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complique tant de point de vue theorique que pratique, de faire une difference entre
les villes et d'autres agglom6rations, qui elles n'etaient pas des villes. Les historiens
ont affaire ä ce probleme dans toutes les periodes. Celui qui etudie rurbanisation du
monde antique rencontre une difficulte supplenientaire liee au fait que dans l'antiquite,
la ville constituait une unite de deux faeteurs: le centre urbain ainsi que le territoire
qui en dependait. La definition de la ville antique doit tenir eonipte de ce phenoniene.
Le plus sür sera ici de sa baser sur les notions romaines et notamment sur la question
de Tinddpendanoe d'une agglomeration donnee par rapport ä une autre ville.^ Nous
pouvons donc definir la ville dans cette perspective eomme une agglomeration inde-
pendante par rapport ä un autre centre. La manifestation exterieure de cette inde-
pendance 6tait le bomage des territoires. Cette delimitation des territoires des villes
etait visible grace aux bomes-limites.ß
La densite des villes en Afrique romaine a fait que leurs territoires devaient etre
d'une superficie limitee. Les differentes villes se trouvaient tr^s pres l'une de l'autre.
C'est ainsi que dans les environs de Thugga, il y avait 10 villes dans un rayon de
10 kilometres et 14 villes dans un rayon de 14 kilometres.7 L'Afrique constituait un
exemple extreme pour ce qui est de la densite du reseau urbain. La chose se presente
diff6remment en Gaule oü il existait 60 ou 64 villes (civitates) avec un territoire im-
mense.8 Toutefois des recherches r6centes d^montre que sur le territoire de beaucöup
de ces civitates, il existait egalement certains centres auxiliaires remplissant la fonction
de villes.9
Le grand nombre de villes africaines de petite superficie entraine des consequences
6conomiques et sociales importantes pour la vie de ce pays. Les differences entre les
centres et les periph6ries dans les limites des territoires des civitates n'etaient pas
aussi fortement esquissöes que dans les autres regions de l'Empire.io Une partie
notable de la population qui vivait de l'agriculture et qui meme travaillait directement
la terre pouvait habiter dans les villes. La population non citadine avait, par la force
des choses, un acces plus facile qu'ailleurs ä la civilisation urbaine. Ce d6veloppement
des villes explique peut-etre la romanisation rapide de l'Afrique. Nous ne devrions pas
5 Ce point du vue est caracteristique pour les agrimensores romains. Cf. Frontini Liber
II, de controversiis agrorum, dans: Die Schriften der römischen Feldmesser herausgegeben
und erläutert von F. Blume-K. Lachmann-A. Rudorff, Berlin 1848, t. I, 53: "Inter res
p. et privates non facile tales in Italia controversiae moventur, sed frequenter in provinciis,
praecipue in Africa, ubi saltus non minores habent privati quam res p. territoria."
® Cf. J. Kol endo, Temoignages epigraphiques de deux Operations de bornage de terri-
toires en Mösie Inferieure et en Thrace, dans: Archeologia 26 [1975 (1976)], 8 3 - 9 4 .
' Ch.-Picard 48 et 369 note 9. Dans les environs de Mactar il y avait 7 villes dans un
rayon de 13 kilometres. C. Picard, Comptes rendus de l'Academie des Inscriptions, 1963,
129. Cf. L. Maurin-J. Peyras, Uzalitana: La region de l'Ansarine dans l'Antiquite, dans:
Les Cahiers de Tunisie 19 [1971], 22.
8 C. Jullian, Histoire de la Gaule, Paris, t. IV (1924), 6 7 - 8 1 , t. V (1920), 3 3 - 4 9 ; J. J.
Hatt, Histoire de la Gaule romaine, Paris 1959, 8 9 - 9 2 .
^ G. Charles-Picard, Observations sur la condition des populations rurales dans l'Empire
Romain, en Gaule et en Afrique, dans: Aufstieg und Niedergang der römischen Welt III,
3, Berlin-New York 1975, 103-109 et la litterature qui y est citee.
Picard Observations I I I . Cf. I. Thebert, La romanisation d'xme cite indigene d'Afri-
que, dans: Melanges de l'Ecole Fran?aise de Rome, Ahtiquite 85 [1973], 252 sq.; R. P.
Dvuican-Jones, City Population in Roman Africa, dans: Journal of Roman Studies 53
[1963], 86 sq.
toutefois Dublier qu'il existait des contrastes importants entre les territoires urbains
et les regions non urbainisees.
L'envergure des villes africaines faisait en sorte que toute une serie de phenomenes.
prenait ici des dimensions totalement differentes des autres r6gions de l'Enipire. Tout
naturellement, une partie beaucoup plus importante de la population pouvait se
trouver engagee dans la gestion des affaires municipales. C'est en Afrique les comices
populaires ont survecu le plus longtemps. Au IV® si^le encore, dans de nombreuses
villes africaines le peuple etait consulte pour le choix des magistrats.'i L'aristocratie
niunicipale qui dirigeait les affaires des villes constituait, en r^alite, notamment dans
les petites villes, un groupe social different de ceux que l'on rencontrait ailleurs. Cette
aristocratie etait tout simplement plus nombreuse.
Un röle essentiel dans la formation de la sp^cificite du developpement urbain de
l'Afrique fut jou6 par le fait que les grands domaines de ce pays, appartenant ä
l'aristocratie s6natoriale et k l'Empereur, se trouvaient k l'ext^rieur des territoires
urbains. Ces saütts 6taient enti^rement exterritoriaux. II convient d'attirer l'attention
Sur le fait que meme dans la r^gion de Thugga, oü la density des villes 6tait grande, 11
y avait 6galement plusieurs grands domaines appartenent d'abord aux membres de
l'aristocratie s6natoriale puls k partir de la moiti6 du I" s. de n. h., k l ' E m p e r e u r . 12
Dans d'autres provinces, les grands domaines se trouvaient souvent k l'int^rieur des
territoires des cites.
Un autre trait caracteristique de la stnicture urbaine de l'Afrique est le fait que les
regions moins d6velopp6es, dont la population menait un mode de vie traditionnel, se
trouvaient 6galement en dehors des territoires des cit6s. A c6t6 des villes ainsi que des
domaines exterritoriaux imp6riaux et s^natoriaux, les territoires des diverses tribus —
gentes — occupaient une grande place dans la stnicture de l'Afrique.C'est ici qüe se
trouvait confin^ une partie de la population indig^ne. D'ailleurs, la majorit^ de ces
territoires s'urbanise et se romanise graduellement. Un ph^nomöne sembleble d'6mer-
gence de certaines formes d'organisation quasi-municipales est 6galement visible dans
les saltus exterritoriaux. Ces faits peuvent t6moigner de la grande attraction des
formes d'organisation de la civilisation urbaine.
Le tableau des villes africaines esquiss6 ici se rapporte avant tout aux territoires de
l'Afrique proconsulaire et notamment k ses parties les plus d6velopp6es (la vallee du
Bagradas et de l'Oued Miliana ainsi qu'une partie du Teil Septentrional). Le r6seau
moins dense des villes sur les territoires m6ridionaux de l'Afrique s'explique dans une
certain mesure par les conditions naturelles.
La grand nombre de villes en Afrique et dans la Proconsulaire notamment, est
avant tout l'höritage de la p6riode pr6romaine. Un type d'habitat agglom6r6 dominait
f Gascou 5 4 - 5 9 .
J . Kolendo, Kolonat w Afryce rzymskiej w I—II wieku i jego geneza (Le colonat en
Afrique romaine au et I I « s. et sa genese), Varsovie 1962, 21—28; idem, Le colonat en
Afrique romaine, Paris 1976, 1 0 - 1 3 .
13 J . Burian, Die einheimische Bevölkerung Nordafrikas von den panischen ICriegen bis
zum Ausgang des Principats, dans: F . Altheim-R. Stiehl, Die Araber in der alten Welt I ,
Berlin 1964, 4 8 4 - 4 9 5 , 5 3 4 - 5 3 7 (liste des inscriptions); Kolendo Kolonat 5 7 - 6 2 ; S. Lancel,
Suburbures et Nicibes: Une inscription de Tigisis, dans: Libyca 1955, 2 8 9 - 2 9 8 ; A. Berthier,
Nicibes et Suburbures, Nomades oii sedentaires?, dans: Bulletin d'Archeologie Algerienne
3 [1968], 2 9 3 - 3 0 0 .
Kolendo Kolonat 139 sq.; idem, Le colonat 72 et I I I note 107.
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178 JEBZY KOLENDO-TADEUSZ KOTULA
Sur ces territoires avant la conqui'^tc loiiiaine. Xous trouvons dans les sources une
Serie d'informations sur l'existaiuc ilaiis certaines regions de l'Afrique d'un reseau
exceptionnellement dense d'aggloincrations, appelees villes par les auteurs antiques.
Tite Live parlant des territoires cai t haginois, conquis par Massinissa entre la seconde
et la troisieme guerre punique. nicntionne 70 ojypida caslellaque. Ecrivant ä propos
d'un autre evenement de cette epoque. Appien'ß parle du pays des 50 villes appelle
Tusca, qu'il faut identifier avee la K'gion de Mactar. Une inscription de l'epoque de
Trajan parle des civitates LXIIII Thusrae et GunzuziA' Naturellement, dans la nmjo-
rit6 des cas, ces agglomerations n etaient pas des villes. Cependant, une partie d'entre
elles le sont devenues par la suite.
La conquete romaine en 146 av. n. e., ainsi que la creation en 46 av. n. e., de la
province d'Africa Nova n'a pas provoque de changement notable de cette structure
de l'habitat. Une intervention de Reine dans les processus d'urbanisation de l'Afrique
eut lieu a l'epoque de Cesar et d'Auguste.'8 C'est alors que plusieurs colonies et nmni-
cipes furent fondes, dans le but d'y etablir des v6teran8 ainsi qu'une population venue
d'Italie. Les villes romaines fondees de cette fa^on n'avaient generalement pas une
STiperficie trfes grande.
Deux centres seulement, Carthage et Cirta poss6daient des territoires considerable
depassant meme par leurs dimensions les villes de la Gaule. Toutefois, a tous pointe
de vue, rorganisation de ces villes presentait un caractfere sp6cifique. Cirta et trois
autres villes formaient une confederation sur le territoire de laquelle il y avait plu-
sieurs castdlaA^ Le cas de Carthage etait plus compliqu6 encore.20 Cette ville possedait
un territoire tr^s grand, niais qui ne constituait pas un ensemble homogene. La fon-
dation de colonies ä Utbina, Thuburbo Minus et Maxula coupait Carthage de son
arrifere-pays. Le territoire appartenant ä Carthage {pertica Carthaginiensium) etait
toutefois 6tendu. II comprenait des terres oü il y avait les pagi des citoyens romains
qui constituaient les districts de la colonie de Carthage. A cote de ces pagi, se trouvaient
les villes de la population indigene (civitates). Ainsi donc, meme la creation de la
grande Carthage n'a pas d^truit le reseau dense des villes, dont l'origine remontait
Liv. X L I I 23. Cf. J . Kolendo, Sur le colonat en Afrique preromaine, dans: Neue
Beiträge zur Geschichte der alten Welt II, Berlin 1965, 47.
»6 Appian. Lyb. 68.
G. Picard-A. Mahjoubi-A. Beschaouch, Pagus Thuscae et Gunzuzi, Comptes rendus de
TAcademie des Inscriptions 1963, 124—130. Cf. G. Charles-Picard, L'admLnistration terri-
toriale de Carthage, dans: Melanges d'archeologie et d'histoire offert k Andre Piganiol, Pa-
ris 1966,1257—1265;idem,Lepagu8dansrAfrique romaine, d a n s : K a r t h a g o [ 1 5 ] 1 9 6 9 , 1—12.
F . Vittinghoff, Römische Kolonisation und Bürgerrechtspolitik unter Caesar und
Augustus, dans: Abhandlungen der Geistes- und Sozialwissenschaftlichen Klasse der
Akademie der Wissenschaften und der Literatur in Mainz, 1951, n® 14; L . Teutsch, Das
Städtewesen in Nordafrika in der Zeit von C. Gracchus bis zum Tode des Kaisers Augustus,
Berlin 1962.
J . Heurgon, Les origines campaniennes de la confederation cirteenne, dans: Libyca
5 [1957], 7 - 2 4 ; P . Veyne, Contributio: Benevent, Capoue, Cirta, dans: Latomus 18 [1959],
571—575; TJ. Laffi, Adtributio e Contributio, Problemi del sistema politico-amministrativo
dello stato romano, Pisa 1966, 135-147.
20 C. Poinssot, Immunitas perticae Carthaginiensium, Comptes rendus de l'Academie
des Inscriptions 1962, 55—75; idem, M. Licinius Rufus, patronus pagi et civitatis Thug-
gensis, dans: Bulletin Archeologique du Comite des Travaux Historiques 1969, 228—248;
T. R . S. Broughton, The Territory of Carthage, dans: Melanges Marcel Durry, Paris 1970,
2 6 5 - 2 7 5 ; Gascou 1 5 8 - 1 6 2 et 241 sq.
relativement recente. Meme dans les cas oü elles avaient une origine plus ancienne,
punique ou numide, elles avaient subi une transformation totale ä l'epoque roniaine.
Fait caract^ristique, nous n'observoils pas en Afrique ces phenonienes de crises des
villes qui ont commence ä faire leur apparition dans les autres parties de l'Empire des
le II® s. Les curatores reipublicae, fönet ionnaires nommes par l'empereur pour con-
troler les depenses des villes et que Ton voit apparaitre sur le territoire d'autres
provinces dfes l'epoque de Trajan et d'Hadrien, n'entrent en fonction en Afrique qu'ä
partir de l'epoque de Septime Severe.-^
La crise du III® s. qui a touche les villes africaines n'etait donc pas une crise resul-
t a n t de leur d6veloppement interne. Sans nier entiferement les racines locales de ce
ph6nomine28, il faut constater qu'il etait dans une large mesure «importe» des autres
parties de l'Empire. L ' E t a t romain imposait a u x riches provinces africaines, non
m i n i e s en principe par les barbares, des charges fiscales de plus en plus lourdes.^J
D'autres consequences de la crise economique generale se sont egalement fait ressentir
en Afrique.
Cela conduisait ä un s6rieux affaiblissement des villes qui, cependant, ont en defi-
nitive moins soiiffert qu'ailleurs.
Les nouvelles recherches archeologiques et historiques nous font aujourd'hui
rejeter l'ancien point de vue qu'apres la crise du III® s. 11 ne f u t plus possible d'ar-
reter le processus de la decadence politique et 6conomique graduelle des villes sous le
Bas-Empire. Ce sont avant tout les donnees sur les villes africaines qui contredisent
cette opinion. Rappeions que d6jä B. H. Warmington avait rattach6 l'action exagerde
de construction reproch6e k Diocletien aux t6moignages des inscriptions africaines qui
illustrent l'animation notable du programme de construction et de reconstruction des
monuments dans les viUes de 1'Afrique romaine k partir de la fin du III® 8.30 Encore dans
les ann^es soixante et soixante-dix du IV® s., une intense activit6 6dilitaire se mainten-
ait dans de nombreux centres tels que Thugga en Proconsulaire, Cuicul et Thamugadi
en Numidie, Sitifis en Maur6tanie. La somme lapidaire de cette ceuvre et en quelque
Sorte le programme de propagande se retrouvent grav6s sur une pierre de Lambfese:
non solum labsa reparantur sed et nova pro felicitate construuntur.^^
La plupart des historiens continuent cependant ä consid^rer, avec les r^serves faites
ci-dessus, que dans tout l'Occident romain, donc en Afrique aussi, une degradation
irr6m6diable des villes eut lieu ä, la fin du IV® et au d^but du V® sifecle, entrainant la
decadence de l'ordre des curiales, classe moyenne qui constituait la base de toute
l'organisation municipale. Ce phenomene etait, comme on l'affirme, le resultat de
l'intensification de la crise interne de l'Empire, mais le coup d^cisif f u t port6 aux villes
occidentales par la grande Völkerwanderung barbare des annees 407—410 et ses conse-
quences politiques et e c o n o m i q u e s . 3 2 Plusieurs chercheurs aboutirent 4. de telles con-
27 G a s c o u 6 0 s q .
^ Cf. T. K o t u I a . U zrödel afrykanskiego separatyzmu w I I I w. n. e. (Sources du separa-
tisme africain au I I I siede de notre ere), Wroclaw 1961, passim.
29 Kotula op. cit. 3 1 - 4 8 .
30 B. H. Warmington, The North African Provinces from Diocletian to the Vandal
Conquest, Cambridge 1954, 30; cf. Lactance, D e mort. persec. 7, 8: infinita quaedam cupi-
ditas aedificandi.
31 CIL V I I I 18 328 (en 379-383).
32 Voir E. Demougeot, De l'unite ä la division de l'Empire romain 395—410, Paris 1951,
60, 621 sqq.
39 C. Courtois, Les Vandales et l Afrique, Paris 1955, 166 sqq., 313 sqq.
Voir N. Duval-P.-A. F6vrier-J. Lassus, Groupes episcopaux de Syrie et d'Afrique du
Nord, dans: Colloque Apamee de Syrie, Bruxellea 1972, 215—251.
Ainsi p. ex. N. Duval, Influences byzantines sur la civilisation chretienne de TAfrique
du Nord, dans: Revue des Etudes Grccques 64 [1971], X X V I .
<2 Voir R. Lequement, Fouilles ä raiiiphitheätre de Tebessa (1965-1966), dans: Bulletin
d'Archeologie Algerienne 2 [1966-1967], 107-122.
Les avis resumes ici ont ete presentes dans des ouvrages de P.-A. Fevrier et N. Duval.
Voir surtout: P.-A. Fevrier, Rechcrohcs archeologiques en Algerie (1964—1966), dans:
CRAI 1967, 100 sqq.; idem, Toujours le donatisme, A quand I'Afrique? (Remarques sui-
I'Afrique & la findel'Antiquite), dans: Kivista di storia e letteratura religiosa 2 [1966], n°2,
234—240; idem, Evolution desformcs ilc l i'^crit on Afrique du Nord k l a f i n de l'Antiquite...,
dans: Atti del Convegno Intern, sul tcina: Tardo antico e alto medioevo, R o m e 1968, 204,
208, 217; idem, Conditions econoiniqui s et sociales de la creation artistique en Afrique ä la
fin de l'Antiquite, dans: Corsi di cultura sulTarte ravennate e bizantina, Ravenna 1970,
168, 174 sqq.; N. Duval, Observations sur Turbanisme tardif de Sufetula, dans: Les Ca-
L'historien deineure quelque peu perplexe face ä ees deux optiques diametraleinent
()[jposees sur le phenomene urbain des epoques tardives de l'histoire ancienne de
TAfiique du Nord. D'un cote, il se trouve confronte ä l'attitude franchement pessi-
niiste des historiens qui se fondent presque exclusivement sur les sources ecrites et de
l'autre ä roptimisnie des archeologues resultant d'une experience vecue, de recherches
^^u^ le terrain meine, ü n nous dit que la richesse architecturale des monuments est la
]jreiive materielle de la prosperite durable des cites. Mais il faut redire avec le savant
sovietique G. G. Diliguenski que l'evergetisme tardif auquel les villes devaient leur
splendeur etait l'oeuvre de l'elite oligarehique des 'primates municipaux dont l'opu-
lence materielle dissimulait a peine l'ampleur du malaise social au declin du rfegne de
Rome avec des effets tels que le mouvement des circoncellions.^^ Est-ce que cette
Situation — combien precaire — s'est amelioree au cours des periodes suivantes, vandale
et byzantine? Est-ce que la magnificence des basiliques chretiennes n'6tait pas la
fa^ade de l'aisance d'une minorite, ä la merci de l'insecurite des temps? Par malchance
les sources epigraphiques, et surtout les inscriptions ayant trait ä la liberalit^ des
donateurs, fondamentales en la matiere, disparaissent presque entiferement durant le
V® s. Est-ce pur hasard?
Etant donn6 les la.cunes de notre documentation, on peut multiplier les points
d'interrogation. Mais il est certainement difficile de repousser les donnees des sources
juridiques dont il resulte que dans certaines villes les rangs des curiales se sont beau-
eoup eclaircis. Pour preuve, il suffit d'evoquer le fait qu'en Numidie et en Maur6tanie
Sitifienne, parties de l'Afrique encore restees romaines apr^s l'invasion vandale, la
juridiction imperiale devait decider, en 445, qu'il suffisait de trois membres pour que
les curies municipales puissent fonctionner.^s II n'est p a s non plus possible de con-
tester qu'un certain nombre de villes des confins m6ridionaux de l'ancien dioc^se
d'Afrique avaient et6 detruites vers la fin duV® et a u V P s i f e c l e p a r l e s nomades.
Cela fut facilit6 par le fait que les fortifications des villes 6taient d6mantel6e8, sur
l'ordre des Vandales. Cependant, il serait exag6r6 d'affirmer que c'est par suite de
changements politiques et socio-6conomiques survenus ä l'^poque vandale que la
structure municipale classique a subi une totale ddcomposition. Une des inscriptions
recemment d6couvertes mentionne dans la ville d'Ammaedara, en pleine 6poque
vandale, en plus des flamines municipaux chr^tiens d6ja conntis, l'ancien grand pretre
de la province d'Afrique, le sacerdotalia provincie Africe (sie), presidant, comme on le
sait, le culte provincial des empereurs romains.^^
Dans r6tat actuel de nos connaissances, la Solution du problfeme de la continuite ou
de la discontinuite de la vie municipale en Afrique du Nord est singuli^rement en-
travee par le fait qu'avec la moiti6 du V® s. nous entrons dans une 6poque qui se perd
dans les tenöbres. Est-il en fait possible, etant donne la penurie des sources narratives,
de reconstruire une histoire qui nous 6chappe ä partir d'une etude des reliques de la
culture materielle?
Toutes ces reserves faites, il faut cependant conclure que l'opinion traditionelle sur
la decadence des villes nord-africaines est par trop generalisee et dejä surannee a la
lunüfere des r6ali8ations et des constatations nouvelles qui nous obligent ä la niodifier
serieusement, tout en tenanb coinpte de la specifite des diverses regions dont le degre
de dÄveloppement 6tait variable. II est actuellenient indispensable de niener des
recherehes syst^matiques interdisciplinaires, d'ailleurs postul6es par les archeologues.
Seules des etudes complexes, historiques, philologiques, areheologiques, peuvent
conduire k une nouvelle synthese du probleme en question et niettre d'accord les
pessimistes et les optimistes dans le cadre d'un comproniis positif. On devrait, en tout
cas, 6tablir les critferes bien pr6cis de la decadence ou, eventuellement, du developpe-
ment ult6rieur des villes, crit^res valables pour les basses epoques. II est de toute ma-
nifere evident que dans la Situation oü nous en sommes, c'est sur les decouvertes
areheologiques que Ton doit compter le plus. Elles permettent en effet de remettre en
question les opinions ^tabUes 4 partir de relations trop fragmentaires, parfois tendan-
cieuses et unilaterales des sources 6crites consacr^es ä l'histoire de l'Afrique aux V®
et VI« si^les.
II a fallu se limiter, dans cette esquisse sommaire, a poser la question et a postuler
des recherches complexes methodiques.'«' Mais il s'agit d'un probtöme d'une tr^s
grande port6e d'une r6vi8ion fondamentale - en prenant pour l'exemple l'histoire des
villes il la fin du Bas-Empire romain — des jugements port^s sur une question aussi
controvers6e et discutee que celle de la transition de l'Antiquite au Moyen Age.
L'exemple de l'Afrique du Nord, un des pays les plus urbanis^s de l'Occident romain,
est ä cet egard singuli^rement important. II est souhaitable meme que les donnees
africaines, relativement abondantes et fort instructives, servent ä reexaminer la these
dominante sur la decadence des villes antiques des autres parties de l'Empire.