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Bulletin de l'Association

Guillaume Budé : Lettres


d'humanité

De quand date la Sirène-poisson ?


Odette Touchefeu-Meynier

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Touchefeu-Meynier Odette. De quand date la Sirène-poisson ?. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres
d'humanité, n°21, décembre 1962. pp. 452-459;

doi : https://doi.org/10.3406/bude.1962.4210

https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1962_num_21_4_4210

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De quand date la Sirène-poisson ?

Bien qu'il se trouve encore quelques modernes illustrateurs


d'Odyssées adaptées pour les enfants pour donner à leurs sirènes
l'aspect de séduisantes créatures humaines à queue de poisson,
les Sirènes antiques, on le sait, n'avaient rien à voir avec la petite
Sirène d'Andersen. Qu'il s'agisse des Sirènes-démons des âmes,
ou, particulièrement, des Sirènes naufrageuses des mers,
séductrices d'Ulysse et des Argonautes, les monuments de l'antiquité
gréco-romaine en font toujours des êtres mi-humains, mi-oiseaux
en général des femmes-oiseaux, plus ou moins femmes, plus ou
moins oiseaux selon les époques 1 ; et les mentions littéraires
corroborent les données archéologiques :
" TTTSpocpopot, véaviSsç ".
(Euripide, Hélène, 167)

(Apollodore, Epitoma, V, 18)


" Sirènes... parte virgines fuerunt parte vo lucres... "
(SErvius, in Aen. V, 864).
Très vivace, ce type de femme-oiseau, apparu dans le monde
grec vers la première moitié du VIIIe siècle avant J.-C. 2, se
maintint jusque très avant dans le Moyen âge, laissant
progressivement la place, et comme à regret, à la sirène-poisson. Premier
texte signalant une Sirène-poisson, le traité De monstris date
du VIe siècle après J.-C, et les artistes semblent avoir été plus
réticents encore, puisque, jusqu'à présent, l'on a pas trouvé de
sirène à queue de poisson antérieure aux xie-xne siècle.
Plusieurs auteurs ont décrit cette lente transformation, en
s'intéressant surtout aux Sirènes en général 3. 11 convient de se
demander dans quelle mesure les Sirènes d'Ulysse ont participé
à cette évolution.
A ce sujet, deux documents anciens méritent de retenir notre
1. Exception : sur un bol à reliefs provenant de Thèbcs, les 4 Sirènes sont des
femmes sans aile ; ce n'est peut-être qu'une négligence de l'artiste qui semble
avoir employé ses poinçons bien au hasard (Louvre, CA 263).
Dans l'ait étrusque, les Sirènes sont toujours des femmes, grandes, longuement
vêtues, assises l'une près de l'autre.
2. Kunze, Ath. Mût., 1932, p. 124-141 (Sirenen.)
3. Voici notamment : W. Dhonna, la Sirène femme poisson, R. A., 1928 pp.
18-25 ; — E. Farral, la queue de poisson des Sirènes, Romania, LXXIV, 1953,
433-506.
Bol mégarien. Athènes.
Ulysse et les Sirènes.
(Clichés : Agora Excavations, American School of Class. Studies at Athens.)
DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON ? 453
attention : un bol mégarien, récemment découvert à Athènes,
et une lampe romaine, qui, après avoir été l'objet de quelques
lignes méprisantes et sceptiques au siècle dernier tomba
rapidement dans l'oubli. Tous deux illustrent ce passage du chant
XII où Ulysse est séduit par les filles d'Achéloos, tous deux font
de leurs sirènes des femmes à queues d'animaux marins. Or la
lampe date des ier-ne siècle après J.-C, et le bol du 11e siècle
avant notre ère.
Appartenant au Musée de Canterbury, la lampe romaine x
est en terre brun clair ; elle comporte un corps rectangulaire et
une anse en anneau ; deux doubles volutes relient les deux becs
au réservoir, lui-même percé d'un orifice de remplissage.
La représentation s'inscrit dans un carré, au bas duquel
s'opposent, queue à queue, deux monstres marins, entre deux
minuscules trous d'aération. Le navire d'Ulysse, court et trapu,
portant figure de proue et draperie de poupe, contient trois
personnages : à gauche, un timonier impassible et barbu tient
le gouvernail, maintenu le long de la coque par une large estrope.
Au centre, Ulysse est immobilisé, le dos contre le mât qui
soutient la voile largement dépliée ; il porte une tunique et ne
semble pas avoir de pilos ; comme le pilote, il est barbu ; les
traits de son visage sont malheureusement très effacés ; il
paraît cependant avoir la bouche ouverte (pour répondre aux
musicales sollicitations ? pour ordonner à son équipage de
desserrer ses liens ?) Equipage qui se réduit, outre le timonier,
à un seul marin fort peu soucieux de ses rames ; car il porte ses
deux mains à ses oreilles. Il est difficile de décider s'il se bouche
les oreilles (soit qu'il s'agisse d'une version de la légende où
Ulysse n'utiliserait pas la cire, ce qui est assez peu probable,
soit pour en renforcer l'effet) ou, au contraire, s'il essaie de les
débarasser de cette cire afin de pouvoir écouter, comme Ulysse,
des révélations qui, à en juger par l'aspect insolite et sans doute
attirant du démon surgi de la mer, doivent être singulièrement
s'
merveilleuses
accordant à l'attitude
! Cette hypothèse
d'attentionnous
concentrée
paraît lade
plus
l'homme,
satisfaisante,
vu de
face, les deux coudes appuyés sur le bastingage, qui est
manifestement fasciné par l'apparition (l'expression quelque peu burlesque
de son visage peut n'être due qu'à l'altération du relief, et l'on
ne saurait en déduire que la représentation est caricaturale ou
comique). Juste devant ses yeux, la sirène émerge des vaguelettes ;
1. Planche I. Nous tenons à remercier ici Mrs Higenbottam, (city librarian
and curator, Royal Muséum and public library of Canterbury), Mr. Cook,
curator, et Mr. Tom White, qui m'ont aimablement et gracieusement fourni
renseignements et photographies pour la lampe romaine, ainsi que Mrs Marian
M. McCredie, qui a bien voulu me procurer les clichés du bol à reliefs. (American
school of classical studies, Athens.)
454 DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON ?

elle tend le bras, persuasive, et tandis qu'elle lève la tête en


chantant vers les marins, les boucles de sa chevelure s'épandent
sur ses épaules. Son torse se prolonge, non en une véritable
nageoire caudale, mais par la queue en volute, lisse et sans écaille,
d'un reptile marin.
La valeur esthétique de la représentation est d'autant plus
faible que le relief, très émoussé, laisse mal deviner la
physionomie réelle des personnages, mais la valeur d'information de ce
document n'est pas négligeable. Or, jusqu'à présent, il n'a jamais
été pris en considération. En effet, l'on a beaucoup douté de son
authenticité. Heydemann ] estimait que pour le moins la partie
inférieure de l'objet était fausse, et Weicker 2 repousse
résolument ce document. Sans doute sa forme est-elle peu commune ;
cependant, pour être rares, les formes rectangulaires ou carrées
des réservoirs de lampes n'en sont pas moins attestées ; ne citons
pour exemples que ces quelques lampes : Avignon, Musée
Calvet 29 : lampe à corps carré du premier siècle ; Avignon
Musée Calvet 235 : lampe à corps carré, un bec, de Menander ;
British Muséum 479 : lampe à corps presque carré, sans anse
ni dessin.
Par ailleurs, l'anse en anneau est d'un modèle fréquent aux
IIe et 111e siècles après J.-C. Nous ne pensons pas non plus qu'il
y ait lieu de suspecter la partie inférieure de l'objet. Rien
n'indique, en tous cas, sur les photographies que la décoration
initiale ait pu être retouchée. Seules les volutes nous paraissent
vraiment insolites, car si les becs en volute sont chose courante,
les volutes sont, la plupart du temps disposées d'une toute
autre façon ; à peine esquissée sur notre lampe, la courbe se love
d'ordinaire à ses deux extrémités. Pourtant le conservateur du
Musée, consulté, estime que l'objet est authentique ; du reste,
la signature, incisée en profonds caractères au revers de la lampe
nous semble pouvoir être considérée comme un sérieux gage
d'authenticité Sans être très fréquente, l'estampille CIVN BIT
est néanmoins bien connue. Le Corpus inscriptionum latinarum
en cite plusieurs exemples 3, et dans son étude « Die Lampen
aus Vindonissa » Loeschke précise que les lampes signées CIVN

1. Annali, 1876, p. 357.


2. Der seelenvogel in Literatur imd Kitust, p. 204, note 4.
3. C. I. L. V, 81 13, 75 lampe, Vérone (Cat. Mus). p. 309) ; IX, 6086, 40,
3 exs. ; X, 8053, 104, 6 exs à Naples, (que l'actuelle réorganisation du Musée n'a
pas permis de retrouver) et 2 exs à Palerme. De plus sur une lampe du Musée
Cilvet à Avignon (17) on peut lire l'inscription controversée C IVN SITou CIVN
BIT (CIL, XIII, 5682, (66). Citons encore un C IVN BIT sur une lampe de
Vienne (Kenner, Die Antiken Tonlampcn, p. 57. n° 165). Par ailleurs. MUe
M. L. Bernhaud a l'obligeance de me signaler qu'elle vient de retrouver, au
Musée National de Varsovie, une lampe carrée portant la même signature et
représentant le bateau d'Ulysse.
DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON ? 455

BIT pourraient provenir d'Italie centrale. F. Jenkinsx, propose


propose de dater la lampe de Canterbury du milieu du Ier siècle
après J.-C, ce qui paraît une date vraisemblable, peut-être un
peu trop haute ; la date du 11e siècle après J.-C. conviendrait
peut-être mieux à la facture de l'objet.
Cependant, les principales critiques lancées contre cette
représentation tiennent à l'aspect insolite de cette sirène à queue de
poisson. Pour la même raison, deux autres lampes carrées portant
elles aussi la signature de Caius Juni Biti ont été rejetées
par Dubois 2 qui rappelle aussi que Lenormant a suspecté
la partie inférieure d'une plaque à reliefs 3 ; n'ayant pu retrouver
la trace de ces objets, nous n'en parlerons pas davantage. Mais
il est sans doute bien rapide de réfuter un document, a priori,
sous prétexte qu'il est inhabituel. Or non seulement il nous
semble que l'authenticité de cette lampe, pour des raisons
purement techniques, est plausible, mais encore l'argument de
l'aspect de la sirène tombe de lui-même dès lors que l'on trouve des
sirènes-poissons sur des documents antérieurs. C'est
précisément le témoignage que nous livre le bol mégarien du 11e siècle
avant J.-C, trouvé en 1947 dans les fouilles de l'Agora 4.
Des monnaies permettent de dater ce bol de 197 à 146. Sur le
pourtour de l'objet, le motif décoratif est deux fois repété.
Toute une faune aérienne et aquatique, plus ou moins fabuleuse,
évolue dans les flots autour de l'embarcation d'Ulysse ; celle-ci
n'est guère plus qu'un simple radeau ; la poupe cependant en
est largement relevée ; le pilote la dirige avec le large gouvernail,
et elle comporte un mât auquel Ulysse est attaché, les mains
derrière le dos. Ulysse porte le pilos ; sa tête est légèrement
inclinée vers la gauche. En pleine mer, deux personnages bi-
formes arrondissent leurs bras en des gestes gracieux ; celui de
droite se tourne vers le navire, celui de gauche regarde dans la
direction opposée ; leur torse est féminim, leur longue queue
recouverte d'écaillés se love et serpente sur la mer. Le motif
d'Ulysse lié au mât dans une attitude très connue, et bien
différenciée de celle qu'il a sur les rares monuments où il affronte
Scylla, ne laisse pas de doute sur la signification de la scène et la
nature de ces monstres marins : ce sont les sirènes. Mr.
Thompson, qui signale rapidement ce bol ne paraît pas y attacher une
grande importance ; c'est, dit-il « une contamination de Scylla
et de Charybde et du mythe des Sirènes ».
1. Treasures of the Muséum, in Good Books, n° 6, 1948, quarterly Bulletin
of the Canterbury Royal Muséum and Public Library), p. 24.
2. Coll. Pourtalès, n° 855 et 857.
3. Coll. Raifé p. 153 n° 1219.
4. Homer A. Thompson, Excavations of Athenian Agora, 1 947, m Hespena, XV II,
3, 1948, p. 160 et fig. 5, ici, pi. II.
456 DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON ?

Il est très vraisemblable, en effet, que Scylla au moins, sinon


Charybde (monstre extraordinaire qui ne se prêtait pas à la
représentation graphique) ait joué quelque rôle dans la
métamorphose du type des Sirènes ; mais nous sommes déjà assez
loin, ici, de la Scylla telle qu'elle apparaît sur de très nombreux
monuments ; elle s'y caractérise en effet par la complexité de sa
morphologie et par V agressivité de son attitude. Son corps se
termine non pas en une queue unique, mais par une multitude de
queues de reptiles marins, prolongées par des têtes de chien
menaçantes ; toujours hostile, elle brandit rames ou roches, en un
mouvement dont le souvenir se retrouve peut-être dans le bras
levé de nos sirènes ; mais l'agressivité du geste a disparu et les
sirènes, ici, cherchent plus, semble t-il, à séduire qu'à attaquer.
Aucune autre représentation des sirènes, contemporaine ou
antérieure, ne peut être comparée à celle du bol mégarien (on
peut espérer toutefois en découvrir encore, au moins sur d'autres
de ces bols à reliefs, fabriqués en série) ; il n'en reste pas moins
qu'elle marque un jalon important dans l'évolution du thème des
Sirènes ; ceci nous amène à essayer de préciser le processus de
cette évolution, et d'expliquer cette singulière transformation.
Car enfin, du démon-oiseau au démon-poisson, la distance est
notable.
Pour comprendre les raisons profondes de cette
transformation, il est indispensable de se rappeler la réelle signification
des Sirènes. En général, démons des âmes, démons des morts,
génies tutélaires des tombeaux, êtres tour à tour ou à la fois
bénéfiques et malveillants, comme le sont nombre de personnages de la
démonologie antique, les Sirènes sont tout cela, et cet aspect
n'est plus contesté depuis les importants travaux de Weicker
à ce sujet 1. Homère, lui, ne donne aucune description des Sirènes ;
cependant, certains détails du texte laissent deviner que les
sirènes d'Ulysse participaient peut-être, à l'origine, de cette
nature des sirènes funéraires ; on les rapprochera, plus
particulièrement, des Sirènes des tombeaux. Couverte d'ossements, la
« prairie en fleurs » où elles séjournent a peut-être une valeur
plus infernale que poétique, et n'est pas sans rappeler celle du
mythe d'Er '* ; notons aussi que leur nature est statique : dès
que l'île est doublée, le danger est écarté ; Homère ne prête aux
Sirènes aucun mouvement, rien n'indique qu'elles poursuivent
les marins ; figées sur leur île, comme les statues des sirènes sur
les tombeaux, comme la sphinge sur sa colonne, ainsi
apparaissent-elles dans l'Odyssée, qu'Homère en ait été conscient ou non.
1. C. Weicker, Der seelenvogel in der alten Literatur und Kunst, Leipzig, 1902.
2. Le rapprochement est proposé par F. BuffièRE, Les mythes d'Homère et la
pensée grecque, page 479, note 65, qui pense aussi au pré d'asphodèles de l'Odyssée,
XI, 539-
DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON t 457"

Sur les documents figurés, reflet de l'âme populaire, cette notion


est plus sensible encore. Femmes-oiseaux, les Sirènes d'Ulysse
y sont presque toujours immobiles x ; sans chercher à poursuivre
le navire, elles se tiennent debout, rarement assises. (Rappelons
à ce propos cet aryballe de Boston où l'on a vu deux Sirènes
debout, accompagnées d'un troisième personnage assis que l'on a
tenté d'interpréter comme Chton, la mère des Sirènes, ou même
Circé 2 ; or, que l'on regarde attentivement ses pieds : ce sont, en
fait, des pattes d'oiseaux, et ce personnage n'est autre qu'une
troisième sirène assise, repliant en une masse compacte et sombre
ses ailes qu'elle n'aurait pas la place d'étaler derrière elle.) Les
Sirènes d'Ulysse, sur les monuments, sont musiciennes ; et,
comme leur immobilité, les instruments qu'elles portent les
apparentent aux sirènes des tombeaux. En fait, elles n'ont rien de
marin, rien de commun avec la faune mythologique des mers.
Il est significatif à cet égard qu'elles ne se posent jamais
directement sur les flots. Une île, parfois un simple rocher, s'interposent
toujours entre la Sirène et l'onde. Tout le temps que la pensée
folklorique gardait conscience de cet aspect funéraire des Sirènes,
tout le temps que restait vivace le type iconographique créé dès
la fin du VIIe siècle et qui apparentait la sirène homérique à la
sirène tombale, l'onde et la sirène ne pouvaient se rencontrer.
Cependant, au fur et à mesure que s'estompaient le souvenir
et l'influence de la signification originelle des Sirènes, leur
rencontre avec Ulysse prenait un autre aspect ; les différents épisodes
de /' Odyssée ont des origines lointaines très diverses ; c'est le thème
du « nostos » d'Ulysse qui leur donne leur unité ; plus
particulièrement toutes les anecdotes où intervient le merveilleux se
regroupent en un véritable « récit de la mer », qui pourrait
s'intituler les « aventures d'Ulysse le marin » ; englobé dans ce
contexte, le mythe des Sirènes devait fatalement subir l'influence,
des autres récits maritimes, et la place de cet épisode juste avant
le passage du navire devant les Pierres Planètes, puis entre
Charybde et Scylla, devait faliciter l'admission des Sirènes dans
le folklore de la mer. Alors, et alors seulement, les monuments
figurés associent les Sirènes à Scylla (sur les bols à reliefs), à
Ino-Leucothéa, ou, fait plus significatif encore à d'autres
personnages de la mythologie marine (sur les mosaïques).
1. Sur le célèbre stammos de Vulci (British Muséum E 440) deux sirènes se
dressent sur les rochers qui surplombent le navire ; la troisième sirène a quitté
son récif non pas pour s'approcher d'Ulysse, mais, dépitée de son échec, pour se
jeter dans les flots.
2. Aryballe corinthien (Boston, 01.81.00). Pour Payne, Necrocorinthia pi. 36,
5. et n° 1282, comme pour Bulle. Strena helbigiana, Leipzig, 1900, pp. 31 sq., le
troisième personnage est Chton. J. R. T. Pollard, A. J. A., 1949, pp. 357-359,
propose d'y voir Circé. Dawson, Roman, camp. Landscape paint., p. 165, parle
de deux sirènes mais n'explique pas le troisième personnage.
458 DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON ?

lorsqu'
Lorsque
enfinlaelle
Sirène
se pose
quitte
directement
son île pour
surnaviguer
les flots 2,sur
ou un
prend
radeau
place
1,
dans le cortège de Poséidon 3, on peut penser qu'il ne lui reste
rien, dans l'esprit de l'artiste, de sa valeur originelle.
Cependant, même dans ce dernier cas elle est encore une
femme-oiseau ; c'est alors qu'intervient plus particulièrement
l'influence du type iconographique de Scylla, ou de Tritons et de
Tritonesses. Comme elle s'est peu à peu dépouillée de sa
véritable signification, la Sirène peut alors quitter son apparence
première pour devenir, totalement, un être de la mer.
A l'attirance exercée par les formes de divers monstres et qui
a pu être renforcée par l'étonnement 'parfois provoqué chez les
marins, sur certaines côtes, par la rencontre de « lamemis, » ont pu
s'ajouter l'influence d'autres interprétations du Mythe (le chant
des sirènes, bruit du ressac sur les récifs ; les sirènes, démons de
midi frappant d'insolation les marins exposés aux réverbérations
de 1?. mer), et, surtout, l'influence de légendes annexes. L'on
raconte 4 que, de dépit, les sirènes se jetterent dans la mer ; sans
doute s'y noyèrent-elles. Il faut noter pourtant cette rencontre des
sirènes et de la mer : les trois cadavres dérivèrent un temps, puis
furent recueillis et ensevelis ; celui de Parthénopé échoua dans
le golfe de Cumes, où sa mémoire fut honorée par des Cuméens
émigrés qui fondèrent, du nom de la Sirène, la ville de
Parthénopé. Or un indice donne à penser que certaines versions de la
légende faisaient accoster au rivage une Parthénopé non pas à
l'état de cadavre, mais bel et bien vivante ; en effet une monnaie
de la ville de Parthénopé montre, aux pieds d'une femme assise,
un personnage féminin s' approchant du rivage et dont seul le
buste émerge des flots : notre sirène, assurément 5. Or elle n'a
rien d'un oiseau ; pour sortir de la mer, vivante, après un long
voyage il fallait qu'elle fût femme, ou, mieux encore, poisson.
L'artiste supposait-il réellement à son personnage une queue de
poisson ? il serait peut-être hasardeux de l'affirmer ; mais ceux
qui contemplaient la monnaie ne pouvaient faire autrement que
de prolonger ainsi ce corps à demi-caché par les vagues. Art et
folklore sont, là, intimement mêlés.
A quelle date peut se placer le moment décisif de l'histoire de
la Sirène ? C'est-à-dire à quel moment, ayant depuis longtemps,
et peu à peu, perdu son essence première, a-t-clle adopté un

i. Mosaïque de 'l'or Marancio, Musée Chiaramonti ; 2"' s. ap. J.-C. (Blakc,


Memoirs of the uni. A. C. in Rome, XIII, 1936, pi. 33, 21.
2. Mosaïque, Musée de Cherchi-11 (C. R. A. /., 1941, pp. 102-109, fig. 1).
3. Mosaïque du « triomphe de Neptune, » Sousse : Gaukler et Merlin, inven
taire des mos. de Tunisie, Paris, 1910-15, page 125 ;S. Rkinach R. P. G. R., p. 42.
4. Voir ch. Vf.li.ay, les légendes du Cycle Troyen. « La mort des Sirènes. «
5. Sabatier, Méd. contorn., pi. XIII, 10.
DE QUAND DATE LA SIRÈNE-POISSON ? 459

aspect différent brusquement, sans connaître aucune forme


intermédiaire, comme, par exemple celle d'une femme ailée à la
queue de poisson ? La question n'a pas de réponse. Nous venons
de présenter des sirènes aquatiques de 11e siècle avant J.-C. ; mais
il se peut qu'au premier siècle, en d'autres lieux, la valeur
funéraire de la Sirène ait été encore perçue ; un relief tombal de cette
époque présente une illustration du chant XII 1 ; au XIIe siècle
après J. C, Ulysse passe encore devant des Sirènes ailées, sur
des dessins de l'Hortus Deliciarum 2.
Du moins cette étude a-t-elle essayé de montrer d'une part
que cette évolution a pu commencer beaucoup plus tôt que,
jusqu'à présent, les données archéologiques ne le donnaient à
croire, d'autre part que, dans l'histoire du type de la Sirène, la
transformation, plus particulièrement, des Sirènes homériques à
joué un rôle déterminant.
Odette Touchefeu-Meynier.

i. Relief funéraire, Musée de Carlsruhe C. 30 (E. Wagner, fundst'àtten und


funde aus vorgeschrichilicher, Baden 191 1 pp. 99-100 et figs. 99-100-101).
Fréquemment utilisé sur les sarcophages néopythagorii iens et chrétiens, le thème pose
alors des problèmes tout à fait différents.
2. De 1 abbesse de Sainte-Odile, Herrad de Landsberg. Voir p. CourcelLE
R. E. A,, 1944, pp. 65 sq.

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