mi-floral, mi-
géométrique, apparenté à l'ornementation précédente. La différence ne ressort que du raccourcissement du
registre inférieur auquel s'ajoute alors, dans l'angle du bandeau, un carré à rosace rayonnante, comme nous
en avons déjà vu ailleurs d'autres exemples (PI. LXXVII, 2).
C'est bien la même ornementation dont on pourra observer la faveur particulière, non seulement aux
multiples portes et fenêtres en marbre clair de la salle de prières donnant sur la cour de la mosquée (3), mais
encore au seuil de certaines portes en calcaire de la Médina — Dâr Mellouli, Dâr Nefer, Dâr Khaznadar,
Dâr Romdane Bey... (4).

Décoration sculptée du Mausolée d' Hamouda Pacha

A la mosquée du souverain mouradite se trouve annexé un élégant mausolée de marbre clair ; édifice
cubique coiffé d'un toit pyramidal de tuiles vertes, dans lequel s'ouvrent, sur chacun des côtés, porte ouvragée
ou fenêtres barreaudées. Ces ouvertures ont été pratiquées dans les défoncements arqués entre des niches à
fond plat que surmontent des fenêtres géminées aveugles (fig. 14).
De même que pour l'ornementation de la mosquée voisine, on aura fait appel aux artisans les plus habiles
chargés d'embellir l'intérieur et l'extérieur de la torba. Leur talent ne sera pas le moins appréciable dans la
décoration sculptée de la base des piédroits — porte, fenêtres, niches. Une grande variété y a été recherchée
dans le style turquisant le plus raffiné. Nous en présenterons ici, comme exemple, les motifs ornant la fenêtre
médiane et les deux niches latérales de la façade extérieure, rue Sidi Ben Arous (PI. LXXVIII).
Fenêtre. Sous une arabesque à rosettes et pivoines sculptée dans la moulure concave, le rectangle du
bandeau inférieur s'enrichit d'une composition foisonnante et symétrique de même nature : rosace centrale
rayonnante — répétée par deux demi-rosaces à chaque extrémité du cartouche — d'où s'échappent les courbes
symétriques d'une double involution à palmettes dentelées (5) que complètent des tulipes de grandeur diverse
(PI. LXXVIII).
Dans le prolongement du rectangle s'ajoute aussi un carré renfermant une triple rosace rayonnante et
quatre petites tulipes d'angle.
Niche à fond plat. Entre cavet et bandeau se superposent, dans une symétrie inachevée, des motifs de
même style que ceux de la fenêtre, mais d'une exécution plus sommaire. La composition y est encore
commandée par une involution simple ou contrariée, caractérisée par la figuration d'une coupe centrale en forme de
croissant avec palmettes et tulipes de type variable (PI. LXXVIII).
Sans doute, la raffinement auquel on s'est élevé dans la décoration du mausolée d'Hamouda Pacha
représente-t-il un sommet artistique qui ne pourra être suivi intégralement dans l'architecture domestique (6) ;

1 Une banquette (dukkana) basse en keddâl longe la partie inférieure de la façade Ouest.
.

2. Sous un arc surbaissé.


3. Supra. Au décor de la base des portes s'ajoute également celui du cavet inférieur des fenêtres et de la base des pilastres.
4. Supra, op. cit., I, passim.
5. Ce type de palmette a déjà été relevé dans la composition plus simple qui flanque l'entrée du Dâr Dennouni et du
Dâr El-Ayari.
6. Il est difficile d'en préciser les conditions d'exécution : par des sculpteurs étrangers ou des nakkâsha tunisiens ?
262 J. REVAULT

Planche LXXVIII

0,50 m

Mausolée Hamouda Pacha (rue Sidi Ben 'Arous).


Façade de marbre clair, rue Sidi Ben 'Arous.
En haut : piédroit de niche à fond plat.
En bas : base de montant de fenêtre barreaudée.
l'habitation tunisoise 263

il n'y déterminera pas moins, comme le décor des plus riches pierres tombales, une orientation dont on
reconnaîtra fréquemment les effets dans le choix ornemental des portes extérieures et intérieures à travers la Médina
du XVIIe siècle.

Mausolée El-Fellari (XVII e s.) (Rue Torbet el-Bey)

Entre la fin de l'époque mouradite et le début de la période husseinite, la belle ornementation du mausolée
El-Fellari confirmerait, s'il en était besoin, le rôle artistique exemplaire attribué à certains monuments
religieux. Ici, cet exemple se manifeste en deux endroits, l'un dans la porte, l'autre dans les fenêtres de la torba (1).
Porte. L'entrée, rue Torbet el-Bey, est de type traditionnel, avec son double encadrement de calcaire et
de grés coquillier, formant une imposante façade carrée (PI. LXXIX). On y a développé le plus largement
possible une décoration turquisante, surtout florale et sculptée en biseau. Triplée, à la base des piédroits,
elle s'élève en filet le long des montants et court au sommet du linteau, lui-même orné de trois motifs
importants. Cet encadrement général apparaît bien comme un luxe inhabituel ; cependant le thème en est déjà
connu, avec la répétition — presque semblable — de l'arabesque du cavet : ondulations rattachées à des
palmettes jumelées à trois lobes. Ce principe décoratif ne diffère pas de celui qui a été retenu dans la
composition touffue du bandeau inférieur ; d'un croissant central (2) surgissent aussi d'autres involutions pourtant
plus accentuées que contournent et remplissent des palmettes symétriques. Une double rosace à pétales
rayonnants garnit un carré intermédiaire entre le cartouche précédent et le registre suivant, marquant la base
des pilastres par une succession de moulures concentriques.
Le linteau se distingue par une sculpture géométrique et florale à fort relief : au milieu, étoile entrelacée
à 24 pointes : de chaque côté, vase arrondi et côtelé posé sur un croissant, et entouré de la retombée
symétrique de pivoines et tulipes (3) (PI. LXXX).
Fenêtres. Encadrée de marbre blanc rehaussé de pierre noire, une fenêtre barreaudée s'ouvre sur chacune
des trois façades extérieures à arcatures en harsh. Le décor en a été relevé, côté Ouest, rue Torbet el-Bey, et
côté Sud, place Torbet el-Bey (PI. LXXXI).

1) (rue Torbet el-Bey)


Surmontée d'une plaque de marbre datée à la mémoire du fondateur de la Torba (4), cette fenêtre se
limite, dans son décor, au bandeau des piédroits, divisé entre un rectangle et un carré ornés. Le premier montre
un entremêlement symétrique de tiges nervées et de palmettes ; le second une double rosace à pétales
rayonnants.

2) (place Torbet el-Bey)


On observe une autre variante d'éléments décoratifs déjà décrits entre cavet et bandeau : fragment
d'arabesque à palmettes dans l'un, triple rosace festonnée dans l'autre, au creux d'une involution décorative
qu'envahit un foisonnement de feuilles conventionnelles dans lesquelles réapparaît la palmette traditionnelle (5).

1 Indépendamment de la décoration intérieure.


.

2. Rappelé aux deux extrémités du registre par un demi-croissant.


3. Cette composition florale d'inspiration orientale, encore lourdement traitée, annonce celle pour laquelle une préférence
s'affirmera largement dès le début de la période husseinite {infra).
4. Plaque commemorative fixée par neuf clous de cuivre à tête godronnée, portant en deux registres des inscriptions au plomb,
complétées par deux autres plaques au-dessus des autres fenêtres, place Torbet el-Bey. Date : 1122H/1710-1711.
La Torbet El-Fellari ne contient pas cependant de sépulture au nom de ce dernier, mais plusieurs tombes de marbre
sculpté sans doute à Istanbul pour de grands personnages (hommes et femmes).
5. Un décor de même style apparaît à la base des montants de l'entrée intérieure du mausolée — porte à arc brisé
outrepassé et claveaux bicolores — Rosace centrale entre deux demi-rosaces florales.
264 J. RE VAULT

Planche LXXIX

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Mausolée El-Fellari (Rue Torbet el-Bey).


En haut : élévation de la porte d'entrée, dans son encadrement de calcaire et de grès coquillier.
En bas : détail de sculpture des piédroits.
L HABITATION TUNISOISE 265

Planche LXXX

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Mausolée El-Fellari.
En haut : encadrement supérieur de la porte droite.
En bas : détail de la sculpture décorative et prophylactique du linteau.
266 J. REVAULT

Dans la première période turque et mouradite, nous assistons à une véritable renaissance de la sculpture
de la pierre et du marbre à l'intérieur de l'ancienne cité ifriqyenne. En effet, de la période précédente il ne
restait guère qu'un élément appauvri pour orner la base des piédroits de monuments importants ; aussi
la palmette hafside ne semblait-elle qu'une dernière feuille détachée, comme de son arbre, du chapiteau
hispano-maghrébin demeuré en honneur à Tunis jusqu'à la conquête ottomane. En revivifiant cet art déclinant
par une inspiration neuve, venue de l'Orient, les nouveaux maîtres turcs accordaient un rare privilège à la
capitale de la Régence, privilège qui demeura méconnu dans les autres cités du Maghreb, telles que Alger
et Fès.
Naturellement, entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe, les innovations turquisantes se mêlent
encore à des réminiscences hafsides, ce mélange correspondant à une étape de transition inévitable (1).
Lorsque les premiers éléments orientaux de caractère floral s'imposent enfin à la décoration des
monuments religieux (2) comme à celle des palais et grandes demeures, ils se limitent discrètement au seul cavet
inférieur des piédroits — porte, claustrum... — En même temps réapparaît la technique du champlevé et de la
taille de la pierre en biseau dont avaient hérité autrefois des Byzantins les artistes aghlabites et fatimites.
Au vieux répertoire local, symbolique et prophylactique — arbre de vie, palme, étoile, rosace géométrique,
chaîne, etc ... (3) — se joignent désormais les figures plus souples et plus riches d'une flore originaire de la
Perse et de l'Inde : rosaces à pétales, chrysanthèmes, tulipes, œillets qu'accompagnent les formes dentelées
ou lisses de feuilles conventionnelles — palmettes persanes ou traditionnelles.
En même temps la sculpture ornementale s'étend à deux, voire trois moulures, à la base des piédroits,
avant d'atteindre le linteau de la porte qui présentera parfois de un à trois motifs géométriques ou floraux.
De part et d'autre d'une entrée importante, le premier cadre en keddâl s'augmente souvent, nous l'avons
vu, d'un second cadre en harsh dont la partie inférieure est soulignée d'un cartouche en calcaire d'intérêt
secondaire ; la simplicité de son décor mouluré figurant des rectangles concentriques reflète une inspiration
occidentale encore timide. Cependant, il ne faut pas s'y méprendre, cet élément européen ne donnera pas
moins naissance que les éléments orientaux à un développement inattendu, durant la période husseinite ;
les uns et les autres contribueront à un enrichissement parfois excessif des portes droites ou arquées à l'entrée
des palais et demeures citadines aux XVIIIe et XIXe siècles (4).

Décoration incrustée (XVP-XV1P siècles)

Avant d'aborder l'évolution de la pierre sculptée au cours de la période husseinite, il est nécessaire de
rappeler le rôle de l'incrustation de la pierre et du marbre, voire du plomb, dans le décor architectural de
Tunis aux époques turque et mouradite (5).
A rencontre de la sculpture contemporaine de style turquisant, la décoration incrustée apparaît bien
comme un héritage des temps hafsides, l'une et l'autre étant également pratiquées par la même corporation
des nakkâsha. Façades murales extérieures et intérieures, ainsi que dallage des cours et des pièces, peuvent
aussi bien bénéficier de l'ornementation incrustée, qu'il s'agisse de bâtiments civils ou religieux. Dans les
constructions en marbre de l'Ichkeul, cette ornementation s'associe particulièrement avec d'autres éléments
de marbre bicolore dont on connaît déjà l'emploi plus courant, tels que claveaux d'arc et plate-bande
appareillée de porte droite. Bien qu'elle comporte parfois des motifs floraux à base de fleurons ou de palmettes,

1 . IL fallait compter, d'une part, avec les habitudes des sculpteurs locaux et de leurs commanditaires tunisois attachés à
un certain mode de décor traditionnel, d'autre part, avec la difficulté de copier les nouveaux motifs turquisants — dont certains
n'ont jamais été reproduits à Tunis {Supra).

2. Et des pierres tombales.


3. Supra, tombes antiques et premières sépultures islamiques.
4. Infra, Palais de Tunis, II ; Résidences d'été, III, passim.
5. Extrait du Jbel Khessas (au Sud de Tunis), le plomb utilisé par les nakkâsha leur était vendu en feuilles ou plaquettes,
découpées avant incrustation dans le marbre ou fusion dans la pierre.
l'habitation tunisoise 267

Planche LXXXI

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Mausolée el-Fellari (XVIIIe s.). Façade extérieure avec détail de motifs sculptés à la base de fenêtres, rue et
place Torbet el-Bey.
(Jebbâna Bâb Aléoua). Pierre tombale ornée de motifs sculptés — rosace, cyprès et câ
l'habitation tunisoise 269

on y voit surtout représentées des figures géométriques simples — cercle, octogone, svastika — ou
compliquées d'entrelacs — carré ou cercle entrelacé.
De l'application de ces motifs dont la signification originelle semble aujourd'hui oubliée nous
rappellerons tout d'abord les exemples de plusieurs bâtiments hafsides déjà évoqués plus haut :

Mid' at es-Soltâne (XVe s.)

Le couloir d'accès à la cour et à la salle d'ablutions présente, dans le tympan de son grand arc médian,
un large carré entrelacé de marbre blanc et noir qu'encadre le bandeau sculpté d'une arabesque de palmettes
et que complète, à la base, une plate-bande ornée de trois svastikas (fig. 139). De part et d'autre de l'arc
antérieur ouvrant sur la cour, deux grandes palmettes à fleuron de marbre clair s'enlèvent sur le fond noir des
écoinçons, que limite le contraste bicolore inversé d'une chaîne entrelacée (1) (PI. LXXXIII).

Zaoiïia de Sidi Kassem al-Jallizi (XVe s.)

Entre la drïba de la Zaouïa, la salle de prières et le mausolée que reliait autrefois un portique circulaire,
la vaste cour dallée a conservé, en son milieu, une curieuse incrustation de marbre sombre et clair composée
d'une couronne de six cercles entourant un septième cercle central (2). Jusqu'à ce jour, l'usage en est maintenu
avec la visite de femmes enceintes désireuses de connaître le prochain résultat de leur maternité (3)
(fig. 144).
Ailleurs, se reproduisent les figures suivantes plus modestes : octogone dans un carré de marbre noir
et blanc (dans la drïba, et au-devant de l'entrée de la Torbet Sidi Kassem) ; carré entrelacé — noir sur fond
clair — à division intérieure octogonale ou hexagonale (autour de la grande sofra de la cour) (fig. 144).
Par la suite, au début de l'époque turque, on sait que les nouvelles constructions monumentales
conservent l'empreinte de l'architecture et de la décoration hafsides ; tel fut le cas du luxueux palais édifié par le
Dey Othman.

Palais du Dey 'Othman (XVIe- XVIIe siècles)

On y retrouve, entre ses façades, drïba et cour, des incrustations décoratives semblables à celles qui
étaient en honneur au XVe siècle et dont il vient d'être cité deux exemples (4) (fig. 140).
L'entrée du palais est rehaussée, tout d'abord, par la richesse décorative du marbre noir et blanc qui en
constitue le second encadrement (PI. XII), contrastant avec la nudité du premier cadre de la porte à linteau
droit : en haut — entre linteau et arc brisé — plate-bande appareillée flanquée de deux carrés entrelacés ;
de chaque côté, une rangée de six svastikas que partage un carré divisé en quatre octogones. Un de ces
éléments — carré entrelacé — se répète au-delà du seuil, dans le dallage de la drïba, tandis que les écoinçons
du grand arc central reprennent le thème décoratif de la Mid'at el-'Attarine — palmettes jumelées de marbre
clair sur fond noir accompagnées d'une chaîne entrelacée faite d'une succession d'hexagones noirs sur blanc.

1. Le grand arc antérieur, ouvrant sur la cour, est flanqué de deux rosaces entrelacées.
2. Composition inscrite dans un carré rehaussé autrefois de faïence polychrome.
3. Cette cérémonie s'effectue de la façon suivante : la femme, munie d'un pain rond qu'elle applique contre son ventre
et qu'elle dissimule sous son voile, tourne sept fois autour du cercle central avant de s'y arrêter et d'y laisser tomber son pain ;
la face plate visible annonce un garçon, la face ronde une fille. Cette consultation s'accompagnait auparavant de dons et de
sacrifices propitiatoires à la Zaouïa. On se contente aujourd'hui d'allumer un cierge auprès du cénotaphe de Sidi Kassem.
4. Supra, Palais de Tunis, I, p. 93 et ss. J. Pignon, Un document inédit sur la Tunisie, pp. 109-119.
270 J. RE VAULT

Planche LXXXIII

(Mid' at al-' Attarine). Coupe avec élévation sur la cour d'ablutions — Inscrustations de marbre noir et
blanc : carré entrelacé, svastika, fleuron et chaîne entrelacée (XVe s.).
l'habitation tunisoise 271

Dans la cour intérieure, les arcatures aveugles, qui joignent entre elles les galeries extrêmes, comportent
aussi une architrave ornée de trois motifs incrustés de marbre bicolore : un carré entrelacé entre deux
svastikas (fig. 140). A cela s'ajoute enfin, à l'angle des écoinçons d'arc, de petites rosaces entrelacées dans lesquelles
un émail de céramique noire a remplacé le marbre.
Dâr Bou Zaïane (XVe-XVW s.). Dépourvue de portique mais entourée d'une magnifique succession
de niches à fond plat, la cour du Dâr Bou Zaïane (1) montre, en son milieu, un autre exemple d'incrustation
en marbre bicolore caractéristique de la tradition hafside : carré entrelacé — semblable aux précédents —
dans un large encadrement, en partie uni, en partie décoré (fig. 61, 62, PI. LXXXIV).
A l'intérieur d'autres cours turques ou mouradites, on se contente souvent d'un décor plus simple, comme
en possède encore le Dâr El-Hedri (fig. 70, 76) — octogone inscrit dans un carré — au centre du dallage en
keddâl (2) (fig. 143).

Portes à décor incrusté sous arc de décharge (XVIP s.). Le décor incrusté apparaît rarement au tympan
d'une porte à linteau droit sous arc de décharge ; il reste alors le signe d'une demeure importante dont on
peut citer les suivantes : (rue des Juges), Dâr Zarrouk (PI. XVIII), étoile à dix pointes réalisée au plomb ;
Dâr Stamerad, carré entrelacé garni de quatre octogones en marbre noir et blanc (3) ; (impasse du Chanteur),
Dâr Riahi, étoile à six branches en marbre bicolore exécutée dans un cercle (4).

Incrustation de marbre et de pierre dans les monuments religieux et civils (XV1P s.)

Si l'incrustation ornementale se réduit, dans la Torbet Sidi Yousef, à de petites rosaces entrelacées
destinées à rehausser les écoinçons des principaux arcs extérieurs (5), elle s'amplifie singulièrement dans les
façades de la Torbet Hamouda Pacha (fig. 141). Elle y prend alors la forme de grandes étoiles à six pointes
(côté rue Sidi Ben 'Arous), sinon l'aspect de rectangles entrelacés (côté cour de Mosquée), couvrant la surface
des niches à fond plat en marbre de deux couleurs (6).
Le minaret de la mosquée d'El-Ksar, également élevé au XVIIe siècle (7), se distingue par l'originalité
de son ornementation de marbre ou de pierre incrustée que l'on chercherait en vain dans les autres minarets
carrés de Tunis (fig. 4). La chaîne entrelacée y est l'élément principal, formant l'encadrement des deux
compositions qui se superposent : en haut, fenêtre géminée en marbre noir et blanc ; au milieu, carrés concentriques
en calcaire et grès coquillier rehaussés d'un entrelacs médian.
Au Dâr el-Bey, la cour inférieure à péristyle n'offre à la vue que des incrustations de pierre ; on y retrouve
néanmoins les figures géométriques traditionnelles : carré entrelacé découpé dans le keddâl clair sur fond

1. On dit que cette très ancienne demeure aurait été habitée jadis par la famille Sqolli (ou Siqilli) qui compta, sous les
Hafsides, des médecins célèbres.
Cf. R. Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsides, II, p. 371. Les membres ou clients d'une famille de « chérifs
siciliens» étaient reconnus comme les praticiens les plus notables au XIVe et au XVe siècle. Le dernier d'entre eux fut 'Abdar-
rahmàn as-Siqillî (mort en 1467).
Le Dâr Bou Zaïane qui aurait été auparavant le Dâr Sqolli, pourrait donc être considéré, sans doute, comme l'une des rares
demeures tunisoises d'époque hafside. Malheureusement, depuis sa précédente étude dans notre premier ouvrage (T. I, 1967,
p. 277), ce vestige magnifique semble condamné à une ruine qui ne cesse de s'aggraver.
2. Un élément semblable est parfois placé devant le seuil d'une chambre.
3. Palais de Tunis, I, pp. 287-294. La driba du Dâr Zarrouk montre également la reproduction d'un carré entrelacé dans les
deux arcs qui surmontent les dukkana latérales.
4. Ibid., pp. 271.
5. Semblables aux rosaces signalées dans la cour du Dàr 'Othman.
6. A l'intérieur de la salle de prières de la Mosquée funéraire figurent d'autres incrustations carrés entrelacés de chaque
côté de l'arc du mihrab, chaîne entrelacée le long de la rampe du minbar.
:

7 G. Marçais, Tunis et Kairouan, Paris, 1937.


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Zaïané). Incrustations géométriques de marbre blanc et noir au centre de la cour et à l'entrée de deux pièc
l'habitation tunisoise 273

de harsh sombre ; étoile à huit pointes dans un cercle réuni par quatre boucles à un carré occupant le centre
d'un panneau mural rectangulaire (étage) (1). Une ornementation beaucoup plus riche sera conservée, au
siècle suivant, dans le style mouradite, à l'entrée du salon d'honneur de la cour supérieure du palais avec ses
trumeaux verticaux en marbre blanc, noir, rouge et ocre couverts de rosaces entrelacées (2) (fig. 89, 90).

Décoration sculptée en marbre et pierre (XVIIIc-XIXe siècles)

La période husseinite est marquée à la fois par l'évolution et le développement du décor sculpté. La
prédominance antérieure d'une ornementation nettement orientale fait place désormais à une ornementation
composite puisqu'elle comprendra un mélange d'éléments géométriques et floraux, les uns d'origine turque,
les autres d'influence italienne.
Le signal de cette nouvelle orientation semble également donné par un monument religieux important ;
en effet, l'innovation correspondante ne pouvait manquer de s'imposer, en son temps, avec le bel
encadrement de pierre sculptée qui pare l'entrée de Jama'Jdid due au fondateur même de la dynastie husseinite,
Hussein ben Ali Turki (1705-1740) (3). Nous en observerons les effets, entre le XVIIIe et le XIXe siècle,
aussi bien dans les portes à linteau droit que dans les nouvelles portes à arc brisé outrepassé décrites plus
haut (4).
L'extension d'un décor italo-turc de plus en plus important apparaîtra principalement dans les piédroits
que l'on se proposera souvent d'embellir plus richement qu'autrefois.

Porte de JamdJdid (début XVIIIe s.)

Rappelons que l'entrée de « la Mosquée Neuve », rue des Teinturiers, comporte un double encadrement
fait de calcaire rose et de grès coquillier de teinte rousse (5) ; cependant, seul, le keddâlse prête à une
ornementation sculptée, aussi bien dans les piédroits et le linteau que dans les pilastres. De même qu'à la Torbet el-
Fellari, l'ouverture de la porte s'entoure entièrement d'un décor turquisant taillé en biseau : en bas,
croissant au milieu de rinceaux fleuris de chrysanthèmes que surmonte une double moulure garnie de l'arabesque
traditionnelle (6) ; sur les côtés, celle-ci longe le bord externe des montants ; en haut, le linteau s'orne d'un
carré entrelacé flanqué de deux vases au col allongé (7) d'où sort un bouquet de fleurs stylisées (8). La grâce
et la légèreté de cette nouvelle ornementation à dominante florale contraste avec la lourde sculpture en relief
italianisante qui apparaît à l'extrémité inférieure du second encadrement : rosace arrondie au centre d'un carré
que limitent deux moulures saillantes, tandis que trois arceaux de faible épaisseur garnissent l'extrémité
supérieure des pilastres.
Une plus grande importance ressort de la création de ce nouveau style avec sa reproduction presque
intégrale à l'entrée de la médersa voisine, annexée à la mosquée, sans compter la répétition, entre les deux
portes, de la rosace italianisante de part et d'autre d'un sabilen marbre clair. L'aspect imposant qui se dégage
de l'ensemble de cette belle façade de pierre richement décorée s'accentue aussi par la présence, au-dessous

1. Palais de Tunis, U, fig. 103. Voir planche en couleur p. 206.


2. Ibid., fig. 104.
3. Ibid., p. 19 et ss.
4. Supra.
5. Supra. Voir la porte de Jama' Jdid sur la couverture de cet ouvrage.
6. La moulure concave s'orne encore de rosettes espacées.
7. Vase piriforme.
8. Trois chrysanthèmes.
274 J. REVAULT

d'un élégant minaret octogonal, des solides voûtes d'un sabât que confortent dix colonnes en keddâl
couronnées du nouveau chapiteau à double rangée de volutes.
Ainsi se trouvent réunis au même endroit, au début de la période husseinite, les éléments caractéristiques
de son ornementation architecturale qui ne cesseront ensuite de se développer. Il est possible d'en observer
les effets immédiats dans la décoration des portes de medersas et torbas contemporaines, indépendamment
d'autres portes appartenant à d'anciennes demeures qui ont recherché leur inspiration aux mêmes sources.
Cependant, au cours du XVIIIe siècle, de nombreuses réminiscences mouradites se mêlent parfois aux
créations husseinites. Nous en citerons les exemples suivants :
(Rue des Libraires) Torbet 'Ali Pacha : au pied du double encadrement de la porte arquée (1), même
cartouche floral turquisant, avec croissant et rinceaux, auquel s'ajoute le panneau carré d'une rosace
italianisante (2) ; Médersa en-Nakhla, porte droite montrant, en bas, une rosace florale mouradite auprès d'une
rangée de trois pointes de diamant, en haut, une rosace géométrique entre deux vases avec bouquet imités
du linteau décoré de Jama' Jdid (3) ; (Rue du Pacha) Medersa El-Jassoussiya, 1er cadre, rosace mouradite ;
2e cadre, rosace italianisante compartimentée séparant deux rinceaux turquisants (4) ; linteau, trois vases
portant chacun cinq fleurs (tulipes et chrysanthèmes) (5) ; (Rue Ben Nejma), linteau copié sur celui de la «
Mosquée Neuve » — carré entrelacé et deux vases à long col avec bouquet. A la base des piédroits curieuse réplique
de ces vases (sans bouquet) représentés couchés et affrontés deux à deux.
(Rue Sidi Kassem) Torbet Sidi Kassem Sababti (sépulture du Bey Hussein ben Ali Turki) : 1er cadre
— base de piédroit ornée d'un croissant au milieu de rinceaux à chrysanthèmes et tulipes, au-dessus,
arabesque suivie d'un semis de rosettes ; 2e cadre — panneau vertical (sans moulures) (6) à décor turquisant
fait de deux grandes figures piriformes inversées et entremêlées avec rinceaux floraux, surmonté d'un bandeau
à croissant et volutes.
(Rue des Andalous, n° 40) Dâr Ben Amara (7) : grande porte à arc brisé d'aspect très simple, le second
encadrement en harsh étant limité à un bandeau uni (8). La sculpture inférieure des montants ne comporte
qu'un seul cartouche garni d'un croissant à volutes, au sommet de l'arc (9) le claveau central est gravé
d'une rosace archaïque à six rayons fuselés.
(Rue des Andalous, n° 36) : comme la porte précédente, cette porte arquée s'entoure d'un cadre en keddâl
doublé d'un bandeau en harsh se prolongeant ici, autour d'une imposte barreaudée. Le décor sculpté se répartit
entre la base (croissant et rinceaux avec arabesque) et la bordure interne des piédroits (colonnette lisse) (10),
le sommet de l'arc (croissant) et ses écoinçons (motifs cruciformes à cinq rosettes).

1. Arc brisé outrepassé à claveaux de marbre noir et blanc semblable à celui de la porte voisine accédant à la Medersa
Slimaniya.
2. Cette rosace se répète de part et d'autre d'une fontaine rattachée à la façade des medersas husseinites et abritée sous les
voûtes d'un sâbât, rappelant une même disposition adoptée, à l'extérieur, par Jama' Jdid (supra).
3. Avec une exécution plus grossière dont le relief ne diffère pas de celui du linteau sculpté à l'entrée de la Torbet el-FelIari,
il s'y ajoute aussi un listel d'encadrement entièrement sculpté qui justifie un rapprochement entre ces deux portes contemporaines
(début du XVIIIe s.).
4. Au sommet du même cadre, groupe de trois arceaux sculptés avec rosette.
5. Vase arrondi, entre deux coupes. Voir aussi, rue Sidi Es-Sourdou, la porte de la Medersa Hussainiya el-Kobra avec son
linteau droit sculpté de trois bouquets sous arc de décharge et son décor turquisant (croissant, rinceaux et cyprès) à la base de
ses piédroits et pilastres.
6. Remplace la rosace italianisante de Jama'Jdid.
7. Palais de Tunis, II, p. 210 et ss. A côté du Dâr Lakhoua.
8. Cette simplicité est fréquente dans toute la rue des Andalous.
9. La sobriété générale de cet encadrement de pierre s'affirme encore par l'absence de colonnette dans les jambages.
10. Avec chapiteau à volutes. Semis de rosettes et croissants dans le cavet externe (tada'ïfa).
l'habitation tunisoise 275

(Rue des Andalous, n° 37) Dâr Chamakh : Porte à linteau droit sous arc de décharge présentant un
double encadrement également important en calcaire et grés coquillier : 1er cadre : deux rinceaux à
chrysanthèmes sont surmontés d'une première moulure (avec début d'arabesque suivie de rosettes et croissants)
et d'une seconde moulure (avec arabesque complète) (1); 2e cadre : superposition de quatre registres de grandeur
inégale compartimentés entre des moulures saillantes — trois rectangles horizontaux et un carré — .
De bas en haut :
— rangée de six pointes de diamant ;
— réseau à méandres renfermant cinq rosettes ;
— vase piriforme au milieu de rinceaux à chrysanthèmes ;
— croissant d'où s'échappent également des rinceaux fleuris.
Le sommet des pilastres contient trois arceaux avec rosette et croissant. Le linteau s'orne encore de trois
motifs floraux : vase central à col élancé d'où jaillissent des volutes à fleurs symétriques, entre deux vases
en forme de coupe et bouquets stylisés semblables. Ces divers exemples relevés en plusieurs endroits de la
Médina témoignent également de la faveur grandissante de l'innovation décorative, caractérisée par des
motifs floraux turquisants inusités à Tunis avant le XVIIIe siècle : à la base des piédroits, croissant entouré
de rinceaux fleuris de chrysanthèmes ; à la surface du linteau, rosace et vases d'où s'enroulent en volutes
symétriques les tiges des fleurs imitées de l'Orient — tulipes, roses et chrysanthèmes — sans compter rosettes
et croissants qui parsèment le cavet d'encadrement (2).
Plus tard, vers la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, il ne subsistera, autour des portes droites
ou arquées de plus en plus en honneur, que les éléments d'une ornementation husseinite et italianisante.
« Malgré le succès que connaît le marbre de Carrare dans la décoration des palais et luxueuses habitations
de la Régence, dès la fin du XVIIIe siècle, l'usage du keddâl ne sera jamais complètement abandonné (3).
On le voit encadrant également les portes droites des habitations modestes et les grandes portes en arc
brisé outrepassé (ou cintré) des plus belles demeures. Une ornementation sculptée s'y développe plus
largement qu'auparavant : rosaces entrelacées, bouquets et cyprès disposés symétriquement sur la face des linteaux ;
rosaces à lourd relief italianisant, vases et rinceaux turquisants garnissant, en panneaux superposés et moulurés,
la base des piédroits des portes arquées, souvent doublés d'un second encadrement de grés coquillier (harsh).
De fines colonnettes, lisses, cannelées ou torses, cantonnent aussi le bord des montants, tandis que des
rosettes parsèment le fond des moulures suivant la courbe des arcs» (fig. 30, 31, 32, 33).
Naturellement, si cette décoration, en évoluant, devient de plus en plus mélangée, elle peut toutefois
rester discrète à de nombreuses entrées ; mais dans l'encadrement des portes les plus riches — cloutées,
ou sculptées à l'italienne — la fantaisie des nakkâsha se manifeste souvent avec une exhubérance assez
intempérante. L'importance décorative des deux parties d'un encadrement en keddâl et harsh s'avèrant alors
inversée, il ne sera pas rare de voir la base de certains pilastres se couvrir d'une succession de panneaux
moulurés (fig. 150).
Rappelons que l'évolution décorative examinée ici, soumise à la double influence de l'Orient et de
l'Occident, ne pouvait échapper au goût et aux tendances personnelles des deux principaux souverains qui
ont régné sur la Régence de Tunis à la veille de sa décadence : Hamouda Pacha (1782-1814) et Ahmed Bey

1. Disposition rappelant celle de Torbet el-Fellari et de Jama'Jdid. Palais de Tunis, I, pp. 274-275.
2. A la même époque, une ornementation de même style peut être relevée sur les pierres tombales des mausolées et cimetières
de la capitale. Aussi bien, comme nous l'avons déjà observé à propos de la décoration turque et mouradite, celle des portes
husseinites proviendrait, sans doute, de l'imitation des tombes en marbre clair commandées à Istanbul pour orner la sépulture
des grands personnages de la Régence. On devine alors que ces ouvrages, soigneusement exécutés au dehors, ne pouvaient
manquer d'être retenus comme modèles par les artisans tunisois dans la réalisation des tombes locales en calcaire.
3. Ibid., II, p. 61.
276 J. REVAULT

(1837-1855) (1). Cette évolution était liée naturellement, nous l'avons vu, à celle de l'architecture, l'une et
l'autre obéissant à l'attraction artistique de la Péninsule voisine, d'abord par l'intermédiaire de la Métropole
ottomane, ensuite par des rapports directs avec l'Italie.
Des changements ainsi intervenus, au cours des deux derniers siècles, dans l'ornementation des portes
sculptées, nous donnerons les descriptions suivantes : (Rue du Riche) Dâr Djellouli. On devrait, sans doute,
à Mahmoud Djellouli, l'aménagement de l'entrée de sa somptueuse demeure, lorsqu'il vint s'y installer,
appelé à remplir de hautes fonctions à Tunis auprès d'Hamouda Pacha (2).
Portail arqué dans un double encadrement de keddâl et harsh. Premier cadre : deux figures composites
d'un nouveau type ornemental remplacent le décor turquisant à la base des piédroits ; octogones à quatre
côtés droits et quatre côtés en quart de rond, garnis d'une rosette entre quatre fleurons disposés en croix (3).
Arabesque suivie de rosettes et croissants dans le cavet du jambage bordé d'une colonnette torse (4).
Deuxième cadre : trois registres rectangulaires et un carré séparés par une épaisse moulure se succèdent
de bas en haut dans l'ordre ci-après :
— rangée de sept pointes de diamant au creux du premier registre rectangulaire ;
—• réseau losange aux contours recti-curvilignes formant cinq médaillons identiques à rosette médiane ;
— panneau carré orné d'un vase à long col (5) au milieu de rinceaux symétriques à chrysanthèmes ;
— croissant entouré également de rinceaux à fleurs turquisantes — chrysanthèmes et tulipes.
Au sommet des pilastres, registre carré habituel orné d'un croissant entre deux rosettes à l'intérieur de
quatre arceaux.
La nudité de la pierre est conservée à la surface de l'arc et des écoinçons.
Au fond de la drïba du Dâr Djellouli, que ferme une porte à deux grands vantaux et portillon cloutés,
une ornementation semblable est reproduite dans l'encadrement de la porte droite communiquant avec la
sklfa. Il s'y ajoute seulement, sur la face du linteau, trois éléments turquisants représentés par des vases à
bouquets stylisés (6).
(Rue 'Abba. n° 26) Dâr Ben Cheikh. Mise en valeur par l'éclairage plongeant d'un puits de lumière
ménagé entre deux sâbât, la belle porte arquée de l'ancienne demeure apparaît, comme la précédente,
caractéristique de l'époque d'Hamouda Pacha. Dans son double encadrement le calcaire est réservé aux piédroits
et le grés coquillier à l'arc brisé et aux écoinçons.
Premier cadre : jambages sculptés, en bas, d'un croissant entre deux rinceaux fleuris — que surmonte
l'arabesque traditionnelle complétée par des croissants et rosettes — et bordés d'une colonnette torse (7).
Second cadre : succession de trois registres moulurés (deux rectangulaires et un carré) : 1) cinq pointes de

1. Ainsi que les ministres les plus influents de ces beys, tels que Yousef Saheb et-Taba'a pour le premier et Mustapha
Khaznadar pour le second.
2. Communication orale d'Ahmed Djellouli. Palais de Tunis, II. Voir planche en couleur, frontispice.
3. Plus tard toute séparation disparaîtra entre les deux figures, aboutissant à n'en faire qu'une seule. Un exemple de cette
transformation est donné par un autre portail arqué — à décor plus sobre — qui aurait été aménagé par les Djellouli, au milieu
du siècle dernier, à l'entrée de la rue du Riche (n° 3 bis). Voir aussi, à proximité, rue des Andalous, le même motif au bas de la
porte arquée n° 41 bis.
4. Cette ornementation se poursuit autour de l'arc.
5. Nous retrouverons, mainte fois, cette forme de vase élancé relevée pour la première fois, nous l'avons dit, sur le linteau
de Jama'Jdid.
6. Le choix des principaux éléments décoratifs répétés dans les deux portes du Dâr Djellouli permet de rapprocher leur
ornementation de celle de l'entrée du Dâr Chamakh. Les deux rangées de banquettes de pierre (dkâken) creusées de niches en
arceaux, de part et d'autre de la driba, s'ornent aussi d'une moulure rehaussée de rosettes.
7. Avec petit chapiteau à volutes.
l'habitation tunisoise 277

diamant, 2) carré renfermant un octogone à quatre bords incurvés (1) au milieu duquel apparaît en saillie
une rosace arrondie italianisante, 3) vase piriforme entre deux rinceaux fleuris de chrysanthèmes. Au sommet
des pilastres et au-dessous de la plate-bande appareillée en grès coquillier se répète le décor de trois arceaux
avec vases et bouquets.
(Rue 'Abba) Dâr Ben Abd el-Ouareth. Porte droite — voisine de celle du Dâr Ben Cheikh — à l'entrée
d'un sâbât dont les voûtes d'arêtes et les doubleaux s'appuient, d'un côté, sur une rangée de quatre colonnes
en keddâl à chapiteau turc, de l'autre sur des consolettes en pierre (fig. 15). La sculpture composite demeure
sobre et équilibrée entre piédroits et linteau : en bas, médaillon couché d'exécution italianisante ; en haut,
trois vases avec bouquets stylisés taillés en léger relief (2). Un simple bandeau de grés coquillier — en partie
caché par les voûtes du sâbât — entoure le cadre en calcaire.
A la sortie du sâbât, avant la rencontre de la rue Abba avec la rue des Juges, se dresse la belle porte
arquée du Dâr El-Messa'oudi. La recherche particulière qui ressort de la composition de son double
encadrement de pierre ainsi que de sa décoration mi-turquisante, mi-italianisante, a déjà fait l'objet, plus haut, d'une
description détaillée. On soulignera cependant l'interprétation originale du décor mentionné, pour la première
fois, à l'entrée du Dâr Djellouli : à côté de rosaces de type mouradite (piédroit) (3), la partie inférieure des
pilastres présente une rangée de trois rosettes dont le relief identique correspond à celui de leur encadrement
mouluré dans un triple compartimentage octogonal aux bords recticurvilignes.
Dans les quartiers Sud de la Médina, les portes suivantes montrent encore les motifs composites de plus
en plus à la mode auprès de la bourgeoisie tunisoise du XIXe siècle :
(Rue Sidi Zahmoul, n° 9). L'ensemble de la porte arquée demeure sobre bien que le décor sculpté s'étende
jusqu'au sommet de l'arc. En effet, le cadre en keddâl ne présente, à sa base, que les motifs octogonaux
jumelés déjà décrits (4) — maintenant fusionnés — que surmontent arabesque et semis de croissants et rosettes
tandis qu'une colonnette cantonne chacun des piédroits et qu'un bouquet de trois tulipes orne le claveau
central (5).
(Rue Torbet el Bey, n° 42). Le double encadrement de la porte présente un arc tendant à s'élever au-
dessus des montants ainsi décorés : en bas élément floral de type baroque inscrit dans un losange et surmonté
du cavet habituel ; sur les bords internes, colonnettes cannelées (6). Arc et écoinçons montrent respectivement,
dans une sculpture assez lourde et dépouvue de nervures, un croissant avec trois volutes à rosettes et un vase
côtelé (ou coupe) à deux anses contenant des tulipes disposées symétriquement. Les pilastres sont rehaussés,
en bas, de rectangles concentriques, en haut, de quatre arceaux à croissants et rosettes. L'aspect général
apparaît surtout italianisant.
On doit enfin rappeler, à proximité de Jama* Jdid, deux des plus beaux portails marquant l'entrée des
palais husseinites ci-après : Dâr Djellouli (rue Sidi et-Tinji) (fig. 30), Dâr Bach-Hamba (rue Bach-Hamba)
(PI. XXIX)... (7); les éléments caractéristiques d'une ornementation italo-turque examinés dans les portes
précédentes se retrouvent ici avec un luxe particulier. Il y a alors lieu de se reporter aux études dont ces portes
ont déjà fait l'objet. De même, conviendrait-il de revoir les façades des riches demeures de même époque,

1. Entouré de rosettes et croissants.


2. L'ensemble de cette décoration appartiendrait, semble-t-il, à la première moitié ou au milieu du XVIIIe siècle.
3. Exemple de la persistance des anciennes traditions décoratives parmi les nakkâsha.
4. Motifs cruciformes à fleurons.
5. Encadrement général formé d'un simple bandeau uni en grès coquillier. Type de porte à peu près semblable, rue Torbet
el Bey, n° 47.
6. Avec chapiteau à volutes.
7. Palais de Tunis, II, (fig. 1, 2, 14, 22, 23). Supra.
278 J. REVAULT

plus proches du centre de la capitale : Dâr Mokhtar 'Azouz (rue El-Khomsa) (1) ; Dâr Mamoghli (rue des
Andalous) (2) ; Dâr Ben Turkia (rue Sidi 'Ali 'Azouz) (3).
Dans les quartiers Nord de la Médina un même style somptueux ne se renouvelle pas moins que dans le
Sud de la cité, attirant les regards des passants sur la richesse des portes à double encadrement de pierre
ouvragée. Ce style se reconnaîtra tout d'abord dans plusieurs habitations déjà mentionnées telles que le Dâr
Lakhoua (rue Sidi Ben 'Arous) (fig. 28), le Dâr Ben Diaf (rue Ibn Abou Diaf), le Dâr El-Monastiri (rue El-
Monastiri) (4) (PL XXX).
Il arrive cependant que de hauts personnages résistent à ce désir d'ostentation si répandu à leur époque
et n'usent que d'une modeste décoration à l'entrée de leur demeure. Ce n'est pas l'aspect le moins surprenant
de la belle façade du Dâr Lasram, rue du Tribunal (5) (fig. 49). Curieusement surélevée au niveau d'un large
emmarchement de pierre, la porte de ce palais surprend, par ses faibles proportions. Son décor se limite
ensuite à la sculpture composite des piédroits inaugurée, nous l'avons vu, sous le règne d'Hamouda Pacha :
roses jumelées dans deux cadres octogonaux que surmontent seulement arabesque et rosettes turquisantes.
Ailleurs, les voies principales — rue Sidi Ben 'Arous, rue du Pacha, rue de la Hafsia, rue de l'Agha,
rue El-Monastiri... — sont fréquemment bordées de portes cochères imposantes dont l'abondance
ornementale s'étend des deux vantaux cloutés ou sculptés à l'italienne jusqu'au double encadrement de pierre.
Son évolution ne cesse de s'accentuer au cours du XIXe siècle conformément aux exemples dont nous
donnerons les plus caractéristiques.

Première moitié du XIXe siècle

(Rue Sidi Ben 'Arous, n° 36). Dâr Lakhoua (6) (fig. 28, 147). Autour du riche cloutage de la porte (7),
le large cadre en keddâl et harsh a utilisé toutes les ressources décoratives à la mode chez les nakkâsha. Les
montants se composent de trois éléments horizontaux et verticaux partagés entre : une chaîne de petits carrés
concentriques — posés sur pointe — (8) ; un rectangle inférieur à flore symétrique — suivi d'un cavet à
rosettes ; une colonnette torse. L'arc est frappé, en son milieu, d'une lourde rosace italianisante contrastant
avec la légèreté des écoinçons que garnissent deux carrés entrelacés, incrustés de plomb. De part et d'autre,
se succèdent (9), entre les moulures habituelles, panneaux rectangulaires et carrés dans l'ordre suivant :
cinq pointes de diamant ; roses et rosettes à fort relief dans un cadre octogonal recti-curviligne ; une fleur
épanouie à neuf pétales dans un médaillon baroque ; médaillon turquisant — entre deux demi-médaillons
— disposé horizontalement. Au sommet des pilastres, un triple arceau allongé à motifs piriformes et floraux
turquisants.
(Rue de la Hafsia, n° 23). Au début de cette rue, le style de deux portes voisines s'apparente visiblement
à celui de l'entrée du Dâr Lakhoua, bien que le décor de la pierre accompagne ici de grands panneaux de bois
sculptés à l'italienne (10) (fig. 33). Les jambages de la première porte présentent : un médaillon floral de type

1. Ibid., fig. 98.


2. Ibid., fig. 71.
3. Ibid., fig. 99.
4. Ibid., passim (fig. 114 et 126). Supra.
5. Ibid. Supra. Trois portes de type différent avoisinent celle du Dâr Lasram ; rue du Tribunal : n° 27, début XVIIIe siècle ;
n° 29 (Dâr El-Dziri), fin du XVIIIe s. ; n° 22, milieu du XIXe siècle.
6. Supra. Ibid., Il, fig. 114.
7. Porte cloutée sans peinture.
8. Semblable au décor des montants de l'entrée du Dâr El-Monastiri.
9. De bas en haut.
10. Formes elliptiques à décor rayonnant et floral.
l'habitation tunisoise 279

baroque — sous arabesque et rosettes — ; une colonnette torse ; un début de corniche à motifs occidentaux (1).
Le claveau central de l'arc porte une console européenne qui se répète, au-dessus, dans la plate-bande
appareillée du second cadre en grès coquillier, tandis que deux carrés entrelacés en fil de plomb (2) meublent les
écoinçons.
A la partie inférieure des pilastres se superposent quatre registres moulurés carrés et rectangulaires avec
cinq pointes de diamant ; rosace arrondie et saillante au centre d'un carré octogonal ; fleur turquisante à
nervures — motif piriforme entre quatre volutes à tulipes — surmontée d'un bouquet turquisant de facture
plus lourde (3). En haut des pilastres, un cinquième panneau renferme les trois arceaux traditionnels avec
double rosette.

Deuxième moitié du XIXe siècle

Dès le début du siècle dernier, le règne d'Ahmed Bey (1837-1855) correspond à la pleine extension de la
pierre sculptée autour des portes demeurées encore traditionnelles — droites ou arquées — . En adoptant
des formes plus ou moins italianisantes, cet art porte alors les marques certaines d'abâtardissement et de
décadence déjà relevées dans l'étude de l'habitation tunisoise et des villégiatures d'été à la même époque (4).
On n'en doit pas moins reconnaître l'habileté des nakkâsha qui se sont efforcés de se plier aux exigences de
la mode présentées par leurs contemporains. On devine aisément la fierté des plus riches citadins au moment
de découvrir la façade de leur demeure fraîchement terminée et dont la surcharge décorative les comblait de
fierté. Il ne faut pas croire, cependant, que cette modernisation extérieure ait toujours été le reflet
d'aménagements intérieurs de même nature. Elle était parfois trompeuse et superficielle, dissimulant, au-delà de la drïba,
une cour et des appartements dont on s'était bien gardé de modifier aussi profondément un style plus ancien
auquel certains membres de la famille restaient attachés.
De ces portes les plus somptueuses, nous avons retrouvé plusieurs exemples de même type avec une
première adoption de l'arc cintré, dans les deux parties Nord et Sud de la Médina (5).

Partie Sud

(Rue des Andalous, n° 48) Dâr El-Kahia (6). A l'entrée de la rue des Andalous (fig. 27) — près de la rue
du Riche — la grande porte cochère, compartimentée et sculptée à l'italienne, surprend par la hauteur
inhabituelle de ses jambages sous un arc plus court de forme cintrée. Le double encadrement en keddâl et harsh
se compose des éléments suivants : à la place de l'ancien bandeau plat, une large bande moulurée et cannelée
part de la base des piédroits pour se prolonger dans l'encadrement général. Suit une chaîne d'anneaux ronds
garnis de clous godronnés que complètent une colonnette cannelée et une corniche à palmettes et oves
italianisantes. De même style est la console sculptée sur le claveau central de l'arc tandis que s'étendent, à la
surface des écoinçons, rosace et rameaux fleuris de rosettes et tulipes.
Le second encadrement présente la succession des éléments ci-dessous séparés entre eux par une forte
moulure (7) : quatre pointes de diamant ; figure octogonale à bords recti-curvilignes ornée de rosettes et

1. Prélude à une transformation plus importante dans la 2° moitié du XIXe siècle.


2. Différents des deux carrés entrelacés du Dâr Lakhoua.
3. Sorte de champlevé.
4. Palais de Tunis, II et III.
5. Ibid., II. Description de l'entrée principale du Dâr Ben Abd-Allah, p. 99 et ss. Supra.
6. Ibid., II, pp. 205-208, fig. 60.
7. Carré et rectangles.
280 J. REVAULT

croissants ; réseau de médaillons aux contours en méandres ; croissant à rinceaux et chrysanthèmes turqui-
sants (1), indépendamment des quatre arceaux — avec croissants et rosettes — qui couronnent le sommet des
pilastres en harsh encadrés de keddâl (2).
(Rue Sidi Bou Khrissan, n° 27). Au-delà de la rue des Andalous et de la place du Ksar, la rue Sidi Bou
Khrissan s'enrichit d'une porte semblable à celle du Dâr Bou Hachem (3) (fig. 31, 150). A l'abondance du
cloutage des vantaux répond celle de la pierre sculptée à laquelle vient encore s'ajouter un fronton de plâtre
italianisant et turquisant abrité par un auvent surélevé.
(Rue Sidi Es-Sourdou, n° 37) Dâr Bou Hachem (4). Autour d'un portail compartimenté et sculpté
à l'italienne — grands carrés et ovales à motifs floraux — le double encadrement de pierre ne diffère pas,

dans son aspect général, des deux portes précédentes. En effet, on y remarque également les hauts jambages
supportant le nouvel arc cintré qu'entoure de bas en haut un bandeau cannelé, ponctué d'ovales et cercles
fleuris. Des éléments décoratifs italo-turcs apparaissent dans les différentes parties sculptées des deux cadres
en pierre : (1er cadre) face des piédroits ornés d'un vase avec bouquet asymétrique qu'entourent une
succession de petits cercles à clous godronnés et rosettes à cinq pétales, une colonnette torse, une corniche à
oves et perles.
(2e cadre) Cinq registres compartimentés et superposés dans l'ordre suivant (5) : cinq pointes de diamant ;
dans un cadre carré à bords incurvés (6), gros bouton de fleur saillant d'un fond octogonal ; couronne florale
symétrique ; médaillon floral dans ovale à deux croissants extrêmes avec rosette. Plus haut, trois arceaux de
forme habituelle avec cyprès stylisés surmontés d'un croissant et d'une rosette godronnée.
De part et d'autre de l'arc, les écoinçons sont entièrement couverts d'une flore italianisante : un curieux
bouquet, en forme de couronne — roses et croissants — sur pied évasé (7), s'entoure de rinceaux et de lourdes
fleurs épanouies — vues de face — (8) et de chrysanthèmes — représentés de profil (9).
Des éléments complémentaires de type baroque s'ajoutent encore en divers endroits — pilastres, arc et
plate-bande supérieure appareillée (10).

Partie Nord

(Rue Sidi Ben Arous, n° 37) Dâr Hamouda Ja'ït (11). Apparentée au style des trois portes décrites plus
haut, l'entrée de cette riche demeure en aurait marqué, dit-on, l'achèvement en 1859 (12). Montants et arc

1. Seul motif turquisant.


2. Cadre complété par une plate-bande supérieure en grès coquillier.
3. Situé à l'angle de la rue, le portail s'élève librement grâce à l'ouverture pratiquée vers le ciel, entre deux sâbât.
4. Ibid., I, p. 37.
5. Registres séparés entre eux par des moulures, les moins larges étant placées aux extrémités du groupe.
6. Garnis de huit rosettes.
7. En forme de cloche.
8. Cette représentation, de face, des fleurs sculptées, s'oppose à la sculpture des fleurs d'inspiration orientale — tulipes,
chrysanthèmes — représentées de profil.
9. Motif oriental sculpté en relief italianisant.
10. Contraste du luxe ornemental de la partie du Dâr Bou Hachem avec l'extrême simplicité de la porte voisine d'une grande
demeure du XVIIIe siècle — Dâr Ben Mrad — dont les piédroits de l'entrée ne comportent qu'une colonnette lisse cantonnée.

1 1 . Au siècle dernier, la famille Ja'ït — qui compta plusieurs personnages religieux — s'illustra par la nomination d'un
ministre, Youssef Ja'ït, frère d'Hamouda Ja'ït. Au sujet de l'ancienne demeure de ce dignitaire, fondée, dit-on, par son grand-père

'Othman Ja'ït, cf. Palais de Tunis, II, p. 281.


12. Communication orale de M. Ja'ït.
l'habitation tunisoise 281

cintré — à peine brisé — semblent la reproduction des mêmes éléments relevés dans les portes précédentes (1).
Un vase à bouquet turquisant décore l'angle des écoinçons et se répète au sommet des pilastres (2). A la base
de ceux-ci se succèdent cinq registres — rectangulaires et carrés — (3) renfermant des motifs peu différents
de ceux que nous avons mentionnés : cinq pointes de diamant ; une rosace saillante au centre d'un octogone
et d'un carré rehaussé de quatre rosettes (4) ; une fleur épanouie à cinq pointes dans un médaillon baroque ;
une rose au milieu d'un médaillon pointu flanqué de deux demi-médaillons ; un croissant avec bouton
godronné.
Ici, les innovations décoratives qui ressortent de la façade du Dâr Ja'ït annoncent bien l'adoption
complète de dispositions semblables à l'intérieur de cette habitation citadine. En effet, au-delà du hall d'entrée (drïba)
(5), aucune skïfa ne conduit, selon la coutume, à la cour centrale du rez-de-chaussée, celle-ci étant occupée
par les communs. C'est un large escalier de marbre à plusieurs volées et rampe en fer forgé (6) qui mène
jusqu'au nouveau patio surélevé de la srâya des maîtres, patio entouré d'un balcon à l'étage (7) au-dessous
d'un lanterneau, et desservant des appartements modernisés et décorés à l'italienne.
Il s'agit bien là d'une transformation très importante des plus vieilles conceptions de le demeure urbaine ;
imaginée pour le nouvel usage de la maison des hôtes {dâr al-dyâf) aménagée à l'étage et conservée désormais
pour eux-mêmes par les maîtres (8), cette transformation apparaît déjà comme une transition entre l'ancienne
habitation de type traditionnel avec son patio inférieur et la maison modernisée à l'européenne (9).
Si l'exhubérance décorative décrite plus haut s'accomode mieux des grandes portes arquées en honneur
à l'époque husseinite, elle peut néanmoins s'adapter à certaines portes droites. Il en existe plusieurs exemples,
parfois jusqu'à l'entrée même de zaouïas dissimulées au fond de ruelles difficilement accessibles (10). La façade
la plus curieuse choisie pour illustrer ce genre particulier est celle du Dâr Bel-Cadi, qui se dresse sous
encorbellement, rue du Pacha (11) (fig. 120). Une porte à deux battants, cloutée sur fond jaune, s'y encadre
également de keddâl et de harsh dans lesquels la fantaisie du sculpteur s'est donné libre cours. Entouré d'un
bandeau cannelé, le premier cadre — montants et linteau — montre successivement un octogone italianisant aux
côtés incurvés (12), auprès d'un losange disposé verticalement (13); un vase en relief à cinq fleurs (sur la face
des piédroits), et un croissant (14) doublé d'une couronne de lauriers (au milieu du linteau), tandis qu'une
flore festonnée borde l'ensemble.
Le second cadre, en keddâl et harsh s'élève jusqu'aux rangées de consoles de l'encorbellement, surhaussé
par un large panneau vertical. Aussi, les deux pilastres sont-ils partagés, au niveau du linteau, par quatre

1. Les deux grands vantaux de la porte du Dâr Ja'ït sont divisés en simples panneaux encadrés de moulures.
2. Décor sculpté en champlevé et surmonté d'une imposte en quart de lune garni d'une grille florale à l'italienne.
3. Deux carrés diposés au milieu.
4. Que complètent, dans chacun des quatre angles, un quart de rosace à pétales, dernière trace des anciens motifs mouradites.
5. Sur lequel s'ouvrent quatre portes latérales (byût al-drïba), dont l'une ferme une bibliothèque s'éclairant sur la rue.
6. Moins luxueux cependant que l'escalier d'honneur du Dâr Ben Ayed, celui-ci semble également inspiré des riches hôtels
italiens édifiés, au siècle dernier, à l'intérieur du Quartier Franc de Tunis. Palais de Tunis, II, pp. 396-398.
7. Véritable création dont la hardiesse ne se rencontre pas ailleurs, aucun étage ne dominant habituellement la srâya (ou
dâr al-dyâf). Une autre particularité résulte de l'absence de colonne aux angles du patio, le plafond du portique étant remplacé
ici par le support curieusement incurvé du balcon orné de rinceaux et d'emblèmes beylicaux peints à l'italienne. L'influence de
la Péninsule s'étend partout, depuis le marbre clair du sol et les faïences murales jusqu'aux plafonds compartimentés et marouflés
des chambres et salons, avec fenêtres sur le patio et l'extérieur.
8. Palais de Tunis, II, passim.
9. A l'exemple d'Istanbul.
10. Supra. Zaouïa de Lalla Frija, imp. Amouna.
11. Supra. Ibid., Il, pp. 347-348.
12. Garni et entouré de fleurs.
13. Au début du bandeau cannelé.
14. Croissant avec rose.
282 J. REVAULT

arceaux traditionnels en calcaire (1). En bas, superposition de trois registres connus, un carré entre deux
rectangles : cinq pointes de diamant ; un octogone renfermant une rosace et quatre roses italianisantes, figure
répétée partiellement dans les quatre angles du panneau carré ; quadruple enroulement de rinceaux turqui-
sants (2).
Le fronton baroque qui surmonte le linteau, sur fond de grès coquillier appareillé, s'accompagne de deux
cyprès stylisés avec croissant, forme alourdie dont on peut observer la réplique inversée sous console aux deux
extrémités des pilastres (3).
Ces différents exemples correspondent bien au dernier emploi des formes traditionnelles, pour leur porte
d'entrée, par les dignitaires du Beylik et certains notables tunisois ; désormais, si la haute société et la
bourgeoisie de la capitale demeurent encore fidèles, pour leur part, aux ouvertures droites et arquées, elles n'en
sont pas moins tentées par une nouvelle mode occidentale que caractérise la porte cintrée importée d'Italie.
On en trouve tout d'abord la copie au Palais du Bardo et dans les constructions beylicales et vizirielles de la
seconde moitié du XIXe siècle. Son introduction en Médina traduit, certes, une volonté d'évolution de la
part de ses auteurs, mais l'aspect insolite et bien souvent inesthétique de la nouvelle porte étrangère ne pourra
jamais s'associer heureusement avec les autres types de portes qui avaient acquis leurs droits de cité
auparavant (4).

(Rue Sidi Ben 'Arous, n° 60)

Malgré son ancienneté, le Dâr El-Mrabet n'a pas résisté à la modernisation de sa façade, et au
remplacement de son entrée originelle par une porte cintrée (5) (fig. 35). Les deux vantaux compartimentés en six
panneaux elliptiques (6) s'arrêtent au niveau supérieur des montants, au-dessous d'une imposte rayonnante
en fer forgé (7) fixée dans le cintre de l'encadrement. Accompagné d'un simple bandeau en grès coquillier,
ce cadre de calcaire surprend par sa hauteur. De part et d'autre, les montants exhaussés sur leur base ornée
d'un losange fleuri (2) allongent leur face cannelée jusqu'à une première corniche. Au milieu des jambages,
le seul décor est la sculpture d'un vase à bouquet étriqué. Deux rosaces en relief se répètent dans les écoin-
çons que domine une seconde corniche sur consoles européennes (9).
L'apparition, à la fin du XIXe siècle, de ce dernier type de porte citadine est un signe trop évident de
décadence pour qu'il soit nécessaire d'en ajouter d'autres exemples. On ne peut que regretter cette intrusion
dans les quartiers traditionnels de la Médina qui n'ont pas réussi à se soustraire entièrement à l'influence
voisine de l'architecture européenne, liée au prestige grandissant de celle-ci à Tunis comme dans certaines
grandes villes de l'Orient.

1 . Contenant croissant et rose.


2. Avec croissant central et chrysanthèmes traditionnels.
3. Les extrémités sculptées des pilastres sont reliées entre elles par la pierre appareillée {harsh) encadrée de calcaire (keddâl).
4. Il y a lieu d'observer que cette innovation a été précédée, au XVIIIe siècle, par des essais de même nature demeurés sans
lendemain, pour l'adoption de portes baroques exécutées de préférence en marbre. Palais de Tunis, I et II, Dâr Othman, Dâr
Hussein, Dâr Ben Abd-Allah, Borj Koubbat en Nhas...
Au nouvel usage de la porte cintrée va s'ajouter celui des fenêtres, grilles et persiennes imitées des constructions italiennes
du Quartier Franc.
5. Supra. Ibid., I, pp. 223 et ss.
6. Ellipses rayonnantes — très en faveur dans la décoration italianisante — réparties entre six panneaux carrés et
rectangulaires.
7. En demi-lune.
8. Losange vertical.
9. Rue Sidi Ben 'Arous, porte n° 45 semblable à celle du Dâr El-Mrabet. Supra. Ibid. II, passim.
l'habitation tunisoise 283

Si l'usage de la pierre et du marbre décoré s'achève en Tunisie sous l'influence prédominante des artistes
italiens, après avoir été marqué par la double influence de l'Orient et de l'Occident, on doit reconnaître que
ces diverses influences se succèdent en sens inverse de celles auxquelles l'Ifriqya doit ses principales traditions
originelles dans ce domaine. En effet, c'est aux constructions antiques des belles villas romaines de la
Proconsulaire que l'on emprunta tout d'abord, après la Conquête arabe, l'art de tailler et d'orner le marbre, le
calcaire et le grès coquillier : murs soigneusement appareillés en assises régulières, dallage du sol, portiques
et galeries hautes à colonnes autour du patio, portes à linteau droit rehaussé de moulures — cavet et bandeau
plat.
Tandis que l'adoption de la cour centrale et de la chambre en T dérive également de la maison gréco-
romaine et des habitations de Samarra et de Fostat (1), l'art de la pierre en Ifriqya paraît bien s'être inspiré
aussi des modèles empruntés aux pays riverains de la Méditerranée — Est et Ouest — On peut ainsi penser que

.
plusieurs courants techniques et artistiques se conjuguèrent, dès le Haut Moyen Age, entre l'Espagne
musulmane, la Sicile arabo-normande, la Syrie et l'Egypte fatimide puis mamelouke, dont les effets, en Afrique du
Nord, furent de maintenir un réel attachement à la pierre appareillée et sculptée dans la seule partie du
Maghreb représenté par l'Ifriqya. Il en est résulté, nous l'avons vu, une architecture originale qui semble s'être
fixée à l'époque hafside (XIIIe-XVIe siècle) pour se conserver ensuite jusqu'à la fin de la période turque
(XVIIe siècle). On voit alors se perpétuer le même intérêt que témoignaient déjà les Romains à l'égard de
leurs monuments en belle pierre de taille, l'emploi de ce matériau ne cessant d'être considéré, plus tard, comme
le signe envié du plus haut luxe citadin. Au calcaire et au grès coquillier du Cap Bon s'ajoute aussi le marbre
clair de l'Ichkeul. C'est de leur combinaison que sont tirées, à Tunis, les plus heureuses réalisations
architecturales et décoratives, depuis les arcs brisés outrepassés ou les plate-bandes appareillées en marbre bicolore
ainsi que les hautes niches à fond plat jusqu'aux colonnes à chapiteau hispano-maghrébin, hafside ou turc,
et aux incrustations géométriques du sol et des murs.
Si l'arrivée des nouveaux maîtres de la Régence de Tunis en 1574 ne modifie nullement ces éléments
essentiels, enrichis cependant par l'intervention artistique des émigrés d'Espagne, elle ne donne pas moins
lieu à un important renouvellement du décor de la pierre et du marbre répondant à un besoin réel. Limité,
tout d'abord à l'ornementation de la base des piédroits d'une porte, le nouvel art importé d'Istanbul — avec
la commande de pierres tombales destinées aux grands personnages du Makhzen — connaît une faveur
grandissante auprès des habitants de la cité tunisoise. Ceux-ci se laissèrent séduire par la nouveauté d'un décor
architectural dans lequel se rencontre l'imitation de la flore persane et de la technique byzantine.
Plus tard, l'introduction d'ornements européens venus surtout d'Italie et transmis en premier lieu par
la Turquie, annonce, au XVIIIe siècle, l'abandon et la dégénérescence de la sculpture précédente inspirée
de l'Orient, décadence décorative et architecturale qui ira s'aggravant, au XIXe siècle, sous l'influence
directe de la Péninsule voisine.

1. Inspirées notamment des monuments religieux et civils du Caire. G. Marçais, op. cit., passim.
LA FERRONNERIE
287

Depuis plusieurs siècles, l'élégance des portes et la beauté de leur parure cloutée dans un encadrement
de pierre ne manquèrent pas de surprendre le voyageur étranger qui pénétrait pour la première fois à
l'intérieur de la Médina de Tunis. Il découvrait, en effet, à l'entrée des bâtiments religieux, comme des habitations
citadines, un cloutage original et ne se souvenait pas en avoir vu de semblable dans aucune autre ville du
Maghreb ou de l'Orient. Seule l'Espagne musulmane possédait un art comparable qui permit longtemps
de distinguer les portes ornées des riches demeures urbaines (1). Aussi ne paraît-il pas exagéré d'attribuer
aux Andalous et aux Morisques chassés d'Espagne (XIIIe-XVIP s.) l'introduction en Ifriqya d'une coutume
qui leur était chère et qui semble avoir été aisément adoptée par les habitants de Tunis à la suite de l'accueil
des émigrés dans leur capitale. Le succès de cette tradition, qui n'a jamais cessé d'être suivie dans la cité
jusqu'à ce jour, a gagné non seulement les environs immédiats mais aussi les principales villes de la Régence
— Bizerte, Kairouan, Sousse, Sfax (2). Cependant on n'y observe pas l'importance et la diversité qui
caractérisent l'ornementation des portes tunisoises.
De l'Andalousie on aurait également imité les grilles de fer — droites ou arrondies — s 'ajoutant aux
portes cloutées qu'elles surplombaient souvent, rompant ensemble les grandes surfaces nues des murs
extérieurs blanchis à la chaux. L'usage de cette ferronnerie — cloutage, grilles, etc. — n'était pas réservé aux seules
façades tournées vers la rue ; il s'étendait aussi, nous l'avons vu, à l'intérieur des palais et demeures, depuis
la cour d'habitation des maîtres jusqu'à la dwïrïya domestique, surmontée elles-même fréquemment d'une
grille de protection (3).
L'initiation des artisans du fer (hadïd) à ces travaux particuliers remonterait donc au temps des Haf-
sides, avec leur installation probable à l'endroit où ils se sont maintenus, principalement intra mur os (4),
à proximité immédiate de Bâb Jdid. Ainsi établis au Sûk al-haddâdln — à l'opposé de la Kasbah et de sa place
entourée des tailleurs de pierre — les forgerons (haddàd, haddâda) pouvaient aussi bien répondre aux besoins
des citadins (beldis) que des habitants du faubourg Sud (5), voire des ruraux en déplacement dans la
capitale (6).

Le Souk des Forgerons

En raison de l'établissement de l'ancien Souk des Forgerons (7) à l'extrémité Sud de la ville, d'autres
artisans du fer profitèrent de cet éloignement des quartiers Nord de la ville et des faubourgs attenants (Rbat
Bâb Souika) pour s'installer dans leur voisinage afin de les desservir plus commodément. Ils choisirent à

1. G. Marçais, Manuel d'art musulman, II, Paris, 1927, pp. 873-875. Tunis et Kairouan, Paris, 1937.
P. Ricard, Pour comprendre l'art musulman dans l'Afrique du Nord et en Espagne, Paris, 1924, p. 144 et ss.
2. J. Revault, Palais de Tunis, I, II, III.
3. Ibid.
4. dakhel al-sûr.
5. Rbat Bâb al-Jazira (ou Bâb Zira).
6. Ibid., I. Parmi « les corporations décriées », on sait que potiers et tanneurs, en raison de leur malpropreté, avaient été
relégués hors de la cité, entre Bâb el-Bahr et Bâb Souika.
7. Souk el-Haddadine.
288 J. REVAULT

cette intention la longue rue joignant, de ce côté, la porte de la Médina (Bâb Souika) (1) à celle de son faubourg
(Bâb Sâ'adoun) (2) ; son emplacement excentrique valut encore à cette voie d'être longtemps bordée
d'échoppes dont les activités diverses répondaient aux besoins des ruraux venant des régions de Bizerte, du Kef,
de Béjà..., chaudronniers, fabricants de bâts, tamis, instruments aratoires, etc. (3). Néanmoins le principal
renom dans le travail du fer forgé restait attaché au Souk des Forgerons de Bâb Jdid. Celui-ci bénéficiait aussi
de la présence de deux santons, dont le plus célèbre, Sidi Mahrez, laissa le souvenir de l'un de ses lieux de
prière (khaloua) au sommet de l'ancien rempart qui flanquait autrefois la « Porte Neuve » (4). La profession de
forgeron était plus complexe qu'il n'apparaît, se divisant, se rappelle-t-on, en plusieurs spécialités ou
corporations (5), chacune d'elles étant soumise à l'autorité d'un aminé (6). En tête se plaçait la corporation des
« forgerons noirs » {haddâda el-kahala) (7) auxquels les autres artisans avaient généralement recours pour la
préparation initiale et le dégrossissement de leurs ouvrages respectifs.
On distinguait ensuite : les serruriers (kûbajiya), maréchaux-ferrants (sfâïhïya), armuriers {znaïdïya),
ainsi que les fabricants d'éléments et d'accessoires en fer pour harnachements {haddâda es-serj), charrettes
et travaux agricoles {haddâda el-krartïya ù el-fellâha), bateaux {haddâda el-sfina) (8), puits {derwâjïyd).
De ces différentes catégories d'artisans, seules, les deux premières intéressent notre étude. En dépit d'une
forte diminution de leur importance, l'une et l'autre occupent jusqu'alors la même situation que jadis, à
côté de Bâb Jdid (9).

Forgerons (haddâda el-kahâla)

Aujourd'hui, on accède encore au Souk des Forgerons par la grande porte en chicane élevée au XIIIe
siècle par les Hafsides (fig. 2). Une rue droite se dirige vers les quartiers d'habitations, bordée, de part et
d'autre, d'une succession d'échoppes enfumées que ne surmonte naturellement aucun étage. C'est au même

1. La place Bâb Souika fut longtemps entourée par les magasins des marchands de poteries alimentés par les potiers locaux
(Qellaline) et ceux de Nabeul, commerce qui s'est transféré, de nos jours, rue Sidi Mahrez (nattes et poteries de Nabeul).
Ch. Lallemand, Tunis et ses environs, Paris, 1890, p. 131. « II y a un autre souk des forgerons au faubourg de Bab-Souika
dont l'aminé est Si Mohammed Lessir».
2. La porte conservée à cet endroit ne remonte qu'au Protectorat.
3. Situation maintenue jusqu'à ce jour, bien que diminuée dans son activité.
4. A proximité de Bâb Jdid se trouve le petit mausolée à coupole du second santon, Sidi Ayed.
5. Sur les mêmes spécialités artisanales au Maroc, voir A. Delpy, Note sur la ferronnerie marocaine, dans le 6e Cahier des
Arts et Techniques d'Afrique du Nord, 1960-1961, p. 22 et ss.
6. Le remplacement d'un aminé décédé pouvait avoir lieu trois jours après sa mort, jamais au-delà de quarante jours.
Le choix du nouvel aminé faisait alors l'objet de délibération entre les divers patrons de la corporation intéressée, puis d'une
réunion qui se transportait devant notaire Cadoul) pour faire enregistrer leurs propositions communes en faveur du chef envisagé.
En cas de désaccord entre les patrons, leurs propositions — certifiées par l'adoul — étaient soumises à l'arbitrage du
Cheikh el-Medina qui avait seul pouvoir de trancher leur différend et de décider la nomination de leur nouvel aminé qui devait
être confirmée par le Bey ("amr el-Bey).
7. Appellation donnée à ces artisans habituellement salis et noircis par leur propre travail.
Ch. Lallemand, op. cit., « Les forgerons se nomment haddâda (de hadid, fer). L'aminé des forgerons, que le Cheikh el-
Medina a bien voulu me présenter, est un personnage vénérable, âgé de quatre vingt dix ans pour le moins : Si Mohammed
Omar. Les forgerons fabriquent les instruments agricoles, les socs de charrues, les essieux et toute la grosse ferraille ».
8. Les accessoires de bateau (merkeb, mrâkeb) tels que ancre (mokhtaf), chaîne (salsla) etc.... étaient exécutés, dit-on,
à La Goulette (Halq-el-Oued) et à Bizerte.
9. Indépendamment des autres installations secondaires établies à Bâb Sâ'adoun et en d'autres points des faubourgs Nord
et Sud.
l'habitation tunisoise 289

titre que les teinturiers — autres utilisateurs du feu — installés, non loin de là, près de Bâb Zira (1), que les
forgerons de Tunis auraient été également autorisés à s'établir, intra muros, à la limite intérieure de la Médina
(2).
Ouverts sur la ruelle centrale qu'empruntent fournisseurs et clients, tous les ateliers (3) se ressemblent
avec leurs auvents et les simples vantaux de bois plein servant, chaque soir à la fermeture des échoppes,
bordées, en haut, d'une claire-voie (4).
De plan rectangulaire, chacun de ces ateliers s'enfonce pareillement entre ses murs noircis auxquels sont
accrochés les outils du forgeron à base de pinces (zûz) (5) et de marteaux (matarka) (6). D'avant en arrière
trouvent place les éléments essentiels indispensables à toute forge : l'enclume (zebra) posée sur billot (kerda)
voisine avec un établi muni d'un étau (mengla) (7) ; plus loin, le brasier du foyer également surélevé (hajra)
est entretenu par un grand soufflet en cuir (kïr) (8) qui remplaça, en dernier lieu, l'ancienne soufflerie faite
de deux outres couplées actionnées directement à la main (9). A côté, le fond d'une jarre rempli d'eau
sert de cuve (hua1) pour l'immersion et le refroidissement du métal après façonnage. Enfin une meule (rhâ)(\0)
servira à l'aiguisage des pièces terminées. Dans le sol, des fosses peu profondes facilitent le travail du forgeron
et de ses aides qui s'y tiennent à portée du foyer et de l'enclume, entre lesquels s'effectuent leurs opérations.
Le martèlement du fer rougi au feu sonne clair dans chacun des ateliers, se répondant de l'un à l'autre
à travers la rue. Ni les efforts pénibles répétés tout le long du jour, ni la sueur provoquée par la chaleur du
feu n'altèrent ici la bonne humeur des artisans, qui se manifeste le plus souvent dans leurs propos et leurs
plaisanteries (11).

1. R. Brunschvig, La Berbérie Orientale sous les Hafsides des origines à la fin du XVe siècle, Paris, 1940, p. 340. « Au sud-
est, Bâb al-Jâzira devait cette appellation à la presqu'île du Cap Bon, vers où elle livrait passage. Du dernier quart du XIIIe
siècle, datent deux autres portes assez bien conservées, ouvrant comme la précédente sur le boulevard méridional, mais plus à
l'ouest ; la Porte Neuve ou Bâb al-Jadïd, et celle du Fanal ou Bâb al-Manàra (fig. 3). La première fortifiée et coudée, en appareil
de pierre et en pisé, était peut-être flanquée de tours à pans coupés ; la facture de la deuxième, non coudée, s'apparente
étroitement à la tradition almohade par ses assises de pierres épaisses et minces, alternées ».
2. Ibid., p. 346. « Quelques souks, en partie conservés étaient disposés en deçà des portes mêmes de la cité : ceux des selliers
(as-Sarrâjin) près de Bâb al-Manàra, des forgerons (al-Haddadin) près de Bâb al-Jàdid, des teinturiers (as- Sabbâgïn) près de
Bâb al-Jâzïra... ».
Ch. Lallemand, op. cit., p. 131. De sa visite au Souk el-Haddadine, l'auteur nous rapporte les impressions suivantes :
« Je ne connais pas de souk plus curieux que celui des forgerons, auquel se joignent les serruriers et les charrons de Bab-Djedid,
là où elle aboutit aux ruines pittoresques d'une antique porte arabe, qui a conservé à travers les siècles le nom de porte neuve
(Bab-Djedid) ».
3. liânût, hawânet.
4. En barreaux verticaux de bois plat.
5. zûz, azwâz.
6. matarka, matârek.
7. mengla, menâgel.
8. kir, akyâr. Cf. A. Delpy, op. cit. En Tunisie, après avoir été abandonnée par les forgerons citadins, la double soufflerie
demeura encore en usage — dans une taille inférieure — auprès des forgerons ambulants.
9. Ch. Lallemand. Ibid. « La noire boutique du forgeron est spacieuse, largement ouverte sur la rue. La chaleur de la forge
n'y est pas emprisonnée.
Une poutre, placée en travers, à trente ou quarante centimètres du sol, barre l'entrée. Au milieu se trouve l'enclume et,
de chaque côté de l'enclume, un trou dans lequel se tient le forgeron. Au fond, deux soufflets qu'un gamin fait marcher
alternativement pour obtenir la continuité dans le souffle ».
10. rhâ, ârhia. Au Souk el-Ouzar se tenait auparavant la corporation des rémouleurs — ràhhï, râhhïya — dont l'activité
complétait celle des forgerons.
11. Aujourd'hui, au Souk al-Haddadine, divers métiers se mêlent à celui des forgerons : chaudronniers, boisseliers, ... etc.
290 J. REVAULT

Le Souk des Serruriers

A l'encontre du Souk des forgerons installés intra muros, le Souk des Serruriers (sûk al-kûbâjïya) était
situé extra muros (1), adossé autrefois aux remparts qui s'élevaient à gauche de Bâb Jdid et le séparaient du
cimetière de Sidi Ayed (2).
Malgré la disparition de l'ancienne muraille, dont se souvenait encore, en 1963, le plus âgé des kùbâjïya,
ceux-ci ont conservé leurs échoppes au même endroit, donnant maintenant sur le boulevard circulaire qui
remplace la piste précédente entre Médina et faubourg (3).
Pour répondre à la fabrication d'objets de dimensions réduites, il suffisait alors de disposer d'ateliers de
moindres proportions. Leur rangée présente toujours la même uniformité, l'ouverture habituelle — en partie
garnie de grappes d'ouvrages divers (serrures, chaînes, crochets, etc.) — apparaissant surélevée au-dessus d'un
étal (nasbah) et d'un portillon inférieur. A l'intérieur, chaque kùbâjï possède enclume, foyer — avec hotte —
et soumet plus petits que celui des forgerons. Les travaux qu'il réalise, à l'aide de cet outillage, soit sur
commande, soit pour les exposer à la vente, répondent généralement à une exécution longue et minutieuse
nécessitant parfois plus d'une semaine. Jadis leur diversité se prêtait aussi à certaines spécialisations entre les
artisans. Quoi qu'il en soit, on s'adressait à eux, en premier lieu, pour parer à la fermeture des habitations et
des communs : fortes serrures plates (kùba) (4) pour les premières, serrures tubulaires pour les autres (5).
On prétend qu'à cette occasion, le serrurier devait faire montre d'imagination et d'ingéniosité pour
différencier les clefs et serrures qu'il avait à livrer, d'un commanditaire à l'autre. On pouvait encore le charger de
préparer des serrures plus compliquées destinées au coffre de quelque riche notable, et complétée, au besoin
d'une sonnette d'alarme (nâkûs) (6). Il lui incombait enfin de préparer tous éléments en fer nécessaires au
montage d'une porte et à son ornementation éventuelle, gonds (fejla), charnières (sfihà) (7), loquet, barres
avec crochet de fixation (ghanjo), heurtoirs (hallak) et clous (mesmar) (8).
Les clous à tête ronde — unie ou godronnée — étaient de différente grosseur. Leur usage correspondait
soit à la fixation des panneaux extérieurs des portes sur les châssis intérieurs — montants et traverses (sellûm)
(PI. XLII) — soit à l'ornementation extérieure établie à l'aide des motifs traditionnels (PI. XLI) qui seront
examinés plus loin (9).
Le forgeage d'un clou à tête godronnée — réservé autrefois aux portes des plus riches demeures (10) —
exigeait les trois opérations suivantes :
— étirage de la longue pointe ;
— façonnage de la tête ;
— exécution à chaud du godron dans une double forme arrondie (kâleb) (1 1) (PI. LXXXVII).

1. kharj al-sûr.
?.. Cimetière actuellement disparu, à l'exception du mausolée.
3. avenue Bâb Jdid.
4. kûba.
5. kfel kasbah.
Ibid. « Les serruriers, koubajiya (de kouba, cadenas), ne sont pour ainsi dire que des forgerons en fin. Us confectionnent
ces verrous gigantesques et ces cadenas étonnants qui ferment les portes des maisons arabes à l'intérieur. Les serruriers tunisiens
formaient jadis la corporation complémentaire de celle des menuisiers ; mais, elle aussi, est à son déclin... ». A la fin du siècle
dernier, on observe que « le cadenas traditionnel (kouba el-arbi) résiste à la concurrence des serrures modernes. La corporation
compte encore 16 maîtres-serruriers musulmans auxquels s'ajoutent 25 Maltais et 9 Juifs».
6. Parmi les autres serrures, notons celle qui servait à fixer l'entrave des chevaux et bêtes de somme (tobla mtâ'zwaïl).
7. Des charnières semblables (sfilia ktab, sfâïh) étaient utilisées dans les contrevents.
8. P. Ricard, op. cit., pp. 144-145 : Les portes bardées ; pp. 149-150 : La ferronnerie.
9. Porte cloutée : bâb bel-heliya.
10. Supra.
1 1 Moule : kàleb, kwâleb.
.
l'habitation tunisoise 291

Au cloutage d'une entrée s'ajoutaient, nous l'avons dit, deux ou trois heurtoirs faits de lourds anneaux
de fer appliqués contre une demi-sphère métallique sur le devant de la porte (ùjah al-bâb) et fixée à celle-ci,
sur son envers, par l'écartement de leur double pointe.
La préparation de grilles de fer rond, carré ou plat, était ordinairement le fait de forgerons spécialisés
dans la confection de grilles droites ou arrondies, destinées à la protection des fenêtres ou des cours
intérieures (1).
Autrefois les travaux des kùbâjiya, comme ceux des haddâda, étaient soumis au contrôle de leurs amines
respectifs qui n'hésitaient pas à les détruire en cas de malfaçon (2). Au chef de corporation incombait aussi
le soin de distribuer entre les artisans toute commande importante à l'intention du Makhzen. C'est lui-même
qu'un notable faisait appeler de préférence, à son domicile, pour discuter de la nature des travaux qu'il
désirait lui confier.

Coutumes des artisans du fer

N'appartenant pas à l'une des corporations considérées comme nobles (3), les artisans du fer et du feu,
tolérés à la limite de la Médina durant la journée, devaient regagner ensuite leurs habitations situées dans les
faubourgs.
On les comptait parmi ceux qui commençaient leur travail le plus tôt. Levés dés l'aube, ils faisaient leurs
ablutions, revêtaient le costume traditionnel à la turque — drap en hiver, toile en été — priaient, mangeaient
ce que leurs femmes avaient préparé, puis se rendaient à leurs échoppes.
Durant la saison chaude, on avançait encore l'heure du travail afin de pouvoir quitter celui-ci au début
de l'après-midi. Avant l'apparition du jour, l'obscurité de l'atelier était en partie dissipée grâce à l'usage de
lampes à huile placées dans les fosses réservées aux artisans. Pour accomplir leur tâche et se protéger du feu,
ceux-ci revêtaient un long tablier de cuir attaché par des lanières autour du cou et à la taille (4). Les abords
de l'échoppe, surtout celle des kùbâjiya, étaient parfois égayés de fleurs en pot et de canaris ou de tourterelles
en cage.
Comme les autres métiers, celui de forgeron se transmettait le plus souvent de père en fils, facilitant une
initiation qui se poursuivait avec un intérêt particulier. Puis l'expérience du jeune apprenti s'améliorant avec
l'âge, il aspirait, à son tour, à s'élever dans la hiérarchie de sa profession et à se montrer éventuellement
capable d'affronter avec succès les épreuves ultimes préparées par l'aminé des haddâda ou des kùbâjiya, pour être
autorisé à s'installer à son compte (5).

1. Infra.
2. Aucun ouvrage ne pouvait être livré ou mis en vente sans avoir été contrôlé par l'aminé qui y apposait son poinçon.
On se souvient qu'autrefois le métier de kûbâjï était particulièrement rémunérateur. Comme dans les autres professions, les
artisans de cette corporation se montraient, paraît-il, économes de leur gain, mettant, chaque jour, de côté, un tiers environ (thouleth)
afin de pouvoir acquérir plus tard une maison, un jardin ou faire face à quelque forte dépense à l'occasion d'une circoncision
ou d'un mariage.
Ch. Lallemand, op. cit., p. 131. L'aminé de la corporation des kùbâjiya porte alors le nom de Si el-Hedi Mohamed el-
Amrous.
3. Palais de Tunis, I. Rappelons que les corporations tunisoises les plus estimées étaient celles des fabricants de chéchias
— (chaouachiya) et des tisserands de soie (haraïriya).
4. metnina mdaz : tablier en peau de chèvre tannée à Sfax.
Ch. Lallemand, ibid., « Le forgeron est généralement coiffé d'un turban rayé de rouge. Il porte un gilet de couleur et
travaille les bras nus. Sur le devant du corps pend un solide tablier de cuir ».
5. G. Payre, Les aminés en Tunisie, Paris, 1940, Encyclopédie de l'Islam, I, p. 331. Le terme « amin» signifie « homme de
confiance » et par extension « administrateur surveillant ». R. Le Tourneau, Les villes musulmanes d'Afrique du Nord, Alger,
1957. P. Pennée, Les transformations des corps de métiers de Tunis, Tunis, 1964, p. 33 et ss. A. Atger, Les corporations tunisiennes,
Paris, 1909. Ch. Lallemand, Tunis et ses environs, Paris, 1890.
292 J. REVAULT

Commencée de bonne heure, la journée de travail des uns et des autres se terminait tôt. Après un labeur
très salissant, de sérieuses ablutions, voire un lavage complet au hammam, étaient nécessaires. Ensuite, chacun
profitait, à son gré, de l'après-midi et de la soirée, partageant son temps entre sa famille, les prières à la
mosquée du quartier, la Zaouïa (1) ou le café de son choix qui servaient également de lieu de réunion. C'est au
café que l'on attendait volontiers l'heure de la prière et du repas du soir fâcha) tout en écoutant lecteur ou
conteur (2). Après le coucher du soleil (moghreb), les sonneries des longues trompettes (sachman) des
veilleurs de nuit (zabtiya) annonçaient la fermeture des portes de la ville et l'isolement ainsi créé jusqu'au
lendemain matin entre la Médina et les faubourgs.

Fer et charbon

Tout forgeron, à quelque spécialité qu'il appartint, avait également recours aux deux éléments
indispensables à l'exercice de son métier : le fer et le feu. Pour le premier, il disposait des ressources minières
existant dans le Nord de la Tunisie avant de bénéficier des importations européennes (3) ; pour le second,
il faisait appel aux charbonniers locaux.
Le fer. Au dire des plus anciens forgerons tunisois, il semble bien que l'usage du fer extrait des mines
régionales ait été abandonné depuis longtemps par leur corporation au profit d'un fer de meilleure qualité
acheté au dehors (4). La France, l'Angleterre, l'Italie et la Suède en seraient alors devenues les principaux
fournisseurs de la Régence. Des bateaux qui l'amenaient jusqu'au port de la Goulette, le fer était alors
transporté jusqu'aux entrepôts (makhzen) des concessionnaires tunisiens. Ceux-ci livraient leur marchandise aux
forgerons telle qu'ils la recevaient, sous forme de longues barres plate Qfiha) mesurant environ 4 à 5 m
(largeur : 0, 10 cm ; épaisseur : 0, 02 cm), qui leur étaient vendues au poids (5).
De cet élément de base uniforme, le forgeron tirait, en premier lieu, une matière brute plus proche des
diverses formes qu'il pouvait envisager. Il s'agissait, selon les cas, de diminuer ou d'augmenter le volume de
la barre initiale. C'est ainsi que pour obtenir des barreaux à section carrée (hadid mrebà) ou à section ronde
(hadid mgergesh), on divisait la barre en plusieurs fractions ayant la longueur et l'épaisseur voulues. Cette

1. L'absence de rattachement d'un Saint Patron à leur corporation n'empêchait pas les artisans du fer — comme ceux des
autres métiers — de fréquenter assidûment l'une des Zaouïas les plus proches de leur domicile, notamment celle de Sidi Ben
Aïssa ou de Sidi Abd el-Kader. C'était l'occasion de se retrouver et de se réunir entre habitants d'un même quatier. On rapporte
que c'était aussi un moyen de venir en aide à ceux qui, malades, avaient été empêchés de se déplacer et, dans certains cas,
étaient gênés par leur manque de ressources. Les uns et les autres s'employaient alors à le secourir, mode d'entr'aide dont on
vantait l'efficacité et la discrétion.
2. Après T'aceur et le moghreb.
3. Communication orale de 'Othman Ka'ak : l'exploitation artisanale de certains minerais de fer existerait encore en
Tunisie, notamment à Foussana. On en tirerait des blocs de fonte (mesbùb) et un mélange de fonte et de fer (dekir) . G. Garbe,
Les mines, in Atlas de Tunisie, Paris, 1936, pp. 62-66. L'exploitation industrielle du minerai de fer est citée dans les mines de
Tamera, Douaria, Nebeur, Slata et Djerissa.
4. Communication orale de Hadj Mohamed el-Arbi Chouikha, aminé des forgerons de Bâb Souika. Formé lui-même
à l'école de son père, ce maître-artisan est considéré aujourd'hui comme l'un des plus âgés et des plus réputés de sa profession.
Sa renommée aurait dépassé Tunis puisqu'on lui devrait la formation d'artisans sfaxiens et la création de forges à Kairouan.
5. Ch. Cubisol, Notices abrégées sur la Régence de Tunis, Paris, 1867. Les importations de fer provenant de la France
dépassent, en 1865, celles des autres pays d'Europe.
G. Marçais, La Berbérie Musulmane et V Orient au Moyen Age, Paris, 1946, pp. 78-80. L'auteur cite S. Gsell (Hespéris,
1928, pp. 1 et ss.) au sujet des vieilles exploitations minières de l'Afrique du Nord « où les musulmans semblent avoir joué, comme
ici, le rôle des pionniers». «Je serais disposé à croire, écrivait-il... que l'époque la plus active pour l'industrie en Berbérie fut le
Moyen Age et non l'Antiquité».
Grandchamp, La France en Tunisie, III, Tunis, 1925, p. 392, En 1610-1620, le fer figure parmi les marchandises expédiées
de France en Tunisie. Cependant, comme ce trafic est généralement interdit avec les pays barbaresques et doit se faire par
contrebande, il apparaît rarement sur les états officiels.
Avec le Protectorat se développa de plus en plus l'usage, par les forgerons, du fer de récupération acheté sur place à
meilleur compte.
l'habitation tunisoise 293

opération était effectuée sur le fer rougi au feu à l'aide d'un ciseau (zenzir) muni d'un manche de bois. Dans
le cas contraire, l'élargissement du métal était encore obtenu à chaud avec le repli de celui-ci, découpé au
préalable comme précédemment, selon des dimensions déterminées.
Le charbon. On préférait à tout autre combustible le charbon de bois (fhem) que les charbonniers des
Nefza préparaient spécialement à l'intention des forgerons (fhem el-hadid) dans les forêts du Nord de la
Tunisie (1).
« Faute de bois, écrit Charles Lallemand, en 1890 (2), le commerce du charbon est de première importance.
Il n'y a pas, à Tunis, moins de 265 marchands de charbon attitrés, soumis à un aminé, l'aminé el Fahama, qui
se nomme Jounes el-Hentati.
Très anciennement, le commerce du charbon était libre à Tunis. Vers le commencement de ce siècle les
Mozabites, tribu industrieuse d'Algérie, en ont acheté le monopole... » qu'ils conservèrent en fait, bien qu'un
décret du Ministre Kheir-Eddin le leur eut enlevé. « Le chargement se fait à dos de chameau... dans deux sacs
très lourds, bouchés à leur partie supérieure par des branchages de lauriers-roses...
Toutes les caravanes apportant le charbon de l'intérieur du pays aboutissent au fondouk el-fahm (halle
au charbon). Ce fondouk est une large cour carrée de la superficie d'un hectare environ, entourée de murs.
C'est là que s'arrêtent, se couchent, broutent, meuglent et braient les ânes et les chameaux des caravanes
charbonnières. C'est là que s'opèrent les transactions et se payent les droits... » (3). Le transport du charbon
se faisait à dos de chameau jusqu'au souk el-fahm de la ville, installé non loin de Bâb Jdid, au Rbet Bâb
Zira, où la vente du charbon à usages divers donnait lieu à un commerce très étendu.

Le cloutage des portes

La pose des clous sur une porte d'entrée fut toujours l'œuvre, non du ferronnier, mais du menuisier. On
conçoit aisément qu'il appartenait à celui qui avait préparé de ses mains la réalisation de cette porte d'en
achever la structure en la fixant lui-même sur son bâti. Cette opération aboutissait, nous l'avons dit, à plusieurs
lignes de clous, horizontales et verticales, seulement apparentes de l'extérieur.
Nombreuses sont les portes se limitant à ce seul cloutage constructif qui suffisait à donner à celles-ci
l'aspect de solidité et d'équilibre que l'on recherchait (4). C'était le cas des portes des lieux saints —
mosquées, médersas, zaouïas — des souks et des drïba aussi bien que de certaines demeures fortunées ou non.
La sobriété de ce cloutage était atténuée, il est vrai, par la présence de deux ou trois heurtoirs en forme de
gros anneaux de fer placés à hauteur d'homme ou de cavaliers, entre les deux vantaux, voire sur le portillon
inférieur.
Lorsqu'on désirait rehausser ce simple cadre clouté d'une ornementation plus compliquée, celle-ci
devait alors s'insérer dans le compartimentage formé par le cloutage initial commun à toutes les portes
extérieures et intérieures (5).

1. Tiré du bois de pin ; le fhem el-hadid était apprécié pour sa consistance et la forte chaleur que produisait sa braise.
2. Ch. Lallemand, op. cit., pp. 134-136.
3. Ibid. La vente du charbon de bois à domicile donnait également lieu à un colportage très actif.
4. Il s'y ajoutait, bien sûr, les gonds tournant dans les crapaudines et, à l'envers de la porte (dhor al-bâb), la serrure et
les barres de consolidation.
5. Les portes donnant sur la rue ou une drïba étaient formées de deux vantaux de bois plein, dont la fermeture se renforçait
souvent de deux barres verticales articulées, voire d'une barre horizontale — également en bois — coulissant dans l'épaisseur
du mur. La même disposition se répétait pour les portes intérieures de la drïba et de la ski/a (PI. XLII).
Les battants des portes ouvrant sur le patio se pliaient parfois en deux, pour la commodité de leur logement, de part
et d'autre de l'entrée des appartements.
294 J. REVAULT

S'il s'agissait d'un décor ordinaire (zîna metwasta) un maître menuisier {tnallem nejjâr) était capable
de l'exécuter. Mais une ornementation savante nécessitait, bien souvent, l'intervention personnelle de l'aminé
des menuisiers. Il possédait en effet sur carton un répertoire complet de motifs traditionnels et pouvait en
laisser le choix à son commanditaire. En outre, il arrivait qu'il créât parfois, en les dessinant sur papier fort,
des modèles nouveaux (tankïla) (1) qui témoignaient de son imagination. Mais c'est sur la porte elle-même
que ses essais prenaient corps et aboutissaient au résultat recherché (2). Dès que le travail était terminé, les
menuisiers de la corporation venaient l'admirer et se répandaient en éloges à l'égard de son auteur. On vantait
à la fois son habileté et son esprit inventif (3).
Lorsque la porte cloutée était amenée de l'atelier à l'entrée du palais ou de la demeure où elle devait être
fixée, les compliments et les vœux se renouvelaient à l'adresse de l'aminé — ou du maître menuisier — et de
son heureux commanditaire dont la porte neuve serait désormais un sujet de fierté auprès des habitants du
quartier. Cela ne pouvait qu'accroître la réputation de l'artisan qui s'était ainsi distingué.
Dans toute construction neuve, on sait que la pose de la porte d'entrée en marquait le point final. Aux
cérémonies propitiatoires qui avaient accompagné auparavant l'installation du seuil et de l'encadrement de
pierre (ou de marbre) s'ajoutaient maintenant les réjouissances habituelles en pareil cas, auxquelles étaient
conviés, après les artisans du chantier, familiers, amis, notables et voisins (4).

Le décor clouté

Les divers éléments utilisés dans l'ornementation cloutée d'une porte varient naturellement selon les
époques. Il en est de leur évolution comme de celle des encadrements de pierre qui les entourent — porte
à linteau droit ou porte arquée. Toutefois, dans les deux cas, en dépit des innovations décoratives, on
constatera une même fidélité à certains motifs.
On remarquera aussi de curieuses similitudes entre les figures représentées dans son cloutage par le
nejjâr et celles que le nakkâsh aura sculptées dans la pierre, malgré les différence des matériaux employés (5).
Une préoccupation commune unit ces artisans, qui n'est pas seulement décorative, mais aussi
prophylactique, une porte d'entrée devant être également avenante et parée pour la défense contre toute menace
possible. Il est probable que la protection contre le mauvais œil (6) longtemps redouté dans toute l'Afrique du
Nord, chacun s'efforçait de l'assurer à l'accès de sa demeure (7).
Rappelons que les lignes cloutées correspondant au bâti formaient à la surface des deux battants un
cadre général compartimenté (8) qui facilitait la régularité et la symétrie de toute composition décorative,
simple ou complexe (PI. V, VI, VII, VIII, XIV, fig. 16). Les compositions les plus anciennes montrent la
superposition de motifs distincts établie selon un ordre rigoureux. De bas en haut, ces motifs se répètent de
part et d'autre du cache-joint central — lui-même clouté — sur les deux vantaux (fig. 17, 18) : cyprès stylisés
et fleurons d'angle ; cartouches rectangulaires ou elliptiques — horizontaux — arceaux au niveau des
heurtoirs (9) que réunit un arc outrepassé évoquant celui du mihrab, fleurons ou cyprès aux angles supérieurs
de la porte. Enfin des éléments cruciformes, généralement réduits, se multiplient entre les divers motifs.

1. tankïla, tnâkel.
2. Ce n'est qu'après plusieurs essais que l'on jugeait de l'effet le plus satisfaisant à adopter.
3. On disait de lui : « II a de l'idée» (' andho fekra ) .
4. Supra.
5. Supra.
6. nefs, ' aïn.
7. Edward Westermarck, Survivances païennes dans la civilisation mahométane, Paris, 1935. Dès l'Antiquité la crainte du
mauvais œil est signalée en Afrique du Nord ; de même existe-t-elle dans les autres pays du Bassin Méditerranéen et en Orient.
8. bàb be-tatbik.
9. halka, halâlak. Figuration exceptionnelle de l'inscription propitiatoire cloutée sur la porto d'entrée du Dâr Rassâ'a,
Palais de Tunis, I, p. 307.
l'habitation tunisoise 295

Ces dessins géométriques et floraux caractérisent les portes tunisoises du XVIIe siècle, voire celles du
début du XVIIIe. Ils ne seront pas oubliés, pour autant, à l'époque husseinite mais se mélangeront souvent à
des innovations plus fantaisistes. On les trouve non seulement à l'intérieur de la Médina, mais aussi dans les
faubourgs où ils marquent le souvenir de demeures importantes.
C'est dans le Rbat el-Jazira que nous avons découvert deux portes cloutées que l'on peut considérer
sans doute parmi les plus anciennes ; elles appartiennent, l'une au Dâr El-Messa'oudi l'autre au Dâr Sidi
El-Béchir (1).

Porte du Dâr El-Messdoudi (rue des Silos) (PI. LXXXV)

La forme et les proportions de cette porte sont peu communes, avec ses deux vantaux de largeur inégale :
la partie gauche — la plus étroite — montre un faux portillon, répondant au vrai portillon aménagé dans la
plus grande largeur du second battant — à droite (2). Au-dessus, un fort cloutage à tête ronde dessine un bel
arc outrepassé qui devait correspondre à l'encadrement primitif de la porte, aujourd'hui disparu. Des motifs
semblables sont reproduits sur les deux côtés de la porte, parfois réduits dans le moins large des vantaux.
Ainsi chaque portillon s'orne de quatre motifs différents : en bas — au même niveau — un cyprès vertical
que flanque — à l'angle — un vase incliné à col allongé (3) ; au milieu, placées horizontalement entre deux
courbes, un couple de vases inversés assez semblables au précédent (4) ; en haut, un autre cartouche de forme
elliptique. De part et d'autre des heurtoirs, cinq arceaux arrondis, trois à droite, deux à gauche. Un arc
partant des halka renferme deux cyprès inclinés l'un vers l'autre, inclinaison que répète, à la même hauteur,
deux autres figures semblables bordant le grand arc de la porte. Auprès de la plus longue de ces figures se
superposent enfin deux motifs symétriques à volutes (5).
Les contours de ces différents éléments sont dentelés tandis que de petits triangles surmontés d'une croix
apparaissent isolés ou jumelés en divers endroits de la porte.

Porte du Dâr Sidi El-Béchir (rue des Silos) (PI. LXXXVI)

II s'agit ici d'une porte droite à deux battants — sans portillon — dont l'ancien cadre de pierre n'existe
plus (6). Une même ornementation cloutée s'y reproduit des deux côtés. Au milieu, de gros clous à tête ronde
— semblables à ceux du bâti — se succèdent sur le cache-joint chanfreiné, entourés d'un cercle de petits clous
et surmontés d'un triangle que termine une croix (7). En outre, la décoration des deux vantaux comprend
des éléments de même nature que dans la porte du Dâr El-Messaocudi. Ce sont, de bas en haut : deux cyprès
pointus entre deux formes de calices inclinées : deux cartouches doublés d'une figure renflée à double cercle

1. De ces deux portes relevées en 1960, rue des silos, celle du Dâr Sidi El-Bechir (PI. LXXXVI) a été remplacée par une
porte neuve. En comparer l'ornementation cloutée avec celle qui est présentée sous le même nom, rue Er-Raïa ; supra. (PI. XX).
Sur Sidi El-Béchir, cf. Résidences d'été, p. 254 et ss.
2. Le portillon n'est guère réservé qu'à une grande porte s'ouvrant dans un arc de pierre. Il permet d'éviter, d'ordinaire,
l'utilisation des deux vantaux pour pénétrer dans la drlba (ou la skifa). Surmonté d'un arc en accolade ou recticurviligne, il est
toujours placé dans le vantail de droite, sa forme se répétant symétriquement dans un tracé clouté sur l'autre vantail. L'inégalité
constatée ici dans la largeur des deux battants est assez rare.
3. Vase garni de deux petits cyprès également inclinés de chaque côté d'une ligne de partage cloutée.
4. Ornés de volutes aux deux extrémités.
5. Les divers motifs s'inscrivent à l'intérieur de rectangles ou de carrés formés par les lignes de gros clous correspondant
au bâti.
6. La Zaouïa de Sidi El-Béchir, qui avait été élevée dans le Faubourg de Bâb el-Jazira, a été démolie, au cours de ces
dernières années, pour des raisons d'urbanisme.
7. Au sommet du cache-joint, le triangle est surmonté d'un croissant.
296 J. REVAULT

Planche LXXXV

(Dâr El-Messa *oudi). Porte cloutée à deux battants asymétriques, rue des Silos.
L HABITATION TUNISOISE 297

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(Dâr Sidi El-Béchir). Porte cloutée, 22 rue des Silos.


298 J. REVAULT

extrême ; deux carrés étoiles que divise une croix dans un motif quadrilobé ; deux arceaux que séparent
les heurtoirs, joints entre eux par l'arc traditionnel outrepassé avec une rangée interne de six petits éléments
verticaux (1). Dans les angles supérieurs de la porte deux fleurons s'inclinent vers le centre, comme les corolles
des angles inférieurs. De petits motifs triangulaires, parfois complétés d'une croix, se répètent souvent entre
les grands motifs, mais à l 'encontre de la porte précédente, ces dessins apparaissent rarement sous forme
de bordure dentelée (2).
La richesse ornementale des portes du Dâr El Messa' oudi et du Dâr Sidi El-Béchir annonce bien le style
qui sera en honneur à l'entrée des grandes demeures tunisoises entre le XVIIIe et le XIXe siècle. On sait
qu'auparavant, entre le XVIe et le XVIIe siècle, la sobriété du cloutage allait de pair avec celle de la pierre
sculptée. Des exemples en ont déjà été montrés, aux périodes turque et mouradite, dans les portes droites,
surmontées ou non d'un arc brisé outrepassé ou d'un arc de décharge (3).
Il semble bien que les premiers motifs dont on se soit contenté longtemps conservaient un aspect
géométrique très archaïque ; ce sont l'arc outrepassé — au-dessus des heurtoirs — et les petits arceaux qui
l'accompagnent toujours, au centre de la porte ; ailleurs, un même élément triangulaire et cruciforme se place
verticalement, horizontalement ou en diagonale, à plusieurs endroits, dans chacun des vantaux (4) (fig. 149
et 14).
De ces dessins primitifs, nous verrons que certains ne perdront rien de leur importance — arc et arceaux —
tandis que les autres — triangles et croix — seront remplacés par des formes nouvelles, parfois florales, sinon
relégués dans un emploi secondaire (5). Il est alors probable qu'à l'origine, ces premiers motifs devaient
moins prétendre à un effet ornemental qu'à un rôle prophylactique. Une valeur propitiatoire est encore
attachée au cloutage épigraphique — le seul que nous connaissions — observé sur la porte d'entrée du Dâr
Rassa'a (6) (PL VIII).
L'époque husseinite verra l'épanouissement de l'ornementation cloutée, surtout dans les nouvelles
portes arquées, en même temps que le développement de la décoration sculptée décrite plus haut. Si certains
artisans et notables demeurent cependant fidèles aux principes essentiels du cloutage tunisois et à son
répertoire traditionnel, d'autres préfèrent innover entièrement et ne conserver de l'ancien décor que le minimum
jugé indispensable. Ce sera alors le déploiement de larges cartouches ou de gros bouquets stylisés, aux contours
arrondis, qui couvriront, telle une broderie, la surface des vantaux d'une riche entrée (fig. 26, 29, 31, 32, 45).
De cette évolution décorative apparue entre le XVIIIe et le XIXe siècle, les exemples suivants donneront une
idée précise (7).

Porte du Dâr Lakhoua (rue du Pacha) (fig. 28, 147)

Cette porte est considérée comme l'une des plus belles dans les quartiers Nord de la Médina. La
composition savante de son cloutage n'est mise en valeur par aucun fond de couleur peinte (8), mais seulement
par la teinte naturelle du bois.

1. Faits de losanges superposés.


2. Réservé ici à la partie supérieure de la porte.
3. On se méfiera cependant des modifications souvent apportées au cloutage initial de certaines portes à l'occasion de leur
restauration.
4. Disposition horizontale et verticale de part et d'autre du cache-joint, en biais aux quatre angles de la porte.
5. Lignes courbes plus fréquentes dans les motifs husseinites.
6. Supra, Palais de Tunis, I, pp. 306-307.
7. Décoration florale à rapprocher des vases avec bouquets turquisants, puis italianisants, sculptés dans la pierre des
encadrements de porte ou le stuc des frises intérieures.
8. On sait que la couleur employée dans la peinture des portes extérieures, comme des boiseries entourant le patio, était
encore le jaune — parfois le vert — au siècle dernier, après avoir été probablement le rouge — conservé seulement dans les
plafonds.
l'habitation tunisoise 299

A l'intérieur du grand arc brisé outrepassé en keddâl se dressent deux vantaux symétriques que sépare
le cache-joint habituel. De part et d'autre apparaissent deux portillons, l'un réel à droite, l'autre simulé à
gauche. Chacun d'eux est pourtant muni d'un même heurtoir, ou anneau de fer rond, moins important que
les heurtoirs supérieurs.
Le cache-joint est ponctué, à intervalles réguliers, de gros clous à tête ronde, semblables à ceux du bâti
et cerclés de petits clous, deux motifs lancéolés inversés marquant les extrémités de cette ligne médiane. De
chaque côté se répète une succession de figures identiques ; ainsi les portillons montrent-ils, au milieu, deux
vases jumelés stylisés — liés par le fond — à volutes externes et motifs lancéolés internes avec lesquels deux
éléments triangulaires forment une croix (1). Au-dessus et au-dessous de ce cartouche, un même dessin
décalé, incurvé à quatre volutes, s'orne d'un point cerclé au centre d'une forme fuselée (2) ; complété par deux
pointes triangulaires, le dessin est flanqué d'un vase piriforme — de même type que ceux des cartouches
médians — s'inclinant à partir de l'angle inférieur du portillon, et pourvu de trois volutes, d'un cyprès
stylisé et d'un élément triangulaire terminé par une croix. En haut des portillons, le même dessin s'accompagne
d'une étoile à six pointes — entrecroisement de deux triangles — dans un cercle. Surmontant les portillons,
deux grands motifs cruciformes aux contours arrondis sont également marqués d'un point central cerclé
dans un carré (3). Puis, à hauteur des heurtoirs, une rangée de deux groupes de trois arceaux garnis de cyprès
surmontés d'une croix. Au-dessus des heurtoirs, l'arc traditionnel outrepassé renferme quatre points cerclés
deux à deux et rattachés à deux cyprès inclinés vers le milieu (4). A droite et à gauche de l'arc, deux cercles
contiennent des figures identiques : étoile à six pointes dans un carré octogonal (5).
En dépit de certaines créations de motifs nouveaux, l'ensemble de cette riche ornementation cloutée ne
paraît pas plus dénuée de représentations prophylactiques que les portes examinées précédemment.

Porte du Dâr Lakhoua (rue des Andalous) (fig. 25)

Située dans la partie Sud de la Médina, cette porte offre une ornementation cloutée très différente de la
précédente. La fantaisie qui s'y déploie, à base de lignes courbes, paraît bien s'être libérée des formes
décoratives généralement admises.
La porte s'ouvre ici dans un arc de pierre non brisé, à peine outrepassé (6). Les deux vantaux sont
également pourvus du double portillon, mi-réel, mi-simulé. Le cache-joint est toujours formé d'une rangée
verticale de gros clous cerclés reliés entre eux par une ligne de petits clous que termine, aux extrémités, un dessin
cruciforme.
Trois figures dissemblables se superposent dans le cadre des portillons : de bas en haut, deux cercles
médians entremêlés avec croissants et motif central ponctué, tandis que quatre croissants à crochets s'y
rattachent par couple de part et d'autre. Au-dessus, médaillon à volutes et fleurons ; enfin, dans l'arc du
portil on, un bouquet stylisés entre deux cyprès complétés de croissants et de petites croix. Une fleur en forme de
tulipe ouverte garnit les écoinçons des deux arcs recticurvilignes.

1 Parti décoratif semblable à celui du Dâr El-Messa' oudi. Il s'y ajoute, au centre de la figure, un point cerclé qui se répète
dans les deux motifs latéraux lancéolés.
.

2. Doit-on y voir une représentation schématisée de «l'œil» protecteur, conformément aux interprétations données par
Edward Westermarck aux dessins de même nature ?
3. Deux autres points entourés d'un double cercle apparaissent aussi à l'une des extrémités des motifs.
4. Décor complété par de petits triangles avec croix.
5. Double figure faite, la plus petite, de deux triangles entrecroisés, la plus grande de deux carrés juxtaposés. Cf. E.
Westermarck, op. cit. Une ligne dentelée longe la base de la porte.
6. Supra. Noter la ressemblance complète existant entre la porte du Dâr Lakhoua et celle du Dâr Mamoghli, rue des
Andalous, Palais de Tunis, II, fig. 71 et 114.
300 J. REVAULT

De chaque côté des heurtoirs, les arceaux ont disparu poui la première fois, remplacés par deux vases
avec bouquets symétriques curieusement interprétés. Surmontant les heurtoirs, l'arc qui les réunit a été
conservé, enfermant deux coupes sur pied en forme de croissant ainsi que de petites croix.
L'ornementation supérieure des vantaux s'achève par deux médaillons floraux cruciformes, deux vases
élancés et deux cyprès penchés s'opposant horizontalement, par leur base, de chaque côté du cache-joint.
Enfin une bordure de petits triangles portant une croix s'intercale entre les gros clous qui soulignent la courbe
de l'arc en keddâl. Il y a tout lieu de penser que la porte du Dâr Lakhoua a été réalisée dans la première moitié
du XIXe siècle, et qu'elle est le fait d'un habile nejjâr déjà rompu aux innovations décoratives inspirées de la
Péninsule italienne. En effet, on reconnaît aisément, dans les médaillons cloutés qu'il a représentés, des figures
italianisantes de même style, ornées des volutes caractéristiques, telles que ces figures ont été sculptées et
mises en honneur à la même époque dans les portes intérieures des palais et riches demeures de Tunis (1).
Porte de skïfa à portillon et guichet {bâb bel-kamjà) (fig. 148) et portes à petits panneaux {bâb be-tatbïk)
des appartements donnant également sur le patio s'ornèrent de ces motifs et s'entourèrent d'un nouveau
cloutage de cuivre, entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe (2) (fig. 91, 100, 101). Cette mode
occidentale fut alors appelée à remplacer les anciennes portes traditionnelles de bois plein dont le cloutage resta
longtemps en usage à l'intérieur comme à l'extérieur des habitations. On remarquera aussi que le cloutage
ornemental fut réservé autrefois non seulement à la porte d'entrée (fig. 148) — droite ou arquée — mais encore
aux portes à linteau droit donnant sur la drïba et desservant les différentes parties du logis — demeure des
maîtres, maison des hôtes et communs (3).
Si, vers la fin du siècle dernier, le cloutage de l'entrée a été parfois supplanté par la nouvelle sculpture
mise à la mode sous forme de grands panneaux italianisants, notamment dans les portes à arc cintré, on doit
reconnaître la prédilection que les « beldis » de Tunis ont conservée jusqu'à ce jour pour l'ornementation
cloutée de leur porte principale. Celle-ci apparaît bien, en effet, comme l'une des traditions auxquelles les
Tunisois restent particulièrement attachés (4).

Les grilles

Ce sont aussi les forgerons auxquels on s'adressa de tout temps pour leur confier l'exécution des grilles
en fer dont chaque palais, ou chaque maison, avait besoin en vue d'assurer sa défense. A l'époque turque,
comme à l'époque hafside, il est permis de penser que l'usage de ces grilles demeura restreint, limité à l'exté-
térieur aux rares ouvertures sur la rue. Sans doute, n'en voyait-on guère, en dehors des impostes —
surmontant certaines portes pour l'éclairage de l'entrée — et quelques étroites fenêtres à l'étage (5).

Grilles de type traditionnel


Grilles simples

On ne connut tout d'abord que les grilles à barreaux entrecroisés et à section ronde (PI. LXXXVII)
ou carrée (6). Tandis qu'au rez-de-chaussée, elles étaient souvent fixées au ras du mur extérieur (fig. 9), elles

1. Palais de Tunis, II, Dâr Hussein, Dâr Ben Abd-Allah, Dâr El-Monastiri, Dâr Ben Ayed...
2. Clous godronnés, sinon en forme de pétales (PI. LXXXVII), appliqués sur des portes en noyer ciré. Des portes à panneaux
sculptés dans le même style — non cloutées — furent encore utilisées dans des placards muraux (tâka) et des armoires de faibles
dimensions (khzana).
3. Ibid. Dâr Zarrouk, Dâr Ben Abd-Allah, Dâr Djellouli, Dâr Sfar...
4. La haute société et la bourgeoisie tunisoises actuelles marquent un goût très vif pour l'emploi de portes cloutées ainsi
que de grilles en fer forgé de type traditionnel dans les nouvelles villas qu'elles se font construire aux environs de Tunis (Sidi Bou
Saïd, La Marsa, Gamarth...)
5. Rappelons l'absence fréquente de fenêtres sur la cour intérieure (rez-de-chaussée) à l'époque turque et mouradite.
6. shabbak hadid mraba': grille à barreaux de section carrée, shabbak hadid mgergesh : grille à barreaux de section ronde.
l'habitation tunisoise 301

Planche LXXXVII

Eléments de porte : clous, en fer forgé ou cuivre. Eléments de grille : 1, détail d'entrecroisement de deux
barreaux à section ronde (type traditionnel) ; 2-3, cabochon ou joint d'entrecroisement de deux barreaux
à section ronde (type turquisant).
302 J. RE VAULT

pouvaient être installées en saillie dans les parties hautes d'un bâtiment, afin de permettre une vue plus
étendue sur la voie en contre-bas (fig. 29, 32, 49, 105).
Pour protéger l'imposte d'une porte de makhzen, on semblait se contenter de barreaux de bois à peine
équarris dressés verticalement (PI. XXIII).
De l'extérieur, les grilles simples — à barreaux de fer entrecroisés — gagnèrent l'intérieur des habitations
pour y garnir les nouvelles fenêtres. Inconnues généralement, nous l'avons dit, entre le XVIe et le XVIIe
siècle, celles-ci firent timidement leur première apparition dans des dimensions modestes, bien que de riches
demeures aient parfois des fenêtres s 'ouvrant au ras du sol comme de véritables portes {shabbak 'ardïya) (1).
Les grilles se répètent alors symétriquement de chaque côté de l'entrée des chambres de maîtres donnant sur
la cour principale aussi bien que dans les logements domestiques attenants à la courette de la dwïrïya (fig. 64,
65, 82, 90, 91, 105). L'étage pouvait se prémunir aussi de grilles droites ou saillantes.
Au rez-de-chaussée on ménagea encore, au-dessus des portes de communication intérieure, des lucarnes
laissant filtrer la lumière à travers des grilles de bois plat assemblé et découpé en forme d'étoiles (fig. 68).
Enfin la protection du patio (fig. 72), et plus fréquemment des cours secondaires de communs — dwïrïya,
rwâ — imposa la réalisation de grilles proportionnées aux dimensions de ces ouvertures sur les terrasses (2)
(fig. 104). Dans les palais de dignitaires comme dans les demeures de notables, une telle mesure était jugée
indispensable en raison des incursions nocturnes de voleurs toujours à craindre.
L'usage des grilles simples ne devait pas manquer de se maintenir jusqu'à nos jours à cause de sa
commodité, sans s'opposer toutefois à l'adoption de formes différentes qui seront examinées plus loin. Ces premières
grilles resteront en faveur aussi bien dans les constructions civiles que dans les monuments religieux de la
capitale et des autres villes ou localités de l'intérieur.
A ce type de grille de fer entrecroisé — shabbak mraba* — se rattachera plus tard une grille en cuivre
dont le modèle aurait été importé d'Istanbul avec ses forts barreaux arrondis et creux, reliés ensemble par
des cabochons prismatiques (PI. LXXXVII, fig. 16).

Grilles à volutes

A quel moment la grille à volutes (shabbak be-zlâbîya ) a-t-elle fait son apparition en Tunisie ? Nous
ne possédons aucun renseignement précis à ce sujet. Il semble seulement que l'emploi s'en soit répandu dans
la capitale à partir du XVIIIe siècle.
Comme la grille simple, ce nouveau type de grille, d'aspect moins sévère, est exécuté en fer rond ou
carré. Il comprend un cadre garni de barreaux verticaux régulièrement espacés auxquels sont liées par des
bagues les doubles volutes en S (fig. 5, 12, 24).
La répétition d'un même élément, à la fois décoratif et protecteur, se prête à certaines variétés de formes
et de dimensions. Formes simples et saillantes — droites (3) ou arrondies (4) — peuvent également être
obtenues auprès des artisans du fer. Les premières conviennent mieux aux fenêtres des appartements ouvrant
sur la cour intérieure (5) ; les autres sont préférées pour les ouvertures extérieures surplombant la rue (6)
(fig. 27, 104). Aussi bien l'accroissement du nombre et des proportions de celles-ci correspond-il, sous le

1 Fenêtres sans rebord inférieur, ex : Dâr Hamadi Chérif (Médina de Tunis). L'Abdalliya (La Marsa), (T. I et III).
.

2. Ibid., I, II, III, passim. Grilles faites de tringles entrecroisées, disposées en deux couches superposées, la couche inférieure
étant parfois rattachée à la couche supérieure par des bagues en fer placées à intervalles réguliers (cf. I, Dâr El-Hedri).
3. shabbak sondùk, littéralement : grille en forme de coffre.
4. shabbak mdawar.
5. Au rez-de-chaussée et sur les galeries hautes.
6. Voire le patio intérieur, ou la courette d'une dwiriya.
(Dâr El-Haddad) - Fenêtre avec grille à volutes (XVIIle s.)-
l'habitation tunisoise 303

règne des Husseinites, à la nouvelle élévation des maisons des hôtes en façade supérieure des palais et des
riches demeures tunisoises (1). Ainsi verra-t-on une grille saillante dominer fréquemment l'entrée de
l'habitation (fig. 150), sinon garnir les trois côtés d'un encorbellement, dont la triple ouverture éclairant le kbù
intérieur constituait un agrément hautement apprécié, inconnu auparavant (2).
Dans certains cas, on s'enhardit jusqu'à réaliser de larges grilles pouvant rivaliser avec un encorbellement
qu'elles remplaçaient aisément. Des exemples de belles grilles arrondies existent également au Palais du Bardo
et aux étages de grandes demeures citadines, quelquefois placées aux deux extrémités d'une longue salle de
réception édifiée sur les voûtes d'un sâbât (3).
L'élément piriforme à quatre volutes (4) qui caractérise ce nouveau type de grille présente une curieuse
ressemblance avec une figure déjà relevée, au XVIIe siècle, dans la pierre sculptée de certaines tombes et
piédroits, sans compter la peinture de plafonds (6) et le cloutage de portes (7). L'effet en est d'autant plus
remarquable avec l'emploi du fer carré donnant, à la place de simples volutes, de véritables spires dont la
densité contraste avec le vide des intervalles. Cette qualité coïncide, le plus souvent, avec la période la plus
ancienne. La robuste simplicité qui en ressort sera remplacée, dès le début du XIXe siècle, par la recherche
de nouvelles combinaisons de volutes. La Cour beylicale donnera elle-même le ton dans ses palais du Bardo
et du Dâr el-Bey (8).
Le désir d'innover en toutes choses ne s'arrêtera pas là, le goût de la fantaisie se manifestera de plus en
plus, comme on a déjà pu le constater dans d'autres domaines — cloutage des portes, sculpture de la pierre
et du marbre (fig. 145, 146), etc. — Ce sera naturellement, à l'imitation de leur souverain, le fait des
dignitaires du Makhzen qui ne résistent plus, au milieu du siècle dernier, à l'attrait du modernisme occidental,
dans la construction et la décoration de leurs palais.
Cependant, la bourgeoisie tunisoise ne se laisse pas entièrement entraîner par ce courant et montre encore
son attachement aux formes traditionnelles des grilles entrecroisées ou à volutes.

Grilles de type moderne

Alors que certaines modifications de style ont été admises dans les grilles de protection des fenêtres,
la suppression de ces grilles n'a jamais été envisagée jusqu'au début de ce siècle, à l'intérieur de la Médina
comme aux environs de la capitale (9).
Les innovations paraissent bien résulter d'une influence locale du Quartier Franc et de l'édification de ses
grands hôtels italiens (10). Les modèles de grilles qui deviendront à la mode y sont aisément reconnaissables ;

1 . Palais de Tunis, II, passim.


2. Autrefois, toute grille extérieure en fer était doublée, au dedans, d'une grille en bois (barmaklï), permettant de voir
au dehors sans être vu. Un élément mobile pouvait être ménagé en son milieu, comme il en existe dans les balcons à
moucharabieh du Caire. Ailleurs, on disposait d'une grille en bois coulissant à l'intérieur du mur de l'embrasure, cf. Palais de Tunis,
II, fig. 58.
3. Ibid., II et III, passim.
4. L'origine de ce motif paraît très ancienne. Il figure aussi dans les bandes brodées de fil d'or ou d'argent des tuniques de
mariées notamment au Sahel, cf. J. Revault, Arts traditionnels en Tunisie, Paris, 1967, p. 119. Notons toutefois l'existence de
volutes semblables en fer forgé dans les balcons de riches hôtels européens au XVIIe s.
5. Supra, Palais de Tunis, III, fig. 3.
6. Palais de Tunis, I, Dâr EI-Hedri, fig. 31.
7. Supra.
8. Ibid., II et III.
9. Ibid.
10, Ibid., II, supra.
304 J. REVAULT

grilles en fer plat disposées en réseau losange — que rehaussent parfois des rosettes à l'intersection des losanges
(fig. 151, 152) — elles remplacent alors les grilles simples dans la garniture des fenêtres autour du patio (1).
Mais l'emploi du fer plat gagne bientôt d'autres formes en s'adaptant notamment à celles des grilles arrondies
qui surplombent la rue (fig. 153). Cependant le fer à section ronde ou carrée est encore employé dans diverses
grilles d'inspiration italienne : grilles à réseau en méandres, grilles à barreaux verticaux avec arceaux... (fig. 152).
Désormais, le fer forgé traditionnel ou moderne ne sera plus réservé à la seule garniture des fenêtres ;
au temps d'Ahmed Bey (1837-1855) on en verra l'usage s'étendre tout d'abord aux galeries hautes et loggias
intérieures pour y remplacer trop souvent les anciennes balustrades de bois tourné (2) qui contribuaient
à l'élégance de l'étage dominant le patio. Puis cette vogue se manifestera dans les rampes des nouveaux
escaliers de marbre intérieurs (fig. 60) ainsi que dans les façades neuves pourvues d'un balcon à l'européenne,
sinon sur certaines terrasses elles-mêmes (3).
Bien que ces transformations soient demeurées invisibles au regard du passant, dans les habitations
citadines et les maisons de plaisance environnantes, elles ne manquent pas de frapper, trop souvent, par
leur aspect insolite, depuis l'imposte des portes d'entrée jusqu'aux fenêtres hautes que complètent encore des
« jalousies » à l'italienne.
Aujourd'hui on observe un heureux retour à l'emploi des grilles de type traditionnel, aussi bien pour en
parer les monuments publics que les gracieuses villas dont le nombre ne cesse de s'étendre autour de Tunis,
tendance de plus en plus partagée par les autres villes de l'intérieur, rendant en même temps un espoir de
survie aux artisans du fer.

1. Ibid., II, Dâr Ben Ayed ; III, Bardo...


2. Souvent maintenues aux colonnes de l'étage par une armature en fer forgé (fig. 149).
3. A l'imitation des consulats européens groupés à l'intérieur du Quartier Franc, derrière les remparts de Bâb el-Bahr.
Dans les maisons de campagne, une grille entourait quelquefois un bassin surélevé. Ibid., Ill, Palais Ben Ayed.
Les balcons en fer forgé — fréquemment orné de volutes — se multiplièrent, au siècle dernier, aux abords du Vieux
Port de la Goulette, où Ahmed bey, puis Sadok bey se plurent eux-mêmes à résider en été. Entre La Goulette et La Marsa,
on sait que les derniers souverains de la Régence et leurs ministres choisirent encore le littoral pour y séjourner fréquemment
dans leurs résidences de style occidental.
l'habitation tunisoise 305

CONCLUSION

Au Moyen Age comme aux Temps Modernes, les habitants de Tunis, princes, notables et gens du peuple
n'ont pas modifié leur attachement séculaire à l'ancien type d'habitation méditerranéenne. On a reconnu
dans celui-ci aussi bien l'influence occidentale de la demeure gréco-romaine que l'influence orientale des
maisons de Samarra et de Fostat.
Caractérisée par l'emploi essentiel de la cour intérieure, centre de la vie familiale, entourée de chambres
et de communs, l'habitation tunisoise a également conservé de ses origines la salle en T (bit bel-kbù) inspirée
à la fois de Yœcus grec, du triclinium romain et de Vïwân mésopotamien. De même a-t-elle maintenu l'usage
des portiques à arcs et colonnes ainsi que des voûtes en berceau et voûtes d'arêtes. Les influences locales et
extérieures — renforcées par celles de Byzance et de la Syrie — qui déterminèrent ces dispositions
architecturales décidèrent aussi de l'adoption des techniques de construction et des tendances décoratives dont on a
pu observer la persistance.
Dans les deux cas, la présence de villes et de ruines antiques apparut aux nouveaux maîtres musulmans
comme de précieux modèles et une mine importante de matériaux. De plus, ceux-ci se trouvaient en abondance
aux environs de Carthage et de la future Tunis, tandis que le maintien des anciens ateliers de maçons,
sculpteurs, mosaïstes, etc., permettait de ménager une transition avec le passé.
Entre les périodes aghlabite, fatimide, ziride et hafside s'affirmera une prédilection pour les murs en
belle pierre de taille, soigneusement appareillée en lit et délit, répondant au clavage des arcs en calcaire ou
en marbre bicolore.
Jusqu'à la fin de l'époque turque, le calcaire du Cap Bon au grain serré, ocre et rose, connaîtra, auprès
de l'aristocratie et de la bourgeoisie tunisoises le même succès qui contribua auparavant à la renommée des
constructions romaines et byzantines. Aussi bien, le voit-on à l'entrée même des palais et de toute demeure
citadine, fournissant à son encadrement la seule parure admise à l'extérieur autour du cloutage de la porte.
A l'intérieur, on le considéra longtemps comme le luxe le plus recherché, excluant tout autre décor
sinon secondaire et discret. Le solide dallage qu'il forme dans la cour — rehaussé parfois du feuillage toujours
vert d'un oranger ou d'un citronnier — résiste aux générations qui le foulent, comme au soleil et aux
intempéries. Dans ce lieu privé exposé à l'air et à la lumière, les assises murales régulièrement disposées offrent des
surfaces sobrement colorées et harmonieusement contrastées grâce à l'alternance des arcatures — niches à
fond plat et portiques — et des portes à linteau droit ouvrant sur le patio ; ce rythme calme et reposant de
lignes courbes et droites se répète dans les chambres, entre portes et fenêtres flanquant la grande ouverture
médiane face à la cour.
Lointaine conception architecturale et décorative remontant aux Sassanides, reprise timidement à
Kairouan par les Aghlabites, résolument adoptée par les Fatimides dans les belles façades de leurs monuments
religieux et probablement civils, avant que les Hafsides n'en généralisent l'application que modifia surtout
l'emploi de l'arc brisé introduit en Afrique du Nord et en Espagne par les Almohades.
Cette prédilection pour la pierre de taille contribua certainement à donner aux anciennes demeures
urbaines aussi bien qu'aux palais édifiés à Tunis, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, leur pleine valeur
architecturale et leur principale originalité. En outre, comme on l'avait déjà observé aux époques romaine et chrétienne,
les artistes qui œuvrèrent plus tard en terre d'Afrique témoignèrent, de bonne heure, d'un goût semblable
pour rehausser pierre et marbre de motifs décoratifs et prophylactiques, sculptés ou incrustés. Le Moyen Age
vit alors renaître, sous le ciseau des artisans ifriqyens, des éléments géométriques et floraux : rosaces archaïques
d'origine berbère, feuilles et fruits dérivés de l'acanthe et de la vigne, de plus en plus transformés au gré d'une
interprétation éloignée de la nature et favorisée par l'Islam.
306 J. REVAULT

A la fin du règne des Sultans hafsides, le répertoire végétal des sculpteurs tunisois se trouva réduit aux
palmettes et fleurons pour l'ornementation des chapiteaux de colonnes et des piédroits de portes,
indépendamment d'une ornementation incrustée limitée à quelques formes géométriques — cercle, octogone, carré
entrelacé, svastika, étoile — seule lacune, sans doute, au rôle si brillant que les artisans andalous et morisques
accueillis en Tunisie ne cessèrent de jouer dans les autres domaines — céramique, plâtre et bois ouvragé...
Cette lacune, c'est à la venue des nouveaux maîtres turcs que l'on doit de la voir combler. Dès la fin du
XVIe siècle, en effet, ceux-ci semblent avoir fait appel à des artisans d'Istamboul, auxquels ils désiraient
confier également la décoration des portes de leurs palais et de leurs mausolées ainsi que de leurs pierres
tombales. Cette double utilisation de l'art du sculpteur inspirée de l'art turc sera ainsi poursuivie, aux différents
niveaux de la société tunisoise. Il ne faut donc pas s'étonner de reconnaître les mêmes motifs, choisis à la
même époque, pour orner — et défendre — l'entrée d'une demeure, la dalle funéraire et le coffrage d'une
tombe, les uns et les autres ayant recours à la même source et aux mêmes ateliers de sculpteurs.
La nouvelle flore turquisante montrera parfois certaines réminiscences de la flore aghlabite et fatimide
en reprenant le thème traditionnel des palmettes et la taille byzantine en biseau. Elle ne sera pas moins soumise
ensuite à une réelle évolution, l'inspiration persano-turque fournissant à la pierre et au marbre — comme à
la céramique — à partir du XVIIIe siècle, des éléments décoratifs plus souples et plus variés, à base de rinceaux,
œillets, roses et chrysanthèmes.
A ces innovations se mêlera parfois la reprise d'anciens éléments locaux — rosace, étoile, cyprès stylisé,
rosette — et andalous — carré entrelacé — que viendra de plus en plus alourdir, vers le XIXe siècle, la vogue
de motifs étrangers, d'origine italienne.
Ainsi, par un étrange retour des choses, la sculpture romanisée qui s'était imposée autrefois à l'Afrique
orientale, réapparaît après plusieurs siècles d'éclipsé, au profit des influences artistiques venues de la Syrie,
de l'Egypte et de l'Espagne musulmane. En même temps, la Péninsule accentuait, dans la Régence de Tunis,
le goût du modernisme architectural et décoratif, à l'exemple de la Turquie et de l'Egypte.
Aux yeux du passant, une telle transformation ne pouvait échapper, les portes d'entrée sur la rue
substituant souvent au linteau droit et à l'arc brisé traditionnels un arc cintré d'aspect aussi inattendu que le nouveau
décor sculpté dans l'encadrement de l'entrée. A l'intérieur des palais et des riches habitations bourgeoises,
le marbre de Carrare remplace, de préférence, le marbre et le calcaire locaux, aussi bien dans le dallage des sols —
patio et appartements — que dans la colonnade des portiques et les encadrements des portes, fenêtres et
citernes. La décadence des formes s'accompagne de celle du décor, les thèmes — rosace, bouquet, croissant —
variant cependant moins que leur exécution. Aussi pourrait-on croire au maintien de leur valeur
prophylactique autant qu'à leur intérêt ornemental. Ce double souci n'apparaîtra-t-il pas longtemps conforme à celui
du cloutage des portes dont le répertoire décoratif sera mieux respecté au cours des siècles. Apportée de
l'Espagne par des artisans musulmans, cette coutume ornementale connaîtra à Tunis une fortune particulière,
donnant jusqu'à ce jour, aux portes de la cité encadrées de pierre, sa plus grande originalité.
L'art du ferronnier ne cessera de s'ajouter à l'art du sculpteur pour assurer la protection de toute demeure
citadine avec l'emploi de grilles dont le style fut renouvelé par les émigrés andalous et qui contribuèrent
en même temps à la sécurité de l'habitation tunisoise et à son embellissement.
l'habitation tunisoise 307

AVERTISSEMENT

La forme la plus simple a été employée ici dans l'écriture des mots arabes d'usage courant. Seuls, les
termes techniques se rapportant directement à l'étude de l'habitat — construction et décor — utilisent une
transcription particulière en italique avec l'emploi des signes suivants :

consonnes voyelles

V b s longues • a, o /, j «
O t d

'
brèves : a, i, u (e-o) (1)
O th t
diphtongues : j— aw
z
v5^1 ay
c ^
t kb gb
cJ f
dh (ou d) J k
r J k
z J 1
s r m
o n
B 11
j VV
^5 V

1. Réalisations locales de certaines voyelles brèves : a, i e ; u, o.


308 J. REVAULT

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310 J. REVAULT

TABLE DES PLANCHES

Planches dessinées

PI. A Tunis. Plan schématique de la Médina et de ses faubourgs (d'après G. Marçais).

Construction
PI. I Murs et arc. Modes de construction. 1. Tuyau de poterie (shkâka) ; 2. Mur construit en rangées de shkâk
croisés ; 3. Arc en briques sur champ ; 4. Brique (yajûr) ; 5 et 8. Mur en assises de briques ; 6. Alternance
de rangées de briques et de tuyaux de poterie. 7. Alternance de pierres et briques.
PI. II Tuiles rondes (karmûd) (pour toit et corniche). 1. Tuile ordinaire (élévation et plan) ; 2. Coupe ; 3. Détail de
jointure ; 4. Tuile courte (élévation) ; 5 et 6. Disposition des tuiles sur corniche.
PI. III Tuiles creuses — (karmûd) . 1. Vue perspective ; 2 et 3. Détail ; 4 et 5. Disposition par couches inversées et
posées.
PI. IV Dallage clair (Dalles de marbre hexagonales).
Dallage bicolore étoile (hexagones et triangles de marbre blanc et noir).
Dallage quadrillé (marbre blanc et noir).
Dallage hexagonal et losange (marbre blanc et noir).

Portes (encadrées de pierre)


PI. V (Mosquée Zitouna, Tunis). Porte de la salle de prières (XIe s.) à linteau droit sous arc de décharge cintré —
galerie Est.
PI. VI (Mosquée Zitouna). Porte à linteau droit sous plate-bande appareillée (XIe s.) — galerie Est — Essai de
tution.

Portes monumentales de type hafside ( XVC-XVHC s.).


PI. VII ( Zaouïa de Sidi El-Qala ri) Porte monumentale à double encadrement de pierre calcaire et grès coquillier (XVe s.).
Restitution.
.

PI. VIII ( Dâr Rassaa, rue des Tamis) . Porte droite (XVC-XVI° s.) en calcaire sur fond de grès coquillier, flanquée de
colonnes antiques de remploi.
PI. IX (Faubourg Sud de Tunis, rue des Silos). Porte d'habitation à double encadrement de keddâl et harsh (XVIIIe-
XIXe s.).
PI. X (Tracé géométrique) . Porte à linteau droit sous plate-bande appareillée et arc brisé outrepassé à claveaux et
bandeau avec boucle.
PI. XI (Mid' a du Souk el- Attarine) . Porte monumentale en marbre blanc et noir et calcaire clair (XVe s.). Linteau
droit (entre deux colonnes à chapiteau hispano-maghrébin) sous plate-bande appareillée et tympan percé d'une
imposte dans un arc brisé outrepassé.
PI. XII (Palais du Dey ' Othman). Porte monumentale en marbre blanc et noir (XVle-XVIIe s.). La disposition générale
de la façade extérieure s'apparente à celle de la mid' a hafside.
PI. XIII (Dâr Rassaa — ou Dâr Khira, rue Sidi Zahmoul). Porte monumentale (XVIe-XVIIe s.) en calcaire et grès
quillier.
PL XIV (Dâr El-Hedri) Porte monumentale. (XV1C-XVII° s.) en keddâl et harsh rehaussé de marbre noir et blanc (plate-
bande arquée).
PI. XV ( Dâr Bel-Hassen, Tunis) Porte monumentale (XVIc-XVIIe s.) en keddâl et harsh dans façade à trois arcs brisés
outrepassés sous encorbellement.
.

PI. XVI (Dâr Chahed, Faubourg Sud). Réduction de porte monumentale (XVIe-XVIIc s.) au fond d'une impasse, rue
des Silos.

Portes à linteau droit sous arc de décharge (surbaissé)


PI. XVI] (Dâr Ibn Arafa) Porte à linteau droit sous arc de décharge — avec boucle — en keddâl et harsh. (XVIIe s.)
'

PI. XVIII (Dâr Zarrouk). Porte de même type que la précédente, avec dimensions supérieures (XVIIe s.).
l'habitation tunisoise 311

PI. XIX (Dâr Bou Choucha, rue Sidi el-Haraïri) . Porte à linteau droit sous arc de décharge avec inscriptions gravées
dans le tympan (XVIIe s.).
PI. XX (Dâr Cheikh Zaouia Sidi El-Béchir, Faubourg Sud). Porte à linteau droit sous arc de décharge, flanquée d'une
colonnette cantonnée et surmontée d'une imposte barreaudée — keddâl et harsh — Elévation, plan et coupe
(XVlIe-XVIIIe s.).
PL XXI {Faubourg Sud, rue des Silos). Porte droite sous arc surbaissé et imposte — keddâl et harsh (XVIle-XVTIle s.).
PI. XXII (Dâr Bou Zaïane, rue El-Arian). Porte à linteau droit sous arc de décharge (XVIe-XVIIe s.)-

Portes à arc bombé


PL XXIII {Dâr El-Mbazâ'a). Porte de makhzen à montants et arc bombé en calcaire doublés de grès coquillier, avec imposte
à barreaux de bois (XVIIe s.).
PL XXIV {Dâr Stamerad, rue des Juges). Porte de makhzen au seuil surhaussé, avec piédroits à semelles et arc bombé.
2e encadrement de calcaire et grès coquillier avec plate-bande appareillée (XVIIe s.).
PI. XXV {Dâr El-Hedri, rue du Trésor). Porte de rwà et communs. 1° cadre en calcaire à montants sur semelles et sous
arc bombé ; 2° cadre en grès coquillier (XVIe-XVIIe s.).
PL XXVI {Oukalât el- Attarine, Impasse El- Attarine). Porte à arc bombé dans un double encadrement — keddâl et harsh
(XVIe-XVIIe s.).

Portes à arc brisé outrepassé


PL XXVII {Ribât el-Harir — ou Fondouk des tisserands de soie, rue Torbet el-Bey). Porte à piédroits sur semelles en keddâl,
avec arc brisé outrepassé et 2e cadre en harsh.
PL XXVIII {Dâr 'Othman — annexe — rue El-Mbazd a). Porte encadrée de keddâl et harsh : piédroits à colonnettes sous
arc outrepassé (XIXe s.).
PL XXIX {Dâr Bach-Hamba, rue Bach-Hamba). Porte à arc brisé outrepassé sur montants à colonnettes torses entre deux
colonnes surhaussées (XVIIIe-XIXe s.).
PL XXX {Dâr El-Monastiri, rue El-Monastiri). Porte au seuil surélevé avec piédroits à colonnettes torses sous arc
passé que surmonte une lucarne barreaudée (XVIIIe-XIXe s.).
PL XXXI {Dâr Zaouche, rue Sidi El-Mouahed, Faubourg Sud). Porte de driba : piédroits à colonnettes torses sous arc brisé
outrepassé entre deux pilastres en keddâl (sculpté) et harsh (assises). Grosse colonne d'angle. Elévation,
(XIXe s.).

Consoles (encorbellement)
PL XXXII (Rue du Bon Secours). Consoles de bois rudimentaires. Perspective et profil (XVIIe s.).
Console de bois en rondin doublée d'une console de pierre et d'une planche (XVIle-XVIlIe s.).
PL XXXIII {Dâr El-Hedri, rue du Trésor). Double console de pierre aux extrémités arrondies — perspective et profil ■—
(XVIe-XVIIe s.).
PL XXXIV {Impasse Mousmar el-Qaçdd). Consoles superposées en pierre et bois (XVIIIe s.).
PL XXXV {Rue Achour, Entrée de la rue de VAghd). Double console de pierre à tête arrondie — perspective et profil —
(XVIIe-XVIIIe s.).
{Dâr Bach-Hamba, rue Bach-Hamba). Double console de pierre à bords incurvés — perspective et profil —
(XVIIIe-XIXe s.).
PL XXXVI {Dâr Lasram, rue du Tribunal). Triple console de pierre à bords incurvés — perspective et profil — (XVIIIe
XIXe s.).
{Rue Sidi Et-Tinji). Double console de pierre à bords sinueux (XVIIIe-XIXe s.).

Entrées (driba)
PL XXXVII {Dâr Zarrouk). Fond de la driba : porte de la ski/a encadrée de calcaire et de pierre noire, entre deux niches
latérales à colonnettes sur dukkâna (XVIIe s.).
PL XXXVIII {Dâr Zarrouk). Côté droit de la driba : banquette de pierre sous niche à fond plat et arc brisé à claveaux bicolores
(XVIIe s.).
PL XXXIX {Dâr Zarrouk). Plan et dallage de la driba — entre les deux dukkâna latérales (XVIIe s.).
PL XL {Dâr El-Mrabet). Fond de la driba : entrée de la skifa encadrée de keddâl (XVIe-XVIIe s.).
PL XLI {Dâr Zarrouk). driba. Porte de communication avec la courette {rokba) d'accès à la skifa (XVIIIe s.).
312 J. REVAULT

PI. XLII (Dâr Zarrouk). driba. Porte de la rokba : envers avec châssis (montants et traverses) — élévation, plan et coupe.
PI. XLIII (Dâr El-Monastiri). driba. Porte latérale encadrée de pierre communiquant avec la skifa (XIXe s.).

Cours intérieures
PI. XLIV (Dâr Khojt el-Khil). Cour (wust el-dâr) — Coupes avec élévation. En haut, côté Nord-Est, mur nu à loggia
gle ; en bas (côté Sud-Ouest) angle mural revêtu de calcaire : partie droite sous claustrum entre deux niches
à fond plat (XVIIe s.).
PI. XLV (Dâr Baïram Turki). Cour à deux portiques extrêmes symétriques (côtés Est et Ouest) reliés par un mur revêtu
de calcaire appareillé (côtés Nord et Sud) (XVIIe s.).
PI. XLVI (Dâr Daouletli). Cour à trois portiques et une façade appareillée sans étage (XVIIe s.).
PI. XLVII (Dâr Balma) Cour à un seul portique et deux galeries hautes entre deux côtés ornés de niches à fond plat (XVIIe s.).
PI. XLVIII (Dâr Romdane Bey). Cour avec portique à trois arcs (façade Ouest) et galerie circulaire (XVIIe s.).
PI. XLIX (Dâr 'Othman). Coupe avec élévation sur cour. Façade avec galerie à cinq arcs abritant porte arquée sous
claustrum (côté Nord) (XVIe-XVIIe s.).
PI. L (Dâr El-Mrabet). En bas, façade Nord-Ouest de la cour à défoncements symétriques — arcature et fenêtre
née aveugle ; en haut, détail de la fenêtre flanquée de trois colonnettes à chapiteau turc (XVle-XVlIe s.).
PI. LI (Dâr El-Hedri). Cour à trois portiques sous galerie circulaire : côté Sud-Ouest, trois arcs inégaux sur colonnes
de pierre à chapiteau turc (XVle-XVIIe s.).
PI. LU (Dâr El-Hedri). Façade appareillée (Nord-Est) ornée de deux hautes niches à arc brisé (XVIe-XVIIe s.).
PI. LUI (Dâr El-Haddad). Cour à trois portiques et galerie supérieure circulaire. Côté Ouest à arcs brisés et surhaussés
sur colonnes de pierre à chapiteau hafside (XVIe-XVIIe s.).
PI. LIV (Dâr El-Haddad). Façade sur cour à trois défoncements devant la chambre principale (XVIe-XVIIe s.).
PI. LV (Dâr El-Monastiri). Coupe et élévation. Patio à deux portiques extrêmes avec arcs cintrés sur colonnes de marbre
italien. Galerie haute circulaire (XIXe s.). A droite, ancienne porte de la skifa (à gauche, porte récente).

Appartements
PI. LVI (Dâr 'Othman). Coupe avec élévation d'une chambre entre deux pièces : salle à trois alcôves (médiane et
rales) ouvrant dans des arcs de marbre blanc et noir séparés par les portes droites de deux chambrettes — bit
bel-kbû û mkâser (XVIe-XVIIe s.).
PI. LVII (Dâr El-Mrabet). Salle d'honneur : en haut, élévation côté kbû et mkâser ; en bas, élévation côté porte et fenêtres
sur cour (XVIe-XVIIe s.).
PI. LVIII (Dâr El-Haddad). Salle d'apparat à parements de calcaire (côté cour) entre deux pièces des communs à colonnes
de pierre (XVIe-XVIIe s.).
PI. L1X (Dâr El-Haddad). Salle d'apparat (côté kbû et mkâser) flanquée des communs.

Communs
PI. LX (Dâr Romdane Bey). Elévation sur dwiriya (côté Nord-Ouest). Courette avec portique sous loggia (XVIIe s.).

Ornementation sculptée (pierre et marbre)


PI. LXI (Zaouïa de Sidi Kassem el-Jâllizi). Palmettes de type hafside sculptées à la base des piédroits des portes de la
salle de prières et du mausolée (XVe s.).
PI. LXII (Zaouïa de Sidi Ben Arous et Mid' at es-Soltane). Palmettes à écailles ornant la base des piédroits (XVe s.).
PI. LXIII (Palais du Dey 'Othman). Palmettes de types divers à la base des montants de portes (XVIe-XVIIe s.).
PI. LXIV (Palais du Dey 'Othman). Arabesques végétales persano-turques sculptées à l'entrée de la driba (XVIe-XVIIe s.).
PI. LXV (Jamd Sidi Yousef). Motifs végétaux et arabesque florale ornant la base des portes de la salle de prières (XVIIe s.).
PI. LXVI (Torba Sidi Yousef). Motifs floraux sculptés à la base des fenêtres et niches à fond plat (XVIIe s.).
PI. LXVII (Dâr Baïram Turki). Motifs géométriques et floraux sculptés à la base des montants en calcaire (XVIIe s.).
PI. LXVHI (Dâr Baïram Turki). Motifs floraux ornant les jambages d'ouvertures sur la cour intérieure (XVIIe s.).
PI. LXIX (Dâr Baïram Turki). Motifs floraux sculptés au sommet des montants en calcaire (XVIIe s.).
PI. LXX (Dâr Baïram Turki). Claustrum en pierre appareillée rehaussé de motifs sculptés (XVIIe s.).
PI. LXXI (Dâr Dennouni). Porte d'entrée avec détail de sculpture d'un piédroit (XVIIe s.).
l'habitation tunisoise 313

PI. LXXII (Dâr El-Ayari). Porte à double encadrement — keddâl et harsh — et arc de décharge (XVIIe s.).
PI. LXXIII(Dâr Hamadi Chérif). Groupe de trois portes, rue Dâr Jeld, avec détail du décor (XVIIe s.).
PI. LXXIV (Dâr Hamadi Chérif). Porte intérieure, avec détail décoratif (XVIIe s.).
PI. LXXV (Zaouîa Sidi Yousef). Façade extérieure avec détail ornemental de la porte (XVIIe s.).
PI. LXXVI (Zaouîa Sidi Abd El-Ouareth). Façade à triple arcature et fenêtre sculptée à sa base (XVIIe-XVIHe s.).
PI. LXXVII(Mosquée Sidi Ben 'Arous ou Hamouda Pacha). Motifs géométriques et floraux sculptés à la base des piédroits
(XVIIe s.).
PI. LXXVIII (Mausolée a" Hamouda Pacha). Détail de sculpture des piédroits à éléments floraux turquisants (XVIIe s.).
PI. LXXIX (Mausolée El-Fellari). Porte extérieure avec détail de sculpture (XVIIIe s.).
PI. LXXX (Mausolée El-Fellari). Détail de la porte d'entrée et des motifs ornant le linteau (XVIIIe s.).
PI. LXXXI (Mausolée El-Fellari). Façade extérieure avec détail de motifs sculptés (XVIIIe s.).
PI. LXXXI1 (Jebbâna Bâb Aléoua). Pierre tombale ornée de motifs sculptés — rosace, cyprès et câble — (XVIIIe s.).

Ornementation incrustée
PI. LXXX1II (Mid' at al- Attarine). Coupe avec élévation sur la cour d'ablutions — Incrustations de marbre noir et blanc :
carré entrelacé, svastika, fleuron et chaîne entrelacée (XVe s.).
PI. LXXXIV (Dâr Bou Zaïane). Incrustations géométriques de marbre blanc et noir au centre de la cour et à l'entrée de deux
pièces (XVe-XVIe s.).

Ferronnerie
PI. LXXXV (Dâr El-Messa'oudi). Porte cloutée à deux battants asymétriques, rue des Silos.
PI. LXXXVI (Dâr Sidi El-Béchir). Porte cloutée, 22 rue des Silos.
PI. LXXXVII Eléments de porte : clous, en fer forgé ou cuivre. Eléments de grille : 1, détail d'entrecroisement de deux barreaux
à section ronde (type traditionnel) ; 2-3, cabochon ou joint d'entrecroisement de deux barreaux à section ronde
(type turquisant).

Planches photographiques

Fig. 1 Les minarets de la Grande Mosquée et de Sidi Ben 'Arous dominent la Médina. Leur plus belle parure est en
calcaire et grès coquillier.
FlG. 2 « La Porte Neuve » (Bâb Jdid), XIIIe siècle.
FlG. 3 « La Porte du Fanal » (Bâb Menâra), XIIIe siècle. Façade en grès coquillier rehaussé de calcaire.
FlG. 4 Jama' El-Qsar : au-dessus des arcades à ressaut du XIe siècle, le minaret carré, édifié au XVIIe siècle, a été revêtu
de marbre et de pierre de couleur.
Jama' Sidi Yousef (XVIIe s.), mosquée funéraire parée de marbre et de pierre de taille.

Con itruction
Fig 5 (Rue Sidi Kasem). Ruelle confortée par des arcs de redressement et des ancres de bois.
Fig 6 (Impasse ou drïba). Murs à defoncements latéraux portant une voûte d'arêtes en briques sur champ.
Fig 7 (Rue des Teinturiers). Voûte d'arêtes sur doubleaux, faite de briques sur champ (contre la façade de Jama' Jdid).
Fig 8 En haut, berceau en briques sur champ ; en bas, voûtes d'arêtes en briques à plat.
Fig 9 (En haut) angle mural (shûka) (rabattu) ; (en bas) mode de construction d'un mur : partie inférieure en moellons ;
partie supérieure en matériaux légers — rangées de briques et tuyaux de poterie alternées.

Portes à linteau droit


Fig. 10 Tailleur de pierre.
Fig. 11 (Palais du Dey 'Othman). Façade extérieure : porte encadrée de marbre blanc et noir de FIchkeul sous arc
brisé outrepassé (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 12 (Palais de Romdane bey). Porte monumentale en pierre de taille donnant sur drïba privée (XVIIe s.).
314 J. RE VAULT

Fig. 13 En haut, porte du Dâr El-Hedri, en keddâl et harsh (rue du Trésor) ; en bas, partie supérieure de la porte du Dâr
Rassâ'a (rue Sidi Zahmoul )(XVle-XVne s.).
Fig. 14 Porte cloutée à double encadrement de pierre : calcaire et grès coquillier (rue de l'Obscurité) (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 15 En haut, porte cloutée (fond jaune) sous arc de décharge, éclairée par l'ouverture d'une rokba (rue de la Kasbah,
XVIIe s.).
En bas, porte à linteau droit entre deux colonnes à chapiteau turc (XVIIe-XVIIIe s.).
Fig. 16 (Mosquée funéraire d'Hamouda Pacha). Porte à linteau droit sous arc de décharge reposant sur deux colonnes
de calcaire à chapiteau hafside (XVIIe s.).
Fig. 17 (Dâr Mellouli). Porte à double encadrement de pierre avec arc de décharge (XVIIe s.).
Fig. 18 (Dâr El-Hadi Chahed). Porte s'ouvrant dans un double cadre de pierre orné, au sommet, d'un petit mihrâb creusé
dans le tympan de l'arc (XVIIe s.).
Fig. 19 Deux portes de même style, rue du Bon Secours et rue des Teinturiers (XVIIe s.).

Portes à arc bombé


FlG. 20 Portes à arc bombé (cave et makhzen) donnant sous les voûtes d'un sâbât, rue En-Nayyar (XVIIe s.).
FlG. 21 Portes du makhzen à arc bombé en calcaire (rue de l'Obscurité et rue El-Kahia) (XVIIe s.).
FlG. 22 Détail de porte de communs. En haut, arc en calcaire sous écoinçon et bandeau en grès coquillier ; en bas, piédroit
sur semelle et seuil en keddâl (XVIe-XVIIc s.).

Portes arquées
FlG. 23 (Fondouk des Français). Porte cloutée en pointes de diamant, ouvrant dans un arc brisé outrepassé, appuyé
sur des montants à colonnettes avec chapiteau à méandres (XVIIe s.).
FlG. 24 Porte cochère à arc brisé — keddâl ou harsh — ouvrant dans un défoncement en arcature (rue du Riche, XVIIIe s.).
FlG. 25 (Dâr Lakhoua, rue des Andalous). Portes cloutées et arquées ; en bas, cadre de calcaire nu (XVIIe s.) ; en haut,
richesse de l'ornementation cloutée et sculptée (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 26 (Dâr Baïram Sellami, rue du Divan). Porte cloutée et arquée, éclairée dans l'intervalle des voûtes d'un sâbât
(XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 27 Portes de riches demeures, rue Dâr Jeld (à gauche) et rue des Andalous (à droite) (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 28 Portes : sobrement ornée, (à gauche) Dâr Ben 'Achour, rue du Pacha ; richement cloutée et sculptée, (à droite)
Dâr Lakhoua, rue Sidi Ben 'Arous (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 29 Entrée de deux palais du XVIHe-XIXe siècle : en haut, portail clouté sous arc cintré et large imposte (Dâr Ben
Abdallah) ; en bas, porte à deux vantaux sculptés à l'italienne (Dâr Bach-Hamba).
Fig. 30 (Dâr Djellouli, rue Sidi Et-Tinji). Porte encadrée de pierre sculptée de motifs turquisants et italianisants (XVIIIe-
XIXe s).
Fig. 31 En haut, portail sans cloutage ni sculpture (rue du Riche) ; en bas, ornementation exhubérante, cloutée et sculptée
rue Sidi Bou Khrissan) (XIXe s.).
FlG. 32 (Dâr Ben Diaf). Portail clouté à double encadrement de keddâl et harsh (XIXe s.).
FlG. 33 (Dâr Ben Salem, rue de La Hafsia). Mélange d'ornementation turquisante et italianisante.
FlG. 34 Portes de driba dépourvues de décor.
FlG. 35 Portes encadrées de marbre, cintrées et sculptées à l'italienne ; en haut, entrée du Dâr Chérif (rue Sidi Maouïa) ;
en bas, porte du Dâr El-Mrabet, rue Sidi Ben 'Arous (XIXe s.).

Colonnes, consoles et encorbellements


FlG. 36 (Rue de l'Obscurité) sâbât à voûtes basses sur doubleaux et colonnes de pierre à chapiteau épannelé.
FlG. 37 (Rue Ben Nejma) sâbât couvert en voûtes d'arêtes sur une double rangée de colonnes de clacaire.
FlG. 38 (Impasse el-Qasas). Voûtes d'arêtes en briques sur champ reposant sur colonnes et consoles de pierre.
FlG. 39 Support d'arc et de voûtes : en haut, colonne adossée à chapiteau turc ; en bas, colonnes à chapiteau hafside
réunies par un arc surbaissé.
FlG. 40 (Place El-Ouez, Dâr Ben Abd-AUah). Colonne cantonnée avec chapiteau à méandres.
FlG. 41 (Rue Jama' Ghorbal). Colonnes de calcaire à l'entrée d'un sâbât et à l'angle d'un mur.
FlG. 42 Colonnes d'angle mural à chapiteau turc : en haut, rue du Trésor (Dâr El-Hedri) ; en bas, rue Souk el-Ouzar.
l'habitation tunisoise 315

Fig. 43 (Rue Torbet el-Bey). Colonnes cantonnées : à gauche, colonne antique de remploi (Dâr Ben Romdane) ; à droite,
colonne à chapiteau hafside (Dâr Galigou).
Fig. 44 (Kasbah). Triple console en forme de disque sous abaque et retombée d'arc (époque hafside).
Fig. 45 (Rue du Divan). Colonne à chapiteau hafside et consoles de pierre.
Fig. 46 Encorbellements sur consoles de bois (en bas), bois et pierre (en haut).
Fig. 47 Consoles de pierre : (en haut) sous arcade (Dâr El-Ayari) ; (en bas), sous petit encorbellement (rue Torbet El-Bey).
Fig. 48 Consoles de pierre à double corps superposé : (en haut) à têtes arrondies (Dâr Bel-Hassen) ; (en bas) à têtes
sinueuses (Dâr Bach-Hamba).
Fig. 49 (Dâr Lasram). Encorbellement supporté par une rangée de six consoles de pierre à trois corps.
Fig. 50 (Rue Musmar el-Qasa'a). Long encorbellement sur doubles consoles, pierre et bois.
Driba et skifa
Fig. 51 (Dâr Hussein). Porte de la driba, rue des Andalous. Entrée voûtée flanquée de deux rangées de colonnes de pierre
reposant sur des dkâken (XVIIIe s.).
Fig. 52 En haut : driba du Dâr 'Othman à colonnes et parements de marbre bicolore (XVIe-XVIIe s.) ; en bas, ski/a du
Dâr El-Mrabet avec dukkâna et colonnes de pierre (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 53 driba du Dâr 'Othman : niches à fond plat encadrées de marbre de l'Ichkeul (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 54 (Mausolée de Sidi Kasem el-Jâllizi). Identité de style et de matériaux entre ce monument du XVe siècle et le palais
turc du Dey 'Othman.
Fig. 55 En haut : driba et skifa du Dâr Romdane bey à parements de calcaire (XVIIe s.) ; en bas, driba et skifa du Dâr
Ben Abd-Allah dallées de calcaire local et de marbre italien (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 56 (Dâr Ben Abd-Allah). Couverte en berceau et voûte d'arêtes, la driba présente un style décoratif composite :
andalou, turquisant et italianisant.
FlG. 57 (Dâr Romdane bey). Ancienne driba couverte en voûtes d'arêtes sur colonnes de pierre.
FlG. 58 (Dâr Dzîri) driba et skifa en chicane avec banquette de pierre.
FlG. 59 (Le Bardo). Entrée d'honneur et salle attenante couvertes en voûtes d'arêtes (actuellement Musée d'Archéologie
punique et romaine).
Fig. 60 A gauche, escalier en pierre à deux volées (Dâr El-Hedri), XVIe-XVlIe s.) ; à droite, escalier de marbre à plusieurs
volées tournant à angle droit (Dâr Ben 'Ayed - XIXe s.).

Cour
Fig. 61 (Dâr Bou Zaïane). Cour sans portique, au dallage rehaussé de « sofra» géométriques et aux murs ornés d'arca-
tures à fond plat (XVIe s.).
Fig. 62 (Dâr Bou Zaïane). L'absence de loggia est compensée par d'élégantes fenêtres géminées.
Fig. 63 (Dâr Mazhoud). Aux façades intérieures agrémentées de niches arquées à fond plat s'ajoute ici une galerie haute
formant loggia (XVIIe s.).
Fig. 64 De larges arcatures flanquent la porte droite d'une chambre surmontée du claustmm traditionnel cintré : en haut
cour du Dâr Romdane bey ; en bas, cour du Dâr Dennouni, (XVIIe s.).
Fig. 65 (En haut). Détail de dukkâna avec fenêtre barreaudée et niche de puits sculptée (Dâr Romdane bey) ; (en bas)
détail d'un dallage de cour à disposition angulaire (Dâr Mhaoud) (XVIIe).
Fig. 66 (Dâr Ben Mahmoud) En haut : corniche de tuiles vernissées encadrant l'ouverture de la cour ; en bas, dallage en
keddâl de la cour divisé en six compartiments symétriques ; au milieu, jardinet carré (XVIIe s.).
Fig. 67 Cours avec portique à trois arcs (sans loggia) reposant, en haut (Dâr Bou Ghazli), sur des colonnes de marbre à
chapiteau hafisde, en bas (Dâr Temimi), sur des colonnes de calcaire à chapiteau hispano-maghrébin (XVIIe s.).
Fig. 68 (Dâr Balma). Cour à un seul portique — à trois arcs — et deux loggias opposées. Des niches à fond plat se répètent
sur les murs latéraux (XVIIe s.).
FlG. 69 Cour à péristyle (disparue), rue du Divan (XVIe-XVIIe s.).
FlG. 70 (Dâr El-Hedri). Cour à trois portiques et une façade de pierre appareillée avec galerie haute circulaire (XVIe-
XVIIe s.).
FlG. 71 (Dâr El-Hedri). Détail d'une niche rectangulaire et d'arcs inégaux avec boucles émaillées sur chapiteaux turcs.
FlG. 72 (Dâr El-Hedri). Angle de la cour avec ses deux galeries superposées.
FlG. 73 (Dâr El-Hedri). Détail d'arcs : au centre, devant l'entrée de la chambre principale ; dans les angles où les arcs
de la galerie sont contrebutés par deux arcs de redressement.
316 J. RE VAULT

Fig. 74 (Dâr El-Hedri). Détail de l'arc principal sous galerie supérieure et du claustrum opposé éclairant l'escalier.
Fig. 75 (Dâr El-Hedri). Détail d'assemblage des claveaux d'arc et du chapiteau avec abaque.
Fig. 76 (Dâr El-Hedri). Dallage en keddâl de la cour avec sofra centrale bicolore.
Fig. 77 (Dâr 'Othman). Cour avec deux galeries extrêmes à cinq arcs brisés outrepassés retombant sur des colonnes de
marbre à chapiteau hispano-maghrébin (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 78 (Dâr Daouletli). Rehaussée ici de plâtre sculpté, la pierre conserve un rôle important : dallage du sol, colonnes
à chapiteau hafside et hispano-maghrébin, encadrement de portes et fenêtres (XVIIe s.).
Fig. 79 (Dâr Daouletli). Détail de galerie et de porte à arc surhaussé d'inspiration andalouse.
Fig. 80 (Dâr Daouletli). Galerie supérieure circulaire avec piliers d'angle et colonnes à chapiteau turc.
Fig. 81 (Dâr Daouletli). Galerie haute : détail d'un pilier d'angle flanqué de deux colonnes adossées à chapiteau turc.
Fig. 82 (Dâr Romdane bey). Le calcaire demeure l'élément noble recherché pour embellir sol, murs et colonnades
(XVIIe s.).
Fig. 83 En haut : groupe de trois colonnes à chapiteau hafside (angle de galerie haute du Dâr El-Haddad XVIe-XVIIe s),
(décor floral tardif) ; en bas, rencontre d'une arcature à fond plat et de l'arc d'un portique (Dâr Baïram Turki,
XVIIe s.).
Fig. 84 Un même emploi du keddâl apparaît dans les étroites niches à fond plat du Dâr Khojt el-Khil (en haut) et les
larges arcatures murales du Dâr Baïram Turki (en bas) (XVIIe s.).
Fig. 85 Apportée de l'Espagne Musulmane, la fenêtre géminée éclaire les chambres hautes sur la cour intérieure, ou forme,
comme les niches à fond plat, un heureux thème décoratif (Dâr Dennouni et Dâr El-Mrabet - XVIe-XVIIe s.).
Fig. 86 Fenêtres géminées (vue intérieure).
Fig. 87 Citerne et puits ; en haut, dans une niche de pierre (Dâr El-Hedri) ; en bas, dans une margelle de marbre avec
aire d'épandage (Dâr Bou-Ghazli) (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 88 Deux signes d'ancienneté : 1°) emploi généralisé du calcaire appareillé et absence de fenêtres (en haut, Dâr Baïram
Turki) ; 2°) présence du puits dans la cour avec margelle surélevée (maison rue du Bon secours).
Fig. 89 (Dâr el-Bey). Décor du patio de l'étage dans le style mouradite (XVIIIe s.).
Fig. 90 (Dâr el-Bey). Disposition traditionnelle de deux portiques séparés par des arcatures latérales.
Fig. 91 (Dâr Ben-Abdallah). Le marbre d'Italie remplace ici le calcaire et le marbre locaux. En haut, patio supérieur du
dâr al-dyâf ; en bas, cour à péristyle ornée d'une fontaine centrale (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 92 (Dâr Ben Abdallah). Détail du portique inférieur et de la galerie haute.

Appartements
Fig. 93 (Dâr 'Othman). Chambre en T : en haut, alcôve extrême (lit) encadrée de marbre bicolore ; en bas, alcôve médiane
(kbû ou salon, XVI-XVIIe s.).
Fig. 94 En haut, ouverture de kbû en marbre bicolore (Dâr Kastalli) ; en bas, double arcature en marbre blanc et noir de
la salle d'apparat (Dâr El-Mrabet) (XVIIe s.).
Fig. 95 En haut : deux arcs opposés — kbû et entrée de la salle d'apparat — (Dâr El-Mrabet) ; en bas, arc de kbû (Dâr
Bou Zaïane) (XVP-XVIP s.).
Fig. 96 (Dâr El-Mrabet). Le marbre bicolore s'accompagne ici d'un grand luxe décoratif — céramique, stuc, boiserie dorée
et peinte.
Fig. 97 Colonnes d'angle, à l'entrée d'un kbû : en haut, colonne de calcaire à chapiteau hispano-maghrébin (Dâr Romdane
Bey) ; en bas, colonne de marbre à chapiteau turc (Dâr El-Mrabet).
Fig. 98 (Dâr Romdane bey). L'usage du keddâl s'étend largement de l'angle du kbû à l'encadrement des deux portes
de maksûra (XVIIe s.).
FlG. 99 (Dâr Bou Choucha). Colonne de pierre cantonnée (kbû) à chapiteau turc et abaque sculptée (XVIIe s.).
FlG. 100 (Dâr Ben Abd Allah). L'emploi du marbre de Carrare donne lieu à des formes décoratives nouvelles : en haut,
porte sur cour ; en bas, porte de maksûra (XVIIIe-XIXe s.).
FlG. 101 (Dâr Ben Abd Allah). Deux aspects d'une salle en T — bit bel-kbû û mkâser (XVIIIe-XIXe s.).
FlG. 102 (Dâr Chérif). Entre le XVIIIe et le XIXe siècle, la surcharge ornementale des pièces de réception entraîne une
limitation de plus en plus restreinte du marbre.

Communs
Fig. 103 (Dâr El-Bokri). La courette de la dwiriya domestique a l'élégance d'une petite maison bourgeoise, avec la
superposition portique-loggia à colonne médiane (XVIIIe s.).
Fig. 104 (Dâr Lasram). Ici, la dwïriya est proportionnée à l'importance du palais. La pierre nue en rehausse seule, avec le
dallage du sol, les portes et galerie. Des grilles de fer protègent toutes les ouvertures supérieures (XVIIIe s.).
l'habitation tunisoise 317

Fig. 105 (Dâr Sfar). Sur la courette de la dwirïya s'ouvre l'arche d'un porche affecté à la cuisine. A l'étage, les chambres
des servantes (XIXe s.).
Fig. 106 Puits et citerne constituent les éléments essentiels de toute habitation citadine. En haut, puits avec bassin de pierre
et rigole d'écoulement (Dâr Mellouli) (XVIIe s.) ; en bas, puits avec seau en bois et jarre de Djerba (Dâr Baïram
Sellami - XVIIIe s.).

Décor sculpté (marbre et calcaire)


Fig. 107 Décor sculpté à la base des piédroits, limité à la palmette hafside, double (en haut, Zaouïa Sidi Kasem El-Jâllizi -
XVe s.), ou simple (en bas, Dâr 'Othman : porte sur cour XVIe-XVIIe s.).
Fig. 108 (Dâr 'Othman). Une même innovation apparaît dans les arabesques florales d'inspiration persano-turque qui
ornent la driba (en haut) et l'entrée du palais (en bas) (XVIe-XVlIe s.).
Fig. 109 (Dâr Riahi). Détail d'assemblage de linteau en keddâl (en haut) et de décor de piédroit (en bas) (XVIIe s.).
Fig. 110 (Dâr Baïram Turki). Arabesque turquisante et cartouche baroque soulignent l'entrée de la chambre principale
(XVIIe s.).
Fig. Ill Portes sur rue (en haut) et sur cour (en bas) ornées, à leur base, de deux S couchés symétriques (XVIIe s.).
Fig. 1 12 (Dâr Daouletli). Portes sur cour : en haut, une simple arabesque orne le marbre de l'entrée des deux pièces
d'apparat ; en bas, les portes encadrées de pierre des chambres secondaires présentent des éléments turquisants sculptés
en biseau — rosace et palme (XVIIe s.).
Fig. 113 (Dâr El-Ayari). Les mêmes éléments décoratifs turquisants — rosace et palmes dentelées — se répètent dans le
cadre en calcaire de l'entrée extérieure (en haut) et d'une porte intérieure (en bas) (XVIIe s.).
Fig. 114 (Dâr Dennouni). Porte de chambre ornée de trois motifs turquisants répétés symétriquement de chaque côté
(XVIIe s.).
Fig. 115 (Impasse Ben Rejeb). Jambage d'entrée décoré de deux motifs floraux superposés auxquels s'ajoute la sculpture
archaïque d'un cyprès (XVIIe s.).
Fig. 116 Une même conception décorative apparaît dans l'encadrement en pierre de deux portes ; en haut, entrée du Dâr
Bel-Hassen ; en bas, porte, impasse Ben Salem (XVIIe s.).
Fig. 117 Motifs turquisants sculptés dans le marbre (en haut : Dâr Sayadi) et dans la pierre (en bas : Dâr Mazhoud)
(XVIIe s.).
Fig. 118 (Dâr Messa'oudi). Avec l'emploi des nouvelles portes arquées, au XVIIIe siècle, le décor sculpté dans les jambages
évolue. Aux motifs traditionnels turquisants se mêlent de nouveaux éléments italianisants.
Fig. 119 Un mélange décoratif d'influence turque et italienne s'affirme entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
Fig. 120 (Dâr Bel-Cadi). Une sculpture composite envahit le double encadrement — keddâl et harsh — des riches entrées
tunisoises au XIXe siècle.
Fig. 121 (Dâr 'Othman). Chapiteau de marbre hispano-maghrébin (XVIe-XVIIe siècle).
Fig. 122 (Dâr El-Mrabet). Chapiteaux de marbre hispano-maghrébins avec ornementation épigraphique et florale (XVIe-
XVIIe s.).
Fig. 123 (Dâr Mellouli). Dans la cour revêtue de calcaire, le chapiteau à volutes des colonnes répond au décor floral tur-
quisant des portes (XVIIe s.).
Fig. 124 (Dâr El-Mrabet). Le style hispano-mauresque prédomine avec les chapiteaux à méandres et abaques surmontés
d'impostes ornés de mosaïques polychromes (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 125 (Numidie). Chapiteaux byzantins du VIe siècle dont la forme semble préluder à celle du chapiteau hispano-
maghrébin.
Fig. 126 (Dâr El-Mrabet). Chapiteaux de type hispano-maghrébin à décor floral turquisant (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 127 Chapiteaux de type hafside sculptés, en haut, dans le marbre (Dâr Chahed), en bas, dans le calcaire (Dâr Balma)
(XVIIe).
Fig. 128 Chapiteau turc couronnant, en haut, les colonnettes d'une fenêtre géminée (Dâr El-Mrabet), en bas, la colonne
de calcaire d'un portique (Dâr El-Mrabet) (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 129 (Musée du Bardo). Evolution du chapiteau à volutes et du chapiteau à méandres et abaque, entre le XVIIe et
le XVIIIe siècle.
Fig. 130 (Dâr Daouletli). Chapiteaux historié et néo-dorique (XVIIe s.).
Fig. 131 Chapiteaux néo-corinthiens, en haut (Dâr Daouletli) et en bas (Dâr El-Mrabet) (XVIFe s.).
Fig. 132 Détail de pierre taillée et sculptée : en haut, boucle d'arc ; en bas, base de colonne (XVIIe-XVIIIe s.).
Fig. 133 (Dâr Baïram Turki). Détail d'assemblage et de moulures en keddâl (XVIIe s.).
Fig. 134 Détail de claustra cintrés à claveaux de pierre (XVIIe s.).
318 J. REVAULT

Fig. 135 (Rue des Andalous). Détail ornemental d'un linteau : vase entre deux bouquets symétriques turquisants (XVIIe s.).
FiG. 136 Décor turquisant surmontant un arc de décharge (Rue Saïda 'Ajoula) et rehaussant un linteau de pierre (rue des
Andalous) (XVIIIe s.).
Fig. 137 Détail ornemental de linteaux — motifs géométriques et floraux (en haut, Dâr Balma ; en bas Dâr Dennouni)
(XVIIIe s.).
Fig. 138 Unité de décor entre sculptures tombale et architecturale. En haut, cippe en marbre surmonté d'un turban ;
en bas, stèle taillée en arc (XVIIe s.).

Décor incrusté (pierre, marbre, plomb)


Fig. 139 (Mid'at as-Soltane). Emploi du marbre bicolore dans les claveaux des arcs et les incrustations décoratives
géométriques et florales (XVe s.).
Fig. 140 (Dâr 'Othman). Survivance du décor en marbre blanc et noir, aux XVIe et XVIIe s.
Fig. 141 Mausolées de Sidi Yousef (en haut) et d'Hamouda Pacha (en bas), revêtus de marbre bicolore (XVIIe s.).
Fig. 142 L'incrustation de plomb remplace rarement la sculpture ornementale dans l'encadrement d'une porte (XVIIe-
XVIIIe s.).
Fig. 143 Une sofra de marbre blanc et noir — cercle ou octogone avec boucles — marque parfois le seuil de la chambre
principale (en haut, Dâr El-Dziri ; en bas, Dâr Balma) (XVIIe et XVIIIe s.).
Fig. 144 (Cour de la Zaouïa de Sidi Kasem el-Jâllizi) sofra carrée à décor géométrique incrusté de marbre noir et blanc :
en haut, une composition de sept cercles marque le centre de la cour ; en bas, un carré entrelacé est placé à l'entrée
du patio.
Fig. 145 A la simplicité d'une citerne de maison modeste (Dâr Ternane) (XVIIe s.), s'oppose le luxe ornemental, sculpté
et incrusté de marbre d'un palais (Dâr Ben Abd-AUah) (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 146 (Le Bardo : Palais Khaznadar). Lambris de marbre de couleur incrusté à l'italienne (XIXe s.).

Ferronnerie
Fig. 147 (Dâr Lakhoua). Porte arquée à deux vantaux et portillon, couverts d'un riche cloutage ornemental et
prophylactique (XVIIIe s.).
Fig. 148 Le cloutage consolide et orne portes extérieures et intérieures : en haut, portillon sur rue (Dâr Sfar - XIXe s.) ;
en bas, porte de skifa sur cour (Dâr Dennouni - XVIIe s.).
Fig. 149 Détail de cloutage : (en haut) corolle (fanûz), triangles surmontés d'une croix (slib), arc (kûs) ; en bas, plaque
de fixation d'une balustrade en bois à la colonne d'une galerie haute (XVIIs s.).
Fig. 150 Surmontée d'une grille à volutes sous auvent, une porte du siècle dernier montre une profusion décorative
décadente — sculpture et cloutage.
Fig. 151 (Dâr Zaouche). Grille de fenêtre à réseau de fer plat à l'italienne (XIXe s.).
Fig. 152 Grilles italianisantes en fer plat (à gauche, étage du Bardo), et fer rond et plat (à droite, Dâr Ben Abd-Allah)
(XIXe siècle).
Fig. 153 (Dâr Ben Ayed) Par les fenêtres à grilles arrondies en fer plat, entourant une rokba, le regard plonge sur une ruelle
voûtée (XIXe s.).
Fig. 154 Le mouton de l'Aïd el-Kebir.

Planches en couleur
Couverture : (Jama' Jdid). Porte cloutée encadrée de pierre sculptée et appareillée (XVIIIe siècle).
Frontispice : (Dâr Djellouli). Grande porte cochère s'ouvrant dans un arc brisé outrepassé avec encadrement de pierre richement
sculpté à la base des piédroits (XVIIIe-XIXe s.).
En face de la page 206: (Dâr el-Bey). Cour de style mouradite où dominent le calcaire et le grès coquillier sculptés et inscrustés
(XVIIe s.).
En face de la page 242 : (Jellâz). Pierre tombale — blanchie à la chaux — ornée de motifs turquisants (XVIIe-XVIlIe s.)-
En face de la page 303 : (Dâr El-Hadad). Fenêtre avec grille à volutes (XVIIIe s.).
PLANCHES
ERRATA

fig. 4. — Jama'El-Qsar... minaret carré, édifié au XVIIe s. (au lieu de XVIIIe s.),
fig. 125. — VIe s. (au lieu de XIe s).
Fig. 1 - Les minarets de la Grande Mosquée et de Sidi Ben 'Arous dominent la médina. Leur plus belle parure est en
calcaire et grès coquillier.
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Fig. 2. - «La Porte Neuve» (Bâb Jdid) - XIIIe siècle.
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Fig. 3. - «La Porte du Fanal» (Bâb Menâra) - XIIIe siècle - Façade en grès coquillier rehaussé de calcaire.
Fig. 4. - Jamâ' El-Qsar : au-dessus des arcades à ressaut du
siècle, le minaret carré, édifié au XVIIie siècle, a été revêtu
de marbre et de pierre de couleur. En bas, Jamâ' Sidi Yousef
(XVIIe s.), mosquée funéraire parée de marbre et de pierre
de taille.
Fig. 5. - (Rue Sidi Kassem) Ruelle confortée par dos arcs
de redressement et des ancres de bois.
Fig. 6. - (Impasse ou driba) Murs à defoncements latéraux portant une voûte d'arêtes en briques sur champ.
Fig.Jdid).
Jamâ' 7. - (Rue des Teinturiers) Voûte d'arêtes sur doubleaux, faite de briques sur champ (contre la façade de
Fig. 8. — En haut, berceau en briques sur champ; en bas, voûte d'arêtes en briques à plat.
it-

Fig. 9. — (En haut) angle mural (shûkaj (rabattu); (en bas)


mode de construction d'un mur partie inférieure en moellons;
partie supérieure en matériaux légers - rangées de briques
:

et tuyaux de poterie alternées.


Fig. 10. - Tailleur de pierre.
Fig. 11. - (Palais du Dey 'Othman) Façade extérieure: porte encadrée de marbre blanc et noir de l'Ichkeul sous arc
brisé outrepassé (XVie-XVIie s.).
Fig. 12. - (Palais de Romdane bey) Porte monumentale en pierre de taille donnant sur driba privée (XVIIe s.).
Fig. 13. - En haut, porte du Dâr El-Hedri, en keddàl
et harsh (rue du Trésor); en bas, partie supérieure de la porte
du Dâr Rassâ'a (rue Sidi Zahmoul) (XVie-XVIIe s.).
Fig. 14. - Porte cloutée à double encadrement de pierre
calcaire et grès coquillier (rue de l'Obscurité) (XVie-XVIle s.).
:
Fig. 15. - En haut, porte cloutée (fond jaune) sous arc
de décharge, éclairée par l'ouverture d'une rokba (rue de la
Kasbah - XVIIe s.); en bas, porte à linteau droit entre deux
colonnes à chapiteau turc (XVIIe-XVIIIe s.).
Fig. 16. - (Mosquée funéraire d'Hamouda Pacha) Porte
à linteau droit sous arc de décharge reposant sur deux
colonnes de calcaire à chapiteau hafside (XVIle s.).
Fig. 17. - (Dâr Mellouli) Porte à double encadrement
de pierre avec arc de décharge (XVIIe s.).
Fig. 18. - (Dâr El-Hadi Chahed) Porte s'ouvrant dans un
double cadre de pierre orné, au sommet, d'un petit mihrâb
creusé dans le tympan de l'arc (XVIIe s.).

„ (
Fig. 19. - Deux portes de même style, rue du Bon Secours
et rue des Teinturiers (XVIle s.).
Fig. 20. - Portes à arc bombé (cave et makhzen)
donnant sous les voûtes d'un sàbât, rue En-Nayyar (XVIIe s.).
Fig. 21. - Portes du makhzen à arc bombé en calcaire
(rue de l'Obscurité et rue El-Kahia) (XVIle s.).
Fig. 22. - Détail de porte de communs. En haut, arc en calcaire sous ecoinçon et bandeau en grès coquillier; en bas,
piédroit sur semelle et seuil en keddal (XVIe-XVIIe s.).
Fig. 23. - (Fondouk des Français) Porte cloutée en pointes de diamant, ouvrant dans un arc brisé outrepassé, appuyé sur
des montants à colonnettes avec chapiteau à méandres (XVIie s.)-
Fig.24. - Porte cochère à arc brisé -keddal ou harsh- ouvrant dans un defoncement en arcature (rue du Riche) (XVIIIe s.).
Fig. 25. - (Dâr Lakhoua, rue des Andalous) Portes
cloutées et arquées; en bas, cadre de calcaire nu (XVIle s.);
en haut, richesse de l'ornementation cloutée et sculptée
(XVIIie-XIXe s.).
Fig. 26. - (Dâr Baïram Sellami, rue du Divan) Porte cloutée et arquée, éclairée par l'intervalle des voûtes d'un râèâ{(XVIIle-XIXes).
Fig. 27. - Portes de riches demeures, rue Dâr Jeld
(à gauche) et rue des Andalous (à droite) (XVIIie-XIXe s.).
Fig. 28. - Portes: sobrement ornée (à gauche) Dâr Ben
Achour, rue du Pacha; richement cloutée et sculptée,
(à droite) Dâr Lakhoua, rue Sidi Ben 'Arous (XVIIle-
XlXe s.).
Fig. 29. - Entrée de deux palais du XVIIle-XIXe
siècle en haut, portail clouté sous arc cintré et large
imposte (Dâr Ben Abdallah); en bas, porte à deux vantaux
:

sculptés à l'italienne (Dâr Bach-Hamba)..


Fig. 30. - (Dâr Djellouli, rue Sidi Et-Tinji) Porte encadrée
de pierre sculptée de motifs turquisants et italianisants
(XVIIle-XIXe s.).
Fig. 31. - En haut, portail sans cloutage ni sculpture
(rue du Riche); en bas, ornementation exhuberante,
cloutée et sculptée (rue Sidi Bou Khrissan) (XIXe s.).
r

Fig. 32. - (Dâr Ben Diaf) Portail clouté à double encadrement de keddâl et harsh (XIXe s.).
Fig. 33. - (Dâr Ben Salem, rue de La Hafsia) Mélange
d'ornementation turquisante et italianisante.
Fig. 34. - Portes de drîba dépourvues de décor.
Fig.
sculptées
(rue
Sidi Ben
Sidi35.
'Arous
Maouïa);
à l'italienne;
- (XIXe
Portes
en s.).
encadrées
bas,
en porte
haut, deduentrée
marbre,
Dâr El-Mrabet
du Dâr
cintrées
Chérif
rueet
Fig. 36. — (Rue de l'Obscurité) sâbâî à voûtes basses sur doubleaux et colonnes de pierre à chapiteau épannelé.
Fig. 37. - (Rue Ben Nejma) sâbât couvert en voûtes
d'arêtes sur une double rangée de colonnes de calcaire.
Fig. 38. - (Impasse el-Qasas) Voûtes d'arêtes en briques
sur champ reposant sur colonnes et consoles de pierre.
Fig. 39. - Support d'arc et de voûtes: en haut, colonne adossée à chapiteau turc; en bas, colonnes à chapiteau hafside
réunies par un arc surbaissé.
Fig. 40. - (Place El-Ouez, Dâr Ben Abd-Allah) Colonne cantonnée avec chapiteau à méandres.
Fig. 41. - (Rue Jama' Ghorbal) Colonnes de calcaire
à l'entrée d'un sâbât et à l'angle d'un mur.
Fig. 42. - Colonne d'angle mural à chapiteau turc:
en haut, rue du Trésor (Dâr El-Hedri); en bas, rue Souk
el-Ouzar.
Fig. 43. — (Rue Torbet el-Bey) Colonnes cantonnées:
(à gauche) colonne antique de remploi (Dâr Ben Romdane);
à droite, colonne à chapiteau hafside (Dâr Galigou).
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Fig. 44. - (Kasbah) Triple console en forme de disque sous abaque et retombée d'arc (époque hafside).
Fig. 45. - (Rue du Divan) Colonne à chapiteau hafside et consoles de pierre.
w boisFig.
et pierre
46. - (en
Encorbellements
haut). sur consoles de bois (en bas),
Fig. 47. - Consoles de pierre: (en haut) sous arcade (Dâr El-Ayari); (en bas), sous petit encorbellement (rue Torbet El-Bey).
Fig. 48. — Consoles de pierre à double corps superposé :
(en haut) à têtes arrondies (Dâr Bel-Hassen); (en bas) à têtes
sinueuses (Dâr Bach-Hamba).
\\

Fig. 49. — (Dâr Lasram) Encorbellement supporté par


une rangée de six consoles de pierre à trois corps.
Fig. 50. - (Rue Musmar el-Qasa 'a) Long encorbellement sur doubles consoles-pierre et bois.
Ent* TOÛ'ée I*™
Fig. 52. - En haut: driba du Dâr Othman à colonnes
et parements de marbre bicolore (XVie-XVIie s.); en bas,
skïfa du Dâr El-Mrabet avec dukhàna et colonnes de pierre
(XVie-XVIie s.).
Fig. 53. - driba du Dâr 'Othman: niches à fond plat
encadrées de marbre de l'Ichkeul (XVie-XVIie s.).
Fig. 54. - (Mausolée de Sidi Kassem el-Jâllizi) Identité
de style et de matériaux entre ce monument du XVe siècle
et le palais turc du Dey 'Othman.
Fig. 55. — En haut: driba et skifa du Dâr Romdane
Bey à parements de calcaire (XVIle s.); en bas, driba
et skifa du Dâr Ben Abd-Allah dallées de calcaire local et de
marbre italien (XVIIfe-XIXe s.).
Fig. 56. - (Dâr Ben Abd-Allah) Couverte en berceau
et voûte d'arêtes, la driba présente un style décoratif
composite andalou, turquisant et italianisant.

:
Fig. 57. - (Dâr Romdane Bey) Ancienne driba couverte
en voûtes d'arêtes sur colonnes de pierre.
Fig. 58. - (Dâr Dziri) driba et skifa en chicane avec
banquette de pierre.
Fig. 59. - (Le Bardo) Entrée d'honneur et salle attenante couvertes en voûtes d'arêtes (actuellement Musée
d'Archéologie punique et romaine).
Fig. 60. - (A gauche) escalier en pierre à deux volées
(Dâr El-Hedri) XVie-XVIle s.); (à droite) escalier de marbre
à plusieurs volées tournant à angle droit (Dâr Ben Ayed -
XIXe s.).
Fig. 61. - (Dâr Bou Zaiane) Cour sans portique, au dallage rehaussé de «sofra» géométriques et aux murs ornés
d'arcatures à fond plat (XVIe s.).
t fi+ . 1 '*%%'' ."1*4* s.

Fig. 62. - (Dâr Bou Zaiane) L'absence de loggia est


compensée par d'élégantes fenêtres géminées.
Fig. 63. - (Dâr Mazhoud) Aux façades intérieures
agrémentées de niches arquées à fond plat s'ajoute ici une
galerie haute formant loggia (XVIle s.).
Fig. 64. - De larges arcatures flanquent la porte droite
d'une chambre surmontée du claustrum traditionnel cintré
(en haut) cour du Dâr Romdane bey; en bas, cour du Dâr
Dennouni) (XVIie s.).

:
(en Fig.
bas) 65.
détail- d'un
(En haut)
dallage détail
de courdeà disposition
dukkana avecangulaire
fenêtre(Dâr
barreaudée
Mhaoud) (XVIIe).
et niche de puits sculptée (Dâr Romdane bey);
Fig. 66. - (Dâr Ben Mahmoud) En haut: corniche de tuiles vernissées encadrant l'ouverture de la cour; en bas, dallage
en keddal de la cour divisé en six compartiments symétriques; au milieu, jardinet carré (XVIIe s.).
Fig. 67. - Cours avec portique à trois arcs (sans loggia)
reposant, en haut (Dâr Bou Ghazli), sur des colonnes de
marbre à chapiteau hafside, en bas (Dâr Temimi), sur des
colonnes de calcaire à chapiteau hispano-maghrébin (XVIIe s.).
Fig. 68. - (Dar Balma) Cour à un seul portique -à trois
arcs- et deux loggias opposées. Des niches à fond plat se
répètent sur les murs latéraux (XVIie s.).
Fig. 69. - Cour à péristyle (disparue), rue du Divan (XVie-XVIie s.)
Fig. 70. - (Dâr El-Hedri) Cour à trois portiques et une
façade de pierre appareillée avec galerie haute circulaire
(XVie-XVIle s.).
Fig. 71. - (Dâr El-Hedri) Détail d'une niche
rectangulaire et d'arcs inégaux avec boucles émaillées sur chapiteaux
turcs.
Fig. 72. - (Dâr El-Hedri) Angle de la cour avec ses deux galeries superposées.
Fig. 73. - (Dâr El-Hedri) Détail d'arcs: au centre, devant l'entrée de la chambre principale; dans les angles où les arcs
de la galerie sont contrebutes par deux arcs de redressement.
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Fig. 74. - (Dâr El-Hedri) Détail de l'arc principal sous galerie supérieure et du claustnim opposé éclairant l'escalier.
Fig. 75. - (Dâr El-Hedri) Détail d'assemblage des claveaux
d'arc et du chapiteau avec abaque.
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Fig. 76. - (Dâr El-Hedri) Dallage en keddal de la cour avec sofra centrale bicolore.
Fig. 77. - (Dâr 'Othman) Cour avec deux galeries extrêmes
à cinq arcs brisés outrepassés retombant sur des colonnes de
marbre à chapiteau hispano-maghrébin (XVie-XVIie s.).
Fig. 78. - (Dâr Daouletli) Rehaussée ici de plâtre sculpté,
la pierre conserve un rôle important : dallage du sol,
colonnes à chapiteau hafside et hispano-maghrébin, encadrement
de portes et fenêtres (XVIIe s.).
Fig. 79. - (Dâr Daouletli) Détail de galerie et de porte
à arc surhaussé d'inspiration andalouse.
Fig. 80. - (Dâr Daouletli) Galerie supérieure circulaire avec piliers d'angle et colonnes à chapiteau turc.
Fig. 81. - (Dâr Daouletli) Galerie haute: détail d'un
pilier d'angle flanqué de deux colonnes adossées à
chapiteau turc.
Fig. 82. - (Dâr Romdane bey) Le calcaire demeure
l'élément noble recherché pour embellir sol, murs et
colonnades (XVIie s.).
Fig. 83. - En haut groupe de trois colonnes à chapiteau
hafside - angle de galerie haute du Dâr El-Haddad - XVie-
:

XVIle s. (décor floral tardif); en bas, rencontre d'une arcature


à fond plat et de l'arc d'un portique (Dâr Baïram Turki -
XVIle s.).
et lesFig.larges
84. arcatures
- Un même murales
emploi
du Dâr
du Baïram
keddâl Turki
apparaît(en dans
bas) les
(XVIIe
étroites
s.). niches à fond plat du Dâr Khojt el-KhiJ (en haut)
V

Fig. 85. - Apportée de l'Espagne Musulmane, la fenêtre géminée éclaire les chambres hautes sur la cour intérieure
ou forme, comme les niches à fond plat, un heureux thème décoratif (Dâr Dennouni et Dâr El-Mrabet - XVIe-XVIIe s.).
Fig. 86. - Fenêtres géminées (vue intérieure).
Fig. 87. - Citerne et puits; en haut, dans une niche de pierre (Dâr El-Hedri); en bas, dans une margelle de marbre avec
aire d'épandage (Dâr Bou-Ghazli) (XVIe-XVIie s.).
Fig. 88. — Deux signes d'ancienneté 1. emploi généralisé
du calcaire appareillé et absence de fenêtres (en haut, Dâr
:

Baïram Turki) 2. présence du puits dans la cour avec margelle


surélevée (maison, rue du Bon Secours).
Fig. 89. - (Dâr el-Bey) Décor du patio de l'étage dans le style mouradite (XVIIIe s.).
Fig. 90. - (Dâr el-Bey) Disposition traditionnelle de deux portiques séparés par des arcatures latérales.
Fig. 91. - (Dâr Ben- Abdallah) Le marbre d'Italie remplace ici le calcaire et le marbre locaux. En haut, patio supérieur
du dar al-dyaf; en bas, cour à péristyle ornée d'une fontaine centrale (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 92. - (Dâr Ben Abdallah) Détail du portique
inférieur et de la galerie haute.
Fig. 93. - (Dâr 'Othman) Chambre en T en haut, alcôve
extrême (lit) encadrée de marbre bicolore; en bas, alcôve
:

médiane (kbù ou salon) (XVie-XVIie s.).


V- c ,1

Fig. 94. - En haut, ouverture de kbû en marbre bicolore


(Dâr Kastalli); en bas, double arcature en marbre blanc
et noir de la salle d'apparat (Dâr El-Mrabet) (XVIie s.)-
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1

BouFig.
Zaïane
95. (XVie-XVIie
- En haut: deux
s.). arcs opposés -kbû et entrée- de la salle d'apparat (Dâr tl-Mrabet); en bas, arc de kbù (Dâr
'


Fig. 96 . — (Dâr El-Mrabet) Le marbre bicolore
s'ac ompagne ici d'un grand luxe décoratif - céramique, stuc, boiserie
dorée et peinte.
I

haut,Fig.
(Dâr
turc (Dâr
Romdane
colonne
97.El-Mrabet).
- Bey);
Colonnes
de calcaire
en bas,
d'angle,
àcolonne
chapiteau
à l'entrée
de marbre
hispano-maghrébin
d'unà chapiteau
kbù en
:
Fig. 98. - (Dâr Romdane bey) L'usage du keddâl
s'étend largement de l'angle du kbù à l'encadrement des
deux portes de maksùra (XVIle s.).
Fig. 99. - (Dâr Bou Choucha) Colonne de pierre
cantonnée (kbù) à chapiteau turc et abaque sculptée (XVIle s.).
Fig. 100. - (Dâr Ben Abd Allah) L'emploi du marbre
de Carrare donne lieu à des formes décoratives nouvelles
en haut, porte sur cour; en bas, porte de maksùra (XVIIle-

:
XlXe s.).
Fig. 101. - (Dâr Ben Abd Allah) Deux aspects d'une
salle en T - bit bel-kbù ù mkàser (XVIIIe-XIXe s.).
Fig. 102. - (Dâr Chérif) Entre le XVIIie et le XIXe
siècle, la surcharge ornementale des pièces de réception
entraîne une limitation de plus en plus restreinte du marbre.
IK.

Fig. 103. - (Dâr El-Bokri) La courette de la dwiriya domestique a l'élégance d'une petite maison bourgeoise, avec la
superposition portique-loggia à colonne médiane (XVIIie s.).
Fig. 104. — (Dâr Lasram) Ici, l& dwiriya est proportionnée
à l'importance du palais. La pierre nue en rehausse seule,
avec le dallage du sol, les portes et galerie. Des grilles de fer
protègent toutes les ouvertures supérieures (X Ville s.).
Fig. 105. - (Dâr Sfar) Sur la courette de la dwiriya
s'ouvre l'arche d'un porche affecté à la cuisine. A l'étage,
les chambres des servantes (XIXe s.).
V *

Fig. 106. - Puits et citerne constituent les éléments


essentiels de toute habitation citadine. En haut, puits avec
bassin de pierre et rigole d'écoulement (Dâr Mellouli) (XVIie
s.); en bas, puits avec seau en bois et jarre de Djerba (Dâr
Baïram Sellami) (XVIIle s.).
Fig. 107. - Décor sculpté à la base des piédroits, limité à la palmette hafside, double (en haut, Zaouïa Sidi Kassem El-
Jâllizi) (XVe s.), ou simple (en bas, Dâr 'Othman porte sur cour - XVIe-XVIIe s.).
:
Fig. 108. - (Dâr 'Othman) Une même innovation apparaît dans les arabesques florales d'inspiration persano-turque qui
ornent la driba (en haut) et l'entrée du palais (en bas) (XVie-XVIle s.).
Fig. 109. - (Dâr Riahi) Détail d'assemblage de linteau en keddàl (en haut) et de décor de piédroit (en bas) (XVIIe s.).
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Fig. 110. - (Dâr Baïram Turki) Arabesque turquisante et cartouche baroque soulignent l'entrée de la chambre
principale (XVIie s.).
Fig. 111. - Portes sur rue (en haut) et sur cour (en bas) ornées, à leur base, de deux S couchés symétriques (XVIIe s.).
Fig. 112. - (Dâr Daouletli) Portes sur cour en haut, une simple arabesque orne le marbre de l'entrée des deux pièces
d'apparat; en bas, les portes encadrées de pierre des chambres secondaires présentent des éléments turquisants sculptés
:

en biseau - rosace et palme (XVIle s.).


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Fig. 113. - (Dâr El-Ayari) Les mêmes éléments décoratifs turquisants -rosaces et palmes dentelées- se répètent
dans le cadre en calcaire de l'entrée extérieure (en haut) et d'une porte intérieure (en bas) (XVIle s.).
Fig. 114. - (Dâr Dennouni) Porte de chambre ornée de trois motifs turquisants répétés symétriquement de chaque côté
(XVIIe s.).
Fig. 115. - (Impasse Ben Rejeb) Jambage d'entrée décoré de deux motifs floraux superposés auxquels s'ajoute
la sculpture archaïque d'un cyprès (XVIIe s.).
Fig. 116. - Une même conception décorative apparaît dans l'encadrement en pierre de deux portes; en haut, entrée
du Dâr Bel-Hassen; en bas, porte, impasse Ben Salem (XVIIe s.).
Fig. 117. - Motifs turquisants sculptés dans le marbre (en haut: Dâr Sayadi) et dans la pierre (en bas: Dâr Mazhoud)
(XVIIe s.).
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Fig. 118. - (Dâr Messa'oudi) Avec l'emploi des nouvelles portes arquées, au XVIIIe siècle, le décor sculpté dans les
jambages évolue. Aux motifs traditionnels turquisants se mêlent de nouveaux éléments italianisants.
Fig. 119. - Un mélange décoratif d'influence turque et italienne s'affirme entre le XVIIIe et le XIXe siècle.
Fig. 120. - (Dâr Bel-Cadi) Une sculpture composite
envahit le double encadrement -keddàl et harsti- des riches
entrées tunisoises au XIXe siècle.
Fig. 121. - (Dâr 'Othman) Chapiteau de marbre hispano-maghrébin (XVIe-XVIIe siècle).
Fig. 122. - (Dâr El-Mrabet) Chapiteaux de marbre
hispano-maghrébins avec ornementation épigraphique et
florale (XVie-XVIle s.).
Fig. 123. - (Dâr Mellouli) Dans la cour revêtue de
calcaire, le chapiteau à volutes des colonnes répond au
décor floral turquisant des portes (XVIie s.)-
Fig. 124. - (Dâr El-Mrabet) Le style hispano-mauresque
prédomine avec les chapiteaux à méandres et abaques
surmontés d'impostes ornés de mosaïques polychromes (XVie-
XVIie s.).
Fig. 125. - (Numidie) Chapiteaux byzantins du XIe siècle dont la forme semble préluder à celle du chapiteau
hispano-maghrébin.
Fig. 126. - (Dâr El-Mrabet) Chapiteaux de type hispano-maghrébin à décor floral turquisant (XVIe-XVIIe s.).
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Fig. 127. - Chapiteaux de type hafside sculptés, en haut,


dans le marbre (Dâr Chahed), en bas, dans le calcaire (Dâr
Balma) (XVIie).
Fig. 128. - Chapiteau turc couronnant, en haut,
les colonnettes d'une fenêtre géminée (Dâr El-Mrabet),
en bas, la colonne de calcaire d'un portique (Dâr El-
Mrabet) (XVie-XVIle s.).
Fig. 129. - (Musée du Bardo) Evolution du chapiteau à volutes et du chapiteau à méandres et abaque, entre le
XVIie et le XVIIie siècle.
Fig. 130. - (Dâr Daouletli) Chapiteaux historié et
néodorique (XVIie s.).
Fig. 131. - Chapiteaux néo-corinthiens, en haut (Dâr
Daouletli) et en bas (Dâr El-Mrabet) (XVIle s.).

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Fig. d'arc;
boucle 132. -enDétail
bas, debasepierre
de taillée
colonneet (XVIle-XVIIle
sculptée: en haut,
s.).

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Fig. 133. - (Dâr Baïram Turki) Détail d'assemblage
et de moulures en keddâl (XVIle s.)-
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Fig. 134. - Détail de claustra cintrés à claveaux de pierre (XVIIe s.).


Fig. 135. - (Rue des Andalous) Détail ornemental
d'un linteau : vase entre deux bouquets symétriques turqui-
sants (XVIle s.).
Fig. 136. - Décor turquisant surmontant un arc de décharge (Rue Saïda 'Ajoula) et rehaussant un linteau de pierre
(rue des Andalous) (XVIIie s.).
(XVIIie
Fig. 137.
s.). - Détail ornemental de linteaux - motifs géométriques et floraux (en haut, Dâr Balma; en bas, Dâr Dennouni)
Fig. 138. - Unité de décor entre sculptures tombale
et architecturale. En haut, cippe en marbre surmonté
d'un turban; en bas, stèle taillée en arc (XVIIe s.).
Fig. 139. - (Mid'at as-Soltâne) Emploi du marbre
bicolore dans les claveaux des arcs et les incrustations décoratives
géométriques et florales (XVe s.).
Fig. 140. - (Dâr 'Othman) Survivance du décor en marbre blanc et noir, aux XVIe et XVIIe s.).
Fig. 141. - Mausolées de Sidi Yousef (en haut) et d'Ha-
mouda Pacha (en bas), revêtus de marbre bicolore (XVIle s.).
Fig. 142. - L'incrustation de plomb remplace rarement la sculpture ornementale dans l'encadrement d'une porte
XVIIie s.).
Fig. 143. - Une sofra de marbre blanc et noir
-cercle ou octogone avec boucles- marque parfois
le seuil de la chambre principale (en haut, Dâr El-
Dziri; en bas, Dâr Balma) (XVIle et XVIIie s.).
Fig. 144. - (Cour de la Zaouïa de Sidi Kassem el-Jâllizi) sofra carrée à décor géométrique incrusté de marbre noir
et blanc en haut, une composition de sept cercles marque le centre de la cour; en bas, un carré entrelacé est placé
à l'entrée du patio.
:
Fig. 145. - A la simplicité d'une citerne de maison modeste
(Dâr Ternane) (XVIIe s.) s'oppose le luxe ornemental, sculpté
et incrusté de marbre d'un palais (Dâr Ben Abd-Allah) (XVIIle -
XIXe s.).
fl

Fig. 146. - (Le Bardo: Palais Khaznadar) Lambris de marbre de couleur incrusté à l'italienne (XIXe s.).
Fig. 147. - (Dâr Lakhoua) Porte arquée à deux vantaux et portillon, couverts d'un riche cloutage ornemental et
prophylactique (XVIIie s.).
Fig. 148. - Le cloutage consolide et orne portes
extérieures et intérieures : en haut, portillon sur rue (Dâr Sfar -
XIXe s.); en bas, porte de skifa sur cour (Dâr Dennouni -
XVIle s.).
Fig. 149. - Détail de cloutage: (en haut) corolle (fanûz), triangles surmontés d'une croix (slîb), arc (kûs); en bas,
plaque de fixation d'une balustrade en bois à la colonne d'une galerie haute (XVIIe s.).
Fig. 150. - Surmontée d'une grille à volutes sous auvent,
une porte du siècle dernier montre une profusion décorative
décadente -sculpture et cloutage.
Fig. 151. - (Dâr Zaouche) Grille de fenêtre à réseau de fer plat à l'italienne (XIXe s.).
Fig. 152. - Grilles italianisantes en fer plat (à gauche,
étage du Bardo), et fer rond et plat (à droite, Dâr Ben-Abd-
Allah) (XIXe siècle).
Fig. 153. - (Dâr Ben Ayed) Par les fenêtres à grilles arrondies en fer plat, entourant une rokba, le regard plonge sur une
ruelle voûtée (XIXe s.).
Fig. 154. - Le mouton de l'Aïd el-Kebir.

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