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Fiche n° 1 

: La notion de discours
 

Le terme « discours » est, dans la langue courante, polysémique : il


renvoie autant à un ensemble d’énoncés solennels (le discours du président) qu’à
des paroles vaines, sans effet (« tout ça c’est des discours »).
Cependant, lorsqu’on parle de « discours » religieux, laïc, politique, on se rend
compte que le terme « discours » est souvent associé à une forme de langage
dirigée dans un but précis, supposant ainsi une stratégie particulière. Lorsqu’on
parle par exemple de « discours de droite », on pense bien évidemment à un
certain nombre de thèmes ou d’idées, mais aussi à une rhétorique qui lui est liée,
un système qui permet de les produire.
Autrement dit, le terme « discours » devra être ici compris non seulement
comme un « type d’énoncés » mais également comme
une énonciation particulière : ce n’est pas le même discours qui est mis en œuvre
dans une lettre, un roman, ou un article de journal.
On rejoint ici la traditionnelle distinction entre les différents « genres », mais la
notion de « discours » et celle de « genre » ne se superposent pas pour autant,
car ce n’est pas non plus le même type de discours que l’on retrouvera chez un
narrateur du XVIII° ou du XX° siècle, chez un ouvrier, un noble ou un
bourgeois, etc.
Ce sens "élargi" du terme « discours » est, on le voit, particulièrement riche,
parce qu’il permet d’intégrer une approche historique, voire sociologique, tout
en gardant à l’esprit que le texte est avant tout un acte de communication
complexe, ayant une visée précise  qui peut cependant échapper à son auteur.
Dans un même texte, en effet, plusieurs types de discours peuvent se superposer,
s’entremêler, et l’on rejoint ici la notion de polyphonie textuelle : plusieurs
« voix » se font entendre dans un texte, et ce dernier tire bien souvent sa
littérarité (son caractère littéraire), de leur concurrence, de leur contradiction.
Bref : de leur jeu entre elles, jeu au sens ludique (de là vient en partie
l’ironie d’un texte) ou au sens mécanique (leur "friction", leur concurrence
produisent des effets).
Cette définition du terme « discours » est due à son emploi dans les sciences du
langage, notamment la pragmatique, qui a dégagé un certain nombre de
caractéristiques et de lois de la communication, dont voici un bref aperçu :
 
 

Les caractéristiques du discours :


-         Le discours mobilise des structures d’un autre ordre que celles de la
phrase. Son étude ne relève donc pas de la syntaxe, mais se concentre
sur les conditions de production des énoncés.
-         Le discours est orienté : non seulement parce qu’il est construit en
fonction d’une visée, mais parce qu’il est une forme d’action sur autrui.
Toute énonciation constitue un acte (promettre, suggérer, affirmer,
interroger…) qui vise à modifier une situation : c’est ce que J. L. Austin
(Quand dire c’est faire, 1962) appelle des actes de langage(mais que l’on
appelle aussi « actes de parole » ou « acte de discours »).

-         Le discours est par conséquent interactif : cette caractéristique est


évidente sous sa forme orale (le dialogue entraîne une interaction) mais
elle ne s’y réduit pas. Il y a une interactivité fondamentale
(ou dialogisme) dans tout texte car le discours qu’il met en place prend
en considération un destinataire.

Pour souligner l’importance de ce destinataire, on le qualifie souvent de


« co-énonciateur », car il participe à la production des énoncés : dans
l’acte d’écriture, comme dans toute communication, on sait, ou on
imagine, à qui l’on s’adresse, et cela influe sur le contenu et sur la forme
de ce qui est dit.

-         Le discours est pris dans un inter-discours : il ne prend sens qu’à


l’intérieur d’un univers d’autres discours à travers lequel il doit se frayer
un chemin. Autrement dit, un discours ne prend bien souvent sens que
par rapport à un autre. Et l’on retrouve les catégories fécondes dans
l’analyse d’un texte de parodie (reprendre un discours pour le
ridiculiser), controverse ("dialoguer" de manière polémique avec un
autre discours), commentaire (mettre son discours au service d’un
autre), citation (reprendre un discours), etc.

Les lois du discours :


-         la loi de pertinence : toute énonciation implique qu’elle est pertinente,
qu’elle vient à propos. 

-         la loi de sincérité : l’énonciateur s’engage dans l’acte de discours qu’il


accomplit (il est censé dire ce qu’il pense, assumer ce qu’il dit, etc.).
-         La loi d’informativité : les  énoncés doivent apporter des informations
nouvelles au destinataire. Quand un énoncé n’apporte rien de neuf, c’est
que l’information se trouve à un autre niveau, et que l’énoncé veut
transmettre un autre contenu (on dit une chose anodine, qui n’apporte
rien, pour dire autre chose, de manière voilée).

-         La loi d’exhaustivité : l’énonciateur doit donner l’information maximale,


en fonction de la situation. 

-         Les lois de modalité : l’énonciateur recherche théoriquement la clarté, la


concision, etc.

Ces lois définissent bien évidemment un discours "idéal", celui que suppose,
dans l’absolu, l’acte de communication (la communication vise a priori la
compréhension la plus rapide et la plus totale entre ses différentes
partenaires).

Dans l’analyse d’un texte littéraire , ces lois prennent tout leur sens dès lors
qu’elles sont transgressées, ce que la littérature contemporaine a très souvent
fait. Dans un texte comme Le Bavard de Louis-René des Forêts, la loi de
pertinence, voire celle d’informativité, sont bafouées, puisque le personnage
ne cesse de parler pour, a priori, ne rien dire. De même, la littérature moderne
joue très souvent avec les lois de modalité (clarté, concision) et d’exhaustivité.
La communication littéraire est sûrement celle qui joue le plus avec les codes,
quels qu’ils soient.

Discours et récit
Cette définition du « discours » est quelque peu compliquée par le fait que
« discours » renvoie aussi à un sous-ensemble du « discours » tel qu’il vient
d’être défini. Lorsqu’il s’oppose au « récit », le discours renvoie à un certain
type d’énonciation ancré dans la situation d’énonciation par opposition
justement au récit, coupé de la situation d’énonciation.
Récit et discours sont, dans ce cas, des concepts linguistiques qui permettent
d’analyser des énoncés ; ce ne sont pas des ensembles de textes. Au contraire,
ils se mélangent presque toujours dans un seul et même texte.
voir fiche n° 2 : Discours et récit

Le schéma suivant tente de résumer les différents sens du terme « discours »


abordés.

DISCOURS

(ensemble des énoncés produits dans un but précis, selon une stratégie
particulière)

  Discours                            Récit

(énoncés portant (énoncés ne portant pas la trace de leur énonciation)


la trace de leur énonciation)    

Fiche n° 2 : Discours et récit


 
Lorsqu’il ne renvoie pas à l’ensemble des actes de communication ayant
des stratégies diverses (voir fiche n° 1), le « discours » qualifie toute énonciation
écrite ou orale qui est rapportée à sa situation d’énonciation (le « je-ici-
maintenant ») et qui en porte donc un certain nombre de traces, comme par
exemple les modalisateurs.
Le récit, à l’inverse, correspond à un mode d’énonciation narrative qui se donne
comme dissociée de la situation d’énonciation. Les événements sont présentés
comme se racontant d’eux-mêmes.
On comprend que, dans les textes, le discours soit beaucoup plus représenté que
le récit, qui suppose une narration "neutre" et totalement "objective".
Le linguiste allemand H. Weinrich parle également de « monde raconté » pour le
récit et de « monde commenté » pour le discours. Ces expressions, quoique
moins utilisées, permettent peut-être de mieux comprendre le poids écrasant du
discours dans n’importe quel texte : des « commentaires » sont presque toujours
insérés dans la narration des faits, qu’ils prennent la forme d’adverbes de
phrase, de noms de qualité ou d’adjectifs évaluatifs, qui constituent tous des
éléments subjectifs, les traces d’une subjectivité énonciative.
 
Ces deux modes d’énonciation, s’ils sont souvent entremêlés, relèvent de deux
systèmes différents, et n’utilisent pas les mêmes outils de la langue.
 
Déictiques et anaphoriques
Puisqu’il fait référence à la situation d’énonciation, le discours utilisera
les déictiques ; puisqu’il est coupé de la situation d’énonciation, le récit utilisera
les anaphoriques.
Les déictiques (du grec deixis, « montrer », comme l’index est le doigt avec
lequel on montre les choses) regroupent l’ensemble des outils de la langue
compréhensibles seulement s’ils sont mis en rapport avec une situation
d’énonciation : ici, par exemple, n’a aucun sens s’il est coupé du contexte dans
lequel il a été énoncé (ici renvoie par essence au lieu dans lequel se trouve
l’énonciateur) ; maintenant ne renvoie à rien si l’on ne sait à quel moment il a
été énoncé (maintenant renvoie au présent de l’énonciation, concomitant à la
parole) ; je n’a pas non plus de référent si l’on ne sait pas qui parle (je change
constamment de référent, mais renvoie toujours à l’énonciateur). C’est pour cela
que l’on dit que le discours est par définition la situation du « je-ici-
maintenant ».
Par opposition, les anaphoriques renvoient  à un référent interne à la langue : le
lendemain ne renvoie pas à la situation d’énonciation, mais fait référence à un
moment futur par rapport à une temporalité donnée dans le récit ; il, celui-ci, par
exemple, sont compréhensibles parce qu’ils renvoient à des éléments
identifiables en dehors de la situation d’énonciation.
Bref : les anaphoriques reprennent un élément déjà donné, alors que les
déictiques portent en eux-mêmes leur propre référent, indissociable de la
situation d’énonciation.
L’exemple typique souvent donné est le suivant : si, dans une situation orale,
donc par essence une situation d’énonciation, on entend « Rendez-vous demain,
ici, à la même heure », les référents de ces déictiques se dégagent d’eux-mêmes,
puisqu’ils sont en rapport direct avec la situation d’énonciation. Si l’on trouve
cette même phrase sur un bout de papier, sans mention de date ou de lieu
(coupée de toute situation d’énonciation, donc), il est impossible de savoir à
quoi ces termes renvoient : il n’y a aucun référent interne à la langue, les termes
ne renvoient à rien.
Cette différence entre discours et récit est très nette dans l’exercice de
transposition du discours direct au discours indirect, qui est un récit de paroles :
« Je viens demain, ici » (on sait que c’est telle personne qui parle, à tel
endroit et à tel moment) deviendra « tel personne a dit qu’il viendrait le
lendemain (par rapport à tel moment forcément précisé dans le récit
auparavant), à tel endroit ». Dans cette transposition du discours direct au
discours indirect, les déictiques sont remplacés par des anaphoriques, pour
répondre à une exigence de clarté, inhérente à la communication (voir fiche
n°1 : les lois du discours).
 
Personne et non-personne
Dans le cadre de cette opposition entre récit et discours, la linguistique a remis
en question la définition traditionnelle de la "personne" grammaticale, en
opérant une distinction parmi les différents pronoms personnels (je, tu, il, nous,
vous, ils). Ce que la grammaire appelle la "troisième personne" (il(s), elle(s))
peut renvoyer à un objet, et fait normalement référence à un élément exclu de la
communication : il renvoie forcément à "l’absent du dialogue", celui qui n’est
pas là, ou celui qui ne parle pas (un objet ne parle pas). À l’inverse,
seuls je et tu (et leurs extensions, nous et vous) sont de vraies personnes,
puisqu’ils renvoient forcément à une personne présente dans l’acte de
communication, et ne peuvent théoriquement renvoyer qu’à elles. Du coup, les
linguistes opposent la non-personne (il) aux personnes (je, tu).
Cette distinction est également très féconde pour analyser certains phénomènes
linguistiques, comme l’emploi "incorrect" de la non-personne pour s’adresser à
une personne présente dans le dialogue (voir fiche n° 5 : Personnes et énallages)
 
 
Temps du récit, temps du discours
Ces deux systèmes emploient de préférence des temps différents, en fonction de
leur rapport avec la situation d’énonciation, même si le problème de la
répartition des temps est très complexe : ainsi, le présent est a priori plus utilisé
dans le discours (mais reste à savoir quel type de présent…), tandis que le passé
simple ou l’imparfait sont par essence des temps du récit.
En réalité, ces emplois privilégiés des temps suivant le système utilisé (récit ou
discours) sont liés à la valeur aspectuelle du temps choisi. Or, si le passé simple
a une valeur aspectuelle principale, le présent, par exemple, en a plusieurs, et on
peut aussi bien le retrouver dans un récit que dans un discours. C’est alors le
même temps verbal (le présent), mais la valeur aspectuelle est différente. Il en
est de même pour le passé composé, qui peut avoir soit la valeur du passé
simple, soit une autre valeur, plus en rapport avec la situation d’énonciation.
(voir fiche n° 4 : Temps et aspect verbal)
Contentons-nous de noter, dans le cadre de l’opposition récit/discours, les
"tendances" dans l’emploi des différents temps : le couple imparfait/passé
simple est le pivot du récit, tandis que le présent est le temps privilégié du
discours.
 
Voici, résumées sous forme de tableaux, les différences entre récit et discours :
 
  DISCOURS RÉCIT
(le « Je–ici- (les éléments sont présentés
maintenant ») comme se racontant d’eux-
mêmes)
Personnes utilisées enpriorit Les seules « vraies » La non-personne ou
é personnes : je et tu l’absent du dialogue : il
Temps utilisés   Présent Imparfait
Passé simple
Passé composé
Système de référence Les déictiques Les anaphoriques
(qui renvoient à la (qui renvoient à un élément
situation déjà  présent dans le texte)
d’énonciation)
 
Lexique utilisé Noms de qualité Noms et adjectifs objectifs
Adjectifs évaluatifs
 

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