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Lecture analytique n° 10 :

la rencontre de Frédéric Moreau et de Mme Arnoux


Frédéric Moreau, jeune étudiant, rencontre Mme Arnoux sur un bateau allant de
Paris à Nogent-sur-Seine.

Ce fut comme une apparition :


Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne,
dans l’ éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il
féchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.
5
Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent,
derrière elle. Ses bandeaux1 noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas
et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa fgure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de
petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et
10 son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu.

Comme elle gardait la même attitude, il ft plusieurs tours de droite et de gauche pour
dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il
affectait d’observer une chaloupe sur la rivière.
15
Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette
fnesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement,
comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son
passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle
20 avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique
même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse
qui n’avait pas de limites.
Une négresse2, coiffée d’un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite flle,
déjà grande. L’enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s’éveiller. Elle la prit sur ses
25 genoux. « Mademoiselle n’était pas sage, quoiqu’elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne
l’aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. » Et Frédéric se réjouissait d’entendre
ces choses, comme s’il eût fait une découverte, une acquisition.
Il la supposait d’origine andalouse, créole3 peut-être ; elle avait ramené
30 des îles cette négresse avec elle ?
Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le
bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides,
en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les
35 franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau, Frédéric ft un bond et le rattrapa. Elle lui
dit :

- Je vous remercie, monsieur.


Leurs yeux se rencontrèrent.
Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, 1869

1 bandeaux : mèches de cheveux des deux côtés du front


2 négresse : le mot n’a pas de connotation péjorative au XIXème siècle.
3 créole : désigne une personne blanche née dans les colonies d’outre-mer.
Idées contenues dans ce texte :
– Frédéric a un “coup de foudre” pour l'inconnue
– Cela ressemble à une révélation, à une rencontre
mystique, religieuse
– Il semble s'intéresser davantage à ce qu'elle représente
qu'à ce qu'elle est physiquement
– Il souhaite tout connaître d'elle, il examine le moindre
détail sans intérêt, il l'épie
– La rencontre est vue du point de vue de Frédéric
seulement
– Frédéric est excessif, s'enflamme
– Le lecteur ne connaît pas les sentiments de l'inconnue
– Il imagine le passé de l'inconnue
– Il est prisonnier de son imagination, de clichés; il idéalise la
jeune femme
– etc
Axe Relevé Outil Interprétation
Ce fut comme une Apparition Une apparition, appréhension immédiate, ressentie comme
apparition Hyperbole indubitable, claire et directe de la présence de Dieu, du
Connotation Divin, d'un phénomène surnaturel ou d'un message céleste
religieuse (Ange). On parle également de songe ou de vision. Dans le
Christianisme les apparitions les plus fréquentes sont celles
liées à la Vierge Marie : on parle alors spécifiquement
d'Apparition mariale.
Madame Arnoux évoque le topos de la Vierge à l’enfant posé
sur ses genoux.

distingua personne, Champ lexical du Dès la première phrase, le regard est présent (" une apparition
dans l’éblouissement que regard "), et le champ lexical de la vue s’étend sur tout l’extrait,
concentrant toute l’attention sur l’inconnue : " il ne distingua ", "
lui envoyèrent ses il la regarda ", " jamais il n’avait vu " ; chaque terme étant
yeux. renforcé par l’emploi hyperbolique des adverbes " jamais " et "
quand il se fut mis plus personne ".
loin, du même côté, il la
regarda.
il affectait d’observer
une chaloupe sur la
rivière.
Jamais il n’avait vu cette
splendeur Il
considérait

Leurs yeux se
rencontrèrent.

l’éblouissement que lui hyperboles Les termes employés par le narrateur pour évoquer la rencontre
envoyèrent ses yeux. sont excessifs : Frédéric est impressionné par ce qu'il voit, même
s'il se rend compte que ce qu'il voit est parfois assez banal (le
Jamais il n’avait vu cette panier à ouvrage, par exemple).
splendeur de sa peau
brune, la séduction de
sa taille, ni cette fnesse
des doigts que la
lumière traversait.

Il considérait son panier


à ouvrage avec
ébahissement, comme
une chose
extraordinaire.

Elle était assise, au milieu Pronoms L’alternance des pronoms de la troisième personne " il ", "
personnels elle ", met en valeur les positions réciproques des deux
du banc, toute seule ; ou personnages : madame Arnoux centre du regard, Frédéric
du moins il ne distingua Moreau, voyeur.
personne, dans
l’éblouissement que lui
envoyèrent ses yeux. En
même temps qu’il passait,
elle leva la tête

Elle était assise, au Allitération en (s) L'allitération a pour fonction de souligner deux passages du
texte, qui correspondent au portrait de Mme Arnoux.
milieu du banc, toute
seule ; ou du moins il ne
distingua personne,
dans l’éblouissement
que lui envoyèrent
ses yeux.

Jamais il n’avait vu cette


splendeur de sa peau
brune, la séduction de sa
taille, ni cette fnesse des
doigts que la lumière
traversait. Il considérait
son panier à ouvrage

Elle avait un large Description Le portrait de Mme Arnoux intervient dans le texte juste après le
mot “apparition” : Frédéric ne résiste pas au plaisir de dépeindre
chapeau de paille, avec
la femme qu'il vient de voir.
des rubans roses qui La description suit un ordre logique : du chapeau au visage, puis
palpitaient au vent, la robe, les mains, puis le visage (“nez” et “menton”). Elle suit
derrière elle. Ses donc le regard de Frédéric. Toute la description se fait du point de
bandeaux noirs, vue de celui-ci.
contournant la pointe de Le portrait insiste assez peu sur le physique : “ses grands sourcils”,
ses grands sourcils, “l'ovale de sa figure”, “nez droit”, “son menton”. Peu de parties du
visage sont détaillées ; les adjectifs sont peu nombreux. Il est
descendaient très bas et
sensible à l'attitude, à la posture de Mme Arnoux, à l'image qu'il a
semblaient presser devant lui.
amoureusement l’ovale
de sa fgure. Sa robe de
mousseline claire,
tachetée de petits pois,
se répandait à plis
nombreux. Elle était en
train de broder quelque
chose ; et son nez droit,
son menton, toute sa
personne se découpait
sur le fond de l’air bleu.

Ses bandeaux noirs, personnification L'insertion de l'adverbe “amoureusement” est surprenante ici :
Frédéric plaque ses propres sentiments sur Mme Arnoux.
contournant la pointe de
ses grands sourcils,
descendaient très bas et
semblaient presser
amoureusement
l’ovale de sa fgure.

et son nez droit, son gradation La description se clôt sur cette gradation : elle permet de voir
l'intégralité de sa silhouette. Le regard de Frédéric s'éloigne
menton, toute sa pour considérer l'ensemble.
personne se découpait Elle insiste également sur le sentiment du personnage : il est
sur le fond de l’air bleu. troublé par ce qu'il voit.

Elle avait un large Verbes de Le portrait de Mme Arnoux n'est pas statique, figé ; il est en
mouvements ou mouvements. Les différents éléments décrits semblent vivants,
chapeau de paille, avec d'actions semblent se déplacer.
des rubans roses qui
palpitaient au vent,
derrière elle. Ses
bandeaux noirs,
contournant la pointe de
ses grands sourcils,
descendaient très bas et
semblaient presser
amoureusement l’ovale
de sa fgure. Sa robe de
mousseline claire,
tachetée de petits pois,
se répandait à plis
nombreux.

éblouissement, doigts Champ lexical de la La présence de ce champ lexical renforce le sentiment d'
que la lumière lumière “apparition” : c'est une Madone qui se présente devant lui,
traversait. baignée dans un halo de lumière.

Elle était en train de Décalage entre la Frédéric a pleinement conscience du décalage entre ce qu'il
broder quelque chose banalité de la scène éprouve et la banalité, le simplicité de ce qu'il voit : il est
et les sentiments de émerveillé par ce qu'elle fait (elle brode) et par ce qu'elle dit
Il considérait son panier Frédéric (qui est rapporté au discours direct, donc mis en valeur).
à ouvrage avec champ lexical de la
ébahissement, comme banalité
une chose comparaisons
extraordinaire.
Et Frédéric se réjouissait champ lexical de

d’entendre ces choses, l'extraordinaire


comme s’il eût fait une
découverte, une
acquisition.

roses, noir, bleu, Notations de Les couleurs sont nombreuses et variées, comme des touches
brune, couleurs dans un tableau : elles attirent l'oeil (de Frédéric) et détachent
violettes ... Mme Arnoux du reste (décor et personnages).
Comme elle gardait la Champ lexical de la Dès lors qu'il est tombé sous le charme de Mme Arnoux,
dissimulation, du Frédéric agit, manoeuvre, pour pouvoir l'épier. Le pronom
même attitude, il ft masque personnel “il” devient omniprésent.
plusieurs tours de droite +
et de gauche pour vocabulaire
dissimuler sa militaire
manœuvre ; puis il se + répétition du
planta tout près de son pronom personnel
ombrelle, posée contre le “il”
banc, et il affectait
d’observer une
chaloupe sur la rivière.
f échit
il
involontairement les
épaules ; et, quand il se
fut mis plus loin, du
même côté , il la
regarda.
il ft plusieurs tours de
droite et de gauche pour
dissimuler sa
manœuvre ; puis il se
planta tout près de son
ombrelle, posée contre le
banc, et il affectait
d’observer
Jamais il
n’avait vu cette
splendeur de sa peau
brune, la séduction de sa
taille, ni cette fnesse des
doigts que la lumière
traversait. Il considérait
son panier à ouvrage

Il souhaitait

Il considérait son panier comparaisons Frédéric a pleinement conscience du décalage entre ce qu'il
éprouve et la banalité, le simplicité de ce qu'il voit : il est
à ouvrage avec émerveillé par ce qu'elle fait (elle brode) et par ce qu'elle dit (qui
ébahissement, comme est rapporté au discours direct, donc mis en valeur).
une chose
extraordinaire.

Et Frédéric se réjouissait
d’entendre ces choses,
comme s’il eût fait
une découverte, une
acquisition.

Jamais il n’avait vu hyperboles


cette splendeur de sa
peau brune, la séduction
de sa taille, ni cette
fnesse des doigts que la
lumière traversait. Il
considérait son panier à
ouvrage avec
ébahissement, comme
une chose
extraordinaire.
qui n’avait pas de
limites.

Longue phrase Emporté par ses sentiments, par son désir de la connaître, il
Il souhaitait ne parvient pas à arrêter sa phrase, soulignée par une
connaître les gradation gradation. C'est la phrase la plus longue de tout l'extrait.
meubles de sa
chambre, toutes les
robes qu’elle avait
portées, les gens
qu’elle fréquentait ; et
le désir de la
possession physique
même disparaissait
sous une envie plus
profonde, dans une
curiosité
douloureuse qui
n’avait pas de
limites.

Quels étaient son Discours indirect A trois reprises, nous connaissons les pensées de Frédéric. Il
nom, sa demeure, sa libre se pose des questions sur cette inconnue. Il reconstruit son
vie, son passé ? gradation passé. Il bascule dans l'imaginaire.
Il est victime de clichés : l'andalouse évoque Carmen, la créole,
Il la supposait l'île, la mer le goût pour l'exotisme des romantiques. Il n'est plus
d’origine andalouse, plus-que-parfait dans un bateau voguant sur la Seine (un fleuve), mais en mer,
créole peut-être ; voguant vers des îles lointaines...
elle avait ramené clichés
des îles cette
négresse avec elle ?

Elle avait dû, bien


des fois, au milieu
de la mer, durant les
soirs humides, en
envelopper sa taille,
s’en couvrir les
pieds, dormir
dedans !

« Mademoiselle n’était Discours direct Les seules paroles rapportées dans l'extrait sont celles qui
pas sage, quoiqu’elle sont échangées entre la servante et Mme Arnoux (paroles
eût sept ans bientôt ; banales) et le remerciement final : Frédéric est sous le
sa mère ne l’aimerait
charme, au point que ces mots lui semblent importants.
plus ; on lui pardonnait
trop ses caprices. »
- Je vous remercie,
monsieur.

Prob: En quoi peut-on dire que Frédéric a un coup de foudre pour Mme. Arnoux ?

Axe 1: Frédéric est intéressé par Mme. Arnoux : il est attiré / sa curiosité est excitée
1) Il ne voit qu'elle
premier paragraphe
champ lexical du regard + phrase n° 2

2) Il se pose des questions sur elle


questions – discours indirect libre
3) Il l'observe et la décrit
(deuxième paragraphe)
description physique : le physique ne l'emporte pas

Axe 2: Il tombe amoureux d'elle : c'est un coup de foudre


1)Romantisme=amour
champ lexical de l'eau

2) Il est attiré par Mme.Arnoux : il agit


hyperbole + champ lexical de la beauté + répétition du pronom personnel “il”

3) Il ne voit que la beauté de Mme.Arnoux


accumulation (l.15.16)
Axe 3: S'agit-il d'un coup de foudre réciproque ? / Le coup de foudre ne semble pas réciproque
1) On ne sait pas ce que penses Mme Arnoux, le point de vue ne nous exprime que les pensés
de Frederic
point de vue externe + point de vue omniscient
2) On ne sait pas ce que penses Mme. Arnoux par rapport à Frederic
vouvoiement + discour direct
3)Peut-être a-t-elle également des sentiments
(dernière phrase) litote

Situation :
Nous sommes à cinq ou six pages du début de l’œuvre : en 1840, Fr. Moreau quitte Paris pour Nogent
sur Seine. Le personnage a sommairement été présenté au lecteur : il est bachelier, espère un héritage et
se déclame des vers mélancoliques. Il se crée donc un horizon d’attente -le roman de formation d’un
jeune romantique- que Flaubert va s’attacher à déconstruire.

I-Un portrait pictural


>le motif -L’attitude de Frédéric est celle d’un peintre : s’éloigne, se tourne...
-Madame Arnoux se détache en motif romantique - au milieu du banc toute seule, rubans qui palpitent,
sa robe forme un drapé pictural – mais aussi selon le topos de la Vierge à l’enfant posé sur ses genoux
(ceci annonce à la fois son prénom et la troisième partie où elle se dévouera à son fils malade) comme
en témoigne le vocabulaire religieux de l’ « apparition ».
>les couleurs
Ce sont les couleurs contrastées d’un tableau impressionniste : roses, noir, bleu,
brune, violettes ...
>la lumière
Elle connote l’idée de pureté et renforce le motif marial : éblouissement, doigts que la lumière
traversait.
Par ailleurs ce tableau très harmonieux se double d’un rythme qui va renforcer cette atmosphère
paisible.
>le rythme
Le 2°§ se compose d’une cadence majeure à laquelle succèdent deux phrases en rythme ternaire : le
tempo est donc à la fois enthousiaste et régulier. Il se double d’une forte allitération en [S] aux 2° et 4° §
créant ainsi un portrait à valeur proleptique conforme à ce que sera Mme Arnoux dans tout le roman - un
idéal de douceur.
Il s’agit maintenant de se poser les questions suivantes : Qui fait ce portrait ? Pourquoi apparaît- elle si
belle ?

II- Ce que voit Frédéric ; ce qu’il imagine.


>Le point de vue interne
La description est assumée par Frédéric comme en témoignent les nombreux verbes de vision ainsi que
les modalisateurs (amoureusement, splendeur).
On bascule petit à petit dans l’imagination de Frédéric grâce à l’utilisation du discours indirect libre
dans le 4°§ : le lecteur n’a plus seulement accès à ce qu’il voit mais aussi à ce qu’il pense, ce qu’il
imagine. Ainsi se forme la dynamique du texte : une plongée progressive dans l’esprit de Frédéric. Dans
le même temps, nous sommes par définition à mi-chemin entre la narration et le discours et se pose
légitimement la question : le narrateur assume-t-il pleinement les pensées de son personnage ? Ceci
peut-être un fil conducteur de toute l’étude du roman.
>L’excès
Frédéric bascule instantanément dans l’idolâtrie et souhaite connaitre sa chambre, toutes les robes,
les gens ce qui est résumé dans la formule « une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites ». Le
personnage est donc présenté dans toute son hubris : le lecteur sait ce que sera sa perte.
>les clichés romanesques
Frédéric mêle tous les clichés de son époque : -l’exotisme : la négresse rappelle les tableaux
de Delacroix, l’andalouse évoque Carmen et la
créole fait référence à Paul et Virginie. -le voyage : Frédéric renvoie à la littérature de voyage avec
la rêverie au milieu de la mer.
Ainsi, l’imagination du personnage prend appui sur ses lectures romanesques et ne témoigne d’aucune
originalité.
Mais que pense donc le narrateur de son personnage ?

III- Regard du narrateur sur son personnage


>L’attitude de Frédéric
Le narrateur met en scène sa gaucherie en insistant sur le manque de naturel de toutes ses actions : pour
dissimuler sa manœuvre (voc. Militaire), se planta, affecta
Ceci doit être mis en relation avec l’ensemble du roman : jamais il n’ose aborder Madame Arnoux ni
même Rosanette.
>Les pensées de Frédéric
Le narrateur nous invite à voir, à prendre conscience de la banalité de la scène : ce ne sont que des
choses.
-comme une chose extraordinaire
-se réjouissait d’entendre ces choses comme s’il eût fait une découverte
Le lecteur fait donc le va-et-vient entre l’enthousiasme de Frédéric et la lucidité du narrateur mais tout
ceci sans appuyer, avec légèreté. Tout ceci culmine au dernier § quand Frédéric s’imagine au milieu
de la mer lorsqu’il n’est que sur la Seine.
>La rencontre
Il s’agit d’une scène de première rencontre mais celle-ci a-t-elle vraiment lieu ? Lorsque le sommet
narratif a lieu – leurs yeux se rencontrèrent –annonciateur probable d’un coup de foudre amoureux, le
narrateur lui fait immédiatement succéder l’apparition théâtrale et comique de Monsieur Arnoux qui sort
de l’escalier comme des coulisses : Ma femme, es-tu prête ?
Il s’agit bien d’une chute comique.
Le narrateur ne ridiculise pas Frédéric en appuyant sur son décalage ; ce sont les situations romanesques
qui vont suffire à montrer l’inadaptation de son personnage.
Conclusion
Le lecteur peut d’ores et déjà imaginer que la romance avec Mme Arnoux n’aboutira pas : Frédéric
croit voir quelque chose qui en réalité n’est que le produit de son imagination.
Enfin nous sommes amenés à nous interroger sur la position du narrateur par rapport à son personnage :
que pense-t-il de lui ? Qu’éprouve-t-il pour lui ?

Ce travail a été réalisé par Emilie BOUTLEY,


pour ses élèves de 1ère du Lycée Philippe de Girard à Avignon (84)

I. Un espace de mise en scène


A. L’importance de la description
1. Dès la première phrase, le regard est présent (" une apparition "), et le champ lexical de la
vue s’étend sur tout l’extrait, concentrant toute l’attention sur l’inconnue : " il ne distingua ", " il
la regarda ", " jamais il n’avait vu " ; chaque terme étant renforcé par l’emploi hyperbolique des
adverbes " jamais " et " personne ".
2. Portrait statique de l’inconnue qui fait ressortir l’importance du personnage, " elle était ", " elle
avait ".La caractérisation excessive de Mme Arnoux transforme la jeune femme en un véritable
modèle pour peintre réaliste : " un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient
au vent derrière elle. "
B. Le jeu de l’observateur et de l’observé
1. L’utilisation des pronoms
L’alternance des pronoms de la troisième personne " il ", " elle ", met en valeur les positions
réciproques des deux personnages: madame Arnoux centre du regard, Frédéric Moreau, voyeur : "
En même temps qu’il passait, elle leva la tête […] et quand il se fut mis plus loin, du même côté,
il la regarda. "
2. Un jeu de comportement.
Alors que Mme Arnoux " gard[e] la même attitude " et reste immobile, telle une statue, effectuant
un ouvrage " mécanique ", " elle était en train de broder quelque chose ", Frédéric ne cesse de
s’agiter autour d’elle : " il fit plusieurs tours de droite et de gauche ", " il se planta " attiré par son
éclat. Vocabulaire de la fausseté mêlé à celui de la stratégie militaire (" pour dissimuler sa
manœuvre "), " il affectait d’observer ". Cette attitude qui repose sur le principe du voir sans être
vu a pour but de percer le mystère de l’inconnue.
II. L’attrait du mystère
A. L’importance de la lumière
1. Eblouissement et coup de foudre
Champ lexical de l’éblouissement : "distingué ", " éblouissement ", " splendeur ", relayé par un jeu
de lumière très pictural, témoins, les adjectifs de couleur " rose ", " noir ", " claire ", " bleu ", et
l’évocation même " des doigts que la lumière traversait.". Le rayonnement de Mme Arnoux est
attirant dans la mesure où il est une manifestation de sa sensualité. Le cadre de la rencontre revêt
un aspect féerique.
2. La dialectique connaissance-identité
La séduction de Mme Arnoux repose aussi sur son aspect mystérieux. Frédéric ne connaît pas son
nom, il ne peut donc saisir son identité, son essence (" Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie,
son passé. "). A partir du moment où un élément est révélé, le sentiment de " possession " se
manifeste (cf. " acquisition "). La séduction qu’exerce involontairement Mme Arnoux sur
Frédéric est avant tout celle de son imaginaire.
B. Un mystère quasi sacré
1. Un vocabulaire religieux
Mme Arnoux est un être auréolé de mystère pour Frédéric, un être céleste. Vocabulaire des anges :
" apparition ", " éblouissement ", " que la lumière traversait " ; vocabulaire de la madone lorsque "
sa personne se découp[e] sur le fond de l’air bleu. "
2. Contraste entre l’aspect extraordinaire de Mme Arnoux et son occupation très matérielle, avec
les objets qui l’entourent, créant deux mondes distincts.

Introduction
Cet extrait de L'éducation sentimentale, roman de Flaubert, se trouve au premier chapitre de la
première partie. Un jeune homme, Frédéric, rentre chez lui à Nogent. Sur le bateau il rencontre une
femme mariée dont il tombe instantanément amoureux. On assiste à la naissance d'une passion
pour une femme mariée que le jeune homme idéalise directement. Comme toujours chez Flaubert,
on trouve une description qui se fait à travers le regard de Fréderic. On a donc une focalisation
zéro, puisque le narrateur glisse des remarques.
Annonce des axes
Nous verrons que nous avons ici une description subjective, puis la manière dont elle est décrite
la naissance de la passion. Enfin, nous étudierons deux points opposés.

Commentaire littéraire

I. Une description subjective qui transfigure la scène

1. Une situation banale

La banalité réside sur le paysage décrit. On a champ lexical de la banalité « même », « vide »,
« ennui ». On a aussi la description des voyageurs qui montre également la banalité. Or, dans une
scène ennuyeuse, le regard de Fréderic se fixe sur une seule personne. L'activité de broderie est
tout à fait commune. L'apparition d'une « négresse » est banale à cette époque.

2. Un point de vue qui transfigure la scène

Le passage alterne récit descriptif et narratif. Pratiquement dans toutes les séquences descriptives,
on a une focalisation interne. On a un champ lexical de la vision : « distingua », « regarda », « avait
vu ». La description est prise en charge par le regard de Frédéric. Le terme « amoureusement »
montre bien le point de vue interne. La description se caractérise par l'émerveillement et
l'enthousiasme.
On remarque l'emploi du mot « apparition » qui a son sens le plus fort : c'est la manifestation d'un
être surnaturel qui se montre sous une forme visible. Vocabulaire montrant l'admiration du jeune
homme pour cette femme : « éblouissement », « splendeur », « séduction », « finesse », «
extraordinaire », « ébahissement ».

Le choix du point de vue transfigure une situation banale en une révélation quasi
mystique. L'apparition d'un certain type de femme inaccessible manifeste de
l'émerveillement chez le personnage Frédéric.

II. La naissance de la passion

1. Le coup de foudre

On remarque bien l'instantanéité. En effet, dès que Frédéric voit la femme, il semble l'aimer. La
comparaison marque bien que le mot « apparition » prend tout son sens. Cette apparition provoque
l'éblouissement par la « splendeur », « ébloui » comme une lumière. On a un champ lexical
d'une lumière qui irradie et aveugle comme la foudre. La description souligne que l'unicité de
cette personne a réussi à faire disparaître toutes les autres personnes.

2. La cristallisation amoureuse

L'homme amoureux est ébloui. On a un portrait assez vague de la femme, il nous renseigne sur le
sentiment mais non pas l'apparence. On note aussi l'emploi du mot « palpitaient », on peut supposer
que ce qui palpite est le cœur de Frédéric. Il est en état amoureux.
Les objets qui entourent Mme Arnoux « le panier », « long châle ». Nous remarquons que les objets
sont des objets ordinaires mais pour Fréderic, ils sont dotés de qualité exceptionnelle. Ils
deviennent des choses extraordinaires. Le « châle » est le point de départ d'une rêverie. A partir de
quelques détails, la servante, « négresse », « andalouse », « créole », « au milieu de la mer », on est
plongé dans une vie exotique et extraordinaire.

On peut parler d'une cristallisation de l'amour. Mme Arnoux est comme une incarnation de la
femme inaccessible, la femme mystérieuse mais derrière l'enthousiasme et le transport, un
autre regard est présent qui est le point de vue du narrateur.

III. Des points de vue contrastés

1. Le regard du narrateur omniscient sur Fréderic

Toutes les séquences narratives du texte sont prises en charges par le narrateur omniscient.
Le regard ne se porte pas sur la femme. Il se porte sur le jeune homme.
C'est parce que cette femme le regarde qu'il exprime une gène « il fléchit involontairement les
épaules ». La gestuelle de Fréderic qui traduit les éléments contradictoires : le rapprochement de
cette femme, et en même temps la timidité. Il ne veut pas se déclarer de manière claire. On a un
champ lexical du masque « dissimuler », « affecter », faire semblant : tout cela marque bien la
maladresse du personnage, un certain ridicule. On peut parler d'un registre comique. Fréderic
découvre le désir de la possession physique, mais en même temps le manque et l'impossibilité que
traduit « une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limite ». Même lorsque Fréderic commentera
l'intimité, il ne parviendra pas à satisfaire ses désirs, donc on a une frustration.

On a un regard critique sur le personnage et son masque d'assurance, de pugnacité. Le


lecteur découvre autrement le personnage au travers de plusieurs passages dans le texte.

2. Le monologue intérieur de Fréderic

Passage où les pensées du narrateur sont rapportées au style direct. « Quels étaient son nom, sa
demeure, sa vie, son passé ? », « elle avait ramené cette négresse avec elle ? », « elle avait dû,
bien des fois [...] ».
Le premier monologue consiste sur la question de la vie de l'inconnue, ce questionnement est
le point de départ de deux éléments.
- Désir de connaissance absolue de la femme (meubles, vêtements, etc.), mais ce désir est
impossible à combler. Fréderic se livre donc à une rêverie et à une imagination qui viennent
compenser cette impossibilité. Il se met à supposer plusieurs choses et l'entrée de la négresse
le rentre dans des rêveries exotiques.
- « Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ». Ces deux suppositions nous
renseignent sur le tempérament et sur le goût d'une personne rêveuse, sentimentale, imprégnée
de clichés romantiques de l'époque.
L'alternance récit description permet un jeu entre une réalité ordinaire qui nous présente un
jeune homme timide, et ce rêve qui introduit un contraste entre le regard moqueur et
l'enthousiasme rêveur de ce même personnage.

Conclusion

C'est un texte qui nous relate un coup de foudre. Frédéric entame ici son éducation sentimentale
par une expérience déterminante. La rencontre avec un être appartenant à une réalité supérieure et
donc inaccessible. On a un amour impossible à combler et toute la suite de sa relation sera sur le
même mode mais la distance sera impossible à abolir.

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