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Le conte
populaire
MICHÈLE SIMONSEN
INTRODUCTION .......................................... 9
2. Les conteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
3. L'art de conter .... .... .... .... .... .... .... .... .... . 40
CHAPITRE V. — La diffusion des contes populaires.. . . . . . . . . . . . . 41
1. Conte type, archétype et variantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
2. Diffusion et transmission des contes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
CHAPITRE VI. — L'origine des contes populaires. . . . . . . . . . . . . . . . 44
1. La théorie indo-européenne ou mythique . . . . . . . . . . . . . . . 44
2. La théorie indianiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
3. La théorie ethnographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
4. La théorie ritualiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
5. La théorie marxiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
CHAPITRE VII. — L'analyse morphologique du conte populaire .... 51
1. Le modèle de Propp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
2. Le modèle d'Alan Dundes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
3. Le modèle de Bremond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
4. Le modèle actantiel de Greimas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
CHAPITRE VIII. — Conte populaire et psychanalyse . . . . . . . . . . . . . 59
1. Freud et les freudiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
2. Jung et les jungiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
CHAPITRE IX. — L'étude sémantique du conte populaire ......... 72
1. L'organisation sémantique des contes populaires . . . . . . . . . 72
2. Le héros et le contrat social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
3. L'axiologie et la genèse du conte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
DEUXIÈME PARTIE
ANTHOLOGIE
CHAPITRE PREMIER. — Contes merveilleux .. . . .. . . . . . . .. . . .. . . . 85
T. 303 Le roi des poissons ou La Bête à sept têtes. . . . . . . . . 85
1. La Bête à sept têtes (Brière) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
T. 312 Barbe-Bleue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
1. Barbe-Bleue (Haute-Bretagne) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
T. 313 La fille du Diable . . .. . . .. . . .. . . .. . . .. . . .. . . .. . . 98
1. La belle Eulalie (Nivernais). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
2. La Montagne Verte (Brière). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
102
T. 314 Jean le Teigneux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
1. Le Prince et son cheval (Lorraine) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
SOMMAIRE 7
1581
1. La Cendreuse (Poitou) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
T. 510 B Peau-d'Ane . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
1. Cughjulina (Corse) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
T.511 Un-Œil, Double-Œil, Triple-Œil . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
1. La chèvre (Pyrénées) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
T. 533 Le bateau qui va sur terre comme sur mer ou Les doués 170
1. La voiture qui marche toute seule (Creuse). . . . . . . . . . . 170
T. 531 La Belle aux cheveux d'or . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
1. La princesse de Tronkolaine (Basse-Bretagne). . . . . . . . . 175
2. La Belle aux cheveux d'or (Lorraine). . . . . . . . . . . . . . . . 181
T. 720 Ma mère m'a tué, mon père m'a mangé . . . . . . . . . . . 186
1. Le petit geault (Berry) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Introduction
15
B / Contes d'animaux
17
formes, les uns avec des humains, les autres avec des ogres ou des
animaux pour protagonistes. Mais il est d'usage de réserver ce
terme aux récits dans lesquels les rôles principaux, héros et oppo-
sant, sont joués par des bêtes en tant que telles. La structure très
simple du conte d'animaux fait de celui-ci l'affaire de tout un chacun.
Chaque membre de la communauté peut relayer les autres pour
ajouter un récit à celui qui vient d'être fait. La scission entre
émetteur — le conteur — et récepteur — l'auditoire —, qui carac-
térise le contage du conte merveilleux, disparaît en partie avec le
conte d'animaux.
C / Contes facétieux
1. DANS L'ANTIQUITÉ
C'est que les contes populaires sont souvent très anciens, et, dès
l'Antiquité, la littérature en a conservé des traces.
Le conte égyptien des Deux frères (xin- siècle av. J.-C.) semble
bien apparenté au conte si répandu en France Le Roi des poissons, T.
303. Il contient déjà le motif du « signe de vie », objet magique
par lequel le frère resté à la maison est averti du danger que court
son frère, et peut ainsi partir à sa recherche et le sauver.
Le roman d'Apulée, L'Ane d'or, (n« siècle de notre ère), con-
tient le récit d'Amour et Psyché, dans lequel on reconnaît un des
contes les plus répandus en Europe, La recherche de l'époux disparu, T.
425, dont La Belle et la Bête est une forme littéraire abrégée, due
à Mme Leprince de Beaumont au XVIH- siècle.
2. AU MOYEN AGE
cette vue doit être nuancée. Certes, les Fabliaux, genre qui connut
son apogée entre 1175 et 1400, sont bien de véritables contes à rire
: ce sont de purs récits, à structure actantielle et fonctionnelle assez
rigide. Un petit nombre d'entre eux correspondent au scénario
complet de contes populaires, et certains contiennent des motifs de
contes merveilleux oraux. Toutefois, ils diffèrent sensiblement des
contes facétieux de la tradition orale, par le choix des sujets et les
attributs des acteurs, comme par le public auquel ils s'adressent et,
partant, par l'idéologie qui s'en dégage. Contrairement à Bédier,
pour qui les fabliaux étaient un genre bourgeois, Per Nykrog9 voit
dans ceux-ci un genre aristocratique, goûté surtout par la noblesse et
la haute bourgeoisie, qui reprend sur le mode burlesque, parodique,
les techniques de la courtoisie : les vilains y sont ridiculisés,
surtout lorsqu'ils se piquent de courtoisie, les clercs et les
chevaliers valorisés, les prêtres et les moines honnis. Qui plus est, le
mariage y est entièrement dévalorisé. La très grande majorité des
sujets est à contenu érotique et parmi ceux-ci les histoires d'adultère
se taillent la part du lion. Il en va tout autrement pour les contes
facétieux populaires. Certes, il est difficile de se faire une idée
exacte de la place que jouent les histoires grasses dans la tradition
orale : à la pudeur des conteurs s'est ajoutée celle des collecteurs,
qui les ont reléguées dans la revue confidentielle Kryptadia10.
Cependant, la tradition orale semble préférer les histoires de
séduction de jeunes filles niaises aux histoires d'adultère. Les contes
facétieux populaires sont surtout centrés autour de deux grands
réseaux de thèmes : stigmatisation de la sottise, et mouvait tours, que
ceux-ci soient dus à l'esprit de facétie ou au désir de vengeance, avec
un élément carnavalesque certain, au sens que Bakhtine11 donne à
ce mot ; ainsi les contes si répandus du l-'m voleur T. 1525 et du
Riche et paume paysan (Unibos) T. 15ÎS, dani lesquels un actant
socialement inférieur joue des mauvai» tour» I un autre
socialement supérieur.
3. A LA RENAISSANCE
Les contes de fées, qui deviennent tant à la mode dans les salons
mondains à la fin du xvii« siècle, sont surtout des histoires galantes
entièrement coupées de la tradition populaire. Aussi les Histoires
ou Contes du temps passé (1697), qui deviendront les célèbres
TRADITION ORALE ET LITTÉRATURE ÉCRITE 25
13. Voir Marc Soriano, Les contes de Perrault. Culture savante et culture popu-
laire, Paris, Gallimard (1968), 1977.
26 L'ÉTUDE DU CONTE POPULAIRE
5. AU xix- SIÈCLE
B / Le conte fantastique
14. Voir Jacques Barchilon, Le conte merveilleux français de 1690 à 1790, Paris,
Champion, 1975.
TRADITION ORALE ET LITTÉRATURE ÉCRITE 27
6. AU XX' SIÈCLE
La pratique du contage
9. ibid.
10. Ariane de Fêlice, Enquête..., op. cit.
11. Louis Marin, Les contes traditionnels en Lorraine, Paris, Jouve, 1964.
12. A. de Fêlice, Contes de Haute-Bretagne, op. cit.
13. Louis Marin, op. cit.
38 L'ÉTUDE DU CONTE POPULAIRE
2. LES CONTEURS
3. L'ART DE CONTER
20. Voir Ariane de Félice, Essai sur quelques techniques de l'art verbal traditionnel,
thèse de doctorat, Paris, Sorbonne, 1957.
CHAPITRE V
Cette théorie, qui était déjà celle des frères Grimm, a été déve-
loppée par Max Mûller1, spécialiste de sanscrit, et représentée en
1. Voir R. Dorson, The éclipse ofSolar Mythology ; A. Dundes, The study of folklore,
NJ, 1965.
L'ORIGINE DES CONTES POPULAIRES 45
2. LA THÉORIE INDIANISTE
3. LA THÉORIE ETHNOGRAPHIQUE
4. LA THÉORIE RITUALISTE
Paul Saintyves, dont les théories ont longtemps joui d'un grand
prestige en France, reprend et systématise le point de vue des
ethnographes6. Il interprète les personnages des contes littérale-
ment, comme le souvenir de personnages cérémoniels dans divers rites
populaires plus ou moins effacés. Ainsi, le conte des « Fées » illus-
trerait les traitements que s'attirent les mortels selon le comporte-
ment, bon ou mauvais, qu'ils adoptent envers les fées, protectrices
du foyer, lors des rites du premier janvier. La « Belle au bois
dormant » représenterait la nouvelle année, et la vieille au rouet,
doublée de la fée Carabosse, rappellerait le personnage de vieille
décrépite et sorcière qui représentait l'année écoulée dans les drames
liturgiques de la fin décembre : ceux-ci mettaient en scène la lutte
nécessaire entre une vieille et une jeune femme, qui doit
reprendre le fuseau des mains de la vieille. Le « Petit Chaperon
rouge » rappellerait la coutume de l'élection de la reine de mai, elle-
même survivance d'un culte de printemps apparenté à celui de
Maia chez les Romains. « Cendrillon » et « Peau d'Ane » seraient
5. LA THÉORIE MARXISTE
7. Une traduction en italien a paru sous le titre Le radia storiche dei racconti di
fau, Turin, Boringhieri (1972), 1976.
L'ORIGINE DES CONTES POPULAIRES 49
tituer, d'autres à des rites qui n'ont jamais existé en tant que tels,
mais qui ont été faussement imaginés ou reconstitués, donc défor-
més et rationalisés, par des cultures plus tardives. C'est ainsi que
Propp relie le motif de l'interdiction de sortir et de l'incarcération de
l'héroïne à deux anciens tabous : ceux qui concernent les rois
primitifs et leurs enfants (interdiction de sortir, d'être vu, de toucher
terre, etc.) ; ceux qui concernent les filles lors de la purification
menstruelle. Plus tard, les incarcérations ont été rationalisées en
faisant intervenir soit une faute de la part du héros ou de l'héroïne,
éventuellement de ses parents, comme dans le cas de Persi-nette T.
310, soit les dangers qui la menacent, comme dans celui de La
Belle au bois dormant T. 410. Mais la forme la plus ancienne du
conte serait celle où les interdictions ne sont pas motivées.
Propp rattache aussi de nombreux motifs de contes à l'une des
trois étapes qui constituent la structure de base des rites de pas-
sage initiatiques : 1 / arrachement brutal du novice à son environ-
nement et son transport dans un enclos sacré ; 2 / mise à mort
symbolique : enfermement dans une tombe, voyage vers l'au-delà,
lutte contre le monstre ou tortures physiques ; 3 / renaissance
symbolique, souvent brutale. A la première étape correspondraient
les motifs du rapt ou de l'abandon du héros, celui du départ du
héros pour les terres lointaines, de l'enfant promis à un être sur-
naturel, de la forêt mystérieuse et celui de la « maison dans la
forêt ». A la deuxième étape correspondraient les motifs de la lutte
contre le dragon, du dépeçage du héros ou de l'héroïne suivi de sa
résurrection, de la mort temporaire (Blanche-Neige T. 709, La Belle
au bois dormant). A la troisième étape correspondraient les motifs
du retour ici-bas du héros et de la poursuite magique, de son arrivée
incognito, de l'amnésie feinte, etc.
Dans un long développement sur le personnage de la sorcière
— apparemment très fréquent dans les contes russes — Propp met
en lumière la méconnaissance progressive des religions sylvestres
avec l'avènement du régime agricole. A l'origine, la sorcière, dont le
domaine est la forêt mystérieuse, est à la fois la maîtresse des
animaux et la gardienne du royaume des morts. C'est un person-
nage ambivalent, qui menace le héros et le met à l'épreuve, mais
lui fournit ensuite l'auxiliaire magique ou le renseignement qui
50 L'ÉTUDE DU CONTE POPULAIRE
1. LE MODÈLE DE PROPP
4. Voir Alan Dundes, The morphology of North American Indian Folk-Taies, Hel-
sinki, 1964.
56 L'ÉTUDE DU CONTE POPULAIRE
3. LE MODÈLE DE BREMOND
— à cause du Dêgradateur
déméritant B ————————————————» Châtiment du
dégradateur B
Cette matrice, hiérarchisée, n'est pas toujours réalisée intégra-
lement dans chaque conte. La séquence Dégradation-Amélioration
est nécessaire, les autres sont facultatives. Un premier classement
distingue donc quatre types de contes, le type intégral, et trois types
lacunaires.
La matrice initiale peut être liée à une autre matrice par des
5. CONCLUSION
1. Celle de Freud dans l'Homme aux loups, par exemple. Voir Cinq psychanalyses
(1918), PUF, 1970.
2. C'est le cas de l'essai de Freud, Le motif des trois coffrets, in Essais de psycha-
nalyse appliquée (1913), NRE, 1971, qui étudie le choix que fait un homme entre trois
femmes dans Le roi Lear, le jugement de Paris, dans Psyché et dans Cendril-lon.
Selon Freud, ces trois femmes représentent la Mère, la Compagne, et la Mon.
CONTE POPULAIRE ET PSYCHANALYSE 61
— Conte et mythe
En tant que processus de socialisation, le conte, fiction donnée
pour telle, fonctionne bien différemment du mythe, fantasme qui
exige d'être cru, et est donc lié à un rituel.
Le héros du conte, anonyme le plus souvent, pourrait être tout
un chacun. C'est presque toujours un être humain, bien qu'il puisse
avoir à l'occasion des pouvoirs exceptionnels. Ce sont surtout ses
auxiliaires et ses adversaires qui appartiennent au Surnaturel. C'est
un être jeune, et les épreuves qu'il subit doivent lui permettre de
devenir adulte (se marier et hériter du royaume, donc gouverner au
lieu d'être gouverné). Pour ce faire, il doit se libérer des images
parentales, sorcières, ogres, dragons, ces précurseurs du Sur-moi.
Et cette mise en scène d'un conflit avec les parents au niveau
infantile trouve un dénouement heureux. Le héros réintègre notre
monde. Le conte a une vision optimiste de l'existence, (mais n'ou-
blions pas qu'il se présente explicitement comme une fiction !), et
affirme le triomphe d'Eros, le principe de vie : une synthèse har-
monieuse entre le Ça et le Surmoi est possible ici-bas, et pour tous.
Au contraire, le héros mythique, unique, toujours nommé, et
d'essence partiellement divine, est un personnage idéal qui sert à
consolider le Surmoi de la communauté. Mais le dénouement voit
sa mort et sa transfiguration dans l'Au-delà. C'est que les exigences
des dieux (=du Surmoi), sont trop fortes pour les hommes ( = le
Moi), et que seule la mort peut mettre un terme à l'ambivalence
tragique de l'existence.
4. Voir Rôhéim (Géza), Dame Halle : rêve et conte populaire, analyse du conte
Les Fées T. 480.
5. lUd.
CONTE POPULAIRE ET PSYCHANALYSE 63
des ogres dans les contes français donne à réfléchir : c'est une figure
entièrement anthropomorphe, explicitement parentale le plus sou-
vent, dont la seule caractéristique anormale est de manger les
enfants et les jeunes gens. La menace s'étend jusqu'aux humains,
comme le montrent les motifs de la belle-mère ogresse, et de la
mère qui tue son fils pour le donner à manger au père6. La tradition
orale manifeste ainsi une obsession du manger / être mangé, sans
doute surdéterminée en partie par le spectre de la faim qui fut la
hantise des communautés rurales. Sans doute aussi la dévo-ration a-
t-elle un sens métaphorique. Mais le substrat fantasmatique de ce
thème n'en est pas moins évident.
C / Le « travail » du conte
De plus, par deux fois privée de son œil (de son sexe), par la mère,
elle se fabrique à partir de son propre corps un fuseau puis une que-
nouille en or (substituts phalliques), grâce auxquels, par deux fois,
elle récupérera son œil.
Toutes ces opérations permettent dans un premier temps la
jouissance fantasmatique d'un désir inconscient, celui de se débar-
rasser en toute innocence de sa mère et de prendre sa place auprès
du père.
20. Voir L'interprétation des contes de fées, La femme dam les contes de fées, L'ombre et
le mal dans les contes de fées, etc., Paris, La Fontaine de Pierre.
CONTE POPULAIRE ET PSYCHANALYSE 69
L'étude sémantique
du conte populaire
A / Le héros
B / Le conflit
G / L'adversaire
L'adversaire peut être naturel (cf. précédemment à propos du
conflit) ou surnaturel, auquel cas c'est une figure tantôt anthropo-
morphe, tantôt monstrueuse.
3. Voir le conte Ma mère m'a tué, mon père m'a mangé T. 720, où l'hostilité de la
mère n'est généralement pas motivée. Dans une version, toutefois, c'est pour se
venger de son mari qui ne lui a pas fait d'enfant qu'elle lui fait manger l'enfant du
premier lit.
4. Voir le conte Le ruband qui rend fort T. 590.
L'ÉTUDE SÉMANTIQUE DU CONTE POPULAIRE 75
2 / Adversaire surnaturel.
a / Adversaire anthropomorphe. — Dans la tradition orale fran-
çaise, ils dominent absolument.
— Le Diable est très fréquent, mais seul son nom témoigne
d'une christianisation toute superficielle dans les contes merveil-
leux, où ses attributs sont identiques à ceux de l'Ogre.
— ISOgre, qui peut exceptionnellement être un géant, a pour
caractéristique principale de se nourrir de chair humaine. Souvent
marié, et même père de famille, c'est une figure paternelle.
— Les Géants peuvent avoir femme et fille, comme les ogres,
mais ils vivent souvent à trois, en célibataires.
La menace que font peser ces adversaires sur le héros est celle,
omniprésente, de la dévoration.
— L'Ogresse et la Diablesse. Quand le Diable ou l'Ogre est
marié, sa femme est le plus souvent bonne pour le héros et le pro-
tège. Dans ce cas, elle ne partage pas ses pouvoirs magiques s'il
en a. Elle peut toutefois l'emporter sur lui, par la ruse ou
l'intelligence.
Quand elle est aussi méchante que son mari, elle partage ses
goûts pour la chair humaine, ou ses pouvoirs magiques, tout en
étant souvent plus rusée que lui.
La fille de l'Ogre ou du Diable, qui partage ses pouvoirs magi-
ques, mais pas sa méchanceté, n'est pas un adversaire, mais un
auxiliaire et un partenaire sexuel.
— La Sorcière, qui ne porte pas toujours ce nom, est une figure
maternelle : c'est souvent une vieille, et elle est parfois la marâtre
de l'héroïne, parfois la fille de celle-ci qui se substitue à elle auprès
du prince ; exceptionnellement, c'est une servante rivale. La sor-
cière, toujours maléfique, a des pouvoirs magiques, avant tout de
métamorphose : elle transforme les héros en animal, éventuellement
les pétrifie ou les met en léthargie.
76 L'ÉTUDE DU CONTE POPULAIRE
D I La quête
B I La médiation du héros
Culture vs Sauvagerie
Maturité vs Enfance
Force (intégrité) physique vs Faiblesse (mutilation) physique
Ruse vs Naïveté
L'opposition Culture vs Sauvagerie, prise en charge respecti-
vement par la chèvre et par le loup, se manifeste selon de multiples
codes :
— code de l'habitat (maison vs forêt) ;
— code alimentaire (herbivore vs carnivore, cru vs cuit) ;
— code technique (ustensiles vs absence d'ustensiles) ;
— code vestimentaire (galoches vs peau naturelle) ;
— code sapientiel (pratique médicale vs absence de pratique médi-
cale : la chèvre va à Saint-Jacques se faire remettre sa patte
cassée) ;
— code religieux (dans les versions où Saint-Jacques est un lieu de
pèlerinage) ;
— code social (échanges marchands : la chèvre va à la foire) ;
— code linguistique (la chèvre et les chevreaux riment, faisant du
langage un emploi ludique, poétique ; le loup ne fait qu'imiter la
chèvre, de sa voix rauque et de sa langue empâtée).
B / Les transformations
Anthologie
CHAPITRE PREMIER
Contes merveilleux
— Non.
— Eh bien ! il dit, toi tu mangeras ma chair. Tu donneras mon
cœur à manger à ta femme, et alors, qu'il dit, tu donneras mon sang à
boire à ta jument, et tu donneras mes os à manger à ta chienne.
Bon ! Alors, qu'il dit, tu mettras mon fiel dans trois bouteilles ; et tu
mettras l'épine dorsale dans ton jardin : il poussera trois orangers,
et tu auras trois enfants, ta chienne aura trois petits, ta jument aura
trois poulains. Ils se ressembleront tous les trois. Mais, qu'il dit, tes
enfants connaîtront chacun leur oranger dans le jardin, et leur
bouteille. Quand vous verrez la bouteille qui bouillera, et
l'oranger, dans son jardin, que ses feuilles tomberont, l'un d'eux
sera en bataille : un des enfants sera en train de se battre.
Alors, un beau jour, quand ils ont été grands, y en a un qui dit à
son père :
— Moi, je vas faire mon tour de France.
Et celui-là s'appelait Va comme le Vent ; l'autre s'appelait Brise-
Barrière, et l'autre Passe-Partout.
Alors, voilà Va comme le Vent parti, il arrive à Paris, là-bas, dans la
grande ville. Qu'est-ce qu'il voit ? Il voit tout un mouvement de
cavaliers, de soldats, et le Roi en tête : sa fille devait être mangée
par la Bête à sept têtes. Il devait la conduire dans la forêt, pour la
faire manger, avec sa troupe : autrement la Bête passerait dans la
ville, et elle hachait tout.
Le voilà, lui, Va comme le Vent, qui arrive là-dedans, il arrive
dans la foule, et basculait d'un côté et basculait de l'autre ; et le
Roi dit :
— Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ? Qui êtes-vous ?
— Mais c'est plutôt vous, qu'il dit, qu'est-ce que vous faites là, à
me barrer le passage ? Je ne peux pas passer !
— Eh bien ! c'est ma fille qui doit être mangée par la Bête à
sept têtes !
— Oh ! Oh ! qu'il dit, toute une troupe comme ça pour la Bête à
sept têtes ; moi j'irai bien seul !
— Vous voulez aller seul ?
— Oui!
Va comme le Vent dit à la fille du Roi :
— Monte derrière moi.
CONTES MERVEILLEUX 87
— Voilà, c'est moi qui a sauvé votre fille, voyez, voilà les têtes !
dit le trimardeur.
— Alors, c'est très bien, c'est très bien.
La jeune fille avait promis de ne pas dire que ce n'était pas lui.
Alors le voilà à la maison, très bien, il se comportait assez bien, il
était très bien ; mais toujours il disait :
— Mais, nous allons nous marier.
— Oh ! nous avons le temps.
Elle attendait toujours un an et un jour : l'autre lui avait dit :
un an et un jour.
Alors, au bout d'un an, elle dit :
— Ben ! nous allons nous marier quand même, demain.
Le lendemain, c'était le jour ; alors, voilà tout ça prêt, le repas,
tout ça bien prêt ; rien ne manquait : les dindons et tout ce qui
s'ensuit ! Oui mais... Va comme le Vent, le voilà qui arrive : un an
et un jour. C'était le jour, il arrive le matin ! Plutôt que d'aller au
château, il voit une petite buvette à côté, un petit restaurant, il se
dit:
— Faut que je rentre là !
Alors, il dit :
— Bonjour !
— Bonjour !
Alors il dit :
— Je voudrais mettre mon cheval à l'écurie. • —
Eh ! dit la patronne, ben oui ! Elle met le cheval à
l'écurie. Il dit :
— Vous pouvez nous servir à manger ?
— Un petit peu, qu'a dit, mais pas grand-chose. Y a du beurre,
du pain, du vin blanc.
— Servez, qu'il dit.
Alors, le v'ia en train de regarder ça.
— Oh ! vous voyagez ? dit la patronne.
— Oui, qu'il dit, j'ai fait mon tour de France.
— Oh ! vous auriez encore de la chance, qu'a dit, comme y en a
un là...
— Qu'est-ce donc qu'il a fait ?
— Il a tué la Bête à sept têtes, qu'a dit, puis il va se marier
90 ANTHOLOGIE
— Malheureux, dit le Roi, voleur que vous êtes : voilà mon din-
don, voilà mon vin, voilà mon pain...
— Je ne suis pas un voleur ! dit Va comme le Vent.
— Mais votre chien est un voleur !
— Mon chien, il dit, il l'a gagné, moi aussi ! La
jeune fille le regardait : elle le reconnaissait !
— Oh ! dit le Roi, je vous emmène en prison.
La voilà qui dit :
— Non, non, papa ! Retournez-vous-en-donc. Mais je vas rester
avec ce petit gars. Va comme le Vent dit :
— Tu me reconnais ?
— Oui.
— Ben ! qu'il dit, va donc annoncer ça à ton père qui arrive,
de retour, il demande :
— Ben !• qu'est-ce que vous voulez ?
— Je veux savoir, qu'il dit, votre fille, avec qui elle se marie...
— Mais avec celui qui a tué la Bête à sept têtes...
— Celui qui a tué la Bête à sept têtes, dit Va comme le Vent,
c'est moi qui l'a tuée !
— Comment donc ? Vous ?
— Oui, qu'il dit.
— Mais nous avons les têtes chez nous, dit le Roi, les têtes qu'il
nous a apportées !...
— Allez donc voir dans les têtes : vous ne trouverez pas de lan-
gues, dit Va comme le Vent.
Le Roi va voir : par le fait, les langues étaient coupées. Il revient
et dit :
— Vous pouvez produire les langues ?
— Oui.
Et il dit à son chien :
— Va donc à l'endroit où tu les as mises, il y a un an et un jour.
Via le chien parti, il rapporte les langues.
— Oh ! dit la fille du Roi, ben ! c'est bien vous, bien sûr.
— Ben oui, qu'il dit, c'est bien moi.
Alors, il dit à la jeune fille :
— Comment ça se fait que tu voulais te marier avec l'autre ?
92 ANTHOLOGIE
1. Enmorphosés : métamorphosés.
CONTES MERVEILLEUX 95
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Mythe de Persée et Andromède.
BIBLIOGRAPHIE :
Hartland, The Legend oj Perseus, London, 1894-1896.
Ranke (Kurt), Die Zzuei Brader, Helsinki, 1934.
Rôheim (Géza), The Dragon and thé Hero, American Imago, I, 2, et
I, 3, 1940.
Rubow (Mette), Un essai d'interprétation du conte « Le Roi des poissons »,
Fabula, 1984, 1-2
T. 312 A BARBE-BLEUE
1. Barbe-Bleue (Haute-Bretagne)
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Perrault (Ch.), La Barbe bleue.
BIBLIOGRAPHIE :
Sébillot (Paul), Le folklore de France, IV, p. 354-355 (sur les légendes locales
concernant Gilles de Rais).
Le soldat accepte, et, le soir, elle n'a qu'à dire : « Par la vertu
de ma baguette, que le travail soit fait !» et la crémaillère, les che-
nets et la barre sont brillants comme argent.
Le Vieux arrive et trouve le travail fait. Mais, le lendemain
matin, il donne une nouvelle tâche au soldat.
— Il faut qu'avant ce soir tous mes harnais reluisent comme or,
ou tu sera mangé.
Cette fois encore, la fille fait le travail comme la veille par la
vertu de sa baguette. Le Vieux qui trouve ses harnais brillants
comme l'or déclare au soldat qu'il lui donnera une autre tâche le
lendemain. Mais la belle Eulalie, sa fille, déclare au soldat qu'il est
prudent de s'enfuir le plus vite possible et ils décident de partir
dans la nuit.
La belle Eulalie fait deux pâtés enchantés qui parlent et doivent
répondre à la place des fugitifs, l'un pour elle, l'autre pour le soldat,
et elle les place dans leurs chambres, sur leurs lits. Et les deux
jeunes gens se tiennent prêts à partir.
Dans la nuit la femme du Vieux, qui est plus fine et plus dan-
gereuse que lui, se prend à dire :
— Je rêve, je rêve.
— De quoi rêves-tu ? demande le Vieux.
— Je rêve que le chrétien va emmener ma fille.
— Belle Eulalie ! appelle le père.
— Plaît-il ? mon père.
— Mauvais chrétien !
— Plaît-il ? maître.
— Tu vois qu'ils sont couchés, dit-il à sa femme.
Mais un moment après, sa femme lui dit encore : « Je rêve, je
rêve ! », et elle dit rêver que le chrétien est parti avec sa fille. Même
dialogue entre le Vieux et sa femme, mêmes appels aux deux jeunes
gens, même réponses ; mais cette fois, ce sont les pâtés qui
répondent à la place des fugitifs. Une troisième fois, la vieille dit
rêver que le chrétien est déjà loin avec sa fille (même dialogue,
mêmes appels) et les pâtés répondent faiblement, car leurs voix
diminuent à mesure que s'éloignent les fugitifs, mais le Vieux pense
qu'ils s'endorment. Enfin, quand la femme s'éveille encore et
100
ANTHOLOGIE
Le père dit :
— Je vais chercher de la marchandise, je serai peut-être huit
jours parti, mais, qu'il dit à son fils, tu vendras le restant comme
tu pourras.
Tant que le bonhomme fut parti, le gars faisait la noce et jouait
aux cartes, à telle fin qu'il mangea toute sa fortune pendant l'ab-
sence de son père.
Quand son père arriva, tout était joué, mangé.
Le gars se dit :
— Que faire de moi-même ? Je m'en vas me jeter dans la rivière et
me noyer.
Le voilà parti pour aller sur le bord de la rivière, il regarda sur
l'eau et aperçut un homme qui marchait sur l'eau.
— Tiens ! qu'il dit, je m'en vais attendre de le voir de plus près,
avant de me jeter à l'eau.
Voilà l'homme qui arrive à lui :
— Qu'est-ce que tu fais, mon gars ?
— Je veux me jeter à la rivière.
— Pourquoi ?
— J'ai tout mangé ma fortune.
— Eh bien ! mon gars, je m'en vas t'en donner le double, de
ce que tu as mangé, si tu me promets de venir me trouver au bout
de jour et an à la Montagne Verte.
Voilà le temps d'arriver et de partir. Le jeune homme se met
en route, il demande à tout le monde le chemin de la Montagne
Verte ; tout le monde lui dit :
— Tu n'en reviendras jamais : autant comme il en a été, il n'en
est jamais revenu un.
— Ça fait rien : j'ai mangé la fortune de mon père, j'ai promis
de me rendre là, je me rendrai.
Le voilà d'arrivé à la Montagne Verte, il dit :
— Bonjour, monsieur.
— Bonjour, mon enfant, lui dit le Diable. Voilà : tu vas boire et
manger tout ce que tu voudras, tu seras bien. Le lendemain, le
Diable lui dit :
— Voilà une hache de bois, je m'en vais te montrer l'ouvrage
que tu vas faire aujourd'hui.
104
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Mythe de Jason et Midée.
BIBLIOGRAPHIE :
Cosquin (E.), Contes de Lorraine, II, p. 12-28.
Aarne (A.), Die Magische Flucht. Eine Màrchenstudie, Helsinki, 1930.
Propp (V.), Le Radia storiche dei racconte di fate, p. 547-564.
II était une fois un roi qui avait un fils. Un jour, il lui dit : «
Mon fils, je pars en voyage pour une quinzaine. Voici toutes les
clefs du château, mais vous n'entrerez pas dans telle chambre.
— Non, mon père », répondit le prince. Dès que son père eut le
112
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Robert le Diable (roman médiéval et littérature de colportage). >
i
BIBLIOGRAPHIE :
Cosquin (E.), Contes de Lorraine, I, 138-154.
Propp (V.), voir p. 111. Aarne (A.), voir p. 111.
2. En patois :
N'avez-vous pas vi passa Dzan, Dzannette,
Ma carrette,
- Ma cabale roudze et ma cabale blanque,
Cata d'or et d'argent ?
120
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Perrault (Ch.), Le Petit Poucet. Ruy-Vidal
et Perrault, Le Petit Poucet. Tournier (M.),
La fugue du Petit Poucet.
BIBLIOGRAPHIE :
Paris (Gaston), Le Petit Poucet et la grande ourse, Paris, 1875.
Cosquin (E.), Le conte de la chaudière bouillante et de la feinte maladresse,
Etudes folkloriques, Paris, 1922.
126
ANTHOLOGIE
C'était une femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :
— Tu vas porter une époigne5 toute chaude et une bouteille de
lait à ta grand.
Voilà la petite fille partie. A la croisée de deux chemins, elle
rencontra le bzou6 qui lui dit :
— Où vas-tu ?
— Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lais à
ma grand.
— Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles on
celui des Epingles ?
— Celui des Aiguilles, dit la petite fille.
— Eh bien ! Moi je prends celui des Epingles.
La petite fille s'amusa à ramasser des aiguilles ; et le bzou arrirj
chez la Mère grand, la tua, mit de sa viande dans l'arche et une
bouteille de sang sur la bassie. La petite fille arriva, frappa à la
porte.
— Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille
mouillée.
— Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute
chaude et une bouteille de lait.
— Mets-les dans l'arche mon enfant. Prends de la viande qui
est dedans et une bouteille de vin qui est sur la bassie.
Suivant qu'elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
— Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui boit le sang de a
grand.
5. Epoigne : petit pain que l'on faisait, le plus souvent pour les enfants, me la
rognures de la pâte lors de la cuisson du pain.
6. Bzou : j'ai demandé au conteur : « Qu'appelez-vous le bzou ?» — « C'tsi, mV t-il
dit, comme le brou ou le garou ; on dit aussi en Nivernais loup-brou ou loup-garm,
mais je n'ai jamais entendu dire que dans ce conte le bzou * (Achille Millieu).
CONTES MERVEILLEUX 127
ANTHOLOGIE
jeta à bas du lit et vit que la petite fille était sauvée. Il la poursuivit,
mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.
Conté par Louis et François Briffault, de Montigny-aux-Amognes, Kiè-
vre, vers 1885. Recueilli par Achille Millien.
(Publié dans Delarue, Catalogue, I, 1957.)
II était une fois une femme qui n'avait qu'un enfant, une petite
fille bien sage et bien résolue. Chaque semaine, le jour où elle cuisait
son pain, elle faisait une êpoigne et disait à l'enfant :
— Ma petite fille, tu vas porter l'époigne à ta grand-mère.
— Oui, maman, répondait la petite, et elle s'en allait chez 1s
grand-mère qui demeurait dans un village voisin.
Un jour qu'elle cheminait avec l'époigne dans son panier, elle
rencontra, à la bifurcation de deux sentiers, un loup qui lui dh :
— Où vas-tu, petite ?
Elle fut d'abord saisie à la vue du loup, mais elle se rassura, car
elle entendait les bûcherons qui travaillaient dans le bois et elk
répondit gentiment :
— Je vas porter l'époigne à ma grand-mère qui demeure dant
la première maison du village, là-bas.
— Par quel chemin veux-tu passer, celui des Aiguilles ou cehà
des Epingles ?
— Par le chemin des Epingles, que j'ai l'habitude de suivre.
— Eh bien ! bon voyage, petite !
Et tandis que l'enfant prenait le chemin des Epingles, le loup
partit à fond de train par celui des Aiguilles, arriva chez la grand-
mère, la surprit et la tua. Puis il versa le sang de la pauvre femme
dans les bouteilles du dressoir et mit sa chair dans un grand p«
devant le feu. Après quoi, il se coucha dans le lit. Il venait de tirer
les courtines et de s'envelopper dans la couverture, quand il entea-
dit frapper à la porte : c'était la petite fille qui arrivait. Elle entra :
—- Bonjour, grand-mère.
— Bonjour, mon enfant.
CONTES MERVEILLEUX 129
10. Le coq.
M. Tablier.
130
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Perrault (Charles), Le Petit Chaperon rouge.
Dumas (Ph.), Le Petit Chaperon bleu marine, in Contes à l'envers.
12. Ce conte est fort répandu en Gascogne et en Agenais. La présente leçon m'a
été fournie par Louis Lacoste, du Pergain-Taillac (Gers).
132
ANTHOLOGIE
BIBLIOGRAPHIE :
Delarue (P.), Les contes merveilleux de Perrault et la tradition populaire,
Bulletin folklorique d'Ile-de-France, 1951 et 1953. Fromm (E.), Le
langage oublié (1952), 1980. Flahaut (Fr.), Histoires de loups, Topique,
11-12, 1974. Verdier (Y.), Grand-mères, si vous saviez... Le Petit
Chaperon rouge
dans la tradition orale, Cahiers de littérature orale, 4, 1980.
1. La marâtre (Gascogne)
II y avait, une fois, un homme qui était veuf ; il avait neuf gar-
çons et une fille bien jolie.
Il se remaria avec une femme veuve qui avait une fille bien
laide.
Les fils de cet homme s'en allaient chaque jour à la chass*
autour du château du roi.
Un jour, ils dirent au roi qu'ils avaient une sœur qui, en se
lavant les mains, laissait tomber or et argent et, en se peignant, blé et
froment.
Le roi leur dit :
— Amenez-la moi et, si c'est vrai, je me marierai avec elle, mais, si
ce n'est pas vrai, je vous pendrai tous les neuf aux plus hautes
fenêtres de mon château.
Le lendemain, ils la prirent dans leur voiture, avec la marâtre et
sa fille.
Tout le long du chemin, les garçons disaient à la marâtre :
— Prenez garde à ma sœur.
— Que dit mon frère, tante ?
— Il dit que tu t'enlèves un œil et que tu le donnes à ma fille.
Un peu plus loin, ils dirent à nouveau :
— Prenez garde à ma sœur.
— Que dit mon frère, tante ?
— Il dit que tu t'enlèves un œil et que tu le donnes à ma fille.
Un peu plus loin, ils passèrent autour d'un bourbier. La marâtre
y jeta la sœur de ces garçons. Quand ils arrivèrent chez le roi, le»
OOKTES MERVEILLEUX 133
— Ma belle sœur ?
— Endormie dans les bras du roi.
— Ma belle tante ?
— Dans la salle du roi qui goûte.
— Tire, tire ma chaîne,
Que la mer m'emmène.
Le roi entendit cela. Il envoya ses troupes briser cette chaîne ;
elles ne purent pas la briser. Et toujours elle disait :
— Petite chienne, la mienne mie ?
— Plaît-il, madame la maîtresse ?
— Où sont mes neuf frères ?
— Pendus aux plus hautes fenêtres du Louvre du roi.
— Ma belle sœur ?
— Endormie dans les bras du roi.
— Ma belle tante ?
— Dans la salle du roi qui goûte.
— Tire, tire ma chaîne.
— Que la mer m'emmène.
Alors les gardes du roi lui demandèrent ce qu'elle voulait. EOe
leur dit qu'elle était la sœur des neuf jeunes hommes qui étakan
pendus aux plus hautes fenêtres de son Louvre. Le roi lui fit laver
les mains : il en tomba or et argent ; il la fit peigner : il en tombi
blé et froment.
Alors, le roi fut désolé d'avoir fait pendre ces neuf jeunes bon-
mes. Il alla trouver la tante et lui dit :
— Que mériterait, tante, une femme qui aurait fait mourir neuf
jeunes hommes et une fille ? La tante lui répondit :
— Elle mériterait d'être bouillie dans le sel et l'huile. On fit
bouillir la marâtre dans le sel et l'huile, et de sa filk on fit une
laveuse de vaisselle.
Et le roi se maria avec l'autre jeune fille.
Moi, j'allai,à la noce avec mes sabots, et on ne me voulut pat.
Et trie et trac, mon conte est achevé.
Ms Perbosc-Cézerac, n° 42. Recueilli par Marie Nagrace, à Combe-
rouger (Tarn-et-Garonne), en 1902.
(Delarue-Tenêze, Catalogue, II, 196îj)
CONTES MERVEILLEUX 135
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
BIBLIOGRAPHIE :
Alfen (P.), Das Motif von der unterschobenen Braut in der Internationakn
EnaUunglitteratur, Schwerin, 1897.
bûcheron qui avait trois filles. En voyant cette annonce sur le journal,
l'aînée dit à son père :
— Je veux me marier avec le fils du roi.
— Mais, malheureuse, tu vois pas qu'il a la tête de cochon «r
que tu ne l'aimeras jamais ?
— N'importe, je le veux. Porte mon consentement au roi.
Le roi a fait venir la famille des bûcherons et le mariage < été
célébré. La première nuit de noces, le mari voulait coucher mt elle.
Il essayait de l'embrasser, il essayait de la bloquer, mais rira à faire.
Sa femme ne voulait rien savoir de lui. Lui, de colère, «or. en bas du
lit, prend un couteau et ouvre le ventre à sa femme. S* femme
meurt. Le lendemain, ses parents ont remarqué que leur fîk n'était
pas content. Son père lui demande :
— Qu'est-ce que tu as ?
— J'ai tué ma femme, elle ne voulait pas être à mon plaisir.
Après les obsèques, le fils du roi reste encore deux moi» <a
recommence à vouloir se marier. Le roi fait de nouveau appel sur
les journaux, que le bûcheron reconnaît de nouveau pour Ib
deuxième fois le Fils du Roi Cochon. La deuxième fille dit à m
père :
— Papa, je le veux.
— Non, tu ne te marieras pas avec lui, tu vois bien qu'il a tné ta
sœur et il te tuera toi aussi.
— Papa, je saurai faire.
Le père a cédé. Le deuxième mariage s'est célébré. Le prenàor
soir de noces, ça a été comme pour la première sœur. Elle ne von-
lait rien savoir de son mari. Lui, de colère, prend le couteau « loi
ouvre le ventre. De nouveau, le lendemain matin, sa mère le tro-jot
triste et lui demande :
— Qu'as-tu donc ?
— J'ai tué ma femme.
Sa mère lui dit :
— Mais tu es fou !
— Elle ne voulait pas se laisser faire ! Il reste encore cinq mois
et recommence une vie âpre» 10 parents pour se remarier. Le
père lui dit :
OOXTES MERVEILLEUX 137
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
jamais être effacées, jusqu'à ce que j'arrive pour les enlever moi-
même !
Quand elle put quitter son lit, elle se fit fabriquer trois paires
de chaussures d'acier, et se mit à la recherche de son mari, allant
au hasard, à la grâce de Dieu. Elle avait beau marcher, la pauvre
femme, et demander partout des nouvelles du prince, personne ne
pouvait lui en donner. Elle ne se décourageait pourtant pas pour
cela ; elle allait toujours, plus loin, plus loin encore, et déjà elle
avait presque usé sa deuxième paire de chaussures d'acier, quand
elle se trouva un jour au pied d'une montagne si haute, si haute,
qu'il lui était impossible de la gravir. Au pied de la montagne, elle
vit un étang et trois femmes lavant du linge, au bord de l'eau. Elle
s'approcha. Une des laveuses tenait une chemise, qui avait trois
taches de sang, qu'elle essayait d'effacer, mais inutilement. Et elle se
disait : — Je ne sais vraiment comment faire pour enlever ces
taches ; j'ai beau les frotter avec du savon, les battre avec mon battoir,
elles n'en paraissent que plus rouges !
La jeune femme, entendant cela, alla vers la lavandière et lui
dit:
— Confiez-moi un instant cette chemise, je vous prie, et j'en-
lèverai les taches de sang.
On lui donna la chemise ; elle cracha sur les trois taches, trempa la
chemise dans l'eau, frotta un peu, et aussitôt les taches disparurent
complètement.
Elle avait reconnu la chemise de son mari.
Elle interrogea alors les lavandières, et celles-ci lui apprirent
qu'elles étaient les servantes du château voisin, et que le seigneur
devait se marier, le lendemain même, à une princesse d'une beauté
merveilleuse. Comme la nuit approchait, les lavandières, pour
reconnaître le service qu'elle leur avait rendu, lui proposèrent de
loger au château, — ce qu'elle se garda bien de refuser. Mais, la
pauvre femme ne dormit pas de toute la nuit, en songeant que son
mari allait se remarier. En cherchant ce qu'elle devait faire, dans
cette occurrence, elle se rappela que, avant de partir, il lui avait
donné trois noix, en lui disant d'en casser une, chaque fois qu'elle se
trouverait embarrassée ou en grand danger. — Certainement, se
disait-elle, je ne saurais être plus embarrassée qu'en ce moment.
CONTES MERVEILLEUX 149
Et elle cassa une de ses noix. Et aussitôt il en sortit une foule d'objets
précieux de toute nature.
Le lendemain matin, elle se leva de bonne heure, sous prétexte
de se remettre en route, et elle rangea en ordre tous ses objets pré-
cieux sur une petite table, au bord du chemin par où devait passer
le cortège, en se rendant à l'église. Il y avait là des coqs qui
chantaient, des poules qui gloussaient, des vaches qui beuglaient,
des chevaux qui hennissaient, le tout en or ; et puis, des pierres
précieuses et des diamants. Le cortège commença à défiler, à dix
heures. Les deux fiancés étaient en tête, magnifiquement vêtus.
Quand ils vinrent à passer près de l'étalage de la voyageuse, les coqs se
mirent à chanter, les poules à glousser, les vaches à beugler et les
chevaux à hennir. La princesse, émerveillée, s'arrêta pour les
écouter et les admirer. Puis, elle alla seule vers la jeune femme, et
lui dit :
— Combien demandez-vous pour toutes ces merveilles ?
— Vous n'avez pas assez d'or ni d'argent pour les acheter, prin-
cesse, car je ne les donnerai ni pour de l'or ni pour de l'argent.
— Contre quoi les échangerez-vous donc ?
— Contre votre première nuit de noce à passer avec votre mari.
— Osez-vous bien parler ainsi ? Demandez tout ce que vous
voudrez, autre que cela, et je vous l'accorderai.
— Je ne les donnerai pour rien autre chose au monde.
— Eh bien ! portez le tout au château, dans ma chambre, et
puis nous verrons après.
La princesse revint vers son fiancé, qui l'attendait, et le cortège se
remit en marche. La cérémonie religieuse terminée, il y eut au
château un grand festin, qui dura jusqu'à la nuit. La princesse versa
un soporifique dans la coupe de son mari, à son insu, et, en se
levant de table, il fut pris d'un tel besoin de dormir, qu'il lui fallut
aller se coucher. Les jeux et les danses n'en continuèrent pas
moins. A minuit, on introduisit l'étrangère dans sa chambre, et elle se
coucha à ses côtés. Mais, hélas ! il dormait d'un sommeil si profond,
qu'on l'aurait dit mort, n'était sa respiration. La pauvre femme eut
beau l'embrasser, l'appeler par les noms les plus tendres, rien n'y
faisait ; il dormait toujours. Elle se mit alors à pleurer et à exhaler
des plaintes touchantes : — Ah ! que je suis donc
150
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
fermait avec une clef d'or. Un jour, je perdis la clef, et j'en fis faire
une nouvelle. Mais, quelque temps après, je retrouvai ma première
clef, de sorte que j'en ai deux, à présent, presque aussi gentilles
l'une que l'autre. A laquelle des deux dois-je donner la préférence, à
l'ancienne ou à la nouvelle ?
— Respectons toujours les anciens et les anciennes choses,
répondit le vieillard.
— C'est aussi mon avis, reprit le prince ; voici mon ancienne
clef — et il montrait sa première femme — et voilà la nouvelle — a il
désignait l'autre. Je reprends l'ancienne et vous laisse la nouvelle.
Et aussitôt ils se levèrent de table tous les deux et partirent, au
milieu du silence et de l'étonnement général. Ils revinrent à leur
ancien château, où ils retrouvèrent leur enfant, et vécurent heureux, je
présume, car depuis, je n'ai pas entendu parler d'eux.
Conté par Marguerite Philippe, novembre 1869.
(F.-M. Luzel, Contes populaires de Basse-Bretagne, 1887.)
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Apulée, L'Ane d'or (il- siècle ap. J.-C.). Leprince de
Beaumont (Mme), La Belle et la bête.
BIBLIOGRAPHIE :
Cosquin (E.), Contes de Lorraine, II, 217-230.
Swahn (Jan-0jvind), The Taie of Cupid and Psyché, Lund, 1955.
Neumann (E.), Amor und Psyché, 1952.
Barchilon (J.), Beauty and thé Beast, From Myth to Fairy Taie, Psychoa-
nalysis and Psychoanalytical Review, 1959. Franz (M.-L. von), L'âne
d'or : interprétation d'un conte (1970), 1978.
II y avait une fois un homme et une femme qui avaient une fille.
Voilà que la femme mourut. Alors, l'homme se remaria avec une
veuve qui avait, elle aussi, une fille.
CONTES MERVEILLEUX 153
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
II y avait une fois une femme restée veuve avec une petite fille.
Elle épousa en secondes noces un homme veuf ayant aussi une fille
de son premier mariage. Elle ne pouvait souffrir cette enfant dont
elle était jalouse, car elle la voyait aussi douce, aussi bonne que la
sienne était acariâtre et méchante. Elle l'éloignait de la maison
autant qu'elle le pouvait.
Un soir, elle lui dit : « Vilaine que tu es, pourquoi ne vas-tu pas
veiller hors d'ici ? »
La petite prit sa quenouille et son fuseau et sortit toute désolée,
ne sachant où aller. En passant près du puits, elle se pencha
instinctivement sur la margelle et fut bien surprise de voir au fond
une grande clarté et des demoiselles, si surprise que son fuseau lui
échappa et tomba dans le puits.
— A la garde de Dieu, dit-elle, je vais te suivre. Elle se jeta par-
dessus le bord et se trouva tout-à-coup près des demoiselles dont
l'une se prit à dire :
— Maman, maman, voici une petite fille qui vient veiller avec
nous, qu'allons-nous lui donner ?
— Que désires-tu d'elle ? répondit la mère qui était une belle
dame.
— Qu'elle me pouille.
Et la petite fille se mit de bonne grâce à fouiller dans la cheve-
lure de la demoiselle.
— Que trouves-tu, ma mie ? demanda la mère.
Ni pou ni lente
La tête bien blanche
CONTES MERVEILLEUX 157
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Lhéritier (Jeanne), Les enchantements de l'éloquence.
Perrault (Ch.), Les fées.
Gripari (P.), La fée du robinet, Contes de la rue Broca.
BIBLIOGRAPHIE :
Cosquin (E.), Contes de Lorraine, II, 119-123.
Rôheim (G.), Dame Holle : Dream and Folk-Taie, Essays in honour of Tfiep-
dor Reik, 1953. Roberts (Warren), The Taie of thé kind and thé unkind
girl, Berlin, 19S8.
T. 510 A CENDRILLON
La Cendreuse (Poitou)
II y avait une fois des gens riches, des seigneurs, et qui avaient
trois filles. Il y en avait deux qui étaient fières, fières ! Et puis, 1»
troisième, bonnes gens, était méprisée, elle ne s'émouvait pas (ne
s'amusait pas) comme les autres, et elle restait toujours une partie
dans le coin du feu, et on l'avait baptisée « la Cendreuse ». Quand
les deux aînées allaient se promener, elles demandaient à U
Cendreuse :
— Allons, Cendrouse, tu ne veux pas venir avec nous autres te
promener ?
— Ah non ! Je ne veux pas y aller de fait (bien sûr) !
— Ah, Cendrouse ! Tu ne seras toujours qu'une Cendreuse,
va ! Toujours gratter les cendres ! Toujours rester dans le coin du
feu!
Le papa s'en va dans une foire, bien loin. Il demande à ses
filles :
— Allons, mes filles ! Que voulez-vous que je vous apporte ?
Voilà l'aînée qui dit :
CONTES MERVEILLEUX 159
ANTHOLOGIE
— Oh ! Qu'elle soit tant belle qu'elle voudra, elle n'est pas plu»
belle que moi !
— Hein ! Cendrouse, qu'est-ce que tu dis là ? Elle n'est pas plut
belle que toi ? Ah, mon Dieu ! Qu'est-ce que tu dis là ?
Allons, l'autre dimanche vint. Il fallut encore aller à la mess*.
— Allons ! qu'elles dirent encore à la Cendrouse avant de partir,
allons, Cendrouse ! Tu ne veux pas venir à la messe, anni
(aujourd'hui), voir cette demoiselle ? Elle y sera peut-être encore.
Une si jolie voiture !
— Ah ! je ne veux pas y aller, non ! qu'elle dit.
— Ah ! Tu aimes mieux gratter tes cendres, pardié !
Et d'abord qu'elles furent parties, elle ouvre sa noisette et s'ha-
bille. Elle monte en voiture ; elle fut encore si tôt rendue comme
ses sœurs.
Et voilà encore tout le monde à regarder, et à dire :
— Qui q'a peut être ? Qui q'a peut être ? Une si jolie voiture, si
jolie et que personne la connaît !
Quand la messe fut dite, elle sort et elle monte dans sa voiture.
En montant dans sa voiture, elle laissa tomber une de ses pantou-
fles. Et précisément, c'est le fils du roi qui la ramassa, sans que
personne s'en aperçut. Et le voilà, après, qui dit :
— Ah ! voilà une jolie pantoufle ! Celle-là, à qui elle ira, qu'elle
chaussera bien, ça sera ma femme ! Je l'épouserai.
Ah, mon Dieu ! Si vous aviez vu toutes ces princesses, toutes
sortes d'espèces de demoiselles, à se rendre là et essayer la pantoufle,
et essayer ! La pantoufle ne chaussait point aucun pied, rien du
tout, elle n'allait pas à aucune.
— Ah, Cendrouse ! Quand elles furent rendues. Elle y était
encore, cette belle demoiselle ; va, si t'avais (tu étais) venu(e), ru
l'aurais vue ; va, je t'assure que c'est une belle demoiselle !
— Qu'elle soit tant belle qu'elle voudra ! Elle n'est pas plus
belle que moi.
Allons, ce fut remis au dimanche d'après pour essayer encore
cette pantoufle. Toutes les princesses de tous pays, elles venaient
pour essayer cette pantoufle. Et la Cendrouse s'y rend aussi tout
chapetit (doucement), point montée dans sa voiture, cette fois, toute
Cendrouse, pardié !
CONTES MERVEILLEUX 161
Voilà toutes les princesses après avoir essayé cette pantoufle, elle
n'allait point à aucun pied. Ma Cendreuse s'approche, essaie cette
pantoufle, enfin, elle était comme moulée à son pied ! Elle lui
allait ! Et puis, comme il avait dit que celle-là à qui elle irait, ça
serait son épouse, les voilà toutes à se regarder, ces princesses et le
tout :
— Ah ! mon Dieu ! Le fils du roi se mariera avec la Cendrouse !
Le fils du roi se mariera avec la Cendrouse !
Voilà ma Cendrouse qui ouvre sa noisette, et elle présenta cette
belle voiture ! Elle s'habilla, qu'il n'y avait point de princesse si
belle comme elle était, bien sûr ! Et puis, elle monta dans sa voiture
avec le fils du roi, et les voilà partis ! Ainsi la Cendrouse était
beaucoup plus belle que ses sœurs, après !
(Léon Pineau, Contes populaires du Poitou, 1891.)
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Des Périers (Bonaventure), D'une jeune fille nommée Peau d'Ane, Nou-
velles Récréations et joyeux devis, 1558. Perrault (Ch.), Cendrillon, 1697.
D'Aulnoy (Mme), Finette-Cendron, Les Contes de fées, 1696 ou 1697.
BIBLIOGRAPHIE :
Cox (Marian Roalfe), Cinderella, London, 1893. Cosquin (E.), Les contes
indiens et l'Occident, p. 30-57. Rooth (Anna-Birgitta), The Cinderella Cycle,
Lund, 1951. Courtes (Joseph), Une lecture sémiotique de Cendrillon, in
Introduction à la sémiotique narrative et discursive, Paris, 1976.
Cughjulina (Corse)
ANTHOLOGIE
en épouser une autre, si ce n'est une qui ait aussi une étoile d'or
au front.
Le monsieur a eu beau chercher dans tous les pays, il a vu des
filles de roi, et des demoiselles, mais il n'a pas trouvé de femme
pareille à la sienne. Seule, leur fille avait aussi une étoile d'or au
front.
Alors, un beau jour, il lui a dit :
— C'est toi que je vais épouser !
Mais la jeune fille ne voulait pas !
Elle va sur la tombe de sa mère, et lui dit :
— Maman, si tu savais comme je suis malheureuse. Papa veut
m'épouser, parce que je suis pareille à toi, et moi je ne veux pas !
Que dois-je faire ?
Sa mire lui répond :
— Retourne à la maison. Tu prendras le chapelet, et tu le mettras
sur la table de nuit. Prends aussi la pelle du foyer, et un peigne, et
monte-les dans la chambre. Quand ton père t'appellera pour la nuit,
le chapelet répondra, à ta place : « Non, je ne peux pas venir : je
fais ma prière. » Ton père t'appellera une seconde fois ; alors la
pelle répondra : « Non, je ne peux pas venir : je ramasse le feu. »
Et il t'appellera encore une troisième fois ; alors, le peigne
répondra : « Non, je ne peux pas venir : je me coiffe. »
Et toi, pendant ce temps-là, tu t'échapperas de la maison, et tu
iras dehors tuer la vache. Quand tu l'auras tuée, dans son bassin, tu
trouveras una palla d'oru, une petite boule d'or18. Avec cette petite
boule d'or, tu seras aussi belle que tu voudras, et tu auras tout ce
que tu désires. Enfin, tu prendras la peau de la vache, tu la mettras
sur ton dos, pour te couvrir ; et puis tu t'en iras, comme ça gagner ta
vie ailleurs.
I.a jeune fille a fait ce que sa mère lui avait dit. Elle est montée
dans M chambre, elle a mis le chapelet sur la table de nuit ; elle a pris
aussi la pelle du foyer, et un peigne, et les a posés à côté du
chapelet. Puis, elle a quitté la maison pour aller tuer la vache.
Pendant ce temps, son père l'a appelée :
— C'est l'heure de venir te coucher !
Le chapelet a répondu :
— Non, je ne peux pas venir : je fais ma prière. Au bout d'un
moment, son père l'appelle une seconde fois. Mais elle était partie.
Alors, la pelle a répondu :
— Non, je ne peux pas venir : je ramasse le feu. Quelques instants
plus tard, son père appelle sa fille pour la troisième fois 5 et cette
fois, le peigne a répondu :
— Non, je ne peux pas venir : je me coiffe.
Ainsi, le père n'a pas pu trouver sa fille pendant cette nuit-là.
La jeune fille, elle, avait eu le temps de tuer la vache. En ramas-
sant la petite boule d'or trouvée dans son bassin, elle l'a un peu
frottée...
— Comanda ! (Commande) ! a dit la petite boule d'or.
Il lui suffisait de dire « Je commande », et elle avait tout ce
qu'elle voulait, se transformait en ce qu'elle voulait, par la palla
d'oru.
Enfin, elle a pris la peau de vache, et l'a mise sur son dos ; et
puis elle est partie comme ça, pour chercher à gagner sa vie. Depuis
ce temps-là, on l'a appelée Cughjulina19, à cause de la peau dont
elle se couvrait.
Elle a beaucoup marché, et elle est arrivée auprès de la maison
du roi. Là elle s'est adressée à des serviteurs, qui lui ont dit :
— Le fils du roi cherche quelqu'un pour garder les oies ! Va
donc garder les oies !
." Enrrzi-r. E: r.—J :ÎT_". " .";r~:; îui chir:r< CL."";.- .'î* o:«. A
ce — cr:er:-"l. Qiîhr-^â se serrai: ds sa penrc boule d'or pour les
garder : et elle se menait à peigner ses cheveux. Quand elle se
peignait ainsi, d'un côté de sa tête tombait du blé, de l'autre du
riz. Les oies étaient bien nourries !
Le fils du roi était très étonné de les voir grasses. Il a dit à la
gardeuse d'oies :
— Fais attention ! où mènes-tu les oies ? peut-être dans le jardin
du magu (ogre) ?
ANTHOLOGIE
Cette fois-là aussi, le fils du roi était bien décidé à savoir qui
elle était. Il l'invite encore au bal, et la fait danser tout le temps. A
la fin, il lui offre un collier, et lui demande :
— De quel pays êtes-vous ?
— Je suis du pays d'A Briglia (de la Bride) !
— Quel drôle de nom pour un pays !
Quand le bal va finir, la jeune fille s'esquive encore, avec son
cheval et son écuyer.
De son côté, le fils du roi court vite à l'écurie, où il dit à la gar-
deuse d'oies :
— Oh ! Cuhjulina ! j'ai vu une jolie fille au bal...
— Ça m'est égal !
— Va vite chercher ma bride !
Mais quand son cheval a été bridé, il était sans doute trop tard :
la belle jeune fille habillée en argent avait disparu !
Quelques temps après, le roi fait donner un troisième bal. Cette
fois, le fils du roi avait donné l'ordre de surveiller la belle jeune
fille :
— Quand elle partira, regardez où elle va.
Cette fois, Cughjulina est arrivée habillée tout en or. La lune
et le soleil ne brillent pas comme elle brillait. Il a encore dansé tout le
temps avec elle ; puis, il lui offre une broche et lui demande :
— De quel pays êtes-vous ?
— Du pays d'U Spronu (de l'Eperon) !
— Quel drôle de nom pour un pays !
Mais le bal va se terminer. Cughjulina réussit encore à se sauver.
Elle est montée sur son cheval, et cette fois elle s'est mise à lancer
des sous autour d'elle. Alors, les serviteurs du roi se pressent autour
d'elle pour en ramasser ; elle, pique son cheval, et s'en va au galop ;
et ils l'ont perdue de vue.
Le fils du roi court aux écuries, y trouve la pondeuse d'oies, et
lui dit :
— Va vite chercher mon éperon ! Je vais moi-même à sa
poursuite.
Et il part à la poursuite de la jeune fille habillée tout en or, mais
ne la trouve pas davantage que les autres fois.
Après cela, qu'est-ce qu'il est arrivé ? l.c fils du roi est tombé
166
ANTHOLOGIE
malade d'amour pour elle. Ses parents ont tout essayé pour l'en dis-
traire, mais il ne voulait rien pour guérir. Un beau jour, il lui
vient une idée :
— Je voudrais que Cughjulina me fasse quelque chose a
manger.
— Comment ? lui dit-on, Cughjulina qui est si sale ?
— Je veux qu'elle me fasse à manger ! La g deuse d'oies a reçu
l'ordre de lui préparer quelque chose à manger. Elle a seulement
demandé :
— Donnez-moi une chambre, fermée à clé : je préparerai tout.
Alors, quand elle a été seule dans la chambre, elle a retiré la clé,
et l'a posée sur la table. Puis, elle enlève sa peau de vache, et prend sa
petite boule d'or.
Le fils du roi, lui, regardait par le trou de la serrure : il a été
ébloui par la lumière. Comme Cughjulina était belle, avec l'étoile
d'or qui brillait au milieu de son front !
La jeune fille n'avait pas grand-chose à préparer, puisqu'il lui
suffisait de commander à sa petite boule d'or ce qu'il fallait pour
offrir à manger au fils du roi. Alors, dans sa tasse, elle mit la bague
qu'il lui avait offerte au premier bal, quand elle s'était habillée en
bronze ; elle n'a pas oublié, non plus, le collier, ni la broche, qu'il
lui avait offerts quand elle s'était habillée en argent, et puis en or.
Après cela, Cughjulina a servi le repas préparé de ses mains,
au fils du roi. Dès qu'il a vu seulement la bague dans la tasse, il
l'a reconnue pour la belle jeune fille qui l'avait charmé au bal. Il a
dit à ses parents :
— Je veux me marier avec Cughjulina !
Les parents ne comprenaient pas comment leur fils avait pu
s'éprendre d'elle. Mais Cughjulina a enlevé sa peau de vache, et le
roi et la reine ont été éblouis.
Et le fils du roi s'est marié avec Cughjulina.
Conté en français en octobre 1955 par Mme Vve Scampucci, 72 ans,
propriétaire, à I.oriani, hameau de la commune de Cambia, canton de Saint-
Laurent, dans la Castagniccia.
(Geneviève Massignon, Contes corses, 1963.)
CONTES MERVEILLEUX 167
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Perrault (Ch.), Peau d'âne, 1694.
BIBLIOGRAPHIE :
Voir p. 161.
La Chèvre (Pyrénées)
Vivaient une fois une mère et ses trois filles. L'une d'elles
n'avait qu'un œil, la cadette en avait deux, et l'autre trois. La fillette
aux deux yeux était comme vous et moi, mais sa mère ne l'aimait pas.
Les deux autres étaient chéries et choyées, cependant que la
malheureuse enfant, en haillons, gardait à longueur de journée la
chèvre par la montagne.
Elle ne rentrait qu'à la nuit et partageait le repas du chien. Quel-
quefois le chien lappait toute la soupe... C'était tant pis pour elle.
Pour ne point mourir de faim, elle trayait, en cachette, quelques
gorgées de lait à sa chèvre, bien peu tout de même.
Une fois donc la fillette aux deux yeux n'avait rien mangé
depuis deux ou trois jours. Elle pleurait sur la montagne. Elle pleurait
tant qu'enfin une femme lui apparut. C'était la Sainte Vierge.
— Pourquoi pleures-tu, mon enfant ?
La fillette fut effrayée de tant de lumière, mais la Sainte Vierge
la rassura et reçut ses doléances.
— A partir de ce jour, tu seras heureuse, mon enfant.
— Comment donc ?
— Lorsque tu garderas ta chèvre par la forêt, il te suffira de dire
:
« Chevrette bêle,
Tablette dresse. »
168
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
BIBLIOGRAPHIE \
Voir p. 161.
vieille qui trempait une croûte de pain bien sèche dans l'eau, afin
de pouvoir la manger : « Eh ! bonjour ma bonne vieille, dit-il,
qu'est-ce donc que vous faites là si matin ? — Ah, mon brave gar-
çon, je trempe ma croûte de pain dans la fontaine, elle descendra
mieux ; et vous où allez-vous donc ? — Je vais à la Garenne faire
quelques fourches et quelques râteaux. — Faites donc fourches, faites
donc râteaux ! »
Quand il fut dans le bois tous les coups de serpe qu'il donnait
faisaient soit une fourche soit un râteau. Le soir il en avait sa charge
quand il revint, mais de voiture : point.
Le cadet dit : « Je vais y aller à mon tour, je réussirai peut-être
mieux. » Le lendemain il prit son panier et partit pour le bois de la
Garenne. Il trouva également la petite vieille qui trempait son
pain dans la fontaine ; il lui souhaita le bonjour ; elle lui demanda
où il allait ; il lui répondit qu'il allait à la Garenne faire des gaules à
aiguillons et des bâtons. La vieille dit : « Faites gaules à aiguillons,
faites bâtons ! » Tous les coups de serpe qu'il donnait faisaient une
gaule à aiguillon ou un bâton. Le soir il en avait sa charge, mais
toujours pas de voiture.
Quand le plus jeune vit cela il dit : « Vous y êtes allés tous les
deux, je veux y aller à mon tour ; j'aurai peut-être plus de chance. »
Marguerite et ses deux autres fils répondirent : « Où veux-tu aller ?
Tu es bien trop nigaud ! Tu ne saurais seulement pas couper un
bâton ! » II répondit : « Vous me préparerez mon panier, il n'en
coûte pas beaucoup, je veux essayer. » Le matin, il partit également de
bonne heure. Il vit également la bonne vieille qui trempait sa
croûte dans l'eau. Dès qu'il l'eut vue il lui dit : « Oh ! ma bonne
vieille ! tenez, prenez donc mon pain blanc et mon fromage. Prenez
aussi ma petite bouteille de vin pour vous réchauffer l'estomac. Moi je
suis jeune, je mangerai bien votre pain sec. — Merci bien, mon
brave garçon, lui répondit-elle, vous êtes bien bon pour les
pauvres gens. Et où allez-vous donc ? — Ma bonne vieille, le roi a
fait dire au son de la trompe qu'il donnerait sa fille en mariage à
celui qui ferait une voiture qui marcherait toute seule ; mes deux
frères ont essayé, mais n'ont pas réussi. Je vais essayer à mon tour. —
Eh bien ! faites voiture, mon brave garçon. Que la voiture qui
marche toute seule soit faite ! *
172
ANTHOLOGIE
Quand il fut dans le bois, tous les coups de hachette qu'il donnait
faisaient une partie de la voiture et le soir elle fut terminée : pour
remonter la côte elle courait comme le diable ; il rencontra encore
la vieille qui lui dit : « Eh bien ! mon mignon, vous avez donc
réussi. Vous vous marierez avec la fille du roi, mais pour cela il
faudra prendre en louage tous ceux que vous trouverez sur votre
chemin en conduisant la voiture au roi et il faut vous mettre en
route tout de suite, sans rentrer chez vous. » II se mit donc en route
immédiatement avec sa voiture qui marchait toute seule et il avait
fait déjà pas mal de chemin quand il rencontra un pauvre diable
qui léchait la gueule d'un vieux four où l'on n'avait pas cuit de pain
depuis cent ans au moins. « Eh ! l'ami, que fais-tu donc là ?»
demanda-t-il. « Ah ! je lèche la gueule de ce four. J'aime tant le pain
qu'il me semble que j'en mange. — Eh bien ! viens avec moi, tu
en mangeras tout à ton aise. Veux-tu te louer ? — Je ne demande
pas mieux. — Combien veux-tu gagner ? — Cent francs par an. —
Cent francs. C'est entendu, monte dans ma voiture. »
Un peu plus loin il en rencontra un autre qui léchait une douve
de barrique ; il le loua encore pour cent francs. Plus loin il vit un
homme qui courait avec des grosses pierres attachées aux pieds ; il
lui demanda pourquoi il se mettait cela aux pieds. L'autre répondit : «
Ce que vous voyez là, ce sont des roues de moulin ; je cours si vite
que si je n'ai rien aux pieds et que je veuille attraper les lièvres je
passe par-dessus. » II fut encore loué pour cent francs. Plus loin il en
trouva un autre qui s'amusait à lancer des pierres en l'air. Il lui dit : «
Qu'est-ce donc que tu fais, en lançant ainsi des pierres en l'air. Tu
n'as donc pas peur de crever les yeux des gens ? » L'homme
répondit : « N'ayez pas peur, je les lance si loin que j'ai déjà tué une
demi-douzaine de perdreaux de l'autre côté de la mer Rouge. » II
monta encore dans la voiture moyennant cent francs de gages.
La voiture marchait toujours ; plus loin notre garçon vit un
autre homme qui était à moitié penché vers la terre et qui semblait
écouter quelque chose : « Qu'est-ce donc que tu écoutes ? » lui
demanda-t-il. « J'entends carder la laine au milieu de la terre », lui
répondit l'autre. Pour encore cent francs il monta dans la voiture.
Apres avoir dépassé Orléans il vit un autre grand gaillard qui
CONTES MERVEILLEUX 173
avait les jambes écartées, les pieds sur deux petites montagnes, en
face l'un de l'autre, le corps plié en deux et le derrière en l'air. Il lui
dit : « Qu'est-ce que tu fais donc dans cette belle position ? » L'autre
se redressa et répondit : « Tu ne vois donc pas qu'avec le vent de
mon derrière je fais tourner trente-six moulins dans cette petite
vallée et je pourrais bien en faire tourner le double, si je voulais ! »
Après avoir marchandé il se loua pour cent francs et monta dans la
voiture. Enfin on arriva à Paris.
Le roi, qui avait été prévenu que la voiture qui marchait toute
seule arrivait, se tenait au milieu de toute sa cour sur le balcon de
son palais. Quand il vit tous ces associés qui étaient en braies et en
vestes toutes percées, cela ne lui plut pas beaucoup et il regretta son
engagement. Il dit : « Tu as la voiture qui marche toute seule, c'est
vrai, mais pour gagner ma fille il faut quelque chose de plus. Parmi
tes associés, en as-tu un qui serait capable de manger cent tourtes de
pain d'affilée ?» Le fils de Marguerite se tourna du côté de l'homme
qui léchait la gueule du four et lui demanda : « Toi qui aimes tant le
pain, peux-tu faire cela ? » L'homme répondit : « Amenez, amenez !
j'en mangerai le double s'il le faut ! » En effet, les cent tourtes de pain
y passèrent comme si de rien n'était. Le roi le regardait manger, tout
étonné ; il dit : « En effet tu as un compagnon qui a un bel appétit ;
il coûtera cher à nourrir, mais en aurais-tu un qui pourrait boire cent
barriques de vin ? » Pour lors, le garçon se tourna du côté de
l'homme qui léchait une douve de barrique : « Pourrais-tu faire
cela ? » dit-il. L'autre répondit : « Boire cent barriques de vin, ce
n'est rien, après j'aurai encore soif. » Les cent barriques passèrent
comme les cent tourtes avaient passé. Le roi de plus en plus étonné dit
: « Pour le boire et le manger, il n'y a rien à dire, mais en aurais-tu un
qui ferait l'aller et le retour de Paris à Bordeaux aussi vite que la
malle poste ? — Toi, demande le jeune garçon à l'homme qui avait
deux meules aux pieds, pourrais-tu faire cette course ? — Pour sûr
que je la ferai et même je n'ôterai qu'une roue et encore j'arriverai
bien en avance. » En effet, l'homme laissa partir la malle poste puis il
enleva une roue de ses pieds et le voilà parti comme si le diable
l'eût emporté. Il eut bien vite rattrapé puis dépassé la malle et il
arriva a Bordeaux bien avant clic. Comme il riait en avance il se
dit : • J'ai bien le
174
ANTHOLOGIE
temps de repartir ; j'ai soif et faim, je vais aller casser une croûte et
boire un coup. » II cassa une croûte mais au lieu de boire un
coup il en but deux, puis trois et il fit si bien qu'il s'endormit à
table. La malle poste était arrivée et repartie que l'homme dormait
toujours ; elle n'était plus qu'à cinq lieues de Paris quand le fils
de Marguerite, inquiet, dit à l'homme qui entendait carder la laine : «
Pourrais-tu me dire ce que fait mon associé, s'il est avant la malle
poste et s'il est encore loin ? » L'homme écouta un moment et
répondit : « Notre associé ronfle dans une auberge à Bordeaux et la
malle n'est plus qu'à cinq lieues de Paris. — Jamais il n'arrivera, dit
le garçon ; mais toi qui lances si bien les pierres, si tu pouvais le
réveiller ! — Bien sûr que je le puis », dit l'autre et il choisit dans sa
poche une pierre plate, prit son élan et la lança. La pierre passa par
un carreau de l'auberge où le coureur s'était endormi et lui
tomba sur l'épaule. Il se réveilla en se frottant les yeux et regarda
l'heure ; il dit : « Je suis joliment en retard, mais il n'y a encore
rien de perdu, seulement il faut que j'enlève l'autre meule. » Quand la
meule fut enlevée il partit à une allure si rapide qu'il arriva un
quart d'heure en avance sur la malle poste.
Le roi en resta coi et sa fille, qui était à côté de la voiture, riait
sous cape. Le garçon, qui avait peur d'autres exigences, la prit i
bras le corps, la mit dans sa voiture et partit avec tous ses associés.
Le roi en colère fit braquer des canons sur la voiture et les artil-
leurs allaient faire tonner les pièces, lorsque l'homme qui faisait
tourner les moulins s'appuya sur le devant de la voiture et lâcha
une telle ventée que les canons et les canonniers en sautèrent en
l'air, si haut qu'ils ne sont pas encore retombés sur terre ; peut-
être sont-ils allés dans la Lune.
Le roi fut obligé de donner sa fille en mariage au fils de Mar-
guerite et ce fut la première fois que la voiture qui marche toute
seule servit à faire un mariage.
(Louis Queyrat, Contribution à l'étude du parler de la Creuse, 1924.)
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
D'Aulnoy (Mme), Belle-Belle et le chevalier Fortuné, in Contes nouveaux ou
les fées à la mode, 1698.
CONTES MERVEILLEUX 175
BIBLIOGRAPHIE :
Cosquin (E.), Les contes indiens et l'Occident, 1922, p. 427-482 et 529-612.
Delarue (P.), Commentaire au conte 11 de A. de Félice, Contes de Haute-
Bretagne, p. 259-262.
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
orge. Il faut mettre chaque sorte de grain dans un tas à part, sans
vous tromper d'un seul grain, et que ce soit fini pour le coucher
du soleil ! Puis elle s'en alla.
Louis appela à son secours les fourmis, et le triage fut fait on
ne peut mieux, pour l'heure dite. Aussi, quand la princesse vint,
au coucher du soleil, fut-elle bien étonnée. Elle examina de près, et
ne trouvant pas un seul grain d'une espèce différente dans chacun
des trois tas :
— C'est fort bien ! dit-elle.
— Viendrez-vous avec moi, à présent, princesse ? lui demanda
encore Louis.
— Pas encore ; j'ai autre chose à vous demander auparavant.
En effet, le lendemain matin, elle lui donna une cognée de bois,
et, l'ayant conduit dans la grande avenue du château, elle lui dit,
en lui montrant les grands chênes :
— Il faut m'abattre tous ces arbres, avant le coucher du soleil,
avec votre cognée de bois. Puis elle s'en alla. Dès que la princesse
fut partie, Louis appela les lions à son secours, et, quand elle revint,
au coucher du soleil, il n'y avait plus un seul arbre debout dans
l'avenue. Son étonnement ne fit qu'augmenter.
— Me suivrez-vous, à présent, princesse ? lui demanda Louis.
— J'ai encore un autre travail, une dernière épreuve à vous donner,
répondit-elle, et si vous vous en tirez aussi heureusement que des
deux autres, rien ne s'opposera plus à ce que je vous suive.
Le lendemain matin, la princesse le conduisit au pied d'une
grande montagne et lui dit :
— Voici une montagne qui offusque mon palais et m'empêche
de voir au loin, et je désire qu'elle ait disparu pour le coucher du
soleil. Et elle s'en alla encore.
Louis appela, cette fois, les éperviers à son secours, et avec leurs
becs et leurs griffes, ils eurent bientôt, tant ils étaient nombreux,
fait disparaître la montagne et aplani le terrain. Quand la princesse
revint, au coucher du soleil :
— Eh bien ! princesse, êtes-vous satisfaite ? lui demanda Louis.
— Oui, répondit-elle, vous n'avez pas votre pareil au monde,
et, a présent, je vous suivrai, quand vous voudrez.
Et clic lui donna alors un baiser. Ils se dirigèrent ensuite vers
CONTES MERVEILLEUX 181
la mer. Le bâtiment sur lequel Louis était venu dans l'île était tou-
jours là, l'attendant. Ils montèrent dessus et abordèrent sans encombre
au continent.
Le vieillard les attendait de l'autre côté de l'eau.
— Eh bien ! mon fils, demanda-t-il à Louis, avez-vous réussi ?
— Oui, grand-père, grâce à vous, et que Dieu vous bénisse. Quand
la princesse arriva à la cour, le vieux roi fut tellement charmé de sa
beauté qu'il voulut l'épouser sur-le-champ.
— Holà ! dit-elle alors, je ne suis pas venue ici pour un vieux
barbon comme vous, ni pour cet autre — et elle montrait le faux
filleul — que vous croyez être votre filleul, et qui n'est qu'un
démon ! Votre vrai filleul, le voici, et c'est lui qui sera mon époux.
Et elle montrait Louis.
— A présent, faites chauffer un four, et qu'on y jette ce diable !
Ce qui fut dit fut fait. Et comme le démon, autrement le faux
filleul, poussait des cris affreux et essayait de sortir du feu, on fit
venir une jeune femme portant son premier enfant, et, avec son
anneau de mariage, qu'elle lui présentait, à l'ouverture du four,
quand il voulait sortir, elle le força d'y rester. Alors il s'écria :
— Si j'étais resté à la cour, un an seulement, j'aurais réduit le
royaume à un état désespéré !
Mais il lui fallut crever là.
Alors Louis fut marié à la princesse de Tronkolaine. Le vieux
charbonnier, sa femme et tous ses enfants furent aussi de la noce.
— C'est là qu'il y eut un festin, alors ! Et un tintamarre et un
vacarme et des bombances éternelles ! Les cloches sonnant à toutes
volées, la grande bannière sur pied, et les violons devant !
Conté par Marguerite Philippe, de Pluzunet, Côtes-du-Nord.
(Luzel, Contes populaires de Basse-Bretagne, 1887.)
II était une fois des gens qui avaient autant d'enfants qu'il y a de
trous dans un tamis. Il leur vint encore un petit garçon. Comme
personne dans le village ne voulait î-trc parrain, le père s'en alla
182
ANTHOLOGIE
sur la grande route pour tâcher d'en trouver un. A quelques pas
de chez lui, il rencontra un homme qui lui demanda où il allait.
C'était le bon Dieu. « Je cherche un parrain pour mon enfant »,
répondit-il. — « Si tu veux, dit l'homme, je serai le parrain. Je
reviendrai dans sept ans et je prendrai l'enfant avec moi. » Le père
accepta la proposition, et l'homme donna tout l'argent qu'il fallait
pour le baptême ; puis, la cérémonie faite, il se mit en route.
Le petit garçon grandit, et les parents l'aimaient encore mieux
que leurs autres enfants. Aussi, quand au bout des sept ans le parrain
vint pour prendre son filleul, ils ne voulaient pas s'en séparer. « II
n'y a pas encore sept ans », disait le père. — « Si fait, dit le
parrain, il y a sept ans. » Et il prit l'enfant, qu'il emporta sur son
dos.
Chemin faisant, l'enfant vit par terre une belle plume. « Hé !
ma mule, hé ! ma mule !, dit-il, laisse-moi ramasser cette plume20 ! —
Non, dit le parrain. Si tu la ramasses, elle te fera bien du mal. » Mais
le petit garçon ne voulait rien entendre, et force fut au parrain de
lui laisser ramasser la plume. Ils continuèrent leur route et
arrivèrent chez un roi. Ce roi avait de belles écuries et de laides
écuries ; il avait de beaux chevaux et de laids chevaux. L'enfant
passa sa plume sur les laides écuries du roi, et elles devinrent aussi
belles que les belles écuries du roi ; puis il la passa sur les laids
chevaux du roi, et ils devinrent aussi beaux que.les beaux chevaux du
roi. Le roi prit l'enfant en amitié et le garda près de lui.
Les serviteurs du palais devinrent bientôt jaloux de l'affection
que le roi témoignait au jeune garçon. Ils allèrent un jour dire à
leur maître qu'il s'était vanté d'aller chercher l'oiseau de la plume.
Le roi le fit appeler. « Mon ami, on m'a dit que tu t'es vanté d'aller
chercher l'oiseau de la plume. — Non, sire, je ne m'en suis pas
vanté. — Que tu t'en sois vanté ou non, mon ami, si je ne l'ai pas
demain pour les neuf heures du matin, tu seras pendu. »
20. Bien que le récit ne le dise pas expressément, le parrain, que nous venom de
voir emporter l'enfant sur son dos, a pris la forme d'une mule. — La jeune fille dont
nous tenons ce conte interprétait dans un sens figuré ces mots : « Hé ! ma mule, hé ! ma
mule ! » II est évident qu'il faut les prendre à la lettre. Dans la plupart des contes de
ce type, le héros est aidé dans ses entreprises par un cheval merveilleux, et nous
ajouterons que, dans un de ces contes, recueilli en Basse-Bretagne, la Sainte Vierge est
envoyée par Dieu au jeune homme sous la forme d'une jument blanche.
CONTES MERVEILLEUX 183
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
D'Aulnoy (Mme), La Belle aux cheveux d'or, in Les contes de fées, 1697.
Littérature de colportage : Histoire de la Belle Hélène.
ANTHOLOGIE
fourchette et pique dans la casse 24. J'y ai mis notre vieux geault, tu
verras s'il est cuit. L'enfant obéit.
— Holà ! mauvaise sœur, dit une voix, tu me piques !
— Mère ! s'écria la fillette effrayée, ça parle dans la casse !
— Non, non, répondit la mégère, tu rêves, donne-moi la fourchette
et va-t-en dehors. Puis elle piqua à son tour.
— Holà ! méchante mère, tu me tues ! Mais la mère versa le
contenu de la marmite dans un plat, découpa la tête et rappelant la
petite fille ;
— Va porter le vieux geault à ton père, il doit avoir faim.
— Avant que d'y aller, dit la fillette, donnez-moi à boire, ma
mère, car j'ai grand soif.
— Prends le vin qui est dans le pichet et bois un coup. L'enfant
versa le contenu dans un verre et le sang en coulant disait :
— Oh ! vilaine Nannette ! ne bois pas le sang de ton frère.
La fillette ne but pas et prenant le goûter de son père, s'en fut
le lui porter.
En son chemin, elle rencontra la vierge de la forêt, la bonne
fade25, celle qui protège les vieux chênes26, laquelle lui demanda où
elle allait.
— Je porte à manger à mon père.
— Que lui portes-tu donc là ?
— Notre vieux geault, bonne dame.
— Fais voir.
Et quand l'enfant lui eut montré ce qu'elle portait.
— Eh bien, reprit la fade, écoute-moi bien. Tous les os que ton
père jettera, tu les ramasseras et les porteras sous cette petite aubépine
( j i i f tu vois là prPh du sniiirr n m diiiis : l ' i n n i h , fl i - i i i i s j mon
ANTHOLOGIE
petit épinat de bon pin. Puis tous les jours tu passeras à cet endroit et
tu regarderas.
La fillette continua sa route, elle trouva son père auquel elle
remit le hideux repas. Il se mit à manger et à mesure qu'il jetait
les os loin de lui, la petite les allait chercher, et les ramassait jusque
dans les fossés pleins d'eau qui ne la mouillaient pas. Puis, ainsi
que le lui avait commandé la grand-Fade, elle les porta sous
l'aubépine.
Et tout le temps que dura cette affreuse pâture, pendant plu-
sieurs jours, Nannette portait les os sous l'épinat et regardait. Elle
vit bientôt sortir de terre un bras, une main, une jambe ; tous les
membres de son frère repoussaient à mesure que la fillette rapportait
les os. Lorsque le corps fut complet, un soir que tout le monde était
couché, il se métamorphosa en petit geault et chanta à la lune levante
:
« Cott'co li jô !
Ma mère m'a tué !
Mon père m'a mangé ! /
Ma sœur m'a sauvé ! »
— Qui donc chante à pareille heure ? observa la belle-mère. Va
donc voir, mon homme.
Son homme sortit et reçut sur la tête un chapeau de poils de
loup, ce qui ne laissa pas que de le surprendre, mais il rentra se
coucher en pensant qu'il se promenait dans le sommeil, c'est-à-dire
qu'il était somnambule (cornambuse, comme on dit en Berry).
Le petit geault chanta de nouveau :
« Cott'co li jô ! Ma
mère m'a tué ! Mon
père m'a mangé ! Ma
sœur m'a sauvé ! »
— Sors donc, toi, petite, dit le père.
La fillette obéit, et sur le pas de la porte, tomba une bourse
pleine d'or à ses pieds.
Pour la troisième fois le petit coq chanta.
CONTES MERVEILLEUX 189
« Cott'co li jô ! Ma
mère m'a tué ! Mon
père m'a mangé ! Ma
sœur m'a sauvé ! »
— Sors donc, femme, dit le bûcheron, tu attraperas peut-être
aussi quelque chose ?
La méchante femelle sortit à son tour et reçut sur la tête une
grosse pierre qui la tua roide morte.
Ainsi finit le conte.
Extrait des Nouveaux contes du Berry, recueil inédit de Mlle Aurore
Sand.
(Maurice Sand, Revue des Traditions populaires, III, 1888.)
BIBLIOGRAPHIE
Geninasca (Jacques), Conte populaire et identité du cannibalisme, Nouvelle
Revue de psychanalyse, 6, 1972.
CHAPITRE II
Contes facétieux
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Versus de Unibove, poème latin du Moyen Age.
Andersen (Hans-Christian), Lille Claus og Store Claus (Le petit Claus et le
grand Claus), Contes, 1835.
BIBLIOGRAPHIE :
Muller (Joseph), Das Màrchen von Unibos, léna, 1937.
II était une fois un petit garçon qui n'était pas trop fin. Sa mère
lui dit : « Je vais aller au marché ; tu vas chasser les mouches pour
qu'elles n'ennuient pas ton frère et tu leur donneras des coups de
marteau pour les tuer. »
194 ANTHOLOGIE
(C'était une pauvre femme veuve qui avait un pauvre gars qui
n'était pas trop dégourdi.)
... Une fois, Jean le Sot était enrhumé. Voilà que sa mère lui
dit:
— Dis donc, Jean le Sot, t'es bien enrhumé, mon fils. Si t'al-
lais à la foire, tu m'achèterais bien un pot, pour te faire chauffer
du vin, le soir ? Tu sais ben comme il le faut ? Il faut un pot en
terre, un trois-pied.
Et voilà mon Jean parti à la foire, et il achète un pot. En reve-
nant, le voilà d'un coup qui s'arrête, regarde son pot :
— Fils de garce, qu'il dit, toi qu'as trois jambes, moi qui n'en ai
que deux, tu devrais ben marcher mieux que moi ! Voilà que
Jean pose son pot sur la route :
— Voyons, tu peux si ben marcher comme moi ; i ne veux plus te
porter ; i seus las ! Allons, voyons ! Marcheras-tu ?
Voilà qne Jean prend un liâion pour laper dessus, pour le faire
m;i/i lii-i, ri (oui en |c iiijiiiiii, mu (ni, il |'n i util/ |{| voilli jrun | MI/||
pour se rendre chcx. lui. lin arrivant sa mère lui demande :
— Tu n'as donc pas acheté un pot ?
— Et si !
— Eh' ben, où que tu l'as mis donc ?
— Ah ! qu'il dit, i l'ai porté ben loin ; mais lui avait trois jam-
bes, moi i n'en ai que deux : il pouvait si ben marcher comme moi ! I
l'ai mis sur la route, pour voir s'il marcherait ; i n'voulait pas marcher,
i ai pris un bâton, i ai tapé dessus, l'a mieux aimer se casser que de
marcher.
— Ah ! mon Dieu, faut donc qu'i sois bien malheureuse ! Il m'a
acheté un pot, et puis il me l'a cassé ! Faut qu'i aie bien du mal-
heur, donc !
196 ANTHOLOGIE
... Allons, une autre fois, sa mère lui donne encore une com-
mission ; elle lui dit :
— Voyons Jean. Si tu allais à la foire, tu m'achèterais un pot
de graisse.
Et voilà Jean le Sot parti à la foire. Il achète un pot de graisse.
Et, en se rendant, il trouve la terre qui était fendue, qui était sèche !
— Ah ! pauvre terre, qu'il dit, va, t'as bien besoin d'être grais-
sée, toi !
Et le voilà qui s'arrête, qui se met à graisser les fentes de la terre
avec sa graisse ; et plus il en mettait, plus il en entrait. Jean le Sot
mit toute sa graisse comme ça.
En arrivant, sa mère lui demande :
— Tu n'as donc pas acheté de graisse ?
— Oh ! M'man ! Ah ! si fait ben, i t'en ai acheté ! Mais i ai
trouvé quelqu'un en route qui en avait plus de besoin que toi, va !
Ah ! si t'avais vu, M'man ! Il y avait des grandes fentes dans la
terre ; si ai mis de la graisse, et plus i en mettais, plus elle en
mangeait !
— Ah ! mon Dieu, faut qu'i aie ben du malheur, donc ! Hé
ben ! Il m'a acheté de la graisse, et puis il me l'a toute laissée en
route. Oh ! Faut-il qu'i seie une femme ben malheureuse !
... Et Jean le Sot vieillissait. Un jour sa mère lui dit :
— Eh ben, Jean le Sot, si tu allais voir les femmes, toi tou ? 0
l'est ben temps, à cette heure ! T'es ben assez vieux ; allons,
voyons ! Vas-y donc !
— Et qu'i que tu veux qu'i aille faire, M'man ?
— Eh ! ben, on s'y en va pour s'y amuser, comme les autres, et
en s'en allant, on se dégourdit un p'tit bout, on chante... On
regarde les filles, comme ça, on leur lance de bonnes œillades !
Voilà que Jean le Sot, le lendemain, va dans le toit à ses ouailles
(ses brebis), arrache tous les yeux à ses ouailles ; il en avait toutes ses
pleines poches ; et le soir, il s'en retourne voir les filles. En arrivant
auprès de ces filles, la première qui passe :
— Ta, te voilà une œillade, toi !
Une autre passe :
— T'en v'ià deux, toi, parce qu'i t'aime mieux ! La
Jeannette arrive :
CONTES FACÉTIEUX 197
ANTHOLOGIE
CONTE DE MENTBRIE
Michel Morin envoya ses trois fils A la chasse : l'un n'avait pas
d'yeux ; l'autre était sans bras ; le troisième n'avait pas de jambes, et
le quatrième n'avait pas d'habits.
CONTES FACÉTIEUX 199
Celui qui n'avait pas d'yeux aperçut un lièvre à cinq cent pas ;
celui qui n'avait pas de bras tira dessus et le tua ; celui qui n'avait
pas de jambes courut le ramasser, et celui qui n'avait pas d'habit le
mit dans sa poche.
Ils étaient sur le bas du sommet d'une montagne, et ils montè-
rent dans le fond d'un vallon : arrivés là, ils aperçurent une maison
qui n'avait ni portes ni fenêtres. Celui qui n'avait pas de bras frappa
un coup de poing dans la porte, et demanda avec quoi faire cuire un
lièvre qui n'était pas pris. Un grand homme, qui n'était pas là,
leur a répondu :
— Nous avons tout ce qu'il faut pour cela : nous avons trois
marmites dont deux sont défoncées, la troisième n'a que les côtés, et
quand on met quelque chose dedans, la graisse monte par dessus
les bords.
Devinez s'il y a là-dedans un mot de vrai.
Récité par Jean Bouchery, de Dourdain, 1878.
(Paul Sébillot, Littérature orale de la Haute-Bretagne, 1881.)
ANTHOLOGIE
Randonnées
1. Je suit forci de forger Ici verbct, imprimé» en italique, pour traduire leurs
corrcipondanu en fticon.
RANDONNÉES 203
Contes d'animaux
T. 15 LE RENARD-PARRAIN,
T. 41 LE LOUP PUNI DE SA GOURMANDISE,
T. 1 LE LOUP FAIT LE MORT, T. 2 LA PÊCHE A LA QUEUE,
T. 2 D LA QUEUE SOUDÉE
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
T. 41 (LE LOUP PUNI DE SA GOURMANDISE) :
Escope, Vulpes ventre tumefacto, Fable 12.
Bozon (Nicole), Contes moralises, n° 145.
CONTES D'ANIMAUX 207
BIBLIOGRAPHIE :
Sudre (Léopold), Les sources du « Roman de Renan », Paris, 1932. Carnoy
(Henry) Les contes d'animaux dans le « Roman de Renan », Paris, 1889.
1. Outille : brcbi».
2. Ignâs : agneaux.
208
ANTHOLOGIE
ANTHOLOGIE
PARALLÈLES LITTÉRAIRES :
Marie de France, De la chèvre et ses chevriax, Fable 40.
BIBLIOGRAPHIE :
Rôheim (Géra), The Wolf and thé seven kids, Psychoanalytical
Quarterly, XXII, 1953. Flahaut (François), Histoires de loups,
Topique, 11-12, 1974.
4. Beurrière : anse.
5. Musé : tardé.
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIES
ÉTUDES GÉNÉRALES
Etudes françaises : « Conte oral, conte écrit », vol. 12, n° 1-2, Montréal,
1976.
Nord : « Contes et Légendes », n° 7, 1977.
Bref, n° 14, Paris, 1978.
Le Français aujourd'hui : « Les contes », n° 43, Paris, 1978.
Fabula, 20 Band, Heft 1/3, Berlin, 1979.
Magazine littéraire : « Contes et mémoire du peuple », n° 150, Paris, 1979.
Critique, n° 394, Paris, 1980. Degrés : « Le conte populaire », n° 23, 1980.
Littérature : « Les contes », n° 45, février 1982.
Straparola (G. F.), Le piacevoli notte, Venise, 1550, 1553. Tr. fr, : Les facé-
tieuses nuits de Straparole (1560, 1572), 1857.
Basile (G.), Lo cunto de li cunti, dit « il pentamerone », Naples, 1634, 1636,
partiellement traduit en français par Charles Deulin dans Les contes de
ma mère Loye avant Perrault, Paris, Dentu, 1878.
Lhéritier de Villandon (Jeanne), Œuvres meslées, 1694.
Perrault (Charles), Histoires ou contes du temps passé (1697), Paris, Garnier,
1967.
216 LE CONTE POPULAIRE
Carnoy (H.)> Les contes d'animaux dans les romans de Renan, Paris, 1889.
D'Aulnoy (comtesse). Contes nouveaux ou les fées à la mode, 1698. Les contes
de fées. Contes choisis, Paris, 1882.
Leprince de Beaumont (Mme), Contes de fées, réimpr., Paris, 1865.
Sébillot (Paul), Gargantua et les traditions populaires (1883), Paris,
Maisonneuve-Larose, 1967.
Bédier (Joseph), Les fabliaux (1894), Paris, Champion, 1964.
Castex (P.-G.), Le conte fantastique en France, Paris, Corti, 1951.
Barchilon (Jacques), Le conte merveilleux français de 1690 à 1790, Paris,
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Michel (M.), A propos du conte fantastique, Nouvelle Revue française, n°
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Dubuis (R.), La genèse de la nouvelle en France au Moyen Age, CA1EF, n°
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Kasprzyk (K.), Nicolas de Troyes et le genre narratif en France, Paris, Klinck-
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Brochon (Pierre), Le livre de colportage en France depuis le XVI- siècle, Paris,
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Soriano (Marc), Les contes de Perrault. Culture savante et culture populaire,
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Bozoky (E.), Roman arthurien et conte populaire : les règles de conduite et
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BIBLIOGRAPHIE 217
LES CONTEURS
STYLISTIQUE DU CONTE
SÉMIOTIQUE DU CONTE
Lévi-Strauss (Claude), La structure des mythes, Anthropologie structurale,
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Greimas (A.-J.), Le jeu des contraintes sémiotiques, La mythologie com-
parée, La quête de la peur, La structure des actants, Du Sens, Paris,
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222 LE CONTE POPULAIRE