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XLV
Michel Sirvent
Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions
de “ISO 9706:1994, Information et documentation - Papier pour documents -
Prescriptions pour la permanence”.
The paper on which this book is printed meets the requirements of “ISO
9706:1994, Information and documentation - Paper for documents -
Requirements for permanence”.
ISBN: 978-90-420-2279-9
©Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2007
Printed in The Netherlands
Préface du directeur de la Collection
Michaël Bishop
Nice et Halifax, Nouvelle-Écosse
Mars 2007
I. PEREC HÉTÉROGRAPHE
ouverture sur le public et que ce n’est qu’à partir de 1978 que l’on a
commencé à s’intéresser à ses ouvrages antérieurs 10.
La reconnaissance est surtout posthume et c’est à la fin des années
quatre-vingt-dix que l’œuvre trouve véritablement sa place dans le
panthéon de la littérature contemporaine. On peut retracer les temps
forts de cette réception à partir des années quatre-vingt. Un an après le
décès de Perec, une revue à grande distribution Le Magazine littéraire
lui consacre un premier numéro spécial (mars 1983). On y trouve un
article important d’un ami oulipien, "Le catalogue d’une vie" d’Harry
Mathews. L’année suivante (1984) est celle de la première mono-
graphie, The Poetics of Experiment, ainsi que du premier grand
colloque de Cerisy dirigé par Bernard Magné et dont les actes
constituent la première livraison des Cahiers Georges Perec11. En
France, le livre de Claude Burgelin, Georges Perec (1988) dans la
collection "Les contemporains", marque ensuite une étape importante.
La même année voit paraître un numéro spécial de la revue Textuel
(1988), "W ou le souvenir d’enfance: une fiction" qui reprend des
travaux présentés à un séminaire tenu en 1986-8. Au début de la
décennie suivante, l’on note le numéro spécial de la revue québécoise
Études littéraires sous-titré "Écrire/transformer" (1990) et la parution
de La Mémoire et l’oblique (1991) de Philippe Lejeune, véritable
modèle de critique génétique sur W ou le souvenir d’enfance12. En
1993 Le Magazine littéraire propose un second numéro sur Perec 13
tandis qu’une autre revue qui fait autorité dans le domaine de la
littérature étrangère aux États-Unis, The Review of Contemporary
Fiction présente une série d’articles et d’entretiens. La même année
paraissent Le Cahier des charges de La Vie mode d’emploi, le livre de
Jacques Neefs et Hans Hartje Georges Perec Images, celui de Jean
Duvignaud Perec ou la cicatrice, le premier numéro d’une revue
universitaire Le Cabinet d’amateur vouée aux études perecquiennes 14
L’éditorial commente la citation en ces termes: "Cette minutie n’est pas seulement
geste de prudence, précaution indispensable pour approcher une écriture multipliant
pièges et leurres, mais aussi le meilleur hommage que l’on puisse rendre à l’artisan
pour qui écrire, c’était d’abord "arracher quelques bribes précises au vide qui se
creuse" (http://www.cabinetperec.org/.)
15 Jean-Didier WAGNEUR, "Perec percé", jeudi 18 novembre 1993, p. 24.
16 Aux PUF, Leçon littéraire sur W ou le souvenir d’enfance d’Andrée
CHAUVIN; dans la collection "Foliothèque" chez Gallimard, l’étude d’Anne ROCHE
qui accompagne l’édition en livre de poche de W sous la couverture de
"L’imaginaire"; chez Hachette Education, W ou le souvenir d’enfance, de Perec:
étude de l’œuvre de Tiphaine SAMOYAULT; aux éditions Ellipses, un ouvrage
collectif, Analyses et réflexions sur W ou le souvenir d’enfance, L’Humain et
l’inhumain.
Perec hétérographe 11
W en effet n’est qu’un livre. Après une citation qui a alimenté ce qui
est devenu un des topoi de la critique perecquienne:
j’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile
et que la trace en est l’écriture: leur souvenir est mort à
l’écriture: l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation
de ma vie.19
l’article conclut sur un autre lieu commun qui a le mérite d’asseoir les
positions et de bien situer les termes de l’éternel débat sur les
fonctions de la littérature: "Le reste est précisément, littérature"20.
L’orientation que donne ce numéro de L’Arc dans notre reception
de l’œuvre perecquienne perdure aujourd’hui comme en témoignent
les dernières lignes du compte rendu du journal Libération sur les
deux volumes d’Entretiens et conférences:
Les puzzles de Perec ont tous une pièce manquante, un vide
où son œuvre, de W ou le souvenir d’enfance à l’Arbre, est
aspirée. L’histoire avec sa grande H, disait l’écrivain: la Shoah.
"Je suis juif. Pendant longtemps, ce ne fut pas évident pour moi.
Intertextualités
L’entretien entre Perec et Jean-Marie Le Sidaner qui inaugure ce
même numéro de L’Arc donne pourtant une image beaucoup plus
éclectique et complexe de l’œuvre. Perec met entre autre l’accent sur
l’inscription intertextuelle et autotextuelle de ses livres. L’inscription
intertextuelle:
Chacun de mes livres est pour moi l’élément d’un
ensemble: [cet ensemble] s’inscrit lui-même dans un ensemble
beaucoup plus vaste qui serait l’ensemble des livres dont la
lecture a déclenché et nourri mon désir d’écrire.
L’inscription autotextuelle:
[…] d’une façon peut-être plus élaborée, je crois qu’il s’agit
de relier entre eux mes différents livres, de fabriquer un réseau
où chaque livre incorpore un ou plusieurs éléments venus d’un
livre antérieur (ou même postérieur: d’un livre encore en projet
ou en chantier): ces autoréférences commencent à apparaître
dans La Disparition (qui commence comme une traduction sans
E de Un homme qui dort): elles se développent plus ou moins
sciemment dans La Boutique obscure, Espèces d’espaces, W, et
sont beaucoup plus manifestes dans La Vie mode d’emploi qui
utilise des éléments venus de presque tous mes autres textes.
Polygénéricité
Auteur du plus grand lipogamme de la littérature mondiale, de
quelques palindromes fameux et de fulgurants poèmes hétéro-
grammatiques, Perec appartient désormais au panthéon littéraire.
Cependant, l’on retient tantôt le côté virtuose de l’écriture, ainsi chez
les premiers défricheurs de l’œuvre (B. Magné, M. Ribière); tantôt sa
dimension autobiographique (Ph. Lejeune, D. Bellos); tantôt, et plus
40 ibid., p. 35.
41 "Le livre le plus facile à écrire, c’est La Disparition finalement. La contrainte
étant posée, on écrit huit lignes par heure, huit heures par jour, quatre jours par
semaine, et puis, au bout d’un an, on a le livre. L’histoire se fait au fur et à mesure,
l’écriture se confond avec le projet", entretien avec B. POUS, EC2, p. 184-5.
42 Le début du roman lipogrammatique "commence comme une traduction sans e
d’Un homme qui dort", entretien avec Jean-Marie LE SIDANER, L’Arc (1979), p. 5.
43 Comme pour l’intertextualité, la réécriture hypertextuelle peut impliquer ou
bien des textes allographes, il s’agit alors d’hyper(allo)textualité; ou bien des textes
issus du même graphotexte, il s’agit alors d’hyper(auto)textualité.
44 La paronomase insue qui conforte la notion d’auteur sous le préfixe "auto" peut
expliquer le glissement qui souvent conduit à privilégier un ensemble "autarcique" ou
autocentré plutôt que le rapport dynamique et différentiel entre des textes distincts. Le
passage de l’autotextualité à l’interprétation téléologiquement orientée vers l’auto-
biographique semble parfaitement illustré dans la conclusion que propose M. van
MONTFRANS à Un homme qui dort, Georges Perec/La contrainte du réel (1999), p.
121.
Perec hétérographe 19
45 Entretien avec J.-M LE SIDANER, art. cit., p. 3 (c’est moi qui souligne). Voir
aussi p. 7 où PEREC oppose ses propres "modèles" à ceux de la littérature consacrée.
46 PEREC le redit souvent au fil des entretiens, notamment dans celui avec Jean-
Jacques BROCHIER (1978) à propos du côté "expérimental" de l’Oulipo: "Par
exemple, je tiens absolument à ce qu’aucun de mes livres ne se répète, que chacun ait
un aspect différent", EC1, p. 238; avec P. FARDEAU (1979) pour La Vie mode
d’emploi, EC2, p. 58; ou encore avec Bernard MILLUY (1981), EC2, p. 305.
47 W. MOTTE souligne bien la forte hétérogénéité de l’œuvre perecquienne dans
son chapitre sur l’autoréférence, The Poetics of Experiment (1984), p. 38.
20 Perec ou le dialogue des genres
Modèles de lecture
L’aspect fragmentaire des textes est aussi un trait que l’auteur
revendique. Il est devenu indissociable de l’image du puzzle. À ce qui
est devenu un métonyme de l’œuvre s’attache le nom d’un personnage
emblématique, Bartlebooth dont la création est le résultat d’un nom-
49 "Son nom donne une clé, puisqu’il s’appelle Bartlebooth, mélange de Bartleby,
le copiste de Melville, et de Barnabooth, le voyageur de Larbaud: deux des person-
nages littéraires les plus fascinants que je connaisse, l’un qui est la pauvreté, le
dénuement absolu, l’autre qui est la richesse et aussi une recherche de l’absolu. Tous
deux m’ont permis de faire ce personnage effectivement roussélien, qui consacre sa
vie à une futilité…", entretien avec J.-J. BROCHIER (1978), EC1, p. 238.
50 Ce sont les premiers mots de l’entretien avec J.-M. LE SIDANER (1979), p. 3.
51 "La vie: règle du jeu", propos recueillis par Alain HERVÉ (1978), in EC1, p.
268.
22 Perec ou le dialogue des genres
61 W, V, p. 29.
62 Un peu comme chez ROBBE-GRILLET où dans certains romans comme La
Maison de rendez-vous un même nom peut renvoyer à des protagonistes distincts,
Gaspard Winckler circule dans l’autotexte perecquien mais sans qu’il recouvre la
même identité: "Gaspard Winckler. Curieux personnage, vital pour moi je ne sais trop
comment, qui était faussaire dans mon troisième livre [Le Condottiere, 1960 inédit] et
qui est allé ensuite chercher mon propre souvenir d’enfance dans W", entretien avec
Jean ROYER (1979), EC2, p. 78 et note 6.
63 B. MAGNÉ, préface à "Georges Perec romancier" (2002), p. 13.
64 La figure de la disjonction consiste à mettre, au plan de l’expression, en
contiguïté ce que tout sépare au plan idéel. En grammaire, une conjonction ou une
particule est disjonctive quand elle "unit les expressions et sépare les idées". "Ou, soit,
ni, sont des mots disjonctifs, des conjonctions disjonctives", Le Trésor de la langue
française informatisé, désormais abrégé TLFI. Le "ou" du titre W ou le souvenir
d’enfance préfigure la disposition conjonctive-disjonctive du livre.
26 Perec ou le dialogue des genres
des matériaux, des registres, des régimes et des genres qui se mêlent
dans le graphotexte perecquien. L’écrivain en arrive peu à peu à
envisager "une attitude multidimensionnelle devant le travail de
l’écriture" dont le "but inavoué, monstrueux est de saturer le champ
d’écriture contemporain"65. Il s’agit d’une multidimensionnalité
modale, à la fois transgénérique et transartistique qui va "du roman
policier, de la science-fiction, du théâtre, de l’argument de ballet, de la
poésie et du livret d’opéra…"66. Perec le répète: "une ligne directrice
[…] est de ne pas faire deux fois le même livre"67. Plutôt qu’un auteur
polygraphe, l’on pourrait alors invoquer un scripteur hétérographe.
Scripteur: dans le sens où de Mallarmé à Valéry, puis de Barthes à
Ricardou, le scripteur peut se définir comme "le produit de son
produit"68. Contre tout déterminisme, à l’époque celui de Taine,
Mallarmé rétorquait:
Devant le papier, l’artiste se fait. Il [Taine] ne croit pas par
exemple qu’un écrivain puisse entièrement changer sa manière,
ce qui est faux, je l’ai observé sur moi69.
1. L’interrogation sociologique
Avec l’interrogation sociologique, c’est le monde quotidien que
l’écriture explore, en particulier du point de vue de l’espace qui nous
entoure. Cette voie, Perec la définit ainsi: "essayer de repérer dans la
6 Ibid.
7 Démarche "qui vise à rendre compte de l’ethnologie de nous-mêmes, à cerner
notre quotidien ordinaire, à interroger les trottoirs, les ustensiles, à débusquer ce qui
semble avoir cessé à jamais de nous étonner", entretien avec P. DELBOURG (1978),
EC1, p. 253. Voir aussi "Approches de quoi?" (Cause commune, 1973), L’infra-
ordinaire (1989), p. 11-2.
8 L’ambition d’exhaustivité, foncièrement utopique, est indissociable, comme le
souligne B. MAGNÉ, de celle de "restriction de champ", qu’elle soit chronologique
pour Les Choses ("cette histoire-là est une véritable analyse critique des signes et du
langage de cettte époque") ou grammatique pour La Disparition, préface à "Georges
Perec romancier" (2002), p. 12-3.
9 Op. cit., p. 151-177.
Les quatre champs 31
2. L’interrogation ludique
À la mort de Perec, Jacqueline Piatier titrait un article du Monde
"L’engagement d’un joueur". Un encart sur La Vie mode d’emploi
résumait: "toute l’humanité dans un formalisme"19. Perec rattache
explicitement cette "tendance" ludique à l’Ouvroir de Littérature
Potentielle20, au "travail sur le langage, sur l’écriture":
un travail au sens où on dit d’un pianiste qu’il travaille: il
fait des gammes, des exercices et, avant de commencer
l’interprétation d’un morceau, il se dérouille les doigts. Cette
direction [du jeu] apparaît dans tout le travail que j’ai fait à
l’Oulipo et donne parfois des ouvrages fondés entièrement sur
des contraintes littérales: lipogrammes (W, Les Revenentes)
anagrammes (Alphabets), palindromes, etc21.
39 Ibid.
40 "Histoire du lipogramme", Oulipo la littérature potentielle (1973), p. 87.
41 "LA LIPO (Le premier manifeste)", ibid., p. 21.
42 Sur les rapports entre La Disparition et Les Revenentes, voir notamment le
chapitre 1, "Formal Constraint", dans The Poetics of Experiment (1984) de W.
MOTTE, p. 30-33 et le chapitre 7 "Les romans lipogrammatiques" dans le Georges
Perec (1988) de Cl. BURGELIN, p. 93-118.
43 "Histoire du lipogramme", p. 91.
44 Conte qui n’est pas sans résonance canulardesque: il met en scène un principe
de réécriture qui s’obtiendrait de façon mécanographique, voir notre "Lettres volées
(métareprésentation et lipogramme chez E. A. Poe et G. Perec)" (1991), p. 12-30. Le
principe d’une réécriture transformationnelle selon des procédures un peu trop
mécaniques y semble parodié par anticipation.
38 Perec ou le dialogue des genres
commun mais qui était une vue théorique alors moins bien acceptée
quand ont paru ses premiers grands textes oulipiens50.
J. Roubaud le souligne, l’on ne peut certes ramener toutes les
recherches de l’Oulipo à la question des contraintes. Mais dans la
lignée du groupe le principe d’une littérature à contraintes s’impose
aujourd’hui grâce aux réflexions conduites notamment par la revue
Formules qui présente de nombreux travaux oulipiens et qui a
récemment consacré un numéro à Perec suivi d’un autre à Queneau 51.
À l’ère structuraliste pour laquelle l’expérience humaine traverse un
monde de signes et passe avant tout par le langage, l’imaginaire est
indissociable d’un travail ou d’un jeu au cœur même de la matière
verbale. Le champ "littéraire" s’offre comme terrain où toutes les
expérimentations sont possibles. Si Flaubert apparaît pour beaucoup
d’écrivains du Nouveau Roman et du post-Nouveau Roman comme
un modèle, c’est parce qu’en pleine esthétique réaliste et naturaliste,
l’auteur de Madame Bovary a élevé la prose au rang de la poésie en la
soumettant à des contraintes de forme et de style. Ainsi, outre les
reprises de scènes, d’images ou de fragments citationnels dans Les
Choses, Perec a calqué certaines de ses phrases sur certain moule
syntaxique emprunté à Flaubert: "j’ai construit mes phrases
exactement comme Flaubert construit les siennes, c’est-à-dire avec un
rythme ternaire"52. Avec ce premier roman publié intervient déjà la
contrainte – fût-elle locale – au cœur d’une esthétique rattachée au
réalisme critique53.
3. La voie romanesque
Si les chemins sont distincts, ils n’en partent pas moins d’une
interrogation que Perec qualifie de "centrale": "d’abord sur le roman,
ensuite en se précisant davantage sur l’écriture et ma relation à
l’écriture"64. Entre jeu et séduction, la troisième grande interrogation
touche au romanesque.
Écrire un roman, ce n’est pas raconter quelque chose en
relation directe avec le monde réel. C’est établir un jeu entre
l’auteur et le lecteur. Ça relève de la séduction65.
Capitaine Fracasse, puis signale que ses deux écrivains préférés sont RABELAIS et
J. VERNE ajoutant: "Tous deux ont le goût de l’accumulation", entretien avec G.
COSTAZ (Galerie des arts 1978), "Georges Perec: ‘J’ai fait imploser le roman’",
Ibid., p. 248.
78 Ibid. B. MAGNÉ précise que la réussite de La Vie mode d’emploi est de faire
"cohabiter" comme le peintre Valène "le quotidien le plus minuscule […] et les
aventures les plus improbables": "Un des traits spécifiques du romanesque
perecquien" pourrait bien résider dans l’effort de concilier les "deux dimensions
apparemment contradictoires" que sont, d’un côté le romanesque, de l’autre,
l’orientation sociologique. Avec celle-ci, en effet, "Perec se donne comme objet ‘non
plus l’exotique, mais l’endotique’ c’est-à-dire l’infra-ordinaire", préface à "Georges
Perec romancier" (2002), p. 26.
79 "Le ‘prosaïsme pur’ se distingue foncièrement des programmes réalistes et
naturalistes. Bien que beaucoup de textes réalistes ou naturalistes comportent des
dénonciations du romanesque, le programme qu’ils mettent en œuvre n’est pas de
nature antiromanesque. Le ‘réel’ du réaliste, tout autant que celui du naturaliste, n’est
pas la réalité ‘prosaïque’", J.-M. SCHAEFFER, "Le romanesque" (2002), p. 8.
48 Perec ou le dialogue des genres
80 Ibid., p. 7. "[…] une narration ne peut être dite romanesque que lorsque l’acte
de représentation narrative des sentiments et des passions adhère aux passions et
sentiments représentés", p. 6.
81 Ce tournant plus ouvertement romanesque coïncide avec l’arrêt soudain d’une
cure psychanalytique commencée plusieurs années auparavant. Cette cure se termine
en même temps que la rédaction de W ou le souvenir d’enfance. Dans l’entretien avec
P. FARDEAU (France nouvelle 1979), après avoir évoqué La Boutique obscure,
PEREC signale: "le travail analytique s’est achevé dans W, je pense que c’est
suffisamment sensible", EC2, p. 67.
Les quatre champs 49
4. La dimension autobiographique
Après le champ sociologique, Perec signale "une sorte de tendance
autobiographique"83. Non moins que les voies romanesques et ludico-
formelles, cette interrogation part de sa "relation à l’écriture":
C’est encore peu manifeste dans Les Choses, dans Un
homme qui dort, fondés sur des supports autobiographiques, des
éléments autobiographiques, et c’est tout à fait apparent dans W
où fiction et autobiographie s’entremêlent et s’éclairent l’une
l’autre84.
romans ainsi qu’il s’affiche, forme par définition ouverte à tous les
croisements génériques, s’il affleure dans des textes beaucoup moins
personnels, reste à usage strictement auctorial. "Cachés", ces éléments
peuvent n’être guère détectables sauf par la voie du paratexte et, donc,
de manière indirecte95: en s’évadant du texte proprement dit pour
baguenauder dans un autre à teneur strictement biographique et que,
s’il n’existait pas, l’on reconstituerait en glanant ici ou là diverses
informations personnelles. Si maints biographèmes émaillent l’œuvre
entière de Perec, à l’entendre, ils semblent moins s’adresser au lecteur
qu’à celui-là même qui les parsème dans les mailles du texte, à savoir
leur auteur ("pour moi"). Bref, le cryptage autant que le décryptage de
ces ponctuels autobiographèmes s’avèrent au départ à vocation
strictement autocentrique96.
À côté des écrits déclarés tels, l’on admet souvent qu’un certain fil
autobiographique traverse de part en part l’œuvre entière. À la
question "Tout est donc autobiographique?", Perec répond par
l’affirmative: "Oui, toutes mes œuvres sont autobiographiques"97.
Cette orientation trouve sa justification dans le cadre autotextuel dont
les tenants et les aboutissants font que l’on en revient toujours à ce qui
fonde le corpus, autrement dit, l’Auteur et, donc, par métonymie, au
biographique. Peu importent les différences de genre, de forme, de
registre. Peu importe le pacte de lecture impliqué ou affiché par les
textes. L’empire autobiographique va jusqu’à inclure tous les écrits de
l’auteur, qu’ils soient aboutis ou bien inachevés, anthumes ou
posthumes, à visée littéraire ou pas. Que la somme des livres d’un
auteur puisse "fonctionner aussi comme autobiographie", c’est
envisager ni plus ni moins l’ensemble de ses ouvrages,
autobiographiques ou bien de tout autre acabit, comme l’expression
ou la représentation – directe pour les premiers, "oblique" pour les
seconds – de soi. L’on peut sans doute recourir à la notion d’espace
95 Sur cette question très débattue de la "dissimulation des contraintes" qui touche
à la dissociation entre écriture et lecture, l’on renvoie à l’article pionnier de Benoît
PEETERS, "Échafaudages" (1985), p. 186. S’agissant, en l’occurrence, de l’assimi-
lation/dissimulation d’autobiographèmes dans la fiction, les trois options auxquelles la
réception peut se résoudre peuvent se résumer ainsi: 1. la lecture innocente; 2. la
lecture paratextuelle; 3. la lecture génétique.
96 Autocentrique: non seulement dans le sens où un message est centré sur le moi
de l’auteur (ainsi de la poésie romantique dont on dit que le moi est sujet et objet du
poème) mais dans celui où émetteur et destinataire coïncident.
97 Entretien avec Jorge Aguilar MORA (1974), EC1, p. 186.
52 Perec ou le dialogue des genres
W est une île, quelque part dans la Terre de Feu. Il y vit une
race d’athlètes vêtus de survêtement blancs porteurs d’un grand
W noir. C’est à peu près tout ce dont je me souvienne. Mais je
sais que j’ai beaucoup raconté W (par la parole ou le dessin) et
que je peux, aujourd’hui, racontant W, raconter mon enfance 107.
W un roman?
Au même titre que les trois autres (sociologique, ludico-formel,
romanesque), le champ autobiographique ne saurait être privilégié.
Avec leur dominante respective, plusieurs textes participent des quatre
orientations. Chacun est un carrefour où se négocie cet écartèlement,
dirons-nous, tétralogique. Ce qui potentiellement anime chacun, c’est
une flagrante hétérologie générique. Un texte à dominante
autobiographique n’en est pas moins traversé par d’autres types,
d’autres régimes de discours, d’autres traces d’interrogations
distinctes et simultanées qui interviennent de façon radicale au cœur
même du genre en vigueur109. En faire abstraction, ce serait imposer
un mode de lecture mono-générique. Un livre comme W ou le
souvenir d’enfance, de combien de genres ou de codes différents est-il
composé: roman d’aventure, policier, récit de voyage, récit d’enfance,
documentaire, allégorie, science-fiction, fable politique, contre-
utopie?
Renouveau autobiographique
W ou le souvenir d’enfance participe d’un renouveau du genre
autobiographique. C’est "un des rares livres, observe Ph. Lejeune, qui
m’aient donné l’impression d’innover dans le cadre d’un genre voué à
la répétition inlassable des mêmes procédés, le récit d’enfance"2. Au
milieu des années 1970, W marque une reprise, anticipe ce "retour au
sujet" tout comme le roland BARTHES "par roland barthes", deux
textes qui paraissent la même année que Le Pacte autobiographique.
De ce point de vue, l’année 1975 marque bien un tournant. S’inaugure
une nouvelle phase dite "post-structuraliste" qui correspond à
l’émergence de l’autofiction avec Fils (1977) de Serge Doubrovsky
qui forge ce terme3. On ne compte plus les ouvrages aujourd’hui se
proclamant autofictifs, le néologisme ayant fait florès depuis son
apparition4. Suite à une période effervescente d’expérimentations
romanesques et d’interrogations théoriques autour du Nouveau Roman
19 Entretien avec Arnaud VIVIANT (Les Inrockuptibles, sept. 1998), ibid., p 507.
20 Voir les mises au point dans le sixième chapitre de Mikhail Bakhtin, Creation
of a Prosaics (1990) de Gary Saul MORSON et Caryl EMERSON, notamment p. 238
sur Problèmes de la poétique de Dostoïevski (1970).
62 Perec ou le dialogue des genres
27 La pluralité diegétique se manifeste dans les titres donnés aux 107 histoires
répertoriées à la fin du livre: "Rappel de quelques-unes des histoires racontées dans
cet ouvrage", p. 691-4. Pluralité mise en abyme au niveau métadiégétique dans le
chapitre LI consacré au peintre Valène qui se représente dans son tableau et se peint
en train de se peindre (p. 291) "et tout autour, la longue cohorte de ses personnages,
avec leurs histoires, leur passé, leurs légendes" (p. 292), au nombre de 179 dans la
liste exhaustive qui compose la seconde partie du chapitre, p. 292-8.
28 Sans que la narration soit "forcément une loi du genre", rappelle R. BARTHES
dans Le Degré zéro de l’écriture (1953), p. 25.
29 Le Voyageur, art. cit. (2001), p. 255.
La nouvelle autobiographie 67
37 Ibid., p. 177.
38 Ibid., p. 172-6. Dans cette séquence consacrée à ce "personnage", celui-ci se
confond avec le marquis de Rollebon qui, comme on sait, est lui un personnage de
fiction venu de La Nausée.
39 Voir Ph. GASPARINI, Est-il je? (2004), p. 153.
40 Ainsi que le manifeste le dernier roman La Reprise (2001). La guerre des
narrateurs y est le moteur du récit, pourrait-on dire, voir notre compte rendu (French
Review, fév. 2003), p. 650-2. C’est au chapitre de la voix narrative que ce roman
dérange nos habitudes de lecture les plus ancrées. Des instances narratrices distinctes
luttent pour le pouvoir, pour la prise de contrôle du récit, selon un incessant jeu de
captures et de libérations narratives. L’exemple le plus visible en sont les notes. Cette
lutte des voix narratives par le biais de notes marginales est à rapprocher du chapitre
VIII de W. ROBBE-GRILLET qualifie le montage d’"archi-texte", Le Voyageur, p.
539.
41 Ibid., p. 153-4.
70 Perec ou le dialogue des genres
Montage scriptographique
Dans la façon dont se dispose W ou le souvenir d’enfance, l’on ne
saurait simplement constater son caractère ouvertement bi-textuel 42
entremêlant fiction et autobiographie. En effet, l’agencement des
séries y est pour le moins inusité. L’on peut comparer avec les rares
œuvres qui présentent ainsi un montage de textes distincts sur le mode
de l’alternance. On pense à The Wild Palms (1939)43. Le roman de
Faulkner combine semblablement deux récits distincts. Soit deux
textes déroulant des histoires hétérogènes rassemblés sous une même
42 Voir infra notre chapitre IV.
43 Le roman de W. FAULKNER Les Palmiers sauvages (1977) figure sous la
cote PP13 dans le catalogue de la bibliothèque personnelle de PEREC (entrée 1817).
Coïncidence sans doute, l’on ne manquera de relever la présence du W dans le titre
anglais. En 1958, PEREC lit le texte Go Down, Moses avec "l’extraordinaire
sensation de découvrir un langage nouveau, une écriture proche de ce que [lui, Perec,]
tente, une nécessité dans les mots, la démarche", Lettre à Jacques LEDERER du 7
avril 1958, citée in EC2, p. 96, note 14. Rappelons que le titre original de The Wild
Palms (1939) changé à la demande de l’éditeur est Forget Thee, Jerusalem republié
en 2001 sous le titre Si je t’oublie, Jérusalem dans la collection "L’imaginaire". La
première publication de Go down, Moses and Other stories date de 1942 et se
présente comme un recueil de nouvelles avant d’être réédité sous forme de roman.
La nouvelle autobiographie 71
Scriptographies
Dès qu’un texte occupe la plus minime étendue, il se déploie en
fonction de certaines conditions spatiales. Cette dimension passe pour
contingente. La voie de transmission du texte et le mode de lecture qui
en découle paraissent secondaires d’autant que le support est familier:
ainsi du livre imprimé. En général, le texte s’y soumet de manière
l’écriture’ (p. 59). Et cette écriture possède son espace propre, spécifique: non point
espace diégétique, fictif ou réel, île W ou plateau du Vercors, mais d’abord, avant tout
espace de la page, espace littéral conditionnant tous les autres, comme le manifeste
avec éclat la structure d’Espèces d’espaces consacrant à la page son chapitre initial",
"Les sutures dans W ou le souvenir d’enfance" (1988), p. 39.
5 Entretien avec E. PAWLIKOWSKA (1981), EC2, p. 203. Ce début est à
rapprocher du texte circulaire "Still Life/Style Leaf" (1981) qui commence par "Le
bureau sur lequel j’écris […]" et se termine par l’évocation d’"une feuille de papier à
petits carreaux, de format 21 X 29,7", L’Infra-ordinaire, p. 107-119.
6 R. BARTHES, Leçon (1978), p. 433.
L’abc de l’espace 77
va pas sans être imprégnée par cette dimension matérielle du texte que
l’on nomme espace scriptographique.
La catégorie du péritexte inclut aussi bien des composantes
verbales qui se situent dans l’entour immédiat du "texte proprement
dit" (titre, prière d’insérer), ses interstices (inscriptions en tête de
chapitre ou entre les divisions principales) que les aspects grapho-
visuels qui affectent la façon dont se présente directement le corps
principal du texte. Le péritexte comprend aussi des aspects relatifs au
support de présentation. Ainsi, avec l’édition Denoël (1975), il
s’agit d’un livre imprimé, non d’un texte électronique en ligne, et ce
qui constitue notre objet, c’est ladite version publiée, non pas un
manuscrit, un tapuscrit éventuellement disponibles dans le fonds
Perec. Soit donc à notre disposition un objet de lecture (texte +
péritexte) qui s’accompagne de caractères physiques – format,
épaisseur, type de couverture (rigide ou souple), grain du papier,
couleur, etc., tous éléments que l’on dira péri-scriptographiques 14.
Puisqu’il s’agit d’une version publiée destinée à la commercialisation
et disponible en "toute bonne librairie" (ainsi à l’époque dans cette
édition), l’objet s’adresse donc en principe à un lectorat non
prédéterminé et donc à ce que l’on appelle un lecteur courant.
Inhérente à tout récit transmis par voie écrite, c’est bien cette
dimension scriptographique qui se trouve particulièrement dynamisée
dans W. Loin d’être soumis de manière passive à ces conditions
variées et variables liées à sa scriptualité, loin de simplement les
subir, le texte se trouve bien faire l’objet sous cet angle d’une
organisation spéciale. En outre, dans notre relation à l’œuvre, peu de
textes narratifs ne rendent si manifestement sensibles l’interposition
de ces facteurs à la fois typographiques et topographiques. Le
marquage présentationnel ressort ostensiblement dans la version
publiée, celle par définition qui se destine à l’autre de l’auteur15, le
lecteur. À cet égard, l’ensemble du péritexte, on va y insister, joue le
rôle d’une véritable entrée en matière qui nous alerte à la fois sur
Auto-péri-graphie
Généralement comme entrée en matière, une couverture sert autant
à l’affichage qu’à son inverse, la recouverte du texte par tout une série
codée d’éléments identitaires, synthétiques réduisant l’épaisseur d’un
volume aux formules convenues d’une devanture. Conscient de son
enjeu, Perec a pris soin d’intégrer le péritexte à sa stratégie
d’ensemble16. Ph. Lejeune constate de "nombreux brouillons de la
page 4 de couverture, essais graphiques sur le dispositif de la
couverture elle-même (comment articuler titre et nom d’auteur avec la
photographie de la porte du salon de coiffure rue Vilin)"17. Ayant donc
fait l’objet d’une certaine textualisation18, il s’avère qu’avant son
ouverture le volume original offre une manière de double entrée.
Première ouverture: la jaquette
Selon une formule célèbre, c’est d’abord une double couverture
qui s’interpose avant que ne commence le "texte". Visible d’abord,
une jaquette enveloppe le livre; la masquant au-dessous, la couverture
proprement dite. L’un mobile, l’autre fixe, ces deux seuils sont loin
d’offrir une même entrée en matière.
21 Ces détails graphiques peuvent revêtir une certaine importance dans la mesure
où, par exemple pour le deuxième terme, l’effacement du "D" fait ressortir de façon
hypogrammatique le vocable "AMES", induisant un autre énoncé "COIFFURE
D’AMES" – le mot "ÂME", on le sait, n’étant pas sans résonances avec La Vie mode
d’emploi (VME), voir infra.
84 Perec ou le dialogue des genres
25 Il est bien question d’une nuit "de Noël" sous deux formes: l’une fait l’objet du
chapitre XXV; l’autre, de façon quasi-palindromique: le fils d’Esther que "l’enfant"
devait rejoindre en Palestine s’appelle "Léon", W, p. 161, 163.
26 Par leurs lettres communes, on notera qu’une communication s’opère entre le
sigle de la collection, "LN", placé à la fin de la bande rouge et le nom de l’éditeur
placé au-dessous dans la zone blanche, "Denoël" .
27 "Action de rapporter des événements réels ou imaginaires" ou "œuvre littéraire
narrant des faits vrais ou imaginaires", TLFI.
90 Perec ou le dialogue des genres
28 Ibid.
L’abc de l’espace 91
32 Rappelons deux définitions: "Se dit en particulier de la notice sur le livre et son
auteur qui accompagne habituellement les ouvrages envoyés au service de presse"
(VOYENNE 1967), TLFI; "encart imprimé contenant les indications sur un ouvrage
et qui est joint aux exemplaires adressés à la critique", Le Petit Robert. G. GENETTE
met l’accent sur la fonction du prière d’insérer puisqu’emplacements, destinateurs et
destinataires varient à travers les usages, Seuils (1987), p. 98-109. Ce qui aboutit à la
définition suivante, ici réduite au plus simple: le "PI", c’est d’abord "un texte bref […]
décrivant, par voie de résumé ou tout autre moyen […] l’ouvrage auquel il se rapporte
[…]", p. 98. Par rapport à la première définition (VOYENNE), l’on notera que la
définition de GENETTE exclut du PI la notice bio/bibliographique, p. 108.
33 Ibid.
34 La signature, notons-le, se présente aussi comme une herméneutème ou
"morphème" de la "phrase herméneutique", R. BARTHES, S/Z, p. 215.
35 Attentif au lexique de ce prière d’insérer, V. COLONNA souligne ceci: "W est
bien désigné comme un ‘livre’ et les deux récits comme ‘deux textes’". Il met ainsi
l’accent sur cet agent unificateur qu’est le livre: "c’est en tant que livre que W trouve
son unité", "W, un livre blanc" (1988), p. 17; voir aussi T. BRIDGEMAN, "Further
Dynamics of World-Play, Perec’s W ou le souvenir d’enfance" (1998), p. 179.
L’abc de l’espace 93
94 Perec ou le dialogue des genres
46 G. GENETTE le signale, un "PI" peut faire "doublon", être reproduit sur deux
emplacements distincts, encart et couverture par exemple, Seuils (1987), p. 108.
Dépourvue de jaquette manque donc à l’édition de poche dans la collection
L’Imaginaire cet aspect redoublant du PI, répétition d’un élément péritextuel que l’on
peut concevoir comme superflu parce qu’apparemment redondant mais qui en fait
pré-présente certain aspect structurel majeur du texte subséquent.
L’abc de l’espace 99
100 Perec ou le dialogue des genres
La note auto-bio/bibliographique
La quatrième de couverture présente deux éléments péritextuels
statutairement distincts. Au-dessous du prière d’insérer, elle accueille
une note sur l’auteur, en réalité une note auto-bio/bibliographique47.
Celle-ci occupe la même zone supérieure située au-dessus de la bande
rouge. Un titre surplombe ce deuxième écrit: "L’auteur:". Cette notule
reproduit le même dispositif formel que le PI: elle se distribue en deux
paragraphes. À une différence près: elle se présente en caractères
italiques:
L’auteur:
Est né le 7 mars 1936 […]
A obtenu en 1965 le prix Renaudot pour les Choses et en
1974 le prix Jean Vigo pour l’adaptation cinématographique de
son récit Un homme qui dort [...].
commencé. Il est déjà à l’œuvre dans ce qui est censé n’être que sa
bordure, déplaçant vers son dehors la limite entre ergon et parergon 51.
Double titre: le titre comme marque du manque et du masque
Qu’il s’agisse d’aspects constitutifs de la jaquette, de la première
ou quatrième de couverture, nombre d’éléments péritextuels se
caractérisent par une évidente dualité. Aussi, le livre s’entame dans
l’ordre successif d’une double ouverture: jaquette puis couverture
avec répétitions ou reprises de certaines composantes (titre, prière
d’insérer, note auto-bio/bibliographique). À suivre le dispositif pré-
textuel tant au niveau des énoncés que de leur forme d’expression, une
certaine logique paraît s’installer. Dans un premier parcours de
lecture, de la jaquette à la couverture, s’observe un principe de
redoublement: tout élément se retrouve deux fois quasi à l’identique.
Cependant, au-delà de ce mouvement de redoublement par
duplication d’un site à l’autre du péritexte s’observe un phénomène de
perturbation de l’identité textuelle. En reproduisant tel quel deux
éléments majeurs du péritexte (PI et note auto-bio/bibliographique),
sur la jaquette puis sur la quatrième de couverture, l’on semble bien
chaque fois revenir au même. Tel quel? La modification la plus visible
est celle qui affecte la note: elle figure en caractères romains sur la
jaquette; en italiques sur la quatrième de couverture (avec des jeux
contrastifs inversés pour la désignation des titres, les Choses, Un
homme qui dort). À laquelle s’ajoute sur les revers plus étroits de la
jaquette, pour les deux textes, une disposition en colonne. L’on peut
aussi constater que la reprise du W entre jaquette et couverture n’est
pas sans affecter la graphie de certaines flagrantes modifications: de
taille, de forme et de couleur. À ces transformations du caractère
typographique s’ajoute, on l’a déjà signalé, un autre positionnement
de l’inscription sur le support. De la centralité initiale dont bénéficie
la lettre sur la jaquette, une fois intégrée au titre complet, elle se voit
reléguée sur le côté gauche de la couverture. De signe ostentatoire au
départ, sa visibilité se trouve largement réduite sur ce nouveau site.
Bref, de l’une à l’autre ouverture, c’est plus à une variation qu’à une
répétition que l’on assiste. Bref, quels que soient les éléments
concernés, c’est chaque fois tels qu’en eux-mêmes que certaine
52 S’agit-il de duplication? Oui et non: si les deux PI ainsi que les deux notes sont
les mêmes du point de vue de leurs constituants verbaux, ils sont dissemblables sous
l’angle de leur présentation scriptographique. Ou, selon la terminologie textique, ils
diffèrent du point de vue morphoscriptuel; voir de J. RICARDOU, notamment,
"L’œuvre au blanc" (1999), p. 20-40.
L’abc de l’espace 105
53 "Le titre ouvre une question: Sarrasine, qu’est-ce que c’est que ça? Un nom
commun? un nom propre? une chose? un homme? une femme? À cette question il ne
sera répondu que beaucoup plus tard, par la biographie du sculpteur qui a nom
Sarrasine", S/Z (1970), p. 24.
54 "[L]’énigme est cette carence prédicative", ibid., p. 194.
55 D. BELLOS rapproche une des contraintes mises en jeu dans La Vie mode
d’emploi du roman de Vladimir NABOKOV, The Real Life of Sebastian Knight,
Georges Perec, Une vie dans les mots (1994), p. 528-9. Ce rapport peut être
poursuivi. Celui-là même qui reconstruit la "vraie" vie de Sebastian Knight est un
narrateur homodiégétique "non fiable". Ce narrateur est denommé "V" par son demi-
frère écrivain, p. 71 (initiale à teneur autobiographique puisqu’elle est aussi celle de
l’auteur "Vladimir"). Reconstitution toute parodique dans ces chapitres qui
réfléchissent sur la fiabilité (reliability) biographique et autobiographique (6 et 7):
"Remember that what you are told is really threefold: shaped by the teller, reshaped
by the listener, concealed from both by the dead man of the tale", The Real Life, p. 52.
56 Pour une fonction comparable du sous-titre, voir G. GENETTE: le sous-titre
peut "indiquer plus littéralement le thème évoqué symboliquement ou cryptiquement
par le titre", Seuils (1987), p. 81.
106 Perec ou le dialogue des genres
63 Cette section ici récrite reprend certains éléments présentés dans "Sous le signe
du double" in "Blanc, coupe, énigme" (1995), p. 6-8.
64 W. MOTTE, "Embellir les lettres" (1985), p. 120.
65 Y aurait-il un lien entre cette hypothèse et cette remarque de R. CAMUS sur
"la coutume d’utiliser le W comme forme optative de vivre" qu’il remarque dans les
affiches du XVIIIe siècle? Journal d’un voyage en France (1981), p. 333.
66 "1. C’est ce surcroît de précision qui suffit à ruiner le souvenir ou en tout cas
le charge d’une lettre qu’il n’avait pas", W, IV, p. 23.
L’abc de l’espace 113
1 "Je n’ai jamais parlé d’autre chose que de moi" (1991), Le Voyageur (2001), p.
258.
2 Dans la liste des ouvrages "Du même auteur", le péritexte liminaire d’Alphabets
(1985) offre une intéressante variante du titre qui apparaît une première fois de façon
orthodoxe "W ou les souvenir d’enfance (Lettres Nouvellles, Denoël)", une seconde
fois à la fin de la liste des textes parus "Chez d’autres éditeurs" sous la forme suivante
"W. ou le souvenir d’en face (Denoël)". Il fait suite à un autre titre étrangement
modifié "Tentative d’épuisement d’un jeu parisien". Or il n’est pas sûr qu’il s’agisse
de coquilles. On remarque en tout cas la double modification du titre avec le point qui
suit le "W". Quant au "en face", ce nouveau titre, anamorphique, n’est pas sans
résonance avec la photographie de la rue Vilin figurant sur la jaquette originale, ni
avec la structure du livre: celle d’un face-à-face entre deux textes.
3 R. BARTHES, Leçon (1978), p. 433.
118 Perec ou le dialogue des genres
Une auto-bi-graphie?
En tant qu’objet-livre, rien ne semble à première vue distinguer W
de maints ouvrages imprimés. À l’unité du volume correspond un seul
texte intégral. Sans enjamber sur une série de tomes distincts ni
partager avec d’autres textes l’espace d’un même recueil, W s’impose
au départ comme une entité monolithique4. Ce type de présentation
défère à une pratique courante pour les ouvrages de cette longueur, ce
qui n’empêche que cette correspondance entretient notre conception
du texte comme unité. Un autre élément renforce cette perceptible
solidarité dans la mesure où un texte s’inscrit non moins dans un
genre déterminé. Quand le genre s’affiche, c’est en déclinant le plus
10 Au bout du compte, dans un double sens. Ou bien, dans son mobile: du côté de
l’ancrage existentiel par ce qu’il s’y "trahirait" de la vie psychique de son auteur et
dont tout encrage serait la trace. Ou bien, dans sa finalité: du côté du sens que l’on
accorde au montage dans lequel un versant, fictionnel en l’occurrence, serait à la fin
subordonné à l’autre.
11 Voir notre "An Auto-bi-graphy: W ou le Souvenir d’enfance or the Space of the
‘Double Cover’" (1998), p. 463-5.
12 P. de MAN posait le problème en ces termes: "Nous supposons que la vie
produit l’autobiographie comme un acte produit ses conséquences, mais ne pouvons-
nous pas suggérer, en toute égalité, que le projet autobiographique peut lui-même
aussi produire et déterminer la vie, qu’il est en fait gouverné, quoi que fasse
l’écrivain, par les nécessités techniques de l’auto-portrait, et qu’il se trouve ainsi
déterminé, dans tous ses aspects, par les ressources de son medium?" "Autobiography
as Defacement" (1984), p. 69 (je traduis).
W ou le souvenir d’en face 121
peut être déterminée "dans tous ses aspects, par les ressources de son
medium". Il s’agit ainsi d’envisager le rôle de l’écriture sur l’auto-
représentation d’une vie. Les contre-coups de cette élaboration et, par
suite, de la composition scripturales sur cette autobio-représentation,
qu’il s’agisse de "récit" ou de tout autre forme – autobiographie en
vers (Queneau), essai-autobiographie (Barthes), autobiotexte
(Ricardou). De façon plus dialectique s’envisage un effet-retour de
l’écriture sur la représentation de la vie. L’écriture autobiographique
peut aussi "produire et déterminer la vie" (de Man). Mais si elle
détermine à son tour certain mode d’exister, ne serait-ce encore
admettre que l’écriture autobiographique reste en position seconde?
Le texte autobiographique n’est-il point encore assujetti à cette notion
de "vie" pressentie avant tout comme un donné préalable? C’est-à-
dire, en s’appuyant sur sa représentation hors toute médiation
langagière qui aurait pu déjà l’informer. Soit donc cette réciproque
suivant laquelle l’entreprise autobiographique peut aussi de quelque
manière être déterminée par les ressources de son medium: celles que
procure la voie graphique. La représentation de soi que suppose le
genre se déploie comme tout autre dans un espace spécifique. En
l’occurrence un livre en est le support, le "moyen" un agencement
verbal, la forme un assemblage de textes divers et de récits distincts,
le tout produisant en quelque sorte une chimère.
L’examen du péritexte en a donné un avant-goût: le Texte de W
parie à fond sur l’exploration des "moyens" matériels mis à
disposition par le medium requis – ses ressources, en l’occurrence,
d’ordre bibliologique. Et notamment dans cette zone frontalière entre
hors-texte et texte censée lui servir de sas, c’est bien sa dimension
présentationnelle qui s’y est trouvée particulièrement sollicitée au
point d’y liminairement déceler le travail du Texte, comme en avant-
première. Dans cette zone, l’on a rencontré tout un appareil qui tend à
déjouer l’initiale impression d’une unité opérale. Progressant dans le
Texte, irremédiablement se dissipe toute assurance de conforter
certaine préconception unifiante.
Une autofictiobiographie?
Si l’on retient ainsi W ou le souvenir d’enfance, ce ne saurait donc
être selon une prédétermination générique; bien qu’il soit considéré
comme l’un des textes autobiographiques les plus novateurs. S’il nous
122 Perec ou le dialogue des genres
13 Sur le rapport "Réel/Fiction" qui titre l’une des entrées de l’avant-propos aux
Entretiens et conférences (2003), EC2, p. 10. Voir aussi de M. RIBIÈRE
"L’autobiographie comme fiction" (1988), p. 25-37.
W ou le souvenir d’en face 123
Une hétéro(bi)graphie
Du point de vue typographique, l’emploi de l’italique et du romain
n’est guère orthodoxe dans W. Par rapport à l’ordre conven-
tionnellement assigné aux deux formes, on peut être surpris par un
rapport d’inversion. Ordinairement le romain précède l’italique. C’est
le cas des Géorgiques ou de The Sound and the Fury. Or, dans W,
c’est la série seconde – autobiographique – qui se présente en romain.
À la précédence conférée à l’italique s’ajoute un trait supplémentaire
d’ordre quantitatif. En général, le romain est communément à la fois
premier et dominant. Il constitue le fond et l’arrière-plan contre
lesquels se détache l’emploi de caractères autres19. Si l’italique
seconde s’ouvre à une lecture plus littéraire (la fiction) qui file ou
frôle continûment le double sens. Ou plutôt, puisque leur ordre est
inversé, que l’écrit oblique précède l’écrit apparemment plus direct,
c’est d’abord à une lecture déjà hétérotopique24 qu’engage d’emblée le
dispositif. Et c’est dès le départ sous l’emprise de ce régime indirect,
qui est celui de la fiction romanesque que se présente ensuite la série
autobiographique. Sa transitivité supposée s’en voit quelque peu
incurvée comme si, par ce biais, se vérifiait le caractère virtuellement
hétérotopique de tout discours, fût-il apparemment le plus droit25.
A priori, le romain est vraisemblablement porteur d’une plus
grande valeur de "vérité" que l’italique. Cependant, on sait que
Barthes dans son essai autobiographique opte à l’inverse pour
l’italique dans une section nettement plus personnelle, Pause:
anamnèses 26. La transitivité supposée du genre est ainsi détournée et
s’en trouve biaisée. Et plutôt que de voir à travers l’obliquité de la
série fictionnelle un masque, soit une manière plus indirecte pour
atteindre ce que l’écriture strictement autobiographique ne saurait plus
obtenir, c’est au contraire celle-ci qui, par cet étrange renversement, se
voit d’entrée, en dépit de son apparente droiture, irrémédiablement
marquée d’obliquité. La partie autobiographique s’en voit tout
bonnement pervertie. De même que le "Je ne suis pas le héros de mon
histoire" prélude à l’ensemble des régimes énonciatifs relayés dans le
Texte, la précédence accordée à un récit qui se donne sous le sceau de
l’obliquité ne peut que de façon irréversible imprégner la série qui se
présente après coup sous celui de l’autobiographie.
Davantage, l’usage de l’italique pour la fiction ne semble pas sans
résonance avec ce qui s’y narre. On sait que c’est le célèbre imprimeur
Alde Manuce qui inventa l’italique en 1501 à Venise "en cherchant à
reproduire l’écriture manuscrite cursive de son époque, c’est-à-dire
l’écriture rapide à main levée […]"27. Or c’est bien avec "Il y a … ans,
24 Dans le sens que lui donne la "sémantique du récit" qui analyse les
phénomènes d’"hétérogénéíté isotopique", Jean-Michel ADAM, Le Texte narratif
(1994), p. 194-200.
25 "Le caractère polysémique du discours littéraire est unanimement admis, mais
cette caractéristique ne doit pas masquer le fait que la communication en général n’est
ni univoque ni unilinéaire, ibid., p. 196.
26 roland BARTHES (1975), p. 111-113.
27 Yves PERROUSSEAUX, Mise en page et impression (2001), p. 50.
W ou le souvenir d’en face 127
paraît bien contredire ces deux attributs que le romain est censé
véhiculer – les thèmes de la fracture, de la rupture et de l’insécurité y
revenant au contraire de façon récurrente.
On peut néanmoins faire l’hypothèse d’un dispositif en chiasme
dont la vertu serait en quelque sorte compensatoire. La distance
instaurée par le régime fictionnel et le rapport oblique au sens qui le
définit se verraient alors teintés par l’italique d’une valeur intimiste.
Alors que la proximité supposée du régime autobiographique et la
relation plus directement expressive qui est censée l’animer se
verraient alors imprégnées de cette assurance associée plutôt au
romain. C’est ce rapport complexe, en quelque sorte doublement
inversé, qui semble percer dès le début du chapitre II:
Cette absence d’histoire m’a longtemps rassuré: sa
sécheresse objective, son évidence apparente, son innocence,
me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon de
mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le
supposer, n’était ni sèche, ni objective, ni apparemment
évidente, ni évidemment innocente.
"Je n’ai pas de souvenirs d’enfance": je posais cette
affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi 30.
Montage polygénérique
Considèrerait-on W sous l’angle de sa dualité générique, l’on ne
saurait donc en rester au seul niveau des constituants narratifs.
Plusieurs éléments produisent un effet certain d’étrangeté. Du point de
vue typographique, la division en deux styles de caractère distincts est
à la fois paritaire et holoscriptuelle: elle s’étend de façon égale à tout
l’ouvrage. La constitution résolument dichotomique du Texte est de ce
fait remarquablement accentuée. La précédence sérielle donnée à
l’italique est pour le moins inhabituelle. L’effet défamiliarisant est
aussi dû à la façon toute particulière dont se distribuent les deux séries
hétérogènes. Le système d’alternance entraîne un continuel
"mouvement d’aller retour"34, dit Perec, multipliant ruptures, suspens
et reprises diégétiques. Il y a aussi entre les deux versants du livre
32 "Lorsqu’un ouvrage est en deux langues différentes, on doit d’abord présumer
que la traduction court plus loin que le Texte original: sur ce principe on peut régler la
disposition d’un pareil ouvrage en deux manières.
La première, en faisant la colonne du Texte original en caractère italique, et celle
de la traduction en romain, l’un & l’autre du même corps: en observant néantmoins de
faire la colonne de traduction d’une justification plus large que la colonne du Texte
[…], Science pratique de l’imprimerie, p. 62, reproduit en fac simile dans Mise en
page et impression, p. 114.
33 Cf. La "Démonstration d’un ouvrage en Latin et en Français", Science pratique
de l’imprimerie, p. 63, reproduit en fac simile dans Mise en page et impression, p. 89
et commenté p. 88.
34 Entretien avec E. PAWLIKOWSKA (1981), EC2, p. 207.
130 Perec ou le dialogue des genres
Disposition du Texte
L’ensemble du Texte (romanesque/ autobiographique) comprend
37 chapitres qui se distribuent en deux parties principales: 11 dans la
première; 26 dans la deuxième. Cette division majeure est matérialisée
par une page blanche où figurent en belle page des points de
suspension inscrits entre parenthèses (p. 85, non numérotée). Dans la
mesure où la disparité des deux textes est plus que soulignée
(génériquement, spatialement, typographiquement), l’effet du
montage par alternance s’en trouve accentué.
Tableau 1
GENRES Fiction (F1/F2) Autobiographie (A1/A2)
Typographies italique romain
Numéros de I, III, V, VII, IX, XI II, IV, VI, VIII, X (…)
chapitres
Première partie
(11 chapitres)
Deuxième XII, XIV, XVI, XVIII, XX, XIII, XV, XVII, XIX, XXI,
partie XXII, XXIV, XXVI, XXVIII, XXIII, XXV, XXVII,
(26 chapitres) XXX, XXXII, XXXIV, XXIX, XXXI, XXXIII,
XXXVI XXXV, XXXVII
Nombre de (6 + 13 =) 19 (5 + 13 =) 18
chapitres
des chapitres entre les deux parties n’est pas davantage suivi puisque
l’on en compte 11 dans la première, 26 dans la deuxième
(logiquement une parfaite symétrie eût demandé 18+1+ 8 ou 18+(…)
+18 37). À rigoureusement parler, la coupure n’est donc pas "centrale"
puisqu’elle se situe entre les chapitres XI et XII à l’issue du premier
tiers du livre.
S’agissant de la concurrence entre les séries, une conclusion
s’impose. C’est au moins sous trois aspects que le versant fictionnel
l’emporte: ordinal, quantitatif et articulatoire. Ordinal: dans un
système d’alternance (dé)réglé, priorité est donnée à la fiction qui
initie les deux parties. Quantitatif: la fiction compte un chapitre de
plus. Articulatoire: à la charnière de la division principale, de part et
d’autre de l’ellipse cardinale, ce sont deux chapitres de fiction qui se
succèdent (XI-XII).
Hapax présentationnel, c’est dans le passage de la première à la
deuxième partie que la stricte règle d’alternance n’est pas respectée,
après le chapitre XI. Ce nombre peut dès lors revêtir une signification
particulière. Il s’inscrit dans le paradigme du titre: comme la lettre W,
le 11 est un signe double38. La rupture bi-partitive a lieu où se
rencontre le premier nombre qui présente une duplication de soi. Il
figure graphiquement un redoublement de l’unité. Or tout remarquable
qu’il paraisse, ce phénomène ne reste valable que si on traduit en
chiffres arabes; alors que ce sont des chiffres romains qui inaugurent
les chapitres. L’on pourrait avancer qu’il s’agit d’une trace, d’un
Lipographies
Né d’une recherche menée dans et sur l’espace du livre, W est un
mixte hétérographique qu’expose une écriture blanche42. Alternant
avec un roman d’aventure suivi dans la deuxième partie de la
description d’une cité "régie par l’idéal olympique", un blanc géné-
rateur ("le lieu initial") serait ici matérialisé dans l’intervalle entre les
deux parties, entre "les fils rompus de l’enfance et la trame de
l’écriture"43. C’est une portion de l’espace du livre que l’on peut dire
39 Ph. LEJEUNE montre que PEREC a changé les chiffres arabes en chiffres
romains au moment d’"insérer les éléments préexistants de la fiction W" et quand il
est "passé du système ternaire au système binaire" pour le montage. "La rédaction
finale de "W ou le souvenir d’enfance" (2003), p. 89.
40 Le double doublement des signes est encore mieux marqué pour le chapitre
XXII et leur double triplement pour le XXXIII. On peut observer que leur phrase
liminaire inscrit d’une façon ou d’un autre un signe de la dualité: "Les lois du Sport
sont des lois dures et la vie W les aggrave encore" (XXII, p. 145); "Il y avait chez
tante Berthe un grand dictionnaire Larousse en deux volumes" (XXXIII, p. 201, je
souligne). Je passe, entre autres, sur la dualité syntaxique de la première phrase et la
connotation métatextuelle de la seconde.
41 Pour Ph. LEJEUNE, une troisième série a disparu, La Mémoire et l’oblique
(1991), p.131. "Ainsi W entremêle deux récits dont aucun ne dit au sens propre ce que
le lecteur ne peut restituer, stéréoscopiquement, que par leur confrontation, titubant de
chapitre en chapitre d’une amnésie à une obsession", ibid., p. 44.
42 Cette section et la suivante reprennent dans une version révisée des passages de
notre article "Blanc, coupe, énigme" (1995), p. 4-6, 15-21.
43 "Dans cette rupture, dans cette cassure qui suspend le récit autour d’on ne sait
quelle attente, se trouve le lieu initial d’où est sorti ce livre, ces points de suspension
134 Perec ou le dialogue des genres
49 Au seuil des deux parties, ce parallélisme spatial fait se correspondre les deux
séries accordant à la seconde la même fonction remplie par la première. La seconde
devient ainsi une "dédicace" en vertu d’une relation en isochoro-isotopisme: à savoir,
les deux inscriptions occupent, dans des endroits certes distincts mais équivalents (en
isotopie: sur des pages distinctes mais celles-ci occupant un même emplacement au
seuil des deux parties du livre), les mêmes places (en isochorisme: les deux séries sont
sises à la même hauteur de leur page respective, au premier tiers à partir du haut).
J’emprunte la formule analytique à la section consacrée aux isochorotextures des
"Eléments de textique (III)" de J. RICARDOU (1989), p. 19.
50 À côté des diverses occurrences du terme (p. 77, 95), on notera ce passage dans
lequel les "points de suspensions", liés au thème des "thérapeutiques imaginaires",
"désignaient des douleurs nommables", W, XV, p. 110 (je souligne).
51 Par ailleurs, l’on note que parmi les nombreuses indications sur la position
topographique des villages de l’île W, rien ne se situe à l’Est et, par conséquent, tout
se trouve toujours à l’ouest (W), W, XIV, p. 97, 101. Le graphe W serait-il ainsi la
marque du non-E? Comme une des transformations graphiques du W s’incarne dans
la lettre X, on rappellera que celle-ci s’emploie, en composition typographique,
lorsqu’une lettre vient à manquer, voir notre "Lettres volées" (1991), p. 21.
52 La tante de PEREC, Ela mais aussi la mère de celle-ci, Esther, voir D.
BELLOS, Georges Perec, Une vie dans les mots (1994), p. 580. Comme le remarque
V. COLONNA "sans le point qui signale habituellement que l’on a affaire à une
initiale", "W, un livre blanc" (1988), p. 19. Il ajoute que cette dédicace "a surtout un
effet intertextuel […] Elle profile, en perspective, La Disparition et sa suite dans W".
Pour les dédicaces renvoyant à des personnes réelles – c’est le cas des Choses, Un
homme qui dort, La Vie mode d’emploi, Un cabinet d’amateur –, les noms
patronymiques ne font l’objet d’aucune abréviation. C’est la fonction habituelle de la
136 Perec ou le dialogue des genres
dédicace personnalisée qui est ici problématisée, ouvrant ainsi à une double lecture au
moins.
53 G. GENETTE, Seuils (1987), p .123.
54 Le roman La Disparition se fait du coup remarquer par une "absence de
dédicace [...] significative comme un degré zéro", ibid., p. 126. Dans ce sens, c’est à
cette absence de dédicace que renverrait la dédicace autotextuelle – "pour E" – de W.
V. COLONNA résume parfaitement la relation intertextuelle qui s’instaure entre les
deux ouvrages: "cette dédicace exhibe une lettre dont l’élision produit à différents
niveaux l’ensemble de La Disparition et qui emblématise la possibilité pour un
signifiant de produire un texte dans lequel il n’apparaît point. Au même titre que c’est
autour d’un blanc, d’un empêchement matérialisé par des points de suspension que
s’origine toute l’écriture de W", art. cit., p. 19.
55 Terme que je forge sur le concept de dynamoscripture: "toute scripture dont
une part demeure à l’état virtuel", J. RICARDOU, "Eléments de textique (I)" (1987),
p. 18.
56 L’on notera que les deux dédicaces comportent 5 signes et donc sont
iso(penta)grammatiques. Un patronyme pentagrammatique? Réponse: le nom de
"Perec", emblème d’un lipogramme monovocalique en E. Sur le rapport avec Les
Revenentes, voir notre "Lettres volées" (1991), p. 20.
W ou le souvenir d’en face 137
Paradigme de l’omission
De loin en loin, ce sont toutes les pages blanches sises entre les
chapitres qui, outre leurs communes fonctions signalétiques et
ruptrices, se voient affectées par la configuration lipographique. Sauf
que l’on tend à interpréter les matério-ruptures comme les figurations
spatiales d’un manque préexistant d’ordre psycho-existentiel63. C’est à
partir de la série autobiographique, notamment des scènes qui tournent
autour de l’idée de suspension, que l’on tend à expliquer "les
perturbations narratives". Ainsi des chapitres "anormalement juxta-
posés"64 entre les deux parties. Comme s’il s’agissait d’une suspension
60 Doit-on lire W comme une prosopopée, cherchant à donner une voix à la mort,
à faire parler les morts? Le sentiment de la mort constitue le sujet de l’énonciation
autobiographique puisque son sujet commence par ne pas être là: "la prosopopée reste
une voix fictive, mais je crois que d’avance elle hante toute voix dite réelle et
présente", J. DERRIDA, Mémoire pour Paul de Man (1988), p. 47.
61"Lettre inédite" à Denise GETZLER (1983), p. 62.
62 Ibid., "Par Bartleby, l’homme de Wall Street découvre le revers du monde, son
moule en creux", p. 65.
63 W s’est écrit "dans le prolongement de la psychothérapie faite en 1949", La
Mémoire et l’oblique (1991), p. 67. Les trous du récit seraient encore des représen-
tations de la "mémoire comme un trou", ibid., p. 68.
64 "Les perturbations narratives que l’on y relève s’apparentent bien, elles aussi, à
la suspension. Le récit autobiographique leur assigne donc indirectement une cause:
elles seraient le symptôme d’un traumatisme dont l’autobiographie révèle, en creux,
140 Perec ou le dialogue des genres
Triptyque
Une fois observée la bi-partition générale, annoncée et préfigurée
dans le péritexte, évidente sur le plan typographique, accentuée sur le
plan topographique, la poursuite du Texte n’est pas sans réserver
quelque surprise. Sur le plan diégétique en effet, la dichotomie
masque d’abord une manière de triptyque. Aux 6 chapitres fictionnels
centrés sur l’histoire du double Gaspard Winckler dans la première
Tableau 2
Récits I. Winckler (F1) II. Autobiographie III. La cité de W (F2)
Typographies italique romain italique
Répartition partie I parties I et II partie II
Types romanesque documentaire descriptif
"odysséen" "iliadéen"
Voix homodiégétique autodiégétique hétérodiégétique
"Histoires" fiction individuelle individuelle/collective fiction collective
Disparitions l’enfant la mère/le père le narrateur
81 I, p. 10.
W ou le souvenir d’en face 145
Tableau 3
FICTIONS Partie I (F1) Partie II (F2)
Homographie italique italique
Voix narrateur = G. Winckler narrateur impersonnel
Genres récit de voyage, d’aventure, science-fiction, allégorie
d’énigme politique, contre-utopie
Topologie odysséen iliadéen: l’île W
Diégèse disparition du "vrai" G.W. disparition du "faux" G.W.
89 "Il y aurait, là-bas, à l’autre bout du monde, une île". Jeu, c’est le cas de le
dire, évident puisque le Il se substitue au je de F1. L’incipit de F2 accentue ce
passage à la troisième personne par le rapport qui s’institue aux extrêmes de cette
phrase liminaire entre Il et île (XII, p. 89). L’affaire est plus complexe puisque le
premier paragraphe de cette seconde partie, composé de deux phrases, se trouve isolé
par un double intervalle du reste du chapitre. La deuxième phrase "Elle s’appelle W"
oppose non seulement un pronom féminin Elle au pronom impersonnel initial Il. Mais
en outre, du fait de l’isolement de ce paragraphe bi-phrastique, se trouve mis en relief
le rapport circulaire entre ce Il inaugural et le nom de l’île W qui le clôt.
90 Ibid., XI, p. 83.
91 Ibid., IX, p. 65. Selon un rapport iso-numérique, il manque un élément (un
corps/un chapitre) dans un groupe de six, mystère d’une disparition dont on ne sait
pas au départ de F2 lequel, de Winckler ou de son double, a pu en rendre compte.
92 Pour V. COLONNA, "Winckler reste l’auteur supposé de cette nouvelle
histoire qui n’est plus directement la sienne, mais dont il est bien le chroniqueur", art.
cit., p. 17.
148 Perec ou le dialogue des genres
Klee, le génie, c’est l’erreur dans le système", entretien avec Ewa PAWLIKOWSKA
(1983), p. 70.
96 W, XXXI, p. 192 et 193-194 (je souligne). Le numéro du chapitre dans lequel
la référence s’insère paraît loin d’être indifférent: il devient l’emblème de cette
tripartition et de la quadripartition qui va suivre (infra). Du côté des sutures, on notera
que le résumé d’un des livres ("Jerry, héros d’aventures insulaires dont j’ignorais
tout") n’est pas sans évoquer certaines aspects cardinaux du récit F2.
97 R. QUENEAU établit cette distinction: "toute grande œuvre est soit une Iliade
soit une Odyssée". Les odyssées sont des "récits de temps pleins" tandis que les
"iliades sont au contraire des recherches du temps perdu: devant Troie, sur une île
déserte ou chez les Guermantes", Bâtons, chiffres et lettres (1965), sur Bouvard et
Pécuchet, p. 110.
150 Perec ou le dialogue des genres
Quadripartition
Sous le signe de l’autobiographie, la seconde série (A) confirme
d’entrée la topique du genre puisque son incipit reprend littéralement
le second volet du titre, "le souvenir d’enfance". Cependant, le récit
prend vite le contre-pied du genre adopté. Malgré les limitations
annoncées sur la quatrième de couverture ("un récit fragmentaire", "un
récit pauvre d’exploits et de souvenirs, fait de bribes éparses") et, bien
que prévenu, l’on pouvait néanmoins s’attendre à ce qu’il se narre en
fonction de quelques souvenirs tangibles, autrement dit qu’il joue le
98 Sans suite, à la fois narrativement, puisque c’est une tout autre histoire qui lui
succède et narrratorialement, puisque c’est sur un tout autre mode que la fiction se
poursuit dans la "cassure" accomplie entre l’homodiégése et l’hétérodiégèse.
152 Perec ou le dialogue des genres
Tableau 4
AUTOBIO- partie I (A1) partie II (A2)
GRAPHIE
Homographie romain romain
Narration autodiégétique autodiégétique
narrateur = auteur narrateur = auteur
Lieux Vilin Villard
Chronologie 1936-1942 1942-1945
Diégèse avant la disparition de la mère après la disparition de la
mère
souvenir sur la lettre: "il existe en effet une lettre nommée ‘gimmel’ et dont je me
plais à croire qu’elle pourrait être l’initiale de mon prénom", p. 23.
106 Donc 99 chapitres au lieu de 100 et "c’est le chapitre 66 qui disparaît ou plus
exactement ce qui aurait dû être le chapitre 66, car il y a évidemment un chapitre 66
dans le roman, mais c’est celui qui aurait dû être le chapitre 67", B. MAGNÉ, "Le
Puzzle, mode d’emploi, petite propédeutique à une lecture métatextuelle de La Vie
mode d’emploi de Georges Perec" (1982), note 2, p. 77; voir les diverses
systémisations du système du manque, ibid., pp. 83-85; par exemple, le
"compendium" du chapitre 51 central où il manque un vers: "ce qui fait sens ici, au-
delà d’une supplémentaire occurrence, certes décisive, du manque, c’est la place de ce
lieu absent, de ce lieu vide, de cette cave faisant cavité", ibid. p. 85.
107 Selon une claire opposition entre, d’une part, le "carré ouvert" et, d’autre part,
"toute la famille, la totalité, l’intégralité de la famille" qui encercle, entoure l’enfant
"comme un rempart infranchissable", p. 22-3 (je souligne).
108 L’on peut encore voir dans la forme de ce graphe un rapport avec la con-
figuration de l’île W "orientée d’est en ouest" (de droite à gauche), telle qu’elle est
précisée au tout début de la série F2: "sa configuration générale affecte la forme d’un
crâne de mouton dont la mâchoire inférieure aurait été passablement disloquée", XII,
p. 89.
109 W, IV, p. 24.
110 Que l’on peut rapprocher des quatre orientations – sociologique, auto-
biographique, ludique et romanesque – qui définissent le champ de travail de
l’écrivain.
W ou le souvenir d’en face 155
Tableau 5
VOLUME Unité
Typographies italique romain Dualité
Genres Fiction Autobiographie Antagonisme
narrateur ≠ auteur narrateur = auteur
Scriptomie partie I partie II partie I partie II Dichotomie
Diégèses F1 A1 F2 A2 QUADRI-
PARTITION
Réduction monologique
À suivre le dispositif en place, rien n’assure donc que le livre
propose une totalité subsumable sous l’égide d’une seule voix. Ni la
présentation du texte dans le péritexte, ni la disposition même de
celui-ci, ni la distribution du Texte n’invitent à supposer que
l’ensemble dénommé W ou le souvenir d’enfance ne soit soumis à une
lecture strictement autobiographique. Sauf à réduire par synecdoque
l’œuvre à l’une de ses parties. Sauf à refuser d’accepter son caractère
éminemment hétérotextuel, polygénérique et polynarratif. Sauf à
présumer que l’ouvrage soit subsumable sous une catégorie
transcendante.
Cette facture inusitée, cette composition tout à fait inédite
déçoivent l’identité supposée du texte à soi. Mais si l’ensemble paraît
manifestement hétérogène et pluriel, on y oppose alors une
hiérarchisation du divers. Autrement dit, on pose une inégalité
foncière des parties en présence. Une série serait la métaphore de
l’autre, de celle à qui l’on accorde le privilège de receler le "dernier
mot"112. Face aux multiples récits dont tout concourt à marquer
l’irréductibilité fondamentale, l’on fait front par une résistance
unitaire. Quels que soient les genres et la pluralité des textes en
présence, ce serait tout compte fait un texte identique à soi que le
volume renferme. Derrière le "masque" du double texte, le Texte doit
111 Bien que cela se discute puisque le narrateur autobiographique est plus
souvent rapporteur de témoignages que protagoniste majeur.
112 Ce dernier mot révélé d’après de nombreux interprètes dans le dernier chapitre
par la citation de L’Univers concentrationnaire de David ROUSSET (W, XXXVII, p.
219-20) et qui donnerait "tout son sens" au texte.
W ou le souvenir d’en face 157
113 Voir la discussion sur "l’autobiotexte" dans "Vers une théorie de la lecture",
Oulipo-Poétiques (1999), p. 208 notamment. Ainsi B. MAGNÉ: "Il y a une lecture
événementielle de W qui est absolument sans problèmes".
114 B. MAGNÉ, "La Textualisation du biographique dans W ou le souvenir
d’enfance de Georges Perec" (1989), p. 182. Voir aussi M. RIBIÈRE, "L’auto-
biographie comme fiction" (1988), p. 25-37.
115 "La Textualisation du biographique", p. 183. L’étude des remaniements avant-
textuels fait dire à Ph. LEJEUNE à propos de ce qui devient le chapitre II: "Le seul
texte, dans la première partie, qui parle de la fiction, est celui d’Intertexte 1 (devenu
chapitre II): il indique le mode de lecture du livre, c’est-à-dire la clef
autobiographique qui manquait en 1969-70 au lecteur de La Quinzaine, et la fonction
de ce nouveau montage", "La rédaction finale de W ou le souvenir d’enfance" (2003),
p. 97 (je souligne).
116 "La Textualisation du biographique", p. 184. Cela dit, malgré ces conclusions,
l’orientation biographique l’emporte. L’accent mis sur les dispositifs formels se
158 Perec ou le dialogue des genres
justifie en dernier ressort parce qu’ils retournent à (et se fondent sur) une raison
existentielle.
117 B. MAGNÉ, ""53 jours" Pour lecteurs chevronnés..." (1990), p. 199.
W ou le souvenir d’en face 159
118 Ainsi Hans HARTJE dans "W et l’histoire d’une enfance en France" (2000)
qui voit dans la cité de W des échos de la France sous Vichy. Rappelons que
l’idéologie régnante est celle de la "repentance" et de la victimisation.
119 Ibid., p. 184.
160 Perec ou le dialogue des genres
Relations interdiégétiques
Dualité et division se manifestent en premier lieu au niveau
extradiégétique. Reçue d’abord à un niveau présentationnel, la
dichotomie générale s’accorde en même temps à la dualité générique –
fiction/autobiographie – constitutive du "Récit". On s’attend donc à ce
que la dualité matérielle trouve maintes correspondances au niveau
diégétique. À la distinction des graphies, des sections et des parties
répondraient bien des histoires distinctes. Ainsi, l’hétérographie serait
le signe flagrant d’un hétérodiégétisme. De même, la bi-partition
générale serait la marque irréfragable d’une isotopie de la rupture.
Selon une logique semblable, on peut observer qu’au niveau
thématique les deux séries multiplient les motifs du double et de la
division. Ces correspondances, de second degré en quelque sorte,
seraient le garant d’une rassurante homologie entre les plans
extradiégétiques et intradiégétiques du Texte. Ces motifs s’avèrent
d’autant plus signifiants qu’ils se retrouvent ou se recoupent dans
l’une et l’autre série, entre les représentations fictionnelles et autobio-
graphiques. Au croisement des deux textes, la prise en compte de
telles isotopies autorise alors un mode de lecture que l’on dira
interdiégétique: on se met à l’affût de tout élément qui dans une série
fait écho à tout autre dans la série adjacente. Planant en quelque sorte
au-dessus de la différence des graphies, des genres et des histoires, ces
thèmes devenus cardinaux se voient peu à peu investis d’une valeur
121 Formé à partir du grec ergon, "travail", et graphein, "écrire", on peut penser à
l’ergographe qui, en musique est un appareil qui sert à mesurer et enregistrer la
dépense des forces musculaires et, notamment, à étudier, sous l’angle physiologique,
les conditions du toucher, dans le jeu des instruments à clavier, Dictionnaire pratique
et historique de la musique. La conception d’un lecteur ergographe suppose une
intelligibilité du texte qui réagit aux caractères sensibles de l’œuvre en tant que celle-
ci opère sur son récepteur en impliquant la "physionomie" ou disposition graphique
du texte.
162 Perec ou le dialogue des genres
130 Ainsi est-il clair que la pratique intertextuelle dominante en critique consiste
plutôt à faire appel à "un autre texte du même auteur plus éloigné dans le temps [qu’]
à un texte d’un autre auteur plus proche dans le temps", A. COMPAGNON, Le
Démon de la théorie (1998). Ainsi, préserve-t-on parfois au sein du structuralisme "la
figure de l’auteur" même quand on s’éloigne de la classique approche biographique
pour replacer l’interêt sur "l’homme profond", celui, dirons-nous, que représente le
discours psychanalytique: "[…] dans ‘La mort de l’auteur’ (1968), Barthes devait
concéder que ‘la nouvelle critique n’a fait bien souvent que […] consolider […]
l’empire de l’Auteur’, au sens où à la biographie, à ‘l’homme et l’œuvre’, elle n’a fait
que substituer un homme profond (à la vie, l’existence)", ibid. p. 75.
131 Rapporté par M. BÉNABOU dans le débat "Vers une théorie de la lecture"
(1999), p. 219.
132 La relation autoreprésentationnelle ou encore métascriptographique consiste
pour le texte à prendre pour thème certaine(s) de ses caractéristiques
présentationnelles, en l’occurrence l’assemblage co-textuel croisé de trois puis de
quatre séries distinctes. Le dernier verbe résume assez bien de façon cryptée
l’opération en cours puisqu’il s’agit bien avec "excellais" de céler le X ou le W.
133 W, X, p. 74.
134 Ibid., p. 76 (je souligne).
166 Perec ou le dialogue des genres
3 Ce que souligne bien Ph. LEJEUNE, ibid., p. 98 et B. MAGNÉ qui parle d’un
livre "placé de manière très massive sous le signe de la rupture", "Les sutures dans W
ou le souvenir d’enfance" (1988), p. 39.
4 Dans les "réaménagements" compositionnels adoptant "un système binaire"
pour délaisser le système ternaire prévu initialement, Ph. LEJEUNE pose cette
question: "Dans quelle mesure Georges Perec a-t-il tenu compte, pour les réaliser [ces
réaménagements], des échos qui pouvaient s’établir entre les chapitres de fiction (au
contenu et à l’ordre fixes) et ces éléments qu’il était encore libre de manipuler?",
ibid., p. 97. Ainsi de l’"enchaînement direct" qui s’ensuit entre la fin du chapitre V
("Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il était advenu de l’individu qui vous a donné
votre nom?", p. 29) et le début du chapitre VI ("C’est mon père, je crois, qui alla me
déclarer à la mairie. Il me donna un unique prénom […]", p. 31).
5 "La guerre des langages" (1973), Le Bruissement de la langue, p. 130.
Parcours de lecture 169
Contraintes de lecture
Après le chapitre XI – chiffre de l’unité duelle ou de la double
unité –, la bi-graphie générale se double d’une bi-partition du livre. En
fait, on l’a vu, la dualité présumée se complique peu à peu dans la
mesure où ce sont bien plus que deux textes et deux genres qui co-
existent dans W. Il n’empêche que globalement le montage contraint à
enchaîner deux régimes de lecture fort différents. En s’accordant au
double volet générique, le double incipit et le dispositif d’alternance
systématique impliquent deux horizons de lecture. Passant ou tré-
buchant d’une série à l’autre, la lecture dévie régulièrement de son
cours. Elle bifurque sans relâche. Ou disons que, pour prendre la
mesure du Texte, il faut parcourir un espace stéréographique. Mais ce
n’est plus au niveau de l’écriture, "espace stéréographique" ou
fusionne une pluralité de codes 6. C’est une stéréographie qui affecte le
mode de lecture7. Le montage pousse à une lecture dialogique.
On sait que pour Perec le livre, notamment de fiction, est le lieu
d’un dialogue, la reprise en quelque sorte idéale d’une situation
dialogale8. Mais il nous faut avec P. Ricœur déplacer la question9. Le
Texte de W ne peut être un simple "intermédiaire" dans une com-
munication idéale ou idyllique entre ces deux instances improbables
que sont, dans un tel cas de figure – celui, dit-on, de la
"communication littéraire" – l’auteur et le lecteur10. Le terme dialo-
gique se fait ici l’écho de la disposition particulière, polygénérique et
6 "En se tressant, eux dont l’origine ‘se perd’ dans la masse perspective du déjà-
écrit, ils désoriginent l’énonciation", R. BARTHES, S/Z (1970), p. 28.
7 PEREC emploie le terme de "stéréographie" à partir des "modèles du dis-
continu" qui multiplient les contraintes: "la stéréographie, les inventions
typographiques, les variations de mises en pages", "Écriture et mass-media" (Preuves
1967), EC1, p. 103.
8 Par exemple, on peut noter: "Un livre est un dialogue entre deux personnes,
l’auteur et le lecteur: un travail de séduction, un échange par l’intermédiaire de la
fiction", "…Sono un ‘archivista’, ma della intervenzione che ‘crea’ la realtà
quotidiena…" (1979), EC2, p. 86.
9 La configuration dialogique qu’induit le dispositif s’oppose donc tout à fait à cet
idéal dialogal suggéré par le paratexte perecquien, voir P. RICŒUR, "Qu’est-ce
qu’un texte?" (1986), p. 138-9.
10 "Le rapport écrire-lire n’est pas un cas particulier du rapport parler-répondre.
Ce n’est pas un rapport d’interlocution: ce n’est pas un cas de dialogue. Il ne suffit pas
de dire que la lecture est un dialogue avec l’auteur à travers son œuvre: il faut dire que
le rapport du lecteur au livre est d’une tout autre nature […]. Le texte produit ainsi
une double occultation du lecteur et de l’écrivain […]", ibid., p. 139.
170 Perec ou le dialogue des genres
11 On peut bien sûr envisager une étape d’effacement des ruptures. Mais ce ne
peut qu’être "par en-dessus", sans minimiser la mise en place d’un dispositif qui fait
tout pour les multiplier. "In W or the Memory of Childhood, there is also something at
work that effaces the ruptures of the alternating chapters with their different genres,
stories, and style", "Emergence in Georges Perec" (2004), Sydney LÉVY, p. 37.
Parcours de lecture 171
Stéréographie
Le dispositif de W propose divers parcours de lecture contra-
dictoires. On va en distinguer principalement trois: 1. homographique:
2. hétérographique: 3. stéréographique. La lecture homographique (1)
passe outre, autrement dit, par-dessus le système en place. Elle tend à
résorber l’hétérogénéité du Texte. Elle rétablit une continuité diégé-
tique en suivant exclusivement l’une ou l’autre série quitte, ensuite, à
les additionner. Mais il s’agit principalement d’une double lecture:
monodiégétique et monogénérique. La lecture hétérographique (2)
s’adapte aux contraintes du dispositif. Elle implique deux modes de
lecture antagonistes qui appréhendent successivement des secteurs
cloisonnés de textes statutairement hétérogènes. Ce second parcours
de lecture accepte la discontinuité effective du Texte. En respectant
l’ordre du Texte, lecture hétérographique prend la mesure du
dispositif en place. Elle rencontre en pratique maints obstacles.
Paradoxalement, suivre le Texte, c’est subir les multiples désordres,
ruptures, suspensions qu’il occasionne. Elle admet certain discord
inter(hétéro)diégétique. Cependant, comme l’alternance est binaire, la
commutation lecturale, inhabituelle au début, s’automatise après
quelques chapitres; ce qui réinstalle, par indentification
typo(géno)graphique, un relatif confort de lecture.
Parcours de lecture 173
14 Ibid., p. 39.
15 Evoquant d’abord la relation entre les séries A/F2 – souvent privilégiée dans
les commentaires – puis leur interaction avec F1, PEREC parle de miroirs qui
s’éclairent réciproquement: "les deux histoires sont comme des … miroirs qui
s’éclaireraient, c’est-à-dire qu’elles n’ont pratiquement pas de rapport. Sauf des petits,
des petits mots dans l’une et l’autre qui les … rejoignent […] mais qu’elles sont
vraiment comme … deux miroirs tournés l’un vers l’autre qui renvoient leurs images
et qui font éclater chacun les deux récits à la lumière de … la première partie du récit
W qui est, lui, vraiment une tentative de récit d’aventures et de roman … imaginaire à
la manière de Swift ou de Daniel Defoe", "Conversation avec Eugen Helmlé" (1975),
EC1, p. 199.
174 Perec ou le dialogue des genres
Correspondances interdiégétiques
Suivre le Texte, c’est adopter le principe et les contre-coups d’une
lecture hétérographique, ce qui suppose d’incessants va-et-vient entre
des formes de récits de plus en plus dissemblables, les différences
narratives, on l’a vu, s’accentuant dans la deuxième partie. Ce qui
pousse à rechercher des voies de passage entre les séries
hermétiquement disposées. La configuration présentationnelle appelle
un tressage entre les divers pans narratifs que tout sépare. Des
correspondances interdiégétiques se devinent, se dessinent ou
s’inventent entre les deux versants du livre. Ainsi, on a vite fait de
repérer des "similitudes thématiques ou événementielles"16.
Puisqu’elles concernent des univers spatio-temporels à la fois distincts
et très différents, l’on dira que les liens qui se tissent sont
inter(hétéro)diégétiques. Et comme ces relations s’envisagent entre
des récits qui textuellement ne fusionnent jamais, elles demeurent
virtuelles: c’est par la lecture qu’elles se réalisent17. De telles
correspondances seront alors dites inter(dynamo)diégétiques. On
rapproche ainsi des éléments qui demeurent distants dans l’écrit. Et
nulle analogie repérable ne saurait faire oublier que les éléments
communs ou corrélables appartiennent d’abord à des ensembles qui
sont, à tous points de vue – topographique, typographique, générique,
18 B. MAGNÉ écrit à juste titre que W est "un lieu de belligérance", d’un conflit
entre "rester isolé, être relié", "Les sutures dans W ou le souvenir d’enfance" (1988),
p. 41.
19La Mémoire et l’oblique (1991), p. 63.
20 Au plan représentatif, on peut distinguer à la suite de G. GENETTE l’aspect
diégétique qui concerne le cadre spatio-temporel, de l’aspect pragmatique qui
concerne un schéma d’actions, soit la part de l’histoire qui constitue une intrigue,
Palimpsestes (1982), p. 341-2. Si les récits sont hétérodiégétiques dans le sens, ici, où
ils narrent des histoires aux univers bien différents, on pourrait les dire
homopragmatiques en ce qu’ils présentent un type d’actions globalement semblables,
ne serait-ce que par l’importance du code herméneutique.
176 Perec ou le dialogue des genres
entre les deux récits masque une différence fondamentale: tout ce qui
sépare une récit fictionnel d’un récit personnel. Tout ce qui sépare un
récit auto(fictio)diégétique d’un récit auto(bio)diégétique.
Ainsi, le "je suis né le samedi 7 mars 1936, vers neuf heures du
soir, dans une maternité sise 19, rue de l’Atlas, à Paris, 19e
arrondissement" (VI, p. 32) reprend le "Je suis né le 25 juin 19.., vers
quatre heures à R., petit hameau de trois feux, non loin de A." (I, p.
11). Toutefois, à l’image des deux Gaspard Winckler (le faux/le vrai),
le rapport entre les deux je n’est que d’homonymie: l’un usurpe
l’identité du premier. En régime fictionnel, le pronom de la première
personne est toujours la marque d’une imposture, d’une feintise: qui
feint la diegesis d’un auteur qui parlerait directement en son nom
propre sans délégation de parole aux personnages. S’il y a bien dans
les deux cas une quête d’identité, les sujets en question relèvent de
statuts génériques parfaitement opposés21. À cheval sur les deux
séries, le redoublement croisé renvoie à l’autre "sujet" et divise
l’énonciateur second, autobiographique: son écho (la fiction) le
précède.
Aussi, dans le dernier chapitre, l’autobiographie se termine sur une
citation d’un livre de David Rousset, L’Univers concentrationnaire
(1946)22. Ces éléments font directement écho à l’allégorie du totali-
tarisme développée à travers les délirantes compétitions sportives de
l’île de W (F2). L’on admet que cette séquence fournit la "clé"
interprétative du livre. Or cet éclairage de portée historique (la Shoah)
s’appuie sur une mutation trans-générique de la fiction: la fiction
romanesque inspirée au départ de J. Verne (F1) se change du coup en
allégorie, fable, "parabole" (F2). Surtout, cette interprétation n’est
suggérée qu’à l’extrême fin du livre. Elle ne peut donc qu’être
rétrospective. Ce qui suppose une re-lecture complète mais, si l’on en
L’enchevêtrement virtuel
En dépit de l’apparente incompatibilité des textes assemblés ("il
pourrait presque sembler qu’ils n’ont rien en commun"), le prière
d’insérer souligne qu’ils sont "inextricablement enchevêtrés". Associé
aux termes d’écheveau, de branches, de ronces, le verbe "enchevêtrer"
convoque une idée qui s’oppose à celle d’alternance réglée: "engager
l’une dans l’autre (diverses choses) de façon désordonnée". On
retrouve cette idée de désordre dans "enchevêtrement": un "amas, un
réseau de choses enchevêtrées". Quant à l’adverbe "inextricablement",
il évoque un type d’agencement plutôt indissoluble. Dans un sens
littéral, l’articulation du divers s’accomplit au moyen de chevêtres:
"pièce de bois dans laquelle s’emboîtent les solives d’un plancher".
Diversité, imbrication, absence d’ordre, voilà quelques aspects qui
28 Dans son analyse d’Orange mécanique, PEREC établit un lien entre "violence"
et "capital", cit. in D. BELLOS, Georges Perec, Une vie dans les mots (1994), p. 513.
29 On renvoie à ce commentaire de PEREC: "Les camps de concentration sont
une manifestation logique poussée à son … paroxysme et qui … existe dans la
quotidienneté et puis qui, d’un seul coup, devient envahissante", "Conversation avec
Eugen Helmlé" (1975), EC1, n. 3, p. 197.
180 Perec ou le dialogue des genres
Chaque série ne renferme qu’une part de ce qui peut se dire. Par une
sorte d’incapacité représentative, le manque est ce qui définit chaque
série prise indépendamment l’une de l’autre. Ce n’est que le recours à
l’autre qui peut remédier à cette limite de la représentation. Chaque
série y trouve son complément virtuel. Au manque dans l’une répond
dans l’autre une marque susceptible de le combler.
Le Texte de W ne se réduit donc pas à ce qui s’inscrit noir sur
blanc. Dans cette insuffisance à représenter, les deux séries sont sur un
pied d’égalité. L’une ne l’emporte pas sur l’autre. Aucune ne
surplombe l’autre. La signification de W se situerait à leur
"intersection": entre les textes s’exprime un non-dit. Ce qui se dit ne
peut se dire qu’à leur intersection. À leur croisement. L’intersection
est en effet bien "fragile" puisque les deux textes actuels ne se
rencontrent effectivement jamais. Aucune immixtion n’a lieu. Aucun
chevêtre, aucun point d’articulation, aucune ligature ne se repèrent. À
aucun moment les deux écrits manifestement ne se mêlent. On
pourrait être intrigué par cette absence concrète d’intrication entre
deux textes que l’on décrit pourtant comme intimement enchevêtrés.
Leur rencontre n’a pas lieu. Elle reste entièrement virtuelle.
Parcours de lecture 181
Autobi(o)graphie à contrainte?
W ou le souvenir d’enfance est-il un texte issu d’une éventuelle
contrainte spécifique? Ou encore, suivant la formule de Ph. Lejeune,
"s’agit-il d’une autobiographie ‘oulipienne’, fondée sur un jeu de
contraintes?"31. L’on peut en effet se poser la question dans la mesure
moyen d’évoquer, par des voies obliques, ce qui d’une vie ne peut se dire: l’incon-
scient ou l’insupportable", p. 18.
32 "Notes sur ce que je cherche" (1978), Penser/classer, p. 11.
33 B. MAGNÉ, "La Textualisation du biographique" (1989), p. 167.
34 Voir sur ce problème notre prochain chapitre.
35 Dans "Une autobiographie sous contrainte" (1993), Ph. LEJEUNE évoque
surtout des "contraintes sémantiques" que, par analogie avec les contraintes formelles,
il nomme liposème et monothématisme, p. 20-1. Les contraintes de lectures, quant à
elles, sont "liées à des procédés de montage", ibid.
36 Entretien avec Ewa PAWLIKOWSKA (1981), EC2, p. 204. Rappelons qu’Un
homme qui dort est l’un des deux ouvrages cités dans la note sur "L’auteur" pour la
quatrième de couverture de W.
37 Cette section reprend certains éléments de notre article paru en anglais: "An
Auto-bi-graphy" (1998), p. 473- 476.
Parcours de lecture 185
Pour Perec, cette idée d’une forme devait bien jouer le rôle d’une
contrainte et c’est en pensant au procédé lipogrammatique qu’il mit en
œuvre la fiction W:
[…] l’idée d’un feuilleton continue à me paraître fascinante,
même si elle ne se présente plus avec la même nécessité qu’il y
a trois semaines. En admettant qu’une livraison quotidienne est
trop contraignante, on pourrait penser à une publication
hebdomadaire, ou bimensuelle […]. À vrai dire, en me posant la
question, je me suis demandé s’il m’était vraiment indis-
pensable d’avoir recours à une stimulation extérieure, qui
jouerait pour W le rôle que l’absence d’E joua pour La
Disparition [...]. Je pense que quand j’aurai vraiment démarré,
et si alors je crois encore avoir besoin de recourir au feuilleton,
je vous soumettrai le début de W […]49.
D’où un récit feuilleté qui, dans sa disposition finale, garde les traces
autant de son mode de composition – dissocié et successif – que d’un
certain mode de diffusion – discontinu et suspensif. Pour qualifier la
façon dont se configure le Texte au plan scriptographique – autrement
dit sous l’angle de son exposition – l’on peut recourir au concept
barthesien de partition58.
55 Ibid., p. 58.
56 On peut prolonger la citation par cet autre extrait du commentaire sur
l’entreprise de re-souvenir: "quels que soient, aussi, les progrès que j’ai pu faire
depuis quinze ans dans l’exercice de l’écriture, il me semble que je ne parviendrai
qu’à un ressassement sans issue", ibid. (je souligne). Le mot "ressassement" est repris
à la page suivante: "je ne retrouverai jamais, dans mon ressassement même, que
l’ultime reflet d’une parole absente à l’écriture […], ibid. p. 59 (je souligne).
57 Ibid., p. 58 (je souligne).
58 Mais au lieu d’un texte "polyphonique", dont le jeu pluriel des codes est réduit
dans le texte lisible par la "séquence narrative", on peut parler de texte poly-
graphique, voire, hétérographique (supra): la partie autobiographique n’est pas
190 Perec ou le dialogue des genres
comme du cycle policier des Hortense dont on sait qu’il est gouverné
par une composition inspirée de la sextine19.
Il y a bien deux stratégies distinctes: marquer ou bien masquer la
contrainte. Montrer ou pas la contrainte, Perec le rappelle dans un
entretien de 1981 20, a été longuement discuté à l’Oulipo avec des avis
divergents21. Et l’ambivalence manifestée quant aux différentes
stratégies adoptées, parfois pour les mêmes textes, trahit sans doute un
problème de fond. Suivant que l’on se place du côté du scripteur ou
bien du lecteur. Et l’affaire n’est peut-être pas seulement relative à une
question de point de vue. Elle se complique d’options idéologiques.
Car se placer du côté du lecteur peut entraîner deux attitudes
résolument contraires.
Soit que l’on adopte une position, disons idéaliste, celle en gros qui
privilégie le plaisir du romanesque. Ainsi, à propos de La Vie mode
d’emploi, la façon dont Perec imagine son lecteur "à plat ventre sur
son lit, en train de lire le livre […] en passant des pages parce que ça
l’embête"22: "Je voulais", dit-il, "qu’au niveau de la lecture, les mots
23 Ibid.
24 Ibid., p. 170.
25 "Je parle de mon travail parce que je sais que toute la production de
l’imaginaire, de la fiction, du plaisir de lecture et d’écriture qu’il y a dans ce livre
découle pour moi de ces règles que je me suis données au départ et avec lesquelles
ensuite j’ai joué […]", ibid., p. 165.
26 Ibid., p. 170.
27 Ibid., p. 172.
28 Ibid., p. 171.
29 L’édition originale d’Ulcérations, Bibliothèque oulipienne nº1 (1974)
s’accompagne des séries hétérogrammatiques non reprises pour La Clôture, p. 55-67.
Pour plus de détails, voir la note 30, ibid., et les études de M. RIBIÈRE et de B.
MAGNÉ dans Les Poèmes hétérogrammatiques (1992), p. 10-26, 48-51 et 132-136.
Lisibilité du texte contraint 199
30 "J’ai passé autant de temps à tricher qu’à respecter les règles, ce qui ne me
gène pas du tout […]. C’est un peu embêtant qu’il y ait cent chapitres dans un livre
dix sur dix, je veux dire que c’est trop régulier. Il y a une image que je trimballe avec
moi depuis vraiment ma petite enfance et qui est une sorte de définition de la
programmation du hasard […]. Cela se retrouve dans beaucoup de dispositifs
mécaniques. Cela m’a donné d’abord l’idée d’enlever un chapitre, de façon à ce que
l’on ne puisse pas reconstituer le système qui n’existe que pour moi et que je voulais
un peu "tour de piser", rendre un peu bancal quelque part il fallait qu’il y ait une
erreur mais cette erreur ne pouvait pas être laissée au hasard complet pour beaucoup
de raisons", ibid., p. 165-6.
31 Ainsi du chapitre supprimé dans La Vie mode d’emploi "pour casser la
symétrie, pour introduire dans le système une erreur parce que quand on établit un
système de contraintes, il faut qu’il y ait aussi l’anticontrainte dedans. […] il faut qu’il
y ait du jeu, comme on dit, que ça grince un peu: il ne faut pas que ça soit
complètement cohérent: il faut un clinamen – c’est dans la théorie des atomes
d’Epicure: "le monde fonctionne parce qu’au départ il y a un déséquilibre", EC2, p.
202. Voir aussi "Ce qui stimule ma racontouze…" (1981) pour le célèbre exemple à la
fin du chapitre LXV de La Vie mode d’emploi de la petite fille qui mord dans un petit
beurre et "fait tomber le chapitre suivant si bien que toute la numérotation de la suite
est fausse, EC2, p. 166. Voir aussi EC1, note 16, p. 240.
32 Selon la célèbre distinction de BARTHES, le scriptible, "ce qu’il est possible
d’écrire" est "ce qui peut être aujourd’hui écrit (ré-écrit): "faire du lecteur, non plus un
consommateur, mais un producteur du texte", S/Z, p. 10. Il s’agit bien d’une lecture-
écriture potentielle dont les réécritures transformationnelles actualisent le processus.
200 Perec ou le dialogue des genres
En fait, Perec avait déjà explicité l’une de ces deux contraintes dans le
précédent article de L’Arc relative au "Compendium": poème qui
énumère les 179 personnages dont "chaque ‘vers’ comporte soixante
signes typographiques, un espace entre deux mots comptant pour un
signe"45. Quoi qu’il en soit, l’on peut douter qu’en révélant une part de
la contrainte sans dévoiler l’ensemble d’un dispositif compositionnel,
l’on décourage toute lecture "archéologique".
La lisibilité du texte qui se fait au détriment de la lecturabilité des
contraintes opère un triple masquage. Dans le texte, puisqu’elles ne
sont point sur place marquées ni retraçables. Contre le texte, puisque
toute révélation d’ordre para(épi)textuel détourne de la lecture du
texte proprement dit pour déplacer l’interêt vers un ailleurs. Dans la
relecture du texte, puisque la stratégie de la révélation différée peut
s’avérer incomplète: elle fait passer une partie pour le tout de la
contrainte.
1 "La vie est un livre", entretien avec Jean ROYER (Le Devoir 1979), EC2, p. 76.
On attend sans doute le terme de "cultures" au lieu de "clôtures (sic)", ainsi que le
remarque cette édition. Mais, là encore, le lapsus ou l’erreur de retranscription nous
paraissent plutôt révélateurs quand PEREC ajoute, contre tout enfermement mono-
générique: "Il faut travailler dans une dimension tantôt autobiographique, tantôt
romanesque ou purement ludique", ibid.
2 Voir sur ce sujet Les Genres littéraires (1992) de D. COMBE: "la poétique
grecque instaure une longue tradition ségrégationniste, essentialiste de la théorie des
genres, qui doivent être soigneusement cloisonnés", p. 30. Condamnation du mélange
des genres que l’on repère chez HORACE: "L’Art poétique, dès l’ouverture, pose le
problème du mélange des genres pour le condamner au nom de l’unité de l’œuvre,
dont le principe est directement inspiré de l’unité d’action dans la tragédie, étendu à la
poésie toute entière", ibid., p. 40.
3 "Ainsi, dès que du genre s’annonce, il faut respecter une norme, il ne faut pas
franchir une ligne limitrophe, il ne faut pas risquer l’impureté, l’anomalie ou la
monstruosité", J. DERRIDA, "La loi du genre" (1979), Parages, p. 253.
204 Perec ou le dialogue des genres
pas, c’est bien qu’il ouvre la voie d’accès à ce qui, hors lui, est sans
référent.
Si le sujet se forge, se perd, se dé-couvre ou se perce en cours
d’écriture, l’entreprise n’a d’intérêt que parce qu’elle est avant tout
exploration, aventure, interrogation. Ou bien en quête d’un objet
inconnu, non-dit, d’une chose, il importe avant tout de considérer une
forme, non par fétichisme de la forme voire esthétisme de la "belle
forme". Mais d’en prendre la mesure précisément parce qu’elle est
inédite et donc est l’occasion d’une expérience autre. Elle peut nous
surprendre alors qu’elle est advenue telle par suite d’une recherche
personnelle, afin de chercher à dire ou suggérer ce qui ne pouvait être
évoqué au moyen d’une forme d’emprunt. Mais qu’un écrivain
résolve ou pas ses problèmes existentiels, identitaires et que l’Œuvre
hégémonique en conserve, éparse au fil de textes fossiles, les marques
et les traces, l’on peut se demander: en quoi cela peut-il intéresser un
lecteur? Certes un ami, peut-être un groupi dont toute l’occupation
obsessive est de s’identifier à un écrivain qui fascine. N’est-ce pas
alors entretenir une bien piètre image du rôle du lecteur,
éventuellement de sa fonction, que de le réduire à sonder, derrière le
masque ou l’apparence que constituerait alors l’ouvrage, ce que celui-
ci ne ferait finalement que recouvrir: une certaine identité.
L’expérience de lecture ne peut se limiter à n’être qu’une recherche
identitaire, la personnalité, l’humanité en seraient-elles admirables,
celles d’un auteur sympathique devenu canonique. Car c’est bien la
singularité, le caractère inoui de l’ouvrage advenu qui glisse au second
plan, relégué, en dépit de sa facture ou manière tout à fait inclassables,
au ban d’un moyen expressif, éventuellement surexpressif quand
l’inconscient est censé l’informer, au statut d’un fond sur lequel se
dissèquent des traces, biographèmes selon un certain "aencrage". Le
divertissement, la diversion biographiques détournent la lecture alors
d’une occasion: celle que l’on perd, nous dirons faute de mieux, de
faire une expérience artistique, si l’on entend par là le non-refus d’un
face-à face avec tout ce qui fait qu’un ouvrage se présente sous une
forme littéralement jamais vue: autrement dit, dans un certain sens,
monstrueuse12, insolite, excessive.
13 La traduction anglaise du mot en acrostiche, AME, par EGO dans La Vie mode
d’emploi est un rien symptomatique de ce que l’on pointe comme dérive biocentrique.
Alors qu’il suffit sans doute de lire dans AME l’acronyme du titre "la Vie Mode
d’Emploi (VME) ainsi que couramment on l’abrège, le V comme un A tête-bêche ou
bien formant unis un W, pour repasser du culte de la personne à l’examen de
l’ouvrage dont on crypte le titre.
14 MALLARMÉ, Le Mystère dans les lettres, op. cit., p. 234.
15 "Le tout-à-lire" (1981), entretien avec Mireille CALLE-GRUBER, p. 27.
La rotation des clôtures 209
D’un certain côté, l’hybridation est toujours mal perçue dans nos
sociétés (Barthes). L’on hésite encore à mettre en avant l’œuvre du
mélange des genres, toute tentative de sortie anti-monologique. Mais
d’un autre côté, sous la forme de la fusion, du métissage ou du
brassage, elle est devenue aujourd’hui la nouvelle idéologie
dominante17. L’"assimilation", l’occultation des différences, tout
facteur d’unification du "tissu" social favorisent la culture de masse,
facilitent le règne de la marchandise. En obtempérant à la raison ou
déraison mercantile, la massification du social n’est que la
conséquence d’une logique marchande, d’où la massification de la
culture, de la lecture. Mais génériquement, en littérature du moins,
agit toujours certain binarisme d’apparence irréductiblement
antinomique: c’est de la fiction ou de l’autobiographie. Ainsi l’auto-
biographique s’oppose au romanesque comme l’historiographique au
fictionnel, le phénoménologique au fantasmatique. Si à hauteur d’une
œuvre la versatilité peut être signe favorable d’universalité, à hauteur
d’un ouvrage la diversité devient facteur d’illisibilité. Il y a un
pluralisme idéal qui rassure quand l’on ne s’y confronte que sur un
mode idéel: ainsi d’un discours général sur l’œuvre ou sur l’auteur. Il
s’y accomplit de façon atopique. Car où commence et où l’œuvre
finit-elle? Surtout s’il s’agit d’un ensemble où chaque ouvrage est
délibérément poly-intertextuel. Davantage si l’ensemble se définit
moins comme une œuvre que comme un ouvroir où s’expérimentent
des formes. Or, le problème avec un livre comme W, est que l’œuvre
du mélange des genres ne s’y présente pas sous la forme de la fusion,
du brassage, du métissage. Entre les genres, c’est un dialogue plus
qu’un mélange qui s’y propose. Ne s’y efface aucune disparate des
idiomes en présence. Le litige s’y poursuit continûment, du début à la
fin. La contestation des récits et des textes donne matière à procès, à
poursuivre selon une stéréographie toute particulière. Elle ne transige
pas. Mais s’il y a dialogue entre les genres, tout dans le dispositif
accuse leurs différences et, dans un certain sens, la satire18 vire plutôt
à leur confrontation.
mélange des registres ou des tons est aussi caractéristique de W alors qu’aujourd’hui
l’on en tendance à tout reverser au compte d’une poétique du deuil et de la
mélancolie.
19 Certain rapprochement homophonétique entre les deux premiers souvenirs dans
W pourrait se prêter à une telle lecture, IV, p. 22-3.
20 "À l’unité de la culture de masse répond dans notre société une division non
seulement des langages, mais du langage lui-même", R. BARTHES, "La division des
langages", Le Bruissement de la langue, p. 113, 118.
21 Ibid., p. 126.
212 Perec ou le dialogue des genres
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224 Perec ou le dialogue des genres
I. PEREC HÉTÉROGRAPHE 7
Intertextualités 12
Polygénéricité 18
Modèles de lecture 20
1. L’interrogation sociologique 29
2. L’interrogation ludique 33
3. La voie romanesque 44
4. La dimension autobiographique 49
Renouveau autobiographique 57
La guerre des genres est le moteur du texte 61
Fiction/autobiographie: mutations inter-génériques 64
Le mélange des genres 67
Montage scriptographique 70
Scriptographies 76
Auto-péri-graphie 80
Première ouverture: la jaquette 80
Première de couverture: le titre (deuxième) 84
Disposition en chiasme 88
Parallélisme formel 90
Quatrième de couverture: le prière d’insérer 92
La note auto-bio/bibliographique 100
Double titre: le titre comme marque du manque et du masque 103
Double (c)ouverture 108
228 Perec ou le dialogue des genres
BIBLIOGRAPHIE 213
Table des Matières 229