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Publications de l'École française

de Rome

Le Procès de canonisation de Saint Louis (1272-1297). Essai de


reconstitution
Louis Carolus-Barré, Monsieur Henri Platelle

Citer ce document / Cite this document :

Carolus-Barré Louis. Le Procès de canonisation de Saint Louis (1272-1297). Essai de reconstitution. Rome : École
Française de Rome, 1994. pp. 3-325. (Publications de l'École française de Rome, 195);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1994_edc_195_1

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COLLECTION DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME
195

Louis Carolus-Barré (t)

LE PROCES DE CANONISATION

DE SAINT LOUIS (1272-1297)

ESSAI DE RECONSTITUTION

Manuscrit préparé pour l'édition par Henri PLATELLE

ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME


PALAIS FARNESE
1994
© - École française de Rome - 1994
ISSN 0223-5099
ISBN 2-7283-0300-2

Diffusion en France :
DIFFUSION DE BOCCARD
11 RUEDEMEDICIS
75006 PARIS
En 1992 Louis Carolus-Barré avait pu enfin livrer à
l'impression un travail se rattachant à son grand projet historiogra-
phique sur saint Louis. Le souvenir de mes premières années
farnésiennes, lorsque Louis Carolus-Barré exerçait avec une
inépuisable gentillesse, sous la direction de Jean Bayet, les fonctions
de secrétaire général, me fit un agréable devoir d'accepter sa
proposition d'insérer dans la Collection de l'Ecole française de Rome le
volume qu'il intitula Le procès de canonisation de saint Louis. La
disparition de l'auteur, survenue en juillet 1993, risqua de
compromettre un projet dont l'aboutissement aurait été impossible sans
l'amical dévouement du chanoine Henri Platelle qui voulut bien
se charger de tout le soin editorial de la publication. En saluant
avec émotion la mémoire de notre ancien secrétaire général, je
suis heureux d'avoir pu accueillir au Palais Farnese l'expression
de son dernier effort.

Claude NlCOLET.
CE LIVRE EST DEDIE
A ma tendre épouse.

« Je sens que la fin de ma vie n'est pas éloignée, et je


crains fort de me repentir trop tard d'avoir différé si
longtemps à commencer ce que je désire de tout mon cœur
pouvoir achever avant que je meure. »

Guillaume de Saint-Thierry, cité par Jean LECLERCQ,


Bernard de Clairvaux (Bibliothèque de l'histoire du
christianisme, n° 19), Desclée, 1989, p. 11.

« II est bon que l'on taise le secret du roy; mais les


bones euvres que Dieu met en un roy, raison est de
les raconter. »

Grandes Chroniques de France, t. X (Appendice, éd. par


J. VlARD), p. 111, n. 1.
AVANT-PROPOS

Nota, prudens lector...

L. Carolus-Barré, décédé le 18 juillet 1993 à l'âge de quatre-


vingt-trois ans, s'est intéressé pendant plus d'un demi-siècle à l'histoire
de saint Louis et de son règne. Une bibliographie établie par ses soins
en 1981 relevait sous cette rubrique précise dix-sept numéros, auxquels
naturellement devraient s'adjoindre bien d'autres études dans des
sections connexes de son abondante production. Il envisageait aussi de
couronner tous ces travaux de détail d'une stricte érudition par des
ouvrages d'ensemble comme un Itinéraire de saint Louis, ou la
publication de ses mandements ou enfin un essai de reconstitution du procès
de canonisation. C'est ce dernier projet seul qui s'est trouvé, au moment
de sa mort, assez avancé pour que l'auteur ne soit pas frustré de ses
espoirs et de l'honneur d'une publication. Il s'agit, si l'on ose dire, d'un
prématuré qu'il a fallu entourer de soins pour le rendre présentable
et assurer sa survie, mais toute la substance provient bien de notre ami,
à qui nous sommes heureux de rendre cet ultime service. La principale
déficience réside dans l'absence fréquente d'annotations erudites
surtout sensible dans le chapitrée IV consacré aux notices biographiques
des trente-huit témoins. Elle n'était pas préparée et il n'était pas
possible de la reconstituer dans l'état actuel du dossier. Mais ce n'est
pas la première fois que semblable accident se produit dans la carrière
d'un bon livre.
Car c'est bien un bon livre qui nous est ici présenté, riche et
excitant pour l'esprit. Une enquête de style policier nous fait remonter
de l'image composée, sinon compassée, présentée par Saint-Pathus
jusqu'aux témoignages primitifs, où des textes bien connus prennent
alors un accent nouveau. La suite des notices biographiques consacrées
aux témoins fournit une contribution prosopographique précieuse pour
la connaissance de l'entourage royal et du haut personnel dirigeant.
Les documents pontificaux de la canonisation, traduits avec clarté et
précision, nous font pénétrer dans un monde d'expression et de
pensée qui nous échappe souvent, faute d'application. Enfin des voix
étrangères saisies hors enquête apportent dans le dernier chapitre des
touches nouvelles, pleines de fraîcheur, à l'image du saint roi.
10 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Évoquons en terminant l'histoire bien connue — rapportée ici
dans la déposition de l'abbé de Royaumont — nous montrant saint Louis
auprès du moine lépreux. Le roi, répondant au désir du malade, lui
mettait dans la bouche des morceaux bien assaisonnés de sel. Mais le
pauvre homme se sentit blessé par le sel aux gerçures profondes qu'il
avait dans la bouche et le roi s'excusa humblement en disant : « J'ai
fait comme pour moi. » C'est exactement ainsi que pourrait se
caractériser notre rôle dans la mise au point fidèle de ce manuscrit... dernier
effet d'une lointaine canonisation.
Henri PLATELLE.
Professeur honoraire aux Facultés
catholiques de Lille.
BIBLIOGRAPHIE DE L. CAROLUS-BARRE
CONCERNANT SAINT LOUIS ET SON RÈGNE

« Saint Louis, 1214-1270 », dans Les hommes d'Etat célèbres, t. 3, sous la


direction de Ch. Samaran, Paris, Mazenod, 1970, in-4°, p. 128-135,
ill.
« Saint Louis dans l'histoire et la légende », dans Annuaire-bulletin de la
Société de l'Histoire de France, 1970-1971, p. 37-49.
« Le prince héritier Louis et l'intérim du pouvoir royal en France, de la
mort de Blanche de Castille (novembre 1252) au retour de saint Louis (juillet
1254) », dans Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances
de l'année 1970, p. 588-596. Communication présentée le 20 novembre 1970.
« La grande ordonnance de 1254 et la réforme de l'administration et la
police du royaume », dans Septième centenaire de la mort de saint Louis. Actes
des colloques de Royaumont et de Paris (21-27 mai 1970), Paris, Les Belles
Lettres, 1976, p. 85-96. — A fait l'objet d'une communication à
l'Académie des inscriptions et belles-lettres en sa séance du 16 mars 1973;
cf. C.R.A.I., 1973, p. 181-186.
« Les « loges » du Palais de saint Louis, à Paris », dans Bulletin de la Société
nationale des Antiquaires de France, 1980-1981, p. 355-360.
« Saint Louis et la translation des corps saints », dans Etudes de droit
canonique dédiées à M. Gabriel Le Bras, Paris, 1965, p. 1087-1112.
« Ecus d'or de saint Louis (objets précieux et monnaies retrouvés dans
le port de Trapani en 1270, dont 21 écus) », dans Revue numismatique,
6e série, t. XVIII, 1976, p. 115-118.
« Un recueil épistolaire composé à Saint-Denis sur la Croisade (1270-
1271) », dans Académie des inscriptions et belles-lettres. Comptes rendus des séances
de l'année 1966, p. 555-568. Communication présentée le 16 décembre 1966.
« Témoignages contemporains sur saint Louis », dans Les monuments
historiques, revue trimestrielle, nouv. série, vol. XVI, fase. 4, octobre-décembre
1970, p. 5.
« Le meilleur roi qui fut au monde », dans Septième centenaire de la mort de
saint Louis..., Paris, 1976, p. 383-385.
« Les enquêtes pour la canonisation de saint Louis, de Grégoire X à Boni-
face VIIIj et la bulle « Gloria Laus » du 11 août 1297 », dans Revue
d'histoire de l'Eglise de France, t. LVI, n° 157, juillet-décembre 1970, p. 19-29.
« Les Franciscains et le procès de canonisation de saint Louis », dans Les
amis de saint François, nouv. série, t. XII, n° 1, janvier-février 1971,
p. 3-6.
« Consultation du cardinal Pietro Colonna sur le IIe miracle de saint Louis
(Arch, du Vatican, A.A. Arm. C, 493) », dans Bibliothèque de l'Ecole des
chartes, t. CXVII, 1959, p. 57-72.
« Richard Laban, sergent du roi en forêt de Retz, et le XXVIIIe miracle
12 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
de saint Louis (Arch, nat., Κ 1171, n° 28) », dans Le Moyen Age, 3e série,
t. V (XLIV), 1934, p. 258-264.
« Le visage de saint Louis dans les gravures du XVIIe siècle inspirées du
chef-reliquaire de la Sainte-Chapelle (1306) », dans Les monuments
historiques, nouv. série, fase. 4, octobre-décembre 1970, p. 22-30, ill.
Septième centenaire de la mort de saint Louis. Actes des colloques de Royaumont et
de Paris (21-27 mai 1970), Paris, Les Belles Lettres, 1976. Avant-propos,
p. VII-IX.
« L'apport historique de l'Année saint Louis », ibid., p. 379-383.
« Saint Louis et Compiègne », dans Bulletin de la Société' historique de Compiègne,
1988, p. 121-152.
« Robert de France, sixième fils de saint Louis, comte de Clermont-en-
Beauvaisis et sire de Bourbonnais (1256-1318) », dans Autour du donjon de
Clermont, témoin de l'histoire (Colloque de Clermont, 1987), Beauvais, 1989,
p. 42-64.
« Le reliquaire de la sainte Epine d'Assise. Fra Mansueto et le traité de
Paris, 1 258- 1 259 », dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France,
1989, p. 121-131.
« Manumission des serfs de Remy, Margny, Saint-Germain-les-Compiègne,
sous le règne de saint Louis (vers 1256) », dans Bulletin de la Société historique
de Compiègne, t. 31, 1990, p. 113-117.
« L'affranchissement des serfs de la seigneurie de Pierrefonds par Blanche
de Castille (vers 1252) et sa confirmation par saint Louis (septembre
1 255 », dans Violence et contestation au Moyen Age (Actes du 1 14e Congrès
national des sociétés savantes, Paris, 1989), Paris, Éditions du C.T.H.S.,
1990, p. 61-111.
INTRODUCTION

Au seuil de ces pages, il ne paraît pas inutile de rappeler que,


mettant fin aux incertitudes entourant la reconnaissance publique des
saints et le culte dont ils étaient l'objet de la part des fidèles, le Siège
apostolique dans le dernier tiers du XIIe siècle décida de s'en réserver
le privilège exclusif.
En ce temps de renaissance du droit, le pape Alexandre III, par sa
lettre Aeterna et incommutabilis (1171-1172), formula clairement qu'il n'était
pas permis de vénérer publiquement quelqu'un comme saint, sans
l'autorisation de l'Église romaine. Décision réitérée, explicitée et
effectivement observée par Innocent III lors de plusieurs canonisations, et
définitivement promulguée par le IVe concile de Latran (1215).
Depuis lors toute canonisation fut l'objet d'un véritable procès
suivant les règles canoniques, comportant une enquête publique sur
la vie, les vertus et les miracles de ce chrétien exemplaire que le
Souverain pontife (après consultation de cardinaux) allait ensuite inscrire au
« catalogue des saints ».
Une telle procédure fut donc observée pour la canonisation de
saint Louis. Or, « la disparition totale des actes du procès de
canonisation — et notamment de l'enquête qui se déroula à Saint-Denis en
1282-1283 — nous prive d'un document qui serait du plus haut intérêt
pour apprécier l'idée que l'Église et les fidèles se faisaient du saint
roi » (À. Vauchez)2.
S'ingéniant à combler une lacune si regrettable, l'auteur de cet
ouvrage se propose de présenter le résultat de recherches minutieuses
entreprises depuis de longues années.

De son vivant, le fils de Louis VIII et de Blanche de Castille fut


considéré comme un saint, non seulement par ses sujets, mais aussi
hors du royaume.
A peine eut-il rendu le dernier soupir, sous les murs de Tunis
(25 août 1270), que, faute de pape (Clément IV, décédé le 29
novembre 1268, n'avait toujours pas de successeur), le doyen du Sacré
Collège, Eudes de Châteauroux, cardinal évêque de Tusculum, dès qu'il
en fut averti, s'enquit personnellement des circonstances de la mort du
14 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
roi de France qui, survenue de façon si funeste en pleine croisade, mettait
en deuil toute la Chrétienté.
La dépouille du défunt ayant été « divisée », l'armée exigea que
son « cœur » demeurât en Afrique parmi les combattants, et l'on ne
sait trop ce qu'il devint. Sur le chemin du retour, ses « entrailles » furent
déposées à la cathédrale de Monreale, près de Palerme, ainsi que l'avait
demandé Charles d'Anjou, son frère, roi de Sicile. Ses « ossements »
furent ramenés par son fils, Philippe le Hardi, escorté de ses
compagnons qui avaient survécu à la croisade : long, interminable cortège
funèbre qui, par la Sicile, le royaume de Naples, les États de l'Église,
la plaine lombarde, les Alpes, la Savoie, le Dauphiné, le Lyonnais, la
Bourgogne, la Champagne, parvint enfin, le 21 mai 1271, à Paris où
un service fut célébré à Notre-Dame, avant l'inhumation solennelle dans
l'abbatiale de Saint-Denis, lieu de sépulture des rois de France depuis
les temps mérovingiens.
Tout au long de ce trajet, plusieurs miracles s'étaient déjà
produits : à Palerme, à Parme, à Reggio Emilia et, non loin de Paris, à
l'orme de Bonneuil-sur-Marne. Ils se multiplièrent au tombeau même
du « benoît roi », où accoururent aussitôt malheureux, malades,
estropiés et impotents, en vue d'implorer de lui guérison de leurs misères.
Ils vinrent si nombreux que l'abbé de Saint-Denis, Mathieu de
Vendôme, se vit dans l'obligation de désigner quelqu'un pour assurer le
service d'ordre auprès du tombeau, en la personne d'un Anglais nommé
Thomas de Histon : et l'on pensa dès lors à mettre par écrit la relation
de ses miracles. Sans discontinuer, les cierges brûlaient autour du
tombeau qui devint le but d'un nouveau pèlerinage.
Depuis près de trois années, réunis à Viterbe, les cardinaux ne
parvenaient pas à élire un pape au sein de leur propre assemblée, au
point que, las d'une telle attente, les habitants de la ville décidèrent
de les enfermer à double tour dans le palais pontifical et de réduire leur
nourriture au minimum. Ce fut le premier conclave.
A la suggestion de frère Bonaventure, ministre général de l'ordre
des franciscains, le « Docteur Séraphique », qui n'était pas encore
cardinal, ils réussirent enfin, le 1er septembre 1271, à fixer leur choix sur
un homme renommé pour sa piété, ses qualités connues de tous et sa
grande expérience internationale : Tebaldo Visconti, de Plaisance, qui,
lui non plus n'appartenait pas au collège cardinalice et, tout en étant
pourvu de l'archidiaconé de Liège, n'avait encore reçu que les ordres
mineurs.
Ce saint homme, le futur Grégoire X (1271-1276), se trouvait alors
en Terre Sainte où il avait accompagné le fils aîné du roi d'Angleterre
(futur Edouard Ier) et espérait sans doute encore la venue des croisés. . .
bien empêchés de se rendre en Palestine, après la déplorable
expédition de « Tunes »...
INTRODUCTION 15
1. (p. 13) Dans cette Introduction et dans le premier chapitre, Histoire et
déroulement du procès de canonisation 1271-1297, l'auteur suit de près un article qu'il a donné
dans la Revue d'histoire de l'Eglise de France, t. LVI, n° 157, juillet-décembre 1970
(paru en 1971), p. 19-29, « Les enquêtes pour la canonisation de saint Louis — de
Grégoire X à Boniface VIII — et la bulle Gloria Laus du 11 août 1297. »
Nous reproduisons ici l'annotation d'ensemble placée en tête de l'article :
Communication faite à la Société d'histoire de l'Église de France, le 24 octobre
1970. C'est la primeur (et comme l'introduction) d'un ouvrage regroupant
l'ensemble de la documentation sur le Procès de canonisation de saint Louis.
Des pièces originales du procès, il ne subsiste aux Archives du Vatican que de
rares vestiges publiés par H.-Fr. Delaborde, « Fragments de l'enquête faite à Saint-
Denis en 1282 en vue de la canonisation de saint Louis », dans Mémoire de la Société
de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. XXIII, 1896, p. 1-71, et L. Carolus-Barré,
« Consultation du cardinal Pietro Colonna sur le IIe miracle de saint Louis », dans
Bibl. de l'École des chartes, t,. CXVIII, 1959, p. 57-72.
Quelques textes ont été conservés par des copies : Comte Riant, « déposition
de Charles d'Anjou pour la canonisation de saint Louis », dans Notices et documents publiés
pour la Société de l'histoire de France à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa fondation,
Paris, 1884, p. 155-175. — E.-A. Van Moé, Saint Louis, enseignements à son fils aîné,
Paris, 1944.
Le franciscain Guillaume de Saint-Pathus a utilisé les pièces du procès pour
compiler sa Vie de saint Louis, éd. H.-Fr. Delaborde, Paris, 1899, suivie du récit des
Miracles de saint Louis, éd. Percival B. Fay, Paris, 1932. — Jean de Joinville a
développé le récit de sa déposition à l'enquête de 1282 dans son Histoire de saint Louis,
éd. N. de Wailly, Paris, 1874.
Les bulles pontificales (de Grégoire X à Boniface VIII) sont analysées ou
publiées d'après les Registres de ces papes, éd. dans la Bibliothèque des Ecolesfrançaises d'Athènes
et de Rome (format in-4°). — Le libellus rédigé à l'intention de Grégoire X par
Geoffroi de Beaulieu, Vita et sancta conversano piae memoriae Ludovici quondam régis
Francorum, est publié dans Ree. Hist. Fr., t. XX. — Les deux Sermones prononcés par
Boniface VIII, à Orvieto, les 4 et 11 août 1297, et la bulle Gloria Laus sont publiés
Ibid., t. XXIII, p. 149 et suiv.
Voir en outre Gallia Christiana, XII, Paris, 1770, instr. col. 78. — S. Kuttner,
« La réserve papale du droit de canonisation », dans Revue historique de droit français et
étranger, Paris, 1938, 4e série, 17e année, p. 172. — Ch.-V. Langlois, Le règne de
Philippe III le Hardi, Paris, 1884. — L. Carolus-Barré, « Les franciscains et le procès
de canonisation de saint Louis », dans Les Amis de saint François, nouv. série, t. XII,
1971, p. 3-6. Voir aussi sur ce sujet ce qui est dit plus loin à la note 27 du chapitre V.
2. (p. 13) A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age
(Bibliothèques des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, 241), Rome, 1981, p. 415.
CHAPITRE PREMIER

HISTOIRE ET DÉROULEMENT
DU PROCÈS DE CANONISATION
1272-1297

Dès son arrivée à Viterbe, le nouvel élu qui prit le nom de


Grégoire X, écrit immédiatement à frère Geoifroi de Beaulieu,
dominicain, confesseur du feu roi Louis, et qui l'avait assisté à ses derniers
moments. Se remémorant les mérites éminents de l'illustre défunt
(véritable exemple pour tous les princes chrétiens), dont il ne cesse de
ressentir l'extraordinaire parfum de douceur qui émanait de sa
personne, et pour lequel il avait tant d'estime et d'affection, Grégoire
n'ignore certes pas à quel point le roi conformait sa vie aux volontés
du Rédempteur, mais il demande instamment à son correspondant
de le renseigner le plus tôt possible sur la manière dont il se
comportait en tous et chacun de ses actes, et sur sa pratique des choses de
la religion.
Fait hautement significatif, cette lettre est datée du 4 mars 1272 :
dans son empressement, le nouveau pape n'avait même pas cru devoir
attendre sa propre consécration, qui sera solennisée à Rome le 27 mars
suivant. C'est le premier acte de son pontificat.
Geoffroi de Beaulieu répondit à la demande du pape (qui était
un ordre) en écrivant un petit livre (libellas) de 52 chapitres intitulé
Vita et sancta conversatio piae memoriae Ludovici quondam régis Francorum ;
il y développait le thème « Comment l'éloge du roi Josias convient au
roi Louis » et il concluait en exprimant sa conviction personnelle : Louis
était digne d'être inscrit au nombre des saints.
Grégoire X est donc l'initiateur des premières mesures qui
aboutiront au procès de canonisation proprement dit. Sans nul doute, lors
de l'entrevue qu'il eut avec Philippe III le Hardi, à la veille du second
concile œcuménique de Lyon, en mars 1274, cette affaire qui lui tenait
tant à cœur fut sérieusement envisagée. Mais le concile et les grands
problèmes qui y furent traités (union des Églises grecque et romaine,
reprise de la croisade, question des ordres mendiants) occupèrent alors
le pape et tous les prélats (7 mai- 17 juillet 1274).
Bientôt des suppliques en vue de la canonisation furent adressées
à Grégoire X, ainsi qu'au collège des cardinaux; on possède encore
18 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
le texte de celles qui émanaient de l'archevêque de Reims et des
évêques suffragante (juin 1275), de l'archevêque de Sens et de ses
suffragante (juillet 1275), du prieur des frères prêcheurs pour la «
province » de France : cette dernière, rédigée lors du chapitre provincial
tenu au Mans (septembre 1275). Il y en eut certainement beaucoup
d'autres.
C'est vraisemblablement à la suite de ces démarches que
Grégoire X chargea son légat en France, Simon de Brie, cardinal du titre
de Sainte-Cécile, de procéder à une enquête de caractère encore secret
sur les mérites du défunt roi. Celle-ci paraît avoir été menée trop
hâtivement, tant la sainteté paraissait évidente au cardinal légat qui avait
bien connu Louis IX de son vivant. Quand le résultat parvint à la cour
romaine, Grégoire X venait de mourir (Arezzo, 10 janvier 1276).
Puis, en moins d'un an et demi, trois papes se succédèrent sur la chaire
de saint Pierre, après des pontificats de quelques mois seulement :
Innocent V (t au Latran, 28 juin 1276), Adrien V (t à Viterbe,
18 août 1276), Jean XXI (t à Viterbe, 20 mai 1277)...
Leur successeur, Nicolas III (Orsini), élu à Viterbe le 25 novembre
1277 et couronné à Rome le 26 décembre suivant, était politiquement
hostile à la cause de Charles d'Anjou, et de ce fait aurait pu se montrer
peu pressé de hâter la canonisation de son frère. Il n'en fut rien.
Nicolas était tellement convaincu de la sainteté de la vie du roi Louis qu'il
aurait procédé aussitôt à la canonisation, s'il avait vu se produire deux
ou trois miracles...
Ayant reçu une ambassade solennelle de Philippe III, composée
de Guillaume de Mâcon, évêque d'Amiens, Guillaume Ruaud, doyen
du chapitre d'Avranches, et Raoul d'Estrées, maréchal de France, il
écrivit au roi le 30 novembre 1278 pour lui dire son intention de suivre
les traces de ses prédécesseurs (notamment Grégoire X) et sa décision
d'ordonner une enquête désormais publique sur les mérites de son père
Louis, d'illustre mémoire, enquête dont il chargea le cardinal légat
Simon. A ce dernier il faisait savoir qu'il avait bien pris connaissance
de ses informations de caractère général mais succinct, et qu'il avait
fait interroger avec soin ses derniers messagers ; toutefois en une matière
aussi importante et pour parvenir à une certitude complète et
satisfaisante, il était nécessaire de préciser clairement et distinctement les faits
et les circonstances. Bref, il attendait de lui une documentation
beaucoup plus approfondie (30 novembre 1278). — Depuis plus d'un
siècle, en effet, la papauté s'était réservé les procès de canonisation,
et les règles du droit canonique étaient désormais fixées de façon
rigoureuse. Pour évidente qu'elle fut, la sainteté de Louis IX devait être établie
suivant ces règles.
HISTOIRE ET DÉROULEMENT DU PROCÈS 19
Première enquête

Cette première enquête publique est mal connue. On sait toutefois


que le cardinal Simon se fit assister du maître de la province de France
de l'ordre des frères mineurs et de son homologue des frères prêcheurs,
et que ses collaborateurs immédiats en cette affaire furent deux de ses
deux de ses compatriotes, l'archidiacre de Melun et Jean de Samois
(un autre franciscain), ainsi que le grand prieur de Saint-Denis : il semble
que leur activité ait consisté plus particulièrement à recueillir sur les
miracles les dépositions des témoins. Les résultats de l'enquête furent
envoyés par Simon au pape qui commit pour les examiner deux de ses
frères du Sacré Collège : Gérard, cardinal-prêtre des Douze- Apôtres,
et Jourdain, cardinal-diacre de Saint-Eustache. Mais Nicolas III
mourut le 22 août 1280, et le procès, pourtant bien engagé cette fois,
se trouva de nouveau arrêté.
Le conclave réuni à Viterbe élut, le 22 février 1281, l'homme qui
personnellement connaissait le mieux toute la question : Simon de
Mainpincien (ou de Brie) qui, ancien conseiller et garde des sceaux
de Louis IX, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Cécile depuis 1262,
légat en France depuis plusieurs années, avait été chargé par
Grégoire X de l'enquête secrète préliminaire, et par Nicolas III de la
première enquête publique. Consacré et couronné à Orvieto, le 23 mars
suivant, Simon prit le nom de Martin IV. Il était réservé au nouveau
pape de faire entrer le procès de canonisation dans sa phase définitive
et selon toutes les normes requises.
De son côté, désireuse de voir aboutir enfin la^ cause que des
circonstances imprévues ne cessaient de retarder, l'Église de France
s'impatientait. Une assemblée, tenue sans doute à Paris, réunit les
principaux prélats : les archevêques de Reims, Rouen, Sens et Tours, les
évêques de Beauvais, Langres, Châlons, Laon, Noyon, Senlis, Evreux,
Paris, Troyes et Meaux, où figuraient en bonne place les six pairs
ecclésiastiques du royaume. L'assemblée décida d'envoyer au nouveau
pape une supplique instante en vue de faire inscrire au « catalogue des
saints » le roi Louis, dont la mémoire ne cessait d'être vénérée et dont
les miracles se multipliaient. Simon de Perruche, évêque de Chartres,
et Guillaume de Mâcon, évêque d'Amiens, furent chargés de remettre
la supplique au nom de tous entre les mains de Martin IV : le choix
de ces deux émissaires était fort judicieux puisque Guillaume avait déjà
fait partie de l'ambassade envoyée trois ans plus tôt par Philippe le Hardi
à Nicolas III, et que Simon était (sauf erreur) le neveu même du pape.
Martin IV réserva le meilleur accueil aux délégués de l'Église de
France et loua le zèle pieux et vraiment digne d'éloges de tous ceux
qui avaient pris l'initiative de leur démarche; il donna à ses visiteurs
l'assurance que personnellement cette affaire lui tenait fort à cœur et
qu'il désirait la voir promptement et heureusement parvenir à la fin
20 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
tant souhaitée. Mais il s'attacha aussitôt à les bien persuader que si,
dans les choses de ce monde, le Siège apostolique procédait avec soin
et une prudence extrême afin que les décisions prises par l'Église,
maîtresse de tous les fidèles, soient justes, assurées et parfaitement claires,
combien plus encore dans un procès de canonisation! C'est donc avec
un esprit scrupuleux et le souci constant de la perfection, excluant le
moindre doute, qu'il convenait de procéder à propos du roi Louis :
sa gloire atteindra mieux ainsi son plus haut degré d'évaluation, et
l'honneur de la Maison de France et celui de tout le royaume en seront
encore rehaussés (Orvieto, 23 décembre 1281).
Le pape entend donc ne s'écarter en rien de tout ce qui a déjà
été fait par lui-même au cours de l'enquête dont l'avait chargé son
prédécesseur d'heureuse mémoire; mieux, il le tient pour ferme et
le ratifie. Et c'est pourquoi il demande avec insistance à ses frères, les
évêques de France, que ce procès conduit par le Siège apostolique et
dont la conclusion peut sembler être encore différée, ne devienne pas
comme importun, voire insupportable à leurs yeux. Avec l'aide de Dieu
qui peut toutes choses, tout concourra au bien. Et l'on a des raisons
d'espérer que tant d'efforts, de part et d'autre, seront enfin couronnés
de succès.

Deuxième enquête

Dans cette lettre aux prélats de France, Martin IV annonce qu'il


confiait à Guillaume de Flavacourt, Guillaume de Grez et Roland de
Parme, respectivement archevêque de Rouen, évêques d'Auxerre et
de Spolète, l'enquête sur la vie, la « conversation » et les miracles du
roi Louis, qui devra être faite désormais « solennellement ».
Le même courrier emportait une autre lettre destinée aux trois
nouveaux commissaires du Saint-Siège. Le pape y retrace à leur
intention l'historique de toute l'affaire depuis la première enquête
officieuse dont l'avait chargé Grégoire X, pour qui la sainteté du roi ne
faisait pas de doute. Leur exprimant sa confiance toute particulière,
il leur mande de se rendre en personne au monastère de Saint-Denis-
en-France, où reposaient les ossements de Louis et où le Seigneur
accomplissait pour lui des miracles (ou en tout autre lieu qu'ils
jugeraient opportun), afin de s'enquérir avec diligence et grand soin de ces
miracles (des précédents comme des plus récents), ainsi que de la vie
et du comportement du roi Louis.
Pour faciliter leur tâche, il leur adresse une sorte de canevas
précisant les diverses questions à poser aux témoins qui seront interrogés.
Que les résultats de cette seconde enquête fidèlement consignés par écrit
soient ensuite au plus vite transmis au Siège apostolique!
HISTOIRE ET DÉROULEMENT DU PROCÈS 21
Ce fut effectivement à Saint-Denis que se retrouvèrent pour siéger
les trois délégués du pape et c'est en cette abbaye qu'ils paraissent
avoir fixé le lieu principal de leurs séances pour y recueillir les récits
des témoins venus déposer, sous la foi du serment, tant sur la vie
que sur les miracles du bienheureux roi Louis : trois notaires (un
pour chacun des enquêteurs) couchant aussitôt par écrit les précieux
témoignages.
C'est au mois de mai 1282 que les auditions commencèrent, pour
ne s'achever qu'au mois de mars de l'année suivante. La majeure
partie de ce temps étant consacrée aux miracles. Les témoins qui
vinrent déposer sur les miracles ne furent pas moins de 330, chacun
des faits nécessitant l'audition de plusieurs personnes, à commencer
parle miraculé lui-même, et exigeant souvent plusieurs jours. Défilent
ainsi devant les examinateurs des fous qui ont recouvré la raison, des
noyés revenus à la vie, des scrofuleux, des fiévreux, des tordus, des
boiteux, des paralytiques, des aveugles, des sourds, des malades divers,
ayant obtenu guérison de leurs misères par l'intercession du « benoît
roi ». La plupart étaient des pauvres gens, mais non pas tous, ainsi
maître Dudon, chanoine de Paris et médecin de son état, Nicolas de
Lallaing et Jean de Châtenay, l'un et l'autre chevaliers, Jean de Brie,
châtelain d'Aigues-Mortes, ou frère Laurent, prieur (puis abbé) de
l'abbaye cistercienne de Châalis.
Au nombre des miracles retenus par les enquêteurs, une bonne
soixantaine seront finalement « approuvés ». Pour émouvant que soient
les récits de tous ces gens — témoins de la dévotion populaire — les
dépositions sur la vie retiennent davantage l'attention.
Ces dépositions sur la vie, au nombre de trente-huit, furent
recueillies presque toutes à Saint-Denis, du vendredi 12 juin au jeudi
20 août 1282. Ce qui fait en moyenne presque deux journées pour
l'audition de chaque témoin ; or Joinville nous apprend que sa déposition
dura précisément deux jours.
L'enquête sur la vie et les miracles, confiée à l'archevêque de
Rouen et aux évêques d'Auxerre et de Spolète, ayant été heureusement
menée à bonne fin (mars 1283), tous les dossiers furent transmis « en
cour de Rome », où le pape créa aussitôt une commission de trois
cardinaux qui en examina une bonne partie. Mais l'affaire n'était
pas arrivée à son point de maturation (loin de là!) lorsque Martin IV
mourut à Pérouse, le 28 mars 1285.
Il faudra attendre encore plus d'une douzaine d'années, pendant
lesquelles les démarches du nouveau roi (Philippe le Bel), des prélats
et des princes français se feront de plus en plus fréquentes : très
efficacement appuyées sur place par l'action continuelle de frère Jean
de Samois (un autre franciscain) qui ajoutait à ses fonctions de
pénitencier celles de « procurateur especial de la canonization en court
de Romme ».
22 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Au temps d'Honorius IV (élu à Pérouse le 2 avril 1285, consacré
et couronné à Rome le 20 mai suivant), on sait que plusieurs miracles
furent lus et discutés attentivement « en consistoire » : le Ve miracle
entre autres, à l'examen duquel participa Jourdain, cardinal de Saint-
Eustache; mais alors que les choses semblaient se ranimer, la mort du
pape survint (à Rome le 3 avril 1287), ainsi que celle des cardinaux
qui avaient été commis à cette affaire, et tout retomba dans le silence
pendant près d'un an.
Le nouveau pape Nicolas IV (élu et couronné à Rome, 15-22
février 1288) était franciscain. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le
procès fut alors repris activement; et tout d'abord par la désignation
d'une commission formée des trois cardinaux-évêques d'Ostie, de Porto
et des Saints-Sylvestre-et-Martin : au premier, bientôt décédé, fut
subrogé le cardinal de Sabine; quant au troisième, Benoît Caetani, le
futur Boniface Vili. Il transcrivit alors plusieurs miracles qu'il
examina soigneusement et qui furent retenus comme suffisamment
prouvés.
A son tour, après un pontificat de quatre ans, Nicolas IV mourut
à Rome, le 4 avril 1292. Une vacance de plus d'une année s'écoula
ensuite. Puis le bénédictin Célestin V fut élu à Pérouse, le 5 juillet 1294,
consacré et couronné à Aquilée le 29 août; mais (on le sait), trouvant
la tiare trop lourde il en résigna bientôt la charge pour se retirer dans
un couvent (13 décembre 1294) non sans avoir nommé onze cardinaux
au consistoire du 18 septembre. Le procès stagnait de nouveau!
Avec Benoît Caetani, élu au conclave de Naples le 24 décembre
1294, consacré et couronné à Rome le 23 janvier 1295, tout change.
Boniface VIII a connu et estimé le roi Louis : c'est lui qui a reçu
personnellement la déposition sur sa vie faite par Charles d'Anjou, roi de
Sicile ; il a lui-même examiné de nombreux miracles. Pour lui, les faits
sont évidents. On ne doit pas laisser davantage la lumière sous le
boisseau. La chose est mûre désormais. Pour achever enfin l'examen
des miracles, le nouveau pape ne change donc pas les cardinaux
examinateurs, ses deux anciens collègues de la commission désignée
par Nicolas IV, mais leur adjoint plusieurs autres cardinaux. De cette
époque ultime, on possède encore le « conseil » que donna, sur le second
miracle, le cardinal-diacre de Saint-Eustache, Pierre Colonna.
Après vingt-sept années d'attente, d'enquêtes et de procédures
canoniques auxquelles participèrent plus ou moins activement dix papes
— de Grégoire X à Boniface VIII — (et de nombreux cardinaux) le
procès aboutit enfin aux cérémonies suprêmes de la canonisation qui
va se dérouler avec faste à Orvieto les 6 et 1 1 août 1297. Dans son
premier sermon, considérant la masse de documents qui avaient été
accumulés, tout au long de ce procès, Boniface ne pourra s'empêcher de
lancer cette boutade : « Dans cette affaire, on aura gratté plus de par-
HISTOIRE ET DÉROULEMENT DU PROCÈS 23
chemins que ne pourrait en porter un âne ! » {de hoc plus facta est de
scriptura quam unns asinus posset portare).

Que devinrent les pièces du procès?

Nous aimerions savoir ce qu'il advint d'une telle quantité de


pièces rédigées pendant plus d'un quart de siècle, sous dix
pontificats.
Les pièces originales restèrent normalement dans les archives du
Saint-Siège. Or il est bien connu que, tout au long du XIIIe siècle, les
Souverains Pontifes résidèrent le plus souvent hors de Rome, où leur
sécurité n'était pas assurée. Ils séjournaient à Viterbe, à Orvieto,
à Montefiascone, à Pérouse, voire à Naples et à Anagni. Les archives
suivaient alors l'administration pontificale dans la ville où les papes
établissaient leur résidence.
Les dossiers du procès de saint Louis étaient évidemment à Orvieto,
lors de la canonisation du 1 1 août 1297. Le successeur de Boniface VIII,
Benoît XI envisagea de quitter définitivement Rome et de se fixer à
Assise, or les circonstances l'obligèrent à rester à Pérouse, où il
mourut ; mais il avait déjà fait transférer au couvent de Saint-François,
lieu vénéré et asile jugé sûr, le trésor du Saint-Siège, ses objets
précieux, ses livres et ses archives.
Clément V (Bertrand de Got), plus encore que Benoît XI, voulut
fuir l'Italie gravement troublée par les interminables et sanglantes
hostilités entre guelfes et gibelins, que venait aggraver la descente de
l'empereur Henri VII dans la péninsule. Il décida de s'installer au-delà
des Alpes et fit transporter à Lucques la plus importante partie du
trésor (qui y fut d'ailleurs largement pillée), afin de la faire parvenir en
France par voie de mer.
Trop encombrants et trop lourds, les coffres remplis de livres et
d'archives furent alors laissés au couvent de Saint-François. De cette
masse, seuls furent distraits pour être envoyés en France les registres
des deux pontificats précédents.
D'Avignon, où la papauté s'était désormais fixée, le pape Benoît XII
(1334-1342) ordonna de dresser l'inventaire des caisses restées en
souffrance à Assise. Cet inventaire existe encore. Il nous apprend que, dans
un coffre de couleur rouge coté LX, se trouvaient rassemblés divers
livres et rouleaux de parchemin concernant exclusivement des vies de
saints avec leurs miracles, des récits de translations de reliques ou des
offices liturgiques.
Parmi beaucoup d'autres livres {libelli) voisinaient, avec saint
Thomas de Cantorbéry et saint Eustache, un petit livre contenant une
vie de saint Louis {libellum continentem vitam beati Ludovici régis Francho-
24 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
rum), un « livre incomplet des faits et gestes de saint Louis, roi de France,
alors qu'il était outre-mer » {libellum imperfectum de actibus etgestis b. Ludovici
régis Francorum factis ultra mare), et « beaucoup de documents sur ses
miracles » {item multa instrumenta de miraculis suis).
Ainsi ce coffre LX renfermait d'importants vestiges du procès de
canonisation. Comme beaucoup d'autres, il ne paraît pas avoir été
transporté à Avignon. On ignore ce qu'il devint : aucune trace (autre que
l'inventaire) n'en est conservée ni à Assise, ni à Avignon. Et pourtant
ont échoué à Rome aux Archives du Vatican cinq rouleaux de
parchemin concernant l'examen de quatre miracles par les cardinaux. Pauvres
épaves, d'ailleurs gravement détériorés par l'humidité {rari nantes !). Voilà
ce qui subsiste d'une documentation de premier ordre. Et rien sur la
Vie du roi. C'est une lourde perte.
Heureusement, dès la promulgation du 11 août 1297, le franciscain
fr. Jean de Samois, qui en tant que « procurateur especial », avait suivi
le long déroulement du procès en « cour de Rome » et son collègue,
Jean d'Antioche, pénitencier du pape, en avaient l'un et l'autre,
exécuté des copies qu'ils firent aussitôt parvenir à un autre franciscain,
fr. Guillaume de Saint-Pathus qui, pendant dix-huit ans, avait été le
confesseur de la reine Marguerite (t 30 décembre 1295) et avait
ensuite assuré le même service auprès de « madame Blanche », dévote
fille du glorieux saint Louis » i .
C'est cette princesse qui ordonna à Guillaume de Saint-Pathus
d'écrire La vie monseigneur saint Lois, jadis roi de France, et c'est à elle
qu'il en fit hommage vers 1303. L'auteur poussa même la conscience
jusqu'à avertir à la fin de son Prologue qu'il fit « mettre en garde »
chez les frères mineurs de son couvent de Paris la copie du procès
qui lui avait été communiquée, afin que si quelqu'un pouvait douter
des choses qu'il avait écrites, il pût y recourir pour vérifier l'exactitude
de son récit.
Nous devrions donc pouvoir consulter cette remarquable
documentation. Hélas ! dans ce couvent des « cordeliers » survint pendant
la nuit du 19 novembre 1580 un terrible incendie dû à la négligence
coupable d'un moinillon qui, à moitié saoul, s'était endormi. Le feu,
ayant pris au jubé, gagna tout le comble de l'église qui n'était pas voûté,
mais seulement lambrissé de bois, et fut si intense qu'il finit par réduire
« en poudre » les tombes de marbre et de pierre, et même par faire
fondre les tombes de bronze.
Dans un pareil désastre, on peut imaginer ce que devinrent les
livres et liasses d'archives, qu'ils fussent en parchemin ou en papier!
D'autre part, en ce temps-là (à la fin du XVIe siècle), les érudits
bénédictins n'avaient pas encore commencé leurs savantes
investigations dans les archives des couvents et des monastères.
Dans ces conditions, le coffre LX inventorié à Assise en 1339
ayant disparu (on ne sait quand ni comment), les copies utilisées par
HISTOIRE ET DÉROULEMENT DU PROCÈS 25
Saint-Pathus et par lui déposées à Paris en son couvent des cordeliers
ayant péri dans l'incendie de 1580, nous en sommes réduits à utiliser
au mieux les quelques textes ayant reproduit des fragments du procès
de canonisation.
En voici la brève enumeration suivant l'ordre chronologique :
1) Les Enseignements du roi à son fils aîné Philippe et à sa fille
Isabelle, reine de Navarre (1270), documents écrits de sa propre main,
dont les originaux, infiniment précieux, ont eux aussi été la proie des
flammes, lors de l'incendie de la Chambre des comptes (1737), mais
dont on possède de bonnes copies. 2) Le « libellus » rédigé par le
dominicain Geoffroi de Beaulieu à la demande de Grégoire X, Vita et sancta
conversalo pie memorie Ludovici régis Francorum (v. 1273), qui fit partie des
pièces du procès : témoignage de premier plan puisque écrit par le
confesseur même du roi. 3) Les notes transcrites à la hâte par Pierre
de La Palu, autre dominicain, dans les marges de son manuscrit Liber
bellorum Domini pro tempore Nove Legis, où sont cités sept passages de la
déposition de Charles d'Anjou recueillis par le cardinal Benoît Cae-
tani (v. 1282). 4) Le livre des saintes paroles et des bonsfaiz de nostre roy saint
Looys, de Joinville, livre qu'il faut identifier comme reproduisant dans
sa meilleure partie le témoignage qu'il apporta à l'enquête de 1282.
5) Enfin La Vie monseigneur saint loys jadis roy de France, du
franciscain Guillaume de Saint-Pathus, ainsi qu'un sermon qu'il prononça
en son honneur. A la vérité la Vie « descrite » par fr. Guillaume vers
1303 n'est pas rédigée comme une histoire du roi au sens où nous
l'entendons aujourd'hui et suivant l'ordre chronologique. Il composa un livre
de dévotion et d'édification, en exposant tout au long de ses XX
chapitres les vertus théologales, foi, espérance et charité, puis les autres
manifestations de la piété du saint roi : humilité, patience, délicatesse
de conscience, continence, honnêteté, sens de la justice et de l'équité,
clémence et persévérance dans la foi. Sous ses différents chapitres, de
longueur très inégale, il a inséré fidèlement, en les traduisant en
français, des fragments de témoignages apportés par les clercs ou laïcs
qui déposèrent à l'enquête sur la vie du « benoît roi ». Son œuvre n'a
donc pas de caractère personnel ni littéraire. Il s'agit d'un découpage
des dépositions et d'un regroupement des extraits sous des titres
appropriés.
La modestie de l'auteur et son souci d'exactitude lui ont fait placer
en tête de son livre la liste et la qualité de chacun des trente-huit témoins
appelés à déposer en 1282 sur la Vie du roi, mais en n'indiquant que
rarement l'auteur de tel ou tel fait rapporté dans son texte. Ce fut donc
pour nous un véritable jeu de « puzzle » que de restituer (avec le plus
de vraisemblance possible) : « qui avait dit quoi? ». Une longue
familiarité avec le texte de Saint-Pathus nous a permis de tenter
cette restitution.
Une conclusion s'impose. On ne devrait plus désormais citer le
26 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
témoignage personnel de Saint-Pathus, qui, né vers 1250, ne dut guère
connaître saint Louis, mais les faits rapportés par les témoins eux-mêmes,
dont il nous a transmis par sa traduction les éléments de leurs propres
dépositions à l'enquête de 1282.
Dans la documentation ici rassemblée (ne remontant guère au-delà
de 1248), on ne parle plus de la reine Blanche de C astiile, sinon pour
annoncer son décès — à la seule exception toutefois du témoignage de
Geoffroi de Beaulieu vers 1273, qui, confesseur de saint Louis, avait
appris du roi quelques souvenirs du temps de son enfance. —
Comment enfin ne pas relever que, trois fois, s'écartant exceptionnellement
des données de l'enquête de 1282, Guillaume de Saint-Pathus crut devoir
rapporter de précieuses confidences qu'il avait reçues de la bouche même
de la reine Marguerite de Provence.

PIÈCE JUSTIFICATIVE

Liste des 38 témoins de l'enquête de 1282


Saint-Pathus, p. 7-11

N. B. La liste contient 39 noms, mais le même personnage (Jean de Soisy, n° 12


et n° 39) est répété deux fois.

Phelipe, roi de France, fiuz saint Loys secont engendré, qui


gouverna le roiaume.
Challes, roi de Sezile, frère du benoiet saint Loys.
Pere ennorable Nichole, evesque de Evreues, de liij ans ou environ.
Pere ennorable Robert, evesque de Senlis, de lviij ans ou environ.
5 Monseigneur Mahi, abes de l'abeie de Saint Denis en France, de
lx ans ou environ.
Frère Adan de Saint Leu, abes de Roiaumont, de l'ordre de Cystiax,
du dyocese de Biauvès, de lxviij ans ou environ.
Frère Lorenz, abes de Chaaliz, de l'ordre de Cystiax, du dyocese
de Senliz, de lviij ans et plus.

Pierres, conte d'Alençon, fiuz du benoiet saint Loys.


Monseigneur Jehan de Acre, fiuz du roi de Jerusalem, cousin du
benoiet saint Loys, bouteillier de France.
10 Monseigneur Symon de Neelle, chevalier, homme de grant aage et
moût riche, du dyocese de Noion, de lx et xiij ans ou environ.
Monseigneur [Pierres, seigneur de] Chambli, chevalier, chambellenc
du roi Phelipe, homme d'avisé aage et moût riche, du dyocese de
Biauvès, de xl ans ou environ.
Monseigneur Jehan de Soisi, chevalier, du dyocese de Paris, homme
d'avisé aage et moût riche, de 1 ans et plus.
Monseigneur Pierre de Loon, chevalier, home d'avisé aage et riche,
de lxviij ans ou environ.
HISTOIRE ET DÉROULEMENT DU PROCÈS 27
Monseigneur Jehan, [seigneur de] Joinvile, chevalier, du dyocese de
Chaalons, homme d'avisé aage et moût riche, seneschal de Champaigne,
de 1 ans ou environ.
15 Monseigneur Gui le Bas, chevalier, du dyocese de Sens, homme de
grant aage et moût riche, de 1 ans ou environ.
Monseigneur Robert du Bois Gautier, chevalier et riche, du dyocese
de Roen, de xlviij ans ou environ.
Mestre Pierres de Condé, du dyocese de Chartres, garde de l'église
de Peronne, du dyocese de Noion, homme de meur aage et moût riche,
de xlviij ans ou environ.
Mestre Giefroi du Temple, chanoine de Rains, homme de meur
aage et moût riche.
Frère Symon du Val, prestre, du dyocese de Soissons, prieur des
Frères Preecheeurs de Prouvins, de Ivj ans et plus.
20 Frère Gilè de la Rue de la Court, de la dyocese de Noion, sou-
prieur des Frères Preecheeurs de Compiegne, de la dyocese de Soissons,
de 1 ans.
Frère Jehan de Boschet, de la dyocese de Biauvès, de l'ordre des
Preecheeurs de Compiegne, de la dyocese de Soissons.
Frère Jehan dit le Clerc de Compiegne, de l'ordre des Preecheeurs
de cel meesme lieu, de la dyocese de Soissons, de xl ans et plus.
Frère Raou de Vernai, de la dyocese de Rains, du convent de
l'ordre des Preecheeurs de Compiegne, de lx ans ou environ.
Frère Girart de Paris, prestre, moine de Roialmont, de l'ordre de
Cistiax, de la dyocese de Biauvès, de 1 ans et plus.

25 Rogier de Soisi, de la dyocese de Chartres, queu monseigneur saint


Loys, homme de meeur aage et moût riche, de lx ans et plus.
Ysembart, le queu du benoiet saint Loys, homme de meur aage et
riche, né de Paris, de lv ans ou environ.
Herbert de Vilebeonne, de la dyocese de Sens, homme de meur
aage et riche assez, jadis vallet de la chambre du benoiet saint Loys,
de 1 ans ou environ.
Jehan de Chailli, de la dyocese de Paris, homme de meur aage et
assez riche, de 1 ans et de plus, chastelain de Pontaise.
Guillaume le Breton du Nuefchastel, vallet en la chambre du dit
saint, homme de meur aage et assez riche, de la dyocese de Nantes,
de 1 ans et plus.
30 Guillaume le Breton de Chambrilles, homme de meur aage, de
soufisanz richeces, de la dyocese de Nantes, huissier saint Loys, de 1 ans
ou environ.
Hue dit Portechape, vallet en la paneterie du dit benoiet roi, homme
de meur aage et de covenables richeces, né de Saint Germain en Laie,
de lv ans ou environ.

Giles de Robisel, home de meur aage, de 1 ans et plus, abitant en


la vile de Saint Denis.
Denise le Piastrier, bourjois de Compiegne, de la dyocese de Soissons,
home de meur aage et de soufisanz richeces, de lxviij ans ou environ.
28 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Mestre Jehan de Croy, maçon, bourgois de Compiegne, de la dyocese
de Soissons, de 1 ans et plus.
35 Suer Maheut, prieu[w] de la Meson Dieu de Vernon, de la dyocese
de Evreues, de xxviij ans ou environ.
Suer Aelis, suer de la Meson Dieu de Vernon, de xl ans ou environ.
Suer Ade, suer de la Meson Dieu de Compiegne, de la dyocese de
Soissons, de moût meur aage, de 1 ans et plus.
Mestre Jehan de Betysi, de la dyocese de Soissons, cyrurgien nostre
seigneur le roi de France, de xlviij anz et plus.
39 Monseigneur Jehan de Soisi desus escrit fu ausi tesmoing xxiijmc.

1 . (p. 24) Sur ce personnage et sur son livre, fondamental pour notre recherche,
voir l'édition établie par H.-Fr. Delaborde, Vie de saint Louis par Guillaume de Saint-Pathus
(Collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire), Paris, 1899 ;
voir aussi dans A. Molinier, Les sources de l'histoire de France, t. III : Les Capétiens
(1180-1328), Paris, 1903, le n° 2544. Il faut aussi signaler la traduction en français
moderne de M. C. d'Espagne, La vie et les miracles de monseigneur saint Louis par
Guillaume de Saint-Pathus, Paris, éditions du Cèdre, 1971, 110 p. (commode, mais à
contrôler). Saint-Pathus était un frère franciscain.
CHAPITRE II

LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS

LE TÉMOIGNAGE DE GEOFFROY DE BEAULIEU


EN RÉPONSE A LA LETTRE DU PAPE GRÉGOIRE X
CLARE MEMORIE (VITERBE, 4 MARS 1272)

La biographie composée par le dominicain Geoffroy de Beaulieu,


confesseur du roi, constitue la première pièce, on pourrait dire la
première pierre, du procès de canonisation. L'auteur est un intime du roi,
qu'il a connu pendant plus de vingt ans, qu'il a accompagné en Syrie
et à Carthage, qu'il a enfin assisté à ses derniers instants. Son
témoignage, consigné avant 1274/1275 (date probable de sa mort), est donc
infiniment précieux, même s'il demeure commandé par la perspective
spécifique d'un procès de canonisation, celle d'une histoire spirituelle
et édifiante — ce qui d'ailleurs n'est pas en soi incompatible avec le
souci de vérité.
On trouvera ici la traduction de l'essentiel du libellas (petit livre)
de Geoffroy de Beaulieu. Quelques chapitres seulement ont été
résumés et quelques longueurs omises. La traduction est sans doute assez
large, mais elle se veut toujours parfaitement exacte et accessible.
L'édition utilisée est celle de Cl. Menard, Sancii Ludovici. .. Vita, conversatio
et miracula, per F. Gaufridum de Bello-Loco... Lutetiae Parisiorum, 1617,
140 p.

SOMMAIRE. Le roi Josias figure de saint Louis (1-2, 51). — Enfance


et éducation du roi; sa pureté. Son confesseur juge qu'il n'a jamais commis
de péché mortel (3-5). — Choix de conseillers loyaux; son sens de l'équité;
charme et modération de son langage (5-7). — Humilité dans son vêtement,
au retour d'outre-mer (6). — II lave les pieds des pauvres (9). — Demande
à ses amis de le reprendre, sans ménagement. Ordonne que sa sépulture soit
dépourvue d'ornements (10). — Ses rapports avec la reine : jours de
continence (11). — II se propose de laisser le royaume à son fils aîné et, avec
l'assentiment de la reine, d'entrer en religion; devant l'opposition raisonnée
de celle-ci, c'est sans goût qu'il reste dans le monde (12). — Éducation
chrétienne et très religieuse de ses enfants (13-15). Pénitences et
mortifications (16-18). Sa miséricorde pour les pauvres; ses constructions pieuses et
charitables ; charte des aumônes royales (19). La collation des bénéfices
ecclésiastiques à des personnes choisies et renommées; il écarte tout cumul (20).
30 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
— On le disait peu large en présents, mais, humain et pacifique, il ne lésinait
pas sur les démarches et parfois sur les grands subsides pour faire régner la
paix même en pays étranger (20). — Sa piété : longue assistance aux offices
et célébrations magnifique des grandes fêtes (21). — Notamment à Nazareth
le jour de Noël. Son goût pour les ornements liturgiques. Il obtenait des
indulgences et savait en bénéficier (22). — Son goût pour les sermons : au retour,
sur mer, il en fait prononcer à l'adresse des marins et les incite à se confesser
(23). — II fait transcrire les œuvres des Pères de l'Église pour en diffuser la
doctrine, et préfère leur lecture à celle des maîtres contemporains. De ses livres
déposés à Paris dans sa bibliothèque, il dispose par testament en faveur des
mineurs, des prêcheurs et des cisterciens de Royaumont (23). — Acquisition
des reliques de la Passion (1239) pour lesquelles il fait construire la
merveilleuse Sainte-Chapelle, et fabriquer de précieux reliquaires (24).
Son premier pèlerinage outre-mer (1248). Prise de Damiette, mais
captivité du roi. Grave épidémie dont il est atteint, puis soigné et guéri par
les médecins du sultan (25). — Après sa délivrance, il se rend à Acre et séjourne
en Terre Sainte pendant cinq ans : libération de captifs restés aux mains des
Sarrazins; fortification de Cesaree, Jaffa, Sidon et Acre (26). — II fait
baptiser des Sarrazins et des esclaves ou païens qu'il a pu racheter et assure leur
subsistance (27). — Étant à Jaffa, le légat lui apprend la mort de sa mère
la reine Blanche. Par une exhortation son confesseur, Geoffroi, s'efforce
d'atténuer sa douleur (28). Il demeure encore plus d'une année pour achever les
murs de Jaffa et fortifier Sidon. D'inquiétantes nouvelles parvenant de France
le convainquent de repartir. Ému et reconnaissant, le peuple d'Acre
l'accompagne à son départ (28). — Sur sa nef, il obtient du légat l'autorisation de
faire placer un autel et un tabernacle pour célébrer l'office divin; il veille à
ce que malades et mourants reçoivent les derniers sacrements (29). — La
troisième nuit après avoir quitté le port d'Acre, la nef heurte un récif.
Affolement de tous., Le roi court vers l'autel et, prosterné, se met à prier.
Les nautoniers munis de torches vont examiner la cale : elle est indemne. Le
roi rend grâces à Dieu de les avoir sauvés d'un naufrage (30).
Joie de son retour en France. Conversion du roi : il progresse dans
toutes les vertus (31). — II veut extirper du royaume tous jurements et
blasphèmes. Grande assemblée à Paris des barons et prélats en présence du légat.
Discours véhément du roi qui, approuvé de tous, promulgue son ordonnance
contre le blasphème (32). — Un bourgeois de Paris ayant gravement
blasphémé, le roi lui fait brûler les lèvres, pour servir d'exemple (33). —
A la surprise de ses familiers, il dit que le plus grand honneur qui lui
aura été donné fut d'avoir reçu à Poissy le sacrement du baptême (34).
— En touchant les écrouelles, il ajoute à la pratique de ses prédécesseurs
un signe de croix (35). — Par révérence pour le signe de la croix, il évite de
marcher dans les cloîtres sur les croix ornant les tombes des religieux (36).
— Il fait adopter l'usage de s'incliner et de s'agenouiller au moment où l'on
dit et homo foetus est dans le Credo, et inclinato capite emisit spiritum dans les récits
de la Passion (36).
Déçu dans son espoir d'entrer en religion (cf. 11), le roi projette de se
lancer, pour Dieu, dans une entreprise difficile : aller secourir la Terre Sainte
(37). — Énorme assemblée à Paris de gens de toute condition. Discours
enflammé du roi pour recouvrer la Terre Sainte, depuis trop longtemps occu-
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 31
pée par les Infidèles. Des mains du légat, lui-même, ses trois fils et une
multitude reçoivent la croix (38). — Gros soucis pour la préparation de
l'expédition. Les vaisseaux pour l'embarquement arrivent avec (deux mois de) retard
au port d'Aigues-Mortes (39). — Rassemblement des nefs sur la côte de Sar-
daigne. Conseil décidant à l'unanimité d'aller d'abord soumettre le royaume
de Tunis : décision que beaucoup critiqueront par la suite (40).
Raisons pour lesquelles le roi fut d'accord pour aller à Tunis, rêves
dont Dieu ne permettra pas la réalisation (41). Trajet sur mer et
débarquement effectués presque sans opposition. Prise du château de Carthage et de
nombreuses victuailles (42). — Pendant quatre mois environ, combats
presque journaliers et meurtriers. Intempéries et manque d'eau douce
provoquent une grande mortalité. Mort du comte de Nevers (43). — Malade,
le roi reçoit les derniers sacrements administrés par son confesseur. Il expire
sur une couche de cendres en forme de croix le lendemiain de la saint
Barthélemi 1270 (44).
L'arrivée du roi de Sicile aussitôt après la mort du roi renforce le
moral des combattants (45). Ayant d'abord envisagé de faire transporter
le corps de son père à Saint-Denis, le nouveau roi, Philippe, décide de
garder ces « précieuses reliques » pour le réconfort de son armée (46).
Il donne les chairs du défunt au roi de Sicile qui les fait déposer en l'église
de Palerme.
Sur la voie du retour, en passant par Palerme, on apprend que des
miracles se sont produits ; puis le cortège poursuit sa marche par la Calabre,
Rome, Bologne et la Lombardie : partout la foule est enthousiaste et
certains veulent toucher le cercueil que le roi Philippe garde toujours près
de lui (47). — En France, par les villes et châteaux les populations
innombrables exultent et pleurent de joie (48). — Parvenus à Saint-Denis, les « pieux
ossements » sont ensevelis à côté de son père le roi Louis (49). — L'abbé de
Saint-Denis fait mettre par écrit les nombreux miracles qui se produisent sur
son tombeau (50).
Geoffroi de Beaulieu termine son Libellus comme il l'avait commencé
en évoquant la mémoire du roi Josias (51). — En conclusion, cet homme juste
dont les mérites ont été rapportés est digne d'être inscrit parmi les saints (52).

Dans les chapitres 1, 2 et 51 l'auteur développe une


interprétation typologique d'un personnage de l'Ancien Testament qu'il met
en relation avec saint Louis. Il s'agit du roi Josias (VIIe siècle avant
J.-C), figure de saint Louis. Cette notion de « figure » dépasse celle
de « modèle » ou de « précédent ». Il faut y voir une annonce faite jadis
dans les temps très anciens de la première Alliance et cette annonce
trouve maintenant sa réalisation sous la Nouvelle Alliance. Josias est
le « type » et saint Louis « Γ antitype ». C'est un genre de raisonnement
familier à l'exégèse chrétienne, surtout médiévale.
A la base de ce parallèle on trouve un passage de l'Ecclésiastique
(chap. 49) où l'on compare le souvenir laissé par Josias au parfum
fabriqué par le marchand d'onguents, au miel si doux à la bouche, ou à
la musique qui égaie les banquets. Au chapitre 51 de Geoffroi de
32 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Beaulieu, on voit que « notre Josias » a été semblable au parfum par
le rayonnement qu'il a eu jusque sur les absents; il a été semblable
au miel par la douceur dont bénéficiaient les présents ; il a enfin été
semblable à la musique par son action sur les intimes. . . L'étymologie
du nom de Josias (chap. 2) mène à des applications du même ordre.
Selon l'auteur, ce nom veut dire « salut du Seigneur », « holocauste
du Seigneur », « sacrifice du Seigneur », tout cela naturellement a trouvé
sa réalisation dans la vie de saint Louis.
Ce genre de raisonnement peut nous surprendre : il est cependant
capital aux yeux de Geoffroi de Beaulieu, puisqu'il le met en tête de
son récit comme l'explication fondamentale de la Vita et conversatio de
saint Louis.
Les chapitres 3 et 4 concernent l'origine et l'enfance de saint Louis
et commencent tous deux par un rappel du roi Josias. Au chapitre 3
on nous dit de Louis VIII, le père de notre héros, qu'il prit la croix
contre les hérétiques albigeois et qu'il trouva la mort au retour de cette
sainte peregrinatio : c'était une annonce de la vocation de croisé qui
marqua la vie de saint Louis.
Au chapitre 4 l'auteur rappelle l'excellente éducation donnée au
jeune roi par sa mère Blanche de Gastille. On doit au moins retenir
cette anecdote : « II ne faut pas passer sous silence ce religieux qui avait
entendu dire par des calomniateurs que le seigneur roi avant son mariage
avait eu des concubines avec lesquelles il péchait quelque fois, avec
l'accord et la protection de sa mère. Comme ce religieux l'avait répété
à Madame la Reine, en exprimant beaucoup d'étonnement et de
reproche, celle-ci récusa ce mensonge en se défendant humblement ainsi
que son fils et ajouta cette parole admirable : si son fils le roi, qu'elle
aimait plus que tout être humain, était en danger de mort et qu'on lui
disait que pour guérir il devait pécher avec une autre femme
que la, sienne, elle le laisserait plutôt mourir que d'offenser son
Créateur par un seul péché mortel. Cela je l'ai entendu moi-même de
la bouche du seigneur roi. »
Aux chapitres 5 et 6 l'auteur se présente et passe immédiatement
au problème du bon choix des officiers.
« Bien qu'indigne je fus le confesseur du dit roi pendant vingt ans
ou environ. J'ai entendu souvent sa confession générale et ne
saurais dire combien de fois. A l'honneur de Dieu, je dis que pendant
toute sa vie il ne commit sciemment aucun péché mortel ou que
j'eusse jugé tel. »
L'auteur passe ensuite (§ 6) au problème de la justice et du choix
de bons officiers. Il nous dit même que des critiques s'étaient élevées
contre une excessive mansuétude à l'égard de ses représentants; mais
il rejette ce reproche. En tout cas le roi ne favorisait jamais sa propre
cause dans les procès : « dans les affaires judiciaires qui semblaient tour-
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 33
ner contre lui, il prenait toujours, autant qu'il le pouvait une position
hostile à ses intérêts, au point que ses conseillers, de peur de l'offenser
évitaient de se prononcer ». L'auteur signale aussitôt après ce texte
l'envoi des enquêteurs chargés d'une mission de contrôle et de
réparation dans tout le royaume et même dans son propre Hôtel.

§ 7 « Lorsqu'il parlait, son elocution était à la fois très sage et pleine


de charme. Il veillait à éviter les paroles oiseuses et dissolues, et avant
tout les mensonges et les médisances ; très rarement il se fâchait contre
quelqu'un, même s'il s'agissait d'un simple gars, à moins que la
gravité de sa faute ne l'exigeât.
Quand on disait ou faisait quelque chose qui lui déplaisait, à moins
qu'il n'y ait vraiment lieu de manifester son mécontentement, il savait
sagement et parfaitement se taire.
Tout particulièrement il s'abstenait de tout jurement : pour les
éviter il disait « au nom de moi » ; or quelque religieux le lui ayant
reproché, il y renonça définitivement et répondait comme il est dit dans
l'Évangile par « oui » ou par « non ».
Dans des affaires ardues, les conseils et les procès pouvant
entraîner de graves conséquences, bien peu jugeaient de façon aussi sûre
et équitable que lui ; il avait le don d'exposer sa pensée avec aisance
et finesse. C'était un plaisir de l'entendre. D'ailleurs, il était plein de
distinction, et rien qu'à le voir, tous ceux qui l'entouraient ne
pouvaient que l'aimer. »

S 8 « De son humilité on a maints exemples. Après son retour


mer, il ne porta plus jamais de robe de couleur écarlate ou verte, ni
de fourrures variées, mais de tissus de couleur sombre, bleu foncé ou
« poil de chameau ». Et comme, après usage, les vêtements destinés
aux pauvres étaient de bien moindre valeur que ceux qu'il portait dans
sa jeunesse, il décida qu'en compensation chaque année soixante livres
leur seraient données par ses aumôniers, en plus des distributions
ordinaires. Le roi ne voulait pas que son humilité vestimentaire ne lèse les
intérêts des pauvres.
Dès lors également il ne voulut plus se servir que d'étriers et de
mors de simple fer ou de fer blanc sans dorure ; et point de selles sinon
blanches sans aucune décoration. »

S 9 « Chaque samedi, humblement et à genoux, en un lieu secret,


il avait l'habitude de laver les pieds de trois hommes, parmi les plus
pauvres et les plus âgés que l'on pouvait trouver, puis les essuyait et
les baisait, et faisait de même pour leurs mains ; après quoi il leur
donnait à manger, et distribuait à chacun une somme d'argent. Si malade
il ne pouvait accomplir cette œuvre de piété, il en confiait le soin à son
confesseur, en présence de son aumônier.
34 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Une fois il advint qu'étant en l'abbaye de Clairvaux un samedi,
alors que, suivant la coutume de l'ordre, après vêpres les moines
se lavent mutuellement les pieds, le roi voulut prendre part à cette
solennité qu'ils appellent le « mandé » : les moines étaient nombreux
et à plusieurs fois, par humilité, il ôta sa chape et, à genoux, lava de
ses mains les pieds de ces serviteurs de Dieu. Mais plusieurs grands
qui n'étaient pas de ses intimes se trouvaient là; une telle
manifestation d'humilité en public lui ayant été déconseillée, il accepta à
l'avenir de s'en abstenir... Je ne sais si, vu sa condition royale, il pourrait
avoir son pareil dans le monde. »

§ 10 « Ses confesseurs, il les tenait toujours en grande révérence; par


exemple lorsqu'il s'asseyait pour se confesser devant l'un d'eux, si une
porte ou une fenêtre venait à claquer, il se précipitait pour l'ouvrir ou
la fermer, avant que le confesseur ait eu le temps de se lever, et comme
celui-ci l'en reprenait, il répondait humblement : « Amen, ici vous êtes
le père et moi le fils. »
En dehors de ses confesseurs, il demandait affectueusement à un
ou plusieurs de ses amis qu'il avait choisis de l'avertir de ce qu'ils
auraient remarqué ou entendu dire de reprehensible à son égard, et
cela sans le moindre ménagement.
Autres témoignages de son humilité : c'était avec bonne grâce et
sans fausse honte qu'il racontait souvent et volontiers comment il fut
pris à Mansourah par les Sarrazins, son comportement pendant sa
captivité et la façon dont il fut libéré.
A noter aussi que dans sa dernière volonté, il ordonna que fût
écrit dans son testament que sur sa sépulture ne devrait être fait rien
de recherché ni de pompeux, afin que vif ou mort il puisse demeurer
un exemple durable d'humilité. »

§ 11 « II convient de dire maintenant comment il vivait avec sa femme


et ses enfants.
Avec le consentement de sa femme, la Reine, pendant tout l'avent
et tout le carême, ils s'abstenaient mutuellement de tout rapport
charnel. De plus certains jours de la semaine, aux vigiles et les jours des
grandes fêtes, il gardait la continence, et de même lors des principales
solennités (de l'Eglise) quand il devait communier : plusieurs jours avant
et plusieurs jours après la communion, par respect pour le saint
sacrement.
Si, durant ces jours de continence, il lui arrivait pour une raison
particulière de venir voir la reine, de demeurer auprès d'elle et que
la présence de sa femme éveillât ses sens de façon désordonnée, il se
levait aussitôt de son lit et déambulait à travers sa chambre jusqu'à
ce que la révolte de sa chair se soit apaisée. »
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 35
12 « L'on ne doit pas taire que, plusieurs années avant sa mort,
aspirant au plus haut degré de la perfection, il se proposait fermement
de laisser entièrement le royaume à son fils aîné devenu adulte, et ayant
obtenu l'assentiment de sa femme, d'entrer en religion, soit chez
les frères mineurs, soit chez les frères prêcheurs. Il aimait en effet
tout particulièrement ces deux (ordres), expliquant que s'il pouvait faire
deux parts de son corps, il donnerait l'une à l'un, la seconde à l'autre.
C'est pourquoi il disait familièrement non sans en tirer quelque gloire
que ses familiers les plus assidus ne pouvaient deviner lequel des deux
ordres il aimait davantage.
Lorsque l'opportunité se présenta, il s'en ouvrit secrètement à
son épouse la reine, lui enjoignant de ne révéler la chose en aucun cas
à qui que ce soit; celle-ci à aucun prix ne voulut consentir à cette
demande du roi, lui montrant au contraire de bonnes raisons de
rejeter un tel projet, la divine Providence ayant peut-être décidé qu'il serait
plus utile dans sa position antérieure, afin de garder son royaume en
paix et de faire progresser les affaires de toute l'Église.
Déçu par l'échec de son pieux projet, ce fut donc sans le moindre
goût avec une très grande humilité et non sans crainte qu'il resta dans
le monde. »

13 « Et parce que d'un si noble et si saint mariage devait naître une


postérité, celle-ci par la grâce de Dieu, fut nombreuse; père pieux, il
se comporta de façon très chrétienne dans l'éducation et l'instruction
de ses enfants, il voulait que ceux qui étaient déjà proches de l'âge adulte
entendissent chaque jour non seulement la messe, les matines et les
heures canoniales, mais soient avec lui pour écouter les sermons, que
chacun d'eux apprenne à lire et sache réciter les heures de la sainte
Vierge, et quils soient toujours avec lui à complies qu'il faisait
quotidiennement célébrer solennellement dans l'église après souper, et pour
finir était chantée pieusement et à haute voix l'antienne spéciale de la
sainte Vierge.
Les complies terminées, il regagnait sa chambre avec ses enfants,
et un prêtre ayant procédé à l'aspersion d'eau bénite dans toute la
chambre et autour de son lit, il s'asseyait entouré de ses enfants, et avant
qu'ils ne se retirent, il avait l'habitude de leur dire quelques paroles
édifiantes pour leur instruction.
Il ne voulait pas que le vendredi ses enfants portent des chapeaux
de roses ou d'autres fleurs, en mémoire de la sainte couronne d'épines
dont ce jour-là fut atrocement couronnée la tête du sauveur; cette
couronne dont le roi avait honoré son royaume avec tant de
magnificence. »

14 « A la louange du roi, il ne faut pas omettre que après son


premier pèlerinage outre-mer, une fois revenu en France, conduit par
36 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
l'Esprit de Dieu, il ordonna par testament que les deux fils qui lui étaient
nés outremer, à savoir monseigneur Jean et monseigneur Pierre, soient
élevés, lorsqu'ils parviendraient à l'âge de raison, dans des maisons
religieuses à Paris, l'un chez les frères prêcheurs, l'autre chez les
frères mineurs, établissements qualifiés aménagés exprès aux frais du
roi, pour qu'ils y soient instruits dans les lettres et les saintes écritures
et soient formés pour leur salut à l'amour de la religion. Il souhaitait
de tout son cœur qu'ainsi dirigés pieusement ils entrassent en temps
et lieu sous l'inspiration de Dieu dans ces ordres religieux.
Dans le même esprit, à sa fille aînée, qui devint ensuite reine de
Navarre, il écrivit de sa propre main, alors qu'elle était outre-mer, des
lettres particulières dans lesquelles il la poussait pieusement et avec
insistance au mépris du monde et au progrès dans la religion. En outre,
par dévotion et dans la mesure où la décision lui appartenait, il offrit
sa fille Blanche à Dieu, dans l'abbaye des moniales de Pontoise, où était
enseveli le corps de sa pieuse mère, afin qu'elle y fût élevée
religieusement et soit formée à l'amour de la religion par un enseignement
approprié et par l'exemple des saintes moniales.
Or, bien que la Providence infaillible dans ses desseins en ait
disposé autrement au sujet des susdits enfants — car peut-être valait-il
mieux pour leur propre bien et pour l'utilité de l'Église qu'ils
restassent dans le siècle et dans l'état de mariage plutôt que d'entrer
en religion — cependant nous avons écrit ces choses pour montrer avec
quelle foi et quelle ferveur il aspirait à la perfection tant pour lui-même
que pour ses enfants.
Et bien que ses pieuses intentions n'aient pas été couronnées de
succès, je ne pense pas qu'il soit privé pour autant de la récompense.

Au terme de ce présent chapitre, je crois juste d'exposer ci-après


de quelle manière, pressentant sa mort prochaine, apparemment par
révélation divine, ce père catholique avant sa dernière maladie, écrivit
en français de sa propre main des enseignements et règlements de vie
qu'il laissa quasi en testament à son fils aîné et par lui à ses autres enfants.

Après sa mort j'ai eu copie de ces documents écrits de sa main


et je les ai traduits du français en latin le mieux et le plus brièvement
que j'ai pu. En voici le texte : »

§ 15 Le chapitre XV de Geoffroy de Beaulieu contient donc les


enseignements de saint Louis à son fils Philippe. Ils sont ici mentionnés pour
mémoire car il a semblé préférable à L. Carolus-Barré de reporter ce
texte dans la déposition personnelle du roi Philippe III lors de l'enquête
de 1282 (voir chapitre III). On notera seulement ici qu'à la fin de ce
chapitre XV Geoffroy de Beaulieu fait un éloge dithyrambique de ces
« enseignements », qualifiés de Documenta et de Testamentum. Il consi-
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 37
dère qu'ils devraient servir non seulement aux fils du roi, mais aussi
à tous les princes et prélats. Il s'agit apparemment d'un élan d'éloquence,
reste d'un sermon, comme semble le prouver l'apostrophe aux lecteurs,
appelés carissimi.

S 16 (rappel de Josias)
« Sa pénitence revêtait diverses formes.
Il avait l'habitude de se confesser tous les vendredis de l'an avec
humilité et dévotion en un endroit très secret, aménagé tout exprès
en chacun de ses manoirs; pénitence intérieure mais aussi
extérieure, car après sa confession il recevait toujours la discipline de
la main de son confesseur au moyen des cinq petites chaînes de fer
jointes ensemble, fixées adroitement dans une petite boîte d'ivoire
qu'il portait en une aumônière discrètement attachée à sa ceinture.
De semblables boîtes avec leurs chaînes de fer, il en donnait
parfois en cadeau secret, à ses enfants ou à ses intimes pour s'en servir
à l'occasion.
S'il arrivait que son confesseur, pour l'épargner, lui donnait à
son avis de trop petits coups, il lui faisait signe de frapper plus fort.
Il eut un confesseur habitué à lui donner des disciplines vraiment
exagérées et cruelles au point que sa chair en était toute meurtrie, mais
jamais il ne voulut le lui révéler tant qu'il vécut, et ce fut seulement
après sa mort qu'il le dit en plaisantant et en riant à son nouveau
confesseur.
Et bien qu'il eût la coutume de se confesser tous les vendredis,
il ne laissait pas, pour autant, de le faire d'autres jours, s'il pensait devoir
avouer quelque faute au plus tôt, et si la chose arrivait de nuit, comme
cela peut se produire, il envoyait aussitôt chercher son confesseur avant
qu'on ne commence matines, et à son défaut, il se confessait au
chapelain qui l'aidait à dire ses heures.
Et il ne faut pas omettre qu'à son retour d'outre-mer, il voulut
avoir deux confesseurs l'un de l'ordre des frères mineurs, l'autre de
l'ordre des frères prêcheurs, afin d'en avoir toujours un à sa
disposition et de la sorte il montrait bien l'amour qu'il portait à l'un comme
à l'autre ordre, et surtout ainsi sa conscience pouvait être plus
tranquille parce que deux avis valent mieux qu'un, suivant le conseil
de Salomon. »

§ 17 « En outre pendant l'avent et le carême, tous les vendredis il


portait un cilice à même sa chair, et aussi aux quatre vigiles de la Sainte
Vierge, bien que plusieurs fois, il lui eût été dit par son confesseur
que ce genre de pénitence ne convenait pas à son état, mais qu'il devait
distribuer de larges aumônes à ses sujets. Enfin il avoua humblement
à son confesseur que ce genre de cilice l'incommodait beaucoup et sur
son conseil il y renonça. Néanmoins pendant le carême, à la place du
38 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
cilice, il se ceignait d'une large ceinture de même étoffe. Et en
compensation, il voulut que chaque vendredi d'avent et de carême, son
confesseur reçût sur son ordre XL sous parisis à distribuer secrètement
aux pauvres. »

§ 18 « II avait coutume, durant toute l'année de jeûner le vendredi


et de s'abstenir de viande et de graisse le mercredi et parfois le lundi.
Mais, à cause de sa faiblesse, il y renonça pour le lundi sur le conseil
de sages gens.
Les quatre veilles des principales fêtes de la Sainte Vierge, il jeûnait
au pain et à l'eau, ainsi que le jour du vendredi saint, parfois à la vigile
de la Toussaint et d'autres fêtes solennelles.
Les vendredis de l'avent et du carême il s'abstenait de fruits et
de poissons, sinon que parfois, avec la permission de son
confesseur il consommait un seul genre de poissons et une seule espèce
de fruits.
Un religieux lui apprit qu'il s'abstenait de tout genre de fruits,
sinon quand pour la première fois un fruit nouveau lui était apporté,
il en goûtait alors comme en action de grâces, et il s'en abstenait le
reste de l'année. Comme le saint roi rapporta la chose à son
confesseur, gémissant presque de ne pouvoir parvenir à un tel degré de
perfection, il eut l'idée, tout au contraire, lorsqu'on lui offrait en
prémices un fruit nouveau, de n'en pas manger cette fois-là et de l'offrir
au Seigneur en sacrifice ; après quoi il en consommait sans scrupule,
et je crois bien que par la suite il observa ce qu'il avait dit.
Je ne me rappelle pas avoir vu d'hommes, sinon bien peu, mettant
autant d'eau que lui dans leur vin. »

§ 19 « Dès son enfance, la miséricorde avait grandi avec lui. Et comme


il eut toujours un cœur charitable pour les malheureux et les pauvres,
je ne dois pas cacher les aumônes que toute la sainte Église connaît,
bien que je ne sois pas capable de les raconter. Chaque jour, où qu'il
fût, il nourrissait dans sa maison de pain, de vin, de viande ou de
poisson plus de cent- vingt pauvres. En carême et pendant l'avent et les
jours de grande fête, le nombre des pauvres était plus élevé. Souvent
le pieux roi servait lui-même les pauvres, leur présentait les plats,
coupait leur pain et, avant de les quitter, leur donnait beaucoup de deniers. . .
Spécialement les jours de jeûne et aux vigiles solennelles, il servait de
sa propre main deux cents pauvres, avant de manger lui-même. En
outre chaque jour il avait à déjeuner et au souper trois pauvres âgés
mangeant près de lui auxquels il envoyait de ses propres mets et à la
fin, il leur remettait une certaine somme d'argent.
Et qui pourrait raconter les larges et fréquentes aumônes que le
pieux roi distribuait aux pauvres religieux, aux nombreux couvents tant
d'hommes que de femmes, aux hôpitaux des pauvres comme aux mai-
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 39
sons des lépreux, et à d'autres congrégations de pauvres : il était leur
véritable père...
Chaque année il avait l'habitude, vers le début de l'hiver, de
donner aux couvents des frères mineurs et des frères prêcheurs une
somme d'argent pour subvenir à leurs besoins...
A ceux qui l'accompagnaient, il disait, avec un visage très
serein et le cœur rempli de piété : « Ο Dieu, combien j'attache de
prix à ce que cette aumône soit distribuée à tous ces frères qui
accourent de grand cœur à ces couvents de Paris pour l'étude de la
sainte doctrine; ainsi ce qu'ils auront puisé dans les saintes
Écritures se répandra par tout le monde à l'honneur de Dieu et au salut
des âmes! »

Dès sa prime jeunesse, il fit édifier de nombreuses maisons et


monastères de religieux, parmi lesquels cet illustre monastère de Notre-
Dame de Royaumont, de l'ordre de Cîteaux avec son église d'une
admirable beauté qu'il construisit de ses propres biens et auquel il assigna
de nombreux revenus. Il fit aussi bâtir plusieurs maisons de frères
prêcheurs et de frères mineurs en divers lieux de son royaume, et
contribua à achever celles qui étaient commencées.
Il agrandit la maison-Dieu de Paris, avec de grands frais.
Il fit construire les maisons-Dieu des pauvres à Pontoise, Com-
piègne et Vernon avec de vastes et somptueux bâtiments et leur
assigna de larges rentes. D acquit de ses propres biens le monastère de Saint-
Mathieu, près Rouen, où il plaça une cinquantaine de sœurs de l'ordre
de Saint Dominique servant pieusement Dieu et les pourvut de
revenus suffisants.
Il fit construire à Paris la grande maison des pauvres aveugles
dans laquelle habitent plus de trois cent cinquante de ces malheureux
qui, privés de la vue, peuvent du moins entendre le service divin dans
leur propre chapelle.
Il rassembla en grand nombre dans la maison des Filles-Dieu à
Paris ces femmes dignes de pitié qui faute de vivres en étaient réduites
à se prostituer sur la voie publique pour quémander seulement du pain
et de l'eau ; afin de les préserver du péché, il leur assigna un subside
annuel de quatre cents livres parisis.
Il octroya aux moines de l'ordre de la Chartreuse, en un lieu
nommé Vauvert près Paris, un emplacement qui leur convienne pour
y servir Dieu et il leur conféra des ressources suffisantes.
Il acquit à Paris de ses propres deniers la maison des honnêtes
femmes qu'on appelle béguines et les dota également pour que au
nombre d'environ quatre cents elles y vivent pieusement et
honorablement. A part un certain nombre d'exceptions il s'agissait surtout de
pauvres femmes nobles qui étaient ainsi assurées leur vie durant d'un
secours quotidien. En plusieurs cités et villes de son royaume il agit
40 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
de la même façon en donnant à d'autres béguines des maisons
d'habitation.
De plus, le roi Philippe, de pieuse mémoire, ayant l'habitude de
distribuer au début du carême environ trois mille livres aux pauvres,
mais sans qu'aucune confirmation n'en eut été mise par écrit, son très
dévot successeur confirma cette pieuse aumône par sa charte sous forme
de diplôme, afin quelle ne puisse tomber en désuétude.
Le très pieux roi, père et consolateur des pauvres, qui en son cœur
avait élevé une sorte d'hôpital spirituel au Seigneur accueillait avec bonté
tous les religieux qui venaient à lui, à quelque ordre pauvre qu'ils
appartinssent pourvu qu'ils fussent confirmés par le Siège apostolique, et à
ses frais les pourvoyait à Paris d'un lieu qui leur convienne.
Lorsqu'il apprit que certains de ses familiers murmuraient sur la
largesse de ses aumônes, il leur répondit que, lorsqu'il lui fallait
faire de tels excès de dépense, il préférait les faire en aumône pour
Dieu que pour des choses profanes et mondaines, en sorte que ce genre
d'excès fait pour des choses spirituelles excusait et rachetait les excès
que les convenances l'obligeaient fréquemment à faire pour les choses
de ce monde.
Effectivement, lors des fêtes solennelles et pour les dépenses
journalières de son hôtel, et lors de la tenue des parlements ou des
assemblées des barons et de chevaliers, il se comportait avec largesse et
magnificence comme il appartenait à la dignité royale, et l'on servait dans
son hôtel avec bien plus de goût et de savoir faire que du temps des
rois ses prédécesseurs.
Et il voulait que les restes des mets de la table de l'hôtel du roi
soient conservés avec vigilance et complètement en sorte que personne
ne se permette d'emporter au dehors quoi que ce soit de ces reliefs sans
la permission de l'aumônier (préposé à cet effet) et qu'ainsi les pauvres
en retirent avantage ' . »

20 « Dans la collation des bénéfices ecclésiastiques appartenant à


son patronage, il avait toujours Dieu devant les yeux et, dans la mesure
où il le pouvait, il les conférait à des personnes choisies et éprouvées,
tout particulièrement dans les églises cathédrales, où lors de la vacance
du siège la garde royale lui donnait le droit en vertu de la coutume de
conférer les prébendes. Il procédait alors à un choix, après enquête du
chancelier de Paris et d'autres gens compétents, en particulier frères
prêcheurs ou frères mineurs. Et il voulait que les clercs ainsi désignés
fussent inscrits dans son mémorial, afin de les pourvoir en temps et
lieu ; et l'on doit bien savoir qu'il observait cette coutume de ne
conférer un bénéfice ecclésiastique à aucune personne, même lettrée et
renommée, si elle en possédait déjà un autre et encore seulement si
auparavant elle l'avait purement et simplement résigné ; il ne voulait pas non
plus accorder ni conférer à quelqu'un un bénéfice non encore vacant
avant d'avoir la certitude qu'il serait vacant.
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 41
Avec joie il rendait grâce au Seigneur lorsqu'il avait conféré
quelque bon bénéfice à une personne renommée et de grande
réputation. . .

Ce qu'il dépensait en constructions superflues dans ses maisons


ou autres vaines choses profanes, il les considérait comme du
gaspillage.
Selon l'opinion commune il n'était pas prodigue de larges
présents en faveur des barons et des chevaliers de son royaume, pas même
lorsqu'il se montrait affable en paroles flatteuses et en compliments
publics par lesquels il savait attirer leur affection. Et pourtant tous, tant
grands que petits l'avaient en haute estime et respect, à cause de sa
loyauté, de sa justice et de sa sainteté. Sachant en effet que c'était un
homme juste et intègre, ils le craignaient. ... Aussi, après le temps de
sa jeunesse, il n'y eut personne qui osât s'insurger contre lui, ni
l'attaquer, et si quelqu'un se montrait rebelle, il devait aussitôt se
soumettre à sa souveraineté : comme on l'a écrit de Salomon, roi
pacifique, il eut partout la paix dans les limites de son royaume...
Non seulement il se comportait humainement et pacifiquement
envers ses sujets, mais aussi avec ses voisins limitrophes, les princes
et gouverneurs des villes.
Pour rétablir la paix et la concorde entre eux, il dépêchait souvent
des envoyés sûrs et discrets, avec de grands subsides et ainsi les
conservait en paix, et protégeait le peuple des villes et les pauvres (paysans)
des souffrances qu'ils avaient coutume d'endurer en temps de guerre.
Ainsi donc il se comportait avec bonté envers tous, sujets, voisins
et même étrangers lointains, en toutes circonstances, de sorte qu'il
méritait d'être honoré et également aimé par tous, et que son royaume, grâce
à sa maîtrise de lui-même et à son calme intérieur, avait l'avantage
de vivre en paix.
Car il est écrit que la miséricorde et la vérité gardent le roi et
que son trône est affermi par sa clémence. Son trône comme le
soleil brillait au regard et à la vue de tous. Car de même que le
soleil répand partout ses rayons, de même par lui étaient partout
répandus les bienfaits de sa lumière et de sa chaleur : exemple
lumineux de sa vie digne de louanges, effet d'une charité et d'un amour
inextinguibles. »

S 21 « De sa dévotion à l'office divin et de sa manière de prier.


Il voulait tous les jours entendre le chant des heures canoniques
et de celles de la Sainte Vierge. S'il lui arrivait d'être en route, à
cheval, il les récitait pourtant à voix basse avec son chapelain ; et chaque
jour aussi il disait avec lui l'office des morts à neuf leçons, même lors
des fêtes solennelles. Il arrivait rarement qu'il n'écoutât chaque jour
deux messes, et souvent trois ou quatre. Comme il entendit que cer-
42 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
tains des nobles murmuraient de ce qu'il écoutât tant de messes et tant
de sermons, il rétorqua que s'il passait deux fois plus de temps en jouant
aux dés et en courant par les bois à chasser la bête fauve ou les oiseaux,
personne n'en parlerait. Pendant quelque temps il eut l'habitude, vers
minuit de se lever pour chanter matines dans sa chapelle avec ses
chapelains et ses clercs puis en revenant après, il avait un moment calme
de prière, avant de se coucher. Alors, comme il disait familièrement,
il ne craignait pas, si le Seigneur lui suggérait quelque dévotion, d'en
être empêché par quelqu'un survenant à Γ improviste. Et alors il
voulait rester en oraison aussi longtemps qu'avaient duré les matines
dans l'église.
Mais comme, à cause d'affaires urgentes, il lui fallait se lever à
l'heure de prime assez matin, et que par de telles veilles son corps
pouvait être affaibli et sa tête alourdie, il se rendit au conseil et aux prières
des gens sages, à savoir de placer les matines à une heure telle, qu'après
y avoir assisté, il puisse sans grand délai entendre prime, les
différentes messes et les autres heures.
Quand les heures étaient chantées, il ne voulait être dérangé sous
aucun prétexte, à moins d'une nécessité urgente, et alors seulement
de façon brève et succincte.
Les fêtes solennelles de l'année, non seulement Pâques mais aussi
les autres fêtes des saints pour lesquels il avait une particulière
dévotion, il les faisait célébrer avec le plus grand soin et de façon
magnifique, convoquant des clercs ayant des voix mélodieuses, choisis parmi
les bons-enfants, pieuse communauté résidant à Paris, auxquels il
donnait de l'argent à leur retour, et dont il subventionnait les études
pendant une bonne partie de l'année.
Il désirait beaucoup avoir la grâce des larmes et à ce sujet se
plaignait à son confesseur, lui disant familièrement que lorsque dans
la litanie on prononçait « Ut fontem lacrymarum dones », il disait
« Ο Seigneur je n'ose pas demander une fontaine de larmes, mais me
suffiraient quelques petites gouttes pour détremper l'aridité et la dureté
de mon cœur » ; il disait aussi à son confesseur que, lorsque répondant
à sa prière, le Seigneur le gratifiait de ce don des larmes et qu'il les
sentait couler sur ses joues et jusqu'à sa bouche, il en goûtait la très
douce saveur.
Souvent et pieusement, il visitait les congrégations des religieux
et lorsqu'ils tenaient leur chapitre, il sollicitait d'eux, humblement et
à genoux, les suffrages de leurs prières ainsi que des messes pour lui
et ses amis vivants et défunts. Il était très fidèle à prier et à faire prier
pour ses familiers, ses serviteurs et ses amis disparus. »

22 « Sa dévotion l'ayant poussé à aller en pèlerinage à la cité de


Nazareth, il partit d'Acre, vint à Sophore où il passa la nuit ; de là après
avoir pris le cilice, la veille de l'Annonciation il se rendit à Cana, puis
au Mont-Thabor et enfin le même jour descendit vers Nazareth.
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 43
Lorsqu'il aperçut de loin ce lieu béni, il mit pied à terre et, s
'agenouillant sur le sol, se plongea en dévotion, puis à pied alla
humblement à la cité sainte et entra dans le lieu sacré où naquit Notre
Seigneur 2. Ce jour-là, bien que très fatigué par le trajet, il jeûna au pain
et à l'eau. Et en ce même endroit, combien pieusemient il se comporta,
faisant célébrer glorieusement les vêpres, les matines, la messe et les
autres offices que requéraient la solennité et la renommée d'un tel lieu,
nous pouvons le savoir par les nombreux assistants qui attestent que,
depuis que le Fils de Dieu prit chair de la glorieuse Vierge Marie, jamais
aucun service n'aura été célébré avec autant de sollennité et de
dévotion. Le pieux roi reçut la communion au cours de la messe
célébrée à l'autel de l'Annonciation, après quoi Monseigneur Eudes
de Tusculum légat du siège apostolique célébra solennellement au maître
autel et prononça le sermon.

Ce roi parfaitement catholique voulait avoir à l'Eglise les


ornements sacrés les plus précieux en harmonie avec la liturgie des
différentes fêtes solennelles : il y apportait un soin et une sollicitude toute
particulière.
Il veillait à obtenir de Monseigneur le pape et des autres prélats
de l'Église des indulgences et les ayant obtenues, il en bénéficiait avec
une pieuse assiduité. »

23 « Très fréquemment il voulait écouter les sermons et quand ils


lui plaisaient bien, il les retenait parfaitement et savait les répéter aux
autres avec beaucoup de talent.
Au retour de son pèlerinage outre-mer, pendant dix semaines ou
environ qu'il fut en mer, il ordonna que trois sermons fussent
prononcés chaque semaine. Lorsque la mer était calme et que la conduite de
la nef et les tâches des marins étaient peu absorbantes, le pieux roi voulait
que lesdits marins aient un sermon particulier, sur une matière
répondant à leurs besoins sur les articles de la foi, la morale et les péchés,
considérant que des gens de leur métier entendaient très rarement la
parole de Dieu. Il voulut en outre que chacun d'entre eux se confessât
aux prêtres choisis pour cela, et lui-même, de sa propre bouche, leur
fit exhortation très salutaire et efficace, leur exposant avec persuasion
combien fréquemment ils étaient en péril de mort, à cause des dangers
imprévus de la mer.
Entre autres, il leur dit une parole notable et digne de mémoire,
à savoir que si pendant que l'un de ses marins était en train de se
confesser et que la nef ait eu soudain besoin de ses services : « moi,
dit le roi, je mettrais volontiers la main, soit pour tirer un cordage,
soit pour faire toute autre besogne ». Et cette exhortation ne fut pas
vaine car de nombreux marins se confessèrent, qui pendant plusieurs
années ne s'étaient jamais confessés.
44 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Le roi, plein de foi, apprit, alors qu'il était outre-mer, qu'un
grand Soudan des Sarrazins faisait diligemment rechercher tous les
genres de livres pouvant être nécessaires aux philosophes Sarrazins et
les faisait transcrire à ses frais et resserrer dans sa bibliothèque afin que
les lettrés en puissent avoir copie chaque fois qu'ils en auraient besoin.
Le pieux roi considéra que les fils des ténèbres paraissaient être
plus avisés que les fils de lumière et plus zélés pour leur doctrine
erronée que ne sont les fils de l'Église pour la vraie foi chrétienne. Il
forma dont le projet de faire rechercher après son retour en France tous
les livres de la Sainte Ecriture, de bonne et saine doctrine, dans les
diverses bibliothèques des abbayes, et ensuite de les faire transcrire à
ses frais, afin que tant lui-même que les religieux et les gens instruits,
ses familiers, puissent les étudier et pour leur profit personnel et pour
l'édification de leurs proches.
Ainsi, à peine revenu, il réalisa son intention et fit aménager un
local approprié et protégé, à Paris même, dans le trésor de sa chapelle
où il rassembla soigneusement de nombreux textes originaux, tels que
ceux d'Augustin, Ambroise, Jérôme et Grégoire, et, bien entendu, les
livres des autres savants d'une doctrine reconnue, dans lesquels, quand
il avait le temps, il étudiait très volontiers, et qu'il prêtait de bon gré
aux autres pour les étudier. La principale opportunité qu'il trouvait
pour cette étude, c'était sa sieste journalière, avant de se produire en
public pour répondre aux visiteurs ou pour entendre les vêpres.
Il préférait faire transcrire à nouveau des livres plutôt que d'acheter
ceux qui étaient déjà écrits, disant que, de la sorte, était accru plus
largement le nombre des livres saints et par conséquent leur utilisation.
De ces livres qu'il avait fait recopier et déposer à Paris dans sa
bibliothèque, il décida par testament qu'une partie reviendrait aux frères
mineurs, une autre aux frères prêcheurs, et le reste aux moines de
Royaumont, de Tordre cistercien, qu'il avait fondé entièrement de ses
propres biens.
Lorsqu'il étudiait dans ces livres en présence de certains de ses
familiers qui ne connaissaient pas les lettres, ce qu'il avait lu, il savait
le traduire du latin en français en s 'exprimant avec exactitude et avec
élégance.
Il ne lisait pas volontiers les écrits des maîtres (contemporains),
mais les livres des saints authentiques et approuvés. »

24 « Par quelle immense manifestation de foi, par quel labeur et


quelles énormes dépenses, mais aussi par quels dangers courus par ses
envoyés, il obtint de l'empereur de Constantinople la Couronne
d'épines du Sauveur, une très grande partie de la sainte Croix et encore
beaucoup d'autres reliques.
Et avec quelle joie le pieux roi accourut de loin au devant de ces
insignes reliques pour les recevoir. Avec quelle procession solennelle
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 45
et quelle piété tout le clergé et toute la population de Paris vinrent
accueil ir ces précieuses reliques, le roi lui-même, nu-pieds, aidant à porter
ce trésor sacré sur ses propres épaules : en conserve le témoignage le
livret (libellus) qui fut alors composé avec grand soin, et qui se lit aux
matines lors des solennités et deux fêtes instituées par le pieux roi pour
commémorer les jours anniversaires de leur arrivée à Paris.
Et puis, quelle merveilleuse, quelle splendide et noble chapelle
il fît construire à Paris, et quel reliquaire admirable et de grand prix
il fit fabriquer d'or et d'argent, et orné de pierres précieuses, pour
renfermer avec honneur les saintes reliques. Peuvent l'attester ceux qui
l'ont vue à Paris.
Dans ladite chapelle, il institua des chanoines et des chapelains
dotés de grands revenus, ainsi qu'il convenait à la dignité royale, et
afin que le service divin y soit assuré pour Notre Seigneur, à perpétuité.
Toutes ces choses immortalisent le zèle dont le roi était enflammé
pour la foi chrétienne. »

25 « Avec quelle foi fervente à deux reprises il entreprit le pèlerinage


d'outre-mer, quelles dépenses, quels dangers et quelles épreuves il a
soutenu, cela est à peu près connu de tout le monde.
Gomment notamment lors de son premier pèlerinage, et après
de nombreuses peines, lors de sa première arrivée en Egypte, Dieu lui
a donné miraculeusement Damiette, comment ensuite, par la
permission divine devenu captif des Sarrazins, avec quelle sagesse il se
comporta, tout le temps qu'il fut retenu entre leurs mains, au point que
lesdits Sarrazins le considéraient non seulement comme très sage, très
loyal mais très saint.
Enfin il faut remarquer que s'il fut prisonnier des Sarrazins, on
doit surtout admirer comment assurément par un miracle divin et par
la puissance divine, mais aussi il faut l'écrire par les mérites du saint
roi, contre presque tout espoir, assez facilement et pour un prix
relativement modique, lui et ses frères et l'armée chrétienne furent libérés
en assez bonne forme des mains de ces impies.
Pourtant il ne faut pas passer sous silence que lorsque le roi fut
pris il était gravement malade de cette épidémie mortelle et générale
dont la plus grande partie de l'armée périt ces jours-là, au point que
l'on redoutait sérieusement pour sa vie, mais la Providence tournant
en bien toutes choses pour ceux qui l'aiment, le Soudan le fit garder
avec grand soin et guérir par ses médecins qui, mieux que les nôtres
connaissaient l'art de traiter cette maladie; il usa également de
courtoisie en fournissant au roi tout ce qu'il demandait.
En sorte que de lui-même et des siens, il peut être vraiment dit :
« II en fit l'objet de ses miséricordes devant tous ceux qui les tenaient
captifs » (Ps. 106, 46). »
46 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
§ 26 « Ainsi donc délivré par la vertu divine, la paix ou la trêve étant
conclue avec les Sarrazins, et les captifs libérés ayant été recouvrés, le
pieux roi vint à Acre.
Il y tint un conseil réunissant tant ses fidèles que les chevaliers
et prélats de cette terre, parmi lesquels nombre de gens avertis dirent
que, si après une telle infortune il revenait en France, il mettrait la Terre
Sainte dans le plus grand danger d'être perdue, et que seraient
également perdus les derniers captifs qui n'avaient pas encore pu être
délivrés. Le roi, poussé par la piété et par la foi, partagea leur avis et décida
de rester en Syrie, autant qu'il plairait au Seigneur, bien que
beaucoup des siens aient exprimé une opinion contraire.
Il resta donc en Terre Sainte pendant cinq ans environ, mais son
séjour ne fut pas oisif et sans occupations. Car, pendant ce temps-là,
à grands frais il fortifia Cesaree qu'il entoura de murs très puissants,
et il fit de même à Jaffa et à Sidon. Il fit encore de grosses dépenses
en agrandissant et en renforçant l'enceinte de la cité d'Acre.
Tous ces travaux quoique très coûteux semblent assurément avoir
rendu peu de services à la chrétienté ; nous croyons pourtant qu'on ne
saurait lui en tenir grief, car tout cela résulta d'un dessein secret de
Dieu qui nous reste inconnu et pourrait être imputé aux fautes des autres
bien plutôt qu'à ses propres fautes. »

S 27 « Pendant la durée de son séjour, beaucoup de Sarrazins vinrent


à lui pour devenir chrétiens : il les accueillait avec joie et les faisait
baptiser et instruire soigneusement dans la foi du Christ, puis il les
ramena en France eux, leurs femmes et leurs enfants, leur accordant
des subsides pour toute la durée de leur vie.
De ses propres deniers, il fit acheter de nombreux esclaves,
Sarrazins ou païens, les faisait baptiser, et leur assurait à eux aussi les moyens
de vivre. »

S 28 « Alors quii était à Jaffa pour y construire les murs, parvinrent


des bruits sur la pieuse mort de madame Blanche, sa très illustre
mère.
Comme le légat fut le premier à apprendre la nouvelle, il en avertit
l'archevêque de Tyr qui portait alors le scceau royal, et il voulut que
je les accompagnasse. Nous arrivâmes tous trois chez le roi et le légat
lui demanda à lui parler secrètement dans sa chambre en notre
présence. Apercevant le visage grave du légat, il comprit que celui-ci
voulait lui annoncer quelque chose de funeste.
Cet homme, plein de Dieu, nous conduisit de sa chambre dans
sa chapelle attenante et, toutes portes closes, il s'assit avec nous face
à l'autel.
Alors, avec délicatesse, le légat exposa au roi les divers et grands
bienfaits dont Dieu, dans sa bonté, l'avait comblé depuis sa petite
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 47
enfance et tout particulièrement en lui donnant une telle mère qui l'avait
élevé d'une façon si catholique et qui avait gouverné et administré les
affaires de son royaume avec tant de loyauté et de sagesse.
Il ajouta ensuite au milieu des sanglots et des larmes la nouvelle
si funeste et si déplorable de la mort de la reine. Le roi catholique se
lamentant à haute voix et le visage baigné de pleurs s'agenouilla devant
l'autel et, les mains jointes, dans un pieux gémissement dit : «Je vous
rends grâce, Sire Dieu, qui m'avez accordé une dame et une mère
très chérie, tant qu'il a plu à votre bonté, et maintenant, Seigneur,
par sa mort corporelle vous l'avez rappelée à vous selon votre bon
plaisir. Il est vrai, Seigneur, que je l'ai toujours aimée au-dessus
de toute créature mortelle, ainsi qu'elle le méritait bien, mais puisque
votre décision a été celle-là, que le nom du Seigneur soit béni à
jamais. Amen! »
Ensuite, le légat ayant prononcé une brève recommandation pour
l'âme de la défunte, le roi voulut rester seul dans sa chapelle. Le légat
et l'archevêque s 'étant retirés, il me retint seul avec lui. Alors, afin que
sa douleur ne devînt pas trop pesante, je m'approchai de lui pour le
consoler autant que je le pouvais, lui disant humblement qu'il avait
à présent suffisament rendu à la nature ce qu'il lui devait, mais que
maintenant par la grâce de Dieu présente en lui il convenait d'agir selon
la raison illuminée par la grâce.
Il reçut avec confiance cette exhortation et se rendit à sa
conclusion. Car, peu après, il se leva et se retira dans son oratoire, où il avait
l'habitude de dire ses heures... Là il m'appela et, seul avec lui selon
sa volonté, nous dîmes ensemble tout l'office des morts : les vêpres et
les vigiles avec neuf leçons. Et vraiment, je ne fus pas sans admiration,
après un tel choc subi par l'annonce d'une si affreuse nouvelle, de n'avoir
pas eu à le corriger dans aucun verset du psaume, ni avoir relevé la
moindre erreur ou hésitation dans aucune leçon qu'il disait, comme
il arrive souvent à un homme profondément troublé par la soudaineté
de nouvelles si accablantes. En vérité, j'attribue cela à la vertu de la
grâce divine et à sa fermeté d'âme.
En fils très fidèle, il veilla sur l'âme de sa mère. Il demanda des
messes innombrables et le pieux suffrage de leurs prières dans les
différents ordres religieux. Et depuis lors, il voulut que toujours fût
célébrée devant lui, chaque jour une messe spéciale à l'intention de sa mère,
sauf les dimanches et les jours des principales fêtes (de l'Eglise).
Ensuite il demeura encore en Terre Sainte plus d'une année, puis,
les murs de Jaffa une fois achevés, il se rendit à Sidon pour y faire
construire de solides murailles de défense tout autour de la cité.
Cela fait, il comprit par plusieurs lettres et messagers venus de
France qu'après la mort de sa mère, son royaume était gravement
menacé tant du côté de l'Angleterre que du côté de l'Allemagne
(Alemania).
48 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Ayant donc pris conseil auprès de gens avertis, il fut d'accord pour
retourner en France, non sans laisser de nombreux chevaliers avec le
légat, et les sommes nécessaires pour le maintien et la sauvegarde de
la Terre Sainte.
Avec quelle ferveur et combien de larmes, avec quelle
reconnaissance et quelle affection de tout le peuple d'Acre, uni aux chevaliers
et aux prélats, il aura été accompagné jusqu'à sa nef : nous ne
pouvons l'exprimer. »

S 29 « Sur le point de monter en sa nef, il y fît par dévotion placer le


Corps du Seigneur Jésus-Christ, pour que les infirmes puissent
communier, et pour lui-même et les siens quand lui paraîtrait que la chose
fût utile.
Et parce que les autres pèlerins, quelque grands qu'ils fussent,
n'avaient pas l'habitude de le faire, il obtint pour cela de monseigneur
le légat une autorisation spéciale. Il fit placer ce trésor sacré dans l'endroit
le mieux approprié et le plus digne de la nef, y fit ériger un précieux
tabernacle décoré de tissus d'or et de soie. Il y fit disposer l'autel orné
comme il convenait, où chaque jour il écoutait solennellement l'office
divin, à savoir toutes les heures canoniales et sauf le canon tout ce qui
constitue la messe, le prêtre et les ministres, revêtus d'ornements sacrés
conformes à la liturgie du jour3. Il était aux petits soins à l'égard des
infirmes pour qu'ils aient toutes les choses nécessaires, selon ce que leur
maladie exigeait; et il veillait tout particulièrement à ce que, leur
confession faite, ils reçoivent tous les sacrements : la sainte
communion et Γ extrême-onction. Quant aux morts, il faisait célébrer par ses
chapelains les obsèques qui leur étaient dues, comme il appartenait en
tel lieu. »

S 30 « II ne faut pas omettre que la troisième nuit après avoir quitté


le port d'Acre avec le roi, un peu avant le jour, alors que nous étions
près de Chypre, la nef heurta soudain contre une roche, ou une langue
de terre, ou de sable qui s'avançait dans la mer et était presque aussi
dure que la pierre ; sous la poussée du vent la nef y reçut un choc
violent. Tous les gens se mirent à hurler et à se lamenter croyant
que le fond de la cale était fracassé. Les nautoniers étaient presque
tous désespérés, se demandant que faire, et comment ils pourraient
s'en tirer.
Quant au roi catholique rassemblant sa foi et son espérance en
Dieu, conscient du péril, ne se souciant presque pas de son corps ni
de sa femme, la reine Marguerite, ni de ses enfants qui gisaient
consternés près de lui, il s'élança vers l'autel pour prier et devant le Corps
du Christ et les saintes reliques ; se prosternant pieusement il suppliait
humblement le Dieu tout puissant de les délivrer d'un si grand péril.
Et nous devons croire que par ses mérites et par ses prières la Provi-
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 49
dence divine sauva du naufrage la nef et tout son chargement, alors
que dans un semblable péril c'est à peine si, sur cent nefs, deux s'en
seraient sorties.
Par sa solidité, ou plutôt par la puissance divine, notre nef rompit
cet obstacle et se fraya un passage par le milieu. A la lumière d'une
torche, les nautoniers scrutant la cale de la nef et n'y trouvant aucun
dommage, désormais rassurés, jetèrent les ancres en attendant le jour.
Le matin, le roi, plein de foi, retourna secrètement devant l'autel, et,
prosterné, rendit grâces pour un si grand et si admirable bienfait
manifesté à lui et aux siens par le Sauveur de tous les hommes.
Les prêtres qui jusqu'alors dormaient dans leurs lits au voisinage
de l'autel se réveillèrent et voyant le roi en prières, pieusement
prosterné, ils furent stupéfaits; quant à lui, tout simplement leur raconta
ce qui s'était passé. »

§ 31 « Après qu'il fut heureusement revenu en France, avec quelle


piété envers Dieu, avec quelle justice pour ses sujets, avec quelle
commisération pour les malheureux, et avec quelle humilité il se
conduisit; enfin avec quelle volonté il s'appliqua à progresser dans tous les
genres de vertus : en sont témoins ceux qui observèrent sa conduite
avec attention, et principalement ceux qui découvrirent la sérénité de
son âme. En sorte que selon le jugement de ceux qui savent lire dans
les cœurs, autant l'or est bien plus précieux que l'argent, autant le
nouveau et saint comportement qu'il rapporta de son voyage en Terre
Sainte surpassa celui d'autrefois, encore que sa manière de vivre au
temps de sa jeunesse fût toujours bonne, honnête et tout à fait digne
de louanges. »

§ 32 « C'est tout particulièrement vers le culte divin et l'exaltation de


la foi chrétienne que se tournaient ses intentions. Son cœur était angoissé
et souffrait de cette peste générale qui depuis longtemps s'était
emparée notamment de son royaume : le vice honteux des jurements et des
blasphèmes contre le Seigneur et ses saints.
Donc poussé par un zèle divin, et soucieux de trouver moyen à
l'honneur de Dieu d'extirper à fond de son royaume cette peste
exécrable, il recourut tout d'abord au conseil avisé de monseigneur
Simon, prêtre cardinal de Sainte-Cécile, alors légat du Siège
apostolique en France ; conforté par son autorité, il convoqua à Paris les grands
du royaume, tant princes que prélats, afin d'obtenir d'eux un conseil
et un remède salutaire pour mettre un frein à ce vice condamnable ou
mieux pour le détruire.
Un sermon solennel et très efficace ayant été prononcé par le
légat sur cette matière, le roi catholique enflammé d'un saint zèle fit
de sa propre bouche une pieuse exhortation appuyée sur des arguments
clairs et vigoureux. Et c'est ainsi qu'avec le conseil et l'assentiment una-
50 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
nime le pieux roi édicta une ordonnance générale {generale statutum) qu'il
voulut être proclamée et observée par tout le royaume. »
(Cette ordonnance contre les jurements et blasphèmes
manque dans le manuscrit de Geoffroy de Beaulieu.)

§ 33 « Or, après la publication de cet édit (indktum), un citoyen de


Paris, de condition moyenne, blasphéma contre Dieu, en jurant de la
façon la plus honteuse.
Sans miséricorde, le roi juste ordonna de lui brûler les lèvres d'un
fer chaud, afin qu'il en conservât perpétuellement la mémoire, et pour
servir d'exemple aux autres.
Sur ce, comme beaucoup de sages — selon le siècle —
murmuraient contre le roi et le maudissaient, le grand roi en ayant eu de
nombreux échos et sachant qu'il est écrit : « Heureux serez-vous lorsque
les hommes vous maudiront », jusqu'à « ceux qui vous maudissent,
tu les béniras », prononça cette parole catholique qu'il aimerait plutôt
qu'une semblable brûlure lui fût faite sur ses propres lèvres et que
pendant toute sa vie il portât cette marque d'infamie pourvu que ce vice
détestable fût à jamais déraciné son royaume.
En outre, comme à ce moment le seigneur roi avait ordonné
d'entreprendre certains travaux qui, aux yeux de tous, contribuaient
considérablement à l'intérêt général et qu'il en recevait de multiples
bénédictions à Paris de ceux qui en étaient les bénéficiaires, il déclara qu'il
attendait du Seigneur une plus grande récompense pour les
malédictions qu'il avait encourues à l'occasion de ce supplice que des
bénédictions qu'il recevait des Parisiens pour les bienfaits d'intérêt général dont
il les avait favorisés. »

§ 34 « Voici encore, à sa louange, un exemple tout personnel de son


amour pour la foi.
Un jour, étant au château de Poissy, il dit, tout joyeux et fier,
à quelques familiers que le meilleur présent et le plus grand honneur
qu'il aura jamais reçu en ce monde, le Seigneur le lui avait fait en ce
même château.
A ceux qui étaient présents, curieux de connaître cet honneur,
il leur dit — alors qu'ils estimaient qu'il parlait plutôt de la cité de Reims
où il avait reçu la couronne du royaume et l'onction du sacre — il
répondit en souriant que c'était dans ce château qu'il avait reçu la grâce du
saint baptême, don et dignité qu'il estimait incomparables, dépassant
tous les honneurs ou dignités du monde. Raison pour laquelle, lorsqu'il
envoyait des lettres secrètes à quelque familier, il voulait, omettant sa
qualité de roi, s'appeler Louis de Poissy ou seigneur de Poissy,
préférant ainsi porter le nom du lieu de son baptême plutôt que celui de
toute autre illustre cité. »
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 51
§ 35 « En touchant les maladies qu'on appelle les écrouelles, pour
lesquelles le Seigneur a donné aux rois de France une grâce singulière
de guérison, le pieux roi voulut observer cette pratique, plus que les
autres rois ses prédécesseurs. Alors que touchant l'endroit malade ils
prononçaient seulement les paroles appropriées et traditionnelles, paroles
saintes et catholiques, il ajouta au rite accoutumé : en plus des paroles
sur l'endroit malade, il faisait un petit signe de croix pour qu'ensuite
la guérison fut attribuée à la vertu de la sainte croix plus qu'à la majesté
royale. »

§ 36 « En outre, ayant un véritable culte pour la croix, il montrait


une telle révérence pour le signe de la sainte croix que, lorsqu'il
traversait un cloître de religieux et voyait les croix sculptées étendues sur
les tombes des défunts, il évitait le plus possible de passer dessus. Et
dans les cloîtres et cimetières des religieux qu'il aimait plus
spécialement, il faisait retirer les croix qui étaient sur leurs tombes.
Chez certains religieux, il vit qu'était observée cette coutume : lorsque
l'on chantait à la messe le Credo in unum Deum et qu'étaient prononcés
les mots et homo factus est, le chœur s'inclinait humblement et
profondément. Cette coutume lui plut beaucoup. C'est pourquoi ensuite
il fit instituer et observer, à la fois dans sa chapelle en sa présence et
dans plusieurs autres églises que, lors de cette parole, non seulement
on s'inclinât, mais que l'on fléchît les genoux avec révérence.
Semblablement, il remarqua que dans certains monastères, lors
des quatre passions de la semaine sainte (vulgairement appelée « pei-
neuse ») quand on prononçait Inclinato capite emisit spiritum ou expiravit,
le couvent pieusement agenouillé et incliné se recueillait un moment
en oraison. Bientôt après le pieux roi fit de même observer cette
coutume en sa chapelle et dans plusieurs autres églises. Coutume
qui, à sa demande, fut approuvée et prescrite dans l'ordre des frères
prêcheurs. »

« En outre, il parut incongru à sa dévotion, et indigne, que des


représentations du crucifix, de la sainte Vierge ou d'autres saints, par
exemple celles qui provenaient de maisons particulières, fussent l'objet
d'une vénération collective dans une église sans avoir reçu aucune
bénédiction. C'est pourquoi il fit soigneusement rechercher dans
les anciens ordinaires des évêques pour qu'y soit retrouvée la prière
propre et pieuse se rapportant à la bénédiction des nouvelles « images »
avant d'être ensuite présentées à la dévotion des fidèles. Et en
premier lieu, le pieux roi voulut que ce rite fût observé dans sa propre
chapelle.
On pourrait encore beaucoup écrire sur sa ferveur et sa piété,
mais par considération pour sa propre humilité, ces exemples sont
suffisants.
52 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Et maintenant, nous passons à son second et ultime pèlerinage
dans les contrées d'outre-mer. »

§37 En définitive, le roi saint comprenant qu'il serait à jamais frustré


dans son espoir d'entrer en religion, et aussi ayant entendu dire
combien de calamités, combien de désolations et quels incessants
périls pesaient sur la Terre Sainte, aspira à tenter vers la fin de
sa vie et pour Dieu une entreprise difficile, dont il ne pourrait guère
être dissuadé.
Il conçut donc avec dévotion le pieux dessein de traverser la mer,
et dans la mesure où la grâce divine le lui permettrait, d'apporter aide
et conseil salutaire contre le danger que courait la Terre Sainte et qu'il
jugeait très prochain. Et alors à la surprise de tous, il commença à
restreindre autant qu'il le pouvait les dépenses de son Hôtel.
Cependant, il ne voulut pas engager subitement une telle affaire
de sa seule initiative. Il envoya donc un ambassadeur secret et discret
pour consulter humblement et respectueusement le souverain Pontife,
monseigneur Clément (IV) d'heureuse mémoire, lequel en homme
prudent, commença par manifester son appréhension, puis après une
longue réflexion, finalement y consentit volontiers et donna son
approbation à ce pieux projet. Mieux : à la demande du roi, il envoya pour
cela un légat en France, en la personne de monseigneur Simon, prêtre
cardinal du titre de Sainte Cécile. »

§ 38 « Sur le point de prendre la croix, il convoqua à Paris une grande


assemblée de prélats, de princes, de barons et de chevaliers, et une
énorme foule d'autres gens. Devant tous, en présence du légat, le roi
catholique lui-même prononça une exhortation énergique et très
solennelle, les animant à tirer vengeance de l'injure faite au Sauveur en Terre
Sainte depuis si longtemps et qu'il importait de la recouvrer comme
propre héritage des chrétiens, après avoir été occupée par les
infidèles, en punition de nos péchés. Ces choses et beaucoup d'autres se
rapportant à la même matière, le pieux roi les exposa longuement de
façon très convaincante.
Après quoi, le légat ayant terminé son propre sermon, le roi, tout
le premier reçut la croix avec la plus grande dévotion, ses trois fils après
lui, et une multitude de comtes, barons et chevaliers : tant ceux-là mêmes
à qui le pieux roi avait déjà parlé de son projet que les autres dont Dieu
seul avait touché le cœur. »

§ 39 « II prit donc la croix avec la plus vive ferveur. Mais quels soucis,
il allait avoir à surmonter pour entraîner les grands à sa suite par des
présents et des promesses, avec quelle anxiété et quelle inquiétude
chercherait-il à hâter le départ et à préparer le transport par mer : en
sont témoins ceux qui participèrent à ses préoccupations pour toutes
ces choses.
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 53
Au moment jugé opportun, ayant pris la route avec les siens, il
parvint en temps fixé au port d'Aigues-Mortes. Là il eut à supporter
beaucoup d'amertume et de désappointement à cause du manque de
parole des marins et de la défaillance des vaisseaux qui n'étaient pas
arrivés à la date prévue et convenue : en sorte qu'il ne put monter dans
sa nef que bien plus tard qu'il l'escomptait. »

40 « Toutes les nefs, qui finalement avaient pu partir, se retrouvèrent


en Sardaigne, comme il avait été décidé. Et là tous les grands de
l'armée ayant été rassemblés devant le roi, fut tenu un conseil qui
s'accorda de façon unanime et ferme pour aller d'abord soumettre le
royaume de Tunis avant de passer en Terre Sainte ou en Egypte.
Les raisons qui avaient fortement poussé le roi à cette décision,
nous pensons maintenant à propos de les exposer, à cause de l'étonne-
ment et de la réprobation que beaucoup manifestèrent ensuite en
pensant que l'on aurait dû prendre la voie la plus directe pour secourir
la Terre Sainte. »

41 « Assurément monseigneur le roi, avant d'avoir pris la croix pour


la dernière fois, avait reçu de nombreux ambassadeurs du roi de Tunis
et réciproquement lui avait envoyé plusieurs ambassadeurs.
Des personnes dignes de confiance lui avaient donné à entendre
que ledit roi de Tunis accepterait volontiers de recevoir la foi chrétienne
et qu'il pourrait très facilement devenir chrétien, pourvu que se
présentât pour lui une occasion honorable, et que, son honneur étant sauf,
il était capable de se convertir, sans pour autant avoir à redouter ses
Sarrazins.
Voilà pourquoi le roi catholique avait exprimé plusieurs fois son
grand désir : « Ο si je pouvais devenir le compère et le parrain d'un
tel filleul! » C'est ainsi qu'il imagina de se rendre dans les régions de
Narbonne et de Carcassonne sous prétexte de les visiter, espérant que
si le Seigneur inspirait au roi de Tunis de réaliser son projet de
baptême, il se trouverait plus proche pour ce pieux événement.
Il ne faut pas oublier, je pense, que cette même année où le pieux
roi Louis dut pour la dernière fois traverser la mer, le roi de Tunis lui
avait envoyé des ambassadeurs solennels, et que, le jour de la fête de
saint Denis, notre roi avait fait baptiser avec pompe dans l'église de
Saint-Denis un juif de grande renommée et que le roi lui-même, avec
plusieurs grands l'avait tenu sur les fonds baptismaux. Il voulut que
les ambassadeurs du roi de Tunis assistassent à la cérémonie et, les ayant
appelés, leur dit avec une grande affection : « Dites de ma part à
monseigneur votre roi que je désire si ardemment le salut de son âme que
je voudrais être dans les geôles des Sarrazins tous les jours de ma vie
et ne plus jamais voir la lumière du soleil, pourvu que votre roi et son
peuple deviennent chrétiens d'un cœur sincère. »
54 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Ο vrai discours de foi et digne d'être pleinement approuvé (I Tim.,
4, 9) ! Parole entièrement catholique, expression parfaite de la foi et
de la charité.
Le très pieux roi catholique désirait aussi que la foi chrétienne
qui, du temps de saint Augustin et des autres Pères de l'Église avait
fleuri avec tant d'élégance en Afrique et tout particulièrement à
Carthage, refleurisse et s'épanouisse de nos jours à l'honneur et à la
gloire de Jésus-Christ.
Il pensa également que, si une armée si nombreuse et si renommée
venait soudainement assiéger Tunis, ledit roi de Tunis ne pourrait pas
trouver une occasion plus raisonnable vis-à-vis de ses Sarrazins pour
recevoir le baptême; en effet ce serait l'occasion d'échapper à la mort
à la fois pour lui-même et pour ceux qui avec lui voudraient devenir
chrétiens, et de cette manière son royaume demeurerait en paix.
En outre, on donnait à entendre au roi que, si le roi de Tunis
ne voulait pas devenir chrétien, la cité de Tunis était extrêmement facile
à prendre et par conséquent tout son territoire. On faisait encore accroire
au roi que cette cité était pleine d'or et d'argent et de richesses
infinies, d'autant plus que depuis des temps très anciens elle n'avait été prise
d'assaut par personne. On en tirait l'espoir que, s'il plaisait à Dieu
qu'elle fût prise par l'armée chrétienne, les trésors qui y auraient été
trouvés contribueraient très efficacement à la conquête et à la remise
en état de la Terre Sainte.
Et encore, comme de la terre de Tunis, parvenaient régulièrement
au Soudan de Babylone de grandes ressources tant en cavalerie qu'en
armes et en combattants, causant gravement dommage et nuisance à
la Terre Sainte, nos barons pensèrent que, si cette funeste racine de
Tunis pouvait être entièrement extirpée, U en résulterait un grand profit
pour la Terre Sainte et pour toute la chrétienté.
Et, comme il est écrit que là où une chose est entreprise à cause
d'une seconde, la seconde ne fait qu'un avec la première et comme
d'autre part la voie vers Tunis a été véritablement entreprise pour
rehausser le nom chrétien et plus précisément dans l'intérêt de la Terre
Sainte, afin d'en rendre le secours plus facile, cette voie vers Tunis ne
semble pas contraire au vœu de la croix, puisqu'elle visait un seul et
même but : préparer le plus rapidement et dans les meilleures
conditions possibles le secours et la restauration de la Terre Sainte. C'est
pour toutes ces raisons et pour d'autres que fut décidée cette voie de
Tunis. — Que s'il en advint autrement que les fidèles l'espéraient, nous
devons l'imputer principalement à nous-mêmes et à nos péchés, selon
le jugement secret de Dieu. »

§ 42 « Ainsi donc la navigation sur mer avec notre armée s 'étant


effectuée presque sans difficulté et le débarquement en terre d'Afrique
presque sans opposition, les nôtres fixèrent leurs tentes entre Tunis et
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 55
Carthage. Peu après, les nôtres vaillamment et victorieusement prirent
le château de cette fameuse Carthage, tuèrent beaucoup de Sarrazins
et de nombreuses victuailles furent gagnées ainsi que d'autres denrées
nécessaires à l'armée.
Les combats presque quotidiens avec les Sarrazins, les morts qui
tombèrent des deux côtés et autres faits de guerre, je les laisse à d'autres
qui surent les décrire mieux que moi. »

43 « Pendant environ quatre mois, l'armée chrétienne resta là dans


ses tentes; or les intempéries de l'air et du sol, l'absence d'arbres
et de tout ombrage, et le manque d'eau douce, provoquèrent une
grande mortalité. Ainsi moururent beaucoup de nobles et de
chevaliers parmi lesquels monseigneur Jean, illustre comte de Nevers,
fils du roi. Bouleversé intimement dans ses entrailles de père, ce
roi fort et prudent reçut bientôt de cette mort la consolation qu'il
pouvait espérer. »

44 « Peu après, dans ce camp, ce roi de pieuse et illustre mémoire,


chéri de Dieu et aimé des hommes, après tant d'actes de foi et de
charité dignes de louanges, après tant de combats laborieux, endurés
avec fidélité, avec ferveur et un esprit infatigable pour la foi et
l'extension de l'Église, Dieu voulut couronner heureusement ses
labeurs et lui attribuer la récompense d'une vie constamment tournée
vers le bien.
Ayant dû se mettre au lit, affaibli par une fièvre persistante, et
le mal s 'aggravant, ü reçut très pieusement et très chrétiennement tous
les sacrements de l'Église, ayant l'esprit sain et plein entendement, au
point que lorsque nous lui avons administré le sacrement de Γ extrême-
onction et qu'étaient récités les sept psaumes avec la litanie, lui-même
disait les versets, et dans la litanie, nommant les saints, il invoquait
leurs suffrages avec dévotion.
Quand déjà, par des signes évidents, il approchait de la fin, il ne
se souciait de rien d'autre que de ce qui se rapportait à Dieu seul et
à l'exaltation de la foi chrétienne; lorsqu'il ne put parler qu'avec
peine et à voix basse et que nous l'assistions en tendant l'oreille,
nous entendîmes ces mots : « Pour Dieu, recherchons comment la
foi catholique pourrait être prêchée et implantée à Tunis. Ο qui serait
capable d'y être envoyé pour cette mission! » Et il nommait un frère
de l'ordre des prêcheurs qui autrefois y était allé et était connu du roi
de Tunis...
Alors que la force de son corps et de sa parole peu à peu
s'amenuisaient, il ne cessait, dans la mesure où il pouvait encore s'exprimer,
de demander le suffrage des saints qui lui étaient chers, surtout saint
Denis, principal patron de son royaume. Dans l'état où il se trouvait,
nous l'avons entendu plusieurs fois, en un simple murmure, répondre
56 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
la fin de cette prière qui est chantée en l'honneur de saint Denis :
« Accordez-nous, Seigneur, nous vous le demandons, de mépriser pour
votre amour les prospérités de ce monde et de ne redouter aucune
adversité. » Et ces mots, plusieurs fois il les redisait.
Plusieurs fois également il répétait le début de l'oraison de l'apôtre
saint Jacques : « Soyez, Seigneur, le sanctificateur et le gardien de votre
peuple », et pieusement il invoquait d'autres saints.
Arrivé à sa dernière heure, le serviteur du Christ, allongé sur
une couche de cendre en forme de croix, rendit au Créateur son esprit
bienheureux, à l'heure même où le fils de Dieu mourant sur la croix
expira pour le salut du monde.
Sur une mort si chrétienne terminant une si belle vie, il est pieux
de se réjouir. Il est pieux et bon de pleurer pour le dommage et
l'affaiblissement de l'Eglise, mère du monde, dont il était le très dévot
serviteur et le défenseur infatigable. Il convient surtout de pleurer et d'être
affligé à tout le royaume de France, qui devait particulièrement tirer
gloire d'un prince si excellent et d'un si grand mérite.
Pourtant, si la violence de la douleur admet le langage de la raison,
on doit se réjouir plutôt que se lamenter d'abord à cause de la façon
très chrétienne dont il est mort, et puis parce que tous ceux qui ont
connu sa vie glorieuse espèrent avec certitude que déjà, du
gouvernement de son royaume temporel, il est parvenu à la cour joyeuse du
royaume des cieux, entièrement exempte des soucis terrestres où, régnant
à toujours avec les élus de Dieu, il jouira de la béatitude qui n'aura
pas de fin.
Il s'en alla vers le Seigneur le lendemain de la Saint-Barthelemy
apôtre, vers l'heure de none, l'an de grâce mil deux cent soixante dix. »

45- Geoffroi de Beaulieu aurait pu arrêter là le récit de son témoi-


52 gnage, mais il ne voulut pas « omettre » les principaux événements qui
survinrent ensuite. On remarquera à ce propos qu'il ne souffle mot de
la fin des hostilités. Voici les points qui retinrent son attention :
— l'arrivée de « l'illustre roi de Sicile frère du glorieux roi de
France » après la mort du pieux roi, et combien cet important renfort
encouragea grandement « les nôtres » et troubla les Sarrazins (chap. 45) ;
— comment après avoir désigné fr. Geoffroi lui-même et quelques
autres pour rapporter les ossements du roi à Saint-Denis, où il avait
élu sa sépulture, « puisque Dieu avait voulu qu'il mourût en une terre
non encore acquise à la chrétienté », le nouveau roi Philippe retint
ces précieuses reliques, espérant que par ses mérites le Seigneur
dirigerait l'armée de façon favorable (chap. 46);
— comment le roi de Sicile demanda et obtint de son neveu le
roi Philippe les « chairs » du défunt roi, séparées de ses os, pour les
déposer dans l'église de Palerme; comment au retour de Tunis et
traversant Païenne, l'on apprit que dans cette noble église de nombreux
LA PREMIÈRE ÉTAPE DU PROCÈS 57
miracles s'étaient produits. Puis l'accueil pieux et enthousiaste des
populations accourues de toute part pour voir et toucher le cercueil, lors de
son passage en Sicile et en Calabre, dans la sainte ville de Rome, et
à Viterbe où les cardinaux tardaient à élire un nouveau pontife ; et encore
à Bologne et en Lombardie (chap. 47);
— qu'il est impossible de raconter avec quels honneurs et quelles
processions ces « saintes reliques » furent accueillies dans les cités et
châteaux du royaume de France où les foules innombrables, de toute
condition, étaient au comble de l'émotion et pleuraient de joie (chap. 48) ;
— enfin avec quelle vénération, parvenues à Saint-Denis, ces saints
ossements furent placés à côté de la tombe de son père, le roi Louis,
et en présence de son fils, le roi Philippe, l'ensevelissement ayant eu
lieu l'an du Seigneur M.CC.LXXI, le vendredi avant la Pentecôte
(chap. 49) (= 22 mai 1271);
— et puis les très nombreux miracles qui s'accomplirent sur son
tombeau, fidèlement mis par écrit sur l'ordre de monseigneur l'abbé
de Saint-Denis, et « diligemment prouvés », assure-t-on « pour
montrer clairement les mérites de ce saint homme, à la gloire de Dieu tout
puissant, qui est toujours admirable dans ses saints » (chap. 50).

L'auteur enfin termine le récit de son petit ouvrage (libellus),


comme il l'avait commencé, en évoquant la mémoire de Josias, ce roi
de l'Ancien Testament dont le roi de France, Louis, réalisa l'idéal au
temps de la Nouvelle Alliance (chap. 51).

En conclusion : cet homme juste, chéri de Dieu et aimé des hommes,


était digne d'être inscrit au nombre des saints (chap. 52).

1. (p. 40) Le manuscrit français 2615 de la Bibliothèque nationale contient une


rédaction des Chroniques de Saint-Denis antérieure à 1297. On y lit au fol. 235 v° ces
informations qui peuvent servir de complément au $ 19 de Geoffroy de Beaulieu :
« Li rois amoit toutes gens qui se metoient à Dieu servir et qui portaient habit
de relegion ; ne nus ne venoit à lui qui fausist à avoir aucune chevance de vivre. Il
provit les frères du Carme et leur acheta une place sus Saine par devers Charenton et
leur fist faire leur meson, et leur acheta revestement et tex choses comme il convenoit
à fere le service Nostre Seigneur.
En après il provit les frères de Saint Augustin et acheta la granché à un bourgeois
de Paris et toutes les apartenances et leur en fist faire un moustier dehors la porte de
Montmartre ; et les frères des Saz provit-il et leur dona place sus Saine par devers Saint
Germain des Prés; mais il n'i demorèrent gueres que il furent abattu.
Assez tost après que les freses des Saz furent herbergié, revint une autre maniere
de freses que l'en apeloit l'ordre des Blans Mantiaus, et requistrent au roi qu'il leur aidast
a ce qu'il peussent demeurer à Paris ; et li roi leur acheta une meson et places entour
pour eus hebergier, delez la viez porte du Temple de Paris assez près les Thesserans
de Paris.
58 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Ces Blans Mantiaus furent abatu au concile à Lions que Grigoire li Xemc tint. Après
revindrent une autre manière de frères qui se faisoient apeler ics frères de Sainte Croiz,
et portent la croiz devant leur piz, et requistrent au roi qu'il leur aidast, et li rois le
fist moult volentiers, et les heberga à Paris en une rue qui est apellée le quarrefour
du Temple, qui ore est apelée la rue Sainte Croiz. Ainsi aoironna le bons rois de gens de
relegion la cité de Paris. »
2. (p. 43) Geoffroi de Beaulieu s'exprime ici en bon théologien. Naturellement
Jésus est né à Bethléem, mais il fut conçu à Nazareth, neuf mois plus tôt au moment
de l'Annonciation. C'est donc là qu'il est véritablement venu au monde.
3. (p. 48) Nous sommes ici en présence d'une « messe sèche » encore appelée
« messe navale » (voir dans le glossaire de du Cange aux mots missa sicca ou missa nava-
lis). C'était une simulation de la messe (pour une raison de respect et de sécurité);
le prêtre ne consacrait pas (donc ne récitait pas le canon) mais lisait l'Épître,
l'Évangile, récitait l'oraison dominicale et donnait la bénédiction. Cependant on connaît des
cas où la messe était célébrée sur des bateaux.
CHAPITRE III

LES DEPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI

II y a donc eu trente-huit témoins lors de l'enquête de 1282 ; mais


quel ordre fallait- il adopter ici pour leur présentation ? Nous ignorons
(à une ou deux exceptions près) comment ils se succédèrent devant les
trois commissaires nommés par le pape Martin IV, siégeant en l'abbaye
de Saint-Denis. De même nous ne savons pas les raisons officielles qui
présidèrent à leur désignation, encore que l'on puisse aisément les
imaginer. Il s'agissait nécessairement de personnes ayant intimement connu
le roi et, suivant l'usage, assez fortunées pour que leur indépendance
fût pleinement assurée.
Les laïcs — fait à signaler — sont les plus nombreux : vingt-deux,
à savoir le roi et trois princes de sang, sept chevaliers, des serviteurs
de la maison du roi depuis ses cuisiniers jusqu'au valet de la paneterie,
également au nombre de sept ; deux bourgeois de Compiègne et un
habitant de Saint-Denis; enfin un maître chirurgien qu'on pourrait
également rattacher à l'hôtel du roi.
Les gens d'Eglise, réguliers et séculiers, religieux et religieuses,
sont au nombre de seize : deux évêques, trois abbés, l'un bénédictin,
les deux autres cisterciens, deux chanoines qualifiés de « mestres », cinq
dominicains, l'un de Provins, les quatre autres de Compiègne ; un moine
cistercien, trois sœurs hospitalières, deux de l 'Hôtel-Dieu de Vernon,
la dernière de celui de Compiègne.
Sur ces trente-huit témoignages nous avons pu en retrouver ou
en reconstituer un certain nombre dont on lira le texte ci-après. Mais
les autres témoins ne seront pas oubliés. Leurs noms seront rappelés
à leur place dans la liste des témoignages et tous les déposants seront
ensuite l'objet d'une notice biographique (chap. IV). Ainsi donc après
des pages concernant directement saint Louis, on aura un aperçu
précis portant sur ses familiers, ceux du moins qui vivaient encore en 1282.
Notre essai de prosopographie et la nature des témoignages recueillis
se ressentent évidemment de cet écart chronologique relativement
important. A cette date avaient déjà disparu nombre de ceux qui avaient bien
connu le roi pendant ses trente premières années. Les témoignages
60 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
recueillis concernent donc surtout la seconde partie de sa vie, alors qu'il
avait atteint la plénitude de l'âge mûr et de ses responsabilités.
Faute de mieux, nous suivons dans notre présentation l'ordre de
la liste de Saint-Pathus, mais après avoir séparé les laïcs et les
ecclésiastiques.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 61

1. LES LAÏCS

Philippe III le Hardi

Sa qualité royale lui vaut d'être placé par Guillaume de Saint-


Pathus en tête des témoins qui déposèrent à l'enquête de 1282. Il est
ainsi désigné : « Philippe, roi de France, fils de saint Louis second
engendré, qui gouverna le royaume ». Mais aucun passage de son livre ne
fait la moindre allusion à son témoignage. A la vérité, il ne pouvait
mieux faire que de mettre sous les yeux des trois prélats commis par
le Saint-Siège le texte des « Enseignements » que le saint roi avait écrits
de sa propre main à son intention et à celle de sa sœur Isabelle, et qu'il
leur avait remis à Carthage, alors qu'atteint par la maladie il ne
doutait plus de sa mort prochaine. Saint-Pathus d'ailleurs connaît ces
Enseignements, mais la version qu'il en donne (p. 59-63 pour Isabelle,
64-71 pour Philippe) pose des problèmes.

Nous publions ici l'édition en français moderne donnée par Ch. V.


Langlois dans La vie en France au Moyen Age, t. IV, La vie spirituelle, Paris,
1924, p. 35-42 (pour le prince Philippe), p. 42-46 (pour la fille du roi,
Isabelle). Cette édition est précédée par un excellent résumé des
problèmes quasi insolubles que pose l'établissement du premier de ces textes.
L'original a disparu et son contenu n'est connu que par des
traductions et des traductions de traductions et encore à travers des abrégés
ou bien des amplifications. L'édition de Ch. V. Langlois présente une
version longue mais dans laquelle on retrouve fidèlement le contenu
de l'abrégé de Geoffroy de Beaulieu (voir plus haut, chap. II, p. 36).
Nous signalons par un astérisque les articles fortement réduits dans la
version de notre dominicain et par un double astérisque les deux
articles (1 et 21) qu'il a passés sous silence. Quant aux Enseignements
à Isabelle, il n'en existe qu'un texte sans variantes.

ENSEIGNEMENS AU PRINCE PHILIPPE

« A son cher fils aîné Philippe, salut et amitié de père.


[1.] Cher fils, pour ce que je désire de tout mon cœur que tu
sois bien enseigné en toute chose, je pense à te faire quelque
enseignement par cet écrit; car je t'ai entendu dire parfois que tu entendrais
plus de moi que d' autrui.
[2.] Cher fils, je t'enseigne premièrement que tu aimes Dieu de
tout ton cœur et de tout ton pouvoir, car sans cela nul ne peut rien valoir.
62 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
[3.] Tu te dois garder de toutes choses que tu croiras qui lui doivent
déplaire, à ton pouvoir; et spécialement tu dois avoir cette volonté de
ne faire péché mortel pour nulle chose qui puisse advenir, et que tu
te laisserais plutôt trancher tous les membres et ravir la vie par cruel
martyre que de le faire à bon escient.
[4.] Si Notre-Seigneur t'envoie quelque persécution ou de
maladie ou d'autre chose, tu la dois souffrir débonnairement, et tu l'en
dois remercier et savoir bon gré, car tu dois penser qu'il l'a fait pour
ton bien. Et tu dois penser aussi que tu as bien mérité et cela et
davantage s'il avait voulu, parce que tu l'as peu aimé et peu servi, et que
tu as fait maintes choses contre sa volonté.
[5.] Si Notre-Seigneur t'envoie quelque prospérité ou de santé
de corps, ou d'autre chose, tu l'en dois remercier humblement, et dois
prendre garde de n'empirer à cause de cela ni par orgueil ni par autre
méfait, car c'est très grand péché de guerroyer Dieu de ses dons.
[6.] Cher fils, je t'enseigne que tu t'accoutumes à te confesser
souvent et que tu choisisses toujours tels confesseurs qui soient de sainte
vie et suffisamment lettrés, par qui tu sois enseigné des choses que tu
dois éviter et des choses que tu dois faire. Et aie telle manière en toi
par quoi tes confesseurs et tes autres amis osent hardiment t' enseigner
et te reprendre.
[7.] Cher fils, je t'enseigne que tu entendes volontiers le service
de Sainte Église, et, quand tu seras au moutier, garde-toi de muser
et de parler vaines paroles. Tes oraisons dis en paix, ou par bouche
ou par penser, et spécialement sois plus en paix et plus attentif à
oraison tant que le corps de Notre-Seigneur sera présent à la messe, et un
peu avant.
[8.] Cher fils, je t'enseigne que tu aies le cœur pitoyable envers
les pauvres et envers tous ceux que tu croiras qui aient malheur ou de
coeur ou de corps, et, selon le pouvoir que tu auras, aide-les volontiers
ou de confort ou d'aumône.
[9.] Si tu as mésaise de cœur, dis-le à ton confesseur ou à quelqu'un
que tu croies qui soit loyal et qui te sache bien garder le secret, pour
que tu la supportes plus en paix, si c'est chose que tu puisses dire.
[10.] Cher fils, aie volontiers compagnie de bonnes gens avec
toi, soit de religion soit du siècle, et évite celle des mauvais ; et aie
volontiers des entretiens avec les bons ; et écoute volontiers parler de Notre-
Seigneur en sermons et en privé. Recherche volontiers les pardons.
[11.] Aime le bien en autrui, et hais le mal.
[12.] Ne souffre pas que l'on dise devant toi paroles qui puissent
attraire les gens au péché. N'écoute pas volontiers médire d' autrui.
[13.] Nulle parole qui tourne à l'offense de Notre-Seigneur ou de
Notre-Dame ou des saints ne souffre en nulle manière que tu n'en presses
vengeance. Si le coupable était clerc ou si grand personnage que tu
ne le dusses justicier, fais-le dire à qui le pourrait justicier.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 63
[14.] Cher fils, prends garde que tu sois si bon en toute chose
par quoi il appère que tu reconnaisses les bontés et les honneurs que
Notre-Seigneur t'a faits, en telle manière que, s'il plaisait à Notre-
Seigneur que tu vinsses au faix et à l'honneur de gouverner le royaume,
tu fusses digne de recevoir la sainte onction dont les rois de France sont
sacrés.
[15.] Cher fils, s'il advient que tu deviennes roi, garde que tu
aies les qualités qui conviennent à un roi, c'est-à-dire que tu sois si
droiturier que tu ne déclines de nulle droiture pour chose qui puisse
advenir. S'il advient qu'il y ait querelle d'un pauvre contre un riche,
soutiens le pauvre plus que le riche jusques à tant que tu en saches la
vérité, et, quand tu auras entendu la vérité, fais le droit.
[16.] Et s'il advient que tu aies querelle contre autrui, soutiens
la querelle de l'étranger devant ton Conseil, et ne fais pas semblant
d'aimer trop ta querelle jusques à tant que tu connaisses la vérité, car
ceux du Conseil pourraient en être hésitants à parler contre toi, ce que
tu ne dois pas vouloir.
[17.] Si tu viens à savoir que tu tiennes rien à tort, soit de ton
temps ou du temps de tes ancêtres, rends-le tantôt, si grande que la
chose soit en terre, en deniers ou à d'autres égards. Si la chose est
obscure, de sorte que tu n'en puisses savoir la vérité, fais telle paix,
par le conseil de prudhommes, par quoi ton âme en soit délivrée
du tout, et celles de tes ancêtres. Et bien que l'on te dise que tes
prédécesseurs ont restitué, efforce-toi de savoir s'il n'y a pas encore
quelque chose à rendre pour la délivrance de ton âme et des âmes de
tes ancêtres.
[18.] Sois bien diligent de faire garder en ta terre les gens de
toute condition, et spécialement les personnes de Sainte Église ; défends-
les, que l'on ne leur fasse tort ni violence ni en leurs personnes ni en
leurs choses. Et je te veux rapporter ici une parole que dit le roi
Philippe, mon aïeul; je la tiens d'un de son Conseil, qui disait l'avoir
entendue. Le roi était un jour avec son Conseil privé (et celui qui me
la raconta y était) ; et ceux de son Conseil lui disaient que les clercs
lui faisaient beaucoup de tort et que l'on s'étonnait qu'il le souffrît.
Et il répondit : « Je crois bien que les clercs me font beaucoup de tort ;
mais, quand je pense aux honneurs que Notre-Seigneur m'a faits, je
préfère souffrir du dommage que de faire chose par quoi il se produise
esclandres entre moi et Sainte Église. » Je te rappelle cela pour que
tu ne croies pas facilement qui que ce soit contre les personnes de Sainte
Église ; mais tu les dois honorer et garder de sorte qu'elles puissent faire
le service de Notre-Seigneur en paix.
[19.] Ainsi je t'enseigne que tu aimes spécialement les gens de
religion et que tu les secourres volontiers au besoin ; et ceux que tu croiras
par qui Notre-Seigneur soit plus honoré et servi, aime-les plus que
les autres.
64 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
[20.] Cher fils, je t'enseigne que tu aimes et honores ta mère et
que tu retiennes volontiers et observes ses bons enseignements ; et sois
enclin à croire ses bons conseils.
[21.] Tes frères aime, et veuille toujours leur bien et leurs bons
avancements. Sers leur de père pour leur enseigner le bien; mais garde
que, par amour pour quiconque, tu te laisses détourner de faire droit
ou persuader de faire chose que tu ne doives.
[22.] Cher fils, je t'enseigne que les bénéfices des églises que tu
auras à donner, tu les donnes à de bonnes personnes, par le conseil
de prudhommes; et il me semble qu'il vaut mieux que tu les donnes
à ceux qui n'ont rien; si tu cherches bien, tu en trouveras assez qui
n'ont rien, entre les mains desquels ils seront bien placés.
[23.] Cher fils, je t'enseigne que tu te gardes, autant qu'il dépend
de toi, d'avoir guerre contre des chrétiens; et, si l'on te fait tort, essaie
plusieurs voies pour savoir si l'on en pourrait trouver une par quoi tu
puisses recouvrer tes droits avant d'en venir aux prises ; et cela, dans
l'intention d'éviter les péchés qui se font en guerre. Et s'il advient qu'il
convienne que tu fasses la guerre, soit parce qu'un de tes hommes a
été contumace en ta cour, ou parce qu'il a fait tort à quelque église
ou à quelque pauvre personne ou à qui que ce soit, sans vouloir
l'amender par toi, ou pour autre cas raisonnable, sois diligent à commander
que les pauvres gens, qui n'ont pas eu part au forfait, soient garantis
de tous dommages par incendie ou autrement. Il vaut mieux que tu
contraignes le malfaiteur en prenant ses choses, ou en assiégeant ses
villes ou ses châteaux. Prends garde d'être bien certain, avant
d'émouvoir quelque guerre que ce soit, que la cause en est très raisonnable ;
d'avoir bien sommé le délinquant; et d'avoir attendu autant qu'il
convenait.
[24.] Cher fils, je t'enseigne que les guerres et les discordes qui
seront en ta terre ou entre tes hommes, tu te peines de les apaiser autant
qu'il dépendra de toi ; car c'est une chose qui plaît fort à Notre-Seigneur,
et monseigneur saint Martin nous en a donné très grand exemple
lorsqu'il alla rétablir la paix entre des clercs de son archevêché, au temps
qu'il savait par Notre-Seigneur qu'il allait mourir; et il lui sembla que,
ainsi, c'était bien finir.
[25.] Cher fils, prends garde diligemment qu'il y ait de bons baillis
et de bons prévôts en ta terre, et fais souvent prendre garde qu'ils
fassent bien droit, qu'ils ne fassent à autrui tort ni chose qu'ils ne
doivent. De ceux même qui sont en ton hôtel, fais prendre garde qu'ils
ne fassent à qui que ce soit chose qu'ils ne doivent; car, si tu dois haïr
le mal en autrui, tu dois le haïr encore davantage en ceux qui tiennent
de toi leur pouvoir, et tu dois d'autant plus te garder et défendre qu'il
n'advienne.
[26.] Cher fils, je t'enseigne que tu sois toujours dévot à l'Église
de Rome et à notre père le pape, et porte lui révérence et honneur comme
tu dois à ton père spirituel.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 65
[27.] Cher fils, donne volontiers pouvoir à gens de bonne volonté
qui en sachent bien user, et mets grand 'peine à ce que les péchés soient
ôtés en la terre, c'est-à-dire les vilains serments et toute chose qui se
fait ou dit au déplaisir de Dieu, ou de Notre-Dame, ou des Saints, péchés
de corps, jeux de dés, tavernes, et autres péchés. Fais supprimer cela
en ta terre sagement et en bonne manière. Les hérétiques, fais les chasser
de ta terre autant qu'il dépend de toi, et les autres mauvaises gens,
si bien que ta terre en soit purgée, comme tu sauras que c'est à faire
par sage conseil de bonnes gens.
[28.] Procure le bien autant que tu peux. Mets grand'peine à
reconnaître les bontés que Notre-Seigneur t'aura faites, et que tu l'en
saches remercier.
[29.] Cher fils, je t'enseigne que tu sois grandement attentif à
ce que tes deniers soient bien employés, et levés droiturièrement. Et
c'est un sens que je voudrais fort que tu eusses, c'est-à-dire que tu te
gardasses de folles dépenses et de mauvaises recettes. Que tes deniers
soient bien « pris » et bien « mis ». Que Notre-Seigneur t'enseigne cela
avec ce qui est aussi convenable et profitable.
[30.] Cher fils, je te prie que, s'il plaît à Notre-Seigneur que je
trépasse de cette vie avant toi, tu me fasses aider par messes et par autres
oraisons, et que tu envoies par les congrégations du royaume de France
pour demander des prières à l'intention de mon âme ; et tous les biens
que tu feras, fais en sorte que Notre-Seigneur m'y donne part.
[31.] Cher fils, je te donne toute la bénédiction qu'un père peut
et doit donner à son fils, et je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ que,
par sa grande miséricorde, et par la prière et par les mérites de sa
bienheureuse mère la Vierge Marie, et des anges, et des archanges, de tous
les saints et de toutes les saintes, qu'il te garde et te défende de faire
chose qui soit contraire à sa volonté, et qu'il te donne la grâce de faire
sa volonté. . . Puissse-t-il faire à toi et à moi, par sa largesse, que, après
cette vie mortelle, nous puissions venir à lui pour la vie pardurable,
là où nous le puissions voir, aimer et louer sans fin. Amen. »

ENSEIGNEMENS A ISABELLE, REINE DE NAVARRE

A sa chère et bien-aimée fille Isabelle, reine de Navarre, salut et


amitié de père.
[1.] Chère fille, pour ce que je crois que vous retiendrez plus
volontiers de moi, parce que vous m'aimez, que vous ne feriez de
plusieurs autres, j'ai pensé à vous faire quelques Enseignemens écrits de
ma main.
[2.] Chère fille, je vous enseigne que vous aimiez Notre-Seigneur
de tout votre cœur et de tout votre pouvoir; car sans cela nul ne peut
66 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
rien valoir. Rien ne peut être aimé si droiturièrement ni si profîtable-
ment. C'est le Seigneur à qui toute créature peut dire : « Sire, vous
êtes mon Dieu; vous n'avez besoin d'aucun de mes biens. » C'est le
Seigneur qui envoya son Fils sur la terre et le livra à la mort pour nous
délivrer de la peine d'enfer.
[3.] Chère fille, si vous l'aimez, le profit en sera vôtre; la créature
est fort dévoyée qui met l'amour de son cœur ailleurs qu'en lui ou
sous lui.
[4.] Chère fille, la mesure dont nous le devons aimer, c'est de
l'aimer sans mesure. Il a bien mérité que nous l'aimions, car il nous
aima le premier. Je voudrais que vous sussiez bien penser à ces œuvres
que le benoît fils de Dieu fit pour notre rançon.
[5.] Chère fille, ayez grand désir de lui plaire, et prenez grand
soin d'éviter tout ce que vous penserez qui lui doive déplaire.
Spécialement vous devez avoir cette volonté que vous ne ferez péché mortel
pour rien qui puisse advenir, et que vous vous laisseriez plutôt
trancher tous les membres et la vie enlever par cruel martyre que vous ne
le fissiez à escient.
[6.] Chère fille, accoutumez- vous à souvent confesser, et élisez
toujours confesseurs qui soient de sainte vie et suffisamment lettrés,
par qui vous soyez enseignée des choses que vous devez faire ; et soyez
de telle manière que votre confesseur et vos autres amis vous osent
hardiment enseigner et reprendre.
[7.] Chère fille, entendez volontiers le service de Sainte Église,
et, quand vous serez au moutier, gardez-vous de muser et de dire
vaines paroles. Dites en paix vos oraisons ou par bouche ou par
penser, et spécialement, tandis que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ
sera présent à la messe, soyez plus en paix et plus attentive à l'oraison,
et un peu avant.
[8.] Chère fille, écoutez volontiers parler de Notre-Seigneur en
sermons et en conversations particulières. Évitez toutefois les
conversations particulières, excepté de gens éminents en bonté et en sainteté.
Recherchez volontiers les pardons.
[9.] Chère fille, si vous avez quelque persécution ou de maladie
ou d'autre chose en quoi vous ne puissiez mettre conseil en bonne
manière, souffrez-le débonnairement et en remerciez Notre-Seigneur,
et sachez lui en bon gré ; car vous devez croire que c'est pour votre
bien, et que vous l'avez mérité, et davantage s'il avait voulu, parce
que vous l'avez peu aimé et peu servi et fait maintes choses contre sa
volonté.
[10.] Dans la prospérité, du corps ou d'autre chose, remerciez
Notre-Seigneur humblement, et lui en sachez bon gré. Et prenez bien
garde que vous n'empiriez à cause de cela, par orgueil ou par autre
méfait, car c'est très grand péché de guerroyer Notre-Seigneur à
l'occasion de ses dons.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 67
[11.] Si vous avez mésaise de cœur, dites-le à votre confesseur
ou à quelque autre personne que vous croyez qui soit loyale et qui en
doive bien garder le secret, pour que vous la supportiez plus en paix,
si c'est chose que vous puissiez dire.
[12.] Chère fille, ayez le cœur pitoyable envers toutes gens que
vous saurez qui aient malheur ou de cœur ou de corps, et les
secourez volontiers ou de confort ou d'aumônes, selon ce que vous
pourrez.
[13.] Chère fille, aimez toutes bonnes gens, ou de religion, ou
du siècle, par qui vous savez que Notre-Seigneur soit honoré et servi;
aimez les pauvres et secourez-les, spécialement ceux qui, pour l'amour
de Notre-Seigneur, se sont mis en l'état de pauvreté.
[14.] Chère fille, prenez garde, autant qu'il dépend de vous, que
les femmes et le reste de votre domesticité intime soit de sainte et
bonne vie; et évitez tant que vous pourrez gens de mauvaise
renommée.
[15.] Chère fille, obéissez humblement à votre mari et à votre
père et à votre mère dans les choses qui sont selon Dieu ; vous le devez
faire volontiers à cause de l'amour que vous devez avoir pour eux, et
surtout pour l'amour de Notre-Seigneur qui l'a ordonné ainsi comme
il convient. Contre Dieu n'obéissez à personne.
[16.] Chère fille, prenez grand'peine que vous soyez si parfaite
en toutes choses que ceux qui vous verront et qui entendront parler
de vous y puissent prendre bon exemple.
[17.] Il me semble qu'il est bon que vous n'ayez pas trop grand
surcroît de robes à la fois, ni de joyaux, selon l'état où vous êtes. Mais
il me semble mieux que vous fassiez vos aumônes au moins du
superflu. Et il me semble qu'il est bon que vous ne consacriez pas trop de
temps ni trop d'étude à vous ajuster et à vous parer. Prenez garde que
vos atours n'excèdent pas. Penchez toujours vers le moins plutôt que
vers le plus.
[18.] Chère fille, ayez un désir en vous qui jamais ne vous quitte,
c'est-à-dire comment vous puissiez plaire le plus à Notre-Seigneur;
et mettez votre cœur à ce que, si vous étiez certaine de n'être
jamais récompensée de vos bonnes actions ni punie de vos mauvaises,
vous ne laissiez pas de rien faire qui déplût à Notre-Seigneur et de
faire les choses à son gré, selon vos forces, purement pour l'amour
de lui.
[19.] Chère fille, recherchez volontiers oraisons de bonnes gens
et m'y accompagnez. Et s'il advient qu'il plaise à Notre-Seigneur que
je trépasse de cette vie avant vous, je vous prie de procurer messes et
oraisons et autres bienfaits pour mon âme.
[20.] Je vous recommande que nul ne voie cet écrit sans permission.
[21.] Notre-Seigneur vous fasse bonne en toutes choses autant
comme je désire et plus que je ne saurais désirer. Amen.
68 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Charles d'Anjou, roi de Sicile


cité en deuxième position dans la liste de Saint-Pathus

Le comte P. Riant a retrouvé dans une compilation du XIVe siècle


intitulée Liber bellorum Domini des fragments importants de la
déposition de Charles d'Anjou, le frère du roi (vers février 1282). Ces
fragments qui se rapportent à la croisade de 1 248 ont été publiés par Riant
avec d'amples commentaires (« Déposition de Charles d'Anjou pour
la canonisation de saint Louis », dans Notices et documents publiés par la
Société de l'histoire de France à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa
fondation, Paris, 1884, p. 154-176).

I. Excellente éducation reçue par le roi, la prise de croix, la campagne d'Egypte,


la maladie qui envahit l'armée.

« Et quand le roi de France, père du benoît Louis, fut mort,


celui-ci qui avait un peu plus de douze ans demeura sous la garde et
la tutelle de madame Blanche, sa mère. La dite dame fit de même bien
garder et élever monseigneur Robert et monseigneur Alphonse, frères
du saint roi, et aussi Isabelle leur sœur et les fit bien enseigner et
instruire, avec encore plus de soin et de diligence, depuis la mort de
leur père. En personne elle forma le roi qui devait un jour gouverner
un si grand royaume.
Quand il eut quatorze ans accompli {l'âge de la majorité royale), la
noble dame, sa mère, à laquelle il obéissait en toutes choses, le gardant
toujours avec le plus grand soin, veillait à la noblesse de ses atours et
à l'excellence de son maintien, ainsi qu'il convenait à un si grand roi,.
En ce même temps il avait toujours son maître qui lui apprenait la
connaissance des lettres; et, comme le rapporta (plus tard) le roi, parfois
ce maître le battait pour lui enseigner la discipline. Chaque jour il
progressait en mérite et était appliqué à assister aux offices divins.
Le temps s 'écoulant, il était parvenu à la trentaine, lorsqu'il fut
atteint d'une grave maladie, à Pontoise, et qu'on désespéra de sa vie,
au point que l'on croit vraiment que Notre-Seigneur, par miracle, lui
rendit la santé pour qu'il eut le temps nécessaire à poursuivre son idéal
par ses actions dirigées avec une ferme volonté : volonté qu'il avait forgée
en vue de servir Dieu et d'exalter son nom glorieux afin d'acquérir un
plus grand mérite à ses yeux et pour donner un bon exemple au peuple
chrétien et inciter ainsi les autres princes à bien faire.
De fait quand le benoît roi eut repris connaissance au dit lieu de
Pontoise alors que se trouvaient à son chevet l'évêque de Paris et celui
de Meaux, il leur requit très instamment de lui donner la croix pour
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 69
le secours de la Terre Sainte. Et bien que lesdits évêques l'en eussent
dissuadé, le roi, dans sa ferveur envers Dieu rejeta leurs objections et
reçut avec joie et exultation cette croix d'outre-mer de la main de
l'évêque de Paris, et bientôt après, de nombreux prélats, barons et
chevaliers assemblés à Paris la reçurent eux aussi, des mains du cardinal
de Tusculum, légat du siège de Rome.
Finalement, après peu d'années pendant lesquelles il fit préparer
des navires et tout ce qui était nécessaire au prochain « passage », il
prit l'habit de pèlerin à Saint-Denis en France et emmena avec lui la
reine Marguerite, sa femme, et les comtes ses trois frères.
Pour la première fois, il traversa donc la mer avec les personnes
devant dites et un grand nombre d'autres. Il était alors âgé de 34 ans
ou environ. Ainsi parvint-il en Egypte. Et alors les nôtres étant
descendus des nefs prirent une cité renommée appelée autrefois Memphis
et maintenant Damiette et les païens accoururent vigoureusement contre
lui et contre les siens qui venaient de débarquer; mais ils ne purent
supporter la vertu de l'armée des chrétiens et, poursuivis, prirent la
fuite honteusement. Mais très tôt l'armée fut frappée de toutes sortes
de maladies, dont moururent et des grands et des moyens et des
moindres. De trente-deux « batailles » formées à Damiette il n'en
restait plus que six au retour de La Massoure, tant à cause des combats
que du fait des circonstances et des morts naturelles qui étaient
survenues; et encore en tenant compte des blessés, des invalides et des
malades, ces six « batailles » étaient bien inférieures en valeur à ce qu'elles
étaient elles-mêmes à l'origine quand il y avait 32 « batailles ».
La maladie qui avait envahi l'ensemble de l'armée chrétienne
était si grave qu'à peine quelques-uns y échappaient. Ils souf&aient dans
les gencives et les dents, ainsi que de dyssenterie et les malades avaient
des plaques noires sur les jambes et sur les cuisses.
Deux jours avant la retraite de La Massoure, le roi attrapa cette
maladie qui se répandait au point d'atteindre toutes les parties du corps,
et il montra discrètement à ses frères une plaque large et noire sur l'une
de ses jambes ; et il n'y avait chez les nôtres aucun médecin capable
de soigner ce mal. »

En écho à ce qui est dit au début de ce passage sur l'excellente


éducation reçue par le roi, par son frère Alphonse, par sa sœur
Isabelle, il faut citer le passage de Saint-Pathus (éd. Delaborde, p. 132)
qui dit la même chose en s 'appuyant précisément sur le témoignage
de Charles d'Anjou.

« Comment enfin ne pas rappeler que le benoît roi, monseigneur


Robert, comte d'Artois et monseigneur Alphonse, comte de Poitiers,
ses frères, qui furent élevés avec lui, et mêmement leur sœur, furent
70 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
des personnes de si grande pureté et de si grande chasteté, que
monseigneur Charles (homme de très illustre mémoire, jadis) roi de Sicile,
leur frère germain, affirma et témoigna sous la foi du serment qu'il
n'entendit jamais que l'on eût imputé à l'un d'entre eux d'avoir
commis un seul péché mortel, et que bien certainement le benoît
roi de France, monseigneur Robert et monseigneur Alphonse, ainsi
que leur sœur, eurent la grâce de Notre-Seigneur jusques à la fin
de leur vie. »

IL Comment fut organisée la descente du fleuve.

« On ordonna alors que les bateaux suivraient la rive où s'opérait


la retraite, de peur que les navires des sarrasins qui tenaient l'autre
bord ne se divisassent pour occuper les deux rives et inquiéter ainsi les
nôtres sur eau et sur terre, de deux côtés à la fois, et aussi afin que
les nôtres se prêtassent mutuellement secours, les bateaux servant
de rempart à ceux qui étaient à terre, et ces derniers, à leur tour,
couvrant la descente des bateaux le long de la rive qu'ils occupaient.
De là la nécessité de s'attendre mutuellement, et aux cavaliers de
rester à une allure plus lente qu'il n'eût fallu pour regagner Da-
miette; puis les bateaux n'avaient pu prendre tous les fantassins :
ce qui augmentait encore le retard. Et, la nuit même où l'on quitta
la Massoure, l'état du roi saggrava : il fallut plusieurs fois le
descendre de cheval, à cause du flux de ventre qui le tenait en outre
de ses autres infirmités. Le matin, qui était le mercredi après
l'octave de Pâques (6 avril 1250), on passa tranquillement et
pacifiquement le fleuve de Tanis. Le roi descendit de cheval et se tint
appuyé sur sa selle : auprès de lui étaient ses chevaliers familiers,
Geoffroi de Sargines, Jean Foinon, Jean de Valéry, Pierre de Bau-
çay, Robert de Bazoches et Gautier de Châtillon, qui, voyant
l'aggravation de son mal et le péril auquel il s'exposait en restant à terre,
se mirent à le supplier tous ensemble, et chacun en particulier, de
sauver ses jours en entrant dans un navire. Il refusait toujours
d'abandonner son peuple; le roi Charles, son frère, alors comte d'Anjou,
lui dit : « Sire, mal vous faites de résister au bon conseil que vous
donnent vos amis et de refuser de monter dans un navire; car, à
vous attendre à terre, la marche de l'armée est retardée non sans péril,
et vous pouvez être l'occasion de notre perte. » Et il disait cela, comme
il le rapporta plus tard, dans le désir de sauver le roi, craignant si fort
de le perdre, alors qu'il eût volontiers donné tout son héritage et celui
de ses enfants pour savoir le roi dans Damiette. Mais le roi fort ému,
lui répondit d'un visage courroucé : « Comte d'Anjou comte d'Anjou !
si je vous suis à charge, débarrassez-vous de moi, mais je ne me
débarrasserai jamais de mon peuple. »
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 71
III. Le roi et l'armée faits prisonniers; tentatives de négociations séparée.
Indignation du roi.

« Pendant la captivité du roi, on lui amena son frère Charles qui


avait été séparé de lui pendant quatre ou cinq jours. Ce dernier lui apprit
que quelques chevaliers traitaient secrètement à part de leur délivrance
et de celle de leurs hommes, et faisaient dans ce but des offres d'argent
aux sarrasins. Le roi, très troublé de cette nouvelle, fit comparaître
devant lui ces chevaliers et quelques autres, et, en présence de ses deux
frères et des personnes ci-dessus nommées, il leur dit : « J'ai appris
que certains d'entre vous traitent sous main de leur rachat et de celui
de leurs compagnons ; je ne veux de cela en aucune façon. Je veux que
tous mes sujets sachent que quiconque fera cela sera par moi, si Dieu
me tire d'ici, dépouillé de tout ce qu'il tient de moi ou sous moi; et
je défends à tous les sujets d'oser faire pareille chose, sous peine de leur
corps et de tout ce qu'ils tiennent de moi. Car, si je laissais agir ainsi,
grands seraient le mal et le scandale ; seuls, les riches qui peuvent payer
rançon seraient délivrés, et les pauvres resteraient captifs pour toujours.
Que tous s'en remettent à moi de l'affaire commune et me laissent
négocier la délivrance générale des prisonniers. Je ne veux pas que personne
contribue en rien à sa propre délivrance, et je veux être seul chargé
de payer le prix de la rançon de tous. »

Ces faits sont rapportés dans une forme très proche par Guillaume
de Saint-Pathus, éd. Delaborde, p. 75-76. On est donc en droit d'y
voir un écho de la déposition de Charles d'Anjou.

IV. La révolution égyptienne qui met en danger la vie du roi.

« Le roi se mit donc à négocier sa délivrance et celle de tous les


autres : il s'engagea à payer une certaine somme d'argent, à rendre
Damiette et à conclure une trêve de dix ans ; et ses deux frères, avec
quelques autres, allèrent recevoir le serment du Soudan à l'endroit de
ce traité.
Tout étant conclu de part et d'autre, le roi, ses frères et tous les
autres furent mis dans des navires, pour être conduits à Damiette, en
descendant le fleuve. Comme l'on approchait déjà de cette ville, le sou-
dan fit monter sur la rive le roi, ses frères et leur suite, et les fit placer
sous une tente préparée pour eux, tandis que les autres captifs restaient
sur le fleuve. Mais alors, vers la troisième heure, s'éleva entre les
sarrasins une querelle si forte que les gardiens du roi et des princes en
demeurèrent comme frappés de stupeur. Ils refusèrent de répondre aux
questions qu'on leur adressa; mais on comprit à leurs gestes que le
trouble était à son comble et le péril imminent. Alors le roi, se re-
72 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
tournant vers le Seigneur, fit chanter l'office de la Croix, celui du
jour, celui du Saint-Esprit et celui du Requiem, et certaines autres
oraisons qu'il savait être utiles en pareil cas. Alors entrèrent ceux
qui venaient de tuer le Soudan, et bien deux cents autres hommes
avec eux; leurs vestes blanches étaient encore couvertes de sang :
le roi et les autres crurent fermement qu'ils allaient être massacrés.
Mais, au contraire, les assassins commencèrent à s'excuser de la
mort du Soudan, alléguant deux raisons : la première,
probablement fictive, avait été, selon eux, qu'ils n'avaient pu souffrir le
manque de foi dont le Soudan voulait user envers le roi et les chrétiens,
car celui-ci avait résolu, contre son serment, et qu'on lui rendît
ou non Damiette, de tuer le roi et les prisonniers, et s'y serait pris
de la façon suivante : il aurait fait attacher le roi, ses frères et les
barons à des pieux plantés en avant des murs de Damiette, et les
aurait forcés par des tortures à faire rendre la ville; s'ils avaient
refusé, on les aurait fait expirer dans les supplices les plus raffinés;
s'ils avaient consenti, on ne les aurait pas moins achevés d'une
manière ou de l'autre. Et si l'on voulait une preuve de ces projets
homicides, on n'avait qu'à se rappeler que, depuis et malgré son
serment, le Soudan avait fait tuer plusieurs captifs et en avait
éloigné d'autres du Caire : ce qu'il n'aurait pas fait pour ceux-ci, s'il
avait eu réellement l'intention de les mettre en liberté. Mais Dieu
avait retourné sur lui la mort qu'il avait préparée aux chrétiens,
de même qu'il fit jadis pendre Aman au gibet préparé pour Mar-
dochée.
La seconde raison qu'ils donnaient du meurtre était que le Soudan
avait enlevé leurs dignités à des serviteurs de son père et qui avaient
combattu avec lui, pour les donner à des jeunes gens qui n'avaient jamais
combattu.
Et avec eux était venu un envoyé du calife de Bagdad; celui-ci
très troublé de la mort du Soudan, insultait et objurgait le roi,
prétendant que c'était lui qui avait retardé le paiement du reliquat de la
rançon, et que c'avait été là la vraie cause de la catastrophe.
Et cet envoyé du calife menaçait les assassins du courroux de son
maître, qui soulèverait contre eux l'Islam tout entier. Aussi les
assassins, craignant une guerre avec ceux de leur loi, avaient hâte de
recevoir Damiette, qui pouvait leur servir de refuge, et le reste de
la rançon. »

V. Les négociations de paix engagées par le roi, le serment qu'on prétend


lui imposer contenant une clause éventuelle d'apostasie.

Saint-Pathus raconte ces événements avec la plus grande netteté


(p. 23-24).
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 73
« Un traité fut donc conclu avec les Sarrazins pour la délivrance
du roi et des prisonniers qui étaient avec lui, et les conventions furent
mises en forme.
Or pour donner plus de force à ces conventions par un serment,
les païens voulurent mettre en leur serment qu'ils renieraient
Mahomet s'ils ne les respectaient pas, et demandèrent que le roi mît en son
serment qu'il renierait Dieu et rejetterait la foi de Jésus-Christ s'il
n'observait lesdites conventions.
Constant et ferme, le roi eut horreur de cela, et avec mépris refusa
de mettre une pareille condition et dit : « Certes jamais une telle parole
ne sortira de ma bouche ! »
Ceux qui avaient tué le Soudan se montrèrent courroucés d'avoir
eux les premiers prêté le serment en question et dirent qu'il fallait que
le roi acceptât de prononcer ces paroles et de les entériner. Mais,
malgré leur agitation et leur colère et après tous leurs palabres, le roi
ne voulut y consentir. Et comme un païen qui était émir dit au roi
« Vous êtes notre captif et notre esclave et en notre prison, et vous
osez parler si hardiment! Ou vous ferez ce que nous voudrons, ou
vous serez crucifié vous et les vôtres », le roi jamais ne se troubla
mais répondit que, à supposer qu'ils aient occis son corps, ils n'auraient
pas son âme. »

Voici le récit plus détaillé de Charles d'Anjou, où l'on rejoint


également Saint-Pathus aux pages 76-77.

« Le roi refusa trois fois de souscrire à ce serment réciproque,


et, les deux premières fois, ses frères crurent bien qu'il allait être
massacré. La troisième fois, comme on voulait lui persuader que, dès
l'instant qu'il avait le ferme propos d'observer le traité, il n'y avait point
péché à prêter un serment qu'il n'avait pas à tenir, et qu'il n'y aurait
péché que si, en lui-même, il comptait ne pas observer le traité, il
répondit qu'il entendait bien exécuter la convention, et qu'il croyait bien que
le serment en question n'était pas un péché, mais que prononcer de
telles paroles était monstrueux pour une bouche chrétienne, et que lui,
roi, ni pour vie ni pour mort, ne les prononcerait jamais. A ces
paroles, ils crurent pour de bon que le roi allait être massacré, et se
repentirent d'avoir exigé des sarrasins, en garantie du traité, cette
renonciation conditionnelle à leur foi, renonciation que ceux-ci avaient
retournée contre les chrétiens. Mais heureusement le Seigneur apaisa le
courroux des infidèles.
Comme ils réclamaient, selon le traité, la remise de Damiette et
du reste de la rançon, le roi répondit que, pour le moment, il n'avait
pas d'argent, mais qu'avec des délais il s'en procurerait, et payerait,
et qu'il rendrait Damiette, mais qu'il voulait auparavant avoir
garantie de sa propre délivrance et de celle des autres, de peur qu'il lui
arrivât de perdre des deux côtés à la fois.
74 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Alors, comme sûreté, ils offrirent au roi le choix entre les deux
modes suivants : ou de rester seul captif, tous les autres étant mis hors
de prison, ou de s'en aller seul laissant tous les autres captifs, jusqu'à
ce que la rançon fût payée et Damiette rendue.
Le roi, sans hésiter, répondit aussitôt, devant ses frères et les
chevaliers, qu'il choisissait de rester seul captif pour tous. Mais ses frères
et les chevaliers répliquèrent que jamais ils ne supporteraient de s'en
aller libres, laissant derrière eux leur seigneur en prison, et qu'il fallait
faire le contraire, et les laisser captifs pour le roi.
Une grande dispute s'éleva alors entre eux et ce dernier, si bien
que les sarrasins apprirent par l'interprète ce débat de mutuelle
charité, le seigneur voulant rester otage pour ses chevaliers, et ceux-ci
pour leur seigneur. Et alors Dieu toucha le cœur de ces tyrans, et, leur
dureté fléchissant, ils dirent que Louis choisirait un de ses frères, qui
servirait d'otage pour le roi et tous les autres chrétiens jusqu'à ce que
Damiette et le reste de la rançon fussent rendus, et qui, ensuite, serait
délivré comme les autres.
Comme le roi avait choisi pour otage le comte d'Anjou, les
sarrasins, estimant qu'il préférait le comte de Poitiers, qu'il avait l'usage
de demander pour compagnon, voulurent retenir ce dernier comte, pour
que le roi, afin de le ravoir, se hâtât davantage d'exécuter la
convention. Et il fut fait ainsi.
Et quand on fut arrivé à Damiette, le roi ne voulut point quitter
le navire avant que l'argent ne fût payé et Damiette rendue, et que
son frère, resté commer otage, n'eût été délivré. »

VI. Le sixième fragment nous explique pourquoi saint Louis renvoya ses
frères en France et s'obstina à rester en Terre Sainte pour arriver à
obtenir la liberté des captifs dont il avait payé la rançon mais que l'on tardait
à délivrer.

« Ayant obtenu ce qu'il réclamait et Damiette ayant été évacuée,


le roi décida de se rendre en Terre Sainte, et demanda à ceux qui
voudraient bien le suivre de monter sur les navires ; puis il donna ordre
aux nautonniers de faire voile vers Saint-Jean-d'Acre.
Donc, ainsi que le dit le roi Charles en sa déposition, comme les
deux frères, alors comtes l'un et l'autre, se trouvaient avec le roi en
Syrie jusqu'au mois d'août, le roi appela le comte d'Anjou, lui faisant
connaître sa volonté, à savoir que lui-même restant sur place, les deux
frères retourneraient en France. Or Charles lui demanda qu'il lui
permît de demeurer avec lui et lui exposa qu'il aimerait beaucoup assurer
sa garde et le protéger, mais le comte de Poitiers ne voulait pas s'en
aller seul. Alors Charles demanda au roi de rester à sa place en Terre
(Sainte). Le roi répondit qu'il ne mettrait personne pour le remplacer,
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 75
parce que, en l'occurrence, mieux que quiconque, lui-même
récupérerait ceux qui étaient encore en captivité, parce qu'étant plus
puissant, il serait craint davantage. En vérité, cette compassion pour les
captifs fut la raison principale pour laquelle il, voulut rester afin de les
délivrer, et de fait il les délivra, alors que s'il était rentré, jamais ils
n'auraient été délivrés.
Le roi donc restant en Syrie envoya en France ses frères et leur
confia des lettres J munies de son nouveau sceau exposant les heurs
et malheurs qui étaient arrivés à lui et aux siens, et mandant à tous
ceux de son royaume, grands, moyens et petits, d'apporter une aide
à la Terre Sainte qui était en grand péril.
Les deux comtes Alfonse et Charles ayant regagné le royaume
s'y trouvaient donc, lorsque la reine Blanche leur mère, tomba
gravement malade. »

VII. La reine Blanche morte comme une sainte, le comte d'Artois mort en
martyr, le comte de Poitiers (Alphonse) martyr de désir. . .

Voici d'abord la mort de la reine Blanche (t 1252).

« Cinq ou six jours avant sa mort, alitée à Pontoise, dans l'abbaye


qu'elle avait fondée, elle demanda l'habit des religieuses, et le reçut
de la main de l'évêque de Paris, qui lui avait donné la communion;
et comme, en la revêtant de l'habit, il ajoutait la restriction « en cas de
mort, » elle déclara qu'à la vie ou à la mort elle voudrait être religieuse,
et, depuis ce moment, obéit à Pabbesse comme la dernière des
religieuses. Ayant reçu les sacrements, et la mort approchant déjà, elle
avait perdu la parole; les prêtres et les clercs présents hésitaient,
ne sachant que faire; tout à coup elle se mit d'elle-même à entonner
la prière de la recommandation de l'âme : « Subvenite sancii Dei, » et
rendit l'âme peu à peu en chantant entre ses dents la suite de cette
oraison. Sainte racine d'où sont sortis de si saints rameaux, le roi
d'abord, puis le comte d'Artois, martyr de fait, et le comte de Poitiers,
martyr de désir! »

Martyr de fait ; martyr de désir.

« Ledit comte d'Artois lui avait dit à lui, son frère, (Charles) et
à Monseigneur Mathieu de Marly en leur parlant familièrement alors
qu'ils étaient seuls tous les trois outre-mer — avant de se diriger vers
la Massoure, où pour l'exaltation de la foi il allait être tué par les
infidèles — que le genre de mort qu'il désirait avant tout autre, s'il
plaisait à Dieu, était de succomber et mourir pour l'exaltation de la foi
chrétienne, pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et puisque
76 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
le désir est accordé à ceux qui sont justes, presque aussitôt après le
Seigneur le combla, car œuvrant comme un bon chevalier du Christ Jésus,
il a été tué au combat par les Sarrazins, à la Massoure, comme il vient
d'être dit.
Quant au comte de Poitiers, il fut martyr de désir, lorsque, saint
Louis étant mort, tous revenaient de Tunis avec le nouveau roi et se
trouvaient dans le port de Trapani, et que tous se proposaient de s'en
retourner en Terre-Sainte, à la fête de saint Jean, trois ans après, et
que tous les grands, sauf le roi, juraient de s'y tenir fermement, ledit
comte de Poitiers, ne supportant pas de rester si longtemps éloigné de
la Terre Sainte, dit secrètement à son frère Charles que du lieu où il
se trouvait, il voulait sans idée de retour se transporter en Terre Sainte,
non pas qu'il renonçât pour autant à y être à la date convenue, mais
bien pour y attendre les autres; or Charles, jugeant que pour lors il
valait mieux regagner la France que de se rendre en Terre Sainte, pour
divers raisons qu'il lui exposa, mais qu'il n'écrivit pas dans sa
déposition, il le dissuada donc d'entreprendre la traversée quant à présent ;
sur quoi le comte troublé parce que ces raisons l'obligeaient à remettre
à plus tard le projet qui lui tenait au cœur, se rendit au conseil de son
frère ; mais il ne dépendit pas de lui de faire la traversée. . . afin de
combattre pour le Seigneur et de terminer sa vie à son service. »

Pierre d'Alençon

« Pierres, conte d'Alençon, fiuz du benoît saint Loys », est


mentionné par Guillaume de Saint-Pathus, en huitième position parmi les
« tesmoinz » qui déposèrent au procès de canonisation.
Or, tout au long de son récit sur La vie monseigneur saint Loys, jadis
roi de France, on ne relève aucun passage pouvant se rapporter à la
déposition du prince Pierre ; tout au plus est-il cité incidemment, soit à
propos du retour de la première croisade, lorsque la nef royale heurta
« une dure gravele » au large de Nicosie, sur la côte de Chypre ; il était
alors tout petit enfant ; soit à propos du second départ du roi pour
l'expédition de Tunis. On peut aussi penser que Pierre rappela le lavement
des pieds de treize pauvres le jeudi saint, auquel il participa avec son
père et son frère aîné Philippe. C'est tout.
Heureusement Joinville2, qui n'était pas présent au camp devant
Carthage, nous a laissé le récit que voici : A la fin de la vie (du roi)
je ne fus point; mais le comte d'Alençon, son fils y fut (qui beaucoup
m'aima) et me rapporta la « belle fin qu'il fit », comment à l'approche
de la mort, le roi appela les saints pour l'aider et le secourir :
notamment monseigneur saint Jacques3, en disant son oraison qui
commence « Esto Domine », c'est-à-dire « Dieu, sois le sanctificateur et
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 77
le gardien de ton peuple ». Il invoqua aussi saint Denis de France, en
disant son oraison : « Sire Dieu, donne-nous de mépriser la prospérité
de ce monde afin que nous ne redoutions aucune adversité. » Joinville
ajoute encore avoir entendu de la bouche de monseigneur d'Alençon
que son père invoquait madame sainte Geneviève.
Après quoi, le saint roi se fit étendre sur un lit couvert de cendres,
joignit ses mains sur sa poitrine et, regardant vers le ciel, rendit son
esprit à notre Créateur, en cette heure même que le Fils de Dieu
mourut sur la croix pour le salut du monde.

Jean d'Acre, bouteiller de France


cousin de saint louis
en neuvième position dans la liste de Saint-Pathus

Ce personnage est le héros assez piteux d'une anecdote qui se


passa sous Tunis en 1270 et qui fut racontée par Guillaume de Nangis,
Vie de saint Louis, Recueil des historiens de la France, t. XX, 1890, p. 452-454.
Il a pu en faire état dans sa déposition de 1282, puisqu'elle soulignait
la félonie des Sarrazins et la magnanimité de saint Louis.

« Un jour que le comte d'Eu, Alphonse, et messire Jean d'Acre,


son frère, bouteiller de France, faisaient le guet, de nuit, il arriva que
trois chevaliers Sarrazins abordèrent le bouteiller et lui dirent leur
intention de devenir chrétiens. Mieux : en signe de loyauté élevant les bras
au-dessus de leur tête, et baisant les mains de nos gens en signe de
soumission, ils se rendirent au bouteiller.
Le bouteiller les fit conduire en sa tente, et alla aussitôt avertir
le roi Louis du comportement de ces Sarrazins. Le roi ordonna de les
garder avec le plus grand soin.
Quand ensuite le bouteiller fut retourné à son poste de guet, cent
autres Sarrazins se présentèrent encore, jetant bas leurs lances, et ils
agirent comme les trois autres l'avaient fait, demandant instamment
au bouteiller de recevoir le baptême.
Puis, alors que celui-ci et ses gens les écoutaient avec attention,
un grand nombre d'autres Sarrazins surgirent en foule, les lances levées
et se précipitèrent sur le bouteiller et sa compagnie les obligeant à la
fuite en criant : « Aux armes! ». A ce cri l'armée chrétienne se
rassembla aussitôt. Mais avant que nos gens fussent prêts, les Sarrazins avaient
tué soixante chrétiens qui se trouvaient là ; et prestement ils se sauvèrent.
Ce fut là une grande trahison des Sarrazins et plus grande encore
une naïveté des chrétiens. On en attribua l'entière responsabilité au
bouteiller, mais en un certain sens ce fut à tort, parce que, détenant
78 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
en sa tente trois Sarrazins de haut rang, qui demandaient le baptême,
il avait pensé que leur présence attirerait les autres à la foi chrétienne ;
en un autre sens, il méritait d'être blâmé, car il aurait dû être mieux
avisé et se méfier des guets-apens tendus par ses ennemis.
Revenu dans sa tente, le bouteiller adressa de violents reproches
aux trois Sarrazins, les accusant de trahison et de tricherie. L'un d'entre
eux qui paraissait être de beaucoup leur supérieur commença à s'excuser
et se mit à pleurer. Ce qu'il disait, le bouteiller le fit traduire par un
frère prêcheur qui savait bien parler la langue sarrazine. Le bouteiller
leur dit alors que personnellement il n'avait pas pu avoir le moindre
doute à leur égard, puisqu'ils étaient venus faisant confiance aux
chrétiens ; il avait donc eu aussi confiance en eux. Personne n'ignorait
d'ailleurs que le roi Louis était si loyal qu'en aucun cas il n'eut violé
sa propre parole.
Alors le Sarrazin répondit : « Sire, je comprends bien votre réaction
violente et combien vous devez me soupçonner bien que je ne sois
coupable aucunement en l'occurrence. Sachez que c'est un homme jaloux
de moi qui a tout fait pour me nuire gravement. Nous sommes deux
grands chefs de même rang sous le roi de Tunis, et nous avons chacun
sous nos ordres 2.500 chevaliers. Or mon rival qui me hait sait bien
que vous me tenez, quoique je sois venu à vous de mon plein gré, et
voilà pourquoi il organisa et fit livrer ce combat pour me nuire ; il sait
bien d'ailleurs qu'aucun de mes chevaliers ne fut en cette bataille
contre vous et ne nous fit jamais aucun mal. Et, afin que vous ayez
la preuve de façon concrète de ce que je vous avance de vive voix,
laissez aller l'un de mes compagnons jusqu'à mes gens, et s'il ne vous
amène plus de 2.000 Sarrazins qui vous apporteront du ravitaillement
à acheter, et vous donneront de l'aide, réservez-moi le sort que mérite
un traître déloyal. » Après son exposé il pensa un peu avoir convaincu
le bouteiller de ce qu'il disait.
Aussi ce dernier vint trouver le roi Louis et lui rapporta ce que
le Sarrazin lui avait raconté. Mais le roi ne voulut pas croire en ces
paroles et commanda qu'on les laissât partir, rejoindre les autres
Sarrazins.
Alors aussitôt le bouteiller et le connétable les accompagnèrent
et les conduisirent hors de nos lignes. Et les Sarrazins les reçurent avec
une immense joie car ils pensaient qu'ils auraient été tués par les
chrétiens.
De cette décision du roi, nombreux furent chez nous ceux qui
murmurèrent. Le chef des Sarrazins avait dit qu'il reviendrait le
lendemain et remplirait sa promesse. Or il ne tint pas sa parole et
mentit jusqu'au bout comme un déloyal et un félon qu'il était bien
en vérité. »
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 79

Simon de Nesle... et autres conseillers


a la cour-le-roi
en dixième position dans la liste de Saint-Pathus

Le procès d'Enguerran de Coucy (1259)

Cette célèbre affaire racontée en détail par Saint-Pathus (p. 136-


140) intéresse directement Simon de Nesle qui fut mêlé à ce jugement.
En juin 1269 il se rendit à Chauny avec Pierre le Chambellan, le
principal « secrétaire » de saint Louis, pour enquêter sur ce grave attentat.
Cet exemple éclatant de justice a dû figurer en bonne place dans
sa déposition de 1282 (cf. E. Farai, « Le procès d'Enguerran IV de
Coucy », dans R.H.D., 1948, p. 219).

« Comme noble homme messire Enguerran de Coucy, eut fait


pendre trois jouvenceaux (ainsi que l'on disait), parce qu'ils avaient
été trouvés dans ses bois, avec arcs et flèches, mais sans chiens ni
aucun engin susceptible d'attraper des bêtes sauvages, et comme
l'abbé qui les avait hébergés dans son abbaye de Saint-Nicolas-au-
Bois, au diocèse de Laon, et quelques femmes cousines des trois
pauvres pendus eussent conjointement porté plainte de leur mort devant
le roi, celui-ci, après qu'une enquête eut été sérieusement faite ainsi
que l'imposait un pareil crime, fit citer Enguerran devant sa personne
et le fit immédiatement arrêter par ses chevaliers et par ses sergents,
conduire au Louvre, jeter en prison et détenir là en une chambre de
sûreté, sans toutefois être mis aux fers.
Un jour, alors que messire Enguerran était ainsi détenu, le roi
le fit comparaître devant lui; or avaient été convoqués pour
l'événement le roi de Navarre, comte de Champagne, le duc de
Bourgogne, les comtes de Bar, de Soissons, de Bretagne, de Blois, ainsi
que monseigneur Thomas de Beaumetz, alors archevêque de Reims,
monseigneur Jean de Thourotte, et pour ainsi dire tous les barons
du royaume.
Aussitôt un incident se produisit : de la part de monseigneur
Enguerran, on fit savoir que celui-ci voulait prendre conseil. Le roi ayant
donné son accord, le sire de Coucy se retira donc. Or, fait inattendu,
le suivirent tous les nobles hommes nommés ci-dessus (qui étaient tous
plus ou moins ses parents).
Ainsi le roi se trouva rester là, à attendre, tout seul, avec
simplement ses propres familiers et les membres de son conseil.
Quand les barons eurent longuement délibéré, ils revinrent dans
la salle devant le roi. Alors monseigneur Jean de Thourotte prenant
la parole pour monseigneur Enguerran, exposa que celui-ci ne voulait
80 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
et ne devait pas se soumettre à l'enquête en un pareil cas, car il
s'agissait de sa personne, de son honneur et de son héritage, qu'il était prêt
à se défendre en combat judiciaire, et d'ailleurs il niait absolument avoir
pendu, ni avoir donné ordre de pendre les jouvenceaux en question.
Or, de leur côté, l'abbé de Saint-Nicolas et les femmes parentes
des malheureuses victimes se tenaient là, devant le roi auquel elles
demandaient justice.
Après avoir écouté avec la plus grande attention le « conseil »
de monseigneur Enguerran, le benoît roi prit la parole et dit que dans
des causes concernant des pauvres, des églises et des personnes dignes
de pitié, on ne devait pas recourir au duel judiciaire (« par la loi de
bataille »), car l'on ne trouverait pas aisément des volontaires qui
acceptassent de combattre pour des gens de condition modeste contre les
barons du royaume.
Le roi ajouta que, ce faisant, il n'avançait pas contre Enguerran
des règles nouvelles (« noveletés ») car autrefois ses ancêtres avaient
résolu de semblables cas de la même manière. Et le benoît roi
d'évoquer monseigneur Philippe, roi de France, son aïeul, qui avait fait faire
une enquête contre monseigneur Jean, jadis seigneur de Sully,
coupable d'homicide, et que pendant douze ans et plus il avait saisi le
château de Sully, bien que ce château ne fût pas de la mouvance directe
du roi, mais était tenu de l'église d'Orléans.
En conséquence le benoît roi n'écouta pas la requête présentée,
mais fit sur le champ et aussitôt saisir monseigneur Enguerran par ses
sergents pour le mener au Louvre et qu'il y soit détenu et bien gardé.
Bien que plusieurs eussent supplié le benoît roi en faveur de
monseigneur de Coucy, jamais le saint roi ne voulut entendre leur
supplication ni écouter sur ce aucun d'entre eux. Après quoi le roi se
leva de son siège et les barons nommés ci-dessus s'en allèrent « ébahis
et confus ».
Et en ce même jour, un peu plus tard, le comte de Bretagne s'en
vint dire au roi qu'il ne devrait pas prétendre que des enquêtes fussent
faites contre les barons du royaume dans des affaires touchant leurs
personnes, leurs héritages et leurs honneurs. A quoi le benoît roi répondit
au comte : « Vous ne parlâtes pas ainsi, en un temps passé, quand
les barons qui tenaient de vous tout « nu à nu » (directement), sans
aucun intermédiaire, apportèrent conjointement devant nous leur
complainte contre vous-même et offraient à prouver en certains cas leur
prétention par gage de bataille contre vous. Or vous répondîtes devant
nous que vous ne deviez pas régler par bataille mais par enquêtes
en une telle affaire et vous disiez encore que « bataille n'est pas voie
de droit ».
Le benoît roi dit ensuite que puisque messire Enguerran n'avait
pas accepté de se soumettre à enquête, la cour ne pouvait pas, selon
les coutumes du royaume, prononcer une peine l'atteignant en sa
personne.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 81
Mais en vérité si le roi eût bien connu la volonté de Dieu en pareil
cas, il n'eût tenu compte ni de la noblesse du lignage d'Enguerran, ni
de la puissance de ses amis, et n'eût pas hésité à faire de lui pleine
justice (c'est-à-dire de la condamner à la peine capitale).
Pour finir, le benoît roi « par l'avis de ses conseillers » condamna
le dit monseigneur Enguerran à 12.000 livres de parisis, somme qu'il
envoya à Acre pour aider à la défense de la Terre Sainte. En outre le
roi n'omit point de le condamner à perdre le bois dans lequel les
jouvenceaux avaient été pendus, qu'il adjugea à l'abbaye de Saint-Nicolas.
Et aussi, il le condamna à fonder et à doter trois chapellenies
perpétuelles pour les âmes des pauvres pendus. Et encore il lui retira tout
droit de haute justice en ses bois et en ses viviers, afin qu'il ne pût
désormais jeter quiconque en prison ou le mettre à mort pour quelque
forfait qui y eut été commis.
Et comme on racontait qu'à propos de toutes ces choses,
monseigneur Jean de Thourotte avait dit aux barons assemblés que le benoît
roi ferait bien de les pendre tous, et comme cette boutade fut rapportés
au saint roi, ce dernier l'envoya chercher par ses sergents. Venu en
la présence du roi, monseigneur Jean s'agenouilla devant lui et le roi
de l'apostropher : « Comment est-ce Jean? Avez-vous dit que je devais
faire pendre mes barons ? Certainement je ne les ferai pas pendre, mais
je les châtierai s'ils commettent de graves méfaits ». Monseigneur Jean
répondit : « Sire, celui-là ne m'aime pas qui vous a rapporté des
paroles que je n'ai jamais prononcées », et il se montra prêt à se
justifier immédiatement par serment et par les serments de vingt ou trente
autres chevaliers ou plus encore s'il le fallait.
Renonçant à son intention première, le roi ne le fit pas saisir, à
cause de son attitude et de la façon dont il s'était excusé.
Il est bien vrai qu'au moment où Enguerran fut pris et jeté en
prison le roi de Navarre, le comte de Bretagne, la comtesse de Flandre
et d'autres en grand nombre avaient supplié le roi de leur rendre
monseigneur Enguerran, en prétendant qu'il n'était pas responsable de la
pendaison des trois jouvenceaux.
Mais, ayant été traité avec mépris, car ils avaient formé une
assemblée hostile, capable de susciter une conspiration contre le royaume
et contre la dignité royale, le roi se leva, refusa tout net de répondre,
et retint ledit monseigneur Enguerran en prison, et sous bonne garde. »

Trois affaires de justice où intervient officiellement Simon de Nesle


Saint-Pathus, 142-144

« Comme une femme qui appartenait à l'une des principales


familles de Pontoise, ainsi qu'on le disait, et de la lignée de Pierre-
laye, avait été arrêtée par les sergents du bienheureux roi pour avoir
82 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
fait tuer son mari par un homme qu'on l'accusait d'aimer de « maie
amour », et avoir fait ensuite jeter son cadavre dans des latrines, ladite
femme ayant effectivement reconnu le fait en jugement. Le benoît roi
voulut qu'à tel crime justice fut pleinement rendue, malgré que la reine
de France, la comtesse de Poitiers, d'autres dames du royaume et aussi
plusieurs frères mineurs et prêcheurs l'aient importuné et supplié en
faveur de cette femme, afin qu'elle ne soit pas mise à mort, en raison
de la grande contrition et du grand repentir qu'elle manifestait. Les
amis et les cousins de cette femme et de nouveau la reine et les
personnes déjà nommées supplièrent le roi que, si de toute façon elle devait
mourir, qu'à tout le moins l'exécution n'ait pas lieu à Pontoise.
Alors le saint roi demanda à noble homme et sage, Monseigneur
Simon de Nesle, quel était son avis; et Monseigneur Simon répondit
que justice rendue publiquement était la meilleure. Malgré les
nombreuses prières qui lui avaient été adressées, le saint roi commanda que
ladite femme fût brûlée au château de Pontoise ; elle fut donc livrée aux
flammes et justice fut ainsi publiquement rendue. »

« Comme certains gentilshommes, vassaux dudit monseigneur Simon


de Nesle, lequel possédait la haute justice en sa seigneurie, eussent un
de leurs cousins, méchant homme et qui ne voulait pas se corriger, ils
requirent et prièrent monseigneur Simon de les autoriser à se saisir de
ce méchant homme et de le faire disparaître en lieu secret, car ils
craignaient que s'il venait à tomber entre les mains de monseigneur Simon
ou de quelque autre justice il ne fût pendu ou exécuté en public, ce
qui eût été pour eux une trop grande honte. Mais Simon ne voulut
pas y consentir, en parla au benoît roi et lui raconta comment ces
gentilshommes avaient osé lui présenter une pareille requête. Le roi
lui répondit qu'il n'admettait en aucune manière une telle façon d'agir
et qu'il ne l'accorderait pas, car il voulait que dans tout son royaume
la justice des malfaiteurs fût rendue publiquement devant le peuple et
que nulle sentence ne fût exécutée en secret. »

« Comme le benoît roi se trouvait un jour à Melun, une femme


vint à lui et se plaignit d'un homme qui servait en sa cuisine ; elle dit
que cet homme avait défoncé sa maison, y avait pénétré et par force
l'avait violentée contre sa volonté. Monseigneur Simon de Nesle et
plusieurs membres du conseil du roi qui étaient là furent chargés d'enquêter
sur le champ. L'homme fut donc appelé devant eux par ordre exprès
du roi. En jugement et en présence de la femme, il avoua l'avoir
connue charnellement, mais prétendait que c'était une « folle femme
commune », qu'il ne l'avait jamais forcée en brisant sa maison ou
autrement : il le niait tout simplement. Or la femme prouva amplement
devant les gens commis par le roi que cet homme, avec d'autres, avait
bien cette nuit-là défoncé sa maison. Les hommes du roi auxquels
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 83
l'affaire avait été commise jugèrent et prononcèrent que cet homme
devait être pendu pour la violence qu'il avait perpétrée.
Finalement plusieurs de la cour prièrent le benoît roi de lui
pardonner et de ne pas tolérer qu'il fût pendu, d'autant plus qu'il avait
été à son service; néanmoins, le roi ne voulut écouter les prières
de personne et ordonna à monseigneur Simon qu'il fît faire justice
de cet homme ; et c'est ainsi qu'il fut pendu selon le jugement rapporté
plus haut. »

Trois plaintes contre Charles d'Anjou, frère du roi


Saint-Pathus, p. 140-142

Le nom de Simon de Nesle n'est pas cité, mais ces affaires ont
trouvé leur issue devant le conseil du roi, en la cour-le-roi, dont Simon
de Nesle faisait partie.

« Comme un homme vint devant le bienheureux roi, portant plainte


contre son frère monseigneur Charles, alors comte d'Anjou, le roi fît
appeler ce dernier en sa présence et devant tout son conseil, et le comte
se rendit à son appel, soit en personne soit par procureur. Le plaignant
exposa que monseigneur Charles exigeait qu'il lui vendît un bien qu'il
possédait au comté d'Anjou, ce qu'il ne voulait absolument pas faire.
Le roi commanda que son bien lui fût rendu, avec interdiction de le
troubler désormais dans sa possession, puisque, ni par vente ni par
échange, il ne voulait s'en séparer.

Comme un différend était récemment survenu entre le devant-dit


Charles, comte d'Anjou, et un chevalier, oncle du comte de Vendôme,
relativement à la possession d'un château, la cause ayant été débattue
en la cour de monseigneur Charles, la sentence avait été prononcée en
sa présence contre le chevalier; celui-ci estimant que le jugement n'était
pas équitable en appela au roi de France. Mais le comte, dédaignant
cette affirmation que le jugement de sa cour était faux et déloyal, rejeta
cet appel avec mépris, s'empara de la personne du chevalier, le mit
en prison et l'y retint, bien que ses amis eussent proposé de donner
bonne caution ou bons pièges pour lui, en attendant que justice fût
rendue; bref le comte refusa de le faire sortir de prison, alors même que
l'affaire était évoquée devant le roi et que la cause était traitée en appel.
Or auparavant, un écuyer du chevalier (retenu captif) s'était rendu
en la présence du roi et lui avait exposé toute l'affaire.
Le benoît roi fit aussitôt mander par lettre que monseigneur
Charles vînt devant lui. A son arrivée, il le blâma très fort et le
réprimanda de ce qu'il avait fait saisir le chevalier qui avait fait appel; il
84 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
lui dit qu'il n'y avait qu'un seul roi en France et qu'il ne devait pas
croire, parce qu'il était son frère, qu'il serait épargné contre droite justice
en quoi que ce fût, et il lui commanda de délivrer le chevalier, afin
que celui-ci pût poursuivre son appel en toute liberté.
Quand le chevalier fut sorti de la prison du comte, il vint en la
présence du bienheureux roi. Or monseigneur Charles s'était fait
accompagner de plusieurs conseillers et avocats de l'Anjou, auxquels il avait
adjoint pour constituer son conseil « tous les meilleurs de Paris ».
Lorsque le chevalier les vit tous assemblés contre lui, il dit au
roi que nul homme de sa condition ne pourrait douter de l'issue de sa
cause, en ayant contre lui de si nombreux, de si grands et si savants
adversaires, et que, par peur du comte, lui ne trouverait personne pour
assurer sa défense ; aussi demanda-t-il au roi de le pourvoir de conseil
et d'avocats de même valeur que ses adversaires, afin de n'être
vis-à-vis d'eux ni favorisé ni défavorisé.
Le bienheureux roi, ayant accepté cette requête, ordonna que
plusieurs « sages » forment le conseil du chevalier, et il leur fit jurer
de se comporter en toute loyauté dans l'exercice de leur plaidoyer pour
ledit chevalier.
En définitive, après que la cause eût été très longuement débattue
en la cour du roi, l'ultime sentence fut prononcée en faveur du
chevalier, et la sentence de la cour du comte d'Anjou fut cassée.
De cela fut grandement loué le bienheureux roi qui ne faisait
aucune acception de personne dans ses décisions de justice.

Une autre fois, comme plusieurs bourgeois et marchands de


diverses contrées étaient venus trouver le roi à Paris pour se plaindre de
son frère, monseigneur Charles, qui négligeait de s'acquitter de deniers
qu'ils lui avaient prêtés et de denrées qu'ils lui avaient vendues, le roi
lui ordonna de payer ce qu'il leur devait. Mais monseigneur Charles
tergiversait et semblait même vouloir contester cette obligation de
paiement. Le roi fit alors savoir à son frère que, s'il ne payait pas ses
créanciers, il perdrait la jouissance de ses biens placés dans la
mouvance royale (car ils seraient confisqués). Et l'on croit bien que c'est
par le commandement exprès du roi que messires Charles fut contraint
de leur donner satisfaction. »

Plaintes, sentences et jugements de la cour

I. Devant la Cour et son Conseil le roi soutient souvent les arguments de


la partie qui lui était contraire.
Saint-Pathus, p. 145

« Souvent il arrivait qu'en la cour du saint roi et en sa présence


DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 85
étaient traitées de nombreuses causes devant lui et devant son conseil,
qui le touchaient en tant que personne et en tant que suzerain. Il
invoquait alors de tout son pouvoir les arguments valables contre lui-même
et contre les droits qui étaient allégués en sa faveur, prenant la défense
de la partie adverse, même contre son conseil et contre ceux qui
défendaient « les droits du roi », et en toutes autres causes qui étaient
débattues devant lui, sans aucune acception de personne, il recherchait la
vérité, avec toute la diligence et le soin imaginables, après quoi
seulement il rendait la justice. »

II. Destruction d'un château construit illégalement en Périgord.


Saint-Pathus, p. 145-146

« Comme monseigneur Edouard, aujourd'hui roi d'Angleterre,


au temps où son père le roi Henri (= Henri III, 1216-1272) vivait
encore et était seigneur de Gascogne, eut entrepris de fonder un
château nommé Castelréal, au diocèse de Périgueux, édifié au préjudice
de l'abbé de Sarlat, et comme ledit abbé eut porté les choses à la
connaissance du benoît roi saint Louis, celui-ci fît admonester les
responsables de l'ouvrage et les ouvriers une première, une seconde et une
troisième fois, de ne pas poursuivre les travaux, avant que l'on sache
si le château était construit au préjudice dudit abbé. Or, ne tenant aucun
compte de l'avertissement reçu, ils ne cessèrent pas leurs travaux; le
benoît roi ordonna donc que le château et tout ce qui avait été fait fût
détruit et entièrement réduit à néant, par Raoul de Trapes, alors
sénéchal de Périgord, lequel fît rapport au saint roi que le château était tout
démoli en exécution de son commandement. »

III. Dans les paix-à-partie conclues après un homicide, le roi aggrave parfois
les obligations imposées au coupable.
Saint-Pathus, p. 146-147

« Quand un litige était porté devant le roi à propos de quelques


malfaiteurs, il arrivait que ceux-ci fassent la paix avec leurs
adversaires ou leurs ennemis, soit moyennant une somme d'argent, soit un
départ outre-mer, l'auteur du méfait devant s'y rendre et y demeurer
un an ou deux. Dans ce cas, le benoît roi poussé par son zèle pour la
justice et afin que les méfaits fussent à la fois moins nombreux et dûment
châtiés, augmentait encore la peine frappant les malfaiteurs : la somme
d'argent ou la durée de l'absence, selon qu'il lui semblait à propos,
en plus de ce qu'ils avaient convenu entre eux.
86 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Le fait arriva à un cordonnier de Paris. Comme ledit cordonnier
et un bourgeois de Paris s'étaient rendus au Châtelet, le premier
se plaignit que l'autre l'avait assailli en sa maison et l'avait battu;
et le second rétorqua aussitôt que le cordonnier l'avait frappé d'un
couteau, ce qui apparaissait clairement car il était encore
ensanglanté et mourut d'ailleurs peu après des suites de la blessure qu'il
avait reçue.
Sans doute le cordonnier prétendit qu'il ne croyait pas l'avoir
frappé mortellement et n'avait pas eu l'intention de le tuer, mais
seulement de s'opposer à la violence que celui-ci avait perpétrée en sa propre
maison contre sa personne.
Malgré tout, le cordonnier ne put prouver son assertion et fut
tenu pour homicide, ce pourquoi il lui fallut faire sa paix avec les amis
du défunt. Entre autres choses, il décida à leur égard qu'il irait
outremer pendant dix ans, et ce, avec l'assentiment du prévôt de Paris, car
l'assaut ne fut pas pleinement prouvé par témoins, encore que le bruit
courait que le mort avait assailli la maison du cordonnier qui était chez
lui, qu'il l'avait battu et lui avait fait toutes sortes de vilenies.
Or, lorsqu'un homicide a été commis et qu'il est question entre
les parties de faire la paix, les baillis des diverses contrées n'ont pas
coutume de donner leur assentiment sans que le roi en ait eu
connaissance ; encore que la paix puisse être conclue devant eux, il fut parlé
au benoît roi de la paix qui avait été ainsi conclue. Quand le roi
entendit la chose, il donna bien son consentement à ladite paix, mais poussé
par le zèle d'une plus grande justice, il ajouta trois années aux dix autres
et commanda que cet homicide passe la mer en demeurant là-bas treize
ans, le temps de l'aller et du retour compris.

IV. En plein Parlement, le comte de Joigny est emmené au Châtelet.


Saint-Pathus, p. 148

« Comme le comte de Joigny eut fait saisir récemment en sa terre


un « bourgeois du roi », auteur, à ce que l'on disait, d'un grave méfait
pour lequel il avait été pris en flagrant délit, au dire du comte, ce que
le bourgeois niait et pourtant celui-ci fut jeté en prison.
Le sergent du roi de la ville où résidait le bourgeois le réclama
donc au comte, car suivant la coutume du pays, la justice du roi devait
connaître du cas s'il s'agissait d'un flagrant délit, une circonstance que
niait le bourgeois. Mais le comte refusa de le rendre au sergent pour
établir les circonstances du méfait. Or il arriva que le bourgeois
mourut dans la prison comtale ; ce qu'apprenant le benoît roi appela le comte
devant lui. Ce dernier confessa la vérité en plein Parlement, alors le
roi recommanda à ses sergents de se saisir de la personne du comte
en présence de tous, et de le mener au Châtelet, où il fut retenu. »
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 87
V. La justice du roi est la meilleure, même dans le cas de présomption
défavorable du roi.
Saint-Pathus, p. 149-150

« Comme monseigneur Pierre Du Bois était en procès avec


monseigneur Jean Britaut, chevalier, et que, pendant le même temps un fils
de monseigneur Pierre fut tué, ce dernier porta plainte de ce que
monseigneur Jean était l'auteur du meurtre de son fils.
Le benoît roi fit donc appeler monseigneur Jean en sa présence.
Finalement comme le bruit se répandait de plus en plus que ce crime
avait été perpétré par ledit Jean, et que messire Pierre maintenait sa
plainte et demandait que justice lui fût rendue de ceux qui avaient tué
son fils, le roi fit saisir monseigneur Jean et le fit mener à Étampes,
où il fut détenu en prison pendant une année et davantage : sa
détention dura longtemps jusqu'à ce que, l'enquête pleinement achevée, le
benoît roi apprît que messire Jean n'était pas coupable du crime dont
il était accusé.
Dans cette affaire, il faut savoir que monseigneur Pierre le
chambellan, qui était l'un des plus grands parmi les secrétaires du roi, et
tous ses amis susceptibles de l'aider, avaient apporté leur appui à
monseigneur Jean pour qu'il ne fût pas jeté en prison et ensuite pour qu'il
fût délivré.
Malgré cela, personne ne put obtenir du roi qu'il le fît élargir
avant que ladite enquête fût duement terminée. Pas même le comte
de Champagne, dans la terre et sous la juridiction de qui messire Jean
demeurait alors (bien qu'il relevât directement du roi) et qui avait
formellement attesté qu'il était prêt à juger monseigneur Jean, et
avait ensuite supplié que le roi consentît au moins à le faire sortir
de prison.
Le comportement du roi s'explique par deux raisons, fortes et
sérieuses l'une et l'autre. D'abord parce qu'il était convaincu, la chose
étant notoire, que Jean était non seulement adversaire de Pierre (dans
le procès en question), mais qu'il était de plus son ennemi déclaré. En
second lieu, parce qu'il était de plus haute noblesse et de plus grande
puissance que lui et jouissait ainsi d'une particulière faveur à la cour
de Champagne. Il avait donc pensé que, dans ces conditions, la justice
royale serait plus équitable que celle du comte.

VI. Les enquêteurs royaux, révocation d'un bailli coupable.


Saint-Pathus, p. 150

« Un jour le benoît roi apprit que ses baillis et ses prévôts


commettaient des injustices envers les bonnes gens de son royaume,
88 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
soit en prononçant de faux jugements, soit en saisissant leurs biens
contre toute justice. Il prit alors l'habitude d'instituer des enquêteurs,
tantôt frères mineurs et prêcheurs, tantôt clercs séculiers, d'autres fois
même chevaliers, qui chaque année, voire plusieurs fois par an,
avaient pour mission d'enquêter contre les baillis, contre les prévôts
et contre les autres sergents « deçà et delà environ le royaume ou par
tout le royaume ».
Il donnait à ses enquêteurs le pouvoir de faire rétablir sans délai
dans leurs droits tous ceux qui auraient subi un préjudice quelconque
dans leur personne ou dans leurs biens de la part de baillis et autres
officiers, mais aussi le pouvoir de relever de leurs fonctions les
mauvais prévôts et autres sergents inférieurs qu'ils trouveraient passibles
d'une telle sanction.
Bien plus, il arriva qu'un personnage, qui avait été bailli d'Amiens,
fût destitué de son bailliage et mis en prison où il demeura
longuement, parce qu'on avait eu la preuve qu'il s'était mal comporté dans
son office : il lui fallut vendre ses maisons et ses autres biens avant
de sortir de la prison royale, seulement après avoir restitué ce qu'il
avait saisi indûment, au point qu'il devint si pauvre qu'à peine
put-il posséder un roncin (vieux canasson), lui qui auparavant avait
été fort riche. »

Quelques autres aspects de la justice royale.

Les « plaids de la porte ».


Saint-Pathus, p. 142

« Pendant longtemps, après avoir écouté ses messes et touché les


malades atteints des écrouelles, le roi eut l'habitude de faire appeler
tous ceux qui voulaient lui exposer quelque chose ou lui présenter
quelque requête ; tous il les écoutait avec le plus grand soin, à moins
qu'il ne fut contraint, du fait des circonstances, à s'occuper de plus graves
affaires ; dans ce cas il les faisait écouter diligemment par quelques uns
de ses chevaliers ou de ses clercs (ce qu'on appelait « les plaids de la
porte ») ; et il se faisait ensuite rapporter les causes dignes de lui être
soumises, parfois même des affaires très importantes ( = qui auraient
pu être soumises au Parlement). »

Le respect des droits de juridiction.


Saint-Pathus, p. 144-145

« Une fois, comme le benoît roi écoutait au cimetière de l'église


DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 89
paroissiale de Vitry, un sermon de fr. Lambert, de l'ordre des prêcheurs,
et se tenait assis aux pieds du frère, en la présence d'une grande
multitude de peuple, il advint qu'en une taverne assez proche du cimetière,
il y avait une assemblée de gens qui faisaient si grand bruit, qu'ils
incommodaient le prêcheur dans l'exposé de son sermon, et aussi ceux qui
Γ écoutaient.
Le roi demanda donc à qui était la justice du lieu où s'élevait la
taverne et on lui répondit que la justice lui appartenait à lui-même.
Alors il commanda à certains de ses sergents de faire taire ces gens qui
troublaient l'exposé de la parole de Dieu. Ce qui fut fait.
L'on croit bien que le roi fit demander à qui appartenait la justice
de cet endroit, parce que si elle eut appartenu à quelqu'un d'autre que
lui-même, il n'aurait pas donné un ordre en intervenant dans la
juridiction d' autrui. »

Les abus éventuels du droit de gîte.


Saint-Pathus, p. 145

« Quand le roi se rendait en quelques abbayes, il ne tolérait pas


que ses gens saisissent ou emportent de ce lieu quoi que ce soit ; aussi
prenait-il soin de recevoir les clés des greniers et des celliers et les
faisait mettre à l'abri, afin que l'on ne pût causer aucun dommage à ce
qui leur appartenait. »

Pierre de Chambly
onzième position dans le liste de Saint-Pathus

Le meilleur homme quii ait connu.


Saint-Pathus, p. 134

« De rechef Pierre de Chambly, homme de 40 ans ou environ et fort


riche qui commença à être avec le benoît roi assez tôt, à son premier
retour d'outre-mer et demeura avec lui depuis ce temps jusqu'au
moment de sa mort à laquelle il assista, ainsi que Pierre le dit au cours
de sa déposition; il fut donc parmi ses familiers intimes et ses
confidents. Il affirma par son serment, quand il eut fait le récit des vertus
du benoît roi (qui sont décrites aux endroits convenables en la présente
œuvre), que par ce qu'il a déjà dit et par beaucoup de choses et
beaucoup d'autres encore qu'il vit et sut de lui, il croit que le benoît roi
fut le meilleur homme qu'il ait jamais connu pour la sainteté de la vie
qu'il mena.
90 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
De rechef il le vit faire et souffrir beaucoup d'abstinences, de veilles,
de duretés et de pénitences ; toujours il voulut et fit le bien et évita le
mal. Ainsi l'attesta messire Pierre. »

Jean de Soisy, chevalier


en douzième position dans la liste de Saint-Pathus

Pas de « jolivetés » chez saint Louis.


Saint-Pathus, p. 133

« Messire Jehan de Soisy, chevalier, homme d'âge mûr et fort


riche, passa avec le benoît roi l'espace des trente années ou environ
précédant sa mort et demeura avec lui de façon très intime jusqu'à son
décès. Ayant commencé à vivre avec le roi au temps de sa jeunesse
ou peu s'en faut, il affirma par serment que jamais il ne vit ni
n'entendit de sa part nulles « jolivetés », ni qu'il se mêlât à quelque jeu
deshonnête ; et que jamais on ne le vit se livrer au jeu de hasard ni autres
jeux semblables. Jamais il n'entendit qu'on lui eût fait reproche d'aucun
crime de fornication ni d'adultère ou d'autre vilaine action. Il affirma
encore par son serment qu'il ne croit pas, depuis soixante ans passés,
que soit mort dans tout le royaume de France un homme de plus grande
conscience ni de plus grande pureté, et il répéta n'avoir jamais vu en
lui ni entendu de lui que du bien en toutes ses actions et en toutes ses
paroles... »

L'affaire de l'Ave maris stella.


Saint-Pathus, p. 18-19

D'après le témoignage précédent on voit que les relations entre


Jean de Soisy et le roi ont commencé dès la jeunesse du souverain.
C'est pourquoi il est sans doute légitime de rattacher à la même source
une anecdote pleine de fraîcheur où apparaît un écuyer (Jean de Soisy,
pensons-nous) fort embarrassé par le chant grégorien.

« (Pour en revenir à ses souvenirs de jeunesse, le même Jean de


Soisy rappelle encore que) le roi évitait tous jeux ayant mauvais genre,
s'écartait de toutes choses laides et deshonnêtes et ne faisait injure à
quiconque en actes ou en paroles, et ne méprisait ni ne blâmait
personne d'aucune manière, mais reprenait très doucement ceux qui
parfois agissaient en sorte de le courroucer ; il les corrigeait en disant des
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 91
paroles telles que : « Calmez-vous » ou « Restez paisible », « Ne faites
pas dorénavant de telles choses, car vous en pourriez bien porter la
peine », ou toutes autres paroles semblables. A chacun il parlait
toujours au pluriel. Il n'affirmait pas par serment les choses qu'il disait,
mais s'exprimait de manière ordinaire avec simplicité.
Il ne chantait pas les chansons du monde et ne souffrait pas que
ceux de ses familiers les chantassent en sa présence ; un jour même,
il commanda à l'un de ses écuyers qui chantait bien de telles
chansons au temps de sa jeunesse de s'en abstenir, et il lui fit apprendre
des antiennes à Notre-Dame et cet hymne Ave Maris Stella, bien que
ce fût chose fort difficile à apprendre.
Il leur arrivait ainsi, au roi et à son écuyer, de chanter ensemble
de tels hymnes et antiennes. »

Pierre de Laon
en treizième position dans la liste de Saint-Pathus

// n'est qu'un homme, tout comme un autre.


Saint-Pathus, p. 115

« II advint une fois que le benoît roi était à Noyon et mangeait


en une chambre, avec quelques chevaliers au coin du feu, car c'était
l'hiver, et ses chambellans mangeaient dans une antichambre voisine.
A la fin du repas, comme le roi s'entretenait dans cette même pièce
avec ses chevaliers, auprès du feu, et leur racontait quelque histoire,
alors que (de leur côté) les chambellans qui avaient eux aussi fini leur
repas sortaient de l'antichambre, le roi termina le récit qu'il faisait à
ses chevaliers en disant : « Et je m'y tiens ». Alors un de ses
chambellans, nommé Jean Borgueigneit, émit quelques paroles méprisantes
envers le roi. Aussitôt monseigneur Pierre de Laon qui entendit ces
paroles vraiment outrageuses à l'encontre d'un si grand prince, et son
seigneur, que ledit Jean avait prononcées sans raison, car il n'avait pas
pu entendre ce que le roi avait raconté — dit à Jean à voix basse en
l'attirant vers lui : « Qu'est-ce que vous avez dit? Êtes-vous insensé
de parler ainsi au roi? » Et Jean répéta sa boutade à son collègue,
si haut que le roi put bien entendre ces paroles méprisantes : « C'en
est vraiment trop ! Il n'est jamais qu'un homme et un homme tout
comme un autre ». — Eh bien, comme le déposa par serment Pierre
de Laon, chevalier et homme d'âge mûr et riche qui demeura avec
le roi environ trente-huit ans, continuellement, le bon roi qui entendit
les paroles de Jean, aussi bien les premières que les secondes, le
regarda, arrêta son récit et ne lui dit jamais rien, ni ne le reprit
ni ne le tança.
92 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Un tel comportement, monseigneur Pierre de Laon et les autres
chevaliers de service qui étaient là, le tinrent comme la preuve d'une
patience extraordinaire face à un tel mépris, et les remarques dudit Jean
comme une grande folie, un grand orgueil et la marque d'un profond
mépris. Or par la suite messire Pierre ne vit, ni ne put déceler que le
roi dans ses paroles ou ses gestes ne semblât le moindrement courroucé
de la façon dont Jean lui avait parlé. »

Histoires de chambellans.
Saint-Pathus, 113; 114; 116

Ces trois histoires qui nous montrent des chambellans négligents


ou maladroits doivent provenir de la même source qui est expressément
indiquée à la fin de la troisième, à savoir le témoignage de Pierre de
Laon, chambellan lui-même.

« Une fois le benoît roi était à Paris et sortit de sa chambre pour


entendre les affaires et les causes des plaideurs, et comme à cette tâche
il avait été très longuement retenu, il regagna sa chambre avec
seulement un chevalier, celui qui couchait à ses pieds. Or, bien qu'ils
fussent au nombre de seize, ne s'y trouvait pas un seul des
chambellans, valets de chambres et sommeliers du lit du roi, qui devaient
garder sa chambre et avaient coutume de le faire. Appelés à travers
par le palais, par le jardin et autres parties de l'hôtel, on ne put les
trouver pour assurer le service, comme c'était leur devoir. Assurément
le chevalier voulut effectuer le service qui leur incombait, mais le roi
ne le voulut pas tolérer.
Lorsque l'un des chambellans, puis les autres furent revenus à
la chambre et eurent appris que le benoît roi n'avait trouvé âme qui
vive pour garder sa chambre, ils furent très contrits, n'osèrent se
présenter devant lui, et se désolaient d'eux-mêmes auprès de fr. Pierre,
de l'ordre de la Trinité, qui aidait le roi à dire ses heures et était l'un
de ses familiers les plus intimes.
Et comme le roi, qui voulait retourner pour instruire les différends
qui lui étaient soumis, les vit enfin revenus, il leur dit, les mains
placées sous sa chape : « Et d'où venez-vous tous? Ainsi ne puis-je
avoir personne pour me servir, alors qu'un seul m'eût suffit, même
le moindre d'entre vous ». Jamais il ne leur dit autre chose et s'en
retourna à expédier les causes des parties. Quand les affaires furent
terminées et qu'il fut redescendu dans sa chambre, ses chambellans ni les
autres n'osaient reparaître devant lui ; fr. Pierre de la Trinité dit au
roi que ses chambellans n'oseraient venir devant lui, s'il ne se
montrait plein de bonté envers eux, et s'il ne les faisait appeler. Il les
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 93
fit alors appeler, se mit à rire, se montra gai et joyeux et leur dit :
« Venez, venez ! vous êtes tristes parce que vous avez mal agi, je vous
pardonne. Gardez-vous de recommencer ainsi à l'avenir. »

« Et, comme ce même jour le roi voulut aller, après la sieste au


bois de Vincennes, qui est à une lieue de Partis, un de ses chambellans
ne plaça pas le surcot du roi dans les coffres où il devait être rangé,
surcot qu'il avait l'habitude de revêtir pour se mettre à table, mais le
déposa en un autre coffre dont il avait gardé la clé, étant resté lui-même
à Paris. Ainsi lorsque le roi fut arrivé à Vincennes et qu'il voulut
souper on chercha le surcot, mais on ne put le trouver dans les coffres dont
on avait les clés, car il était dans l'un des coffres dont le chambellan
dessus-dit avait retenu la clé par devers lui à Paris. Les chambellans
présents voulurent briser le coffre dans lequel ils pensaient que fût le
surcot, mais le benoît roi ne le permit pas et voilà pourquoi il lui
convint de souper en sa chape à manches, et pourtant il ne manifesta pas
le moindre signe de mécontentement ni ne fit allusion à cette faute de
service ni avant ni après le souper; simplement pendant qu'il dînait
il dit en riant aux chevaliers qui mangeaient avec lui : « Que vous en
semble? suis-je bien ainsi avec ma chape à table ». Ses serviteurs
considérèrent comme une rare patience de la part du roi le fait d'avoir
encouru deux semblables offenses en un même jour. Malgré cela, jamais
le roi ne s'irrita en quoi que ce fût contre eux. »

« Le benoît roi avait une maladie qui chaque année le prenait


deux, trois ou quatre fois et le tourmentait une fois plus que les autres.
Quand elle survenait au roi, il n'entendait pas bien, et n'entendait rien
quand la maladie le tenait, et ne pouvait ni manger ni dormir et restait
au lit en se plaignant et en gémissant : et ainsi trois jours, tantôt plus,
tantôt moins, pendant lesquels il ne pouvait sortir seul de son lit. Quand
la maladie diminuait, sa jambe droite, entre le mollet et la cheville
devenait rouge comme du sang tout autour et était enflée : rougeur
et enflure de la jambe duraient une journée jusqu'au soir, puis enflure
et rougeur disparaissaient petit à petit, et au troisième ou au quatrième
jour, la jambe redevenait semblable à l'autre, et le roi était
complètement guéri.
Or {quand cela se présentait) plusieurs chambriers et un chambellan
ou deux couchaient en sa chambre, et par habitude y couchait encore
un vieil homme appelé Jean, qui avait été guetteur du roi Philippe,
ainsi qu'il le disait, et couchait en la chambre, parce qu'il surveillait
toujours le feu, été comme hiver.
Un soir, le roi qui se sentait atteint de sa maladie, voulut avant
d'entrer au lit, voir la rougeur de sa jambe. A cet effet Jean alluma
une chandelle de cire et la tenait au dessus de la jambe du roi qui la
regardait, car elle le faisait beaucoup souffrir, étant rouge et enflée
94 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
comme il arrivait quand la maladie déclinait. Par mégarde il arriva que
Jean la Guête tenant la chandelle au dessus de la jambe, une goutte
pleine de feu tomba sur la jambe du roi à l'endroit qui était enflé
et lui faisait mal. Le roi s'assit sur son lit pour la douleur qu'il ressentit
puis s'allongea et dit « Ha ! Jehan ! », et celui-ci aussitôt : « Ha ! Je vous
ai fait mal ». Le roi lui rappela alors : «Jean, pour moins que cela mon
aïeul vous donna congé de son hôtel. » En effet ledit Jean avait dit au
saint roi et à monseigneur Pierre de Laon et à d'autres de la chambre,
que le roi Philippe l'avait renvoyé parce qu'il avait mis dans la
cheminée un trop grand nombre de bûches qui attisaient trop le feu. — Et
malgré cela monseigneur Pierre de Laon déposa par serment que jamais,
en aucun temps, il n'aperçut que le roi fut en rien fâché contre ledit
Jean, mais le maintint toujours à son service. »

Pudeur et humilité de saint Louis.


Saint-Pathus, p. 132; 122 et 126 (répétition de 122)

« Le bon roi possédait toute l'honnêteté qui peut exister chez un


homme marié, ainsi que l'atteste monseigneur Pierre de Laon, qui fut
son chevalier et longuement demeura avec lui trente huit ans ou
environ, en qualité de chambellan, couchant à ses pieds ; il le déchaussait
et l'aidait à entrer en son lit, comme ont coutume de le faire
seulement les sergents ( = serviteurs) des nobles seigneurs.
Pendant quinze ans ou environ il ne put jamais voir la chair du
benoît roi, à l'exception des pieds et des mains, parfois jusqu'au
mollet quand il lui lavait les pieds, et le bras quand il se faisait saigner,
et sa jambe encore quand elle était malade, car jamais quelqu'un n'aidait
le benoît roi quand il sortait de son lit ; il s'habillait et se chaussait seul
en effet et ses chambellans lui préparaient dès le soir près de son lit
à la fois ses robes et ses chausses (vêtements inférieurs tels que « braies »).
Avec ce, le benoît roi fut merveilleusement courtois, de telle sorte
que l'on n'entendit jamais sortir de sa bouche aucune parole laide, ni
injurieuse; ni blâme ni médisance à l'égard de quiconque et l'on ne
décelait jamais chez lui aucune trace de mauvaise action. Il faut
ajouter que le benoît roi avait un grand sens de la mesure dans son
maintien, dans ses paroles, ses vêtements, sa nourriture et sa boisson, et qu'il
possédait comme de façon innée la vertu d'humiliété, dépourvue de
tout orgueil et de toute arrogance. »

« L'on croit fermement que chaque jour de Vendredi-Saint et


aussi en chaque carême, depuis qu'il revint d 'outre-mer, tous les
lundis, mercredis et vendredi, il portait la haire sur sa chair nue.
Et pourtant il le faisait le plus secrètement pour que personne ne
connût ses pénitences, et il se gardait de ses chambellans, de telle sorte
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 95
qu'aucun d'eux, sinon un seul, connaissait l'âpreté des pénitences qu'il
s'imposait.
Il avait trois cordelettes jointes ensemble, longues de près d'un
pied et demi, et chacune d'elles avait quatre nœuds ou cinq; tous les
vendredis durant toute l'année, et en carême les lundis, mercredis et
vendredis, il inspectait avec soin sa chambre dans tous les coins, afin
que nul n'y demeurât, puis veillait à en clore la porte, et y demeurait
enfermé avec fr. Geofroi de Beaulieu, de l'ordre des Prêcheurs, et y
restaient longuement ensemble.
Et l'on croyait — parmi les chambellans qui se trouvaient alors
en dehors — que le benoît roi se confessait audit frère, et que celui-ci
lui donnait la discipline avec les cordelettes. »

Jean de Joinville
cité en 14e position dans la liste de Saint-Pathus

Sont ici relevés essentiellement les passages où Saint-Pathus


invoque directement ou indirectement la déposition de Joinville,
passages pour lesquels on retrouve souvent le parallèle plus ou moins net
dans la biographie écrite par le sénéchal. Parfois le mouvement est
inverse ou cite des extraits de Joinville, indispensables à titre de
transition, pour rejoindre des textes de Saint-Pathus provenant
vraisemblablement du témoignage de 1282.

Parfaite maîtrise de soi.


Saint-Pathus, p. 133

« Monseigneur Jean de Joinville, homme d'âge mûr et très riche,


qui vécut 24 ans et plus4 dans la compagnie du benoît roi, et de sa
maison, assez continuement, affirma par serment qu'il ne vit ni
n'entendit jamais le benoît roi prononcer une parole au détriment d'autrui,
en blâme ou médisance. Il ne vit jamais un homme plus maître de
soi, chez lequel un si haut degré de perfection pouvait apparaître
de façon si manifeste. Il croit qu'il est en Paradis à cause des
nombreuses bonnes actions qu'il a accomplies et est convaincu que ses
mérites furent si grands que Notre-Seigneur doit bien faire des
miracles pour lui. »
96 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Le péché mortel et la lèpre; règle de conduite; la prière aux saints, la « vaine
honte »; les médiations internationales.
Saint-Pathus, 72-74

« Très souvent il enseigna de bons exemples à monseigneur Jean


de Joinville, noble chevalier qui fut avec lui en sa cour assez
intimement, et fit partie de son hôtel pendant vingt-quatre ans et plus.
Ainsi, une autre fois, le saint roi lui demanda ce qu'il
préférerait : avoir fait un péché mortel ou être lépreux ? Le chevalier répondit
qu'il préférerait avoir fait trente péchés mortels que d'être lépreux. Le
saint roi l'en blâma fort, et lui expliqua que mieux valait être lépreux,
en effet péché mortel est lèpre de l'âme dont l'homme ne sait comment
il en peut être guéri, car il ignore quand il mourra ni si à l'heure de
la mort il lui sera possible d'avoir une droite contrition et une vraie
confession, chose dépendant en effet de la seule grâce de Dieu; donc
si l'âme meurt en état de péché mortel elle restera lépreuse et par
conséquent semblable au diable, tandis que la lèpre du corps, chacun peut
être certain d'en guérir par la mort corporelle. Voilà pourquoi le saint
roi disait que de bien loin il vaut mieux qu'un homme soit lépreux,
plutôt qu'en état de péché mortel (cf. Joinville, § 27-28).
Une fois le benoît roi dit au chevalier ces paroles : « Voudriez-
vous avoir un enseignement tel que vous ayez honneur en ce monde,
que vous plaisiez aux hommes, que vous ayez la grâce de Dieu et
qu'ainsi vous obteniez la gloire au temps à venir? ». Et le
chevalier répondit qu'il voudrait bien recevoir un tel enseignement. Alors
le benoît roi lui dit : « Ne faites aucune chose ni ne dites rien que
vous ne feriez, si cela était connu de tout le monde. » (« dont si
tout le monde le savait, vous n'en puissiez faire l'aveu et dire « j'ai
fait ceci j'ai fait cela »).
Avec tout cela le benoît roi conseillait au chevalier de fréquenter
l'église également pendant les fêtes des principaux saints et de les
honorer5 : « II en est, disait-il, par similitude des saints du paradis comme
il en est des conseillers des rois car quiconque a affaire à un roi de ce
monde s'enquiert en effet de savoir qui est bien vu de lui et ayant son
oreille est susceptible de l'aborder utilement. Il va ensuite trouver cette
personne bien en cour et la prie de transmettre sa requête pour lui auprès
du roi. De même en est-il des saints du paradis qui étant les intimes
de Notre-Seigneur et ses familiers peuvent l'invoquer en toute
assurance, puisqu'il ne peut manquer de les écouter. Pour cette raison vous
devez aller à l'église aux jours de leurs fêtes, les honorer et les prier
d'intercéder pour vous Notre Seigneur. »
Le saint roi disait encore au chevalier que certains nobles ont
honte de bien faire, c'est-à-dire d'aller à l'église, d'entendre le service
de Dieu et d'accomplir d'autres œuvres de piété et redoutent non pas
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 97
vaine gloire ( = orgueil), mais vaine honte ( = respect humain) et que l'on
ne répète qu'ils sont papelards : ce qui est meilleur que vaine gloire.
De même c'est pire chose qu'une maison abattue par un petit vent ou
sans aucun vent que celle qui est effondrée par un vent très violent.
Quand il entendait dire qu'il y avait une guerre entre certains
nobles hommes, hors de son royaume, il leur envoyait des messages
solennels pour rétablir la paix, mais non pas sans de grandes dépenses
de sa part. Ainsi fit-il quand le comte de Bar et monseigneur Henri
comte de Luxembourg guerroyaient l'un contre l'autre ; de même aussi
pour apaiser le duc de Lorraine et le comte de Bar, et dans beaucoup
d'autres cas (cf. Joinville, § 682).
Par ces choses il apparaît qu'il entendait non seulement former
ses prochains au bien, mais aussi les réformer. »

Les chevaliers et les discussions théologiques.

Sur ce thème Joinville a rapporté (§ 51-53) une anecdote célèbre,


étrangère assurément à tout esprit œcuménique et fort choquante pour
la mentalité moderne. Nous la citons ici (en abrégé) parce que la
formule brutale de saint Louis se trouve rapportée par Saint-Pathus
(p. 25) (sans précision de contexte), comme un signe de « la ferme
créance » qui habitait saint Louis. Il est légitime de voir dans cette
information un écho de la déposition du sénéchal.

« Une grande « disputation » ayant été organisée au monastère


de Cluny entre des clercs et des juifs, un vieux chevalier, qui y était
hébergé par charité, avait arraché à l'abbé la permission de prendre
le premier la parole. Il demanda au « grand maître des juifs » s'il croyait
que « la Vierge Marie, qui porta Dieu dans ses flancs et en ses bras
avait enfanté vierge et qu'elle était mère de Dieu ». Le juif répondit
que « tout cela il ne croyait rien ». Alors le chevalier brandit sa béquille
et en frappa le juif près de l'oreille et le fit tomber par terre. Les autres
juifs prirent la fuite en emportant leur maître tout blessé. Et ainsi se
termina ce débat.
La chose se passait lorsque le roi était de retour d 'outre-mer.
L'ayant appris et « comme embrasé d'une grande ferveur pour la
foi chrétienne », sa réaction fut que « nul, s'il n'est très bon clerc
ne doit entreprendre une pareille discussion », et que « le laïc, s'il
entend un mécréant médire de la foi chrétienne, ne doit la défendre
que par l'épée, de quoi il doit lui donner dans le ventre autant qu'elle
y peut entrer. »

Le respect de la parole donnée aux Sarrazins.


Saint-Pathus, p. 126-127 ; Joinville, S 359 à 380

« Au temps de son premier passage, après qu'il eût été fait pri-
7
98 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
sonnier et mêmement l'armée des chrétiens, des conventions furent
conclues entre le saint roi et les Sarrazins, parmi lesquelles celles-ci :
le benoît roi leur rendrait Damiette et leur donnerait quatre cent
mille livres de tournois, ou l'équivalent, c'est à savoir deux cent
mille ici-même et deux cent mille à Acre, de telle sorte que quand
Damiette leur serait rendu les Sarrazins laisseraient le roi sortir de
prison, et ses barons librement, sans aucun empêchement. Les
Sarrazins promirent qu'ils ne tueraient pas les chrétiens ni les autres qui
étaient à Damiette, mais les laisseraient partir, or, ils ne tinrent pas
leur promesse et les tuèrent et les brûlèrent, même les barons qui
y étaient restés.
Comme messire Alphonse, comte de Poitiers, frère du benoît roi,
était demeuré chez les Sarrazins (en otage) en caution (du premier
paiement) de deux cent mille livres, le benoît roi entra en une galèe
(des Sarrazins) avec plusieurs barons et autres de ses gens, et comme
les deux cent mille livres étaient versées, à trente mille livres près, les
barons et ceux qui étaient embarqués dans la galèe avec le benoît roi
lui conseillèrent de s'en aller sur sa nef qui voguait près de la galèe;
il restait en effet sous la domination des Sarrazins tant qu'il était sur
le fleuve dans leur galèe, tout autant qu'il était à terre en leur prison,
car de nombreuses galées et beaucoup d'autres vaisseaux des Sarrazins
escortaient la galèe dans laquelle était le roi, et ils pouvaient tout
à volonté le prendre et le retenir. Il répondit alors qu'il leur avait
promis, par sa simple parole, qu'il n'irait pas au-delà de Damiette tant
que les deux cent mille livres n'auraient pas été entièrement payées et
tout fut ainsi réalisé sans aucun engagement écrit ; en revanche les
Sarrazins ne gardèrent pas le serment qu'ils avaient fait de ne pas tuer
les chrétiens qui seraient par eux trouvés à Damiette. »

Même thème : un serment η 'est pas un objet de plaisanterie.


Saint-Pathus, p. 127; Joinville, § 386-388

« Le benoît roi ne voulut pas pour autant ne pas tenir sa parole


et refusa absolument de débarquer de la galèe, avant que les deux cent
mille livres eussent été payées intégralement.
Quand les deux cent mille livres furent payées, le roi s'enquit
de savoir aussitôt si l'argent avait bien été versé et on lui répondit
« oui ». Or monseigneur Philippe de Nemours, chevalier du benoît roi,
dit alors : « La somme d'argent est toute payée mais nous avons trompé
les Sarrazins sur le poids de l'argent d'environ dix mille livres ». Quand
le benoît roi entendit cette parole, il fut très courroucé : « Sachez, dit-
il, je veux que les deux cent mille livres soient payées intégralement,
car je le leur ai promis et je veux qu'il n'en manque rien ». Alors le
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 99
sénéchal de Champagne marcha doucement sur le pied de monseigneur
Philippe, lui fit un clin d'oeil et dit au benoît roi : « Sire, croyez- vous
monseigneur Philippe? c'est un farceur. » Quand monseigneur
Philippe entendit la voix du sénéchal, il se souvint de la très grande
droiture du benoît roi et de sa rigueur, il reprit aussitôt la parole : « Sire,
monseigneur le sénéchal dit vrai; je n'ai dit cela que par plaisanterie
et par manière de blague pour savoir ce que vous diriez ». Le benoît
roi rétorqua : « Vous avez eu tort de me taquiner et de faire cette
tentative (de curiosité) ! Mais veillez à ce que la somme d'argent soit bien
versée entièrement. » Et unanimement tous ceux qui se trouvaient là
affirmèrent que tout avait été intégralement payé.
Ayant accompli sa promesse, le benoît roi ordonna aux mariniers
de naviguer et il gagna sa nef pour être plus en sûreté. Il ressort de
ce récit que le saint roi fut un homme de grande franchise et de grande
constance, car pour rien au monde il ne voulait mentir. »

Le voyage en mer; l'amitié du roi; le débat sur le retour en France


Transition fournie par le texte de Join ville, $ 403, 404, 419-437...

« Quand le roi monta dans sa nef, il ne trouva rien à bord que


ses gens lui eussent préparé, ni lit, ni vêtements; il lui fallut donc
coucher jusqu'à temps que nous fûmes à Acre, sur les matelas que le sou-
dan lui avait donnés et endosser les vêtements que ledit Soudan lui avait
fait tailler, qui étaient de samit noir, fourrés de vair et de gris, et
garnis de grands foisons de boutons tout en or.
Tandis que nous fûmes en mer, par six jours, moi, qui étais malade,
je m'esseyais toujours à côté du roi. Et lors me conta comment il avait
été pris et comment il avait négocié sa rançon et la nôtre, par l'aide
de Dieu; et me fit conter comment j'avais été pris sur l'eau. Et après
me dit que je devais savoir grand gré à Notre Seigneur de m'avoir délivré
de si grands périls. Il regrettait infiniment la mort du comte d'Artois,
son frère. » (§ 403 et 404).
... Arrivé à Acre et prié par sa mère de s'en retourner en France,
car le royaume était en grand péril, aucune paix ni trêve n'ayant été
conclues avec le roi d'Angleterre, le roi réunit son conseil pour décider
soit de retourner, soit de rester en Terre Sainte. Et l'on sait comment
il décida d'y demeurer pour racheter le plus de captifs retenus par les
Sarrazins et pour fortifier les cités, villes et châteaux possédés là-bas
par les chrétiens (§ 419-437; ici simple résumé).

Travaux defortification; le roi y participe personnellement


Saint-Pathus, p. 26 et 110; Joinville, § 515, 551, 561, voir aussi 616

« Pour la garde et l'honneur de la foi chrétienne, il fit fermer à


100 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
ses propres dépens une cité nommée Cesaree, à murs si hauts et si
larges que l'on aurait pu « par dessus » faire rouler un char; et fit
renforcer les murs avec tours et bretèches, défenses fort puissantes. Il fit
aussi fortifier une cité nommée Jaffa et Sidon et le château de Caïffa
(auj. Haiffa), et une partie de la cité de Acre, appelée communément
Montmusart. » (p. 26).

« Et voulant bénéficier du « pardon » que monseigneur l'évêque


de Tusculum, légat du Siège de Rome, avait accordé outre-mer à tous
ceux qui aideraient à exécuter ces ouvrages, le benoît roi porta
plusieurs fois des pierres dans une hotte fixée sur ses épaules, ainsi
que plusieurs autres matériaux nécessaires à la construction des
murs. Il accomplissait de la sorte œuvre d'humilité et, ce faisant,
ainsi qu'on le croit, il donnait un bon exemple aux autres, et à son
imitation les évêques, les barons et les chevaliers faisaient de même,
et beaucoup d'autres. » (p. 110; ici en résumé).

Attaque des Sarrazins sur Sidon. Le roi participe à l'inhumation des morts.
Saint-Pathus, p. 100-102; Joinville, $ 552, 582

« Comme il était encore outre-mer et faisait fortifier Sidon et qu'il


y avait là des arbalétriers et des maçons et autres ouvriers chrétiens
pour faire les murs, un matin survint une grande armée de Sarrazins
si soudainement que ceux qui avaient l'ordre de travailler et de garder
les ouvriers ne les aperçurent aucunement, au point que les Sarrazins
tuèrent beaucoup de chrétiens; et ceux des chrétiens qui purent s'enfuir
se réfugièrent en un châtel proche en la mer. Quand le benoît roi, qui
était à Jaffa, apprit cela et vit que les Sarrazins levaient le siège environ
trois semaines après, lui qui voulait encore fortifier cette terre, ordonna
qu'une partie de sa chevalerie aille à Belinas alors aux mains des
Sarrazins pour dévaster cette terre, où les gens du benoît roi leur firent de
grands dommages (cf. Joinville, § 552).
Et le benoît roi alla à Sidon avec très peu de gens et se mit en
très grand péril. Quand il fut arrivé, il vit les corps des chrétiens qui
avaient été tués par les Sarrazins étendus au bord de la mer, dans cette
antique cité qu'il devait fortifier. On dénombra que les morts étaient
près de trois mille.
Le benoît roi délibéra qu'avant toutes choses ces corps devaient
être ensevelis et ordonna la création d'un cimetière, en fit bénir
l'emplacement, et creuser de larges fosses.
Et lui-même, de ses propres mains, aidé de ceux qui l'entouraient,
prenait les cadavres, les mettait dans des tapis, les cousait, puis les char-
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 101
geait sur des chameaux ou des chevaux qui les portaient dans les fosses
pour y être ensevelis.
Mais certains de ces cadavres étaient si décomposés que lors que
lui-même et ceux qui l'aidaient prenaient un bras ou un pied pour le
placer dans le sac, le membre se détachait du reste du corps. Se
répandait là une si grande puanteur que peu de nos gens pouvaient ni
l'endurer ni la souffrir, ce pourquoi certains de ses familiers n'y mirent jamais
la main mais se bouchaient le nez et s'émerveillaient de lui et comment
il pouvait le faire et supporter une si grande puanteur.
Et les riches gentils hommes et les autres qui furent là en ce temps
avec lui dirent par leur serment qu'ils ne le virent et aperçurent jamais
s'étouper le nez. Comme les boyaux d'un mort étaient là répandus à
côté du corps, le benoît roi retira ses gants et se baissa pour recueillir
de ses mains nur s les boyaux et les mettre en sac. Sans doute avait-il
fait louer des vilains qui ramassaient aussi les corps, mais ils ne purent
pas les recueillir tous assez rapidement, et y mirent bien quatre ou cinq
jours pour les rassembler et les ensevelir ; or ils avaient chaque jour
quinze bêtes qui les transportaient dans les fosses. Beaucoup de
citernes ayant été remplies de corps il les fit vider et ensevelir au cimetière
(cf. Joinville, § 582).
Chaque matin, quand le roi avait entendu la messe, il venait
aussitôt pour chercher ces corps, exhortait son entourage et disait :
« Retournons ensevelir ces martyrs. » Et quand il lui semblait que
certains ne le faisaient pas volontiers, il disait : « Ceux-ci ont souffert
la mort, nous pouvons donc bien souffrir cette peine. » Et, à ceux qui
étaient présents à l'endroit où étaient les morts : « N'ayez pas horreur
de ces corps, car ils sont martyrs et déjà au paradis. »
Et une fois auprès des fosses se trouvaient alors l'archevêque de
Tyr, l'évêque de Damiette et un autre évêque revêtus de leurs
ornements pontificaux, et avec eux le benoît roi pour célébrer pense-t-on
le service des morts. Mais l'archevêque et les évêques bouchaient leurs
narines avec leurs vêtements.
Un riche et noble chevalier, qui assistait à cette cérémonie, affirma
par serment qu'il ne vit jamais le roi se boucher alors le nez. Et quand
les corps furent ensevelis, il fit faire pour eux de solennelles obsèques,
et l'office des morts.
Dans les trois jours après cet enterrement, l'archevêque de Tyr
mourut, comme l'affirma par serment le noble homme cité plus haut
qui assista à son ensevelissement. On disait communément que ce décès
était dû à la puanteur et à la corruption de l'air. Et l'archevêque lui-
même l'avait dit en sa maladie, ainsi que le rapportèrent ses clercs et
ses familiers. Quant aux deux autres évêques, ils furent gravement
atteints, et pendant longtemps, à cause de cette puanteur, ainsi qu'on
le disait communément sur place. »
102 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Dernière consultation sur le retour du roi. L 'embarquement (24 avril 1254).

Saint-Pathus (p. 58) ne donne que le début d'un récit beaucoup


plus long qu'on retrouve dans Joinville (§ 615-617). Le texte de Saint-
Pathus s'arrête à l'astérisque (*), ensuite vient le texte de Joinville.

« Après avoir fait faire plusieurs processions en la cité de Sidon,


le roi fit crier que tous vinssent pieds nus et en chemise au sermon du
patriarche qui était avec lui, pour prier Dieu de lui montrer ce qui serait
le plus convenable : ou demeurer encore en Terre Sainte, ou revenir
en France. * Le patriarche et les barons du pays vinrent à lui et
lui dirent : « Sire, vous avez fermé la cité de Sidon, et celle de Cesaree
et le bourg de Jaffa, (ce) qui moult est grand profit à la sainte Terre ;
et la cité d'Acre avez moult enforcée des murs et des tours que vous
y avez faits. Sire, nous nous sommes concertés entre nous, nous ne
pensons pas que désormais votre demeurée puisse être de quelque profit
au royaume de Jérusalem. Donc nous vous conseillons d'aller en Acre
à ce carême qui vient et arrangiez votre passage afin de pouvoir vous
en retourner en France après cette Pâques. » Par le conseil du
patriarche et des barons, le roi quitta Sidon et vint à Assur, là où la reine
était; et de là nous vînmes à Acre à l'entrée du carême.
Tout le carême, le roi fit préparer ses nefs pour revenir en France,
dont il y eut treize, tant nefs que galères. Les nefs et les galères furent
aménagées de telle sorte que le roi et la reine s'installèrent en leur nef
la vigile de saint Marc, après Pâques, et nous eûmes bon vent au départ.
Le jour de la saint Marc, le roi me dit qu'à pareil jour il était né; et
je lui dis que encore pouvait-il bien dire qu'il était rené cette journée,
et assez était rené quand il échappait à cette périlleuse terre. »

« Periculis in mari » (II Cor., XI, 26). La nef royale heurte un rocher sur
la côte de Chypre.

Cet épisode célèbre est raconté deux fois par Saint-Pathus (p. 29
comme preuve de l'inébranlable confiance en Dieu qui animait le roi;
p. 77 pour montrer comment le roi ne veut pas compromettre le retour
de ses plus humbles compagnons). Le récit de Joinville qui était
présent est très détaillé § 618-629 et 13 à 16. On trouvera ici le premier
passage de Saint-Pathus (p. 29), puis la suite de l'histoire dans la
version même de Joinville (§ 623-628).

« Après deux ou trois jours (de navigation), se trouvant près de


la cité de Nicosie, le samedi, de nuit, un peu avant le lever du jour,
la nef où étaient le benoît roi, la reine sa femme, et ses enfants, Pierre
(futur comte d'Alençon), Jean (futur comte de Nevers) et Blanche (future
DEPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 103
épouse de Fernand de La Cerda), enfants nés outre-mer, et plusieurs
autres personnes, cette nef heurta un dur banc de sable ; il se fit une
grande secousse et ceux qui étaient dans la nef en ressentirent le choc
et craignirent fort que celle-ci ne fût brisée. « Quand j'ouïs ce, je me
levai de mon lit, et allai au « châtel », avec les mariniers. Quand je
vins là, frère Raymond, qui était templier et maître dessus les
mariniers, dit à un de ses valets : « Jette ta sonde ». Et ainsi fit-il. Et dès
qu'il l'eut jetée, il s'écria et dit ; « Hélas, nous sommes à terre! ». Quand
frère Raymond ouït ce, il se déchira (la robe) jusques à la courroie,
et se mit à s'arracher la barbe et (à) crier : « Ai mi, ai mi! ».
Tandis que certains criaient par peur du péril, le benoît roi, qui
en rien n'était épouvanté, se rendit aussitôt devant l'endroit où était
mis le vrai corps de Jésus Christ par l'autorisation du légat de Rome,
l'évêque de Tusculum, et là se prosterna, à coudes et à genoux6 et
resta un moment en oraison. » (Saint-Pathus, p. 29). Toute la suite
est de Joinville :
« Le lendemain matin, le roi fit quérir les maîtres nautoniers des
nefs, lesquels envoyèrent quatre plongeurs au fond de la mer. Quand
ils furent revenus de leur plongée, le roi et les maîtres nautonniers les
entendirent l'un après l'autre, en telle manière que l'un des plongeurs
ne savait ce que l'autre avait dit. On apprit ainsi par tous les quatre
que, en frottant sur la roche, notre nef avait perdu quatre toises de la
quille sur laquelle elle était fondée.
Lors le roi appela les maîtres nautoniers devant nous et leur
demanda quel conseil ils donneraient sur ce choc que sa nef avait subi.
Ds se concertèrent et conseillèrent au roi de descendre de la nef et d'entrer
en une autre. « Et ce conseil vous donnons-nous, car nous tenons pour
certain que tous les ais de votre nef sont tout ébranlés ; aussi redoutons-
nous que quand votre nef viendra en la haute mer, elle ne puisse
souffrir la violence des vagues sans se mettre en pièces, car cela advint quand
vous vîntes de France à une nef heurtée de la même façon ; et quand
elle parvint en haute mer, tous périrent sauf une femme et son enfant
qui en échappèrent sur une épave. »
Lors le roi demanda à monseigneur Pierre le chambellan, et à
monseigneur Gilles le Brun connétable de France, et à monseigneur
Gervais d'Escrennes, qui était maître-queux du roi, et à l'archidiacre
de Nicosie, qui portait son sceau, qui depuis fut cardinal, et à moi ce
que nous lui conseillions en l'occurence. Et nous lui répondîmes que
de toutes choses terriennes l'on devait croire ceux qui plus en savaient.
« Donc pour notre part nous vous conseillons que vous fassiez ce que
les nautoniers vous conseillent. »
« Lors le roi dit aux nautoniers : « Je vous demande sur votre
honneur, si la nef fût vôtre, et qu'elle fût chargée de vos
marchandises, si vous en descendriez. » Et ils lui répondirent tous ensemble que
nenni; car ils aimeraient mieux mettre leurs corps en aventure de
104 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
se noyer que d'acheter une nef de quatre mille livres et plus. « Et
pourquoi me conseillez-vous donc de descendre? — Pour ce, firent-ils,
que le jeu n'est pas égal; car or ni argent ne peut valoir le corps
de vous, de votre femme et de vos enfants qui sont céans, et pour
ce vous conseillons-nous que vous ne vous mettiez ni vous, ni eux
en aventure. »
Lors le roi dit ; « Seigneurs, j'ai ouï votre avis et celui de mes
conseillers ; or vous dirai-je le mien, qui est tel que si je descends de
ma nef, il y a céans cinq cents personnes et plus qui demeureront en
l'île de Chypre, pour la peur du péril de leur corps, (car il n'y a
personne qui n'aime sa vie comme je fais la mienne), et qui jamais par
aventure en leur pays ne rentreront; donc j'aime mieux mettre mon
corps et ma femme et mes enfants en la main de Dieu que de faire tel
dommage à si grand peuple comme il y a céans. Regardez donc ce que
de petites gens feraient, n'ayant pas les moyens de payer leur passage
de retour. »

Tempête sur les côtes de Chypre. A quoi servent les épreuves envoyées par Dieu.

Joinville parle à deux reprises de cet événement, § 40-41 et § 631,


634 et 637. Les deux rédactions sont ici combinées. Le témoignage de
Joinville est d'autant plus important qu'il a recueilli personnellement
du. saint roi cette leçon de morale mystique.

« De ce péril dont Dieu nous fit échapper, nous entrâmes dans


un autre, car le vent qui nous avait jetés sur Chypre, là où nous aurions
dû être noyés, se leva si horrible, qu'il nous repoussait à force sur lîle
de Chypre. Alors les mariniers jetèrent leurs ancres encontre le vent,
et ne purent arrêter la nef désemparée qu'ils n'en aient mouillé cinq.
Il fallut abattre les parois de la chambre du roi, et il n'y avait personne
qui osât y rester, crainte que le vent ne les emportât en la mer.
En ce moment le connétable de France, messire Gilles de Brun
et moi étions couchés dans la chambre du roi, lorsque la reine ouvrit
la porte de la chambre, pensant y trouver le roi. Et je lui demandai
ce qu'elle était venue quérir; elle dit qu'elle était venue parler au
roi pour qu'il promît à Dieu quelque pèlerinage ou à ses saints,
par quoi Dieu nous délivrât de ce nouveau péril où nous étions,
car les mariniers avaient dit que nous étions en péril de nous noyer
(S 630-631).
Après que nous fûmes échappés à ces deux périls, le lendemain
le roi m'appela tout seul, s 'étant assis sur le bordage de la nef, il me
fit asseoir à ses pieds et me dit ainsi : « Sénéchal, tout à l'heure Dieu
nous a montré une partie de son grand pouvoir ; car un de ces petits
vents, qui est si petit qu'à peine le sait-on nommer, aurait dû noyer
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 105
le roi de France, ses enfants, sa femme et ses gens. Or, selon saint
Anselme7, ce sont des menaces de Notre-Seigneur, comme si Dieu
voulait dire : « Or vous eussé-je bien laissé mourir, si je le voulusse.
Sire Dieu, fait saint Anselme, pourquoi nous menaces-tu? Car, les
menaces que tu nous fais, ce n'est pas pour ton profit ni pour ton
avantage : car si tu nous avais tous perdus, tu n'en serais pas plus pauvre,
ni si tu nous avais tous gagnés tu n'en serais pas plus riche. Ainsi, dit
le saint, ces menaces que Dieu nous fait sont seulement pour la grande
amour qu'il a pour nous : il nous éveille pour que nous voyions clair
en nos défauts et que nous ôtions (promptement) tout ce qui lui
déplaît. » Or faisons-le, dit le roi, nous agirons avec sagesse et Notre-
Seigneur nous donnera plus de biens en ce siècle et en l'autre que nous
ne saurions dire (essentiellement § 41 et 637).

La gloutonnerie est un vilain défaut.


Joinville, S 640-644

Cet épisode très vivant vise encore une fois à montrer que le
saint roi ne faisait aucune concession quand il était question de la
sécurité de ses gens.

« Quand nous fûmes partis de l'île de Lampedouse, nous vîmes


une grande île en la mer, qui avait nom Pantellaria, peuplée de
sarrasins, qui étaient en la sujétion du roi de Sicile et du roi de Tunis. La
reine pria le roi qu'il y envoyât trois galées pour chercher des fruits
pour ses enfants ; et le roi le lui octroya, et commanda aux maîtres des
galées que quand la nef du roi repasserait devant l'île, ils fussent tous
prêts à la rejoindre. Les galées entrèrent en l'île par un port qui se
trouvait là, et il advint que quand la nef du roi repassa devant ce port, nous
n'ouïmes aucunes nouvelles des trois galées. Lors commencèrent les
mariniers à murmurer entre eux. Le roi les fit appeler et leur demanda
ce qu'il leur semblait de cet incident, et les mariniers répondirent qu'il
leur semblait que les sarrasins avaient pris ses gens et les galées : « Voilà
pourquoi nous vous disons et vous conseillons, sire, que vous ne les
attendiez pas ; car vous êtes entre le royaume de Sicile et le royaume
de Tunis, qui ne vous aiment guère, ni l'un ni l'autre; alors que si
vous nous laissez naviguer, nous vous aurons délivré du péril avant
demain matin car nous aurons passé ce détroit. — Vraiment, dit le roi,
comment pouvez-vous croire que je laisse ainsi mes gens aux mains
des sarrasins, sans que je n'essaye au moins de les délivrer; je vous
commande donc de tourner vos voiles, et que nous allions hardiment
contre eux. » Quand la reine l'entendit, elle commença à mener grand
deuil et dit : « Hélas! C'est moi qui suis cause de tout cela! ».
106 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Tandis que l'on faisait virer les voiles de la nef du roi et des
autres, nous vîmes les galées sortir de l'île. Quand elles arrivèrent, le
roi demanda aux mariniers pourquoi ils s'étaient fait tant attendre ; ils
répondirent qu'ils n'en pouvaient mais, que c'était la faute de fils de
bourgeois de Paris, six gars qui étaient allés manger des fruits dans les
jardins ; ils ne pouvaient les rattraper et ne les voulaient laisser.
Aussitôt le roi commanda qu'on les mît en la barge, et lors ils
commencèrent à crier et à braire : « Sire, pour Dieu, rachetez-nous, au prix
de tout ce que nous avons, mais que vous ne nous mettiez pas là
où l'on met les meurtriers et les larrons, car cela nous serait reproché
à jamais. » La reine et nous tous fîmes notre possible pour que le roi
se voulût désister, mais le roi ne voulut écouter personne ; ils y furent
donc mis et y demeurèrent jusqu'à temps que nous fûmes à terre...
Et ce fut à bon droit ; car leur gloutonnerie nous fit tel dommage que
notre retour en fut retardé de huit bonnes journées.
... Après que nous eûmes été dix semaines en la mer, nous
arrivâmes à un port qui était à deux lieues d'un château qu'on appelait
Hyères, qui était au comte de Provence. »

Horreur de saint Louis pour les blasphèmes et pour les jurements inutiles.
Saint-Pathus, p. 26-27 et 149 (législation contre les blasphèmes), 124 (le roi
s'abstient de tout jurement)
Joinville, $ 685 (contre les blasphémateurs), § 686-687 (l'attitude personnelle
du roi)

L'accord parfait entre Saint-Pathus et Joinville est d'autant plus


frappant que le sénéchal déclare avoir été personnellement témoin du
châtiment d'un blasphémateur à Cesaree (exposition à l'échelle — c'est-
à-dire au pilori — avec des boyaux de porc autour du cou). Nul doute
qu'on ne soit ici en présence d'un élément de sa déposition.

Voici d'abord Saint-Pathus :


« Le benoît roi fit une ordonnance publiée par tout le royaume
afin que nul n'osât dire aucun blasphème ni parole vilaine de Dieu ni
de la bienheureuse Vierge Marie...
Il les faisait mettre au pilori devant le peuple, des boyaux de
bêtes, pleins d'ordure autour du cou...
Il advint qu'un homme fit tel juron interdit de Dieu... le benoît
roi commanda de forger un fer rond, de le faire rougir au feu et de
l'appliquer sur la bouche de celui qui avait ainsi juré vilainement de
Dieu... »
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 107
et voici Joinville (§ 685) :
« Je vis que le roi fit mettre un orfèvre en l'échelle à Cesaree,
en braie et en chemise, les boyaux d'un porc autour du cou et en si
grande abondance qu'ils lui montaient jusqu'au nez. J'ai entendu dire
qu'après le retour de Terre Sainte le roi fit brûler le nez et la lèvre d'un
bourgeois de Paris, mais je ne vis pas. Et le saint roi disait « Je
voudrais être marqué d'un fer chaud, à condition que tous les vilains
serments fussent ôtés de mon royaume. »

L'accord est tout à fait identique à propos de l'attitude personnelle


du roi. Le passage de Joinville (§ 686-687) suffira à cet égard.

« Je fus bien vingt-deux ans en sa compagnie, et jamais ne


l'entendis jurer par Dieu ou ses membres, ni par sa Mère, ni par ses saints,
ni par les Évangiles, mais quand il voulait affirmer quelque chose avec
force, il disait : « Vraiment, c'est ainsi! ». Il n'appelait pas non
plus le diable et jamais ne prononçait son nom, sinon de façon fortuite
lorsque ce nom était écrit dans les livres qu'il lisait.

Gui le Bas
en 15e position dans la liste de Saint-Pathus

Le meilleur homme du monde.


Saint-Pathus, p. 134

« Monseigneur Gui dit le Bas, homme d'âge mûr, et fort riche,


qui vécut très longtemps avec le benoît roi, affirma par serment qu'en
raison de nombreuses bonnes œuvres qu'il lui vit accomplir, il ne
pense pas que nul religieux soit ou ait été meilleur homme que lui ; il
ne vit jamais ni n'aperçut que le benoît roi ait consenti à une seule chose
pouvant entraîner un péché mortel ; il le croit saint à cause des bonnes
œuvres de charité, d'humilité et de piété qu'il fit tout au long de sa
vie mortelle. »

« Robert du Bois Gautier, chevalier et riche,


du dyocese de rouen
de 48 ans ou environ
(le seizième de la liste des témoins donnée par Saint-Pathus)

Aucun élément pour reconstituer sa déposition.


108 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Roger de Soizy
en 25e position dans la liste de Saint-Pathus
Saint-Pathus, p. 78

« Roger de Soisi de la dyocèse de Chartres, queu monseigneur


saint Loys, homme de meeur aage et moût riche, de lx ans et plus. »
« Lorsque Roger de Soisi, cuisinier du benoît roi, fut ramené à
Acre par ses messagers et ainsi sauvé de la captivité en laquelle il était
resté entre les mains des sarrasins, le roi l'envoya chercher aussitôt,
et il se présenta autant dire tout nu devant lui. Le benoît roi en le
voyant dans cet état de nudité, et si amaigri, en fut vivement saisi de
pitié, et commanda immédiatement qu'on lui fît faire deux paires de
robes » (et qu'on lui remit quelque argent).

YSAMBART LE QUEUX
en 26e position dans la liste de Saint-Pathus

La déposition d'un fidèle serviteur, compagnon d'infortune.


Saint-Pathus, p. 112

« La première fois qu'il passa la mer, le roi et les siens étant


descendus à Damiette, toute l'armée alla combattant jusqu'à La Massoure
(Mansourah). Et là, bloqués, ils ne purent aller au-delà et se
replièrent ; lors de cette retraite l'armée des sarrasins les attaqua en grande
force; et tous ceux, ou peu s'en faut, de notre armée étaient
gravement malades : ils furent déconfits et capturés sur place.
Or, comme le benoît roi et ses frères, monseigneur Alphonse et
monseigneur Charles, avaient été pris, et que monseigneur Robert, leur
frère, avait été tué, il ne demeura avec le saint roi personne de son
entourage en dehors d'un seul nommé Ysambart, bientôt sans doute rejoint
par quelques autres, mais aucun d'eux ne pouvaient le servir, car, ils
étaient tous malades.
Donc Ysambart faisait la cuisine pour le saint roi et préparait du
pain de viande et de farine qu'il avait obtenu de la cour du sultan. Le
benoît roi était si malade que les dents branlaient dans sa bouche et
que son corps était pâle et couvert de plaques ; il avait un très grave
« flux du ventre » (diarrhée) et était si maigre que les vertèbres de son
dos paraissaient étonnament saillantes. Il fallait qu 'Ysambart portât le
roi à toutes ses nécessités et même qu'il lui retirât ses braies.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 109
Et malgré cela, comme le dit par serment Ysambart, qui était
d'âge mûr et riche, il ne vit jamais le benoît roi irrité ni troublé pour
autant, ni murmurant le moindrement, mais en toute patience et
sérénité il supportait et acceptait ses infirmités et la grande infortune de
tous ses gens. Il était toujours en oraison. Il avait perdu ses vêtements
au point qu'un pauvre homme s'était dépouillé de son surcot de vair
et le lui avait donné, et ce fut alors son vêtement de chaque jour, jusqu'à
ce que des draps lui parvinrent enfin de Damiette. »

HERBERT DE VlLLEBÉON, DU DIOCÈSE DE SENS,


VALET DE CHAMBRE DE SAINT LOUIS,
ÂGÉ DE 50 ANS OU ENVIRON
le 27e dans la liste de Saint-Pathus

Aucun élément pour reconstituer sa déposition.

Jean de Chailly, châtelain de Pontoise


âgé de 50 ans environ
le 28e de la liste de Saint-Pathus

Sa déposition n'a pas été conservée par Saint-Pathus (voir notre


notice).

Guillaume Le Breton, valet de chambre


guillaume le breton, huissier
tous deux du diocèse de nantes, âgés d'environ 50 ans
29e et 30e témoins dans la liste de Saint-Pathus

Aucun élément pour leur déposition.

Hugues Portechappe
valet de la paneterie âgé de 55 ans environ
occupe la 31e place dans la liste de Saint-Pathus

Aucun élément sur sa déposition.


110 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Gilles de Robisel
habitant Saint-Denis, âgé de plus de 50 ans
occupe la 32e place dans la liste de Saint-Pathus

Déposition impossible à reconstituer.

DENIS LE PLASTRIER
33e témoin dans la liste de Saint-Pathus

« Denis(e) le Piastrier, bourgeois de Compiègne, de la dyocèse


de Soissons, home de meur aage et de soufïsanz richeces, de LVIII ans
ou environ. »

On ne connaît pas de témoignage particulier de ce bourgeois de


Compiègne, mais il semble possible de lui attribuer le récit que
voici, donnant (parmi beaucoup d'autres) un exemple de Γ humilité
du benoît roi.

Le baiser au lépreux.
Saint-Pathus, 107-108

« Un jour de Saint Vendredi, le roi étant dans le « chastel » ( = la


ville forte) de Compiègne, se rendait en pèlerinage, nu-pieds, par les
différentes églises de la ville, vers lesquelles il se dirigeait en prenant
le plus court chemin. Ses « sergents » ( = serviteurs) le suivaient tenant
en leurs mains de nombreux deniers qu'ils remettaient au roi, et
souvent celui-ci en reprenait afin de les distribuer aux pauvres, et les leur
donnait pour Dieu, plus ou moins, selon qu'ils lui paraissaient en avoir
plus ou moins besoin.
Et, comme le benoît roi allait ainsi par une rue, un « mésel »
(lépreux) se tenait de l'autre côté de la voie; pouvant à peine parler,
il agitait bruyamment son claquoir. Quand le roi ainsi averti aperçut
ce lépreux, il se dirigea vers lui, mettant le pied dans l'eau boueuse
et froide qui stagnait au milieu de la chaussée — car il ne pouvait la
traverser autrement — et ayant accosté le malheureux lui donna son
aumône et lui baisa la main ; or il y avait grande presse de gens en ce
même endroit, et beaucoup de ceux qui entouraient le benoît roi firent
le signe de la croix, se disant l'un à l'autre : « Vous avez bien vu ce
que le roi a fait, qui a baisé la main du lépreux. »
depositions sur la vie du roi 11 1

Jehan de Croy
maçon, bourgeois de compiègne
34e témoin de la liste de Saint-Pathus

Aucun élément pour reconstituer sa déposition.

Maître Jehan de Béthisy


chirurgien du roi, âgé de 48 ans ou plus
38e témoin de la liste de Saint-Pathus

Déposition impossible à reconstituer.

1. (p. 75) C'est la célèbre lettre datée d'Acre août 1250. Sur ces événements,
voir H. F. Delaborde, « Joinville et le conseil tenu à Acre en 1250 », dans Romania,
t. XXIII, 1894, p. 148-152.
2. (p. 76) N. de Wailly, Histoire de saint Louis, Hachette, 1883, $ 4, 70 et 756.
3. (p. 76) D'après le texte de l'oraison on voit qu'il s'agit de saint Jacques le
Majeur, fêté le 25 juillet. Ses reliques étaient vénérées à Compostelle. La formule
liturgique prend un sens très fort dans la bouche du roi mourant : il confie à Dieu et à
saint Jacques la garde du royaume.
4. (p. 95) Saint-Pathus en ce passage (p. 133) dit « 34 ans et plus »; mais dans
l'extrait suivant (p. 72) il parle de « 24 ans », information certainement plus proche
de la vérité. Nous adoptons ici cette estimation.
5. (p. 96) Bonne traduction de ce passage dans A. Vauchez, op. cit., p. 539.
6. (p. 103) Remarquons cette attitude de la prière : le fidèle dans une sorte
de semi-prostration s'appuie sur les genoux et sur les coudes. Il présente ainsi le dos
rond. Cette supplication solennelle se rencontre plusieurs fois dans le récit de
Joinville, par exemple $ 204 au moment de l'attaque au feu grégeois de la part des
Sarrazins : on conseilla que « nous nous mettions sur nos coudes et sur nos genoux ». On
appelait cela « prier comme un chameau ». Voir sur ce sujet N. Bériou et coll., Prier
au Moyen Age, 1991, p. 88.
7. (p. 105) Saint Anselme (t 1109), abbé du Bec en Normandie, puis
archevêque de Cantorbery et primat d'Angleterre, c'est l'une des lumières de la première
scolastique.
112 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

2. LES CLERCS, RELIGIEUX ET RELIGIEUSES

Nicolas d'Auteuil, évêque d'Évreux


Le troisième témoin de la liste de Saint-Pathus

Le célèbre « dictum » sur le péché mortel.


Saint-Pathus, p. 128

« Révérend père monseigneur Nicole, évêque d'Évreux qui conversa


longtemps, familièrement et intimement avec le roi, — ayant prêté
serment sur la Vie — affirma qu'il croyait fermement que le roi eut
mieux voulu avoir sa propre tête coupée que d'avoir fait un péché mortel
sciemment et volontairement. »

Dans Saint-Pathus on trouve p. 86-91 un long développement qui


dans certains manuscrits porte le titre « De s'ospitalité », sur le devoir
d'hospitalité pratiqué par le roi, c'est-à-dire en fait sur ses immenses
générosités aux maisons religieuses et aux pauvres de toute sorte. Il
est tentant de le rattacher tout entier au témoignage de Nicolas d'Auteuil.
En effet celui-ci, avant d'être élu évêque d'Évreux en 1281, avait mené
une carrière de « clerc du roi » dans les services financiers ; or dans ce
relevé l'aspect financier est prépondérant. Un recoupement précis avec
un passage du panégyrique prononcé par le même Saint-Pathus et publié
par Delaborde permet d'ailleurs d'attribuer sans crainte à l'évêque
d'Évreux un article de cette enumeration (H. Fr. Delaborde, « Une
œuvre nouvelle de Guillaume de Saint-Pathus », dans Bibl. de l'Ecole
des chartes, t. 63, 1902, p. 263-288, ici p. 284 : il s'agit précisément des
sommes énormes dépensées par le roi en fondations pieuses). Enfin
on remarquera la mention plusieurs fois répétée de la Normandie
ou de maisons normandes (par exemple la maison-Dieu de Vernon,
du diocèse d'Évreux).
Ces critères permettent sans doute de bien distinguer ce témoignage
de celui de Geoffroi du Temple, lui aussi « clerc du roi » et expert
financier, témoignage de même nature, mais soigneusement chiffré et
bloqué en un autre endroit de Saint-Pathus.
Naturellement nous sommes ici dans le domaine de la
connaissance sur traces, où la prudence demeure recommandée...
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 113
Les étudiants, les aveugles.
Saint-Pathus, p. 86-87

« Le roi fit acheter des maisons en deux rues situées à Paris devant
le palais des Thermes, à l'emplacement desquelles il fit construire de
bonnes et vastes maisons, pour y loger des écoliers venant étudier à
Paris, qui y seraient reçus gratuitement par des personnes nommées
à cet effet.
Certaines de ces maisons sont louées à d'autres écoliers, et le prix
de leur location sert à entretenir les écoliers pauvres dont il vient d'être
question. Ces maisons coûtèrent au roi, à ce que l'on croit, quatre mille
livres tournois.
De plus chaque semaine le saint roi faisait donner de l'argent à
beaucoup de pauvres clercs, pour leur bourse, subvenant ainsi à leurs
besoins scolaires : aux uns deux ou trois sous, aux autres douze ou
dix-huit deniers. On estime que les pauvres que le roi pourvoyait de
la sorte étaient bien une centaine. De la même manière il
subventionnait de pauvres béguines.
Le roi acheta également un terrain près de Saint-Honoré où il
fit édifier une grande maison pour y accueillir à perpétuité de pauvres
aveugles, au nombre de trois cents. Tous les ans ceux-ci reçoivent de
la bourse du roi des rentes pour leurs « potages » et tous leurs autres
besoins. En cet établissement, il fit construire et dota une église en
honneur de saint Remi, pour que les aveugles y aient le service divin.
Plusieurs fois il arriva que le roi vint en cette église pour y célébrer
la fete de saint Remi et les aveugles chantaient solennellement l'office
autour du saint roi. »

Les maisons-Dieu; le roi comme architecte.


Saint-Pathus, p. 87-88

« Derechef il fonda et fit construire la Maison-Dieu de Vernon


et, comme elle est située dans le meilleur endroit de la ville et qu'elle
est grande et large, le roi l'acheta très cher, et tant le fonds que les
édifices lui coûtèrent trente mille livres de parisis. Il donna des lits, la
vaisselle de cuisine et tous les autres ustensiles nécessaires pour les
pauvres et les malades qui y seraient reçus, ainsi que pour les frères
et les sœurs de la maison. Or il y a vingt-cinq sœurs et deux frères clercs
qui assurent le service divin en la chapelle de cet Hôtel-Dieu et une
grande maisonnée de chambrières et d'autres personnes affectées au
service des malades. Il donna en plus les livres, les ornements litur-
ques et les calices de la chapelle. Et, tant que le roi vécut, il renouvelait
chaque année le vestiaire des sœurs et fit confectionner des cottes pour
les pauvres qui les revêtaient pendant leur repas.
114 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Derechef, il fonda la Maison-Dieu de Pontoise, et la dota de
possessions valant 400 livres de rente annuelle.
Derechef, il fit faire la Maison-Dieu de Compiègne et l'accrut
très considérablement. Son œuvre coûta douze mille livres de parisis;
il dota richement cette fondation et lui fournit des lits et tout ce qui
est nécessaire pour les pauvres et les malades.
Derechef, il agrandit la Maison-Dieu de Paris, qui s'étend
désormais jusqu'au « Petit Pont », et lui assura des rentes.
De rechef, il fît faire le dortoir des frères prêcheurs de Paris et
autres dépendances de leur couvent.
Et quand le roi faisait construire de semblables bâtiments il allait
personnellement en surveiller les travaux et donnait ses ordres pour
la disposition des salles, des chambres et des divers locaux de
service. »

Deux cent mille livres de dépense; les critiques, la justification.


Saint-Pathus, p. 88-89

« On croit vraiment que les travaux exécutés pour les maisons


des écoliers de Paris, pour la maison des aveugles, pour celle des
béguines de Paris, pour l'église des frères mineurs et le dortoir des
frères prêcheurs de Paris, ainsi que les autres maisons y attenant;
l'accroissement de Γ Hôtel-Dieu de Paris, la construction et la dotation
des Maison-Dieu de Pontoise, de Vernon et de Compiègne, des
couvents des frères prêcheurs de Compiègne, des frères de Saint-
Maurice de Senlis, des sœurs dominicaines de Rouen, des frères
prêcheurs de Caen, des frères de l'ordre des chartreux de Vauvert
près de Paris, des frères du Carmel également à Paris pour la plus
grande partie.
Toutes ces œuvres, parmi d'autres encore, que le roi fit construire,
lui coûtèrent, tout bien estimé, tant les maisons et les sanctuaires que
leur tréfonds, leurs édifices et les rentes qu'il leur assigna — toutes
dépenses faites sur ses propres biens — la somme de deux cent mille
livres tournois, et davantage.
Parfois il advint que certains de ses conseillers reprenaient le roi
lorsqu'ils entendaient les si grands frais où l'entraînaient de telles
dépenses, de tels bâtiments et de si grandes largesses et de si larges
aumônes qu'il faisait à propos notamment de ses fondations, — et le
bon roi de répondre : « Taisez vous. Dieu m'a donné tout ce que j'ai.
Ce que je dépense de cette manière, c'est le mieux dépensé. »
Et de nouveau il faisait donner aux frères mineurs et aux frères
prêcheurs, une fois cent livres, une autre fois trois cents pour acquitter
leurs dettes, à ce qu'ils disaient. A la vérité, il les entretenait à Paris
et autres lieux voisins pour la plus grande part.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 115
Quand les frères prêcheurs de Compiègne entrèrent pour la
première fois dans leur couvent, le roi leur donna en aumône cent livres
de parisis « pour leur vivre. »

Les veuves des croisés; les filles à marier; l'escorte des mendiants; le bois
de construction.
Saint-Pathus, p. 89-91

« Et depuis que le bon roi revint d'outre-mer il arriva plusieurs


fois que de gentilles-dames, venant à lui, lui disaient que leurs maris
étaient morts outre-mer à son service, qu'elles avaient dépensé tous leurs
biens, et qu'elles étaient pauvres, et amenant avec elles leurs fils et leurs
filles, elles priaient le saint roi qu'il eût pitié d'elles, et qu'il leur fît
du bien.
Quand le saint roi avait pris connaissance de leur situation, il
leur faisait donner par son aumônier à l'une vingt livres, à l'autre
dix et plus ou moins selon qu'il lui paraissait convenable. Parfois
il leur demandait si quelques-unes de leurs filles savait lire et écrire
et disait qu'alors il la ferait recevoir en l'abbaye de Pontoise à Mau-
buisson ou ailleurs.
Souvent le saint roi faisait donner aux pauvres dames, aux pauvres
damoiselles et aux pauvres serviteurs pour marier leurs filles, dix,
vingt, trente, quarante, cinquante, soixante livres et parfois cent livres,
selon l'état et la condition des personnes, ainsi qu'il avisait que
ce fût bien.
Quand le bon roi chevauchait par le royaume, les pauvres venaient
à lui et il faisait donner à chacun un denier, et quand il voyait des
gens plus besogneux, il faisait donner à l'un cinq sous, à l'autre
dix sous, à un autre vingt sous et parfois plus ou moins, selon ce qui
lui semblait bon.
Et lorsqu'il fut revenu d'outre-mer après son premier « passage »,
et visita son royaume, les aumôniers distribuaient une aumône à tous
ceux qui venaient à eux, à chacun un denier. Et quand le bon roi voyait
de plus besogneux, il faisait donner six deniers ou douze deniers, ou
comme bon lui semblait.
Et quand il parcourait ses terres, ainsi qu'il vient d'être dit, il
servait chaque jour de sa propre main deux cents pauvres en donnant
à chacun deux pains et douze deniers parisis en plus ; il avait d'ailleurs
dans sa main gauche des deniers, en sorte que quand il voyait un homme
plus besogneux il lui donnait de surcroît quatre, cinq ou six deniers,
comme bon lui semblait.
En outre, en ce même temps, il faisait faire à certains jours une
aumône générale, même si dix mille personnes y venaient ou vingt mille
ou davantage.
116 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Et souvent, surtout en période de vie chère, il faisait distribuer
à certains de ses familiers tantôt mille livres, tantôt deux mille livres
et plus, d'autres fois moins, et les faisait porter et répartir en diverses
parties de son royaume aux pauvres gens qui y demeuraient.
Et quand le roi apprenait qu'il y avait grande cherté de vivres
en une partie de son royaume, il y envoyait par ses sergents deux mille
parfois trois mille, cinq mille livres de tournois et plus ou moins
suivant qu'il lui était avis et le jugeait nécessaire. Et l'on sait qu'il fit ainsi
plusieurs fois.
Une fois par temps de vie chère, le saint roi envoya en Normandie
une somme d'argent à donner aux pauvres, avec ordre à ses messagers
de distribuer une partie de l'aumône aux « hôtes » qui dépendaient
directement du roi et devaient lui payer chaque année des rentes, s'ils en
avaient besoin plus que les autres.
De rechef, il faisait donner ses propres robes souvent à de bonnes
dames religieuses et autres, ainsi qu'aux prêtres.
Et disait parfois : « Allons visiter les pauvres de tel pays et
nourrissons-les. » Alors allait-il en diverses parties de son royaume, ou en Gâti-
nais ou en Normandie et y faisait donner pour Dieu de larges aumônes
aux pauvres.
Il fit couper en son bois les grosses poutres et autres bois de
construction pour l'église des frères mineurs de Paris et pour son cloître :
pour le dortoir et le réfectoire des frères prêcheurs de Paris, ainsi que
pour la Maison-Dieu de Pontoise et les frères des Sacs de Paris, et fit
livrer sur place ces matériaux de construction, tandis que les branches
et les morceaux provenant du bois de construction étaient donnés pour
Dieu aux pauvres maisons religieuses, à l'une deux cents charretées,
à telle autre trois cents, par ordre du roi qui voulait qu'ils fussent
portés par voie d'eau jusqu'à Paris ou autre lieu de destination. »

Rachat de captifs en Terre Sainte.


Saint-Pathus, p. 91-92

« Au temps de son premier « passage », quand il fut délivré de


la prison des sarrasins, il demeura outre-mer quatre ans ou environ
tout spécialement pour délivrer les chrétiens qui avaient été pris avant
même sa venue outre-mer. De nombreuses fois il envoya des
messagers officiels au Sultan pour la délivrance des chrétiens qu'il retenait
en captivité. Parfois il en rachetait deux cents, d'autres fois trois cents
ou cinq cents, suivant les occasions. Chose certaine à la troisième et
à la quatrième fois les messagers en ramenèrent quatre cents ou
environ, une autre fois sept cents, sans compter les femmes. D'autres fois
encore six cent cinquante et mille cinq cent quarante : à leur retour,
ils étaient ramenés aux frais du roi.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 117
A ces chrétiens qui ainsi revenaient des geôles des Sarrazins,
soit cent, soit deux cents, soit cinq cents, dans l'état où ils revenaient
de ces prisons des mécréants, nus et dépouillés de tout, le bon roi
leur faisait distribuer des robes, et pour leurs besoins immédiats
il faisait donner à certains cent deniers de la monnaie du pays appelée
drachmes, chaque drachme valant sept petits tournois, à d'autres deux
cents ou trois cents, tantôt plus tantôt moins, selon l'état et la
condition des personnes ; de la sorte il pourvut en ce temps aux besoins de
trois mille hommes.
Il donnait des robes de vaire et autre drap de même qualité aux
chevaliers et aux nobles hommes ; et aux autres gens des robes de drap
d'Arras ou d'autres de plus bas prix.
En ce temps-là, il en revint une fois mil cinq cents, et d'autres
fois de nombreux autres, des prisons des Sarrazins, et ils venaient par
nef jusqu'en Acre aux frais du roi, ainsi qu'ils le disaient et que le bruit
en courait communément, car nul autre que le roi ne pouvait
distribuer de pareilles sommes à tant de pauvres et mendiants. »

ROBERT DE CRESSONSACQ.
ÉVÊQUE DE SENLIS, 1260-1283
quatrième témoin de la liste de Saint-Pathus

L'arrivée à Senlis de reliques venues de Saint-Maurice d'Agaune.


Saint-Pathus, p. 4

« Lorsque saint Louis eut formé le projet d'installer à Senlis,


près de son palais, un monastère en l'honneur de saint Maurice et de
ses compagnons, il fit tant qu'il obtint de l'abbé et du couvent de cette
abbaye, qui est en Bourgogne, vingt-quatre corps des compagnons de
la légion (thébéenne), qui y reposaient. Et c'est ainsi que l'abbé et
quelques-uns de ses frères les transportèrent en direction de Senlis,
en raccompagnant les messagers que le roi avait envoyés là-bas.
Quand ils furent parvenus assez près de Senlis, le roi, avant de
les conduire en la cité, les fit déposer en un manoir nommé Mont
l'Évêque qui appartient à l'évêque, éloigné d'environ une demi-lieue
de la ville.
Il fît ensuite convoquer plusieurs évêques et abbés et, en la
présence de nombreux barons et d'une grande multitude de peuple, il
organisa une procession bien ordonnée formée par tout le clergé de la cité,
puis les corps saints ayant été placés en plusieurs châsses, couverts
solennellement de draps de soie, la longue procession partant du manoir de
l'évêque se déroula à travers toute la cité jusqu'à la cathédrale Notre-
118 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Dame. Aidé par Thibaud, roi de Navarre, le roi portait sur ses
propres épaules la dernière châsse, précédée par les autres châsses portées
de même par les autres barons et chevaliers.
Selon l'intention du roi, c'était bonne chose et honnête que les
saints qui avaient été chevaliers de Jésus-Christ fussent portés par des
chevaliers.
Quand les corps saints furent arrivés en l'église, le roi y fit chanter
la messe solennellement et prononcer le sermon au peuple ainsi
assemblé. »

Désir permanent de plaire à Dieu.


Saint-Pathus, p. 123

« Le roi fut de si grande pureté que des personnes honorables et


dignes de foi, qui conversèrent avec lui longtemps, croyaient qu'il
ne commit jamais un péché mortel, ainsi qu'ils l'ont dit par leur
serment.
Et l'on croit fermement qu'il eût mieux voulu avoir la tête
tranchée plutôt que d'avoir fait sciemment et de ferme propos un péché
mortel. On ne vit jamais qu'il entendit, ni fit, ni dit aucun mal. Au
contraire, toutes ses paroles traitaient de Dieu et de ses saints, visant
à l'édification de ceux avec lesquels il conversait. Jamais on ne pouvait
déceler en lui une chose susceptible de déplaire à Dieu.»

Nota. Saint-Pathus cite dans la liste de ceux qui déposèrent à l'enquête,


seulement deux évêques, auxquels il donne la qualification de « personnes
ennourables ». Comme il expose par ailleurs la déposition de Nicole d'Auteuil,
évêque d'Evreux, il est assez à croire que celle-ci émane de Robert de Cres-
sonsacq, évêque de Senlis.

Mathieu de Vendôme
abbé de Saint-Denis (1254-1286)
le cinquième témoin de la liste de Saint-Pathus

Le roi participe à la « laus perennis » le jour de la Saint-Denis.


Saint-Pathus, p. 44-45

« Le jour de la fête de saint Denis (9 octobre), quasi chaque année


quand il était en ces régions, le bon roi venait à Saint-Denis. C'est la
coutume en l'abbaye que la nuit de cette fête, les chanoines de Saint-
Paul de Saint-Denis viennent très tôt y chanter matines solennellement
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 119
au commencement de la nuit, et quand elles sont dites, le couvent de
l'abbaye de Saint-Denis entre au chœur et y chante solennellement
matines à son tour. Le benoît saint Louis disait que c'était avec raison
qu'on devait en cette nuit louer Dieu continuellement et lui rendre gloire
à jamais.
Aussi commençait-il de faire chanter solennellement ses matines,
tôt dans sa chapelle par ses chapelains et par ses clercs. Et, quand les
moines avaient fini de chanter matines, le bon roi arrivait procession-
nellement avec ses chapelains et ses clercs revêtus de chapes de soie et
de surplis et précédés par la croix, depuis la chapelle Saint-Clément
qui est en l'abbaye, en continuant de chanter matines, jusqu'à l'église
de Saint-Denis auprès des reliques du saint et de ses compagnons, et
là solennellement il faisait chanter le reste des matines, si bien qu'à
la fin il faisait déjà jour.
Ainsi toute la nuit de cette fete et continuellement les louanges
de Dieu étaient chantées dans cette église. De telles cérémonies furent
renouvelées souvent et devinrent presque coutumières au temps du roi
saint Louis1.

Chaque année le bon roi venait à Saint-Denis pour cette fête, ou


bien, si quelquefois il avait tant à besogner qu'il ne pouvait s'y rendre,
dès qu'il en avait la possibilité, il allait à l'autel de saint Denis, puis,
ayant appelé près de lui son fils aîné et en sa présence, il se plaçait devant
l'autel en grande dévotion à genoux tête nue, en oraison, et déposant
quatre besants d'or d'abord sur sa tête, puis, les ayant repris de sa main,
il offrait ses quatre besants avec grande révérence sur l'autel et le
baisait ; or lorsque le saint roi passa outre-mer pour la première fois, il
était resté sept ans sans rendre cette offrande; à son retour en France,
il fit un jour cette offrande, comme il est dit ci-dessus, en tenant compte
des sept années de son absence. »

Lettre du roi à Mathieu de Vendôme et Simon de Nesle. 25 juin 1270 2.

Lors de son second « passage », avant de prendre la mer, à Aigues-


Mortes, le roi écrit à ses chers et fidèles Mathieu, abbé de Saint-Denis,
et Simon, seigneur de Nesle, qu'il avait nommés ses « lieu-tenants »
pour gouverner le royaume. Il leur rappelle de façon imperative ses
volontés pour la gloire de Dieu, la moralité de ses sujets, une justice
équitable, et le choix des meilleurs pour assurer un bon gouvernement.
La place réservée au blasphème a souvent fait considérer ce document
comme une ordonnance contre les blasphémateurs, mais cette
interprétation est trop exclusive. On ne saurait douter en tout cas que
Mathieu, ayant reçu de telles directives du roi, n'en ait pas rapporté
la substance lors de l'enquête sur sa Vie et ses vertus.
120 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
En voici la teneur :
« § 1 Considérant que pour punir les injures faites à la Souveraine
Majesté, surtout celles qui tendent au mépris et à l'outrage du
Rédempteur, il importe que les rois et les princes chrétiens soient animés (d'une
foi) et armés (d'un courage) d'autant plus forts qu'ils ont reçu de Lui
de plus grands bienfaits, et ont conscience d'être personnellement obligés
à susciter l'exaltation et l'honneur de son Nom,
Nous voulons et ordonnons et nous vous adjurons tout
spécialement vous qui tenez notre place, mais aussi les baillis, prévôts et autres
qui détiennent de nous quelque pouvoir, que vous vous efforciez d'abolir
les blasphèmes que leurs injurieux auteurs osent proférer en acte,
en parole et en jurons contre la Divine Majesté ou la très sainte Vierge,
mère de Dieu, ainsi que naguère nous l'avons ordonné, en y apportant
éventuellement à votre tour corrections ou additions, afin de mieux
châtier l'offense faite à Dieu, et que de la sorte disparaisse de notre royaume
une coutume si perverse et si condamnable.
Et, pour que plus souvent on s'en souvienne et que notre
ordonnance soit observée de façon efficace, comme cela nous tient à cœur
et anime notre zèle, nous voulons que, dans chacun de nos comptes,
entre les autres recettes, tous et chacun de nos baillis soient tenus de
porter distinctement le montant exact des amendes perçues pour ces
blasphèmes, et que ce qui aura été ainsi comptabilisé à notre profit soit
distribué aux pauvres.
A chaque session du Parlement, qu'il leur soit fermement ordonné
d'être appliqués et vigilants à punir un forfait si impie. Ceux qui seraient
trouvés négligents ou indulgents : qu'ils soient sévèrement
réprimandés et punis, selon que cela paraîtra bon.
§ 2 Que les prostituées notoires soient chassées des villes et des lieux,
où elles souillent par leur vie honteuse le peuple fidèle et attirent trop
de gens à la perdition.
§ 3 Que les hommes de conduite scandaleuse et les malfaiteurs publics
(criminels dangereux) soient tout à fait bannis de notre terre.
§ 4 Que les églises et les personnes ecclésiastiques soient protégées
contre toute violence et tous dommages, les droits du roi et de chacun
étant sauvegardés.
§ 5 Que les procès des pauvres et des malheureux soient entendus
avec amour, ainsi que tous ceux auxquels nous devons la justice, en
sorte que soit rendu le droit, afin qu'auprès de Celui qui est juge de
toutes choses, nous ne puissions être condamné pour avoir négligé,
différé ou usurpé la justice.
S 6 En outre, puisque fréquemment, dans l'audition des causes et la
conduite des affaires, le bon droit est lésé, la vérité bafouée, les
jugements déformés par ceux-là mêmes qui volontairement en ont accepté
la charge, nous ne voulons pas que vous admettiez de pareilles gens
pour remplir de telles fonctions à notre conseil, ni que vous leur
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 121
confiiez aucune responsabilité, mais que sagement vous les écartiez,
surtout si par ailleurs leur réputation n'est pas exempte de certains
reproches.
Enfin les serments (de fidélité) qui ont coutume d'être prêtés
par ceux qui étaient de notre conseil, nous voulons et ordonnons qu'ils
soient annulés, afin qu'à notre place vous receviez leur serment et celui
de chacun de ceux qui font partie de nos conseils, à l'exception des
prélats, c'est-à-dire des évêques (dont la seule parole ne saurait être mise
en question). »

Frère Adam de Saint-Leu


abbé de royaumont de l'ordre de cîteaux
et
Frère Girart de Paris, prêtre,
moine de royaumont
respectivement 6e et 24e témoins de la liste de Saint-Pathus

On peut raisonnablement rapporter à ces témoignages, et surtout


à celui de l'abbé de Royaumont, les nombreuses informations que Saint-
Pathus nous donne sur cette abbaye cistercienne, que le roi avait
véritablement fondée et où il se sentait comme chez lui.

Le roi participe en personne aux travaux de construction (vers le 10 décembre 1244).


Saint-Pathus, p. 71

« Comme l'on faisait un mur en l'abbaye de Royaumont, le bon


roi qui demeurait en ce temps-là en son manoir d'Asnières, assez
voisin de l'abbaye, y venait assez souvent pour entendre la messe et les
autres offices et pour visiter les lieux (alors en pleine construction). Selon
la coutume de l'ordre de Cîteaux, après l'heure de tierce, les moines
se rendaient au travail pour transporter les pierres et le mortier au lieu
où l'on faisait le mur. Le bon roi prenait la civière et la portait chargée
de pierres, marchant devant et un moine derrière, et par plusieurs fois,
il recommençait.
Et aussi en ce même temps le bon roi faisait porter la civière par
ses frères monseigneur Alphonse, monseigneur Robert et monseigneur
Charles, chacun avec un moine soutenant les bras du brancart par
derrière ; et de même le faisait-il faire par des chevaliers de sa compagnie.
Or, il arrivait parfois que ses jeunes frères voulaient parler, crier et jouer,
et le bon roi leur disait : « En travaillant les moines gardent le silence,
122 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
aussi le devons-nous garder. » Et comme les frères du bon roi
chargeant lourdemment leur civière voulaient se ménager une pose à mi-
chemin avant de parvenir au mur, il leur disait : « Les moines ne se
reposent pas, vous ne devez pas non plus vous reposer. » De la sorte
le saint roi enseignait les siens et son entourage à bien faire. »

Le roi assiste au chant du martyrologe à la Noël 1254 (cérémonie qui avait


lieu à l'heure de prime).
Saint-Pathus, p. 40-41

« En cette année qu'il revint d'outre-mer, pour la première fois,


le benoît roi se rendit, la veille de Noël, de bon matin, à l'abbaye de
Royaumont, de l'ordre de Cîteaux, du diocèse de Beauvais, et dit qu'il
voulait être à la proclamation de la Nativité du Seigneur qui a
coutume d'être faite par tout l'ordre, lorsque les moines s'assemblent à
l'heure du chapitre. Le règlement de l'abbaye est qu'à cette heure l'abbé
et les moines disponibles se réunissent en effet dans la salle capitulaire,
et l'un des moines se tenant au milieu d'eux dit ces paroles, parmi les
autres : « Jésus Christ, le fils de Dieu, est né à Bethléem de Judée. »
Et quand il a prononcé ces paroles, l'abbé et les moines se jettent à
terre et restent ainsi prosternés en oraison jusqu'à ce que l'abbé se relève.
Le bon saint Louis étant donc venu au chapitre, à cette heure, s'assit
près de l'abbé pour la proclamation et, quand elle fut faite, il s'étendit
à terre comme l'abbé et les autres moines humblement et avec
dévotion, et quand il fut prosterné, il resta à terre jusques à temps que l'abbé
lui fit signe, et alors il se leva. »

La Saint-Michel à Royaumont.
Saint-Pathus, p. 42-43

« II vint une autre fois à l'abbaye de Royaumont, la veille de la


Saint-Michel (28 septembre) et y passa la nuit. L'abbé s'était levé de nuit
pour matines au moment où les clercs du roi avaient presque terminé
celles du roi qu'ils chantaient très solennellement avec un grand
luminaire. Comme on entendait sonner les matines à l'église, et que l'on
avait dit Venite exultemus, le roi entra en l'église avec un grand
luminaire, se rendit jusqu'au siège de l'abbé dans le chœur, s'assit près de
lui et assista aux matines des moines où l'on dit dix-huit psaumes, douze
leçons et douze répons, le Te Deum laudamus et l'Évangile. Quand on
chantait les répons, le benoît roi descendait de sa stalle, prenait la lumière
et allait jusqu'au livre qu'il examinait. Ensuite quand les matines furent
finies, au moment où l'on commence les Laudes, le roi dit à l'abbé qu'il
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 123
voulait se reposer un peu car il devait aller le matin à Paris et il se retira
dans sa chambre. Mais après que les Laudes eussent été dites, il
revint à l'église et y entendit la messe chantée. Puis il chevaucha
jusqu'à Paris; car le lendemain de la Saint-Michel (30 septembre) il
avait l'habitude de faire la célébration des Saintes Reliques (en la
chapelle royale) à Paris. »

Le « mandé », les complies et l'eau bénite à Royaumont.


Saint-Pathus, p. 51 et 109-110

« Et comme c'était la coutume à l'ordre de Cîteaux que certains


moines en chaque abbaye de l'ordre, à tour de rôle, chaque samedi
après vêpres, même si le jour de la fête est solennel, doivent laver les
pieds des autres en faisant le Mandé et que sont alors assemblés l'abbé
et le couvent dans le cloître, le bon roi qui souvent venait à
Royaumont, une maison de cet ordre, quand il arrivait à l'abbaye le samedi,
il voulait être au Mandé et s'asseyait auprès de l'abbé et regardait avec
très grande dévotion ce que les moines faisaient. Or il advint plusieurs
fois que, aussitôt après le Mandé, quand on eût lu, comme à
l'accoutumée, la Vie des Pères ou les Morales de Saint-Grégoire, l'abbé et le
couvent entrèrent aussitôt dans l'église pour dire complies, le roi y assista
comme les moines. Et quand les complies étaient terminées, selon la
coutume de l'ordre, l'abbé précédait les autres et donnait l'eau bénite
devant la porte du dortoir à chacun de ceux qui le suivaient selon leur
rang et qui s'inclinaient devant lui avant de monter au dortoir pour
se coucher; le roi s 'approchant de l'abbé regarda avec une pieuse
attention ce que l'on faisait, et ainsi reçut plusieurs fois l'eau bénite comme les
moines, puis, la tête inclinée, il sortit du cloître pour aller à son hôtel.
Et ces choses devant dites le roi les faisait en présence de nombre de
gens de sa maison. »

Dans un autre passage, après avoir littéralement repris ce qui


précède, Saint-Pathus ajoute (p. 109-110) :

« Or il advint, alors que l'on faisait le Mandé que le bon roi s'assit
une fois à côté de l'abbé et lui dit : « II serait bon que je lave les
pieds des moines. » L'abbé lui répondit : « Vous pouvez bien vous
en abstenir. » Le bon roi lui demanda : « Pourquoi? » L'abbé
répondit : « Les gens en jaseraient. » Et le bon roi de poursuivre : « Qu'en
diraient-il? ». L'abbé répondit que les uns en diraient du bien, et les
autres du mal. Et c'est ainsi que le bon roi s'en abstint par ce que l'abbé
l'en avait dissuadé, c'est du moins ce que croit l'abbé.
124 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Le roi aux pieds d'un « maître en divinité » ou d'un prédicateur à Royaumont.
Saint-Pathus, p. 53 et 109

« Derechef, quand le roi se trouvait à Royaumont et apprenait


qu'un maître en théologie devait lire ( = expliquer) le psautier, dès qu'il
entendait la cloche qui sonnait pour assembler les moines aux écoles,
il y venait et s'asseyait parmi eux, comme l'un d'entre eux, aux pieds
du maître qui faisait la lecture, et il l'écoutait avec la plus grande
attention : fait qui se répéta maintes fois. »

« De nombreuses fois le roi vint au chapitre de Royaumont, quand


les moines y étaient assemblés, tous assis sur leurs sièges. Il y faisait
proposer la parole de Dieu, et se tenait adossé à un pilier au milieu
de la salle capitulaire et s'asseyait sur de la paille qui s'y trouvait à même
le sol. Or bien que l'abbé et les moines l'invitassent instamment à monter
sur les sièges, il ne le voulait point, mais restait assis à terre jusqu'à
la fin du sermon. »

Le roi sert à table à Royaumont.


Saint-Pathus, p. 85-86

« Le roi venait souvent à l'abbaye de Royaumont, et


fréquemment les jours de vendredi et de samedi il y prenait ses repas au
réfectoire à la table de l'abbé qui s'asseyait près de lui. Et chaque fois qu'il
y venait il offrait au couvent une pitance de pain, de vin et de deux
mets de poisson ; or il y avait cette fois-là cent moines ou environ, sans
compter une quarantaine de convers.
« Les autres jours, quand le roi ne mangeait pas au réfectoire,
il y entrait souvent, et quasi habituellement, et aidait les moines
chargés de servir à table ; il allait à la fenêtre de la cuisine, y prenait les
écuelles pleines de nourriture et les plaçait devant les moines assis à
table ; et, comme il y avait beaucoup de moines et peu de serviteurs,
il portait et rapportait les écuelles jusqu'à ce que le couvent eut été servi
de tout, et le service était lent.
« Si les écuelles étaient trop chaudes, il s'enveloppait parfois les
mains avec sa chape et il arrivait parfois que la nourriture se répandit
dessus. L'abbé lui disait alors qu'il salissait sa chape royale et il
répondait : « Que m'importe, j'en ai une autre. » De table en table il versait
le vin dans les gobelets des moines et parfois il goûtait de ce vin et le
louait s'il était bon, mais, s'il était aigre ou sentait le fût, il ordonnait
que l'on apportât du bon vin.
« Et chaque fois qu'il venait à l'abbaye, il faisait distribuer deux
mets de poissons ou de viande, suivant le temps requis, et à tous les
malades étrangers qui se trouvaient à l'hôpital de l'abbaye. »
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 125
La visite au moine lépreux : le plus célèbre des actes de charité de saint Louis.
Saint-Pathus, p. 93-96

« Le bon roi visitait souvent l'abbaye de Royaumont et chaque fois


qu'il y venait, il entrait à l'infirmerie de l'abbaye, voyait les frères
malades, les réconfortait, demandait à chacun de quel mal il souffrait, lui
prenait le pouls et lui touchait les tempes, même quand elles étaient
couvertes de sueur. Il appelait les médecins qui l'accompagnaient et
les obligeait d'examiner en sa présence les urines des moines malades
et de les conseiller sur la manière de se soigner. Souvent le bon roi
disait : « Notre électuaire ou tel autre de nos remèdes serait bon pour
ce malade », aussitôt il en ordonnait la préparation soit à sa cuisine
soit en quelque autres de ses services et le faisait administrer au malade
en quantité suffisante ainsi qu'il convenait.
« Dans des cas semblables il y avait peu de gens autour de lui, sinon
l'abbé, ses médecins ou ses secrétaires, personnes de confiance et très
discrètes, car il ne voulait pas que le bruit s'en répandît, même auprès
de ceux qui étaient ses familiers les plus intimes. Quant à ceux qui étaient
plus malades, il venait en hâte à leur chevet et les visitait avec plus de
soin, leur prenant les mains, palpant les endroits où ils souffraient, et
plus soigneusement encore il s'attardait auprès de grands malades
atteints d' apostume ou de quelque autre méchant mal.
Il y avait à l'abbaye de Royaumont un moine nommé frère Léger,
ordonné diacre ; or il était lépreux et logeait en une maison séparée des
autres. Son mal avait tellement empiré qu'il en était devenu
abominable à regarder. Ses yeux étaient si gâtés qu'il ny voyait goutte, il avait
perdu le nez, ses lèvres étaient fendues et enflées, et les trous de ses
(pauvres) yeux étaient sanguinolents et hideux à voir.
Or le roi se rendit à l'abbaye de Royaumont un jour de dimanche,
aux environs de la Saint-Remy, et après y avoir entendu plusieurs messes
à son habitude, accompagné du comte de Flandre et de plusieurs autres
gentilshommes, il sortit de l'église, une fois les messes terminées, et
se dirigea vers l'infirmerie où demeurait le moine lépreux, et quand
il en approcha il ordonna à l'un de ses huissiers de retenir derrière lui
ceux qui l'accompagnaient, puis, ayant pris à part l'abbé de
Royaumont, il lui dit qu'il voulait aller à l'endroit où demeurait le lépreux
qu'il avait vu autrefois et désirait lui rendre visite.

L'abbé alla devant et le bon roi après lui et entra dans la pièce
où le malade se tenait ; ils le trouvèrent assis à une table assez basse
en train de manger de la viande de porc, car en l'abbaye la coutume
est en effet de nourrir les lépreux avec de la viande. Le saint roi salua
le malade, lui demanda comment il se trouvait, puis il s'agenouilla
devant lui et toujours à genoux commença à trancher sa viande avec
un couteau qu'il trouva sur la table, et quand il eut coupé la viande
126 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
en morceaux, il les mit en la bouche du malade et celui-ci les recevait
de la main du bon roi et les mangeait.
Tout le temps le roi se tint à genoux devant le lépreux, à genoux
également l'abbé, par révérence pour le saint roi, bien qu'il ait eu toute
cette visite en horreur.
(Mais le roi n'avait pas la moindre envie de se presser.) Il demanda
au lépreux s'il voulait manger des gelines et des perdrix; sa réponse
fut « oui ». Alors le saint roi fît appeler un de ses huissiers par le moine
qui était de garde auprès du lépreux et lui ordonna de faire apporter
des gelines et des perdrix, de sa cuisine qui était assez éloignée.
Tout le temps que l'huissier mit à aller et à revenir de la cuisine
pour apporter deux gelines et trois perdrix rôties, le roi resta
constamment à genoux devant le malade et l'abbé de même, auprès de lui.
Aussitôt après, le saint roi demanda au lépreux ce qu'il préférait ou des
gelines ou des perdrix, et il répondit les perdrix. Et le bon roi lui
demanda à quelle saveur; et il répondit qu'il les voulait manger au sel.
Il lui découpa donc les ailes de perdrix, en salant les morceaux et puis
les mettait dans la bouche du malade. Mais parce que ces lèvres étaient
fendues (ainsi qu'il a été dit), le sel lui fit mal, le pus coulait sur le menton
et le malade dit que le sel lui faisait trop mal. Alors le bon roi mettait
les morceaux dans le sel pour leur faire prendre de la saveur, puis il
retirait des morceaux les grains de sel pour qu'ils n'entrent pas dans
les crevasses des lèvres du malade. Ce faisant, le bon roi réconfortait
le malade et lui disait de souffrir en bonne patience sa maladie qui était
son purgatoire en ce monde et qu'il valait mieux souffrir cette maladie
ici-bas que de souffrir autre chose dans le siècle à venir. Ensuite le bon
roi demanda au malade s'il voulait boire. Il dit que « oui », et quel
vin il avait là, et il répondit « bon ». Alors le roi prit le hanap et le
pot de vin qui étaient sur la table et lui présenta à la bouche de ses
propres mains et le fit boire.
Quand ce fut fait, le benoît roi demanda au malade de prier Notre
Seigneur pour lui. Ensuite il s'en alla avec l'abbé et alla déjeuner en
son hôtel qu'il avait à l'abbaye.
Ainsi visitait-il souvent ce malade ; il disait alors à ses chevaliers :
« Allons visiter notre malade » et c'était du lépreux qu'il parlait. Ceux-
ci toutefois n'entraient pas avec lui dans la maison du malade mais
seulement l'abbé ou le prieur de l'abbaye. Comme une fois il était entré
pour visiter le lépreux et la table étant dressée devant lui, le roi lui-
même le servit et prépara un brouet composé de soupe et de pain qu'il
lui mettait en la bouche avec une cuillère de bois, mais comme il lui
arriva de mettre trop de sel, la bouche et les lèvres du malade
commencèrent à saigner; un de ceux qui était là dit au bon roi « vous
lui faites saigner la bouche, car vous avez mis trop de sel dans sa
soupe ». Le bon roi répondit : «J'ai fait pour lui comme je l'eusse fait
pour moi-même », et il demanda au malade de lui pardonner.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 127
En cette abbaye de Royaumont vivait un autre moine lépreux
qu'il visita aussi parfois. »

Frère Laurent
abbé de Châalis, de lordre de Cîteaux
septième témoin de la liste de Saint-Pathus

En vertu du même raisonnement tenu à propos de Royaumont,


nous n'hésitons pas à rattacher les informations concernant Châalis à
la déposition de l'abbé de ce lieu.

Le roi au sermon et au réfectoire à Châalis.


Saint-Pathus, p. 108 et 109

« II advint une fois que le roi se rendit en l'abbaye de Châalis


alors que le sermon était prononcé au chapitre : il y avait dans la
salle capitulaire deux sièges, l'un plus bas et l'autre plus haut. Le roi
survint donc à Γ improviste pour écouter le sermon. Tous se levèrent
à son arrivée et le prièrent de s'asseoir sur le siège le plus élevé, ainsi
qu'il lui revenait ; le roi ne le voulut pas, ni même asseoir sur les mêmes
sièges que les moines; mais au milieu du chapitre, à côté du lutrin où
est lue la leçon accoutumée, il fit apporter deux coussins sur lesquels
il s'assit par terre, et ainsi avec dévotion et humilité il entendit le
sermon jusqu'à la fin. Ce qu'ayant vu, les moines voulurent descendre
de leurs sièges et s'asseoir à même le sol, mais le roi ne le toléra pas
et leur ordonna de rester comme ils l'étaient quand il était entré dans
la salle capitulaire. »

« Plusieurs fois il advint que le roi mangea en l'abbaye de Châalis,


au réfectoire, avec le couvent; il s'y tenait avec une grande humilité,
plus humblement, à ce qu'il paraissait, que les moines eux-mêmes. On
raconte encore qu'une fois, s'étant aperçu qu'on lui servait un mets
plus fin que celui des moines, il envoya son écuelle d'argent à un vieux
moine qui avait devant soi sa pitance dans une écuelle de bois et demanda
que cette dernière lui fut apportée ; on la lui apporta donc et c'est ainsi
que le roi mangea ce jour-là une nourriture monacale dans une écuelle
de bois. »

La roi et la mort des moines à Châalis.


Saint-Pathus, p. 103-104 et p. 50

« Une fois que le roi se trouvait en l'abbaye de Châalis, il advint


128 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
que l'un des frères était à la dernière extrémité. Comme la mort
approchait, que le couvent était assemblé autour du mourant étendu sur la
cendre et sur le cilice selon la coutume cistercienne3, et que l'on
chantait les litanies et les prières accoutumées, le roi arriva et tout le temps
que furent dites les oraisons se tint au chevet du mourant, avec une
grande dévotion et une grande humilité. Quand le frère fut mort, il
se rendit aussitôt à l'église derrière le corps que l'on y portait. Il y
demeura avec grande dévotion et humilité pendant tout le service qu'on
y célébra en ce moment. »

« Et le benoît roi avait les saints hommes en si grande révérence


qu'il était une fois à Châalis, en l'église qui est de l'ordre de Cîteaux,
du diocèse de Senlis, et entendit dire que les corps des moines qui
mouraient céans étaient lavés en une pierre qui était réservée à cet usage 4.
Et le benoît roi baisa cette pierre et dit ainsi : « Ha Dieu ! Tant de saints
hommes ont été ici lavés. »

Maître Pierre de Condé,


du diocese de chartres,
garde de l'église de péronne au diocèse de noyon

17e témoin de la liste de Saint-Pathus

Saint-Pathus, p. 28 et 111 (répétition)

« Au temps où, pour la seconde et dernière fois, le roi passa la


mer, lorsqu'il eut débarqué en terre de Thunes (Tunisie) et voulut
faire crier le ban, il ordonna, à l'honneur de Dieu, de sa propre
bouche, à maître Pierre de Condé d'écrire ainsi en tête de sa
proclamation : « Je vous dis le ban de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de
son sergent (serviteur) Louis, roi de France » ; venait ensuite le contenu
de la proclamation. Le peuple en entendant ces paroles s'aperçut de
la grande foi et de la grande humilité du roi ; à la façon dont il nomma
Jésus-Christ et parla si modestement de lui-même. »

II ne paraît guère pensable que la déposition de maître Pierre de


Condé à l'enquête de 1282 n'ait comporté que ces quelques lignes
reproduites par Saint-Pathus (d'ailleurs incidemment), sans faire la
moindre allusion à la mort du roi. Une semblable lacune est également
constatée dans les dépositions qu'il a rapportées de Charles d'Anjou
et de Pierre d'Alençon, qui pourtant assistèrent à cet événement, en
furent bouleversés et certainement ne manquèrent pas d'en faire le récit
devant les enquêteurs5.
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 129
II est clair que Saint-Pathus arrivant à la fin de son ouvrage a
retenu seulement le témoignage de Geoffroi de Beaulieu qui, ayant
administré le roi à ses derniers moments, lui a paru être le meilleur des
témoignages, et (en tout cas) pleinement satisfaisant, pour terminer le
dernier chapitre de son livre de piété et de dévotion sur la sainte vie du
roi Louis.
Assurément Pierre de Condé fait mention de la mort du roi « de
très heureuse mémoire » dans la lettre qu'il envoya de Carthage, le
4 septembre 1270, à son ami le trésorier de Saint-Frambaud de Senlis,
mais, sachant que l'on devait déjà connaître à Paris la triste nouvelle,
il n'en dit que quelques mots, sans aucun détail, avant d'annoncer à
son correspondant le débarquement de Charles d'Anjou à Tunis.
Voilà pourquoi nous pensons bien faire de compenser ici la lacune
évidente de la déposition de Pierre de Condé en reproduisant les récits
que nous ont laissés Thibaud de Champagne, roi de Navarre, et
Guillaume de Chartres, lui aussi « clerc du roi » comme Pierre de Condé.
Décédés l'un et l'autre avant l'enquête de 1282, ils ne purent, bien
évidemment, y apporter leurs témoignages. Mais nous les connaissons par
la lettre que le premier adressa le 24 septembre 1270 au doyen du Sacré
Collège, Eudes, cardinal évêque de Tusculum, et par Y Histoire que le
second composa vers 1276, alors que devenu frère prêcheur (vers 1264),
il cherchait à compléter le livre de son prédécesseur6.

« De sa fin nous pouvons vous témoigner, car jusqu'au terme de


sa vie, nul ne vit un homme si pieux, qu'il soit du siècle ou de religion.
Dès le dimanche à heure de none jusqu'au lundi après tierce, sa
bouche ne cessa, de jour comme de nuit, de louer Notre-Seigneur et
de prier pour le peuple qu'il avait amené avec lui.
Alors qu'il avait perdu en partie la parole, il disait parfois à haute
voix : « Fac nos, Domine, prospera mundi despicere et nulla ejus adversafor-
midare » (Faites, Seigneur, que nous méprisions les prospérités de ce
monde, et que nous ne redoutions aucune de ses calamités), et plusieurs
fois : « Esto, Domine, plebi tue et sanctificator et custos » (Seigneur, soyez
le sanctificateur et le gardien de votre peuple) 7. Il invoquait souvent
madame sainte Geneviève, et, après l'heure de tierce, il perdit presque
entièrement la parole, mais il regardait avec une grande bonté les
familiers qui l'entouraient. Entre l'heure de tierce et midi, il sembla
dormir, et pendant une heure et demi conserva les yeux clos. Il les ouvrit
ensuite et, regardant vers le ciel, dit ce vers du Psautier : « Introibo in
domum tuam, adorato ad templum tuum et confitebor nomini tuo » (J'entrerai
dans votre maison, je vous adorerai dans votre saint temple, et je
glorifierai votre nom). Puis il cessa de parler et, vers l'heure de none,
il trépassa. Dès lors et jusqu'au lendemain qu'on le fendit, il était aussi
beau et avait le visage aussi rose que lorsqu'il était en pleine santé;
beaucoup pensaient même qu'il voulait rire » (Thibaud de Champagne).
130 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Le récit de Guillaume de Chartres, présent lui aussi, est fort
semblable à celui de Thibaut (ce qui ne saurait surprendre), mais son
témoignage est peut-être plus précis. Le roi à l'agonie, invoquant ses saints
familiers, s'associait par un doux murmure (suavi susurro) aux prières
latines prononcées pour les mourants. La nuit précédant sa mort, on
l'entendit dire en français : « Nous irons en Jérusalem ». Il rendit l'âme
au Créateur la veille de la Saint Barthélemi, vers l'heure de none : celle-là
même où expira le Sauveur du Monde.

Maître Geoffroi du Temple


chanoine de reims, homme d'âge mûr et fort riche
Le 18e témoin de la liste de Saint-Pathus

Maître Geoffroi ayant exercé d'importantes activités financières,


comme on le verra dans la notice biographique, nous n'avons pas hésité
à lui attribuer dans les dépositions de 1282 toutes les informations
chiffrées concernant les dépenses faites par saint Louis en faveur
d'institutions charitables et religieuses. C'est aussi un moyen de distinguer
son témoignage de celui de Nicolas d'Auteuil qui fut lui aussi « clerc
du roi » et s'acquitta de fonctions administratives et financières
analogues.

Les grandes reliques et la Sainte-Chapelle.


Saint-Pathus, p. 41-42

« Saint Louis avait la Couronne d'épines de Notre-Seigneur Jésus-


Christ, une grande partie de la Sainte Croix, la lance dont le côté de
Notre-Seigneur fut percé et beaucoup d'autres reliques glorieuses qu'il
avait acquises. En leur honneur, il fit construire la (Sainte) Chapelle
de Paris, pour laquelle on dit qu'il dépensa bien. . . 40.000 livres de
tournois et plus.
Le roi décora d'or, d'argent, de pierres précieuses et d'autres
joyaux les lieux et les châsses où les saintes reliques reposent, et l'on
croit que les ornements et reliquaires valent bien... 100.000 livres de
tournois, et plus.
Il institua dans ladite chapelle des chanoines et d'autres clercs
pour y célébrer à toujours le service de Notre-Seigneur devant les
saintes reliques et leur assigna tant de rentes perpétuelles à percevoir
en deniers, blé et autres redevances que chacun de ces chanoines,
qui sont dix ou douze, reçoit par an cent livres de tournois... (soit au
total : 1.000 ou 1.200 l. t.). Ils ont de plus des maisons suffisantes, au
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 131
nombre de trois que le bon roi fît construire pour eux auprès de la
chapelle.
Pour honorer souverainement lesdites reliques, le bon roi établit
en la chapelle trois solennités chaque année. En la première il faisait
officier le couvent des frères prêcheurs de Paris, en la seconde le
couvent des frères mineurs et en la troisième des religieux de l'un ou
l'autre de ces deux ordres ainsi que des nombreux autres ordres qui
sont à Paris. De là une grande quantité de frères couchant en une
maison près du palais du roi et auprès de cette même chapelle, pour
pouvoir être à matines à la requête du bon roi. A chacune de ces
trois solennités, quand la messe était chantée très solennellement,
les frères qui avaient assisté à cette messe venaient manger en la
salle du bon roi, et le roi avec eux, et pendant le repas on faisait
continuellement la lecture, comme il est coutume de faire au réfectoire
de leur couvent.
De plus, le bon roi invitait à ces fêtes les évêques disponibles et
il leur faisait faire une procession suivie par les frères à travers le palais
royal pour se terminer à la chapelle. A cette procession, le bon roi assisté
des évêques portait sur ses épaules les reliques susdites et derrière lui
suivaient le clergé et le bon peuple de Paris.
Quand il était à Paris le bon roi avait l'habitude de se rendre le
soir en ladite chapelle, après la récitation des complies par les
chapelains, et il y restait longuement en oraison. »

Immenses charités chiffrées par un expert.


Saint-Pathus, p. 46-47

« Outre les choses déjà citées, le roi fit à ses propres frais, fonda
et dota l'abbaye de Royaumont, de l'ordre de Cîteaux : or il y eut tant
de travaux pour cette abbaye que personne ne croit qu'elle eût pu avoir
été faite par quelqu'un d'autre que le roi, et l'on pense que,
simplement pour la construction, les coûts et dépenses montèrent à plus de
cent mille livres parisis.
Derechef, il fonda la maison des béguines de Paris, près de la
porte de Barbel.
Derechef, il fonda l'église des frères mineurs de Paris.
Derechef, il fonda l'église et le couvent des frères mineurs de la
cité de Jaffa, outre-mer, pour laquelle il fit faire dix calices d'argent
doré, des ornements d'église pour les dix autels qui y sont, des livres
pour le service de Dieu et pour l'étude des frères; il pourvut encore
cette maison de lits et de tous les ustensiles nécessaires.
De rechef, il fonda l'église et le couvent des frères prêcheurs de
Compiègne pour le tréfonds et les édifices desquels, sans les meubles,
le roi dépensa bien quatorze mille et soixante livres de parisis. Après
132 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
quoi y furent encore faits de nombreux travaux par ordre du roi, qui
lui coûtèrent beaucoup. C'est également à ses propres dépens que fut
consacrée l'église de leur couvent.
De rechef, il fonda et construisit à Senlis, près de son palais, en
l'honneur de saint Maurice et de ses compagnons, une église avec les
locaux convenant à douze frères, ou environ, de l'ordre de l'habit de
Saint-Maurice en Bourgogne, qu'il y établit à perpétuité, après quoi
il dota ladite église et lui donna rentes et possessions à percevoir
chaque année, s'élevant à cinq cents livres ou environ.
De rechef il fonda et fit construire le couvent des sœurs
dominicaines de Rouen.
De rechef le couvent des frères prêcheurs de Caen.
De rechef le couvent de Vauvert près Paris, à l'ordre de la Chartreuse.
De rechef le couvent des frères du Carmel de Paris, pour la plus
grande partie.
De rechef il fonda l'église et la maison des frères de l'ordre de
la Trinité de Fontainebleau. »

Le droit de procuration à Saint-Denis; les acquisitions en pure aumône.


Saint-Pathus, p. 48-49 et 50

« Comme l'abbé de Saint-Denis était allé une fois à Pontoise où se


trouvait le bon roi qui croyait que l'abbaye de Saint-Denis lui dût gîte
et procuration (solennelle), il dit à cet abbé, sans mauvaise intention,
à ce qu'il paraît : « Sire abbé, pourquoi ne vous accordez- vous pas avec
nous sur cette procuration que vous nous devez? Il se pourrait bien
que les rois qui après nous viendront ne vous aimeront pas autant que
nous. » Alors l'abbé pensa que le roi entendait le délivrer pour peu de
choses de cette procuration, pour que l'abbaye ne soit pas grevée par
les rois qui viendraient après lui. L'abbé lui répondit qu'il ne lui devait
nulle procuration, car il avait des chartes des rois ses prédécesseurs,
d'un ou même de plusieurs, par lesquelles l'abbaye en avait été
affranchie, et l'abbé fit montrer ces chartes au bon roi Louis quand il fut
de retour à Paris.
Mais on trouva dans les registres du roi que les précédents abbés
avaient payé la procuration; il ne semblait donc pas possible se
servir de leurs chartes ni de leurs privilèges, ce qui était arrivé « par
aventure » à cause du manque de soins et de la négligence des abbés
et des moines de l'abbaye.
Malgré ce qui était transcrit dans les registres royaux, le bon roi
approuva ces chartes et la pieuse largesse de ces prédécesseurs qui les
avaient octroyées et entendit qu'elles eussent force et fermeté, non
seulement en faveur de l'abbaye de Saint-Denis, mais aux dépendances
de ladite abbaye, les prieurés d'Argenteuil, de Cormeilles et de Rueil
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 133
qui devaient procuration au roi pour l'honneur de saint Denis et cela
pour l'amour de ce monastère. Bien que, encore une fois, lui, comme
les rois ses ancêtres et devanciers, fût en possession de ce droit contre
les chartes de l'abbaye, par pure miséricorde il abandonna le tout.
Et en témoignage, le saint roi fit établir des chartes authentiques
pour chacun de ces établissements et leur donna ainsi bonnes
quittances scellées de son sceau et ces nouvelles chartes sont conservées (aux
archives) de l'abbaye.
En outre, le saint roi qui voulait protéger l'abbaye de tout
dommage pour les temps à venir, quand il eut entendu que le roi Charles
(Magne) avait accordé à ladite abbaye le privilège de n'acquitter aucun
péage par eau ni par terre dans tous ses états et que certains
gentilshommes du royaume voulaient s'opposer aux privilèges de l'abbé et
disaient que le roi Charles n'avait pu donner à celle-ci de tels
privilèges à leur préjudice, alors le bon roi octroya de nouveau à ladite abbaye
qu'en tous leurs propres domaines l'abbé et le couvent de Saint-Denis
ne soient tenus à nul travers, ni péage, ni autre taxe pour ce qu'ils
voulaient amener par terre ou par eau à leur propre usage.
Derechef le bon roi accorda aux religieux la paisible jouissance
de tous les biens qu'ils avaient acquis au royaume de France, soit du
temps de l'abbé actuel soit du temps de ses prédécesseurs; qu'ils
puissent les tenir à toujours, qu'ils ne puissent être contraints de les
vendre ni de les mettre hors de leurs mains, et que les biens de leur
abbaye ne puissent être enlevés de la main du roi, ni de la Couronne
de France. »

« Derechef, l'abbaye de Châalis, de l'ordre de Cîteaux, acquit


de multiples terres et possessions en les acquérant de nobles hommes
ou d'autres gens, au temps du roi Louis. Or, pour ces terres les
vendeurs étaient obligés d'acquitter certaines redevances et services, et
leurs aliénations ne pouvaient être faites à des religieux ou à d'autres
personnes de Sainte Église sans le congé du roi : ce bon roi confirma
ces achats et voulut que ladite abbaye conservât ces possessions à
titre perpétuel sans être aucunement tenue à payer les redevances
auxquelles leurs précédents possesseurs étaient astreints 8.

Frère Simon du Val,


prieur des dominicains de provins
et
QUATRE DOMINICAINS DE COMPIÈGNE
respectivement 19e et 21e à 24e témoins de la liste de Saint-Pathus
134 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
On avait l'impression de s'adresser à un saint.
Saint-Pathus, p. 124-125

« Religieux homme frère Simon, de l'ordre des frères prêcheurs


et prieur du couvent de Provins, dit et affirma sous la foi du serment
que bien qu'il eut été de nombreuses fois et en longues conversations
avec le benoît roi, jamais pendant sa vie, il ne lui entendit prononcer
une parole inconsidérée, ni oiseuse, ni parler de quelqu'un avec
médisance, et que jamais il ne vit un homme de si grand respect en paroles
ou en regard.
Et bien que ledit frère se fût entretenu plusieurs fois avec d'autres
rois et princes laïques et avec des prélats et de grands personnages,
et bien qu'il fût très familier et très intime du saint roi, il ne l'abordait
jamais sans un sentiment de profond respect et sans une sorte de crainte,
comme s'il allait s'adresser à un saint.
Le frère Simon se rappelait de nombreux faits vertueux du saint
roi déjà rapportés par ailleurs et beaucoup d'autres qu'il vit et qui ne
sont pas ici décrits, et il attesta que le benoît roi fut l'un des plus saints
hommes qu'il eût jamais rencontrés et, pour dire bref, il vit en lui les
qualités qui ne peuvent appartenir qu'aux personnes véritablement
saintes. Car il remarqua qu'il était très dur envers lui-même, en
nourriture et en boisson, très humble en vêtements et dans le soin de son
corps, très diligent au service de Dieu et dans l'observance des jeûnes,
plein de miséricorde pour les autres. Il ne vit jamais un homme
écoutant aussi volontiers les paroles de Dieu et les goûtant avec autant
d'amour et de vive attention. Et bien qu'il ait essuyé beaucoup de
vilenies et de dommages outre-mer, pourtant il se comportait toujours de
bien en mieux, et toujours paraissait plus ferme en la foi de Jésus-Christ,
au point d'atteindre au plus haut degré de perfection.
A ce que frère Simon put savoir, le benoît roi dépensait tout son
temps en bonnes œuvres, c'est-à-dire en actes de justice, de foi
chrétienne, de compassion pour le prochain, de dévotion à Notre-Seigneur
et à ses saints. A la fin il s'en alla glorieusement au service de Dieu,
avec ses fils qu'il abandonna en mourant sur la terre des ennemis de
la croix et de la foi chrétienne, où il trépassa de ce bas monde vers Notre-
Seigneur. Enfin trop grandes et trop saintes furent en lui les œuvres
que l'on ne pourrait exprimer ni rappeler, et c'est pour cela que l'on
croit qu'il est saint. »

(Quatre dominicains de Compiègne.

Simon du Val s'était fait accompagner par quatre de ses confrères


dominicains, venus du couvent voisin de Compiègne, une ville et
une maison qu'il connaissait fort bien. Il est donc naturel de rap-
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 135
procher ici toutes ces dépositions et d'attribuer à ces dominicains
de Compiègne tout ce qui concernait les origines et la vie
quotidienne de leur communauté. Pourtant dans cette pêche aux détails
la part de l'hypothèse est grande et il n'est pas impossible que
certaines informations aient une autre origine, par exemple le rapport
financier de Geoffroi du Temple ou la biographie de Geoffroi de
Beaulieu, mais certaines « choses vues » révèlent pourtant le regard d'un
témoin direct.

Le coût d'une fondation.


Saint-Pathus, p. 47

« Le roi fonda l'église et la maison des frères prêcheurs de


Compiègne et il y dépensa simplement pour le lieu et les édifices sans les
meubles 14.060 livres parisis, sans compter tout ce qui y fut fait par
la suite à grands frais par le roi. »

La parole de Dieu et les nourritures terrestres.


Saint-Pathus, p. 39, 86 et 109

« Parfois le benoît roi allait entendre la leçon aux écoles des frères
prêcheurs à Compiègne et quand elle était finie, il ordonnait qu'on
prononçât un sermon pour les laïcs venus avec lui. »
... « Quand le benoît roi venait à Compiègne, il arriva plusieurs
fois qu'il se rendit à la cuisine des frères prêcheurs pour demander ce
qu'on faisait à manger pour le couvent, et ensuite il entrait au
réfectoire pendant que les frères y mangeaient et il leur faisait apporter de
sa cuisine viande, poisson et autres choses en quantité suffisante, qu'il
leur faisait servir en sa présence. »
... « Un jour, la veille de la Saint-Barthélémy, comme la
communauté des frères prêcheurs de Compiègne mangeait au réfectoire, le
benoît roi fit apporter des fruits qu'il servit de ses propres mains à la
première table du couvent et le roi de Navarre et les fils du saint roi
servirent aussi aux autres tables. »

Sur le chemin du chapitre provincial.


Saint-Pathus, p. 84

La route du chapitre provincial pouvait réserver d'heureuses


surprises, comme il arriva en 1260 à des dominicains, parmi lesquels il
devait y avoir des représentants de la maison de Compiègne. On dut
136 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
parler longtemps dans l'ordre de cette hospitalité d'un soir dans un
château royal.

« Le roi était un jour à Châteauneuf-sur-Loire, au diocèse


d'Orléans, et il voulut après la sieste (« après dormir du jour ») aller se
distraire au bois et fit appeler à cette fin frère Geoffroi de Beaulieu de
l'ordre des frères prêcheurs (son confesseur). Le frère répondit qu'il
ne pouvait pas l'accompagner, car il attendait des frères prêcheurs qui
venaient en bateau sur la Loire pour se rendre à Orléans au prochain
chapitre provincial (8 septembre 1260). Le benoît roi lui dit alors qu'il
se rendrait avec lui à la rencontre des frères. Ils firent tous deux à pied
la route assez longue qui menait à la rivière. Quand le roi fut arrivé,
les frères qui étaient dans le bateau voulurent tous s'en aller pour
passer la nuit à Jargeau, mais le roi insista tellement qu'il les contraignit
— ils étaient au nombre d'environ dix-huit — à venir à son château,
où il les logea confortablement pendant la nuit. »

Deux soeurs de l'hôpital de Vernon,


soeur mahaut, prieure, et soeur alice
35e et 36e témoins de la liste de Saint-Pathus

Le roi à l'hôpital de Vernon : nos seigneurs les malades.


Saint-Pathus, p. 98-99

« Quand le roi allait à Vernon, avant d'entrer dans le palais qu'il


a en cette ville, il descendait dans la Maison-Dieu et visitait les
pauvres, allait autour de leurs lits et demandait soit à eux-mêmes soit
aux soeurs qui les gardaient comment ils se portaient, et parfois il les
palpait. Il arrivait aussi souvent qu'il vienne à l'heure du repas audit
hôpital et, des mets qu'il avait fait préparer par ses cuisiniers en ce même
« hostel », il servait les pauvres et les malades de ses propres mains,
en présence de ses fils qu'il tenait à avoir avec lui afin de les former
et de les instruire, à ce qu'on croit, dans les œuvres de charité ; il
nourrissait les malades en mettant devant eux le potage, suivant ce qui leur
convenait, et d'autres mets aussi, comme viandes et poissons
convenant à leurs cas ; il demandait aux sœurs quelles maladies ils avaient
et s'ils pouvaient manger de la viande ou d'autres aliments et quelle
nourriture leur était bonne et saine, et il la leur faisait administrer selon
ce qui leur était profitable. Et, quand certains malades étaient trempés
de sueurs et découverts, il relevait lui-même leurs couvertures.
On rapporte qu'une sœur de cette maison de Vernon tombée
malade, dit que jamais elle ne se nourrirait si le roi lui-même ne la
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 137
faisait manger de sa propre main; quand le benoît roi l'eut entendu,
il se dirigea vers elle, là où elle était alitée, et la fit manger en lui
mettant de ses propres mains les morceaux dans la bouche. »

Soeur Ade de l'Hôtel-Dieu de Compiègne


37e témoin de la liste de Saint-Pathus

Le témoignage de cette humble religieuse est extrêmement précieux,


non seulement parce qu'il fait revivre les débuts de cette maison-Dieu
(voir notre notice biographique), mais parce que sur un point très
précis (le nombre de malades et de lits) l'information est parfaitement
confirmée par une source étrangère.

Arrivée solennelle des premiers malades (avant 1260).


Saint-Pathus, p. 99

« Quand la Maison-Dieu de Compiègne fut terminée, le saint roi


d'une part et monseigneur Thibaud, roi de Navarre, son gendre, qui
l'aidait, d'autre part, placèrent et portèrent sur un brancard couvert
d'un drap de soie le pauvre malade qui, le premier, fut conduit dans
la Maison-Dieu toute neuve et le déposèrent en un lit nouvellement
apprêté en laissant sur lui le drap de soie sur lequel ils le portèrent et
qui lui servit de couverture. Puis, ce même jour, monseigneur Louis,
fils aîné du roi de France9, et monseigneur Philippe, son frère, à leur
tour portèrent et déposèrent le second malade en un autre lit. Et, ainsi
de suite, firent les autres barons qui étaient là avec le roi. »

Seroice funebre en présence du roi (avant 1260).


Saint-Pathus, p. 102

« II advint une fois que le roi étant à Compiègne, un malade


mourut de nuit dans la Maison-Dieu. Or la prieure et l'une des sœurs
en avertirent le roi. Il ordonna de préparer le corps pour l'inhumation,
mais de ne pas procéder sans lui à l'ensevelissement, car il voulait assister
au service célébré pour le défunt.
Quand la messe de funérailles fut dite en sa présence et celle de
ses fils, monseigneur Louis et monseigneur Philippe, et comme la
Maison-Dieu n'avait pas encore de cimetière, il commanda de porter
loin pour l'enterrer (sans doute hors des murs) la dépouille du défunt,
car, disait-il, lors de son transport à travers la ville, tous ceux qui ver-
138 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
raient passer le cortège funèbre ne manqueraient pas de réciter leur
Pater noster pour le repos de son âme, qui tirerait ainsi de leurs prières
un profit non négligeable. »

Le roi sert le repas des malades.


Saint-Pathus, p. 97-98

« Un jour, c'était un vendredi, il servit personnellement cent


trente-quatre pauvres qui étaient en la Maison-Dieu de Compiègne,
en mettant devant tous et chacun une escuelle de potage et, avec
cela, deux mets de poissons et encore autres choses convenant aux
malades : toutes nourritures qu'il avait pris le soin de faire préparer.
Et comme il paraissait fatigué d'avoir accompli une telle tâche
que de servir lui-même cent trente-quatre malades, quelqu'un lui dit
de se reposer maintenant.
Ce qu'ayant entendu, le roi, regardant autour de lui, aperçut un
malade qui était atteint du « mal saint Eloi » en deux endroits du visage ;
aussitôt il s'assit sur le lit, lui « para » une poire, et de ses propres mains,
lui en mit les morceaux dans la bouche; et, tandis qu'il faisait cela,
la pourriture qui coulait des plaies du malade de chaque côté du nez,
cette ordure tomba sur la main avec laquelle le roi le nourrissait, ce
pourquoi il convint qu'à deux reprises il se lavât la main, mais il
continua jusqu'à ce que le malade eut mangé toute la poire.
Il faut dire encore que, lorsque le roi allait visiter les malades, il
faisait apporter de l'eau de rose et de ses propres mains en
rafraîchissait leur visage. »

1. (p. 119) Tout ce passage fait penser à la laus per ennis, prière perpétuelle,
pratiquée parfois dans le monachisme égyptien ou palestinien au Ve siècle. Différents
chœurs se relayaient à l'oratoire pour y entretenir une « doxologie » qui ne s'arrêtait
jamais. On appelait ces moines des « acénètes », c'est-à-dire des gens qui ne dorment
pas. Cette pratique se retrouve en certains monastères de Gaule au VIe siècle (par
exemple à Saint-Maurice d'Agaune dans la Suisse actuelle). Cf. P. Cousin, Précis
d'histoire monastique, Paris, 1956, p. 89-91.
2. (p. 119) Cette lettre de saint Louis se trouve dans le recueil épistolaire Β. Ν.,
lat. 9376. C'est la dixième lettre de la collection; éd. D'Achery, SpiciUgium (éd.
infolio), III, 663, et Ordonnances des rois de France, t. I, p. 104, mais sous la date fausse
de juin 1269, erreur répétée dans Ch.-V. Langlois, Textes pour servir à l'histoire du
Parlement, 1888, p. 77, n° LIV. La date réelle est 25 juin 1270 : le lendemain de la Saint-
Jean-Baptiste à Aigues-Mortes. Sur ce recueil épistolaire, voir L. Carolus-Barré, dans
Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1966, p. 555-568.
3. (p. 128) Sur cet usage, voir L. Gougaud, Anciennes coutumes claustrales, Ligugé,
1930, eh. VII, « La mort du moine ». P. 81, on lit : « Les us de Cîteaux prescrivent
DÉPOSITIONS SUR LA VIE DU ROI 139
de disposer à terre une natte ou de la paille, de la recouvrir d'un cilice couvert d'une
croix de cendre et d'y placer le mourant. »
4. (p. 128) L. Gougaud, p. 85 : « Dans un local de l'infirmerie une pierre ou
table, spécialement disposée è cet effet, servait à laver le cadavre. Elle était légèrement
creusée, et une rigole pour l'écoulement de l'eau était pratiquée à l'un des angles. Un
oreiller, taillé dans la pierre, servait à placer la tête. »
5. (p. 128) Sans doute Charles d'Anjou n'arriva-t-il à Tunis que le 25 août,
alors que son frère était déjà mort ; mais il put au moins être témoin des suites
immédiates du décès et recueillir directement toutes les informations.
6. (p. 129) La lettre de Pierre de Condé du 4 septembre 1270, celle de Thibaut
de Champagne du 24 septembre se trouvent dans la collection épistolaire composée
à Saint-Denis sur la croisade de 1270-1271, B. N., ms. lat. 9376. Il s'agit des lettres
n° 6 et 7 de ce recueil, voir L. Carolus-Barré, dans Comptes rendus de l'Académie des
inscriptions et belles lettres, 1966, p. 555-568. L'ouvrage de Guillaume de Chartres — De
vita et actibus inclytae recordationis régis Francorum Ludovici et de miraculis. .. — a été publié
par Cl. Ménard (Paris, 1617), à la suite de la biographie écrite par Geoffroi de Beau-
lieu, p. 85-140. Le passage sur la mort du roi se trouve p. 115-116.
7. (p. 129) Ces deux formules latines viennent, la première de l'oraison de saint
Denis, l'autre de celle de saint Jacques le Majeur, deux saints que le roi invoqua à
ses derniers instants selon Joinville (voir ici la déposition de Pierre d'Alençon).
8. (p. 133) Dans ces deux derniers paragraphes se trouvent soulevé le problème
des aliénations de fiefs en faveur d'établissements ecclésiastiques. Comme le seigneur
eminent se trouvait lésé (perte de droits de mutation) différentes formules de
compensation furent imaginées dont la principale consista dans l'établissement d'une taxe fort
lourde appelée « amortissement ». Il faut tenir compte aussi du désir des églises
d'acquérir des terres dégagées de liens féodaux (donation « en pure aumône »).
9. (p. 137) Comme le prince Louis mourut en janvier 1260, on est obligé de
placer cet épisode ainsi que le suivant antérieurement à cette date (cf. H. F. Dela-
borde, édition de Saint-Pathus, p. 102, note).
CHAPITRE IV

NOTICES BIOGRAPHIQUES SUR LES TEMOINS


AYANT DÉPOSÉ À L'ENQUÊTE DE 1282

II était évidemment nécessaire de présenter chacun des témoins


de l'enquête de 1282 pour pouvoir dégager vraiment la signification
et la portée de leur déposition. Mais au fil de longues recherches les
informations se sont additionnées, recoupées, éclairées mutuellement
si bien que la fiche d'information a pris peu à peu les proportions d'une
notice. On n'a pas visé à être complet, mais dans la mesure du
possible à retracer le profil d'une carrière et l'esquisse d'une personnalité,
deux données essentielles quand on explore — à quelque époque que
ce soit — les alentours du pouvoir.
Dans cette revue on trouvera des rois, des princes, des évêques,
de hauts dignitaires, comme les « régents » de France en 1270 et
1285 : Simon de Nesle et Mathieu de Vendôme. Pour eux, on s'est
limité au plus significatif dans tout ce qui se rapporte au « benoît
roi ». Mais il est aussi des personnages de moindre envergure, voire
jusqu'ici totalement inconnus et on sera surpris de tout ce qu'ils
peuvent nous apprendre une fois amenés à la lumière de l'histoire.
Est-on loin du procès de canonisation? Que non pas! Car, en ce
bas monde, on est toujours saint pour quelqu'un et de ce cercle de dévots,
de fidèles, d'admirateurs on peut déduire la chaleur d'un rayonnement
inoubliable.
A cause de l'abondance de la matière ce chapitre sera divisé en
deux parties, consacrées respectivement aux laïques (22 témoins)
et aux clercs, religieux et religieuses (17 témoins, car aux 16
déposants de 1282, il a fallu naturellement ajouter Geoffroi de Beaulieu,
mort avant cette date).
142 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

LES TEMOINS LAÏCS

Philippe III

Philippe naquit à Paris en 1245, la veille de la Saint-Jacques (le


24 juillet), et reçut à son baptême le nom de Philippe, en souvenir de
son arrière-grand-père d'illustre mémoire, Philippe Auguste.
Lorsque le roi Louis et son épouse la reine Marguerite quittèrent
Paris pour la Terre Sainte, le vendredi 12 juin 1248, les enfants royaux
furent confiés à leur grand-mère, la reine Blanche, qui exerçait
la régence, et ils furent élevés au Louvre sous la garde du
châtelain de cette forteresse, dont malheureusement nous ne connaissons pas
le nom : lourde responsabilité, car il ne fallait pas courir le risque de
l'enlèvement de ces bambins.
Lorsque le roi fut de retour d 'outre-mer, Philippe reçut de son
père une éducation pieuse, sévère et virile. Avant de se coucher, le roi
(selon Joinville) faisait venir ses enfants et leur rappelait les faits des
bons rois et des bons empereurs et leur disait de prendre exemple sur
eux, et aussi les actions des mauvais qui, par luxure et avarice, avaient
perdu leurs royaumes. Il donna à Philippe un précepteur, Simon, sans
doute secrétaire et collaborateur du célèbre Vincent de Beauvais, l'un
des hommes les plus savants de son temps, mais l'élève ne devint jamais
un « lettré ».
Il participait aux dévotions et œuvres pies du roi son père, à la
translation des corps saints (Vézelay, 1261), au lavement des pieds
(Royaumont), au transport des malades dans les Hôtels-Dieu (Com-
piègne, vers 1259). De forte constitution et de belle allure, il aimait
s'adonner aux exercices violents tels que la chasse aux loups et aux
sangliers.
Les jeux de la politique, en l'occurrence, le traité de Corbeil
réglant par échanges réciproques les droits de la France sur la
Catalogne et ceux de l'Aragon sur le Roussillon, comportait une clause
familiale ; les fiançailles du prince Philippe avec l'infante Isabelle douée de
toutes les qualités (11 mai 1258). Entre-temps la mort de Louis, son
frère aîné (deuil très vivement ressenti, survenu le 11 janvier 1260),
eut pour conséquence de rendre Philippe le successeur éventuel de son
père.
Le mariage de l'héritier présomptif de la Couronne revêtait une
importance toute particulière, puisqu'il était destiné à assurer l'avenir
de la dynastie et celui du royaume. Le décès du fils aîné incita sans
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 143
doute à hâter la décision. Et l'on ne tarda pas. Philippe n'avait pas ses
dix-sept ans accomplis.
Saint Louis voulut donner à l'événement un éclat exceptionnel.
Fait significatif, il décida de supprimer la session du Parlement qui devait
s'ouvrir à la Pentecôte, le 28 mai 1262, afin que « grant quantité de
barons, de prélas et de chevaliers » (Nangis parle de presque toute la
noblesse du royaume) puissent assister aux fêtes qui allaient se
dérouler à Clermont-en- Auvergne, ville choisie parce que située sensiblement
à mi-chemin entre Paris et Barcelone, ou plutôt Montpellier.
Les souverains devaient se rencontrer à Clermont le jour de la
Saint-Jean (24 juin). Or saint Louis, en cours de route et parvenu
à Saint-Pierre-le-Moustier, était sans nouvelles de Jacques
d'Aragon. Il envoya au devant de lui une importante délégation qui le
trouva à Brioude... le 25 juin. Ce retard dut certainement
mécontenter le roi de France qui, arrivé en temps voulu, attendait son hôte à
Montferrant.
Mais ce mécontentement devint extrême lorsqu'il apprit que
Jacques d'Aragon venait, au mépris du Saint-Siège, de faire conclure
le mariage de son fils aîné Pierre avec Constance, fille de Manfred qui
avait usurpé le trône de Sicile et, ennemi de l'Église romaine, était frappé
d'excommmunication. Louis n'entendait aucunement devenir l'allié
d'un ennemi de la papauté. Ce fut certainement pour lui un affreux
cas de conscience! Et d'autre part, il n'était pas possible de surseoir
à la cérémonie prévue et organisée depuis longtemps, ni de renoncer
au traité d'amitié conclu à Corbeil entre les deux royaumes.
On imagine qu'à Montferrand la discussion dut être très serrée.
Finalement le roi de France obligea son interlocuteur à prendre
l'engagement formel de ne fournir aucune aide militaire ou autre à ce
Manfred. Et fit rédiger un acte en ce sens intitulé au nom de Jacques,
« roi d'Aragon, de Maiorque et de Valence, comte de Barcelone et
d'Urgel et seigneur de Montpellier », scellé de son sceau et de celui
du roi de France, en présence de vingt-deux témoins, dont quatre
seulement de son escorte aragonnaise : l'évêque de Barcelone, Arnau,
l'infante Sanche, l'un de ses fils naturels, abbé de Valladolid, Olivier
de Termes et Ramon Gaucelm, seigneur de Lunel.
Les dix-huit autres témoins appartenaient à l'entourage du roi
de France : les archevêques de Rouen, de Narbonne et de Tyr, les
évêques de Beauvais, Auxerre et Clermont; Philippe, fils aîné du roi;
Philippe, fils aîné de l'empereur de Constantinople ; les grands officiers
de la Couronne (chambrier, bouteiller, connétable) et Pierre le
Chambellan ; Simon, seigneur de Nesle, et Jean (de Nesle), comte de Pon-
thieu; enfin quatre « clercs du roi » : Raoul, archidiacre en l'église de
Paris, maître Eudes de Lorris, maître Jean d'Ully, chancelier (de l'église)
de Beauvais, et Guillaume de Chartres, trésorier (de la collégiale royale)
de Saint-Frambaut de Senlis.
144 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
A la lecture de ce document, on a l'impression qu'il a été rédigé
par les services du roi de France, ainsi le nom catalan de Gaucelmus
a été transcrit Joscelmus ; on ne peut qu'être frappé par le nombre peu
équilibré des témoins dont quatre seulement sur vingt-deux
appartiennent à la délégation aragonaise. Enfin, force est de constater que
le roi d'Aragon ne prête aucun serment mais fait seulement une
promesse. — Sans doute semble-t-il avoir tenu sa parole, mais ce ne fut
pas le cas de son fils.
Cet acte d'engagement fut-il rédigé avant ou après le mariage?
Il a la même date de lieu et de jour que la cérémonie. En tout cas celle-
ci se déroula comme prévu dans la cathédrale de Clermont, où de grands
travaux avaient été effectués (mais ne sont toujours pas terminés).
La bénédiction nuptiale fut donnée aux jeunes époux par Eudes
Rigaud, archevêque de Rouen, assisté des évêques de Beau vais
(Guillaume de Grez) et d'Auxerre (Gui de Mello), en présence des évêques
de Clermont (Gui de la Tour) et de Barcelone (Arnau), des trois rois
de France, d'Aragon et de Navarre (Thibaud de Champagne), et d'une
assemblée innombrable.
La mariée était ravissante et son époux fort amoureux. On
regrette de n'avoir aucun écho des fêtes et de la liesse populaire qui
nécessairement s'empara de cette immense foule de chevaliers et de braves
gens, qui ignoraient évidemment les soucis du roi de France, partagés
par le personnel, mieux averti, de son Hôtel et de ses proches conseillers.
Et chacun s'en retourna chez soi. Jacques d'Aragon, à Montpellier,
vers le 15 juillet. Louis à Paris, le 30 juillet.
C'est peu après le mariage de Philippe que sa mère Marguerite
de Provence — jalousie à l'égard de la jeune Isabelle ou ambition
d'exercer le pouvoir sur son fils, le futur roi — pour les deux raisons, sans
doute — lui fit jurer en secret de rester sous sa tutelle jusqu'à l'âge
de trente ans, et par conséquent après son accession au trône. Lorsque
le roi apprit la chose, il n'est pas douteux qu'il se fâcha et contre la
mère et contre le fils, et obtint du pape Urbain IV une bulle spéciale
relevant le jeune prince de son indécente promesse i .
Philippe à la vérité était encore fort jeune (dix-sept ans). On le
voit ensuite accompagner son père dans divers déplacements. En 1267,
le jour de la fête de l'Annonciation (25 mars), le roi surprend son
entourage assemblé à la Sainte-Chapelle, en annonçant qu'il se croisait de
nouveau, et, sur le champ, il reçoit la croix des mains du Légat, lui
et ses trois fils, au premier rang desquels Philippe, ainsi que nombre
de puissants seigneurs. Dès lors sa pensée est exclusivement tournée
vers le « saint passage ».
Deux faits, parmi beaucoup d'autres, attestent aussitôt sa volonté
indéfectible. Le mois suivant, 24 avril, il se rend avec sa suite au
tombeau de la Madeleine, à Vézelay, comme il l'avait fait en 1248, mais
c'est maintenant pour présider à la translation des reliques présumées
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 145
de la sainte, et naturellement le prince Philippe est du pèlerinage.
A la Pentecôte suivante (le 5 juin 1267), c'est à Paris même que le roi
procède à l'adoubement de son Philippe, âgé de vingt-deux ans, de
Robert comte d'Artois (fils du trop intrépide Robert, tombé à Man-
sourah), et d'une cinquantaine de chevaliers : ardente jeunesse
longuement acclamée, où l'on relève, entre autres, les noms de Pierre Rigaud,
parent de l'archevêque de Rouen, et Eudes Poillechien, neveu du légat.
De semblables cérémonies chevaleresques avaient duré deux jours lors
des adoubements du comte d'Artois, en 1237, et du comte de Poitiers,
en 1241. Pour la chevalerie de l'héritier de la Couronne, les
réjouissances ne durèrent pas moins de huit jours. Des pavillons avaient
été dressés dans la cour du Louvre et dans les jardins du palais. Et la
liesse était générale. Quelques jours après, le 12 juin, Philippe fit
hommage au roi de l'apanage qu'il venait de recevoir.
Avant de quitter la France pour l 'outre-mer saint Louis avait
pris les dispositions nécessaires pour assurer le gouvernement et
l'administration du royaume pendant son absence. Mais ce ne fut
pas à sa femme la reine Marguerite (comme autrefois à sa mère la reine
Blanche) qu'il remit le pouvoir, mais bien à deux « lieu-tenant », en
qui il avait la plus entière confiance (le terme de régent n'étant pas encore
usité) : Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et le plus fidèle
de ses chevaliers, le picard Simon de Nesle.
... Le moment du départ arriva. Le roi quitta le palais pour se
rendre à Notre-Dame nu-pieds ainsi que son fils Pierre d'Alençon, tandis
que Philippe les accompagna les pieds bien chaussés. Après le
débarquement sur la côte tunisienne, les débuts de l'expédition s'avérèrent
favorables, et Philippe put faire preuve de sa hardiesse, mais bientôt
l'épidémie répandit dans l'armée ses ravages de façon dramatique, au
point que, retenu par la maladie, il ne put même pas être présent à
la mort de son père, qu'il apprit seulement quelques jours plus tard
de la bouche de son oncle Charles d'Anjou.
Ayant recouvré la santé, devenu roi, Philippe III reçut sur place
les hommages de ses vassaux, et confirma dans leur pouvoir les deux
régents que saint Louis avait nommés à Paris, pendant son absence.
On sait comment la paix une fois conclue avec le roi de Tunes,
moyennant le versement d'une grosse somme d'or livrée par celui-ci
aux croisés, Philippe ramena les survivants en Sicile. Or une nouvelle
tragédie, sous la forme d'un ouragan d'une violence inouie, s'abattit
sur les bateaux ancrés au port de Trapani, et fit périr plusieurs milliers
de leurs occupants restés à bord (22-24 novembre 1270).
Après cette double catastrophe, Philippe accompagné de son oncle
Charles d'Anjou, roi de Sicile, se rendit à Viterbe, où les cardinaux
réunis en conclave n'arrivaient toujours pas à élire un nouveau pape.
Puis il regagna la France avec les restes du roi Louis, du prince Jean-
Tristan, morts à Carthage; de Thibaud de Champagne, roi de Navarre,

10
146 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
et de sa femme Isabelle, décédés à Trapani ; de son épouse la jeune
reine Isabelle d'Aragon, victime d'une chute de cheval suivie des
douleurs mortelles provoquées par un accouchement prématuré (deuil qui
bouleversa tellement Philippe, que l'on craignit pour sa propre santé) ;
et puis le cercueil de Pierre le Chambellan, le secrétaire, l'ami et le
plus sûr conseiller de saint Louis.
Après un interminable parcours le funèbre convoi parvint enfin
à Paris (21 mai 1271), le lendemain les restes du roi Louis furent
ensevelis à Saint-Denis, ainsi qu'il l'avait demandé; mais, contrairement
à sa volonté (car il entendait réserver l'abbaye pour accueillir les seules
dépouilles royales), on déposa au pied de sa tombe celle de Pierre
le Chambellan, « comme il couchait à ses pieds, de son vivant »,
pensée émouvante pour Pierre de Villebéon, toujours appelé « le
Chambellan », et qui avait si bien servi son maître. Enfin il fut aussi
décidé que le prince Jean-Tristan, comte de Nevers, né à Damiette et
mort à Carthage, reposerait lui aussi à Saint-Denis et non pas dans
l'abbaye de Royaumont.
Ce n'était partout que tristesse et consternation, aussi la
cérémonie du sacre et du couronnement fut reportée à près de quatre mois
plus tard. Ce jour-là, le 15 août 1271, à Reims, des fêtes somptueuses
furent célébrées avec le plus grand éclat. Le siège archiépiscopal étant
vacant ce fut l'évêque de Soissons Milon de Bazoches qui procéda à
l'onction royale.
Lors de son couronnement Philippe le Hardi avait vingt-six ans.
L'historien de son règne, Ch.-V. Langlois, s'est demandé la raison de
ce « surnom énigmatique »2. A la vérité, dès l'expédition de Tunisie,
il avait montré sa hardiesse contre les Sarrazins, mais il devait en
donner publiquement la preuve lors des grands tournois de Compiègne et
de Senlis, en mai 1279, où l'on le vit exhorter en personne l'ardeur
et la bravoure des combattants, relevant lui-même ceux qui avaient été
jetés à terre, leur livrant de nouvelles montures et les excitant à de
nouveaux combats, fêtes somptueuses, mais joutes furieuses qui
s'achevèrent dans une « profonde affliction », plusieurs ayant reçu à la tête
des coups si violents qu'ils demeurèrent gravement incommodés pour
le reste de leur existence, et parmi eux Robert, comte de Clermont,
le plus jeune frère du roi.
Philippe le Hardi conserva le haut personnel qu'il devait à saint
Louis et que n'avaient pas remplacé les deux régents, en son absence.
Un document d'octobre 1270 intitulé à leurs noms fait mention d'Eudes
de Lorris, évêque de Bay eux, Philippe de Cahors, évêque d'Evreux,
Nicolas d'Auteuil, trésorier de Saint-Frambaut de Senlis, Julien de
Péronne, chevalier, bailli de Rouen, et Jean Sarrasin, chambellan : tous
conseillers du roi.
Malheureusement le meilleur conseiller secrétaire et ami de saint
Louis, Pierre de Villebéon dit « le Chambellan », était mort au retour
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 147
de la croisade (le 25 février 1271), et ce fut, hélas ! à Pierre de la Brosse,
un autre chambellan que le nouveau roi accorda toute sa confiance.
Les intrigues de ce favori, son ambition et son avidité effrénées
ne furent pas sans susciter divers troubles et intrigues de palais jusqu'au
moment où pour ses infâmes insinuations et calomnies il fut incarcéré
puis pendu au gibet de Montfaucon, tandis que son cousin, Pierre de
Benais (qu'il avait réussi à faire nommer évêque de Bayeux) fut banni
du royaume. En réalité, tout absorbé qu'il était par l'accroissement de
ses domaines et de sa fortune, et par ses machinations diaboliques, ce
mauvais serviteur ne semble pas avoir eu l'influence politique que
certains lui ont prêtée!
En fait l'administration était assurée sans bruit par « ce monde
sage et solide » des clercs du roi et des chevaliers de l'Hôtel, ces
maîtres siégeant au Parlement dont Mathieu de Vendôme et Simon
de Nesle étaient les plus éminents ; au point que l'on pourrait dire (sans
exagération) qu'avec eux se poursuivit le bon gouvernement qui avait
été le leur pendant les treize mois où ils avaient exercé le pouvoir en
tant que « lieu-tenant » du roi.
A la différence de son père, Philippe n'assiste que rarement au
Parlement qui ne tarde pas à intituler ses jugements « per arrestum
Curie » : arrêts de justice rendus avec une remarquable impartialité,
décisions prononcées avec une grande autorité et sur les matières
administratives, publication d'ordonnances susceptibles parfois d'avoir des
incidences de caractère politique.
Dans ses Enseignements saint Louis avait bien recommandé à son
fils d'éviter autant que possible « une guerre avec aucun chrétien »,
et de ne pas l'entreprendre sans motif tout à fait raisonnable (ainsi pour
redresser quelque tort), et « sans avoir bien pris conseil ».
Les occasions ne manquent jamais de surgir. Pendant la première
année de son règne, en janvier 1272, Philippe quitte Paris et parcourt
l'ouest du royaume « pour y promener sa justice et sa majesté »
(G. de Puylaurens); ayant visité les villes du Poitou, de l'Aunis..., à
peine arrivé dans le Toulousain, il apprend que, voulant mettre fin à
une guerre privée, son sénéchal de Toulouse, Eustache de
Beaumarchais, s'était heurté à l'hostilité des comtes de Foix et d'Armagnac,
bravant outrageusement l'autorité royale. Il convoque aussitôt à Tours
les contingents de ses vassaux, commandés par le maréchal Ferry de
Verneuil. Devant la menace de ces forces armées, le comte
d'Armagnac implore la grâce du roi, contre une forte amende; le comte de
Foix, Roger Bernard, ayant d'abord refusé toute capitulation, fut
contraint à se rendre le 5 juin, emprisonné à Carcassonne et ses biens
saisis. La guerre se prolongea quelque peu : ce fut « l'ost de Foix ».
Ayant montré sa force et sa justice, Philippe glorieux, était de retour
le 25 août 1272 à Saint-Denis.
C'est alors que l'Empire étant toujours vacant, Charles d'Anjou,
148 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
roi de Sicile, agissant près de la Curie romaine, incita vivement son
neveu Philippe à poser sa candidature, mais sagement celui-ci évita de
se lancer dans l'aventure impériale, ce qui n'empêcha pas ensuite
quelques difficultés de ce côté-là. C'est alors aussi que le nouveau pape,
arrivant de Terre Sainte, envisageait la reprise de la croisade, mais il
comprit bientôt que l'urgence l'appelait à convoquer un concile, qui
devait siéger à Lyon du 7 mai au 17 juillet 1274. Cette idée de
recouvrer les lieux saints était bien ancrée dans l'esprit du roi, et c'est ainsi
que, le 25 juin 1275, le lendemain de la Saint-Jean-Baptiste, jour où
venait d'être couronnée la nouvelle reine, Marie de Brabant, à la Sainte-
Chapelle, lui-même, son entourage et de nombreux seigneurs français
et étrangers prirent officiellement la croix; or d'autres événements
survinrent et la pensée de la croisade, toujours envisagée et sans cesse
remise, finit par se perdre dans l'oubli.
Les successions de Navarre et de Castille furent l'occasion de
nouvelles guerres. En Navarre, le roi Henri (III), comte de Champagne,
était mort à Pampelune le 22 juillet 1274. De sa femme Blanche, sœur
du comte d'Artois, il ne laissait qu'une fille âgée seulement de trois
ans, riche héritière et du royaume de Navarre et du comté de
Champagne, déjà promise au fils du roi d'Angleterre, puis au fils du roi
d'Aragon. Veuve, Blanche, mal assurée de la fidélité des Navarrais,
se réfugia en France, et le pays « se perdait » entre les prétentions de
l'Aragon, de la Castille et l'insurrection de Pampelune (la « Navarre-
rie »). Les Navarrais implorèrent l'intervention du roi de France qui
avait accueilli la petite Jeanne destinée à devenir la femme de son fils
Philippe, et Blanche avait confié au roi de France la « garde
spéciale » de la Navarre jusqu'à la majorité de sa fille. Le sénéchal de
Toulouse, Eustache de Beaumarchais, en fut nommé gouverneur; se
trouvant devant une situation pleine d'anarchie, ce dernier fit appel
au roi de France qui ordonna à Robert d'Artois et au connétable Imbert
de Beaujeu de convoquer les contingents des sénéchaussées
méridionales : guerre difficile où ne manquèrent ni révoltes ni trahisons, ni
vengeances locales. L'ordre enfin rétabli à Pampelune, Robert d'Artois
assiégea et prit les châteaux rebelles, imposa la paix dans le royaume
de Navarre.
Presque simultanément, en Castille, l'infant Fernando ayant été
tué en combattant contre les Mores, son frère cadet, Sanche, revenant
victorieux, usurpa avec l'accord de son père Alphonse X, l'héritage des
royaumes de Castille et de Léon, qui devaient revenir aux fils de
Fernando et de Blanche de France, les « infants de la Cerda », petits-fils
de saint Louis, en violation des accords conclus lors du mariage de la
princesse Blanche. Enfin pour mettre le comble à cette situation
intolérable, la malheureuse dépouillée de son douaire et de tout revenu,
était retenue captive ainsi que ses enfants.
Pour obtenir raison, Philippe le Hardi envoya Jean d'Acre auprès
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 149
d'Alphonse X, dont il était lui aussi le cousin, mais il se heurta à un
refus. Ne pouvant tolérer de tels affronts faits à la maison de France,
Philippe déclara la guerre, leva l'oriflamme qu'il reçut à Saint-Denis
des mains de l'abbé Mathieu de Vendôme, et convoqua tous ses
vassaux vers la mi-septembre à Tours. Armée imposante qui, une fois
arrivée aux pieds des Pyrénées, à Sauveterre-de-Béarn, en octobre, par
un temps déplorable, dut être licenciée, faute de ravitaillement. . . Robert
d'Artois, qui venait de prendre Pampelune, conclut avec Alphonse X
des conventions honorables, à Vittoria (novembre 1276), mais la
question des infants de la Cerda demeurait pendante. La reine de C astiile,
Yolande d'Aragon, qui leur était favorable, les emmena, le 8 janvier
1277, chez son frère Pierre, roi d'Aragon, mais celui-ci ayant fait alliance
avec la C astiile conserva les « infants » sous bonne garde au château
de Xativa.
Les relations entre Philippe le Hardi et Alphonse X semblaient
s'améliorer. Un congrès réunit les deux rois à Mont-de-Marsan (1280),
et s'il y fut question des infants, ce fut sans aucun résultat et leur
délivrance n'intervint en effet que beaucoup plus tard.
D'autre part Pierre d'Aragon, mari de Constance, fille de Manfred
de Hohenstaufen, s'efforçait de faire valoir les prétentions de sa femme
sur le royaume de Sicile, en y suscitant troubles et soulèvements
contre Charles d'Anjou, le roi légitime (par investiture du Saint-Siège).
Le 30 mars 1282 la population de Palerme s'insurgea : ce furent les
Vêpres siciliennes, le massacre des Français et le cruel exode des
survivants par le port de Messine.
Accentuant la solidarité capétienne, Charles d'Anjou, depuis trois
ans déjà, avait cherché une étroite alliance militaire avec son neveu
Philippe. En 1279, et de nouveau en 1282, il avait envoyé à Paris, en
ambassade spéciale, son fils Charles, prince de Salerne.
Les hostilités contre Γ Aragon commencèrent par une expédition
au sud de la Sicile (cinq cents hommes d'armes), commandée par Pierre
d'Alençon et Robert d'Artois. Ces renforts parvinrent en Calabre, où
ils étaient à Reggio le 26 janvier 1283. Or, par une brève attaque de
nuit à Catona, les gens du comte d'Alençon furent surpris et lui-même
assassiné dans la chambre où il s'apprêtait à se saisir de ses armes, le
6 avril 1283, meurtre dont la nouvelle bouleversa son frère, Philippe
le Hardi.
Entre-temps devant la gravité de la situation, Charles d'Anjou,
laissant la régence à son fils, s'était lui aussi rendu à Paris, en passant
par Rome où il avait obtenu du pape Martin IV que Pierre d'Aragon,
ennemi du Saint-Siège, fût déclaré excommunié et destitué de son
royaume (21 mars 1283).
La présence du roi de Sicile auprès de Philippe le Hardi visait
certainement à la création prochaine d'un second front en atteignant
directement l'Aragon.
150 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Or les deux ennemis, également inquiets de la tournure prise par
les événements, avaient décidé de régler leur querelle en « champ
clos » à Bordeaux, par un duel mettant aux prises cent chevaliers de
part et d'autre, sorte de «jugement de Dieu », conforme à l'esprit
chevaleresque de l'époque, l'enjeu, en l'occurrence la Sicile, devant
revenir au vainqueur : tournois épique et merveilleux dont le résultat était
passionnément attendu par toutes les cours d'Europe. Finalement le
roi d'Aragon ne parut pas au jour fixé, la lice resta vide et le duel
n'eut pas lieu, au grand désappointement de Philippe le Hardi, fort
amateur de telles joutes. De Paris, il avait accompagné jusqu'à
Bordeaux son oncle Charles avec une escorte placée sous les ordres de Raoul
d'Estrées, maréchal de France.
Déjà à Bordeaux le légat du pape, le cardinal Jean Cholet, aurait
fait savoir que le Souverain Pontife pensait proposer à Philippe III de
choisir un de ses fils qui serait fait roi d'Aragon et comte de Barcelone
à la place de Pierre; mais, en présence de plusieurs incertitudes, le roi
demanda des éclaircissements à la cour romaine. Par une bulle du
26 août 1 283 Martin IV autorisait le cardinal Cholet à renouveler son
offre en proposant de promulguer une croisade contre l'Aragon. Dans
une assemblée de prélats et de barons tenue à Bourges, on décida de
délibérer sur cette grave question, mais sans y donner de réponse en
discutant notamment sur la levée de décimes (le nerf de la guerre).
Enfin le pape réitéra sa proposition, se disant prêt à étendre
l'excommunication à tous les partisans de Pierre d'Aragon. Une
assemblée solennelle se réunit à Paris, le 20 février 1284, où furent lues
et traduites les bulles pontificales et l'énoncé des conditions que
Martin IV attachait à la concession des royaumes d'Aragon et de Valence.
Le lendemain les deux ordres délibérèrent séparément dans deux
salles du palais. Discussion d'abord confuse. Puis, au nom du clergé,
l'archevêque de Bourges, et après lui Simon, seigneur de Nesle, pour
les barons dirent leur acceptation qui fut aussitôt confirmée par le roi.
Le cardinal légat exposa les décisions de Martin IV, le 27 mars,
en présence du roi et de tout le conseil, puis après avoir reçu les
promesses requises, investit Charles de Valois du royaume d'Aragon et
du comté de Barcelone, avec obligation d'en faire hommage à l'Église
romaine dans un mois, quand il aurait atteint l'âge convenable. On
sait par la correspondance échangée entre Mathieu de Vendôme, abbé
de Saint-Denis, et Edouard, roi d'Angleterre, les efforts désespérés qu'ils
tentèrent pour éviter la guerre.
Mais les dés étaient jetés. L'expérience des précédents échecs fit
que, outre une active prédication de la « croisade », l'année 1284 tout
entière fut consacrée à la préparation de la guerre sur terre et sur mer.
En mars 1285, Philippe, pour la seconde fois leva l'oriflamme à Saint-
Denis, que l'abbé Mathieu dut lui remettre, bien certainement à
contrecœur. Et l'armée se dirigea vers Narbonne avec tous les équipements
et le ravitaillement nécessaires.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 151
En mai 1285, Philippe occupa le Roussillon qu'avait prudemment
évacué Pierre d'Aragon, ce qui n'empêcha pas Perpignan d'être pillée
et Eine entièrement détruite. Pierre avait retranché solidement ses
forces pour verrouiller les passages des Pyrénées; mais le col de
Mançana avait été oublié, que franchirent les hommes du comte
d'Armagnac et du sénéchal de Toulouse.
Dès lors, les montagnes n'étant plus un obstacle, les Français
dévalèrent dans la campagne et occupèrent Peyralade abandonnée et
incendiée par les Almogaraves; puis Figuières fut emportée ainsi que
plusieurs localités et châteaux, dont celui de Lers, où le légat donna
à Charles de Valois l'investiture de la Catalogne. Les ports de Rozas,
de Guixols et de Cadaquès tombèrent aux mains des Français qui
étaient ainsi ravitaillés par l'escadre de l'amiral Guillaume de Lode ve
manœuvrant d'autant plus aisément que la flotte aragonaise était dans
les eaux de Sicile.
Ce ravitaillement par mer était très ingénieux. Mais plusieurs
combats navals détruisirent puis capturèrent par surprise les galères
françaises d'abord dans le port de Rosas où Guillaume de Lodève fut
fait prisonnier; puis la flotte de Roger de Loria arrivée de Sicile, forte
de soixante-dix galères, surprit de nuit quatre-vingts vaisseaux
mouil és dans les parages d'Aguafreda qui furent dispersés et en majeure partie
pris et convoyés à Barcelone ; enfin vingt autres galées venant des côtes
de France, chargées des vivres et de l'argent destinés aux troupes, furent
également capturées. Et ce fut un grand malheur.
Les Français assiégeaient Girone depuis le 27 juin. Devant la
résistance des assiégés, Philippe le Hardi fit fabriquer une énorme machine
pour renverser les défenses de la place : elle fut incendiée ; la ville
capitula enfin le 7 septembre.
Mais le désastre naval interrompant et la solde et le ravitaillement
entraînait le découragement ; la chaleur torride contribuait à la
lassitude; à quoi s'ajoutèrent bientôt la puanteur des cadavres et la
maladie : le roi lui-même était atteint de fièvres pestilentielles. Ce fut la
retraite, sous une pluie torrentielle. Un dernier combat d'arrière-garde
contre les Almogaraves permit de franchir les Pyrénées.
Arrivé à Perpignan, Philippe le Hardi expira le 5 octobre 1285.
Dans Girone, Eustache de Beaumarchais tint encore une semaine;
à bout de vivres, il dut rendre la ville aux Aragonais, le 12 octobre.
Voulue par Charles d'Anjou pour abattre son ennemi Pierre
d'Aragon, puis par Philippe le Hardi, pour venger la mort de son frère Pierre
d'Alençon, approuvée par l'assemblée de Paris pour donner un royaume
à Charles de Valois, transformée en guerre sainte par la grâce de
Martin IV et la bénédiction du cardinal-légat Jean Cholet, cette croisade,
injustifiable entre chrétiens, se termina par un désastre.
152 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Charles d'Anjou

Sur les onze enfants que Blanche de Castille donna au roi Louis VIII,
elle mit au monde neuf fils, et le dernier, né en 1226, fut Charles bien
connu sous le nom de Charles d'Anjou, car il reçut en apanage cette
province en exécution des volontés de son père3.
Comme pour saint Louis, nous ignorons quels furent ses maîtres,
mais supervisées par la reine Blanche, leur éducation et leur
instruction de jeunes princes chrétiens dut être sensiblement la même — bien
qu'à douze ans d'intervalle — et avec un garçon d'un tout autre
caractère.
Très tôt son nom, Charles, pour la première fois donné à un prince
de la dynastie capétienne, et ses qualités, puis sa renommée de preux,
le firent comparer à Charlemagne, et on attendit de lui de grandes
choses.
Il épousa le 31 janvier 1246 Beatrix de Provence, quatrième fille
et héritière de Raimond Bérenger V, qui lui apporta « la grande dot
provençale » (Dante) ; armé chevalier en mai de la même année, il fut
investi de son apanage le comté d'Anjou ainsi que du Maine au mois
d'août suivant.
Il accompagne le roi Louis partant pour la croisade (12 juin 1248)
et s'embarque à Aiguës-Mortes (28 août), est fait prisonnier après
Mansourah en 1249 : et ce sera plus particulièrement de cette
campagne d'Egypte qu'il parlera dans ce que nous savons de sa déposition
pour la canonisation de saint Louis, publiée plus haut.
Après sa délivrance, il suit le roi en Terre Sainte, mais, très tôt
sur son ordre formel, il doit avec son frère Alphonse regagner la France ;
or à peine débarqué, en octobre 1250, il lui faut dompter la révolte
ouverte d'Avignon, Arles et Marseille (avril-juin 1251), qui avaient
conclu contre lui une alliance défensive d'une durée de cinquante ans.
Il assiste à la mort de Blanche de Castille à Maubuisson, le 27
novembre 1252, mais laisse le gouvernement du royaume à son frère
Alphonse, sous l'autorité nominale de leur neveu le prince héritier
Louis, âgé d'un peu moins de dix ans. En ce même temps, le pape
Innocent IV sollicitait avec insistance Charles d'Anjou pour lui faire
accepter la couronne de Sicile, royaume vassal du Saint-Siège, qu'il
fallait conquérir sur les héritiers de Frédéric II et plus particulièrement
sur son fils Conrad IV, mais finalement les négociations, qui avaient
duré deux années, n'aboutirent pas.
Charles, répondant à l'appel de Marguerite de Flandre contre
Guillaume de Hollande, dirigeait alors ses ambitions vers ces contrées
du nord de la France, profitant de la querelle des d'Avesnes et des
Dampierre, ces frères ennemis. Il prit possession du Hainaut et,
maître de Valenciennes (fin 1253), s'apprêtait à occuper le comté de
Flandre, et déjà allait assiéger Douai, lorsque le roi, de retour à Paris
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 153
(4 septembre 1254), obligea bientôt les belligérants à observer puis à
prolonger les trêves conclues par les soins du cardinal-légat et termina
ce conflit en prononçant le « dit » de Péronne (24 septembre 1256);
dès le lendemain, Charles renonçait à ses droits sur le Hainaut.
Après cette tentative flamande, qui ne fut pas pour lui sans profit,
Charles retourna dans son comté de Provence où, en son absence, ses
sénéchaux, capables et énergiques, s'étaient montré administrateurs
habiles et efficaces.
Désormais la destinée de Charles d'Anjou s'affirme définitivement
méditerranéenne. Sans retard, il remporte deux succès en obtenant de
sa belle-mère sa renonciation à toute souveraineté sur le comté de
Forcalquier (6 novembre 1256) et en réduisant une nouvelle fois
l'indépendance de Marseille (2 juin 1257). Mais bientôt ses visées s'étendent
vers l'est : acquisition du comté de Vintimille (19 janvier 1258);
pénétration en Piémont et dans la haute vallée du Pô, accords conclus en
Lombardie avec les villes guelfes.
Aussi, lorsque les négociations favorablement engagées par
Urbain IV avec la cour de France aboutirent le 17 juin 1263 à un projet
faisant de Charles d'Anjou le champion de la papauté dans la
péninsule, celui-ci fut trop heureux de l'accepter, malgré les stipulations
rigoureuses qui y étaient incluses. D'ailleurs entre-temps, il fut élu sénateur
par les Romains, ce qui lui donnait un pouvoir au sein même des États
pontificaux. Il fit son entrée dans la Ville Éternelle et, dédaignant le
Capitole, s'installa au palais du Latran : le 21 juin il reçut les insignes
de sénateur, et, le 28, quatre cardinaux l'investirent du royaume de
Sicile. Mais Urbain IV mourut le 2 octobre 1264. Heureusement son
successeur, le Français Gui Foucois qui prit le nom de Clément IV
(1264-1268) se montra tout dévoué à la cause de l'Angevin. Et tandis
qu'une armée considérable franco-provençale, rassemblée à Lyon le
1er octobre, se dirigeait vers le sud, Charles était solennellement
couronné roi de Sicile le 6 janvier 1266 à Saint-Pierre, en présence de Beatrix
de Provence, enfin devenue reine, comme l'étaient déjà ses sœurs les
reines de France et d'Angleterre. L'indispensable « nerf de la guerre »
fut obtenu grâce aux banquiers guelfes qui avaient été bannis de Sienne
et de Florence par les gibelins.
Arrivée quelques jours plus tard à Rome, l'armée franco-provençale
augmentée de guelfes et de Romains ne tarda pas à entrer en contact
avec les Allemands et les gibelins de Manfred, bâtard de Frédéric II
et excommunié. Les hostilités se précipitèrent : après une première
bataille victorieuse à San Germano (auj. Cassino) le 10 février, et la
reddition de trente-deux châteaux, ce fut quinze jours plus tard la
victoire de Bénévent, où Manfred se jetant dans la mêlée trouva la
mort en combattant (25 février 1266). Une suspension d'armes permit
à Charles d'envoyer ses troupes en Toscane, où elles rétablirent les
guelfes à Florence et à Lucques (avril-mai), et c'est alors que mourut
154 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
à Nocera Beatrix de Provence (juillet 1267). Ce fut ensuite la victoire
définitive de Tagliacozzo, le 23 août 1267, où périt glorieusement revêtu
des insignes royaux Henri de Courances, maréchal de France, tandis
que, en pleine déroute, le prince de Souabe, Conradin, petit-fils de
Frédéric II, et les principaux chefs de sa coalition prenaient la fuite et purent
se croire sauvés en quelque bon refuge; or, ils furent livrés à Charles,
incarcérés à Palestrina, puis transférés au château de l'Oeuf à Naples.
C'est là qu'après un procès de façade, ils furent exécutés publiquement
quelques semaines plus tard sur une place de la ville : sentence qui fut
et qui sera longtemps blâmée en Allemagne et en Italie. Mais on omet
de rappeler que, le matin même de la bataille, Conradin avait fait
décapiter Jean de Brasseuse, maréchal du roi de Sicile, qu'il détenait
prisonnier. La campagne angevine s'acheva par la capitulation de Lucera
(27 août 1269), après un siège de plusieurs mois.
Après ces deux victoires déterminantes de Bénévent et de
Tagliacozzo, Charles d'Anjou fit construire, en action de grâces, deux abbayes
cisterciennes qu'il appela Santa Maria della Vittoria et Real- Valle,
vocables évoquant les abbayes françaises de la Victoire créée par
Philippe Auguste au lendemain de Bouvines, et Royaumont,
fondation prestigieuse de saint Louis. Entre-temps il convola en secondes noces
en épousant, au début de novembre 1268, à Trani, Marguerite de
Bourgogne, qui lui apporta en dot le comté de Tonnerre et reçut en douaire
la cité du Mans.
Les derniers points de résistance ayant été réduits, le royaume
de Naples et la Sicile n'avaient plus qu'à se soumettre aux lois de son
« libérateur » qui pendant une dizaine d'années administra ses
nouveaux états de façon remarquable, selon des règles fermes et avec une
habileté peu commune.
La collaboration entre le Royaume et le Saint-Siège fut excellente,
sauf sous le pontificat de Nicolas III (1277-1280). Et c'est alors que
le chroniqueur Giovanni Villani, souvent assez peu favorable, pouvait
écrire : « En ces temps, c'est-à-dire dans les années du Christ 1279,
le roi Charles, roi de Jérusalem depuis janvier 1277 et de Sicile était
le plus puissant roi et le plus redouté, sur terre et sur mer, plus que
tout autre roi des chrétiens. » Ce fut aussi pendant cette année-là que
— en prévision d'un avenir incertain — Charles envoya son fils aîné,
le prince de Salerne, auprès de son neveu, le roi de France Philippe
le Hardi qui lui réserva l'accueil le plus glorieux ; il l'honora par la tenue
exceptionnelle de tournois au cours desquels les chevaliers luttèrent en
véritables combattants, faisant ainsi la démonstration éclatante de la
force militaire de sa chevalerie (mai 1279).
En effet, un certain malaise couvait çà et là, du fait des lourds
prélèvements fiscaux, des exactions de divers officiers royaux et de la
présence de nombreux Français et Provençaux auxquels Charles avait
distribué terres et seigneuries, devenues vacantes par la mort, la con-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 155
fiscation ou l'exil, voire même quelque dignité ecclésiastique —
mécontentement spontané, sans aucun doute, mais soigneusement attisé par
Pierre III, roi d'Aragon, lequel prétendait faire valoir, en dépit du Saint-
Siège, les droits de sa femme Constance, fille de Manfred, sur la Sicile.
Et soudain, alors que Charles se préparait à partir pour l'Orient
(Constantinople ou Jérusalem?), éclata dans la soirée du lundi 30 mars
1282, le soulèvement populaire connu sous le nom de « Vêpres
siciliennes », et le massacre des Français, à Palerme, qui s'étendit
rapidement à toute la Sicile, n'épargnant pas ceux qui s'étaient rergroupés
à Messine, dans l'espoir de sauver leurs vies en passant le détroit...
mais la flotte qui devait les transporter avait été détruite.
Certaines incursions pénétraient même en Calabre ultérieure. Ne
doutant pas de son succès, Pierre d'Aragon débarquait à Trapani, port
de la côte ouest de la Sicile, le 30 août, et se faisait couronner à Palerme
à l'automne, le 4 septembre 1282.
Nullement découragé, Charles envisagea la reconquête de l'île
et demanda des renforts à la Provence et à tous ses alliés (Gênes, Pise,
Florence), surtout à la France, où il dépêcha de nouveau son fils aîné
à Paris. Aussitôt Philippe III avertit 1 'Aragonais que toute aide aux
rebelles serait considérée comme un acte d'hostilité contre la France ;
II accorda un prêt de 15.000 livres tournois et donna l'autorisation de
passer dans le royaume de Naples à son frère Pierre d'Alençon, à son
cousin Robert II d'Artois, aux comtes de Saint-Pol et de Dammartin,
et à beaucoup de gentilshommes.
C'est alors qu'intervint entre Charles d'Anjou et Pierre d'Aragon
un arrangement assez singulier, s'en remettant à une sorte de
jugement de Dieu : un duel en champ clos qu'ils se livreraient à Bordeaux,
chacun à la tête de cent chevaliers. Avant de partir, le 12 janvier 1283,
Charles avait nommé le prince de Salerne vicaire du royaume, assisté
du légat pontifical, Gérard de Parme. Par Rome où il s'entretint avec
le pape, par Florence et Marseille, Charles se rendit à Paris, où il eut
les échanges de vue que l'on imagine avec son neveu le roi Philippe,
et tous deux, bien escortés, rejoignirent Bordeaux, comme il avait été
convenu (le 1er juin 1283). Annoncé à toute l'Europe, ce « duel de
Bordeaux » fut une véritable comédie, chacun des adversaires se
présentant bien au rendez- vous, mais s 'arrangeant pour ne pas se trouver
le même jour que l'autre dans le champ clos.
Les activités militaires n'avaient pas cessé pour autant, les Ara-
gonais et les terribles Almogaraves occupant la Calabre
méridionale, et le Saint-Siège en la personne de Martin IV déclarant la «
croisade » contre Pierre III, excommunié (13 janvier 1283). Celui-ci avait
pu entrer dans Reggio, sans rencontrer de résistance (le 14 février);
et le 6 avril les Almogaraves, réussissant un coup de main de nuit sur
la base navale de C atona, mirent hors de combat les chevaliers qui
devaient assurer la garde de Pierre d'Alençon, et tuèrent dans sa
156 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
chambre, alors qu'il était en train de s'armer, ce prince, fils de saint
Louis et frère de Philippe III.
Avant son départ pour la Guyenne, Pierre d'Aragon avait confié
le gouvernement de la Sicile à sa femme Constance, assistée de grands
officiers, dont le fameux amiral Ruggero di Lauria. Le principal ennemi
de Γ Aragon restait la France. Aussi fut-ce une véritable réussite
diplomatique pour Charles d'Anjou d'obtenir du pape que Pierre fut déclaré
déchu (21 mars 1285), que la couronne d'Aragon fût offerte au frère
de Philippe le Hardi, Charles de Valois, et qu'enfin la guerre sainte
fût proclamée entre Paris et Barcelone.
Mais le sort fut absolument contraire aux projets des deux ennemis.
Sans doute Charles apprit-il qu'en France l'année 1284 toute entière
fut consacrée à la préparation de la « croisade » : prédication, levée
d'argent et rassemblement d'une grande armée. Mais il ignora même
le commencement des hostilités, l'occupation du Roussillon (mai 1285),
le sac d'Elne, le long siège de Girone en Catalogne, qui, prise le
7 septembre dut être abandonnée le 13, faute de ravitaillement (le fameux
amiral de Loria ayant anéanti la flotte franco-provençale dans les parages
d'Aguafreda et de Rosas) ; et comment, saisie par le découragement
et la maladie, l'armée de Philippe III dut battre en retraite,
repasser les Pyrénées ; le roi malade lui-même allant mourir à Perpignan
(5 octobre). C'était la défaite. Semblablement il ignorait la mort de son
grand allié Martin IV, le 28 mars 1285 — et celle aussi de son
adversaire Pierre d'Aragon, en novembre suivant.
Après une absence de plus d'un an (janvier 1283-juin 1284),
lorsque Charles venant de Marseille débarqua à Naples (4 juin) il apprit
que, contrevenant à ses ordres, son fils Charles, prince de Salerne, avait
livré une bataille navale dans le golfe de Naples, et que, non seulement
sa flotte était perdue, la victoire revenant à l'amiral de Loria, mais que
le prince lui-même était retenu prisonnier des Aragonais à Messine !
A la nouvelle de ce désastre, il se moqua de son fils, dont il dit qu'il
eût préféré le savoir mort. Il envoya à la potence 150 rebelles, reprit
la lutte, mais ne réussit pas à délivrer Reggio (fin juillet), et, contraint
d'abandonner la Caläbre, il se retira au début de septembre dans les
Pouilles. Et les Almogaraves en profitèrent pour remonter jusqu'aux
frontières du Principat et de la Basilicate.
Aussi bien la mentalité des populations se détériorait et dans l'armée
et la marine les désertions se multipliaient. Charles dut remettre son
expédition au printemps suivant, il utilisa ce délai pour achever la
réforme de l'administration.
Mais il était épuisé et, le 6 janvier 1285, prit ses ultimes
dispositions, désignant pour lui succéder son petit-fils Charles-Martel pour
le cas où le prince de Salerne ne pourrait recevoir la couronne ;
recommandant ses héritiers au roi de France, et renouvelant au pape la
délégation qu'il lui avait donnée deux ans auparavant pour le gouverne-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 157
ment et la réforme du royaume. Sous réserve de l'approbation
pontificale, il laissait la régence à Robert d'Artois qu'il avait déjà promu vicaire-
général de la Sicile au mois d'août précédent, et confiait les fonctions
de capitaine général à son chambrier, Jean de Montfort.
Le lendemain, 7 janvier 1285, à Foggia, il s'éteignit dans des
sentiments de foi profonde et la satisfaction d'avoir bien servi l'Eglise. Son
corps fut inhumé dans la cathédrale de Naples et son cœur dans la
chapelle des Jacobins de Paris. Sa veuve Marguerite se retira dans son comté
patrimonial et, exerçant les œuvres de charité, fonda l'hôpital de
Tonnerre et y mourut sans avoir eu d'enfant le 5 septembre 1308.
On a lu plus haut les « enseignements » laissés par saint Louis à
son fils Philippe le Hardi. Il ne paraît pas sans intérêt d'en rapprocher
les avis (ou conseils) donné peu de temps après par Charles d'Anjou,
roi de Sicile à l'intention de ce même Philippe, son neveu, devenu roi
de France, lorsqu'il fut question pour lui de poser sa candidature à la
Couronne impériale4.
Voici donc ses « raisons » :
1. Premièrement il doit prendre son appui en Dieu, et, s'il fonde
ses aspirations et ses actions sur une pareille base, à savoir le service
de Dieu, elles seront élevées et fortes, sans crainte de trébucher ni de
faillir. Et ne sera ennemi ni de Dieu ni des hommes, celui qui s'appuiera
sur une telle base.
2. Un prince, un roi ne doivent pas désirer les honneurs terrestres
pour eux-mêmes, mais toutes choses pour le service de Dieu.
3. S'il observe les actes de ses aïeux, il ne peut s'écarter d'accomplir
le service de Dieu. Voyez son père qui fut le « prud'homme » que l'on
sait, et qui par deux fois se rendit outre-mer, et y mourut sous le signe
de la croix ; le roi Louis, son (grand) père, qui se croisa contre les
Albigeois, et mourut à son retour; et le roi Philippe (Auguste) et qui fut
lui aussi croisé, avec le roi Richard.
4. Qui est issu d'une haute origine doit considérer les hauts faits
de ses prédécesseurs et les imiter; s'il y a chez eux quelque fait qui ne
soit pas digne de louanges, il a le devoir de s'en écarter.
5. A fils de « prud'homme » l'on demande plus qu'à celui d'un
médiocre. Voilà bien pourquoi je lui dis, outre-mer, que, de même que
son père avait été meilleur que son propre père, il lui importait à son
tour de devenir meilleur que lui.
6. Dieu a comblé de grâces le roi, et tellement que celui-ci doit
bien le servir en retour. Il est jeune et vertueux, capable de souffrir
au service de Dieu plus que ne pouvait le faire son père au même
âge, plus riche que lui et (comme lui) généreux, patient, juste et
courageux.
7. Toutes ces qualités conviennent parfaitement à un grand prince
et à un homme appelé à exercer le pouvoir suprême.
8. Il y a diverses manières de conduire sa vie; certes il importe
158 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
à chaque âge de faire son choix. Mais à un jeune, il ne convient pas
de porter la haire et de se livrer à des comportements semblables (si
bons soient-ils).
9. Si donc, comme je viens de le dire, le roi est tenu d'assurer
le service de Dieu, il est tout indiqué pour lui de prendre la voie qui
permet de se saisir de l'Empire, puisqu'elle est libre, ouverte et sans
obstacle. S'il veut faire son devoir, il n'est pas d'autre moyen que de
s'en saisir. Le royaume de France n'est qu'un (simple royaume). Ses
rois qui sont allés outre-mer pour accomplir le service de Dieu, s'y sont
essayés et ont rempli leur devoir. On sait combien ils lui ont apporté
de profit : voilà pourquoi on pourrait dire au roi qu'il aurait tort de
se tourmenter du fait que le « soudan » actuel est plus fort que n'étaient
les « soudans » ses prédécesseurs. Or, s'il devenait empereur il lui serait
possible de rassembler la chevalerie du monde entier.
10. Et puis il lèverait à meilleure condition sa propre chevalerie :
« est bientôt prise la souris qui ne peut sortir de son trou que par une
seule issue ».
11. Si un autre est empereur et qu'il soit bon, s'il va au service
de Dieu comme le roi y va, les chrétiens ne seront pas soumis à une
seule et même domination, et en conséquence ils seront désunis. C'est
bien cela qui nuisit lourdement au roi Philippe et au roi Richard quand
ils furent outre-mer ; d'une telle désunion outre-mer naîtra bien vite
une irritation réciproque.
12. S'il est à la fois roi de France et empereur de Rome, il n'aura
guère à se soucier de ceux qui ne sont que rois.
13. Certains diront que c'est facile à dire, mais difficile à faire.
Que le roi puisse faire régner la justice et avoir en paix l'Empire, je
démontre que la chose est facile. Il a alliance ou parenté avec six
rois : C astiile, Aragon, Navarre, Angleterre, Sicile, et même Hongrie,
puisque le roi de ce pays a épousé la fille du roi de Sicile. Il ne resterait
donc qu'à faire alliance avec un petit nombre d'Allemands (et le roi
en a bien les moyens) ; quant à l'Église, elle est toute disposée à lui laisser
les mains entièrement libres.
14. Aussi bien, le roi ne prend l'Empire que pour faire le service
de Dieu, afin de pouvoir rassembler une chevalerie plus puissante
contre les ennemis de la foi. Il ne le prend pas comme un héritage, ni
principalement pour recouvrer tous les droits de l'Empire ou rétablir
la paix entre dix Lombards et quarante Toscans, s'ils tiennent à être
séparés et à rester en désaccord : la chose ne le regarde pas, n'étant
pas de son héritage. Ainsi l'entreprise est bien plus aisée qu'il n'y paraît.
15. Enfin ce serait un grand honneur pour la noblesse de France,
et grand profit, que son seigneur soit au-dessus de tous les seigneurs
du monde. Je sais que cette raison n'est pas suffisante, sans celles qui
ont été précédemment exposées.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 159
La foi de Charles d'Anjou est manifeste et l'on a des témoignages
certains de sa piété (Salimbene). Son courage, son audace, son
ambition sont aussi bien connus. Ses « raisons », qu'on vient de lire,
montrent qu'il partageait les projets de croisade qui hantaient alors
l'esprit de Grégoire X, tout nouvellement élu au Souverain pontificat
à son retour de la Terre Sainte, et, dans les vues du roi de Sicile, la
promotion de son neveu à l'Empire favoriserait ce grand projet devant
aboutir à la conquête de Jérusalem et à la délivrance du tombeau du
Christ indûment détenu par les infidèles. Dans cet élan de toute la
chrétienté unie sous la préséance de la France, le royaume capétien et sa
dynastie en retireraient une immense gloire, et puis, lors de ces
conquêtes le roi Charles saisirait bien quelque chance de recueillir pour
lui aussi une couronne impériale...
Rêves grandioses sans lendemain! D'abord « le petit nombre
d'Allemands » se montra plus réticent que prévu : sur les sept princes
électeurs de l'Empire, seuls les archevêques de Cologne et de Mayence
étaient entrés dans le jeu. De son côté, le pape jugea plus urgente que
la croisade la tenue d'un concile à Lyon pour réformer les abus qui
s'étaient glissés dans l'Église, et pour tenter un rapprochement avec
l'Eglise grecque ; et certains membres du collège cardinalice n'étaient
pas sans inquiétude devant l'accroissement incessant de la puissance
de Charles d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, sénateur de Rome, et
fort influent dans le nord de la péninsule. Quant au roi de France,
Philippe, et à ses conseillers, ils ne crurent pas à propos de se lancer dans
une pareille aventure.
Mais les « raisons » du roi de Sicile, destinées à son neveu Philippe,
et émanant du frère de saint Louis, n'en conservent pas moins pour
nous un indéniable intérêt, surtout sur le plan religieux.

PIERRE D'ALENÇON

Cinquième fils de saint Louis, Pierre naquit en 1251, en terre


d'outre-mer, alors que ses parents étaient en Palestine, et plus
précisément à Châtel-Pèlerin, l'une des forteresses élevées par les Templiers.
A la demande du roi, il eut pour parrain le grand maître du Temple,
qui était alors le Champenois Renaud de Vichier.
Ce prénom de Pierre qui lui fut donné atteste l'intention qu'avait
saint Louis de le destiner, dès son baptême, à mener une vie de
religieux, et ce fut aux frères mineurs qu'il confia son éducation, mais
finalement il n'entra pas en religion.
Début juillet 1262, Pierre assista à Clermont-en- Auvergne aux
cérémonies assez mouvementées du mariage de son frère aîné, le prince
héritier Philippe, avec l'infante Isabelle d'Aragon. L'année suivante,
160 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
en février 1263, étant encore fort jeune, il fut accordé en mariage à
Jeanne, fille de Jean de Châtillon, comte de Blois et de Chartres, et
d'Alix de Bretagne. Jeanne avait alors neuf ans et devait apporter en
dot le comté de Chartres 5.
Pierre suivit docilement son père dans ses diverses pratiques de
piété, par exemple lorsqu'il lavait les pieds de treize pauvres, ou à Véze-
lay lors de la translation des reliques de Marie-Madeleine (24 avril 1267),
ou à Paris lors des fêtes qui marquèrent la « chevalerie » de son frère
aîné, le prince Philippe. Au moment de partir pour la croisade (15 mars
1270) — détail significatif — Pierre accompagna son père nu-pieds,
comme lui, depuis le palais de la Cité jusqu'à Notre-Dame, à la
différence de son frère Philippe et de son cousin Robert d'Artois, qui eux
suivirent le même parcours, mais les pieds bien chaussés.
Avant de s'en aller pour cette expédition lointaine, saint Louis
décida d'attribuer un apanage à chacun de ses enfants. Pierre reçut
les comtés d'Alençon et du Perche (avec Mortagne), apanage augmenté
bientôt d'une rente de 2.000 livres sur le Trésor.
Embarqué à Aiguës-Mortes, sur la même nef que le roi, « la Mont-
joie », et parvenu au royaume de Thunes, il fut présent aux derniers
moments de son père. Le nouveau roi, Philippe le Hardi, malade lui
aussi, désigna alors « son frère très cher » pour être le « tuteur,
défendeur et garde de son royaume » et élever ses enfants, au cas où il
viendrait à mourir avant que son fils aîné n'ait atteint sa majorité, à l'âge
de quatorze ans accomplis : mesure de prudence qu'il renouvela dès
son retour à Paris (21 mai 1271). Mais Pierre n'eut pas à assumer les
responsabilités d'une régence.
Après deux mois d'un deuil sévère, la famille royale se rendit à
Reims, où les fêtes du sacre de Philippe III furent célébrées le 15 août
avec beaucoup d'éclat : fastueuse circonstance au cours de laquelle le
roi adouba son frère Pierre d'Alençon, ainsi que trente-six autres
chevaliers qui, suivant l'usage, reçurent chacun une robe de soie; de
leur côté, les ménestrels eurent leur part des largesses accoutumées.
C'est en ce temps-là, soit avant soit après les cérémonies du
couronnement, que le prince Pierre, âgé de vingt ans, épousa Jeanne de
Châtillon qui lui apporta donc comme convenu le comté de Chartres ;
et bientôt après il devait succéder à Jean de Châtillon, son beau-père
(t 1279), dans le comté de Blois et les seigneuries d'Avesneset de Guise
(en Thiérache).
De leur union naquirent deux fils, Louis et Philippe, mais ils
moururent tout jeunes, le premier à un an, le second à quatorze mois, et
furent inhumés à Royaumont.
En décembre 1277, Pierre reçoit du roi une rente de 6.000 livres
sur le Temple, en augmentation de son apanage. On possède de lui
quelques missives adressées « à haut prince et noble son cher et amé
cousin » Edouard Ier, roi d'Angleterre, attestant de leurs bonnes rela-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 161
tions. L'une d'elles, expédiée de Rouen à la demande de l'archevêque
Guillaume (de Flavacourt), prie le roi de bien vouloir recevoir par
procureurs la « féauté » que lui doit le prélat. Récemment de retour de
la cour de Rome où, tombé malade, il a eu beaucoup « de peine et de
travail », Guillaume prend maintenant en charge son archevêché dont
le siège est resté longtemps vaquant, aussi a-t-il fort à faire. Enfin
« il redoute la mer », parce qu'elle lui est « moult contraire si comme
il dit » (21 août 1278). Cette allusion au mal de mer dut bien faire
sourire Pierre d'Alençon, qui depuis fort longtemps avait traversé la
Méditerranée en tous sens.
En 1281, il acquiert d'Archambaud, comte du Périgord, la moitié
de l'hôtel ayant appartenu à son oncle Alphonse de Poitiers, sis à
Paris, « rue d'Ostriche », non loin du Louvre. La même année, le
15 octobre, il est à Mâcon et prononce une sentence arbitrale entre
l'archevêque de Lyon et Louis, seigneur de Beaujeu. Il dut aussi
participer en cette même ville à l'assemblée des nombreux seigneurs que
la reine Marguerite avait alors convoqués pour exposer « le droit qu'elle
avait en la terre de Provence et le tort considérable que le roi de Sicile
lui avait fait ». Il s'agit du grand différend qui, depuis près d'un quart
de siècle, séparait à ce propos Marguerite et son beau-frère Charles
d'Anjou, différend pour lequel elle avait le soutien assuré de son neveu
le roi d'Angleterre, Edouard. Philippe le Hardi de son côté n'y faisait
aucune opposition. Mais cette affaire de Provence ne devait pas
recevoir de solution avant la mort de Charles d'Anjou.
L'année 1282 fut déterminante pour Pierre d'Alençon. C'est alors
entre le 12 juin et le 8 août qu'il dut se rendre à l'abbaye de Saint-
Denis pour apporter à la commission pontificale son témoignage sur
la vie de son illustre père, et en fait sur sa mort, ainsi qu'on l'a vu;
à la vérité sa déposition ne dut pas le retenir plus d'une journée, voire
même une matinée.
Mais surtout, cette année-là, il prit la décision de répondre à l'appel
à la rescousse lancé par Charles d'Anjou qui avait d'urgence envoyé
pour la seconde fois à Paris son fils aîné, le prince de Salerne, car, après
le massacre des Vêpres siciliennes (30 mars 1282), la situation se
dégradait dangereusement dans son royaume de Naples et de Sicile. C'est
apparemment pour la préparation, et en prévision de lourdes dépenses
de cette expédition, que Pierre emprunta les grosses sommes d'argent
qui sont portées au compte du bailli de Tours pour le terme de
l'Ascension 1282, soit 28.745 livres tournois, plus un prêt de 500 livres
consenti par le Temple.
Dans ces conditions, on comprend que subsistent d'assez
nombreux actes de cette année intitulés an nom de Pierre d'Alençon, car,
avant son prochain départ, il entendait régler le plus d'affaires
possibles — la plupart d'intérêt local (prieuré de Roinville, mars 1281/1282 ;
abbaye du Mont-Saint-Martin, mai 1282; abbaye de Saint-Maur-

11
162 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
des-Fossés, pour la dîme du vin de Centigny, juillet 1282; fin d'un
différend avec son « amé et féal » Mahieu de Trie, seigneur de Fon-
tenay, par l'inféodation en hommage lige d'une rente de 200 livres
(28 juillet 1282).
Deux actes de ce même mois de juillet revêtent une importance
toute particulière et attestent mieux encore sa volonté de ne rien
laisser en suspens derrière lui, avant son départ. C'est d'abord la
constitution du douaire de 2.000 livres parisis de rente, dont 400 sur la ville
et seigneurie de Manou au Perche, et 1.400 sur le Temple à Paris,
qui sera versée après sa mort à sa femme, Jeanne de Châtillon (acte
daté de Paris, le mardi, veille de la Madeleine : 21 juillet 1282, bientôt
confirmé par le roi Philippe le Hardi, étant à Beaumont-sur-Oise).
C'est ensuite son premier testament, concernant — après la
formule classique du paiement de toutes ses dettes — la longue liste des
legs faits à des établissements religieux ne comptant pas moins d'une
centaine de destinataires, énumérés avec beaucoup d'ordre : d'abord
les chapitres généraux de Cîteaux, Cluny, Prémontré, Grandmont,
Chartreux, Trinitaires, Val des Écoliers, Val des Choux, frères
prêcheurs, frères mineurs et frères de la Pénitence de Jésus-Christ (soit
onze) ; les chapitres provinciaux (au nombre de trois) ; les abbayes et
couvents d'hommes puis de femmes : frères prêcheurs et mineurs,
frères trinitaires, sœurs de saint Dominique, béguines, filles-Dieu, puis,
après quelques autres monastères, les Maisons-Dieu et Maladreries,
les Bons Enfants et autres écoliers, les pauvres honteux, auxquels seront
distribués « soulers et buriaus », enfin trois « gentes femmes » à marier,
et de même « six povres femmes non gentils-femmes ».
Dans cette longue enumeration, on doit relever les abbayes vers
lesquelles sa pensée est plus intimement attachée pour raison familiale,
et à cet égard la liste en est assez remarquable : Saint-Denis,
naturellement, où reposent et son père et tous ses aïeux, Royaumont (où sont
les corps de ses deux fils morts jeunes), Notre-Dame la Royale (Mau-
buisson), « où git la reine Blanche », Le Lys près Melun, où se trouve
son cœur, La Barre (près Château-Thierry), où gît sa chère sœur
(Isabelle), et Clairvaux où est son cœur, le couvent des prêcheurs de
Provins, où gît le cœur de son cher (beau) « frère le roy Thibaut », mais
encore l'abbaye « delez Saint Cloust » (Longchamp) dans laquelle « gist
nostre chière tante » (Isabelle, sœur de saint Louis). — Dans les deux
cas un legs est destiné à l'œuvre d'une église, qui devait être alors en
construction : celles des nonnains de La Barre et l'église de
Vendières-sous-Montmirail .
Suit l'élection de ses sépultures par Pierre d'Alençon : « de nostre
orde charoigne, chés les frères meneurs de Paris », et de « nostre
mauves euer, chés les frères prêcheurs de Paris ».
Après quoi sont désignés ses exécuteurs testamentaires au nombre
de dix : le roi tout d'abord, « nostre très chier et amé seigneur et
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 163
frère » ; maître Pierre Challon, doyen de Saint-Martin de Tours, qui
porte le « seel » ; maître Hemeri, archidiacre de Montfort en l'église
du Mans ; fr. Simon du Val, frère prêcheur; maître Guillaume de Châ-
tellerault, prieur de Sainte-Radegonde de Poitiers, son clerc; maître
Aubert de Malle, chanoine de Laon, également son clerc; fr. Laurent
(d'Orléans), confesseur du roi; fr. Jean de Samois, frère mineur; et
Oudart du Val, son chambellan. Ce testament, daté de juillet 1282,
fut apparemment rédigé à Paris comme l'acte précédent relatif au
douaire de dame Jeanne.
On est un peu surpris de ne pas relever parmi ces nombreux
établissements religieux bénéficiaires d'un legs l'abbaye bénédictine de la
Sainte-Trinité de Vendôme qui se trouvait dans son apanage. Or Pierre
d'Alençon ne l'avait aucunement négligé. Il lui avait donné une
magnifique verrière décorant le chœur de son église, où l'on peut encore
l'admirer : le prince, jeune, nu-tête, le visage plein, les cheveux blonds
mi-longs mi-bouclés, est vêtu d'un haubert de maille, recouvert d'une
cotte de tissu d'azur semé de fleurs de lis d'or à une bordure de gueules,
emblèmes héraldiques qui ont permis à Jean-Bernard de Vaivre de
l'identifier avec certitude. Un genou en terre, Pierre offre à l'abbé
de la Trinité un coffret reliquaire, dit de la Sainte Larme, l'une de
celles que, selon la légende, le Christ aurait versées lorsqu'il apprit la
mort de Lazare...
Muni de l'autorisation formelle du roi, Pierre d'Alençon quitte
Paris pour le royaume de Naples, ainsi d'ailleurs que Robert, comte
d'Artois, les comtes de Dammartin et de Boulogne et de nombreux
gentilshommes et gens de pied.
Il se trouve à Avignon à la mi-septembre, où il rédige son second
testament, qui est en réalité la suite et le complément du précédent :
il y répartit 2.000 livres tournois entre ses familiers et serviteurs
dont il semble bien n'en avoir oublié aucun car on ne relève pas
moins de 69 noms, depuis son aumônier, ses chapelains, ses clercs,
son « fesitian », jusqu'à sa lavandière et le valet de ses chiens, sans
omettre tailleurs, huissiers, valet de chambre, queux, saussiers et
autres gens de la cuisine. On a là, semble-t-il, l'état complet de sa
« mesnie », c'est-à-dire l'ensemble du personnel de la maison de ce
« fils de France ».
Poursuivant sans grande hâte sa marche en direction du sud, il
arrive à Florence, où sa présence est attestée le 24 novembre, et
parvient enfin en Calabre, à Reggio, où, le 26 janvier 1283, il fait rédiger
un codicille à son testament dans lequel il ordonne à nouveau de payer
toutes ses dettes et d'amender les torts qu'il a pu commettre envers toute
personne digne de foi qui en ferait la demande (signe d'une grande
conscience, peut-être même d'un certain scrupule). Il termine ce
document, daté de « Rege sus le Far de Messines », en adjoignant le nom
de fr. Gilles de Juilly, de l'ordre des frères mineurs, à ceux des
exécuteurs de ses volontés qu'il a précédemment désignés.
164 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Or les terribles « Almogaraves » à la solde de Pierre d'Aragon,
qui tiennent Messine depuis plusieurs mois, ne cessent de ravager la
côte et occupent même la Calabre Ultérieure. A C atona, près Reggio,
par une brusque attaque nocturne, ils mettent hors de combat les
300 chevaliers en garnison dans la ville, et tuent la dizaine d'autres qui
gardaient l'hôtel où dormait le comte d'Alençon; la porte de sa
chambre étant fermée, ils y pénètrent par le plafond et, refusant les
15.000 marcs d'argent qu'on leur propose, blessent mortellement le
malheureux Pierre qui était en train de s'armer. Sans doute avaient-ils
épargné fr. Gui, confesseur du comte, qui put lui administrer les
derniers sacrements dans cette même chambre, et qui nous a laissé le
récit de cette fin atroce. C'était le 6 avril 1283 et Pierre d'Alençon
avait trente-deux ans.
Quand la nouvelle parvint en France, le roi Philippe le Hardi
commandait une armée contre Pierre d'Aragon et c'est de Montauban
qu'il écrivit une lettre à tout le clergé du royaume en exprimant
sa profonde douleur et en demandant des prières pour l'âme de son
frère (1er juillet 1283).
Pierre d'Alençon avait prévu que ses restes seraient ramenés à
Paris pour reposer à la fois chez les cordeliers (pour ses ossements)
et chez les jacobins (pour son cœur). On devait éviter le faste, la
première tombe ne devant pas coûter plus de 50 livres et la seconde plus
de 30. Il n'est pas sûr qu'il ait été obéi. Quant à ses entrailles, elles
devaient être ensevelies non pas à Monreale comme on l'a dit (alors
occupé par les Aragonais en Sicile), mais à Real- Valle, dans l'abbaye
cistercienne que Charles d'Anjou avait fait construire après sa victoire
de Bénévent (1266). C'était alors la coutume chez les grands de
répartir ainsi leur dépouille entre plusieurs lieux de prière6.

Jean d'Acre

Jean de Brienne, roi de Jérusalem (du chef de sa première femme


Marie de Montferrat), devenu veuf, s'était remarié, vers 1223, avec
Bérengère de Castille qui lui avait donné deux fils, Alphonse et Jean.
Par leur mère, ces deux frères étaient donc neveux de la reine Blanche
et cousins du roi saint Louis. A défaut de Jérusalem, toujours au
pouvoir des Infidèles, Acre (plus connue sous l'appellation de Saint-Jean
d'Acre) était en fait la ville principale du royaume chrétien de Terre
Sainte. Et ils en portaient le « nom ».
Alors que l'aîné, Alphonse, comte d'Eu (par son mariage) et
seulement encore écuyer, devait bientôt se conduire brillamment en
Palestine, Jean d'Acre, bien que se trouvant en Egypte lors du
débarquement des croisés, n'avait pas pris part à la campagne contre les sarra-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 165
zins, car (au dire de Join ville) sa sœur « l'impératrice » — sa demi-
sœur Yolande ou Isabelle qui avait épousé Frédéric II (1223) — l'avait
emmené aussitôt en France pour lui faire épouser Jeanne de Château-
dun devenue veuve de Jean, comte de Montfort, qui venait de mourir
dans Tue de Chypre. Jean d'Acre était lui-même veuf en premières noces
de Marie de Coucy qu'il avait épousée alors qu'elle avait perdu son
mari, Alexandre II, roi d'Ecosse. Ce qui confirme et l'importance du
personnage et la hâte avec laquelle étaient recherchées celles que la mort
inopinée de leur conjoint rendaient veuves de quelque grand seigneur.
En janvier 1258, les noms des deux frères Alphonse et Jean se lisent
au bas de diplômes royaux en faveur de l'abbaye de Saint-Denis : ils
venaient donc d'être particulièrement distingués par le roi et promus
« grands officiers de la Couronne », le premier comme chambrier, le second
comme bouteiller de France.
L'un et l'autre accompagnèrent saint Louis à l'expédition de Tunis,
et l'aîné mourut sur cette terre d'Afrique le même jour que le roi (25
août 1270). Le cadet, Jean d'Acre, survécut vingt-cinq ans à son frère
et put ainsi déposer sur ces tristes événements.
La fonction de bouteiller, qu'il conserva jusqu'à sa mort, paraît
être alors devenue surtout honorifique, mais il s'efforça de recueillir
les profits qui d'ancienneté y étaient attachés, « racione buticularie ». Sans
doute, en mars 1262, à la demande expresse du roi, renonça-t-il en
faveur de l'Hôtel-Dieu de Pontoise au droit de « bufeterie » qu'il
possédait en cette ville; mais, par un arrêt du Parlement de l'octave de la
Chandeleur 1264, il obtint gain de cause contre l'évêque d'Amiens et
contre l'abbé de Saint-Denis qui durent lui payer chacun 100 sous en
raison de leur nouvel avènement. Et, bien plus tard encore, il fera
reconnaître quelques droits archaïques revenant aux cinq grands officiers
de la Couronne, droits quasi tombés en désuétude, au point d'être
presque oubliés : ainsi à Paris le prix d'un malheureux panier de
poissons...
Ce ne sont là que quelques exemples. Or Jean d'Acre, peu après
avoir pris son « office » de bouteiller, avait fait dresser en un «
registre » la liste des droits et redevances traditionnellement attachés à
la « bouteillerie de France ». Les mentions conservées confirment les
faits ci-dessus rapportés de façon fragmentaire, et permettent d'en
connaître l'ensemble par le détail.
Ainsi : la « maîtrise des cervoisiers de tout le royaume » ; la
juridiction des « buffetiers » à Orléans; la perception de 100 sous parisis
lors de l'avènement de chacun des archevêques de Reims, Sens,
Bourges, Lyon, Tours et Rouen, de vingt-trois évêques, vingt-quatre
abbés et quatre abbesses ; ainsi que les redevances prélevées sur les vins
vendus « à broche » en divers celliers de la ville de Paris, avec
contrainte s'il était nécessaire; droits sur les « hôtels de la bouteillerie »
au bois de Vincennes, Saint-Germain-en-Laye, Poissy, Fontainebleau,
166 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Senlis, Pont-Sainte-Maxence et Creil; à Paris encore, le jour de la fête
de sainte Geneviève, le bouteiller recevait par l'intermédiaire d'un
« fermier » un muid de vin « de la tonne ou du tonneau dont le couvent
boit », douze grands « eschaudéz », trois petites galettes et onze sols
parisis ; et, le jour de la Saint- Vincent (patron des vignerons), lui étaient
livrées par l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés semblables redevances
avec en plus « une longe de porc rosti », tout au long d'un porc d'une
valeur de 30 sols parisis. A quoi l'on doit ajouter que, quand le
bouteiller dormait dans « l'hostel » où le roi passait la nuit, à Paris ou
ailleurs, il prenait tout ce dont il avait besoin et notamment « torches
et chandelles » ; que « chascun an » il touchait en la chambre-aux-deniers,
aux deux termes, vingt livres « pour ses manteaux ». Relevons encore
que chaque fois que le roi « faisait feste solemnel » et « portait
couronne », le bouteiller devait avoir « la coupe et le hanap » ainsi que
les « pièces de vin et tonneaux entamés pour la fête »; et qu'au sacre
de Reims il devait recevoir en outre « un certain nombre de pain, de
vin, de chair (viande), de poulies, de cire, de poisson et de fruit ».
Une pareille gestion nécessitait — on l'imagine — de nombreux
« agents » d'exécution et une comptabilité minutieuse, tenue dans des
« registres » que gardait à Paris un « juge » nommé par le bouteiller.
Comme on le voit, il n'était pas pour ce « grand officier » de petits
bénéfices, et la somme, en fin de compte (espèces ou nature), ne devait pas
être négligeable.
Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt, et ces diverses recettes,
plus ou moins occasionnelles, ne doivent pas, même par leur nombre,
faire méconnaître qu'à la vérité le bouteiller était au XIIIe siècle
l'un des proches conseillers du roi. En 1272, Jean d'Acre, qualifié
de buticularius regni, est envoyé par Philippe III auprès de Grégoire X
pour l'inciter à lancer une nouvelle expédition en vue de délivrer la
Terre Sainte. Certes, avant même son couronnement à Saint-Pierre
de Rome, le pape en avait manifesté la ferme intention, mais, y ayant
renoncé, il dissuada le roi de poursuivre ce projet. Sans doute
envisageait-il désormais comme plus urgente la préparation du concile
qui devait siéger à Lyon, du 7 mai au 17 juillet 1274, pour y traiter
du rapprochement des églises grecque et romaine, de la situation des
ordres mendiants et du problème, nécessairement toujours actuel, de
la réforme de l'Église.
A la fin de l'annnée 1275, Jean d'Acre se vit confier une mission
difficile en Espagne auprès de son cousin Alphonse X, roi de C astiile.
A la mort de son fils aîné Fernand de La Cerda, au cours d'une
campagne contre les Mores, ce roi avait désigné comme héritier
présomptif son second fils, Sanche IV, revenu vainqueur de cette guerre de
reconquista et jouissant d'une grande popularité. Or, ce faisant, il
déshéritait ses petits-fils, les infants, fils de Fernand et de Blanche de France,
fille de saint Louis. Non seulement ceux-ci étaient dépossédés de l'héri-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 167
tage qui devait leur revenir (les couronnes de Castille et de Léon), mais
leur mère, disgraciée, fut déloyalement privée de son douaire. Jean
d'Acre s'efforça donc d'obtenir d'Alphonse X une juste compensation,
mais en vain; du moins essaya-t-il de ramener d'Espagne comme
des fugitifs la princesse Blanche et les deux « infants de la Cerda », mais
ils furent arrêtés avant d'avoir atteint la frontière et l'affaire était loin
d'être terminée7.
Peu après, en 1276-1277, on trouve le bouteiller en Poitou,
exerçant la charge de tuteur de son neveu, Jean, fils de son frère Alphonse,
comte d'Eu. Il agit alors comme seigneur de Civray. Un grand
différend s'était élevé entre lui et l'abbaye de Nouaillé qui se termina par
un compromis : il dut détruire les fourches patibulaires qu'il avait fait
dresser dans une dizaine de villages appartenant au prieuré de Mairé-
Lévescault, dépendant de ladite abbaye, et renoncer à y venir tenir ses
assises ; mais le droit de « haut justicier » lui fut pleinement reconnu
dans l'ensemble de la châtellenie; en conséquence, les assises seront
tenues à Civray même et ce sera éventuellement dans cette ville que
les criminels devront expier leurs forfaits.
Ayant été nommé gouverneur du comté de Champagne et de Brie
pour Edmond de Lancastre, régent de ce grand fief pendant la
minorité de la comtesse Jeanne (1278-1284), il présida en cette qualité les
« Grands jours » de Troyes. Mais, de ce temps-là, on garde surtout
le souvenir de la répression impitoyable avec laquelle il châtia les
habitants de Provins (l'une des « villes drapantes »), qui s'étaient
insurgés en janvier 1280 et avaient assassiné leur maire, Guillaume
Pentecôte : celui-ci avait prolongé d'une heure la journée de travail des
ouvriers...
Au Parlement de la Toussaint 1283 (et plus précisément le 1er mars
1284, n. st.), le bouteillier assista, avec de nombreux personnages, à
l'arrêt rendu en faveur du roi, contre son oncle Charles, comte d'Anjou
et roi de Sicile, qui, toujours avide de nouvelles ressources, prétendait
avoir des droits sur les comtés de Poitou et d'Auvergne ayant
appartenu à son frère Alphonse de Poitiers, décédé depuis plus de treize ans.
— Quand Jean d'Acre siégeait à la cour, il recevait 60 sols de gages
par jour.
Dans son testament, daté de Paris en mars 1285 (n. st.), le roi
Philippe le Hardi désigna au nombre des exécuteurs de ses dernières
volontés « noz amez cousins Jehan, botaller, et Imbert (de Beaujeu),
connétable de France ».
Sous le nouveau règne, Jean d'Acre fut amené à s'occuper encore
de l'affaire de Blanche de France et des infants de la Cerda, désormais
retenus au château de Xativa par le roi Pierre d'Aragon. Au traité de
Lyon, le 13 juillet 1288, on put croire que l'aîné Fernand de la Cerda
allait obtenir le royaume de Murcie, avec l'espoir de monter sur
le trône de Castille, si Sanche IV venait à mourir sans enfant. Quant
168 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
à Blanche, elle devait recouvrer son douaire et recevoir une forte
indemnité. En fait ce traité resta lettre morte. Une nouvelle entrevue
réunit à Bayonne en 1290 les rois de France et de Castille, mais la
grande politique de Philippe le Bel ne se soucia guère de cette question
familiale d'un maniement bien délicat.
En 1292, Jean d'Acre est « lieutenant » de Robert, comte de
Clermont, également son cousin, gravement diminué, comme on le sait,
des suites d'un tournoi, et à ce titre il administrait pour lui la
seigneurie de Bourbonnais qu'il tenait du chef de sa femme, Beatrix de Bourbon.
Dans les dernières années de sa vie, il touchait sur le Trésor une
rente annuelle de 1 .000 livres tournois payable par tiers sur le Temple,
à Paris.
Il mourut le 8 janvier 1296 et fut inhumé à Maubuisson, dans
le chœur de l'abbaye de Notre-Dame-la-Royale, fondée par Blanche
de Castille. Sur sa tombe, il était représenté gisant avec le bouclier
à ses armes ; une inscription précisait la date de son décès et la
donation de 1.000 livres tournois qu'il avait faite à l'abbaye; tombe
disparue, comme tant d'autres monuments, mais un historien qui l'a vue,
avant la Révolution, l'a décrite : « couverte de plaques de cuivre (émaillé)
fort habilement historiées », qui décoraient apparemment les quatre côtés
de son soubassement.

Simon de Nesle, chevalier

Simon appartenait à une branche cadette de la maison de Clermont-


en-Beauvaisis. Il était fils de Raoul de Clermont et petit-fils de
Simon, frère de Raoul, comte de Clermont, tué le 15 octobre 1191
au siège d'Acre8.
Né vers 1209, Simon avait pour mère Gertrude de Nesle, seconde
femme de Raoul, et était le cadet : son frère aîné, Jean de Clermont,
était devenu seigneur d'Ailly-sur-Noye, à la mort de leur père, vers
1225, terre proche de Montdidier provenant de leur aïeule Mahaut,
femme de Simon de Clermont. Or ce frère aîné, Jean, étant décédé
sans enfant, Simon devint à son tour seigneur d'Ailly (avant 1236);
puis, à la mort de son oncle Jean de Nesle, frère de sa mère, décédé
lui aussi sans postérité en 1239, il hérita de son immense fortune
territoriale s'étendant (domaines ou seigneuries) sur une soixantaine de
villages mouvant du roi, situés de part et d'autre de Nesle, entre
Péronne au nord, Noyon au sud, Roye à l'ouest et Ham à l'est.
Pays qu'on appelle le Santerre (sana terra), tant elle est riche et propice
au labourage.
Nesle (Nigella) était une ville fortifiée (oppidum, 1200). On y voyait
un château avec sa chapelle, et une collégiale dédiée à Notre-Dame,
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 169
dont l'un des chanoines remplissait les fonctions d'écolâtre, sous
l'autorité du doyen. On n'y comptait pas moins de quatre paroisses : Saint-
Pierre, Saint-Nicolas, Saint-Jacques et Saint-Léonard, dépendant du
diocèse de Noyon, une hostellerie et une léproserie.
Il y avait un « Kemin roial », d'une largeur de 16 pieds, qui reliait
Nesle à Péronne. Économiquement y étaient perçus péage et tonlieu,
dont certaines abbayes — toutes cisterciennes — étaient exemptes :
Clairvaux, Ourscamp, Vaucelles et Thosan ( = Ter Doest, en Flandre).
Il importe d'exposer, au moins sommairement, la carrière de
Jean II de Nesle, oncle et prédécesseur de Simon dans cette
seigneurie, mais surtout la place qui fut la sienne à la cour de France.
Jean II de Nesle fut aussi châtelain de Bruges (comme son père,
Jean Ier) et se montra l'un des chefs du parti français, face au clan
anglophile, pour le contrôle de la Flandre. Il se croisa en février 1200 (Ville-
hardouin), revint en Picardie où il fonda en avril 1202, un peu au sud
de Nesle, près de Beaulieu-les-Fontaines, le monastère de La Franche-
Abbaye dite aussi L'Abbaye-au-Bois, pour y installer des religieuses
cisterciennes, dont il demeura toute sa vie l'insigne bienfaiteur. Il
retourna ensuite en Palestine en 1203-1204, le comte de Flandre
Baudouin IX étant le premier empereur latin de Constantinople, depuis
le 16 mai 1204.
Fidèle serviteur de Philippe Auguste, Jean de Nesle combat à Bou-
vines, le 27 juillet 1214, puis, le comte Ferrand étant retenu prisonnier
au Louvre, Jean est quelque temps conseiller de la comtesse Jeanne;
Mais l'ayant accusée de quelque déni de justice, il obtient gain de
cause à la cour royale (1224) et, à la suite de cette querelle, vend sa
châtellenie de Bruges et supprime ainsi tout lien de fidélité avec la
comtesse Jeanne.
Jean de Nesle est l'un des vingt-neuf barons qui conseillent au
nouveau roi d'intervenir dans la question albigeoise; il prend part au
siège d'Avignon et, présent à Montpensier en Auvergne, au chevet de
Louis VIII, gravement malade, il est l'un des vingt-quatre grands qui,
le 3 novembre 1226, lui promettent de jurer fidélité à son fils aîné, s'il
venait à mourir.
Devenu familier du jeune roi, il s'installe à Paris, où il s'est fait
construire une grande et splendide maison, non loin de l'église Saint-
Eustache, avec un oratoire qu'il fait aussitôt détruire, évidemment à
la demande du curé qui voyait avec ombrage cette chapelle fondée
sur le territoire de sa propre paroisse (1230). Deux ans plus tard,
en novembre 1232, Jean et son épouse Eustachie font don de cette
demeure et de ses dépendances à la reine Blanche, mère du roi; il ne
devait pas s'agir d'un « palais » ainsi que l'imagine Newman, mais d'une
résidence assez digne pour être ainsi offerte à la reine ; elle s'élevait dans
la mouvance de l'évêque de Paris.
En décembre 1232, Jean de Nesle est à l'assemblée de Melun,
170 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
ou vingt hauts seigneurs approuvent l'ordonnance promulguée par le
roi contre les juifs et les usuriers. Fait très significatif des relations
excellentes et confiantes entre Jean de Nesle et la famille royale : en mai
1234, il reçoit mission de se rendre en Provence avec l'archevêque de
Sens, Guillaume Cornut, pour chercher la princesse Marguerite et la
conduire à Sens, où les noces vont être célébrées en la cathédrale, le
27 mai 1234.
Dame Eustachie, décédée en 1235, fut inhumée à Beaupré, abbaye
cistercienne (elle aussi) du diocèse de Beauvais, dont elle était
apparemment originaire. Jean ne lui survécut guère : son nom apparaît
encore dans quelques chartes; la dernière fois en 1239. Il avait élu sa
sépulture dans sa chère fondation de La Franche- Abbaye, après avoir
fait son testament. Celui-ci n'a pas été retrouvé mais ses exécuteurs
sont connus : Raoul (de Rouvillers), abbé de Saint-Corneille de Com-
piègne, Guillaume, abbé d'Ourscamp, fr. Gui de l'ordre des Prêcheurs,
et Gautier de Rouy, chanoine de Nesle (janvier 1240).
A la mort de son oncle, Simon avait trente ans. Jusqu'alors dans
ses chartes il s'intitulait ; « Simon de Clermont, chevalier, seigneur
d'Ailly » (juillet 1237, pour l'abbaye de Froidmont en Beauvaisis) ; mais
désormais il se fit appeler « Simon de Clermont, chevalier, seigneur
de Nesle », avec parfois, à titre exceptionnel, l'addition des noms d'Ailly
ou de Beaulieu.
Simon de Nesle épousa Alix, fille de l'illustre Amaury, comte
de Montfort, qui avait cédé à Louis VIII ses droits sur le « comté de
Toulouse et la terre d'Albigeois » (février 1224, n. st.) et fut nommé
connétable par saint Louis en 1230. Étant à Paris, en novembre 1241,
Simon est garant dans un acte d'Alphonse de Portugal, neveu très cher
de la reine Blanche.
De 1243 à 1253, une douzaine de chartes se rapportent à ses terres
de Picardie. Il eut notamment une série de différends avec le chapitre
de Noyon sur la perception d'un droit de chaussée à Beaulieu, Fré-
niches et Bouvresse, sur le moulin de Voyennes, sur le cours d'eau de
Villecourt, etc., qui se terminèrent aimablement par l'arbitrage de
l'évêque de Beauvais, de l'abbé d'Ourscamp et de Thibaud de
Clermont, chanoine de Noyon, frère de Simon (décembre 1248). Des
chartes de décembre 1249, février 1250 et janvier 1252 prouvent qu'il
n'accompagna pas le roi en Egypte et en Palestine.
Il était resté en France, où on le voit « du conseil de la reine
Blanche », le 9 février 1250, lors d'un procès en la cour du roi entre
l'évêque et les drapiers de la ville de Châlons. Puis, dans la querelle
mettant aux prises les fils issus des deux mariages de Marguerite,
comtesse de Flandre, Blanche reçut le serment de fidélité de Gui de
Dampierre, tandis que son demi-frère Jean d'Avesnes, violant la
sentence arbitrale prononcée par le roi et le légat en 1246, se
mettait sous la protection du « roi des Romains ». La guerre éclata.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 171
La comtesse Marguerite alla trouver la reine, dont elle était la cousine
et la vassale; Blanche chargea de cette affaire Charles d'Anjou, lequel
se fit attendre. Au combat de West-Capelle, en Zelande, l'armée de
Gui de Dampierre se fit écraser par son rival Jean d' Avesnes, allié de
Florent de Hollande ; Simon de Nesle fut fait prisonnier ainsi que les
comtes de Bar, de Joigny, de Guines, et beaucoup d'autres chevaliers
français. Charles d'Anjou rétablit un peu tard la situation, non sans
se faire donner par Marguerite le comté de Hainaut, mais ce fut saint
Louis — enfin revenu d'outre-mer — qui rétablit la paix.
Simon de Nesle, ayant assis sur des terres et bois lui appartenant
une rente de 100 livres parisis, précédemment léguée en aumône
par son oncle Jean de Nesle à l'abbaye d'Ourscamp, demande que
« nostre sires li rois de France, que Diex gart, agrée et confirme cet
accord ». Le même mois, et peut-être le même jour, à Paris, en février
1257 (n. st.), saint Louis fait expédier un vidimus de cet acte de son
« cher et fidèle Simon de Clermont, chevalier, seigneur de Nesle ».
Cette dernière expression pourrait être considérée comme une formule
banale, mais la précédente, « notre seigneur le roi de France que Dieu
garde », est un souhait affectueux de bonne santé qu'on ne rencontre
pas normalement en une semblable charte.
Elle atteste, à sa manière, les sentiments de Simon pour le roi,
dont il est l'ami et le familier. Désormais le sire de Nesle est présent
à tous les événements importants du règne. Le 2 septembre 1257, il
est à Saint-Quentin dans l'entourage du roi, lors de la translation des
reliques des saints Quentin, Victorin et Cassien : son nom est précédé
de celui de Jean de Nesle, comte de Soissons, son cousin, et suivi de
celui de Gilles le Brun, connétable de France. Le 1 1 mai 1258, Simon
est à Corbeil au traité conclu entre Jacques, roi d'Aragon, et Louis IX,
mettant fin à leurs droits réciproques sur la Catalogne et le Roussillon.
Le 28 du même mois, à Paris, lui et Alphonse, comte d'Eu, chambrier
de France, jurent au nom du roi le projet de paix avec l'Angleterre,
qui sera ratifié à la fin de l'année suivante; Henri III y renonçait à
la Normandie et autres comtés conquis par Philippe Auguste, mais il
recevait la Gascogne, à charge d'hommage lige, devenant ainsi le
vassal du roi de France.
En juin 1259, Simon de Nesle se rend à Chauny, avec Pierre le
Chambellan, le principal « secrétaire » de saint Louis, pour enquêter
sur le très grave attentat perpétré par les gens du seigneur de Coucy.
Le 6 juillet 1262, il est à Clermont-en- Auvergne et assiste avec
tout l'entourage royal au mariage du prince héritier Philippe et de
l'infante Isabelle d'Axagon ; les cérémonies furent grandioses, le roi ayant
à cette occasion décidé — fait exceptionnel — de supprimer la session
du Parlement de la Pentecôte, et convoqué « toute la noblesse du
royaume ». Mais saint Louis fut très mécontent d'apprendre par
son conseil que Jacques d'Aragon, père d'Isabelle, venait de ma-
172 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
rier son fils, Pierre, à la fille du bâtard de Frédéric II, Manfred,
qui avait usurpé la Sicile et de ce fait se trouvait ennemi de l'Église
et excommunié.
En 1268, le 7 juin, Simon est présent lorsque les délégués du
chapitre Notre-Dame de Paris viennent demander au roi l'autorisation
d'élire un évêque. En février 1270, il est désigné comme arbitre
entre le représentant du roi et celui du duc Jean de Brabant, en cas
de désaccord sur la dot de Marguerite, fille de Louis IX et fiancée
dudit Jean. Le même mois, lui aussi constitue la dot de sa jeune sœur
« Philippe », accordée à Roland Bertrand, seigneur de Bricquebec.
Entre-temps, pendant les douze années du règne de saint Louis,
depuis son retour de Palestine, Simon est présent fréquemment au
Parlement, ainsi que l'attestent de rares mentions de février et novembre
1259, février 1261, février 1262, février et novembre 1269 (sans
compter les cinq fois où il fut lui-même partie en cause). Mais il est
bien connu que les célèbres Olim ne citent que très rarement les noms
des « mestres », clercs ou « laïcs », ayant prononcé les arrêts de la cour.
Or on sait pertinemment par les propres dépositions de Simon au
procès de canonisation, qu'il prit part à des jugements contre Enguer-
ran de Coucy, la dame de Pierrelaye, et sûrement bien d'autres encore. . .
Et, de son côté, Joinville rapporte, sans indication de date, avoir « ouï
les plez de la porte » (les requêtes) avec « monseigneur de Nesle et le
bon conte de Soissons ».
Jouissant de l'entière confiance du roi, Simon de Nesle reçut de
lui la plus haute preuve possible de reconnaissance et d'estime, quand
il fut désigné, avec Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis,
pour exercer à sa place les pouvoirs royaux, pendant son absence
outre-mer. Le souverain à cette occasion délia de leurs serments
tous ceux qui lui avaient juré fidélité, pour les reporter sur la personne
des deux régents qualifiés de « lieu-tenant du roi » {locum tenentes domini
régis Francorum) : le terme de régent n'existant pas encore.
Comment aussi ne pas relever qu'en cas de décès de Simon, le
roi spécifia qu'il serait remplacé par Jean de Nesle, comte de Ponthieu,
qui était son cousin germain : preuve assurée que cette famille était
appréciée d'une façon toute particulière.
A la mort de saint Louis, Philippe le Hardi, de Carthage, confirma
ses deux « lieutenants » dans leurs fonctions. La régence dura ainsi un
peu plus d'une année, et par eux la France se trouva bien gouvernée.
Sous le nouveau règne, on pourrait presque dire (malgré le
fâcheux intermède de Pierre de La Brosse) que le gouvernement des
« régents » se prolongea. Pour sa part Simon, comme du temps de saint
Louis, siégea au Parlement. Malgré une documentation lacunaire,
sa présence y est attestée en juin et novembre 1271, mai 1273, en
1278, en mars et novembre 1281, en août 1283, en mars 1284; et en
décembre de la même année, aux « Grands jours de Troyes ».
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 173
Dans le même temps, outre ses présences au Parlement, son
activité ne se relâche pas. En 1277, il est à l'assemblée des grands
sollicitant du pape l'autorisation d'imposer une taxe sur les biens mobiliers
de ceux qui n'avaient pas pris la croix (on y songeait toujours). Entre
juin et septembre 1282, à Saint-Denis, ü dépose longuement au procès
de canonisation du roi Louis. Le 21 février 1284, il participe à
l'assemblée délibérant sur l'affaire des royaumes d'Aragon et de Valence, en
faveur du second fils du roi, Charles de Valois, et se voit chargé par
les nobles d'avertir le roi de leur décision favorable : ce qui va
déclencher la guerre. Aussi se trouve-t-il présent à l'assemblée des abbés
cisterciens convoqués cette même année à Paris en l'abbaye de Saint-
Germain-des-Prés, pour consentir à la taxation de l'ordre pour la «
croisade » d'Aragon. Et pour la seconde fois, Simon, seigneur de Nesle,
et Mathieu, abbé de Saint-Denis, reçoivent les fonctions de régents en
l'absence du roi parti pour cette « croisade » dont — lui non plus —
ne reviendra pas. Enfin, pour la dernière fois, on les voit siéger l'un
et l'autre au Parlement de la Saint-Martin d'hiver (avant Noël 1286).
Simon avait perdu son épouse, Alix de Montfort, en 1279, peu
avant octobre. Par son testament de mai 1279, cette dame n'oublie pas
son pays d'origine : les abbayes des Vaux-de-Cernay, de Hautes-
Bruyères, de Port-Roi (Port-Royal) et de Grandchamp, ni les sœurs
de saint Dominique près Montargis. Mais, à part l'abbaye cistercienne
de Beaupré, au diocèse de Beauvais, où elle élit sa sépulture et donne
120 livres pour y fonder une « chapelenie », ses legs et ses aumônes
vont principalement aux établissements qui seront couchés également
sur le testament de son mari ; celui-ci est établi le premier des
exécuteurs de ses dernières volontés.
Par son codicille de même date, et fait, comme son testament,
avec l'assentiment de son « baron », elle dispose de dons particuliers
en faveur de gens de sa « maisnie » : tout d'abord son calice d'or à
l'abbé de Beaupré, des legs à ses trois filles religieuses, à ses serviteurs,
mais aussi à ses deux derniers fils, enfin 500 livres parisis seront
remis à deux chevaliers qui iront pour elle en la « sainte terre
d'outremer » : elle les désigne nommément, mais s'ils ne peuvent ou ne
veulent y aller, elle entend que ses exécuteurs envoient un chevalier
de son « lignage » ou de celui de son mari, mais, de préférence et si
la chose est possible, qu'ils soient deux et y séjournent une année.
Simon vécut encore quelques temps. On possède de lui plusieurs
reçus de 220 livres tournois que lui devait Gui (de Dampierre), comte
de Flandre et marquis de Namur, à titre de fief-rente, payables à la
foire de Lille, le 20 août, pour les années 1281-1284.
Puis en 1285, au mois de juin, il fit son testament, ordonnant
d'être inhumé, comme sa femme, en l'abbaye cistercienne de
Beaupré, même s'il venait à trépasser « decha le mer d'outre-mer » (on voit
que son testament est rédigé en picard, alors que celui de sa femme
174 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
est en pur français). De même ses legs et aumônes sont destinés
presque uniquement aux établissements religieux de Nesle et de son
voisinage : la collégiale Notre-Dame, ses « canoines » et ses « cape-
lains », ainsi que ceux de son « castel »; les prêtres-curés des quatre
paroisses, Saint-Pierre, Saint-Nicolas, Saint-Jacques et Saint-Léonard ;
l'abbaye de la Franche-Abbaye ; une rente de quatre muids de blé pour
distribuer du pain entre les pauvres, le jour de son anniversaire, une
rente de douze livres pour leur acheter des « cotes », et une autre de
soixante sous pour l'achat de souliers « le jour des âmes », c'est-à-dire
le lendemain de la Toussaint; à « l'ostelerie » ou hôpital un muid de
blé de rente sur ses moulins de Nesle; des rentes de trois ou quatre
sous à chacun des dix huit curés de sa « terre » de Nesle.
Ne sont pas oubliés les frères mendiants : prêcheurs et mineurs
de Paris, frères des « Sacs » de Paris, prêcheurs et mineurs de Saint-
Quentin, d'Amiens, de Compiègne (mais les prêcheurs de Beauvais
sont omis); les mineurs de Noyon, de Roye et de Péronne. Puis les
moniales cisterciennes du Paraclet, de Biaches, Monchy, Genlis, Beau-
lieu (la maladrerie), et Saint- Antoine près Paris.
Suivent ensuite des legs à vingt-quatre particuliers, parmi lesquels
Raoul Muideblé (son chevalier), Aliaume, son bouteillier, Colart de
Houdencourt également bouteillier, Guillaume, son tailleur, plusieurs
« maréchaux », Wyet qui soigne ses palefrois, son chapelain, ses deux
messagers, son cuisinier...
Nombreux sont ses exécuteurs testamentaires : Raoul, son fils
aîné, chambellan de France, l'abbé du « Pré-en-Biauvoisis » (Beaupré),
l'abbé de Royaumont, Mgr Jean de Dargies, son neveu, seigneur de
Lagny, Mgr Raoul Muideblé, son chevalier, Mgr Hue d'Offoy, son
chapelain ; mais surtout il élit son exécuteur principal au-dessus de tous,
« homme religieus et honeste mon chier ami, Mathieu, par le grace
de Dieu abbé de Saint-Denis en France ».
Par un codicille en date de janvier 1286 (n. st.), il énumère les
legs faits à ses enfants : à son fils aîné Raoul 2.118 livres, 3 sous,
7 deniers parisis, soit 928 livres, 3 sous, 7 deniers qu'il lui avait prêtés
et 1.200 livres montant d'un prêt qu'il avait avancé au roi. Ses autres
enfants seront cités ci-après.
L'épitaphe de Simon de Nesle, autrefois conservée en l'abbaye
de Beaulieu, fait connaître la date de sa mort : le 1er février 1286 (ipse
die primo februarii migravit). Il avait environ soixante-dix-sept ans.
De sa femme Alix de Montfort, il avait eu huit enfants : 1. Raoul,
d'abord chambellan, 1283, puis connétable de France, 1285, tué à Cour-
trai le 1 1 juillet 1302, et enterré à Beaupré, qui avait épousé avant 1268
Yolande, vicomtesse de Châteaudun. 2. Béatrice, femme de Jean IV,
châtelain de Lille (1276-1292), parents de Jean V, tué lui aussi à la
bataille de Courtrai, 1302. 3. Simon, trésorier de Saint-Martin de Tours,
puis évêque de Noyon de 1297 à 1301 et de Beauvais de 1301 à sa mort,
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 175
le 22 décembre 1312. 4. Amaury, prévôt de Saint-Pierre de Lille, de
juillet 1288 à janvier 1315, et fort bien pourvu de canonicats : Amiens,
Troyes, Noyon, Châlons et Notre-Dame de Nesle. 5. Gui, son fils puîné,
maréchal de France, tué comme son frère et son neveu, le 11 juillet
1302, à la bataille de Courtrai. 6-8. Une fille, désignée comme abbesse
du Paraclet, en mai 1279, ainsi que ses sœurs Izabel et Aelis, nonnains
de la Franche- Abbaye (1286).

Ces testaments offrent l'avantage de remettre dans leur milieu


familial, domestique et religieux un ménage seigneurial comme celui
de Simon de Nesle et d'Alix de Montfort. Ils ne doivent pas écarter
l'essentiel, à savoir qu'à deux reprises ce chevalier picard fut appelé
avec celui qui devint son « cher ami », Mathieu de Vendôme, abbé
de Saint-Denis, à « garder, administrer et défendre » le royaume en
l'absence du roi et que, pour l'histoire, leurs noms doivent rester
étroitement liés à celui de saint Louis.
Aussi bien, la mémoire de Simon de Nesle ne s'effaça pas de si
tôt. Par lettres d'octobre 1303, le samedi après la Saint-Remi, Philippe
le Bel amortit, c'est-à-dire exempta de taxes à perpétuité, les dons et
legs faits à de nombreuses églises par ledit Simon, « en considération
des services, des mérites et du dévouement qu'il consacra, de son vivant,
à saint Louis, (son) aïeul ».

Pierre, seigneur de Chambly, chevalier,


chambellan du roi

Ghambly, ville importante du comté de Beaumont (-sur-Oise),


donna son nom à une famille dont l'aîné, pendant plusieurs
générations, s'appela toujours Pierre, source de confusion et de difficultés pour
l'historien.
Le plus ancien membre de ce lignage, connu dès 1151, est un
certain « Petrus le Hisdous de Chambli » : ce surnom « le Hideux » se
transmit à ses descendants; il pouvait signifier « le Hirsute », mais
dérivait peut-être de « Hidulfus » > Hédoul > Adolphe. La famille avait
aussi des attaches avec Beaumont, où subsiste encore une « rue de la
Porte Hideuse ».
Sans nous hasarder dans les méandres de cette généalogie, on
notera qu'en février 1228 (n. st.) un Pierre de Chambly était
chambellan (et non chapelain!) de Blanche de Castille, lorsqu'il reçut de deux
chanoines du chapitre Notre-Dame de Paris, pour lui et ses héritiers,
240 arpents de bois à faire défricher dans la prévôté de Vernou, à charge
d'acquitter annuellement un cens de quatre deniers de Provins pour
chaque arpent, avec interdiction d'y construire aucune forteresse
1 76 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
(fortericiam) : cette dernière précision montre assez que c'était un
personnage important. Sans doute est-ce lui qui, en 1256, reçut une
« robe », ou manteau, lors de la distribution annuelle faite aux
membres de l'entourage royal, et qui mourut peu avant 1262, laissant
veuve (et bientôt remariée) une dame Sibylle, dont la famille se
rattachait vraisemblablement aux Villebeon (branche cadette de la maison
de Nemours). Sibylle survécut trente ans à son premier mari, et
devenue veuve pour la seconde fois, fonda, le 1er octobre 1292, pour ses
deux « seigneurs », Pierre de Chambly et Pierre de Laon, en unissant
leur mémoire en une même prière, la célébration d'une messe annuelle
chez les sœurs clarisses de Saint-Marcel, près Paris. De son premier
mari, elle avait eu au moins deux fils, Pierre et Oudart de Chambly,
qui furent donc beaux-fils, mais non pas fils, de Pierre de Laon (d'où
la grave confusion faite par Joseph Depoin, qui n'avait pas connu la
charte d'octobre 1292).
Fils (ou petit-fils) du précédent, voici Pierre de Chambly, objet
de la présente notice. Lors de l'enquête de 1282, il nous est donné
comme originaire du diocèse de Beauvais, fort riche, et âgé de
quarante ans : il était donc né vers 1242. On sait encore par sa
déposition qu'il demeura avec le roi Louis, depuis son retour de Terre
Sainte (fin 1254-début 1255), jusqu'à sa mort à laquelle il assista
(25 août 1270).
Ce fut comme chambellan qu'il accompagna le roi à l'expédition
de « Tunes ». Peu avant le départ, en avril 1269, il est en effet qualifié
de « cambellanus domini régis Francorum » en une charte d'aumône qu'il
fit à l'abbaye du Val-Notre-Dame, « pour le remède de son âme » :
une rente de trois muids de vin, à tenir en mainmorte. Et au retour
de la croisade c'est en cette qualité de chambellan que Pierre Hisdeus
(on l'appelait ainsi communément) s'appropria divers objets ayant
appartenu au défunt roi, et considérés déjà comme autant de
reliques : tel ce « mantel de camelin brun fourré de ventres de con-
nins » dont il fit don à son collègue Jean Sarrasin qui l'offrit à l'abbaye
de Chaalis — et beaucoup d'autres souvenirs qu'il conserva par devers
lui (ainsi qu'on le verra).
Sous le nouveau règne, Pierre de Chambly garda ses fonctions de
chambellan. En octobre 1275, par acte daté d'Évreux, Philippe le Hardi
conclut un échange avec son « cher et fidèlee chambellan », qui lui a
cédé 52 livres et 10 sous parisis de rente, sur la prévôté de Beaumont-
sur-Oise (30 livres, plus 12 livres 10 sous acquises par feu son aïeul Pierre,
5 livres sur le travers du pont de Beaumont, et 5 livres sur les cens de
Méru). En compensation, et en récompense de son service « prompt
et zélé », le roi lui fait don de son manoir de Crouy, près Beaumont,
avec ses dépendances et tout ce qu'il avait à Crouy, Blincourt, Bernes,
Montigny-le-Prouvaire et le Mesnil-Saint-Denis, près Beaumont, avec
les bois, prés, eaux, vignes, etc., fiefs et redevances, et toute justice
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 177
de la voirie, réserve faite de la haute justice sur tous ces biens, mais
avec la justice haute et basse qu'il y détenait sur les hommes et hôtes
de l'abbaye de Saint-Denis. Le roi confirme en outre ce que le dit Pierre
possédait (et après lui ses héritiers), soit deux muids de blé de rente
sur les moulins de Beaumont, son fief de Bailleul, ses bois d'Amblin-
court, les droits qu'il avait sur le tonlieu de Chambly; et encore
plusieurs pièces de terre arable et de pré vers Champagne et Beaumont,
que le dit Pierre avait achetés aux frères de Saint-Maurice de Senlis,
le tout à tenir en un seul fief et hommage du roi, à charge de payer
pour le service de ce fief, chaque année à la fête de Noël au château
(royal) de Beaumont-sur-Oise, une paire d'éperons dorés, sans aucun
autre service, aide ni redevance.
En juillet 1277, étant à Courcy-aux-Loges, le roi Philippe confirme
un échange conclu entre Pierre de Chambly, « son cher et fidèle
chambellan », et le prieuré Saint-Léonor de Beaumont, ce dernier lui cédant
ses possessions en la « ville » et au terroir de Bruyères près Bernes, contre
une rente perpétuelle de 23 livres tournois sur la prévôté de Beaumont.
Pierre de Chambly avait épousé Marguerite, fille de Pierre Tristan,
lui aussi chambellan du roi : identification révélée par son sceau armorié.
En mars 1278, par une charte rédigée en langue française, « Pierre
dit Hideus, de Chambli, chambellan le roy de France », en plein accord
avec sa femme, Marguerite, donne aux moines de Saint-Léonor tout
ce qu'il a acheté aux héritiers de Pomponne, en la « cengle » ( = enceinte)
de Beaumont, à tenir en mainmorte, à charge de prières : chaque année
une messe du Saint-Esprit pour lui et son épouse, de leur vivant, et,
après leur décès, une messe des défunts pour le repos de leurs âmes.
En 1279, ils fondent tous deux une chapelle dans leur manoir de
Chambly, à la collation de l'évêque de Beauvais.
Une douzaine d'années plus tard, en juillet 1291, Pierre de Chambly
et sa femme, Marguerite, en tant que seigneurs de Livry-en-Aunoy,
seigneurie qu'ils devaient à la libéralité du roi Philippe (le Hardi),
concluent un accord avec les Templiers aux termes duquel, contre un
droit de libre garenne et de police armée, les deux époux reçoivent la
somme importante de 1.800 livres tournois. Mais bientôt Pierre perd
« sa chière compaigne Marguerite », et fait pour le salut de son âme
un don de 100 sous parisis de rente sur le Temple aux sœurs clarisses
de Saint-Marcel, près Paris. Dans cet acte de fondation, il s'intitule
« Pierres, sires de Chambli, chevalier et chambellan de très haut prince
nostre seigneur Loys, roy de France », qu'il avait longtemps servi et
pour lequel il avait un véritable culte.
Entretemps, Pierre avait donc apporté son témoignage à l'enquête
sur la vie et les vertus du saint roi, et, dès lors (déjà), il s'intitule
chevalier, « seigneur de Chambly ». Il était certainement en excellents
termes avec le roi Philippe le Hardi qui le combla de biens tant à
Chambly précisément que dans une trentaine de villages, mouvant du
12
178 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
château royal de Beaumont, et qu'il « s'appropria » en les rattachant
indûment à la « justice » de sa seigneurie de Chambly. Autre preuve
de la confiance que le roi avait à son égard : sa désignation pour être
l'un de ses exécuteurs testamentaires (mars 1283), avec Pierre
Poussin, un autre chambellan.
Le nouveau roi Philippe le Bel conserva sa confiance à son « amé
et féal chevalier et chambellan », auquel, très tôt après son avènement,
en mars 1286, il donne la « terre et vavassorie » de Quatre-Mares
(doyenné de Louviers, diocèse d'Évreux) ; et bientôt Pierre de Chambly
ajoute à ses seigneuries celle de Viarmes, non loin de Luzarches.
Il mourut entre 1307 et 1311, vraisemblablement en 1309, ayant
épousé en secondes noces Isabelle de Rosny qui ultérieurement
convola avec Jean, comte de Sancerre.
De ses deux mariages avec Marguerite Tristan et Isabelle de Rosny,
Pierre, dit le Prud'homme, eut de nombreux enfants parmi lesquels
deux Pierre, nés de l'un et l'autre lit.
Du premier lit, il eut donc Pierre, l'aîné, surnommé Le Gras,
qui reçut de son père la terre de Viarmes, dont il prit le nom, puis,
à sa mort, hérita de ses seigneuries et de son « énorme fortune », dont
la terre et seigneurie de Quatre-mares. Il épousa Jeanne de Machault,
et paraît être décédé en 1320, laissant plusieurs enfants dont Pierre,
seigneur de Viarmes, Jean, chevalier, P., archidiacre de Thérouanne,
Louis, clerc, et Philippe, écuyer.
Du second lit (avec Isabelle de Rosny, qui deviendra comtesse
de Sancerre) naquirent Pierre, seigneur de Neauphle, Louis et Jeanne,
dont Isabelle sera la tutrice. Ce nouveau Pierre, dit le jeune, épousa
Isabelle de Bourgogne, qui devint dame de Neauphle et fut tutrice
de ses enfants avant de mourir; il avait conclu un accord avec le
seigneur de Viarmes, qui lui était si injustement favorable qu'il fut
déclaré nul.
Des différends séparèrent les demi-frères (enfants de Marguerite
Tristan et d'Isabelle de Rosny), mais il n'importe pas ici d'entrer dans
ces querelles de famille.
D'autant plus que surgissait alors une affaire infiniment plus grave.
Il était en effet notoire, en France et même à l'étranger, que de
nombreuses malversations sous la forme d'aliénations avaient été faites
indûment au détriment du domaine et Philippe V le Long prescrivit
courageusement une enquête à ce sujet à travers tout le royaume. Une
ordonnance du 29 juillet 1318 révoqua tous les dons faits par les
successeurs de saint Louis au profit de « gens » ayant abusé « par manières
cauteleuses, grant malices et fraudes » de leur position dans
l'entourage du souverain.
En exécution de cette ordonnance, et après enquête, un arrêt du
Parlement prononcé le 24 février 1321 (n. st.) — Philippe étant
présent — annula les dons faits par les rois Philippe le Hardi et Philippe
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 179
le Bel, de plusieurs châteaux, terres et droits du domaine de la
Couronne. Parmi une dizaine d'autres bénéficiaires indélicats étaient
expressément visés « les hoirs feu P. Hydeus dit de Chambli, que l'on appe-
loit le Preudhomme et les hoirs P. le Gras, son fils » (la seule formulation
de ces surnoms, en une telle occurrence, ne paraît-elle pas empreinte
d'une certaine ironie!).
Pierre Hideux, « le Preudhomme », avait donc acquis les domaines
suivants maintenant passés à ses héritiers : « le chastel de Ligny-en-
l'Aunois, Chambli, la terre de Quatre-mares et leurs dépendances, avec
plusieurs droits, usages de bois et autres ». Quant au « chasteau de
Neaufle », on connaît sa provenance et comment Pierre le fit bâtir
« au point où il est maintenant », avec l'argent du roi Philippe le Bel,
or sa construction coûta plus de cinquante mille livres, sans compter
les « ressorts et fiefs » qui y furent adjoints. Et l'arrêt du Parlement
de continuer ainsi Γ enumeration des manoirs, terres, domaines, droits
et revenus encore aux mains des héritiers de Pierre Hideux, de son frère
Oudart, de Pierre le Gras et des enfants de la dame de Neauphle. Nous
en épargnons l'énumération au lecteur. . . Toutes choses acquises par
« fraudes, baras et deceptions », qui sont donc confisquées purement
et simplement pour faire « retour » au domaine.
Parmi tant de spoliations et exactions, non seulement de la part
du clan des Chambly, mais aussi de tous les Bouville, Machault, Flotte,
Nogaret, Plaisians et autres s 'enrichissant au détriment du domaine,
il convient d'évoquer, tout spécialement ici, le cas de Quatre-mares.
Pierre « le Preudhomme » y avait fixé sa résidence de prédilection et
y avait même fondé une chapelle dédiée à saint Louis; après lui son
fils en avait joui à son tour.
Le bailli de Rouen, Pierre de Hangest, exécutant la sentence du
Parlement, y mit la main du roi, et fit dresser, par Jean de Ronque-
rolles, geôlier de Pont-de-1'Arche, et un certain Jean d'Ivry,
l'inventaire des reliques et joyaux inestimables qui, une fois saisis, furent remis
au trésorier de la Sainte-Chapelle à Paris. Pour n'être pas inédit,
cet inventaire des objets précieux rassemblés par Pierre « dit le
Preudhomme » et conservés par son fils « dit le Gras », revêt ici un
intérêt tout particulier.
En voici la liste :
— Premièrement un cercle d'or à saphirs et à rubis intercallés de
quatre perles blanches.
— Une « jointe » ou phalange de saint Louis, en un récipient de cristal
enserré d'or et d'argent.
— Des cheveux de saint Louis en une châsse de cristal également
enserrée d'or et d'argent.
— Une « image » de saint Louis d'argent doré, coiffée d'une couronne
amovible agrémentée de perles.
— Deux angelots d'argent doré.
180 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
— Deux chevaliers d'argent doré, à genoux, dont l'un porte l'écu
armorié de « messire Pierre le Chambellan » (Pierre de Villebéon, secrétaire
et confident de saint Louis, mort au retour de la croisade, en 1271),
et l'autre les armes de « messire Pierre de Chambli ».
— Un siège d'argent doré sur lequel sont assis des angelots devant tenir
des reliques.
— Un coffret d'argent, doré à l'intérieur, fermé, contenant plusieurs
reliquaires.
— Un « berceau » de cristal, à quatre pieds d'argent, contenant des
cheveux de saint Louis.
— Une statuette d'argent doré représentant saint Louis assis sur un
siège orné de perles, à laquelle manque un bras.
— Une croix d'argent doré, avec un pied de même métal.
— Un buste couronné de saint Louis en argent, ayant en sa poitrine
une cassette en cristal avec des cheveux du saint roi.
— Un écrin couvert de soie, scellé du sceau de la comtesse de San-
cerre (Isabelle de Rosny, seconde femme de Pierre de Chambly) et scellé
à nouveau du bailli (de Rouen) pour le refermer après l'avoir ouvert,
afin de voir si l'on y trouverait la couronne ou l'une des épines de la
couronne de Notre Seigneur; or elle n'y fut point trouvée.
— Un étui d'argent orné de plusieurs petites pierres, pour y placer
des reliquaires.
— Les parements d'un autel et tous les ornements et vêtements d'un
prêtre, d'un diacre et d'un sous-diacre, tous ornés des armes de
Chambly, un calice avec sa patène et « un corporal en une custode
de soye ».
Il est assez émouvant de penser combien ce fidèle chambellan de
saint Louis conserva la vénération et le culte de son ancien maître ; et
l'on ne peut que déplorer qu'il ait été entraîné avec les siens à profiter
de la situation privilégiée qu'ils avaient auprès de ses successeurs
pour commettre les abus de confiance qui leur valurent de la part de
Philippe le Long la condamnation morale de leurs personnes et la
confiscation effective de leurs biens « en punition de la faute des
Chambly ».
L'historien ne peut s'empêcher de rapprocher le cas de Pierre de
Chambly de celui de Pierre de la Brosse : l'un et l'autre entrés jeunes
au service de saint Louis, et dont celui-ci, déjà peut-être malade et occupé
par la croisade, facilita la carrière en les confiant à son fils et
successeur, peu avant sa propre mort et avant que mourut (hélas!) son plus
fidèle serviteur, « secrétaire » et ami, Pierre de Villebéon, dit « le
Chambellan ». Ils furent grisés l'un et l'autre par l'ambition et l'appât de
la fortune. On sait quel fut le sort de Pierre de la Brosse, et nous savons
maintenant quel fut le destin de ce clan des Chambly, pour sa ruine
et son déshonneur.
Quand orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de
bien près.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 181

Jean de Soisy

Monseigneur Jean de Soisy (le 23e ou 24e à déposer) est dit «


chevalier du diocèse de Paris, homme d'avisé aage et moût riche, de
50 ans et plus ». Or, sauf erreur, il devait être sensiblement plus âgé
et, pensons-nous, contemporain du roi Louis, puisqu'il affirma avoir
été avec le roi « au temps de sa jeunesse », attestation renouvelée en
une autre déposition, à propos du chant de l'Ave Maria stella, si
difficile à apprendre. .. C'est là un des très rares témoignages évoquant en
l'an 1282, le temps déjà lointain de leur jeunesse.
Les circonstances paraissent avoir séparé les deux amis. Puis ils
se retrouvèrent et vécurent intimement, « moût priveement », pendant
les trente dernières années et jusqu'à la mort du roi à laquelle Jean
de Soisy semble bien avoir assisté (mais n'anticipons pas).
A la suite d'une enquête faite, en vertu d'un mandement du roi,
par le prieur de Saint-Spire et le concierge royal de Corbeil, le
Parlement, lors de la session de la Saint-Martin d'hiver (1 1 novembre 1263),
prononça que monseigneur Jean de Soisy ne doit pas juger dans sa
propre cour les voleurs pris sur sa « terre » de Soisy, mais les conduire
à Corbeil pour y être jugés au siège de la châtellenie royale.
En 1266 (en l'octave de la Chandeleur), une autre enquête conduite
par Guillaume, doyen de Saint- Aignan d'Orléans, dans un différend
entre Jean de Soisy, chevalier, et l'abbaye de Saint-Victor de Paris,
au sujet de la chasse dans les bois entre Soisy et Draveil, se termine
par un accord : le chevalier Jean peut y chasser le lapin au furet ou
« au filet ». Or, dans la pratique, des difficultés se présentèrent
certainement car, par arrêt rendu en l'octave de la Toussaint 1268, la Cour
doit rappeler que ce droit de chasse au lapin a été adjugé à Jean «
seulement au furet et au réseau », sans chien, ni cor et sans froisser le bois
(ou y faire aucune clôture) : on voit assez mal en effet la nécessité de
chasser à cor et à cri pour capturer de pauvres connins à la sortie de
leur terrier. Ces incidents de droits de chasse, fort réduits à la vérité,
étaient susceptibles de renaître indéfiniment ; sagement Jean de Soisy
et son frère Robert, lui aussi chevalier, y renoncèrent en faveur de Saint-
Victor par une charte datée de mars 1270 (n. st.), encore munie de
leurs deux sceaux armoriés. — Menus faits quasi journaliers et jeux
de la vie seigneuriale.
Plus nobles, d'autres jeux occupaient les loisirs de ces chevaliers.
Vers le même temps, Jean de Soisy prenait plaisir à rompre quelques
lances en un tournoi dont malheureusement le lieu n'est pas précisé.
Et peu après, en 1268-1269, il fut envoyé en mission à Venise, avec
un autre chevalier, Guillaume de Villette, apparemment pour conclure
de bons accords avec le doge et les conseillers de la Serenissime, ou
seulement avec quelque puissant armateur, dont les bateaux pourraient
182 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
se joindre à la flotte que l'on préparait hâtivement en vue de la
prochaine croisade.
Ayant été — il l'a dit — l'un des familiers ayant vécu avec le roi
jusqu'à sa mort, on peut être assuré que Jean de Soisy prit part à
l'expédition de Tunis. D'autant plus que — fait émouvant — daté du camp
devant Carthage, en août 1270, l'un des tout derniers actes de saint
Louis fait connaître l'intention des trois frères, Adam de Soisy,
trésorier de l'église de Nevers, Jean de Soisy, chevalier du roi, et Robert
de Soisy, chevalier, de fonder une chapelle à Soisy même pour le repos
des âmes de leur père Adam de Soisy, chevalier, et de leur mère,
Isabelle — et le roi comme souverain confirme la dotation de ladite
chapelle, soit une maison sise à Soisy et sept arpents de terre arable
sur son territoire, dont trois le long de la rivière de Seine : ce qui
permet d'identifier, sans aucun doute, leur seigneurie familiale avec
Soisy-sous-Étiolles.
De retour à Paris, Jean de Soisy, « chevalier le roy de France »,
avait fait une importante acquisition en la censive du doyen et du
chapitre de Notre-Dame de Paris, s 'élevant à 500 livres de tournois ;
or « par courtoisie », le chapitre ayant réduit de 20 livres les frais de
« lods et ventes » qui lui étaient dus, Jean s'engage le 13 novembre
1271 à en acquitter le reliquat avant la Chandeleur prochaine.
Une courtoisie en vaut une autre. Dix ans plus tard, le 27
septembre 1281, feu maître Simon de Sèvres, chanoine de Paris, ayant
donné au chapitre de la cathédrale une terre à Bouteinviller,
paroisse de Bagneux, mouvant fief de Jean de Soisy, celui-ci
abandonne tout le droit et la seigneurie qu'il y avait en tant que « premier
seigneur », soit une valeur de 70 livres parisis ; il s'engage à faire
ratifier cet abandon par sa femme Mahaut, et à garantir la possession de
ce bien, contre tous, sauf la dame de Chevreuse et l'évêque de Paris,
« seigneurs supérieurs » : ce qui montre bien comment un fief pouvait
« mouvoir » de plusieurs seigneurs, chacun d'eux constituant un
échelon dans la hiérarchie féodale.
C'est l'année suivante, fin juin-début juillet 1282, que monseigneur
Jean de Soisy, chevalier, fut appelé à déposer son témoignage sur la
Vie du saint roi. Il est encore mentionné, avec son fils et sa belle
fille non nommés, lors d'un procès au Parlement, en sa session de la
Pentecôte 1284.
Pendant ses dernières années, Jean de Soisy percevait une pension
sous forme de rente sur la prévôté de Paris, s'élevant à 39 livres
19 sous et 7 deniers tournois, aux trois termes accoutumés. Dans le
compte de la Toussaint 1285, son nom est suivi de ces mots pro toto,
XL livres, et de la mention suscrite obiit. Il n'était donc plus alors en vie.

Par chance, la charte de mars 1270 (n. st.), en faveur de l'abbaye


de Saint- Victor est encore munie des deux sceaux de Jean, seigneur
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 183
de Soisy, et de celui de son frère Robert. Celui de Jean est de type
« armoriai », c'est-à-dire représentant ses armoiries : un bandé de six
pièces, sous un chef chargé d'un lambel à cinq pendants. Celui de Robert est
identique, mais avec une addition de trois besants sur chacun des cinq
pendants du lambel, variante normale, puisque, cadet, il devait par cette
« brisure » différencier son sceau de celui de son aîné. — Langage un
peu étrange pour qui n'est pas initié à la science du blason.
Mais il y a mieux : le sceau, galette de cire, ayant reçu par pression
l'empreinte des « pièces » composant les armes de son possesseur, n'en
fait point connaître les « couleurs ». Or Jean de Soisy participa à
quelque tournoi, vers 1265-1270, et l'armoriai français contemporain
(Weijbergen), où sont peintes les armes des chevaliers ayant pris part
à ces joutes, nous apprend que « Jehan de Soisi » portait Un bandé de
gueules et d'argent, au chef d'or chargé d'un lambel à cinq pendants d'azur.
Ce « lambel » prouve qu'il appartenait lui-même à une branche
cadette de la famille, laquelle était sans doute représentée à la même
époque par un autre Jean de Soisy, alors écuyer, qui en 1276 (n. st.),
avant Pâques, fit hommage lige à l'évêque de Paris des fiefs,
château et châtellenie de Maurepas, qu'il devait bientôt lui vendre, le
22 octobre suivant.

Pierre de Laon
échanson puis chambellan du roi

Né en 1214 (au dire de Saint-Pathus), Pierre de Laon avait le


même âge que saint Louis, et le suivit lors de son premier à
passage » outre-mer. Après les durs mois vécus en Egypte, on le trouve
en Palestine en qualité d'échanson, et pour reconnaître ses services,
le roi, par lettres datées de Saint-Jean-d'Acre en août 1250, lui donne
à lui et à ses héritiers légitimes une rente de 90 livres parisis à
percevoir sur la prévôté de Laon — rente qui, au retour en France, sera
convertie en une rente en nature, soit 38 muids de blé sur les moulins
de Saint-Éloi-Fontaine, à Chauny, et 2 muids d'avoine sur les greniers
du roi, au même lieu (charte royale non datée).
De « sergent » ( = serviteur), Pierre de Laon ne tarde pas à devenir
chambellan, ainsi qu' il le dit lui-même au cours de sa déposition ; c'est
bien en effet la qualité de « cambellanus domini Regis » qui lui est
donnée dans une enquête du Parlement de la Chandeleur 1258 (n. st.),
lui déniant d'avoir la justice du duel (combat judiciaire) sur ses hôtes
demeurant à Presles, et lui refusant d'ailleurs tous droits de justice sur
les habitants de ce village. — Lors de la distribution des « robes », à
l'occasion de la fête de Pâques 1257, il reçoit la sienne, ainsi que son
collègue Jean « Borguegnit ».
184 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
La fonction de chambellan le conduisit à s'occuper des dépenses
de « l'Hostel », conjointement avec maître Pierre d'Aurillac, clerc; il
eut ainsi à s'intéresser aux dépenses de la reine Marguerite, assez
coquette, comme on le sait (joyaux, robes, fourrures), ainsi qu'à celles
des « enfants du Louvre » (novembre 1261). Mission de confiance qui
lui vaut d'être armé chevalier, et l'on apprend incidemment que le roi
lui a fait donner 28 livres pour remplacer un palefroi. Un acte de Jean,
comte de Soissons, daté de mars 1269, rappelle qu'en sa présence, Pierre
de Laon, chambellan du roi, avant qu'il Jut armé chevalier, avait donné
en aumône à l'abbaye cistercienne de Longpont une rente de 9 livres
et 12 sous parisis, sur « les mestiere de Soissons », mouvant de son fief,
pour acheter des harengs en temps de carême.
Sous le nouveau règne, messire Pierre de Laon se voit confirmé
dans sa charge de « garde » ou gouverneur des enfants royaux : fait
attesté par le dominicain Guillaume de Chartres, lorsqu'il raconte
qu'étant alors au Louvre, Pierre fut saisi d'une douleur intolérable au
bras droit à tel point que, pendant plusieurs jours, il pouvait à peine
se lever et se servir de ce bras devenu infirme ; lorsqu'il se souvint d'avoir
conservé quelques cheveux du défunt roi, dont il avait été l'un des
chambellans : à leur contact, la douleur s'atténua tout d'abord, puis
disparut tout à fait. Pierre fit aussitôt placer dans un petit coffret de vermeil
cette mèche de cheveux et la conserva avec vénération.
Les quatre petits princes dont il avait la garde, Louis, Philippe,
Robert et Charles, étaient devenus, très jeunes, orphelins de leur mère,
Isabelle d'Aragon, décédée douloureusement, au retour de
l'expédition de Tunis, à Cosenza, des suites d'une chute de cheval, alors qu'elle
était enceinte. Or il n'est pas douteux que les qualités de Pierre de Laon
furent vivement appréciées dans le service à la fois délicat et exigeant
qui lui avait été confié, puisque dix ans plus tard, en 1288, on le voit
chargé de s'occuper des enfants du roi de Majorque. Et l'on peut
imaginer les récits que le vieux chevalier devait raconter à ces bambins
émerveillés : parmi eux, les futurs Philippe le Bel et Charles de Valois.
Peu après 1282, « Monseigneur Pierre de Laon, chevalier le roi
de France », avait épousé Sibylle, veuve de Pierre de Chambly,
chevalier. Cette dame, devenue bientôt veuve pour la seconde fois, unit la
mémoire de ses deux maris, de ses deux « seigneurs », pour reprendre
son expression, en une même prière, en fondant chez les cordelières
de Lourcines, près Paris, une messe annuelle du Saint-Esprit, qui à
son décès sera commuée en une messe de Requiem. Dans cette
intention, par acte du 1er octobre 1292, elle avait donné aux religieuses de
ce couvent de sainte Claire une rente de 100 sous parisis à percevoir
le jour de Noël sur les 130 livres tournois qu'elle avait acquises « sur
l'argenterie » et les « moulins des foulons le roi » à Chartres.
A titre d'hypothèse, on pourrait attribuer à Pierre de Laon trois
fils nés d'un premier mariage : Pierre de Laon, chevalier, qui (plutôt
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 185
que son père) prit part à l'expédition de Foix (1272); Gilles de Laon,
qui deviendra bailli de Senlis (1299-1303), et échangea avec le roi,
contre les biens qu'il avait à Pont-Sainte-Maxence, à Pontpoint et au
Moncel, divers droits et redevances à Jaulzy, à Couloisy et à Pierre-
fonds, dont après lui son fils Jean de Laon devint l'un des « hommes
jugeant » ; enfin Pèlerin de Laon (dit le Latimier), dit aussi de Chambly,
bien qu'en un document émanant de lui-même il se dise « fiuz jadis
monsegneur Pierre de Loon, chevalier lou rei » ; il était alors « vallet
nostre segneur le roi de France » (1306), et marié à une « Ysabel » dont
la famille n'est pas connue; il avait été chambellan de Charles, comte
de Valois, frère du roi (1289), et vivait encore en 1318, date à laquelle
une « information sur les aliénations du domaine royal » nous apprend
qu'il avait reçu du roi Philippe (le Bel?) 24 livres parisis de rente sur
la prévôté de Senlis et les prés de Crouy-sous-Beaumont.
C'est par une méprise assez surprenante que, contrairement à
Borrelli de Serres, Jos. Depoin inséra Pierre de Laon dans la suite des
seigneurs de Chambly, en lui attribuant — parmi tant de Pierre —
le numéro IV!

Jean de Joinville

Le nom de Joinville est ^inséparable de celui de saint Louis, dont


il fut l'historien et l'ami9. Être l'ami d'un grand homme est, dit-on,
un « bienfait des dieux » ; en tout cas ce fut pour tous deux une faveur
singulière qui, pour être due aux circonstances, n'en laissa pas moins
un souvenir si durable que la mort elle-même ne sut y apporter la
moindre rupture. Grâce au livre écrit par Joinville, il semble même
qu'elle leur survive à l'un comme à l'autre — le roi étant mort en 1270,
Joinville près de quarante années plus tard, en 1317 — et cette amitié
mémorable durera longtemps encore dans l'esprit de quiconque en aura
pris connaissance.
Quant au Livre, intitulé Histoire de Saint Louis, il est surtout, à
la vérité, le récit des mémoires personnels de Joinville et de ces années
inoubliables vécues ensemble outre-mer en Egypte, en Palestine, et lors
de cette longue navigation méditerranéenne en commun, mais il est
également un témoignage infiniment précieux, déposé sous la foi du
serment en l'an 1282, lors de l'enquête officielle menée en l'abbaye de
Saint-Denis par les trois commissaires désignés tout exprès par le Siège
apostolique. La déposition de Joinville ne demanda pas moins de deux
entières journées d'audience, et l'on peut être assuré que ce
merveilleux conteur exposa au cours de ces séances l'ensemble de ce que nous
apprend son « Histoire » du saint roi. Et c'est alors, pensons-nous, qu'un
clerc à son service dut recueillir ce témoignage que son auteur n'aura
186 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
pas de peine à retoucher et à compléter, lorsque vingt ans plus tard,
vers 1300, Jeanne, comtesse de Champagne et reine de Navarre, petite-
fille du roi Louis récemment élevé sur les autels (août 1297), lui
demanda de consigner par écrit ses souvenirs sur la vie du roi qu'il avait
bien connu et tant aimé. Cette façon de voir n'est pas de notre part
une vaine hypothèse, puisque nous savons maintenant que la
déposition de 1282 contient déjà — souvent textuellement — le récit qu'il
remania (telle une seconde édition) à la demande de la princesse Jeanne,
décédée prématurément en 1305 ; raison pour laquelle il le dédia à son
fils aîné Louis (futur roi de France, Louis X le Hutin), arrière petit-fils
de saint Louis, qui portait un nom désormais devenu prestigieux.
Au demeurant, témoin fidèle et conteur merveilleux, « Joinville,
près de saint Louis reste, au jugement d'Emile Mâle, ce petit
personnage que les dessinateurs placent près d'une cathédrale pour en
donner la hauteur ». Certes! Et pourtant non seulement sa seule présence
auprès du roi le grandit à nos yeux, mais il attire lui aussi la sympathie
du lecteur, par les manifestations d'un caractère sans aucun doute plus
« humain » que celui de son admirable maître.
Né en 1225, peut-être le 1er mai, il appartenait à une noble maison
champenoise dont le premier représentant connu vivait au début du
XIe siècle. Neuvième seigneur de Joinville, Jean aimait à retracer la
lignée de ses ancêtres, pour lesquels il composa une épitaphe élogieuse
placée en l'abbaye de Clairvaux. Elle remontait à son bisaïeul,
Geoffroi (III), qui le premier fut sénéchal de Champagne, titre
longtemps revendiqué, mais qui ne devint formellement héréditaire que le
26 juillet 1226 en faveur de Simon, père du confident de saint Louis.
Ce Simon, marié une première fois à Ermengard de Montclair (juin
1209), décédée vers 1220, après lui avoir donné deux enfants, se
remaria bientôt avec Beatrix d'Auxonne, fille du comte de Bourgogne, séparée
d'Aimon de Faucigny. Or Simon mourut en mai 1233, laissant sa veuve
Beatrix, tutrice des six enfants nés de leur union, quatre fils et deux
filles, dont l'aîné était Jean, objet de la présente notice, alors âgé de
huit ans.
Comme la reine Blanche assuma plusieurs années durant la garde
de ses enfants mineurs, de même Beatrix assuma les mêmes tâches
auprès des siens avec les titres et qualités de « dame de Joinville,
sénéchale de Champagne » ; bien que parvenu à la majorité féodale de
quatorze ans (le 1er mai 1239), Jean déclara confier à sa mère pour quatre
années encore le gouvernement des fiefs qu'il tenait du comte de
Champagne, mais il n'attendit pas sa majorité pour épouser Alix, sœur de
Henri VI, comte de Grandpré — mariage prévu dès 1230, du vivant
de son père Simon — ni pour remplir ses devoirs auprès de son
suzerain avant même d'avoir « vêtu le haubert ».
C'est ainsi qu'il accompagna à Saumur comme écuyer tranchant
le comte Thibaud, roi de Navarre, lors des fêtes somptueuses qui mar-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 187
quèrent la « chevalerie » d'Alphonse, comte de Poitiers, frère du roi
en 1241 : cérémonie « sans pareille » dont il conserva toujours un
souvenir ébloui, événement où, pour la première fois, il fut appelé à tenir
son rang dans l'une des plus brillantes assemblées du nouveau règne ;
c'est là sans doute que pour la première fois il rencontra le souverain
dont il était destiné à devenir l'ami et qui, ce jour-là, portait une cotte
de samit bleu, un surcot et un manteau de samit vermeil doublé
d'hermine, tout en étant coiffé d'un modeste « chapel de coton qui moult
mal lui séoit ». Or, si le sénéchal décrit ainsi avec une minutie presque
attendrie les vêtements du roi, il est bien certain qu'il contempla son
visage : fait surprenant, lui qui avait une telle mémoire des actions
auxquelles il participa, et des couleurs environnantes, il ne dépeint
jamais le visage de celui dont il décrit si merveilleusement la beauté
intérieure.
Après la fête de Saumur, Joinville ne participa pas en combattant
à la conquête de l'Aunis (1242), où le roi se distingua à Taillebourg,
mais, exerçant ses fonctions auprès du comte Thibaud, son suzerain,
il était à Poitiers, lorsque Hugues de Lusignan, vaincu, dut venir
implorer à genoux la clémence du roi qu'il avait défié.
A vingt ans, en 1245, il reçut l'épée et les éperons de chevalier,
mais n'eut guère à s'en servir, lors d'un épisode de guerre privée, quand
son oncle, Josserand de Brancion, ainsi que son frère Geoffroi de Vau-
couleurs, durent expulser des Allemands qui avaient envahi une église,
sur les confins de la Franche-Comté.
Or c'était le temps où le roi se préparait à la croisade en exécution
de son vœu de 1244. Avec ses barons et ses chevaliers, il invita
Joinville à Paris avant le grand départ, fait notable, où l'on a pu déceler
quelque bon rapport existant déjà entre eux deux, car Joinville n'était
point lié au roi par quelque lien féodal et il le lui fit bien savoir en
refusant de prêter serment de rester éventuellement fidèle à ses enfants
« car, dit-il, je n'estoie pas ses homs ».
Joinville était trop profondément chrétien pour ne pas suivre les
exemples de son père, de son oncle et de ses aïeux qui étaient allés
outremer pour combattre les ennemis de la foi. A son tour il prit la croix,
et en cette même année 1248, le jour de Pâques, profitant des fêtes
données lors de la naissance de son second fils, il réunit en son château
tous ceux qui tenaient de lui des fiefs, entendant, avant de les quitter
pour un lointain voyage dont il ne reviendrait peut-être pas, leur
donner réparation si jamais il avait commis le moindre tort à leur
égard, et très dignement se soumit par avance à leur propre
appréciation. Mesure particulièrement méritoire car sa fortune n'était pas
au niveau de son rang, ses revenus fonciers n'atteignant pas 1 .000 livres
de rente.
Pour subvenir au règlement de ses affaires, aux frais de son
équipage, à la retenue de neuf chevaliers qu'il prit à sa solde, il dut aller
188 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
à Metz engager une grande partie de ses « terres ». Après quelques
aumônes à Montierender et autres établissements religieux du
voisinage, il reçut la sacoche et le bâton de pèlerin des mains de l'abbé de
Cheminon, le plus vénéré des moines de Cîteaux. Et puis ce fut le départ,
avec les neuf chevaliers de son escorte — mais il s'en alla sans
retourner les yeux vers le beau château de Joinville et les deux jeunes enfants
qu'il y laissait, de peur que son cœur ne s'attendrît...

Pour partager les frais de la traversée, Joinville s'était associé à


ses cousins Geoffroi d'Apremont, comte de Sarrebrück, et Gobert
d'Apremont, mais au lieu d'aller s'embarquer à Aiguës-Mortes comme
le roi, le sénéchal, ses compagnons et leur suite prirent la mer à La
Roche de Marseille. C'était au mois d'août. A Dieu vat!
La déposition rapportée plus haut (et reprise dans ses Mémoires)
raconte les six années de la croisade. Mais il ne faut pas omettre, ce
que sa modestie l'empêcha de nous dire, qu'étant à Jaffa, en avril 1253,
saint Louis avait donné à Joinville, en récompense de ses services, une
rente annuelle et héréditaire de 200 livres tournois sur le trésor au terme
de la Toussaint; fief-rente faisant ainsi de lui « l'homme du roi », son
vassal, lien féodal venant s'ajouter aux liens tissés par l'amitié.
Au retour, dès qu'il eut quitté le roi à Beaucaire, Joinville, par
étapes brèves chez sa nièce, la dauphine Beatrix, puis chez son oncle,
le comte de Chalon, se hâta de regagner son beau château, et de
mettre bon ordre à ses affaires, qui, malgré la sage gestion de sa mère,
avaient bien pâti pendant les six années de son absence.
Il est dans la force de l'âge, la trentaine; et il lui reste encore à
vivre plus de soixante ans^ qu'il est possible de suivre presque année
par année grâce au Catalogue de ses actes publié en 1894 par H.
François Delaborde.
Son existence est consacrée désormais à de multiples devoirs :
d'une part à la gestion et à l'accroissement de son patrimoine, ainsi
que l'établissement de ses huit enfants, d'autre part les obligations que
lui imposait dans ce vaste comté de Champagne et de Brie sa situation
de sénéchal, et ses devoirs auprès de son suzerain.

En Champagne, Joinville accorde une charte de franchise aux


habitants de Joinville (1258); le 14 janvier 1259, il reçoit de Thibaud,
comte de Champigny, en « augment de fief», ce que ce dernier
possédait dans la ville de « Germay »; en 1261, deux deuils viennent le
frapper : la mort de sa femme Alix de Grandpré, et celle de sa mère
Beatrix d'Auxonne (avant le 1 1 avril), dont il partage la succession avec
son frère Geoffroy, seigneur de Vaucouleurs. L'année suivante, il épouse
Alix de Reynel, fille unique de Gautier, seigneur de Reynel, qui lui
donnera six enfants : quatre fils et deux filles.
En octobre 1266, il affranchit ses hommes de Montiers-sur-Sault,
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 189
et l'année suivante 1267, il octroie une charte de franchise à la ville
neuve de Ferneres qu'il a commencé à faire bâtir.
Mais ses difficultés pécuniaires n'étaient pas encore aplanies et,
le 26 avril 1268, ayant dû emprunter 528 livres tournois au comte de
Champagne, il s'engage à les rendre en trois termes : 1) à la foire de
Troyes, le 30 novembre prochain, 164 livres sur ses appointements de
sénéchal ; 2) le 30 novembre 1269, pareille somme sur les mêmes
appointements; 3) le 1er novembre 1269, 200 livres sur la rente que lui doit
le roi de France au terme de la Toussaint. Enfin, le 16 janvier 1269,
par acte daté de Troyes, le comte Thibaud lui donne la « ville » de
Germay, mais avec obligation d'en faire hommage au roi de France
et à ses successeurs.
Sa vie et ses activités en Champagne n'empêchent pas Joinville
de se rendre plusieurs fois en « France » et d'y retrouver le roi. L'année
même de leur retour, il se rend à Soissons, où il reçoit de saint Louis
un accueil si affectueux que tous ceux qui étaient présents s'en
émerveillent. Bientôt après, il a l'occasion de se rendre à Paris, lors de la
session du Parlement de Noël, où l'appelaient ses devoirs envers le roi
et le comte de Champagne.
Il était question, depuis quelque temps déjà, du mariage du jeune
fils du comte Thibaud avec Isabelle, fille de saint Louis, mais le roi
tardait, voulant auparavant mettre fin à un litige séparant le comte de
Champagne et sa sœur la comtesse de Bretagne. Joinville fut prié par
les barons champenois d'intervenir auprès du souverain. L'accord ayant
été conclu assez rapidement, le sénéchal eut la joie d'assister aux fêtes
de Provins célébrant, au mois d'avril 1255, l'heureuse conclusion de
ce mariage, unissant le fils de son suzerain et la fille de son royal ami.
Il se trouve sans doute à la cour lorsque le roi d'Angleterre vint
prêter hommage à saint Louis pour le duché de Guyenne et fut
présent, en 1259, au Parlement de la Saint-Martin d'hiver, où fut réglé
le différend de l'archevêque de Reims avec l'abbé de Saint-Remy.
Joinville est dès lors au nombre des conseillers du roi et l'assiste
dans son rôle de justicier soit au palais à la chambre des plaids, soit
à Vincennes sous « le chêne de Vincennes » ; il est invité à la table royale
où la conversation est libre et parfois enjouée ; chacun se souvient de
la mésaventure de maître Robert de Sorbon, et des propos tenus par
le roi recommandant à ses barons de ne pas négliger une certaine
élégance dans leurs vêtements « car, disait-il, vos femmes vous en
aimeront mieux et vos gens vous en priseront plus ».
En 1262, il accompagna le comte de Champagne aux noces du
prince héritier Philippe, et lors du banquet, accomplit son service auprès
de son suzerain ; selon la coutume il prétend avoir le droit de
s'emparer de la vaisselle utilisée pour le repas, mais Thibaud de lui répondre
justement qu'il ne peut la lui abandonner, puisqu'elle appartenait au
roi de France.
190 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
En 1266, il assiste (au Parlement) à la séance où fut reconnue
par comparaison entre les empreintes de l'ancien et du nouveau sceau
du roi la légitimité des droits de Mathieu de Trie au comté de
Dammartin.
L'année suivante, convoqué à Paris, et arrivé le 24 mars 1267,
il ne peut rencontrer le roi, mais, le lendemain matin il le trouve à la
Sainte-Chapelle, occupé à faire descendre le reliquaire de la vraie croix ;
il comprend aussitôt et n'est pas long à partager la perplexité de tous,
répondant fermement au roi et au comte Thibaud qu'il ne les suivrait
pas car il croyait mieux faire la volonté de Dieu en restant en France
« pour aider et défendre son peuple ».
A la Pentecôte (5 juin 1267), il est encore à Paris, lors des fêtes
de la chevalerie du prince Philippe, cérémonie à laquelle fut également
adoubé un de ses neveux, Jacques de Faucigny. Sans doute alors
sollicité à nouveau de « prendre la croix », il réitéra sa réponse fermement
négative, jugeant qu'ils avaient « fait péché mortel » ceux qui avaient
conseillé cette nouvelle croisade.
L'expédition de Tunisie s'avéra lamentable et néfaste. A son retour,
Philippe III, devenu roi, s'en retournait avec toute une suite de
cercueils : celui de son père, l'ami incomparable de Joinville, ceux
du comte et de la comtesse de Champagne, celui de la jeune reine
de France...
Le nouveau comte de Champagne, Henri, frère du comte défunt,
était alors en Navarre. Venu à Paris prêter hommage à Philippe le Hardi
en mai 1271, Joinville fut l'une de ses cautions pour les 30.000 livres
qu'il prit en juin l'engagement de payer au roi comme droit de relief
des comtés de Champagne et de Brie. Or, de façon imprévue, Henri
mourut le 22 juillet 1274, laissant une fille de deux ans, Jeanne,
unique héritière du royaume de Navarre et du comté de Champagne,
sous la tutelle de sa mère Blanche d'Artois. Celle-ci très sagement la
mit sous la garde du prince Philippe, que la mort de son frère aîné Louis
rendit bientôt l'héritier du trône de France. Puis Blanche d'Artois fut
remariée à Edmond de Lancastre, frère d'Edouard Ier, roi
d'Angleterre ; mais presque constamment éloigné de la Champagne, Edmond
en confia la garde à Jean d'Acre, bouteiller de France.
Joinville retenu en Champagne ne suivit pas le roi dans sa
campagne au-delà des Pyrénées; on peut penser qu'il vint de temps à autre
à Paris, notamment pour y siéger au Parlement. Chose certaine, entre
le 12 juin et le 8 août 1282, il se rendit à Saint-Denis pour apporter
son témoignage à l'enquête sur la vie du bon roi Louis et n'y écourta
point le temps de sa déposition.
Le rattachement de la Champagne à la Couronne lui tenait
certainement à cœur et, le 1 1 mars 1283, le sénéchal fut l'un des
commissaires désignés par le pouvoir pour promulguer que, suivant la
coutume de Champagne, l'âge de la majorité des femmes était fixé à onze
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 191
ans révolus et que par conséquent, Jeanne, née à Bar-sur-seine le
14 janvier 1273, avait l'âge requis et était apte à faire et à recevoir
hommage. Join ville resta quelque temps à Paris auprès du roi, puis
l'accompagna jusqu'à Orléans, le 26 mars 1283; cinq mois plus tard
étaient célébrées les noces de sa jeune suzeraine avec l'héritier de la
Couronne.
En décembre suivant il siégeait aux Grands Jours de Troyes, et il
occupait même la première place dans le comté, celle de garde général
de Champagne, quand au début de l'an 1285 Philippe III emmena son
fils Philippe à la guerre d'Aragon.
Le 6 octobre, l'avènement de Philippe le Bel marque l'union
définitive de la Champagne à la Couronne. Joinville ne peut que s'en
réjouir. Mais cet avènement est aussi celui d'un roi très jeune âgé de
dix-sept ans, alors que lui-même, ayant atteint la cinquantaine, fait figure
d'ancien, quelque peu grognard, regrettant à n'en pas douter le temps
passé : celui du règne de ce roi dont la gloire impérissable fut
proclamée le 6 août 1297, lors de sa canonisation par Boniface VIII.
Le sénéchal de Champagne, qui pendant un temps avait été garde
général du comté, se voit plus ou moins écarté des Grands Jours de
Troyes, et il devient évident que, de part et d'autre, entre le roi et lui,
n'existe guère de sympathie.
Assurément le 25 août 1298, premier anniversaire de la fête de
saint Louis, Joinville a-t-il la satisfaction d'assister à la cérémonie de
Saint-Denis, lorsque son neveu l'archevêque de Lyon, Henri de Vil-
lars, et l'archevêque de Reims procèdent à l'élévation des vénérables
reliques — et aussi d'entendre évoquer du haut de la chaire sa propre
déposition, lorsque fr. Jean de Samois, franciscain, prononce le
panégyrique du nouveau saint. Il ne tarde pas lui-même à fonder dans la
chapelle de son beau château un autel consacré à la célébration de son culte
« à jamais »...
Deux ans plus tard, conséquence de l'accord conclu à Vaucouleurs
entre Philippe le Bel et l'empereur Albert, Joinville sera chargé de
conduire, avec le comte de Sancerre, la princesse Blanche de France,
sœur du roi, à Haguenau, où l'attendait son fiancé Rodolphe, duc
d'Autriche.
En 1301, au retour du voyage triomphal effectué en Flandre par
Philippe le Bel et la reine Jeanne, Joinville assura auprès d'elle un
service de vingt-cinq jours heureux, car elle entourait de prévenance et
d'amitié le vieux compagnon de saint Louis. Mais la roue de la
fortune tourne, et la nouvelle politique royale ne pouvait recevoir
l'approbation de Joinville : simple détail, parmi beaucoup d'autres, jamais
saint Louis n'avait demandé à ses vassaux d'envoyer à la monnaie la
moitié de leur vaisselle d'argent.
C'était précisément l'époque où le vieux sénéchal revoyait ses
mémoires pour y mettre la dernière main et, se remémorant le temps de
192 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
saint Louis, il ne pouvait s'empêcher de faire des comparaisons avec
le temps présent : plusieurs allusions s'y découvrent, qui ne sont pas
même voilées.
Et l'on sait qu'à la fin du règne de Philippe le Bel, Joinville est
au nombre des mécontents qui, en Champagne comme ailleurs,
forment des ligues bientôt confédérées, contraignant le roi à suspendre
ses exactions fiscales et à rétablir la bonne monnaie. C'est avec
satisfaction qu'il salue l'avènement de Louis X, en se permettant de l'appeler
presque familièrement « son bon seigneur », ainsi qu'il faisait du temps
de saint Louis ; mais bientôt, en juin 1316, le « Hutin » mourut
subitement. Puis, dans les circonstances que l'on connaît, le sire de Joinville
et Anseau, son fils et son héritier, manifestent leur fidélité au nouveau
roi Philippe V le Long qui, pénétré des exemples de saint Louis, s'attacha
à réparer les maux du règne de son père Philippe le Bel. Enfin,
c'est en paix avec son roi, avec aussi (on n'en saurait douter) la
grâce de Celui pour qui pieusement il avait commenté les paroles du
Credo, que Joinville s'éteignit plein de jours, la veille de la fête de Noël,
24 décembre 1317 : il avait quatre-vingt-douze ans.

Gui le Bas

On lit dans Saint-Pathus, parmi les témoins : « Monseigneur Gui


le Bas, chevalier, du dyocèse de Sens, homme de grant aage et moût
riche, de L (cinquante) ans ou environ. » Si ce chiffre romain est exact,
il serait donc né vers 1232 ; aussi est-il assez peu probable qu'il ait
accompagné saint Louis dans sa première croisade en 1248.
Dans sa déposition Gui précise qu'il fut « moût Ions tens avec
le benoiet roy ». Or la documentation conservée (ou du moins
retrouvée) n'est pas antérieure à 1269. Son nom figure alors en tant que
« chevalier de l'Hôtel du roi » : cette qualité, jointe à l'affirmation qu'il
fut longtemps au service du roi, ainsi que les nombreuses et
importantes missions qui lui seront confiées pendant une vingtaine d'années,
donnent à penser que ses activités ultérieures ne furent que la suite et
continuation de celles qu'il avait déjà exercées comme conseiller du roi
et que, bien antérieurement à cette année 1269, il devait siéger au
Parlement, participant à ses arrêts et à ses enquêtes. Bien que son nom
soit inscrit dans la liste des « chevaliers de Γ Hostel du roy pour la voye
de Thunes », il ne semble pas avoir participé à la seconde croisade qui
conduisit l'armée chrétienne outre Méditerranée.
En effet, tout en appartenant à l'Hôtel du roi, Gui le Bas
remplissait en 1269 les fonctions de bailli d'Arras, pour le comte Robert
II d'Artois, qui de préférence choisissait ses baillis hors de son propre
domaine et dans le personnel de l'administration royale. A cette
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 193
époque, la situation de Gui le Bas était donc ambiguë. Il avait
d'ailleurs sur place pour le seconder un sous-bailli.
Un grave conflit ayant éclaté à Lyon entre les chapitres de Saint-
Jean et de Saint-Just d'une part, et les citoyens et le peuple de la
ville; d'autre part, les adversaires, ne sachant comment en finir, s'en
remirent à l'arbitrage du roi de France. Deux mandements intitulés
à son nom et à celui du cardinal légat, datés de Paris les 10 et 13
janvier 1270 (n. st.), envoyèrent dans la grande cité rhodanienne Jean le
Queu, chanoine de Nevers, et Gui le Bas, chevalier, avec mission de
rétablir la paix. Or ils trouvèrent une ville en pleine insurrection et ne
purent que revenir en exposant la situation qui nécessitait à l'évidence
d'autres moyens d'intervention.
En ce même temps, un différend survenait à Arras entre l'évêque
et le comte d'Artois ; ce dernier, pour réparer une partie des murs de
la ville, avait dû faire des écluses pour détourner l'eau des fossés
bordant la muraille; or fossés et terrains adjacents appartenaient à
l'évêque qui détruisit les écluses.
... Le roi ordonna une enquête qu'il confia à Henri de Camp-
Repus et Guillaume de Beauvais, ses clercs, et à deux chevaliers,
dont Gui le Bas. Il fut décidé que l'évêque n'avait aucun reproche
à faire aux gens du comte, que ceux-ci devraient seulement ensuite
rétablir le fossé dans son état primitif, et que le comte et les échevins
auraient droit de clore les portes de la barbacane, si la sécurité de la
ville l'exigeait.
A quelque temps de là, le chapitre cathedral, en discorde avec
les gens du comte et les habitants d'Arras, avait jeté l'interdit et
suspendu les offices divins dans la ville. Envoyé au nom du roi, Jean,
archidiacre de Bayeux, et Guillaume de Chevry, chevalier, donnèrent
raison aux chanoines; ils firent lever l'interdit (août 1270), mais
condamnèrent certains agents du comte à payer des indemnités au
chapitre, et d'autres à une procession expiatoire, en chemise, sans coiffe
et nu-pieds, en présence de Gautier de Lannoy, chevalier, de Gui le
Bas, bailli d'Artois, et de Guillaume de Saint- Venant, sous-bailli. Une
telle vexation était l'un des inconvénients du métier et n'était pas
considérée comme un signe de démérite.
A la Chandeleur 1275 (n. st.), il est l'un des premiers chevaliers
de l'Hôtel du roi à recevoir un manteau, d'une valeur de 100 sous.
Et l'année suivante, par charte datée de Nogent-l'Erembert en mars
1276, Philippe III, en récompense de son service, donne à son cher
et fidèle chevalier, Gui le Bas, et à ses héritiers légitimes, sa maison
d'Aigrefin, près Châteauneuf-sur-Loire, à tenir en fief lige : le tout
comprenant trois hostises, cinq quartiers de vignes à Trébuchet, trois arpents
de vignes également à Châteauneuf au lieudit « les Costes », 85 mines
de terre arable en divers pièces, et autres appartenances, à l'exception
de la forêt, dont Guy reçoit seulement deux arpents attenant à la
maison d'Aigrefin.
194 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Vers la même date, Gui le Bas, avec Guillaume de Cohardon,
est présent au procès intenté à Jean de Neuvi, vicomte de Pont-Audemer,
accusé de nombreuses malversations dans l'exercice de ses fonctions.
En 1278, il assiste au Parlement à la condamnation du seigneur d'Arcis
qui avait à tort interjeté appel d'un jugement prononcé par le duc
de Bourgogne le condamnant à se dessaisir de la ville de Vitry
mouvant de son fief; les premiers juges étant l'abbé de Saint-Denis et le
sire de Nesle. Aux environs de l'Epiphanie, et plus précisément
le 16 janvier 1280 (n. st.), messire Gui le Bas est l'un des dix-neuf juges
rendant un arrêt contre l'archevêque de Reims, en interprétant au
bénéfice des échevins et bourgeois de la ville la « Wilhelmine », charte de
leurs privilèges; les deux premiers juges étant cette fois l'évêque
d'Amiens et l'abbé de Saint-Denis.
Pendant une dizaine d'années encore les activités de Gui le Bas
se poursuivent au Parlement, soit lors des «jugés », soit dans
l'accomplissement des enquêtes ordonnées par la Cour afin d'être mieux
renseignées et de rendre la justice souveraine en meilleure connaissance
de cause.
Le 30 mai 1281, c'est à Chartres que Gui le Bas se trouve en une
importante assemblée ne groupant pas moins d'une vingtaine de
notables, chevaliers et clercs séculiers ou réguliers, lors du serment
prêté à « Pierre, filz le roi de France, comte d'Alençon, Blois et
Chartres » par le nouvel évêque, Simon de Perruchay, en la chapelle
de la Tour de Chartres. Celui-ci, devant l'autel, la main sur la
poitrine, et le missel ouvert sur l'autel, jura qu'en aucune façon il ne ferait
chose susceptible d'entraîner la perte de la ville de Chartres au
détriment du comte ni de ses héritiers.
Le 30 avril 1282, c'est par lettre datée de Carcassonne que Gui
le Bas et Robert-Sans-Avoir, chevaliers du roi, annoncent à Philippe
le Hardi comment les mesures qu'ils ont prises à Castres, à
Carcassonne et à Narbonne ont contraint Amaury et Aimery, frères,
vicomtes de Narbonne, à se soumettre alors qu'ils avaient fait alliance
avec le roi de C astille. Et c'est au retour de ce beau succès que Gui
déposa son témoignage personnel devant la commission des trois
prélats réunis à l'abbaye de Saint-Denis, et poursuivant diligemment leur
enquête sur la Vie de monseigneur le béni roi Louis, jadis roi de France.
Le 1er mars 1284, il est présent à la Cour lors du très important
arrêt déboutant Charles d'Anjou, roi de Sicile, de ses prétentions sur
l'héritage d'Alphonse de Poitiers et de sa femme Jeanne de Toulouse,
décédés l'un et l'autre depuis près de quatorze ans.
Dans sa session de la Toussaint 1286, le Parlement est amené à
trancher un procès mettant en cause Gui le Bas, demandeur, et
Jean III, seigneur de Lignières, ou plutôt son fils Jean; mais ce
dernier étant mineur, Jean de Lignières se retrancha derrière cette
minorité pour refuser de répondre, et l'affaire fut renvoyée à plus tard,
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 195
lorsque son fils aurait atteint sa majorité; l'objet du débat n'est pas
connu : sans doute s'agissait-il d'un procès immobilier, ainsi que l'a
supposé E. Chénon; en tout cas l'affaire avait été évoquée lors des
«jours de Berry ». En cette même session, Gui le Bas eut un autre
procès avec l'évêque d'Orléans relativement à un fief non précisé, mais
l'affaire paraît s'être terminée à l'amiable...
Un mandement de Philippe le Bel, daté de Paris le 26 août
1290, enjoint à maître Laurent Voisin, clerc, chevalier de l'église de
Chartres, et à Gui le Bas, chevalier du roi, de se rendre à Douai pour
recueillir des témoignages sur le débat mû au Parlement sur un
différend entre le comte de Flandre et les bourgeois de la ville, et d'en faire
rapport à la cour.
Ce fut apparemment la dernière mission confiée à Gui le Bas,
car il ne tarda pas à mourir. Une simple indication datée de l'an 1291 ,
nous apprend qu'il avait rédigé son testament et fait connaître les
noms de deux des exécuteurs de ses dernières volontés : Guillaume de
« Mangecourt » (sans doute Manchecourt, non loin de Montereau-fault-
Yonne, où s'élevait une forteresse), et « Jefroy le Bas ». Mention trop
laconique ne permettant pas de savoir si sa femme « madame Gilè » lui
survécut ou si elle était elle-même décédée.
Siégeant au Parlement, comme chevalier, où il paraît avoir «jugé »
pendant de longues années, chargé d'enquêtes souvent lointaines
et délicates (Lyon, Arras, Narbonne, Douai), messire Gui le Bas
était un haut personnage. Lorsqu'un bailli lui écrivait pour raison
administrative, la lettre était adressée « A homme noble et honneste
monsegneur Guy le Bas, chevalier nostre segneur le roy de Franche »
(Henri Louvel, garde de la baillie de Verneuil, 23 septembre 1282),
« A homme noble, porveu et saige mon seingneur Guy le Bas,
chevalier nostre seingneur le roy » (Renaud Barbou, bailli de Rouen,
2 octobre 1282).
Le sceau de Gui le Bas, appendu à un document de 1281, fait
connaître ses armoiries : un rais d'escarboucle fleurdelisée, au lambel à
quatre pendants, avec la légende circulaire + S'GUIDONIS BASSI MILITIS.
Les couleurs sont données par l'armoriai Weijnbergen composé vers
1265-1270 : d'argent à l'escarboucle de gueules au lambel à quatre pendants
d'azur. Ce qui fait penser que ce chevalier comme tant d'autres dût
prendre part à quelque tournoi. Quant au lambel, qui est une «
brisure », il prouve que Gui appartenait à une branche cadette de sa
famille. Or Yescarboucle est une pièce héraldique extrêmement rare,
ce qui permet un rapprochement avec l'emblème ornant le sceau
de Mathieu de Beaune, chevalier, bailli de Vermandois, de 1256
à 1260, décédé en 1265, qui portait les armes « plaines » : un rais
d'escarboucle.
196 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Robert du Bois-Gautier

« Monseigneur Robert du Bois-Gautier, chevalier et riche,


du dyocèse de Roen, de XLVIII ans, ou environ. »

Robert était donc originaire de Normandie. Il portait le nom d'une


petite localité, ancienne paroisse du doyenné de Ry (aujourd'hui hameau
de la commune de La Chapelle-Saint-Ouen, canton Argueil, Seine-
Maritime).
Il figure dans la liste des « chevaliers de l'Hôtel le Roy pour la
voie de Thunes ». On peut donc penser qu'il accompagna saint Louis
à son expédition de Tunisie (1270); du moins est-il certain qu'il en
revint, car au terme de la Chandeleur 1274 (2 février 1275, n. st.), il
est l'un des chevaliers de l'Hôtel qui reçoivent un manteau, du prix
de 100 sous. Et en 1282, les trois commissaires du Saint-Siège
enregistrent sa déposition sur la Vie du roi Louis.
Mais nous ne connaissons rien d'autre sur lui; et le texte de sa
déposition n'a pu être identifié.
Des membres de sa famille ont été repérés dans quelques
documents normands. Ainsi Nicolas du Bois-Gautier approuve la vente de
deux fiefs sis à la Brosse (juin 1239, avril 1241) et d'une dîme sise aux
Forges (mars 1242) : des biens qui sont tous biens mouvant de lui, et
dont la possession est confirmée par trois « vidimus » du roi, au profit
des moniales du Trésor-Notre-Dame, abbaye cistercienne récemment
fondée dans le voisinage de Beaumont.
Au siècle suivant, Gautier du Bois, écuyer, tient en hommage
de l'archevêque de Rouen Le Bois-Gautier, que son parent
Lancelot du Bois-Gautier tient de lui en parage avec son manoir (1330).
C'était l'un des fiefs sis en Vexin normand, mouvant de l'archevêque
de Rouen.

Roger de Soisy, queux du roi

Roger de Soisy avait accompagné saint Louis lors de son


expédition d'Egypte. Retenu prisonnier par les Sarrazins, il fut de ceux que
le roi, ayant envoyé ses messagers, réussit à faire libérer moyennant
finance. Roger a dit lui-même l'état misérable dans lequel, enfin
délivré, il se présenta à Saint-Jean d'Acre devant le roi qui pourvut à ses
premiers besoins. Peu après, se trouvant au camp devant Cesaree, en
1251, le roi tint à récompenser ses serviteurs : à Roger de Soisi, qui
exerçait les fonctions de cuisinier, il donna vingt livres de rente sur le
Châtelet de Paris qui, à son retour en France, furent transformées au
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 197
mois de septembre 1262 en rente héréditaire payable moitié à la
Toussaint, moitié à l'Ascension.
Il vivait encore en 1285, mais les comptes des baillies de France
montrent que cette rente lui était alors payée en trois termes, par tiers.
Cette même année, le compte de Pierre d'Ays, relatif à l'expédition
d'Aragon, montre que Guilliot de Soisy, fils de Roger, se trouvait
alors avec l'armée en Catalogne et, peut-être chargé du ravitaillement,
touchait deux sacs d'orge qui font huit setiers de Beaucaire, et valant
48 sous.
On peut penser qu'un parent de Roger, Nicolas de Soisy, sergent
du roi, avait également suivi saint Louis à la Croisade, dont il ne serait
pas revenu; par lettres datées de Saint-Jean d'Acre en août 1250, le
roi accorde à ses petits enfants l'exemption de la taille et du guet, à
titre viager : à Renier et Marie, enfants de Thierri dit le Flament et
de Jeanne, jadis sa femme, fille de Nicolas de Soisy, son sergent
( = son serviteur).
Soisi (autrefois Soisy-aux-Bœufs), au diocèse de Chartres, menu
village, fut détruit au XVIIIe siècle, pour faire place au domaine de
Trianon.

YSEMBART LE QUEU

Agé de cinquante-cinq ans, suivant sa déposition de 1282, Ysembart


était donc né vers 1227 à Paris et remplissait auprès du roi les
fonctions de cuisinier, fonctions apparemment héréditaires, comme aussi
son nom et son surnom : en juin 1239 des comptes font mention du
« fils d'Isembart le Queu », pour des soins apportés à un cheval qui,
attelé à un chariot de la cuisine, ne tarda pas à mourir, au témoignage
d'Adam le Queu. Il est évident que cet Isembart, déjà père de famille,
ne peut être identifié avec le premier qui n'avait pas alors plus de douze
ans. Quant à Adam le Queu, sans doute l'aïeul, il était apparemment
assez âgé, car, en janvier 1241 (n. st.), étant qualifié de « serviens domini
régis » (serviteur du rot), il fonde une chapellenie en la chapelle royale,
sous l'invocation de saint Michel, pour le repos de son âme, de celles
de ses parents et bienfaiteurs, dont il tient à rappeler les noms :
Philippe (Auguste), Louis (VIII) et le roi Louis actuellement régnant.
On sait en effet qu'en 1222, le roi Philippe avait donné à Adam, son
queux, à lui et à ses héritiers, la « buffeterie » que Jean, frère dudit
Adam, possédait à Paris ; on sait aussi que Louis VIII avait fait don
en juin 1225 au même Adam, son cuisinier, d'une place située devant
les maisons qu'il possédait déjà à côté du Petit Châtelet à Paris.
Il s'agit donc bien d'une famille parisienne.
Ysembart le Queux, objet de cette notice, avait donc une vingtaine
198 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
d'années lorsqu'en 1248 il accompagna le roi Louis partant pour la
croisade. Et il nous apprend lui-même comment il fut le seul serviteur qui
resta auprès de saint Louis, malade, et s'occupant de lui avec tant de
dévouement pendant sa captivité, en Egypte.
En reconnaissance de ses services, le roi, par lettres datées de Saint-
Jean d'Acre, au mois d'août 1250, lui fît don, à lui et à ses héritiers,
d'une rente de 30 livres parisis sur la prévôté de Paris.
De retour en France en mai 1255, « Ysambart, dit le Queu de
monseigneur le roi » et Marguerite, sa femme, vendent par devant
l'officiai de la cour episcopale de Paris, à Mathieu, chanoine de la Sainte-
Chapelle, mais pour les besoins de l'Hôtel-Dieu de Paris, une maison
sise rue du Sablon, moyennant 70 livres parisis.
Entre le 10 février et le 16 avril 1256, le nom d'Ysembart le Queu
figure sous la rubrique « coquina » (la cuisine) dans les tablettes de cire
de Jean Sarrasin.
La date de sa mort n'est pas connue, mais il est certain qu'elle doit
être reportée après 1282, puisque, cette année-là, il déposa comme
témoin à l'enquête sur les vertus du saint roi. Dix ans plus tard, il n'était
plus en vie : en 1292, le « rôle de la taille » de Paris fait mention, dans
la rue Aux Deux Portes, du « rang où fut la maison feu Ysembart le
Queu », près de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Et ce même
document cite encore, comme alors vivants : « Jacques le Queu le roi »,
taxé à 7 livres, et « Ysembart le Queu », taxé à 8 livres.
En 1285, Ysembart participe à la guerre contre Γ Aragon : il est
à Toulouse le 17 février, puis « en Catheloingne », où il reçoit un
paiement en nature : 4 sacs d'orge, qui font 16 de Beaucaire, au prix
de 4 livres, 16 sous.
Cet Ysembart le Queu, « junior », était sûrement le fils du cuisinier
de saint Louis, car les comptes de la Toussaint 1299 et de l'Ascension
1305 attestent qu'à chacun de ces deux termes il percevait sur la
prévôté de Paris, 15 livres, c'est-à-dire annuellement les 30 livres parisis
de rente que le roi avait donné à son père, à titre héréditaire, par sa
charte datée d'Acre, un demi-siècle auparavant. Ces mêmes comptes
nous apprennent aussi qu'Ysembart percevait une rente de 200 sous
payables par moitié aux mêmes termes, à la suite d'un échange conclu
par lui avec un certain Drogon, Juif« baptisé », de Senlis. Ce dernier
et son frère Baudouin, ayant abjuré le judaïsme, étaient appelés «
converts » et, en exécution des décisions prises par saint Louis, bénéficiaient
à titre personnel d'une pension royale, comme tous les autres «
baptisés ».
En août 1312, les héritiers Isambart le Queu possédaient divers
« croîts de cens » sur des maisons appartenant à Pierre et Jacques
Marcel, frères, bourgeois de Paris, maisons expropriées lors de travaux
effectués pour l'agrandissement du palais, le long de la Seine.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 199

Herbert de Villebéon
valet de chambre de saint louis

Villebéon est un village du Gâtinais, diocèse de Sens, doyenné de


Milly (actuellement, canton de Lorrez-le-Bocage, arrondissement de
Fontainebleau, Seine-et-Marne).
Ses seigneurs formaient une branche cadette de Γ importante famille
de Nemours. Suivant l'historien de cette maison, Herbert serait le fils
d'Adam III de Villebéon, et neveu du célèbre Pierre, dit le
Chambellan, qui fut honoré de l'étroite amitié et de la confiance absolue de saint
Louis, devint son « secretaire » et décéda en 1271 , au retour de la
croisade de Tunis.
En 1266 (ou peu avant), notre Herbert de Villebéon exerce les
fonctions de prévôt de Choisy. Lors de l'enquête de 1282, il est
présenté comme ayant une cinquantaine d'années, « jadis valet de
chambre du benoit roi Loys ». C'est apparemment à ce titre qu'il figure
dans les comptes du bailliage d'Orléans comme touchant une pension
de 2 sous par jour sur la prévôté d'Yèvres-le-Châtel, soit 36 livres
10 sols par an payables en deux termes à la Toussaint et à l'Ascension.
Le texte de la déposition de ce valet de chambre de saint Louis n'a
pas été retenu par Guillaume de Saint-Pathus, probablement parce
qu'elle faisait double emploi en répétant des témoignages déjà
précédemment recueillis.

Jean de Chailly
châtelain de pontoise

Originaire du diocèse de Paris, Jean de Chailly est dit « assez


riche », âgé de cinquante ans « et plus » en 1282, date à laquelle il était
châtelain de Pontoise, fonction qu'il exerçait sans doute depuis la fin
du règne de saint Louis. En octobre 1259, Jean de Chailly, sergent du
roi, et Aceline, sa femme, sont cités en un accord conclu entre l'Hôtel-
Dieu de Paris et le prieuré de Notre-Dame-des-Champs, à propos d'une
rente sur un moulin voisin de Γ Hôtel-Dieu. Il eut pour successeur, en
tant que châtelain de Pontoise, Gérard de Perchey, chevalier (1287).
Lui-même pourtant était seulement écuyer; admis à la retraite, il
touchait des gages de 4 sous 4 deniers parisis par jour sur la prévôté de
Paris en 1293, somme transférée sur la prévôté de Pontoise, ainsi qu'il
résulte des comptes du bailliage de Senlis, pour le terme de la
Toussaint 1299 (soit 29 livres 13 sous, plus 50 sous, prix de la moitié d'une
« robe »), ce qui montre que ce « manteau » lui était en réalité payé
en espèces par moitié à chacun des deux termes accoutumés. Son nom
200 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
ne figure plus sur le compte de l'Ascension 1305 : c'est que Jean, sire
de Chailly, était alors décédé, le 25 avril 1301 et avait été inhumé en
l'église Saint-Melon de Pontoise, à laquelle il avait légué 4 sous de cens
à distribuer à toujours entre les chanoines et les chapelains de la
collégiale, sans oublier deux deniers au clerc chargé de la sonnerie des
cloches. Il aurait épousé en secondes noces Marie « la Mareschalle »,
demeurée sa veuve ; celle-ci appartenait à une famille notable de
Pontoise, qui avait pris son nom flatteur à cause de sa très proche parenté
avec Richard de Bénincourt, maréchal de France en 1250.
On peut rapprocher Jean de Chailly de Guillaume de Chailly,
son contemporain et sans doute son frère, exerçant les mêmes
fonctions que lui, serviens illustris régis Francorum, mentionné en un acte de
décembre 1258 (dans le cartulaire de Notre-Dame de Paris).
Il est vraisemblable que le témoignage de Jean de Chailly porta
notamment sur l'exécution par le feu, en public, sur la grand 'place de
Pontoise, de cette femme, de la lignée des Pierrelaye, condamnée au
supplice pour avoir fait disparaître son mari dans des conditions
particulièrement atroces, affaire déjà exposée par Simon de Nesle : raison
pour laquelle Saint-Pathus ne l'aura pas reproduite une seconde fois.

Guillaume Le Breton
valet de chambre du roi

II était de « Nuef Chastel », diocèse de Nantes (selon Saint-Pathus),


mais s'il existe en Bretagne plusieurs Neuf-Château ou Châteauneuf
dans les anciens diocèses de Quimper, de Saint-Brieuc et de Saint-Malo,
nous n'avons pu repérer aucune localité de ce nom dans le diocèse de
Nantes ; or le nom de ce diocèse est resté primitivement en blanc sur
le manuscrit et ne fut ajouté qu'ensuite : peut-être y aurait-il là une
erreur? Guillaume y est indiqué comme ayant « 50 ans et plus »; cette
dernière précision est à retenir car on a peine à croire qu'il ait suivi
le roi à la croisade, en 1248, à l'âge de seize ans, et alors qu'il était
déjà marié.
En tout cas, en août 1251, au camp devant Cesaree, quand le
souverain voulut marquer sa reconnaissance à ses serviteurs, Guillaume
Le Breton, son valet de chambre, reçut des lettres lui accordant une
rente de 20 livres parisis, à vie, sur la prévôté de Paris, étant spécifié
que sa femme Catherine continuerait à percevoir après son décès la
moitié, soit une rente annuelle de 10 livres parisis, sa vie durant.
Revenu en France, Guillaume Le Breton, qualifié « tailleur de
monseigneur le roi et son valet de chambre », conjointement avec sa
femme Catherine, fait, en juin 1264, un don de 4 livres sur « la Saune-
rie », à l'abbaye de Saint- Antoine.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 201
II apporta son témoignage en 1282, lors de l'enquête sur les vertus
de saint Louis, mais le contenu de sa déposition n'est pas connu.
En 1285, il est à la guerre avec le roi Philippe III « en Catalogne »
et reçoit un traitement en nature : 2 sacs d'orge qui font 8 setiers de
Beaucaire, au prix de 24 sous ; et le compte de la Toussaint de la même
année 1285 mentionne que Guillaume Le Breton, « de la chambre »
du roi, continue à toucher la rente à vie qui lui avait été accordée, alors
qu'il était en Palestine, à Cesaree.

Guillaume Le Breton
huissier du roi

Saint-Pathus écrit qu'il est originaire de « Chambrilles », diocèse


de Nantes, or il y a sûrement là une faute de traduction. Il doit s'agir
de Champ-Briant : deux hameaux de ce nom existent en effet dans ce
diocèse, l'un dans l'ancien doyenné de Nantes, l'autre dans le doyenné
de Châteaubriant.
Une lettre de Pierre de Condé, clerc du roi, datée de Carthage
le 27 juillet 1270, raconte en détail à son correspondant, le prieur
d'Argenteuil, la traversée de la Méditerranée 10, il nous apprend que
dès l'embarquement à Aiguës-Mortes la navigation fut si mauvaise que
beaucoup à bord tombèrent malades, parfois gravement; le roi décida
alors de faire escale en Sardaigne, à Cagliari, et obtint enfin après de
longs palabres avec les Pisans, maîtres du port et de la ville forte, mais
très soupçonneux à cause de leur lutte contre les Génois, l'autorisation
d'y débarquer malades et mourants qu'il confia à la garde de Guillaume
le Breton, huissier (hostiarius), et à Jean d'Aubergenville (?), portier
(portarius). Et nous ne savons si l'un et l'autre restèrent en Sardaigne
ou purent rejoindre les autres croisés sur la côte d'Afrique, qui devait
assez rapidement leur être si néfaste.
Guillaume Le Breton, huissier du roi, raconta-t-il en 1282 les
dangers de la navigation et les périls courus par son maître en confiant
ainsi sa personne à Γ « aventure de mer »? Nous l'ignorons, car sa
déposition n'est pas parvenue jusqu'à nous. Sont seulement connus son
diocèse d'origine, sa fonction d'huissier et son âge : il avait alors une
cinquantaine d'années.
Du moins sait-on par les tablettes de cire du même Pierre de
Condé que, toujours qualifié huissier (ostiarius), il participa à la guerre
contre Γ Aragon, du 1er juin au 24 décembre 1285, et plus précisément
il se trouvait à Narbonne, le 18 octobre. Il ne paraît pas avoir été parmi
les combattants, ayant eu à accomplir des missions de caractère
administratif et financier.
202 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Hue ou Hugues Porte Chape


valet en la paneterie du roi

Ce nom de « porte-chape », par lui-même assez explicite, devait


correspondre au « porte-manteau » du roi, sous l'Ancien Régime. Déjà
au temps de saint Louis, ils étaient plusieurs à exercer cette charge,
et l'on peut citer, entre autres, Robert Porte Chape, ayant
accompagné saint Louis outre-mer et à qui, étant au camp devant Cesaree,
en avril 1251 ou 1252, le roi fit don d'une rente de 4 deniers par jour
à percevoir, sa vie durant, sur la prévôté de Poissy.
Mais, si Hue ou Hugues avait bien le nom de Porte Chape, il n'en
exerçait pas les fonctions, puisqu'il était « valet en la paneterie du
roi », l'un des six « metiers » de l'Hôtel, et nous ne savons pas s'il se
rendit lui aussi à la VIIe croisade.
La documentation sur Hugues Porte Chape est très pauvre, on sait
seulement qu'il vint témoigner à Saint-Denis à l'enquête de 1282, et
qu'il était né à Saint-Germain-en-Laye, vers 1227, puisqu'il avait alors
environ cinquante-cinq ans, mais la teneur de son témoignage n'a pas
été conservée. Les comptes des bailliages de France (1285, 1293, 1299)
portent qu'il percevait sur la prévôté de Paris, aux termes accoutumés,
le montant d'une rente de 3 deniers par jour, « ad voluntatem »,
c'est-à-dire tant qu'il plaisait au roi; mais les mentions relevées
montrent qu'il dut continuer à toucher cette pension jusqu'à la fin de
sa vie.

Gilles de Robisel
habitant la ville de saint-denis

II naquit vers 1225, puisque lors de sa déposition il est dit âgé


de « cinquante ans et plus », et l'on apprend seulement qu'il habitait
alors Saint-Denis, sans autre précision sur ses activités.
Les « tablettes de cire de Jean Sarrasin » attestent pourtant que
« Gilet de Robisel » était au service de l'administration royale et
reçoit divers paiements dans les années 1256-1257; une mention
du 1er juin 1256 dit qu'il est à Paris (Parisius) et envoyé en
Normandie, à Rouen et à Coutances, déplacements pour lesquels il reçoit
une double paie et une « robe » ; un peu plus tard, on le voit en relation
avec le Temple.
C'est tout ce que l'on sait sur lui, et la déposition qu'il fit à
l'enquête de 1282 n'est pas connue. — Le nom même qu'il porte, Robisel,
n'a pas été identifié, et on ne le rencontre pas parmi les gens de Saint-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 203
Denis, assez nombreux mentionnés à propos des miracles qui se
produisirent sur la tombe du saint roi, ni parmi les quarante-deux
habitants de la ville désignant, le 13 mai 1308, deux des leurs pour
les représenter à l'assemblée convoquée par Philippe le Bel contre les
Templiers... Il est vrai qu'à cette date Gilles de Robisel n'était sans
doute plus en vie.

DENIS LE PLASTRIER

Ce bourgeois de Compiègne, assez fortuné et âgé d'environ


soixante-huit ans en 1282, n'est pas autrement connu. On peut
toutefois le rapprocher de Gilon le Piastrier qui possédait une maison à
Compiègne, rue Saint-Pierre, en septembre 1270, et de Robert le Piastrier,
également possesseur d'une maison à Compiègne, en août 1311.
Le témoignage que déposa Denis le Piastrier à l'enquête de 1282
n'est pas connu de façon certaine; mais il semble qu'on puisse (sans
invraisemblance) lui attribuer le récit racontant le « pèlerinage » du roi
parcourant les rues de Compiègne un jour de Vendredi saint pour aller
se recueillir dans les différentes églises de la ville, et pataugeant dans
un ruisseau froid et bourbeux afin d'aller baiser un malheureux lépreux,
qui cheminait de l'autre côté de la chaussée.

Maître Jean de Croy ( - Crouy), maçon


bourgeois de compiègne

Ce maître maçon, bourgeois de Compiègne, âgé d'une


cinquantaine d'années en 1282, fut apparemment le maître d'œuvre des
monuments édifiés à Compiègne même par les soins du roi Louis, tels l'Hôtel-
Dieu Saint-Nicolas (encore conservé) et les églises et couvents des
cordeliers et des jacobins (aujourd'hui détruits)... Or jusqu'ici son nom
n'avait pas encore été relevé parmi les architectes de ce temps ; nous
sommes donc heureux de pouvoir l'identifier avec maître Jean le maçon,
de Crouy, laïc (magister Johannes Lathomus de Croiy, laicus). Ce
personnage et sa femme, Ameline de Billy, élisent leur sépulture à Saint-
Médard de Soissons et donnent à l'abbaye le tiers de l'héritage de
maître Légier {magistri Liejeri, alias Liegery), sans doute un autre
architecte, jadis oncle dudit Jean, les deux parts de la maison où ils
demeuraient à Crouy, appelée « la maison d'Erembout », ainsi que leurs
acquêts. Cette donation est passée en l'an 1261, le lendemain de la Saint-
Luc, évangéliste (19 octobre), par devant maître Pierre de Saint-Martin,
officiai de Soissons.
204 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Saint-Pathus n'a pas reproduit la déposition de ce maître-maçon
et c'est grand dommage. Il est pourtant une remarque rapportée
ailleurs qui paraît bien émaner d'un architecte : « Quand le roi faisait
construire des maisons et autres bâtiments, tels que maisons-Dieu ou
couvents pour « mendiants », il allait inspecter en personne les travaux
et décidait comment les salles, les chambres et les officines ou locaux
de service devaient être disposés. »
II n'est peut-être pas sans intérêt puisque, en la personne de Jean
de Crouy il s'agit d'un architecte originaire du Soissonnais, de relever
qu'à la même époque le maître d' œuvre de la cathédrale de Reims,
pendant plus de trente ans (vers 1252-1287), était maître Bernard de
Soissons.
Vaut-il enfin d'être noté qu'un siècle et demi plus tard, en 1430,
à Compiègne, on ne comptera pas moins d'une vingtaine de «
massons », mais un seul « maistre masson », Pierre Hacquier, tandis que
« Jehan Masse, le jeune, masson », est dit « esgard sur le fait de son
mestier ». Mais le nom de Croy ou Crouy n'est plus alors représenté.

Maître Jean de Béthisy


chirurgien du roi de france

On ne saurait dire si Jean de Béthisy appartenait à la lignée des


châtelains de Béthisy, dont le plus connu est Renaud de Béthisy, l'un
des premiers baillis nommés par Philippe Auguste, sorte d'intendant
du roi, dont l'activité est attestée en de nombreux documents entre 1210
et 1225, dans la vaste étendue du domaine royal situé au nord de Paris,
et non encore organisée en circonscriptions administratives.
Mais une telle parenté ne paraît pas impossible car un neveu et
un petit neveu de Renaud de Béthisy portèrent précisément le nom de
Jean, et ce même nom sera encore porté dans la famille par un
chevalier, en 1433.
Chose certaine, Jean de Béthisy suivit une autre carrière, qui le
conduisit vers la médecine ou plus exactement la chirurgie. Il y avait
une nette distinction — comme encore de nos jours — entre les
médecins proprement dits (physict) et les chirurgiens (chirurgici), les premiers
étant alors peut-être plus considérés et mieux rémunérés que les seconds,
ce qui se comprend aisément car le roi (ou tel autre grand personnage)
avait auprès de lui un ou plusieurs médecins qui le suivaient régulière-
met, sans doute chaque jour, tandis que le chirurgien n'assurait ses
services que de façon occasionnelle.
On ne sait à quelle « école » il reçut sa formation (Montpellier?
Salerne), mais il devint maître en sa spécialité, et les renseignements
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 205
qui ont pu être recueillis (plus rares qu'on le souhaiterait) permettent
de penser qu'il parvint à une certaine célébrité.
Lors de sa déposition à l'enquête de 1282, il nous apprend être
originaire du diocèse de Soissons, ce qui est bien le cas de Béthisy, avec
ses deux paroisses Saint-Pierre et Saint-Martin, « lieu considérable »
autrefois et doté d'une « belle forteresse » (aujourd'hui ruinée). Il nous
précise, par la même occasion, avoir alors l'âge de quarante-huit ans,
étant donc né vers 1234, et remplir auprès du roi l'emploi de maître
chirurgien. Or, en 1282, le roi est Philippe III le Hardi.
Mais il ressort à l'évidence que maître Jean de Béthisy, venant
apporter son témoignage sur les vertus du saint roi, avait rempli le
même rôle de chirurgien auprès du défunt roi. Bien que sa déposition
n'ait pas été conservée, on est logiquement conduit à penser qu'il
l'accompagna à l'expédition de « Tunes », et qu'après sa mort ce fut
à lui qu'incomba (peut-être avec Pierre de la Brosse, qu'on disait aussi
chirurgien) la tâche, assurément pénible, de « fendre » le corps du défunt
pour en extraire le cœur et les entrailles {dilaceratio corporis) et faire bouillir
les chairs pour en recueillir les os, qui seront ensuite pieusement
conservés, décision imposée par les circonstances et le climat, car il n'était
pas envisageable dans de pareilles conditions de procéder à un
embaumement .
En ce mois d'août 1270, à l'âge de trente-six ans, il était en pleine
possession de ses moyens ; et notre hypothèse est singulièrement
confortée par le fait que, plus de trente ans après, en novembre 1305, on
aura recours à ce même Jean de Béthisy pour embaumer le corps de
Jean II, duc de Bretagne, décédé accidentellement à Lyon, lors du
couronnement du pape Clément V. On peut se demander si maître Jean,
chirurgien, était alors au service du défunt ou à celui du souverain
pontife. En tout cas, sa présence à Lyon en cette circonstance est bien la
preuve que sa renommée était très généralement reconnue.
Entre-temps (et avant même l'enquête de 1282), Jean de « Bestisi,
cerurgien » est appelé avec maître Arnoul « Physicien », chanoine de
Senlis, pour soigner fr. Laurent, prieur de Châalis, qui souffrait
de grandes douleurs dans le dos : les « emplastres » qu'ils
prescrivirent, l'un et l'autre, n'eurent aucun effet, et ce fut en revêtant
un manteau de camelin brun ayant appartenu au saint roi que le prieur
recouvra la santé...
Les dépenses de l'Hôtel du roi, Philippe le Bel, au terme de la
Chandeleur 1299 (n. st.), font état de distribution de « robes » ou
manteaux. Parmi les clercs, on relève les noms de cinq « physici » et,
au nombre des familiers de l'Hôtel, les noms de cinq cirurgici, dont celui
de « magister Johannes de Bestisiaco » entre ceux de Pierre de Paris
et Renaud de Beau vais. A la Pentecôte 1313, lors de semblables
distributions, on relève encore le nom de Jean de Béthisy entre ceux de Jean
Picart et de Jacques de Sienne, leurs deux autres collègues étant Arnoulet
206 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
deMappis et Quarrerius Nebularius, chacun d'eux recevant 50 sous. Il avait
alors atteint près de quatre-vingts ans; grand âge pour ce temps-là.
Mais nous ne croyons pas devoir quitter ici notre chirurgien du roi
sans ajouter à cette notice deux compléments.
Tout d'abord la liste des principaux ingrédients utilisés pour
l'embaumement du corps d'un roi, communiquée par Pierre Paumier, «
magister^matf du comte d'Artois en 1296, à maistre Remond du Not,
cirurgien du roi, Philippe VI de Valois. Cette « recette » est donc un
peu plus récente mais, étant donné le caractère traditionnel des milieux
médicaux, à cette époque, il n'est pas hors de propos d'en donner ici
les différents composants : 4 livres 1/2 d'huile de thérébentine, 3 livres
d'eau de vie, 2 fioles de baume fin, cuit et cru (sic), plusieurs gommes
« Galbanum oppoponat armoniac », une livre de camphre, 3 livres de
thérébentine, 4 livres d'onguents, 8 livres de cire « poulaine », 12 aunes
de toile de lin, 2 livres de girofle en poudre, une livre de fleur de canelle
en poudre, une livre de noix « muguete », une livre de « storax cala-
mite », plusieurs fleurs et herbes aromatisantes pour mettre autour
du corps, une demi-livre d'encens en poudre, une demi-livre de
mastic, une livre d'aloès et de myrrhe, une demi-livre de « bol », 6
flacons d'eau-rose de Damas, 2 livres de coton en laine (sic), 16 aunes
de toile cirée, 8 aunes de toile pour faire tabliers, fleurs et demi-livre
d'encens, 2 onces de musc fin. Le tout pour la somme de 51 livres
2 sous parisis.
En second lieu il importe de remarquer l'existence à la même
époque d'un magister Johannes de Betisiaco, figurant chaque année dans
les comptes de l'abbaye de Saint-Denis, entre 1287 et 1291, puis de
1293 à 1304 (les registres précédents et postérieurs ayant disparu) :
période pendant laquelle « maître Jean » reçoit annuellement, à la Sainte-
Madeleine, la somme de 10 livres, sans que soit précisés ni sa qualité
ni le service dont il était chargé auprès des religieux.
Sous le règne de Philippe le Bel, mais à une date indéterminée,
« maistre Jehan le Mire de Béthisy » obtient à titre héréditaire une
maison appelée « La Mote », tenue « en villenage », dans « la prevosté de
Bethisy et Verbrie », qui avait été confisquée pour forfaiture sur
un certain Guillaume de la Mote, les dépendances de cette maison
s 'étendant sur une vingtaine d'arpents de pré, aulnaie, terres
labourables, vignes, le tout représentant une valeur de 20 livres parisis
de revenu par an. Il avait encore reçu en don du « roy Philippe »,
une rente, également héréditaire, de 2 muids de blé sur les moulins
de Béthisy.
Au début de l'année 1322, un drame vint s'abattre sur « maistre
Jean de Béthisy, chanoine de Laon »; pour des raisons inconnues,
il fut attaqué avec guet-apens et mortellement blessé. Le
Parlement ordonna aussitôt au prévôt de Laon d'agir d'office contre
les coupables, Jean Capellain, ses enfants et ses complices. Jean de
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 207
Béthisy « phisicien du roi étant décédé des suites de ses blessures, le roi
Charles IV, par lettres datées de 1323 et 1324, autorisa ses héritiers
à s'entendre avec Pierre de Cuignières (le légiste bien connu), au sujet
du château de Saintines, et des droits d'usage et de passage, dont le
physicien avait joui, durant sa vie, aux monts de Béthisy, en forêt de
Guise (ajourd'hui Compiègne). L'obituaire de l'abbaye de Saint-Jean-
aux-Bois fait mention de son décès à la date du III des ides de mars
(13 mars) : Johannes medicus de Besteziaco ».
Y aurait-il donc eu sensiblement à la même époque deux Jean
de Béthisy, l'un chirurgien, l'autre médecin : soit deux cousins, soit
le père et son fils? Mais dans un cas comme dans l'autre, comment
n'aurait-on pas mieux distingué l'un de l'autre : l'ancien ou le jeune
(junior)? En tout cas nous ignorons la cause de l'attentat dont le
physicien du roi fut tragiquement la victime en l'an 1323. Il est alors
dit qu'il était clerc et chanoine de Laon, et ce fut apparemment
en sa faveur que Philippe le Long, alors régent, avait sollicité du
pape Jean XXII un canonicat en l'église d'Arras, le 6 septembre 1316.
Ce physicien était donc clerc, alors que jamais une précision de cet
ordre n'a été rencontrée une seule fois pour maître Jean de Béthisy,
chirurgien du roi.

1. (p. 144) Urbain IV relève le prince Philippe du serment prêté à sa mère la


reine Marguerite (Orvieto, 6 juillet 1263, Bulle Gaudet in te), éd. J. Guiraud, Les
registres d'Urbain IV, t. II, 1892, p. 126, n° 273, ou bien E. Berger, Layettes du Trésor
des chartes, t. IV, 1902, n° 4859 d'après l'original. Analyse B. Barbiche, Les actes
pontificaux originaux des Archives nationales de Paris, t. II, 1978, p. 52, n° 1203.
2. (p. 146) Ch.-V. Langlois, Le règne de Philippe III le Hardi, Paris, 1887, p. 2.
3. (p. 152) Sur Charles d'Anjou lui-même, voir E. G. Léonard, Les Angevins
de Naples, Paris, P. U. F., 1954, et toute la bibliographie qui y est citée.
4. (p. 157) Sur les ambitions impériales insufflées à Philippe III le Hardi, voir
Histoire générale (G. Glotz), Histoire du Moyen Age, t. VI, première partie (R. Fawtier),
1940, p. 356-360, et G. Zeller, Les rois de France candidats à l'Empire, dans Revue
historique, t. 173, 1934. Repris dans G. Zeller, Aspects de la politique française sous l'Ancien
Régime, Paris, P. U. F., 1964, p. 12-89.
5. (p. 160) Sur Jeanne de Châtillon, l'épouse de Pierre d'Alençon, et sur les
alliances de la famille, voir H. Platelle, Les « Regrets »delà comtesse d'Alençon (t 1292);

un 3-4, nouveaup. 426-465.
manuscrit, un nouveau texte, un modèle religieux, dans Romania, t. 110-1989,
6. (p. 164) Sur les conséquences assez sinistres de cette pratique, voir D* Tricot-
Royer, La décamisation du cadavre, dans Aesculape, XXI, 1931, 154-158; et plus
récemment P. Duparc, Dilaceratio corporis, dans Bulletin de la Société nationale des antiquaires de
France, 1980-1981, p. 360-372. Les restes mortels de Philippe le Hardi (t 1285)
subirent ce traitement : les chairs furent inhumées à Narbonne, le cœur chez les
Dominicains à Paris, les os à Saint-Denis...
208 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
7 (p. 167) Sur l'affaire des infants de la Cerda, voir G. Daumet, Mémoire sur
les relations de h France et de la Castille de 1255 à 1328, Paris, 1913 ; et Histoire générale
(G. Glotz), Histoire du Moyen Age, t. VI, première partie (R. Fawtier), p. 308-314.
8. (p. 168) Sur ce sujet, consulter avant tout William Mandel Newman, Les
seigneurs de Nesle en Picardie, 2 vol., Paris, 1971. Pour Simon de Nesle, voir p. 50-58.
Sur le problème de la « régence », cf. Fr. Olivier-Martin, Etudes sur Us régences et la
majorité des rois sous les Capétiens directs et les premiers Valois (1060-1375), thèse de droit,
Paris, 1931.
9. (p. 185) Fr. Delaborde, Jean deJoinvilU et Us seigneurs de JoinvilU, Paris, 1894;
N. de Wailly.^/san, sire de JoinvilU, Histoire de saint Louis..., Paris, 1874; du même, Recueil
de chartes originaUs de JoinvilU en langue vulgaire, dans Bibliothèque de l'EcoU des chartes,
t. 28, p. 557-608; L. Boutié, Un seigneur au XIII' siècU, Tours, 1897.
10. (p. 201) Paris, B. N., ms. latin 9376, fol. 62 v°, longue lettre se présentant
comme un journal depuis l'embarquement du roi (2 juillet 1270) jusqu'à la prise du
château de Carthage et l'attente jour après jour de l'arrivée du roi de Sicile.
2. LES CLERCS, RELIGIEUX ET RELIGIEUSES

Geoffroi de Beaulieu
frère prêcheur, confesseur du roi

Très vraisemblablement originaire de Beaulieu, situé en la ville


même de Chartres, on a tout lieu de penser qu'il fit profession dans
le couvent fondé en cette cité episcopale, le 6 juin 1232, par l'évêque
Gautier de Chartres, en présence de Blanche de Castille. Les locaux
devaient être assez vastes et la chapelle assez belle, qui devait recevoir
les sépultures de son fondateur et de cinq des évêques ses successeurs,
entre 1234 et 1275, ainsi que celle de Jean de Châtillon, comte de Blois
et de Chartres, en 1279 ».
Sensiblement contemporain de saint Louis, Geoffroi de Beaulieu
est surtout connu pour avoir été le confesseur du roi pendant vingt ans.
Il l'accompagna en Egypte en 1246 et en Terre Sainte : il se trouvait
à Jaffa dans la chambre du roi, lorsque le légat et l'archevêque de Tyr
annoncèrent la nouvelle du décès de la reine Blanche (1252) 2.
Sa qualité de confesseur du roi valut à Geoffroi d'être désigné
par le pape Urbain IV, l'évêque de Troyes et l'abbé de Marmoutier,
pour une très importante mission (15 mars 1264) : la réforme de l'ordre
de Cîteaux, où l'observation de la règle, « la Charte de Charité », était
sérieusement menacée par un grave différend survenu entre l'abbé de
Cîteaux lui-même et les autres « premiers pères de l'ordre »3.
Ceux-ci (La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond) se montraient
favorables à la réforme, mais l'abbé de Cîteaux restait intraitable et
la querelle s'envenimait. Saint Louis naturellement s'intéressait à
l'affaire et rétablit la paix entre les deux adversaires, Jacques, abbé de
Cîteaux, et Philippe, abbé de Clairvaux (Paris, 22 mai 1264) *.
Le nouveau pape Clément IV, qui avait été son conseiller, réussit
par sa bulle Parvus Jons, « la Clémentine » (9 juin 1265), à mettre fin
aux divers problèmes qui, par leur acuité, avaient risqué de
déstabiliser tout entier cet ordre religieux5.
En 1270, Geoffroi de Beaulieu accompagna de nouveau le roi
à son second « pèlerinage » de Terre Sainte, qui aboutit et échoua en
Tunisie, où il assista le mourant à se derniers moments (25 août)6.
A son retour en France, à la demande expresse de Philippe le Hardi,
il fit dire des prières et célébrer des offices pour l'âme du défunt,
notamment à l'abbaye des Vaux de Cernay (27 avril 1271) 7.
14
210 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Le 4 mars 1272, le pape Grégoire X, avant même sa consécration
Rome, écrivit de Viterbe une lettre urgente à Geoffroi de Beaulieu,
lui demandant (sous le sceau du secret) une réponse rapide sur la façon
de vivre et les pratiques religieuses de celui qui avait été si longtemps
son pénitent et dont, personnellement, il se remémorait les mérites émi-
nents. Cette répose ne tarda pas à devenir un sermon, et même un petit
livre (libellus), dans lequel fr. Geoffroi prononça une longue apologie
du roi, et c'est sous cette forme qu'il fut placé en tête des pièces du
procès de canonisation8.
Le 1er novembre 1272, Geoffroi de Beaulieu prononça un sermon
chez les béguines de Paris. Il mourut vers 1275 : son anniversaire était
commémoré à la date du 10 janvier (d'après le bréviaire des
dominicaines de Poissy)9.
Son compatriote et ami, Guillaume de Chartres, d'abord clerc
du roi, puis devenu lui aussi frère prêcheur (vers 1264), compléta l'éloge
rédigé par celui qu'il appelle « son père » (sans doute par une
reconnaissante amitié), mais ce complément 10 ne devait jouer aucun rôle
dans le procès de canonisation. Son auteur déjà décédé ne fut point
cité à l'enquête11.

Nicolas d'Auteuil
évêque d'évreux

Plusieurs localités sont appelés Auteuil. Il en était déjà ainsi du


temps de saint Louis {Altolium ou Altholium). On a des raisons de
penser que Nicolas ne tirait son origine et son nom ni des environs de
Paris, ni du Beauvaisis ni du Valois-Soissonnais, ni de Normandie, mais
de la petite paroisse d'Auteuil, voisine de Neauphle-le- Vieux et de
Montfort-l'Amaury, en Pincerais (le pays de Poissy), dans l'ancien
diocèse de Chartres.
De sa famille, nous ne pouvons citer qu'un sien cousin, Gui,
qualifié de chevalier, en 1281, qui n'est pas autrement connu, et l'on ne
saurait dire s'il avait quelque lien de parenté avec Pierre d'Auteuil,
également chevalier, qui exerça les fonctions de sénéchal de
Carcassonne et de Béziers pendant près de dix ans (1254-1263), preuve qu'il
jouissait de toute la confiance de saint Louis.
Il en fut de même de maître Nicolas (on disait alors Nicole) qui
apparaît dans notre documentation seulement le 7 juin 1268. En effet
il figure déjà à cette date parmi les membres du conseil en présence
desquels les députés du chapitre de Paris firent au roi la demande
d'élire, comme nouvel évêque et successeur de Renaud de Corbeil,
Etienne Templier, originaire d'Orléans, qui fut intronisé le 7 octobre
suivant : choix certainement agréé par saint Louis, puisque deux ans
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 211
plus tard il désigne le nouvel évêque pour être l'un de ses exécuteurs
testamentaires.
Il y a un siècle le bon historien que fut Aug. Molinier considérait
que Nicolas d'Auteuil était « à peu près inconnu ». La présente notice
que nous lui consacrons montre le progrès de nos connaissances en de
domaine 12.
En octobre-décembre 1269, Nicolas est envoyé, assisté de Jean
de Mourlens, chanoine de la Sainte-Chapelle, en Languedoc, où avec
Barthélémy de Pennautier, juge de Carcassonne, ils rassemblent et
classent les documents relatifs à l'administration royale dans les
sénéchaussées de Beaucaire-Nîmes et de Carcassonne-Béziers. Oeuvre
considérable qu'ils menèrent à bien et dont le résultat, extrêmement
précieux, est encore conservé dans un registre du Trésor des Chartes
OJ30A)«.
Satisfait de la tâche accomplie, le roi récompensa Nicolas (déjà
sans doute chanoine de Saint-Quentin) en lui donnant la riche prébende
de trésorier de Saint-Frambaut de Senlis, devenue vacante par la
promotion de Philippe de Cahors (et non Chaourse !) à l'évêché d'Évreux.
En juin 1270, étant à Aiguës-Mortes, à la veille de s'embarquer, saint
Louis écrit à Mathieu, abbé de Saint-Denis, maîtres Henri de Véze-
lay, archidiacre de Bayeux, et Nicolas d'Auteuil, trésorier de Saint-
Frambaut, confiant en leur fidélité et discrétion, pour assigner aux
chapelains, marguilliers et clercs, institués par lui dans la chapelle royale
(sacrata et venerandam basilicam) édifiée par ses soins, des redevances mieux
conformes à la responsabilité qu'ils ont de garder leurs insignes
reliques et d'en assurer perpétuellement le luminaire, le montant de
ces dépenses ne devant pas toutefois excéder la somme de 700 livres
chaque année. Apparaît, dès lors, l'un des aspects de la carrière admi-
nistratrive de Nicolas : sa compétence en matière d'administration
financière.
Demeuré en France, maître Nicolas est, avec les évêques de Bayeux
et d'Évreux, l'un des cinq conseillers de la régence exercée par Mathieu
de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et Simon, seigneur de Nesle. Or
l'expédition de Tunis s'avère assez vite désastreuse. Du camp devant
Carthage, Pierre de Condé, clerc du roi, envoie des lettres en France
pour annoncer les nouvelles. Par la troisième, datée du 4 septembre,
c'est à Nicolas, trésorier de Saint-Frambaut, que Pierre de Condé
annonce la mort du roi et l'espoir que l'on a que son fils le roi
Philippe, après deux violentes crises de fièvre aiguës, va enfin se
rétablir : il prie Nicolas d'avertir l'abbé de Saint-Denis de ces
événements, comme il le jugera, et de bien vouloir lui présenter ses excuses,
car, faute de temps, et pressé par le départ du messager, il n'a pas pu
lui écrire personnellement 14.
Une fois rétabli, mais redoutant l'épidémie qui poursuit ses
ravages sur cette « terre maudite », le nouveau roi Philippe III croit devoir
212 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
rédiger son testament (devant Carthage, le 2 octobre 1270) : s'il venait
à mourir, il nomme son frère Pierre, comte d'Alençon, comme garde
du royaume et tuteur de ses enfants, et désigne pour l'aider à
gouverner un conseil de quatorze personnalités, au nombre desquelles
Nicolas d'Auteuil et Jean Sarrasin « pour tenir les échiquiers, pour les
comptes du Temple et pour faire les autres comptes du royaume ».
Ainsi, avant même son retour en France, Philippe le Hardi
renouvelle à maître Nicolas la confiance que lui accordait son père et le
confirme dans ses activités administratives et financières. On peut penser
que le « trésorier de Saint-Frambourg » participa, le 15 août 1271, à
Reims, aux fêtes somptueuses du couronnement qui ne coûtèrent pas
moins de 12.000 livres15.
Cependant les événements se précipitaient, bousculant les activités
normales : la succession d'Alphonse de Poitiers et de Jeanne de
Toulouse, décédés à Savone, au retour de l'expédition de Tunis, la fin de
la vacance du Siège apostolique par l'élection du pape qui va prendre
le nom de Grégoire X, le 1er septembre 1271, et la solution de
l'interrègne du Saint-Empire vacant depuis vingt ans.
La candidature de Richard de Cornouailles, bientôt décédé, et
celle d'Alphonse X de C astiile, chef des Gibelins et trop notoirement
ennemi de Charles d'Anjou, roi de Sicile, étant écartées, les cardinaux
du parti angevin et le légat Simon de Brie proposèrent officieusement
le nom de Philippe le Hardi, ouvertement soutenu par son oncle
Charles d'Anjou. Ils chargèrent un Français de la Curie — Pierre de
Montbrun, camérier et notaire de l'Église romaine — d'annoncer au
roi de la part du pape, du moins le prétendaient-ils, que le roi de France
aurait grand profit à « prendre l'Empire », notamment en vue de la
croisade. Philippe III, dit-on, « pensa en la chose ». En compagnie
de maître Pierre, regagnant la Curie, il envoya Nicolas d'Auteuil,
trésorier de Saint-Frambaut, afin de mieux connaître les intentions
formelles du Saint Père pour ce projet et les modalités : en fait les secours
financiers que l'Église d'outre-mont accorderait à son éventuelle
réalisation.
Or, si maître Nicolas et maître Pierre purent obtenir un important
entretien avec le pape à Florence le 19 juin 1272, en présence des deux
cardinaux et de Charles d'Anjou, Grégoire X, sans repousser ce projet
et en prononçant des paroles bienveillantes pour le roi de France,
répondit de façon evasive, car il voyait « moût de raisons et de-çà et
de-là ». Lors de cet entretien de Florence, Charles d'Anjou remit à
Nicolas d'Auteuil, à l'intention du roi, son neveu, un mémoire en quinze
points où il exposait de façon qui se voulait convaincante les raisons
de à prendre l'Empire » (nous les avons reproduites ailleurs) 16.
Entre-temps, Grégoire X, se dirigeant vers Lyon où il avait
convoqué le prochain concile, avait gagné Santa Croce, non loin de
Bologne, au mois de juillet. Maître Nicolas et maître Pierre s'efforcèrent
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 213
de le revoir, mais il fit savoir qu'il était tombé malade et, au bout de
trois ou quatre jours, leur fit dire qu'il n'avait rien à ajouter à ses
réponses antérieures... et qu'il les chargeait de bien saluer le roi de
France, de sa part.
Devant une telle attitude Philippe le Hardi, sagement, ne donna
pas suite à ce projet impérial qui, à la vérité, était surtout celui de
son oncle, Charles d'Anjou, l'ambitieux roi de Sicile. Et l'on sait
que les sept princes Électeurs fixeront bientôt leur choix sur Rodolphe
de Habsbourg. L'ambassade se soldait à l'évidence par un échec, mais
sans que maître Nicolas d'Auteuil ait eu à en être mortifié ni encourir
le moindre blâme.
Le compte des dépenses de l'Hôtel du roi pour le terme de la
Chandeleur 1274 ( = 2 février 1275, n. st.), indique parmi les clercs
qui reçurent un manteau de 100 sous « dominus Nicholaus de Au-
tolio » = on lui donne donc alors la qualité de messire; ce que
confirme un acte de l'officialité de Senlis daté du samedi après les
Brandons 1275 ( = 29 février 1276 n. st), par lequel (nous traduisons)
« vénérable homme et discret messire (dominus) Nicolas d'Auteuil,
trésorier de Saint-Frambaut, clerc du roi de France », achète à Adam
dit « Corgnolle » de Glaignes un muid de blé et un muid d'avoine,
mesure de Crépy(-en- Valois), sur une terre des vendeurs sise à Bou-
ville, et mouvant de Saint-Frambaut, acquisition qu'il ne tardera pas
à léguer à sa collégiale.
Autres témoignages de ses activités financières : sa présence, en
1275, parmi les collecteurs de la décime, et la création par ordonnance
royale d'avril 1277 d'une commission chargée de contrôler les finances
des villes de commune, au nombre d'environ trente-cinq. Quatre
membres en font partie dont le premier est Nicolas d'Auteuil,
accompagné de Geoffroi du Temple, clerc du roi, de Jean de la Tour (ou peut-
être de Thors), trésorier du Temple, et de Pierre Michel, bourgeois
de Tours ; ce dernier avait pris part en tant que trésorier à la croisade
de Tunis. — D s'agit là d'une commission déjà existante sous saint Louis,
en 1260, alors désignée sous l'appellation de « Gens des comptes » et
bientôt de « Mestres des comptes » : origine lointaine de notre moderne
Cour des comptes.
Pour autant, maître Nicolas ne se désintéresse pas de Saint-Frambaut
et, en bon administrateur, décide — comme il l'avait fait à la Sainte-
Chapelle de Paris — de mieux assurer les ressources nécessaires à
l'entretien de son luminaire. En plein accord avec le doyen et le
chapitre, il asseoit les sommes qui grevaient annuellement sa
trésorerie, soit 4 livres pour une lampe et 60 sous parisis pour la cire
(fondation du roi Louis VII), sur les revenus d'une pièce de pré d'une
superficie de trois arpents et demi, sise sur le territoire même de Senlis
(juin 1279).
L'abbé Mathieu de Saint-Denis en ayant décliné l'offre, Nicolas
214 LE PROCES DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
d'Auteuil allait être bientôt élu évêque d'Évreux par le chapitre
cathedral, et devenir le successeur de Philippe de Cahors, auquel dix ans
plus tôt il avait succédé comme trésorier de Saint-Frambaut.
Par le décès de ce dernier, le 3 août 1281, et son inhumation
dans l'église des cordeliers qu'il avait fondée à Evreux, le siège
episcopal était en effet devenu vacant17. L'élection s'étant déroulée cano-
niquement, l'archevêque de Rouen, primat de Normandie, Guillaume
de Flavacourt, en avertit aussitôt le roi, le 4 octobre suivant (samedi
après la Saint-Remi), pour lui demander la délivrance des « régales »
à « vénérable et discret maître Nicolas d'Auteuil », qu'il charge de
remettre lui-même ses lettres à son royal destinataire, si bien que
la cérémonie de la consécration episcopale put être solennisée le
dimanche 12 octobre, après que le nouvel évêque se fut prêté aux
usages traditionnels : escorte des quatre « barons », ses vassaux, et escale
à la « maison de la crosse »...
En homme d'ordre, Nicolas tint à honorer la collégiale de Saint-
Frambaut de Senlis, dont il avait été le trésorier pendant plus d'une
décennie, et lui fit don avant même la fin de l'année de son
intronisation, en décembre 1281, des deux muids de grain de la rente qu'il avait
acquise à Bouville, en y adjoignant, à titre d'aumône, une somme de
vingt livres parisis que lui devaient ses anciens collègues, à charge, le
jour venu, de célébrer son anniversaire dans leur église.
Quelques mois après, en 1282, « père ennorable Nichole, evesque
de Evreues, de 53 ans ou environ », se rendit à l'abbaye de Saint-Denis
pour déposer devant les trois commissaires du Saint-Siège son
témoignage sur la Vie du bon roi Louis ; et comme l'on sait que sa déposition
fut la quatorzième reçue, il est possible d'en situer la date vers la fin
juin ou le début juillet.
Son épiscopat à Evreux se déroula durant seize ans et demi,
pendant lesquels il accomplit son ministère en y déployant les qualités
d'un bon pasteur, dans le triple domaine d'une bonne gestion, de
relations conciliantes avec ses voisins, et d'un zèle éclairé pour une
meilleure organisation de son chapitre cathedral et de l'enseignement dans
son école.
1 . Il obtint du roi la confirmation de ses droits de justice sur les
« quatre barons de la crosse », ses vassaux. Il partage les dîmes novales
des terres nouvellement défrichées près de Montaure et de La Haye-
Malherbe (23 novembre 1281) et celles des essarts récemment
effectuées dans la forêt de Laigle (29 juillet 1289). Il baille à ferme le manoir
des Hautes-Terres, à Nonancourt (3 mars 1290, n. st.). Il dresse un
état des revenus de son évêché (1295) et accorde des subsides au roi
le 3 mai de la même année. Enfin, le 23 juin 1296, maître Laurent
de Neauphle-le- Vieux, un ami fidèle (sur lequel on va bientôt revenir)
met de sa part en dépôt au Temple, à Paris, les sommes suivantes :
137 livres 10 sous tournois d'argent et 61 livres sterlings (l'église
d'Evreux ayant encore quelques biens fonciers en Angleterre).
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 215
2. Son caractère pacifique et conciliant lui permet de régler à
l'amiable ou en recourant au compromis les inévitables différends qui
surgissent toujours avec des voisins : avec son propre chapitre (30 avril
1283), avec les moines de Saint-Ouen (1286), avec le prieuré de Laigle
(19 juin 1289), avec les religieux de Saint-Taurin (1290), avec l'abbesse
de Saint-Sauveur (1291), ou encore au sujet de la banalité des moulins
de La Rochette et d'Hérouard (30 avril 1292).
3. Il réglemente la désignation du doyen du chapitre qui, élu
librement par ses pairs, sera béni et confirmé par l'évêque (26 mai 1290).
Il crée l'institution d'un « pénitencier » perpétuel chargé de suppléer
éventuellement l'évêque dans l'administration du sacrement de
pénitence et fixe son choix sur maître Laurent de Neauphle-le- Vieux (29
juillet 1289), mesure approuvée par le chapitre le 8 juillet 1293. Mais
surtout il a fait venir de Senlis le doyen de Saint-Frambaut, Pierre le
Thiois qui, devenu doyen du chapitre d'Évreux, apporta tous ses
soins et sa fortune au développement des écoles capitulaires ; il y affecta
toujours la maison avec jardin qu'il avait acquise dans la paroisse Saint-
Thomas : le premier bénéficiaire en fut Guillaume d'Arras, écolâtre
d'Évreux.
L'un des derniers actes de Nicolas d'Auteuil sera de confirmer
cette donation, le 9 mars 1299 (n. st.), en la fête de saint Grégoire.
Enfin comment ne pas rappeler — fait capital dans la vie religieuse
d'un diocèse — la tenue régulière d'un synode rassemblant autour de
l'évêque, pour recevoir ses directives, l'ensemble des curés ou «
recteurs » des paroisses déjà, semble-t-il, regroupés par doyennés.
C'est en effet cette année-là (et non pas en 1298) que mourut
Nicolas, très probablement le 15 mai, date à laquelle maîtres Philippe
de Villepreux et Guillaume As Cros commencèrent à percevoir les
revenus de la régale qui venait de tomber aux mains du roi.
A ce propos les obituaires présentent les dates les plus variées :
à l'abbaye de Jumièges le 17 mai (jour retenu par les auteurs de la
Gallia Christiana); à la cathédrale de Rouen, le 4 mai; à Evreux, le
15 septembre; à Saint-Frambaut de Senlis, le 22 décembre.
Quoi qu'il en soit, le texte de son testament n'a pas été retrouvé.
Et, jusqu'à plus ample informé, on ignore le lieu où il élut sa
sépulture, mais ce ne fut pas à Evreux, ni en la cathédrale, ni en l'abbaye
de Saint-Taurin dans laquelle, en dépit d'une ancienne tradition et d'un
accord conclu en 1268, les évêques de ce temps-là semblent bien ne
pas avoir désiré y reposer, dans l'attente de la Résurrection.
Du moins connaît-on les noms de ses exécuteurs testamentaires :
Pierre Le Thioys, de Senlis, doyen, Laurent de Neauphle-le- Vieux,
pénitencier, Henri de Nonancourt, chantre, et Robert de Gorges,
recteur de la cure d'Heudreville, du diocèse d'Évreux. Leur désignation
par le testateur atteste qu'ils furent pour lui des hommes de confiance
et des amis. On a déjà noté qu'il avait connu Pierre le Thioys à Saint-
216 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Frambaut et l'avait fait venir de Senlis à Evreux. Quant à Laurent de
Neauphle-le-Vieux, leur amitié remontait certainement à de nombreuses
années : leurs villages de Neauphle et d'Auteuil n'étaient-ils pas conti-
gus, dépendant l'un et l'autre du même archidiaconé de Poissy, au
diocèse de Chartres.
Par une charte du 1 1 novembre 1302 (fête de Saint-Martin d'hiver),
les quatre personnages précités, agissant en tant qu'exécuteurs de
monseigneur Nicolas d'Auteuil, vendent à révérend père monseigneur
Mathieu des Essarts, nouvel évêque d'Évreux, pour lui et ses
successeurs à perpétuité une maison sise en ladite ville, paroisse Saint-
Gilles, avec jardin et dépendances, mouvant de l'évêché — pour le prix
de 180 livres tournois payables lors de la tenue des deux prochains
synodes.
On peut se demander s'il n'y aurait pas quelques rapports entre
l'acquisition de cette maison par Mathieu des Essarts et la dotation d'une
chapelle dédiée à saint Louis qu'il avait fondée en son église cathédrale moins
d'une année auparavant, en septembtre 1301. N'aurait-il pas en fait
réalisé l'une des clauses exprimées dans les dernières volontés de son
prédéceseur Nicolas d'Auteuil, désireux de marquer ainsi sa
reconnaissance envers le roi qui fut son premier bienfaiteur?

robert de cressonsacq,
évêque de Senlis

Robert de Cressonsacq (anciennement Cressonessart) appartenait


à l'une des plus anciennes familles seigneuriales du Beauvaisis, dont
la lignée a pu être déduite à partir de Raoul, sénéchal du roi
Philippe Ier (1077), déjà cité sous le nom de Raoul de Beauvais en un
diplôme de Henri Ier, en 1060 18.
Dès lors, les générations se suivent sans discontinuité. En 1123-
1124, Raoul, seigneur de Cressonsacq, remet la chapelle castrale
à l'évêque de Beauvais qui en fait aussitôt don au prieuré clunisien
de Saint-Martin-des-Champs de Paris.
... En 1198, le grand-père de Robert, Dreux II, seigneur de
Cressonsacq, se rend en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ;
à sa mort, sa veuve Agnès Mauvoisin prend le voile chez les
cisterciennes de Saint-Antoine-des-Champs, près Paris, dont elle devient
bientôt l'abbesse.
De leurs trois fils, l'aîné Dreux étant décédé, on connaît surtout
le second, Robert, d'abord doyen du chapitre (juin 1235), puis évêque
de Beauvais (août 1237), qui s'embarqua avec saint Louis pour la Terre
Sainte mais mourut trop tôt en l'île de Chypre (1er octobre 1248). Le
puîné Thibaud, seigneur de Cressonsacq, prit part à la croisade contre
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 217
les Albigeois (1226) et accompagna sans doute lui aussi le roi dans son
expédition d'Egypte contre les Sarrazins et dut y trouver la mort
(vers 1249-1250); il avait épousé Isabelle, sœur de Wermond de la
Boissiere, évêque de Noyon. D'où trois fils également : Thibaut
qualifié seigneur de Gressonsacq dès 1252, marié à une dame Agnès ; Robert,
objet de la présente notice ; et Anseau qui prit alliance dans une noble
famille en épousant Colaye, fille de Hugues, seigneur de Coudun et
de Marguerite de Poissy.
Robert se trouvait donc neveu par son père et par sa mère de
deux évêques de diocèses voisins : Beauvais (Robert de Cressonsacq)
et Noyon (Wermond de la Boissiere), fait resté jusqu'à présent inédit
et en l'occurrence bien digne de remarque. Famille chevaleresque et
aussi, pourrait-on dire, episcopale. Dans ces conditions et dans un
semblable milieu, il n'est pas surprenant que le jeune Robert, cadet de
famille, ait été tout naturellement voué à l'Église.
Né (suivant Saint-Pathus) vers 1224, il fut certainement aidé dans
sa carrière ecclésiastique par son oncle et parrain Robert, évêque de
Beauvais, qui le recommanda en haut lieu. Une bulle d'Innocent IV
le nomme à la cure de Wardonia, au diocèse de Lincoln (8 décembre
1243), simple bénéfice sans doute, car un an plus tard, une bulle du
même pape adressée directement à Robert de Cressonnessart, chanoine
de Beauvais, « neveu de notre vénérable frère Γ évêque de Beauvais »,
lui accorde une dispense en vue de retenir plusieurs bénéfices
ecclésiastiques, personnats ou autres dignités ayant cure d'âme (Lyon, le
9 janvier 1245, c'est-à-dire lors de la tenue du concile où se trouvait
précisément son oncle l'évêque de Beauvais).
De chanoine, il devint archidiacre de Beauvais en 1252 puis doyen
du chapitre de Senlis en 1258 et, deux années plus tard, Robert de La
Houssaie, évêque de ce diocèse, étant décédé le 1er octobre 1260, Robert
de Cressonsacq est appelé à lui succéder à Senlis, à l'âge de trente-six
ans. Le jour où il fit sa « joyeuse entrée » n'est pas connu, mais
l'événement se déroulait suivant un cérémonial traditionnel : venant de son
manoir de Mont-Γ Évêque, il pénétrait avec son escorte dans la cité par
la porte de Saint-Rieul...
Le 1er mai 1261, Robert, évêque de Senlis, assisté de ses collègues
de Beauvais et d'Amiens, participe à la translation des reliques de saint
Lucien et de ses compagnons martyrs en l'abbatiale bénédictine de Saint-
Lucien, près Beauvais, en présence du roi, de son entourage et d'une
foule énorme de clercs et de laïcs.
Le 2 février suivant (1262), c'est dans son propre diocèse que Robert
de Cressonsacq accueille un ensemble de « corps saints » des martyrs
de la légion thébéenne, acquis par le roi de l'abbé de Saint-Maurice-
en- Valais. Placées d'abord à une lieue de Senlis, à Mont-1'Évêque,
chacune d'elles est mise en un reliquaire; puis, le jour fixé, se forme une
immense procession précédant les chasses portées par des barons et des
218 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
chevaliers, le roi et son gendre le roi de Navarre, fermant la marche,
avec la vingt-quatrième et dernière relique, jugée la plus insigne.
Après une cérémonie à la cathédrale Notre-Dame, les reliques
sont déposées dans l'ancienne chapelle du palais royal, dédiée à saint
Denis et très bientôt remplacée par une « basilique » toute neuve
inaugurée par le roi et bénie par Robert de Cressonsacq en l'honneur de
saint Maurice, le dimanche 1er juin 1264. Richement dotée, elle sera
desservie par quatorze chanoines, auxquels la couleur de leur robe valut
aussitôt à Senlis le surnom de capuchons ou chaperons rouges 19.
Ces événements illustrèrent les commencements de son épiscopat,
et Robert en fit le récit dans sa déposition en vue de la canonisation
du roi.
Le diocèse de Senlis était le plus petit du royaume, composé d'un
seul archidiaconé et de deux doyennés (Senlis et Crépy-en- Valois) ne
comptant guère plus d'une soixantaine de paroisses. Il avait été
administré par le célèbre chancelier Guérin (1214-1227) ; mais à la différence
de cet illustre devancier, Robert ne joua dans le royaume aucun rôle
politique ni militaire. Comme lui pourtant (sans doute en raison de
la proximité de Paris) il eut la responsabilité de défendre, en tant que
conservator, les privilèges de l'Université de Paris alors en plein
épanouissement. Il joua aussi ce rôle, le 24 mars 1265, lors d'une discussion
entre maîtres-ès-arts, régents de la « nation » de France, et les maîtres
des trois autres « nations » de Picardie, de Normandie et d'Angleterre,
sans que soit connu le motif de cette rivalité.
Aussi bien, si le diocèse de Senlis n'est pas riche, Robert est
personnellement fortuné car, soit par suite de quelque arrangement
familial, soit plus vraisemblablement en raison d'une minorité lui valant
d'exercer une tutelle, il est aussi seigneur de Cressonsacq, son
patrimoine familial.
Mais, en fait, il consacra toute sa vie à son église de Senlis et
peut-être aussi une partie de sa propre fortune. En septembre-octobre
1262, il prête à son chapitre une somme de 100 livres, pour le droit
d'amortissement du bois de la Barre de Rouvroy que celui-ci venait
d'acquérir de l'abbaye de Chaalis : preuve d'une bonne entente
réciproque, et dont on conserve d'autres témoignages. En avril 1263, il
institue à Senlis une fête de Notre-Dame, le 2 mai, pour la guérison
de ceux qui étaient atteints du « mal des ardents », fondation
charitable assurée par une rente de 40 sous à percevoir sur les cens d' Annan-
court (ses biens patrimoniaux), mouvant du comte de Clermont. En
mai, grâce aux biens légués par Pierre Le Sellier, il accroît les revenus
du doyen de Saint-Thomas de Crépy, augmente les distributions
journalières de ses chanoines, fonde en cette collégiale l'office de chantre
(qui restera à la nomination de l'évêque), et en profite pour y
réglementer la discipline, en imposant la résidence. En décembre de cette
même année, il prescrit la gratuité de l'enseignement dispensé par les
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 219
maîtres des écoles de Senlis aux jeunes enfants de condition modeste
participant aux offices de la cathédrale.
L'année 1264 est celle de la dédicace du prieuré de Saint-Maurice
(1er juin), dont les statuts fort détaillés seront promulgués l'année
suivante par une charte intitulée aux deux noms de Gilles,
archevêque de Tyr, délégué du Siège apostolique, et de Robert, évêque
de Senlis, charte datée de Crépy, le jeudi après le dimanche de Laetare
(19 mars 1265, n. st.), bientôt confirmée par la bulle de Clément IV,
Mentis vestre religionis, expédiée à Pérouse, le 3 des nones de mai
(5 mai 1265).
En octobre de la même année, à Senlis, Γ évêque et les chanoines
de la cathédrale tombent d'accord pour diviser trois prébendes (sur une
vingtaine), en six demi-prébendes, ce qui étoffait d'autant l'effectif de
ceux qui siégeaient dans les stalles du chœur de la cathédrale, pour y
réciter les offices.
En juin 1269, il confirme la fondation de la chapelle Saint-Pierre
et Saint-Paul, instituée en l'église Saint-Rieul par Adam de Boonells
(Busselle?), chanoine et trésorier de cette collégiale, souvent
considérée comme étant l'église primitive de la cité.
En 1270, le lundi avant l'ascension (19 avril), il est à Compiègne
et participe au concile réunissant tous les évêques de la province de
Reims, sous la présidence de l'archevêque Jean de Courtenay : on y
traite principalement de l'usurpation des biens ecclésiastiques par les
baillis, prévôts et autres laïcs exerçant une juridiction temporelle, de
leur restitution et de leur indemnisation éventuelle.
En novembre, le vendredi après la Toussaint, Robert et maître
Nicolas d'Amiens, chanoine et officiai de Senlis, appaisent par un
compromis le différend qui séparait l'archidiacre Thomas de Jouy et les
« recteurs » ou curés de neuf paroisses à cause du droit de «
procuration » que l'archidiacre prétendait exiger d'eux, lors de ses tournées
d'inspection. Bien qu'il n'y eut aucun droit, la chose fut réglée « tem-
porellement et spirituellement » : l'archidiacre étant mieux à même
d'exercer ses « visites » dans les paroisses situées hors de la « cité » ;
l'évêque continuant toutefois à assurer personnellement ce droit dans
l'église de Bémont, dans celle de Bouillant qui était « chapelle de la
maison episcopale », ainsi que dans celle de Baron dite « chambre de
l'évêque », les recteurs de ces trois églises étant par privilège déclarés
exempts de payer tout droit de visite et de procuration à l'archidiacre.
C'est vers ce temps qu'interviennent différentes tractations, de
caractère financier, féodal (voire familial) qui, bien qu'isolées,
paraissent devoir être rapprochées pour constituer un ensemble cohérent.
En février 1270 (n. st.), maître Gautier de Chambly, chantre de
Senlis, vend à l'église Notre-Dame tout ce qu'il avait à Cramoisy,
mouvant de Simon de Baugy, écuyer : neuf arpents de terre, le quart
de la dîme et diverses redevances, pour la somme de 500 livres parisis ;
220 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
et le roi saint Louis vidime et confirme aussitôt cette vente. En
novembre l'évêque Robert confirme qu'en sa présence Henri, fils du
comte de Grandpré, seigneur de Livry, a fait don audit maître Gautier
de Chambly, sa vie durant, pour reconnaître ses services et ses
mérites, de toute la terre et ses dépendances qu'il avait à Senlis et à
Val-Profonde, tenues en fief et hommage de l'évêque, Henri s'obligeant
à libérer ces biens des gages qui les grevaient à l'égard des Templiers
de Paris, et d'un bourgeois (civis) de Senlis, Galeran le Gruier.
En mai 1270, Robert avait lui-même vendu à l'abbaye cistercienne
de Longpont toute la terre qu'il avait à Soissons, moyennant 3.000 livres
tournois.
En juin 1271, Gautier d'Aulnay, nouveau chantre de Senlis, vend
pour 700 livres parisis à son « très cher cousin », l'évêque de Senlis,
quarante arpents de terre arable sis à Lagny-le-Sec, que celui-ci donne
aussitôt en aumône aux frères de l'ordre du Temple, en considérant
les bienfants que leur milice rend journellement en s'exposant au
service du Christ, et pour accroître les moyens qu'ils consacrent dans leurs
combats en Terre Sainte : Robert de Cressonsacq n'oublie pas
combien ses aïeux ont lutté contre les infidèles ; or, s'il n'envisage pas de
se déplacer lui-même, il entend à son tour, et par cette aumône,
participer aux bénéfices spirituels que peuvent rapporter ces expéditions
d'outre-mer contre les ennemis de la croix.
Enfin, et toujours le même mois, Robert emprunte au trésorier
du Temple, à Paris, fr. Hubert, la somme de 800 livres parisis, pour
laquelle, en présence du bailli de Senlis, Guérin Roussel, il engage sa
terre de Cressonsacq et tout ce qu'il possède dans la châtellenie de Cler-
mont, s'obligeant (lui ou ses héritiers) à rembourser intégralement ce
prêt en quatre annuités de 200 livres, payables à Paris aux quatre
prochains termes de la Saint-Remi (1er octobre).
Ce gros emprunt fait aux Templiers, avec engagement temporaire
de la seigneurie de Cressonsacq, n'a pas encore été signalé, à notre
connaissance, ni la raison qui a conduit l'évêque Robert à prendre une
telle décision.
Son intention ne paraît pas douteuse. Parvenu à la cinquantaine
et peut-être se sentant malade, il aura voulu prendre les dispositions
qui lui tenaient à cœur. On vient de voir sa large aumône faite pour
la Terre Sainte. Attaché comme il l'était à son église de Senlis, et n'ayant
pas eu de mal à constater Γ exiguïté des ressources de son évêché, il
acheta à Anseau le Bouteiller, chevalier, pour la somme de 1.200 livres
parisis, « les terres, vignes, maisons, masures, prés, censives, rentes,
hostels, champarts, corvées, justices, hostises, forages, rouages et
fiefs », bref tout ce qu'il possédait à Verbene, Longmont, Raray et
Huleu, et unit l'ensemble au temporel de l'évêché, avec l'approbation
du roi Philippe le Hardi : seigneurie dont le titulaire devint l'un des
quatre « barons » de la crossse de Senlis, ayant pour fonction
d'escorter le nouvel évêque, lors de sa joyeuse entrée dans sa cité.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 221
L'année 1273 fut marquée par un événement capital pour la
chrétienté : la convocation par le pape Grégoire X d'un concile
œcuménique qui devait siéger à Lyon dans le courant de l'année suivante,
avec trois objets essentiels : la croisade, l'union des Églises grecque et
latine, enfin la réforme — toujours à recommencer — de l'Eglise elle-
même. Pour la préparation de ce vaste rassemblement du haut clergé,
tant séculier que régulier, il avait été demandé aux principaux
dignitaires et chefs d'ordre de présenter des rapports circonstanciés, et il est
fort remarquable que, le siège archiépiscopal de Reims étant alors vacant,
ce fut à Robert, l'évêque de Senlis, et non pas aux autres évêques de
la province, que s'adressa le Siège apostolique; ce fut de même à lui
que fut annoncée le nomination du nouvel archevêque, en la personne
de Pierre Barbet. Le concile tint ses séances dans la cathédrale Saint-
Jean de Lyon, du 7 mai au 17 juillet, mais contrairement à ce que l'on
a écrit (par confusion avec son oncle Robert de Cressonsacq, évêque
de Beauvais qui participa au Ier concile de Lyon, en 1245), Robert,
évêque de Senlis, ne se joignit pas à ses collègues d'Amiens, de
Beauvais, de Cambrai, de Châlons et de Tournai, et ne fut pas présent à
ces grandes assises de la chrétienté.
Il est assez à croire que son absence à Lyon eut pour raison le
mauvais état de sa santé. Dès lors, en effet, si son nom se lit encore dans
l'intitulé de certains documents, son activité semble quelque peu ralentie.
En février 1275 (n. st.), Robert de Cressonsacq confirme à maître
Gautier de Chambly, archidiacre de Brie en l'église de Meaux, la
possession définitive et héréditaire de certains fiefs et arrière-fiefs sis à Senlis,
mouvant de l'évêque, à Val-Profonde et dans la châtellenie. Or ce
Gautier n'allait pas tarder à devenir archidiacre de Coutances, puis à
succéder à Robert de Cressonsacq sur le siège episcopal de Senlis.
En juin, Robert est au nombre des prélats de la province de
Reims qui, comme ceux des autres provinces ecclésiastiques du royaume,
présentèrent des suppliques au pape Grégoire X pour obtenir la
canonisation du roi Louis, « dont la renommée s'étend sur toute la terre,
dont la vie et la mémoire sont un exemple pour tous ».
En avril 1276, exécutant les dernières volontés de Gui de Plailly,
le jeune, chevalier, ses exécuteurs testamentaires, maître Adam,
recteur de l'église de Plailly, et Pierre de Bertranfosse, chevalier,
d'accord avec le trésorier de Saint-Frambaut, Nicolas d'Auteuil, et avec
l'évêque, décidèrent de diviser la paroisse de Plailly, en érigeant la
chapelle de Mortefontaine, dédiée à saint Barthélémy en paroisse
autonome, dont les habitants, l'hiver et par temps de neige, se rendaient
difficilement à Plailly. Or une contestation se présenta pour savoir à
qui appartiendrait le droit de nommer le chapelain de la petite
chapelle de Malmaison qui se trouvait sur le territoire de Plailly et aussi
quels seraient les émoluments de l'archidiacre : dans un esprit de
conciliation, on convint que le droit de collation reviendrait
alternativement au trésorier de Saint-Frambaut et à l'évêque.
222 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Or un événement inattendu vint mettre à l'ordre du jour les deux
nouvelles paroisses ; en effet certains habitants avaient malmené deux
étudiants de la « nation anglaise » qui s'en plaignit aussitôt à Robert
de Cressonsacq, « conservateur des privilèges de l'Université de
Paris », d'autant plus que l'incident avait eu lieu dans les limites de
son diocèse...
En 1278, n. st., le dimanche des Rameaux (10 avril), sa présence
est attestée au concile provincial, tenu cette année-là à Compiègne, et
présidée par l'archevêque de Reims, Pierre Barbet : il y est question
de régler « de façon fraternelle » les différends si fréquents entre
évêques et chapitres, et de se retrouver chaque année à Paris dans la
quinzaine de la Pentecôte pour traiter des affaires communes.
En 1279, Jean l'Eschans, de Survilliers, chevalier, et sa femme
Pernelle (de Remy), ayant donné en avancement d'hoirie à leur fils
aîné Renaud le bois appelé « le Fay », contenant 42 arpents de bois
et de bruyères, sis au territoire de Survilliers, l'éveque de Senlis reçoit
à foi et hommage le jeune Renaud (mai 1279), qui aussitôt, avec l'accord
de son père, en fait cession au chapitre cathedral, en échange d'une
pièce de bois appelée Le Quesnoy, au terroir d'Orry.
Aux foires de Senlis, un certain Simonet, fils d'Oudart Roussel,
ayant été tué par Timothée de Jonquières, écuyer, qui avait trouvé asile
dans l'église de Saint-Lazare, le bailli et le prévôt du roi firent
strictement garder les issues de l'église. Les détails ne sont pas connus, mais
à cette occasion l'éveque Robert lança l'interdit sur toutes les églises
de la cité, décision notifiée le 31 octobre 1280 par Guillaume Claude,
scelleur (sigillifer) de la cour episcopale, et messire Jean Piérard, au
chapitre de Saint-Frambaut, lequel manifesta aussitôt sa protestation
« non par mépris de l'éveque », mais pour conserver intact son
privilège d'exemption en tant que collégiale royale. Or l'affaire ne
fut pas de longue durée car, dès la nuit suivante, le meurtrier s'était
échappé !
Le 16 février 1282 (n. st.), Robert de Cressonsacq put constater,
s'il ne l'avait appris par ailleurs, le déclin de la situation économique
dont on possède bien d'autres témoignages de ce temps : trois citoyens
de Senlis, anciens membres de la Confrérie des drapiers, avaient reçu
de l'un de leurs confrères Eric Le Tanneur et de sa femme un legs de
60 sous parisis de surcens sur une maison à Senlis, mouvant en censive
de l'éveque, legs destiné à être distribué le mieux possible pour les besoins
de la confrérie. Or celle-ci n'existait plus depuis quatre ans passés...
L'éveque ne crut mieux faire que d'affecter cette rente à la chapelle
du Saint-Esprit, qui avait été celle de la confrérie des drapiers, et dont
la dotation était fort pauvre.
Le dernier acte connu de Robert de Cressonsacq, évêque de Senlis,
est — fait assez émouvant — la déposition qu'il fit entre le vendredi
12 juin et le jeudi 8 août 1282 en l'abbaye de Saint-Denis à l'enquête
sur la vie de saint Louis.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 223
Deux dates sont inscrites au nécrologe de Notre-Dame de Senlis,
le III des calendes de mai (29 avril) et le 16 des calendes de novembre
(17 octobre); sans doute correspondent-elles à la distribution des legs
qu'il avait fait à son église : 6 livres et 40 sous parisis de rente sur la
terre « qui fut au comte de Grandpré », la seconde mention instituant
la célébration d'une messe à « neuf leçons » pour célébrer la mémoire
des évêques de Senlis : on pourrait penser que le 16 octobre fut le jour
de son propre décès.
Comme ses prédécesseurs, Robert fut inhumé dans l'abbaye
cistercienne de Chaalis. Avecl'abbatiale, sa tombe a été détruite à la
Révolution, mais, grâce à Roger de Gaignières, archéologue du temps de
Louis XIV, on en conserve le dessin. Il était représenté en gisant sur
son tombeau de pierre placé sous une sorte d'enfeu, le cinquième près
du grand 'autel.
Son successeur sur le siège de Senlis fut Gautier de Chambly, son
ancien chantre, dont l'épiscopat très bref n'est guère marqué que
par la vente qu'il fit à son chapitre de sa « terre » de Senlis et de
Val-Profonde, communément appelée « Garlande », pour la somme de
1.000 livres parisis, le samedi veille de l'Assomption 1288.
Quant à sa seigneurie de Cressonsacq, elle était à la mort de Robert
endettée de 250 livres, 19 sous, 3 deniers, et, « faute d'homme », elle
fut saisie par le comte de Clermont; mais on sait qu'elle fit retour à
la famille, en la personne de Thibaud, chevalier, sire de « Cressonnes-
sart » (1287), qui dans un acte de mai 1294 évoque messire Thibaud,
son tayon, et son onde Dreux ou Drouart, l'un et l'autre bienfaiteurs
de l'abbaye des moniales cisterciennes de Monchy, sur Aronde.
Le sceau de Robert le représente en évêque, coiffé de la mitre,
tenant la crosse et bénissant de la main droite ; son contre-sceau est orné
de la Vierge portant l'enfant Jésus. A la différence de son collègue de
Beau vais, il n'a pas fait graver sur son sceau episcopal les armes de
sa famille, mais elles sont connues par ailleurs.

Mathieu de Vendôme
abbé de Saint-Denis

En son temps, Mathieu fut l'un des principaux personnages de


l'Église de France et du royaume.
On sait qu'il naquit vers 1222 (il était donc de quelques années
plus jeune que saint Louis), et l'on peut penser que le nom de
Vendôme qu'il portait était celui du lieu de sa naissance suivant un usage
alors assez fréquent chez les clercs ; en tout cas, rien n'autorise à le
rattacher, comme on l'a fait parfois, à la noble maison des comtes de
Vendôme. On ignore tout de ses études et de sa formation religieuse. Et
224 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
tout à coup, au début de l'an 1258, à l'âge de trente-six ans, il est élevé
sur le siège abbatial de Saint-Denis et consacré par l'archevêque de Sens.
Ses mérites lui attirent aussitôt l'amitié du roi et l'estime des
souverains pontifes qui vont se succéder.
Ni intellectuel ni théologien, c'est un religieux qui se montre un
excellent administrateur : homme d'ordre et de sage conseil.
Succédant à un abbé incapable, que l'on dut évincer au bout de
quatre ans, non sans lui donner une riche compensation (la « pré-
vpté » de Berneval, en Normandie), Mathieu eut fort à faire. Sans
tarder, il se mit à l'ouvrage; et tout d'abord en assurant une stricte
discipline parmi ses moines, au point que Saint-Denis va devenir une
pépinière où l'on recrutera les abbés de plusieurs monastères de l'ordre
de saint Benoît, ainsi Saint-Laumer de Blois, Saint-Pierre de Ferneres.
Quant au temporel, et d'abord à l'église abbatiale elle-même,
aucuns travaux n'y avaient été effectué depuis des années ; et, le 3
janvier 1259 (n. st.), un mur s'effondra écrasant en sa chute une douzaine
de moines, alors qu'ils chantaient matines. Mathieu de Vendôme fit
aussitôt réparer les dégâts et entreprit la reconstruction trop longtemps
différée.
L'œuvre en fut confiée à Pierre de Montreuil (qui devait mourir
en 1267), le meilleur architecte, maître de ce « style de cour » dont
les merveilles sont la Sainte-Chapelle et la chapelle de la Vierge
à Saint-Germain-des-Prés, criminellement détruite à l'époque
révolutionnaire.
Toujours est-il qu'à Saint-Denis il fallait achever la nef et la relier
au chœur en élevant le transept ; vaste croisée d'une grandeur
exceptionnelle, dont les hautes verrières latérales, aux roses translucides,
vinrent illuminer de leurs teintes diaprées tout le centre de l'édifice.
Mais dès 1259, peut-être en raison du dramatique accident du
mois de janvier précédent, le roi et l'abbé, mus par un même sens de
l'ordre, décidèrent la translation des tombes disposées jusqu'alors çà
et là, sans aucun plan préétabli. On commença par déplacer les restes
de six abbés, dont le célèbre Suger, après quoi l'espace étant dégagé,
furent de même exhumés quelques années après les dépouilles
mortelles des rois de la race de Charlemagne pour être ensevelis du côté
droit du maître autel, au midi, puis ceux de la race de Hugues Capet,
au côté gauche, vers le septentrion. Ces différents tombeaux élevés de
deux pieds et demi au-dessus du niveau du sol et recouverts chacun
de la statue d'un gisant, la tête couronnée. Les visages « sont baignés
de la paix qu'a répandue sur eux la liturgie des funérailles; les yeux
ouverts transfigurés dans la beauté intemporelle d'un corps déposé pour
la résurrection » (Duby). Ainsi les a voulus saint Louis, ordonnant qu'à
l'avenir seuls les rois et les reines viendraient, à leur tour, reposer auprès
de leurs aïeux.
Entrepris par l'abbé Mathieu (souvent nommé « Maci » ou « Mahé »),
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 225
les travaux se poursuivirent pendant plus de vingt-ans, et il eut la
satisfaction en 1281 de voir le complet achèvement de son abbaye — la
basilique que nous admirons aujourd'hui. Il avait eu le soin d'en protéger
les abords par une enceinte munie de tourelles.
Une comptabilité tenue à jour (dont il subsiste quelques vestiges),
des archives en ordre, une gestion rationnelle et sage permirent
d'accroître encore les nombreux domaines de l'abbaye : par acquisition à
Mucecourt, Chars, Monerville, Marival, Laversines, Cormeilles, ou
par échange à Montmélian, Plailly et Gou vieux.
Depuis des siècles s'était constituée dans sa « librairie » l'une des
plus riches collections de manuscrits de la chrétienté. Dans son
scriptorium des moines travaillaient à leur transcription. Et indépendamment
des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament (souvent glosés et
commentés), de traités de théologie, des recueils de sermons et des
divers ouvrages de liturgie ou de droit canon, l'abbaye était devenue
le centre historiographique de la couronne capétienne. Là furent
transcrites les lettres de l'abbé Suger, la chronique de la croisade de
Louis VII par Eudes de Deuil. Là, au temps de Mathieu de Vendôme,
s'élaborèrent les Grandes chroniques de France de Primat et les écrits
mal connus de Gilon de Reims, compilés et repris par Guillaume de
Nangis, auteur des Gesta Ludovici, puis des Gesta Philippi tertii. Et nous
avons eu l'occasion d'étudier le recueil épistolaire regroupant la
correspondance relative à la dernière croisade de saint Louis 20, recueil,
malheureusement mutilé, compilé à Saint-Denis par les soins de l'abbé
Mathieu, exactement à l'instar du recueil des lettres autrefois formé
par l'abbé Suger dans des conditions identiques puisque, dans un cas
comme dans l'autre, le roi de France s'en était allé outre-mer.
Il faut dire ici que, si occupé que fut Mathieu de Vendôme par
la direction matérielle et spirituelle de l'abbaye de Saint-Denis, il
était grandement secondé dans sa tâche par cinq prieurs, dont le
grand ou maître prieur, qui pouvait lui tenir lieu de « vicaire »
(Guillaume d'Étampes, de 1261 à 1275).
Une telle organisation, assez exceptionnelle, était pertinente et
nécessaire. Parallèlement en effet à ses responsabilités à la tête de l'une
des plus importantes abbayes bénédictines, Mathieu de Vendôme
exerçait dans le royaume des activités de premier plan.
L'estime et l'amitié de saint Louis avait fait entrer Mathieu de
Vendôme au conseil. Pendant une dizaine d'années, les dernières
années du règne, il siège au Parlement, parmi les « clercs » de cette
cour suprême jugeant en appel en dernier ressort. Analysés dans les
Olim, les arrêts du Parlement ne mentionnent que très rarement les noms
des « maîtres », clercs ou laïcs ayant prononcé leur sentence. Sa
présence est attestée dès le mois de septembre 1258. Lors de la session de
l'octave de la Chandeleur 1261 (n. st.), et plus précisément le samedi
après Laetare Jérusalem (9 avril), sont cités exceptionnellement vingt-trois
15
226 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
présents, le nom de Mathieu, abbé de Saint-Denis, venant aussitôt après
ceux d'Eudes (Rigaud), archevêque de Rouen, et de Raoul (de Ghevry),
évêque d'Évreux. L'affaire était importante : les frères de l'ordre de
Grandmont réclamaient au roi une partie du bois de Vincennes close
de vieux fossés que leur avait donnée Louis VII, mais ils l'avaient
abandonnée à Philippe Auguste (en 1212), moyennant 1.000 livres parisis.
Il fut décidé que leur réclamation n'était pas fondée et que le roi
pouvait disposer de ce bois à sa volonté. — Finalement saint Louis
concéda aux Grandmontains l'emplacement de leur couvent avec un
jardin et un bois strictement délimités.
Lorsque, à la mort de l'évêque de Paris Renaud de Corbeil, les
procureurs du chapitre de Notre-Dame demandèrent au roi la
permission d'élire son successeur (licentiam eligendi) par lettre du jeudi après
la Trinité 1268 (le 7 juin), celle-ci fut immédiatement transmise aux
conseillers assemblés dans la chambre des plaids du Parlement :
vingt et un d'entre eux sont nommés sans compter tous les autres.
Aussitôt après les deux évêques de Bayeux (Eudes de Lorris) et de Saint-
Malo (Simon de Clisson) est mentionné l'abbé de Saint-Denis-en-France
dont le nom est déjà suivi de celui de Simon, seigneur de Nesle.
Dans ces deux documents on remarque que Mathieu de Vendôme
figure toujours après les prélats : c'était alors l'usage protocolaire de
donner la prééminence à tout archevêque ou évêque, et voilà pourquoi
leurs noms précèdent celui de l'abbé de Saint-Denis, qui dans le royaume
ne va pas tarder à devenir leur supérieur.
Le 8 octobre 1269, il assiste à une très importante assemblée
réunissant dans son abbaye le roi, le légat du Saint-Siège, Raoul Grosparmi,
cardinal évêque d'Albano, l'archevêque de Rouen et un grand
nombre de prélats.
Son influence est devenue prépondérante ; il est l'un des exécuteurs
du testament de saint Louis daté de Paris en février 1270 (n. st.) et,
par lettres également datées de Paris en mars, le roi, avant de partir
pour la croisade, institue ses « chers et fidèles » Mathieu, abbé de Saint-
Denis, et Simon, seigneur de Nesle, ses « lieu-tenant », avec pleins
pouvoirs de garder, administrer et défendre le royaume, pendant son
absence : il leur remettait donc — marque de confiance absolue et
honneur insigne — la régence (mais le mot n'existait pas encore).
Le 14 mars le roi se rend à Saint-Denis pour y recevoir le bourdon
de pèlerin des mains du cardinal légat, et prendre l'oriflamme dont la
levée signifiait la mise en campagne de l'armée royale. Le lendemain,
après être allé pieds-nus du Palais de la cité à Notre-Dame, il quitte
Paris le 15 mars, et l'on suit son itinéraire depuis Vincennes (où il fait
ses adieux à la reine Marguerite), jusqu'à la côte languedocienne, où
il parvient dans la première semaine de mai.
Mais l'éloignement n'empêchait pas toute liaison entre le souverain
et les deux régents. Les bateaux génois qui devaient être prêts pour
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 227
le 10 mai se faisant attendre, le roi et le légat se trouvent encore à Nîmes
le 19 mai. Ce jour-là, le roi mande à Mathieu et à Simon, et le légat
à l'abbé de Gluny, de mettre fin à la véritable guerre qui durait entre
d'une part les chapitres de la cathédrale Saint-Jean et de la coUégiale
Saint-Just de Lyon et d'autre part les autorités civiles de cette
puissante cité en pleine subversion ; par un compromis, les parties hostiles
s'en étaient remises à l'arbitrage du roi de France : or les émissaires
qu'il avait envoyés avaient échoué dans leur mission; les régents sont
donc chargés de cette difficile affaire, en désignant de nouveaux envoyés,
avec l'appui énergique du bailli royal de Mâcon...
En fait les navires attendus n'arrivaient toujours pas! Les gens de
guerre assemblés s'énervaient. Une rixe opposant Catalans et
Provençaux dégénéra et le roi dut rétablir l'ordre en faisant pendre les
coupables. Mais aussi, pendant cette longue attente — séjour imprévu
de près de deux mois — saint Louis peut se consacrer, plus encore qu'en
temps ordinaire, à la prière et à la méditation. Le 1er juin, jour de la
Pentecôte, il se rend en pèlerinage à Saint-Gilles et, vu la proximité,
alla aussi se recueillir à l'abbaye de Notre-Dame de Vauvert.
Pendant cette épreuve de patience qui lui est imposée à Aigues-
Mortes, in castris, alors que les troupes royales sont désormais
militairement assemblées, le roi écrit une longue lettre à ses chers et fidèles
« lieu-tenant », leur rappelant les principaux points à l'usage de ses sujets
et pour le bien moral et spirituel du royaume21. C'est dans le même
esprit et, peut-on penser, en ce même temps de pause forcée, qu'il écrivit
de sa propre main, et en français, ses « enseignements » à son fils
Philippe et à sa fille Isabelle : il n'est guère pensable, en effet, que
de tels « documents » aient été rédigés en Afrique, pendant le temps
si bref entièrement occupé par les combats et l'ultime maladie de
saint Louis.
Le 2 juillet, la nef royale, « La Montjoie », met enfin à la voile,
ainsi que nous l'apprend une troisième lettre adressée par le roi aux
deux régents : il leur raconte la traversée, l'escale faite en Sardaigne,
à Cagliari, la décision prise en conseil de se diriger vers la Tunisie,
puis le débarquement « pacifique » le 18 juillet, face à l'antique
Carthage. Lui-même et toute sa parenté, grâce à Dieu, sont en excellente
santé. Il donne quelques ordres (dont le texte n'est pas connu). Enfin
ses lignes étant à peine terminées, il ajoute que Carthage a été prise
d'assaut. Lettre datée du camp devant cette cité, en la fête de l'apôtre
saint Jacques (25 juillet 1270) ».
Ce sera la dernière lettre du roi Louis à ses « lieu-tenant » chargés
par lui du gouvernement de la France. Désormais, celles qui lui
parviendront n'apporteront plus que de mauvaises nouvelles. C'est
principalement Pierre de Condé, clerc du roi, qui tient la plume tout au
long de lettres adressées à l'abbé de Saint-Denis et à son entourage,
le prieur d'Argenteuil, le trésorier de Saint-Frambaut de Senlis, les priant
228 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
de se communiquer mutuellement les renseignements : la chaleur
étouffante du soleil, les bourrasques épouvantables, le manque d'eau douce,
l'épidémie qui décime les croisés : la mort du prince Jean, la mort du
roi, la mort du cardinal légat et celle de tant d'autres victimes atteintes
sur cette « terre maudite » par les maladies, ou tombées en
combattant, soit lors de la conquête de Carthage, soit depuis l'arrivée de Charles
d'Anjou, roi de Sicile, au cours de sévères rencontres engagées avec
les sarrasins.
Entre-temps, par quatre lettres datées du 12 septembre le nouveau
roi Philippe avait confirmé le pouvoir des régents et ordonné à tous
ses sujets de leur obéir comme à lui-même. Il leur requiert d'envoyer
le plus d'argent disponible possible et demande à tout le clergé, tant
séculier que régulier, de prier pour son père. Au début du mois
suivant, le 4 octobre, toujours par lettres datées de Carthage, et craignant
que les précédentes ne soient point parvenues, il renouvelle leurs
pouvoirs à Mathieu de Vendôme et à Simon de Nesle et leur enjoint de
renforcer la garde des frontières23.
En Afrique, la paix souhaitée de part et d'autre est finalement
conclue et imposée au roi de Tunes, moyennant une forte somme
d'argent et la promesse du prochain départ des croisés. Le 18
novembre, du port de Tunis, Pierre de Condé apprend à l'abbé de Saint-
Denis la paix et le rembarquement vers la Sicile 24.
Sa dernière lettre envoyée de Cosenza le 30 janvier 1271 raconte
la suite des malheurs survenus depuis deux mois, d'abord sur mer
l'épouvantable naufrage de Trapani et ses innombrables disparus sur
la côte de Sicile, la mort de Thibaud de Champagne, roi de Navarre,
beau-frère du roi — puis sur terre la chute mortelle de la jeune reine
Isabelle en Calabre, et son agonie combien douloureuse, laissant le roi
désemparé ; la mort aussi de Pierre « le Chambellan », le meilleur
conseiller et l'ami de saint Louis25.
Mais il fallait bien revenir de ces régions lointaines. De passage
à Valleto, Philippe, inconsolable, rappelle tous ses deuils à l'abbé de
Saint-Denis. Parvenant à Viterbe, jusqu'où l'avait accompagné son
oncle Charles d'Anjou, les deux rois supplient le collège de cardinaux
de mettre fin à la déplorable vacance du Siège apostolique : sans
résultat 26 !
De leur côté Mathieu de Vendôme et Simon de Nesle avaient
écrit à Philippe III, le pressant de hâter son retour. De Viterbe27, le
14 mars, il annonce qu'il sera à Paris pour la Pentecôte (le 24 avril).
Les deux régents n'avaient pas changé le haut personnel que leur
avait légué saint Louis : un document d'octobre 1270 intitulé de leurs
deux noms fait mention d'Eudes de Lorris, évêque de Bayeux,
Philippe de Cahors, évêque d'Évreux, Nicolas d'Auteuil, trésorier de Saint-
Frambaut de Senlis, Julien de Péronne, chevalier, bailli de Rouen, et
Jean Sarrasin, chambellan : tous conseillers du roi récemment décédé
(Philippe le Hardi n'étant pas encore revenu de Tunis).
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 229
Du temps de leur régence, une quinzaine d'actes seulement ont
été retrouvés, intitulés aux noms de l'abbé de Saint-Denis et du sire
de Nesle : arbitrages, lettres de non-préjudice, vidimus, confirmations
de ventes ou d'échanges, rachat de vœux des croisés, accords,
concession à ferme..., trop rares vestiges de l'administration qui leur avait
été confiée. Quelques actes sont datés de Paris, d'autres de Saint-Denis ;
un jugement du 29 septembre 1270 montre qu'ils se déplaçaient et atteste
leur présence à l'Échiquier de Rouen.
On a tout lieu de penser que de tels documents furent transcrits
et enregistrés, comme l'avait été, au siècle précédent, la correspondance
de l'abbé Suger, mais seuls quelques feuillets ont été retrouvés
(véritables épaves).
Exerçant pleinement les prérogatives royales, Mathieu de
Vendôme et Simon de Nesle ne paraissent pas avoir observé les
instructions de saint Louis sur les affaires strictement ecclésiastiques, telles
que la nomination (ou confirmation) des nouveaux évêques.
En tout cas ils intervinrent lors de l'élection de l'évêque d'Auxerre,
car c'est à eux que le chapitre demanda la licentia eligendi (20 septembre
1270) ; c'est à eux également que s'adresse l'archevêque de Sens (Pierre
de Charny) pour leur annoncer, d'un ton assez sec, l'installation d'Érard
de Lésignes à la tête de ce diocèse (18 novembre 1270); même chose,
le 15 janvier 1271, lorsque le chapitre de Tours fait part à Mathieu
de l'élection de l'archevêque Jean (de Monsoreau) et le prie de lui
délivrer la régale; et encore lors de l'élection de l'abbé de Ferrières-
en-Gâtinais.
A la vérité leur attitude pourrait s'expliquer en raison précisément
de l'exercice de ce droit de régale : peu auparavant n'avaient-ils
pas été chargés d'enquêter sur les revenus indûment perçus j>ar les
« gardes des régales », lors de plusieurs vacances de l'évêché d'Evreux.
Sous le nouveau roi, Mathieu de Vendôme continua d'exercer
un rôle de premier plan. Et c'est bien grâce à lui, à son entourage actif
et dévoué et à sa sage administration que le règne de Philippe le Hardi
peut être considéré comme le prolongement de celui de saint Louis.
Après deux mois d'un deuil sévère, les cérémonies traditionnelles
du couronnement furent célébrées avec beaucoup de faste le 15 août
1271 , à Reims, où Mathieu avait fait transporter les couronnes et
ornements royaux dont il avait la garde à Saint-Denis. Le siège
archiépiscopal étant vacant, ce fut l'évêque de Soissons, Milon de Bazoches qui
procéda à l'onction royale.
Étant encore à Carthage,, Philippe le Hardi avait conservé tous
les conseillers de son père. Or, bien malheureusement l'un des
meilleurs et le plus sûr d'entre eux, Pierre de Villebéon, dit « le
Chambellan », était mort (lui aussi) au retour de la croisade (le 21 février 1271),
et ce fut, hélas! Pierre de La Brosse, également chambellan, auquel
le nouveau roi accorda pleinement sa confiance; or il s'avéra être
230 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
ambitieux et avide, mais aussi jaloux de l'influence de Marie de
Brabant que Philippe avait épousée le 21 août 1274. Mathieu sut se tenir
à l'écart des manœuvres, intrigues de palais et insinuations calomnieuses
de cet être diabolique. Après d'autres clercs, il dut pourtant se rendre
en Brabant auprès des « devineresses » de Nivelle : il se hâta d'en
revenir, ayant vite reconnu le jeu infâme monté par Pierre de La Brosse.
Tout occupé à l'accroissement de ses domaines et à ses machinations,
La Brosse n'eut pas une grande influence politique, et l'on peut
presque dire (sans risque d'erreur) que la bonne administration du
royaume se poursuivit comme du temps de la régence, d'autant plus
que les goûts de Philippe le Hardi et les circonstances l'attiraient vers
des expéditions lointaines pour lesquelles — entre autre — ils vont à deux
reprises lever l'oriflamme à Saint-Denis : fin juillet 1276 (« l'ost de
Tours », contre la Castille) et début mars 1285 (croisade contre l'Ara-
gon qu'il entreprit malgré l'avis des gens sages de son conseil).
A la différence de son père, Philippe n'assista guère aux séances
du Parlement qui ne tarde pas à rendre ses jugements per arrestum
curie : arrêts de justice rendus avec une grande autorité sur les matières
administratives, publications d'ordonnances susceptibles d'avoir
parfois des incidences de caractère politique.
Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, à qui saint Louis avait
donné toute sa confiance, remplit alors effectivement, et
heureusement, les fonctions de premier ministre. De 1271 à 1285 furent
promulguées une trentaine d'ordonnances ou « establissemens », pour le
« commun profit ».
En voici la liste, certainement incomplète, établie suivant l'ordre
chronologique : elle montre l'activité déployée en ce domaine pendant
les quinze années du règne, en parfaite conformité avec l'esprit de saint
Louis.
— 1271. Établissement sur les monnaies, reprenant les
ordonnances de 1262 et 1265.
— 1272. Arrêt déclarant que la concession des droits de juridiction
devait être expressément spécifiée dans les chartes : la haute justice
concédée n'entraînant pas le droit de justicier les gentilshommes.
— 1272. Ordonnance annulant les « avoueries » et les interdisant
à l'avenir : « s'avouer l'homme du roi » faisait échapper à la
juridiction ordinaire de son seigneur (ne fut guère appliquée).
— 1273, 26 juin (Pentecôte). Ordonnance monétaire adressée
sous forme de circulaire aux différents baillis.
— 1273, Ascension. Ordonnance sur les « vilains serments », jeux
de dés et « bordeaux communs ».
— 1273, août. Ordonnance reconnaissant aux habitants de Paris
le droit de saisir un malfaiteur en flagrant délit, et de crier « à l'aide » !
— 1273, 29 novembre. Prescription d'observer l'établissement
« Cupientes », de 1269, contre les hérétiques.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 231
— 1274. Ordonnance sur la convocation de l'ost et condamnation
à l'amende des réfractaires, suivant leur qualité : barons, bannerets,
chevaliers, sergents ou écuyers.
— 1274, août. Ordonnance Extirpare volentes enjoignant aux
officiers du roi d'expulser les Lombards, les Cahorsins et autres usuriers.
— 1274, 23 octobre. Ordonnance fondamentale sur les avocats.
— 1274, 29 novembre. Consultation formulant quelques axiomes
purement rationnels « sur quelques affaires ecclésiastiques ».
— 1275, décembre. Troisième ordonnance sur les monnaies, avec
additions d'articles nouveaux.
— 1275. Ordonnance « faite en Parlement, à Paris »,
reconnaissant aux six pairs laïcs et aux six pairs ecclésiastiques, ainsi qu'à
quelques autres comtes et seigneurs, « en raison de leur dignité », le
droit d'amortir certains fiefs ou arrière-fiefs, donnés en pure aumône
pour fondation d'anniversaires, ou de chapelles, sans pour autant
démembrer gravement leur seigneurie, et avec obligation d'en avertir
chaque fois le roi.
— 1275, 16 octobre. Ordonnance sur le maintien de la paix du
roi ifractio pacis).
— 1275, Toussaint. Ordonnance sur les « francs fiefs », acquis
et possédés « à cens » par les non-nobles.
— 1277. Ordonnances sur le contrôle des finances communales
par une commission de « maîtres des comptes ».
— 1277. Fortes « exactions » frappant Lombards et Cahorsins,
sous prétexte d'usure.
— 1277, 31 mars. Ordonnance interdisant l'exportation des laines,
grains et vins.
— 1277, 22 juillet. Défense au sénéchal anglais de Gascogne de
justicier les causes des appels pendant contre lui au Parlement de
Paris.
— 1278, Chandeleur. Circulaire sur le droit d'appel, interdisant
aux barons d'entretenir sur leur terre plusieurs « juges d'appeaulx »,
frustrant la cour du roi des appels de leurs hommes.
— 1278, janvier. « Ëstablissemens faiz à Paris au Parlement de la
Chandeleur », en 29 articles, pour « l'abrègement des Parlemenz »,
établissant pour chaque session les « jours » des différents bailliages,
etc., pour mieux organiser et alléger les tâches des « mestres »
(chevaliers, conseillers et clercs), ceux-ci étant tenus de venir « tous bien
matin » et de ne pas partir avant le « terme », afin de « délivrer » les
parties sans retard (§ 26).
— 1278. Nouvelle ordonnance monétaire.
— 1279. Ordonnance interdisant les tournois (après le grave
accident arrivé à Robert de Clermont, jeune frère du roi).
— 1279. Ordonnance somptuaire, et sur la remonte de la cavalerie.
232 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
— 1280. Ordonnance sur la juridiction gracieuse : origine de
notre notariat.
— 1280. Etablissement sur la « nouvelle dessaisine » et les « contre-
gagements ».
— 1280, Pentecôte. Statut défendant aux juifs d'entretenir dans
leurs maisons des serviteurs ou servantes de religion chrétienne.
— 1292, juin. Interdiction d'exporter armes et chevaux à
destination de l'Angleterre (à cause de la révolte des Gallois).
— 1282, 20 juillet. Ordonnance monétaire.
— 1282, 2 septembre. Ordonnance sur la condition des juifs et
sur la validité des contrats passés par eux.
— 1283, 19 avril. Ordonnance aux baillis de faire observer les
prescriptions de saint Louis sur le port des rouelles, la défense aux juifs
d'avoir des serviteurs chrétiens et, pour la première fois, l'interdiction
de réparer les synagogues et de posséder le Talmud.
— 1284, novembre. Renouvellement des ordonnances monétaires
qui n'ont pas été observées.

Cette longue enumeration montre l'activité du parlement sous


le règne de Philippe le Hardi. On ne saurait certes attribuer
personnellement à Mathieu de Vendôme chacune de ses décisions ou
ordonnances, mais on peut être assuré que, mises au point par des légistes
qualifiés, elles durent beaucoup à son autorité et à son impulsion.
Le 10 août 1272, Mathieu est désigné comme arbitre par l'évêque
de Paris et son chapitre quant à la juridiction du parvis de la
cathédrale : toute justice sur Γ Hôtel-Dieu est reconnue au chapitre.
En 1273, un juif demeurant à Senlis, ayant été battu par un
homme de « Creil », s'en était plaint au bailli qui avait indûment retenu
l'affaire à son tribunal. De cette décision le maire de la commune fit
appel « aus mestres, en plein Parlement ». Ceux-ci, au premier rang
desquels l'abbé de Saint-Denis et le sire de Nesle, jugèrent que le cas
appartenait à la commune et ordonnèrent au bailli royal de la rétablir
dans son droit de justice.
Le IIe concile de Lyon, convoqué par Grégoire X, tint ses séances
dans la primatiale Saint-Jean, du 7 mai au 17 juillet 1274. On y
dénombra plus de mille « Pères du concile » : cardinaux, archevêques,
évêques, et de très nombreux abbés, mais seuls les prélats ont pu être
identifiés. L'importance de l'abbaye de Saint-Denis, dépendant
directement du Saint-Siège, autorise à penser que Mathieu de Vendôme
participa à ces grandes assises de la chrétienté.
Le 3 juillet 1275, les doyens et chapitre de Paris, d'une part, et
Guiard dit le Clerc, maire de Viry, et sa femme Meinsende, d'autre
part, s'en remettent à l'arbitrage de Mathieu, abbé de Saint-Denis, et
de Gautier Bardin, bailli de Vermandois, quant à la propriété de la
« mairie » de Viry (près Chauny, au nord-est de Noyon).
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 233
En 1278, procès du duc de Bourgogne contre le seigneur d'Arcis.
Le jugement rendu en appel confirme la saisine du duc sur la terre de
Vitry, mouvant de son fief. L'abbé de Saint-Denis est le premier des
huit présents nommés dans l'acte.
Le 23 mai 1279, il est vraisemblable que Mathieu assiste à Amiens,
lors de la conférence entre les rois Philippe et Edouard Ier,
sanctionnant, moyennant hommage lige, la cession de l'Agenais à ce dernier,
en exécution du traité conclu le 23 mai 1258.
En 1279, au Parlement de la Toussaint, procès des échevins de
Reims contre l'archevêque : jugement rendu par 19 « jugeurs » le
mercredi après les octaves de l'Epiphanie (16 janvier 1280). A la prière de
l'abbé de Saint-Denis — dont le rôle est bien mis en évidence — les
échevins acceptent que l'affaire reste en l'état jusqu'au prochain
Parlement.
Le 12 juin 1282, Mathieu, comme on le sait, installe en son abbaye
les trois commissaires du Saint-Siège, nommés par Martin IV, pour
enquêter sur la vie et les miracles du roi Louis : il est assez
vraisemblable que Mathieu leur apporta son propre témoignage, ce jour-là, ou
très tôt après.
En avril 1282, par une sentence arbitrale, Mathieu, abbé de Saint-
Denis, Raoul d'Estrées, maréchal de France, maître Guillaume de
Neuville, archidiacre de Blois dans l'église de Chartres, et Gautier Bardin,
bailli de Vermandois, fixent les droits respectifs de l'abbaye et de la
commune de Corbie.
En 1283, c'est également entre les bourgeois d'une même ville,
Rouen, que trois commissaires royaux, l'évêque de Dol, l'abbé de Saint-
Denis et Simon de Nesle, rétablissent l'accord au cours d'une
assemblée générale de la commune, à propos de la levée d'une taille sur les
transactions commerciales et de sa répartition; il est convenu qu'un
tiers reviendrait à la commune et les deux tiers au roi.
Au Parlement de la Pentecôte 1283 (après ajournement de la
session précédente), procès entre l'abbaye de Saint-Benoît [-sur-Loire]
et le roi d'Angleterre, duc d'Aquitaine, à propos du prieuré de La Réole
dépendant de ladite abbaye; les dommages commis envers l'abbé, ses
familiers et les choses leur appartenant seront amendés, mais aucun
préjudice ne sera causé au roi-duc, pour le prieuré, dont il conserve
la « garde ». Furent présents à ce jugement l'abbé de Saint-Denis, dont
le nom précède ici celui de l'évêque de Dol, et plusieurs autres.
Le 1er mars 1284, arrêt capital de la Cour, en présence du roi
Philippe le Hardi et de Charles d'Anjou, roi de Sicile. Sont rejetées
les prétentions de ce dernier sur l'héritage d'Alphonse de Poitiers. A
cette occasion, le nom de Mathieu, abbé de Saint-Denis, figure, comme
toujours dans les textes officiels, le premier après ceux des archevêques
et évêques, or, outre les deux rois, sont cités nommément trente-six
personnages présents, sans compter les nombreux autres « clercs, laïcs
et baillis ».
234 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
En cette même année 1284, rendant compte d'un procès au
Parlement entre l'abbaye d'Aurillac et les consuls de ladite ville, le
procureur des consuls tint à reproduire textueUement la question que lui avait
posée l'abbé de Saint-Denis : « s'il survenait un cas de meurtre, de vol
ou quelque autre délit sur les murs, fossés et emplacements vacants de
la ville, qui donc en avait connaissance? », et encore « Qui possédait
la « juridiction » et justice en la ville d'Aurillac ?» — détail prouvant
que Mathieu de Vendôme intervenait clairement (et avec autorité) dans
un débat qui sans doute s'embrouillait et risquait de s'éterniser.

Deux circonstances très précises montrent bien l'autorité


prépondérante et véritablement souveraine exercée personnellement par
Mathieu de Vendôme. Tout d'abord à propos de la titulature royale
employée dans la date des actes expédiés en Gascogne. Le sénéchal de
Toulouse avait mandé à Jean de Grailly, sénéchal de Gascogne pour
Edouard Ier, de faire écrire dans toutes ses chartes la formule « Regnante
Philippo, rege Francie » au lieu de « Regnante Edwardo, rege Anglie ».
Jean de Grailly intervint auprès du roi, de l'abbé de Saint-Denis
et autres, en proposant une formule qui satisfît tout le monde, par
exemple : « Actumfuit Edw., rege Anglie, duce Aquitanie ». Après grand
conseil et grand débat (car certains voulaient que l'on fît mention du
seul roi de France), Mathieu accorda que la date des chartes fût
telle : Actumfiiit regnante Ph., rege Fr., Edwardo, rege Anglie, tenente ducatum
Aquitanie ». Malgré les ordres reçus de Londres, Jean de Grailly céda
et envoya une circulaire pour notifier la réforme du formulaire
mentionnant en première place le nom du roi de France (1er août 1282).
Au Parlement de la Saint-Martin (11 novembre 1284), on dénonça
en secret à l'abbé de Saint-Denis que les gens du roi d'Angleterre
employaient divers artifices pour empêcher les appels, la Cour exposa,
mais non pas sous forme d'arrêt, que ces abus ne seraient tolérés en
aucune façon, « parce qu'on avait le droit d'appeler au roi de France
de tout justicier institué par le roi d'Angleterre ». Un procureur
d'Edouard Ier demanda à part à l'abbé de Saint-Denis, s'il avait entendu
par le mot « justicier » : jusqu'au dernier prévôt, ce qui aurait modifié
toute la hiérarchie des appels. Mathieu de Vendôme lui répondit que
« non » et qu'il avait voulu seulement parler des « sénéchaux ».

Mais déjà, depuis le début de l'année, le pape Martin IV,


soutenant la politique de Charles d'Anjou, avait décidé d'excommunier Pierre
d'Aragon, usurpateur de la Sicile et, comme tel, considéré comme
ennemi de l'Église romaine ; il entendait donc disposer de ses royaumes.
A Paris, le légat Jean Cholet, cardinal du titre de Sainte-Cécile,
prévint aussitôt Philippe le Hardi et convoqua sans retard, le 21 février
1284, les prélats et les barons, installés pour en délibérer dans deux
salles séparées du palais. Avis partagés. Puis discussion confuse, de
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 235
laquelle se dégagea, deux jours plus tard, une majorité favorable, publiée
solennellement par l'archevêque de Bourges au nom du clergé, et par
Simon de Nesle pour les barons.
Un mois plus tard, entouré de ses deux fils et en présence de tout
le conseil, le roi reçoit le légat et Gilles du Châtelet, notaire
apostolique, et Charles, comte de Valois, son fils puîné, est investi par l'autorité
du Saint-Siège des royaumes d'Aragon et de Valence.
La conséquence inéluctable en sera la guerre. L'année 1284 tout
entière est consacrée à la préparation des troupes, à la prédication de
la croisade (entre princes chrétiens!) et à la levée de la décime.
Dès qu'il en eut connaissance, Mathieu de Vendôme, chef réel du
gouvernement royal, en informa le roi d'Angleterre et son chancelier,
l'évêque de Bath, avec lesquels il mena toute une négociation secrète,
à Γ insu de Philippe III, leur demandant de travailler de tout leur
pouvoir au maintien de la paix (pro bono pacts), le plus rapidement possible,
afin d'éviter les grands malheurs qui risquaient de survenir au péril
des âmes et des corps (2 mars 1284, Paris). N'était-ce pas la pensée
même de saint Louis?
Mais les dés étaient jetés. Avant son départ, Philippe III rédigea
son testament, dont l'abbé Mathieu fut le troisième de ses exécuteurs.
Et l'on peut imaginer combien à contrecoeur, le 24 mars 1285, il remit
au roi, pour la seconde fois, l'oriflamme de Saint-Denis.
Gomme l'avait fait saint Louis en 1270, Philippe le Hardi nomma
pour gouverner le royaume en son absence Mathieu de Vendôme et
Simon de Nesle, preuve d'une confiance réciproque et d'une fidélité
remarquables. A la vérité, depuis quinze années, Mathieu et Simon,
appelés au pouvoir par le saint roi, n'avaient cessé de tenir les rênes
de l'Etat, malgré les obstacles suscités par Pierre de La Brosse, par
Charles d'Anjou et... par le roi lui-même.
Ainsi, une fois encore, d'avril à décembre 1285, les documents
les mentionnent l'un et l'autre « lieutenants de monseigneur le roi de
France ». Félibien, historien de Saint-Denis, n'en avait relevé que
« deux ou trois » ; nous en avons retrouvé une dizaine relatifs (entre
autres) à la concession d'un port libre aux habitants de Niort (mai 1285) ;
à la « taille levée à l'occasion de la guerre d'Aragon et de Valence »
sur les « hommes » de l'évêque de Paris au bourg Saint-Germain, sans
préjudice pour l'avenir (juillet 1285); au transfert de la prison royale
de Champagne à Beaumont-sur-Oise (septembre 1285), etc. Les
derniers actes concernant Joinville, lui aussi « garde de la terre de
Champagne pour le roy quand il estoit en Aragon » (le lundi devant Noël),
l'autre un procès entre Jean, seigneur d'Arcis, et son frère Érard (le
jeudi devant Noël).
Or Philippe le Hardi, mort à Perpignan le 5 octobre, avait été
enseveli en l'abbaye de Saint-Denis le 3 décembre, en présence du car-
236 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
dinal Cholet, ce qui évita cette fois tout problème de préséance avec
les prélats...
Les deux derniers actes datés « devant Noël », qui viennent d'être
cités, induisent à penser que Mathieu de Vendôme et Simon de Nesle
restèrent en fonctions jusqu'au terme de la session du Parlement de
la Saint-Martin d'hiver. — C'est de leurs mains que Philippe le Bel
reçut « le royaume de saint Louis ».
Peu de mois plus tard, Mathieu de Vendôme rendit son âme à Dieu
le 25 septembre 1286, au prieuré de Beaune-la-Rolande, en Gâtinais,
où Saint-Denis avait un important domaine ; et deux jours après, il fut
inhumé dans son abbaye, près de la porte de fer conduisant du cloître
au chœur, où fut placée une tombe en cuivre.
Une dernière précision : la confiance que Mathieu inspirait lui
avait valu d'être souvent désigné comme exécuteur testamentaire.
Outre les rois saint Louis (février 1270) et Philippe le Hardi (2 octobre
1270 et mars 1285), on peut citer Renaud de Nanteuil, évêque de
Beauvais (avril 1283), Gui, physicien du roi (août 1284), et Simon
de Nesle avec qui par deux fois il avait été appelé à gouverner le royaume
(juin 1285)28.

Frère Adam de Saint-Leu


abbé de royaumont
et
Frère Girart de Paris, prêtre,
moine de la même abbaye

Hormis la Sainte-Chapelle, inaugurée le 26 avril 1248, l'abbaye


de Royaumont est, sans aucun doute, la fondation la plus prestigieuse
de saint Louis 29 : à la fois monastère et résidence royale, car il y avait
son « hôtel ». C'est par un diplôme solennel, daté de 1228, la seconde
année du nouveau règne (donc antérieurement au 28 novembre), que
sa fondation fut décidée, en exécution, est-il précisé, des dernières
volontés de Louis VIII ; or le défunt roi avait expressément demandé une
abbaye de chanoines de l'ordre de Saint- Victor de Paris, dont la
renommée n'avait pas encore perdu son éclat, et la nouvelle abbaye fut
soumise directement à Cîteaux : entorse faite par la reine Blanche,
cistercienne dans l'âme, au testament de son mari... Toujours est-il qu'après
moins de sept années de travaux, l'église dédiée à Notre-Dame put être
consacrée le 19 octobre 1235.
Adam de Saint-Leu, abbé de Royaumont, n'est pas mentionné
par les auteurs de la Gallia christiana. Il doit prendre place après cet abbé
Robert qui, ayant dirigé l'abbaye de 1258 à 1277, fut réclamé par
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 237
Charles d'Anjou, roi de Sicile, ainsi qu'un essaim d'une vingtaine de
moines et d'une dizaine de convers, pour animer l'abbaye de Real-Valle,
nouvellement fondée par lui, près de Salerne, pour commémorer sa
victoire de Bénévent contre Manfred. Le nom de Real Valle rappelait
évidemment celui de Royaumont.
Etant donné qu'il était du diocèse de Beauvais, Adam de Saint-Leu
tirait apparemment son origine de Saint-Leu-d'Esserent (peut-être même
était-il un cadet de la famille féodale de ce nom?). Sans doute doit-il
être identifié avec cet Adam, prieur de Royaumont, qui était allé
chercher pour les rapporter à son abbaye les dix corps saints dont Conrad,
évêque de Cologne, avait fait don au roi, fort amateur de reliques,
comme on le sait.
Lors de l'enquête de 1282, l'abbé Adam était âgé de soixante-
huit ans et le moine Girart d'une cinquantaine d'années. On ne
saurait distinguer la part des dépositions revenant à chacun d'eux, et
la chose importe peu. Assez nombreux et circonstanciés, leurs
témoignages sont d'un réel intérêt, depuis le temps déjà ancien où le roi et
les siens portaient, deux à deux, les brancards chargés de lourdes
pierres pour la construction de l'abbaye, jusqu'à ses fréquentes
assistances aux offices, et surtout jusqu'à cet exemple immortel de charité
à l'égard du frère Léger, atteint de la lèpre, le roi lui faisant absorber
un peu de soupe ou des ailes de perdrix, tandis que s'écoulait le pus
de ce visage affreusement défiguré par cette horrible maladie.

Frère Laurent de Marceaux, abbé de Châalis


de l'ordre de cîteaux

L'abbaye de Chaalis avait été fondée au diocèse de Senlis, en


1136, par le roi Louis VI, qui y établit des moines cisterciens
provenant de Pontigny30. L'église abbatiale, magnifique, fut choisie comme
lieu de sépulture par douze évêques de Senlis, depuis Amauri (1167)
jusqu'à Pierre Cailleu (1293).
Avant de devenir le seizième abbé de Chaalis, Laurent de Marcellis
en avait d'abord été le prieur et c'est de ce temps-là, alors qu'il
célébrait le saint sacrifice le jour de la Saint-Pierre (1er août), qu'il
ressentit une violente douleur au devant de la tête et eut grand'peine à
achever sa messe; la douleur s 'étant généralisée dans le dos, la cuisse et
la jambe gauche, il dut s'aliter et, ne pouvant marcher, il fut conduit
à l'infirmerie; après quinze jours de souffrances, il fit venir médecin
et chirurgien, mais les emplâtres prescrits par ces deux « maîtres » ne
furent d'aucun résultat. Alors le sacristain de l'abbaye, fr. Guillaume,
apporta au malade « un mantel de camelin brun, fourré de ventres de
connins », gardé dans la sacristie parmi les « reliques ennorables », car
238 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
il avait appartenu à saint Louis. Aidé de Jean de Jonquières, le moine
qui le veillait tandis que les autres étaient à vêpres, le prieur eut
confiance qu'en revêtant ce manteau vénéré il serait guéri : de fait après
une bonne nuit, le lendemain jour de l'Assomption Notre-Dame, il fut
« du tout délivré » de ses douleurs et crut « certainement » qu'il devait
son soulagement aux mérites du « benoît saint Louis »; aussi furent
jetées les « médecines » que les physiciens apportèrent en revenant voir
le malade qu'ils trouvèrent guéri (récit du XIIe miracle).
Laurent était depuis peu abbé de Châalis, et âgé de cinquante-huit
ans, lorsqu'il fut appelé à déposer à l'enquête de 1282. Sans qu'il y
soit nommément désigné, il est évident qu'on peut lui attribuer les quatre
témoignages concernant la venue du roi à l'abbaye : l'assistance au
sermon dans la salle capitulaire ; l'épisode du réfectoire, au cours duquel
le roi remplace par une écuelle d'argent garnie des mets plus fins l'écuelle
de bois d'un vieux moine, se contentant lui-même de la nourriture
monacale ; la présence au service funèbre d'un autre moine, et enfin cet acte
d'humilité — et on pourrait dire de solidarité humaine — quand le
roi baise la pierre où étaient lavés les corps des religieux récemment
décédés.
Le nom de Laurent, abbé de Châalis, se lit assez souvent dans
les chartes relatives aux rapports de son abbaye avec les établissements
du voisinage : les religieuses cisterciennes du Parc-aux-Dames (à
propos d'échanges de terres et droits à Villeneuve-lès- Auger, 1281, 1288),
la collégiale Saint-Rieul de Senlis (1283-1285), le chapitre de la
cathédrale (1285-1287), les abbayes de Lagny ou de Saint-Denis (à propos
de Montmélian, 1288). — Puis, à son tour, fr. Laurent rendit son âme
à Dieu. En 1290 Daniel (ou David) de Plailly était son successeur à
Châalis.

Maître Pierre de Condé

Né vers 1234, dans le diocèse de Chartres, Pierre de Condé était


donc âgé d'environ trente-six ans lorsqu'il participa à l'expédition de
Tunis, où, sur l'ordre de saint Louis, on l'entendit avec admiration
proclamer « le ban de N.S. Jésus-Christ et de son serviteur le roi de
France ». Il avait la qualité de « mestre » et il était non pas chapelain
mais clerc du roi. C'est peut-être bien à ce titre qu'il fut chargé
d'adresser en France des nouvelles de la croisade.
En tout cas, nous possédons cinq lettres de lui, du plus grand
intérêt, car, uniques en leur genre, elles sont un véritable reportage
des événements depuis l'embarquement du 2 juillet 1270 à Aigues-
Mortes jusqu'à l'annonce du retour à Saint-Denis prévu pour la
Pentecôte 1271 : lettres missives adressées, deux à Mathieu, abbé de Saint-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 239
Denis (l'un des deux régents nommés par le roi pendant son absence
outre-mer); deux également au prieur d'Argenteuil; l'autre à son très
cher ami, trésorier de la collégiale royale de Saint-Frambaut de Senlis
(Nicolas d'Auteuil), lui aussi de l'entourage de Mathieu de
Vendôme 31 .
Voici l'essentiel de cette correspondance (dépourvue des formules
de politesse et abrégée de quelques répétitions).

1) De Carthage, le 27 juillet 1270, au prieur d'Argenteuil.

Après une très mauvaise mer : escale en Sardaigne un mardi à


Cagliari (sur des vaisseaux génois). Or les Pisans, maîtres de la
ville, redoutaient ces gens de Gênes (leurs rivaux); après une semaine
de palabres, sans pouvoir descendre à terre, le roi obtint de faire
débarquer une centaine des nôtres, morts et malades.
Le samedi et le dimanche, le roi décida en conseil de cingler vers
Tunis, et le mardi après la saint Arnoul on pénétra dans le port. L'amiral
descendit à terre, mais sans l'ordre du roi. En définitive le
débarquement se fit sans la moindre opposition et le camp fut fixé dans une
presqu'île dépourvue d'eau douce. Sur terre on s'empara d'une tour
voisine ayant des citernes bien garnies. Assiégés par les sarrasins, les
nôtres furent délivrés sur ordre du roi par Lancelot de Saint-Mard et
Raoul de Trappes, mais les chevaux sortis des bateaux étaient si
fatigués qu'ils ne pouvaient se tenir debout.
Le lundi suivant, l'armée se dirigea vers le château de Carthage,
reprit au passage la tour et installa son camp dans une vallée bien
irriguée ; puis le jeudi le château assiégé par nos bataillons et échelle par
nos marins fut conquis. Les sarrasins venus à la rescousse s'enfuirent,
quant à ceux qui restèrent à Carthage, en cherchant à se cacher, ils
furent tous tués au fur et à mesure de leur découverte.
Le roi se serait bien installé dans le château, mais la quantité des
cadavres et la puanteur des charognes l'en empêchèrent ; aussi à
présent les fait-il évacuer. Les sarrasins en foule continuaient à nous
harceler avec leurs javelots et il fallait quotidiennement appeler aux armes.
Dans ces rencontres nos gens semblent avoir eu moins de morts que
les sarrasins, mais pour les chasser, il aurait fallu être plus nombreux.
Le roi de Sicile se faisait attendre, de jour en jour, en dépit des
lettres déjà envoyées de Sardaigne par notre roi.
Des rumeurs sur son compte avaient été apportées par fr. Amaury
de la Roche et, depuis, de nouveaux messages pressants avaient été
dépêchés vers lui par le roi, et l'on espérait son arrivée dans les
six jours.
Le roi, ses fils et leurs épouses sont en parfaite santé.
240 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

2) De Carthage, le 21 août 1270, À Mathieu, abbé de Saint-


Denis.

Au château de Carthage avec l'armée, le roi attendait toujours


le roi de Sicile et les renforts qu'il devait amener, et faisait réparer les
murs de ce château à la manière de France.
Mgr. Edouard (d'Angleterre) était, disait-on, à Aiguës-Mortes,
attendant des vents favorables. Des rumeurs assez fâcheuses couraient
sur lui, et sur les entretiens qu'il aurait eus avec le roi de Castille, le
roi de Portugal et leur entourage.
Les vivres commençaient cruellement à manquer; aussi le roi
envoya-t-il en Sardaigne et en Sicile pour acheter des victuailles
fraîches. Huit jours plus tard, une nef de Sicile apporta des porcs et
des poules. D'autre part, sortant de leurs bateaux, des marins avaient
bondi sur un pâturage et, ayant éliminé quelques gardiens, s'étaient
emparé d'une centaine de moutons et de brebis ainsi que de soixante-
dix bœufs et veaux, ce qui releva le moral des troupes de l'armée. Ces
nourritures fraîches rétablirent bien des malades.
Voici maintenant des faits plus graves, le dimanche de l'Invention
Saint-Etienne (3 août), le roi est atteint de diarrhée sans fièvre, à ce
qu'on dit, Philippe (lefiitur roi) est atteint de fièvre également et, peu
avant eux, le comte de Nevers (Jean Tristan), pris lui aussi de fièvre
avec diarrhée, expira ce même dimanche. Pendant huit jours la chose
fut cachée au roi et à ses autres fils, mais à sa demande expresse, le
dimanche suivant le roi en fut informé par Geoffroi de Beaulieu.
Surmontant la souffrance d'un père, il ne montra pas sa douleur. Les
chairs du défunt furent bouillies (suivant l'usage) et les ossements
conservés pour être rapportés bientôt en France.
Le légat expira lui aussi; l'on envoya à la Curie romaine Foulques
de Laon et maître Geoffroi du Temple pour que soit désigné un
nouveau légat.
L'archidiacre de Paris, notre chancelier, mourut à son tour et
fut remplacé par Guillaume de Chartres pour la garde du sceau.
Chaque jour dans l'armée la mort accomplit des ravages
innombrables.
Par maître Martin, médecin du roi, et par tous ceux qui retournent
en France, vous pourrez en savoir davantage.

3) De Carthage, le 4 septembre 1270, au trésorier de Saint-


Frambaut de Senlis.

Je n'ai guère à vous apprendre que vous ne sachiez déjà, sans doute.
Le roi Louis de très heureuse mémoire rendit son âme très sainte
le lundi, lendemain de la saint Barthélémy vers 15 heures. Au même
moment débarquait le roi de Sicile; l'ayant trouvé mort, il s'approcha
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 241
en gémissant amèrement et dit sa prière en s 'écriant avec effusion de
larmes : « Monseigneur, mon frère! » en lui baisant les pieds.
Le roi avait élu sa sépulture à Saint-Denis et celle du comte de
Nevers en l'église de Royaumont, parce que dans sa pensée seuls les
souverains devaient être inhumés à Saint-Denis.
Le jeudi suivant, le roi de Sicile fit avancer dans un étang proche
de Tunis des bâtiments marchands ainsi que des vaisseaux de course,
afin d'y attirer les sarrasins de la côte qui viendraient défendre ce lieu ;
et de fait, ils y vinrent nombreux en meilleur ordre de combat que de
coutume. Sans attirer l'attention, le roi de Sicile rassembla ses barons
et ses gens : le comte d'Artois, tout d'abord, bientôt suivi du roi de
Sicile qui, à son habitude fonça avec Philippe de Montfort : ils
écrasèrent les sarrasins dont les cadavres couvrirent la terre sur une
demi-lieue : on estime que chez eux, tant morts que noyés, il y eut des
milliers de disparus. Dans ce combat périt entre autres notre ami l'amiral
Arnoul de Courfraud.
Notre roi Philippe eut à nouveau deux crises de fièvre aiguë qui
alarmèrent son entourage, mais après sa seconde rechute on espère sa
convalescence.
La maladie et la rigueur du climat semaient la panique sur cette
terre maudite : même les forts se sentaient affaiblis et perdaient le goût
de vivre. Pourtant beaucoup envisageaient le complet rétablissement
de notre roi Philippe.

4) Du port de Tunis, le ie novembre 1270, À Mathieu, abbé


de Saint-Denis.

Le roi Philippe, la reine {Isabelle d'Aragon) et Pierre (d'Alençon),


frère du roi, sont en bonne santé, au moment où je vous écris.
La paix est enfin conclue entre le roi de Tunis, nos rois et nos
barons. Je vous avais précédemment écrit que le roi de Sicile avait
demandé que nos barons ne passent pas à l'attaque avant son arrivée.
C'est que des entretiens avaient déjà eu lieu entre le roi de Sicile et
le roi de Tunis au sujet de la paix et du tribut à payer par ce roi de
Tunis. Je l'avais appris par un chevalier dépêché deux fois pour ces
négociations. Au cours de ces entretiens, il lui avait réclamé en plus
les arrérages remontant aux règnes de Manfred et de Frédéric, mais
sans résultat. Entre-temps, notre armée était entrée au royaume de
Tunis. En la rejoignant, le roi de Sicile espérait obtenir par la force
des armes ce qu'il n'avait pu obtenir par ses tractations.
Le jeudi avant la Toussaint, nos rois et les barons convinrent des
conditions de la paix.
1 °) Le roi de Tunis jura de laisser la libre présence des chrétiens
dans les bonnes villes de son royaume et la libre propriété de leurs biens
avec permission d'édifier des églises et d'y prêcher officiellement.
16
242 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
2°) II fut convenu que le roi de Tunis paierait au roi de France
les dépenses de l'expédition s 'élevant à 210.000 onces or (chaque once
valant 50 sous tournois), et au roi de Sicile le double du tribut pendant
quinze années ainsi que plusieurs années d'arréragé.
3°) De part et d'autre fut décidé l'échange des prisonniers.
Les rois firent rembarquer leurs gens le mardi après la Saint-Martin
d'hiver, le roi de Sicile restant le dernier sur place pour recueillir les
pauvres et les retardataires. Tous devaient débarquer en Sicile au port
de Trapani et à Païenne. Le bruit courait que le comte de Poitiers et
Pierre le Chambellan iraient en Terre Sainte, que le roi de Sicile irait
en Grèce contre Paléologue et que le roi de France regagnerait son
royaume en passant par le cour romaine, gardant toujours avec lui les
ossements de son père.

5) DE COSENZA (EN CALABRE), LE 30 JANVIER 1271, AU PRIEUR


de Notre-Dame d'Argenteuil.
Au moment où je prends la plume, le roi et monseigneur Pierre,
son frère, sont en parfaite santé. S'étant embarqués à Tunis, ils
arrivèrent le lendemain par bon vent au port de Trapani. Le roi de Sicile,
grâce à sa galèe rapide, les y avait précédés. Mais dix-huit nefs et d'autres
bateaux plus petits qui étaient à l'ancre dans le port et dont les
occupants étaient restés à bord, furent soudain pris dans un ouragan d'une
telle violence qu'il les fit sombrer, causant la mort de quatre milliers
de passagers. La nef de l'évêque de Langres disparut avec mille
personnes ; lui-même en compagnie d'un seul écuyer réussit à se sauver
sur une chaloupe.
Après cette tragédie, les rois et barons s'assemblèrent pour
délibérer : ils décidèrent de se retrouver trois ans plus tard afin de se
rendre en Terre Sainte.
Le roi resta quinze jours à Trapani avec l'intention de partir au
plus tôt pour la France, mais son départ fut retardé par la mort du roi
de Navarre qui avait contracté la fièvre maligne à Carthage, lui qui
s'était conduit avec tant de vaillance pendant les combats.
Par étapes, notre roi dépassa le phare de Messine, et le dimanche
après l'Epiphanie arriva en Calabre, à Cosenza. C'est là que, dans les
plus grandes souffrances, la reine (Isabelle) mourut le mercredi avant
la Chandeleur, des suites d'une chute qu'elle avait faite en route,
donnant naissance à un enfant prématuré.
De cette mort notre roi éprouva une douleur dépassant toute mesure.
De Cosenza il se rendit à la Cour romaine (à Viterbe), et de là
directement en France. — Appartenant ou non à l'Hôtel du roi, que
de morts et de malades on avait eu chaque jour à déplorer !

Le roi et sa suite parvinrent à Saint-Denis, en France, pour la


fete de la Pentecôte, ainsi que l'avait prévu Pierre de Condé dès
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 243
le 30 janvier dans sa lettre datée de Cosenza. Une telle prévision pour
un pareil trajet et un pareil convoi est vraiment remarquable.
L'auteur de cette précieuse correspondance, maître Pierre de
Condé, fut de ceux qui « jeunes et forts » furent épargnés par
l'épidémie et regagnèrent la France. On se souvient qu'il avait noté les
sommes versées par le roi de Tunes pour conclure la paix et
notamment les 210.000 onces d'or payées au roi de France, montant des
dépenses de cette malheureuses expédition, et à cette occasion il avait
indiqué avec précision la conversion de l'once en monnaie tournois,
soit 50 sous, toutes choses qui montrent sa compétence en affaires
de finances.
A son retour, il reprit sa place dans l'administration en qualité
de « clerc du roi ». Il fut affecté à un service financier et paraît avoir
succédé à Pierre Sarrasin comme clerc de la caisse de l'Hôtel en 1275,
ce qu'attestent des documents de mars 1278, 1280, 1282 et années
suivantes... Entre-temps, en juin 1281, il avait été pourvu de la dignité
de gardien ou « coûtre » (et non curé!) de la collégiale de Péronne, à
la nomination du roi, et c'est le titre qu'il porte en 1283, lors de sa
déposition à l'enquête sur la vie de saint Louis.
Le souvenir de ses activités financières est conservé par ses célèbres
« tablettes de cire » pour les années 1283 à 1286. L'ordonnance de l'Hôtel
du roi, promulguée à Vincennes en 1285, nous apprend que maître
Pierre de Condé percevait trois « rations » journalières pour lui et une
autre pour le cheval de somme portant ses archives, 16 deniers pour
son foin et pour sa litière ; un valet nourri à la cour et deux autres à
gages, ainsi que « forge, restor et chandelle » ; et que son neveu lui
servant de clerc (ou secrétaire) percevait une « ration » et 6 deniers de
gage. — A côté de ces avantages en nature, un document de 1287
précise le montant en espèces de ses propres gages, soit 16 sous par jour.
Dans l'ordonnance de l'Hôtel de 1290, il est dit « clerc de la
chambre aux deniers ». En 1293, il est chargé avec Pierre de Manloë
d'une information sur le testament de Pierre d'Alençon, et en mars
1294 il est l'un des quatre commissaires qui arrêtent les comptes
du Temple.
Dès 1293, maître Pierre de Condé est pourvu de l'archidiaconat de
la Rivière, en l'église de Soissons. L'année suivante il reçoit un don
de Philippe le Bel : 10 livres de rente à titre viager. Un acte du 3
novembre 1298, pour l'abbaye de Saint-Magloire de Paris, le qualifie
encore « archidiacre de Soissons et clerc du roi ».
Peu après la canonisation de saint Louis (11 août 1297), maître
Pierre donne sa démission de chanoine et archidiacre de Soissons;
une bulle de Boniface VIII du 23 juin 1299, désignant son successeur
à Soissons, précise qu'il est alors dans son année de probation chez les
frères prêcheurs (sa vie est ainsi comparable à celle de Guillaume de
Chartres, clerc de saint Louis, qui revêtit lui aussi l'habit de saint
Dominique).
244 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Reconnaissant envers son ancien maître, qu'il avait vu mourir
saintement sous les murs de Tunis, fr. Pierre de Gondé fonde en la
Sainte-Chapelle une chapelle dédiée à saint Nicolas et à saint Louis,
et fait don d'une rente de 10 livres aux religieux de son ordre pour
améliorer la pitance de leur couvent le jour de la fête du saint roi.
Nouveau frère prêcheur, Pierre de Condé adhère à l'appel au
concile le 26 juin 1303, où, sur une liste de 133 frères, son nom se
lit dans les tout premiers, entre celui de Jean des Alleux, ci-devant
chancelier de Paris, et celui de Nicolas, confesseur du roi.
En janvier 1307, avec Gilbert Lambert, doyen de Saint-Martin de
Tours, il est commissaire à l'exécution du testament d'Alphonse de
Poitiers. Peu après, la même année, il assiste comme témoin aux
interrogatoires des Templiers. Il semble avoir encore été de ce monde en août
1308 et novembre 1311, dates de deux actes de Philippe le Bel relatifs
à la nouvelle affectation des 10 livres parisis de rente données par Pierre
de Gondé à ses confrères les jacobins de Paris...

Maître Geoffroi du Temple

En dépit de son nom, Geoffroi n'appartenait pas au Temple :


cet ordre de Saint-Jean de Jérusalem, à la fois religieux et militaire,
qui, tant en Terre Sainte que dans toute la chrétienté, jouissait alors
d'un très grand prestige. Ainsi qu'on le verra, Geoffroi était originaire
des environs de Melun, et tirait son nom de l'une de ces localités qui,
assez nombreuses dans les environs de cette ville royale, étaient ainsi
nommées : très vraisemblablement la paroisse de Savigny-le-Temple.
On peut penser qu'il était apparenté à Jean du Temple, frère
de l'ordre du Val-des-Écoliers, qui, à la génération précédente, en
1247-1248, fut envoyé par le roi comme enquêteur avec Pierre de
Châtres, chanoine de Chartres, en Languedoc, dans les sénéchaussées
de Beaucaire-Nîmes et Carcassonne-Béziers.
Toujours est-il que Geoffroi, ayant poursuivi ses études dans
quelque faculté des « arts » (lettres), y conquit le grade de « maître »,
mais il n'apparaît pas dans notre documentation avant 1264.
Par bulle datée d'Orvieto le 20 mars de cette année-là, Urbain IV
charge l'abbé de Saint-Denis de faire pourvoir maître Geoffroi du
Temple, clerc de la reine de France (Marguerite), et à sa sollicitation,
d'un canonicat avec prébende en l'église de Laon.
Le 31 mars 1267 (n. st.), Geoffroi, en tant que chanoine de Beau-
vais (depuis peu de temps sans doute car son nom est le dernier de
la liste), participe à l'élection capitulaire du nouvel évêque de ce
diocèse, pour succéder à Guillaume de Grez. Il y eut 37 votants et,
par 19 voix, la majorité se prononce de justesse en faveur du doyen
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 245
du chapitre cathedral, Renaud de Nanteuil (-le-Haudouin). Or le procès-
verbal authentique de cette élection atteste que Geoffroi du Temple et
trois de ses collègues apportèrent leur suffrage à maître Guillaume de
Mâcon, chanoine de Beauvais qui, onze ans plus tard, le 20 mai 1278,
monta (également par élection) sur le siège episcopal d'Amiens, qu'il
occupa pendant trente années avec beaucoup de science et de sagesse.
Sans médire de Renaud de Nanteuil, tout fier de son nouveau titre
d' « évêque-comte » de Beauvais, force est de constater que le choix
de Geoffroi et de ses trois collègues, maîtres Simon de Trie, Jean de
Litz et Gautier de Semur, eut été sans doute meilleur.
En 1269, maître Geoffroi est toujours clerc de la reine, dont il
gère la fortune personnelle, en tirant sur le Temple, à Paris, une somme
de 3.479 livres, 7 sous, 3 deniers, montant de ses dépenses, pour
89 jours, au terme de Pâques.
La même année, le 2 septembre 1269, en qualité de clerc du roi,
il est chargé par saint Louis d'annoncer à son gendre Thibaut de
Champagne, roi de Navarre, la prorogation de la trêve conclue entre la France
et l'Angleterre, événement d'importance, puisque précédant de peu le
départ du roi pour la croisade. En prévision de celle-ci, Geoffroi a reçu
la mission de lever la décime et autres subventions concédées pour une
durée de trois ans, à compter de 1268, par le pape Clément IV, maître
Pierre de Montbrun remplissant les responsabilités de camérier de la
sainte Église romaine. Maître Geoffroi du Temple est alors devenu un
personnage important. Il accompagne le roi dans sa traversée et,
le 7 août 1270, le légat pontifical ayant succombé à l'épidémie, sous
les murs de Carthage, il est dépêché avec Foulques de Laon à la cour
de Rome, auprès du collège des cardinaux (le siège apostolique étant
vacant depuis le 29 novembre 1268), afin d'obtenir la nomination d'un
nouveau légat.
Ce rappel sommaire des six années 1264-1270, dans la vie de
Geoffroi du Temple, est le présage de ses activités pendant la trentaine
d'années qui vont suivre : une brillante carrière ecclésiastique et
principalement administrative.
Aussi bien, sa carrière ecclésiastique paraît avoir été pour lui
surtout « beneficiale », c'est-à-dire une source multiple de bénéfices :
canonicats prébendes à Laon, à Beauvais, à Reims, à Meaux, il est
ensuite (ou simultanément) chanoine et coûtre (gardien) de la collégiale
royale de Saint-Quentin (1288), pour finir chanoine de l'église Notre-
Dame de Paris et trésorier de la collégiale Saint-Frambaut de Senlis
(1293), également à la collation du roi : dignité ou plutôt office, sans
charge d'âmes, grassement rémunéré, pinguis thesauraria. Si Geoffroi fut
un temps chapelain du pape, sous Martin IV (1283), il ne paraît pas
avoir ambitionné un siège episcopal ; d'ailleurs il semble bien qu'il n'ait
jamais reçu que les ordres mineurs.
Administrativement, maître Geoffroi du Temple est clerc du roi,
246 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
c'est-à-dire l'un des collaborateurs immédiats du souverain, jouissant
de sa confiance et chargé par lui des missions les plus diverses. En fait
les activités de Geoffroi, qu'il exerça sous trois règnes successifs, furent
exclusivement de caractère financier, voire fiscal. On l'appellerait de
nos jours secrétaire ou sous-secrétaire d'État aux finances.
Sa position est bien assise. Au terme de la Chandeleur 1275,
n. st., le compte des dépenses de l'Hôtel du roi mentionne maître
Geoffroi au nombre des clercs recevant un manteau d'une valeur de
100 sous. En avril 1277, par ordonnance royale, il fait partie d'une
commission de quatre membres composée, outre lui-même, de maître
Nicolas d'Auteuil, de fr. Jean de la Tour, trésorier du Temple, et de
Pierre Michel, bourgeois de Tours, panetier et trésorier du roi — une
ébauche de la future Chambre des comptes, chargée de contrôler la
gestion financière des villes de commune. A la fin du règne de Philippe
le Hardi, l'ordonnance de l'hôtel du roi précise que « maistre Gooffroy
du Temple en tant que clerc et « notaire » du roi a droit chaque jour
à deux sous de gages, quatre « provendes », avec un valet mangeant
à la cour et trois autres personnes rémunérées ». En mai 1286, il est
clerc de la Chambre aux deniers, et de nouveau en novembre 1296
(d'après le compte du terme de la Toussaint), ce qui lui vaut 16 sous
de gage par jour.
Depuis plusieurs années, maître Geoffroi du Temple a vu croître
singulièrement son influence et ses responsabilités. Sa carrière est
assurée. Il convient maintenant de présenter divers exemples concrets
(assurément incomplets), repérés ça et là, de ses activités qui sont toujours
celles d'un grand argentier, tant pour les recettes que pour les dépenses.
Il continue avec maître Nicolas d'Auteuil et Gautier de Fontaines
à recevoir les arriérés des décimes et des nouvelles subventions
concédées au roi par les derniers papes et recueillies par les collecteurs
pontificaux. Il révise tous les comptes des décimes entre 1269 et 1283, et
en cette dernière année se rend à la Curie pour en régler le partage
avec le pape. Simultanément, à l'Ascension 1282, maître Geoffroi du
Temple et Pierre de Condé, tous deux « clercs du roi », reçoivent
les droits de « sénéchaussée » dus par l'abbé de Sainte-Geneviève,
Guillaume d'Auxerre, lorsqu'il vient prêter hommage au roi; et, de
1277 à 1283, il a centralisé les comptes des dépenses extraordinaires
de l'Hôtel : argenterie, orfèvrerie, vêtements et habillements.
C'est à lui qu'aux « Grands jours de Champagne » sont remis les
fonds affectés à la comtesse Jeanne, lors de son mariage avec Philippe,
le fils aîné du roi, pour le premier semestre 1285, et c'est lui qui règle
les dépenses du prince héritier et de sa jeune épouse, soit 8.379 livres
5 sous 6 deniers tournois (portées dans les comptes de Reinier Acorre,
receveur de la terre de Champagne et de Brie).
En août 1288, maître Geoffroi, alors coûtre de Saint-Quentin,
Guillaume de Crépy, doyen de Saint-Aignan d'Orléans, et Robert de
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 247
la Marche, chanoine de Noyon, traitent au Parlement, et donc à Paris,
des conditions auxquelles les Lombards pourront s'installer à Nîmes,
mais non pas en d'autres villes; ils autorisent en même temps les
marchands de Montpellier à acheter à Nîmes les produits de ces
nouveaux venus.
En août 1289, « mestre Jofroi dou Temple », clerc du roi, est
chargé de payer les frais de reconstruction en pierre du pont de Melun,
emporté par la violence des eaux en 1280, et de préciser la
contribution qu'y avaient prise Adam, vicomte de Melun, et son frère Jean.
Au Parlement de la Toussaint, maître Geoffroi atteste que le défunt
roi Philippe III avait défendu de lever une amende sur les évêques
d'Agde et de Lodève, ainsi que sur les abbés de Saint-Guillelm-du-Désert
et de Valmagne, à raison de la guerre de Navarre.
En 1293, après une nouvelle mission en cour de Rome pour y
négocier le partage des décimes dont il a été chargé durant plusieurs
années, il obtient du roi, en marque de récompense, la trésorerie de
Saint-Frambaut, vacante par le décès de Gui de Genève, également
clerc du roi. Le 22 juillet 1296, par la main de son neveu, maître
Clément, Geoffroi verse au Temple, à Paris, une somme de 800 livres,
sans que l'on sache s'il agit alors pour son compte ou pour celui du
roi. A la Toussaint 1296, il reçoit et arrête de sa propre main les
comptes des emprunts clos en Normandie, au terme de la Saint-Michel,
et perçoit ses gages, soit 16 sous par jour (ainsi que Pierre de Condé
et un troisième collègue, Jean Clersens).
A la veille de la Saint-Michel 1296, il arrête le vote d'une somme
de 17.056 livres 5 sous tournois, des avances (mutuorum) faites par les
financiers lombards Biche et Mouche, dans le bailliage de Senlis et son
ressort, à l'occasion de la guerre de Gascogne.
L'état des finances royales oblige alors le pouvoir à recourir à des
emprunts non seulement auprès de la grande banque, mais aussi auprès
de ses propres agents. En 1297, maître Geoffroi, chanoine de Paris,
lui ayant prêté 600 livres tournois, Philippe le Bel donne ordre qu'il
en soit remboursé sur la somme de 428 livres parisis, valant 535 livres
tournois, due pour la « double-décime » imposée au chapitre cathedral
de Paris. Remboursement incomplet, comme on le voit.
Mais on peut penser qu'il devait rentrer dans ses fonds : l'année
suivante en effet Geoffroi du Temple et maître Robert de Laon, tous
deux chanoines de Paris, sont chargés de recevoir, comme «
collecteurs », le montant de cette « double-décime » levée sur les
établissements religieux non exempts du diocèse de Paris. Or il ne sera pas en
mesure d'en rendre les comptes : il en restait redevable lorsqu'il
mourut, fin septembre 1298, et ce sera son collègue qui, sans grande hâte,
et en plusieurs versements, acquittera le montant de la somme qu'ils
avaient perçue.
Devenue vacante par ce décès, la trésorerie de Saint-Frambaut
248 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
fut aussitôt conférée par Philippe le Bel à son clerc, maître Guillaume
Flotte, fils du célèbre chancelier Pierre Flotte qui sera tué à la bataille
de Courtrai (11 juillet 1302), ce qui l'incita à abandonner l'état de
clergie pour rentrer dans la vie laïque, devenir chevalier et succéder
à son père dans sa seigneurie de Revel.
Geoffroi du Temple, en mourant, laissait une véritable fortune,
accumulée grâce aux bénéfices ecclésiastiques dont il avait été
largement pourvu, aux gages perçus, comme clerc du roi et membre de son
Hôtel, peut-être aussi lors de la manipulation de tant de deniers de
provenances diverses, les plus importantes étant apparemment les
décimes, doubles-décimes et autres subventions accordées parla papauté
à la Couronne de France pour les croisades, et finalement pour d'autres
expéditions plus ou moins assimilées à ces expéditions contre les infidèles.
Ses revenus, il les avait placés en acquérant joyaux et pierreries
(voir ci-après) et de nombreuses rentes dont on ne citera que les plus
anciennes : 100 sous sur la prévôté de Laon (février 1276, n. st.),
44 sous sur celle de Montreuil (mars 1276, n. st.), 30 sous tournois
sur celle de Gisors (26 septembre 1278), etc.
Il avait fait son testament qui ne semble pas avoir été conservé,
et l'on ne peut que déplorer de n'avoir pas non plus retrouvé les
comptes de sa succession. Du moins savons-nous qu'il possédait une
maison à Paris et qu'il avait conclu un arrangement (non précisé) avec
les chanoines prémontrés d 'Abbecourt, car le 26 novembre 1298, son
neveu, maître Clément de Courceaux, l'un de ses héritiers et
exécuteurs testamentaires, par acte passé devant l'officiai de Paris, tient quittes
ces religieux envers la succession du défunt de « toutes actions,
comptes et arrérages, dettes ou dépenses qui pourraient leur être
réclamés pour leur maison de Louveciennes et toutes ses appendances et
appartenances ».
On n'est pas surpris d'apprendre que dans ses dernières volontés,
maître Geoffroi ait ordonné la fondation d'une chapelle en l'honneur
de saint Louis, pour la dotation de laquelle ses exécuteurs firent
l'acquisition de 1 15 sous de rente et des recettes du tonlieu du pain de Melun.
Le roi Philippe le Bel accorda l'amortissement des revenus ainsi acquis,
ladite chapelle devant être fondée dans le doyenné de Melun (Paris ;
février 1302, n. st.), et elle fut effectivement érigée en l'église de
Savigny-le- Temple.
Maître Geoffroi manifesta sa générosité envers de nombreux
établissements religieux, dont le relevé suivant est sûrement incomplet :
d'abord les chapitres des cathédrales dont il avait été chanoine :
Beauvais (62 sous à Haillancourt), Meaux (100 livres pour distribuer
100 sous au réfectoire, le jour de son décès), Paris également; dans ce
même diocèse diverses abbayes d'hommes ou de femmes qui ne
manquèrent pas non plus d'inscrire ses legs dans leurs obituaires : Saint-
Victor (20 livres parisis), Sainte-Catherine de la Couture (400 livres
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 249
pour fonder une chapelle), et sûrement d'autres parmi lesquelles l'abbaye
des nonains d'Yerres, ordre de Cîteaux, qui reçut de maître Geoffroi
et de son neveu, maître Clément de Courceaux, 90 livres parisis
et un saphir ayant appartenu à saint Louis {et unum saphirum qui
fait sancii Ludovici).
Il n'eut garde d'oublier ses propres neveux et héritiers : Hugues
de Courceaux, sans doute frère de maître Clément, mais aussi
Geoffroi et Denis de Savigny, frères, drapiers et bourgeois de Paris,
qui, près de vingt ans après sa mort, obtiendront du Parlement la
confirmation d'une sentence du prévôt de Paris condamnant un
certain Pierre de Mantes, orfèvre et bourgeois de Paris, à leur restituer
« une couronne d'or ornée de pierres précieuses et de perles » provenant de leur
oncle ou bien de leur en payer le prix réel, soit 920 livres parisis.
Il convient sans doute aussi de compter parmi les neveux et
héritiers de Geoffroi du Temple, maître Jean du Temple qui fut, comme
lui, clerc, notaire et secrétaire du roi ; maintes fois mentionné dans les
actes de Philippe le Bel et de ses successeurs, notamment Philippe V
le Long, il mourut en juillet 1332, et Philippe VI de Valois,
confirmant les legs faits par lui aux curés des églises de Saint-Gervais de Paris,
d'Orengis et de Ris, évoquera « les bons services que ledit maistre Jehan
fist longuement et loyalement à noz devanciers et à nous ».
On comprend sans doute pourquoi dans notre chapitre précédent
nous avons pu attribuer à l'expert financier qu'était Geoffroi du
Temple toutes les informations chiffrées sur les immenses générosités
de saint Louis.

Simon du Val, prieur des dominicains de Provins


et
QUATRE DOMINICAINS DU COUVENT DE COMPIÈGNE

Originaire du diocèse de Soissons, on peut penser que Simon du


Val naquit à Compiègne, vers 1226, puisque lors de sa déposition, en
1282, il avait environ cinquante-six ans, et qu'étant alors prêtre et prieur
du couvent de Provins, il jugea à propos de se faire accompagner par
quatre dominicains de Compiègne.
Dans son témoignage, fr. Simon dit avoir eu de nombreux
entretiens avec le roi saint Louis (donc avant 1270) et avec d'autres princes
et grands personnages, mais notre documentation est absolument muette
sur cette période de sa vie, et c'est bien dommage.
Ne faudrait-il pas l'identifier avec le clerc Simon, précepteur
(eruditor) du prince Philippe, pour qui, à la sollicitation pressante de
la reine Marguerite, le célèbre encyclopédiste dominicain, Vincent de
250 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Beau vais, écrivit son traité pour l'éducation des enfants royaux,
De eruditione regiorum puerorum, « opuscule » qu'il chargea précisément
Simon d'offrir à la reine (vers 1262). On ne serait pas surpris que ce
clerc, en excellents rapports avec la famille royale, et sans doute
collaborateur de Vincent de Beauvais, n'ait pas tardé à entrer, lui aussi,
dans l'ordre des frères Prêcheurs (comme beaucoup d'autres clercs,
renonçant aux prébendes dont ils étaient pourvus).
Suivant le P. Échart (1719), c'est dans la « maison » de Troyes
que Simon revêtit la robe dominicaine et c'est apparemment la raison
pour laquelle il est parfois appelé Simon de Troyes (de Trecis), mais son
nom le plus usité est celui de Simon du Val (de Valle). En tout cas, c'est
par erreur qu'on a écrit qu'il fut prieur du couvent de Rouen, en
septembre 1275, lors du chapitre tenu au Mans, sous la présidence de Jean
de Châtillon, prieur de la province de France : une assemblée,
remarquons-le, qui adressa une supplique au collège des cardinaux en
vue d'inciter le futur pape à placer sur les autels monseigneur Louis,
roi de France, dont sont amplement rappelées les vertus de piété, de
foi et de charité, la renommée qui auréole sa mémoire, même chez les
nations « barbares », et les miracles qui s'opèrent auprès de son tombeau.
Simon du Val (et non pas de Vailly!) fut-il le premier prieur du
couvent de Provins, fondé seulement en 1271 ? On pourrait le penser,
car il fit don à cette nouvelle maison des Frères Prêcheurs (nove dormii)
d'une Bible magnifique, en 17 volumes, qui lui avait été
vraisemblablement offerte par le saint roi. En 1274, le prieur de Provins (est-ce
lui?) fut l'un des trois religieux chargés de réformer le monastère
bénédictin de Saint-Bertin, à la demande faite au pape par l'abbé lui-même
lors du concile de Lyon.
En 1276, fr. Simon est nommé par l'autorité apostolique inquisiteur
contre l'hérésie dans le royaume de France, une création récente, car
c'est seulement par lettres du 19 mai 1273 que le cardinal Jean, du titre
de Saint-Nicolas in carcere, avait demandé aux inquisiteurs méridionaux
de fournir à leurs collègues de France la documentation nécessaire pour
mieux remplir leur tâche. Exerçant donc sa nouvelle fonction, Simon
du Val sévit d'abord contre trois maîtres es arts, Siger de Brabant,
chanoine de Saint-Paul de Liège, Gassuin de La Capelle et Bernier de
Nivelle, chanoines de Saint-Martin de Liège, suspectés grandement du
crime d'hérésie pour les doctrines philosophiques qu'ils professaient à
Paris, interprêtant à leur manière l'enseignement d'Aristote en s'ins-
pirant des commentaires d'Averroès, de telle façon qu'ils en arrivaient
à nier quelques-unes des vérités les plus fondamentales du christianisme
sur l'existence de Dieu, la Providence divine, la création du monde,
le libre arbitre et l'immortalité de l'âme. Par lettres datées de Paris,
le lundi, fête de saint Clément 1276, l'inquisiteur écrivit au prieur des
frères prêcheurs et au gardien des frères mineurs, leur mandant de citer
les trois maîtres à comparaître avec des témoins dignes de foi, à
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 251
Saint-Quentin, en sa présence, le dimanche après l'Epiphanie (18
janvier 1277). Se sentant menacés les trois clercs brabançons avaient pris
le large (on leur en avait d'ailleurs laissé le temps). Etienne Tempier,
évêque de Paris, rendit contre eux sa sentence le 7 mars. Ils avaient
trouvé refuge en « cour de Rome », où deux d'entre eux finirent leur
vie « misérablement » ; mais Bernier de Nivelles fit certainement
réconcilié, car il légua ses livres à la maison de Sorbonne.
Émanant de fr. Simon, inquisiteur, on conserve plusieurs autres
citations datées de Caen, Orléans et Evreux, en 1277 et 1278,
concernant notamment quelques paroissiens et paroissiennes de Louviers, dont
trois ménages ; enfin une juive nommée « Bonafilia », femme d'un
certain Copin de Samois, accusée d'apostasie : un sergent du bailli de Caen
étant requis de se saisir de sa personne, car on pouvait craindre que,
lors de ses déplacements, aide et conseil ne lui fussent donnés
opportunément pour lui permettre de s'échapper... et c'est probablement ce
qui se passa.
Il n'est pas étonnant d'apprendre qu'un frère prêcheur ait fait
des sermons; quelques-uns ont été conservés sous le nom de Simon
de Troyes, mais on n'en connaît que deux prononcés à une date
certaine : le premier du 21 décembre 1281 en la fête de saint Thomas,
IVe dimanche de l'Avent, sur le thème « Venit Jesus januis clausis,
etc.. », le second du 5 avril 1282, le dimanche de Quasimodo, sur le
thème « Gavisi sunt ergo discipuli ».
C'est en 1282 (entre le vendredi 12 juin et le jeudi 8 août) que
fr. Simon du Val, alors bien qualifié de prieur de Provins, apporta son
témoignage sur la Vie du roi Louis ; or il s'était fait accompagner de
quatre autres «jacobins » de Compiègne, et c'est grâce à eux que sont
connus plusieurs faits et gestes de celui qui avait été le fondateur de
leur couvent en 1258.
La dernière mention connue de Simon du Val est sa désignation
par Pierre, comte d'Alençon, « fils de saint Louis, roi de France », pour
être l'un de ses neuf exécuteurs testamentaires, le dernier étant son
chambellan, Oudart du Val, qui était vraisemblablement parent du frère
prêcheur (« juingnet » 1282).
La présence de ces quatre religieux du même couvent de Compiègne
est assez surprenante : elle montre l'attachement que fr. Simon du Val
portait à cette ville dont il était sans doute originaire (Compiègne étant
du diocèse de Soissons), et plus encore à ce couvent dont on peut
penser qu'il aura été le prieur avant d'être appelé à diriger celui de Provins.

Quatre frères prêcheurs du couvent de Compiègne

Ces quatre jacobins figurent dans la liste de Saint-Pathus juste


après Simon du Val, et il est normal de supposer qu'ils accompagnaient
252 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
leur confrère qui était sans doute originaire de la même ville de Com-
piègne et qui avait peut-être été prieur de leur couvent.
Voici les noms de ces quatre religieux; maladroitement traduits
en français par Guillaume de Saint-Pathus, d'après l'enquête latine,
certains de ces noms ont pu être déformés, au point d'être rendus
méconnaissables .
C'est sûrement le cas de « frère Gille de la Rue de la Court »,
du diocèse de Noyon, sous-prieur des frères prêcheurs de Compiègne,
âgé de cinquante ans : étant picard, puisque originaire du diocèse de
Noyon, on peut penser que son véritable nom était Gilles de Rocourt
(hameau et moulin à eau sur le terroir de Saint-Quentin) ;
sensiblement à la même époque, des chartes font mention de « Gillet de
Roucourt », possédant terre et jardin audit lieu (vers 1290), et de
« Egidius de Roucourt », exécuteur testamentaire d'une certaine Ysa-
belle d'Etaves ayant possédé une maison sur la place du marché de Saint-
Quentin, en 1309.
De même, « frère Jehan de Boschet », originaire du diocèse de
Beauvais, et par conséquent picard lui aussi, pourrait bien avoir porté
le nom du Bocquet (lieudit à Guignecourt, canton de Nivillers), à moins
qu'il ne faille le rattacher à l'importante famille beauvaisine des
Becquet, Bequet ou Beket.
Frère Jean dit le Clerc, de Compiègne, âgé d'une cinquantaine
d'années : sa famille était représentée à Compiègne même par Aubert
le Clerc, qui dépose en 1261 sur la gestion du bailli de Vermandois,
Mathieu de Beaune, et par Jean le Clerc, fils d'Aubert, bourgeois de
Compiègne en décembre 1279, bienfaiteur de l'abbaye de la Joie-Notre-
Dame (religieuses de l'ordre de Cîteaux).
Frère Raoul de Vernay était originaire du diocèse de Reims :
Vernay, hameau détruit de la commune de Nanteuil-la-Fosse ; âgé d'une
soixantaine d'années, il appartenait déjà au couvent de Compiègne en
1264 (n. st.), date à laquelle, le 3 avril, il assiste en tant que socius son
prieur, fr. Jean, lors de l'examen des comptes et de la situation
financière de l'Hôtel-Dieu Saint-Nicolas-au-Pont, avant l'arrivée des Tri-
nitaires que saint Louis voulait y installer.
C'est grâce aux témoignages de ces frères prêcheurs que l'on
possède plusieurs souvenirs sur saint Louis, leur fondateur : les grands
frais entraînés par l'acquisition des terrains, les travaux de
construction et l'achat du mobilier; la venue du roi dans leur cuisine et en leur
réfectoire, les mets et les fruits qu'il y apporta; sa présence au repas
conventuel, où il écoutait attentivement la lecture; sa présence
également à leurs « écoles », où assis sur un carreau à même le sol, il
assistait pieusement à la leçon du maître enseignant du haut de la chaire.
Sans doute exposèrent-ils bien d'autres détails sur la piété et le
comportement religieux du roi, mais le récit tel que l'a composé Saint-
Pathus ne permet pas d'attribuer à l'un d'entre eux tel ou tel trait par-
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 253
ticulier. Aussi bien, auraient-ils fait double emploi avec les emprunts
que ce bon franciscain fit au livre rédigé par Geoffroi de Beaulieu,
confesseur du roi.
Il est un fait qui resta bien gravé dans leur mémoire : le séjour
du roi à Châteauneuf-sur-Loire, où il les fit héberger de nuit dans un
très bon hôtel, avant de repartir avec eux par la voie fluviale jusqu'à
Orléans, où siégeait cette année-là (en 1260, le 8 septembre, fête de
la Nativité de Notre-Dame), le chapitre de la province de France, auquel
saint Louis tint à assister personnellement.
Mais il est un événement, pourtant bien digne d'être noté, que
les religieux paraissent avoir entièrement passé sous silence (ou, du
moins, que n'a pas retenu Saint-Pathus) : le legs fait à leur couvent
par le roi, dans son testament daté de Paris, en février 1270 (n. st.),
d'une grande partie de ses livres qu'il répartit également, au choix de
ses exécuteurs, entre les frères prêcheurs et les frères mineurs de Paris,
l'abbaye de Royaumont et les frères prêcheurs de Compiègne, ces
derniers étant même favorisés, le roi leur laissant les livres qu'il leur avait
déjà précédemment donnés.
Ces manuscrits, dont il serait si précieux de posséder au moins
l'inventaire, ont presque tous disparu. En ce qui concerne le couvent
de Compiègne, on sait qu'il fut ravagé par un incendie le 15 octobre
1422. Or, par chance, un livre sans doute emprunté par un moine de
Saint-Corneille et conservé dans la bibliothèque de cette abbaye
bénédictine, se trouva ainsi sauvé du désastre. Il s'agit des « Lettres de saint
Grégoire ». Cette épave unique repose actuellement à Paris sur les rayons
de la Bibliothèque nationale, sous la cote ms. latin 17.439, et sa
provenance est parfaiterment assurée car on lit au dernier feuillet la mention
de son origine : « Iste liber, qui vocatur registrum beati Gregorii
pape, datus fuit conventui fratrum predicatorum Compendiensi a
bone memorie Ludovico rege Francorum illustri. Anima ejus re-
quiescat in pace. » Ces cinq derniers mots ayant été en partie effacés,
quand le nom du roi fut officiellement inscrit au « catalogue des
saints » (1297).

Deux soeurs de l'hôpital de Vernon


soeur mahaut, prieure, et soeur alice

A Vernon, comme à Compiègne, il existait une Maison-Dieu,


dès la fin du XIIe siècle, dans un faubourg, à Vernonnet, et plus
précisément dans l'île où prenait appui le vieux pont traversant la Seine ;
or elle y était souvent inondée et ses bâtiments tombaient en ruines.
Saint Louis en fut ému et projeta de la reconstruire sur un vaste
terrain dans « le meilleur lieu de la ville »; l'achat de l'emplacement,
254 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
les édifices « grands et larges », les lits et ustensiles, la chapelle avec
ses ornements et ses livres coûtèrent 30.000 livres parisis (Saint-Pathus,
p. 87) : somme bien plus élevée que les dépenses faites pour l'Hôtel-
Dieu de Compiègne (mais la transcription des chiffres romains sur les
manuscrits comporte souvent des erreurs, et l'on peut bien ici se poser
la question, à preuve l'exemple qui va suivre).
Des deux religieuses de la « Maison Dieu » de Vernon (diocèse
d'Evreux), qui déposèrent à l'enquête de 1282, sœur Maheut, la
« prieuse », était-elle alors âgée seulement de vingt-huit (xxviij) ans,
comme on le lit sur le texte de Saint-Pathus ? On en pourrait douter,
car elle eût été trop jeune pour évoquer les venues du roi à Vernon,
la dernière fois en août 1269 ; ou bien son jeune âge serait-il la raison
pour laquelle elle fut accompagnée de sœur Aelis, âgée d'environ
quarante ans?, seconde hypothèse qui, on va le voir, ne doit pas être
retenue.
Toujours est-il que leur double témoignage (qui ne pouvait que
se répéter) se résume en une seule et même déposition, racontant les
visites faites à la Maison-Dieu, toute neuve, par le roi si connu pour
sa tendresse envers les malheureux et les malades, les entourant de ses
soins affectueux, s'enquérant de leur santé, leur donnant lui-même la
nourriture convenant à chacun d'eux, remontant la couverture de ce
fiévreux risquant de prendre froid... {Ibid., p. 98-99). On raconte même
qu'il y avait un lit, lui permettant ainsi de les veiller la nuit, et qu'après
sa mort, par vénération, ce lit resta presque toujours inoccupé.
Par chance est conservé un petit cahier manuscrit de 27 feuillets,
écrit avec soin sur parchemin, portant à l'encre rouge le titre : « Les
constitutions le roy de France, lesquels l'on doit garder en la meson
Dieu de Vernon ». Le texte de ces statuts est fortement inspiré de ceux
de l'Hôtel-Dieu de Pontoise, rédigés par saint Louis, vers 1265, mais,
dans son état actuel, ce manuscrit fut recopié un peu après, car il y
est fait mention du roi Louis, décédé, mais non encore canonisé.
Comme la plupart des règlements des Hôtels-Dieu de ce temps,
il se réfère à « l'ordre de saint Augustin » (sa célèbre épître CCXI
adressée aux religieuses d'Hippone).
D'après ce manuscrit et l'édition qu'en a donnée en dernier lieu
Léon Legrand (1901)32, le docteur Marcel Candille a présenté
l'analyse de ses 19 rubriques, en les disposant de façon mieux
ordonnée. C'est à ce spécialiste de l'histoire des hôpitaux que nous
empruntons parfois textuellement (avec vérifications sur le manuscrit) des
renseignements très détaillés sur la vie de PHôtel-Dieu de Vernon, au
temps même où la « prieuse » Maheut et sœur Aelis vinrent déposer
à l'enquête de 1282.
Voici donc l'essentiel de ces « constitutions ». Elles définissent
le régime de la communauté, dont on sait par ailleurs qu'elle comptait
vingt-cinq sœurs; deux frères clercs étaient chargés de desservir la
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 255
chapelle et de distribuer les sacrements aux malades comme aux
religieuses; et une certaine quantité de chambrières et de « valets » ou
« ministres » assuraient le service matériel de la maison. Il y avait enfin
des « hôtesses » et des « hôtes », en bonne santé, sans doute âgés, et
vivant isolés du fait des circonstances.
Communauté féminine par conséquent dirigée par la « prieuse »,
élue par les sœurs professes réunies au grand complet en chapitre :
élection par commun accord ou par compromis, confirmée ensuite par
l'évêque, la fonction ne cessant que par résignation ou par décès.
La prieuse, « dame », « gouverneresse » est la maîtresse absolue
de la maison, ayant la charge entière du temporel et du spirituel. Elle
reçoit les postulantes, les admet à la profession après noviciat,
distribue les tâches, accorde la permission de sortie, préside au réfectoire,
au chapitre, et punit les fautes ; elle est secondée ou remplacée en cas
d'absence par une « vicaire », sans doute la, religieuse la plus
expérimentée, désignée par elle-même et disposant de ses propres pouvoirs.
La novice. Nulle postulante ne peut être reçue si elle n'est âgée
de vingt ans et de moins de soixante, de mœurs honnêtes, de bonne
réputation, physiquement apte à soigner les pauvres et à procurer
l'avantage temporel et spirituel de la maison. Elle est clairement avertie des
« duriez et austeritéz » de l'ordre : celles du réfectoire (quand elle
voudra manger, elle jeûnera), du dortoir (quand elle voudra dormir elle
veillera), du chapitre (dont elle aura à supporter les « aspretéz ») et tout
spécialement celles des travaux et des soins de la garde des malades
(qu'elle endurera et de jour et de nuit). Et naturellement l'obligation
d'observer les trois vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, et
les difficultés de la vie commune.
Ainsi, dûment avertie, elle est d'abord « tondue de touz ses
cheveux », puis dépouillée de sa robe séculière et vêtue de robes selon
Γ « ordre » de saint Augustin. La nouvelle novice est alors confiée à
une sœur professe qui l'initie aux vertus requises, aux pratiques et usages
de la maison et lui apprend le Pater, YAve Maria et le Credo, si elle
ne les sait pas bien. Après un an de probation (« novicerie »), la
novice, en présence du chapitre, agenouillée devant la prieuse,
requiert dévotement, mains jointes d'être admise à la profession et
prononce ses trois vœux comportant fidélité aux constitutions et
promesse de ne pas dévoiler les secrets de la maison. Désormais professe,
elle baise « dévotement » la prieuse, puis chacune des autres par rang
d'ancienneté.
Le trousseau des sœurs se compose d'un manteau, surcot, cotte
(celle-ci pouvant être blanche, du consentement de la prieuse) — le tout
de camelin — , deux pelisses fourrées d'agneau, deux ou trois
chemises, trois coiffes blanches, trois robes (« gonelles »), deux voiles noirs,
deux rochets, trois paires de souliers de cuir (cordouan) montant
jusqu'au genou, un « couvertoir » blanc fourré ou non d'agneau. La
256 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
pelisse pouvant être renouvelée tous les trois ans, et les autres habits
suivant le jugement de la prieuse.
Périodiquement toutes les sœurs, jeunes ou vieilles, sont « tondues
de tous leurs cheveus » : la veille de Noël, après le mercredi des
cendres ou le mardi saint, aux veilles des fêtes de la Pentecôte, de
l'Assomption et de la Sainte Croix (14 septembre).
Les sœurs peuvent, si elles le veulent, être « saignées » six fois
l'an à certaines fêtes (après Noël, etc.) ; autrement une saignée ne peut
être pratiquée que pour cause de maladie et à l'infirmerie, où on leur
servira une meilleure nourriture, « et là auront repos et pais ».
Le malade qui se présente, peut-être même de nuit, n'a qu'à
franchir l'huis et pénétrer directement dans la salle qui, au rez-de-
chaussée, donne sur la rue : il est aussitôt accueilli soit par les sœurs
de garde, soit par une autre spécialement préposée à ce service ; à peine
entré il est « le sire de h maison » : expression d'un état d'esprit inspiré
des statuts de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem qui imprègne toutes
les institutions hospitalières de ce temps. A Vernon règne une ambiance
profondément chrétienne qui s'adresse au corps comme à l'âme. « La
manière de recevoir les malades est telle » : d'abord on le fait confesser
et aussitôt, s'il est gravement atteint et qu'il y ait urgence, on lui
porte dévotement et avec grande révérence l'Eucharistie, et il est
communié soit qu'il le demande, soit par signe, s'il ne peut parler.
Ensuite, il est conduit ou porté au lit pour être traité « aimablement
et charitablement ».
Avant toutes choses, les sœurs se doivent au service des malades;
ainsi, elles ne peuvent se mettre à table que d'abord ceux-ci n'aient
reçu leur « pitance ». La grande salle, où ils sont couchés et soignés,
a priorité absolue sur le réfectoire. Il faut même que le malade soit
« repu ». Et en effet tout ce qu'il demandera doit lui être donné,
eu égard aux possibilités de la maison et à la nature de la maladie.
On ne sait pas si le local était chauffé, mais vu que chaque jour
trois charretées de bois provenant des forêts royales étaient livrées pour
les nécessités de l'hôpital, il est difficile de croire que tout ce bois aurait
été consumé uniquement pour les besoins de la cuisine. Quoi qu'il en
soit, la salle étant vaste, le malade, afin d'éviter un refroidissement
pendant qu'il s'alimente assis sur son lit, est couvert d'une cotte
descendant jusqu'aux genoux à laquelle est cousue une capuche.
Dans cette grande salle ordinaire, on met les malades dont l'état
est stationnaire ou qui sont en voie de guérison; les sœurs s'affairent
pendant la journée au nombre de deux, ou plus si nécessaire : elles
vaquent à la toilette, aux soins, aux repas. Elles sont relayées à
intervalle régulier, le matin au « dîner », le soir après le « souper ». Deux
au moins assurent la veille de nuit, qui ne doivent ni se coucher ni
dormir juqu'à la relève, de grand matin, sans doute après la messe.
Il y avait plusieurs lieux de « privés » (latrines). Pour s'y rendre
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 257
le malade se couvre d'une pelisse, large et grande, et chausse des
bottes que la religieuse met à sa disposition. Ces endroits étaient
apparemment situés à l'extérieur des bâtiments.
Il existe une chambre spéciale destinée aux malades dont les jours
sont en danger. Séparés des autres auxquels est ainsi épargné le
spectacle déprimant de l'agonie, ils y sont l'objet d'une surveillance
continue et des soins les plus diligents. Il s'agit désormais de leur destinée
éternelle. Ils sont exhortés à se « porvoir de toutes les choses qui
appartiennent au salut de (leur) âme ». Ils sont préparés à la dernière
confession générale. Les sœurs ont couvert le lit d'un drap blanc et net et
« appareillé » le vin et l'eau33 : le prêtre, revêtu de l'aube et du
surplis, parfois précédé de deux clercs, l'un avec l'eau bénite, l'autre tenant
un cierge allumé, dévotement et à grand 'révérence, donne la
communion au mourant.
Mais tous les malades soignés à la Maison-Dieu ne sont pas réduits
à cette extrémité ; prudemment, le malade guéri est encore gardé sept
jours dans la maison, ou davantage sur l'avis de la prieuse ou des sœurs
soignantes, pour prévenir toute rechute. A son départ, on lui remet
tout ce qui lui appartient, hardes et objets, « sans diminution ».
Les femmes enceintes sont une catégorie à part. Après
l'accouchement, elles peuvent, si elles le désirent, rester trois semaines. Après
« l'enfantement », on procède à la « purification de la mère » et au
baptême du nouveau-né, et tout ce qu'il aura reçu à cette occasion sera
donné à celle-ci au moment de sa sortie. Que si la mère mourait, l'enfant
serait conservé et « norriz » par la maison, s'il n'a point de père.
Il peut aussi arriver que, hors de l'hôpital, deux sœurs soient
autorisées à porter leur « pitance » « aux femes qui gisent de enfant
en leur meson ».
Les soins dispensés étaient le fruit d'une longue expérience et de
patientes observations. C'était bien le cas pour l'accouchement, suivi
d'un délassement de trois semaines, pour la saignée demandant trois
jours de repos ; on recourait aussi aux variations dans l'alimentation
et sans doute à l'emploi de boissons composées de « simples », dont
les vertus curatives se transmettaient oralement (mais il n'en est pas
fait mention).
Chose certaine, pas un médecin ne pénètre dans l'hôpital, où
rigoureuse est la séparation entre d'une part les femmes (sœurs et
novices, « chambrières » et hôtesses saines), d'autre part les hommes
(frères, valets et hôtes sains) : mesure ne s 'appliquant pas évidemment
au soin des malades. Pas de repas mixtes mais des réfectoires
particuliers ; les autres sains seront servis par des valets. Nulle femme ne lavera
la tête des hommes. De façon comminatoire, il est imposé aux «
chambrières », avant d'entrer en service, de jurer devant le chapitre qu'elles
ne « pécheront charnéement » avec aucun homme dans les locaux ou
dépendances de l'hôpital.
17
258 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Même les sœurs seront entendues en confession dans un lieu «
commun ». Si durant un séjour à l'infirmerie, l'une d'elle avait à se
confesser, quelques sœurs se tiendraient à une certaine distance du
confesseur, de telle manière qu'elles puissent « veoir et non oïr ».
La journée de la religieuse est déterminée par la saison et les
« heures canoniales ». De la Saint-Remi (1er octobre) à Pâques, le
prêtre sonne le réveil assez tôt pour que, matines et prime dites, la messe
commence à l'aube. De Pâques à la Saint-Rémi la cloche sonne à l'aube.
Sauf cas raisonnable, les sœurs voilées (professes) et les séculières
(novices), ainsi que les frères doivent y assister. Une seconde messe est
célébrée avant le « disner » pour les sœurs ayant veillé la nuit.
Une fois la première messe chantée, sœurs et frères s'assemblent
devant la prieuse (ou sa vicaire) qui répartit les diverses tâches. C'est,
dans la salle des malades, le moment de la relève : celles qui ont veillé,
au moins deux, sont relayées et vont alors se coucher.
Dans ce milieu peu instruit, la règle enjoint la récitation de prières
élémentaires, le Pater noster et Y Ave Maria : vingt-cinq à matines, sept
aux autres heures; davantage lorsque l'office comporte neuf leçons.
Rares sont celles qui connaissent les « heures de Notre Dame » et
capables de les réciter à l'office; elles ne seront pas tenues de dire tant
de Pater et tant d'Ave. Aux fêtes solennelles de la Sainte Vierge, Noël,
Pâques et d'autres, suivant la règle de saint Augustin, chacune peut
augmenter ses prières, suivant sa dévotion.
C'est seulement (on l'a dit) une fois les malades servis, que le
couvent peut se restaurer (c'est la « réfection »). A l'appel de la
clochette toutes les sœurs et les frères doivent se rendre dans leur
réfectoire particulier, non sans s'être préalablement lavé les mains.
Après le Benedicite dit brièvement par la prieuse, les sœurs s'asseyent
selon l'ordre qu'elle leur a assigné. Le silence est de rigueur; on ne
peut dire qu'un mot et à voix basse. Pourtant le règlement croit utile
d'interdire le récit de conte, nouvelle ou autre plaisanterie... et tout
éclat de rire ! Chacune doit manger les mets présentés par le serviteur
(« ministre »), et sans murmure. A cette « réfection » assistent les hôtesses
(les hôtes dans l'autre réfectoire), et si quelque présent a été envoyé
à l'une des sœurs, il est remis à la prieuse qui le donnera ou le
partagera au mieux qu'elle jugera.
Ce premier service terminé, et les grâces très longues dites par
celles « qui sauront lettres », suit le second service, avec mêmes
aliments et même vin, pour les sœurs qui gardent les salles et celles
qui ont apporté leur nourriture aux malades. Mais des dérogations
peuvent être consenties en faveur des sœurs qui seraient elles-même
malades : le fromage remplacé par des œufs, le bœuf par du porc ou
du mouton. Toutes ont appris à tenir leur « gobelet » à deux mains ;
par bienséance et après la réfection, chacune doit veiller à ne rien
laisser sur la table : ni coquilles d'œufs ni coque de noix. Pas de troisième
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 259
service pour les retardataires. Aucune sœur, même la prieure, ne peut
aller manger ni boire à Vernon, hors de la Maison-Dieu, sauf cas
d'invitation par un cardinal, un archevêque ou un évêque.
L'abstinence de la viande — à l'exception du saindoux, pour la
cuisson — est prescrite les lundis et mercredis pendant toute l'année,
sauf s'il y avait coïncidence avec certaines fêtes solennelles, au nombre
desquelles on trouve la Saint-Jean-Baptiste (patron de la chapelle), la
Saint-Antoine (sous le vocable duquel est placé l'hôpital) et
l'anniversaire du « roi Lois qui fonda la maison ».
Abstinence complète (viande et saindoux) pendant l'Avent « devant
Noël » (sauf maladie), doublé du jeûne (une seule « réfection » par jour),
du mercredi des cendres à Pâques (sauf pour les malades). Jeûne
également imposé aux vigiles des principales fêtes ainsi qu'au « quatre-
temps » (sauf dérogation de la prieure).
Après le « disner » du couvent (premier service), chacune vaque
aux occupations assignées et les sœurs sont relevées dans la garde des
malades. Le souper se déroule le soir de la même manière que le «
disner » ; avec un second service pour les sœurs qui ont assuré la garde
des malades et celles qui sont préposées à les veiller, la nuit prochaine.
Au dortoir le silence est obligatoire. Après s'être dévêtues
honnêtement et avoir endossé une chemise, elles se glissent au lit, les draps
et couvertures tirés jusqu'à la poitrine et laissant découvert le visage.
Avant de s'endormir, chacune fait le signe de croix en invoquant le
Père, le Fils et le Saint-Esprit. Tôt le matin, à l'appel de la cloche, le
lever se fait aussi « religieusement » que le coucher, et l'on descend du
dortoir à la chapelle pour ouïr matines et la messe.
En trois lieux dans la Maison-Dieu il y aura une « lumière » :
devant le corps de Notre Seigneur en l'église, de jour et de nuit; en
la salle des malades, toute la nuit, « jusqu'à clair jour » ; au dortoir des
sœurs, pendant la nuit.
Réunion de toutes les sœurs sous la présidence de la prieure dans
un local particulier, le chapitre est un acte important de la vie de la
communauté. Il se tient au moins deux fois par semaine le dimanche
ou le vendredi, soit après la messe, soit en fin de matinée (avant le
« disner »). La prieuse occupe un siège plus élevé, les sœurs s 'alignant
à sa droite et à sa gauche. Le milieu de la salle est donc dégagé. Une
sœur « qui saura lire lettres » annonce, d'après le calendrier, les fêtes
des saints de la semaine.
Après l'invocation Benedicite, la prieuse ordonne de prier pour la
personne qui vient de mourir (sœur, frère, pauvre ou serviteur), en
présence de sa dépouille, ou pour l'anniversaire des défunts de la
maison et de ses bienfaiteurs, ainsi que pour toutes les âmes qui sont en
purgatoire.
Ensuite après l'invocation Benedicite, la prieuse exhorte la
communauté à amender ce qui doit l'être, et invite les sœurs à avouer leurs
260 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
fautes et à demander grâce. Chaque sœur qui se reconnaît coupable
se prosterne devant la prieuse, puis se relevant déclare l'une après l'autre
les « offenses » vénielles qu'elle croit avoir commises. La prieuse
sanctionne ces défaillances selon la gravité du cas, et, s'il y a lieu, enjoint
à la religieuse ayant gravement péché d'avoir à se confesser sitôt après
le chapitre.
Mais la confession publique — seconde phase de la « coulpe » —
se double de l'accusation également publique d'une sœur contre celle
qui aurait omis l'aveu d'une faute qui lui serait imputable :
dénonciation qui doit être exempte de toute colère ou rancune et faite seulement
pour « l'honneur de Dieu et la haine des péchés », et qui met en péril
l'âme de celle qui l'a proférée : ce qui nécessite une grande charité et
une grande humilité de part et d'autre.
Fautes légères : arrivée en retard à l'église, au chapitre, au
réfectoire, faire du bruit, négliger l'entretien des robes et biens confiés
par la prieuse, rompre le silence, briser la vaisselle : la punition sera
la récitation du Miserere, si on le sait, ou de cinq Pater et cinq Ave.
Fautes plus graves : avoir été tellement négligente dans le soin
des malades que l'un d'entre eux meurt sans confession, sans
communion et sans extrême-onction; familiarité ou conversation avec un
homme suspect ; contredire orgueilleusement la prieuse ou sa vicaire ;
ayant été « clamée » au chapitre, maudire son accusatrice. De telles
fautes valent à la coupable de se voir infliger trois disciplines à trois
chapitres successifs, trois jours de jeûne au pain et à l'eau, assise sur
la terre nue du réfectoire.
Enfin fautes très graves : se rebeller ouvertement contre la prieuse
ou sa vicaire, voler et conserver un bien de la communauté, être
convaincue d'un péché mortel et principalement du « péché charnel ». —
La sœur « clamée » reconnue coupable de tels méfaits (et par
conséquent ne pas les avoir avoués au chapitre) est battue devant toutes ses
compagnes, séparée du couvent pendant quarante jours, nourrie
seulement au pain et à l'eau au chapitre et au réfectoire, sinon que, trois
jours par semaine, elle y mangera, assise sur la terre nue (à moins qu'elle
ne bénéficie de la miséricorde de la prieuse), et sera privée de
communion pendant la durée de sa pénitence (sauf péril de mort). — Quant
à celle qui sera convaincue du « péché charnel », elle se couchera en
travers l'huis de la salle capitulaire, pendant toute la durée de sa
pénitence, pour être foulée aux pieds de la communauté, à l'entrée et à la
sortie du chapitre, comme une ordure méprisable.
Ainsi qu'on le voit, ces « constitutions » ne manquent pas de
rudesse. Dès le début la prieuse en a averti sans ménagement la
postulante pour l'éprouver et, peut-être, la dissuader. Pourtant elles n'ont
de force que relative, comme il est précisé en deux endroits : une
irrégularité même grave n'engage pas à peine de péché mortel, mais à
« poine temporel », sans plus.
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 261
Et même dans le suprême degré de culpabilité (sans doute assez
rare), la prieuse peut « apeticier et dispenser » ces peines ; en
considération de la présence de sœurs hostesses (plus âgées et plus
indulgentes) ; en raison de la « haute solennité » des fêtes de Notre-Seigneur
(Noël, Pâques, Pentecôte), des cinq fêtes de Notre-Dame et de la
Toussaint, et puis à la prière du couvent lui-même.
Enfin la prieuse ni sa vicaire « n'ont pas pouvoir d'absoudre les
sœurs de leurs péchés mortels », et par prudence les sœurs doivent se
confesser au moins tous les quinze jours en principe au curé. Ces
confessions sont entendues avant « le manger » en un lieu « commun et
honnête », et certainement (comme pour la sœur retenue à l'infirmerie
pour cause de maladie), de telle manière que les sœurs présentes soient
assez éloignées de la pénitente et du confesseur, pour qu'elles la puisse
« veoir et non oïr ».
La communion est distribuée huit fois par an « à la Nativité Nostre
Seignor », à la Purification Notre-Dame (2 février), au jeudi saint,
à Pâques, à la Pentecôte, à l'Assomption, à la « Nativité Nostre
Dame » (8 septembre), à la fête de « Touz sainz », mais les sœurs
doivent s'en tenir « au conseil de leurs confesseurs ».
Abnégation de soi, inlassable dévouement jour après jour,
accomplissement d'humbles tâches, parfois répugnantes et pourtant
nécessaires, trouvaient leur épanouissement dans la prière, l'assiduité aux
offices, la fréquentation des sacrements. Un tel abaissement n'excluait
pas chez ces humbles filles le recueillement, la contemplation,
l'élévation de l'âme.
A la vérité le meilleur remède dont elles assistaient les malheureux
— et leur propre mérite — était fait de douceur, de tendresse et d'amour.
Le règlement adopté et suivi librement par ces volontaires de la
charité, à l'instigation du saint roi leur fondateur, leur annonçait
pour une vie toute de miséricorde, quand viendraient pour elles l'heure
et le jour, la récompense suprême promise par Notre-Seigneur : « la
gloire du paradis ».

Soeur Ade
Soeur de la Maison-Dieu de Compiègne

L'Hôtel-Dieu Saint-Nicolas-au-Pont devait son origine à Agathe,


dame de Pierrefonds, qui lui avait donné un jardin attenant à ses
maisons de Compiègne (1192), mais cette première fondation fut
entièrement reconstruite et tellement agrandie par saint Louis que ce roi fut
considéré comme son véritable fondateur, ordonnant lui-même
l'aménagement des salles, des chambres et des officines, surveillant en
262 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
personne l'avancement et l'achèvement des travaux. L'ensemble de
l'œuvre ayant coûté plus de 12.000 livres parisis (Saint-Pathus, p. 88).
En outre, par un diplôme daté de Creil en juillet 1260 (et donc
pas un acte solennel), il avait très amplement assuré la dotation du nouvel
Hôtel-Dieu : terres, prés, vignes et rentes en espèces ou en nature sur
les moulins royaux de Verbene, l'usage en forêt de Guise pour y
prendre bois de construction ou de chauffage, et aussi pour y mener
à la paisson cent porcs, et les bovins, chevaux et autres animaux, sans
limitation de nombre : largesse qui ne dut pas trop plaire aux gardes
de la forêt royale.
Sous la haute autorité de l'abbé de Saint-Corneille, l'Hôtel-Dieu
était desservi par des sœurs de l'ordre de Saint-Augustin, placées sous
la direction d'une « prieuse ». Mais ce ne fut point celle-ci qui
témoigna à l'enquête de 1282. Entre-temps, en effet, le roi, après avoir fait
dresser un inventaire détaillé des biens et ressources de l'Hôtel-Dieu
Saint-Nicolas (1263-1264), y avait introduit des religieux Trinitaires,
malgré l'opposition de l'abbé de Saint-Corneille, mais fort de l'appui
du Souverain Pontife. Il voulait développer cet ordre voué au rachat
des chrétiens retenus en captivité par les barbaresques, et aux soins dont
ces malheureux avaient le plus grand besoin après leur délibrance.
Sœur Ade, âgée de cinquante ans « et plus », lors de l'enquête
de 1282, était parmi les sept religieuses ayant fait profession avant
l'installation des frères de la Trinité et qui furent autorisées à demeurer
dans la maison. C'est grâce à elle que nous devons de connaître quelques-
uns des faits et gestes du saint roi venu plusieurs fois visiter cet
établissement pieux et charitable, après l'avoir inauguré en y apportant lui-
même le premier des malades, aidé de son gendre, Thibaut de
Champagne, roi de Navarre, les suivants étant de même portés sur des
brancards, par ses fils, ses barons au service de pauvres gens éprouvés par
la souffrance et la maladie.
Fait bien digne de remarque. Dans l'une de ses dépositions, sœur
Ade rapporte qu'un certain vendredi le roi tint à servir
personnellement malades et infirmes soignés à l'Hôtel-Dieu ; ils étaient cent trente-
quatre, or ce chiffre se trouve pleinemient confirmé par l'inventaire dressé
en 1263-1264, dans lequel sont dénombrés très exactement 134 lits. Son
témoignage, et par conséquent le texte de Guillaume de Saint-Pathus
qui l'a transmis, sont donc d'une rigoureuse exactitude.
Constatation infiniment précieuse venant appuyer la valeur et
l'authenticité des témoignages recueillis les uns après les autres tout
au long du présent ouvrage.

1. (p. 209) Fouillés de la province de Sens, pubi. Aug. Longnon, Paris, 1904, p. 16B
(Recueil des historiens de la France). — Lépinois et Merlet, Cartulaire de Notre-Dame
NOTICES BIOGRAPHIQUES DES TÉMOINS 263
de Chartres, t. I, 1861, 1™ partie, p. 22, cité par A. Dimier, Un grand évêque cistercien,
ami de saint Louis, Gautier de Chartres, dans Cîteaux Com. cist., t. XXII, 1971 (tir. à p.).
2. (p. 209) Son propre témoignage, $ 5 et 28.
3. (p. 209) J. Berthold Mahn, L'ordre cistercien et son gouvernement, Paris, 1935,
p. 233-238.
4. (p. 209) A. Dimier, Saint Louis et Cîteaux, Paris, 1954, p. 189, $ 356-359 ;
l'intervention du roi ne fut donc pas aussi « vaine » que le laisse entendre Mahn.
5. (p. 209) J.-B. Mahn, op. cit.
6. (p. 209) Son propre témoignage, § 44 et suiv. — Lecoy de la Marche, La
chaire française au Moyen Age.
7. (p. 209) Arch, nat., J 462, layette 27, $ 39, en exécution de la lettre
circulaire de Philippe III, datée de Carthage le 12 septembre 1270.
8. (p. 210) Bullarium ordinis FF. Praedicatorum, Rome, 1722, 1. 1, p. 503 ; anal, dans
J. Guiraud, Les registres de Grégoire X, t. I, 1892, p. 136, n° 349. — L'ouvrage de
G. de B. est parfaitement « authentique et pur de toute interpolation » (N. de Wailly,
Examen critique de la Vie de saint Louis par Geoffroy de Beaulieu, dans B. E. C., t. V, 1843,
p. 205-231 , et dans Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles lettres, t. XV, 2e partie,
1845, p. 403-436. Le mot libellus employé à la fin de son texte se retrouve dans
l'inventaire des pièces du procès dressé à Assise.
9. (p. 210) Aug. Molinier, Obituaires de la province de Sens, t. II, p. 312 (dioc. de
Chartres), d'après un Bréviaire des dominicaines de Poissy.
10. (p. 210) De vita et actibus inclyte recordationis régis Francorum Ludovici, dans
Ree. Hist. Fr., XX, p. 27-41, ou dans l'édition de Cl. Ménard (à la suite de Geoffroi
de Beaulieu), Paris, 1617, p. 83-140 (avec les miracles).
11. (p. 210) Sur lui : I. et R. Merlet, Dignitaires de l'église Notre-Dame de Chartres,
Paris, 1900, p. 131 !
12. (p. 211) Aug. Molinier, B. É. C, t. 34, 1873, p. 169.
13. (p. 211) A. Molinier, Ibid., p. 163.
14. (p. 211) Cette lettre se trouve dans le recueil épistolaire composé à Saint-
Denis sur la croisade (1270-1271), conservé à Paris, B. N., lat. 9376. C'est la sixième
lettre de toute cette collection et la troisième de Pierre de Condé, voir sur ce sujet
L. Carolus-Barré, Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1966,
p. 555-568.
15. (p. 212) Ch.-V. Langlois, Le règne de Philippe III le Hardi, Paris, 1887.
16. (p. 212) Voir dans notre chapitre IV la notice sur Charles d'Anjou.^
17. (p. 214) A. -A. Porée, Les anciens livres liturgiques du diocèse d'Evreux, Evreux,
1904, p. 19, signale, dans un ordinaire (XIVe siècle) du couvent des dominicains
d'Évreux, l'épitaphe métrique de Philippe de Cahors, évêque d'Evreux et « fondateur
de cette maison ».
18. (p. 216) Cressonsacq, c. Saint-Just. air. Clermont (Oise).
19. (p. 218) Sur tout ceci, voir L. Carolus-Barré, Saint Louis et la translation
des corps saints, dans Etudes d'histoire du droit canonique dédiées à G. Le Bras, Paris, 1965,
p. 1087-1112,
20. (p. 225) L. Carolus-Barré, Un recueil épistolaire. .., dans Comptes rendus de
l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1966, p. 555-568. Il s'agit du manuscrit Paris,
B. N., lat. 9376.
21. (p. 227) Cette lettre a été reproduite plus haut (chap. Ill) dans la déposition
de Mathieu de Vendôme avec toutes les références nécessaires.
22. (p. 227) Voir le recueil cité ci-dessus note 1. Cette lettre du roi est la
quatrième missive de diverses origines contenue dans ce recueil.
23. (p. 228) Les lettres du 12 septembre correspondent aux numéros 1, 2, 11
et 12 de la collection. La lettre du 4 octobre occupe le numéro 5.
24. (p. 228) Lettre numéro 13.
25. (p. 228) Lettre numéro 15.
26. (p. 228) Valleto, 11 février 1271, lettre n° 14; Viterbe, 14 mars, lettre n° 16.
27. (p. 228) Lettre numéro 17.
264 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
28. (p. 236) Sur le problème général de « la régence » (sans le nom parfois),
voir Fr. Olivier-Martin, Etudes sur les régences et la majorité des rois sous les Capétiens directs
et Us premiers Valois, thèse de droit, Paris, 1931.
29. (p. 236) Royaumont, c. Asnières-sur-Oise, c. Luzarches, arr. Pontoise,
Val-d'Oise.
30. (p. 237) Chaalis, c. de Fontaine-les-Corps-Nuds, c. Nanteuil, arr. de Sentis,
Oise.
31. (p. 239) Sur ces lettres, voir l'article déjà cité de L. Carolus-Barré, Un recueil
épistolaire composé à Saint-Denis sur la croisade (1270-1271), dans Comptes rendus de
l'Académie des inscriptions et belles lettres, 1966, p. 555-568. Cette collection se trouve dans le
manuscrit latin 9376 de la Bibliothèque nationale et les lettres de Pierre de Condé y
occupent le n° 3 (27 juillet 1270), 9 (21 août), 6 (4 septembre), 13 (18 novembre 1270)
et 15 (30 janvier 1271).
32. (p. 254) Léon le Grand, Statuts d'hôtels-Dieu et de léproseries, Paris, 1901,
p. 151-179.
33. (p. 257) Ce vin disposé au moment où le prêtre apporte le Viatique à un
malade doit être compris comme du vin d'ablution. Il s'agit d'une gorgée de vin destiné
à faciliter l'absorption de l'hostie consacrée. Cela n'a rien à voir avec la communion
sous les deux espèces.
CHAPITRE V

LA CANONISATION :
LES DEUX SERMONS DE BONIFACE VIII
ET LA BULLE GLORIA, LAUS (AOÛT 1297)

A. Introduction.

L. Carolus-Barré désirait traiter la matière de ce chapitre d'une


façon étendue et approfondie. Il avait prévu le plan suivant :
1° Retracer sommairement la carrière de Benoît Gaëtani-Boni-
face VIII.
— A-t-il connui saint Louis?
— Est-il venu en France au temps de saint Louis?
— Est-il venu en France après la mort de saint Louis?
2° Le cardinal Benoît reçoit la déposition de Charles d'Anjou en
février 1282 à Naples selon Riant, mais ne pourrait-il pas s'agir de Rome
dont Charles était le sénateur?
3° L'achèvement du procès au temps de Boniface VIII.
4° La cérémonie d'Orvieto.
— La ville (dans les États de saint Pierre).
— La papauté et la ville.
— Depuis quand Boniface VIII s'y trouve-t-il?
— Qui assiste à l'ensemble des cérémonies qui s'étendent au moins
sur huit jours? Les cardinaux, les représentants du roi de France, les
représentants d'autres souverains, les témoins occasionnels qui auraient
pu laisser une relation...
5° Étude et traduction du premier sermon.
6° Étude et traduction du second sermon.
7° Rédaction de la bulle...

De ce plan très complet l'auteur n'a pu réaliser que la traduction


des trois documents pontificaux ainsi qu'une brève introduction. Sur
la base de ses notes on a cherché ici à encadrer et à présenter ces textes
si riches à beaucoup d'égards.
266 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Bref rappel de la carrière de Boniface Vili et de ses contacts avec la France.

Issu d'une des premières familles d'Italie, Benoît Gaëtani naquit


à Agnani vers 1234. Après des études à Todi et à Spolète, il commença
en 1276 sa carrière à la Curie. Créé cardinal diacre en 1281 (par
Martin IV) puis cardinal prêtre en 1291 (par Nicolas IV), il fut employé
pour d'importantes missions en France et en Italie et prit une part
considérable dans l'abdication de Célestin V (13 décembre 1294). Il fut
élu pape à Naples dès le 24 décembre suivant et fut sacré à Rome le
23 janvier 1295. Il s'attacha aussitôt à promouvoir la pacification de
l'Europe et la libération de la Terre Sainte, sans grand succès de part
et d'autre. De plus il fut très vite impliqué dans un violent conflit
avec Philippe le Bel, conflit qui dura jusqu'à sa mort. Les deux phases
de cet affrontement, marquées par des documents pontificaux célèbres
(telle la bulle Unam sanctam du 18 novembre 1302), furent séparées par
un temps d'apaisement en 1297, ce qui facilita la canonisation de saint
Louis. Boniface VIII s'apprêtait à excommunier Philippe le Bel, mais
il en fut empêché par Guillaume de Nogaret qui à la tête d'un groupe
de mercenaires le fit prisonnier à Agnani. Le pape fut libéré trois jours
plus tard par des troupes italiennes, mais il était brisé et mourut un
mois plus tard à Rome (11 octobre 1303).
Benoît Gaëtani eut l'occasion de connaître personnellement la
France au moins en deux circonstances, en 1264 et 1290. En mai 1264,
le cardinal Simon de Brie (le futur Martin IV) l'emmena comme son
chancelier dans une légation en France, destinée à préparer
l'expédition de Charles d'Anjou. En 1290 les cardinaux Benoît Gaëtani et
Gérard de Parme s'acquittèrent à leur tour d'une longue légation en
France. Le sommet en fut certainement le discours d'une extrême
véhémence tenu par le futur Boniface VIII aux maîtres séculiers de
l'Université de Paris (concile de Paris, 29 et 30 novembre 1290) : «Je vous
le dis en vérité, la Cour de Rome, plutôt que de révoquer le privilège
(des religieux), briserait l'Université de Paris. » (Sur tout ceci,
G. Digard, Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304, t. I, 1936,
p. 103 et 119, et L. Delisle, « Le concile de Paris de l'année 1290 »,
dans Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 1895,
t. à p., 6 p.). N'oublions pas non plus qu'avant de devenir pape, Benoît
Gaëtani se sentait français de cœur, ce qui lui avait souvent attiré les
reproches des membres du Sacré-Collège (E. Boutaric, La France sous
Philippe le Bel, Paris, 1861, p. 92, et J. Favier, Philippe le Bel, 1977,
p. 357).
LA CANONISATION 267

Les documents pontificaux et la cérémonie d'Orvieto.

Les deux sermons de Boniface Vili 1 et la bulle de canonisation


« Gloria, laus » (Orvieto, août 1297) ne constituent pas seulement l'étape
ultime d'un long processus commencé presque aussitôt, la mort du
« benoît roi ». Ces documents très amples sont aussi de véritables
sources historiques où l'on retrouve la substance des dépositions
antérieures et des miracles, enrobée cette fois d'un vocabulaire biblique et
liturgique, en accord avec la solennité de l'événement. La
signification politique de cette décision canonique est bien connue (détente
provisoire dans les rapports entre le pape et le roi de France) 2 et ne sera
pas spécialement étudiée ici. En revanche on trouvera dans ce chapitre
la traduction complète de ces textes, dont la langue riche
d'harmoniques n'est pas sans poser des problèmes quand on veut serrer les choses
de près. Les spécialistes le savent bien.
Les solennités d'Orvieto s'échelonnèrent sur près d'une semaine,
puisque le premier sermon du pape date du 6 août et le second du
1 1 août, le jour même où fut expédiée la bulle Gloria, laus. Mais sur
la cérémonie même on ne dispose que d'informations indirectes, qui
d'ailleurs ne manquent pas d'intérêt. Sans grand risque d'erreur on
peut supposer la présence du collège cardinalice composé alors de
dix-huit titulaires en exercice3. L'un d'entre eux, Mathieu d'Aquas-
parta, évêque de Porto et ancien ministre général de l'ordre des mineurs,
prononça lui aussi un sermon dans l'église des franciscains4. Le thème
qu'il exposa n'est pas connu, son texte n'ayant malheureusement pas
été retrouvé. Mais certains y virent — peut-être à juste titre — une
sorte de réconciliation de Boniface VIII (Benoît Gaëtani) avec la Cour
de France. Quinze ans plus tard, en 1311, le cardinal Pierre Colonna,
adversaire irréconciliable du pape défunt, manifestait encore son
amertume et sa déconvenue en rappelant la duplicité de Pierre Flotte en cette
occasion mémorable. Nous apprenons du même coup que ce dernier
était présent à la cérémonie même de canonisation, dans laquelle il
représentait évidemment Philippe le Bel, le petit-fils du nouveau saint
canonisé.
Pierre Flote, qui n'exerçait pas encore les hautes fonctions de
chancelier de France, était accompagné dans cette ambassade « en cour
de Rome » par Gilles Aycelin de Montaigu, archevêque de Narbonne,
J., archidiacre de Rouen, et maître Gilles de Remy, clerc de la
chancellerie. On relève également dans l'assistance (entre beaucoup d'autres
certainement) la présence de Henri de Villars, archevêque de Lyon5.
Ne pouvaient enfin manquer de participer à cette glorieuse cérémonie
268 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
frère Jean de Samois et Jean d'Antioche qui voyaient ainsi couronner
leurs efforts persévérants.

B. Sermon de Monseigneur le pape Boniface Vili sur la canonisation de


saint Louis

prononcé au palais d'Orvieto, le mardi de la Saint-Laurent martyr


(6 août 1297).
Ed. Cl. Ménard, Joinville... (Paris, 1617), deuxième partie,
p. 143-156.
Recueil des Historiens de France, t. XXIII, 1894, p. 148-152.

Le manuscrit dont s'était servi Cl. Ménard a été identifié par


L. Delisle comme étant le ms Chartres 226, qui a
malheureusement péri avec toute la Bibliothèque de la ville en 1944. Sur cette
identification, voir L. Delisle, Journal des savants, 1901, p. 228-238, et
H. Fr. Delaborde, dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. 63, 1902,
p. 263-288.

Sommaire du sermon.

Exorde sur le thème de la rétribution, qui réapparaîtra en conclusion.


Saint Louis a mené une vie « plus qu'humaine » et constamment
en progrès.
Le témoignage des hommes :
ses aumônes, ses fondations pieuses et charitables, son souci de justice.
Le « roi souffrant » : ses épreuves, sa fermeté d'âme, sa foi durant la
croisade, sa mort.
Le témoignage de Dieu :
les miracles ; détail de l'enquête canonique menée avec toute la
perfection possible.
Conclusion.
La canonisation permet de rendre honneur et hommage à la fois au
saint roi, à l'Église et à Dieu.

Le texte du sermon.

« Reddite quae sunt Caesaris Caesari, et quae sunt Dei Deo »6.
Il est à noter que Dieu « rend » et que l'homme « rend ». Dieu
rend le bien aux bons, les châtiments aux mauvais, et aux uns comme
LA CANONISATION 269
aux autres ce qui est juste. Dans le psaume, il est dit sur les
mauvais : « Reddet retributionem superbie », et sur les bons : « Redde
mihi laetitiam salutaris tui »7, c'est-à-dire la gloire éternelle qui
est la joie perpétuelle. L'Apôtre déclare au sujet des uns et des autres
(II Cor. v) : « Omnes nos manifestali oportet ante tribunal Christi,
ut recipiat unusquisque propria corporis prout gessit, sive bonum
sive malum »8.
De même l'homme rend à Dieu et rend à son prochain. A Dieu,
tout d'abord, il doit rendre ce qu'il lui a voué. D'où dans le Psaume :
« Vovete et reddite Domino Deo vestro, etc.. »9. En cela il faut
entendre le vœu tant tacite qu'exprimé. Le vœu tacite signifie par
exemple toutes les promesses que l'on fait, bien qu'implicitement, lors
du baptême. Sur le vœu exprimé Luc dit (XVI) : « Redde rationem
villicationis tuae » 10. Ceci concerne en particulier ceux qui, par
vœu ou promesse exprimée, ont pris spécialement l'engagement de
servir Dieu.
A son prochain, ensuite, l'homme rend la charité et la concorde.
D'où l'Apôtre (Rom. XIII) : « Nemini cuiquam debeatis nisi ut invi-
cem diligatis » ". Telle est en effet notre dette : quelle que soit la taille
et la fréquence de ce qui est rendu, nous demeurons néanmoins comme
débiteur.
En vérité ce qui a été dit au début peut être accepté de la
personne du Souverain Pontife et de toute l'Église militante, en sorte qu'on
peut dire pour le roi Louis, de sainte mémoire : « Reddite quae
sunt Caesaris Caesari, etc.. » Par César, nous comprenons ce saint
roi à qui, avec raison, hommage est dû. D'où la conclusion du
chapitre XIII de l'épitre aux Romains : « Reddite ergo omnibus debita;
cui tributum, tributum; cui vectigal, vectigal, cui timorem, timo-
rem, cui honorem, honorem » 12. En effet, l'hommage rendu à
l'homme l'est également à Dieu qui est louable dans ses saints, d'où
le Psaume : « Mirabilis Deus in Sanctis suis, etc.. », tout comme au
même endroit : « Laudate Dominum in sanctis ejus » 13.
Arrivons-en donc à l'affaire qui est notre propos, affaire vénérable,
honorable et désirable, qui, déjà depuis plus de vingt-quatre ans,
demeure sous le feu de l'examen de la Curie romaine et du Siège
apostolique.
D'où il faut faire connaître ce que beaucoup d'entre vous ont
vu, tout comme nous 14, à savoir ce roi saint Louis dont la vie bonne
illuminait toutes les Églises; et comme nous l'avons entendu dire et
constaté par des témoins approuvés, sa vie ne fut pas seulement la vie
d'un homme, mais elle se situe certes au-dessus de l'homme 15. Elle fut
sans rupture, mais au contraire poursuivie depuis l'enfance,
progressant de bien en mieux selon un accroissement continuel, ainsi qu'il est
dit dans le Psaume : « Ibunt sancti de virtute in virtutem, videbitur
Deus Deorum in Sion » 16. En effet, en agissant ainsi, il est monté de
270 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
son royaume terrestre, en France, vers le royaume éternel de la gloire ;
il peut donc prononcer cette parole du Psaume : « Ego enim constitu-
tus sum Rex ab eo super Sion montem sanctum ejus, etc. » ", comme
dans les Proverbes : « Justorum semita quasi Lux splendens procedit,
et crescit usque in perfectum diem » 18.
C'est pour cela que le Seigneur n'a pas souffert que cette lumière
soit placée sous le boisseau, mais sur un candélabre afin de briller pour
ceux qui sont dans la Maison de Dieu. C'est pourquoi le Seigneur a
voulu manifester aux hommes de quelle qualité était et est toujours ce
saint en sa présence, et cela tant par le témoignage de Dieu que par
celui des hommes.
Le témoignage des hommes est ici requis, en tant que témoignage
de vérité pour donner l'assurance de la sainte vie qu'il a menée
ici-bas. Or sa sainte vie fut manifeste pour tous ceux qui portaient leurs
regards sur son visage « qui était plein de grâces », comme il est dit
en Esther 19. Et quant à ses œuvres, sa sainteté se signale spécialement
dans les aumônes qu'il fit aux pauvres, la construction d'hôpitaux, la
construction d'églises et ses autres œuvres de miséricorde qu'il serait
trop long d'énumérer. Elles ne furent pas momentanées, ni de courte
durée, mais elles continuèrent jusqu'à sa mort.
L'excellence de sa justice est apparue de manière évidente non
seulement par ses exemples, mais aussi par tout son comportement.
Il installait très souvent son lit de justice à même la terre, sur un tapis
— pour entendre les causes, principalement celles des pauvres et des
orphelins, et faisait en sorte que leur fût montrée la plénitude de sa
justice. A chacun, équitablement, il rendait ce qui lui était dû. D'où
l'on peut dire à son sujet ce qui est dans l'Ecclésiaste XVI : « Opera
justitiae ejus quis enunciabit? »M, comme si l'on disait qu'elles ne
peuvent être dénombrées. Et grâce à cela, il maintint son royaume dans
une grande paix et une grande quiétude. L'accord règne en effet entre
la paix et la justice21. Et c'est pourquoi, comme il a siégé avec justice,
ainsi son royaume a connu le repos dans la paix. Donc se justifie à son
sujet ce qui est dit Proverb. XX : « Misericordia et veritas custodiunt
regem et roborabitur elementa thronus ejus »22.
Le Seigneur a voulu lui révéler en outre qu'il était l'instrument
de choix pour faire connaître sa Parole aux nations, aux rois et aux
fils d'Israël. Il lui montra donc quelles grandes souffrances il lui fallait
supporter en son nom. Et quoiqu'il eût force richesses, agréments et
honneurs, délaissant tout cela, il exposa son corps et sa vie pour le Christ,
en traversant la mer et en livrant bataille aux ennemis de la Croix du
Christ et de la foi catholique, jusqu'à être pris et emprisonné ainsi que
sa femme et ses frères.
Or, de quelle grande fermeté d'âme a-t-il fait preuve, quel exemple
de justice et de bonté a-t-il donné dans l'adversité susdite, le savent
LA CANONISATION 271
bien ces personnes dignes de foi qui se sont enquis avec zèle de la vérité
auprès de ses propres compagnons.
Comme lui et ses frères avaient été faits prisonniers par le Soudan,
ils devaient se racheter par une somme d'argent bien précise. Le sou-
dan désirait que cette convention ou cette promesse d'argent fût
confirmée par l'accord suivant : « Si ledit Soudan ne tenait pas sa promesse,
il renierait sa loi et ses dieux, mais si au contraire c'était le roi qui rompait
le pacte, celui-ci abjurerait la foi du Christ »23.
Pieux et catholique, le roi entendant cela frémit. Ses frères
l'exhortaient à accepter, lui disant qu'il pouvait faire cette promesse de façon
parfaitement licite, puisqu'il n'avait pas l'intention de rompre ce pacte
ou cette convention. Il leur répondit ceci : « Le Seigneur fera ce qu'il
voudra de vous comme de moi. A vous je porte un amour fraternel
et à moi un amour convenable à ma qualité de roi. Que Dieu fasse qu'un
tel serment ne sorte jamais de la bouche du roi de France, quoiqu'il
puisse en advenir. » Or le Soudan, remarquant sa grande constance
tant dans ses actes que dans ses réponses, eut foi en sa simple parole
et le libéra, lui, ses frères ainsi que tous les autres qu'il tenait prisonniers.
Il y eut également, pendant sa captivité, de nombreux miracles, parmi
lesquels il y en a un d'une importance particulière, et digne d'être relaté.
Comme un religieux qui l'avait suivi et était comme lui captif se tenait
auprès de lui dans une chambre isolée, le pieux roi commença à
beaucoup se lamenter et à s'affliger abondamment de ce qu'il n'avait
pas de bréviaire pour dire ses heures canoniques. Le frère lui répondit
pour le consoler : « II ne faut pas se soucier dans une telle situation,
mais disons néanmoins Pater noster et toutes les autres prières que nous
pouvons. » Mais comme il était profondément chagriné de cette affaire,
il découvrit soudain, à côté de lui, son propre bréviaire. C'est le ciel,
pensons-nous, qui d'une façon divine le lui a miraculeusement apporté.
De même, après avoir été libéré de prison, il ne se conduisit plus
ni ne s'habilla plus comme auparavant, alors que sa vie et sa conduite
antérieures étaient tout à fait distinguées. En effet les vêtements qu'il
porta par la suite n'étaient pas ceux d'un roi, mais d'un religieux ; ils
n'étaient pas ceux d'un chevalier, mais d'un homme simple.
Par ailleurs, personne ne peut assez raconter en détail comment
il a passé sa vie à construire des églises, à visiter des malades, des aveugles
et des lépreux. Entre autres choses un exemple notable nous fut relaté
par des hommes dignes de foi, lors de notre séjour en France24. En
effet, à l'abbaye de Royaumont il y avait un moine abominablement
atteint par la lèpre, à un tel point qu'à cause de la puanteur et de
l'horreur de ses plaies on trouvait difficilement quelqu'un qui acceptât de
l'approcher, et ce qui lui était nécessaire lui était jeté de loin plutôt que
donné. Apprenant cela, le pieux roi le visita souvent et se fit
humblement son serviteur, en essuyant avec soin le pus de ses plaies et en lui
donnant de ses propres mains sa nourriture et sa boisson. De telles choses
272 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
et d'autres semblables, il les accomplit d'une manière devenue
habituelle dans les hôtels-Dieu, les léproseries et tout spécialement Γ hôtel-
Dieu de Paris; ce que beaucoup ont vu très souvent. C'est ainsi dans
de tels actes que se révèlent la grande compassion et la grande piété
qui animèrent ce saint roi.
De même, quelle fut l'importance des aumônes de ce saint homme?
Elle apparaît grâce à ceux qui ont connu les règlements établissant la
distribution de ses aumônes. Entre autre chose, en effet, il décida que,
chaque fois qu'il rentrerait de nouveau à Paris, de nouvelles aumônes
seraient données aux religieux et spécialement aux mendiants. Ainsi
sortait-il plus souvent afin que plus souvent des aumônes de ce genre
fussent distribuées.
En outre, il ne lui a pas suffi de donner de ses biens, Voulant
rendre davantage à Dieu, il a abandonné le monde, sa femme et son
royaume ; il a exposé ses fils ; et il s'est abandonné lui-même en
partant pour la seconde fois vers la Terre Sainte. D'où il pouvait dire au
Seigneur avec saint Pierre et les autres Apôtres, ce que dit Pierre :
« Ecce reliquimus omnia et sequuti sumus te »25. Et dans cette si
grande perfection qu'il avait recherchée, il finit sa vie très saintement.
Car, selon le témoignage de ceux qui étaient présents, ce ne fut pas
la fin d'un homme de simple humanité, mais d'une certaine manière
déjà celle d'un serviteur sanctifié. Cela apparut dans les saintes
paroles et les saints enseignements qu'il prononça sur son lit de mort,
et dans les signes qui apparurent de manière évidente sur son corps
à ce dernier moment26.
Combien salutaires furent les exemples et les avertissements qu'il
donna à ses descendants : on le voit surtout par les enseignements que
le saint roi écrivit avant sa mort pourt son fils aîné et pour sa fille, la
reine de Navarre, qu'il leur légua en guise de testament.
Comme des signes évidents annonçaient sa fin toute proche, il ne
se préoccupait d'aucune autre chose sinon de ce qui se rapportait à Dieu
seul et à l'exaltation de la foi chrétienne. Finalement il déclara : «
Désormais que personne ne m'adresse plus la parole. » II demeura dans
cet état pendant un certain temps, et quasi personne n'eut
l'autorisation de lui parler sinon le prêtre qui était son propre confesseur. Et
parvenant ainsi à sa dernière heure, il rendit son âme au Créateur.
Ce saint roi, nous l'avons appelé à juste titre César, c'est-à-dire
celui qui possède le principat et commande aux princes., Il posséda en
effet le principat et la maîtrise de ce monde en écrasant les trois
ennemis de la nature humaine : le monde d'ici-bas, la chair et le diable.
Il a vaincu le monde, car tout en y résidant, il l'a abattu, l'a foulé aux
pieds en le méprisant, et l'a soumis à Dieu en distribuant par des
aumônes les biens terrestres qui sont de ce monde. Il a également
piétiné le diable en s 'humiliant au plus haut point et le plus parfaitement
LA CANONISATION 273
possible et en le jetant à bas par le signe de la croix qu'il a prise avec
lui et qu'il a portée si longtemps.
La chair, il ne l'a pas moins maîtrisée et domptée en la soumettant
à l'esprit. Surtout, comme il apparaît clairement d'un très grand
nombre de témoignages, il ne partagea jamais sa chair entre plusieurs
femmes ni ne commit le péché d'adultère. De telle sorte que, sa propre
épouse exceptée, il vécut toujours dans la plus grande continence.
Dieu voyant cet homme d'une telle qualité et d'une telle
élévation qui était bien entré dans le monde, qui s'y était avancé encore
mieux et qui en sortit de la façon la plus sainte, ne voulut pas qu'une
telle lumière demeurât plus longtemps sous le boisseau, mais par de
grands et nombreux miracles, il voulut la révéler et la placer en
quelque sorte sur un candélabre. En effet, comme nous l'avons appris,
constaté et nous-même examiné au jour convenable, grâce à plusieurs
enquêtes qui ont été approuvées tant par nous que par nos frères, et
même par plusieurs Souverains Pontifes, nous avons reconnu, entre
autres, avec certitude, soixante-trois miracles que le Seigneur nous a
clairement révélés.
Car, ainsi qu'il est dit ailleurs, la décision d'inscrire au catalogue
des saints par une canonisation émanant du Pontife Romain est
réputée dans l'Église militante comme une chose d'une rare excellence et
qui appartient au seul Pontife Romain27; et c'est pourquoi le Siège
Apostolique a voulu observer le plus grand sérieux dans une affaire aussi
exceptionnelle.
Bien que la vie du roi se soit ainsi manifestée et que beaucoup
de miracles aient été vus, comme il a été dit plus haut, et bien que par
ailleurs les prières du roi son successeur, des barons ainsi que des
prélats s'y soient ajoutées souvent, néanmoins en plus des nombreuses
enquêtes privées déjà faites, le Siège Apostolique a voulu procéder à
des enquêtes solennelles pendant un temps non négligeable. Cette affaire
a déjà duré pendant vingt-quatre ans ou même davantage.
Sans doute monseigneur Nicolas III a-t-il déclaré précédemment
que la vie de ce saint lui était tellement connue que s'il avait vu deux
ou trois miracles, il l'eût canonisé, mais, surpris par la mort, il ne put
mener la chose à son terme. Alors l'affaire de l'enquête fut reprise et
confiée à vénérables et discrètes personnes : l'archevêque de Rouen,
l'évêque d'Auxerre et maître Roland de Palma, évêque de Spolète.
Ceux-ci entendirent les témoignages concernant les soixante-trois
miracles, les enregistrèrent, les examinèrent et les classèrent sous
certaines rubriques, et voilà déjà seize ans, ils les remirent à la Curie. En
outre pendant ces seize années, certaines personnes de la part du roi
de France ainsi que des prélats et des princes, et spécialement fr. Jean
de Samois s'en occupèrent sans discontinuer.
Au temps de monseigneur Martin (IV), l'affaire fut confiée pour
étude à trois cardinaux qui la virent, l'examinèrent pour une grande
18
274 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
partie et la distribuèrent sous des rubriques. Mais comme du vivant
de monseigneur Martin on n'avait encore aucun rapport, elle parvint
finalement au temps de monseigneur Honorius (IV). Et alors on fit
lecture de nombreux miracles qui furent discutés avec attention en
présence de nos frères les cardinaux; or, tandis que l'on en débattait,
survint la mort de monseigneur Honorius, et tout retomba dans
le sommeil.
Au temps de monseigneur Nicolas IV, l'affaire fut confiée à trois
autres cardinaux, monseigneur d'Ostie et monseigneur de Porto et à
nous-même qui étions alors dans l'état de cardinalat, car la mort avait
frappé les cardinaux qui en avaient été chargés. Ensuite, monseigneur
d'Ostie étant décédé lui aussi, on le remplaça par monseigneur de Sabine
et c'est ainsi que l'affaire aura été examinée, mise sous rubriques et
discutée par tant de personnages, et si souvent, que sur le sujet on
composa plus d'écrits qu'un âne ne pourrait porter28. Quant à nous, nous
avons écrit de notre propre main et déclaré, après un examen attentif,
que de nombreux miracles ont été suffisamment prouvés.
De notre temps, les examinateurs n'ont pas été changés, mais
pourtant, de nouveau, plusieurs miracles ont été lus, examinés et «
rubriques », non seulement parles susdits examinateurs, mais par plusieurs
autres cardinaux. Et nous avons voulu que chacun donne séparément
son avis par écrit, afin que personne ne garde le silence par hostilité,
par amour ou même par crainte.
De tout ceci et de plusieurs autres faits, on peut donc conclure
à l'évidence que dans tout ce qui précède, on a observé une mûre
réflexion et que l'on a visé à la perfection. Et c'est ainsi que pour cet
homme maintenant si connu et si digne d'être loué pour la sainteté de
sa vie et de ses miracles, nous pouvons déclarer avec assurance que la
renommée de sa sainteté ne doit plus demeurer sous le boisseau. Au
contraire nous devons lui dire : « Ami, monte plus haut afin que te
revienne la gloire qui t'appartient dans l'Église militante parmi tous
ceux qui sont invités au même banquet. »
Voilà pourquoi la parole qui a été placée au début de ce sermon
nous est maintenant adressée par la bouche même de Dieu, à nous et
à l'Église militante : « Reddite quae sunt Caesaris, Caesari, etc. », pour
que Dieu reçoive ainsi ce qui lui appartient, lui qui est loué dans ses
saints ; pour que soit rendu à César (le roi Louis) ce qui lui appartient,
à savoir l'honneur et la gloire convenable ; et pour que enfin les saints
et notre mère l'Église triomphante reçoivent ce qui leur appartient, c'est-
à-dire la dette de louanges, et cela dans ce saint qui mérite avec raison
d'être uni aux autres saints, puisqu'il a été fait citoyen de la patrie céleste.
Et ainsi avec notre mère nous devons nous réjouir et honorer le
roi Louis en tant que saint. De la sorte, les exemples de sa vie étant
publiés dans l'Église militante, la foi catholique sera fortifiée, les rois
et les princes seront incités au bien et tous les fidèles, universellement
LA CANONISATION 275
édifiés par ses actes et ses exemples, seront poussés à conquérir des biens
plus élevés.
Daigne nous l'accorder Celui qui vit et règne, etc.. Amen.

C. Second sermon du seigneur pape Boniface Vili sur la canonisation de


saint Louis, roi de France (11 août 1297)

prononcé en l'église des frères mineurs d'Orvieto en l'an du Seigneur


1297, le lendemain de la fête de saint Laurent martyr.
Éd. Cl. Ménard, Joinville (1617), 2e partie, p. 157-162, et Recueil
des historiens de la France, t. XXIII (1894), p. 152-154.

Sommaire du sermon.

Le premier sermon conservait quelque chose de nettement


historique en se tenant proche des dépositions des témoins et des enquêtes
sur les miracles. Sur cette base le second sermon s'efforce de
démontrer de manière scolastique le bien fondé de la canonisation. On a même
par endroit l'impression d'être devant un simple schéma qui devait être
rempli par le commentaire des très nombreuses citations de l'Écriture.
Dans les dernières lignes le pape ordonne aux chrétiens de vénérer le
roi Louis comme un saint : c'est l'annonce de la bulle qui suit
immédiatement. On remarquera la beauté du texte de départ Rex pacifiais,
une formule empruntée à la liturgie de Noël et on reconnaîtra au
passage la nouvelle allusion à la vie « plus qu'humaine » du saint roi.

Texte du sermon.

« Rex pacificus magnifïcatus est », « le roi pacifique a été


glorifié »29 : il l'est par le même Esprit Saint qui a fait parler et qui
a éclairé les Pères de l'Ancien Testament, les patriarches et les
prophètes et a fait parler également les saints du Nouveau Testament. C'est
pourquoi l'Apôtre dit 30 : « II y a différentes sortes de grâces mais un
seul esprit », et il continue : « Tout cela est réalisé par un seul et même
Esprit qui distribue ses dons à chacun comme il l'entend. » Aussi l'Église
militante, inspirée par le même Esprit dans une sorte d'exultation,
reprend à son compte la pensée proposée plus haut en tant que venant
du troisième livre des Rois et du second livre des Paralipomènes31,
mais elle change l'application des paroles qui littéralement ont été dites
du roi Salomon dans l'Ancien Testament. Toutefois, puisqu'il est
question de l'exaltation de l'Église dans la glorification et l'exaltation du
très saint roi Louis, nous pouvons dans le même esprit expliquer à son
276 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
sujet les paroles qui ont été avancées plus haut selon lesquelles le roi
Louis est rendu digne d'estime d'une triple façon, tout d'abord, en tant
que roi, à cause de sa condition eminente ; en second lieu, en tant que
pacifique à cause de ses vertus ; en troisième lieu, en tant que magnifié
dans l'Église militante à cause de ses faveurs et de ses récompenses.
Sur le premier point, il faut noter que celui qui se gouverne bien
lui-même ainsi que ses sujets, il est vraiment roi, mais celui qui ne sait
pas se gouverner lui-même, ainsi que ses sujets, on doit dire, avec
audace, que c'est un faux roi. Or, le roi Louis fut un roi en toute vérité,
parce qu'il se gouvernait lui-même ainsi que ses sujets d'une manière
réelle, juste et sainte. Il s'est gouverné lui-même en effet puisqu'il a
soumis la chair à son esprit et tous les mouvements de la sensualité à
la raison. De même, il gouvernait bien ses sujets parce qu'il les gardait
en toute justice et équité. Il a également gouverné les églises parce qu'il
a conservé intacts les droits ecclésiastiques et les libertés de l'Église.
Mais ceux qui dans la réalité ne gouvernent pas bien ne sont pas de
vrais rois.
En second lieu, le roi Louis se recommande par ses dons et ses
mérites lorsque nous le disons pacifique, c'est-à-dire qui fait la paix.
Par ce don et cette vertu, il faut comprendre tous les autres dons et
les autres vertus. Il fut pacifique vis-à-vis de lui et vis-à-vis de tous,
non seulement ses sujets mais les étrangers. Il fut pacifique vis-à-vis
de lui-même. Il resta en paix avec ses contemporains et dans son
propre cœur, et c'est pourquoi il obtint la paix de l'Éternité. Comment
il maintint en paix son royaume, le savent bien tous ceux qui ont vécu
cette époque. Cette paix n'existe pas sans justice, elle vient sur les pas
de la justice et parce que le roi Louis s'est montré juste envers lui-même,
envers Dieu et envers son prochain, il a obtenu la paix32.
Tout ceci nous amène au troisième point, à savoir qu'il a été
magnifié, c'est-à-dire rendu grand non seulement dans l'Église de cette
terre, mais aussi dans la patrie céleste. Il est à noter que quelqu'un
peut être dit grand sous quatre rapports, selon une quadruple
dimension, à savoir : premièrement, parce qu'il est long, deuxièmement, parce
qu'il est large, troisièmement, parce qu'il est profond, quatrièmement,
parce qu'il est élevé ou élancé. Toutes ces qualités, le saint roi les a
possédées spirituellement.
Il fut en effet long par sa persévérance et sa longanimité à faire
le bien. Dès l'enfance, en effet, il commença à vivre bien et il continua
jusqu'à sa mort. D'où l'on peut rapporter à son sujet ce qui est dit
d'Isaac dans la Genèse : « Benedixit ei Dominus et locupletatus est,
et ibat proficiens atque succrescens donec vehementer magnus effectue
est »33. Saint Louis, spirituellement parlant, fut un véritable Isaac,
celui qui se fait l'interprète des visions, celui qu'a enfanté Sarah dans
sa vieillesse : et par cette Sarah peut être signifiée l'Église de ce monde,
constituée dans la vieillesse des temps les plus avancés, cette Église qui
LA CANONISATION 277
nous a enfanté cet Isaac, lequel doit être, à bon droit, occasion de rire
et de joie pour nous. S'en suit : « ibat proficiens, etc.. » Afin qu'on
puisse dire avec l'Apôtre : « Bonum certamen certavi, cursum consum-
mavi. In reliquo reposita est mihi corona justiciae, etc.. »34.
Deuxièmement, il est dit grand en tant qu'il a été large ou ample,
et cela grâce à la charité. D'où l'Ecclésiastique : « Fortis in bello Jesus
Nave », et ce qui suit : « Qui fut magnus secundum verbum suum maxi-
mus in salutem electorum Dei » 35. Selon nous, en effet, on n'a pas
gardé mémoire en notre temps de quelqu'un d'égal au roi Louis pour
son zèle en faveur du salut de son prochain. Cela fut tout à fait
manifeste quand lui et ses frères ont été faits prisonniers par les sarrasins.
Il n'a pas accepté sa délivrance, ni la sienne ni celle de ses frères, tant
que tous les autres prisonniers n'aient pas été libérés au préalable.
Troisièmement, il est dit grand en tant qu'il a été profond et
cela grâce à son humilité. En effet, plus profondément l'homme s'humilie
plus il est réputé grand par Dieu selon ce qui est dit dans Luc : « Omnis
qui se exaltât humiliabitur et qui se humiliât exaltabitur » 36. Et parce
que le roi Louis s'est humilié très profondément il est devenu grand
à juste titre. Grand auprès du Seigneur. D'où l'on peut lui appliquer
ce qui est dit de Samuel : « Magnificatus est Samuel ad Dominum » 37.
Le roi s'est humilié à l'intérieur et à l'extérieur; dans ses paroles, dans
son cœur, dans ses vêtements, dans ses discours. Et nous pouvons
affirmer en toute sécurité que son visage doux et plein de grâce montrait
qu'il était au-dessus de l'homme38. Il est bien indiqué par le nom de
Samuel qui veut dire « obéissant à Dieu ». Le roi Louis en effet a obéi
à Dieu jusqu'à la mort.
En quatrième lieu, il est dit grand en tant que haut ou élevé.
Il le fut par son intention droite dirigée vers Dieu, en rattachant à Dieu
tout ce qu'il faisait et lui rendant grâce, selon ce qui est dit dans
le psaume : « Non nobis, Domine, non nobis; sed nomini tuo da
gloriam » 39 et ensuite en ce qui concerne sa grandeur d'âme il est dit
par le livre de Judith s'adressant à Dieu : « Qui timent Te magni sunt
apud Te per omnia »*°.
Il apparaît donc qu'à ce saint conviennent vraiment les paroles
notées en premier lieu : « Rex pacifiais magnificatus est ». Et parce
qu'il a été grand d'une quadruple manière sur terre comme on l'a vu,
nous devons absolument tenir qu'il a été également magnifié dans les
Cieux. Il appartient en effet à la divine justice de dire que tout homme
bon et juste en cette vie est magnifié et exalté dans la gloire. On le
voit pour ce saint grâce aux nombreux et grands miracles que le
Seigneur a manifestés par son intermédiaire. Aussi, à bon droit croyons-
nous qu'il est glorifié et magnifié dans les Cieux. C'est pourquoi nous
l'inscrivons au catalogue des saints, en ordonnant à tous les fidèles
chrétiens de le vénérer en tant que saint sur la base de ces nombreux
miracles et de demander d'un cœur dévot que son patronage leur vienne
278 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
en aide. Daigne nous accorder cette grâce, Celui qui vit et règne dans
les siècles des siècles. Amen. »

D. Bulle « Gloria, laus » de Boniface Vili sur la canonisation de saint Louis,


Orvieto, Π août 1297.

Original Archives nationales, J. 940, n° 111.


Editions :
Cl. Ménard,>mw7/*(1617), II, p. 162-183, d'après le ms Chartres 226
détruit en 1944.
Recueil des historiens de la France, t. XXIII (1894), p. 154-160, contrôlée
sur l'original.
Mention dans G. Digard et autres, Les "registres de Boniface VIII,
Ier volume (1884), n° 2047.

Analyse.

L' exorde d'un lyrisme somptueux s'accroche à deux références


liturgiques. Le thème premier, qui donne son titre à la bulle Gloria,
laus, est emprunté à la liturgie du dimanche des rameaux. C'est le début
d'un poème de Théodulfe (composé alors qu'il était à Nantes
prisonnier sur l'ordre de Louis le Pieux) chanté lorsque la procession des
rameaux rentrait dans l'église. L'édifice était fermé et à l'intérieur
quelques chantres faisaient entendre la première strophe, tandis qu'à
l'extérieur, dans le cortège on chantait le refrain. Après l'exécution de
quelques strophes, on heurtait la porte avec la croix de procession et
l'édifice s'ouvrait : c'était le symbole de l'entrée du Christ à Jérusalem
et de son retour au ciel. On voit tout de suite l'application au cas d'un
nouveau saint comme saint Louis.
Le second thème est fourni par YExultet pascal, la louange du
cierge chantée le samedi saint. Dans sa rédaction ancienne attribuée
à saint Ambroise, c'est une pièce d'un lyrisme inspiré où se mêlent les
emprunts virgiliens et des éléments proprement chrétiens. A partir du
même mot-clé : Exultet, et de bien d'autres subjonctifs le
développement de Boniface VIII place donc la joie nouvelle de l'Église (celle de
la canonisation de saint Louis) dans la ligne de la joie essentielle de
la Résurrection, c'est une très habile construction religieuse.
Après cette introduction (qui occupe un sixième de la bulle) vient
l'essentiel : le résumé de la vie du saint et une indication sommaire,
mais précise, sur ses miracles. Cet ensemble considérable, écrit cette
fois dans une langue simple et directe, constitue une authentique source
LA CANONISATION 279
historique, car, nous l'avons dit, tout provient des dépositions de
l'enquête qui seront plus tard (en 1302-1303) à la base du livre de
Guillaume de Saint-Pathus. Cette part faite à l'histoire dans la bulle
de canonisation n'est pas exceptionnelle. C'est la situation qu'on
retrouve dans le cas de sainte Hedwige de Silésie, morte en 1243 et
canonisée en 1267 : les premiers documents hagiographiques (Vie et
Miracles) ayant péri, c'est la bulle de canonisation très détaillée qui
devient ici la source la plus ancienne41.
La conclusion tout naturellement retrouve le ton de l'exorde et
même, d'une manière plus précise, le vocabulaire de YExultet pascal
avec toute une série de subjonctifs enthousiastes : Gaudeat. . . Laetetur. . .
Exultent ! En conséquence, après un rappel de l'enquête longue et
minutieuse sur la sainteté et les miracles du roi Louis, le pape, avec l'accord
des cardinaux et des prélats présents « au Siège apostolique »
(entendons ici : à Orvieto) décide le 11 août 1297 de l'inscrire au catalogue
des saints et fixe sa fête au 25 août, jour de son heureux transitas. Il
accorde ensuite une indulgence à tous ceux qui viendront vénérer son
tombeau.

Texte de la bulle.

Boniface évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à tous les fidèles


chrétiens, salut et bénédiction apostolique42.
Gloire, louange et honneur au Père des lumières de qui vient tout
excellent présent et tout don parfait43, de la part de tous les fidèles
orthodoxes, dont l'espérance tend vers les Cieux. Que ces sentiments
s'expriment avec un zèle extrême et incessant de dévotion et de
respect ! Ce Dieu qui est riche en miséricorde, libéral en grâces, généreux
en récompenses, abaissant du haut du Ciel jusqu'à ce bas monde les
yeux de sa Majesté, a pesé avec une attention bienveillante les grands
mérites du bienheureux Louis, jadis illustre roi de France, son glorieux
confesseur, ainsi que ses œuvres merveilleuses par lesquelles durant sa
vie en ce monde il a resplendi comme une lampe lumineuse; ce Dieu,
qui comme un juge et un rémunérateur équitable cherche à
compenser ses œuvres par de dignes rétributions, a placé ce bienheureux dans
les demeures célestes, après la fin de son service et le droit à la
récompense, au sortir de la prison de cette vie et des laborieux combats
de ce monde qu'il a livrés dans la ferveur de sa piété avec puissance
et aux yeux de tous ; ce Dieu donc l'a placé dans ces demeures célestes
pour qu'il y siège avec les princes et possède le trône de gloire44 en
prenant possession des douceurs de la béatitude éternelle.
Qu'exulte donc la Mère Église et qu'elle célèbre des fêtes
solennelles et joyeuses, puisqu'elle a enfanté un fils si grand et si beau, qu'elle
a guidé ses pas, éduqué sa jeunesse, si bien qu'il brille maintenant parmi
280 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
les rois du Ciel! Qu'elle se réjouisse, qu'elle jubile, qu'elle proclame
les louanges du Très Haut, puisque ce rejeton si excellent et si célèbre
lui assura un éclat lumineux et une splendide parure !
On doit faire l'éloge de cette Église, lui témoigner une très grande
dévotion, puisqu'elle révèle et dévoile d'une manière indiscutable ceux
qui doivent être admis aux joies de la béatitude éternelle et à la
participation de l'héritage céleste parce qu'ils ont confessé par les
témoignages de leur foi et de leurs œuvres la susdite Église, mère des fidèles
et épouse du Christ. C'est elle encore qui révèle et dévoile que
personne ne peut entrer dans la gloire de la patrie céleste, si ce n'est par
le ministère efficace de celui qui agit en tant que portier du Ciel et qui
ouvre ainsi les portes d'En haut.
Que se réjouisse la foule des êtres célestes de l'arrivée d'un
habitant si sublime et si lumineux, puisque vient s'agréger à eux ce
chrétien dépouillé et éprouvé, ce fidèle sans pareil!
Que retentisse le chant de joie proféré par la glorieuse noblesse des
citoyens du Ciel, puisqu'elle a reçu le complément d'un compagnon
si grand et si beau ! Que la foule vénérable des saints refleurisse dans
la joie et l'exultation par l'adjonction de cet associé parfait!
Lève-toi donc foule nombreuse des fidèles ! Levez- vous zélés dévots,
et en compagnie de l'Eglise faites retentir l'hymne d'une abondante
louange !
Que votre cœur soit pénétré par la rosée d'une joie débordante.
Et que l'intime de vôtre âme soit rempli d'une douceur féconde, à
propos de l'exaltation d'un prince de cette terre, si puissant, et si excellent,
à propos également d'une espérance assurée d'avance que cet habitant
de la terre devenu compatriote du Ciel, s'ajoute auprès du Fils du Père
Éternel comme un patron efficace, et que ce bienheureux placé
maintenant en sa présence, exerce pour l'avancement de notre salut l'office
d'un habile avocat!
Assurément, qui pourrait par la puissance de sa parole ou la nature
de son éloquence ou par l'éclat de son discours, exprimer suffisamment
les preuves eminentes de sa sainteté et l'excellence des multiples
mérites par lesquels le bienheureux Louis a brillé dans sa vie terrestre,
alors que, plus on voit de choses à rapporter sur ses actions louables,
plus la plume en exprime, plus les lèvres s'ouvrent et plus les langues
se délient ? Mais, pour que l'éclat de ses actions ne reste pas caché sous
la nuée, ne soit pas couvert sous les ténèbres, nous jugeons digne que
notre discours en révèle quelque chose et l'amène à la connaissance
publique.

Sans conteste possible, il était illustre par sa naissance, eminent


par sa puissance, riche dans ses ressources, excellent par ses vertus,
correct dans ses mœurs, remarquable par sa noblesse d'âme, étant donné
que tout ce qui était déshonnête et honteux était banni de sa présence.
LA CANONISATION 281
En effet il s'est appliqué aux œuvres de la chasteté, il a voulu éviter
l'entraînement de la chair à un tel point que selon un très grand
nombre de gens, avant d'avoir contracté le lien de mariage, il a brillé
par l'éclat de la virginité.
Pendant un long espace de temps, il a exercé le gouvernement d'un
royaume, il a détenu le pouvoir avec une prudence attentive aux
soucis. Sans faire de tort ni d'injustice ni de violence à personne, il a
respecté et honoré avec le plus grand soin les limites de la justice sans
s'écarter du sentier de l'équité. Il a contenu par le glaive du juste châtiment
les tentatives impies des méchants en écrasant leurs complots et en
réfrénant leurs audaces. Il fut un eminent partisan de la paix, un fervent
amoureux de la concorde, un agent actif de l'unité. Il fuyait les
divisions, évitait les scandales, abhorait les dissensions. C'est pourquoi,
au temps heureux de son règne, après avoir apaisé les remous de
toutes parts, éliminé les choses nuisibles, après avoir chassé les causes
de troubles, il a fait briller pour les habitants de son royaume l'aurore
d'une douce tranquillité et amené le sourire d'une joyeuse sérénité et
d'une prospérité conforme à ses vœux.
Pour dire quelques mots de sa vie, plus on la soumet à l'examen,
plus on la creuse, plus elle apporte de douceur au palais de celui qui
parle et plus elle réjouit le cœur des auditeurs. Depuis les débuts de
sa jeunesse, il aima tendrement le Fils de Dieu et ne cessa jamais de
l'aimer en continuant des études relatives au salut, alors qu'il
disposait des commodités de la vie temporelle. Mais plus il avança en âge
et progressa dans le temps, plus il brûla de cet amour dans une ferveur
accrue de l'esprit.
Quand il eut douze ans, il fut privé de l'appui paternel et demeura
dès lors sous la garde et la tutelle de sa mère d'illustre mémoire,
Blanche, reine de France. Attentive avec ferveur à ses devoirs religieux,
elle s'appliquait à le diriger avec prudence, à l'instruire avec zèle, pour
qu'il devienne digne et capable d'exercer le gouvernement du royaume
qui réclamait à l'évidence une direction éclairée.
Quand, selon l'écoulement naturel des choses, le roi eut atteint
sa quatorzième année, ladite reine lui choisit un maître particulier pour
l'initier à la science des lettres et le former aux bonnes mœurs. Placé
sous la férule de ce maître, il montrait une telle obéissance et un tel
respect, et recevait avec une telle humilité la discipline, que, prévenu
par la grâce divine, il progressa en mérite dans les deux domaines.
Il se montrait si appliqué aux offices divins, qu'il n'était jamais
satisfait de ceux qu'il entendait; sauf à en faire célébrer en sa présence jour
et nuit solennellement par ses clercs et à les réciter très attentivement
avec l'un d'entre eux.
Enfin, par la suite, arrivé à sa trentième année 45 et victime d'une
grave maladie, il demanda avec une grande insistance aux évêques de
Paris et de Meaux qui l'assistaient à ce moment, de lui donner l'emblème
282 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
de la croix vivifiante pour le secours de la Terre Sainte. Et, bien que
les évêques susdits, poussés par des motifs raisonnables, l'en eussent
dissuadé, le roi pourtant dans sa ferveur intérieure envers Dieu qu'il
désirait servir de tout son cœur, refusa pour son salut d'admettre leurs
objections, et reçut avec grande joie et exultation cet emblème de la
main de l'évêque de Paris, tandis que prélats, nobles et innombrables
chevaliers le recevaient avec lui.
Finalement, après d'amples préparatifs maritimes et après avoir
ménagé tout ce qui est réclamé en une telle circonstance, ayant alors
atteint sa trente-quatrième année, il prit la mer pour le secours prévu,
avec la participation de ses frères alors vivants, Robert d'Artois,
Alphonse de Poitiers et Charles, d'illustre mémoire, roi de Sicile et comte
d'Anjou, en s'exposant aux nombreux et grands périls que les flots de
la mer ont coutume d'entraîner avec eux.
Étant arrivé dans ces régions, avec tout l'éclat d'une redoutable
puissance et ayant remporté un triomphe par la prise de Damiette, il
s'avança plus loin. Une épidémie quasi générale de toute l'armée
s'ensuivit alors, comme il plut à Dieu, et sous la pression d'autres adversités,
le susdit roi avec presque toute son armée tomba au pouvoir du sou-
dan et des sarrasins, supportant dès lors avec patience et humilité les
hontes et les injures sans nombre, encore accrues par l'affreuse
situation de ceux qui les infligeaient. C'est alors que le sus-dit comte Robert
fut tué cruellement par eux pour la foi du Christ.
On en vint ensuite à des discussions avec le Soudan alors régnant,
sur la délivrance du roi et de son armée moyennant une très grande
quantité d'argent, ce qui fut l'occasion de la mise à mort du Soudan
par ses propres vassaux. Les sarrasins qui avaient usurpé son pouvoir,
aspirant avidemment au gain, réclamaient très instamment qu'une
clause fût ajoutée dans les conventions prévues et confirmée
mutuellement par serment, à savoir que si eux-mêmes ne respectaient pas le
pacte, ils renieraient Mahomet qu'ils adorent (à ce qu'on dit), et que
le roi de son côté renierait le Fils de Dieu et se placerait hors de sa foi,
si les conventions sus-dites n'étaient pas gardées par lui jusqu'au plus
petit détail46.
Plein d'horreur, le susdit roi s'y refusa avec la plus grande
fermeté ; bien mieux, soulevé d'indignation, il affirma publiquement que
des propos si impies ne franchiraient jamais ses lèvres, et que jamais
il n'en viendrait à ce reniement digne d'un fou et d'un réprouvé.
Pourtant les sus-dits comtes de Poitiers et d'Anjou et de nombreuses autres
personnes présentes lui conseillaient très instamment d'accepter,
puisque bien persuadés que pour ce refus un péril de mort les
menaçait eux et tous les autres chrétiens très vraisemblablement. La menace
était d'autant plus grande qu'on discutait avec ces gens qui — comme
il est dit plus haut — avaient tué leur soudan et avaient usurpé son
pouvoir. Ils disaient même ouvertement au roi que s'il ne passait pas
LA CANONISATION 283
à l'acte relativement à leur demande, ils le crucifieraient lui et les siens
sans tarder. S'ensuivit alors cette réponse intrépide et ferme du roi que
si les sarrasins tuaient son corps, ils ne posséderaient jamais son âme.
A la vérité, durant ce passage, après plusieurs rencontres diverses,
une grande famine, de lourdes privations, de cruelles blessures
endurées par les fidèles du Christ, alors que le roi souffrait d'un flux du ventre
et d'autres maladies et que l'armée chrétienne était revenue à Damiette,
le roi refusa absolument de l'abandonner, mais songeant plutôt avec
clémence à participer à ses souffrances et à ses dangers qu'on pouvait
redouter pour des raisons très sérieuses, il revint à cet endroit avec
l'armée. Il lui fournit ainsi une défense et une protection efficace
contre la rage déchaînée des sarrasins et leurs insultes impies, si bien
qu'elle fut à l'abri des attaques criminelles de ses ennemis.
Finalement, lorsque les sarrasins, avec leur méchanceté pleine
de ruse et leur finesse pleine de fourberie, eurent enveloppé de leurs
bataillons innombrables l'armée chrétienne qui était affligée d'une
redoutable épidémie et qu'ils avaient attaqué fortement, le roi et l'armée
durent se rendre. Sauf à s'y opposer par une décision volontaire, le
roi aurait pu s'enfuir grâce à un navire tout préparé, d'ailleurs de
nombreux grands personnages qui étaient le lui conseillaient, mais lui, à
cause de l'extrême ardeur de sa charité, choisissant plutôt d'exposer
son corps pour garder intact le peuple chrétien, bien que la pauvre
faiblesse de son armée ne fût pas cachée aux sarrasins, et que la
puissance de ceux-ci ne fût pas inconnue des chrétiens, il refusa de se
sauver, tant que ceux qu'il laisserait resteraient dans les liens de la
captivité. Il affirmait publiquement qu'il voulait ramener avec lui,
si possible, l'armée qu'il avait amenée avec lui ou bien être pris et mourir
ensemble.
Or, comme l'on traitait entre le roi et les chrétiens d'une part,
et les sarrasins d'autre part, ainsi qu'il est dit plus haut, de leur
délivrance et des modalités d'application des conventions qui seraient
conclues, les sarrasins qui entendaient obtenir une entière assurance
pour le paiement de cette partie de la rançon qui restait à payer, s'en
remirent entièrement au choix du roi : ou bien il serait lui-même libéré
de prison tandis que les autres chrétiens y resteraient jusqu'au
paiement complet de la rançon, ou bien c'est lui-même qui resterait
en prison et les autres chrétiens seraient libérés. Alors le roi donna
aussitôt sa réponse : il entendait rester en prison jusqu'à l'achèvement
complet de ce paiement, tandis que les autres chrétiens seraient rendus
à leur liberté première; décision prise malgré ses frères Alphonse et
Charles et d'autres nobles qui déclarèrent expressément qu'ils n'étaient
absolument pas d'accord. Ils ajoutaient avec la dernière insistance que
c'était au roi à se retirer et que les autres ne devaient pas être libérés,
mais le roi très fermement leur opposa sa contradiction et refusa de
les entendre.
284 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Enfin le roi et les autres prisonniers ayant recouvré la liberté, et
le susdit Alphonse ayant été laissé commer otage pour l'achèvement
du paiement, le roi ne voulut pas sortir de la galèe dans laquelle il se
trouvait jusqu'au moment où le reliquat du paiement aurait été versé
et que son frère fut revenu en sa présence et que tous les chrétiens
enfermés dans une prison proche, et non transportés à Babylone, seraient
libérés de leur captivité, et enfin que tous ceux qui étaient encore
retenus à Damiette fussent placés dans les navires.
Finalement le sus-dit roi libéré avec son armée gagna la cité d'Acre
et y séjourna presque cinq ans, passionnément zélé pour le salut des
hommes ; il convertit au Seigneur de nombreux fils d'Agar, au cœur
pourtant dur, non seulement par la persuasion de sa parole salutaire,
mais aussi par l'exemple de sa vie vertueuse. Il les fit baptiser
solennellement pour la gloire du nom divin et l'exaltation de la foi
catholique, en les couvrant de largesses et en les comblant de faveurs. Il fit
racheter de nombreux chevaliers et d'autres chrétiens en leur
accordant dans sa royale générosité les vêtements et autres nécessités
convenables à la condition de chacun.
Les murs et les murailles de nombreuses cités et forteresses
détenues par les chrétiens dans ces régions furent par ses soins réparées
officiellement et pourvues de défenses solides et complètes, selon la
nécessité. Les années s'écoulant, le roi apprit que la mort cruelle avait enlevé
sa mère et qu'un grave péril menaçait son royaume. Aussi, sur les
conseils de ses barons, revint-il en France.
Il s'y appliqua aux œuvres de la sainteté en faisant construire
tantôt des monastères et des hôpitaux, tantôt des maisons destinées au
culte divin qu'il serait trop long d'énumérer, et il les dota largement
de ses propres biens ; tantôt il visitait personnellement les malades et
les infirmes dans les différents monastères et hôpitaux en les
réconfortant de ses consolations et en leur offrant de ses propres mains, à genoux,
la boisson et la nourriture.
Au monastère de Royaumont, dans le diocèse de Beau vais, que
le roi avait construit à grands frais et qu'il avait doté d'une manière
extraordinaire, demeurait un moine nommé Léger, atteint par la lèpre
d'une telle manière qu'on le dédaignait comme abominable et qu'il
séjournait le plus souvent à l'écart des autres dans une pièce du
monastère47. Ses yeux déjà détruits par cette infirmité si néfaste ne voyaient
absolument plus, ses orbites étant devenues rouges et horribles. Il avait
perdu son nez ; ses lèvres étaient énormément gonflées et détruites par
de profondes gerçures, et comme le roi en présence de l'abbé du
monastère, le visitait personnellement et l'avait trouvé en train de manger,
comme il pouvait, il le salua avec bonté, il fléchit les genoux devant
lui et, en coupant de sa propre main la viande qu'on apportait, il en
mettait les morceaux dans sa bouche avec grande application. Et non
content de ce service, il faisait apporter des plats de la table royale et
LA CANONISATION 285
les faisait goûter au moine, sans se laisser arrêter par l'horreur du lieu
et du malade. L'abbé du monastère était frappé d'une violente stupeur
de voir la majesté d'un tel prince impliquée dans de tels soins et de
tels services, tout salutaires qu'ils fussent.
En outre, lorsque le roi entra dans l'hôpital de Compiègne pour
y rendre aux malades le service de la charité, et qu'il était déjà très
fatigué, il vit placé près de lui un malade qui souffrait du mal dit de
saint Éloi, il fléchit les genoux devant lui, il plaça un morceau de poire
préalablement pelée dans sa bouche, mais le pus sortant de ses narines
souilla salement les mains du roi ; pourtant celui-ci avec piété et bonté
le supporta, ne changea rien dans sa conduite, et, après avoir lavé
aussitôt ses mains, acheva avec soin le service salutaire qu'il avait
commencé.
Ce prince, montrant une grande compassion envers les serviteurs
du Christ, les pauvres, les personnes misérables et méprisées, se
montrait à leur égard d'une générosité magnifique dans ses aumônes. Pour
les jeunes filles, dont la pauvreté empêchait la réalisation du mariage,
il les pourvoyait sur les biens royaux d'une dot convenable pour les
empêcher de glisser dans la débauche. Il considérait en effet comme
une dépense louable et salutaire ce qui était converti en aumône et en
œuvres de piété. Il prêtait une oreille attentive aux prédications et autres
exposés de la parole de Dieu. Il n'était pas un auditeur oublieux, mais
un fidèle soucieux de réalisations.
Il avait en horreur les gens attachés de la dépravation hérétique ;
pour les empêcher de répandre cette contagion parmi le troupeau des
fidèles chrétiens, il les chassait avec le plus grand soin des limites du
royaume ; autrement dit, il veillait avec attention à le maintenir en bon
état en éliminant totalement tous ces ferments d'erreurs et en faisant
briller une foi authentique.
Lorsque certaines parties du royaume étaient menacées en raison
de la sécheresse ou du mauvais temps par une cherté excessive des vivres,
à peine informé par la rumeur publique, il envoyait sur place par un
messager fidèle une somme d'argent conforme aux nécessités du lieu
afin de la répartir entre les pauvres.
Ce roi tout à fait sublime et humble dans sa sublimité manifesta
les signes d'une très haute humilité surtout après son premier retour
d'outre-mer notamment à travers sa tenue et ses vêtements qu'il
distribuait fréquemment aux pauvres. En effet, il ne se servait pas
d'ornements d'or et d'argent, de vêtements royaux, de fourrures bigarrées
ou de petit gris, mais de simple fourrure ordinaire, après avoir rejeté
complètement les fastes séculiers.
Et pour que la ferveur de l'esprit ne fut pas étouffée par l'ardeur
de la chair qui lui est associée, mais qu'au contraire elle fut enflammée
davantage par la mortification et le renoncement, et qu'elle s'élevât
ainsi plus haut encore, il domptait sa chair par le contact éprouvant
286 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
d'un cilice, à ce qu'on raconte; il maîtrisait le caprice effréné de cette
chair par le frein d'une abstinence rigoureuse et par les contraintes
qu'elle impose. De cette manière, le désir n'était plus dirigé en lui par
ses vœux propres, ni commandé par le gouvernail de sa passion, mais
l'esprit, sous un gouvernement salutaire, avançait vers le bien et
s'abstenait avec prudence du mal.
Il soumettait son corps à des jeûnes stricts en ajoutant à l'observance
antique des saints Pères, l'austérité des modernes qu'il s'imposait de
son propre mouvement. En effet pendant tout le Carême et les
quarante jours précédant Noël, et les vigiles de toutes les fêtes, ainsi que
pendant les Quatre-Temps imposés par l'Église Catholique, il
s'appliquait au jeûne et à la prière, en s'interdisant complètement les
nourritures raffinées et rares. Pendant les vigiles des fêtes de la Vierge et de
la Noël, pendant le vendredi de la Semaine Sainte, il observait un jeûne
limité au pain et à l'eau. Tous les vendredis de Carême et de l'Avent,
il s'abstenait de poisson. Il s'imposait en outre de longues veilles pour
ne laisser aucune heure s'écouler inutilement ; après son retour de Terre
Sainte, cité plus haut, il ne couchait pas dans la plume ou dans la paille,
mais sur un lit de camp en bois, garni d'un simple matelas sans aucune
litière.
Le roi fut donc un astre lumineux par la pureté de sa vie, un
ami de la vérité, un ennemi impitoyable du mensonge. Toutes ses paroles
visaient à une augmentation du salut et des œuvres salutaires. Elles
adoucissaient le cœur des auditeurs et rejaillissaient de multiples façons
pour leur édification.
Et, comme il appelait de ses vœux les plus ardents l'accroissement
de la foi catholique et la libération de la Terre Sainte, il prit une fois
encore la croix pour le secours de cette Terre, et ensuite, après avoir
rassemblé une flotte considérable, appuyé par une escorte nombreuse
et solide, en compagnie du comte de Poitiers, de ses propres enfants
et de la reine de Navarre, sa fille de glorieuse mémoire qui paya son
dû à la nature au moment du retour, il se transporta donc outre-mer
une fois encore, tandis que Charles, qui séjournait alors en Italie, allait
suivre les traces du roi de France.
Et enfin, parvenu en Tunisie après une heureuse traversée, il y
établit son camp selon l'avis de ses grands; il y montra l'effet de sa
puissance contre les assauts des sarrasins, et par ses rudes labeurs il
s'exposa à d'innombrables maladies qui l'accablèrent sans répit.
Après quelques jours, écrasé par la violence de ces maladies, il
reçut avec la plus grande dévotion les sacrements de l'Église, et quand
l'heure de sa mort lui apparut proche, il prononça une prière pour
l'armée des chrétiens, recommanda dévotement son âme à Dieu et en
disant exactement les paroles qui suivent : « Mon Père entre tes mains
je remets mon esprit », il passa heureusement au Christ pour jouir du
bonheur d'En Haut.
LA CANONISATION 287
En vérité, après l'achèvement de son parcours terrestre, il vivait
toujours plus véritablement qu'il n'avait vécu jusque là, et le Fils
de Dieu, qu'il avait aimé de tout son ceur, ne voulut pas que fût
étouffée aux yeux du monde la sainteté d'un prince si pieux et d'un
si fervent défenseur de la foi orthodoxe; de la sorte, autant il avait
rayonné par la pluralité de ses mérites, autant il brillerait par la
diversité de ses miracles. Et ce chrétien qui L'avait honoré d'un
cœur sans partage serait honoré à son tour avec Lui-même dans le
palais du Ciel.
En effet, il apporta aux paralytiques le mouvement de leurs membres,
à ceux qui étaient courbés et dont la figure touchait presque terre, il
rendit une santé entière en redressant leur visage; aux malades des
écrouelles il accorda le bénéfice de la guérison. Une femme dont le bras
était desséché et sans force fut délivrée de son infirmité. Un autre, dont
le bras pendait presque mort, obtint par la puissance du saint la grâce
de la guérison ; de très nombreux malades frappés de paralysie et d'autres
atteints de diverses langueurs recouvrèrent leur santé. Des aveugles
retrouvèrent la vue, des sourds l'ouïe, des boiteux la marche sur
l'invocation de son nom. Par ses miracles et par de nombreux autres que
nous jugeons inutile d'insérer ici, ce saint a été entouré d'une grande
gloire.

Que se réjouisse la noble maison de France qui a engendré un


si grand prince ! Que chante de joie le très dévot peuple de France pour
avoir obtenu un si rare et si vertueux seigneur! Qu'exultent les cœurs
des prélats et des clercs pour les miracles de ce roi qui honore d'une
manière si éclatante ce royaume ! Que la joie remplisse les âmes des
grands, des barons et des chevaliers pour ces très saintes œuvres du
roi qui apportent au royaume des marques nouvelles d'honneur et le
font briller comme un soleil!
Comme ceux que le Tout Puissant magnifie par la couronne de gloire
dans les Cieux doivent ensuite être vénérés dévotement par les fidèles
dans notre patrie terrestre, Nous donc, après avoir acquis une pleine
certitude de la sainteté de vie et de l'authenticité des miracles de ce
bienheureux Louis, à la suite d'une enquête attentive et régulière ainsi que
d'une discussion serrée, Nous donc, par le conseil et l'approbation de
tous nos frères et prélats qui se trouvaient alors auprès du Siège
Apostolique, Nous avons décidé, le dimanche 3 des ides d'août (=11 août)
de l'inscrire au catalogue des saints. C'est pourquoi nous vous
avertissons par la vertu de ces lettres apostoliques de célébrer dévotement
et solennellement la fête de ce saint, le lendemain de la Saint-Barthélémy
apôtre, le jour où son âme, arraché aux liens de la chair, gagna le séjour
d'En Haut, et fut admise à la cour céleste pour y jouir du bonheur
éternel. Vous la ferez célébrer par les fidèles du Christ d'une manière
convenable dans toutes vos cités et diocèses. C'est ainsi que par ses
288 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
prières vous pourrez être libérés des périls présents et obtenir dans l'autre
monde la récompense du salut éternel.
Pour que ce vénérable sépulcre attire une multitude de fidèles,
nombreux et fervents, et que cette solennité soit célébrée avec plus
d'ampleur, en nous appuyant sur la miséricorde du Dieu Tout
Puissant et sur l'autorité des apôtres Pierre et Paul, nous accordons à tous
ceux qui vraiment pénitents et confessés se seront rendus dévotement
en ce lieu pour cette fête chaque année, en vue d'obtenir ses suffrages,
nous accordons donc miséricordieusement la dispense d'un an et
quarante jours sur les pénitences imposées et à tous ceux qui viennent
chaque année au sépulcre durant l'octave de sa fete une dispense de
quarante jours.
Donné à Orvieto le trois des ides d'août la troisième année de
notre pontificat (= dimanche 11 août 1297).

E. Lettre d'indulgence accordée par Boniface Vili le 28 juin 1298.


Éd. Cl. Ménard (1617), p. 183-185.

Cette lettre d'indulgence accordée près d'un an après la


canonisation est à bien distinguer de la faveur contenue à la fin de la bulle
Gloria, laus (11 août 1297). Ce redoublement de générosité spirituelle
est à relier à la translation des restes du saint roi, un rite tout à fait
classique et solennel bien connu dans l'histoire du culte des saints au
Moyen Age. Cet acte sans originalité a au moins l'avantage d'attirer
notre attention sur l'institution des indulgences et sur la répartition des
reliques de saint Louis.
Sans vouloir nous étendre sur ce sujet, rappelons tout de même
que l'indulgence consiste dans la remise des peines temporelles dues
au péché déjà confessé et pardonné48. C'est un concept qui s'enracine
dans la pratique de la pénitence tarifiée (longues expiations tempérées
par des commutations de peines) et dans la notion de trésor spirituel
de l'Église géré par le pape, vicaire de Jésus-Christ. Le contexte de la
croisadce influa fortement sur cette institution. En effet l'indulgence
plénière des croisés — pendant longtemps la seule du genre — a connu
une immense popularité non seulement chez les combattants mais
également, si l'on ose dire, à l'arrière, parmi les âmes pieuses qui
désiraient par tous les moyens en obtenir le bénéfice. Dès 1213
Innocent III avait autorisé, puis imposé le rachat d'un vœu imprudent de
croisade, ce qui jetait les bases du système financier de l'indulgence.
La pape pouvait ainsi éliminer le poids mort des non-combattants et
s'assurer des ressources bien nécessaires pour l'expédition. C'est ainsi
qu'à la fin du Moyen Age on en vint à la prédication de l'indulgence
LA CANONISATION 289
de croisade, accompagnée de récolte d'argent. Le texte qui nous
intéresse ici (de 1298) se situe très loin de ces extrémités, dans une norme
tout à fait classique.
Le sort imposé au corps de saint Louis s'explique à la fois par l'usage
chez les princes des sépultures multiples et, après la canonisation, par
les habituelles translations et fragmentations de reliques49. GeofFroi de
Beaulieu, témoin oculaire, nous informe avec précision sur la première
étape. Le corps du roi fut disséqué et bouilli. Charles d'Anjou obtint
le cœur et les entrailles qu'il déposa à l'abbaye de Monreale, près de
Palerme, tandis que les ossements furent ramenés par le nouveau roi
à travers l'Italie et la France pour être placés le 22 mai 1271 dans un
tombeau à Saint-Denis, près de la sépulture de Louis VIII son père.
Le 22 août 1298 l'archevêque de Sens présida avec Philippe le Bel à
l'exhumation du corps qui fut transféré à la Sainte-Chapelle, comme
l'indique d'ailleurs la lettre d'indulgence qui nous occupe. Cette
dépouille ne tarda pas à être ramenée à Saint-Denis pour y être
partagée le 17 mai 1308 selon la volonté de Philippe le Bel. Ces
fragmentations ont continué par la suite. Notons encore qu'il existe une
contestation sur l'emplacement du cœur de saint Louis, dont on ne sait pas
avec certitude s'il a été inhumé à Monreale, à Saint-Denis ou à la
Sainte-Chapelle.

Texte de la lettre.

« Boniface évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à tous les


fidèles du Christ qui liront ces présentes lettres, salut et bénédiction
apostolique.
Désirant d'un vif désir agréger tous les fidèles chrétiens à l'illustre
assemblée des citoyens du Ciel, que la générosité divine aux réserves
inépuisables et inconditionnelles refait constamment par la joie de la
gloire et réchauffe par des délices sans fin, Nous donc pour inviter les
esprits et les cœurs de ces fidèles à pratiquer les œuvres de miséricorde
et les soins de la piété, ce qui permet d'acquérir le royaume des Cieux,
nous les attirons dans ce sens tantôt en accordant des indulgences,
tantôt par le don salutaire du pardon.
De la sorte, au sortir de cette vie qui n'a pas de statut stable, ils
pourront obtenir plus facilement, en s'appuyant sur le bénéfice des
mérites, la récompense de la béatitude céleste assurée de durer sans fin.
Puisque, en nous appuyant sur le conseil et l'assentiment de nos
frères et de tous les prélats présents alors au Siège Apostolique, nous
avons décidé d'inscrire au catalogue des saints le bienheureux Louis,
en son vivant illustre roi de France et très glorieux confesseur, en
raison de ses grands mérites et des œuvres merveilleuses par lesquelles
au milieu des révolutions de ce monde il a brillé comme une lampe
éclatante.
19
290 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Comme d'autre part, selon ce qu'on nous a dit, le corps vénérable
de ce confesseur, qui repose maintenant dans le monastère de Saint-
Denis au diocèse de Paris, doit sous peu être transféré à la chapelle royale
de Paris, Nous, désirant que cette translation se passe solennellement
pour la gloire de Dieu et la louange de ce saint, fort de la miséricorde
divine et de l'autorité des saints apôtres Pierre et Paul, nous accordons
annuellement sur les pénitences imposées une réduction d'un an et
quarante jours à tous les fidèles du royaume de France vraiment pénitents
et confessés qui visiteront cette chapelle le jour de la translation et
pendant l'octave; d'autre part, à ceux qui n'habitent pas le royaume de
France et qui visiteront ladite chapelle le jour de la translation et
pendant l'octave, nous accordons deux ans et deux quarantaines, en plus
des indulgences concédées par nous le jour même de la canonisation.
Et en outre, pour cette fois-ci, nous accordons par une grâce
spéciale le pardon des péchés véniels à tous ceux qui viendront à ladite
chapelle le jour même de la translation.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 4 des kalendes de juillet,
l'an IIII de notre pontificat (28 juin 1298). »

1. (p. 267) Ces deux sermons ont été prononcés à Orvieto, le premier dans
le palais pontifical, le second dans l'église des frères mineurs, la cathédrale fondée en
1290 étant alors en pleine construction.
2. (p. 267) J. Favier, Philippe le Bel, Paris, 1977, p. 283-286; G. Digard, Philippe
le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304, Paris, 1936, 2 vol.
3. (p. 267) Depuis la destitution, le 10 mai 1297, des deux frères Jacques et
Pierre Colonna, le collège cardinalice ne comptait plus que seize Italiens et quatre
Français. Voici les noms de ces derniers : Hugues de Billon, dominicain et théologien,
cardinal prêtre de Sainte-Sabine, puis évêque d'Ostie (1288) ; Simon de Beaulieu,
archevêque de Bourges, devenu cardinal évêque de Palestrina ; Jean le Moine, canonist e ,
élu à l'évêché d'Arras, vice-chancelier de l'Église romaine, promu cardinal prêtre des
Saints-Marcellin-et-Pierre ; Nicolas de Nonancourt, ancien chancelier de l'Université
de Paris, cardinal prêtre du titre de Saint-Laurent in Damaso : ces trois derniers
nommés par Célestin V, au consistoire du 18 septembre 1294.
4. (p. 267) Sur le sermon de Mathieu d'Aquasparta, sur la déposition de Pierre
Colonna et sur la présence de Pierre Flotte, voir G. Digard, op. cit., t. I, p. 340.
5. (p. 267) Cf. L. Delisle, Opérations financières des Templiers, p. 226; Gallia chris-
tiana, t. IV, 158.
6. (p. 268) Mat., XXII, 21 : « Rendez à César de qui appartient à César et à
Dieu ce qui appartient à Dieu. »
7. (p. 269) Rapprochement de Ps. 90, 2 : « Rends aux superbes selon leurs
œuvres », et de Ps. 50, 14 : « Rends-moi la joie de ton salut » (pour les psaumes nous
suivons la numérotation de la Vulgate).
8. (p. 269) // Cor., V, 10 : « Tous, il nous faut comparaître devant le tribunal
du Christ, afin que chacun reçoive ce qu'il a mérité, étant dans son corps, selon ses
œuvres soit bien, soit mal. »
9 (p. 269) Ps. 75, 12 : « Faites des vœux et acquittez-les à Yahweh, votre Dieu. »
10. (p. 269) Luc., XVI, 2 : « Rends compte de ton intendance. »
LA CANONISATION 291
11. (p. 269) Rom., XIII, 8 : « Ne soyez en dette avec personne, si ce n'est de
l'amour mutuel. »
12. (p. 269) Rom., XIII, 7 : « Rendez donc à tous ce qui leur est dû : à qui
l'impôt, l'impôt ; à qui le tribut, le tribut ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l'honneur,
l'honneur. »
13. (p. 269) Rapprochement de Ps. 67, 37 et 150, 1. Le sens véritable est assez
différent de celui donné par la Vulgate latine ; d'une part : « De ton sanctuaire, ô Dieu,
tu es redoutable » et d'autre part : « Louez Dieu dans son sanctuaire. »
14 (p. 269) Le pape a donc vu ou connu personnellement saint Louis, sans doute
en 1264.
15. (p. 269) La vie de saint Louis s'est placée super hominem « au-dessus du
niveau de l'homme ». Cette expression très forte est employée deux fois par Boni-
face VIII, dans le premier sermon, éd. Ménard, p. 145, et dans le second, Ibid.,
p. 161.
16. (p. 269) Ps. 83, 8, selon la Vulgate : « Ils iront de vertu en vertu et le Dieu
des dieux sera vu à Sion », mais le sens véritable est assez différent.
17. (p. 270) Ps. 2, 6 : « Et moi, j'ai établi mon roi sur Sion, ma montagne
sainte. »
18. (p. 270) Prov., 4, 18 : « Le sentier des justes est comme la brillante lumière
du matin, dont l'éclat va croissant jusqu'à ce que paraisse le jour. »
19. (p. 270) Esther. XV. 17 : « Valde enim mirabilis es Domine et facies tua
piena est gratiarum », soit : « Vous êtes digne d'admiration, Seigneur, et votre visage
est plein d'amabilité. »
20. (p. 270) Ecclésiastique, XVI, 20, selon la Vulgate : « Qui annoncera ses
œuvres de justice ? »
21. (p. 270) Formule très célèbre empruntée à A. 84, 11 : « La justice et la
paix se sont embrassées », cette image a fourni le thème de nombreux tableaux
de justice disposés dans des tribunaux pour enseigner aux juges a rendu de bonnes
sentences.
22. (p. 270) Prov., XX, 28 : « La bonté et la fidélité gardent le roi et il affermit
son trône par la bonté. »
23. (p. 271) Voir sur cette affaire la déposition de Charles d'Anjou et Saint-
Pathus, p. 23-24.
24. (p. 271) Nouvelle allusion au séjour de Benoît Gaëtani en France, soit en
1264 soit en 1290. Pour l'épisode du moine lépreux, voir la déposition de Frère Adam
de Saint-Leu, abbé de Royaumont.
25. (p. 272) Mathieu, XIX, 27 : « Voici que nous avons tout quitté pour te
suivre... »
26. (p. 272) On découvre ici le schéma parfait de la « mort précieuse » : les actes
de piété, les derniers enseignements, les signes sur le corps, notamment le sourire sur
les lèvres du mort, selon la déclaration de Thibaut de Champagne (voir dans la
déposition de Pierre de Condé).
27. (p. 273) L'évolution qui va de la canonisation par la vox populi au rite de
V elevano présidée par l'évêque, puis à l'intervention plus fréquente de la papauté (rôle
de la Réforme grégorienne) n'aboutit à la pleine réserve pontificale qu'au XIIIe siècle
à la suite de l'action d'Innocent III, des décisions du concile du Latran et de la
rédaction du Recueil des décrétâtes, cf. N. Hermann-Mascard, Les reliques des saints, Paris,
1 975 ; A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age, École française
de Rome, 1981.
28. (p. 274) Formule restée très célèbre.
29. (p. 275) Cette formule vient d'une antienne des premières vêpres de la fête
de Noël et désigne naturellement le Christ. Elle ne se trouve pas telle quelle dans les
passages de l'Ancien Testament cités plus bas, où se trouve seulement soulignée la
grandeur de Salomon : « Magnificatus est ergo rex Salomon » et « Magnificatus est
igitur Salomon super omnes reges terrae ». Suivant les transposition habituelles en
292 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
exégèse médiévale, cette formule complétée par le mot « pacifiais » est appliquée au
Sauveur par la liturgie puis à saint Louis par Boniface VIII.
30. (p. 275) Cor., XII, 4 et 11.
31. (p. 275) III Rois (maintenant I Rois), X, 23 et II Parai, IX, 22.
32. (p. 276) On retrouve ici le lien entre paix et justice déjà signalé dans le
premier sermon (voir note 16) d'après le Psaume 84, 11.
33. (p. 276) Genèse 26, 12-13 : « Le Seigneur le (Isaac) bénit et l'enrichit et
celui-ci ne cessait pas de progresser jusqu'à devenir très riche. »
34. (p. 277) II Tim., IV, 8 : « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la
course... désormais m'est réservée la couronne de justice. »
35. (p. 277) Ecclésiastique, 46, 1 : « II fut vaillant à la guerre Josué, fils de Nun...
il se montra grand dans la délivrance des élus du Seigneur. »
36. (p. 277) Luc, 14, 11 : « Quiconque s'élève sera abaissé et quiconque s'abaisse
sera élevé. »
37. (p. 277) I Rois (on dit maintenant I Samuel), II, 21 : « Et le jeune Samuel
grandissait devant le Seigneur. » Ici l'orateur transforme le sens à partir du mot magni-
ficatus est.
38. (p. 277) Supra hominem, voir dans le premier sermon note 10. On retrouve
peut-être le souvenir d'une impression personnelle dans cette notation sur le visage
de saint Louis.
39. (p. 277) Ps. 113, 1 (selon la Vulgate : « Non pas à nous, Seigneur, non pas
à nous mais à ton nom donne la gloire. »
40. (p. 277) Judith, XVI, 19 : « Ceux qui te craignent sont grands devant toi
en toute chose. »
41. (p. 279) Cf. J. Gottschalk, Hedwig von Andechs. Herzogin von Schlesien, 1982,
96 p.
42. (p. 279) Dans Cl. Ménard, p. 162, la bulle est adressée à « tous nos
vénérables frères, archevêques et évêques, exempts et non exempts, établis dans le royaume
de France ». C'est certainement ce qui se trouvait dans le ms. Chartres 226.
Cependant le doute n'est pas possible, puisque l'original porte universis Christi fidelibus,
indiqué par R. H. F., XXIII, p. 154 en note.
43. (p. 279) Cf. Première épitre de saint Jacques, I, 17 : « Tout beau présent,
tout don parfait vient d'En- Haut et descend du Père des lumières qui ne connaît ni
vicissitude, ni ombre de changement. »
44. (p. 279) Dans ce contexte le mot « princes » ne doit pas s'entendre des
saints rois, mais des apôtres à qui le Christ a promis de les faire siéger dans son royaume
sur douze trônes afin de juger les douze tribus d'Israël, Luc 22, 30.
45. (p. 281) L'original et l'édition de Ménard (p. 168) portent en cet endroit
vicesimo, vingtième année; c'est évidemment une erreur que corrige l'éditeur du
R. H. F., t. XXIII, p. 155 : saint Louis né en 1215 était dans sa trentième année
quand il prit la croix en décembre 1244.
46. (p. 282) Sur cette affaire déjà mentionnée dans le premier sermon (voir
note 23), se reporter à la déposition de Charles d'Anjou et à Saint-Pathus, p. 23-24.
47. (p. 284) Le plus illustre des actes de charité accompli par saint Louis, voir
premier sermon (note 19) et la déposition de l'abbé de Royaumont (Saint-Pathus,
p. 94-96).
48. (p. 288) Sur les Indulgences, voir sub verbo, dans Catholicisme, t. V, 1962,
c. 1520-1528 (histoire, J.-C. Didier); C. Vogel, Le pécheur et la pénitence au Moyen Age,
Paris, Le Cerf, 1969 ; M. Villey, La croisade. Essai sur la formation d'une théorie juridique,
Paris, 1942.
49. (p. 289) Geoffroi de Beaulieu, Vie de saint Louis, ch. 46-49, éd. Cl. Ménard,
Joinville (1617), 2e partie, p. 74-77; Saint Louis à la Sainte-Chapelle, exposition,
catalogue, 1960, p. 86-87 : « Répartition des reliques de saint Louis ». Sur la dilacerano
corporis, voir P. Duparc, dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France,
1980-1981, p. 360-372.
CHAPITRE VI

QUELQUES VOIX CONTEMPORAINES


ÉTRANGÈRES AU PROCÈS

Ces trente-huit dépositions, si riches et si variées qu'elles soient, ne


disent pas tout sur la personnalité du saint roi. C'est pourquoi il peut être
intéressant d'en rapprocher, à titre d'information, quelques témoignages
recueillis hors enquête. Ce qui devrait surtout nous retenir, c'est le coup d'oeil,
le jugement porté sur le roi, beaucoup plus que le détail des événements, mais
il est bien difficile de séparer les éléments.

Salimbene d'Adam, 1248

La chronique du franciscain Salimbene d'Adam est une source bien


connue. Son auteur, né à Parme en 1221 et entré chez les Frères mineurs en
1238, resta toute sa vie un simple frère sans jamais revêtir la moindre dignité.
Il mourut après 1288 (dernier événement daté signalé dans sa chronique)
et peut-être longtemps après, car nous ne possédons pas les derniers feuillets
de celle-ci.
Son vrai titre de gloire est donc cette chronique qu'il composa à partir
de 1283. Énorme, diffuse et désordonnée, elle est cependant fort intéressante,
car l'auteur mêle constamment le récit de ses propres aventures à
l'histoire de son ordre et à celle de son temps. « Comme il a un excellent talent
de conteur, ses récits animés nous charment. Ses portraits sont très vivants
et bien campés, ses descriptions justes et imagées » (M. -Th. Laureilhe,
p. 152).
Les deux voyages qu'il fit en France, pendant lesquels il séjourna un
an et demi dans notre pays, constituent un morceau de choix, car il y
rencontra des personnages importants : le pape Innocent IV, le maître
général des franciscains Jean de Parme, le frère Hugues de Digne, célèbre
joachimiste, le frère Jean de Plan Carpin, revenu de Chine, et enfin le roi
saint Louis qui va retenir notre attention. Tous les chroniqueurs n'ont pas
eu pareille chance.
Cette chronique a été éditée par O. Holder-Egger, M. G. H., SS, t. 35
(1905-1913), p. 1-652; extraits en traduction française dans Frère Pacifique,
« Le voyage de Salimbene en France », dans La France franciscaine, t. I, 1912,
p. 21-75 (sur saint Louis, p. 32-37); et dans Sur Us routes d'Europe, chroniques
franciscaines traduites et commentées par M.-Th. Laureilhe, Paris, 1959, p. 145-218
(sur saint Louis, p. 174-180).
294 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS

Fra Salimbene et saint Louis à Sens


juin 1248
d'après M. -Th. Laureilhe
Fra Salimbene qui se trouvait au couvent d'Auxerre descend vers Sens
pour y assister au chapitre provincial de France. Il y rencontre non seulement
les autorités de l'ordre (le ministre général Jean de Parme, le ministre
provincial, ses conseillers) mais également le roi de France qui était en route vers
Aiguës Mortes afin de partir pour la croisade.
L'arrivée du souverain à Sens est présenté dans une jolie scène. Tous
les religieux vont à sa rencontrer ainsi que la population de la ville. Dans la
foule se trouve perdu le célèbre Eudes Rigaud, un ancien franciscain devenu
archevêque de Rouen, l'un des hommes les plus remarquables du temps.
Mitre en tête, crosse en main il s'agite en criant : « Où est le roi? où est
le roi ? » « Salimbene remarque aussi la simplicité des vêtements des hommes
et des femmes qui veulent accueillir le roi, mais il explique aussitôt cette
différence avec ce qui se passerait en Italie : « En France les bourgeois seuls
habitent les villes, tandis que les chevaliers et les nobles dames habitent dans leurs
châteaux et dans leurs terres. »
Et voici maintenant la silhouette de saint Louis, qui rappelle
étonnamment certaines images comme le dessin de la Bibliothèque de Carpentras.
« Le roi était long et grêle (subtilis et gracilis, conveniente et longus) avec un air
angélique et un visage plein de grâce. Il venait à l'église des frères mineurs,
non avec une pompe royale, mais en costume de pèlerin, portant le bourdon
et une cape qui ornait à merveille ses royales épaules. Il ne venait pas
à cheval, mais à pied. Ses frères, tous trois comtes, le suivaient avec la même
humilité et le même costume. »
A l'arrivée en ville, on offre au roi un grand brochet vivant dans un
bassin de bois plein d'eau. Puis commencent les choses sérieuses au chapitre.
« Quand nous fûmes asemblés en chapitre, le roi parla d'abord de ses
affaires. Il se recommanda avec ses frères, la reine, la reine-mère et toute sa
suite. Il s'agenouilla pieusement et demanda les prières et les suffrages
des frères. »
Sur la nature des « affaires » qui occupent le roi, nous sommes
renseignés par la réponse de Jean de Parme, le ministre général : « Le seigneur
roi entreprend réellement ce voyage et cette croisade pour glorifier Notre-
Seigneur Jésus-Christ, porter secours à la Terre Sainte, combattre les
adversaires et ennemis de la foi et de la croix du Christ, pour l'honneur de l'Église
universelle et de la religion chrétienne, et pour le salut de son âme et de celle
de tous ceux qui doivent passer la mer avec lui. » En conséquence le ministre
général promet les prières de l'ordre, chaque prêtre devant notamment
célébrer quatre messes pour le roi. Nul ne sera étonné de cet accord
mutuel sur l'importance fondamentale de la prière dans la bonne marche
du mundi cursus.
Mais l'homme a aussi besoin de pain, en plus de la parole de Dieu.
Salimbene, qui est un bon vivant, décrit donc avec délectation le repas
succulent et abondant (mais strictement maigre) qui fut servi à toute
l'assemblée : « Au dîner (le « déjeuner » actuel) nous eûmes d'abord des cerises, puis
QUELQUES VOIX CONTEMPORAINES ÉTRANGÈRES AU PROCÈS 295
du pain très blanc, du vin abondant et excellent, digne de la magnificence
royale. Et selon l'habitude des Français, il y avait beaucoup de convives qui
s'empressaient d'inviter et de pousser à boire ceux qui ne voulaient pas. Nous
eûmes ensuite des fèves nouvelles cuites au lait, des poissons et des écrevisses,
des pâtés d'anguilles, du riz au lait d'amandes, saupoudré de cinnamone,
des anguilles assaisonnées avec les meilleures sauces, des tourtes, des
fromages frais et des fruits. Nous eûmes tout le nécessaire abondamment
et convenablement. »
Le lendemain saint Louis reprit la route pour Aiguës-Mortes, suivi par
notre Salimbene qui pour son compte gagnait un couvent de Provence. En
chemin d'ailleurs le roi faisait d'incessants crochets pour aller visiter des
ermitages franciscains afin d'y quêter des prières. Il en fut ainsi jusqu'à
l'embarquement, le 25 août 1248.
Salimbene revient alors en arrière sur l'étape de Vézelay qui eut lieu
très vraisemblablement le 21 juin 1248. Le roi et ses trois frères se rendirent
au couvent des franciscains encore récent et fort modeste. Ils entrèrent dans
l'église et tandis que les religieux utilisaient des bancs le roi délibérément s'assit
par terre dans la poussière, « car l'église n'était pas pavée ». Le roi alors les
appela près de lui. Tout le monde fit cercle par terre et le roi se recommanda
à tous en sollicitant leurs prières. Toute cette scène s'était déroulée sous les
yeux de Salimbene.

Le Khan mongol Sartach, 1253


d'après la relation de guillaume de rubrouck

Les quelques mots du Khan mongol Sartach, rapportés par Guillaume


de Rubrouck, sont riches de signification, à la fois par leur origine et par la
personnalité du messager. C'est en effet la preuve que dès le XIIIe siècle le
nom et le prestige de saint Louis dépassèrent les frontières du monde
chrétien, portés par ces voyageurs — à la fois missionnaires, ambassadeurs et un
peu espions — qui pénétrèrent les immensités de l'Empire mongol. Le
premier de ces « explorateurs » fut le franciscain Jean de Plan Carpin (1245-1247)
envoyé par le pape Innocent IV. C'est son successeur, un autre franciscain,
qui nous intéresse ici.
Frère Guillaume de Rubrouck, qui porte le nom d'un village de la
Flandre française près de Cassel, était un familier de saint Louis et avait
accompagné le roi dans sa croisadce de 1248, la septième de la liste standard. C'est
donc dans le Proche-Orient qu'il reçut du souverain la mission d'aller chez
les Mongols, pour leur prêcher la foi : une audace assurément, mais
encouragée par diverses rumeurs et par la très ancienne présence des chrétiens nesto-
riens jusqu'en Asie centrale (origine de la légende du prêtre Jean). Rubrouck
partit donc de Constantinople — qui était encore le siège d'un empire latin
— en avril 1253. Il traversa la Russie du Sud, franchit le Don et la Volga
et rencontra dans ces parages le Khan Sartach (31 juillet-3 août) qui passait
pour être chrétien, c'est-à-dire nestorien et qui l'était peut-être. Nous
reviendrons dans un instant sur son témoignage. Sartach envoya le messager à son
père Batou, le Khan de la Horde d'or sur la Volga, qui à son tour l'expédia
vers Mangou, le grand Khan des Mongols. Pour joindre celui-ci, il fallut aller
296 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
jusqu'à Karakorum, où Rubrouck arriva en avril 1254. NatureUement l'envoyé
chrétien fut bien incapable de convertir le Fils du Ciel, qui au contraire lui
remit des lettres arrogantes destinées à saint Louis, pour inviter ce dernier
à une soumission totale... Le voyage de retour prit encore un an : Rubrouck
se retrouva à Chypre en juin 1255. L'expédition s'était donc étirée sur vingt-
cinq mois et 16.000 kilomètres.
Notre missionnaire-explorateur composa alors une copieuse relation
destinée à saint Louis. Il y montre de réelles qualités d'ethnologue et de
géographe et surtout ses récits pleins de vie sont remplis de détails
pittoresques habilement mis en valeur.
Tel est bien le cas pour l'audience accordée par Sartach le 1er août 1253,
l'échange étant rendu possible grâce à un interprête nestorien, grand
personnage de l'entourage du Khan. « Sa cour, déclare Rubrouck, nous parut très
grande, car il a six épouses et son fils aîné, à côté de lui, en a deux ou trois ;
chacune d'entre elles a une grande maison et quelque chose comme deux cents
chariots. » Le franciscain commença par s'excuser de ne pouvoir offrir de
cadeau précieux, étant donné son état de moine, une excuse que Sartach admit
avec mansuétude.
Puis l'échange se fit plus familier. « II nous fit asseoir et nous donna à
boire de son lait et, peu après, nous demanda de lui donner la bénédiction,
ce que nous fîmes. Il demanda aussi qui était le plus grand seigneur parmi
les Francs... Je répondis : « L'Empereur, s'il pouvait garder son pays en
paix » — « Non, dit-il, c'est le Roi. » En effet il avait entendu parler de vous
(n Oublions pas que la relation est adressée à saint Louis) par messire Baudouin de
Hainaut {un chevalier au service de l'Empire latin). » Bref témoignage plein
d'intérêt : ce Khan tartare écarte la fiction juridique de la supériorité de
l'empereur, pour s'attacher à un fait assuré, la puissance et le prestige du roi de
France. Il rejoignait ainsi sans le savoir la notion de « roi des rois » (c'est-à-
dire de roi par excellence) mise en avant par Mathieu Paris.
Guillaume de Rubrouck, Voyage dans l'Empire mongol (1253-1255),
traduction et commentaire de Claude et René Kappler, Paris, Payot, 1985, 318 p.
Le passage cité se trouve p. 117-118 (abondante bibliographie).

Mathieu Paris, 1254

En dépit de son nom, Mathieu Paris (t 1259) était anglais de nation et


de cœur. Moine bénédictin de l'abbaye de Saint- Albans (diocèse de Lincoln),
il est l'auteur d'une Grande chronique, bien documentée, surtout pour la période
postérieure à 1233 qui représente une contribution tout à fait originale. Les
dires de Mathieu Paris sont marqués par de vigoureux parti pris : il n'aime
pas la cour, les favoris étrangers du roi Henri III, la curie romaine. Les
éloges qu'il décerne au roi de France Louis IX, par exemple dans le passage
ci-dessous, n'en sont que plus remarquables. On notera aussi la précision des
détails qui révèle un témoin oculaire.
Sur Mathieu Paris, voir A. Molinier, Les sources de l'histoire de France, t. III,
1903, n° 2730 ; pour le passage utilisé, voir l'édition de H. R. Luard, Mathaei
Parisiensis chronica majora, vol. V, London, 1880, p. 478-483, et la traduction
QUELQUES VOIX CONTEMPORAINES ÉTRANGÈRES AU PROCÈS 297
française de A. Huillard-Bréholles, Lagrande chronique de Mathieu Paris, t. VIII,
1840, p. 76-83.
Pour comprendre ces événements qui se déroulèrent à la fin de l'année
1254, il faut se rappeler les liens de famille qui unissaient les deux rois,
Henri III et saint Louis ayant épousé deux soeurs, Aliénor de Provence pour
le premier et Marguerite de Provence pour le second. Le réseau familial était
encore renforcé par le fait que deux frères de ces souverains, Richard de Cor-
nouailles en Angleterre et Charles d'Anjou en France avaient eux aussi épousé
des princesses provençales sœurs des précédentes. Sur le plan politique,
Henri III était fragilisé par la montée d'une opinion nobiliaire, tandis que
saint Louis rentré seulement depuis trois mois était tout auréolé de son long
pèlerinage d 'outre-mer (qui avait duré six ans).
Ainsi donc Henri III qui était en Gascogne désirait vivement rencontrer
saint Louis. Il obtint l'autorisation de traverser le royaume avec une escorte
et une suite nombreuse (mille hommes). Le roi de France vint à sa rencontre
et c'est à Chartres que les deux beaux-frères se jetèrent dans les bras l'un de
l'autre et échangèrent le baiser de paix. En l'honneur de ce visiteur illustre
les citoyens des villes étaient invités sur son passage à déblayer les rues de
tous les immondices et morceaux de bois qui les encombraient, à suspendre
aux façades des tapis, des feuillages et des fleurs, à les parer de tous
ornements, les cloches des églises sonnant à toute volée et chacun devant revêtir
ses habits de fête. ι
A l'approche de Paris, le seigneur roi de France proposa à son hôte de
choisir le logis où il ferait résidence : soit son palais au milieu de la cité, soit
le Vieux Temple qui est hors de la ville. C'est ce dernier qui fut choisi, ses
bâtiments étant plus vastes et les logements plus confortables, et pourtant bien
des gens de la suite durent dormir à la belle étoile. Les écoliers de l'Université
— en particulier ceux qui appartenaient à « la nation anglaise » —
participèrent à l'accueil dans la capitale en se rendant au devant des souverains
avec des rameaux, des fleurs, des guirlandes, des couronnes et au son des
instruments de musique. Ils avaient pour l'occasion renoncé à « leurs leçons
et disputations ».
Le lendemain de grand matin les pauvres fort nombreux furent
abondamment pourvus de vivres par le roi d'Angleterre; puis le roi de France fit
visiter à son hôte la magnifique chapelle qui est dans son palais et où se
trouvent des reliques incomparables. D'autres lieux honorables de la ville furent
également l'objet de pieuses visites. Dans tous ces déplacements, comme
Mathieu Paris le note un peu plus loin, le roi d'Angleterre admira «
l'élégance des bâtiments qui dans la ville de Paris sont faits en chaux cuite, c'est-
à-dire en plâtre (l'auteur vise ici les façades), ainsi que les maisons à trois
arceaux et à quatre étages ou même plus, aux fenêtres desquelles apparaissait
une foule infinie de curieux ».
La description d'un banquet princier est toujours pain bénit pour le
chroniqueur médiéval. C'est bien ce qu'on peut constater à propos du festin
offert au Vieux Temple par le roi d'Angleterre. Ses fastes se déroulèrent dans
la salle royale aux quatre murs ornés de boucliers (d'armoiries) « selon la
coutume d'outre-mer » (faut-il entendre « du Levant » ou d'Angleterre?) parmi
lesquels se trouvait l'écu de Richard Cœur de Lion. Après plusieurs assauts
de courtoisie saint Louis accepta de présider la table et voici comment Mathieu
298 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
Paris explique cette préséance : « Le seigneur roi de France, qui est le roi
des rois de la terre, tant à cause de l'huile céleste dont il a été oint, qu'à cause
de son pouvoir et de sa prééminence en chevalerie. » II eut donc à sa droite
le roi d'Angleterre et à sa gauche le roi de Navarre et plus bas siégeaient,
chacun suivant son rang, les ducs, les comtes et barons, les chevaliers
notables sans oublier bien entendu les princesses royales et les comtesses...
Pendant ce temps, dans les cours du château on donnait à manger et à boire
à tout venant, sans contrôle...
Après un pareil banquet (d'ailleurs entièrement maigre, car c'était un
« jour à poisson »), le roi de Fance exigea formellement que le roi
d'Angleterre vînt loger dans son palais, au milieu de la ville. « Laissez-moi faire,
dit-il, car il convient que j'accomplisse tout ce qui est courtoisie et justice »,
puis il ajouta en souriant : « Je suis seigneur et roi dans mon royaume, je
veux donc être le maître chez moi. » Alors, le roi d'Angleterre se laissa
conduire...
Le séjour d'Henri III à Paris dura toute une semaine sans déboucher
sur un résultat politique bien précis. A travers tout le récit du chroniqueur
on sent une hostilité latente contre les Français (considérés comme des couards,
des orgueilleux, des entêtés) et d'autre part le souci d'exempter saint Louis
de toute condamnation : sa volonté de paix est indiscutable, mais elle est
contrariée par « l'orgueil de ses barons ». Par exemple dans ces deux
passages : « Le pieux roi de France reprit, mais à voix basse : Plût à Dieu que
chacun obtînt son droit sans être lésé! Mais l'orgueil des Français ne le
supporterait pas ». Ou encore : « Plût à Dieu que les douze pairs de France
et le baronnage consentissent à mon désir! Nous serions certes des amis
indissolubles. Notre discorde est pour les Romains une excitation à se
déchaîner et un sujet de s'enorgueillir ». C'est là une explication du type « bouc
émissaire » ; il ne faut pas toucher au roi de France, dont la sainteté est
indiscutable ; tout le mal vient de son entourage. C'est au moins l'expression d'un
fait d'opinion.

Thomas de Cantimpré (t 1270-1272)

Thomas de Camtimpré, né sans doute en 1201, tire son nom du


monastère de chanoines réguliers de Cantimpré aux portes de Cambrai, où il passa
quinze années. Puis, sans doute en 1232, il entra dans l'ordre dominicain alors
dans l'éclat de son premier printemps. Il devint ainsi religieux du couvent
de Louvain, à partir duquel il s'appliqua à toutes les tâches pastorales,
prolongées par la rédaction de nombreux ouvrages. Il fut en effet écrivain
fécond. Outre un Liber de natura rerum, sorte d'encyclopédie des « sciences
naturelles », on lui doit toute une série de biographies pieuses, consacrées surtout
à des béguines des Pays-Bas. Mais son titre de gloire aux yeux des historiens,
c'est son Bonum universale de apibus (« le Bien universel tiré des abeilles »)
composé entre 1256 et 1263 (avec des additions ultérieures). Ce titre étrange
s'explique fort bien, puisqu'il s'agit d'une sorte de traité de morale pratique
dans le cadre d'un développement allégorique sur les abeilles. A partir des
vertus attribuées à ces insectes, Thomas trace les devoirs des praelati et des
subditi, c'est-à-dire des supérieurs religieux et de ceux qui leur doivent obéis-
QUELQUES VOIX CONTEMPORAINES ÉTRANGÈRES AU PROCÈS 299
sance, mais au-delà de ce monde claustral tout l'ensemble des fidèles se trouve
visé. Le traité s'appuie sur tout un trésor d'anecdotes (les fameux exempla)
provenant de la fable, de l'histoire ou de l'expérience personnelle de l'auteur.
Et c'est ici que nous rencontrons saint Louis, dont Thomas de Cantimpré
(mort sans doute en 1270-1272) est l'exact contemporain. Il en est souvent
question dans le Bonum universale pour des interventions royales capables
d'illustrer telle ou telle vertu. C'est ainsi que Thomas raconte la double
condamnation du Talmud (1240-1242), le départ de la famille royale pour
le « pèlerinage d'outre-mer », la protection accordée aux dominicains et aux
franciscains lors de la longue polémique universitaire qui les mit aux prises
avec les séculiers, l'envoi en Chine d'une ambassade de frères mendiants pour
la conversion des Tartaree. Il s'agit là d'informations largement répandues
par ailleurs, mais ce qui est moins connu et qui mérite d'être relevé, c'est
l'opinion personnelle de Thomas de Cantimpré sur le saint roi. Lui qui est
d'une manière générale si sévère pour le monde princier et seigneurial, source
de tant de violence dans la société, il fait une exception insigne pour saint
Louis. « Rends grâces au roi du ciel, rends grâce au Christ, prince du salut,
ô Eglise ; rends grâces surtout, prêcheur et mineur ; rendons tous de
solennelles actions de grâces à Dieu qui a donné un tel roi à ce temps, un roi qui
tient son royaume d'une main forte et qui pourtant fournit à tous des
exemples de paix, de charité, d'humilité. »
Sur cette vertu d'humilité le Bonum universale nous raconte encore une
anecdote bien intéressante. Elle sera présentée dans l'article suivant, car il
s'agit d'un jugement d'origine étrangère et bien précise.
Thomas de Cantimpré, Bonum universale de apibus, édition G. Colvenere,
Douai, 1617. Les passages cités se trouvent p. 17, 174-176, 319, 525-527,
588-590.
Sur cet auteur, H. Platelle, « Le recueil de miracles de Thomas de
Cantimpré et la vie religieuse dans les Pays-Bas et le nord de la France au
XIIIe siècle », dans Actes du 97* Congrès national des sociétés savantes (Nantes, 1972),
Paris, Bibliothèque nationale, 1979, p. 469-498.

Le messager du comte de Geldre Otton II (t 1271)

Voici la traduction exacte du passage de Thomas de Cantimpré (p. 588).


« Combien la profonde humilité du roi de France est agréable à Dieu,
le Christ, roi universel, l'a montré par un miracle évident. Le comte de
Geldre Otton, très noble parmi les comtes de Germanie, avait envoyé un
messager à Paris pour y porter des lettres, avec ordre de revenir à bride abattue.
A son retour, le comte l'interrogea en lui demandant s'il avait vu le roi de
France Louis. Alors celui-ci, par dérision, mit son cou de travers et dit :
« Je l'ai vu; j'ai vu ce misérable roi papelard, ayant pour couvre-chef une
capuche pendant par derrière. » Ce disant, il tordait sa silhouette, mais il resta
contrefait. »
II est très facile d'identifier le personnage en question : il s'agit d
Otton II comte de Geldre (1229-1271) qui épousa en secondes noces la française
Philippa, fille du comte de Ponthieu, Simon de Dammartin. On comprend
300 LE PROCÈS DE CANONISATION DE SAINT LOUIS
donc très bien que ce personnage qui avait des intérêts en France pouvait avoir
besoin d'envoyer un messager à Paris, quand ce ne serait que pour une affaire
de procès (cf. E. I. Strubbe et L. Voet, De Chronologie, Antwerpen, 1960,
p. 360). Quant à la réaction négative, elle n'a rien d'étonnant, car elle se
retrouve en France et dans des milieux élevés. C'est ce qu'explique
précisément Thomas de Cantimpré dans le passage qui fait immédiatement suite.
Des clercs séculiers en effet étaient choqués par la modestie excessive du roi.
« Ils font péché mortel, disait un prédicateur, ces frères prêcheurs qui
conseillent tant d'humilité au roi. » Thomas de Cantimpré défend ses
confrères en remarquant que « le très glorieux roi Philippe, son aïeul, ne
s'habil ait que de camelin en temps ordinaire et le roi Louis VIII, son père, je ne
l'ai jamais vu porter la pourpre. » II n'empêche : on sent bien qu'il s'agit
là d'un point assez sensible dans l'opinion. Quant au « cou tordu » imité
méchamment par cet étranger, il suffit de se rappeler la silhouette dessinée
par Salimbene (un roi long et grêle) et d'y ajouter les premiers effets de l'âge,
car saint Louis devint de bonne heure chauve et un peu courbé... comme on
le voit, toutes les données se recoupent dans ce petit témoignage.

La reine Marguerite (t 1295)


et ses confidences hors enquête à Guillaume de Saint-Pathus

Comme on a pu le voir par la liste officielle des témoins, qui est à la


base de ce travail, la veuve de saint Louis, la reine Marguerite de Provence,
n'avait pas été appelée à déposer lors de l'enquête sur la vie de son mari.
On doit donc attacher le plus grand prix à quatre informations transmises
par Saint-Pathus, qui ne peuvent venir que d'une confidence recueillie de sa
bouche. Souvenons-nous que le franciscain avait été pendant dix-sept ans le
confesseur de la reine durant son veuvage (de 1277 à 1295) et qu'il appelait
respectueusement sa pénitente « ma bonne dame ». Ces renseignements
— qui, bien entendu, ne mettent pas en jeu le secret de la confession —
sont fort précieux, car ils nous font pénétrer dans la vie du couple. Saint-
Pathus les a insérés soit dans le biographie du roi (édition H. Fr. Delaborde,
1899) soit dans le panégyrique qu'il composa à la gloire du nouveau saint
(H. Fr. Delaborde, « Une œuvre nouvelle de Guillaume de Saint-Pathus »,
dans B. É. C, t. 63, 1902, p. 263-288).
1) Vie, p. 129, et Sermon, $ 21 début. Il s'agit de la continence de saint
Louis. « Alors qu'il était jeune, beau, aimable aux yeux de tous, il épousa,
grâce à la prévoyance de sa mère la reine Blanche et des sages du royaume
de France, la fille aînée du comte de Provence, Madame Marguerite. Quand
il se fut retiré avec elle, le benoît roi, obéissant au conseil de l'Ange du Grand
Conseil, à savoir le benoît Fils de Dieu it et imitant l'exemple de Tobie2 se
mit en oraison pendant trois nuits avant d'approcher sa femme et il enseigna
à celle-ci d'en faire autant, comme la dite dame l'a rappelé par la suite. »
2) Sermon, S 21 fin. Il se comporte de même quant à la pureté du regard.
« Ma bonne dame, la reine Madame Marguerite, son épouse, m'a raconté
que dans ces jours où il avait coutume d'observer la continence il lui arrivait,
dans la fatigue des affaires, de se rendre pour se détendre au lieu où se trou-
QUELQUES VOIX CONTEMPORAINES ÉTRANGÈRES AU PROCÈS 301
vaient sa femme et ses enfants. Le roi et la reine étaient alors assis côte à côte,
mais le roi saint et chaste, en parlant avec sa dame, gardait les yeux fixés en
terre. A cette vue, la dame craignant qu'il ne soit fâché contre elle lui dit :
« Monseigneur, qu'y a-t-il donc? Vous ne voulez pas me regarder. Ai-je fait
quelque chose qui vous ait déplu? » « Non, Madame », répondit-il. «
Pourquoi donc ne me regardez-vous pas? », reprit la dame. Il répondit alors :
« II n'est pas bon à l'homme de regarder ce qu'il ne peut pas acheter. »
3) Sermon, § 23. A propos des prières nocturnes du roi : « Parfois il se
levait au milieu de la nuit pour louer le Seigneur et la reine de bonne
mémoire lui jetait sur les épaules quelque vêtement pour qu'il ne prît
pas froid. »
4) Vie, p. 30. Ce dernier trait de vertu concerne en vérité la reine
Marguerite en personne, mais il est le digne pendant de l'attitude du roi.
La scène se passe sur la nef royale lors du voyage de retour de Terre Sainte
en 1254, au moment où le bateau heurte un haut fond. « IL ne faut pas
oublier une parole que la reine Marguerite dit à [Guillaume de] Saint-Pathus
son confesseur. Alors que le benoît roi, la reine et leurs enfants étaient en grand
péril, les nourrices des enfants vinrent la trouver et lui dirent : « Madame
que ferons-nous de vos enfants? Devons-nous les réveiller et les lever? Et la
dame, désespérant de la vie corporelle des enfants et de la sienne propre, leur
répondit : « Vous ne les éveillerez pas, ni ne les lèverez, mais vous les
laisserez aller à Dieu en dormant. » Et elle le dit comme une personne qui
avait grande espérance qu'ils dussent tous vivre éternellement en paradis. »
Ce trait assurément très révélateur est le digne pendant de ce que Joinville
nous apprend sur le roi, sur son dévouement envers ses hommes et son
inébranlable confiance dans la Providence.

1. Cet « Ange du grand conseil » identifié au Christ provient de la prière


Supplices te rogamus du canon romain de la messe. Cf. J. A. Jungmann, Missarum solemnia,
t. III, Paris, 1953, p. 153.
2. Cf. Livre de Tobie, VIII, 4.
CONCLUSION

La dernière épreuve des saints, a-t-on dit, c'est l'œuvre de leurs


biographes. Nous espérons que le travail ici présenté échappe à ce
travers, puisqu'il suit fidèlement la documentation en donnant la parole
aux témoins eux-mêmes. Ils éprouvaient tous une vive admiration pour
leur héros ; il n'est pas sûr que tous les contemporains aient eu le même
jugement (par exemple les juifs) et les hommes du XXe siècle de leur
côté peuvent avoir d'autres critères. Cependant, ces textes nous font
connaître un homme qui a essayé de vivre à fond sa foi dans sa vie
privée, dans sa fonction royale et jusque dans les épreuves de la
croisade. Une telle authenticité n'est pas courante et l'on comprend
l'admiration et la ferveur qui l'ont entouré. Songeons à Boniface Vili qui
dans un sermon est allé jusqu'à le qualifier de surhomme {super homo).
De son vivant déjà, l'opinion générale le considérait comme un saint ;
la canonisation de 1297 a officialisé ce jugement et il demeure pour la
postérité, quoi qu'il arrive, Louis IX le saint.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

On a omis des termes qui reviennent constamment comme France, Louis IX


ou saint Louis. Les noms de lieu sont imprimés en italique.

A Alençon, 160, 194.


Alexandre II, roi d'Ecosse, 165.
Abbecourt, abbaye de prémontrés, 248. Alexandre III, pape, 13.
Aceline, femme de Jean de Sailly, Aliaume, 174.
199. Alice (sœur), 28, 136, 253-261.
Acre, 30, 42, 47, 48, 74, 81, 98, 99, Aliénor de Provence, reine
102, 108, 111, 117, 164, 168, 183, d'Angleterre, 297.
196, 197, 198, 284. Alix de Bretagne, 160.
Adam de Boonells, 219. Alix de Grandpré, épouse de Jean
Adam de Glaignes, 213. dejoinville, 186, 188.
Adam de Melun, 247. Alix de Montfort, 170, 173, 174,
Adam, curé de Plailly, 221. 175.
Adam le Queu, 197. Alix de Nesle, 175.
Adam de Saint-Leu, abbé de Royau- Alix de Reynel, 188.
mont, 26, 121, 236-237, 291. Allemagne, 47, 154.
Adam de Soisy, 182. Almogaraves, routiers catalans, 151,
Adam de Villebéon, 199. 155, 156, 164.
Ade (sœur), 28, 137, 261-262. Alpes, 14, 23.
Adrien V, pape, 18. Alphonse X, roi de Castille, 148,
Afrique, 14, 54, 201, 227. 149, 166, 167, 212.
Agathe de Pierrefonds, 261. Alphonse, comte d'Eu, fils de Jean
Agar, épouse d'Abraham, 284. de Brienne, 77, 164, 165, 171.
Agde, 247. Alphonse de Poitiers, frère de saint
Agenais, 233. Louis, 68, 69, 70, 74, 75, 76, 82,
Agnès, épouse de Thibaud II de 98, 108, 121, 145, 152, 161, 167,
Cressonsacq, 217. 187, 194, 212, 233, 244, 282, 283,
Agnès Mon voisin, épouse de Dreux 284, 286.
de Cressonsacq, 216. Alphonse de Portugal, 170.
Aguafreda, 151, 156. Aman, personnage biblique, 72.
Aigrefin, 193. Amaury de Montfort, 170, 194.
Aiguës-Mortes, 21, 31, 53, 138, 152, Amaury de Nesle, 174.
160, 188, 201, 211, 227, 238, 240, Amaury de la Roche, 239.
294, 295. Amaury, évêque de Senlis, 237.
Ailly-sur-Noye, 168, 170. Amblincourt, 177.
Aimery de Montfort, 194. Ambroise (saint), 44, 278.
Aimon de Faucigny, 186. Ameline de Billy, épouse de Jean de
Albano, 226. Crouy, 203.
Albert de Habsbourg, empereur, Amiens, 18, 19, 88, 165, 174, 175,
191. 194, 217, 221, 233.
Albigeois, 110, 217. Anagni, 23, 266.
304 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

Angleterre, 14, 47, 99, 148, 158, 189, Avignon, 23, 24, 152, 163, 169.
214, 218, 245, 297. Avranches, 18.
Anjou, 83, 84, 152 ; voir aussi Charles
d'Anjou, roi de Sicile.
Anseau le Bouteiller, chevalier, 220. Β
Anseau de Cressonsacq, 217.
Anseau de Join ville, 192. Babylone, voir (Le) Caire.
Anselme (saint), 105, 111. Bagdad, 72.
Aquilée, 22. Bagneux, 182.
Aragon, 142, 143, 144, 148, 149, 150, Bailleul (dans l'Oise), 177.
156, 158, 172, 191, 197, 198, 201, Bar (conte de), 79, 97, 171.
230, 235. Bar-sur-Seine, 191.
Archambaud, comte du Périgord, Barbette (Porte à Paris), 131.
161. Barcelone, 143, 144, 150, 151, 156.
Arcis, 194, 233. Baron, 219.
Arezzo, 18. Barre (La), abbaye d'augustines à
Argenteuil, prieuré de Saint-Denis, Château-Thierry, 162.
132, 201, 227, 239, 242. Barre de Rouvroy (la), bois, 218.
Argueil, 196. Barthélémy (saint), 221, 240.
Aristote, 250. Barthélémy de Pennautier, 211.
Arles, 152. Basilicate, 156.
Armagnac, 147, 151. Bath, 235.
Armaucourt, 218. Batou, khan mongol, 295.
Arnau, évêque de Barcelone, 143, Baudouin IX, comte de Flandre, 169.
144. Baudouin de Hainaut, 296.
Arnoul (saint), 239. Baudouin, juif converti, 198.
Arnoul de Courfraud, 241. Bayern, 146, 147, 193, 211, 226, 228.
Arnoul, chanoine de Senlis, 205. Bayonne, 168.
Arras, 117, 192, 193, 195, 207, 290. Béatrice de Nesle, 174.
Artois, 241. Beatrix, dauphine, 188.
Asnières- sur-Oise, 121. Beatrix d'Auxonne, 186, 188.
Assise, 23, 24, 263. Beatrix de Bourbon, 168.
Assur, 102. Beatrix de Provence, 152, 153, 154.
Aubert le Clerc, 252. Beaucaire, 188, 197, 198, 201, 211,
Aubert de Malle, 163. 244.
Augustin (saint), règle de, augus- Beaulieu-les-Fontaines, 162, 170, 174;
tins, augustines, 44, 54, 57, 132, voir aussi (La) Franche- Abbaye,
154, 162, 181-183, 236, 238, 254- près de Beaulieu.
261, 262. Beaumont-sur-Oise, 162, 175, 176, 177,
Aunis, 147, 187. 196, 235.
Aurillac, abbaye bénédictine, 234. Beaune-la-Rolande, prieuré de Saint-
Auteuil (Yvelines), 210, 216. Denis, 236.
Autriche, 191. Beaupré, abbaye cistercienne, 170,
Auvergne, 167. 173, 174.
Auxerre, 20, 21, 143, 144, 229, 273, Beauvais, 19, 26, 27, 143, 144, 170,
294. 173, 174, 176, 177,216,217,221,
Averroès, 250. 223, 236, 237, 244, 245, 248, 252,
Avesnes, 160. 284.
Avesnes et Dampierre (querelle des), Bec (Le), abbaye bénédictine, 111.
152. Bélinas (Palestine), 100.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 305
Béguines, 39, 162. Bonneuil-sur-Marne, 14.
Bémont, 219. Bordeaux, 150, 155.
Bénédictins, relevé incomplet (voir Bouillant, 219.
en outre les nombreuses mentions Boulogne, 163.
concernant Saint-Denis), 57, 79-81, Bourbonnais, 168.
111, 132, 163, 165, 167, 169, 174, Bourges, 150, 165, 235, 290.
189, 201, 203, 209, 215, 217, 224, Bourgogne, 14, 79, 117, 194, 233.
225, 233, 234, 236, 243, 246, 247, Bouteinviller, 182.
250, 253, 296. Bouville, 179, 213, 214.
Bénévent, 153, 154, 164, 237. Bouvines, 154, 169.
Benoît XI, pape, 23. Bouvresse, 170.
Benoît XII, pape, 23. Brabant, 230.
Benoît Caetani, futur Boniface VIII, Bretagne, 79, 80, 81, 189.
22, 25. Bricquebec, 172.
Bérengère de C astiile, 164. Brie, 167, 188, 190, 221, 246.
Bernard de Soissons, architecte, 204. Brosse (La), 196.
Bernes, 176, 177. Bruges, 169.
Berneval, prévôté de Saint-Denis, 224. Bruyères, près de Bernes, 177.
Bernier de Nivelle, 250, 251.
Berry, 195.
Bertrand de Got, futur Clément V,
23.
Béthisy, 204, 206, 207. Caduques, port en Catalogne, 151.
Bethléem (Palestine), 58, 122. Coen, 114, 132, 251.
Béziers, 210, 211, 244. Cagliari, 201, 227, 239.
Biackes, abbaye cistercienne, 174. Cahorsins, 230.
Biche, financier lombard, 247. Caïffa, 100.
Blanche d'Artois, reine de Navarre, Caire (Le), appelée aussi Babylone,
148, 190. 54, 72, 284.
Blanche de Castille, reine, mère de Calabre, 31, 57, 149, 155, 156, 163,
saint Louis, 11, 12, 13, 26, 32, 46, 164, 228.
68, 75, 142, 145, 152, 164, 168, Cambrai, 221, 298.
169, 170, 171, 175, 186,209,236, Cana, en Palestine, 42.
281, 300. Cantimpré à Cambrai, 298.
Blanche de France, fille de saint Cantorbery, 111.
Louis, épouse de Fernand de la Carcassonne, 53, 147, 194, 210, 211,
Cerda, 24, 36, 102, 148, 162, 166, 244.
167, 168, 170. Carmes, 57, 114.
Blanche de France, fille de Carpentras, 294.
Philippe III le Hardi, 191. Carthage, 29, 31, 54, 55, 61, 76, 129,
Blancs-Manteaux, 47. 145, 146, 172, 182, 201, 208, 211,
Blincourt, 176. 212, 227, 228, 229, 239, 240, 242,
Blois, 79, 160, 194, 209, 224, 233. 245, 263.
Bocquet, 252. Cassel, 295.
Bois-Gautier (Le), 196. Castelréal, 85.
Bologne, 31, 57, 212. CastilU, 148, 149, 158, 166, 167,
Bonafilia, juive, 251. 168, 194, 230, 240.
Bonaventure (saint), 14. Castres, 194.
Boniface VIII, pape, 11, 15, 191, 243, Catalogne, 142, 151, 171, 197, 198,
265-289, 291, 292, 302. 201.
20
306 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Catherine, épouse de Guillaume le Chauny, 79, 171, 183, 232.
Breton, valet de chambre, 200. Cheminon, 188.
Catona, en Calabre, 149, 155, 164. Chevreuse, 182.
Célestin V, pape, 22, 266, 290. Chine, 293, 298.
Centigny, 162. Choisy, 199.
Cerda (infants de la), 148, 149, 166, Chypre, 48, 76, 102, 104, 165, 216,
167, 168, 208. 296.
Cesaree, 30, 46, 100, 102, 106, 107, Cisterciens, cisterciennes (voir en
196, 200, 201, 202. outre au mot Royaumont), 26, 39,
Châalis, abbaye cistercienne, 21, 26, 115, 121-127, 138, 152, 154, 162,
127, 128, 133, 176, 205, 218, 223, 170, 174, 176, 184, 188, 209, 216,
237, 238. 220, 223, 236-238, 247, 249, 259.
Chalon, 188. Civray, 167.
Châlons-sur-Marne, 19, 27, 170, 175, Claire (sainte), 184.
221. Clairvaux, abbaye cistercienne, 162,
Chambly, 175, 177, 179. 169, 186, 209.
Champ-Briant, 201. Clément IV, pape, 13, 52, 153, 209,
Champagne, 14, 27, 87, 148, 167, 186, 245.
188, 189, 190, 191, 192, 235, 246. Clément V, pape, 23, 205.
Champigny, 188. Clément, neveu de Geoffroi du
Chapelle-Saint-Ouen (La), 196. Temple, 247.
Charenton, 57. Clermont-en- Auvergne, 143, 144, 159,
Charlemagne, 133, 152, 224. 171.
Charles IV le Bel, roi de France, Clermont-en-BeauOaisis, 168, 170, 218,
207. 220.
Charles d'Anjou, roi de Sicile, 14, Cluny, 97, 162, 172, 177, 215, 216,
15, 18, 22, 25, 26, 68, 69, 70, 71, 227.
73, 74, 75, 76, 83, 84, 89, 108, Colaye, épouse d'Anseau de Cresson-
128, 129, 138, 145, 147, 149, 150, sacq, 217.
151, 152-159, 161, 164, 167, 171, Cologne, 159.
194, 207, 212, 213, 228, 233, 234, Colart de Houdencourt, 174.
235, 237, 263, 265, 282, 283, 286, Compugne, 12, 27, 28, 39, 59, 110,
289, 291, 292, 297. 111, 114, 115, 131, 133, 134, 138,
Charles-Martel, petit-fils de Charles 142, 146, 170, 174, 203, 204, 207,
d'Anjou, 156. 219, 222, 249-253, 254, 261, 262,
Charles de Salerne, fils de Charles 285.
d'Anjou, 149, 154, 155, 156, 161. Compostelle, 111.
Charles de Valois, fils de Philippe III Conrad IV, fils de Frédéric II, 152.
le Hardi, 150, 151, 156, 173, 184, Conrad, évêque de Cologne, 237.
185, 235. Conradin, petit-fils de Frédéric II,
Chars, 225. 154.
Chartres, 19, 27, 108, 160, 184, 195, Constance de Hohenstaufen, épouse
197, 209, 210, 216, 238, 243, 244, de Pierre III d'Aragon, 143, 149,
268, 297. 155, 156.
Chartreux, 39, 114, 162, 227. Constantinople, 44, 155, 169, 295.
Châteaubriant, 201. Copin de Samois, 251.
Châteauneuf-sur-Loire, 136, 193, 253. Corbeil, 142, 143, 171, 181.
Château-Thierry, 162. Corbie, abbaye bénédictine, 233.
Châtel-Pèlerin, Palestine, 159. Cormeilles, abbaye bénédictine, 132,
Châtelet, à Paris, 86. 225.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 307

Courtrai, 174, 175, 248. Eloi (mal saint), 138, 285.


Cosenza, 184, 228, 242, 243. Enguerran de Coucy, 79, 80, 81,
Couloisy, 185. f 172.
Coucy, 79, 171. Érard d'Arcis, 235.
Courcy-aux-Loges , 177. Érard de Lésignes, évêque d'Auxerre,
Coutances, 202, 221. , 229.
Cramoisy, 219. Éric le Tanneur, 222.
Creil, 166, 232, 262. Ermengard de Montclair, 186.
Crépy-en- Valois, 213, 218, 219. Étampes, 87.
Cressonsacq, voir Anseau, Dreux, Etienne Tempier, évêque de Paris,
Robert, Thibaud de, 218, 223. 210, 251.
Crouy, 176, 185, 203. Eudes de Châteauroux, cardinal, 13,
Cuise, forêt, 262. 43, 129.
Eudes de Deuil, 225.
Eudes de Lorris, évêque de Bayeux,
D 143, 146, 226, 228.
Eudes Poillechien, 145.
Damiette, 30, 45, 69, 70, 71, 72, 73, Eudes Rigaud, archevêque de Rouen,
74, 75, 76, 98, 101, 108, 109, 146, 144, 226, 294.
282, 283. Eustache (saint), 23.
Dammartin, 155, 163, 190. Eustache de Beaumarchais, 147, 148,
Daniel de Plailly, abbé de Châalis, 151.
238. Eustachie, épouse de Jean II de Nesle,
Dauphiné, 14. 169, 170.
Denis (saint), 53, 55, 56, 77, 118, Évreux, 19, 28, 112, 146, 178, 210-
133, 139, 218. 216, 226, 228, 229, 251, 253.
Denis le Piastrier, 27, 110, 203.
Denis de Savigny, 249.
Dol, 233.
Dominicains (frères prêcheurs,
jacobins), 18, 19, 35-37, 44, 114, 116, Fernand de la Cerda, infant de Cas-
133-136, 162, 174, 209, 243-244, tille, 103, 148, 166, 167.
249-253, 300. Ferrand de Flandre, 169.
Don, fleuve, 295. Ferrures, abbaye bénédictine, 189,
Douai, 152, 195. 224, 229.
Draveil, 181. Ferry de Verneuil, maréchal, 147.
Dreux de Cressonsacq, 216, 223. Ferté (la) abbaye cistercienne, 209.
Drogon, juif baptisé, 198. Figuières, 151.
Dudon de Paris, 21. Flandre, 81, 125, 191.
Florence, 153, 155, 163, 212.
Florent de Hollande, 171.
E Flotte, famille, 179.
Foggia, 157.
Edmond de Lancastre, 167, 190. Foix, 147.
Edouard Ier, roi d'Angleterre, 14, Fontainebleau, 132, 165, 199.
85, 150, 160, 161, 190, 233, 234, Fontenay, 162.
235, 240. Forcalquier, 153.
Egypte, 45, 53, 68, 69, 152, 164, 170, Forges, 196.
183, 185, 196, 198, 209, 217. Foulques de Laon, 240, 245.
Eine, 151, 156. Fra Mansueto, 12.
308 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Franche-Abbaye (La) ou l'Abbaye-au- Geoffroi de Vaucouleurs, 187, 188.
Bois, près de Beaulieu, 169, 170, Gérard, cardinal, 19.
174, 175. Gérard de Parme, cardinal, 155, 266.
Franche-Comté, 187. Gérard de Perchey, chevalier, 199.
Franciscains (frères mineurs, Germay, 188, 189.
cordeliers, clarisses), 19, 23, 24, 35, 39, Gertrude de Nesle, 168.
44, 114, 116, 162, 174, 184, 214, Gervais d'Escrennes, 103.
267, 293-294. Gilles Aycelin de Montaigu, archev.
Frédéric II, empereur, 152, 153, 172, de Narbonne, 267.
241. Gilbert Lambert, doyen à Tours,
Frémiches, 170. 244.
Frères de la pénitence de Jésus-Christ, Gilles le Brun, connétable, 103, 104,
162. 171.
Froidmont, abbaye cistercienne, 170. Gilles du Châtelet, 235.
Gilles de Juilly, frère mineur, 163.
Gilles de Laon, 185.
Gilles le Piastrier, 203.
Gilles de Robisel, 27, 110, 202, 203.
Gaignières (Roger de), 223. Gilles de Rocourt, 27, 252.
Galeran le Gruier, 220. Gilles de la Rue de la Court, voir
Garlande, 223. Gilles de Rocourt.
Gascogne, 83, 171, 231, 234, 247, 297. Gilles, arch, de Tyr, 219.
Gâtinais, 116, 199, 236. Gilon de Reims, 225.
Gautier d'Aulnay, 220. Giovanni Villani, 154.
Gautier Bardin, 232. Girart de Paris, moine, 27, 121, 236,
Gautier du Bois, 196. 237.
Gautier de Chambly, 219, 220, 221, Girone, 151, 156.
223. Gisors, 248.
Gautier de Chartres, évêque, 209. Gobert d'Apremont, 188.
Gautier de Châtillon, 70. Gossuin de la Capelle, 250.
Gautier de Fontaines, 246. Gouvieux, 225.
Gautier de Lannoy, chevalier, 193. Grandchamp, abbaye de prémontrés,
Gautier de Reynel, 188. 173.
Gautier de Rouy, chanoine, 170. Grandmont, ordre religieux, 162,
Gautier de Semur, 245. 226.
Geldre, 239. Grandpré, abbaye cistercienne, 223.
Gênes, 155, 239. Grégoire (saint), 44, 215, 253.
Geneviève (sainte), 77, 129, 166. Grégoire X, pape, 11, 14, 15, 17,
Genlis, abbaye de prémontrés, 174. 18, 19, 20, 22, 25, 29, 58, 159,
Geoffroi d'Apremont, 188. 166, 210, 212, 221, 232.
Geoffroi de Beaulieu, dominicain, 15, Guérin, chancelier, évêque de Senlis,
17, 25, 26, 29, 30, 31, 32, 36, 56, 218.
57, 58, 61, 95, 129, 135, 136, 139, Guérin Roussel, 220.
141, 209, 210, 240, 253, 289. Gui, dominicain, 170.
Geoffroi III de Joinville, 186. Gui, confesseur de Pierre d'Alençon,
Geoffroi le Bas, 195. 164.
Geoffroi de Sargines, 70. Gui, physicien du roi, 236.
Geoffroi de Savigny, 249. Gui d'Auteuil, chevalier, 210.
Geoffroi du Temple, 27, 112, 130, Gui le Bas, chevalier, 27, 107, 192-
135, 213, 244-249. 195.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 309
Gui de Dampierre, comte de Flandre, Guillaume Pentecôte, maire de
170, 171, 173. Provins, 167.
Gui Foucois, pape sous le nom de Guillaume Ruaud, 18.
Clément IV ; voir à ce mot. Guillaume de Rubruck, franciscain,
Gui de Genève, 247. 295, 296.
Gui de Nesle, 175. Guillaume, doyen de Saint-Aignan,
Gui de Plailly, 221. 181.
Gui de la Tour, évêque de Clermont, Guillaume de Saint-Pathus,
144. franciscain, 9, 15, 24, 25, 26, 28,
Guiard dit le Glerc, 232. ensuite constamment cité comme
Guignecourt, 252. source des dépositions...
Guillaume d'Arras, 215. Guillaume de Saint-Thierry, 7.
Guillaume As Cros, 215. Guillaume de Saint- Venant, 193.
Guillaume d'Auxerre, 246. Guillaume de Villette, chevalier, 181.
Guillaume de Beau vais, clerc du roi, Guillot de Soisy, 197.
193. Guines, 171.
Guillaume le Breton de Chambrilles, Guise, 160.
huissier, 27, 109, 201. Guixols, port en Catalogne, 151.
Guillaume le Breton du Neufchâtel, Guyenne, 189.
valet de chambre, 27, 109, 200,
201.
Guillaume, moine de Châalis, 237. H
Guillaume de Chailly, 200.
Guillaume de Chartres, 129, 130, Haguenau, 191.
139, 143, 184, 210, 240. Hainaut, 153, 171.
Guillaume de Châtellerault, 163. Ham, 168.
Guillaume de Chevry, 193. Hautes - Bruyèges , abbaye de l'ordre de
Guillaume Claude, 222. Fontevrault, 173.
Guillaume de Cohardon, 194. Hautes-Terres à Nonancourt, 214.
Guillaume Cornut, arch, de Sens, Haye-Malherbe (La), 214.
170. Hedwige de Silésie (sainte), 279.
Guillaume deCrépy, 246. Hemeri, archidiacre, 163.
Guillaume d'Étampes, 225. Henri Ier, roi de France, 216.
Guillaume de Flavacourt, 20, 161, Henri III, roi d'Angleterre, 85, 171,
214. 296, 297.
Guillaume Flotte, 248. Henri III, roi de Navarre, 148.
Guillaume de Grez, évêque de Beau- Henri VII empereur, 23.
vais, 20, 144, 244. Henri de Camp-Repus, clerc du roi,
Guillaume de Hollande, 152. 193.
Guillaume de Lodeve, 151. Henri de Champagne, 190.
Guillaume de Mâcon, évêque Henri de Courances, maréchal, 154.
d'Amiens, 18, 19, 245. Henri de Grandpré, 186, 220.
Guillaume de Manchecourt, 195. Henri de Louvel, 195.
Guillaume de la Motte, 206. Henri, comte de Luxembourg, 97.
Guillaume de Nangis, 77, 143, 225. Henri de Nonancourt, 215.
Guillaume de Neuville, archidiacre Henri de Vézelay, 211.
de Blois, 233. Henri de Villars, archev. de Lyon,
Guillaume de Nogaret, 266. 191, 267.
Guillaume, abbé d'Ourscamp, 170. Herbert de VUlebéon, 27, 109, 199.
310 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU

Hérouard, 215.
Heudreville, 215.
Hongrie, 158. Jacques (saint), le majeur, 56, 76,
Honorius IV, pape, 22, 274. 111, 139, 227.
Hôpitaux, hôtels-Dieu, maisons- Jacques, roi d'Aragon, 143, 144, 171.
Dieu, 39, 42, 113-114, 136-138, Jacques, abbé de Cîteaux, 209.
162, 253-264, 272. Jacques Colonna, cardinal, 290.
Horde d'or, 295. Jacques de Faucigny, 190.
Hubert, templier, 220. Jacques Marcel, bourgeois de Paris,
Hue d'Offroy, 174. 198.
Hugues de Billon, dominicain, Jacques le Queu, 198.
cardinal, 290. Jacques de Sienne, chirurgien, 205.
Hugues-Capet, roi de France, 224. Jaffa, 30, 46, 47, 100, 102, 131, 188,
Hugues de Coudun, 217. 209.
Hugues de Courceaux, 249. Jargeau, 136.
Hugues de Digne, 293. Jaulzy, 185.
Hugues de Lusignan, 187. Jean XXI, pape, 18.
Hugues Portechape, 27, 109, 202. Jean XXII, pape, 207.
Huleu, 220. Jean, cardinal, 250, sans doute Jean-
Hyères, 106. Gaétan Orsini, qui devint par la
suite le pape Nicolas III (1277-
1280).
I Jean d'Acre, 26, 77, 148, 164-168,
190.
Imbert de Beaujeu, connétable, 148, Jean des Alleux, dominicain, 244.
167. Jean d'Antioche, 24, 268.
Innocent III, pape, 13, 288, 291. Jean d'Arcis, 235.
Innocent IV, 152, 217, 293, 295. Jean d'Aubergen ville, 201.
Innocent V, pape, 18. Jean d'Avesnes, 170, 171.
Isaac, patriarche biblique, 276. Jean, archidiacre de Bayeux, 193.
Isabelle d'Aragon, femme de Jean de Béthisy, 28, 111, 204-207.
Philippe III, 142, 144, 171, 184, 228, Jean Borgueignet, 91, 92, 93.
241. Jean de Boschet, dominicain, 27, 252.
Isabelle de France, reine de Navarre, Jean de Brabant, 172.
fille de saint Louis, 25, 61, 65, Jean de Brasseuse, maréchal du roi
146, 162, 189, 227, 272, 286. de Sicile, 154.
Isabelle de France (la bienheureuse), Jean II, duc de Bretagne, 205.
sœur de saint Louis, 68, 69, 162. Jean Bribaut, 87.
Isabelle de Bourgogne, dame de Jean de Brie, châtelain, 21.
Neauphle, 178. Jean de Brienne, roi de Jérusalem,
Isabelle de Brienne, épouse de 164.
Frédéric II, 165. Jean Capellain, 206.
Isabelle d'Estaves, 252. Jean de Chailly, 27, 109, 199, 200.
Isabelle, épouse de Thibaud Ier de Jean de Châtenay, chevalier, 21.
Cressonsacq, 217. Jean de Châtillon, 160, 209, 250.
Isabelle de Nesle, 175. Jean Cholet, cardinal, 150, 234,
Isabelle de Rosny, épouse de Pierre 236.
le Chambellan, 178, 180. Jean le Clerc, dominicain, 27, 252.
Isabelle, mère de Jean de Soisy, 182. Jean de Clermont, 168.
Italie, 23, 154, 289, 294. Jean Clersens, 247.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 311
Jean, prieur des dominicains de Com- Jean-Tristan, comte de Nevers, fils
piègne, 252. de saint Louis, 36, 55, 102, 145,
Jean de Courtenay, 219. 146, 228, 240, 241.
Jean de Croy (ou Jean le Maçon), Jean d'Ully, 143.
28, 111, 203, 204. Jean de Valéry, 70.
Jean de Dargies, 174. Jeanne de Champagne, femme de
Jean l'Eschans, 222. Philippe IV le Bel, 148, 167, 186,
Jean d'Eu, fils d'Alphonse, 167. 190, 191, 246.
Jean Foison, 70. Jeanne de Châteaudun, seconde
Jean de Grailly, 234. épouse de Jean d'Acre, 165.
Jean la Guête, serviteur de Philippe- Jeanne d'Alençon, femme de Pierre
Auguste, 93, 94. d'Alençon, 160, 162, 163, 207.
Jean d'Ivry, 179. Jeanne, comtesse de Fiandre, 169.
Jean de Joiville, 15, 21, 25, 27, 76, Jeanne de Machault, 178.
77, 95-107, 111, 142, 165, 172, Jeanne de Soisy, 197.
185-192, 235, 301. Jeanne de Toulouse, épouse
Jean de Jonquières, 238. d'Alphonse de Poitiers, 194, 212.
Jean de Laon, chevalier, 185. Jérôme (saint), 44.
Jean IV et V, châtelains de Lille, 174. Jérusalem, 26, 102, 130, 154, 155,
Jean de Litz, 245. 159, 164, 256.
Jean de Melun, 247. Joie-Notre-Dame, abbaye cistercienne,
Jean le Moine, cardinal, 290. 252.
Jean de Monsoreau, archevêque de Joigny, 86, 171.
Tours, 229. Join ville, voir Jean de Joinville.
Jean de Montfort, 157, 165. Josias, roi biblique, 17, 29, 31, 32,
Jean de Mourlens, 211. 37, 57.
Jean II de Nesle, oncle de Simon, Josserand de Brancion, 187.
168, 169, 171. Jourdain cardinal, 19, 22.
Jean de Nesle, cousin de Simon, Juifs, 97, 198, 232, 251, 299.
143, 172. Julien de Péronne, chevalier, 146,
Jean de Neuvi, 194. 228.
Jean de Parme, franciscain, 293, Jumièges, abbaye bénédictine, 215.
294.
Jean Piérard, 222.
Jean Picart, chirurgien, 205. Κ
Jean de Plan-Carpin, franciscain,
293. Karakorum, 296.
Jean le Queu, 193, 197.
Jean de Ronquerolles, 179.
Jean de Samois, franciscain, 19, 21,
24, 163, 191, 268, 273.
Jean Sarrasin, 146, 176, 198, 202, La Barre, voir Barre (La).
212, 228. La Brosse, voir Brosse (La).
Jean, comte de Soissons, 184. Lagny, 174, 220, 238.
Jean de Soisy, chevalier, 26, 28, 90, La Haye-Malherbe, voir Haye (La).
181-183. Laigle, 214, 215.
Jean de Sully, 80. La Rochette, voir Rochette (La).
Jean du Temple, 244, 249. Lambert, dominicain, 89.
Jean de Thourotte, 79, 81. Lampédouse, île, 105.
Jean de la Tour, 213, 246. Lancelot du Bois-Gautier, 196.
312 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Lancelot de Saint-Mard, 239. Louis le Pieux, empereur, 278.
Langres, 19, 242. Lourcines, abbaye de clarisses, 184.
Laon, 19, 79, 163, 183, 206, 244, Louvain, 298.
245, 248. Louveciennes, 248.
Latrati, concile, 13, 291. Louviers, 178, 251.
Laurent, abbé de Châalis, 21, 26, Louvre, à Paris, 79, 80, 142, 145,
205, 237, 238. 161, 184.
Laurent de Néauphle-le- Vieux, 214, Lacera, Italie, dans les Pouilles, 154.
215, 216. Lucien (saint), 217.
Laurent d'Orléans, 163. Lucques, 23, 153.
Laurent Voisin, 195. Lunel, 143.
Laversines, 225. Luzarches, 178.
Lazare, 163. Lyon, 17, 58, 148, 153, 159, 161,
Léger, moine lépreux à Royaumont, 165, 166, 167, 191, 193, 195,
125, 237, 284. 205, 212, 217, 221, 227, 232,
Légier, maître architecte, 203. 250, 267.
Le Lys, voir Lys (Le). Lys (Le), abbaye cistercienne, 162.
Léon, 148, 166.
Lers, château en Catalogne, 151.
Liège, 14, 250. M
Ligny-en-L'Aunois , 179.
Lille, 173, 174, 175. Machault, famille, 179.
Lincoln, 217; 296. Mâcon, 161, 227.
Livry, 177, 220. Mahaut, épouse de Simon de Cler-
Lodève, 247. mont, 168.
Lombardie, 31, 57, 153. Mahaut, épouse de Jean de Soisy,
Lombards, 231. 182.
Londres, 234. Mahaut, prieur de l'hôpital de Ver-
Longchamp, abbaye de clarisses, 162. non, 28, 136, 253-261.
Longmont, 220. Mahi, voir Mathieu.
Longpont, abbaye cistercienne, 184, Mahomet, 73, 282.
220. Maine (Le), 152.
Lorraine (duc de), 97. Maire- Lévescault (prieuré), 167.
Loire, 136. Mainsende, épouse de Guiard, dit Le
Lorrez-le-Bocage, 199. Clerc, 232.
Louis VI, roi de France, 237. Majorque, 143, 184.
Louis VII, roi de France, 213, 225, Malmaison, chapelle à Plailly, 221.
226. Mangana, col dans les Pyrénées, 151.
Louis VIII, roi de France, 13, 31, 32, Manchecourt, 195.
57, 152, 157, 169, 170, 197, 236, Manfred, fils naturel de l'empereur
289, 300. Frédéric II, 143, 149, 153, 155,
Louis X le Hutin, roi de France, 186, 172, 237, 241.
192. Mangou, khan mongol, 295.
Louis XIV, roi de France, 223. Manou au Perche, 162.
Louis, fils aîné de saint Louis, 137, Mans (Le), 18, 154, 163, 250.
139, 142, 152, 190. Mansourah, en Egypte, 34, 69, 70,
Louis, fils de Philippe III le Hardi, 108, 152.
mort jeune, 184. Marc (saint), 102.
Louis, fils de Pierre d'Alençon, 160. Mardochée, personnage biblique, 72.
Louis de Beaujeu, 161. Margny, 12.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 313
Marguerite, la reine, épouse de saint Maurepas, 183.
Louis, 24, 26, 48, 69, 142, 144, Maurice (saint), 117, 132, 218.
145, 161, 170, 184, 207, 226, 244, Mayence, 159.
249, 297, 300, 301. Meaux, 19, 68, 221, 245, 248, 281.
Marguerite, fille de saint Louis, Melun, 19, 82, 162, 169, 244, 247,
172. 248.
Marguerite de Bourgogne, seconde Memphis, ancien nom de Damiette,
épouse de Charles d'Anjou, 154, voir à ce mot.
157. Méru, 176.
Marguerite de Flandre, 152, 170, Mesnil-Saint-Denis , 176.
171. Messine, 149, 155, 156, 242.
Marguerite de Poissy, épouse Metz, 188.
d'Hugues de Coudun, 217. Milly, 199.
Marguerite Tristan, épouse de Pierre Milon de Bazoches, évêque de Sois-
le Chambellan, 177, 178. sons, 146, 229.
Marguerite, épouse d'Ysembart le Moncel (Le), 185.
Queu, 198. Monchy-sur-Aronde, abbaye
Marie de Brabant, reine de France, cistercienne, 223.
seconde épouse de Philippe III le Monerville, 225.
Hardi, 148, 230. Mongols, 295, 296, 298.
Marie de Coucy, 165. Monreale, en Sicile, abbaye
Marie le Flamand, 197. bénédictine, 14, 164, 289.
Marie-Madeleine (sainte) 144, 160. Mont-l 'Évêque, près de Senlis, 117,
Marie la Maréchale, épouse de Jean 217.
de Chailly, 200. Mont-de-Marsan, 149.
Marie de Montferrat, 164. Mont-Saint-Martin, abbaye de
Marival, 225. prémontrés, 161.
Marmoutier, abbaye bénédictine, 209. Mont-Thabor, en Palestine, 42.
Marseille, 152, 153, 155, 156, 188. Montargis, 173.
Martin IV, pape (voir aussi Simon de Montauban, 164.
Brie), 20, 21, 59, 149, 155, 156, Montaure, 214.
233, 234, 245, 266, 273, 274. Montdidier, 168.
Martin, médecin du roi, 240. Montefïascone, 23.
Massoure (La), voir La Mansourah. Monterau-fault-Yonne, 195.
Mathieu, chanoine, 198. Montfaucon, gibet, 147.
Mathieu d'Aquasparta, cardinal, 267, Montferrand, 143.
290. Montfort, 162.
Mathieu de Beaune, 195, 252. Montfort-l'Amaury, 210.
Mathieu des Essarts, évêque Montiers-sur-Sault, 1 88 .
d'Évreux, 216. Montierender, 188.
Mathieu de Marly, 75. Montigny-U-Prouvaire, 176.
Mathieu de Paris, 296-298. Montmartre, 57.
Mathieu de Trie, 162, 190. Montmélian, 225, 238.
Mathieu de Vendôme, abbé de Saint- Montmusart, à Acre, 100.
Denis, 26, 118, 119, 141, 145, Montpellier, 143, 144, 204, 247.
147, 149, 150, 172, 173, 174, 175, Montpensier, 169.
211, 213, 223-236, 238, 240, 241, Montreuil, 248.
263. Morimond, abbaye cistercienne, 209.
Maubuisson, abbaye cistercienne, 115, Mortagne, 160.
152, 162, 168. Mortefontaine (nouvelle paroisse), 221.
314 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Mouche, financier lombard, 247. Notre-Dame de Paris, 223.
Mouchy, abbaye cistercienne, 174. Notre-Dame-des-Champs, prieuré à
Mucecourt, 225. Paris, 199.
Murcie, 167. Notre-Dame de Vauoert, abbaye de
chartreux, 227.
Nouaillé, abbaye de bénédictines, 167.
Ν Noyon, 19, 26, 27, 91, 128, 168, 169,
170, 174, 175, 217, 232, 247, 252.
Namur, 173.
Nantes, 27, 109, 200, 201, 278.
Nanteuil-la-Fosse, 252. Ο
Naples, 14, 22, 23, 154, 156, 157,
161, 163, 265. Olivier de Termes, 143.
Narbonne, 53, 143, 150, 194, 195, Orengis, 249.
201, 207, 267. Orléans, 80, 136, 165, 181, 191, 195,
Navarre, 25, 36, 65, 144, 148, 158, 199, 246, 251, 253.
190, 247. Orry, 222.
Nazareth, 30, 42, 58. Orvieto, 15, 19, 20, 22, 23, 207, 244,
Néauphle-le-Vieux, 179, 210, 216. 265, 267, 268, 275, 278, 279, 288,
Nemours, 176, 199. 290.
Nesle, 168, 169 (paroisses), 174 (id.). Ostie, 22, 274, 290.
Nevers, 31, 182, 193. Otton II, comte de Geldre, 299.
Nicolas (saint), 244. Oudart de Chambly, 176, 179.
Nicolas III Orsine, pape, 18, 19, Oudart de Roussel, 222.
154, 250, 273 (auparavant cardinal Oudart du Val, 163, 251.
Jean Gaétan Orsini). Ourscamp, abbaye cistercienne, 168,
Nicolas IV, pape, 22, 266, 274. 170, 171.
Nicolas, confesseur du roi, 244.
Nicolas d'Amiens, chanoine, 219.
Nicolas d'Auteuil, évêque d'Évreux,
26, 112, 118, 130, 146, 210-216,
221, 228, 239, 246. Palerme, 14, 31, 56, 149, 155, 289.
Nicolas du Bois-Gautier, 196. Palestine, 14, 170, 172, 183, 185, 201.
Nicolas de Lalaing, chevalier, 21. Palestrina, 154, 290.
Nicolas de Nonancourt, cardinal, Pampelune, 148, 149.
290. Pantellaria, île, 105.
Nicolas, trésorier de Saint-Frambaut, Paraclet (Le), abbaye de bénédictines,
211. 174, 175.
Nicolas de Soisy, 197. Parc-aux-Dames, abbaye de
Nicosie, à Chypre, 76, 102, 103. cisterciennes, 238.
Nîmes, 211, 227, 244, 247. Paris, 11, 14, 19, 23, 27, 30, 39,
Niort, 235. 40, 44, 45, 49, 50, 52, 58, 68,
Nivelles, en Brabant, 230. 69, 75,84,86,92, 107, 113, 114,
Nivillers, 252. 116, 121, 123, 129, 131, 132, 142-
Nocera, 154. 147, 155-157, 160-166, 169, 174-
Nogaret, famille, 179. 176, 181-183, 187, 190, 193, 196-
Nogent-l'Erembert, 193. 200, 202, 204, 210, 218, 220, 222,
Nonancourt, 214. 226, 228-235, 240, 247-250, 253,
Normandie, 11, 112, 116, 171, 196, 266, 272, 281, 282, 290, 297, 299.
202, 218, 224, 247. Parlement à Paris, 147.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 315
Parme, 14, 293. 149, 151, 159-164, 194, 207, 212,
Perche (le comté du), 160. 241, 243, 251.
Périgueux, 85. Pierre III, roi d'Aragon, fils du roi
Périgord, 85. Jacques, 143, 149-151, 155, 156,
Pernelle, épouse de Jean l'Ëschans, 164, 167, 172, 234.
222. Pierre d'Aurillac, clerc, 184.
Perorine, 27, 128, 153, 168, 169, 174, Pierre d'Auteuil, chevalier, 210.
243. Pierre d'Ays, 197.
Pérouse, 21, 22, 23. Pierre de Bançay, 70.
Perpignan, 151, 156, 235. Pierre Barbet, archevêque de Reims,
Peyralade, 151. 221, 222.
Philippa, épouse du comte de Geldre, Pierre de Benais, 147.
299. Pierre de Bertranfosse, 221.
Philippe Ier, roi de France, 216. Pierre du Bois, 87.
Philippe II, dit Philippe- Auguste, Pierre de la Brosse, 147, 172, 180,
roi de France, 63, 80, 93, 94, 142, 205, 229, 230, 235.
157, 197, 204, 226, 300. Pierre Cailleu, évêque de Senlis,
Philippe III le Hardi, roi de France, 237.
fils de saint Louis, 14, 17-19, 25, Pierre Challon, 163.
26, 31, 36, 40, 56, 57, 61, 76, 137, Pierre le Chambellan ou Pierre de
142-151, 155-157, 159-162, 164, Villebéon, 79, 87, 103, 146, 180,
166-168, 171, 172, 176-178, 184, 199, 228, 229.
189, 190, 193, 194, 201, 205, 207, Pierre de Chambly, chambellan
209, 211-213, 220, 227, 228, 230, témoin au procès, 26, 89, 90, 175-
233-235, 240, 241, 246, 247, 249, 180, 184.
272. Pierre de Charny, archevêque de
Philippe IV le Bel, roi de France, 21 , Sens, 229.
148, 168, 175, 178, 179, 184, 191, Pierre de Châtres, 244.
192, 195, 202, 205, 236, 243, 244, Pierre Colonna, cardinal, 11, 15, 22,
246-249, 266, 267, 289. 267, 290.
Philippe V le Long, roi de France, Pierre de Condé, 27, 128, 129, 139,
178, 180, 192, 207, 249. 201, 211, 227, 228, 238-247, 263,
Philippe VI de Valois, roi de France, 264, 291.
206, 249. Pierre de Cuignières, 207.
Philippe, fils de Pierre d'Alençon, Pierre Flotte, chancelier, 248, 267,
160. 290.
Philippe, abbé de Clairvaux, 209. Pierre le Gras, 178, 179.
Philippe, fils de l'empereur de Pierre Hacquier, maître maçon, 204.
Constantinople, 143. Pierre de Hangest, 179.
Philippe de Cahors, évêque d'Évreux, Pierre le Hideux de Chambly, 175,
146, 211, 214, 228, 263. 176.
Philippe de Montfort, 241. Pierre de Laon, chevalier, 26, 91-95,
Philippe de Nemours, 98, 99. 176, 183-185.
Philippe de Villepreux, 215. Pierre de Manloë, 243.
Picardie, 218. Pierre de Mantes, 249.
Piémont, 153. Pierre Marcel, bourgeois de Paris,
Pierre (saint), 272. 198.
Pierre d'Alençon, fils de saint Louis, Pierre Michel, 213, 246.
26, 36, 76, 77, 102, 128, 139, 145, Pierre de Montbrun, 212, 245.
316 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Pierre de Montreuil, architecte, 224. Provins, 27, 59, 133, 134, 162, 167,
Pierre de Néauphle, 178. 175, 189, 249-251.
Pierre de la Palu, dominicain, 25.
Pierre de Paris, 205.
Pierre Paumier, 206. Q
Pierre Poussin, chambellan, 178.
Pierre Rigaud, 145. Quatre-Mares, 178, 179.
Pierre de Saint-Martin, 203. Quentin (saint), 171.
Pierre Sarrasin, 243. Quesnoy (Le), bois à Orry, 222.
Pierre le Sellier, 218. Quimper, 200.
Pierre le Thiois, chanoine, 215.
Pierre Tristan, chambellan, 177.
Pierre de Viarmes, 178. R
Pierre de Villebéon, voir Pierre le
Chambellan. Raimond-Béranger V, 152.
Pierre, religieux trinitaire, 92. Ramon Gaucelin, 143.
Pierrefons, 12, 185. Raoul de Beau vais ou de Cresson-
Pierreleye, seigneurie, 81, 172, 200. sacq, 216.
Pietro Colonna, voir Pierre Colonna. Raoul de Chevry, évêque d'Evreux,
Pise, 155, 239. 226.
Plailly, 221, 225. Raoul de Clermont, 168.
Plaisians, famille, 179. Raoul d'Estrées, 18, 150, 233.
Pô, fleuve, 153. Raoul Grosparmi, cardinal, 226.
Poissy, 30, 50, 165, 202, 210, 216, Raoul Muideblé, chevalier, 174.
263. Raoul de Nesle, chambellan de
Poitiers, 163, 187. France, 174.
Poitiers, comte de, voir Alphonse de... Raoul, archidiacre de Paris, 143.
Poitou, 147, 167. Raoul de Ronvillers, 170.
Pomponne, 177. Raoul de Trappes, 85, 239.
Pont-de-l'Arche, 179. Raoul de Vernay, dominicain, 27,
Pont-Audemer, 194. 252.
Pont-Sainte-Maxence, 166, 185. Raray, 220.
Ponthieu, 143, 172, 299. Raymond, templier, 103.
Pontigny, abbaye cistercienne, 209. Raymond du Not, chirurgien, 206.
Pontoise, 27, 36, 39, 68, 75, 81, 82, Real- Valle, abbaye cistercienne, 154,
114, 115, 116, 132, 165, 199, 200, 164, 237.
254. Reggio, 149, 155, 156, 163.
Pontpoint, 185. Reggio Emilia, 14.
Port-Royal, abbaye de bénédictines, Régnier Acorre, receveur, 246.
173. Reims, 18, 19, 27, 50, 79, 130, 146,
Porto, 22, 267, 274. 160, 165, 166, 189, 191, 194, 204,
Portugal, 240. 212, 219, 221, 222, 229, 233, 245.
Pouilles, 156. Remi (saint), 113.
Prémontré, abbaye de et ordre de, Remy, 12, 222.
161, 162, 173, 174, 248. Renaud Barbou, 195.
Presles, 183. Renaud de Beau vais, chirurgien,
Prêtre-Jean, 295. 205.
Primat, 225. Renaud de Béthisy, 204.
Provence, 106, 153, 155, 161, 170, Renaud de Corbeil, évêque de Paris,
295. 210, 226.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 317
Renaud l'Eschans, 222. Roinville, prieuré clunisien, 161.
Renaud de Nanteuil, évêque de Beau- Roland Bertrand, 172.
vais, 236, 245. Roland de la Palma, évêque de Spo-
Renaud de Vichier, templier, 159. lète, 273.
Renier le Flamand, 197. Roland de Parme, 20.
Réole (La), prieuré, 233. Rome, 17, 21-24, 31, 57, 64, 69, 100,
Retz (forêt de), 11. 155, 159, 161, 166, 210, 245, 247,
Revel, 248. 251, 265, 280.
Richard Cœur de Lion, roi Rosas, port de Catalogne, 151,
d'Angleterre, 157, 297. 156.
Richard de Bénicourt, 200. Rouen, 19, 20, 21, 27, 39, 107, 114,
Richard de Cornouailles, 212, 297. 132, 143, 145, 146, 165, 179, 180,
Richard Laban, 11. 196, 202, 214, 215, 226, 228, 229,
Ris, 249. 233, 250, 267, 273, 294.
Rivière (La), archidiaconat de Sois- Roussillon, 142, 151, 156, 171.
sons, 243. Royaumont, abbaye cistercienne, 10,
Robert Ier d'Artois, frère de saint 12, 26, 27, 30, 39, 44, 121-125,
Louis, 68, 69, 75, 99, 108, 121, 127, 131, 142, 146, 160, 162, 174,
145, 282. 236-237, 241, 253, 271, 284, 291,
Robert II d'Artois, 145, 148, 149, 292.
155, 157, 160, 163, 192. Roye, 168, 174.
Robert de Bazoches, 70. Rueil, 132.
Robert du Bois-Gautier, chevalier, Ruggero di Lauria, voir Roger de
27, 107, 196. Loria.
Robert de Clermont, fils de saint Russie, 295.
Louis, 12, 146, 168, 184, 231. Ry, 196.
Robert de Cressonsacq, évêque de
Beauvais, 216, 217, 221.
Robert de Cressonsacq, évêque de
Senlis, 26, 117, 118, 216-223.
Robert de Cressonsart, chanoine, Sabine, 22, 274.
217. Saint- Aignan, abbaye, 181, 246.
Robert de Gorges, 215. Sachets, frères des sacs, 57, 116,
Robert de la Houssaie, évêque de 174.
Senlis, 217. Saint- Albans, abbaye bénédictine, 296.
Robert de Laon, 247. Saint- Antoine, abbaye de cisterciennes
Robert de la Marche, 247. près de Paris, 174, 200, 216.
Robert le Piastrier, 203. Saint-Benoît- sur-Loire, abbaye
Robert Portechape, 202. bénédictine, 233.
Robert, abbé de Royaumont, 236. Saint-Bertin, abbaye bénédictine, 250.
Robert-Sans-Avoir, 194. Saint-Brieuc, 200.
Robert de Soisy, chevalier, 181, 182, Saint-Clément, chapelle à Saint-Denis,
183. 119.
Robert de Sorbon, 189. Saint-Cloud, 162.
Ruchette (La), 215. Saint-Corneille de Compugne, abbaye
Rodolphe de Habsbourg, 191, 213. bénédictine, 170, 253, 262.
Roger Bernard, comte de Foix, 147. Saint-Denis, abbaye bénédictine, 11,
Roger de Loria, amiral, 151, 156. 13-15, 20, 21, 27, 31, 53, 56, 57,
Roger de Soisy, queu du roi, 27, 59, 69, 118, 119, 132, 133, 139,
108, 196-197. 146, 147, 149, 150, 161, 162, 165,
318 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
173, 175, 177, 185, 190, 191, 194, Saint-Maur-des-Fossés, abbaye
202, 206, 207, 211, 214, 223-236, bénédictine, 161.
238, 240-242, 244, 263, 289, 290. Saint-Maurice d'Agaune, abbaye
Saint-Eloi-Fontaine, à Chauny, ab- d'augustins, 132, 138, 217.
baye d'augustins, 183. Saint-Maurice de Senlis, prieuré au-
Saint-Eustache, église à Paris, 169. gustin, 177, 219.
Saint-Frambauld, collégiale à Senlis, Saint-Médard de Soissons , abbaye
129, 143, 146, 210-216, 221, 222, bénédictine, 203.
227, 228, 240, 245, 247. Saint-Melon, église à Pontoise, 200.
Saint-Germain-les-Compiègne, 12. Saint-Nicolas-au-Bois, abbaye
Saint-Germain-en-Laye, prieuré bénédictine, 79-81.
bénédictin, 27, 165, 202. Saint-Nicolas-au-Pont, hôtel-Dieu de
Saint-Germain-des-Prés , abbaye Compiègne, 252, 261, 262.
bénédictine, 57, 165, 172, 224. Saint-Ouen abbaye bénédictine à
Saint-Gervais, église à Paris, 249. Rouen, 215.
Saint-Gilles, abbaye bénédictine dans Saint-Paul, collégiale à Liège, 250.
le Gard, 227. Saint-Paul, collégiale à Saint-Denis,
Saint-Gilles, paroisse à Evreux, 216. 118.
Saint-Honoré, paroisse à Paris, 113. Saint-Pierre de Lille, collégiale, 175.
Saint-Jacques de Composteli*, 216. Saint-Pierre-le-Moustier, 1 43 .
Saint-Jean, cathédrale de Lyon, 193, Saint-Pierre de Rome, 290.
221, 227, 232. Saint-Pol, 155.
Saint-Jean d'Acre, voir Acre. Saint-Quentin, 171, 174, 211, 245,
Saint-Guilhem-le-Désert, abbaye 246, 251, 252.
bénédictine, 247. Saint-Remy, abbaye bénédictine, 189.
Saint-Jean-au-Bois, abbaye Saint-Rieul, collégiale à Senlis, 219,
bénédictine à Compiègne, 207. 238.
Saint-Jean-de-Jérusalem, hôpital, 256. Saint-Rieul, porte à Senlis, 217.
Saint-Just, chapitre à Lyon, 193, 227. Saint-Sauveur, abbaye, 215.
Saint-Laumer, abbaye bénédictine à Saint-Spire, prieuré, 181.
Blois, 224. Saint-Taurio, prieuré de Cluny, 215.
Saint-Laurent-in-Damaso, église à Saint- Thomas à Crépy, collégiale, 218.
Rome, 290. Saint-Thomas, paroisse à Evreux, 215.
Saint-Lazare, église à Senlis, 222. Saint-Victor, abbaye d'augustins à
Saint-Léonor, prieuré clunisien à Beau- Paris, 181, 182, 236, 248.
mont-sur-Oise, 177. Saint-Chapelle, à Paris, 130, 144, 148,
Saint-Leu d'Esserent, prieuré 179, 190, 211, 213, 224, 236, 244,
clunisien, 237. 289, 290, 297.
Saint-Lucien, abbaye bénédictine près Sainte- Catherine-de-la- Couture, abbaye ,
de Beau vais, 217. 248.
Saint-Magloire, abbaye bénédictine à Sainte-Croix (frères de la), à Paris,
Paris, 243. 58.
Saint-Malo, 200, 226. Sainte-Geneviève, abbaye bénédictine,
Saint-Marcel près de Paris, collégiale, puis au gustine, 246.
177. Sainte-Radegonde à Poitiers, abbaye
Saint-Martin-des-Champs à Paris, bénédictine, 163.
prieuré clunisien, 216. Sainte-Sabine, église à Rome, 290.
Saint-Martin, chapitre à Liège, 250. Saintines, 207.
Saint-Martin de Tours, abbaye, puis Saints -Marcellin-et- Pierre, église à
chapitre, 163, 174, 244. Rome, 290.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 319
Solerne y 204, 237 ; voir aussi Charles Simon de Clermont, 168.
de Salerne. Simon de Clisson, évêque de Saint-
Salomon, roi biblique, 41, 291. Malo, 226.
Salimbene d'Adam, chroniqueur, Simon de Dammartin, 299.
159, 293-295. Simon de Joinville, 186.
Samuel, personnage biblique, 277. Simon de Nesle, 26, 79, 81, 82, 83,
Sancerre, 178, 180, 191. 119, 141, 143, 145, 147, 150, 168-
San Germano (Cassino), 153. 175, 194, 200, 208, 211, 226, 227,
Sanche, infante d'Aragon, 143. 228, 229, 232, 235, 236.
Sanche IV, infant de Castille, 148, Simon de Perruche, évêque de
166, 167; voir aussi Cerda Chartres, 19, 194.
(infants de la). Simon de Sèvres, chanoine de Paris,
Santa Croce, 212. 182.
Santa-Maria della Vittoria, abbaye de Simon de Trie, 245.
cisterciens, 154. Simon de Troyes, voir Simon du Val.
Santerre, 168. Simon du Val, dominicain, 27, 133,
Sara, épouse d'Abraham, 276. 134, 162, 249-251.
Sardaigne, 31, 53, 201, 227, 239, Simonet Roussel, 222.
240. Soissons, 28, 79, 110, 146, 184, 189,
Sarlat, 85. Soisy-aux-
203, 205,
Bœufs,
220, 197;
229, voir
243, Guillot,
249.
Sarrebrück, 188.
Sartach, khan mongol, 295, 296. Nicolas, Roger, Jeanne de...
Saumur, 186, 187. Soisy-sous-Etiolles (Soisy-sur-Seine) ,
Sauveterre-de-Béarn, 149. 182 ; voir Adam, Jean, Robert de. . .
Savigny-le-Temple, 244, 248. Sophore, Palestine, 42.
Savoie, 14. Sorbonne, 251.
Savone, 212. Spolète, 20, 21, 266, 273.
Seine, 57, 198, 253. Suger, 224, 225, 229.
Senlis, 19, 26, 114, 117, 118, 128, Suisse, 138.
129, 132, 146, 166, 185, 198, 199, Sully, 80.
213, 214, 215, 216-223, 232, 237, Survilliers, 222.
238, 247. Syrie, 29, 46, 74, 75.
Sens, 18, 19, 27, 165, 170, 192, 199,
224, 229, 289, 294.
Sibylle, épouse de Pierre de Chambly
et de Pierre de Laon, 176, 184.
Sicile, 14, 22, 31, 56, 57, 68, 70,
105, 145, 149, 150, 151, 153-161, Tagliacozzo, 154.
208, 228, 234, 239, 240, 241, Taillebourg, 187.
242. Talmud, 299.
Sidon, 30, 46, 47, 100, 102. Tanis, en Egypte, 70.
Sienne, 153. Tartaree, voir Mongols.
Siger de Brabant, 250. Tebaldo Visconti, 14.
Simon, précepteur du futur Temple, à Paris, 57, 58, 162.
Philippe III, 142. Templiers, 103, 159, 220, 244.
Simon de Baugy, écuyer, 219. Ter Doest (ou Thosan) abbaye
Simon de Beaulieu, cardinal, 290. cistercienne, 168.
Simon de Brie, cardinal, futur Théodulphe, évêque d'Orléans, 278.
Martin IV, 18, 19, 49, 212, 266. Thermes (palais des), à Paris, 113.
320 INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU
Thibaud de Champagne, roi de V
Navarre, 79, 81, 118, 129, 130, 135,
137, 139, 144, 145, 162, 186, 187, Val-des-Çhoux, chef d'ordre, 162.
189, 190, 218, 228, 242, 245, 262, Val-des-Écoliers, chef d'ordre, 162,
291, 297. 244.
Thibaud de Clermont, 170. Val-Notre-Dame, abbaye de cisterciens,
Thibaud Ier de Cressonsacq, 216. 176.
Thibaud II de Cressonsacq, 217, 223. Val-Profonde, 220, 221.
Thierry le Flamand, 197. Valence, 143, 150, 172, 235.
Thomas de Beaumetz, archevêque Valladolid, 143.
de Reims, 79. Valleto, 228.
Thomas de Cantimpré, dominicain, Valmagne, abbaye cistercienne, 247.
298-300. Vaucelles, abbaye cistercienne, 168.
Thomas de Cantorbery, saint, 23. Vaucouleurs, 191.
Thomas de Histon, 14. Vauvert, près de Paris, 39, 114,
Thomas de Jouy, archidiacre, 219. 132.
Timothée de Jonquières, écuyer, 222. Vaux-de-Cernay, abbaye de
Todi, 266. cisterciennes, 173, 209.
Tonnerre, 154, 157. Vendières-sous-Montmirail, 162.
Toulouse, 147, 148, 151, 170, 198, Vendôme, 83, 163, 223.
234. Venise, 181.
Tournai, 221. Verbene, 220, 262.
Tours, 19, 147, 149, 161, 165, 213, Vermandois, 195.
229, 230, 246. Vernay, 252.
Troni, 154. Verneuil, 195.
Trapani, 11, 76, 145, 155, 228, 242. Vernon, 28, 39, 59, 112-114, 136,
Trébuchet, 193. 253-261.
Trésor-Notre-Dame, abbaye, 196. Vernonnet, 253.
Trinitaires, 162, 252, 262. Vernou, 175.
Trinité (La) de Vendôme, abbaye Vexin, 196.
bénédictine, 163. Vézelay, 142, 144, 160, 295.
Troyes, 19, 167, 172, 175, 189, 191, Viarmes, 178.
209, 250. Victoire, abbaye créée par Philippe-
Tunis, Tunisie, 13, 14, 31, 53-56, 76, Auguste après Bouvines, chanoines
78, 105, 128, 129, 139, 145, 146, réguliers, 154.
160, 165, 176, 182, 184, 190, 192, Vieux-Temple, à Paris, 297.
196, 199, 205, 209, 211-213, 227, Villebéon, 176, 199; voir aussi Adam,
228, 238, 241-244, 286. Herbert, Pierre de...
Tusculum, 13, 100, 103. Villecourt, 170.
Tyr, 46, 101, 143, 209, 219. Villeneuve-lès-Auger, 238.
Vincennes, 165, 189, 226, 243.
Vincent (saint), 165.
U Vincent de Beauvais, 142, 249,
250.
Université de Paris, 251, 266, 290, Vintimille, 153.
297. Viry, 232.
Urbain IV, pape, 144, 153, 207, Viterbe, 14, 17, 19, 23, 29, 57, 145,
209, 244. 210, 228, 242.
Urgel, 143. Vitry, 89, 194, 233.
INDEX DES NOMS DE PERSONNE ET DE LIEU 321
Vittoria, Espagne, 149. Χ
Volga, fleuve, 295.
Voyennes, 170. Xativa, en Aragon, 167.

W
Yerres, abbaye, 249.
Wardonia, au diocèse de Lincoln, Yèvres-le-Châtel, 199.
217. Yolande d'Aragon, reine de C astiile,
Wermond de la Boissiere, évêque de 149.
Noyon, 217. Yolande de Châteaudun, 174.
West-capelle, en Zelande, 171. Ysembart le Queu, 27, 108, 109,
Wyet, 174. 197, 198.
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS : Nota, prudens lector, par H. Platelle 9

Introduction 13

Chapitre I. Histoire et déroulement du procès de


canonisation (1272-1297) 17

Chapitre II. La première étape du procès 29


Le témoignage de Geoffroi de Beaulieu, confesseur du roi, en
réponse à la lettre de Grégoire X, Clare memorie (Viterbe, 4 mars
1272).

Chapitre III. L'enquête de 1282 sur la vie du roi. Les


dépositions DES TÉMOINS 59
1 . Les laïcs 61
Philippe III le Hardi 61
Charles d'Anjou 68
Pierre d'Alençon 76
Jean d'Acre 77
Simon de Nesle 79
Pierre de Chambly 89
Jean de Soisy 90
Pierre de Laon 91
Jean de Joinville 95
Gui le Bas 107
Robert de Bois-Gautier 107
Roger de Soizy 108
Ysambart le Queux 108
Herbert de Villebéon 109
Jean de Chailly 109
Guillaume le Breton, valet de chambre 109
Guillaume le Breton, huissier 109
Hugues Portechape 109
Gilles de Robisel 110
Denis le Piastrier 110
Jehan de Croy 111
324 TABLE DES MATIÈRES
Jehan de Béthisy 111
Notes sur cette première section 111

2. Les clercs, religieux et religieuses 112


Nicolas d'Auteuil 112
Robert de Cressonsacq 117
Mathieu de Vendôme 118
Frère Adam de Saint-Leu et Frère Girart de Paris 121
Frère Laurent 127
Pierre de Condé 128
Geoffroi du Temple 130
Frère Simon du Val 133
Sœur Mahaut et Sœur Alice 136
Sœur Ade 137
Notes sur cette seconde partie 138

Chapitre IV. L'enquête de 1282. Notices biographiques des


témoins 141
1. Les laïcs 142
Philippe III le Hardi 142
Charles d'Anjou 152
Pierre d'Alençon 159
Jean d'Acre 164
Simon de Neslé 168
Pierre de Chambly 175
Jean de Soizy 181
Pierre de Laon 183
Jean de Joinville 185
Gui le Bas 192
Robert du Bois-Gautier 196
Roger de Soisy 196
Ysembart le Queu 197
Herbert de Villebéon 199
Jean de Chailly ' 199
Guillaume le Breton, valet de chambre 200
Guillaume le Breton, huissier 201
Hugues Porte-Chape 202
Gilles de Robisel 202
Denis le Piastrier 203
Jean de Croy 203
Jean de Béthizy 204
Notes sur cette première partie 207
TABLE DES MATIÈRES 325
2. Les clercs, religieux et religieuses 209
Geoffroi de Beaulieu 209
Nicolas d'Auteuil 210
Robert de Cressonsacq 216
Mathieu de Vendôme 223
Frère Adam de Saint-Leu et Frère Girart de Paris 236
Frère Laurent de Marceaux 237
Pierre de Condé 238
Geoflfroi du Temple 244
Simon du Val et quatre dominicains 249
Sœur Mahaut et Sœur Alice 253
Sœur Ade 261
Notes de cette seconde partie 262

Chapitre V. La canonisation 265


A Introduction 265
Β Premier sermon de Boniface VIII (6 août 1297) 268
C Second sermon du pape (1 1 août 1297) 275
D Bulle Gloria, laus (11 août 1297 278
E Lettre d'indulgence (28 juin 1298) 288
Notes du chapitre 290

Chapitre VI. Quelques voix contemporaines étrangères


au procès 293
Salimbene d'Adam (1248) 293
Le khan mongol Sartach (1253) 295
Mathieu Paris (1254) 296
Thomas de Cantimpré (t 1270) 298
Le messager du comte de Geldre (1271) 299
La reine Marguerite (t 1295) 300

Conclusion 302

Index des noms de personne et de lieu 303

Table des matières 323

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