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“Piramus et Tisbé au Moyen Âge: le vert paradis des

amours enfantines et la mort des amants”


Christine Ferlampin-Acher

To cite this version:


Christine Ferlampin-Acher. “Piramus et Tisbé au Moyen Âge: le vert paradis des amours enfantines
et la mort des amants”. E. Bury. Lectures d’Ovide, publiées à la mémoire de Jean-Pierre Néraudau,
Les Belles Lettres, p. 115-148, 2003. �hal-01850435�

HAL Id: hal-01850435


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1
Piramus et Tisbé au Moyen Age: le vert paradis des amours enfantines et la mort des amants

"Hé, amours, qui premierement


Commençastes joyeusement,
Trop finissez piteusement" (Ovide moralisé en prose).

C. Ferlampin-Acher, Université de Reims,

Lorsqu'au XIIème siècle s'ouvre l'aetas ovidiana1, les Métamorphoses connaissent un


succès particulier2. Elles font partie des programmes d'étude, les clercs pendant leur formation les
commentent et composent en latin des poèmes sur leur modèle3. Parallèlement, et c'est ce qui
nous intéressera, sont créées des oeuvres en langue vernaculaire nourries par la connaissance
d'Ovide. Certaines métamorphoses sont dans un premier temps isolées de l'ensemble,
transposées, translatées avec plus ou moins de liberté dans des textes en vers comme Piramus et
Tisbé, Philomena ou Narcisse. L'histoire des deux jeunes amants babyloniens, dont l'origine n'est
pas élucidée4, exerce une séduction particulière5 et paraît avoir été l'une des Métamorphoses les
plus connues au Moyen Age6. Notre démarche consistera à cerner comment les lectures
successives qui en ont été faites ont participé à l'élaboration des genres littéraires7.

I. Lecture romane de Pyrame et Thisbé

a. Un roman antique

Sans qu'il soit possible de reprendre ici la comparaison détaillée entre le texte d'Ovide et
sa translation8, il apparaît que les procédés permettant de passer du texte des Métamorphoses au
récit médiéval ressemblent à ceux qui transforment la Thébaïde de Stace en un Roman de Thèbe
(daté de 1150 environ), l'Enéide en Eneas (vers1160), les récits attribués à Dyctis de Crète et à
Darès en un Roman de Troie (vers 1165). La première relecture de Piramus et Tisbé est un
2
"roman antique". Deux aspects peuvent être retenus: la transposition du monde antique et
l'amplificatio9.
Dans les romans antiques, les anachronismes sont nombreux, l'Antiquité a des airs
médiévaux10. De même, dans Piramus et Tisbé, si certains passages sont traduits fidèlement11,
les realia sont en général transposées. Le velamen fatal devient la guimpe. La broigne et le
haubert ( v. 28-29), impuissants contre la flèche d'Amour, font partie de l'armement médiéval.
Ovide parle du bûcher de Ninus (v. 88 ad busta Nini) tandis que le texte du XIIème siècle dit
qu'il est enterré (v. 589); les deux amants se retrouveront dans uns seulz tombiaux, uns vessiaus
(v. 888-9) au lieu que leurs cendres se mêlent dans une urne (v. 167). De nombreux éléments
caractéristiques de la civilisation antique (comme les torches nuptiales du v. 106) disparaissent.
L'ordre social médiéval s'impose avec cette composante essentielle qu'est le lignage.
Alors qu'Ovide amorce son récit en parlant directement des deux amants, l'auteur du
remaniement présente d'abord les pères (v. 2-4)12. Plus loin, lorsque Tisbé (v. 234-ss) souffre
d'être séparée de celui qu'elle aime mais hésite à le rejoindre, c'est à son lignage qu'elle pense. La
longue délibération qu'elle prononce repose sur la rime lignage / putage (v. 242-3). L'ordre
normal des choses serait de se laisser marier par son père (v. 275-6), mais l'amour le dispute à la
raison. Deux devoirs contraires se combattent; deux seigneurs, le père et l'amant, sont rivaux.
L'amour est un engagement féodal qui entre en concurrence avec le lignage: Tisbé parle de sa
passion en termes de gage (v. 257), de droit (v. 256), de foit (v. 257), de fief (v. 306). Le dilemme
est insoluble: c'est un otrage (v. 241) que de trahir son lignage, c'en est un aussi (v. 258) que de
violer la foi amoureuse.
Le récit est christianisé. Comme le remarque A. M. Cadot, la métamorphose est
présentée comme un miracle faisant suite à la pieuse prière de Piramus absente du texte
d'Ovide13. Pourtant une certaine étrangeté demeure. Le narrateur maintient la localisation à
Babylone, fait référence à sa source, Ovide (v. 10), et conserve des invocations polythéistes (v.
310). En fait, loin d'avoir cherché à gommer tout l'exotisme et à christianiser à outrance, il a
ajouté quelques éléments dont la fonction est de souligner le paganisme: ainsi les présages
sinistres qui avertissent Tisbé (v. 634-9), le sacrifice à Vénus (v. 210-ss), l'ordre donné par les
dieux de quitter la cité (v. 572-4)14. Finalement, l'univers qui est peint n'est ni antique, ni
médiéval: il promène le lecteur du XIIème siècle entre une rassurante familiarité et une étrangeté
3
radicale. Cette paradoxale tendance à effacer l'étrangeté et à la réintroduire ailleurs apparaît dans
tous les romans antiques. Par exemple, dans Eneas, si le héros se présente souvent comme un
chevalier, l'auteur a ajouté la description des pouvoirs de la sorcière que Didon prétend avoir
consultée.
L'amplificatio est le procédé le plus important mis en oeuvre dans la traduction de la
Métamorphose. Ici, comme dans les autres romans antiques, la grande nouveauté par rapport aux
chansons de geste est la peinture de l'amour, avec pour modèle l'Ovide de l'Art d'Aimer. Les
symptômes physiques de la passion (suées, bâillements... v. 128-ss)15, la représentation d'Amour
sous forme allégorique (v. 23) avec un dart, une sajette, le thème de la plaie causée par les
flèches (v. 119), celui de l'Amour maladie16 sont autant d'éléments qui se retrouvent dans les
autres romans antiques17 et que l'auteur de Pyrame et Tisbé a ajoutés au récit ovidien.
Le mode d'expression favori de cette passion est le monologue. Rare dans les chansons
de geste, celui-ci se développe dans les romans au fur et à mesure que l'intérêt pour la
psychologie croît. Cet usage du monologue amoureux, où, comme le suggère E. Faral, se lit
l'influence d'Ovide18, se retrouve dans les autres romans antiques. Dans Piramus et Tisbé, le
monologue chante l'amour dans des passages qui se distinguent du reste du texte par une
métrique particulière, quatre octosyllabes suivis d'un vers de deux syllabes mettant en relief un
mot important (Amour, Helas, Pourquoi, La mort, Amie...)19. Ces passages, hautement
rhétoriques20, lyriques, présentent donc une forme fixe, différente de la succession d'octosyllabes
à rimes plates qui constitue la narration ou les dialogues. Cette alternance souligne l'importance
prise dans le texte médiéval par le discours qui occupe environ 500 vers sur 921 ( chez Ovide,
seulement 42 vers sur 121).
Ainsi Piramus et Tisbé fait bien partie de ces oeuvres inspirées par l'Antiquité qui sont à
l'origine du roman en France. Comme l'a montré E. Faral, ce texte a certainement directement
influencé Eneas21. En ce qui concerne le Roman de Thèbes, d'après E. Faral, la peinture du
désespoir d'Ismène à la mort d'Aton aurait été inspiré par le texte latin de Pyrame et Thisbé plus
que par le texte médiéval. On remarque cependant que la pâleur appelle une comparaison avec le
buis chez Ovide (v. 134-135)22, avec le lierre dans Thèbes et dans la version médiévale de
Piramus et Tisbé23: sans que ce soit ici le lieu d'une telle recherche, il n'est pas exclu que
4
Piramus et Tisbé soit antérieur au Roman de Thèbes et donc se situe à la fin de la première moitié
du XIIème siècle. Piramus et Tisbé serait alors un des premiers, sinon le premier roman antique.

b. Le mythe amoureux

Cette relecture d'Ovide sous la forme d'un roman antique s'accompagne d'un
renouvellement du mythe amoureux. L'auteur médiéval s'intéresse surtout à la naissance de la
passion chez les deux héros24, et cet amour entre deux enfants constitue une peinture originale.
D'autre part, la translatio insiste sur le tragique de leur mort25 en soulignant ce qu'elle a
d'érotique et d'esthétique, tandis que la métamorphose, vers quoi tendait toute la narration
ovidienne, passe au second plan.

1. Les enfants qui s'aiment

Chez Ovide, les deux personnages restent imprécis: les deux premiers vers mentionnent
rapidement leur jeunesse (sans que leur âge soit donné) et leur beauté. Dans le roman, ce sont
deux enfants dont nous suivons le destin depuis leur naissance: le narrateur évoque les pères et la
vie des jeunes gens de sept à dix-sept ans. Les deux héros sont d'une biautez et d'uns samblans
avec l'article qui a sa valeur étymologique: un et un seul, d'où le même. Ils ont le même âge (v.
16), parlent le même langage (les deux premiers monologues qu'ils prononcent se ressemblent)26.
Ce sont des jumeaux, promis comme tous les gémeaux à un destin remarquable, qu'il s'agisse
d'amants ou d'amis comme Ami et Amile.
Ovide ne s'intéressait pas au développement du sentiment amoureux et son récit ne
commençait vraiment qu'avec l'âge nubile. Au contraire, dans le texte médiéval, l'étirement dans
le temps et l'amplificatio permettent de suivre l'évolution du sentiment. C'est un amour
narcissique, unissant des êtres jeunes, malléables, qui se forment ensemble au moule de leur
amour et se ressemblent. Trois vers (v. 14-6) justifient l'amour par l'allusion mythologique au
Dieu Archer, mais cette explication a dû paraître insuffisante au narrateur qui en six vers (le
double) motive psychologiquement le sentiment (v. 17-22).
Cet amour naissant se caractérise par sa précocité, et surtout par son innocence. Pendant
longtemps, les deux héros ne sont pas conscients de ce sentiment: Encor ne sevent riens d'amour
5
(v. 47). Durant dix ans (v. 73), ils ont licence grans (v. 74) de se rencontrer, avant la puberté, tant
con lor aez fu contraire / A ce qu'Amours requiert a faire (v. 71-72). C'est l'âge de l'amour pur
entre deux enfants d'autant plus ignorants de la sexualité qu'ils sont identiques, indifférenciés.
Ils vivent avec ceux de leur âge, partagent leurs jeux (v. 53-56). Pourtant, cette innocente
occupation à leur insu nourrit leur amour: elle leur donne l'occasion de se voir. Déjà, on les
menace et chose (v. 62). Uns sers, proche du losengier de l'amour courtois est là pour les trahir. Il
les dénonce et la mère de Tisbé interdit à sa fille de quitter sa demeure. Parallèlement, une
discorde surgit entre les deux pères qui s'opposent à l'union des deux jeunes gens.
Les enfants sont alors séparés. Leur amour s'en trouve renforcé. Ils ont donc quitté le
Paradis, perdant leur innocence et leur gémellité asexuée. Ils sont entrés dans l'ère de la
séparation et de la différenciation qui fait passer leur amour à une plus grande maturité: le verbe
croistre est répété huit fois en cinq vers (v. 116-121). Lorsqu'ils ont quinze ans27 (v. 122)
commence pour eux l'âge de la conscience (il choisirent escient v. 124), le jouvent (v. 123),
pendant lequel ils font l'apprentissage de la douleur. C'est alors que sont décrits les symptômes
amoureux et que sont prononcés les deux premiers monologues, discours de la séparation.
Le texte médiéval donne un rôle à Tisbé qui n'apparaît pas dans le texte antique. Chez
Ovide, la découverte de la fissure dans le mur est faite en commun par les deux jeunes gens (v.
68 primi vidistis, amantes) et le discours qui suit est prononcé simultanément par tous deux
(dicebant v. 73). Or dans le texte médiéval c'est Tisbé qui trouve le pertuis et qui fait passer sa
ceinture pour avertir Piramus (v. 329-ss). C'est la femme qui a l'initiative dans ce geste hautement
érotique28 et c'est elle aussi qui fixe rendez-vous à son amant pour le lendemain (v. 587). Au-delà
de la gémellité et de la similitude originelle les sexes se sont affirmés dans la différence. Eve
n'est plus la soeur d'Adam mais se prépare à être son épouse.
Pourtant elle reste pure. Si chez Ovide elle court se réfugier dans une grotte (v. 100),
dans le texte médiéval, elle va se mucier / Sous l'ombre d'un alemandier (v. 671-2). La grotte
n'appartient pas au décor des amours enfantines, Tisbé n'est pas Circé. Au contraire, dans le
verger de l'Eden, on ne saurait être surpris de trouver des arbres, le mûrier ou l'amandier aux
fleurs blanches et fragiles, symbole de pureté29. Cependant, Tisbé est femme et perd l'homme.
Elle n'échappe pas aux défauts de son sexe et se montre coquette: arrivée la première au rendez-
vous, elle songe à se moquer de Piramus, en retard, en l'accusant d'avoir eu peur (v. 656).
6
Désormais, la gémellité est perdue. La simultanéité n'est plus: Piramus arrive en retard,
Tisbé s'éteint avant lui. Ce n'est que dans la mort que les destins se rejoindront.

2. La mort des amants

L'auteur médiéval insiste alors non sur la métamorphose mais sur l'issue fatale en
développant le tragique. Il renforce les obstacles. L'opposition des pères, doublée par celle de la
mère de Tisbé, n'a aucune chance d'être vaincue. Comme chez Ovide (v. 61), le motif de la
querelle opposant les pères n'est pas donné: c'est uns maltalans, une tençon, une envie (v. 101-
103), une haine inexpiable qui durera toute leur vie (v. 104), l'inflation du vocabulaire (trois
synonymes) renforçant l'interdit. L'autre obstacle, l'animal, change de nature. Chez Ovide, c'est
une lionne, dans le texte médiéval, un lion. Le mâle, symbole de force, est plus menaçant.
Autre facteur qui contribue au tragique: le rapport au temps. Dans la version romane, les
repères sont beaucoup plus nombreux que chez Ovide, et au fur et à mesure que le récit avance,
l'action accélère. Après des délais qui se comptaient en années, les événements sont suivis au jour
le jour.
Point d'autre issue que la mort. La fuite est illusoire. La métaphore du piège et de la
chasse (v. 413, 421) montre un dieu Amour victorieux de tout (v. 621). Les amants commencent
chacune de leur tirade en évoquant leur mort, même quand la découverte de la faille pourrait leur
redonner du courage. Les interventions du narrateur de même anticipe l'issue tragique (v. 595, v.
683). L'auteur enfin multiplie les présages funestes: ces détails, absents chez Ovide, font naître
une atmosphère surnaturelle et inquiétante. Tout se joue à l'heure des sortilèges, l'heure où l'on ne
voit pas bien, où l'on se trompe facilement. D'où les erreurs des amants. Piramus ne saura pas
interpréter les signes sur le sol et la guimpe ensanglantée. Le passage où Tisbé imagine de tendres
retrouvailles est encadré par deux interventions du narrateur qui annonce l'issue tragique et
corrige l'optimisme de la jeune fille (v. 799-800 et 804). Tout est placé sous les auspices d'une
Fortune hostile: Si con apareilloit Fortune (v. 686).
Grâce à l'amplificatio, la mort est différée mais certaine. On reconnaît là un rapport au
temps tragique. Le poète médiéval ajoute un tableau visuel et des monologues qui immobilisent
l'action et retardent les deux suicides. Une succession de phrases brèves, avec des verbes de
vision (souvent en tête de vers) et des verbes de pensée suivent la tragique découverte de Piramus
7
(v. 686-ss). Peu à peu est esquissé un tableau en blanc, noir et rouge30: la clarté de la lune31, la
guimpe que Piramus voit blanchoiier (v. 687), l'ombre nocturne du mûrier, et le rouge du sang.
La mort de Piramus et Tisbé se fige en un tableau. C'est d'ailleurs elle que l'on trouvera le plus
souvent illustrée32.
Les deux monologues, très rhétoriques33, participent à cette esthétisation de la mort. Ils
se ressemblent: les amants retrouvent leur gémellité initiale qui sera confirmée par leur unique
tombeau. Tous deux célèbrent leur douleur et lui donnent une dimension cosmique en
apostrophant la nuit, le mûrier, les prés, la fontaine, Dieu, le lion, la lune, la terre, la mort, l'épée.
Ces deux chants unissent dans la parole Amour, Mort et Beauté: ils annoncent ce que sera le
suicide, si beau que même une conscience chrétienne le tolérera. Si Ovide s'intéresse surtout au
jet sanglant pour expliquer la métamorphose, le texte médiéval, qui fait disparaître la
comparaison avec le tuyau de plomb, érotise l'évocation en décrivant le geste de Piramus posant
la guimpe sur la more de l'épée (v. 780) et l'embrassant, sanglante comme un linge nuptial. Eros
et Thanatos se mêlent: les manifestations du deuil rejoignent celles de l'amour: soupirs,
gémissements... Le même préfixe, tres-, marque les transports amoureux (Tressaut et trestremble
et tressue v. 368) et l'irréversibilité de la mort (tresperce v. 782 et 911, tresque v. 783). Chez
Ovide, c'est juste avant de mourir que Piramus embrasse le voile, et cette action est notée comme
étant accomplie. Dans le texte médiéval, elle se confond avec l'agonie et dure comme une
étreinte. Tisbé se frappe et tombe sur le corps de Piramus qu'elle embrasse dans une ultime
caresse: Le cors acole et si l'embrace, / Les iex li baise et bouche et face /Baise la bouche par
grant cure (v. 914-ss, avec un beau chiasme d'amour souligné par une allitération). Elle lui offre
un dernier souffle de vie dans ce baiser. Ce doloreus embracemens (v. 880) sera prolongé par le
tombeau où ils seront Ensemble mors et acolez (v. 883). Une courte conclusion étire encore
l'agonie de Tisbé en reprenant Tant con sens et vie li dure au vers suivant par Tant con li dure
sens et vie , dans un mouvement circulaire, marquant à la fois l'enlacement des corps, la
perfection de la passion et l'accomplissement du destin. Alors que le récit d'Ovide est intégré
dans un récit cadre, ici c'est un texte clos qui s'achève dans une éternité qui est aussi celle de
l'amour immortalisé dans la mort.
Selon l'expression d'Anne-Marie Cadot, le récit des amours babyloniennes a été "aspiré
par le genre montant", le roman antique34 (à moins qu'il n'en soit un des initiateurs). Même si ce
texte est quelquefois appelé lai, il s'agit bien d'un roman, plus court certes qu'Eneas, le Roman de
8
Troie, ou le Roman de Thèbes, mais reposant sur les mêmes principes d'écriture35. Si Piramus et
Tisbé est moins long qu'Eneas, c'est certainement que le récit d'Ovide est plus court que l'Enéide.
Pourtant Piramus et Tisbé n'est pas si éloigné du lai qu'on pourrait l'imaginer. Pour G. Paris, les
lais "sont des contes d'aventure et d'amour où figurent souvent des fées, des merveilles, des
transformations"36; pour Jean Frappier, le lai s'organise autour d'une aventure qui met le héros en
contact avec l'autre monde ou lui impose une épreuve extraordinaire37; pour R. Dubuis, le lai
narratif raconte briefment ce qui se passait al tens ancienur en affichant une prétention à la
vérité38, il peint une crise et, mis à part Fresne, ne raconte pas les enfances de ses héros,
contrairement au roman. Piramus et Tisbé présente certaines de ces caractéristiques: le récit est
bref, il raconte un fait ancien, on y trouve une transformation, une métamorphose, de l'amour.
Reste à voir si le héros est prédestiné et s'il y a aventure, épreuve. Piramus et Tisbé raconte
comment deux enfants ont été chassés du vert paradis des amours enfantines. Là est la fatalité:
l'impossible innocence depuis Eve. Il y a bien prédestination, mais il n'y a point d'aventure,
d'épreuve: tout au plus des discours. Alors que dans le lai on part d'une situation de manque, ici le
manque n'est que second, il y a d'abord la plénitude de l'enfance. Quant à l'aventure, c'est tout au
plus une "fable"39, une histoire extraordinaire, sans qu'il y ait nécessairement un héros. Sans le
récit des enfances et avec une épreuve (si les héros mûrissaient avant de mourir), Piramus et
Tisbé serait peut-être un lai40. Il ne faudra donc pas s'étonner de trouver des relectures narratives
de notre récit à la fois sous forme de romans et sous forme de lais.

II. Lectures narratives au XIIème et au XIIIème siècle

Piramus et Tisbé connut un franc succès41. Mais les deux pôles du mythe amoureux, le
vert paradis des amours enfantines et la mort des amants ne se retrouvèrent jamais plus réunis.

a. La mort

1Tristan et Iseult et Les dous amanz de Marie de France


9
Piramus et Tisbé a introduit dans la littérature narrative en langue vernaculaire la
description de l'amour maladie et l'usage de longs monologues rhétoriques. Cependant peu de
textes présentent le motif de la mort des amants, mis à part les Tristan et le lai des Dous amanz
de Marie de France. Il n'est pas facile de parler d'influence entre ces récits dont les dates sont
incertaines42. Ce qui importe, c'est que vers 1160-70, ces trois compositions racontaient la fin
tragique d'un couple.
Dans le Tristan de Thomas, Iseult, voyant son ami à l'agonie et se trouvant impuissante à
le guérir, s'allonge sur lui, émet le voeu de mourir et s'éteint dans une étreinte, cors a cors, buche
a buche43. Comme Piramus, Iseult arrive trop tard et les deux amants trépassent dans un ultime
embrassement sans avoir cependant à se suicider. Le motif du tombeau, absent chez Thomas, se
trouve dans la saga norroise (aux environs de 1226): chacun des héros est enterré d'un côté de la
chapelle, sur chaque tombe pousse un chêne et les deux arbres finissent par se rejoindre44. Dans
la Tavola Rotonda italienne (fin du XIIIème siècle), chacune des deux racines d'une vigne plonge
dans le coeur d'un des jeunes gens45. Pour Eilhart, à la fin du XVème siècle, les amants sont
réunis par une vigne et une rose. Dans le manuscrit FR 103 de la Bibliothèque Nationale de Paris
du Tristan en prose46 (manuscrit copié entre 1340-145047), le narrateur raconte que chacun des
deux amants a été enterré d'un côté d'une chapelle par dessus laquelle passe une ronce sortie de la
tombe de Tristan et plongeant dans celle d'Iseult48. Sans que l'on puisse savoir si le motif du
tombeau et celui du végétal font partie des versions anciennes du mythe de Tristan, il semblerait
que la version tardive du Tristan en prose privilégie la ronce -le mûrier- en souvenir de Piramus
et Tisbé, le rédacteur ayant senti la parenté entre les deux histoires.
En fait, il existe dans le folklore de nombreuses légendes49 où des amants, souvent
jumeaux, modelés l'un à l'image de l'autre par une longue fréquentation50, rencontrent tant
d'obstacles qu'ils se suicident et sont enterrés ensemble: leur passion est pérennisée par un arbre
ou une plante, qu'il s'agisse de Noisé et Derdriu ou de Baile et Ailinn, que P. Gallais nomme "les
Piramus et Thisbé irlandais"51. C'est la trame de notre métamorphose. Quant à Tristan et Iseult,
ils ne sont pas jumeaux, leur amour ne remonte pas à leur enfance mais naît brutalement sous
l'effet du philtre, ils ne se suicident pas. Pourtant la mort et le motif végétal se reconnaissent. Les
deux mythes se rencontraient donc, d'où peut-être l'influence de Piramus et Tisbé sur le Tristan
en prose.
10
Le suicide est avant tout le fait d'amants païens. Le Moyen Age a certainement trouvé
dans le mythe tristanien une autre forme de mort tragique, moins discutable pour une conscience
chrétienne et en même temps plus merveilleuse. C'est cette fin moins violente que l'on retrouve
dans le lai de Marie de France, Les deux amants 52. Les vers 3 et 4 résument l'histoire, celle De
deus amanz qui s'entramerent; / Par amur ambedeus finerent, et rappellent l'avant-dernier vers
du roman de Piramus et Tisbé: Ici fenist des deus amanz (v. 920). C'est une histoire d'amour et de
mort, dont les héros sont duit enfant (v. 10). Le père refuse de donner sa fille au jeune garçon qui
demande à celle-ci de fuir avec lui, mais elle refuse. Ici, le modèle de Piramus et Tisbé qui
quittèrent leur cité pour se rencontrer est repoussé. La jeune fille conseille à son ami de se
procurer une potion merveilleuse auprès d'une de ses tantes, breuvage qui lui donnera la force
d'accomplir l'épreuve au terme de laquelle son père accepte de la donner pour épouse: le
prétendant doit la porter dans ses bras en haut d'une montagne. En fait, il entreprend l'épreuve
avec un tel enthousiasme qu'il oublie de boire la potion, et meurt d'épuisement au sommet. La
demoiselle s'allonge à ses côtés et meurt en l'étreignant. La fiole se répand alors sur le sol, et
depuis, celui-ci est particulièrement fertile. Le père fait faire un cercueil de marbre où les deux
corps seront placés ensemble sur le mont. La jeunesse des héros, l'opposition paternelle, la
tentation de fuir, la mort des deux enfanz, la fertilité végétale qui en résulte, la tombe unique,
évoquent Piramus et Tisbé, mais le boivre, adjuvant amoureux et fatal parce que mal utilisé, ainsi
que l'agonie peuvent aussi faire penser à Tristan et Iseult. Il n'est pas question de suicide:
l'homme meurt d'épuisement chez Marie, d'une blessure chez Thomas, la femme se laisse mourir
sur le corps aimé sans avoir à commettre de violence contre elle-même53.

2 Le refus du suicide

Cette douce mort tristanienne était plus tolérable pour des héros chrétiens que le suicide,
concevable tout au plus pour une païenne comme Didon. Pourtant la littérature romanesque
postérieure à Piramus et Tisbé témoigne de la fascination exercée par cette mort interdite. Ainsi,
comme l'a bien montré M. N. Lefay54, les héros de Chrétien de Troyes songent souvent à se tuer
par amour, mais en sont toujours empêchés par des circonstances extérieures. Pour F. E. Guyer,
Chrétien a sauvé ses personnages de cette triste fin parce que le modèle ovidien ne le satisfaisait
pas. Selon lui, Yvain reprendrait des motifs empruntés à Piramus et Tisbé, mais dépasserait le
11
suicide55. Et de même que Cligès est un anti Tristan, Le Chevalier de la Charrete serait un anti
Piramus56. Tentés par le suicide, les amants de Chrétien ne passent jamais à l'acte.
D'autres romans ont détourné in extremis les héros d'un suicide amoureux. Ne retenons
qu'Yder, composé entre 1199 et 1216. Les amours de Guenloie et Yder sont bâties sur le modèle
de celles de Guenièvre et Lancelot, et comme les héros de Chrétien, Guenloie, séparée de son
amant, est prête à se suicider. Dans un long monologue, elle fait référence aux femmes mortes
d'amour57, toutes héroïnes d'Ovide, des Héroïdes ou des Métamorphoses. Dans ce cortège, Tisbé
est el dessus (v. 2576), c'est-à-dire qu'elle vient en tête car elle est la plus représentative.
Finalement, les circonstances sauvent Guenloie de cette mort infamante.
L'un des motifs narratifs les plus intéressants qui permet de mentionner dans un roman la
tentation du suicide sans pour autant faire mourir les héros est celui de la fausse morte58 que l'on
trouve dans Amadas et Ydoine59 (composé entre 1190 et 1220) et dans Floire et Blancheflor: le
jeune homme croit son amie morte et envisage de se tuer, mais en vérité elle est vivante et il
renonce au suicide.
Les héros romanesques, au pire, s'éteignent doucement sans effusion de sang, dans le
souffle d'un baiser, comme Tristan et Iseult. Et encore est-ce fort rare. Normalement, le roman,
comme l'a bien souligné C. Méla, se termine par un mariage60 et la fin de Piramus et Tisbé ne
saurait être romanesque. De fait, le texte dont la fin ressemble le plus à celle des deux jeunes
babyloniens n'est pas un roman, mais le lai de Marie où brièveté et brutalité de l'issue tragique se
correspondent.

b. Le vert paradis des amours enfantines

Au contraire, le motif du vert paradis des amours enfantines apparaît dans des romans,
où, pour un instant au moins, les épées ne se font pas entendre autant que dans les récits
arthuriens, et où le merveilleux est beaucoup plus discret. Certains de ces textes (Floire et
Blancheflor, Aucassin et Nicolette, Galeran de Bretagne...) ont été étudiés par M. Lot-Borodine
sous le nom de romans idylliques61. Le plus ancien, Floire et Blancheflor a peut-être popularisé
dans notre littérature le conte d'origine orientale des deux enfants qui s'aiment, motif au succès
duquel Piramus et Tisbé a contribué. H. Legros, dans l'ouvrage qu'elle consacre à Floire et
12
Blancheflor nomme cette oeuvre à la fois roman antique, roman idyllique, roman oriental, roman
d'aventure62, et dans son étude des sources, elle remarque que, par son issue tragique, Piramus et
Tisbé ressemble plus à Tristan et Iseult qu'à Floire et Blancheflor63. Cependant on ne peut
exclure une influence de l'histoire des deux jeunes babyloniens qui présente en commun avec
Floire et Blancheflor le motif des amours enfantines, absent de Tristan et Iseult. D'autres points
communs se laissent d'ailleurs reconnaître64:
a) localisation partielle à Babylone (v. 519), et non dans l'univers breton et arthurien,
b) gémellité, jeunesse et pureté paradisiaque. Les héros, II. enfans (v. 51), sont des
gémeaux: ils ont été engendrés la même nuit, sont nés le même jour (v. 145-272) et sont élevés
ensemble. Lorsque l'amirant les surprend au lit, il les prend pour deux demoiselles, car Floire n'a
ni barbe ni grenon (v. 2365): ce sont des enfants65 qui ne se distinguent pas encore par le sexe.
Comme le note M. Lot-Borodine, "du début à la fin, l'amour nous apparaît comme l'état de grâce
de l'innocence primitive; c'est Eden avant le péché originel, le paradis terrestre"66,
c) le végétal. Lui s'appelle Floire, elle Blancheflore, et ils naissent aus Pâques Fleuries
(v. 163). Comme l'a montré H. Legros, le motif des fleurs structure Floire et Blancheflor67. Les
deux amants se rejoignent dans un verger, locus amoenus qui rappelle le cadre de la rencontre
nocturne dans Piramus et Tisbé68,
d) la séparation. Les deux jeunes gens doivent se quitter car ils s'aiment contre le gré de
leurs parents,
e) les lions. Ne pourrait-on pas retrouver aussi l'influence de Piramus et Tisbé dans le fait
que, dans la deuxième version, nécessairement postérieure à l'histoire des deux jeunes
Babyloniens, Floire voulant mourir descend dans une fosse aux lions où, comme Piramus, il
supplie les félins de le dévorer (v.1532-ss)? N'oublions cependant pas que c'est là un motif
hagiographique que l'on retrouve dans les vies de Daniel et Blandine,
f) la fausse morte et le suicide. Ses parents font croire à Floire que Blancheflor est morte
de même que Piramus, à tort, imagine que Tisbé a été dévorée par le lion. Floire, tenté par le
suicide, prononce un assez long monologue,
Cependant, une grande différence est que la mort tragique n'est ici qu'un faux semblant:
l'issue sera heureuse. Si les deux amants se retrouvent dans le même tombeau, c'est tout au plus
lors de l'épisode de la fausse mort: Blancheflor, endormie par magie, est déposée dans un
13
somptueux tombeau, sur lequel sont placées les statues des deux amants69. Dès que le vent
souffle, réunies pour toujours, elles s'embrassent. Mais dans la réalité, Floire, informé par sa
mère, part à la recherche de Blancheflor et le récit tourne au roman d'aventures. L'amour ne
saurait être tragique et à aucun moment on ne voit les jeunes gens souffrir comme Piramus et
Tisbé. Les âges, qui, dans Piramus et Tisbé, correspondent aux stations de la passion, marquent
simplement dans le conte les progrès d'un doux sentiment (v. 197, 267).
S'il y a de fortes chances pour que Piramus et Tisbé soit antérieur au conte, ce n'est
cependant pas une certitude70. Si ce n'est pas le cas, il est au moins certain que le motif des
amours enfantines vers 1160 exerçait une séduction particulière, et s'il n'y a pas eu influence dans
un sens ou dans l'autre, il est cependant certain qu'il s'agit là du même imaginaire.
Notons encore un fait intéressant: le prologue de Floire et Blancheflor présente le conte à
l'intérieur d'un récit-cadre dans lequel une femme raconte à sa soeur l'histoire des deux amants,
enchâssement rare dans les romans médiévaux71. L'auteur, un lettré, s'inspire peut-être d'Ovide et
des filles de Minyas restées entre elles (comme les dames du prologue de Floire et Blancheflor)
et racontant des histoires, dont celle des jeunes babyloniens. La narratrice dans le texte médiéval
dit que son récit lui a été rapporté par un clerc qui l'avait lu (v. 53-54): peut-être s'agit-il du récit
d'Ovide ou de sa mise en roman ... Ailleurs on voit en effet Floire et Blancheflor lire livres (...)
paienors / u ooient parler d'amors (v. 231-2), l'Art d'Aimer peut-être ? Pourquoi l'auteur n'aurait-
il pas combiné le motif des amours enfantines de la version romane et la structure enchâssée du
récit antique?

On retrouve le motif des amours enfantines dans Aucassin et Nicolette (à la fin du


XIIème siècle), qui raconte "la geste brève de deux beaux enfants petits; comment ils s'aiment"72.
Ce texte, dont l'origine est discutée, présente des points communs d'une part avec Piramus et
Tisbé comme l'a bien vu E. Faral73, et d'autre part avec Floire et Blancheflor: les deux héros sont
deus biax enfans petis (v. 3)74, ils se ressemblent comme des jumeaux75, leur amour est né dans
leur prime enfance, les parents d'Aucassin sont hostiles à leur union et les séparent.
Quelques éléments peuvent faire penser plus précisément à Piramus et Tisbé. Lorsqu'ils
se retrouvent isolés, les deux jeunes gens prononcent de longues plaintes lyriques. Comme Tisbé,
Nicolette réussit à s'échapper à la lumière de la lune (XII, 30), elle trouve une fente dans le mur
14
de la tour où est retenu son ami et lui fait parvenir une mèche de cheveux (XIII, 1-22). Comme la
jeune babylonienne, elle prend les initiatives les plus importantes. Elle envisage de fuir dans la
forêt, mais craint d'être dévorée par des bêtes sauvages, parmi lesquelles elle mentionne les lions
(XVII, 9 et 18). Les pastoureaux la prennent pour une fée (XVIII, 28, XXII, 31) de même que la
gaite prend Tisbé pour une déesse. C'est près d'une fontaine qu'Aucassin compte rejoindre son
amie (XX, 18), mais lorsqu'il arrive, elle est déjà partie: comme Piramus, il est en retard. Dans sa
quête de l'aimée, il se griffe aux ronces et aux espines (XXIV, 2-3), saigne tant qu'on pourrait le
suivre à la trace (XXIV, 6). Le motif est banal, mais pourrait faire songer aux marques sanglantes
qui trompent Piramus.
De ces points communs, seule la fente dans le mur est significative, les autres éléments
pouvant se retrouver dans bien des récits, mais il n'est pas impossible que l'univers d'Aucassin et
Nicolette soit nourri de celui de Piramus et Tisbé: la chantefable se présente souvent comme un
jeu parodique sur des motifs romanesques (ou épiques) et l'on ne saurait s'étonner d'y trouver une
relecture partielle d'un texte aussi fameux que Piramus et Tisbé76. Cependant, la fin, comme pour
Floire et Blancheflor, est heureuse.
D'autres récits, comme l'a montré M. Lot-Borodine, présentent le schéma narratif des
enfants qui s'aiment: Galeran de Bretagne (fin XIIème, début XIIIème siècle), l'Escoufle (1200-
1202 environ) et Guillaume de Palerne (1ère moitié du XIIIème siècle).
Galeran serait une greffe du motif idyllique sur le lai de Fresne de Marie de France77.
Ce texte est l'un des rares lai à évoquer la naissance et l'enfance d'un personnage. De plus, il
repose sur un motif végétal. Ces deux éléments ont pu suggérer à l'auteur de relire le lai sur le
mode du roman idyllique. Sur le drap dans lequel est abandonnée Fresne se trouve brodée
l'histoire de Floire et Blancheflor: le destin de cette enfant ne peut être qu'"idyllique". Cependant,
on trouve peu de points communs précis avec Piramus et Tisbé, si ce n'est la métaphore,
fréquente, qui fait de l'amour une blessure sans plaie (v. 4562-4) qui se trouve aussi dans Cligès.
A nouveau, on ne peut parler de source, tout au plus de motifs communs.
Dans l'Escoufle 78, attribué à Jean Renart, Guillaume et Aelis sont nés le même jour, et à
trois ans, ils se ressemblent comme frère et soeur (v. 4220-21), ils sont élevés ensemble et
tombent amoureux. Ils se retrouvent dans un verger (v. 2094-6) où ils mangent un fruit, comme
Adam et Eve au Paradis. Ils s'aiment et se seraient rapidement mariés si la mort du père de
Guillaume n'avait pas changé le cours de leur vie. Ils sont séparés. Aelis hésite et le dilemme
15
qu'elle exprime dans un monologue intérieur rappelle celui de Tisbé prise entre son amour et son
lignage (v. 3911). Plongée dans ses réflexions, elle entend au bas du mur de sa chambre celui
qu'elle aime et qui l'attend. Ils fuient de nuit, à la lumière de la lune (v. 4046). Ils vivent alors des
jours paradisiaques dans la nature jusqu'au jour où Aelis se croyant abandonnée par Guillaume
parti la poursuite d'un escoufle a disparu quand revient le jeune homme: il s'agit là d'un rendez-
vous manqué et d'un retard mal interprété comme dans Piramus et Tisbé. Cependant, les deux
amants ne se suicident pas, le roman raconte leurs retrouvailles et leur mariage.
Dans Guillaume de Palerne79, on trouve de même quelques éléments idylliques.
Guillaume, élevé dans la forêt par un loup-garou puis par un vacher, est trouvé à onze ans par
l'empereur de Rome qui l'emmène à la cour pour qu'il serve auprès de sa fille, Melior, qui a le
même âge que lui (v. 652-3). C'est un enfant (v. 683, 699...) qui est traité comme le frère jumeau
de Melior. Il devient au bout de trois ans vallet (v. 818), damoisiax (v. 811), c'est-à-dire qu'il
cesse d'être un enfant pour devenir un jeune homme. C'est à ce moment-là que l'amour naît dans
le coeur de Melior qui en éprouve tous les symptômes physiques (suées, tremblements, perte
d'appétit, insomnies). Il en va de même pour Guillaume qui prononce un long monologue
rhétorique. Une nuit, il se rend dans un verger, sous la fenêtre de celle qu'il aime (v.1280-ss).
C'est là au milieu des fleurs que Melior le trouve endormi. Melior hésite entre l'honneur de son
lignage et l'amour (v.1566-ss). Elle remarque que nous venons tous du même père et de la même
mère (Adam et Eve), et qu'il n'y a pas de déshonneur à épouser Guillaume, son égal par cette
origine, son frère, presque son jumeau). A deux reprises, le suicide sera envisagé, mais le récit se
termine par le mariage des amants.
Aux romans étudiés par M. Lot-Borodine, il faut ajouter Floris et Lyriopé80 de Robert de
Blois (qui aurait vécu vers 1230-69). L'auteur connaît bien Ovide. Il donne à son héroïne le nom
de la mère de Narcisse (Métamorphoses, livre III), nom que l'on retrouvera un siècle plus tard
dans le roman en prose de Perceforest. Mais ici en plus le même nom, Narcissus, est porté à la
fois par le père et le fils de Liriopé. La première partie raconte les aventures de Narcissus,
seigneur de Thèbes, le père de Liriopé. La femme d'un vavasseur de Narcissus met au monde en
mai une fille Florie et un garçon Floris, des jumeaux, qui naissent le même jour que Lyriopé.
Floris est élevé avec celle-ci (v. 354). Tous deux sont très beaux. Nous voilà en plein schéma
idyllique: les héros sont nés le même jour, ils ont toutes les qualités; on retrouve le motif floral
(dans les noms, la naissance printanière). Le sentiment amoureux naît peu à peu d'une
16
fréquentation régulière, de jeux partagés (v. 431); il n'est d'abord pas douloureux (v. 380), puis la
découverte du sentiment donne lieu à une analyse des symptômes et à des monologues
rhétoriques (v. 524-ss). Les amants, dans cette relecture courtoise, se trouvent séparés par leur
différence sociale (ce qui n'est pas le cas de Piramus et Tisbé). Floris, malade, glisse lentement
vers la mort. La soeur de Floris, Florie, éprouve une telle douleur qu'elle envisage de mourir: née
en même temps que son frère, elle mourra avec lui (v. 782-4). Pour voir Liriopé, Floris utilise un
subterfuge: il échange ses vêtements avec sa soeur81 (v. 830-ss): Or ains fu il, or est il elle / Et
damoiseaux la damoisele (v. 878-80). Le motif de la gémellité est donc dédoublé: Florie et Floris
sont de vrais jumeaux, et Floris et Lyriopé sont nés le même jour. Le modèle de Piramus et Tisbé
est d'ailleurs clairement désigné. En effet, un jour, au mois de mai, dans un verger, Floris et
Lyriopé lisent ensemble le romant des deux enfant Piramus et Tisbé, qui se trouve résumé en
quelques vers:
Comant Piramus et Tysbé
Furent de Babiloigne né,
Comant li enfant s'entramarent,
Comant lor peres destornarent
Le mariaige des enfanz,
Comant en avint duel si granz
Qu'en une nuit furent ocis,
Andui en une tombe mis (v. 982-ss). Et Floris d'affirmer que s'il était Piramus, il aimerait
Liriopé comme le jeune Babylonien aima Tisbé. C'est cette nuit-là qu'un fils est conçu (v. 1055),
qui sera appelé Narcisse (v. 1377) et qui connaît la même fin tragique que le héros d'Ovide. Que
Piramus et Tisbé engendrent Narcisse, à cela rien d'étonnant, l'amour entre les parents est
spéculaire et le mur qui les sépare, transposé horizontalement, correspond exactement à la surface
de l'eau82. Seulement, la passion des deux Babyloniens pouvaient se lire en termes idylliques et
bien se terminer comme dans ce roman, ce qui ne sera jamais le cas pour Narcisse83. Pourtant
l'issue heureuse de l'idylle est ici annulée par la circularité structurelle du récit: Narcissus est le
nom du père et du fils de Liriopé, cette lignée est donc sans avenir.

Cette lecture de Piramus et Tisbé se trouve non seulement dans des romans, et dans ce
texte composite, en vers et en prose, qu'est la chantefable d'Aucassin et Nicolette , mais aussi
17
dans un lai, le lai de l'Espine (vers 1160), resté anonyme84. Ces formes diverses ne sauraient
nous surprendre: nous avons vu que la mise en roman du XIIème siècle tenait à la fois du lai et du
roman et qu'elle présentait une alternance particulière entre le narratif et le lyrique (soulignée par
deux schémas métriques différents), "monstruosité" formelle comparable à celle d'Aucassin et
Nicolette.
Cependant cette trame narrative s'est assez rapidement épuisée, parce que l'amour
courtois et l'esprit chevaleresque ont modifié peu à peu le modèle: les héros ont cessé d'être des
enfants, l'amour est devenu épreuve, conquête, formation. Il n'en demeure pas moins qu'à mon
avis, le roman en vers, tout au long des XIIème et XIIIème siècles a tenté de conjurer le tragique
des amours babyloniennes. Ainsi Claris et Laris, l'un des derniers romans en vers (aux environs
de 1268), vaste compilation où réapparaissent bien des motifs présents dans les romans
antérieurs, montre Claris dans un verger au mois de mai, lisant le récit de la mort de Piramus et
Tisbé85: en dépit de ce triste modèle, il épousera celle qu'il aime. Avec la disparition du roman en
vers, c'est d'ailleurs la fin, semble-t-il, de la fascination pour les deux jeunes amants: les romans
en prose les ont oubliés86.
En effet il se peut que le mythe amoureux proposé par la mise en roman ait perdu de sa
vigueur, à cause de la concurrence de Tristan et Iseult et de l'assimilation du roman idyllique par
le roman arthurien et le récit d'aventures. Ce n'est pourtant pas la fin des destinées littéraires des
deux amants babyloniens. A partir d'une tradition de moralisation, développée dès le XIIème
siècle dans des textes en latin, la littérature vernaculaire, sans avoir toujours besoin de raconter à
nouveau cette histoire désormais familière, l'utilise comme sujet de réflexion, de référence:
Piramus et Tisbé ne servent plus de matériau narratif dans des lectures où ils changent de nom,
mais sont mentionnés explicitement. C'est à travers cette germination, dans des textes souvent
polymorphes et donc aptes à assimiler des digressions comme le résumé des aventures des deux
jeunes gens, que Piramus et Tisbé, en perdant à nouveau leur nom et en devenant Pynoteüs et
Neptisphelé ou Roméo et Juliette, préparent une nouvelle floraison sous la forme d'un mythe
littéraire suffisamment fécond pour structurer à soi seul des nouvelles ou des pièces de théâtre et
retrouver alors leur identité originelle.

III. L'enseignement de Piramus et Tisbé


18

Li conte de Bretaingne sont si vain et plaisant


Cil de Rome sont sage et de sens aprendant87.

a. Le jugement des amants

De nombreux auteurs en latin au XIIème et au XIIIème siècle condamnent les amants


païens pour leur sensualité, grief auquel s'ajoute pour Piramus et Tisbé le péché qu'est le suicide.
Il en va ainsi pour Alain de Lille dans le De planctu Naturae (antérieur à 1171), Jean de Hauville
dans son Architrenius (vers 1184), Jean de Garlande, dans son commentaire d'Ovide, les
Integumenta Ovidii (entre 1220 et 1258), Pierre Bersuire dans le livre XV de son Reductorum
morale "De Fabulis poetarum" ou "Ovidius moralizatus", vers 1320-5088.
De même dans les textes en langue vernaculaire, Piramus et Tisbé servent souvent de
points de référence. Tantôt, comme dans la Bible de Jean Malkaraume à la fin du XIIIème siècle
(ou au début du XIVème), c'est le feu de la chair qui est condamné à travers eux 89, tantôt, c'est la
folie amoureuse qui est en cause, comme chez Guillaume de Machaut90, dans la Ballade d'Amant
recreü: l'amant qui a perdu ses illusions reconnaît ses erreurs et décide de ne plus aimer après
avoir rappelé les exemples d'Hélène, de Piramus et Tisbé, Tristan et Iseult, tous morts d'amour91.
Froissart, dans le "dit dou bleu chevalier" (1364), conseille à l'amant qui monologue: Ne
ressamblés Piramus, je vous pri, / Qui pour l'amour de Tisbé se murdri, / Ne Leander...92. Dans
les Echecs amoureux et dans leur glose (vers 1370 et 1380)93, Diane associe le mûrier de
Piramus et Tisbé et le fait que la douceur de l'amour se transforme en aigreur94. Dans le Blason
de Faulses Amours de Guillaume Alexis, à la fin du XVème siècle, un moine critique les folles
amours de la jeunesse et prend l'exemple de Piramus et Tysbé95.

Pourtant le jugement porté sur les deux amants est souvent positif: dès le XIIème siècle,
on retient l'issue tragique comme preuve d'un amour intense. De nombreux troubadours
présentent Piramus et Tisbé comme un couple uni par un sentiment parfait, au même titre que
Tristan et Iseut96. Vers 1174-1178, Chrétien de Troyes mentionne dans le Roman de la Charrete
(vers 3803-3804) Piramus comme amant exceptionnel. Dans Amadas et Ydoine (v. 5862), la
19
passion des deux jeunes Babyloniens est jugée loyale. Finalement, bien que leur attachement n'ait
en commun avec l'amour courtois que l'intensité du sentiment et l'interdit accablant, et qu'il en
diffère par exemple dans la mesure où les deux amants sont égaux (car jumeaux), Piramus et
Tisbé en arrivent à incarner l'idéal de la fin'amor. La version romane (v. 921) soulignait déjà la
force et la loyauté de cette passion. Au milieu du XIIIème siècle, Thibaut dans son Roman de la
Poire utilise à deux reprises le mythe de Piramus et Tisbé comme l'essample (v. 717) d'amors
fines (v. 742)97. A nouveau, la souffrance est le garant de la qualité du sentiment. Cette douleur
n'est cependant jamais vraiment tragique: le narrateur réfléchit sur le paradoxal mélange
d'amertume et de douceur de la poire, le fruit amoureux qu'il a partagé avec sa dame98. Une
référence à Ovide (el quart livre de la grant somme v. 737) garantit la véracité de l'exemple, et le
dernier vers conclut sur ces amors douces et franches (v. 741). L'Ovide moralisé99 entre 1291 et
1328 interprète favorablement le destin des deux amants après avoir repris le texte du XIIème
siècle. La première partie du commentaire ne retient que la mort des deux jeunes gens et néglige
la naissance du sentiment amoureux. C'est le tragique de l'histoire qui intéresse: le texte roman
est repris exactement, si ce n'est que le dernier vers devient Cil est feniz, cele est fenie (v.
1149)100. La douleur, sur laquelle la mise en roman insistait déjà plus que le texte ovidien101, est
ici le fondement d'un jugement valorisant exprimé par les termes: loiauté, vrai amant, de fin cuer
amant. Piramus et Tisbé atteignent la perfection car aucun des deux ne veut aller au Paradis sans
l'autre102. Le suicide de ces héros christianisés ne les conduira pas en Enfer. Le martyre d'amour
les a rachetés, la passion est rédemptrice103. Cette première partie du commentaire s'achève sur
la métamorphose et la douleur dont elle est le signe (v. 1169)104. Après une seconde partie
(l'exposicion, qui explique physiquement la métamorphose et le changement de couleur par la
maturation), l'alegorie / Que ceste fable signefie évoque la Passion du Christ: comme le mûrier,
la Croix, arbre saint et glorieus (v. 1188), a été rougie par le sang; la deitez et l'umanité furent
réunies dans le Christ de même que Piramus et Tisbé furent enterrés ensemble. L'auteur regrette
ensuite qu'il n'y ait plus de martyrs (v. 1224) (le thème de la décadence ne doit pas surprendre
dans un texte du XIVème siècle) et il dénonce ceux qui se donnent au Diable, le lion du récit. De
même que Floire dans Floire et Blancheflor est tenté par le martyre dans la fosse aux lions,
l'amour des jeunes babyloniens est une forme de Passion. La douleur rachète le péché. Interprétés
comme amour divin, les sentiments de Piramus et Tisbé échappent à la condamnation.
20
Dans ces réflexions où l'amour des jeunes Babyloniens est pris comme exemple, souvent
Tisbé, plus encore que Piramus, est valorisée105. Parmi les filles d'Eve, elle se trouve
particulièrement réhabilitée. Dans Amadas et Ydoine elle contribue à prouver qu'il existe des
femmes qui n'ont pas trahi leur ami. Dans le Jugement du roi de Navarre de Guillaume de
Machaut, Charité, Souffrance, Attemprance, Franchise, parlent d'amour avec le narrateur: on en
vient à mettre en cause les femmes, et Doubtance nomme Tisbé pour prouver la profondeur du
sentiment féminin (v. 3171-3212)106. Dans le Contreblason de faulses amours de Guillaume
Alexis, c'est la courtisane qui, énumérant les grandes amoureuses, cite en exemple Tisbé entre
Semyramis107 et Morgue108: mais que vaut la bonne opinion d'une telle femme ?
Le jugement porté sur les deux enfants, tantôt positif, tantôt négatif, n'est donc pas sans
ambiguïté. Dans le Voir Dit (1364), Guillaume de Machaut, racontant ses amours littéraires,
cherchant s'il doit voir sa dame, trouve qu'il n'y a rien d'engageant dans l'histoire des amants de
l'Antiquité, Piramus et Tisbé, Héro et Leandre, Hélène et Pâris, car tous périssent (v. 6045-
6100)109 ; pourtant il finit par se décider à affronter autant de difficultés que l'ont fait Piramus,
Leandre, ou Lancelot (v. 6704-91). Christine de Pizan a raconté à deux reprises l'histoire des
deux jeunes amants, mais en proposant deux leçons différentes. Vers 1400-1401, dans la 38ème
histoire de l'Epître d'Othea110, à partir de l'Ovide moralisé, elle reprend l'histoire de Piramus et
Tisbé pour montrer qu'il ne faut pas être aussi irréfléchi que le jeune homme. Vers 1404-1405,
cherchant à prouver la droiture féminine dans le livre II de la Cité des Dames, elle cite en
exemple la fidélité amoureuse de Didon, Médée, Tisbé, Héro en donnant la même version des
amours babyloniennes que dans l'Epître d'Othea111. Ovide, contre la misogynie duquel Christine
s'insurge dans son prologue, fournit paradoxalement les arguments à sa propre réfutation. La
sobriété du résumé, le refus du tragique, du pathétique, donnent à l'aventure des deux amants la
valeur d'une preuve objective. Dans le Martyrologe des fausses langues attribué à Guillaume
Alexis, le narrateur, cheminant dans une lande, passe par les hauts lieux de la littérature
amoureuse, parmi lesquels la fontaine de Narcisse et le mûrier de Piramus et Tisbé. La fontaine
est décrite assez longuement, avec ses quatre piliers de cristal ornés de pierres précieuses.
L'épitaphe rappelle la mort des amants et la métamorphose. Dans un pilier se trouve un livre qui
raconte leur vie. On reconnaît de nombreux éléments traditionnels depuis la version romane (la
mention de l'âge -sept ans v. 88-, la paroi fissurée), mais on ajoute que c'est au terme d'un
21
banquet organisé par Eculeüs, l'oncle de Piramus et Perseïde, le grand-père de Tisbé, que les deux
amants prirent la fuite112. Tisbé, arrivée la première est longuement décrite en train de se peigner
après avoir ôté sa premiere robe (p. 314), ses cheveux d'or sur ses épaules faisant comme un
tissu. Cette scène érotique transforme Tisbé en une sorte de Mélusine à la fontaine113. Le rapport
avec le sujet - l'auteur critique les mauvaises langues- n'est pas explicité, mais on peut le
reconstituer: dans la version romane, les deux amants ont été dénoncés par un serf dont la parole
fut particulièrement funeste (dans la moralité du XVIème, l'histoire des deux amants sera
d'ailleurs aussi l'occasion de dénoncer les langues de vipères114). Notons de plus qu'après la mort
des jeunes gens, la lande est restée maudite et stérile, contrairement à ce que nous avons trouvé
chez Marie de France où le mont devenait particulièrement fertile. Ainsi, dans le Martyrologe des
fausses langues, à trois reprises, un jugement négatif est esquissé (le serf est une mauvaise
langue, le femme une séductrice, les amants sont coupables puisque la terre devient stérile), mais
jamais la condamnation n'est explicite: la souffrance et l'extrême passion des amants restent un
exemple.

b. Le renouveau et la nouvelle

Dans ces textes, on peut distinguer les cas où il fait une simple allusion aux deux amants
(ils sont mentionnés dans des comparaisons et des énumérations parmi d'autres personnages
antiques comme dans Amadas et Ydoine) des références plus développées accompagnées d'un
commentaire: ainsi dans le Roman de la Poire, l'Ovide Moralisé, dans la Cité des Dames, l'Epître
d'Othea, les textes de Guillaume Alexis, ou encore la Prison amoureuse de Froissart... Il peut
paraître arbitraire de regrouper ces textes qui s'échelonnent sur trois siècles et qui semblent
relever de genres très différents. Pourtant, tous sont des écrits hybrides: dans l'Ovide moralisé
alternent récits et commentaires, l'Ovide moralisé en prose juxtapose les vers et la prose, le Voir
Dit mêle des lettres, des poèmes, la Cité des Dames est à la fois une vision allégorique, un récit et
une réflexion. A chaque fois, l'histoire de Piramus et Tisbé est intégrée, partie d'un ensemble
monstrueux, médaillon ornemental, sans nécessité absolue semble-t-il, et pourtant exemple
privilégié que toute littérature de réflexion doit mentionner. Piramus et Tisbé est devenu un
topos, un lieu clos de la littérature, un monument culturel. Dans le Martyrologe des fausses
langues, le narrateur passe par la lande où sont morts les deux amants: le livre qui raconte leur
22
histoire est enchâssé dans un pilier de la fontaine, et sur le tombeau, est représenté l'épisode du
lion: les amours de Piramus et Tisbé sont devenues indissociables de leur mise en oeuvre
artistique.
Pourtant, la passion des jeunes babyloniens échappe au cercueil du cliché: le mythe va
trouver son expression exacte dans un genre en plein essor, la nouvelle, avant d'accéder à la scène
tragique.
En effet, l'enchâssement des récits (inspiré d'Ovide), le jeu sur les commentaires, le souci
de brièveté évident dans les versions de Christine de Pizan comme dans le Roman de la Poire115
sont les marques d'un nouveau mode d'écriture qui se définit au XVème siècle comme nouvelle.
L'évolution de l'Ovide moralisé est significative. Ce texte connaît deux remaniements en
prose116. Dans l'un (1466-7), conservé dans un seul manuscrit (Vatican, Reg. 1686), l'auteur écrit
soubz le plus brief langaige de prose117. La plupart des effets rhétoriques, l'analyse du sentiment
amoureux, certains monologues disparaisssent. Le style direct est souvent transposé en style
indirect. Le narrateur insiste sur le tragique, et accélère le récit. Pourtant les deux monologues les
plus dramatiques sont réécrits. Celui de Piramus découvrant son infortune, commencé en prose
(avec quelques effets rhétoriques) et poursuivi par des octosyllabes à rimes plates, et celui de
Tisbé, en quatrains, sont proches de la poésie des grands rhétoriqueurs contemporains. Suit
l'alegorie de la fable qui reprend les éléments contenus dans la version en vers: l'Incarnation, la
Passion, les exhortations à aimer le Christ, à souffrir les peines, à faire pénitence comme les
martyrs. L'auteur annonce le Jugement Dernier: les mauvais seront dévorés par le Diable, le lion
d'enfer. Ce sont là les éléments essentiels contenus dans la version en vers, mais le rapport avec
Piramus et Tisbé a complètement disparu, d'autant plus d'ailleurs que dans la version en prose le
récit présente non pas un lion mais une lionne: bien habile qui devine le rapport avec le lion
d'enfer... La moralisation semble ne plus avoir d'intérêt. Ce qui retient le lecteur désormais, c'est
d'une part, l'histoire brève et tragique des deux amants, une nouvelle, et d'autre part, l'expression
au style direct (théâtrale), rimée et poétique, du sentiment.
L'autre remaniement en prose118 paraît avoir eu un succès plus marqué. Il est conservé
dans deux manuscrits et dans les imprimés de Mansion et Vérard. Il représente un tournant
important dans l'histoire des deux amants, car c'est lui qui semble avoir influencé Baïf, Théophile
de Viau et peut-être la moralité de 1535119. Il résume moins que la version du manuscrit du
23
Vatican. C'est un récit entièrement en prose, qui conserve une évocation des symptômes
amoureux et de nombreuses interventions au style direct. La structure du texte repose sur une
bipartition dans laquelle la métamorphose est le pivot et l'union dans la mort le terme vers lequel
toute la narration tend. Deux prières parallèles se répondent: celle de Piramus à laquelle répond la
métamorphose et celle de Tisbée demandant un unique tombeau. Pourtant la bipartition propre à
la version romane (les jeunes amours et la mort des amants) reste sensible: dans le manuscrit
B.N. fr. 137, la première partie -le vert paradis des amours enfantines- commence par une
rubrique consacrée aux enfances des héros avec une lettrine initiale les représentant jouant
ensemble; la seconde débute par une rubrique annonçant la mort de Piramus précédée par une
miniature sur le même sujet. Si le manuscrit B.N. fr. 137 omet les moralisations, celui de Londres
(B.M. Royal 17 E IV) établit clairement une corrélation entre Piramus et le Christ, Tisbé et l'âme,
le lion et le diable, puis propose une assimilation entre Tisbé et la Vierge, avec une relecture
originale du suicide de Tisbé à la lumière de Saint Luc (cité en latin dans le manuscrit).
On remarque donc une hésitation entre la lecture purement narrative (le manuscrit de la
B.N. supprime les interprétations, de même que le Grand Olympe des hystoires poetiques du
prince Ovide...120), et un renouvellement des commentaires (l'éditeur Mansion, copiant une
version sans moralité supplée au manque en ajoutant la traduction des interprétations de
Bersuire). Le texte oscille entre l'ouvrage d'agrément et le recueil instructif.
En fait, avant même ces mises en prose, Froissart, dans la Prison amoureuse (vers 1372-
3), a senti le potentiel des amours de Piramus et Tisbé (Lettre V, v. 40-48)121. Le narrateur, sous
le pseudonyme de Flos, entretient une correspondance avec un de ses amis, qui se fait appeler
Rose et qui le prie de lui envoyer un Petit dittié amoureus, qui se traitast sus aucune nouvelle
matere qu'on n'aroit onques veü ne oÿ mise en rime, tele com, par figure, fu jadis de Piramus et
de Tysbé, ou de Eneas et de Dido, ou de Tristan et de Yseut, car à plusieurs reprises on lui a
réclamé une telle composition (p. 82). Flos accepte et s'inspire d'une glose / Qui nous approeve
et nous acorde, / Si com Ovides le recorde, Les oeuvres de Pytnoteüs, / Qui par grant art et non
par us / Fist l'Ymage parlans et vive, / D'aige et de terre (p. 83). Il s'est arrêté sur ce récit, ne
pouvant trouver nulle metere (...) Si amoureuse ne si belle, / Si jolie ne si nouvelle122. Rose
appréciera plus tard la composition de Flos pour sa nouveleté et sa plaisance (p. 113, p. 149).
De cet échange il ressort que:
- Ovide est invoqué comme autorité mais il est lu à travers des gloses,
24
- l'histoire de Piramus et Tisbé fait partie d'une tradition, mais c'est une nouvelle matere
que l'on attend,
- le récit espéré se caractérise par sa brièveté (petit),
- la thématique amoureuse est essentielle,
- le texte plaît .
C'est bien une nouvelle qui est requise, récit bref et plaisant, renouvelant avec originalité
un texte déjà connu et commenté, souvent consacré à l'amour123.
Or la relecture que fait Flos enchaîne le début de l'histoire de Piramus et Tisbé, une partie
de celle d'Orphée, et celle de Pygmalion (en enchâssant l'aventure de Phaeton)124. Les deux
héros, Neptisphelé (la deuxième syllabe rappelle le nom de Tisbé) et Pynoteüs (dont le nom
commence comme ceux de Piramus et Pygmalion), sont jeunes (v. 1450) et se rencontrent dans
un jardin paradisiaque où coule une fontaine. Tout est pur, intact: l'eau jaillit sans buse ne tuiel ne
tive (...), riens ne l'ordoit. C'est l'Eden. Ils vivent Sans jalousie et sans envie, / Sans visce et sans
iniquité (v. 1375-6). Un lion dévore la jeune fille un jour qu'elle est arrivée en avance au rendez-
vous. Pytoneüs la cherche, ne trouve que sa ceinture et l'herbe sanglantes. Il se lamente, prononce
un long monologue et envisage le suicide (v. 1647). C'est bien là l'histoire de Piramus, avec son
printemps idyllique et son issue tragique, à ce détail près que la jeune fille est réellement la
victime du lion. Le relai est alors pris par la figure d'Orphée. Pynoteüs (v. 1322-ss) est présenté
dès les premiers vers du récit comme le plus grand poète de son temps et un maître des sept arts.
On le voit après la mort de Neptisphelé jeter des sorts (v. 1528), convoquer tous les animaux, et
conjurer le coupable de se dénoncer125. Dans un troisième temps, c'est à Pygmalion que le héros
s'apparente: Pytoneüs fabrique une statue à l'image de celle qu'il aime et prie Apollon, le dieu à la
lyre, de l'animer. Comme Orphée et Pygmalion, Piramus est devenu une figure du poetes (v.
1587, 1658, 1921)126. La Prison amoureuse est entièrement structurée par l'histoire de Pynotéüs.
En effet, ce récit suscite un rêve de Rose duquel est donné un commentaire en prose, une
exposition (p. 154-5), dans la tradition allégorique: Pynotéüs est assimilé au désir, Neptisphelé à
Plaisance, deux vertus qui cohabitaient en Rose jusqu'à ce que le lion, Envie (les jaloux, les
médisants), s'immisce entre lui et sa dame, en vain, puisque la prière de Désir à Apollon
ressuscite l'aimée. La lecture et l'écriture se font jeux de miroir: Pynoteüs est à la fois le Désir,
Piramus, Orphée, Pygmalion, Rose, le poète (Froissart ?), sans oublier que derrière Rose se cache
Wenceslas de Luxembourg.
25
Piramus, protéiforme, devenu personnage de nouvelle, l'amant se prépare à entrer sur la
scène tragique. S'inspirant des aventures babyloniennes, Masuccio de Salerne au XVème siècle
écrit Giannoza et Mariotto (Novellino 22), et Luigi Da Porto (1485-1529) Giulietta et Romeo.
Comme chez Froissart, la relecture s'accompagne d'un changement de noms. Le cheminement de
l'histoire des nouveaux amants se poursuit: Bandello (Nouvelle, II, 9) raconte les amours de
Romeo et Juliette, son texte est repris en français par Pierre Boaistuau, version qui est traduite en
anglais par William Painter et reproduite avec quelques variantes par Arthur Brooke dans son
poème The tragicall historye of Romeus and Juliet. Shakespeare s'en inspirera pour composer
Romeo et Juliette. Le potentiel théâtral contenu dans les longues tirades avait déjà trouvé une
expression scénique: vers 1535, une moralité mettait en scène l'interprétation donnée par l'Ovide
moralisé ( Piramus est le Christ et Tisbé l'âme chrétienne).

Les amours des deux jeunes babyloniens, fascinantes au point de devoir être
démythifiées127, ont donc été un thème privilégié pour des genres naissants -ou renaissants-,
comme le roman ou la nouvelle, avant de devenir un mythe théâtral (chez Théophile de Viau)
tout en demeurant un grand thème lyrique (chez J.A. de Baïf). Leur histoire semble donner à
chaque "genre" un modèle comme en témoignent les mises en abîme: dans le roman de Floris et
Lyriopé, les héros lisent le roman de Piramus et Tisbé, dans Le songe d'une nuit d'été, on joue
leurs amours. Leur jeune passion, narcissique, permet de donner un reflet de l'oeuvre et invite le
lecteur à se mirer: c'est l'histoire de Pyrame et Thisbé que l'on trouve sur les murs de la chambre
de la jeune Jeanne128.
26

1 L'expression de L. Traube est citée par E.K. Rand dans Ovid and his influence, New York, 1928, p. 112.
2 Voir E. Faral, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du moyen âge, Paris, rééd.
Champion, 1983, p. 191; M. Wilmotte, Origine du Roman en France. L'évolution du sentiment romanesque jusqu'en
1240, 1942, p. 152-92 ; W. Brewer, Ovid's Metamorphoses in European Culture, 1933. Voir E. R. Curtius, La
littérature enropéenne et le Moyen-Age latin, trad. française, Paris, P.U.F., 1956, t. I, p. 55: "les Métamorphoses
étaient aussi un répertoire mythologique aussi passionnant qu'un roman. Qui étaient Phaéton, Lycaon, Procnè,
Arachnè ? Pour mille questions de ce genre, Ovide était le Who's who. (...) En outre, toutes ces histoires
mythologiques avaient un sens allégorique. Ovide représentait ainsi un véritable arsenal de morale".
3 Voir E. Faral, Recherches..., op. cit., p. 37-ss; Robert Glenndinning, "Pyramus et Thisbé in the Medieval
Classroom", Speculum 61, 1986, p. 51-78; P. Lehmann, Pseudo-Antike Literatur des Mittelalters, Leipzig, 1927.
4 Le grec Nicolas Damascène en donne au IVème siècle une version indépendante de celle d'Ovide, dans laquelle
Thisbé se tue car elle est honteuse de ne pouvoir cacher le fruit de ses amours, Pyrame se suicidant par désespoir. Les
dieux les prennent en pitié et les réunissent à jamais en les transformant en cours d'eau. Voir P. Grimal, Dictionnaire
de la mythologie, Paris, P.U.F., 1969, p. 402-403.
5 Saint Augustin, dans le De Ordine, craint que la poésie à laquelle se consacre Licencius en chantant Pyrame et
Thisbé, ne dresse entre lui et la philosophie un mur plus haut que celui qui séparait les deux amants (éd. et trad. R.
Jolivet, Paris, Desclée De Brouwer, 1939, p. 316).
6 Sur les lectures successives des Métamorphoses, voir M. Moog-Grünewal, Metamorphosen der Metamorphosen.
Rezeptionsarten des ovidischen Verwandlungsgeschichten, Heidelberg, 1979.
7 "La continuité qui crée le genre peut se trouver (...) dans l'histoire (...) d'un thème comme celui du personnage
légendaire d'Alexandre au Moyen Age" (H. R. Jauss, "Littérature médiévale et théorie des genres", Poétique, 1970,
1, p. 83); "toute oeuvre littéraire appartient à un genre, ce qui revient à affirmer purement et simplement que toute
oeuvre suppose l'horizon d'une attente, c'est-à-dire un ensemble de règles préexistant pour orienter la compréhension
du lecteur (du public) et lui permettre une réception appréciative" (p. 82). Ce sont ces notions d'"horizon d'une
attente" et de continuité qui peuvent permettre de parler de genre littéraire au Moyen Age.
8 Nous utiliserons l'éd. de C. de Boer, Paris, Champion, 1921, faute de pouvoir utiliser celle de F. Branciforti,
Florence, 1959. Sur la comparaison entre le texte d'Ovide et la translation médiévale, voir A. M. Cadot, "Du récit
mythique au roman: étude sur Piramus et Tisbé", dans Romania, t. 97, 1976, p. 433-461, W. Kibler, "Piramus et
Tisbé: a Medieval Adapter at Work", Zeitschrift für Romanische Philologie, XCI, 1975, p. 273-91. Voir aussi
l'introduction à l'édition de F. Branciforti et M. N. Lefay-Toury, La tentation du suicide dans le roman français du
XIIème siècle, Paris, Champion, 1979, p. 28-34.
9 Voir E. Faral, Les arts poétiques du XIIème et du XIIIème siècle, Paris, 1924, p. 61-ss.
10 Voir J. Frappier, "Remarques sur la peinture de la vie et des héros antiques dans la littérature française du
XIIème et du XIIIème siècle", dans l'Humanisme médiéval. Colloque de Strasbourg 1962, éd. A. Fourrier, Paris,
1964, p. 13-51; O. Jodogne, "Le caractère des oeuvres 'antiques' dans la littérature française du XIIème et du
27
XIIIème siècle" dans l'Humanisme médiéval..., p. 55-83; A. Petit, L'Anachronisme dans les romans antiques du
XIIème siècle, Lille, 1985.
11 Notons par exemple la correspondance entre les deux interrogations: Quid non sentit amor ?(v. 68) et Quel
chose est ce qu'amours ne sent ? (v. 325).
12 Il les présente comme dui home renomé/ Dui citeain de grant hautece / De parenté et de richece. L'adjectif riche
est repris au début du vers suivant. Les vers 5 et 10 forment un chiasme qui enferme la première évocation des
enfants entre deux allusions aux pères, et donc à la lignée: Li riche home orent deus enfans (v. 5) / Deus enfans
orent li riche home (v. 10).
13 Art. cit., p. 436.
14 Pour A. M. Cadot, art. cit., p. 442, ces signes sont la marque d'une superstition et renforce l'étrangeté du texte.
Cependant, ces croyances peuvent être celles d'une dame du XIIème siècle. Le cri de la chouette est un présage
funeste dans les Evangiles des Quenouilles.
15 Dans son premier monologue, Piramus constate sa déchéance physique (v. 157-8), son visage est flétri et pâli, il
se pâme (v. 200), tremble, pleure. Les vers 204-215 donnent un développement rhétorique concernant ces
symptômes: symétries (v. 206) et allitérations (v. 207) témoignent de l'importance que l'auteur accordait à ces
passages.
16 Voir J. L. Lowes, "The lovers Maladye of Heroes", Modern Philology, XI, 4, p. 18-ss.
17 Voir R. Jones, The Theme of Love in the Romans d'antiquité, Londres, 1972, p. 14-15.
18 Voir E. Faral, Recherches..., p. 146-ss. Relevons quelques monologues amoureux dans les Métamorphoses: III,
442-ss, IV, 108-ss, 585-ss, 726-ss, X, 320-ss, 612-ss, dans Eneas, v. 8083-ss, 8343-ss; 8676-ss... Cf. A. Hilka, Die
direkte Rede als stilistisches Kunstmittel in den Romanen des Kristian von Troyes, Halle, 1903, p. 71-ss.
19 Sur ce type de vers, voir E. Faral, op. cit., p. 9-10, n. 1 et l'introduction de l'édition de C. de Boer, p. VII et VIII.
20 Allitérations en p quand Pyrame prend la parole (v. 145-8), répétitions de plains (5 occurrences dans les v. 145-
8), octosyllabes à structure binaire (v. 152 Tous tens ai duel, joie noient), anadiploses (v. 154-5, v. 175, v. 179-180),
comparaison (v. 158), recherches sur les rimes (rimes de mots de la même famille v. 165-6). Voir G. Biller, Etude
sur le style des premiers romans français en vers, Götteborg, 1916.
21 Voir E. Faral, op. cit., p. 16-ss.
22 Lorsque Jean Malkaraume traduit à la fin du XIIIème siècle l'histoire de Pyrame et Tisbé dans sa Bible, il rend le
latin buxo par buis et non par "lierre" (éd. J.R. Smeets, Van Gorcum, Assen, 1978, t. II,v. 7901).
23 Dans le Roman de Thèbes, Vert esteit come fueille d'ierre (éd. L. Constans, Paris, S.A.T.F., 2 vol., 1890, v.
6262). Dans Piramus et Tisbé, le héros, voyant la guimpe ensanglantée Plus devint vers que feuille d'ierre (v. 702).
Cette comparaison est assez fréquente (voir Tobler-Lommatzsch, Altfranzösische Wörterbuch, Wiesbaden, 1960, t. 4,
col. 1289). On la trouve dans Le Conte du Graal, Guillaume de Dole, l'Escoufle. Il n'est pas impossible que Piramus
et Tisbé ait contribué à la populariser. Si le Roman de Thèbes s'inspirait d'Ovide, il traduirait peut-être buxo par buis
comme Jean Malkaraume. On peut supposer qu'il emprunte la comparaison avec le lierre à la transposition de
Piramus et Tisbé.
28
24 Voir A. M. Cadot, art. cit., p. 452. Le récit de la naissance de l'amour est 34 fois plus long dans le texte
médiéval, tandis que globalement le texte est neuf fois plus étendu.
25 Le récit de la mort n'est que quatre fois plus long dans le texte du XIIème siècle, ce qui est peu par rapport à la
moyenne: le tragique correspond à une relative accélération du récit.
26 Après quelques octosyllabes d'introduction, le discours est fortement scandé par la reprise d'un mot, plain pour
Piramus, souvent pour Tisbé. Les procédés rhétoriques sont les mêmes: anadiploses, jeu sur les comparatifs
(Piramus: Quant je plus plaing et meins me vaut v. 186, Tisbé: Mais quant je plus pens et meins voi v. 230), reprise
en écho d'expressions (prendre conroi: Piramus v. 165, Tisbé v. 231), multiplication des interlocuteurs fictifs, images
florales.
27 On note une imprécision quant aux âges: les enfants sont touchés par l'amour à sept ans (v. 13) et restent
innocents pendant dix ans (v. 73): c'est pourtant lorsqu'ils ont quinze ans passés que la crise éclate (v. 122).
28 Le pertus désigne à la fois la plaie dans la description allégorique de l'Amour (v. 31) et la brèche dans le mur (v.
327). Le murs (v. 315) dans la translation médiévale a d'ailleurs une valeur poétique que n'a pas le mot latin paries:
il est apparenté phonétiquement à meüre, amor, mort, more (pointe de l'épée). De plus le mur permet aux amants de
se rejoindre, de s'embrasser. C'est pourquoi il apparaît dans le texte avec l'article de l'unicité (de la réunion) qui a
servi plus haut à marquer la gémellité des héros: (C')une paroiz et uns murs seulz (v. 315).
29 Voir W. W. Kibler, art. cit., n. 30 p. 286. Notons que l'amandier, par sa floraison printanière précoce, est aussi le
symbole de la renaissance: ainsi se trouve annoncé l'accomplissement amoureux final (dans la mort). De plus, le
Christ étant associé à l'amande, (pensons à la mandorle ou amande mystique), l'amandier peut représenter la Vierge.
On ne saurait s'étonner de rencontrer ici ce signe à la fois de l'enfantement et de la pureté. Enfin, faut-il rêver et
entendre dans alemandier à la fois amender et le pardon final, ou bien encore amant ?
30 Voir M. Pastoureau, Couleurs, images, symboles, Paris, Le Léopard d'Or, p. 20-22. Ces trois tons constituent les
pôles d'une organisation ancienne et profondément enracinée du système symbolique des couleurs.
31 Elle est mentionnée au v. 684, au moment de la mort. Dans le texte antique, la clarté de la lune était évoquée plus
haut, lorsque Thisbé voit la bête. Ce déplacement est significatif de l'intérêt marqué par l'auteur médiéval pour
l'instant de la mort.
32 Voir pour le XVIème siècle, G. Amielle, Les traductions françaises des Métamorphoses d'Ovide, Paris, J.
Touzot, 1989, p. 331, 337; de l'Antiquité à la fin du XIXème, voir F. Schmitt-von Mühlenfels, Pyramus und Thisbé.
Rezeptionstypen eines Ovidischen Stoffes in Literatur, Kunst und Musik, Heidelberg, 1972 (planches en fin de
volume). On retiendra les châpiteaux de Bâle (fin XIIème siècle) et la représentation dans le manuscrit du Roman de
la Poire (B.N. 2186, f. 7) où l'on voit dans le premier médaillon les deux amants communiquer à travers le mur et
dans le second s'étreindre dans la mort (avec en arrière-plan le lion qui a la guimpe à la gueule). Sur les miniatures et
les gravures concernant Pyrame et Tisbé dans les manuscrits de la version en prose de l'Ovide moralisé (version
omettant les moralités), voir W. G. Van Emden, "L'histoire de Pyrame et Tisbé dans la mise en prose de l'Ovide
moralisé: texte du manuscrit Paris, B.N. Fr. 137, avec variantes et commentaires", dans Romania, t. 94, p. 35-36.
Une étude de l'illustration de Pirame et Tisbé serait intéressante à mener, elle devrait tenir compte de la fontaine,
29
tantôt source, tantôt monument somptueux. Dans le Pyrame et Tisbé de Ch. Coypel par exemple, la fontaine est
exotique et a une forme pyramidale, suggérée par le nom du héros ou par l'exotisme babylonien.
33 Relevons: l'annominatio (sanc/ sanglant v. 710, sans / ensanglantee/ sanglente v. 836-7, morromes / mort v.
872), l'anadiplose (v. 727-8, v. 754-5, v. 845-6, v. 860-1...), l'énumération (v. 715-6, v. 722), les échos sonores (sole
saole v. 727-8 et v. 730, morz demores v. 753 et 755-6, mort morier more amours v. 772-3, 780, 786), les parallèles
et les antithèses (v. 708, v. 732, Quant ele est morte et ne sui morz v. 737 et Quant ele est morte et je sui vis v. 741),
des polyptotes (v. 750), des rimes intérieures (chiere, pechierre, chiere v. 764-6), des allitérations (en p v.764 et
841).
34 Art. cit. p. 460.
35 Le problème de l'identification du genre se pose de même pour le Narcissus (voir éd. M. Thiry-Stassin et M.
Tyssens, Paris, Belles Lettres, 1976, p. 70-ss). Poème contemporain de l'élaboration du roman et du lai, Pyrame et
Tisbé témoigne bien du fait qu'un genre ne se forme que progressivement au fur et à mesure de la constitution d'une
norme.
36 La littérature française au Moyen Age (XIème-XIVème siècle), Paris, Hachette, 1888, p. 91.
37 "Remarques sur la structure du lai: essai de définition et de classement" dans La littérature narrative
d'imagination: des genres littéraires aux techniques d'expression, Colloque de Strasbourg, 1959, Paris, 1961, p. 26-
33.
38 Les cent nouvelles nouvelles et la tradition de la nouvelle en France au Moyen Age, Presses Universitaires de
Grenoble, 1973, p. 316-ss.
39 Voir P. Demats, Fabula. Trois études de mythographie antique et médiévale, Genève, Droz, 1973, p. 78.
40 Il a d'ailleurs peut-être existé un lai -chanté- de Thisbé : le Tristan de Gottfried en mentionne un (éd. R.
Bechstein, Liepzig, 1869, v. 3612-31). On a déjà soutenu qu'il existait des lais antiques avant les lais bretons (voir R.
Baum, Recherches sur les oeuvres attribuées à Marie de France, Heidelberg, 1968, p. 16-17).
41 Dans l'ensenhamen qu'il composa vers 1160-70 et qui est la seule oeuvre que l'on ait conservée de lui, Giraut de
Cabreira reproche à son jongleur d'ignorer un certain nombre de récits concernant des héros des Métamorphoses,
dont Piramus (voir E. Faral, Recherches sur les sources latines de contes et romans courtois du Moyen Age, éd. cit.,
p. 9-10 et F. Pirot, Recherches sur les connaissances littéraires des troubadours occitans et catalans des XIIème et
XIIIème siècles. Les "sirventes ensenhamens" de Guereau de Cabrera, Guiraut de Calanson et Bertrand de Paris,
Barcelone, 1972). Dans Flamenca (2ème tiers du XIIIème siècle), le narrateur décrit les divertissements de la cour
d'Archambault (v. 592-ss): il mentionne des musiciens qui récitent des comtes et donne à cette occasion un véritable
programme littéraire où il est question de Piramus (v. 622) (dans Les Troubadours, R. Lavaud et R. Nelli, Desclée de
Brouwer, 1960, trad. et éd. de Flamenca, p. 621-1063).
42 Pour M. Delbouille, ("A propos de la patrie et de la date de Floire et Blancheflor", Mélanges M. Roques, t. IV,
Paris, 1952, p. 65-ss ) Piramus et Tisbé serait antérieur à Tristan. L'histoire du mythe tristanien n'étant pas
définitivement établie, nous ne retenons aucune conclusion quant à la chronologie de ces textes. Pour C. Segre (art.
cit., n. 55), le lai de Marie est antérieur à Piramus et Tisbé, il est postérieur pour J. Wathelet-Wilhem ("Un lai de
Marie de France: les deux amants", dans les Mélanges R. Lejeune, t. II, p. 1143-1157, Gembloux, 1969).
30
43 Tristan et Iseut , Paris, Lettres Gothiques, Livre de Poche, 1989, p. 482.
44 Ibid, p. 664. On trouve une version comparable chez Eilhart.
45 Voir E. Löseth, Le roman en prose de Tristan, Paris, 1890, réimp. Slatkine Reprints, Genève, 1974, p. 392.
46 Les différentes versions sont résumées dans E. Löseth, op. cit., § 546-ss. Sur le manuscrit B.N. fr. 103 qui
présente une version de la mort des amants que l'on ne trouve pas ailleurs, voir E. Baumgartner, Le "Tristan en
prose". Essai d'interprétation d'un roman médiéval, Genève, Droz, 1975, p. 77-ss.
47 E. Baumgartner, op. cit., p. 83.
48 Voir J. Bédier, "la mort de Tristan et d'Iseut d'après le manuscrit fr. 103 de la Bibliothèque Nationale comparé au
poème allemand d'Eilhart d'Oberg", Romania, t. XV, 1886, p. 481-510.
49 "Les arbres entrelacés dans les "romans" de Tristan et le mythe de l'arbre androgyne primordial", Mélanges P. Le
Gentil, Paris, S.E.D.E.S., 1973, p. 295-7.
50 Voir Philémon et Baucis (Métamorphoses, livre VIII, v. 614-ss). Dans ce cas, les amants ne sont pas de tout
jeunes enfants, mais au contraire des vieillards. Cependant, comme pour Pyrame et Tisbé, il s'agit d'un amour de
longue date, mûri par l'habitude, opposé au coup de foudre.
51 Art. cit., p. 298.
52 Ed. J. Lods, Lais de Marie de France, Paris, Champion, 1959.
53 Le lai de Laüstic emprunte aussi des éléments à Piramus et Tisbé (les maisons voisines, l'interdit...). Voir C.

Segre, "Piramo e Tisbé nei lai di Maria di Francia", dans Studi in Onore di Vittorio Lugli e Diego Valeri, Venise,
1961, t. II, p. 845-853.
54 Op. cit., p. 92-ss.
55 "The Influence of Ovid on Chrestien de Troyes", The Romanic Review, 12, 1921, p. 97-134 et 216-47. En ce qui
concerne le suicide, l'influence peut être exercée par le texte latin, ou par la mise en roman.
56 Voir J. Dornbush, "Ovid's Pyramus and Thisbé et Chrétien's Le Chevalier de la Charrete", Romance Philology,
XXXVI, 1982, p. 34-42.
57 The Romance of Yder, éd. et trad. en anglais A. Adams, D.S. Brewer, Cambridge, 1983, v. 2554-ss.
58 Voir H. Hauvette, La morte vivante, Paris, Boivin, 1933. Ce motif apparaît aussi dans Cligès mais il n'est pas mis
alors en relation avec la tentation du suicide.
59 Ed. J. R. Reinhard, Paris, C.F.M.A., 1926.
60 Précis de littérature française du Moyen Age, (sous la direction de D. Poirion), Paris, P.U.F., 1983, p. 218.
61 Le roman idyllique au Moyen Age, Paris, Picard, 1913.
62 La rose et le lys. Etude Littéraire du Conte de Floire et Blancheflor, Senefiance 31, Aix-en -Provence, 1992, p.7.
63 Op. cit., p. 21.
64 Il existe deux versions de Floire et Blancheflor. La plus ancienne, le conte, est qualifiée d' "aristocratique", la
seconde est dite, sans que le terme soit vraiment justifié, populaire. Nous travaillerons sur le conte (éd. J.L.
Leclanche, Paris, Champion, 1980): par la date de sa composition, controversée (les hypothèses vont de 1147 à
1186), il est plus proche de Piramus et Tisbé que l'autre version. Sur celle-ci, voir l'éd. de M. Pelan, Floire et
Blancheflor. Seconde version, Paris, Ophrys, 1975.
31
65 Dans Amadas et Ydoine, dans la longue tirade où sont énumérés les amants fameux, Floire est le seul à être
appelé enfes (éd. J. R. Reinhard, Paris, C.F.M.A., 1926, v. 5843).
66 Op. cit, p. 68.
67 Op. cit., p. 39. Voir aussi W. C. Calin, "Flower imagery in Floire et Blancheflor", dans French Studies, 18,
1964, p. 103-111.
68 Voir Curtius, op. cit., t. I, p. 317-ss et "Rhetorische Naturschilderung im Mittelalter", Romanische Forschungen,
t. 56, 1942, p. 219-56. Ce lieu présente un arbre, une prairie, une source ou une fontaine, voire des oiseaux et des
fleurs. H. Legros, "Variations sur un même thème: "locus amoenus", "heroon" et jardin royal", Mélanges J. C.
Payen, Caen, 1989, p. 231-8.
69 La source de cette scène serait le roman d'Apollonius de Tyr. Voir M. Delbouille, "Apollonius de Tyr et les
débuts du roman français", Mélanges offerts à Rita Lejeune, Gembloux, 1969, t. II, p. 1171-1204. Mais les deux
fausses morts dans Apollonius de Tyr (celle de la mère et celle de la fille) ne sont suivies d'aucune déploration,
d'aucune scène de désespoir amoureux, d'aucune tentative de suicide. Le motif des statues sur le monument funéraire
se retrouvera dans le Tristan en prose (voir E. Löseth, op. cit., §550): le roi Marc fait placer près du tombeau des
deux amants deux statues, l'une représentant un chevalier, l'autre, une dame. Dans la Tavola Ritonda, la figure
féminine tient une fleur à la main (Iseut fut la fleur du monde). Ces détails, absents dans les versions plus anciennes
de la légende peuvent avoir été inspirés par un rapprochement avec Floire et Blancheflor.
70 Pour H. Legros, le conte date de 1183-1186 ( op. cit., p. 33-34), pour J. L. Leclanche, de 1147-50 ("La date du
conte de Floire et Blancheflor", Romania, 92, 1971), pour M. Delbouille la version "aristocratique" date des années
1160 ("A propos de la patrie et de la date de Floire et Blancheflor", art. cit., p. 65-ss sur les rapprochements entre
Piramus et Tisbé et Floire et Blancheflor), pour R. Lejeune, de 1161 (Cultura Neolatina, 14, 1954, p. 41). Dans
l'ensehamen de Guiraud de Cabrera (vers 1150), il est question d'un poème de Floris, mais il ne s'agit pas
nécessairement de notre conte. Pour M. Delbouille, le conte est postérieur à Piramus et Tisbé (art. cit, p. 17).
71 Voir H. Legros, op. cit., p. 17-18 pour une interprétation historique de ces deux femmes.
72 Telle est la présentation qu'en donne J. Bédier dans la préface de la traduction de M. G. Michaut (Paris, 1905).
73 Recherches, op. cit..., p. 26-33.
74 Les références sont celles de l'édition M. Roques, Paris, C.F.M.A., 1936.
75 Aucassin (I, 10-s) a les caviax blons et menus recercelés et les ex vairs et rians (...) et le nes haut et bien assis.
Les mêmes expressions sont reprises dans le même ordre au sujet de Nicolette (XII, 19-ss).
76 Voir O. Jodogne, "La parodie et le pastiche dans Aucassin et Nicolette", dans les Cahiers de l'Association
internationale des études françaises, t. 12, 1960, p. 53-65.
77 M. Wilmotte, Un curieux cas de plagiat littéraire. Le poème de Galeran, Paris, Champion, 1928. "En somme,
ayant lu Floire et Blancheflor (il ne le cache point, voyez vers 516) et aussi Piramus et Tisbé qu'il a imité, l'auteur a
trouvé expédient de greffer cette vieille anecdote orientale de deux enfants qui, élevés ensemble, s'aiment et sont
séparés par la destinée, sur un thème un peu banal et rapidement épuisé" (p. 11).
78 Ed. H. Michelant et P. Meyer, Paris, S.A.T.F., 1894. On peut aussi consulter l'édition de F. Sweetser, Genève,
1974.
32
79 Rééd. A. Micha, Droz, Genève, 1990.
80 Ed. P. Barrette, Berkeley and Los Angeles, 1968.
81 C'est à la comédie latine de Guillaume de Blois, Alda (vers 1170) que l'auteur aurait emprunté ce motif: voir E.
Faral, "Le fabliau latin au Moyen Age" dans Romania, t. 50, 1924, p. 323-385. Il n'empêche que d'autres motifs
semblent inspirés par Piramus et Tisbé: l'auteur aurait combiné deux des métamorphoses translatees au XIIème
siècle, Narcisse et l'histoire des jeunes babyloniens.
82 Voir R. J. Cormier, One heart, one mind, the rebirth of Virgil's hero in medieval french romance, University of
Mississipi, 1973. Dans Mensonge et Sortilège, Elsa Morante peint l'amour de deux jeunes cousins, qui se ressemblent
beaucoup, qui ont la même écriture: mais à travers Anna, ce n'est que lui-même qu'adore le bel Edoardo, et nous
glissons de Pyrame et Thisbé à Narcisse.
83 Si Piramus et Tisbé sont souvent considérés au Moyen Age comme des amants parfaits, Narcisse est toujours
condamné (voir M. N. Toury, "Narcisse et Tristan: subversion et usure des mythes aux XIIème et XIIIème siècles",
VIème Congrès triennal de la Société Internationale Courtoise", Salerne, 24-29 juillet 1989).
84 Ed. P. M. O'Hara Tobin, Les lais anonymes des XIIème et XIIIème siècles, Genève, 1976. Traduction par D.
Régnier-Bohler, p. 121-ss dans Le coeur mangé. Récits érotiques et courtois, Paris, 1979. Le fils naturel d'un roi et la
fille issue d'un premier mariage de son épouse, élevés ensemble, tombent amoureux l'un de l'autre. Comme dans
Piramus et Tisbé, ils sont jeunes (ils ont sept ans), ils sont socialement égaux, mais leurs parents sont hostiles à leur
union, sans que l'on sache pourquoi. Le jeune homme, la nuit de la Saint Jean, tente l'épreuve du gué de l'Epine,
combat des chevaliers de l'autre monde et épouse la demoiselle. Ce texte a bien la structure du lai (il présente une
épreuve et il est bref), il insiste sur les enfances des héros, et rejette l'issue tragique.
85 Ed. J. Alton, Tübingen, 1884, réimp. 1966, v. 155-ss.
86 Notons cependant que dans l'Erec en prose (éd. à la suite de la version en vers par W. Foerster, dans Erec et
Enide von Christian von Troyes, Halle, 1890, p. 284) Enide croit Erec mort et envisage de se laisser tomber sur son
épée comme Tisbé. D'après G. D. West (French Arthurian Prose Romances. In Index of Proper Names, Toronto,
1978, p. 253) il n'existe pas d'autres allusions explicites à Piramus et Tisbé dans des romans en prose.
87 Jean Bodel, Les Saisnes, v. 9-10.
88 Voir K. Heinrichs, The Myths of Love. Classical Lovers in Medieval Literature, University Park and London,
1990, chap. 2 "Classical Lovers and Christian Morality", p. 53-ss. Sur le suicide et l'Eglise, voir M. N. Lefay, op. cit.,
p. 2.
89 Jean Malkaraume a intégré dans sa Bible une traduction de la Métamorphose d'Ovide (éd. cit. supra, v. 7725-
7941). Voir J.R.S. Smeets, "la Bible de Jehan et Ovide le Grant", dans Neophilologus, t. 58, 1974, p. 22-33.
L'histoire de Piramus et Tisbé est introduite après celle de Suzanne, qui se situe elle aussi à Babylone. Jean
condamne les vieillards concupiscents, comparés à des bûches qui s'enflamment. Le récit des amours de Piramus et
Tisbé est introduit pour montrer qu'il n'est pas bon de mettre le bois sec près du feu (v. 7722-4). La conclusion insiste
sur la folie des deux jeunes gens qui sont comparés aux prêtres qui sont plus occupés du saumon que du sautier
(psautier) (v. 7942-ss). La traduction de Jean suit d'assez près Ovide, si ce n'est que l'opposition maternelle est
33
ajoutée, ainsi que le fait que les amants ont eu à agrandir la fente dans le mur.Velamen est traduit par couvrechié (v.
7816), guimple (v.7864), paletel (v. 7833).
90 C'est certainement par l'intermédiaire de l'Ovide moralisé que Guillaume de Machaut fait référence à Piramus et
Tisbé. Voir C. de Boer, "Guillaume de Machaut et l'Ovide moralisé", dans Romania, t. 43, 1914, p. 335-52.
91 Ed. Vladimir Chichmaref, Guillaume de Machaut, poésies lyriques, Paris, Champion, 1909, t. II, p. 638, v. 1-8.
Cette ballade est constituée de trois huitains, tous terminés par: pour ce n'ameray je plus.
92 Ed. A. Fourrier, Dits et Débats, Genève, Droz, 1979, v. 242-ss.
93 Voir F. Guichard-Tesson, "Evrard de Conty, auteur de la glose des Echecs Amoureux" dans Le Moyen Français,
t. 8-9 (1981), p. 111-148.
94 Voir K. Heinrichs, op. cit., p. 86 et 202. L. Galpin, "Les Eschez Amoureux: a Complete Synopsis, with
Unblished Extracts", Romanic Review, 11, 1920, p. 203-307.
95 Ed. A. Piaget et E. Picot, Oeuvres Poétiques de Guillaume Alexis, 3 vol. Paris, S.A.T.F., 1896, vol. 1, t. I, p.
213, v. 673-676: Voyez la fable / Fort lamentable / De Pyramus.
96 Voir Birch- Hirschfeld, Uber die den provenzialischen Troubadours bekannten epischen Stoffe, A. Graf Roma
nelle memoria del medio evo, t.II, p. 303-ss. Il en va ainsi d'Arnaut de Mareuil et de Rambaut de Vaqueiras (voir E.
Faral, Recherches..., op. cit., p. 11-12).
97 Ed. C. Marchello-Nizia, Paris, S.A.T.F., 1984. Malgré ce "titre" de roman, il s'agit d'une oeuvre lyrique, sur le
modèle du salut d'amour. Voir S. Huot, "From Roman de la Rose to Roman de la Poire: The Ovidian Tradition and
the Poetics of Courtly Literature", dans Medievalia et Humanistica, t. 13, 1985, p. 95-111.
Dans la première partie constituée par des monologues d'Amour, de Fortune et de grandes figures amoureuses, se
trouve un discours de Piramus séparé de Tisbé. Le jeune homme résume leur histoire et dit avoir percé le mur de la
tour avec un cisel et fait un petit trou au travers duquel ils ne peuvent passer qu'un tuyau d'avoine et échanger leurs
haleines. Ainsi ils s'embrassent sans se toucher (v. 161-80). Plus loin, une deuxième référence est faite à Piramus et
Tisbé (v. 683-740). L'histoire est brièvement rapportée. Des enfances n'est retenue que la localisation à Babylone (v.
718) et dès le vers 721, c'est de la mort des amants qu'il est question. Huit vers mentionnent les deux suicides, puis
treize vers la métamorphose. Il est difficile de juger si le détail du tuyau est une innovation de Thibaut. Il pourrait
s'agir d'une extrapolation à partir du texte d'Ovide (v. 72 inde invices fuerat captatus anhelitus oris). Dans la Bible
de Jean Malkaraume, les deux amants élargissent aussi la fente (v. 7769-70) et utilisent pour communiquer un duis
qui pourrait être une sorte de cornet acoustique comparable au "tuyau d'avoine" (éd. cit., v.7793, voir J.R. Smeets,
"Le duis de Pyramus et Thisbé dans la Bible de Malkaraume", dans Langue et littérature du Moyen Age, éd. J.R.
Stuip, Van Gorcum, Assen, 1978, p. 74-83). Il serait possible que Thibaut ait emprunté ces deux détails à Jean.
Notons cependant que la rime partuis (fente dans le mur) / duis (cornet?) (v. 7792-3) est reprise à la fin du récit (v.
7878-9), pour traduire la comparaison ovidienne avec le tuyau percé: pourquoi duis dans la première occurence
n'aurait-il pas le sens de fente comme dans la seconde ?
98 Il a rencontré celle qu'il aime dans un verger: elle a mordu dans une poire et lui a tendu le fruit dans lequel il a
mordu à son tour. Depuis Adam, il n'y eut jamais de si bon fruit (v. 398-481). C'est bien ici une allusion au mors de
la pomme d'Adam et Eve. Dans l'Escoufle, un demi-siècle plus tôt, la naissance du sentiment amoureux était aussi lié
34
au fruit que l'on croque (dans la scène du verger, éd. cit., v. 2094-ss). La réflexion sur la douceur et l'amertume de la
poire est sous-tendue par l'annominatio traditionnelle: amer (aimer) et amer (adjectif qualificatif).
99 Ed. C. De Boer, Amsterdam, 5 vol., 1915-38, l. 4. Voir P. Demats, op. cit. et R. Levine, art. cit., p. 197-213.
100 Plusieurs ajouts de l'Ovide moralisé témoignent de ce goût pour le tragique: ainsi dans le livre IV l'histoire des
amours d'Héro et Leandre (v. 3156-ss).
101 Dans le texte roman, la métamorphose est avant tout le signe de la souffrance (v. 792).
102 Dans Amadas et Ydoine (v. 2579-ss), Piramus et Tisbé, Héro et Leandre... se retrouveront après leur mort à la
cour du Dieu Amour.
103 Il faut peut-être relativiser ces remarques par le fait que les commentaires de l'Ovide moralisé présentent bien
des "étrangetés" (voir P. Demats, op. cit. p. 110-ss). Ainsi Myrrha l'incestueuse est assimilée à la Vierge, non que son
crime soit valorisé, mais la comparaison repose sur des détails secondaires.
104 Au contraire, Héro et Léandre sont condamnés. Leur amour est peint comme une folie. L'auteur reprend le jeu
de mots tristanien sur l'amer (aimer), l'amer (l'amertume) et la mer que traversent les amants pour se rejoindre.
Pourquoi cette différence de traitement ? Pour varier ? A cause de la jeunesse et de la pureté de Piramus et Tisbé? A
cause du jardin, édenique, par opposition à la mer diabolique? On peut aussi supposer que l'amour physique entre
Héro et Léandre (explicitement mentionné dans le texte) participe à leur condamnation tandis que Piramus et Tisbé
semblent rester purs (d'où la puissance de leurs noces mortelles). Dans l'Ovide moralisé en prose, le récit se termine
par l'évocation de la virginité des deux jeunes Babyloniens: Et en ce point finerent piteusement leurs jours et leurs
amours ensemble sans en joïr (éd. C. De Boer, Verhandelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie van
Wetenschappen, Amsterdam, 1954, p. 137). Notons que lorsque la glose des Eschez amoureux condamne Piramus et
Tisbé, elle les rapproche d'Héro et Léandre (comme Froissart dans le "Dit du bleu chevalier") et introduit le motif
original de l'amertume de la mûre (contre toute logique d'ailleurs, puisque lorsque le fruit rougit, il devient plus
sucré). Guillaume de Machaut dans le Voir Dit (v. 6045-6100), et l'auteur d'Amadas et Ydoine (v. 2576-ss)
rapprochent aussi les deux couples tragiques. Une édition d'une version de l'Ovide moralisé en prose illustre la fuite
de Piramus et Tisbé par une scène de naufrage (W. G. Emden, "L'histoire...", art. cit., p. 36), détail peut-être suggéré
par la parenté entre l'histoire de Piramus et Tisbé, et celle des deux amants qui se rejoignaient par la mer, Héro et
Leandre.
105 Déjà la version romane, quoiqu'insistant sur la gémellité des héros, donnait un rôle particulièrement actif à la
jeune fille.
106 Ed. E. Höppfner, Paris, Firmin-Didot, 1908, t. I, v. 380: Certes, ce fu parfaite amours.
107 L'association des deux figures peut être suggérée par Ovide.
108 Ibid., t. I, p. 292, v. 292.
109 Le livre du Voir-Dit, éd. P. Paris, Paris, 1875.
110 Nous n'avons pu consulter: L'epistre d'Othea, éd. H. D. Loukopoulos, Classical Mythology in the Works of
Christine de Pisan, with an edition of l'Epistre Othea, thèse Wayne State University, 1977. Voir P.G.C. Campbell,
L'Epître d'Othea. Etude sur les sources de Christine de Pisan, Paris, Champion, 1924, p. 117-119 et 138.
35
111 Voir la trad. en français moderne de E. Hicks et T. Moreau, Paris, Stock Moyen Age, 1986, LVII. Quelques
éléments indiquent que Christine suit la version du XIIème siècle: mention explicite de Babylone, sans recours à la
périphrase d'Ovide, naissance progressive de l'amour à la suite d'une longue fréquentation depuis l'enfance (avec les
mêmes repères chronologiques), rôle de la mère de Tisbé (le serf dénonciateur disparaît, peut-être parce que
Christine, plaidant la cause des femmes ne voulait pas montrer la mère s'avilissant à écouter un être si bas),
découverte de la fente dans le mur par Tisbé, qui fait passer sa ceinture, intervention d'un lion (et non d'une lionne).
C'est certainement dans l'Ovide moralisé que Christine a lu cette version: l'exemple qu'elle donne ensuite est celui
d'Héro et Léandre. Cependant, notons que dans l'Ovide moralisé, Tisbé n'a pas besoin d'élargir la fente (voir W. G.
Van Emden, "L'histoire de Piramus et Tisbé...", art. cit., n. 2 p. 31). Dans le Roman de la Poire nous avons vu
qu'elle creusait, mais avec un cisel. Autre différence: chez Christine, Tisbé se cache dans un buisson en voyant le
lion, dans le texte en vers, c'est sous un amandier qu'elle cherche refuge. Dans l'Epître d'Othea, le récit est intégré à
un cadre narratif: la narratrice, dans une vision, voit apparaître trois dames, qui lui demandent de bâtir la cité des
dames et qui proposent de réfuter tout le mal dit traditionnellement des femmes en opposant de vertueux exemples.
Trois parties organisent l'ensemble: dans la première, Raison prouve les aptitudes intellectuelles des femmes; dans la
seconde, Droiture démontre leurs qualités morales; dans la troisième, Justice évoque les Saintes. Dans cette
hiérarchie qui s'élève vers le ciel, Tisbé intervient à la fin de la deuxième partie, la plus noble place à laquelle puisse
prétendre une païenne.
112 Pourquoi cette innovation ? Peut-être pour expliquer la haine entre les deux familles: c'est lors de banquets que
sont lancées les pommes de Discorde.
113 Les oeuvres de Guillaume Alexis, op. cit., t. I, p. 310.
114 Ed. E. Picot, "Moralité Nouvelle de Pyramus et Tisbé", Bulletin du Bibliophile, 1901, p. 1-35, v. 29-34, 37-41,
64-66, 81-83, 196-197, 202-203. Voir F. Schmitt-von Mühlenfels, op. cit., p. 63.
115 Ce souci est inverse de l'amplificatio que l'on trouvait à la base de la mise en roman.
116 1) Ed. cit note 100. 2) Voir E. Langlois, "une rédaction en prose de l'Ovide moralisé", Bibliothèque de l'Ecole
des Chartes, t. 62, 1901, p. 251-5.
117 Prologue, p. 43. Si souvent le texte suit de près la version en vers, on note que, comme chez Ovide c'est une
lionne qui apparaît, et que, comme dans le texte en vers, c'est sous un amandier et non dans une grotte que Tisbé
court se réfugier. L'auteur aurait-il eu à l'esprit à la fois le texte antique et l'Ovide moralisé en vers ?
118 Voir W. G. Van Emden, "l'histoire...", art. cit., voir aussi du même auteur "La légende de Pyrame et Thisbé:
textes français des XVème, XVIème et XVII siècles", Mélanges F. Lecoy, Paris, Champion, 1973, p. 569-83. Cette
mise en prose a été écrite à une date indéterminée, mais avant 1480.
119 Voir W.G. Van Emden, "Sources de l'histoire de Pyrame et Thisbé chez Baïf et Théophile de Viau", Mélanges
Pierre Le Gentil, Paris, 1972, p. 832-42.
120 Voir W .G. Van Emden, "L'histoire de Pyrame...", art. cit., p. 30.
121 Ed. A. Fourrier, Paris, Klincksieck, 1974.
36
122 A la fin du récit, le narrateur mentionne à nouveau Ovide (v. 1991) en expliquant son choix: il a trouvé
l'histoire de tres grant mystere (...), tres amoureuse (...) (v. 1997-8: "c'est la plus nouvelle matere que j'aie trouvé
entre les anchiennes hystores"). Il s'est simplement chargé dou dittier et del ordonner (v. 2002).
123 Chez Ovide l'histoire de Pyramus et Thisbé est déjà distinguée pour son originalité. Prenant la parole, la fille de
Minyas précise: vulgaris fabula non est (v. 53). Dans la mise en prose de l'Ovide moralisé, de même, la narratrice
annonce une "fable plus belle et plus nouvelle" (p. 134).
124 Tous ces personnages figurent dans les Métamorphoses, (l. X, l. I, v. 747-ss, l.II, v. 1-ss). De même qu'Ovide
intègre à l'histoire d'Orphée les chants que celui-ci compose, parmi lesquels les aventures de Pygmalion, Froissart fait
raconter à son héros Pynoteüs l'histoire de Phaeton. Lorsque dans sa prière à Apollon, Pynoteüs-Piramus rappelle les
pouvoirs du dieu solaire, il mentionne la mort de Piramus à travers la métamorphose du mûrier. Cette construction
est donc caractérisée par un emboîtement des références et par une circularité qui rappellent celle de Floris et
Lyriopé (le héros, en partie créé sur le modèle de Pyrame, mentionne le jeune babylonien). La parenté entre Orphée
et Pyrame a été sentie très tôt: tous deux ont perdu la femme aimée. Dans Floire et Blancheflor, (version 2) le jeune
héros exerce sur les lions le même pouvoir qu'Orphée sur les animaux, et les lions le saluent.
125 Tisbé a perdu sa prédominance. Remarquons que dans Floire et Blancheflor, le héros était aussi un clerc fort
savant.
126 Chez Gace Brulé, Piramus est l'une des rares références à l'Antiquité: dans une chanson où sont associés
l'amour et la mort, Gace invoque Piramus, frère de souffrance et amant parfait: Ha! fins Pyramus que feron ? (v. 37).
Double du poète, Piramus meurt de l'excellence de son amour: fins dans l'avant-dernier vers fait écho à finer (Car en
amant vueil bien finer v. 14) et à definer (Gasçoz define sa chançon v. 36), reprise qui souligne l'équivalence entre
aimer et créer (Ed. G. Huet, Paris, S.A.T.F., 1902). Cette chanson serait antérieure à 1201.
Dans la lecture narrative du mythe des deux amants de Babylone au XIIIème siècle, Piramus était associé à
Narcisse; dans la lecture "lyrico-réflexive" du XIV et du XVème siècle, c'est de Pygmalion qu'il est rapproché. Dans
le Martyrologe des fausses langues , les deux jeunes babyloniens sont enterrés dans une tombe de cristal faite par
Pygmalion. Cette évolution confirme la remarque de J. Cerquiglini, dans le Précis de littérature française du Moyen
Age, Paris, P.U.F., 1983, "Le nouveau lyrisme (XIVème-XVème siècles)", p. 289: "Le lyrisme de la fin du Moyen
Age a changé ses modèles. Son héros n'est plus Narcisse, figure de la parole intransitive, il n'est plus Orphée,
incarnation du chant, mais il est celui qui crée de ses mains et qui crée l'autre, le "facteur": Pygmalion". L'histoire de
Pynoteüs illustre singulièrement cette évolution: il est d'abord Piramus-Narcisse amoureux de son double, puis
Orphée, et il s'accomplit en devenant Pygmalion.
127 Dans le Marchand de Venise (V, 1), dans le Songe d'une nuit d'été, voire dans "Les filles de Minée" de La
Fontaine. La même tendance à la démythification se retrouve en Espagne chez Gongora. Sur les parodies de ce
mythe, voir B. Murdoch, "Pyramus und Thisbé: Spätmittelalterliche Metamorphosen einer antiken Fabel", dans Zur
deutschen Literatur und Sprache des 14. Jahrhunderts, Heidelberg, 1983, p. 221-ss.
128 Voir Maupassant, Une vie, Paris, Gallimard, 1974, p. 36. Piramus et Tisbé sont désormais des héros d'image
d'Epinal (voir le Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine, Paris, Nathan, 1992, p. 215).

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