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LA TRANSMISSION MÉDIÉVALE DES SAVOIRS

ENTRE L’ORIENT ET L’OCCIDENT

par Tribonien Bracton

TABLE DES MATIÈRES

1. Introduction — Histoire et polémique……………………………p. 2

2. L’hellénisme, pré-requis à l’essor scientifique……………..…….p. 3

3. Qui sont les chrétiens d’Orient ?…………………...………….….p. 5

4. Les chrétiens d’Orient en Occident,


agents de l’hellénisme.………………….p. 6

5. L’écriture arabe : une invention chrétienne……………………....p. 7

6. Les Araméens chrétiens,


transmetteurs de la culture hellénique………….......p. 9

7. L’âge d’or de l’Islam entre rêve et réalité.....................................p. 11

8. Éclairage sur l’« âge obscur » de l’Occident……………………p. 15

9. Querelle historiographique et amnésie volontaire........................p. 16

10. Conclusion — Notre devoir de mémoire…………...……….....p. 19

11. Bibliographie………….…………………………………...…..p. 20

1

1. Introduction — Histoire et polémique

Tous reconnaissent que les grandes civilisations et traditions culturelles de l’humanité n’évoluent pas
complètement séparément les unes des autres et qu’il y a, ponctuellement, des échanges entre elles.
Ainsi est-il admis que dans l’Antiquité, les avancées mathématiques et astronomiques des Grecs puis
des Romains eurent une influence non-négligeable sur le développement des sciences indiennes1.
Réciproquement, il est acquis que plusieurs termes en français proviennent de l’hindi (jungle,
bungalow, pyjama, etc.). De même, à l’heure où la Chine se redéfinit sur un modèle partiellement
occidental, ce n’est pas un secret qu’inversement l’Occident moderne doit à la Chine l’invention du
papier et de la poudre à canon (mais pas de la boussole2). Toutefois, cela ne doit pas nous amener à
croire que toutes les civilisations évoluèrent à la même vitesse, qu’elles eurent toutes les mêmes
fondements moraux et métaphysiques, et qu’elles exercèrent toutes une force d’attraction égale sur
leurs voisines et successeurs.

Cette notion de filiation culturelle est particulièrement controversée en ce qui a trait au rapport entre le
monde occidental et le monde musulman. L’interaction souvent conflictuelle entre ces deux pôles font
en sorte les enjeux idéologiques et politiques pèsent ici très lourd3. L’idée admise depuis plusieurs
décennies est que pendant que l’Europe était prisonnière de l’obscurantisme du Haut Moyen Âge,
« l’Islam aurait repris l’essentiel du savoir grec, l’aurait ensuite transmis aux Européens, et serait donc
à l’origine du réveil culturel et scientifique du Moyen Âge et de la Renaissance4. » Cette position sous-
entend une dette de l’Occident envers l’Islam médiéval.

Récemment, des universitaires mettent à mal ce paradigme dominant. Jacques Heers, ancien directeur
d’études médiévales à la Sorbonne, adresse ce qu’il appel la fable de la transmission arabe du
savoir antique, affirmant que « rendre les Occidentaux tributaires des leçons servies par les Arabes est
trop de parti-pris et d’ignorance : rien d’autre qu’une fable, reflet d’un curieux penchant à se dénigrer


1
Alain DANIÉLOU, Histoire de l’Inde, Paris, Fayard, 1983, p. 118-119 : « Le Romaka Siddhanta et le Pulisa Siddhanta,
qui remplacèrent les anciens traités d’astronomie, venaient d’Alexandrie. [L’auteur Indien] Varahmihira, dans ses ouvrages
sur l’astronomie, mentionne des auteurs grecs et sanskritise beaucoup de mots grecs. » ; Pierre MEILLE, Histoire de l’Inde,
Paris, Presses universitaires de France, 1965, p. 18-19 et 24.
2
Rodney STARK, Le Triomphe de la Raison : Pourquoi la réussite du modèle occidental est le fruit du christianisme, Paris
Presses de la Renaissance, 2007, p. 78-79.
3
Roger-Pol DROIT, « Et si l’Europe ne devait pas ses savoirs à l’Islam ? », Le Monde des Livres, 3 avril 2008.
4
Sylvain GOUGUENHEIM, Aristote au Mont Saint-Michel : Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Paris, Éditions
du Seuil, 2008, p. 11.
2

soi-même5. » Sylvain Gouguenheim, professeur d’histoire médiévale à l’École normale supérieure de
Lyon, a publié Aristote au Mont Saint-Michel, livre rafraîchissant qui élabore puissamment une contre-
thèse à la fable dominante décrite précédemment.

Dans la présente étude, nous présenterons ce qu’il est sans doute de permis de nommer la « thèse
Gouguenheim » et synthétisant son argumentation et en l’étayant d’analyses complémentaires. À cette
fin, nous expliquerons, à prime abord, pourquoi l’hellénisme, bien que teinté de maintes spéculations
ascientifiques, fut un ingrédient essentiel à l’émergence de la science expérimentale en Occident. Dans
un second temps, nous ferons le point sur l’identité des chrétiens orientaux et nous établirons que grâce
à l’arrivée d’une influente diaspora chrétienne orientale en l’Europe de l’Ouest médiévale, celle-ci était
plus hellénisée que ce que l’on croit habituellement. Subséquemment, nous rappellerons le fait – loin
d’être anodin mais pourtant méconnu – que se sont des chrétiens qui forgèrent l’écriture arabe. Ensuite,
nous ferons un survol de la magistrale œuvre de traduction des classiques grecs vers l’araméen puis
l’arabe par les Syriaques. Après cela, nous nous pencherons sur le soi-disant « âge d’or de l’Islam » en
s’intéressant à la fameuse « maison de la sagesse » de Bagdad et aux principaux savants « arabo-
musulmans » du Moyen Âge central. Avant de terminer, nous rectifierons quelques préjugés à la mode
quant au prétendu retard de l’Occident médiéval. Finalement, nous ferons une réévaluation de l’impact
réel qu’ont eu les Arabes et les Persans sur l’ascension de l’Europe.

2. L’hellénisme, pré-requis à l’essor scientifique

D’emblée, il faut dire que les Anciens n’étaient pas les détenteurs de la vérité absolue : l’essentiel de
leurs conceptions s’avérèrent ultimement fausses. Beaucoup d’encre à coulé à propos de l’allégué
« miracle grec », soit l’apparition d’une pensée qui tend à expliquer les phénomènes naturels sans avoir
recours aux activités des divinités dans le monde hellénique au milieu du millénaire précédent notre
ère. « Il ne faudrait pas en conclure que tous les Grecs adoptaient une attitude scientifique face au
monde6. » Et même les grands philosophes prétendument rationalistes de l’Hellade antique faisaient
régulièrement appel au surnaturel et au mythologique pour articuler leur vision de monde. Ainsi,
Anaximandre croyaient que les humains « étaient portés (en état miniature, bien sûr) dans des poissons


5
Jacques HEERS, « La fable de la transmission arabe du savoir antique », Nouvelle Revue d’Histoire, no 1, juillet-août
2002, p. 51-52.
6
Yves GINGRAS et al., Du scribe au savant : Les porteurs du savoir de l’Antiquité à la Révolution industrielle, Montréal,
Boréal, 1998, p. 45.
3

en attendant que la terre émerge des eaux7. » L’École de Milet prônait que le cosmos est « une entité
vivante dotée d’une âme8. » Les disciples de Pythagore de Samos « formaient une sorte de secte ayant
ses propres pratiques religieuses [… et …] construisirent une véritable mystique du nombre9. » Dans le
panthéisme mathématisé des pythagoriciens, malgré que ceux-ci n’en avaient aucune preuve empirique,
« le mouvement des sphères [célestes] produit des sons, inaudibles aux êtres humains10. » Pour
Empédocle, c’était l’amour et la haine qui agitait les « quatre éléments » (terre, air, eau, feu) : on avait
ainsi recours à une explication sentimentale pour rendre compte des phénomènes matériels. Il s’avère
que « le mode de pensée des Grecs faisait peu appel à l’expérience et utilisait beaucoup l’analogie […]
Le seul domaine qui semble avoir donné lieu à des expériences un peu systématiques est
l’acoustique11. » Dans la discipline de la médecine, « il ne faut pas surestimer l’importance des
médecins rationalistes [hippocratiques] en Grèce antique, qui n’ont jamais vraiment réussi à terrasser
leurs adversaires [médecins des temples et charlatans] avec lesquels ils étaient en constante
compétition12. »

Si Platon d’Athènes et Aristote de Stagire optèrent pour une trajectoire circulaire erronée des planètes
(elle est en réalité elliptique), c’est par esthétique religieuse : les cercles sont les « seules figures
parfaites compatibles avec un cosmos divin13 ». La théorie de transmutation des éléments formulée par
ces deux maîtres à penser est d’ailleurs à la base de l’alchimie. Un décret de 432 av. J.-C. interdit
d’astronomie à Athènes, cité qui brulât la bibliothèque du philosophe Protagoras et forçât son confrère
Anaxagore à s’exiler afin d’éviter la condamnation à mort pour impiété14. En fin de compte, « les
pratiques à nos yeux les plus rationnelles, c’est-à-dire les plus conformes à nos propres canons
scientifiques, étaient le fait d’une infime minorité de la population15 », frange qu’il est peut-être hâtif de
qualifier de « rationnelle » au sens moderne.

Comme le souligne avec justesse le sociologue Rodney Stark (codirecteur de l’Institut d’études des
religions, Baylor University), la simple possession des textes de Platon et d’Aristote n’est pas en soit un
gage de déploiement des techniques. Les importantes innovations architecturales, agricoles et militaires

7
Ibid., p. 48.
8
Ibidem.
9
Ibid., p. 50.
10
Ibidem.
11
Ibid., p. 54.
12
Ibid., p. 59.
13
Ibid., p. 63, cf. p. 70.
14
Ibid., p. 68 et 73.
15
Ibid., p. 45.
4

du Moyen Âge occidental se firent sans aucun recours aux classiques grecs16. Cependant, il ne faut pas
regarder l’admiration qu’on a portée aux Anciens au cours de l’histoire uniquement comme un obstacle
au développement des connaissances. On peut présument que les postulats grecs se posèrent comme
points de départ qui, une fois acceptés, purent être remis en question, débattus, puis éventuellement
corrigés et remplacés. L’atteinte (ou le maintient) d’un certain degré d’hellénisme fut une condition
nécessaire à l’essor scientifique en Occident (sans être la seule). Sans érudits connaissant le grec, pas
d’accès aux œuvres des Anciens, et sans les œuvres des Anciens, pas de déclenchement du processus
scientifique.

3. Qui sont les chrétiens d’Orient17 ?

L’araméen est une langue sémitique qui fut d’abord parlée au début du Ier millénaire avant Jésus-Christ
par la population du royaume d’Aram en actuelle Syrie. Au cours des siècles, elle est devenue la langue
vernaculaire de tout le Proche-Orient. En se diffusant, l’araméen se divisât en rameaux distincts. Celui
qui était parlé en Terre Sainte était différent que celui qui était parlé à Babylone. L’araméen originaire
de la région d’Édesse (sud-est de l’actuelle Turquie) est appelé syriaque18. Puisque le christianisme en
Orient fut répandu à partir d’Édesse aux IIe et IIIe siècles, le syriaque est devenu l’araméen de la plupart
des églises du Proche-Orient (à l’exception des Melkites qui sont culturellement grecs et des Maronites
qui descendent des Phéniciens). On désigne ainsi par Syriaques l’ensemble des chrétiens d’Orient de
langue araméenne. Avec le temps, pour des raisons d’éloignement géographique et de dissension
théologique, le syriaque lui-même en est venu à se diviser en deux branches19. Le syriaque occidental
était parlé dans le Levant et en Haute-Mésopotamie, et le syriaque oriental, qu’on appelle chaldéen (ou
parfois nestorien), était employé en Basse-Mésopotamie en en Perse.

16
Rodney STARK, God’s Battalions : The Case for the Crusades, New York, HarperOne Publishers, 2010, p. 65-76. Stark
va jusqu’à soutenir : « La naissance de la science ne fut pas une extension du savoir classique. Elle était le prolongement
naturel de la doctrine chrétienne : la nature existe parce qu’elle a été crée par Dieu. Afin d’aimer et d’honorer Dieu, il est
nécessaire d’apprécier pleinement les merveilles de son œuvre. Puisque Dieu est parfait, son œuvre fonctionne en accord
avec des principes immuables. Par le plein usage des pouvoirs de raisonnement et d’observation qui nous ont été donnés par
Dieu, il devrait nous être possible de découvrir ces principes. » Id., Le Triomphe de la Raison : Pourquoi la réussite du
modèle occidental est le fruit du christianisme, Paris, Presses de la Renaissance, 2007, p. 45. Dans cette optique,
l’hellénisme aurait plutôt été un obstacle à l’émergence et à l’épanouissement en Occident. Chose certaine, l’Occident eut
un grand mal à se libérer du dogmatisme aristotélicien aux XVIe et XVIIe siècles.
17
Nous sommes conscients que la christologie des monophysites et des nestoriens est inexacte. Puisque nous étudions ici
l’activité profane de ces groupes plutôt que leur engagement strictement religieux, nous employons l’appellation générale de
« chrétien » pour les désigner et renvoyons les lecteurs à la confession de foi de Chalcédoine pour l’exposé d’une
christologie orthodoxe.
18
Françoise BRIQUEL-CHATONNET, « Tout commence à Édesse », L’Histoire, no 337, décembre 2008, p. 50.
19
Alain DESREUMAUX, « À Sarcelles, on parle chaldéen », L’Histoire, no 337, décembre 2008, p. 64.
5

4. Les chrétiens d’Orient en Occident, agents de l’hellénisme

L’érudition grecque en Occident, bien que fortement diminuée dans les siècles qui suivirent la chute de
l’Empire romain, ne disparut jamais complètement. La Sicile et l’Italie du Sud étaient peuplées de
populations grecques depuis l’Antiquité. Les migrations germaniques ne les déracinèrent pas.
Toutefois, la conquête arabe de la Sicile en 827 puis les raids destructeurs perpétrés jusqu’en Italie
centrale leur porta un rude coup : « monastères incendiés, bibliothèques détruites, habitants tués ou
réduits en esclavage20. » Les prestigieuses abbayes de Farfa et du Mont Cassin, dévastées par les
Sarrasins en 883, ne furent réoccupées respectivement qu’en 914 et 949. Entre temps, leurs moines
furent accueillis par Grégoire le Grand qui leur confia la mission de sauvegarder les textes classiques21.
Ces razzias ne contribuèrent évidemment pas à l’avancement des disciplines intellectuelles en
Occident. Ironiquement, d’autres conquêtes sarrasines provoquèrent indirectement une augmentation
du nombre de porteurs de l’hellénisme en Occident :

Au VIIe siècle, se produisit une forte immigration de Grecs et de Levantins qui


fuyaient les invasions perse et arabe. Cette présence orientale eut une conséquence
aujourd’hui oubliée mais néanmoins des plus remarquables : la série quasi
ininterrompue entre 685 et 752 de papes grecs et syriaques. Ces hommes étaient des
réfugiés de l’Empire byzantin : Anatolie centrale et Syrie – principalement de la
région d’Antioche22.

Chaque invasion musulmane provoqua ainsi, au bénéfice de l’Occident, une vague d’émigration d’une
partie des élites chrétiennes d’Orient : des Coptes d’Égypte dès le VIIe siècle, des Arméniens autour de
l’an mil, des Berbères du Maghreb à partir du XIIe siècle, des Slaves au XIVe siècle. Il existait ainsi au
Moyen Âge une authentique diaspora chrétienne orientale en Occident. Ces réfugiés amenèrent avec
eux quantité de livres : commentaires philosophiques, traités techniques, ouvrages médicaux, tables
astronomiques. La culture hellénique essaima en Europe de l’Ouest. Dès le Haut Moyen Âge, on
retrouve en Italie du Nord, en Catalogne, en Gaule, en plein cœur de l’Allemagne et jusqu’en
Angleterre un nombre substantiel de lettrés hellénophones dans les monastères, les évêchés et les cours


20
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 29.
21
Danièle MASSON, « Aristote au Mont Saint-Michel par Sylvain Gouguenheim », Réseau Regain, avril 2009, 3 p.
22
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 30.
6

princières. Ils furent souvent promus à des postes élevés. Par exemple, le Grec Théodore de Tarse
occupa le siège d’archevêque de Cantorbéry de 669 à 69023.

Les Carolingiens puis les Ottoniens entretinrent des relations étroites avec Byzance et, fascinés par
l’hellénisme, ils mirent à leur service des érudits ayant une solide maîtrise du grec et qui ne tardèrent
pas à l’enseigner à d’autres clercs. Vers 760, le roi Pépin le Bref se fait envoyer la Rhétorique
d’Aristote en grec par le pontife de Rome Paul Ier. En plus de la maîtrise orale du francique et du latin,
le « Père de l’Europe » Charlemagne commença à manier ces langues (ainsi que le grec) à l’écrit à la
fin de sa vie24. Les théologiens francs se démontrèrent capables de rédiger, en s’appuyant notamment
sur le livre des Catégories d’Aristote, une solide réfutation des thèses iconodoules et des excès
iconoclastes qui secouaient alors le monde byzantin. Ils allèrent jusqu’à prétendre que les Grecs d’alors
ne connaissaient pas leur propre philosophie25 ! Exagération certes, mais qui témoigne néanmoins que
la philosophie antique n’était pas ignorée dans le Regnum Francorum26.

Plusieurs mariages furent même envisagés : l’impératrice Irène se proposa à Charlemagne et offrit son
fils Constantin VI à Rothrude (fille de Charlemagne) ainsi qu’à Ermengarde (sœur ou cousine du
même)… aucun de ces projets n’aboutit27. Plus tard, Othon II épousa une princesse byzantine,
Théophania, qui fut une influente régente du Saint-Empire romain germanique au Xe siècle. Leur fils
Othon III, à moitié Grec, devint empereur à son tour en 996. « Paradoxalement, l’Islam a d’abord
transmis la culture grecque à l’Occident en provoquant l’exil de ceux qui refusaient sa domination.
Mais cette fuite n’aurait guère eu de conséquences si les Grecs de Byzance n’avaient pris le relais et si
les élites occidentales ne s’y étaient pas intéressées28. »

5. L’écriture arabe : une invention chrétienne

La tâche de traduction des Anciens par les chrétiens araméens vers l’arabe fut facilitée par la
ressemblance entre le syriaque et l’arabe. Qu’est-ce qui explique cette proximité ? La plupart des
spécialistes s’accordent aujourd’hui à penser que l’écriture arabe dérive en partie de l’écriture
nabatéenne elle-même d’origine araméenne. Les Nabatéens, installés sur les terres bibliques du

23
Ibid., p. 33-34.
24
Jean GALL, « L’Empereur à la légende fleurie », Historia, no 765, septembre 2010, p. 16.
25
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 36.
26
Ibid., p. 34-35.
27
Lionel LACOUX, « Le projet de mariage entre Charlemagne et Irène », Académie de Dijon, http://histoire-geographie.ac-
dijon.fr/spiphistoire/IMG/pdf/Charlemagne_Irene.pdf, consulté le 1er décembre 2012.
28
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 34.
7

royaume d’Édom en Arabie du Nord (actuelles Jordanie et région du Néguev en Israël) vers le IVe
siècle av. J.-C. et dont la capitale était Pétra, parlait au départ un dialecte araméen et écrivait en
araméen. Ils furent christianisés aux III-IVe siècles. Intégrés dans la structure défensive de l’Empire
romain d’Orient, ils adoptèrent le droit privé byzantin.

Progressivement, se développa une écriture cursive formelle spécifiquement nabatéenne qui se


distinguait de l’araméen. Ce développement se doubla d’une évolution dans la langue parlée par les
Nabatéens avec l’introduction progressive de termes et de constructions grammaticales arabes.
L’écriture arabe est donc née aux alentours du VIe siècle apr. J.-C. de l’écriture cursive nabatéenne29.
L'hypothèse de l'origine nabatéenne s’appuie sur la comparaison entre les formes des caractères pris
individuellement. L’écriture nabatéenne a influé sur la forme des signes arabes, mais signalons que la
structure de l’écriture syriaque fut aussi déterminante. Les ligatures se font en bas pour le syriaque et
les lettres sont appuyées sur une ligne de base. Il en est de même en arabe tandis qu’en nabatéen les
lettres sont alignées par le haut, comme suspendues, et les ligatures se font à des endroits différents
selon les lettres. En nabatéen, les lettres sont plus hautes que larges ; en syriaque, comme en arabe,
elles sont plus larges que hautes30.

Les signes diacritiques (sortes de points, de traits ou d’accents placés autour des lettres afin de
différencier les consonnes au même tracé et les homographes) furent inventés par des Syriaques
d’Édesse dès le IIIe siècle apr. J.-C. Les voyelles, initialement absentes de l’alphabet syriaque, semblent
avoir été empruntés au grec en passant par le copte (égyptien influencé par le grec). Ces signes
diacritiques et ces voyelles, qui faisaient au départ également défaut à l’alphabet arabe, furent
transposés du syriaque à l’arabe. Les plus anciennes inscriptions arabes portant des signes diacritiques,
trouvées dans le Néguev, datent de la seconde moitié du VIe siècle31.

La création de la l’écriture arabe ne fut pas accidentelle, elle se fit consciemment. L’écriture arabe a été
conçue par des missionnaires chrétiens au VIe siècle avec l’objectif d’évangéliser les peuplades arabes.
Ce sont des lettrés de Basra au sud de la Syrie (capitale du royaume des Ghassanide, des Arabes
monophysites), de Hira la Blanche en Arabie (capitale du royaume des Lakhmides, des Arabes
nestoriens), et d’Al-Anbar (un double évêché lakhmide sur la rive droite de l’Euphrate), qui forgèrent

29
Jean-Christophe LOUBET DEL BAYLE, « Les origines nabatéennes de l'écriture arabe », Typographie & Civilisation,
http://www.typographie.org/trajan/arabe/arabe_0.html, consulté le 1er décembre 2012.
30
BnF, « Origines de l’écriture arabe », http://expositions.bnf.fr/livrarab/arret_sur/ecritures/origines.htm, consulté le 1er
décembre 2012.
31
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 86 et et 231.
8

l’écriture arabe32. Cette réalité historique était volontiers reconnue par des auteurs musulmans comme
Al-Baladuri (historien des premiers temps de l’islam mort en 892) ou Ibn Hallikan (historien mort en
1282).

Après la conquête islamique, s’avéra délicate, par contre, l’absence totale de termes scientifiques dans
la langue arabe : les nouveaux maîtres étaient des guerriers et des marchands nomades, pas des savants.
En conséquence, les Syriaques « ont forgé, de A à Z, le vocabulaire scientifique arabe33. » Les
chrétiens d’Orient sont donc à la source de la culture écrite arabo-musulmane.

6. Les Araméens chrétiens, transmetteurs de la culture hellénique

En l’an 270, l’armée perse fit une incursion terrible en Syrie gréco-romaine et déporta la population
syriaque d’Antioche dans un lieu qui devint la cité de Gundishapur dans l’ouest de la Perse. Dès le VIe
siècle s’y constitua l’Académie de Gundishapur, où travaillait un cercle de savants syriaques pétris
d’hellénisme. En plus de la médecine, ses facultés enseignaient la théologie, la philosophie, la science
naturelle, le grec, le pehlevi (langue persane) et le sanscrit (langue indienne). L’Académie comprenant
aussi une bibliothèque, un hôpital et un observatoire astronomique. Elle vit succéder à sa direction six
générations de physiciens-traducteurs nestoriens de la famille Bukhtiyshu. Cette institution bénéficia
grandement de la collaboration de l’église nestorienne locale34. Maints monastères syriaques émulaient
l’Académie de Gundishapur dans ce foisonnement intellectuel.

Les érudits monophysites, melkites et chaldéens détenaient au Haut Moyen Âge un quasi-monopole du
savoir scientifique dans cette région du monde. C’est eux qui effectuèrent la gigantesque œuvre de
traduction des textes classiques de l’Antiquité grecque (Platon, Aristote, Galien, Hippocrate, Ptolémée,
Archimède, etc.) en syriaque avant la conquête arabe puis, après que l’arabe soit devenu la langue du
pouvoir politique et de l’administration, ils poursuivirent en traduisant ces œuvres du syriaque à l’arabe
après la conquête. Le corpus qu’ils ont légué aux Arabes et aux Européens ne fut donc pas seulement
un « simple » (et immense) travail de traduction, mais également un monumental travail de synthèse,
d’analyse et d’augmentation des connaissances antiques.


32
Ibidem.
33
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 88.
34
Evans O'LEARY, How Greek Science Passed to the Arabs, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1949, 196 p, accessible en
ligne : Assyrian National News Agency, http://www.aina.org/books/hgsptta.htm, consulté le 1er décembre 2012 ; « History
of Medicine », Encyclopædia Britannica, http://www.britannica.com/EBchecked/topic/372460/history-of-medicine,
consulté le 1er décembre 2012.
9

Plusieurs des réalisations que l’on attribue habituellement aux Arabes sont ainsi le fait d’Araméens
chrétiens. Par exemple, on croit que l’on doit notre accès à la Grande composition mathématique de
l’Astronomie de Ptolémée aux « traducteurs arabes » car la version que possédaient les astronomes
européens au Moyen Âge central était appelée l’Almageste (al Majesti, « le Grand » en arabe). Or il
s’avère que la laborieuse traduction de l’Almageste fut surtout un accomplissement des Syriaques35.

Jusqu’au milieu du XIe siècle, les médecins des musulmans aisés étaient généralement des chrétiens36.
Le médecin le plus en vogue en Mésopotamie dans la première moitié du IXe siècle était le théologien
nestorien Jean Mésué. Il fut directeur de l’hôpital de Bagdad37 et composa une cinquantaine de traités,
dont le Livre de la dissection. Il rédigea le premier ouvrage d’ophtalmologie arabe, le premier traité de
diététique arabe, et le premier traité de minéralogie arabe38.

Son élève Hunayn ibn Ishaq (809-873) fut le véritable créateur de la terminologie médicale arabe.
Diacre nestorien, il est né à Hira en actuel Irak et étudia à Alexandrie. Il procéda en décalquant
plusieurs mots grecs en leur donnant une sonorité arabe. Ce faisant, il inventa des mots en prenant
appui sur leur sens dans leur langue d’origine. Cela exigeait une maîtrise admirable des trois idiomes
(grec, syriaque, arabe), et lui valut le surnom de « prince des traducteurs39 ». Il ne se limita pas à la
médecine ; on lui attribue une centaine d’ouvrages dans les disciplines les plus variées, allant de la
nutrition à la physique. Il composa entre autre un livre de pharmacologie, un dictionnaire gréco-
syriaque et un manuel de traduction du grec à l’arabe. Il mit sur pied une école de traduction, et à l’aide
de ses coreligionnaires, il traduisit et commenta en arabe 104 ouvrages de Galien, les Éléments
d’Euclide, la quasi-totalité des écrits philosophiques d’Aristote, les Lois, le Timée, et la République de
Platon40. Sa traduction du Physique du Stagirite fait encore autorité aujourd’hui dans le monde
islamique41.

Dans la continuité d’Ibn Ishaq, on peut mentionner le très prolifique Yahya ben Adi, un penseur
monophysite arabisé. Provenant de la ville syriaque de Tikrit, il vécut à Bagdad au Xe siècle42. Il était

35
Evans O'LEARY, op. cit., [En ligne].
36
Dimitri GUTAS, Greek thought, Arabic culture : the Graeco-Arabic Translation Movement in Baghdad, Abingdon,
Routledge Taylor & Francis Group, 1998, p. 130-134.
37
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 95.
38
Ibid., p. 99-100.
39
Ibid, p. 96.
40
Ibid, p. 97-98.
41
Dimitri GUTAS, op. cit., p. 131-133.
42
Sydney GRIFFITH, « Yahya ibn Adi (893-974) », Intellectual Encounters,
http://www.intellectualencounters.org/kotarapp/viewer.aspx?nbookID=93474450, consulté le 1er décembre 2012.
10

surnommé Al-Mantiqui (le Logicien)43. De ses nombreuses traductions d’Aristote, il ne nous reste
qu’une version de la Sophistique. Il est aussi l’auteur de 44 traités logiques, philosophiques,
théologiques, et éthiques44, dont le Tahdhib al-Akhlaq (Affinement du caractère) qui a été l’objet d’une
fausse attribution au mystique musulman Mohiédine ibn al-Arabi (1165-1240)45. En plus d’être un
formidable rhétoricien, Yahya ben Adi était un grand connaisseur d’Archimède et a composé plusieurs
traités sur les atomes46. Maître aristotélicien, il enseigna au sage islamique Isa ibn Ali47.

Dresser une description de tous les traducteurs et de toutes les traductions de cette période dépasse
l’objectif de cette étude. L’ouvrage intitulé Comment la science grecque est passé aux Arabes48, signé
par Evans O'Leary, énumère les principaux traducteurs de la science grecque. Retenons que des 22
intellectuels listés, 20 étaient Syriaques, un était Persan et un était Arabe. De son côté, Sylvain
Gouguenheim recense 23 grands traducteurs orientaux ayant écrit en arabe49 ; 22 étaient chrétiens et le
dernier était le sabéen50 Théodore Abu Qurra (836-901), un imposant mathématicien, astronome et
météorologue. En comptabilisant les « petits » traducteurs de textes philosophiques des IXe et Xe
siècles seulement, Gouguenheim en compte 61, dont 48 étaient Syriaques. Certains traducteurs étaient
Juifs, comme le médecin Masarjawayh de Basra qui, à la fin du IXe siècle, fut le premier à traduire du
syriaque à l’arabe les 30 traités du Pandectae Medicinae (où se trouvait la plus ancienne mention de la
petite vérole) rédigé au VIIe siècle par l'archidiacre Aaron d'Alexandrie51.

7. L’âge d’or de l’Islam entre rêve et réalité

La prédominance des Syriaques dans la sphère scientifique du monde islamique au Haut Moyen Âge
n’exclut pas qu’il y ait eu des lettrés arabo-musulmans qui laissèrent des écrits remarquables. Mais les
musulmans, pendant la période trompeusement appelée l’« âge d’or de l’Islam », demeurèrent

43
Nicholas RESCHER et Fadlou SHEHADI, « Yahya Ibn Adi's Treatise “On the Four Scientific Questions Regarding the
Art of Logic” », Journal of the History of Ideas, no 4, vol 25, automne 1964, p. 572-578.
44
Augustin PÉRIER, « Yahya ben Adi – Un philosophe arabe chrétien du Xe siècle », Revue néo-scolastique de
philosophie, no 92, vol 23, 1921, p. 443-445.
45
Samir KHALIL, « Nouveaux renseignements sur le “Tahdhib al-Akhlaq” de Yahya ben Adi », Arabica,
tome 26, fascicule 2, juin 1979, p. 158-178.
46
Carmella BAFFIONI, « Influences archimédiennes sur Yahya ibn Adi », Institut d’information scientifique et technique
du CNRS, http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/35324/po_1999_367.pdf, consultée le 1er décembre 2012.
47
Dimitri GUTAS, op. cit., p. 131-133.
48
Evans O'LEARY, op. cit., [En ligne].
49
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 207-210.
50
Les sabéens étaient les adeptes du sabéisme, un syncrétisme du christianisme et du judaïsme, surtout implanté au Yémen
et en Éthiopie.
51
Moshe GILL, Jews in Islamic Countries in the Middle Ages, Leyde, Koninklijke Brill, 2004, p. 297-298.
11

largement redevables aux chrétiens syriaques. « L’Orient musulman doit presque tout à l’Orient
chrétien52. » Ainsi, les éditions de l’Organon, de la Rhétorique et du Poétique (2e partie des Topiques)
d’Aristote réalisées par les scribes musulmans Utman al-Dimasqi au Xe siècle et Al-Hasan ben Suwar
au XIe siècle n’étaient en réalité que des rééditions des travaux d’Hunayn ibn Ishaq ; leur abondante
annotation marginale (gloses) était majoritairement tirée directement de traités syriaques53. « Dans
l’Irak des IXe-Xe siècles, les traductions avaient d’ailleurs été quasi exclusivement l’œuvre de
chrétiens54. »

Beaucoup d’encre a coulé à propos de la « maison de la sagesse » (bayt al-hikma) apparemment crée à
Bagdad par le calife abbasside Al-Mamun en 832. Des auteurs enthousiastes en ont fait l’équivalent
musulman de l’Académie nestorienne de Gundishapur. Des savants des trois monothéismes s’y seraient
fraternellement regroupés et auraient compilés, traduits et enseignés la somme des connaissances
accessibles. Or les sources contemporaines, plus sobres, ne parlent que d’un centre théologique
islamique ouvert aux seuls ulémas, traditionnistes, métriciens et généalogistes, autrement dit aux
disciplines relatives à l’étude de la religion islamique. Dès 847, cet endroit ne devint qu’une
bibliothèque dont l’activité s’évanouit au siècle suivant55.

Si les gouvernants musulmans encouragèrent souvent la récupération des connaissances des peuples
qu’ils soumirent, ils ne permirent pas pour autant la réflexion libre. Ainsi, le savant arabo-musulman
multidisciplinaire Yusuf al-Kindi (801-873) tomba en disgrâce à cause de ses vues philosophiques. En
848 le calife Al-Mutawakkil le fit battre et confisqua sa librairie56. Et cet intérêt des dirigeants
musulmans pour les sciences profanes n’est pas constant. En 642 le deuxième calife de l’Empire
islamique, Omar Ier, fit brûler l’antique bibliothèque d’Alexandrie. Au XIIe siècle, le sultan d’Alep
(Syrie) Nur al-Din fit incendier la riche bibliothèque araméenne de l’École théologique de Nisibe en
Haute-Mésopotamie, puis le vizir d’Égypte Saladin fit fermer la bibliothèque du Caire et fit jeter ses
livres57.


52
Danièle MASSON, op. cit., 3 p.
53
BnF, « Aristote : Organon, Rhétorique et Poétique. Traductions arabes, IXe-Xe siècle »,
http://classes.bnf.fr/dossitsm/gc138-25.htm, consultée le 1er décembre 2012.
54
Rémi BRAGUE, Au moyen du Moyen Âge : Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam, Chatou (Île-de-
France), Éditions de la Transparence, 2006, p. 315.
55
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 133-135.
56
Edmund ROBERTSON et John O'CONNOR, « Yusuf Al-Kindi », University of Saint Andrews, http://www-
history.mcs.st-andrews.ac.uk/Biographies/Al-Kindi.html, consulté le 1er décembre 2012.
57
Ephrem-Isa YOUSIF, Les syriaques racontent les croisades, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 199-200. La tradition veut
qu’Omar Ier se soit justifié en disant que « si ces livres contiennent des choses contraire au Coran, ils doivent être détruits ;
12

Qu’en est-il alors des individus ? Al-Farabi (872-950), persan arabisé et illustre commentateur de
Platon, reçut son éducation philosophique à Bagdad par un autre Persan arabisé, Matta ibn Yunus, et
par le moine nestorien Yuhnna ibn Quaylan58 Ce nestorien ayant ses racines dans la vallée orientale du
Tigre est le fondateur de l’École aristotélicienne de Bagdad59. Avicenne (980-1037), « le grand
commentateur arabe de Galien60 », n’était pas Arabe mais Persan. Dans son Canon de la médecine,
Avicenne plagia des pans entiers du traité dentaire d’Hunayn ibn Ishaq, sans jamais indiquer sa
source61. Al-Suhrawardi, un mystique originaire du nord-est de la Perse, dispensa dans une madrasa
d’Alep à partir de 1184 sa propre « philosophie de l’illumination » combinant des éléments de
platonisme et de mazdéisme. Il proposait d’harmoniser les connaissances intuitives et déductives.
Détesté par les oulémas sunnites, il fut sommé d’affirmer l’impossibilité pour Dieu d’envoyer un
nouveau prophète. Il infirma cette thèse, arguant l’omnipotence divine. Les oulémas alépins
multiplièrent alors leurs plaintes à Saladin, qui fit exécuter le philosophe dissident en 119162.

L’alchimiste persan arabisé Al-Razi (1149-1209) reprit un des traités dentaires du prince des
traducteurs Hunayn ibn Ishaq, utilisa la traduction du Serment d’Hippocrate du nestorien Hubaysh ibn
Al-Hasan63, et s’inspira des livres du physicien syriaque Salmawyh ibn Bunan64. Soulignons qu’Al-
Razi n’était pas musulman puisqu’« il se distingue par son opposition à toutes les religions
prophétiques65. »

Le célèbre Andalou Averroès (1126-1198), que l’on prend souvent pour un arabe mais qui était en
réalité un autochtone espagnol dont les ancêtres furent convertis (de gré ou de force) à l’islam66.
Important commentateur d’Aristote, il eut maints adulateurs occidentaux dès le Moyen Âge central. De
nos jours, une description typique de l’Andalousie d’Averroès se lit comme suit :


s’ils contiennent des choses que le Cora affirme déjà, ils sont inutiles ». Ce récit fut forgé non par un auteur chrétien, mais
par des chroniqueurs musulmans aux XIII-XIVe siècles, qui l’inventèrent pour magnifier l’islam. Voir Rodney STARK,
God’s Batallions…, op. cit., p. 64-65.
58
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 208.
59
Dimitri GUTAS, op. cit., p. 131-133.
60
Yves GINGRAS et al., op. cit., p. 123.
61
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 97.
62
Anne-Marie EDDÉ, Saladin, Paris, Éditions Flammarion, 2008, p. 453-454.
63
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 97.
64
Ibid., p. 207.
65
Ibid., p. 160.
66
Joachim VÉLOICAS, « Le mythe de la transmission arabe du savoir antique », Observatoire de l’islamisation,
http://www.islamisation.fr/archive/2008/03/26/le-mythe-de-la-transmission-arabe-du-savoir-antique.html, consulté le 1er
décembre 2012.
13

La population de l’Andalousie [...] comprenait des chrétiens, des musulmans et des
juifs. La tolérance réciproque qui régissait les rapports entre ces peuples et ces
religions [...] constitua un phénomène exceptionnel dans l’Europe médiévale. Pendant
des siècles, le califat de Cordoue fut un lieu d’échanges intellectuels et artistiques,
dont la construction de la Grande Mosquée est le témoignage le plus éclatant67.

C’est justement à cette Grande Mosquée de Cordoue – bâtie sur les ruines d’une église wisigothique
dont les propriétaires chrétiens furent expropriés – qu’Averroès, en sa qualité de juriste musulman
(faqib ou alim), prêcha le djihad offensif contre les mécréants chrétiens du nord. D’ailleurs, Averroès
insistait pour que les livres de philosophie « soient interdits au commun des hommes par les chefs de la
communauté68 ». Malgré cette attitude élitiste, ses doctrines furent anathémisées vers 1195 et ses
ouvrages de philosophie brûlés par le calife Al-Mansur de Marrakech. La plupart des savants
musulmans ici mentionnés furent en effet sévèrement harcelés ou condamnés par les autorités
religieuses de leur époque, et ne furent que récemment réhabilités comme des « héros de l’Islam éclairé
» au contact de l’Occident.

Al-Khwarizmi (800-850) est assurément une figure incontournable. Premièrement, s’il a écrit en arabe,
il n’était pas Arabe mais ethniquement Kurde et originaire de Perse. Deuxièmement, bien qu’on le
considère usuellement comme l’« inventeur de l’algèbre », ce titre est contesté par Diophante
d’Alexandrie qui vécut au IIIe siècle de notre ère. Surnommé le « père de l’algèbre69 », il fut le premier
à pratiquer l'algèbre en introduisant le concept d'inconnue en tant que nombre (le représentant par un
symbole nommé arithme). Son ouvrage principal, les Arithmétiques, une fois traduit par le chrétien
melkite Qusta ibn Luqa de Baalbek, servit de base aux mathématiciens araméens et arabes, incluant Al-
Khwarizmi70. (Qusta ibn Luqa rédigea aussi un traité sur l’hygiène sexuelle et un traité de médecine
pour les pèlerins71.) Notons finalement que jusqu’au XIe siècle, les mathématiciens arabes n'utilisaient


67
Thomas MADDEN et al., Les Croisades, Londres, Duncan Baird Publishers, 2004, p. 124.
68
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 156-159.
69
Luis RADFORD, « Diophante et l’algèbre pré-symbolique », Institut de recherche sur l’enseignement des
mathématiuques, Université de Strasbourg, http://irem.u-strasbg.fr/php/articles/68_Radford.pdf, consulté le 1er décembre
2012.
70
Roshdi RASHED, « Diophante d’Alexandrie », Encyclopaedia Universalis,
http://www.universalis.fr/encyclopedie/diophante-d-alexandrie/, consulté le 1er décembre 2012.
71
Dimitri GUTAS, op. cit., p. 131-133.
14

aucun symbole dans leurs exposés et écrivaient les nombres en lettres arabes plutôt qu'en chiffres
indiens72.

La notoriété d’Al-Khwarizmi vient également du fait qu’on croit qu’il rédigea le premier ouvrage arabe
sur la numération indienne, soit son Livre de l'addition et de la soustraction d'après le calcul des
Indiens. Il convient de préciser que les Arabo-musulmans ont connu la numérotation indienne par
l’entremise des Araméens chrétiens. Au VIIe siècle, c’est Sévère Sebokht, l’évêque monophysite de
Kennesrin sur l’Euphrate septentrional, qui introduisit l’utilisation des chiffres indiens dans l’écriture
arabe (Sebokht fut aussi le traducteur des Analytiques d’Aristote)73.

Parvenus au terme de notre survol du rapport entre la culture arabo-musulmane médiévale et la culture
antique classique, on ne peut qu’être frappé par la complexité du tableau qui se dessine. Récapitulons.
La création de l’écriture arabe fut faite par des chrétiens (araméens et arabes nabatéens romanisés),
l’invention du lexique scientifique arabe par fut faite des chrétiens syriaques, c’est un Persan convertit
au mahométisme, Sibawayh de Basra (750-796), entama la fixation de la grammaire arabe74, et la
plupart des savants issus de milieux islamiques qui s’intéressèrent de près à l’hellénisme au Moyen
Âge central étaient des Persans. Maints admirateurs regardent ces convergences atypiques comme une
symbiose harmonieuse et exceptionnelle, créditant du même coup cette conjonction à la magnificence
de la civilisation arabo-musulmane. Or, nous l’avons démontré, cette symbiose harmonieuse n’a pas eu
lieu. Si l’on doit attribuer beaucoup de mérite à des individus ou à des collectifs, ce serait une faute de
se servir de l’effervescence intellectuelle ici étudiée pour glorifier la culture arabo-musulmane.

8. Éclairage sur l’« âge obscur » de l’Occident

On lit souvent que les Occidentaux n’adoptèrent la numérotation indienne qu’une fois que les travaux
d’Al-Khwarizmi furent traduits en latin par Adélard de Bath au milieu du XIIe siècle75. En fait, deux
siècles plus tôt, le moine français Gerbert d'Aurillac s’était initié à la numérotation indienne dans des
monastères de Catalogne, territoire espagnol qui avait été reconquis aux mahométans. Gerbert
introduisit ce nouvel outil de travail en Europe dès 97676. En 999, il fut élu pape sous le nom de


72
Jacques SESIANO, « Al-Karaji », Encyclopaedia Universalis, http://www.universalis.fr/ encyclopedie/karaji-abu-bakr-
ibn-muhammad-ibn-al-husayn-al/, consulté le 1er décembre 2012.
73
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 187 et 257.
74
Claude CAHEN, L’islam des origines au début de l’Empire ottoman, Paris, Hachette, 1997, p. 147.
75
Yves GINGRAS et al., op. cit., p. 123.
76
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 64.
15

Sylvestre II, ce qui lui conféra l'autorité nécessaire pour diffuser l’usage de la numération indienne en
Occident77. Dès le début du XIe siècle, elle était utilisée par Fulbert, l’évêque de Chartres78.

D’autre part, il est erroné de croire que l’Occident a attendu qu’au XIIe siècle les Arabes viennent lui
porter les œuvres des philosophes de l’Antiquité pour se lancer dans leur étude. En vérité, un demi-
siècle avant qu’à Tolède (en Espagne) Gérard de Crémone et ses collègues ne traduisent Aristote en
partant de leur version arabe79, des érudits du Mont Saint-Michel en Normandie, avec Jacques de
Venise à leur tête, ont fait passer les mêmes textes directement du grec au latin à partir de manuscrits
byzantins80. Burgundio de Pise, issu d’une éminente famille italienne, rapporta de Constantinople en
1140 des exemplaires de Gallien et d’Hippocrate qu’il traduisit lui-même. Fin helléniste, il proposa à
l’empereur Frédéric Ier Barberousse un programme entier de traductions supplémentaires des auteurs
grecs de l’Antiquité. Cet homme eut de nombreux émules, tel le chanoine Rolando Bandinelli, qui
devint pape en 1159 sous le nom d’Alexandre III81. « C’est à Byzance, non chez les “Arabes”, que les
clercs d’Europe sont allés parfaire leur connaissance de l’Antiquité82. »

Au lieu de fabuler que l’Islam médiéval, ouvert et généreux, est venu offrir à l’Europe arriérée les
leviers de son essor, il faut se souvenir que l’Occident n’a pas reçu ces savoirs en cadeau, mais qu’il est
allé les chercher lui-même. La contribution arabo-persane à la marche de l’Occident ne fut pas
complètement nulle, mais son ampleur est à reconsidérer. « L’hellénisation de l’Europe médiévale fut
le fruit des Européens. Loin d’avoir été un “âge sombre”, l’époque qui va de Charlemagne à Adélard a
été imprégnée de manière croissante par le savoir grec et animée par une dynamique volontaire de
progrès intellectuel83. » L’influence arabo-persane ne fut pas décisive pour l’Occident.

9. Querelle historiographique et amnésie volontaire

La thèse ici présentée a généré tout un cataclysme intellectuel dans les milieux universitaire et
médiatique lorsque Sylvain Gouguenheim la remit à l’ordre du jour en 2008. L’objection de ses

77
Jérôme BASCHET, La civilisation féodale : De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Éditions Flammarion,
2006, p. 102.
78
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 64.
79
Rémi BRAGUE signale que ces traductions tolédanes n’étaient pas « pleinement satisfaisantes » (op. cit., p. 313), que les
traductions de l’arabe au latin ne furent « pas la cause, mais l’effet » de la renaissance intellectuelle européenne (p. 327), et
qu’en fin de compte, « on ne devra pas exagérer l’importance des traductions arabo-latines d’Aristote » (p. 313).
80
Ibid., p. 106-124.
81
Jacques HEERS, « La fable de la transmission arabe du savoir antique », Nouvelle Revue d’Histoire, no 1, juillet-août
2002, p. 51-52.
82
Ibidem.
83
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 198.
16

détracteurs se résume par l’idée que cette thèse est « islamophobe ». Comme le remarque Jacques Le
Goff, « peu des principaux médiévistes » ont signé la pétition anti-Gouguenheim84. Vilipendé par des
technocrates positionnés à gauche mais soutenu par des collègues, le professeur de Lyon récuse cette
accusation d’islamophobie en soulignant qu’il s’agit d’un sophisme : « Le terme n’est pas scientifique.
Il a été forgé pour discréditer celui à qui on colle cette étiquette […] Dès lors que l’accusation est
lancée, il n’y a plus de débat possible. L’expression est donc une arme d’intimidation massive85. »

Outre la charge impertinente d’islamophobie, des historiens progressistes se sont plaints de la


distinction que Gouguenheim rend compte entre les chrétiens d’Orient et les Arabo-musulmans n’a pas
lieu d’être, parce que, disent-ils, « les chrétiens d’Orient ne sont certes pas musulmans, mais ils sont
islamiques, en ce qu’ils sont partie prenante de la société de l’islam86 », ce qui est une insulte grossière
envers les confessions ici concernées. D’autres critiques ont soulevés l’emphase que Gouguenheim met
sur l’abbaye du mont St-Michel alors qu’une bonne part des traductions fut effectuée à la basilique
royale de Saint-Denis et les universités de Bologne et de Salerne en Italie. Soit. Cela n’altère pas la
thèse. D’autres encore ont critiqués l’argumentation de Gouguenheim selon laquelle la distance
linguistique entre les idiomes des deux civilisations (grec & latin pour l’une, arabe pour l’autre) sous-
tendent un écart sérieux entre les schémas mentaux qui filtra la communication, et par conséquent qu’il
est normal que l’Occident ne fut pas influencé par l’Islam de façon déterminante (et vice-versa).
Gouguenheim appuie cette sous-thèse sur le métropolite nestorien Élie de Nisibe qui émettait
précisément le même avis en 102687, mais on lui reproche de s’aventurer en dehors du cadre
conventionnel de sa discipline en se prononçant sur une question de linguistique. Un tel reproche est un
sophisme ad hominem.

Par ailleurs, on peut ne pas rejoindre le traitement que Gouguenheim réserve au mu’tazilisme, sorte de
courant philosophique de l’islam que le médiéviste décrit comme n’étant pas un vrai rationalisme
d’inspiration hellénique mais un pendant dogmatico-juridique de l’islam. Tout dépend à quel concept la
philosophie renvoie pour chacun. Peu importe où exactement il faudrait trancher ici, encore une fois, la
critique ne touche pas au cœur de la thèse : se sont les chrétiens araméens qui traduisirent l’essentiel de
l’érudition hellénique en arabe et de surcroît les traductions latines médiévales se firent souvent


84
« Le Goff défend Gouguenheim », L’Express, 15 mai 2008.
85
Propos recueillis par Jean SÉVILLA, « Les Grecs, l’Europe et l’islam », Le Figaro, 11 septembre 2009.
86
Julien LOISEAU et Gabriel MARTINEZ-GROS, « Une démonstration suspecte », Le Monde des Livres, 24 Avril 2008.
87
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 137.
17

indépendamment de ces traductions syriaco-arabes. Le fantasme d’une dette occidentale envers l’Islam
est donc sans fondement.

Une coterie d’auteurs islamophiles signa en 2009 une diatribe en guise réponse à Gouguenheim
ambitionnant de prouver que l’Islam médiéval fut intensément hellénisé et que l’apport arabo-
musulman fut décisif dans l’éclosion de l’Occident88. Or en affirmant que « les deux civilisations, celle
de la Grèce antique et celle de l’Islam classique ne se sont pas mélangées [… que] la falsafa
[« philosophie » arabe] fut une somme de connaissance, et non une problématique [… et qu’]au Moyen
Âge l’Islam ne s’est pas hellénisé, pas plus que l’Occident ne s’est islamisé89 », Gouguenheim ne nie
nullement que certains éléments de la pensée hellénique furent introduits en Islam. Au contraire, il dit
sans ambages que le Dar al-Islam reçut en bloc la science naturelle et la dialectique aristotélicienne,
mais rejeta du revers de la main ses doctrines métaphysiques et politiques90. Il rejoint en cela l’historien
Rodney Stark qui explique que la réception de ces composantes choisies de l’œuvre du Stagirite en
Islam y provoqua une stagnation : « Averroès et ses disciples devinrent des aristotéliciens
intransigeants et doctrinaires proclamant que la physique du maître était complète et infaillible et que si
une observation ne concordait pas avec les vues d’Aristote, cette observation était à coup sûr incorrecte
ou bien était une illusion91. » Similairement, Claude Cahen note qu’en Islam, Aristote, « promu vizir
d’Alexandre, devint une espèce de magicien92. »

Mais de quel Occident parle-t-on dans ce débat ? Il appert, à la lecture de plusieurs des libelles lancées
contre la thèse Gouguenheim, que l’Occident auquel se réfèrent ces contradicteurs n’est pas la
civilisation gréco-chrétienne multimillénaire, mais le despotisme des philosophes du XVIIIe siècle :
« sans Cordoue, les Lumières à Paris et Berlin n'auraient pu recevoir l'héritage grec et romain
comme elles l'ont reçu93 » ; « C’est la longue chaîne de textes […] qui a rendu possibles les Lumières :
Mendelssohn [1729-1786, philosophe juif allemand] lisait Maïmonide [1135-1204, gynécologue du
harem de Saladin], qui avait lu Avicenne, qui avait lu Al-Farabi, et tous deux avaient lu Aristote […] et


88
Philippe BÜTTGEN et al., Les Grecs, les Arabes et nous : Enquête sur l’islamophobie savante, Paris, Arthème Fayard,
2009, 372 p.
89
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 164.
90
Ibid., p. 165.
91
Rodney STARK, Le Triomphe de la Raison…, op. cit., p. 43.
92
Cahen, p. 153.
93
Pierre ASSOULINE, « L’affaire Aristote, chronique d’un scandale annoncé », La République des Livres,
http://passouline.blog.lemonde.fr/2008/04/27/laffaire-aristote-chronique-dun-scandale-annonce/, consulté le 1er décembre
2012.
18

les dérivés arabes de Plotin et de Proclus [IIIe et Ve siècles, théoriciens du néoplatonisme]94. » Or cet
Occident de Voltaire et de Diderot, des « despotes éclairés » tels Frédéric II de Prusse et Catherine II de
Russie, de l’individualisme totalitaire de Rousseau, de la Terreur de Robespierre et ou encore de la
guerre totale du général Sherman, ce n’est visiblement pas de cette « civilisation » dont Gouguenheim
et ses sympathisants se réclament.

Le contentieux porte sur l’influence de la culture arabo-musulmane sur l’Europe médiévale. Des
médiévistes écrivant en dehors de cette polémique indiquent que « les Occidentaux […] sélectionnaient
ce qui leur était utile au moment même où la pensée arabe, incapable de renouvellement, s’ankylosait
dans la fidélité aux maîtres anciens. Au total, l’Occident éprouve face à l’Islam un sentiment
ambivalent de fascination-répulsion95 » et que « même s’ils ne s’ignoraient pas, ces deux mondes
[occidental et islamique] restaient profondément étrangers l’un à l’autre […] chacun observait l’autre
avec un mélange de crainte et d’admiration, d’attirance et de rejet96. » Cette relation équivoque des
Européens médiévaux avec la culture musulmane est bien représentée par l’auteur Adélard de Bath qui
écrivit dans ses Quaestiones naturales en 1116 que « pour éviter l’inconvénient que j’ai, moi, ignorant,
tiré de mon propre fond mes idées, je fais en sorte qu’on les croie tirées de mes études arabes97. »
Référence à l’arabité donc, mais référence falsifiée.

10. Conclusion — Notre devoir de mémoire

Alors que l’Europe de l’Ouest se relevait de la chute de l’Empire romain d’Occident et que des
Bédouins sortis du désert s’attelaient à donner une cohésion à leur empire religieux s’étirant des
Pyrénées à l’Hindu Kush, les Araméens et les Byzantins ont été les vecteurs du patrimoine scientifique
de l’Antiquité. Oui, l’Occident a des dettes intellectuelles, non pas envers la Oummah arabo-
musulmane, mais envers les berceaux historiques du christianisme que sont le Levant araméen et
l’Anatolie hellénique. Ensuite, au Moyen Âge central, « l’effort de l’Église pour se constituer en une
entité autonome en se forgeant un droit qui lui serait propre, le droit canon, provoqua un besoin intense
d’outillage intellectuel. Il fallait des concepts plus fins, que l’on n’avait pas alors sur le marché. On fit


94
Alain DE LIBERA, « Landerneau terre d’Islam », Télérama, http://www.telerama.fr/idees/landerneau-terre-d-islam-par-
alain-de-libera,28252.php, consulté le 1er décembre 2012. Rémi BRAGUE démontre qu’avec le concept du tawhîd, l’islam
médiéval a gravement tordu le néoplatonisme, op. cit., p. 126-127.
95
Jérôme BASCHET, op. cit., p. 103.
96
Anne-Marie EDDÉ, op. cit., p. 368.
97
Sylvain GOUGUENHEIM, op. cit., p. 184.
19

donc appel aux œuvres logiques d’Aristote que l’on traduisit du grec vers le latin98. » C’est grâce à la
combinaison du christianisme et de l’acuité intellectuelle européenne que fut édifié en Occident la
civilisation la plus brillante que l’humanité n’ait jamais connue jusqu’à date.

11. Bibliographie

Monographies

BASCHET, Jérôme. La civilisation féodale : De l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris,


Éditions Flammarion, 2006, 865 p.

BRAGUE, Rémi. Au moyen du Moyen Âge : Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam,
Chatou (Île-de-France), Éditions de la Transparence, 2006, 433 p.

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