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II

INTÉGRATIONS GAULOISES
D’Eporedirix à Iulius Calenus,
du chef éduen au chevalier romain
(Ier s. av. J.-C.-Ier s. ap. J.-C.)1
Par Antony Hostein*

Introduction
Gaule chevelue, 52 av. J.-C. – Parmi les nombreux événements qui scandent cette année cru-
ciale, Jules César fait connaître dans ses Commentarii de Bello Gallico deux chefs éduens homony-
mes appelés Eporedirix, nom qui signifie littéralement, en langue celte, « roi de ceux qui vont en
char à cheval »2. Le premier, mêlé aux luttes d’influences qui secouent violemment l’aristocratie
éduenne, compte parmi les commandants de cavalerie appuyant les légions romaines durant le
siège de Gergovie. Son principal adversaire, Litaviccos, fait courir la rumeur de son exécution par
les Romains, afin de précipiter la défection, alors entamée, des Éduens. Eporedirix révèle la mani-
gance à César, lequel intervient sur le champ pour capturer le coupable et ses complices, contraints
de rejoindre les rangs de Vercingétorix. Malgré les brutalités commises à l’encontre de citoyens
romains, César fait preuve de sa clémence proverbiale, ce qui n’empêche pas, quelques semaine plus
tard, ce même Eporedirix de trahir ses alliés en prenant par surprise Noviodunum (Diou-sur-Loire ?),
l’une des principales bases logistique de l’armée romaine, épisode marquant la rupture défini-
tive entre les Éduens et les Romains. Lors de la grande assemblée des peuples gaulois convoquée
à Bibracte quelques semaines plus tard, Eporedirix et d’autres chefs de son peuple sont évincés du
commandement suprême au profit de Vercingétorix, ce dont ils tirent une grande amertume. La
dernière apparition du personnage survient au moment de l’arrivée de l’armée de secours à Alésia,
armée dont il est l’un des quatre commandants avec Commios l’Atrébate, Viridomaros l’Éduen et
l’Arverne Vercassivellaunos, cousin de Vercingétorix3.
Le second Eporedirix, mentionné une seule fois et dont la parfaite homonymie résulte peut-être
d’une confusion de César avec le précédent, est au nombre des cavaliers capturés par les Romains
à la veille du siège d’Alésia, lors de la bataille de cavalerie. César profite du passage pour rappeler
– et accroître sans le dire explicitement le prestige de sa victoire – les faits d’armes du prisonnier,
responsable des opérations militaires conduites par les Éduens contre les Séquanes durant les années
précédant l’intervention romaine de 58 av. J.-C. en Gallia Comata 4.
Province des Trois Gaules, 69 ap. J.-C. – Depuis la mort de Néron en juin 68, la guerre civile
fait rage, entraînant avec elle son long cortège de désolations. Après les provinces d’Occident,

* Maître de conférences en histoire romaine, Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

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OCCIDENTS ROMAINS

désormais, c’est sur le sol de l’Italie que s’affrontent avec acharnement les armées des différents par-
tis, Vitelliens d’un côté, Flaviens de l’autre. À l’automne 69, une violente bataille s’engage sous les
murs de Crémone, précipitant la défaite des armées de Vitellius. Les vainqueurs, soucieux de s’as-
surer la loyauté des vaincus et d’apaiser la situation dans les provinces occidentales, confient cette
double mission à des émissaires recrutés parmi d’anciens cadres de l’armée des Vitelliens et origi-
naires de ces régions. Tacite, dans ses Histoires, livre les noms et fonctions des deux principaux délé-
gués, le Trévire Alpinius Montanus, préfet de cohorte et l’Éduen Iulius Calenus, tribun. Un peu plus
loin dans son œuvre, l’historien précise que ces deux envoyés surent s’acquitter honorablement, non
sans difficultés il est vrai, de cette tâche délicate5.
Quelles chaînes, quels fils invisibles relient ces deux événements, distants de plus d’un siècle ?
Car par-delà les analogies qu’une lecture immédiate et un inventaire superficiel permettent d’opérer
aisément – pour simplifier, des événements militaires, mettant en scène des « Gaulois », dont les
communautés sont impliquées à des titres et à des degrés divers dans ces affaires –, prévalent avant
tout les différences profondes dans les descriptions de ces deux situations historiques. Car entre les
combats conduits par César et la guerre civile qui met fin à la dynastie fondée par Octave, devenu
Auguste en 27 av. J.-C., la physionomie et le paysage du territoire de la Gaule intérieure ont radi-
calement changé : la Gallia Comata est devenue provincia, décision institutionnelle à l’origine de
bouleversements de grande ampleur et inédits6. Pour autant, le rapprochement opéré entre ces évé-
nements n’a rien d’artificiel, bien au contraire. Il met en scène deux acteurs de premier plan, à l’orée
ainsi qu’au terme d’un processus d’intégration. Qui plus est, Eporedirix est certainement le lointain
aïeul de Iulius Calenus.

C. Iulius Eporedirix et les siens dans les inscriptions


Un dossier épigraphique original, composé de deux inscriptions mises au jour au XIXe siècle sur
le territoire de l’antique cité des Éduens, permet en effet de reconstituer cette dynastie, et d’établir,
sans hiatus ou presque, depuis le début du Ier s. av. J.-C. jusqu’aux années 70 ap. J.-C., les généra-
tions masculines qui se sont succédées. Dans le contexte des Trois Gaules, caractérisé par la pauvreté
des découvertes épigraphiques comparé à la situation qui prévaut dans la péninsule ibérique, en
Italie ou bien encore en Afrique, on ne répétera jamais assez le caractère exceptionnel de ce dossier
formé de deux documents contenant des informations complémentaires7.
Le premier, actuellement conservé au Musée Rolin, est une plaque calcaire de 1, 67 m de largeur
sur 48 cm de hauteur, dont les bords sont moulurés (Figure 1)8. Bien que découvert brisé (à Autun,
dans les jardins de M. Bauchetet, rue de l’Arquebuse, en octobre 1847), le champ épigraphique de
la pierre, composé de lettres gravées avec soin (12 cm de hauteur pour la 1ère ligne, 10 cm pour la
2nde), malgré quelques lacunes, demeure parfaitement lisible. En voici la transcription développée :
C(aius) Iul(ius), C(aii) Magni f(ilius), C(aii)
Epor[ed]irig[i](s) n(epos), Proculus d(e) s(uo) f(ecit).
Et la traduction :
« C. Iulius Proculus, fils de C. Magnus, petit-fils d’Eporedirix, a fait faire
<ce monument ?> à ses frais ».
Laissons de côté pour l’instant les questions de datation et d’interprétation de cette inscription
pour nous intéresser au second document. Comme le premier, il s’agit d’un bloc calcaire, dégagé
en 1792 des fondations du château de Bourbon-Lancy, ville située à une soixantaine de kilomètres

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au sud-ouest d’Autun. La pierre, d’un seul tenant et sans cassure, se Figure 1. CIL, XIII, 2728 ;
trouve aujourd’hui conservée dans le bâtiment des cures thermales de photographie de
Bourbon-Lancy9. Comme pour l’inscription précédente, sa lecture ne l’inscription, Autun,
Musée Rolin (d’après Autun-
pose aucune difficulté :
Augustodunum, capitale
C(aius) Iulius Eporedirigis f(ilius) Magnus des Éduens¸ Autun, 1985,
pro L(ucio) Iulio Caleno filio 77, notice n°109).
Bormoni et Damonae
vot(um) sol(uit)
Texte latin qui peut se traduire ainsi :
« C. Iulius Magnus, fils d’Eporedirix, pour son fils L. Iulius
Calenus, envers Bormo et Damona, s’est acquitté de son
vœu »
Retenons à titre provisoire que grâce à ces deux textes lapidaires,
l’un découvert à Augustodunum, ancien chef-lieu de la cité des Éduens,
l’autre à Aquae Bormonis (?), bourgade constituée autour d’un sanctuaire
de sources, le souvenir d’une famille éduenne resurgit, comme arraché
au passé. Deux personnages apparaissent de façon récurrente dans ces
inscriptions : C. Iulius Eporedirix et son fils, C. Iulius Magnus. Quant
aux noms des deux petits-fils, ils figurent séparément. Dans l’inscription
d’Autun, le dédicant du monument inauguré est C. Iulius Proculus ; dans
celle de Bourbon-Lancy, L. Iulius Calenus est évoqué à travers le vœu que
formule son père pour sa sauvegarde auprès de deux divinités des eaux
gauloises, aux vertus guérisseuses : Bormo et Damona.

C. Iulius Eporedirix

C. Iulius Magnus

C. Iulius Proculus L. Iulius Calenus

Figure 2. Stemma de la famille éduenne des Iulii.

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OCCIDENTS ROMAINS

Le rapprochement des noms figurant dans cet arbre généalogique couvrant trois générations
en ligne directe, avec ceux des textes de César et de Tacite, présentés en introduction, est tout à
fait frappant et suggestif. Grande en effet est la tentation de faire de l’un des deux Eporedirix de la
guerre des Gaules le père ou bien l’aïeul de C. Iulius Eporedirix, de même qu’il paraît judicieux de
voir le même homme derrière le tribun éduen mentionné par Tacite et le L. Iulius Calenus attesté
dans l’ex voto de Bourbon-Lancy. Ce pas, nous le franchissons volontiers, avec d’autant plus de
facilité que d’autres l’ont fait avant nous, en particulier Christian Goudineau10.

Le roman des origines familiales


Commençons d’abord par régler la question de l’identification de L. Iulius Calenus avec le tri-
bun des Histoires. Certes, tout est possible, et l’homonymie avec un autre individu, différent de
celui présumé membre de cette famille, paraît envisageable. Mais comme l’écrit à ce sujet Christian
Goudineau, « la coïncidence paraît improbable : il s’agit d’un Éduen et, d’autre part, le surnom
Calenus est peu répandu »11. Un troisième argument plaide en ce sens : la famille devait être l’une
des plus en vue de la civitas Aeduorum, comme l’attestent les différents textes épigraphiques cités
précédemment, en particulier la dédicace publique d’Autun, preuve d’une implication officielle
et à des degrés élevés dans la vie municipale. Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce qu’un fils
de cette famille soit un officier (tribunus) membre de l’ordre équestre, qui plus est chargé par les
partisans de Vespasien d’une mission délicate, faisant appel à de réelles qualités diplomatiques et
impliquant une surface sociale qui dépasse les limites du territoire éduen. En somme, que ce soient
les preuves directes ou bien les indices déduits du profil du personnage, tout concourt à faire de ce
L. Iulius Calenus le tribun des Histoires.
Compte tenu de la mission hautement sensible qui lui fut confiée, vu également que l’accès à la
carrière équestre et surtout sénatoriale ne fut généralisé par l’empereur Claude qu’en 48 ap. J.-C.
aux Éduens dans un premier temps, avant une diffusion étendue à l’ensemble des élites municipales
des Trois Gaules12, L. Iulius Calenus, au moment des événements de 69 ap. J.-C., était très vraisem-
blablement un homme dans la force de l’âge, voire d’un âge relativement avancé. L’hypothèse d’une
naissance dans les années 20 de notre ère, sous Tibère, comme le suggère Christian Goudineau,
paraît tout à fait raisonnable. Et, par un effet de cascade, en prenant comme référence moyenne
un espace intergénérationnel de vingt cinq années, plus proche des réalités que l’espace de trente
années adopté par Christian Goudineau, le raisonnement conduit pour cette gens Iulia éduenne au
schéma suivant13 :
C. Iulius Eporedirix (né vers 30 av. J.-C.)

C. Iulius Magnus (né vers 5 av. J.-C.)

C. Iulius Proculus (né vers 20) L. Iulius Calenus (né vers 20)

Figure 3a. Les espaces intergénérationnels : hypothèse de travail (1)

De là, afin d’établir une connexion plausible avec l’Eporedirix qui gravite dans le cercle des chefs
gaulois proches de César, il convient de resituer celui-ci en qualité d’aïeul de C. Iulius Eporedirix, ce
qui aboutit à cette reconstitution :

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Eporedirix ? (né vers 80 av. J.-C.)

Anonyme ? (né vers 55 av. J.-C.)

C. Iulius Eporedirix (né vers 30 av. J.-C.)

C. Iulius Magnus (né vers 5 av. J.-C.)

C. Iulius Proculus (né vers 20) L. Iulius Calenus (né vers 20)

Figure 3b. Les espaces intergénérationnels : hypothèse de travail (2)

Cette proposition, malgré la part d’incertitude qu’elle comporte, permet d’établir un stemma
comprenant cinq générations, comparable à celui élaboré par Christian Goudineau. La seule dif-
férence notoire portant ici sur l’âge de l’Eporedirix mentionné dans la Guerre des Gaules : une tren-
taine d’années tout au plus en 52 av. J.-C. dans notre proposition, une cinquantaine dans celle de
Christian Goudineau.
Au fond, inutile de trancher pour l’une ou l’autre option, car les deux se valent en l’absence de
données précises sur l’état-civil du personnage. L’Eporedirix ancêtre de cette lignée éduenne a très
bien pu être un chef aguerri et d’âge mûr, comme le défend Christian Goudineau, ou bien un
jeune homme plein d’ambitions, comme le souligne à plusieurs reprises César à propos de l’Epo-
redirix présent à Gergovie. Ce dernier alla jusqu’à prétendre au commandement suprême des opé-
rations lors de l’assemblée de Bibracte, assemblée, faut-il le rappeler, qui élit à sa tête un jeune aris-
tocrate arverne, Vercingétorix, qui avait certes fait ses preuves, mais que César qualifie d’adulescens
(BG, VII, 4, 1 : summae potentiae adulescens) ? Le terme doit être entendu dans son sens latin,
originel, de « jeune homme », signification qui implique, d’un point de vue politique, que l’adu-
lescens en question n’a pas revêtu de magistrature importante dans sa cité ; autrement dit que, dans
le cadre romain du fonctionnement des institutions, il n’avait pas entamé les premières étapes du
cursus honorum, accessibles à compter de l’anniversaire des trente ans14. Or, précisément, c’est en ces
termes que César présente Eporedirix lors de son apparition dans le récit de la guerre des Gaules :
summo loco natus adulescens et summae domi potentiae (BG, VII, 39, 1). En clair : un jeune noble,
issu d’une grande Maison aristocratique [Encadré 1 sur Litaviccos].

En résumé, deux solutions différentes demeurent envisageables pour identifier le fondateur


présumé de cette dynastie de notables gallo-romains. Si l’on retient celle de Christian Goudineau,
Eporedirix peut être confondu avec l’Eporedirix capturé durant la bataille de cavalerie. Alors âgé
d’une cinquantaine d’années, il pouvait à cette date avoir un fils de 20-30 ans environ, qui pourrait
être le père de C. Iulius Eporedirix. Le petit-fils aurait repris le nom de son aïeul, phénomène bien
attesté à des époques postérieures15. A contrario, si l’on retient le schéma proposé dans les lignes
qui précèdent, ce même anonyme serait le fils du jeune chef Eporedirix. Deux propositions en
conséquence qui ne bouleversent pas la donne mais qui, plutôt, précisent de manière plus fine les
contours de ce dossier.

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OCCIDENTS ROMAINS

1 - Le monnayage de Litaviccos, adversaire d’Eporedirix


Durant la Guerre des Gaules, le gouvernement des Éduens est disputé par différents
clans familiaux, disputes que les rivalités entre Eporedirix et Litaviccos illustrent de
manière significative. Dans l’œuvre de César, Litaviccos apparaît à diverses reprises
comme un chef éduen manipulateur et sans scrupules, et même comme l’un des
responsables de la défection des fratres populi Romani (BG, 37-40 ; 42-43 ; 54-55 ; 67).
Le portrait qui ressort du témoignage césarien, partiel et partial, se trouve en partie
nuancé par celui d’une émission monétaire au nom de Litaviccos.
Denier d’argent ; 13-16 mm ; 1,9-1,99 g., BN 5079.
Dr. tête féminine, de divinité (Diane ?), à droite, un carquois derrière l’épaule, un
sceptre devant le visage. Cercle de grènetis au pourtour.
Rev. LITAVICOS. Cavalier monté, en armes, tenant dans la main droite une enseigne
surmonté d’un sanglier, sur un cheval galopant vers la droite. Cercle de grènetis au
pourtour.
J.-B. COLBERT DE BEAULIEU, B. FISCHER, Recueil des inscriptions gauloises (RIG), 4. Les légendes
monétaires, Paris, 1998, p. 311-312, n°194.
Douze exemplaires de ce denier gaulois ont été mis au jour par les équipes de
Napoléon III dans les fossés du camp situé au pied du Mont Réa, sous l’oppidum
d’Alésia. Ce lieu de découverte fournit un terminus ante quem pour dater l’émission
(avant 52 av. J.-C.) et conforte l’attribution au chef éduen Litavic(c)os, dont la présence
sur ce site se déduit de la lecture du Bellum Gallicum. La récente publication des
monnaies découvertes au Mont Beuvray en recense, compte tenu des variantes,
quatre exemplaires dont l’usure indique une circulation largement postérieure à la
date d’émission (K. GRUEL, L. POPOVITCH, Les monnaies de l’oppidum de Bibracte, Glux-
en-Glenne, 2007, p. 165, exemplaires n°18.1 et 18.2 du catalogue ; commentaire des
monnaies p. 104-105).

Littavicos,
photos A. Hostein

Si le dossier épigraphique concernant les descendants d’Eporedirix révèle les modalités


de la romanisation juridique des élites éduennes au lendemain de la conquête, cette
monnaie souligne, par sa dénomination et son iconographie, à la fois l’ancienneté et

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II - Intégrations gauloises

l’étroitesse des rapports entretenus par les Aedui avec Rome. De prime abord, l’image
du revers montre la mise en scène du pouvoir d’un chef gaulois qui se nomme dans la
légende. Cette mise en scène passe par l’étalage de ses aptitudes équestres, marqueur
d’une supériorité sociale, et par la présence d’un étendard, insigne de pouvoir, symbole
de la capacité à conduire et à gouverner les hommes, preuve matérielle enfin du lien
personnel établi par serment sacré entre le chef et ses obligés (BG, VII, 1-2). Mais voilà
bien les seuls éléments purement gaulois qu’il est permis de relever dans cette monnaie,
car à y regarder de près, elle paraît avant tout révélatrice de l’adoption, par les Éduens,
de pratiques monétaires purement romaines.
L’iconographie de la scène du revers d’abord correspond dans ses grandes lignes,
en dépit du schématisme caractéristique des graveurs gaulois contemporains, aux
codes narratifs mis en œuvre à la même époque à Rome. Le rapprochement avec le
monnayage romain est encore plus flagrant dans l’image du droit, représentant un
buste féminin tourné vers la droite, lequel s’inspire, de manière relativement fidèle, de
l’effigie de deniers frappés durant les années 60 avant notre ère, comme par exemple
ceux attribués au monétaire Marcus Plaetorius Cestianus, en 69 av. J.-C. (M. CRAWFORD,
Roman Republican Coinage, Cambridge, 19894, n° 405/2). Quant à la dénomination
de cette monnaie, qui correspond en réalité à un quinaire (demi denier), elle s’intègre
dans le système métrologique romain. Cet étalonnage remonte à la création, par les
peuples de Gaule centrale, de ce que les numismates appellent la « zone du denier »,
à la fin du IIe siècle avant J.-C.. Cette nouveauté s’explique par la nécessité, pour
ces peuples, de profiter au mieux de l’aubaine que constituait alors la pénétration
commerciale romaine en Gaule intérieure, conduite depuis la Transalpine à peine
conquise (A. SUSPÈNE, Une monnaie pour un Empire ? Approche monétaire de l’Occident
romain de la fin de la deuxième guerre punique à la mort de Commode, in F. HURLET éd.,
Rome et l’Occident (IIe siècle av. J.-C.-. IIe siècle av. J.-C.). Gouverner l’Empire, Rennes,
2009, p. 238-241). Les Éduens, forts du traité conclu avec Rome vers 150 av. notre ère,
comptèrent assurément parmi les principaux bénéficiaires de l’affaire. Dans les faits,
ces phénomènes se traduisirent matériellement par l’arrivée massive d’amphores
vinaires de type Dressel 1, importées de l’ensemble du bassin méditerranéen, et plus

Dumnorix (tête coupée),


Photos A. Hostein

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OCCIDENTS ROMAINS

particulièrement d’Italie. Le seul site de Bibracte a ainsi livré des milliers de ces tessons
– dont certains épigraphiques – provenant pour une grande partie d’entre eux de
la région de Cosa en Étrurie, comme vient de le démontrer une publication récente
(F. OLMER, Les amphores de Bibracte. 2-Le commerce du vin chez les Éduens d’après les
timbres d’amphores, Glux-en-Glenne, 2003, p. 209-233)
Les observations qui découlent de cette brève enquête numismatique, centrée
sur une monnaie de Litavicos, pourraient être étendues à d’autres émissions
comparables, comme celles, fameuses, du puissant
chef éduen Dumnorix, tué par les Romains en
54 av. J.-C., et qui se fit représenter en guerrier
tenant dans sa main gauche la tête d’un ennemi
(description et commentaires dans Goudineau,
Bibracte, p. 50-54).
Retenons simplement que ces monnayages,
par les informations qu’ils contiennent,
permettent de rappeler que chez les Éduens du
moins, le phénomène d’intégration politique
dans l’imperium au lendemain de la conquête
césarienne avait à bien des égards été précédé
et préparé par de profondes transformations
économiques et culturelles.
Dumnorix (enseigne),
photo A. Hostein.

Des notables en leur cité


Sous le calame de César, à travers une description sans fard mais non dénuée d’arrière-pensées,
Eporedirix apparaît d’emblée comme l’un des acteurs politiques les plus éminents de son peuple,
un jeune homme ambitieux, représentant d’une puissante maison aristocratique éduenne qui tente
d’arracher le pouvoir à ses pairs et d’imposer sa domination aux autres peuples. Ces prétentions au
pouvoir suprême local et régional semblent s’appuyer sur un capital social important ainsi que sur le
charisme de l’individu, tiré de ses glorieux faits d’armes. César, qui avait parfaitement saisi ce mode
de fonctionnement, ne manqua pas une occasion de jouer sur ces leviers afin d’étendre son autorité
sur ses alliés éduens, favorisant un clan au détriment d’un autre16.
Un siècle plus tard, la situation que font connaître les inscriptions révèle un profil radicale-
ment différent des descendants d’Eporedirix, lesquels semblent, dans l’exercice de leur pouvoir,
avoir progressivement abandonné les armes au profit de la toge. Certes, ces inscriptions sont des
documents publics, à caractère officiel, qui ne révèlent nullement les sentiments profonds des dédi-
cants ; de surcroît, ces textes fournissent une vision idéale de la vie publique et religieuse, émanant
des élites de la cité, aux mentalités peut-être fort éloignées de celle des gens du peuple, dont on ne
sait presque rien. Mais quand même, ces textes soulignent des changements culturels profonds et
témoignent, au fond, d’une adhésion véritable à un nouveau mode de vie, inspiré du modèle gréco-
romain de civilisation.
Ces notables d’abord s’expriment en latin, et non plus en celte – du moins dans la sphère publi-
que. Au point que désormais, il paraît naturel de s’adresser en latin aux dieux gaulois traditionnels

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II - Intégrations gauloises

comme Bormo et sa parèdre, Damona. Une langue gravée avec soin dans la pierre, comportant liga-
tures et abréviations, sur des monuments répondant à des critères esthétiques importés du monde
méditerranéen (moulures), tout comme le formulaire condensé et stéréotypé, conforme aux inscrip-
tions contemporaines affichées à Rome. Si la pratique des ex voto était commune aux Celtes et aux
Romains, l’évergétisme en revanche, dans sa forme la plus aboutie, apparaît comme une pratique
typiquement gréco-romaine. Or, elle est présente, associée à un arrière plan idéologique tradition-
nel, dans l’inscription de C. Iulius Proculus, dédicataire et donateur d’un monument public, à une
date indéterminée entre les règnes de Tibère et de Néron, dans un espace situé au cœur même du
chef-lieu de la cité, si l’on admet que la pierre fut mise au jour non loin de sa position primaire17.
En dépit du mutisme de ce texte, les éléments caractéristiques de l’idéologie de l’évergétisme ressor-
tent très clairement : exaltation de la lignée (mention des noms et mémoire garantie par affichage
public), étalage de sa puissance financière (sua fecit), de sa surface sociale en conséquence (le monu-
ment est offert aux concitoyens), adhésion enfin au système politique ainsi qu’au modèle de civili-
sation romain (latin, forme du monument). On ne peut que regretter, dans ces conditions, que les
fonctions institutionnelles exercées par ces grands personnages dans leur cité ne soient pas précisées,
même de façon incomplète.

La romanisation juridique d’une famille


Mais plus que la romanisation « culturelle », les commentateurs ont retenu de ce dossier qu’il
illustre l’intégration juridique d’aristocrates gaulois devenus, en l’espace de quelques décennies,
citoyens romains et même, pour certains d’entre eux, membres de l’ordre équestre.
Une certitude dans cette affaire : le premier citoyen romain de la famille est C. Iulius Eporedirix,
né selon nos estimations après la conquête césarienne, dans les années 40-30 avant notre ère. Mais
comme son père apparaît comme le chaînon manquant, impossible a priori d’affirmer que Iulius
Eporedirix l’ait obtenue à titre personnel (citoyenneté viritane) ou bien en qualité de fils légitime
d’un citoyen, de même qu’il semble difficile, à ce stade de l’analyse, d’établir ne serait-ce qu’une
date approximative de son attribution.
Quoi qu’il en soit, en l’état de la documentation, entre la guerre des Gaules et l’avènement
d’Auguste, par l’intercession d’un magistrat romain, un membre de cette famille reçoit la citoyen-
neté romaine. Sa séquence onomastique, les fameux tria nomina qui attestent de la naturalisation,
reprend le praenomen (prénom) ainsi que le nomen (nom de famille ou gentilice) de Jules César ou
de son fils adoptif, César le Jeune, auquel s’ajoute un cognomen (surnom) celtique. Ainsi : C. Iulius
Eporedirix. Le rappel de la filiation complète logiquement l’état-civil de ces individus, même s’il
manque un élément essentiel : la mention de la tribu de vote. Cette absence s’explique en raison
des coutumes épigraphiques propres aux élites des cités de Gaule centrale lesquelles ne précisent
presque jamais cet élément pourtant essentiel de l’état-civil d’un civis Romanus. À la génération sui-
vante, le cognomen se latinise avec C. Iulius Magnus, phénomène qui se prolonge jusqu’aux derniers
descendants attestés. Avec quelques nuances il est vrai puisque, à l’exception du cognomen Proculus
assurément latin, Magnus correspond à ce que les spécialistes appellent un « surnom assonant »,
c’est-à-dire un surnom latin rappelant un nom ou une racine homophone gauloise, de sens voisin
mais pas nécessairement18. C’est ainsi que Magnus, « le Grand », pourrait bien être la retranscrip-
tion littérale du nom celte Magi(o)19. Quant au cognomen Calenus, dans ce contexte provincial, il
renvoie très certainement au domaine onomastique gaulois20. Le surnom du personnage en revan-
che, Lucius, différent de celui des autres membres de la famille, peut surprendre : s’agit-il d’un leg

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OCCIDENTS ROMAINS

onomastique issu de la branche maternelle ? Ou bien d’une forme de mimétisme s’inspirant direc-
tement des pratiques onomastiques attestées dans la famille Julio-Claudienne, remontant à l’époque
où les deux héritiers désignés d’Auguste s’appelaient Caius et Lucius ? Pour terminer, la mention
par Tacite du tribunat de Calenus, synonyme d’appartenance à l’ordre équestre, démontre, en plus
de cette intégration juridique parachevée, la brillante ascension sociale de cette lignée éduenne21.
[Encadré 2 sur Classicianus].
Arrivés à ce stade de l’analyse, il paraît opportun de signaler que le portrait ainsi esquissé
de ces Iulii éduens correspond très exactement au profil des plaignants gaulois venus solliciter
auprès de Claude à Rome, en 48 ap. J.-C., le ius honorum, le « droit aux honneurs », en clair le
droit permettant de faciliter et de généraliser l’accès des provinciaux aux ordres supérieurs de la
société. Le tribunat obtenu par Iulius Calenus correspondrait peut-être, dans ces conditions, aux
effets directs de cette mesure, accordée en priorité aux Éduens précisément, avant qu’elle ne soit
étendue à l’ensemble des cités des Tres Galliae, comme d’autres exemples bien documentés vien-
nent le confirmer22.

Le témoignage de Tacite, Annales, III, 40, 1


En dépit des observations formulées précédemment, la question des origines de l’ascension
sociale de la famille, entourée d’incertitudes, demeure en suspens. À quelle génération précisément
la citoyenneté a-t-elle été octroyée à ces Éduens ? Et pour quels motifs ?
Un passage des Annales apporte une réponse à cette interrogation. Il concerne un compa-
triote et contemporain de C. Iulius Magnus, le célèbre Iulius Sacrovir, éduen, responsable aux
côtés du Trévire Iulius Florus de la grande révolte qui embrasa les Gaules sous Tibère, en 21 ap.
J.-C.23. Présentant les chefs de la sédition, Tacite les décrit en ces termes (en III, 40, 1) : « tous
deux étaient de haute naissance (nobilitas) et issus d’aïeux (maiores) à qui leurs belles actions
(bona facta) avaient valu jadis (olim) le droit de cité, récompense rare alors et réservée au seul
mérite (cum id rarum nec nisi virtuti pretium) ». Derrière une description neutre en apparence, le
texte de Tacite se révèle en réalité d’une grande subtilité dans sa manière de couvrir ses contem-
porains de sarcasmes, en les accusant – et avec eux, les générations antérieure, celles de l’époque
julio-claudienne – d’avoir distribué sans retenue ni considération la citoyenneté romaine, dont le
prix et le prestige dépendaient de sa rareté. Bien qu’élégante, la traduction de Pierre Wuilleumier
dans la CUF n’en demeure pas moins imprécise dans sa dernière partie du moins, car en tradui-
sant virtus par mérite, elle déforme l’idée de Tacite selon laquelle cette récompense rare découlait
des actes fondés sur les vertus individuelles dans les affaires publiques et militaires (sens du latin
virtus), dont avait fait preuve le bénéficiaire en les employant au service de Rome24. Appliquée
à la famille de Sacrovir, âgé peut-être d’une quarantaine d’années en 21, la remarque renverrait
à la génération de son père ou de son grand-père, celle durant laquelle vivaient les ancêtres de
C. Iulius Magnus. Dans ces conditions, à titre provisoire, il paraît nécessaire d’envisager que cette
famille éduenne a reçu la citoyenneté romaine du temps de l’Eporedirix mentionné dans la Guerre
des Gaules ; celui-ci aurait compté parmi les Éduens épargnés par César au lendemain d’Alésia,
passés ensuite au service de l’imperator durant les campagnes des guerres civiles. Ou bien s’agit-il
de son fils anonyme, père supposé du C. Iulius Eporedirix figurant dans les inscriptions, et qui
se serait illustré dans sa jeunesse dans les guerres civiles de l’époque triumvirale25 ? Quoi qu’il en
soit, comme le souligne Tacite, c’est ob virtutem qu’ils se firent remarquer et qu’ils obtinrent de
César ou de son fils adoptif la citoyenneté romaine.

58
II - Intégrations gauloises

2 - Quelques Iulii originaires de Trèves


L’enceinte tardive de l’antique Londinium (Londres) livra à plusieurs décennies
d’intervalle, sur le site de Trinity Square dans la City, trois fragments d’un autel
funéraire. Voici le texte latin de sa dédicace tel qu’il apparaît aujourd’hui au visiteur de
la Weston Gallery of Roman Britain du British Museum. La restitution du texte ainsi que
sa traduction, en dépit d’une lacune centrale de deux lignes, ne posent pas de difficultés
particulières :
Dis / [M]anibus / [G(ai) Iul(i) G(ai) f(ili) F]abia
Alpini Classiciani / [---] / [---] / proc(uratoris)
provinc(iae) Brit[anniae / Iulia Indi filia Pacata
I[ndiana (?) / uxor [f(ecit).
« Aux dieux Mânes de Gaius Iulius Alpinus
Classicianus, fils de Gaius, inscrit dans la tribu
Fabia, [-- / --], procurateur de la province de
Bretagne, Iulia Pacata Indiana (?), fille d’Indus,
son épouse, a fait faire (ce monument) »
Cet autel de taille imposante (il devait mesurer
près de vingt pieds, soit un peu moins de six
mètres) et remarquable par la qualité de son
exécution livre ainsi le nom d’un procurateur
équestre de la province de Bretagne, C. Iulius
Alpinus Classicianus, dont la mémoire est
honorée par son épouse, Iulia Pacata Indiana
( ?), fille d’un certain Indus. Or ce dernier
personnage, loin de n’être qu’un simple
L’inscription RIB, 12 anonyme, peut être identifié avec une quasi certitude avec
(d’après R. D. Grasby, un lieutenant du légat de légion C. Silius, un certain Iulius
R. S. O. Tomlin, The Indus, Trévire, qui mata avec succès cum dilecta manu, « avec
Sepulchral Monument une troupe d’élite », la révolte fomentée en 21 ap. J.-C.
of the Procurator C. Iulius par son compatriote Iulius Florus (TACITE, Annales, III, 42). Le
Classicianus, in Britannia, même, toujours à la tête d’auxiliaires,
33, 2002, p. 44) semble avoir participé une vingtaine
d’années plus tard à la conquête
de la Bretagne, si l’on en juge par le nom donné à une
unité de cavalerie postée à Cirencester, antique Corinium,
l’ala Gallorum Indiana. Mais les rapprochements avec les
sources littéraires ne s’arrêtent pas là. Tacite en effet, dans
ses Annales, mentionne Iulius Alpinus lui-même, dans un
passage qui illustre le conflit d’autorité lié à l’empiètement des
compétences entre le gouverneur et le procurateur
d’une même province au cours de l’année
61 ap. J.-C. (Annales, XIV, 38). Puis, ailleurs dans
son œuvre, l’historien livre les noms de deux
trévires impliqués dans les événements de la
crise de 68-69 ap. J.-C. : Alpinius Montanus
(à qui fut confiée la même mission que celle

59
OCCIDENTS ROMAINS

de Iulius Calenus) ainsi que son frère, D. Alpinius (Histoires, III, 35 ; IV, 31-32 ; V, 19). L’un
et l’autre, en quittant le parti de Rome au profit de celui de Iulius Civilis puis de Iulius
Classicus, furent contraints de fuir leur cité et de se réfugier au-delà du Rhin, une fois les
insurgés vaincus. Ces deux personnages sont mentionnés ici car plusieurs savants estiment
qu’ils sont les fils du procurateur de Bretagne, avec de bons arguments, en s’appuyant sur
des éléments communs de leur onomastique (Alpinus/Alpinius). Avec Hans-Georg Pflaum,
on relèvera en passant que le cognomen du procurateur se fonde sur celui porté par le
chef insurgé Iulius Classicus, Trévire, avec lequel il était peut-être apparenté.
Le dossier documentaire relatif à cette famille, substantiel, ouvre des perspectives
comparatistes avec la famille des Iulii éduens étudiés ici. Ces différents témoignages
permettent en particulier :
1 - De reconstituer un lignage. Comme pour les Iulii d’Autun, un personnage – Iulius
Indus – occupe une place centrale dans la constitution du prestige de la lignée,
capital qui permet dans un second temps de contracter des alliances matrimoniales
avantageuses, susceptibles d’élargir le réseau familial. Hans-Georg Pflaum, se fondant
sur l’étude de la nomenclature de Iulius Classicianus, émet ainsi l’hypothèse d’une
ascendance helvéto-trévire.
2 - De retracer et de comprendre l’ascension sociale de ce groupe familial. À l’origine
de cette ascension, des hauts faits militaires d’un des membres qui témoignent du
loyalisme de la gens envers Rome (et de son opportunisme puisqu’il élimina un notable
de sa cité susceptible de le concurrencer) et qui, considérés comme des merita de
grande valeur, furent récompensés en tant que tels par les dirigeants romains. C’est
dans ce cadre que s’ouvrent aux hommes de la famille les perspectives de la carrière
équestre, à l’échelon procuratorien.
3 - De mesurer avec précision la place qu’occupaient ces familles émergentes, dans le
gouvernement de l’Occident romain, tant à l’échelon local que provincial. De ce point
de vue, l’attitude du procurateur Classicianus en Bretagne, chevalier d’origine trévire
capable de s’opposer à C. Suetonius Paulinus, grand sénateur romain, semble révélatrice
de sa position et de sa conscience sociales. De même, le rôle d’intermédiaire confié par
les partisans de Vespasien à Alpinius Montanus en dit long sur la surface sociale du
personnage, comme cela a pu déjà être observé à propos de l’Éduen Iulius Calenus. Mais
comme pour les descendants d’Eporedirix, on aimerait connaître les développements
de cette histoire familiale aux époques flaviennes et antonines, qui coïncident avec la
grande époque de prospérité de la cité des Trévires. Si le destin de l’infortuné Alpinius
Montanus et avec lui celui d’une partie du sénat des Trévires se perdit dans les forêts de
Germanie, qu’advint-il des autres rameaux de cette famille ?

Bibliographie choisie
R. G. COLLINGWOOD, R. P. WRIGHT, The Roman Inscriptions of Britain (RIB). I. Inscriptions on Stone,
Oxford, 1965, n°12, p. 5-6.
A. R. BIRLEY, The Roman Government of Britain, Oxford, 20052, p. 303-304.
Y. BURNAND, Primores Galliarum. II. Prosopographie, Bruxelles, 2006, p. 56-57.
S. DEMOUGIN, Prosopographie des chevaliers romains Julio-claudiens, Rome, 1992, n° 240, p. 210 ;
n° 543, p. 453 ; n° 689, p. 580.
R. D. GRASBY, R. S. O. TOMLIN, The Sepulchral Monument of the Procurator C. Julius Classicianus,
in Britannia, 33, 2002, p. 43-75.
H.-G. PFLAUM, Essai sur les procurateurs équestres sous le Haut-Empire romain, Paris, 1950,
p. 158-159 ; 303.

60
II - Intégrations gauloises

Les théories de John Drinkwater


Ce schéma explicatif de l’origine des Gaulois porteurs du nomen Iulius, fondé sur le témoignage
de Tacite, a été étayé et développé par l’historien anglais John Drinkwater dans une contribution
parue en 1978, devenue une référence incontournable sur la question, et dont le titre, aux accents
moralisateurs voire gibboniens (The Rise and Fall of the Gallic Iulii : Aspects of the Development of the
Aristocracy of the Three Gauls under the Early Empire), fixe très clairement l’approche de son auteur.
En réaction aux théories continuistes, selon lesquelles les notables gallo-romains seraient les descen-
dants des aristocrates gaulois présents aux côtés ou contre César durant la conquête, Drinkwater
a défendu des positions radicalement différentes, en prenant pour objet d’étude central le groupe
– bien identifiable dans la documentation – des Gaulois porteurs de la séquence onomastique
C. Iulius, groupe qui émerge au premier siècle avant notre ère, s’épanouit sous les Julio-Claudiens,
avant de quasiment disparaître des sources durant les décennies suivant la crise de 68-6926.
Pour la période des origines qui nous intéresse ici, voici en résumé les positions adoptées par ce
savant. Après avoir dressé la liste des Iulii attestés dans les sources, Drinkwater rappelle que leur
destin est lié à la proximité entretenue par les fondateurs de ces lignées avec César, moins durant les
opérations en Gaule que pendant les guerres civiles contre Pompée et ses fils. Dans les années 49-45
av. J.-C., ces Gaulois auraient reçu la citoyenneté en récompense de leur soutien militaire, souvent
décisif sur les champs de bataille27. Et de citer, pour preuve, le fameux passage du Bellum Civile au
cours duquel deux Allobroges, Roucillos et Egos – qui devaient pourtant tout à César selon ce der-
nier – passèrent de son camp à celui de Pompée devant Dyrrachium assiégée en l’an 48, ou encore
un extrait du Bellum Africum rapportant la fuite de deux milles Maures devant trente cavaliers gau-
lois près d’Hadrumète en décembre 47 av. J.-C.28.
Contrairement à ses prédécesseurs, Drinkwater pense que ces Iulii ne seraient pas les descen-
dants des grands chefs alliés de César durant la conquête des Gaules, mais les héritiers de ces
commandants de cavalerie qui sillonnèrent à ses côtés puis ceux d’Octave, la Méditerranée au
cours des guerres civiles de la fin de la République. Le Séquane (Quintus ?) Iulius Togirix, connu
par un monnayage d’argent, en constituerait l’archétype [Encadré 3 sur les Iulii / Iulius Duratios
et Agedomopas]. Dans cette perspective, les Iulii, dans une époque propice à la « promotion of fresh
talent », seraient, selon les mots de Drinkwater, « a new aristocracy in Gallia Comata, an aristocracy
based primarly on military ability and, one might justifiably hazard, on youth ». Et d’ajouter : « One
might further surmise that such an aristocracy would, initialy at least, be relatively free from the con-
straints of birth and traditional wealth »29.
Le tableau de Drinkwater ne manque donc ni d’originalité, ni de force de conviction. Selon lui,
l’émergence d’une nouvelle élite en Gaule entre la conquête et l’époque augustéenne reposerait sur
une élite renouvelée de jeunes gens, recherchés pour leurs capacités militaires, et placés successive-
ment au service de César et d’Octave, envers lesquels ils étaient, par leur statut de clients, redeva-
bles. Parmi les privilèges obtenus au titre des services rendus, figurerait au premier chef l’attribution
viritane de la citoyenneté. Pour autant, la séduction qu’une telle théorie révolutionnaire peut exercer
sur le lecteur, et qui explique la fortune de cet article au sein de la communauté scientifique, ne doit
pas faire illusion. Elle repose en effet sur deux problèmes : d’une part, une tendance à extrapoler des
cas isolés ; d’autre part une lecture sélective et partielle des textes30.
Au titre des extrapolations, figurent les réflexions concernant Iulius Togirix : comment ranger
en effet un tel individu, attesté par une seule émission d’argent attribuée aux Séquanes, parmi ces
« fresh talents », ces jeunes aristocrates fraichement établis par César, « free from the constraints of birth

61
OCCIDENTS ROMAINS

3 - Les Iulii sur le monnayage gaulois


Si les inscriptions d’époque julio-claudienne constituent une mine d’informations sur
l’histoire des notables gaulois porteurs du gentilice Iulius, les monnaies offrent des
témoignages précoces et certainement contemporains d’attributions viritanes de la
citoyenneté romaine à des « chefs » gaulois par Jules César. La documentation fait
connaître quatre de ces personnages :
C. Iulius Agedomopas
Santon
RIG, 177, p. 288-289 : GAIV. IVL. / AGEDOMAPATIS ou GAIOS / AGEDOMAPATIS ; ILA, Santons, n°7 et
n°18 : AGEDOMOPATIS.
Iulius Duratius
Picton
RIG, 145, p. 242-243 : DVRAT / IVLIOS ; César, BG, VIII, 26-27 : Duratius (…qui perpetuo in
amicitia manserat Romanorum…).
C. Iulius Teledhus
Bellovaque ou Véliocasse (?)
RIG, 80, p. 153-154 : — / C. IVLI TELEDHI.
Q. Iulius Togirix
Séquane
RIG, 229, p. 153-154 : Q. IVLIVS / TOGIRI.
Si la liste s’avère mince, elle n’en demeure pas moins riche d’enseignements. Prenons
l’exemple des Iulii santon et picton :

Agedomapatis,
photos A. Hostein.

Denier d’argent ; 14-15 mm ; 1,90 g., BN 10412.


Dr. GAIV. IVL. ; tête d’homme à gauche, un volatile sur l’épaule.
Rev. AGEDOMAPATIS ; cheval galopant vers la gauche, un volatile à ses pattes.
RIG, 177, p. 288-289.

62
II - Intégrations gauloises

Iulios Duratios,
photos A. Hostein.

Denier d’argent ; 14 mm ; 1,37-2 g., BN 4482.


Dr. DVRAT ; tête féminine diadémée, vers la gauche.
Rev. IVLIOS ; cheval galopant vers la droite, un temple stylisé dans le registre supérieur du
champ monétaire.
RIG, 145, p. 242-243.

L’intérêt d’étudier ces deux personnages en particulier tient au fait que le témoignage
des monnaies se trouve confirmé et enrichi par des sources littéraires ou bien
épigraphiques. Concernant Duratios, le lien entre octroi de la citoyenneté et merita
découlant d’un service constant (perpetuus) dans les armées césariennes ressort avec
un éclat particulier. La manière même de présenter l’honneur sur les monnaies apparaît
instructive : au droit, le nom gaulois usuel du chef, qui l’identifie auprès de son peuple
et des siens ; au revers, associé à des symboles celtes et romains, le gentilice Iulius,
privilège rare, se trouve mit en exergue. Il honore le chef et renforce sa position dans
sa cité, par le lien individuel entretenu avec le plus haut dirigeant romain de l’époque,
César. Quant à C. Iulius Agedomopas, outre qu’il comptait parmi les élites d’un peuple
voisin de celui de Duratios, son monnayage permet d’établir un premier jalon dans
l’irrésistible ascension sociale et politique de sa famille, à l’échelon de la cité des
Santons mais aussi de la province toute entière, à travers le sacerdoce des Trois Gaules
exercé par ses descendants. Au début du Ier siècle de notre ère, ces derniers comptent
en effet parmi les familles qui tiennent le haut du pavé en Gaule, manifestant leurs
capacités évergétiques avec un goût prononcé de l’ostentation. Mediolanum Santonum
et le sanctuaire du Confluent gardent encore de nos jours le souvenir de ces bienfaits, à
travers l’arc de Saintes et les vestiges de l’amphithéâtre situé sur la colline lyonnaise de
la Croix-Rousse.

Abréviations employées
BN : Bibliothèque Nationale de France
ILA, Santons : L. MAURIN, Inscriptions Latines d’Aquitaine (ILA). Santons, Bordeaux, 1994.
RIG : J.-B. COLBERT DE BEAULIEU, B. FISCHER, Recueil des inscriptions gauloises (RIG), 4.
Les légendes monétaires, Paris, 1998.

63
OCCIDENTS ROMAINS

and traditional wealth » ? Pourquoi ne pas plutôt considérer le personnage comme le descendant
d’une grande famille séquane, fidèle à César, pendant et après la guerre des Gaules, puis récom-
pensée pour cette raison ? C’est d’autant plus vraisemblable qu’un monnayage séquane au nom
d’un Togirix, sans autre précision, est attesté durant la décennie de la guerre des Gaules31. Quant au
reproche d’une lecture partielle des sources, il s’illustre dans les analyses de Drinkwater relatives à
Roucillos et Egos. Dans la présentation du passage du Bellum Civile qui mentionne ces deux jeunes
aristocrates allobroges, bien que le savant anglais n’omette pas de rappeler le nom de leur père, un
certain Abducillos, il passe presque entièrement sous silence l’importance politique du personnage
que César décrit pourtant comme un princeps, longtemps à la tête de son peuple32. Le détail change
considérablement la donne, et laisse dubitatif quant au profil de ces deux chefs gaulois qui ne cadre
absolument pas avec la tentative de généralisation proposée par Drinkwater. Certes, César a pu
accroître leurs richesses et élever leur position sociale, comme il le mentionne en personne, par des
récompenses en argent (praemiaque rei pecuniariae magna) ou par des transferts de terres saisies en
Gaule intérieure durant la conquête (agros in Gallia ex hostibus captos)33. Certes, Roucillos et Egos
doivent à la démonstration de leurs virtutes sur le champ de bataille le fait de côtoyer Jules César.
Pour autant, il paraît difficile de les considérer comme des jeunes talents, libérés des contraintes
liées à la naissance et détachés d’une tradition familiale d’exercice du pouvoir. Et par-dessus tout,
quand bien même ces jeunes gens seraient issus de franges inférieures de l’aristocratie gauloise, il
faut se rappeler qu’on ne s’improvisait pas à cette époque cavalier, l’équitation étant par définition
dans la société gauloise une pratique aristocratique, et dans laquelle les hommes qui suivirent César
partout en Méditerranée excellaient34.
Un dernier argument décisif se niche dans un extrait du Bellum Civile, passé inaperçu de la gran-
de majorité des commentateurs, mais réhabilité récemment par Christian Goudineau35. L’épisode se
passe en 49 av. J.-C., alors que les Pompéiens ont réorganisé leurs forces pour défendre la péninsule
ibérique menacée par l’imperator. César procède de la même manière en envoyant six légions aux
frontières de la province, en rassemblant des troupes auxiliaires composées de 6000 fantassins et
de 3000 cavaliers ayant combattu sous ses ordres durant les guerres précédentes, et enfin, en levant
le même nombre d’hommes parmi les plus nobles et les plus valeureux de la Gaule récemment
pacifiée. Le texte précise que ce recrutement fut opéré, nominatim, c’est-à-dire « nominalement »,
et non pas « individuellement » comme le traduit Pierre Fabre dans l’édition des CUF36. Ce qui
signifie qu’à cette date, César pouvait lever des forces auxiliaires considérables en Gaule intérieure,
en s’appuyant sur une liste nominative des chefs locaux considérés comme des fidèles et des relais
de son action. On imagine mal dans ces conditions que le profil de ces chefs corresponde à celui de
ces jeunes cavaliers aux origines sociales obscures décrits par Drinkwater. César s’appuyait ici sur les
aristocraties gauloises solidement implantées au sein de leurs peuples, du moins la frange qui avait
survécu aux guerres et à l’épuration opérée après Alésia, – le groupe des Iulii peut-être ?
En résumé, si certaines analyses de détail de Drinkwater demeurent acceptables, le tableau
d’ensemble qu’il brosse doit en revanche être entièrement révisé, dans la mesure où il se fonde sur
des présupposés auxquels la documentation se trouve subordonnée. De toute évidence, il n’est pas
opératoire pour décrire la situation des Éduens placés au service des imperatores de Rome dans les
combats des guerres civiles. Sur cette question des Gaulois servant dans les armées romaines du
Ier s. av. J.-C., qualifiés d’auxiliaires par analogie avec la situation bien établie à l’époque flavienne
– terminologie qui pose de délicats problèmes d’interprétation –, on lira plus volontiers les pages
de Reinhard Wolters, auteur d’un ouvrage peu connu en raison de sa faible diffusion, mais dont les

64
II - Intégrations gauloises

conclusions d’ensemble offrent un cadre d’analyse plus attaché à la réalité des témoignages antiques
que celui proposé par Drinkwater37.

Les Éduens et le droit latin : l’épreuve des sources


Dans le cas particulier de Iulius Sacrovir, la citoyenneté romaine – si le témoignage de Tacite
s’avère juste, ce qui n’est pas sûr – fut octroyée de manière individuelle, viritane, certainement à son
aïeul, un homme plein de virtus, qui rendit service à César et qui fut récompensé pour cette raison.
Mais qu’en est-il de Iulius Eporedirix ou de Iulius Vercondaridubnus ? Leurs ancêtres suivirent-ils
cette voie ? Traditionnellement, les savants se sont accordés de manière unanime, et à juste titre,
pour étendre ce schéma à l’ensemble des Iulii attestés en Gaule sous les Julio-Claudiens38. Mais des
travaux et des découvertes récentes ouvrent une autre piste d’interprétation, qui mérite ici d’être
approfondie : celle d’un octroi précoce du ius Latinum, du droit latin39.
Certes, l’hypothèse se heurte au silence des sources. Pline l’Ancien, qui écrit sous les Flaviens,
précise bien dans un passage de son Histoire Naturelle consacré à la description de la province
des Trois Gaules que la cité des Éduens est une civitas foederata 40. Mais son témoignage repose
certainement sur une source ancienne, devenue obsolète, et qui renvoie dans ses grandes lignes,
selon plusieurs commentateurs, à un état des statuts des cités remontant à César ou bien à la veille
des grandes transformations opérées par Auguste en Gaule, dans les deux dernières décennies du
Ier siècle avant notre ère41. De surcroît, rien n’interdisait les dirigeants romains d’accorder à une cité
fédérée le ius Latinum, les deux réalités pouvant très bien coexister, même si dans ce cas précis, la
situation est difficile à détecter dans la documentation, en l’absence d’inscriptions mentionnant
explicitement des magistratures. À côté de ce statut hybride, existaient des communautés de droit
latin, appelés municipes en Occident, colonies latines en Narbonnaise42.
En l’état de la documentation, plusieurs pièces peuvent être versées au dossier pour soutenir
l’hypothèse d’un octroi précoce du droit latin aux Éduens, qui se traduirait de manière immédiate
à la fois dans l’onomastique des notables ainsi que dans la construction d’un bâtiment singulier,
mis au jour à Bibracte, et sur lequel nous allons revenir plus loin. Peut-être est-il utile à ce stade
du raisonnement d’observer les évolutions concernant la civitas Aeduorum, celles en particulier qui
s’opérèrent au tournant de notre ère puis sous les Julio-Claudiens. Les voici exposées selon l’ordre
chronologique :
1 - À partir des années 20-10, l’oppidum de Bibracte est abandonné progressivement au pro-
fit d’une ville nouvelle, Augustodunum, ceinte d’un mur monumental comparable à ceux dont
étaient dotées les colonies latines de Narbonnaise (Nîmes, Vienne). Les chiffres parlent d’eux-
mêmes : un tracé de 6 km percé de quatre portes monumentales d’époque augustéenne – l’en-
ceinte elle-même ayant été probablement construite ultérieurement – ; une emprise spatiale de
plus de 200 ha, orthonormée (Figure 4), aménagée au moyen de puissants terrassements en
raison de la forte déclivité du terrain43. Jusqu’à maintenant, la majorité des spécialistes refuse
d’associer cette construction honorifique à une éventuelle élévation coloniale, ce qui conduit
à affirmer que la cité des Éduens serait, sous Auguste, la seule cité fédérée de tout l’Empire
entourée d’une enceinte coloniale44. Par ailleurs, du point de vue architectural, il faut rappeler
qu’Autun fut dotée d’un théâtre, à un moment indéterminé dans le courant du Ier siècle de
notre ère, qui se classe par ses dimensions (148 m de diamètres environ) à la deuxième place des
théâtres du monde romain, immédiatement derrière celui construit par Pompée sur le Champ
de Mars à Rome. Il y a fort à parier que ce gigantisme, découlant d’une tendance à l’emphase et

65
OCCIDENTS ROMAINS

à la surenchère, reflétait une prééminence accordée avec la bienveillance des autorités impériales,
par suite d’une demande émanant des Éduens eux-mêmes45.
2 - Vers la même époque, en 12 avant J.-C. plus précisément, le premier sacerdos élu de
l’autel du Confluent est l’Éduen C. Iulius Vercondaridubnus 46. Par-delà le témoignage d’estime
qui lui fut accordé, à lui ainsi qu’aux membres de sa famille, il faut considérer ce choix, appuyé
certainement par Drusus présent lors de l’inauguration, comme la volonté commune de la part
des délégués gaulois et des dirigeants romains de marquer la prééminence symbolique et hono-
rifique des Éduens en Gaule intérieure devenue province des Trois Gaules. Les arguments à
faire valoir ne manquaient pas : les Éduens étaient les fratres populi Romani en vertu d’un traité
diplomatique, d’un foedus, contracté au milieu du IIe siècle avant notre ère47, et dont le respect
des clauses justifie à la fois les interventions romaines contre les Arvernes et les Allobroges au
temps de Domitius Ahenobarbus puis en Gaule intérieure sous César, ainsi que la constante fidé-
lité de ce peuple envers ce dernier, à l’exception des quelques mois précédant le siège d’Alésia.
3 - En 48 ap. J.-C., Tacite précise qu’au lendemain du discours de Claude au Sénat, la requête
des notables des Trois Gaules pour bénéficier d’une citoyenneté complète, optimo iure, incluant le
ius honorum et en conséquence l’accès à la carrière des honneurs, ne fut accordée dans un premier
temps, pour un court moment, avant une extension à l’ensemble des provinciaux, qu’aux seuls
Éduens, en vertu de leur titre de « frères du peuple romain ». C’est là encore une autre preuve
d’une prééminence reconnue, réaffirmée et même renforcée par l’empereur Claude48.
4 - Sous Claude toujours, Pomponius Méla, dans un passage de sa Chorographie qui a
fait couler beaucoup d’encre, a placé sur le même plan trois peuples de Gaule intérieure :
les Ausques d’Aquitaine, les Éduens de Lyonnaise, les Trévires de Belgique, les qualifiant de
populi clarissimi et décrivant leurs chefs-lieux comme des urbes opulentissimae 49. Or, on peut
se demander quelle logique a bien pu guider Pomponius Méla dans cet extrait. Chez Cicéron,
clarissimus, rapporté à des cités, renvoie à leur rayonnement mais également à l’amitié qui les lie
aux Romains50. Quant à l’adjectif opulentissimus, il signifie littéralement « très prospère », « très
opulent ». Le rapprochement opéré dans la Chorographie suggère des points communs que
Pomponius Méla ne formule pas dans des termes institutionnels mais plutôt sous une forme
encomiastique, par l’emploi de superlatifs, et par une construction ternaire en miroir, qui ne
relève pas d’un simple effet de style. Si l’on dresse la liste des statuts et noms des chefs-lieux
de ces trois peuples, cela aboutit au résultat suivant : les Ausques, dont la capitale est Augusta
Auscorum, ont bénéficié du droit latin sous Auguste ; les Éduens, capitale Augustodunum, à
un moment que nous tentons de préciser ; les Trévires, Augusta Treverorum, au plus tard sous
Claude, même si certains travaux historiques ou archéologiques ont défendu une datation plus
haute, tardo-augustéenne51. L’interprétation inédite de ce passage, cumulée avec les indices pré-
cédemment exposés, incite donc à faire remonter au plus tard à l’époque augustéenne l’octroi
du ius Latinum aux Éduens.
5 - Deux discours, prononcés respectivement en 298 et en 311 ap. J.-C. par des orateurs éduens,
apportent deux informations essentielles sur ce dossier. Eumène, auteur du Panégyrique Latin
V (9), qualifie la ville d’Autun de colonia 52, alors que l’anonyme de 311, précise à la fin de son
discours (Panégyrique Latin, VIII (5)), que l’antique Bibracte, appelée jusqu’à son temps Iulia Polia
Florentia, mérite désormais de s’appeler Flavia en remerciement des bienfaits apportés par Flavius
Constantinus, autrement dit Constantin53. Longtemps décriés en raison de leur datation tardive et
de leur style prétendument ampoulé, ces discours méritent en réalité d’être réhabilités, et en parti-

66
II - Intégrations gauloises

culier leur contenu institutionnel, extrêmement précis pour peu qu’on


s’y attache avec attention54. Pour prolonger cette remarque, si l’on suit
le témoignage de ces notables, la civitas Aeduorum, dont la capitale
était Bibracte à ses origines, aurait été élevée au rang de colonia sous le
Haut-Empire, dotée d’une titulature comportant les épithètes Iulia
Polia Florentia55. Je passe sur le commentaire détaillé de la signification
de ces épithètes56. Il faut simplement signaler que l’épithète Iulia ren-
voie ou bien à César, ou bien à Octave, éventuellement à Caligula, et
que Florentia – Polia soulevant de délicats problèmes d’interprétation,
trop longs à exposer ici – apparaît dans la titulature de Vienne, chez les
Allobroges, appelée sous Néron colonia Iulia Augusta Florentia Vienna 57.
Compte tenu du fait que la place des épithètes respecte un ordre chro-
nologique, compte tenu également de la proximité entretenue par les
Viennois avec Caligula, empereur que l’historien Hans-Georg Pflaum
soupçonne d’être à l’origine d’une élévation de la cité au rang de colonie
honoraire, il faut probablement dater l’apparition de cette épithète dans
la titulature de Vienne du règne de ce prince, de celui de Claude ( ?) en
ce qui concerne la titulature d’Autun58.

Figure 4. La trame urbaine


1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
d’Augustodunum-Autun ;
N d’après M. KASPRZYK,
I
Les cités des Éduens et de
II Châlon durant l’Antiquité
III tardive (v. 260-530 env.).
Contribution à l’étude
IV
de l’Antiquité tardive en
V Gaule centrale, vol. III-A,
VI Université de Bourgogne,
VII
2005, pl. 105 (avec
l’aimable autorisation
Tour de
VIII-IX Jouère
Forum ? de l’auteur).

IX-X

XI "Capitole"

XII
"Temple
XIII d'Apollon"
Sanctuaire
XIV de Bibracte ?

XV

XVI

XVII

0 200 m

67
OCCIDENTS ROMAINS

La « basilique » de Bibracte
Dans ces conditions, il est permis d’envisager, avec de bons arguments, un octroi aux Éduens du
droit latin associé au statut colonial dans l’avant-dernière décennie du Ier s. av. J.-C., moment de la
création d’Augustodunum. Mais mieux encore, cette attribution du ius Latinum peut être remontée
aux décennies antérieures, du moins à titre d’hypothèse de travail. En effet, une découverte archéo-
logique récente effectuée sur le Mont Beuvray, site de l’antique oppidum de Bibracte, vient sensible-
ment modifier le dossier documentaire – voire peut-être, en réalité, le bouleverser.
Cette découverte extraordinaire, la communauté scientifique la doit à une équipe de l’Univer-
sité de Budapest dirigée par Miklós Szabó, qui intervient sur le site depuis 1988 dans le cadre des
fouilles programmées du Centre Archéologique Européen59. Au lieu-dit la Pâture du Couvent,
désormais considéré comme le site de l’ancien centre politique de l’oppidum, furent mises au jour
des structures tout à fait originales, scellées dans une couche de destruction, sous une vaste domus
d’époque augustéenne. C’est en ce lieu que les archéologues découvrirent en 2000, sous l’atrium
de cette maison, une base de colonne en calcaire ainsi que divers éléments architecturaux (pilas-
tres, fragments de chapiteaux), que des fouilles récentes ont permis d’attribuer à un vaste ensem-
ble interprété par les inventeurs, parce qu’il s’agit d’« une hypothèse qui s’impose », comme un
complexe associant une « basilique » et un forum, et dont le mobilier permet de préciser la chrono-
logie relative : création dans les années 40 av. J.-C., abandon autour des années 20 av. J.-C., marqué
par une destruction systématique60. Il s’agit, faut-il le rappeler, d’une chronologie relative, à prendre
avec beaucoup de précaution, établie à partir d’un nombre limité d’indices, et qui risque d’être révi-
sée au moment de la publication complète du dossier : on attend en particulier l’étude du matériel
(céramiques, monnaies) découvert dans les couches de remblai scellant cet ensemble. Quoi qu’il en
soit, en l’état des publications, il semble que cette destruction ait été programmée puisque, contrai-
rement aux découvertes effectuées dans un contexte d’accident, une quantité infime de mobilier
a pu être recueillie par les chercheurs dans ce remblai. En d’autres termes, l’ensemble a été détruit
volontairement, une fois récupérés les éléments mobiliers ou immobiliers susceptibles de l’être61.
Ce complexe semble correspondre, en termes architecturaux et en l’état des recherches, à
une « basilique » du type de celles mises au jour en Italie à la même époque, ouverte le long de
sa façade orientale sur un petit « forum » carré dont les murs des portiques nord et sud prolon-
gent sans interruption les murs des salles annexes de la basilique (Figure 5). Dans le détail, les
mesures peuvent être calculées en pieds romain (29,6 cm) : l’espace interne de la « basilique »
elle-même mesure 71 pieds sur 41 (21 mètres sur 11 environ), alors que le « forum » s’inscrit
dans un quadrilatère de 71 pieds. Les fragments de colonnes et de piliers découverts permet-
tent par ailleurs de restituer l’élévation générale de l’édifice et de formuler deux hypothèses sur
l’utilisation d’un ordre en façade, composé ou bien de colonnes seules, ou bien, solution plus
vraisemblable, de piliers entourés de pilastres soutenant des arcades. L’épaisseur des murs externes
ainsi que l’agencement général de la « basilique » permettent d’envisager une hauteur des deux
principaux murs latéraux d’environ 13 mètres, lesquels soutenaient la toiture de la nef centrale
(Figure 6)62. Les découvertes effectuées depuis 2006 dans la partie du complexe comprise entre
la voie principale de Bibracte et le bâtiment de la « basilique » viennent préciser la morphologie
architecturale de cet ensemble monumental si singulier : au nord ouest de la « basilique », sous
l’atrium de la domus augustéenne, vient d’être découverte une seconde cour, plus petite que celle
évoquée plus haut, qui relie la voie à portique au bâtiment basilical par un emmarchement en
blocs de pierre de grand appareil63. Quelle que soit l’interprétation exacte donnée à ce complexe,

68
II - Intégrations gauloises

Figure 5. Le complexe
monumental de Bibracte :
la « basilique » et les deux
« forum » ; d’après Vestiges
et créations architecturale
sur l’Oppidum de Bibracte
(Saône-et-Loire, Nièvre),
Dijon, 2009 (DRAC. Série :
Archéologie en Bourgogne,
n°18), p. 7 (fig. 4).

Figure 6. Hypothèse
de restitution de la
« basilique » ; d’après
SZABÓ, La basilique de
Bibracte, p. 400 (fig. 13).

69
OCCIDENTS ROMAINS

il paraît nécessaire de rappeler l’importance que pouvait revêtir une telle construction monu-
mentale maçonnée, côtoyant certes un murus gallicus imposant, mais située avant tout dans un
espace urbain composé essentiellement de bâtiments en bois, disposés de manière peu ordonnée,
le long du principal axe traversant Bibracte. Du haut de ses 16 mètres environ, dotée d’une archi-
tecture régulière et massive dominant un espace urbain composite, située au sommet d’un mont
aux conditions climatiques hivernales particulièrement rudes, cette « basilique » était conçue pour
frapper d’étonnement, par l’effet visuel de rupture qu’elle introduisait dans le paysage, bien des
spectateurs gaulois qui n’avaient pour la majorité d’entre eux jamais eu l’occasion d’observer de tels
édifices, sinon dans la province voisine de Transalpine et, pour quelques uns, peu nombreux,
à Rome même, comme ce fut le cas du druide éduen Diviciac envoyé en ambassade et qui fut
l’hôte de Cicéron64. Si l’attribution fonctionnelle de ce complexe mérite encore d’être discutée – par
exemple ses dimensions en font une « basilique » de petite taille comparée à d’autres ensembles
contemporains, en Narbonnaise65 ou ailleurs66 –, sa monumentalité et son originalité en revanche,
dans le contexte d’un oppidum de la Tène finale, semblent indiscutables. À bien des titres, la « basi-
lique » de Bibracte demeure un ensemble unique par sa précocité.
Comment, dès lors, transposer puis interpréter en termes historiques l’existence d’un tel
complexe monumental ? Même s’il faut demeurer extrêmement prudent sur sa datation et
sa nature, il ressort de ces différentes observations que la « basilique » de Bibracte, comme
le rappelent ses inventeurs, « constitue pour l’instant le premier représentant certifié de ce
type de bâtiment dans le monde romain occidental », fournissant ainsi de précieux repè-
res sur l’introduction des modèles architecturaux de type méditerranéens en Occident. Du
point de vue politique, si ces interprétations sont bonnes, ce bâtiment peut constituer un
indice éclatant d’un octroi précoce, par César ou son fils adoptif, d’un privilège institution-
nel non moins exceptionnel. Pourquoi pas une attribution du ius Latinum dans les années
40 av. J.-C. ? Dans ces conditions, les nombreux Iulii éduens attestés dans les sources pourraient
avoir reçu la citoyenneté romaine non pas toujours individuellement mais, pour certains d’entre
eux, à titre collectif. L’hypothèse ne peut être étayée en l’état actuel de nos connaissances mais il
convenait de la formuler.
Une fois réunie la documentation, reste à l’ordonner dans un cadre qui tienne compte de l’en-
semble des témoignages, sans déformations ni omissions. Voici le tableau d’ensemble, vraisemblable
à défaut d’être définitif, qu’il est permis de proposer. Ce tableau provisoire bouscule nos connaissan-
ces sur la municipalisation de la Gaule intérieure au Ier siècle avant notre ère. Pour autant, cette révi-
sion de l’histoire municipale des Trois Gaules mérite d’être relativisée dans la mesure où elle s’inscrit
dans un mouvement plus ample qui a abouti, ces dernières années, à repenser entièrement la péné-
tration romaine en Gaule intérieure durant les décennies comprises entre la Guerre des Gaules et
les dernières années du règne d’Auguste. Et, il faut le reconnaître, l’essentiel des nouveautés provient
des découvertes, banales ou exceptionnelles, effectuées par les archéologues sur le terrain, lesquelles
en retour obligent à revoir en profondeur l’interprétation de la documentation écrite67.

La civitas Aeduorum et le droit latin


Les Iulii éduens attestés, en particulier les descendants d’Eporedirix, ont pu recevoir la citoyen-
neté romaine de deux façons :

70
II - Intégrations gauloises

– ou bien par le biais d’une attribution viritane, de la part de César, durant la courte période qui
suivit la défaite d’Alésia, en récompenses de leurs mérites, selon le témoignage de Tacite. C’est la
solution la plus probable compte tenu de la documentation à notre disposition ;
– ou bien par le biais d’une attribution collective, autorisée par l’adoption du droit latin. Ce ius
Latinum aurait été accordé de manière exceptionnelle aux seuls Éduens en leur qualité de fratres
populi Romani, dans le cadre d’une politique volontariste, impulsée depuis Rome par César ou
son fils adoptif et destinée autant à asseoir la prééminence d’un peuple romanisé et légitimiste qu’à
inciter ses voisins à le suivre dans cette voie. Dans ce cadre, la construction du « complexe basilical »
et du « forum », en fonction durant les années 40-20 avant notre ère, s’entend comme la nécessité
d’offrir un lieu fonctionnel, adapté aux nouvelles pratiques politiques des Éduens, dans des formes
esthétiques et architecturales romaines, chargées d’une forte connotation idéologique68.
L’étape suivante intervient au moment du transfert de caput civitatis, de Bibracte à
Augustodunum, dont la fondation remonte au plus tard, selon la datation du décor architectural
des portes, à la dernière décennie avant notre ère69. De ce point de vue, la documentation concorde
et aucun hiatus n’est observé dans cette évolution, la « basilique », devenue inutile, étant détruite
volontairement au plus tôt vers 20 avant notre ère, pour laisser place à un nouveau forum à Autun
dont la localisation continue de faire débat70. Un dédoublement provisoire et à titre transitoire du
chef-lieu, fait bien attesté chez les Voconces (Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, III, 6), n’est pas
à exclure. Mais quoi qu’il en soit, dans ce transfert, les éléments qui l’accompagnent soulignent à
l’envi la volonté des dirigeants romains de continuer de renforcer la prééminence des Éduens tout
en présentant leur chef-lieu comme une « vitrine de la romanisation »71. À la même époque, l’éduen
C. Iulius Vercondaridubnus est désigné pour inaugurer au Confluent le lieu par excellence d’expres-
sion du loyalisme des provinciaux envers la famille impériale. C’est donc à ce moment précis qu’il
faut envisager que la civitas foederata, éventuellement dotée du droit latin, soit devenue une colonie
latine, baptisée du nom de son fondateur (Augustodunum), et dotée de surcroît d’un privilège par-
ticulier, une vaste enceinte maçonnée, percée de portes monumentales, caractéristique des colonies
latine contemporaines de Narbonnaise comme Vienne ou Nîmes. Dans la titulature coloniale
(colonia Iulia), l’épithète Iulia pouvait ainsi célébrer doublement la gens du même nom : à travers
d’abord le souvenir de l’octroi du droit latin à la cité fédérée par César, puis celui de l’élévation colo-
niale par César le jeune, devenu Auguste, et qui donna en plus son nouveau nom au centre urbain.
C. Iulius Eporedirix et son père furent certainement les témoins et les acteurs de ces bouleversements
majeurs qui affectèrent leur peuple, alors que C. Iulius Magnus fit partie de la première génération
éduenne à naître dans ce nouvel environnement marqué par l’œuvre d’Auguste.
Pour terminer, il est tentant de lier l’apparition de l’épithète Florentia dans la titulature coloniale
à un bienfait de l’empereur Claude, pourquoi pas la reconnaissance, par ce dernier, de la préémi-
nence des Éduens dans l’affaire de l’octroi aux Gaulois du ius honorum en 48 ap. J.-C. ou tout autre
beneficium non mentionné par les sources. C’est d’autant plus probable que Claude a mené une
politique active en faveurs des notables gallo-romains, pour des raisons personnelles mais également
certainement en vertu du lien de patronage, fort ancien, qui liait la famille impériale avec les pro-
vinciaux de cette partie du monde romain. Le choix de Florentia plutôt que Claudia par exemple
s’explique peut-être en référence à la titulature de Vienne, augmentée de cette épithète, à la suite
de l’obtention du statut de colonie romaine honoraire grâce à l’intercession, auprès de Caligula, de
D. Valerius Asiaticus, consul en 35 ap. J.-C., premier parmi les Allobroges, et que Claude ne portait
pas dans son cœur, comme le prouve un passage du discours reproduit sur la Table de Lyon72. Dans
un contexte municipal caractérisé par des rivalités – aemulatio en latin – entre cités, adopter une

71
OCCIDENTS ROMAINS

telle épithète, avec l’accord de l’empereur, permettait peut-être aux Éduens, dont le statut avait suivi
de près celui de la cité des Allobroges, de rétablir un certain équilibre en leur faveur, de restaurer
une certaine égalité de dignité73.

Épilogue
Ainsi s’achève le récit de l’histoire de cette famille dont le destin se confond avec celui de la
civitas Aeduorum. Car après la mention de L. Iulius Calenus, plus rien ne transparaît de ces Iulii, ni
d’autres Éduens porteurs de ce gentilice, à l’exception d’un certain C. Iulius Lugudunolus, légion-
naire dans la Troisième légion Auguste à Théveste, mort durant son service, sous les Flaviens74. Ce
silence des sources doit-il pour autant être interprété comme un signe des temps ? Comme le mar-
queur de transformations sociales, conséquences directes de la crise de 68-69 et du changement de
dynastie au sommet de l’État ?
Les changements paraissent indéniables et la documentation s’en fait assurément l’écho. Mais il
convient de relever que cette documentation change elle-même de nature, et qu’en conséquence,
les tentatives pour suivre des phénomènes analogues avant et après cette rupture documentaire
s’en trouvent affectées75. Pour les Gaules aux époques flavienne et antonine, il n’existe pas en effet
de témoignages équivalents de ceux rapportés par les grandes œuvres historiques de Tacite ou de
Suétone. Les analyses doivent dès lors se contenter d’inscriptions relativement rares dans les Trois
Gaules, plus fréquentes dans certaines cités de Narbonnaise, ainsi que de vestiges archéologiques.
Or les analyses stratigraphiques seules, sans l’appui de textes littéraires, apparaissent parfois difficiles
à transposer en termes historiques.
Dans ces conditions, à la suite d’autres historiens, il faut renoncer à tout schématisme et
à toute théorie du « déclin » des Iulii gaulois au profit d’une nouvelle élite de négociants ou
de « bourgeoisies industrielles » (défendue par John Drinkwater mais aussi, par exemple, par
Gilbert-Charles Picard), sans pour autant tomber dans un révisionnisme absolu au profit de théories
continuistes tout aussi difficiles à étayer76. Cependant, peut-être devons-nous interpréter cette dis-
parition des Iulii comme le signe de l’intégration d’une grande partie d’entre eux aux ordres supé-
rieurs de la société impériale, comme le signe d’une « aspiration par le haut » : telle est du moins
l’interprétation proposée par Yves Burnand, que nous serions tenté de reprendre en partie ici77. Le
silence des inscriptions, loin de n’être imputable qu’au caractère hasardeux des découvertes, pourrait
s’expliquer par la spécificité des pratiques régionales en la matière, par un usage des honneurs épi-
graphiques plus répandu, en dehors des contextes funéraires, au sein de groupes familiaux en voie
d’ascension sociale. Un tel schéma explicatif, qui mériterait d’être approfondi par un dépouillement
exhaustif de la documentation, trouve une illustration intéressante dans les noms et profils sociaux
des sacerdotes de l’Autel des Trois Gaules au IIe siècle : de moins en moins de Iulii au profit de
gentilices nouveaux et diversifiés ; une origine géographique de plus en plus variée, ainsi qu’une
ouverture aux notables de civitates moins prestigieuses que celles des premiers grands prêtres78.
En définitive, pour l’époque antonine, on ne peut que regretter de ne pas posséder, pour les
élites éduennes, un dossier épigraphique comparable à celui de Marcus Sedatius Severianus Iulius
Acer Metillius Nepos Rufinus Tiberius Rutilianus Censor 79, membre d’une gens Sedatia originaire de la
cité des Pictons en Aquitaine, et qui n’indique jamais dans les inscriptions qui le font connaître son
origo. En revanche, cet acteur important de la vie politique sous Antonin et Marc Aurèle étale avec
ostentation sa polyonymie et, à travers elle, sa position sociale éclatante, patiemment construite par

72
II - Intégrations gauloises

ses aïeux par le biais d’alliances avantageuses contractées avec de grandes familles de notables d’Italie
du Nord, précisément dans la seconde moitié du Ier siècle de notre ère.

Appendice – Les Éduens porteurs du gentilice Iulius (Ier av.-Ier s. ap. J.-C.)
[1] C. Iulius VERCONDARIDUBNUS, premier sacerdos de l’autel du confluent, en 12 av. J.-C. (Tite Live,
Periochae, 139).
[2] C. Iulius EPOREDIRIX, notable éduen dans la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. (CIL, XIII, 2728 et
2805).
[3] C. Iulius MAGNUS, notable éduen sous Tibère (CIL, XIII, 2728 et 2805).
[4] (C. ?) Iulius SACROVIR, notable éduen, mort en 21 ap. J.-C. (Tacite, Annales, III, 40, 1).
[5] C. Iulius PROCULUS, notable éduen du milieu du Ier s. ap. J.-C. (CIL, XIII, 2728).
[6] L. Iulius CALENUS, tribun de légion en 69 ap. J.-C. (Tacite, Histoires, III, 35 et CIL, XIII,
2805).
[7] C. Iulius LUGUDUNOLUS, soldat de la Legio IIIa Augusta sous les Flaviens (CIL, VIII, 27850 =
IlAlg, I, 3116).

Notes :

Les références citées de manière récurrente dans les notes sont abrégées de la manière suivante :

M. Christol, D. Darde (edd.), L’expression du pouvoir au début de


Autour de la Maison Carrée
l’Empire. Autour de la Maison Carrée à Nîmes, Paris, 2009.

J. F. Drinkwater, The Rise and Fall of the Gallic Iulii : Aspects of the
Drinkwater, Gallic Iulii Development of the Aristocracy of the Three Gauls under the Early Empire, in
Latomus, 37, 1978, p. 817-850.

Goudineau, Bibracte C. Goudineau, C. Peyre, Bibracte et les Éduens, Paris, 1993.

—., César —., César et la Gaule, Paris, 20002.

—., Dynasties gauloises, dynasties romaines dans les Trois Gaules, in


—., Dynasties gauloises J.-C. Decourt (ed.), L’aristocratie celte à la fin de l’âge du Fer (IIe s. avant
J.-C.-Ier s. après J.-C.), Glux-en-Glenne, 2002, p. 311-315.

A. Hostein, La cité des Éduens dans l’Empire des Tétrarques, Paris, 2010 (à
Hostein, La cité des Éduens
paraître).

Maurin, Saintes L. Maurin, Saintes antique, Saintes, 1978.

A. Rebourg, L’urbanisme d’Augustodunum (Autun, Saône-et-Loire), in


Rebourg, L’urbanisme d’Autun
Gallia, 55, 1998, p. 141-236.

M. Szabó, L. Timar, D. Szabó, La basilique de Bibracte – Un témoignage


Szabó, La basilique de Bibracte précoce de l’architecture romaine en Gaule centrale, in Archäologisches
Korrespondenzblatt, 37-3, 2007, p. 389-408 .

73
OCCIDENTS ROMAINS

1. Je remercie pour sa relecture attentive et ses suggestions précieuses Michel Reddé, ainsi que Yannick Labaune pour
son aide apportée dans la recherche bibliographique et documentaire. Selon la formule consacrée, toutes les erreurs sont
miennes.
2. Sur la signification du nom Eporedirix : P.-Y. Lambert, La langue gauloise, Paris, 2003, p. 33, qui ne reprend pas
exactement la traduction, « king of horsemen » proposée par D. E. Evans, Gaulish Personal Names. A Study of some
Continental Celtic Formations, Oxford, 1967, p. 92.
3. Cet Eporedirix est mentionné par César, dans les passages suivants du Bellum Gallicum [désormais BG], VII, 38-40 ; 43 ;
54-55 ; 76 (ed. L.-A. Constans). L’identification de Noviodunum à Diou-sur-Loire plutôt qu’à Nevers paraît préférable,
pour des raisons topographiques et étymologiques : Goudineau, César, p. 215.
4. César, BG, VII, 67.
5. Tacite, Histoires, III, 35 (ed. H. Goelzer) pour la mention du personnage ; Ibid., III, 44-46 pour la description de la
situation contrastée qui suit ces événements en Gaule intérieure, en Bretagne ainsi qu’en Germanie .
6. Sur la Gaule intérieure entre César et Auguste : J.-M. Roddaz, La Gaule de César à Auguste, in A. Desbat (ed.),
Lugdunum. Naissance d’une capitale, Gollion, 2005, p. 29-38 et M. Reddé, La Gaule chevelue entre César et Auguste, in
Autour de la Maison Carrée, p. 85-110.
7. Il existe assurément, pour d’autres cités, des dossiers d’une richesse historique équivalente. Les plus fameux d’entre
eux étant ceux des notables trévires (voir infra, l’article de Pierre Cosme) et santons d’époque Julio-Claudienne, étudiés pour
ces derniers par Maurin, Saintes, p. 143 et suiv. Le dossier épigraphique qui révèle l’existence de ces grands personnages
a fait l’objet d’une publication scientifique quasi définitive : L. Maurin, en collaboration avec M. Thauré, F. Tassaux,
Inscriptions latines d’Aquitaine (ILA), Santons, Bordeaux, 1994, n°7 et 18, p. 79-95 ; p. 124-135, en particulier p. 131-132.
En dernier lieu sur le sujet, toujours du même auteur, dans J. Glénisson (ed.), Histoire de l’Aunis et de la Saintonge. t.1, Des
origines à la fin du VIe siècle après J.-C., La Crèche, 2007, p. 125-159.
8. CIL, XIII, 2728. Traduction et commentaire dans Goudineau, Bibracte, p. 190 ainsi que dans Autun-Augustodunum,
capitale des Éduens¸ Autun, 1985, p. 77 (notice n°109, due à Alain Rebourg). La traduction est fautive : lire « C. Iulius
Proculus, fils de C. Magnus, petit-fils de C. Eporedirix (et non de Proculus) ». Voir également Goudineau, Dynasties gauloises,
p. 311-315.
9. CIL, XIII, 2805 = ILS, 4659. Les détails concernant le contexte de sa découverte sont fournis par A. Rebourg, Carte
Archéologique de la Gaule (CAG), 71/3, Département de la Saône-et-Loire, Paris, 1994, notice n°16 (Bourbon-Lancy), p. 85.
Cette inscription, comme la précédente, est citée, traduite puis commentée par Goudineau, Bibracte, p. 189.
10. Ibid., p. 190-191. Une erreur s’est glissée dans les stemmata proposés : Iulius Calenus a pour praenomen Lucius et non
Caius.
11. Citation relevée Ibid., p.190.
12. Sur cette question complexe du ius honorum adipiscendorum, principal motif de la requête présentée par les délégués
gaulois au Sénat en 48 ap. J.-C., exposé clair et synthétique dans Maurin, Saintes, p. 156-159, à compléter par la récente
étude de W. Riess, Die Rede des Claudius über das Ius Honorum der gallischen Notablen : Forschungsstand und Perspektiven, in
Revue des Études Anciennes, 105-1, 2003, p. 211-249.
13. Goudineau, Bibracte, p. 191.
14. Le terme adulescens est étudié, à propos de Vercingétorix, par C. Goudineau, Le dossier Vercingétorix, Arles, 20092,
p. 385-386.
15. Même s’il n’existe aucune règle intangible en matière onomastique, cette pratique, bien attestée, était fort répandue.
16. Ce favoritisme conscient de César à l’égard d’un clan au profit d’un autre, parfois au sein même d’une famille, s’illustre
à plusieurs reprises, l’obligeant alors à intervenir directement dans les affaires internes des Éduens. Cette politique, qui faillit
coûter cher aux Romains en 52 av. J.-C., apparaît dès le début de la campagne césarienne, lorsque l’imperator apporte son
soutien à Diviciac contre son puissant et turbulent frère Dumnorix (voir supra). Sur ce dernier personnage, exécuté sur ordre
de César après une tentative de trahison en 54, connu également par des témoignages numismatiques, lire en particulier
Goudineau, César, p. 340-345 et Id., Bibracte, p. 52-54.
17. Le jardin où la pierre fut mise au jour (rue de l’Arquebuse) côtoie dans sa partie septentrionale les îlots antiques abritant
le centre monumental d’Augustodunum. Les références et discussions concernant l’identification des vestiges découverts dans
ces îlots sont développées plus loin [n. 64].
18. C’est la définition que proposent Monique Dondin-Payre et Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier dans l’ouvrage qu’elles
ont coordonné sur le sujet : Noms, identités culturelles et romanisation sous le Haut-Empire, Bruxelles, 2001, p. VI.

74
II - Intégrations gauloises

19. Magi(o) est en effet la traduction celte du latin Magnus : X. Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise. Une approche
linguistique du vieux-celtique continental, Paris, 2003, p. 213. Ce surnom peut entrer, aussi bien en latin qu’en celte, dans la
catégorie des wishnames, liés à des événements familiaux particuliers : I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965,
p. 71.
20. Le cognomen Calenus, porté par ce personnage, ne doit rien au cognomen homonyme, fréquent en Italie et à Rome, fondé
sur le nom de la ville campanienne de Cales : I. Kajanto, ibid., p. 191.
21. Avec S. Demougin, L’ordre équestre sous les Julio-Claudiens, Rome, 1999, p. 356, il est nécessaire de rappeler que le
tribunat légionnaire, à cette époque, était tout sauf une fonction banale. Au contraire, il s’agissait du grade « par excellence »,
permettant à ce « Gaulois » de commander à d’autres citoyens. S. Demougin, dans sa Prosopographie des chevaliers romains
julio-claudiens, Rome, 1992, enregistre Iulius Calenus sous le n° 669 de sa prosopographie (p. 562). Un rectificatif doit
cependant être apporté à cette notice : le grand-père de Iulius Calenus et père de Iulius Magnus, C. Iulius Eporedirix était,
ainsi que l’indique sa nomenclature rapportée par les inscriptions, un citoyen romain et non un pérégrin.
22. Sur les événements de l’année 48 et leurs conséquences juridiques, voir supra [n. 12]. Sur les rares Gaulois attestés
comme membres des ordres équestre et sénatorial à cette époque, se reporter désormais à Y. Burnand, Primores Galliarum,
3 vol., Bruxelles, 2005-2008, en particulier vol. II. Prosopographie, Bruxelles, 2006, deuxième partie, p. 135 et suiv.
23. Exposé des événements et enjeux de la révolte de 21 ap. J.-C. in C. Delaplace, J. France, Histoire des Gaules, VIe s.
av. J.-C.-VIe s. ap. J.-C., Paris, 20053, p. 63-64.
24. Analyse de la notion de virtus dans le champ de la vie publique par J. Hellegouarc’h., Le vocabulaire latin des relations
et des partis politiques sous la République, Paris, 1963, p. 242-245.
25. La présence de Gaulois originaires de Transalpine ou de Gaule intérieure est bien attestée dans les rangs des armées
césariennes durant la guerre civile conduite contre Pompée et ses fils (49-45 av. J.-C.). Par exemple dans César, Bellum
Civile [désormais BC], I, 39 ; III, 59-61 (ed. P. Fabre) ou encore Pseudo-César, Bellum Africanum [désormais BAfr], VI, 3
(ed. J.-C. Richard).
26. Drinkwater, Gallic Iulii, p. 817-850. Sa démonstration suit le plan suivant : une présentation de l’époque (I) ; une
analyse des origines et de l’émergence des Iulii (II) ; une étude sur l’apparition des trading classes (IV) ; des considérations sur
le déclin des Iulii (V), suivies d’un court épilogue (VI). L’article s’accompagne enfin d’un appendice sur les Gaulois servant
comme « auxiliaires » à l’orée du Haut-Empire.
27. Drinkwater, Ibid., p. 826. Sur les Gaulois au service de Rome, voir également D. et F. Tassaux, Les soldats gaulois dans
l’armée romaine, in M. Reddé (ed.), L’armée romaine en Gaule, Paris, 1996, p. 147-163.
28. César, BC, II, 59-61 et Pseudo-César, BAfr, VI, 3.
29. Pour les citations : Drinkwater, Gallic Iulii, p. 827 et 828.
30. La fortune de l’article de Drinkwater, cité dans tous les travaux anglo-saxons consacrés à la Gaule césarienne ou
augustéenne, se lit par exemple dans les remarques formulées à son sujet par G.-Ch. Picard, Ostie et la Gaule de l’Ouest,
in MEFRA, 93-2, 1981, p. 893-915. Ce savant qualifie l’article de « mémoire fondamental », ce qui ne l’empêche pas de
critiquer la tendance récurrente de son auteur à la schématisation (p. 887-888). Goudineau, Dynasties gauloises, p. 312
parle de « la remarquable mise au point de J. F. Drinkwater », tout en revenant sur les analyses de ce dernier en conclusion
(p. 314).
31. Sur Togirix considéré comme l’archétype de l’homme nouveau, guerrier aventurier récompensé par César : Drinkwater,
Gallic Iulii, p. 827. la remarque est sans fondement puisque rien n’interdit de penser que le séquane (Q. ?) Iulius Togirix
des deniers frappés dans les années 40 avant notre ère n’est pas le personnage homonyme qui fait figurer son nom sur
des monnayages émis au cours de la décennie précédente. Sur ce dossier numismatique : J.-B. Colbert de Beaulieu,
B. Fischer, Recueil des inscriptions gauloises (RIG), 4. Les légendes monétaires, Paris, 1998, p. 153-154 (n°229). Voir
également à son sujet les remarques formulées par Pierre Cosme dans le présent volume.
32. Sur le personnage, on préférera au commentaire orienté de J. Drinkwater, Ibid., p. 825-826 les brèves analyses de
Goudineau, César, p. 360-361.
33. César, BC, III, 59, 2.
34. Les représentations monétaires ou les témoignages littéraires contredisent souvent cette assertion de Drinkwater selon
laquelle des hommes nouveaux, jeunes, auraient pris la place des anciennes élites, grâce à l’appui de César. Une certaine
redistribution des rôles, des renversements dans la hiérarchie au sein des groupes aristocratiques a bien pu s’opérer sous
l’impulsion de l’imperator, mais rien de plus. Sur les structures sociales en Gaule intérieure à la veille de la conquête :
S. Verger, Société, politique et religion en Gaule avant la conquête. Eléments pour une étude anthropologique, in Pallas, 80,

75
OCCIDENTS ROMAINS

2009, p. 61-82. L’auteur, pour appuyer sa démonstration fort stimulante et originale, prend de nombreux exemples dans la
société éduenne.
35. César, BC, I, 39, commenté par Goudineau, Dynasties gauloises, p. 313 et Id., Cours, in Annuaire du Collège de France :
résumé des cours et des travaux, 106e année, Paris, 2006, p. 728.
36. Christian Goudineau rappelle très justement que le mot latin nominatim ne doit pas être traduit par « individuellement »,
trop neutre, mais par « nominativement », terme qui laisse mieux transparaître des éléments concrets de la levée de troupes
(Ibid., p. 728).
37. R. Wolters, Römische Eroberung und Herrschaftsorganisation in Gallien und Germanien. Zur Entstehung und Bedeutung
der sogennanten Klientel-Randstaaten, Bochum, 1990. Dans cet essai stimulant, l’auteur démontre que les populi foederati
attestés en Gaule après Alésia, souvent dotés du statut d’amici durant la conquête, ont été considérés et traités par les
dirigeants romains, jusqu’à l’époque augustéenne au moins, comme de quasi États-clients, conservant une certaine
autonomie, avec pour contrepartie d’assumer un rôle de relais actif de l’emprise territoriale de Rome sur ces régions. Cette
situation privilégiée, dont bénéficiaient assurément les Éduens, contrastait avec celle des peuples tributaires, qui devaient
fournir des recrues et de l’argent au titre de l’impôt (Zusammenfassung, p. 279-283, en particulier p. 281). D’où la diversité
de situations derrière ce qu’il est convenu d’appeler auxilia au Ier s. av. J.-C. L’intérêt du travail de R. Wolters est d’écarter
toute forme de schématisation abusive et de souligner que des situations différentes ont pu coexister chez les élites gauloises,
dès les lendemains de la conquête césarienne et ce jusque tardivement durant le règne d’Auguste, voire au-delà. Lire en ce
sens, sur la seule question des phénomènes militaires, le commentaire ponctuel de l’ouvrage par M. Reddé, Postface, in
M. Poux (ed.), Sur les traces de César. Militaria tardo-républicains en contexte gaulois, Glux-en-Glenne, 2008, p. 436-437. Je
remercie vivement Michel Reddé d’avoir attiré mon attention sur ce livre.
38. Cette vulgate, répandue chez les historiens, se trouve ainsi reprise par les principaux manuels de synthèse :
C. Delaplace, J. France, Histoire des Gaules [cit. n. 23], p. 126-130 (avec des nuances).
39. Le droit latin a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreux débats, relancés tout particulièrement en France par
les travaux qu’André Chastagnol publia à la fin de sa vie. En voici les principaux jalons bibliographiques : A. Chastagnol,
La Gaule romaine et le droit latin : recherches sur l’histoire administrative et sur la romanisation des habitants, Lyon, 1995 ;
P. Le Roux, La question des colonies latines sous l’Empire, in Ktèma, 17, 1992, p. 183-200 ; Id., Rome et le droit latin, in Revue
Historique de Droit Français et Étranger, 76, 1998, p. 315-341 ; D. Krémer, Le concept de droit latin sous la République et
l’Empire, Paris, 2007 ; M. Christol, Les cités de droit latin en Gaule méridionale, in F. Hurlet (ed.), Rome et l’Occident (IIe
siècle av. J.-C.-. IIe siècle av. J.-C.). Gouverner l’Empire, Rennes, 2009, p. 315-358.
40. Pline, Historia Naturalis, IV, 107 (ed. H. Rackham, The Loeb Classical Library ).
41. M. Christol, Pline l’Ancien et la formula de la province de Narbonnaise, in C. Nicolet (ed.), La Mémoire perdue.
Recherches sur l’administration romaine, Rome, 1998, p. 45-63. Concernant ces différentes listes, on trouvera une bonne
présentation de la Quellenforschung dans C. Nicolet, L’inventaire du monde : géographie et politique aux origines de l’Empire
romain, Paris, 1988, p. 188-190 et M. Christol, ibid., p. 45-52. En dernier lieu : Id., Les cités de droit latin en Gaule
méridionale, in F. Hurlet (ed.), Rome et l’Occident [cit. n. 39], p. 315-332. Les analyses de Jehan Desanges concernant les
sources de Pline sur l’Afrique, qui concernent le cinquième livre de son Histoire Naturelle, incitent à penser que cet auteur
s’est appuyé sur trois témoignages principaux : une description littéraire, un itinéraire suivant la côte d’Est en Ouest, daté
des années 44-29 avant notre ère, attribuable à Varron, lequel s’inspirait de l’œuvre du géographe grec Poseidonios de la fin
IIe siècle avant notre ère ; les commentaires et les cartes dressées par Agrippa ; et enfin des formulae provinciarum plus ou
moins mises à jour : voir J. Desanges, Introduction, p. 11-27 de l’édition du Livre V de l’Historia Naturalis parue dans la
CUF). Pour les Trois Gaules, si Pline a fait usage systématiquement de ces trois catégories de sources dans ses descriptions
des provinces, il semble ne pas avoir eu à sa disposition une formula prouinciae actualisée. Signalons cependant qu’à
l’occasion de communications orales récentes, Michel Christol a exprimé des réserves quant à l’existence d’une telle formula
pour les Trois Gaules, formula datée du début du règne d’Auguste et dont Pline se serait inspiré pour dresser la liste des cités
et de leurs statuts.
42. Sur les particularismes et les spécificités des cités de droit latin et des colonies latines de Narbonnaise, voir en dernier lieu
l’article de Michel Christol [cit. n. 39].
43. Sur les premiers temps de l’urbanisme de la ville, sur l’enceinte, lire la synthèse incontournable du regretté Alain
Rebourg, L’urbanisme d’Autun, p. 161 et suiv. Sur l’enceinte de Nîmes, à titre comparatif : P. Varène, L’enceinte gallo-
romaine de Nîmes : les murs et les tours, Paris, 1992 ainsi que les récentes réflexions de P. Gros, Les villes d’Auguste en
Narbonnaise. Nouvelles recherches sur Arles et Nîmes, in Autour de la Maison Carrée, p. 111-117, en particulier p. 111.
L’enceinte d’Autun vient de faire l’objet d’un article complet, paru en décembre 2009, et qui renouvelle largement nos
connaissances sur le sujet : A. Fort, L’enceinte romaine d’Autun. Plan et données métrologiques à la lumière des découvertes

76
II - Intégrations gauloises

récentes, in Bulletin archéologique. Comité des travaux historiques et scientifiques. Antiquité, archéologie classique, 35, 2009,
p. 81-96.
44. Telle est la vulgate sur le sujet (répandue notamment par l’Histoire de la France urbaine, 1. La ville antique, Paris, 1980,
p. 245), même si certaines voix discordantes ont pu se faire entendre : celles de Louis Maurin, Saintes, p. 159 ou encore
de Pierre Gros, Rapport de synthèse, in Les enceintes augustéennes dans l’Occident romain (France, Italie, Espagne, Afrique
du Nord). Actes du colloque international de Nîmes (IIIe Congrès Archéologique de Gaule Méridionale, 9-12 octobre 1985),
Nîmes, 1987, p. 159-164 : « À vrai dire, rien ne permet d’affirmer, comme le rappelle Louis Maurin, qu’Augustodunum,
appelée colonia par le rhéteur Eumène, ne devait pas cet honneur à une promotion ancienne (…) et l’on a quelque peine
à imaginer qu’un rempart aussi vaste et aux accès aussi soignés ait été concédé à une cité pérégrine ». La remarque s’appuie
sur des réflexions de P.-A. Février, Enceinte et colonie. De Nîmes à Vérone, Toulouse et Tipasa, in Revue d’Études Ligures, 35,
1969, p. 277-286. Par ailleurs, il est frappant de constater que le plan général d’Augustodunum, insérant un espace surélevé,
une sorte d’arx, lequel domine l’espace urbain, corresponde dans ses grandes lignes aux plans des vieilles colonies latines
italiennes. Est-ce un hasard ? ou au contraire est-ce un choix délibéré visant à rappeler, jusque dans la conception de la trame
urbaine elle-même, le statut colonial de la cité ? On trouvera une synthèse commode sur ces rapports entre topographie
urbaine et statut colonial dans D. Kremer, Ius Latinum. Le concept de droit latin sous la République et l’Empire, Paris, 2006,
p. 45-60.
45. Sur le théâtre d’Augustodunum : Rebourg, L’urbanisme d’Autun, p. 188-193.
46. Tite Live précise que Vercondaridubnus fut creatus. S’il fut élu par les délégués des soixante cités gauloises, il le fut très
certainement avec la recommandation, le suffragium du représentant alors présent de la famille impériale, Drusus. Bref
commentaire de ce passage dans Goudineau, Bibracte, p. 192-193.
47. Sur ce titre, qui découlait d’un foedus, voir la mise au point de Hostein, La cité des Éduens, chap. 9 : « Aedui, fratres
populi Romani ». Il est mentionné dans diverses sources grecques et latines d’époque républicaine et impériale, souvent
associé aux mots de la diplomatie (foedus, socii, amici, consanguinei et leurs équivalents grecs). La source la plus ancienne qui
fasse état du foedus est la chronique en vers d’Apollodore d’Athènes, datée du milieu du IIe siècle avant notre ère, aujourd’hui
disparue mais citée par Étienne de Byzance : Stephani Byzantii Ethnicorum quae supersunt ex recensione Augusti Meinekii, Graz,
19582, p. 46, l. 1-2.
48. Tacite, Annales, XI, 23-25 (ed. P. Wuilleumier, J. Hellegouarc’h). Sur le discours prononcé au Sénat à cette occasion
par Claude, connu également par la célèbre table de bronze découverte à Lyon (CIL, XIII, 1668), voir P. Fabia, La table
claudienne de Lyon, Lyon, 1929, ainsi que les références mentionnées supra [n. 12]. Ce passage est le seul des Annales à faire
état d’une légation de Gaulois, composée de notables (primores Galliae) venus solliciter auprès de Claude le droit d’accéder
à l’ordre équestre et au Sénat (foedera et civitatem Romanam iam pridem adsecuti, ius adipiscendorum in Vrbe honorum
expeterent...). Si Tacite n’a pas rapporté avec exactitude leurs requêtes, l’argumentation déployée se laisse néanmoins deviner
à travers les arguments du discours de Claude qui les soutint dans leur démarche : l’empereur rappelle les alliances (foedera)
passées avec Rome, la fidélité constante des Gaulois envers Rome (continua inde ac fida pax), l’intégration avancée de ces
peuples, tant sur les plans culturels, juridiques qu’administratifs (Iam moribus, artibus, adfinitatibus nostris mixti, aurum et
opes suas inferant potius quam separati habeant.), enfin les titres anciens que certains pouvaient faire prévaloir (fratres populi
Romani, qui concerne exclusivement les Éduens). Si ce plaidoyer ne permit pas dans un premier temps de convaincre les
Patres, l’accès aux honneurs fut autorisé non à l’ensemble des notables originaires des Trois Gaules, mais d’abord aux seuls
Éduens, parce que ces derniers étaient d’anciens alliés, frères du peuple romain (primi Aedui senatorum in Vrbe ius adepti
sunt. Datum id foederi antiquo et quia soli Gallorum fraternitatis nomen cum populo Romano usurpant).
49. Pomponius Méla, Chrorographia, III, 2, 20 (ed. A. Silberman) : Regio quam incolunt omnis Comata
Gallia. Populorum tria summa nomina sunt, terminanturque fluvis ingentibus. Namque a Pyrenaeo ad Garunnam
Aquitani, ab eo ad Sequanam Celtae, inde ad Rhenum pertinent Belgae. Aquitanorum clarissimi sunt Ausci,
Celtarum Haedui, Belgarum Treveri, urbesque opulentissimae in Treueris Augusta, in Haeduis Augustodunum, in
Auscis Eliumberrum. À propos de ce passage, André Chastagnol, La Gaule romaine et le droit latin [cit. n. 39],
p. 182, écrivait : « … on ne saurait tirer de cette appréciation, énigmatique pour nous, la moindre conclu-
sion… ».
50. Ainsi, Cicéron, De imperio Cn. Pompeio, 20 (ed. A. Boulanger), précise-t-il à propos de L. Lucullus qu’il est un grand
imperator pour les raisons suivantes : …dico eius adventu maximas Mithridati copias omnibus rebus ornatas atque instructas
fuisse, urbemque Asiae clarissimam nobisque amicissimam Cyzicenorum obsessam esse ab ipso rege maxima multitudine et
opugnatam vehementissime.
51. Sur les Ausques (Ausci), chef-lieu, Elimberrum : J. Lapart, « Auch (Gers) », in Villes et agglomérations urbaines antiques
du Sud-Ouest de la Gaule. Histoire et archéologie, Bordeaux, 1992, p. 30-36 et id., C. Petit, Carte Archéologique de la Gaule

77
OCCIDENTS ROMAINS

(CAG), 32, Département du Gers, Paris, 1993, notice n°14 (Auch), p. 52-57 en particulier. Sur les Trévires, les origines
de la fondation de Trèves : H. Heinen, Trier und das Treverland in römischer Zeit, Trèves, 1985, Trèves, 1985, p. 30-55.
La datation dendrochronologique des pieux de stabilisation d’un pont mis au jour sur le site de la ville a permis de faire
remonter sa fondation aux années 18-16 avant notre ère, date présumée de création d’Augustodunum. Le premier monument
trévire en dur attesté est une inscription à Gaius et Lucius Césars datée de l’an 4 de notre ère : CIL, XIII, 3671 (ILS, 107).
L’hypothèse d’un octroi précoce du statut colonial à Trèves est présentée par P. Le Roux, La question des colonies latines sous
l’Empire, in Ktéma, 17, 1992, p. 185-186, avec bibliographie antérieure citée à la note 25 (p. 195-196). Pour autant, ces
hypothèses se heurtent à la quasi absence de matériel d’époque augustéenne découvert à l’emplacement de l’espace urbain de
la Trèves du Haut-Empire. Des travaux germanophones sur la question devraient paraître prochainement.
52. Panegyrici Latini V (9), 5, 1 (ed. É. Galletier).
53. Panegyrici Latini VIII (5), 14, 5 (ed. É. Galletier).
54. Cette réhabilitation du contenu institutionnel des Panégyriques Latins constitue l’un des principaux volets de la
démonstration de ma thèse de doctorat soutenue en décembre 2005 à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, à paraître
sous une forme remaniée au second semestre 2010 (Hostein, La cité des Éduens).
55. La principale difficulté de cet extrait du Panégyrique Latin VIII (5), sur laquelle ont buté de nombreux commentateurs
(par exemple Goudineau, Bibracte, p. 196-197), est qu’à aucun moment n’apparaît Augustodunum, nom d’Autun.
L’anonyme passe directement de Bibracte aux épithètes de la titulature coloniale, avant d’achever son propos par le nouveau
nom de la cité, Flavia Aeduorum, qui n’eut aucune fortune. Comme l’auteur cite ces épithètes sans les faire précéder du titre
de colonia, comme l’objectif de ce passage est de souligner l’honneur rendu à Constantin et à sa gens, dont le nom se trouve
désormais lié à l’identité même de la cité (Flavia Aeduorum), il est permis de supposer, à titre d’hypothèse, que le notable
anonyme a passé sous silence, dans ce contexte précis, le nom Augustodunum, qui aurait alourdi le rythme de la phrase et
affaibli l’effet de style des derniers mots du discours, discours conçu par ailleurs selon une structure annulaire – la formule
Flavia Aeduorum l’inaugure et le clôt.
56. Pour une analyse approfondie de chacune de ces épithètes, en particulier Pol(l)ia, voir Hostein, La cité des Éduens,
chap. 10.
57. Titulature officielle de Vienne dans CIL, XII, 2317 = ILS, 6995 = ILN, 5-2, n° 515. Sur le sens de ces épithètes dont
l’attribution doit naturellement être mise en rapport avec les différents statuts revêtus par la cité : R. Frei-Stolba, Zum
Stadtrecht von Vienna (colonia Iulia Augusta Florentia Vienna), in Museum Helveticum, 41, 1984, p. 81-105 ; les remarques
de Jacques Gascou in ILN, 5-1, p. 37-40 ainsi que dans l’article suivant : César a-t-il fondé une colonie à Vienne ?, in MEFRA,
111-1, 1999, p. 157-165. Sur les évolutions du statut de Vienne, outre les références précédentes, il faut compter avec
l’étude de M. Christol, La municipalisation de la Gaule Narbonnaise, in M. Dondin-Payre, M.-Th. Raepsaet-Charlier
(edd.), Cités, municipes, colonies : les processus de municipalisation en Gaule et en Germanie sous le Haut-Empire, Paris, 1999,
p. 22-23.
58. H.-G. Pflaum, « La mise en place des procuratèles financières dans les provinces du Haut-Empire romain », in Revue
d’Histoire du Droit, 46, 1968, p. 378. Ce savant avait été l’un des premiers à rapporter cette élévation au statut colonial
romain à une mesure de Caligula, en s’appuyant notamment sur plusieurs témoignages littéraires : Philon d’Alexandrie,
Legatio ad Gaium, 285 (ed. A. Pelletier) ; Sénèque, De Constantia Sapientis, XVIII, 2 (ed. R. Waltz) ainsi qu’un passage
du discours de l’empereur Claude rappelant que Vienne avait reçu solidum civitatis Romanae beneficium (CIL, XIII, 1668,
col. II, l. 14-16) après le consulat ordinaire de D. Valerius Asiaticus en l’an 35 de notre ère. Pour un détail de l’argumentaire :
H.-G Pflaum, Les Fastes de la province de Narbonnaise, Paris, 1978, p. 204-207.
59. Cette découverte majeure, signalée dans plusieurs rapports du Centre Archéologique Européen publiés entre 2003 et
2005, a récemment fait l’objet d’un important article de synthèse : Szabó, La basilique de Bibracte, p. 389-408 (les rapports
sont cités n. 3, p. 406).
60. Ibid., p. 392-393 et 404. Dans une plaquette destinée au grand public, réalisée à l’initiative des responsables du Centre
Archéologique Européen de Bibracte et publiée par les soins de la DRAC Bourgogne (Série : Archéologie en Bourgogne,
n°18) : Vestiges et créations architecturales sur l’Oppidum de Bibracte (Saône-et-Loire, Nièvre), Dijon, 2009, la datation
proposée pour la construction du monument est fixée à date haute, au milieu du Ier s. av. J.-C., mais sans précisions
concernant les critères utilisés.
61. Sur la pauvreté du matériel recueilli, sur le caractère systématique et volontaire de la destruction du bâtiment : Ibid.,
p. 393 ; 401-404.
62. Les techniques et connaissances architecturales nécessaires à la construction de cet ensemble ont
pu être mises en œuvre, comme me l’a signalé Fausto Zevi lors d’une communication orale (Paris,
INHA, samedi 6 Novembre 2009), par des ingénieurs militaires, par les fameux praefecti fabrum de César

78
II - Intégrations gauloises

ou de l’un de ses héritiers. L’hypothèse, bien qu’indémontrable pour le moment, trouve quelques
arguments dans les conclusions de la publication récente des monnaies découvertes sur le site de Bibracte :
K. Gruel, L. Popovitch, Les monnaies de l’oppidum de Bibracte, Glux-en-Glenne, 2007, p. 100-101 ; 106-107.
Laurent Popovitch souligne en effet que le faciès des découvertes correspondant aux années 40-20 avant J.-C., original,
correspond très exactement à celui des sites militaires contemporains. En clair, les bronzes et deniers mis au jour sur ce site
obligent à envisager une forte présence militaire, composée vraisemblablement de légionnaires, dans cette même fourchette
chronologique marquée par de profondes transformations urbanistiques de l’oppidum.
63. Ces informations portant sur les dernières campagnes de fouilles effectuées dans le secteur de la Pâture du couvent sont
tirées du site www.bibracte.fr ainsi que de la brochure mentionnée supra, n. 60. On trouvera en particulier dans ce fascicule
des plans inédits tenant compte des dernières découvertes (campagnes de fouilles de 2008 et 2009), dont l’apport principal
est de souligner le caractère monumental et exceptionnel de cet ensemble.
64. Sur l’ambassade de Diviciac, connue par les témoignages de Cicéron et de l’auteur anonyme du Panégyrique Latin
VIII(5), voir Hostein, La cité des Éduens, chap. 9.
65. Sur la question, M. Szabó et ses collaborateurs proposent, à la fin de leur contribution, de comparer la basilique de
Bibracte avec des complexes monumentaux équivalents et contemporains, relevés en particulier dans les villes et oppida
latina de Transalpine, qui reçoivent précisément le droit latin durant ces décennies, entre les années 40 et 20 avant notre
ère : Szabó, La basilique de Bibracte, p. 405-406. La démarche, intéressante, mériterait d’être approfondie et systématisée.
66. Cette basilique semble de petite dimension, bien qu’il faille comparer des éléments comparables. Or, en la matière,
pour la Gaule intérieure, les parallèles significatifs font défaut. Le complexe augustéen (5 av.-9 ap. J.-C.), donc largement
postérieur, découvert à Waldgirmes, dans la vallée de la Lahn, en pleine Germania, peut néanmoins offrir un point d’ancrage
pertinent, car révélant l’amorce d’un processus similaire. Il s’agit d’un ensemble intégrant un forum et un bâtiment couvert,
doté de deux absides, érigés dans un îlot de 45 sur 43 mètres – la cour centrale mesurant 32 sur 24 mètres et le grand hall
45 mètres sur 12. Au milieu de la cour, se trouvaient cinq bases de statues équestres de bronze. Cet ensemble visait à doter
les populations locales d’un chef-lieu de cité, dans le cadre d’une politique volontariste de municipalisation. L’intérêt du
bâtiment, détruit au lendemain du désastre de Varus, est de livrer un état que l’on ne peut saisir habituellement, cette
première phase laissant peu d’empreintes une fois recouverte de nouvelles constructions monumentales plus importantes.
Comparé à cet ensemble, l’îlot de Bibracte, différent d’un point de vue architectural, plus précoce, mais révélateur de
processus similaires, s’inscrit dans un rectangle de 60 mètres sur 30. Sur Waldgirmes, état des connaissances et synthèse
en français dans W. Eck, La romanisation de la Germanie, Paris, 2007, p. 16-17, article qui comprend une bibliographie
en allemand (n. 23, p. 30). En dernier lieu : A. Becker, G. Rasbach, Städte in Germanien : Der Fundplatz Waldgirmes, in
R. Wiegels (ed.), Die Varusschlacht : Wendepunkt der Geschichte ?, Stuttgart, 2007, p. 102-116.
67. État des lieux très complet par M. Reddé, La Gaule chevelue entre César et Auguste, in Autour de la Maison Carrée,
p. 85-110. Lire également les différentes contributions réunies dans A. Desbat (ed.), Lugdunum. Naissance d’une capitale,
Gollion, 2005, dont les auteurs esquissent un tableau absolument neuf, voire révolutionnaire, des premiers temps de la
colonie fondée par Munatius Plancus.
68. Szabó, La basilique de Bibracte, p. 404-406, suggère des rapprochements intéressants, relevés dans des exemples de
développements urbains en Narbonnaise du temps du Second Triumvirat.
69. Datation des portes dans Rebourg, L’urbanisme d’Autun, p. 166-170. Sur l’enceinte et les portes monumentales,
bonne mise au point récente, fondée sur des recherches inédites, dans un fascicule publié par la DRAC Bourgogne (Série :
Archéologie en Bourgogne, n°11) : A. Fort, Y. Labaune, L’enceinte monumentale d’Augustodunum-Autun (Saône-et-Loire),
Dijon, 2008. Des précisions importantes viennent d’être apportées sur la datation des portes et leur mode de construction
dans un article récent d’Armelle Fort, cité supra, n. 43.
70. Sur le forum d’Augustodunum : Rebourg, Ibid., p. 180-186. Cette proposition d’Alain Rebourg a été remise en
question, avec de bons arguments, par Michel Kasprzyk dans sa thèse inédite : M. Kasprzyk, Les cités des Éduens et de
Châlon durant l’Antiquité tardive (v.260-530 env.). Contribution à l’étude de l’Antiquité tardive en Gaule centrale, vol. I.A,
Université de Bourgogne, 2005, p. 84-87. Le forum se trouvait certainement dans les îlots de la ville délimités au nord et
au sud par le decumanus maximus, qui forme à cet endroit précis une baïonnette (voir supra, figure 4). Un secteur urbain
devenu au Moyen Âge le quartier Marchaud et que certains érudits du XIXe siècle considéraient comme le lieu présumé
de l’antique forum. Concernant le transfert entre Bibracte et Augustodunum, le caractère systématique de la destruction
de la « basilique » peut se justifier juridiquement par l’impossibilité absolue, pour une même civitas, de disposer de deux
centres monumentaux équivalents, mettant en concurrence deux villes pour l’obtention du statut de caput civitatis. Dans le
détail, si l’on met de côté les aspects à proprement parler politiques du phénomène, ce transfert s’opéra lentement, sur près
de deux générations, comme l’attestent, par exemple, la présence simultanée sur les deux sites d’enclos funéraires organisés
de manière rigoureusement identique, datés de l’époque augustéenne : S. Venault, La nécropole antique de Pont-L’Évêque à

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OCCIDENTS ROMAINS

Autun (Saône-et-Loire) : vestiges de bûchers funéraires et découvertes de stèles en contexte archéologique, in Revue Archéologique,
2008, p. 168-175.
71. L’expression « vitrine de la romanisation » est empruntée à A. Rebourg, C. Goudineau, Autun antique, Paris, 2002,
p. 8 et 13.
72. Sur les Allobroges et Vienne, voir désormais J.-P. Jospin (ed.), Les Allobroges. Gaulois et Romains du Rhône aux Alpes. De
l’indépendance à la période romaine (4e siècle av.J.-C.-2e siècle ap. J.-C.), Gollion, 2002. Sur D. Valerius Asiaticus : I. Cogitore,
Valerius Asiaticus, le plus romain des Allobroges, in ibid., p. 68-71.
73. Ces rivalités, cette émulation, qui ne sont pas sans rappeler certaines caractéristiques des relations entre les cités de la
pars orientalis de l’Empire, s’illustrent dans la compétition féroce à laquelle se livrent les Lyonnais et les Viennois dès qu’une
occasion se présente, comme au moment de la crise de 68-69. Les Histoires de Tacite, principale source sur ces événements,
font remonter le contentieux à la fondation même de Lyon, en 43 avant notre ère (Historiae, I, 65 ; ed. H. Le Bonniec,
J. Hellegouarc’h). Peut-être cette aemulatio se décèle-t-elle dans le choix des épithètes des titulatures coloniales des cités
situées le long du Rhône sous Octave-Auguste puis du temps des premiers Julio-Claudiens – Valentia (Valence), Florentia
(Vienne), Copia (Lyon) ?
74. CIL, VIII, 27850 = IlAlg, I, 3116 mise au jour à Théveste, avec une autre inscription funéraire d’un compatriote, lui
aussi légionnaire, appelé P. Messius Melissus (CIL, VIII, 16550 = IlAlg, I, 3120). L’un et l’autre sont inscrits dans la tribu
Quirina. Un autre personnage originaire de la cité, à l’onomastique italienne, C. Licinius Campanus, sacerdos à l’autel du
Confluent, est honoré chez les Séquanes dans une dédicace où sa tribu, la Pomptina, se trouve mentionnée (CIL, XIII, 5353
= AE, 1965, 341 = 1967, 332 découverte à Antre). En l’absence de série significative, il paraît difficile sinon impossible de
tirer de ces trois témoignages une quelconque conclusion d’ensemble.
75. Goudineau, Dynasties gauloises, p. 315.
76. Analyse partielle du phénomène par G. Woolf, Becoming Roman : the Origin of Provincial Civilization in Gaul,
Cambridge, New York, 1998, p. 77 et suiv.
77. Y. Burnand, Primores Galliarum [cit. n. 22], vol. III. Étude sociale 1. Les racines, Bruxelles, 2007, p. 187 et suiv., en ce
sens, Goudineau, Dynasties gauloises, p. 315.
78. Sur le statut et les titres portés par les prêtres du Confluent : W. Van Andringa, La religion en Gaule romaine. Piété
et politique (Ier-IIIe siècle apr. J.-C.), Paris, 2002, p. 33-39 et p. 208-209 et Id., Prêtrises et cités dans les Trois Gaules et les
Germanies au Haut-Empire, in M. Dondin-Payre, M.-Th. Raepsaet-Charlier (edd.), Cités, municipes, colonies [cit. n. 57],
p. 425-446.
79. AE, 1981, 640. L’inscription, élément d’un dossier épigraphique plus ample, a été commentée par
G.-Ch. Picard, Ostie et la Gaule de l’Ouest [cit. n. 30], p. 893-915. Sur Sedatius, lire en dernier lieu J. Hiernard,
L’inscription de Poitiers en l’honneur du sénateur Severianus, in Revue historique du Centre-Ouest, 6, 2007, p. 231-264.

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