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René Cagnat

Salomon Reinach

Découvertes de villes nouvelles en Tunisie


In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 29e année, N. 3, 1885. pp. 252-
260.

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Cagnat René, Reinach Salomon. Découvertes de villes nouvelles en Tunisie. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres, 29e année, N. 3, 1885. pp. 252-260.

doi : 10.3406/crai.1885.69113

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1885_num_29_3_69113
— 252 —

τ. Une heure viendra, disaient-ils, confiants dans la justice de


Dieu, une heure viendra, l'heure du jugement, des supplices
sans terme et des flammes toujours dévorantes. L'âme et le
corps demeureront· immortels pour l'expiation. Nous verrons
à jamais souffrir et gémir les railleurs auxquels nous aurons
été donnés pour un instant en spectacle ; les justes se dresse
ront devant ces misérables, qui rediront avec désespoir : «Voilà
«les hommes que nous avons poursuivis de nos moqueries. De
«quoi nous ont servi nos dédains, notre orgueil superbe?
«Toutes les choses de la terre ont passé comme une ombre.»
Ils connaîtront alors les éternels châtiments, ceux-là mêmes
qui refusaient de croire à la vie éternelle. »

N°VI.
DECOUVERTES DE VILLES NOUEVLLES EN TUNISIE,
PAR MM. B. COGNAT ET S. REINACH. -*

Dans les papiers relatifs à la Tunisie laissés par M. Tissot,


il s'est retrouvé un certain nombre de copies d'inscriptions et
de renseignements archéologiques qui avaient été envoyés de
différents côtés soit à l'Académie, soit au Ministère de l'i
nstruction publique .et concentrés entre les mains du regretté,
maître de l'archéologie tunisienne. Mais l'insuffisance de ces
copies et le peu de précision de la plupart de ces renseigne
ments en avaient retardé jusqu'ici la publication. Nous avons
entrepris cette année, dans un rapide voyage en Tunisie, de re
voir sur place une partie des documents, restés inédits jusqu'à
ce jour, qui nous ont paru les plus importants; nous avons
fait connaître à la commission de Tunisie, instituée au Minis
tèrede l'instruction publique, le résultat de cette revision, et
elle a pensé que quelques-uns des textes épigraphiques que
nous avions copiés étaient assez intéressants pour être commun
iqués à l'Académie,
— 253 —

1
A 18 kilomètres au nord-nord-ouest de Medjez-el-Bab T et
séparées de cette ville par le massif du Djebel Chaouach et du
Djebel Eidous, se trouvent les ruines d'un établissement an
tique assez consideFable. Il s'élevait sur les bords d'un ruisseau
qui se jette dans l'Oued Tin ; la source de ce ruisseau se nomme
Aïn-Dourat, et, par suite, la ruine a pris le nom d'Henchir
Aïn-Dourat.
Un mausolée d'une architecture grossière, les. pieds-droits
d'une porte monumentale à deux arcades et les murs de deux
édifices quadrangulaires construits en grand appareil sont les
seuls restes importants de constructions visibles aujourd'hui
dans cette ruine.
Dans l'intérieur d'un des deux édifices quadrangulaires,
celui qui est situé au haut du mamelon occupé par la cité an
tique, nous avons relevé l'inscription suivante, qui avait été
employée dans un mur :
Sur une base de statue, dans un cadre haut de om,6o et
large de om,3y. Hauteur des lettres, om,O7· La dernière ligne,
en lettres plus petites, est gravée au-dessous du cadre :

C-ANNIOLENOCF
ARN · KARÎÎ AGI
(ne) Ν EN SI GALLIANO
FLAMDIVI-TITI
CIVITAS-VCCVLA
DECRETOAFRJG8J&
POSVIT

C. Annioleno, ϋ.βϊΐΐο), Arn(ensi tribu) , Carthagin(î)ensi f Galliano,


flam(ini) Divi Titi, civitas Uccuîa/decreto Afror(um) , posuit.

La lecture de l'inscription, dont nous avons un excellent


estampage, n'offre aucune difficulté.
— 254 —

Le personnage à qui est élevée la statue porte un gentilicc


peu fréquent, Anniolenus. 11 était de Carthage^. L'honneur qui
lui a été accordé est, comme nous l'apprend l'avant-dernière
ligne, le résultat d'un décret des Afri, c'est-à-dire des indi
gènes établis dans l'endroit, en opposition probablement avec
les citoyens romains qui habitaient aussi dans la ville, .<oit
d'une façon permanente, soie en passant. On sait que les Afri
sont les Libyens du territoire de Carthage'2'. C'est ainsi que
dans une inscription trouvée à l'Henchir Guergour, près du
Kef , les Numidac sont opposés aux cives romani établis au même
endroit'3'.
La cinquième ligne nous apprend que l'Henchir Aïn-Dourat
doit être identifié à l'ancienne Uccula. Or on rencontre le nom
de cette petite ville dans la liste des évêchés de la Proconsul
aire dressée par Morcelli ('^; mais on n'en connaissait pas exac
tement la position; on pouvait seulement conjecturer qu'elle
n'était pas très éloignée d'Utique (5l C'est un point qui ejst dé
sormais éclairci.
A l'époque où notre inscription fut gravée, Uccula n'était
encore qu'une civitas; on peut déterminer approximativement
cette époque. Comme l'empereur Titus porte ici le titre de
(1) Nous avons relevé dans la même ruine, sur une grande architrave, le
fragment de dédicace suivant , où il est aussi question d'un citoyen de Carthage :

&IMP-CAES- |MAVRELl
NIVSS^F-ARN · KARTHAG^

^y AT EX INTEGRO AMPUATO-O
^ Vivien de Saint-Martin, Le Nord de l'Afrique dans l'antiquité; Tissot,
Géogr. comparée de la prov. d'Afrique, 1, p. UkU,
W Eph. epigr., 597 = R. Cagnat, Archives des missions, IX, p. 1 13, n. i35 :
Coiiventus civium Romanorum et Numidarum qui Mascululae habitant.
(*) Africa christiana, I, p, 3^iq.
^ lbid. : ttCericius hic, anno ccccxi, Victori Uticensi, qui ad collationem Car-
thaginiensem proficiscebatur, partes suas detulisse videtur.»
— 255 —

Divus (βατΜη Divi Titi), elle est postérieure au ιίΓ siècle; d'un
autre côtév la tribu de C. Anniolenus Gallianus étant in
diquée et la mention de la tribu ne se rencontrant plus
guère sur les inscriptions après le règne de Caracalla , il est
probable que le monument est antérieur à la deuxième moitié
du 111e siècle.
Enfrti, si l'on considère la forme des lettres, on sera conduit
à fixer comme date de ce document la fin du 11e ou le commenc
ementdu iif siècle.
Sous Constantin, au contraire, la ville portait le titre de
municipe, et non plus de civitas, ainsi que le prouve un autre
texte copié également par nous à l'Henchir Dourat :

Sur .un cippe brisé en trois morceaux; lettres hautes


de om,o7 :
optMO Ε Τ SVPER
omnes? R. Ι Ν C Ι Ρ Ε S
invicto î'MP CAES
/fonstoTINO ΜΑΧΙΜΟ
perpetu Ο A V G
ucculaM V Ν I C Ι Ρ Ι Vm
devotuM Ν V M Ι Ν Ι
EIVS

[Optijmo et super [omnes] principes [invicto l]mp(eratort) Caes{ari) [Fl(avio)


Con$tan]tino Maximo , [perpetu]o Augiusto), [Uccula] fnunicipiu[m devo-
tujm numini ejus.

Il

A ι ο kilomètres environ au nord-est de cette ruine se voit ,


au milieu d'un petit bouquet d'aïbres, une enceinte en pierres
consacrée à Sidi-Reiss. A l'angle de cette enceinte nous avons
trouvé un autel portant d'un côté une inscription funéraire,
■— 256 —

de l'autre une dédicace gravée dans un cadre de om,67 de


haut sur om,36 de large, en lettres de om,o5 :

DN FL GRATIANO
PERPETVO AVG
MVNICIPIVM
SEPTIMIVM LI
BER ΫΜ A V 1 Ο
DES Ν V M Ι Ν Ι
MAIESTATIQ_
El VS DEVOT IS
SIMVM

D(omino) n(ostro) Fl(avio) Gratiano , perpetuo Aug(usto), municipium


Septimium Liberum Aulodes {l\ numini majestatique ejus devotissimum.

Si la pierre n'a pas été tirée des ruines très modestes qui
entourent le marabout de Sidi-Reiss, elle ne peut venir que
de quelque ruine du voisinage, par exemple del'Henchir Sidi-
bel-Kassem, situé à 2 kilomètres environ à l'est sur la pente
de la montagne. En tout cas, l'inscription nous fait connaître,
au moins très approximativement, l'emplacement du municipium
Aulodes* dont nous n'avons trouvé le nom nulle part ailleufs.
On voit qu'il tenait son titre de municipe de l'empereur Sep-
time Sévère, comme un certain nombre d'autres villes de la
même région (2).
III
Au pied du Djebel Gorra, du côté nord, on rencontre les
restes de deux villes assez importantes : elles ont été visitées
au mois de novembre dernier par M. le capitaine Bordier, du
6e régiment de tirailleurs, et son sous-lieutenant, M. Tnuzia
de Lespin. Ceux-ci ont communiqué au Ministère de Î'instruc-

(I) Le L de Aulodex est dou toux,.mais néanmoins probable.


[i> Cojonia Septimia Vaga, C. I. L. , vm, 1317; municipium Septimium. . .
liberum Thibtirsiçensium Bure (ibirl., 1^37); municipium Seplimium. . . liberum
Tituba (ibid.. 1Ί8Α), rtc.
tîon publique ia copie de deux inscriptions découvertes par
•eux dans ces ruines (1); grâce à leurs indications, nous avons
retrouvé les pierres qui les portent et avons pu vérifier sur
place la lecture, d'ailleurs presque correcte, qui en avait été
envoyée.
La première ae ces inscriptions vient de l'Henchir Amâ-
met (non Hammamet), situé dans la plaine, à 3 kilomètres
au nord du village arabe de Djebba. On y lit, en lettres hautes
de om,O7 :
GENIO THIBARIS
AVGVSTO
SACRVM
R Ρ Τ Η Ι β
sur la plinthe :
D d
Genio Thibaris Augusto sacrum, r(es)p(ublica) Thib{aritanorum) ,
d(ecreto) \d(ecurionum)].

La ville antique située à cet endroit se nommait donc T/ii-


bar. Elle est citée dans l'ouvrage de Morcelli f2), qui la place
dubitativement parmi les évêchés de la Byzacène. On pos
sède une lettre adressée par saint Cyprien aux habitants de
cette ville, de exhortatione martyrii^K Le nom ancien Thibar
est resté à la rivière qui coule au pied des ruines : on la
nomme Oued Tibar.
L'autre inscription a été trouvée à l'Henchir Kouchbatihia ,
à 12 kilomètres environ à l'est de l'Henchir Amâmet, dans
la montagne, sur la route de Teboursouk. Elle nous prouve
que cette ruine s'appelait autrefois Thimbure, et avait le titre
de municipe à la fin du me siècle.

(1) Cf. Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques, j 885 , p. i5g
et suiv.
'2' Africa christiana, I, p. 3 ιδ.'
ί31 Ep. ι,νΐ. Cf. Sentent, episc. (Ed. Harloi), 07, rVincentine a Thikan.·*
— 258 —

Hauteur du cadre, o™, 82; largeur, on\ho; hauteur dfcs


lettres, om,o5 :
TORTISSIMO
AC· NOBIL · CAE
F L AVI Ο VALE
RIO-CONSTAN
ΤΙ Ο RES Ρ · M V
Ν ICI PII THIM
BVRE NVMIN I
EORVM · DEVO
TA IN AETERNVM

Fortissimo ac nobil(t) Cae(sari) Flavio Valerio Conslantio resp(ublica)


municipiï Thimbure , nutnini eorum dénota in aetevnum.

La base portant le nom du seul Constance et les habitant


de Thimbure se disant devoli numitii eorum, il faut en conclure
qu'il y avait à côté l'une de l'autre plusieurs bases dédiées cha
cune à l'un des collègues de Constance Ier; et, en effet, nous
avons copié sur un piédestal analogue une autre dédicace très
effacée, en caractères de mauvaise époque, où nous avons dé
chiffré avec la plus grande peine les lettres suivantes :

KESpub
LICA MVNIc
THIM BVRE

RVM-DEVOTA
[Augjusto res[pub]lica muni[c(ipii)] Thimbure ... . . (1) [eo]rum?
devota.

Quelque mal établi que soit le texte de cette inscription , il


convenait de le rapprocher du précédent.
M A l'avant-dernière ligne il nous a semblé impossible dé lire numini ni
majestali; l'V, qui est certain, est suivi d'un L à queue recourbée.
— 259 —
Thimbure ne figure pas, à notre connaissance, dans les
auteurs. 11 est à remarquer que les deux mots Tkibar et Thim
bure ne sont pas sans analogie avec le nom de la grande ville
voisine de Thibursicum Bure.

IV

MM. Bordier et de Lespin avaient également envoyé au


Ministère la copie d'une inscription gravée sur une grande
pierre servant de linteau à la koubba de Sidi-Aougeb, près de
Bou-Djelida. Bou-Djelida est un village arabe situé à une
quinzaine de kilomètres au sud-est de Testour.
Lettres de om,o8 à la première ligne, de om, ο 5 à la
deuxième et de ou',o35 aux autres. Longueur de la pierre,
ini,97; hauteur, om,36. (Voir le texte à la page suivante.)
C'est la dédicace d'un temple élevé à Saturne. Le dieu y est
qualifié, suivant notre lecture, de Saturnus Achaiae, ce qui
paraît extraordinaire. On s'attendrait plutôt à trouver l'adjectif
Achaicus ou mieux Graecus que le génitif, comme, par exemple,
dans une inscription dédiée à la Ceres Graeca qui a été découv
erte à peu près dans les mêmes régions (1\ Peut-être a-t-on
voulu opposer le Saturne grec ( Kronos) , auquel le temple aurait
été consacré, soit au Saturne punique (Moloch), dont le
culte sanglant avait été prohibé en Afrique, soit au Saturne
romain. Peut-être aussi faut-il y voir, avec M. Mommsen,
une épithète locale.
Le monument date du règne d'Antonin le Pieux. Son
principal intérêt est qu'il nous fait connaître le nom d'une
tribu africaine, la gens Bacchuiana, chez laquelle, comme chez
d'autres tribus de la même sorte, la- gens Saboidum par
exemple, le conseil suprême était composé de onze notables

C, î. h., vin,
— 260 —

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citoyens nommés Undecimprimi^. Cette tribu était absolument


inconnue avant la découverte de ce monument.
Le nom d'homme Balsamo mérite aussi d'être signalé.

fl) C. I. L., vin, 70/ii. Cf. Mommscn, Rom. Geschichte, V, p. 65o.

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