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CRAI 2015, I (janvier-mars), p.

9-17

NOTE D’INFORMATION

nouvelles découvertes autour de françois charpentier :


colbert, la petite académie et la conception des décors royaux,
par mme gaëlle lafage

« Des différens génies qui se sont produits dans le monde, il y en a eu


peu qui ayent donné dans toutes sortes de matières comme M. Charpentier,
éloquence, poésie, recherches d’antiquités, histoire, dissertations sur toutes
sortes de sujets, iction, devises pour des médailles, inscriptions, politique,
lettres pour les affaires secrettes du cabinet du Roy, et grand nombre d’autres
ouvrages, anecdotes, et polémiques qui n’ont pas paru sous son nom1. »

Malgré l’abondance et la diversité de ses travaux, aucun ne permit


à François Charpentier de traverser les siècles. Il est aujourd’hui
très peu connu, sinon comme partisan des Modernes, défendant les
inscriptions en français sur les monuments, et sujet des railleries
de Racine et Boileau. Né à Paris en 1620, il mourut en 1702, ayant
eu la gloire de servir Louis XIV pendant cinquante ans, d’abord à
l’Académie française (où il fut reçu en 1651) puis à la Petite Aca-
démie qu’il rejoignit dès les débuts en 1664. La grande diversité de
ses travaux pour Colbert et l’Académie demeurèrent dans l’ombre,
à cause de leur caractère collectif ou anonyme. Un manuscrit, rédigé
par Boscheron vers 1718, intitulé Mémoires pour servir à la vie de
Monsieur Charpentier et à l’histoire de l’Académie Françoise2 ré-
vèle toute l’étendue et l’importance de ses activités. L’auteur y copia
une partie des papiers de Charpentier, et en particulier, sa correspon-
dance. Six ans plus tard, il publia des rélexions de l’académicien,
dans un recueil, le Carpentariana3.

1. Paris, BnF, Manuscrits occidentaux, Ms. fr. 15276 : Boscheron, Mémoires pour servir à la vie
de Monsieur Charpentier et à l’histoire de l’Académie Françoise, fo 56 vo.
2. Ibid. Ce manuscrit peut être daté précisément grâce à une remarque de son auteur sur la
publication d’un ouvrage au fo 123.
3. F. Charpentier, Carpentariana ou remarques d’histoire, de morale, de critique, d’érudition et
de bons mots de M. Charpentier de l’Académie Françoise, éd. par Boscheron, Paris, N. Le Breton
ils, 1724.
10 COMPtES RENdUS dE L’ACAdéMIE dES INSCRIPtIONS

On sait peu de choses sur Boscheron, l’auteur du manuscrit.


Même son prénom demeure inconnu. Il était correspondant à Paris
du Journal littéraire et travailla à la Bibliothèque royale, pour l’abbé
Jean-Paul Bignon, neveu de Pontchartrain, auquel il dédia la vie
manuscrite de Charpentier. deux petits recueils d’écrits divers lui
ont été attribués, nous apprenant qu’il était correcteur en la Cham-
bre des comptes4. Boscheron rédigea également une biographie de
Philippe Quinault5 et publia des écrits d’Antoine Varillas6. Dans une
lettre à l’éditeur Sallengre, Boscheron expliqua vouloir « donner
au public la Bibliothèque des Poètes français »7. Ses travaux sur
François Charpentier s’inscrivaient donc certainement dans cette
entreprise plus vaste à l’origine.
Boscheron n’était pas un héritier de Charpentier, il s’empara d’une
partie des papiers de l’académicien environ sept mois après sa mort,
dans des circonstances qu’il détailla dans une lettre, publiée dans les
Nouvelles littéraires du 2 novembre 1715. Il y raconte comment il
sauva les manuscrits de Charpentier des mains de son neveu, qui avait
commencé à les jeter au feu, après un excès d’alcool. Les documents
dont il se servit étaient les restes de cette lambée. Précieusement
recueillis par Boscheron, ils semblent avoir aujourd’hui disparu.
Néanmoins, l’auteur inséra de nombreuses transcriptions de lettres
et d’écrits dans sa biographie.
L’abondance des pièces et des personnes citées dans ce manuscrit
empêche d’en faire la présentation complète au cours de ces quelques
pages8. De plus, Boscheron n’y donna aucun ordre, assemblant « ces
mémoires suivant la diversité des matières qui se présenteroient sous
la main »9. De nombreuses lettres dont il ignore l’auteur, le destina-
taire ou la date, sont transcrites les unes à la suite des autres, ce qui

4. Voir la notice qui lui est consacrée dans la Biographie universelle de Michaud ; Boscheron,
Poésies diverses de M***, contenant une ode au roy et une ode à la reine et plusieurs autres pièces
choisies, Paris, J. Langlois, 1728 ; Id., Rêveries sérieuses et comiques, œuvres diverses, par M***,
correcteur en la Chambre des comptes, Paris, J. Langlois, 1728.
5. Paris, BnF, Manuscrits occidentaux, Ms. fr. 24329 : Boscheron, Vie de M. Quinault de
l’Académie françoise avec l’origine des opéra en France.
6. A. Varillas, Varillasiana, ou Ce que l’on a entendu dire à M. Varillas, historiographe de
France. Mis au jour par M. Boscheron, Amsterdam, Z. Chastelain, 1734.
7. Lettre de Boscheron datée du 31 janvier 1714, conservée à la Bibliothèque universitaire de
Leyde, publiée par W. Brooks, « Early eighteenth-century editions of Pavillon – a note on
editorship », Quærendo VII, 4, automne 1977, p. 313.
8. Un autre article sera consacré à l’étude du manuscrit dans son ensemble.
9. Boscheron, op. cit. (n. 1), fo 152 vo.
NOUVELLES déCOUVERtES AUtOUR dE FR. CHARPENtIER 11

le conduit parfois à des conclusions erronées et nécessiterait une


analyse bien plus développée. Nous nous contenterons donc, après
avoir brossé un rapide portrait de Charpentier, d’étudier ses travaux
en lien avec les Beaux-Arts, encore ignorés, mais qui permettent de
mettre en évidence son implication dans la conception des grands
décors royaux.

François Charpentier est une igure qui demeure assez mysté-


rieuse. Aucune représentation de l’homme de lettres ne semble être
parvenue jusqu’à nous10. Dans son éloge, le Journal des Savants le
décrit ainsi :
« Il avoit le corps robuste et sain, la voix masle et forte, avec un certain air de
coniance, et si on l’ose dire, d’intrépidité. Il étoit naturellement éloquent, et
parloit avec véhémence. de sorte que lors qu’il soutenoit un avis, et que son
feu s’allumoit par la contradiction, il luy échapoit quelquefois des choses
plus belles encore, que tout ce qu’il a écrit de plus vif et de plus animé11. »

Charpentier faisait partie de ces curieux passionnés, dont


l’érudition s’étendait à de nombreux domaines. dans son manuscrit,
Boscheron rassemble des écrits portant bien évidemment sur la
littérature et l’histoire, mais aussi sur la théologie, la philosophie,
la chimie, la médecine et même la chiromancie12. Les tâches qui
furent coniées à Charpentier s’avérèrent d’ailleurs tout aussi variées
que ses intérêts, dépassant largement l’idée que l’on peut se faire
aujourd’hui d’un homme de lettres. Après avoir publié ses traduc-
tions de Xénophon13, et des poèmes louant Mazarin ou Louis XIV, il
entra au service de Colbert certainement dès l’année 1664. L’une de
ses premières réalisations pour le ministre fut probablement de ré-
diger un discours pour l’établissement de la Compagnie des Indes14.

10. Boscheron nous apprend néanmoins que Roger de Piles peignit son portrait, qui servit de
modèle à un médaillon, ibid., fo 125 vo.
11. Journal des Savants, 1702, p. 508.
12. L’inventaire de sa bibliothèque, même si tous les titres ne sont pas mentionnés, témoigne de
l’étendue de ses intérêts. Paris, Archives nationales, minutier central, LIII, 126 : Inventaire après
décès de François Charpentier, 2 mai 1702.
13. Fr. Charpentier, Les Choses mémorables de Socrate, ouvrage de Xénophon, traduit de grec
en françois..., Paris, Veuve J. Camusat et P. Le Petit, 1650 ; Id., La Cyropaedie, ou l’Histoire de
Cyrus, traduite du grec de Xénophon par Mr Charpentier..., Paris, A. de Sommaville, 1659.
14. Fr. Charpentier, Discours d’un idèle sujet du roi touchant l’établissement d’une compagnie
française pour le commerce des Indes orientales..., Paris, 1664 ; puis Id., Relation de l’establissement
de la Compagnie francoise, pour le commerce des Indes orientales. Dédiée au roy, Paris, S. Cramoisy
et S. Mabre-Cramoisy, 1665.
12 COMPtES RENdUS dE L’ACAdéMIE dES INSCRIPtIONS

Ainsi, l’étude des Anciens et les « quittances poétiques »15, qu’il


avait l’habitude d’offrir en compliment ou en remerciement à ses
amis et protecteurs, s’enrichirent d’écrits liés à la politique. Selon
Boscheron :
« nôtre auteur s’est veu souvent troublé dans son sommeil pour répondre
aux sollicitations du Ministre, qui la nuit même lui envoyoit des exprès
pour dresser soit une lettre aux puissances étrangères, quelque traité secret
entre ces mêmes puissances, où quelques édits où déclarations pour l’utilité
du commerce16. »

Si l’on en croit Boscheron, Charpentier joua donc un rôle non


négligeable auprès de Colbert qui reste à redécouvrir17. Sa tâche
de conseiller ne s’étendait certainement pas aux prises de décision
politiques, mais Colbert devait avoir sufisamment coniance en lui
et en son érudition pour lui faire tenir la plume dans les instants
importants.
Ce furent ses réalisations pour le ministre et en particulier à la
Petite Académie qui le conduisirent à travailler pour les Beaux-Arts.
Il it partie des quatre premiers membres de cette assemblée, instau-
rée par Colbert en 1663, ain de l’aider à servir la gloire du roi dans
le domaine des Arts et des Belles-Lettres. Ce petit conseil de lettrés
réunissait au départ : Amable de Bourzeis, Jacques Cassagne, Jean
Chapelain, Charles Perrault, presque aussitôt rejoints par François
Charpentier. Si l’on connaissait déjà la contribution de ce dernier à
la création d’inscriptions et de médailles, le manuscrit de Boscheron
révèle plusieurs projets demeurés inconnus.

deux lettres de Charpentier destinées à Colbert, évoquent un


dessein du surintendant pour le décor de la Grande Galerie du

15. Expression que l’on retrouve dans une lettre de Charpentier à Hotman (conseiller du roi,
maître des requêtes et procureur général du roi à Fontainebleau), datée du 5 juillet 1664, Boscheron,
op. cit. (n. 1), fo 132.
16. Ibid., fo 63 vo-64 ro.
17. Boscheron rapporte, parmi les papiers de Charpentier, une lettre envoyée par les Provinces-
Unies à Louis XIV et la réponse que le roi leur adressa le 6 janvier 1672, qui marque les origines de
la guerre de Hollande, ibid., fo 66-67. La réponse copiée dans le manuscrit comporte quelques
différences avec la lettre originale, notamment une phrase qui pourrait laisser penser qu’il s’agissait
d’un brouillon peut-être corrigé par Charpentier ou écrit sur les ordres de Colbert pour le roi. Il ne
faut pas écarter pour autant l’hypothèse d’une mauvaise interprétation de Boscheron. Charpentier
ayant à écrire l’histoire du roi, il est possible que Colbert lui remît des documents pour l’aider dans
sa tâche, dont ces lettres auraient fait partie.
NOUVELLES déCOUVERtES AUtOUR dE FR. CHARPENtIER 13

Louvre. dès son arrivée à la surintendance des Bâtiments, Colbert


souhaita terminer cette décoration, restée inachevée après le départ
de Nicolas Poussin pour Rome18. Toutefois, aucun projet ni aucuns
travaux ne furent entrepris immédiatement. Les premiers paiements
pour ce décor n’intervinrent qu’en 1668, et ils concernaient unique-
ment le rétablissement et la continuation de la partie endommagée
de la voûte commencée par Poussin19. Les deux lettres copiées par
Boscheron sont donc, à notre connaissance, les seuls témoignages de
cette décoration pour les trumeaux de la Grande Galerie du Louvre
sous Louis XIV. Elles peuvent être datées de la in de l’année 1667
ou du début de l’année 166820, c’est-à-dire au même moment que la
reprise du décor de la voûte.
La première lettre est un bon témoignage du fonctionnement
instauré par Colbert dans son administration des Bâtiments, ainsi
que du mode d’élaboration des grands décors royaux. Colbert donna
la thématique précise, Charpentier n’ayant plus qu’à effectuer les
recherches pour déterminer le sujet de chaque peinture. Quant à
Charles Perrault, commis de Colbert, secrétaire et membre de la
Petite Académie, il jouait un rôle crucial dans le domaine des Bâ-
timents, se faisant l’intermédiaire entre les artistes ou hommes de
lettres et le ministre, chez lequel il fut longtemps logé21.
Ce type de témoignage est trop rare pour ne pas être retranscrit :
« Monseigneur,
Vous m’avez fait l’honneur de me commander de ramasser les principaux
événemens de la vie du Roy, sur lesquels on puisse former des desseins de
tableaux, pour employer dans la grande galerie du Louvre. Je m’y suis ap-
pliqué incessament, Monseigneur, pour vous obéir avec le plus de prompti-
tude qu’il m’a été possible, et vous en trouverez ici le nombre de cinquante
quatre que vous avez souhaité, ain de laissez trente tremeaux vuides pour
les actions à venir ; Si vous même, Monseigneur, ne jugez à propos de

18. Procès-verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture, 1648-1793, A. de


Montaiglon éd., Paris, J. Baur, 1878, t. I, p. 246-247.
19. Finalement, ce fut surtout le mobilier de cette galerie qui fut réalisé, notamment la série de
tapis de la Savonnerie.
20. dans la seconde lettre, transcrite plus bas, Charpentier évoque la « dernière campagne de
1667 ».
21. Le 4 juin 1670, Chapelain écrivit : « Mr Perrault, dont vous me demandés la qualité et la
demeure, est commis des bastimens du Roy sous Mgr Colbert qui en a la surintendance et est logé
dans son hostel mesme auprès de sa personne. » Voir J. Chapelain, Lettres de Jean Chapelain de
l’Académie française, P. tamizey de Larroque éd., Paris, Imprimerie Nationale, 1883, p. 686, n. 1.
14 COMPtES RENdUS dE L’ACAdéMIE dES INSCRIPtIONS

laisser plus de trente places vuides, puis qu’assurément les grands exploits
de Sa Majesté éclatteront encore plus à l’avenir que par le passé […]22 »

Colbert écrivit la réponse suivante au dos de la lettre de


Charpentier, et la renvoya à Perrault :
« Je n’ai point dit qu’il fallût faire recherche des principales actions qui se
sont passées depuis l’avènement du Roy à la couronne pour en faire des
tableaux dans les tremeaux de la grande gallerie ; mais seulement des prises
de villes et des batailles d’autant plus que ces tremeaux doivent contenir la
prise d’une ville laquelle sera en modele au dessous.
Il faut donc reformer le mémoire de Monsieur Charpentier, et ne rechercher
que les villes quand même elles auroient été reprises depuis par les
ennemies, et les principales batailles.
Colbert23 »

Ce document montre toute l’implication du ministre dans ce


projet. Il voulait achever le Louvre, bien plus que Louis XIV, et
envisageait le meilleur des décors pour servir son souverain. Il avait
donc prévu une galerie de batailles. Chaque trumeau aurait été com-
posé d’une représentation peinte de la bataille, accompagnée d’un
petit éloge historique et d’un modèle de la ville placé en dessous.
On peut d’ailleurs se demander si Colbert, en parlant de « modèle »,
pensait à un plan peint sur le mur ou à un plan-relief disposé devant
chaque trumeau.
La seconde lettre retranscrite par Boscheron apporte quelques
précisions sur le programme et la manière dont Charpentier
l’envisageait :
« Autant que de vous renvoyer le catalogue des prises de villes et de batailles
arrivées sous le Règne de Sa Majesté, je l’ay non seulement examiné en
mon particulier, avec le plus de soin qu’il m’a été possible ; Mais même
j’en ay pris l’avis de quelques personnes fort informées de nôtre histoire, et
sur tout des Messieurs qui composent nôtre assemblée, à qui je l’ai leu, leur
faisant remarquer les raison du choix que j’avois fait, et lesquelles ils ont
approuvées. Et de vray, Monseigneur, j’ai trouvé que le nombre de 53 ou 54
tableaux que vous avez désiré, envelope tout ce qui est de plus remarquable
depuis l’avènement de sa Majesté à la Couronne. Car en 1648 que les trou-
bles de la France commencèrent jusqu’en 1654 il s’est fait peu de choses
hors du Royaume, et je n’ai pas creu qu’on deût marquer les succès des
armes du Roy dans ses propres états pour ne point perpétuer la mémoire

22. Boscheron, op. cit. (n. 1), fo 107-108.


23. Ibid.
NOUVELLES déCOUVERtES AUtOUR dE FR. CHARPENtIER 15
de nos désordres. depuis 1654 jusqu’en 1658 qu’on commença à parler de
la paix, il s’est fait véritablement plusieurs actions considérables, mais il
y a beaucoup de reprises de villes que les ennemis nous avoient enlevées
durant nos troubles, et si l’on mettoit une seconde fois, les tableaux de ces
places reprises, peut-être que cela seroit désagréable dans une galerie où
la diversité des peintures fait le principal ornement. Par la même raison
les plans des villes de Courtray, Furnes, Bergues, n’ont point été marqués
sous l’année 1646 où elles avoient été prises, ain d’éviter de représenter
deux fois les mêmes villes ; n’y ayant pas de doute quelles devoient être
préférablement parmi les événemens de cette dernière campagne de 1667
que la présence du Roy en son armée a rendu plus signalée que toutes les
autres. Quant aux petits éloges historiques, j’ai suivi la manière qui vous a
agréé, comme vous m’avez fait l’honneur de la marquer en marge du pre-
mier catalogue. Je vous rends raison de cette conduite, Monseigneur, pour
satisfaire à mon devoir, qui sera éternellement d’exécuter vos ordres avec
toute l’exactitude dont je serai capable tant pour ne me point rendre indigne
de vos commandemens que pour répondre en quelques façons aux bienfaits
dont vous me comblez, et en mériter s’il m’est possible la continuation par
la parfaite reconnaissance que j’en aurai toute ma vie, et par le profond
respect avec lequel je suis, etc.24. »
Malheureusement, ce sont les seules informations que nous pos-
sédons sur ce projet de décor. Le catalogue évoqué par Charpentier
n’est pas retranscrit par Boscheron et il semble qu’aucune peinture
ne fut réalisée sur les trumeaux de la galerie. Ces deux lettres té-
moignent surtout du rôle prépondérant de Colbert dans les travaux
entrepris au Louvre et de l’action essentielle de la Petite Académie
qui recherchait les sujets et la manière la plus juste pour représenter
le roi et ses actions.

La cohérence des créations destinées à Louis XIV durant les an-


nées 1660-1680 résulte de cette organisation instaurée et conduite
par Colbert. Ainsi, même s’il ne fut jamais mis en œuvre, ce décor
pour le Louvre s’inscrivait parfaitement dans les grandes réalisa-
tions lancées par le ministre, notamment les tapisseries de l’Histoire
du roi, les tableaux de batailles de Van der Meulen, les suites gravées
des conquêtes de Louis XIV (associant une scène de bataille, à un
plan et à un texte de Charpentier25) et le projet inachevé de l’histoire

24. Ibid., fo 57 vo-58.


25. Sur cette suite appelée Les grandes conquêtes du Roi, gravée par Sébastien Leclerc et Louis
de Châtillon, voir M. Préaud, Inventaire du fonds français. Graveurs du xviie siècle, Sébastien
16 COMPTES RENDUS DE l’ACADéMIE DES INSCRIPTIONS

du roi conié d’abord à Charpentier avant d’être remis à Racine et


Boileau. Ce projet était déjà annonciateur du décor de la Grande
Galerie de Versailles, même s’il s’agissait pour le Louvre d’une
forme plus traditionnelle de galerie associant une suite de batailles
et de plans. L’intérêt croissant de Louis XIV pour Versailles à la
même période fut certainement la cause de l’abandon de ce projet
pour le Louvre.
Les travaux de Versailles sont également évoqués dans le
manuscrit. On sait, grâce à la préface d’un traité sur la peinture que
Charpentier avait entrepris d’écrire, qu’il y eut un désaccord entre
certains membres de la Petite Académie au sujet de la nécessité de
mettre des inscriptions en bas des peintures des Grands Apparte-
ments26. Si inalement, il fut résolu pour ces décors de ne pas les
accompagner d’inscriptions, Charpentier et ses alliés réussirent à
convaincre leurs adversaires puisque la Grande Galerie de Versailles
fut conçue dès le départ avec des cartouches pour contenir les titres
des tableaux.
L’apport le plus précieux de ce manuscrit est peut-être de nous
rappeler à quel point ces réalisations étaient collectives, naissant
de discussions et parfois de violents débats. À cet égard enin,
une dernière lettre mérite d’être mentionnée rapidement. Il s’agit
d’une réponse que le Premier Peintre de Louis XIV, Charles Le
Brun, adressa à Charpentier27. La familiarité du ton, l’évocation
d’échanges de livres, de lettres et d’estampes entre les deux hommes,
témoignent de rapports assez étroits. Le Brun répondait à une ques-
tion de Charpentier, certainement pour son traité sur la peinture,
en lui citant plusieurs passages de Cicéron. Et à l’inverse, Le Brun
s’informait des débats agitant le monde des lettres, demandant à
Charpentier de lui communiquer ses rélexions sur le Tombeau du

Leclerc I, tome 8, Paris, BnF, 1980, no 630-644, p. 168-175 ; ainsi que R.-A. Weigert, Inventaire du
fonds français. Graveurs du xvii e siècle, Boulanger (Jean)-Chauveau (François), tome 2, Paris,
BnF, 1951, (Louis de Chatillon no 65-80), p. 386-387. Les discours de Charpentier pour cette suite,
dont une partie n’a pas été employée, ont été étudiés et publiés par R. Faille, « Un recueil inédit des
Conquêtes de Louis XIV pendant la guerre de Hollande (1672-1678) », Revue du Nord LXXXI, 33,
juillet-septembre 1999, p. 515-548.
26. Boscheron, op. cit. (n. 1), fo 10.
27. Ibid., fo 144 vo-145 vo. Lettre citée à propos de la querelle entre Racine et Perrault par
R. Picard, Nouveau Corpus Racinianum : recueil-inventaire des textes et documents du 17e siècle
concernant Jean Racine, Paris, CNRS, 1976, p. 90. Elle est transcrite intégralement dans G. Lafage,
Charles Le Brun décorateur de fêtes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 72.
NOUVELLES déCOUVERtES AUtOUR dE FR. CHARPENtIER 17

P. Cossart28, ainsi que la réponse que Charles Perrault avait adressée


à Racine29, dans la querelle naissante des Anciens et des Modernes.
Ce témoignage met en évidence les liens et les échanges qui
existaient entre les hommes de lettres et les artistes, plus familiers
et étroits qu’on ne le pensait, ainsi que toute la vitalité qui animait
les arts au service de Louis XIV. Une part de cette histoire « plus
humaine » de la création reste à redécouvrir. Ce manuscrit sur
Charpentier est à cet égard très précieux, il permet de remettre en
lumière l’homme de lettres, le conseiller de Colbert et les travaux
demeurés dans l’ombre de l’un des importants bâtisseurs de la gloire
du roi.
*
* *

Le Secrétaire perpétuel Michel Zink, le Président Robert martin


ainsi que MM. Jean-Pierre babelon, Roland recht et Pierre
laurens prennent la parole après cette note d’information.

28. [F. Charpentier], Lettre sur un nouveau poème latin intitulé Gabrielis Cossarti tumulus,
Paris, J. Langlois ils, 1675.
29. « Lettre à Monsieur Charpentier de l’Académie françoise, sur la préface de l’Iphigénie de
Monsieur Racine », publiée dans P. Quinault, Alceste suivi de La Querelle d’Alceste. Anciens et
Modernes avant 1680, W. Brooks, B. Norman et J. Morgan Zarucchi éd., Genève, droz, 1994,
p. 113-122.

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