Romantisme

Anne-Emmanuelle Berger, Le Banquet de Rimbaud. Recherches

sur l'oralité
Yves Reboul

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Reboul Yves. Anne-Emmanuelle Berger, Le Banquet de Rimbaud. Recherches sur l'oralité. In: Romantisme, 1993, n°80.
L'édition populaire. pp. 120-121;

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chez Verlaine la même intelligence et la
même exigence de plénitude sémantique et
de fini poétique que révèle une métrique
permettant d'articuler en simultané deux
modes culturels et deux niveaux de
structures. Revenant lui aussi sur l'inesquivable
question des "trimètres" verlainiens, Jean-
Pierre Bobillot étudie avec une grande
précision les effets d'articulation métrico-
quasi-métrique du décasyllabe employé par
Verlaine, qui, derrière le passage au
système 4 [+2//4], suggèrent que la
métricité de ce type de vers est fortement
empreinte de non-mètre, et que la
dissonance — reconnue avec trop d'éclat peut-
être dans Y Art poétique — s'infuse jusqu'en
des lieux où l'on ne s'attendrait pas à la
trouver. Enfin, dans "il pleleure dedans
memon quecœur / Quecomme il pleleut
sesur lela veville? Un cas remarquable
d'affixation géminative parasitaire dans le
jargon épistolaire verlainien", Jean-Pierre
Chambon propose avec humour l'éluci-
dation linguistique d'une procédure
cryptographique et ludique propre à l'écriture de
Verlaine épistolier, aux confins du javanais
et de la langue populaire.
Une série de recensions achève de
donner de l'intérêt à ce volume, tandis que
dans les annonces diverses le Centre
d'Études Métriques de l'Université de
Nantes, à l'initiative de J.-M. Gouvard,
marque son intention de réaliser
prochainement une bibliographie des études
critiques sur Verlaine [contacts et
renseignements : Université de Nantes, C.E.M.
(Bibliographie Verlaine) B.P. 1025, 44036
Nantes Cedex 01]. Le second numéro de la
Revue Verlaine, à paraître en janvier 1994,
promet des lettres inédites, des études de
manuscrits également inédits, et un
ensemble consacré à l'alexandrin verlainien. П
est attendu avec le plus grand intérêt.
Jacques-Philippe Saint-Gérand
— Anne-Emmanuelle Berger, Le Banquet
de Rimbaud. Recherches sur l'oralité,
Champ Vallon, collection "L'Or
d'Atalante", 1992, 286 p.
Né d'une thèse, mais la reprenant dans
une perspective beaucoup plus ample, ce
livre est à coup sûr une entreprise
ambitieuse : ni tentative d'exégèse, ni véritable
psychanalyse littéraire, il n'en est pas moins
l'une et l'autre à la fois, tout en apportant
Commentaires et notes critiques
une contribution non négligeable à une
histoire littéraire renouvelée.
A la lecture des premières pages, le
lecteur peut croire en effet à une mise en
place historique et il n'aurait d'ailleurs pas
réellement tort. Partant des deux poèmes
envoyés par Rimbaud, à un an d'intervalle,
à Théodore de Banville {Credo in unam et
Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs),
Anne Berger note en effet qu'ils instituent
une problématique qui, malgré certaines
apparences contraires, situe leur auteur aux
antipodes du Pâmasse. Là où celui-ci vouait
un culte à une Vénus de marbre totalement
fétichisée, Rimbaud évolue en effet du
soulèvement érotisé de tout l'être dont
témoigne le premier de ces poèmes à une
sorte de poétique du dégoût, dont son
propre corps est le lieu et le rejet de toute
idéalité esthétique le signe. Evolution dont
l'auteur repère ensuite les traces dans la
production rimbaldienne : dans Vénus
anadyomène, par exemple, où tout en
acceptant l'idée que la violence subversive
marque ce poème elle relève la primauté
d'une sensation olfactive-gustative (le "goût
horrible étrangement" de cette Vénus de
carrefour), révélatrice à ses yeux d'un
courant libidinal précis. Ou dans Mes
petites amoureuses, texte dans lequel, selon
ses propres mots, "il y en a pour tous les
dégoûts" ; ou encore à travers l'obsession
scatologique bien connue qui informe tant
de textes rimbaldiens de l'année 1871.
Mais l'essentiel n'est pas dans le détail
des analyses, quel qu'en soit l'intérêt, mais
dans l'hypothèse explicative que présente
Anne Berger. Notant l'opposition chez
Rimbaud entre une parole festive (le plus
souvent donnée comme la marque d'un
festin originel à jamais perdu) et ce beau
dégoût qu'on retrouve, sous diverses
formes, dans d'innombrables textes de lui,
elle formule en effet l'hypothèse que ce
dégoût n'est autre chose que l'expression
d'une résistance à un travail de deuil dont
l'accomplissement aurait seul permis
l'adhésion à un langage idéalisant. D'où la
scission dès l'origine avec le Parnasse ;
d'où aussi ce goût pour les nourritures
impossibles qui n'est qu'une autre face du
même phénomène (chez Rimbaud, on le
sait bien, la soif et la faim sont aussi
impossibles à esquiver qu'à satisfaire). Et
cette oralité bloquée n'est nullement
exclusive d'autres phénomènes : dans de
nombreux textes rimbaldiens (par exemple dans
Larme) affleure une obsession de l'or qui
Poètes et poésie
vient faire obstacle à toute possibilité de
boire et renverrait, quant à elle, à une
pulsion typiquement anale. Ces phénomènes
régressifs, Anne Berger les rapporte
évidemment à la relation traumatisante avec
la Mère ; et elle note que ce ne peut être un
hasard si, partout où le rêve de liberté
semble chez Rimbaud susceptible de
prendre corps, c'est sous la forme d'une
oralité libérée, grâce à quoi faim et soif
pourraient enfin s'assouvir. Et de citer avec
raison Génie ("Lui qui a purifié les boissons
et les aliments"), avant d'ajouter aussitôt
deux précisions d'importance : d'abord
qu'elle trouve chez le Rimbaud du Harar la
confirmation de ses analyses, dans la
mesure où il réalise le type parfait de ce que
Freud nomme le caractère anal ("ordre,
volontarisme, intérêt pour l'or ou l'argent,
tendance à l'économie") ; ensuite que ce
rapport à la Mère, aussi bien que les
conséquences qu'il a entraînées, ne s'explique
pas par la seule biographie d'Arthur
Rimbaud. Car le rêve maternel est un trait
commun à presque toute la poésie
postromantique ou parnassienne (Anne Berger
cite en particulier des textes tout à fait
éclairants de Marceline Desbordes -
Valmore). Et le sens de ce phénomène, pour
elle, est clair : en face de la prose
triomphante du roman de l'âge bourgeois, il
matérialise un repli de la poésie de l'époque
sur ce qu'elle croit être ses valeurs propres,
repli dans lequel les aspects régressifs ne
peuvent être entièrement esquivés.
On voit la richesse de cet ouvrage.
Certes, tout n'y emportera peut-être pas la
conviction, mais n'est-ce pas là,
aujourd'hui encore, le destin de tout travail
s 'efforçant d'articuler le champ du littéraire
avec celui de la psychanalyse ? Il est vrai
aussi que, sur le plan purement critique,
l'auteur ne sait visiblement trop quoi faire
des encombrantes Illuminations : sans le
dire clairement et en masquant souvent la
chose grâce à une rhétorique freudienne
superbement maîtrisée, elle renvoie
visiblement les proses rimbaldiennes à la
catégorie de la magie, mettant ainsi du
vieux vin dans de nouvelles outres. Mais ce
ne sont là que critiques de détail. Reste un
travail de tout premier plan, dont il faut dire
qu'il n'est pas inégal à une ambition qui
aurait pourtant pu l'écraser. Ce livre, à n'en
pas douter, marquera dans le
renouvellement récent de l'exégèse rimbaldienne.
Yves Reboul
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— Relire Lamartine aujourd'hui, Actes du
Colloque International, Mâcon, juin
1990, recueillis et présentés par Simone
Bernard-Griffiths et Christian Croisille,
avec la collaboration ď Antoine Court et
Marie-Renée Morin, Librairie Nizet,
1993,350 p.
La commémoration nationale du
bicentenaire de la naissance de Lamartine, en
1990, a suscité une éclosion de mani-
v festations dont certaines offrent maintenant
au public les fruits d'une recherche de
qualité, souvent passionnée par les aspects
divers du poète, du voyageur, du vigneron,
de l'Académicien et du politique. C'est le
cas exact du très bel objet bibliophilique et
scientifique que présente aujourd'hui, sous
la férule attentive de S. Bernard-Griffiths et
de Chr. Croisille, le Centre de Recherches
Révolutionnaires et Romantiques de
l'Université Biaise-Pascal. Sous le camaïeu
délicat d'une couverture aux teintes douces
de bleu grisé les éditeurs ont rassemblé en
un volume les vingt-huit communications
prononcées à l'Hôtel de Sénecé de la ville
de Mâcon par l'élite internationale des
chercheurs lamartiniens, incluant même
parmi ces textes, à titre posthume et en gage
de reconnaissance fidèle à ses recherches et
à sa mémoire, le dernier travail consacré par
Fernand Letessier — décédé en novembre
1987 - à son poète de prédilection.
L'ensemble est articulé en cinq sections,
selon les grandes lignes directrices de la
thématique du colloque et selon son
organisation pratique. Les pages de
présentation, signées de Croisille relatent avec
pertinence les circonstances de la
manifestation, exposent son insertion dans
l'ensemble du dispositif commémoratif, et
marquent l'originalité de l'entreprise en
dégageant l'unité profonde d'une approche
de l'homme et de son œuvre, derrière la
diversité des angles d'observation et la
multiplicité des objets littéraires abordés.
Sont alors successivement envisagés : les
rapports de la personne au personnage ;
Lamartine député et homme d'état; puis la
complexité de la pensée politique et du
sentiment religieux de Lamartine ; quelques
figures caractéristiques et quelques
représentations typiques de l'univers d'écriture
du poète et de l'historiographe; et, enfin,
l'expérience spirituelle et l'imaginaire
lamartinien. L'ensemble décrit ainsi une
courbe qui, prenant le contrepied du
stéréotype romantique qu'est la chute d'un ange,