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École pratique des hautes études,

Section des sciences religieuses

Conférence de M. Ivan Guermeur


Ivan Guermeur

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Guermeur Ivan. Conférence de M. Ivan Guermeur. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses.
Annuaire. Tome 110, 2001-2002. 2001. pp. 197-204;

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_2001_num_114_110_11924

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Conférences de M. Ivan Guermeur
Chargé de conférences

I. Introduction à l'épigraphie des temples ptolémaïques


Cette introduction à l'épigraphie des temples d'époque gréco-romaine, un
système d'écriture autrement appelé « ptolémaïque », a été l'occasion d'un
exposé général sur ses principes fondamentaux à l'issue duquel nous avons,
selon les « règles » exposées par H. W. Fairman1, examiné les divers aspects
de ce genre épigraphique.
1 . Prolégomènes
Les premiers textes égyptiens que Champollion parvint à déchiffrer
étaient des documents d'époque grecque et romaine, rédigés au moyen de
l'écriture que nous appelons « ptolémaïque », c'est-à-dire celle qu'emploient
les scribes des temples d'Egypte après la conquête macédonienne, et jusqu'à
la fin du second siècle de notre ère, époque où cesse définitivement l'activité
créatrice des écoles sacerdotales en Egypte2.
Les savants qui devaient, quelques décennies plus tard, illustrer l'époque
héroïque de l'égyptologie, Emmanuel de Rougé (1811-1872), Auguste
Mariette (1821-1881), Heinrich Brugsch (1827-1894), Johannes Dûmischen
(1833-1894), Maxence de Rochemonteix (1849-1891), Karl Piehl (1853-
1904), consacrèrent à leur tour une part considérable de leurs travaux à la
publication des textes des temples tardifs.
Souvent ces savants, depuis Champollion lui-même, considéraient cette
écriture comme au mieux secrète plus souvent décadente. Cette notion
d'écriture secrète connut une longue faveur, elle se compliquera par
l'intrusion de l'acrophonie, supposée être la base des valeurs tardives.
H. Brugsch précise en 1872 à propos de sa liste des signes :
Nous avons pris soin d'y ajouter les valeurs phonétiques que V écriture secrète
prête à la plupart de ces signes. L'écriture en question dont les traces remontent
jusqu'à l'époque des Ramessides, et qui se développe en système sous les
Ptolémées, consiste à attribuer principalement à un signe quelconque le son de la
lettre initiale de sa valeur syllabique ou du mot et même des mots auxquels il
répond dans la langue parlée (...) On pourrait donc très bien appeler ce système
celui de l'acrophonie.
Ce n'est que plus tard, notamment avec Emile Chassinat (1868-1948), qui
offrit au monde savant une édition complète - la plus fidèle possible - d'un
des ensembles les plus importants conservés en Egypte - Edfou -, que naquit
une véritable spécialité : le ptolémaïque. Parallèlement à ce travail, c'est
Hermann Junker (1877-1962) qui fit faire les progrès les plus considérables à
la discipline ; s' intéressant dès les débuts de ses recherches aux textes des

1 « An Introduction to the Study of Ptolemaic Signs and their Values », Bulletin de


l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire 43, 1945, p. 51-138 ; id, « Notes on
the Alphabetic Signs Hmployed in the Hierogiyphic inscriptions of the Temple of Edfu, with
an Appendix from B. Grdseloff », Annales du Service des Antiquités de l Egypte 43, 1943,
p. 191-318.
2 Même s'il existe des textes plus récents, remontant parfois, comme à Esna, au temps de
Decius ; ce ne sont plus que de mauvaises copies de textes plus anciens : cf. S. Sauneron,
Quatre campagnes à Esna, Esna I, Le Caire, 1959, p. 43-44.

Annuaire EPHE, Section des sciences religieuses, T. 110 (2001-2002)


1 98 Religion de l 'Egypte ancienne

temples gréco-romains, il en examina l'écriture sur une base plus large et


tenta d'en définir les lois. Sa thèse de doctorat (1903) - Ûber das
Schriftsystem im Tempel der Hathor in Dendera - marqua le début officiel
de l'étude de l'écriture ptolémaïque. Collaborateur du Grand Dictionnaire
Égyptien de l'Académie de Berlin {Wôrterbuch), il publia encore en 1906
une Grammatik der Denderatexte, ouvrage demeuré unique en son genre.
Junker essaya de comprendre les lois internes de cette écriture qui fut
pratiquée, développée, transformée, pendant près de cinq siècles. Il nota que
les groupements de signes, et les particularités graphiques, ne sont pas
uniquement des jeux, ou des recherches d'images qui satisfassent les yeux ; il
y a dans les « tableaux » que constituent certains groupements de signes, une
expressivité propre, qui suggère en somme, visuellement, un sens au-delà de
celui qui résulte de la seule prononciation phonétique des hiéroglyphes.
En Grande-Bretagne, Aylward M. Blackman (1883-1956) donna à son
tour une nouvelle impulsion à l'étude du ptolémaïque, notamment à partir
des publications d'Emile Chassinat ; c'est son étudiant, collaborateur et
successeur - Herbert W. Fairman (1907-1982)3 - qui fut sans aucun doute
celui qui offrit à tous les égyptologues ce qui demeure encore et toujours le
manuel de base de l'étude du ptolémaïque, il démontra que :
Le ptolémaïque est un système logique d'écriture, et, comme tel, ne doit pas être
traité comme un jeu sans règle ni méthode, basé sur des principes
consonantiques. Selon ce principe, un signe ne peut acquérir une valeur simple
que de trois manières : ou bien par la perte de consonnes faibles entourant une
consonne forte, seule conservée ; ou bien par la perte d'un ( au voisinage d'un h,
réduisant un groupe bilitère à un son unique ; ou enfin par la coalescence de
deux consonnes identiques ou voisines, en l'absence d'une troisième consonne
qui les sépare. Autrement dit, il s'agirait d'une évolution phonétique normale,
sans intervention d'un système purement artificiel comme l'acrophonie.
La thèse de Fairman l'opposait au principal tenant du système des
principes acrophoniques : Etienne Drioton (1889-1961) ; mais en postulant
que certaines valeurs des temples gréco-romains avaient pu être empruntées
à la « tradition cryptographique » il inversait les faits :
L'écriture ptolémaïque n'est pas un fossile artificiellement prolongé ; c'est une
écriture dont on suit l'évolution sur près de cinq siècles, pendant lesquels elle
continue à se diversifier, à forger de nouveaux signes, à prendre, de temple à
temple, un aspect particulier qui atteste la vitalité des écoles qui pratiquaient
cette écriture et exploitaient ses principes. L'acrophonie a pu parfois être utilisée
dans des cas particuliers, relevant pour la plupart d'un système cryptographique.
(S. Sauneron, in Textes et langages de l'Egypte pharaonique I, Bd'E 64/A, Le
Caire, 1972, p. 51.)
Les principes de fonctionnement du système ayant été débrouillés, les
vocations se multiplièrent, d'autant plus que la tâche demeurait énorme ;
l'attrait de ces textes, indispensables à la compréhension de la vie religieuse
en Egypte, mais aussi à l'étude des mythes, rites et de la géographie suffirent
à faire le reste.
2. Qu 'est-ce que le ptolémaïque ?
Le ptolémaïque n'est pas une incongruité dans la culture égyptienne, où,
en effet, un véritable phénomène de diglossie est depuis longtemps
perceptible4 : la « langue classique » ou langue de la première phase fut

3 Op. cit.
4 À ce propos, voir les remarques de P. Vernus, « Langue littéraire et diglossie », in
A. Loprieno, (éd.), Ancient Egyptian Literature. History & Forms, Problème der
Âgyptologie 10, Leyde, 1996, p. 555-564 ; de K. Jansen-Winkeln, « Diglossie und
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considérée, jusqu'à la disparition des derniers hiérogrammates sous le Bas-


Empire, comme la langue de la « première fois » (sp tpj), autrement dit une
langue sacrée" référentielle dans laquelle devait être rédigé tout texte
exprimant une pensée religieuse. C'est dans ce contexte que se développe le
ptolémaïque : idiome plus ou moins artificiel reposant sur un fond de langue
ancienne et cherchant à l'imiter, ce type de langue étant qualifié d'« égyptien
de tradition ».
Si le ptolémaïque est avant tout un égyptien de tradition, ce qui fait sa
particularité - immédiatement perceptible pour le profane - c'est l'usage
dans l'écriture d'une grande variété de signes. Toutefois, comme Junker
l'avait déjà remarqué, le ptolémaïque n'est pas une écriture uniforme ; elle
présente, selon la nature des textes, leur emplacement dans le temple et leur
date, des degrés divers de complication. On distinguera un « ptolémaïque
courant », qui n'est pas très insolite et les cas où, à l'arsenal habituel des
signes connus, se mêle un certain nombre de signes usuels, ayant des valeurs
jusque-là inhabituelles. Mais il y a aussi, en particuliers dans les bandeaux,
dans les inscriptions décoratives, dans l'orthographe des noms des villes et
des dieux, un autre type d'écriture, où tout est recherche originale, et dont la
lecture demande une véritable "initiation", chacun de ces textes révélant des
signes inconnus ou "valeurs" propres, qu'aucune expérience, si prolongée
soit-elle, ne permet de reconnaître au premier coup d'oeil.
L'égyptien de tradition qui forme le substrat fondamental du ptolémaïque
est parfois perméable, à des degrés divers, à des traits venant de la langue
vernaculaire, notamment du néo-égyptien, parfois aussi du démotique5
Ainsi, par exemple, dans les livres VI et VII des textes des « Mystères
d'Osiris au mois de Khoïak », édités par É. Chassinat, on utilise à plusieurs
reprises le conjonctif néo-égyptien : mtw*f (tm) sdm, mais aussi les formes
relatives î.sdm*f, i.ir sdm, nti (hr) sdm, ntî îw + Présent I, par ailleurs, les
articles (pj, U, nS), les démonstratifs (pjj, Uj, rvj) et les possessifs (pjj'f, tjj>f,
njj*f) néo-égyptiens sont d'un usage courant.
Si l'opposition des formes sdm*f et sdm.mf, dans les textes des temples
ptolémaïques, a longtemps été ignorée, au profit de traductions à l'allure
paratactique (c'est-à-dire sans marquer le rapport de dépendance qui unit les
différentes propositions), il apparaît pourtant que dans certains textes,
visiblement narratifs, l'alternance de sdm*fet de sdm.nrf permet d'établir des
liens syntactiques entre différentes propositions, de hiérarchiser les moments
et les propos6.
Depuis plusieurs années, on a également mis en lumière une forme que
l'on a coutume d'appeler le « présent performatif »7- Cela signifie que la

Zweisprachigkeit im Alten Àgypten », Wiener Zeitschrift fur die Kunde des Morgenlandes
85, Vienne, 1995, p. 85-115.
5 On verra les remarques de J.-Fr. Quack, « Monumental-Demotisch », in L. Gestermann
et H. Sternberg-El Hotabi (éds), Per aspera ad astra. Wolfgang Schenkel zum
neunundfunfzigsten Geburstag, Kassel, 1995, p. 107-121.
6 Cf. M. Broze, « La création du monde et l'opposition sdm.f - sdm.n.f dans le temple
d'Esna », Rd'E 44, 1993, p. 3-10.
'Accompli'
7 À propos
in thedeBible
cette and
forme
in the
: P.Koran
Vernus,
», dans
« Ritual
S. Israelit-Groll
sdm.n.f and(éd.),
Some Phamonic
Values Egypt.
of the
The Bible and Christianity, Jérusalem, 1985, p. 307-316 ;Fr. Labrique, « Le sdm.n.f 'rituel'
à Edfou : le sens est roi », Gôttinger Miszellen 106, 1988, p. 53-63 ; Ph. Derchain, « À
propos de performativité. Pensers anciens et articles récents», Gôttinger Miszellen 110,
1989, p. 13-18 ; M. Broze, loc. cit. ; M. Malaise et J. Winand, Grammaire raisonnée de
l'Égyptien classique, JEgyptiaca Leodiensia 6, Liège, 1999, § 563 ; et les réserves de
200 Religion de l 'Egypte ancienne

valeur fondamentale d'accompli de la forme sdm.n*f sert à exprimer une


action dont la réalisation est le résultat de l'acte d'énonciation (comme dans
l'expression française «j'ouvre la séance»), un acte accompli «par
définition » car fait du roi ou de la divinité. C'est ce présent performatif que
l'on retrouve notamment dans les titres des offrandes (dî.n*i n*k).
Que l'on ait pu penser, voire écrire, qu'avec la domination macédonienne
c'en était fini de cette brillante civilisation, réduite aux seuls râles d'une
culture agonisante, est pour le moins contraire aux faits. L'identité religieuse
se voit au contraire renforcée, principalement autour des temples où
s'élaborait une théologie d'une haute érudition et d'une grande subtilité.
C'est ainsi que durant plus de cinq siècles, des premiers Argéades jusqu'à la
fin du deuxième siècle de notre ère, on voit s'ériger depuis les limites
méridionales du pays jusqu'au nord, une centaine de temples, simples
chapelles ou gigantesques ensembles architecturaux, tels Philae, Ombos,
Edfou, Esna, ou Dendara.
Sans doute les hiéroglyphes n'étaient-ils plus que l'apanage de la classe
sacerdotale, sorte d' intelligentia, seule capable de lire et de rédiger les textes
des temples, des stèles royales, mais aussi des monuments de particuliers.
Dotés de bibliothèques et de scriptoria, où l'on copiait inlassablement des
dizaines de textes variés, depuis les textes des Pyramides jusqu'aux traités
médicaux, les temples étaient devenus un lieu privilégié de réflexion et
de recherche intellectuelle, théologique et médicale. On notera, à titre
d'exemple, que les bibliothèques qui nous sont parvenues, comme celle de
Tebtynis, contenaient toutes sortes d'encyclopédies jusqu'aux copies de
parois de tombes remontant à la Première Période Intermédiaire ou au
Moyen Empire.
Les murs des temples avaient fini par constituer des sommes scripturaires
considérables, couverts de représentations et de textes : sorte d'épitomé de la
science sacerdotale du temps. Ce qui auparavant n'aurait été que conservé
sur des papyrus ou transmis oralement est désormais en plus transcrit dans la
pierre, afin peut-être de plus durablement y mieux subsister : rituels
quotidiens et scènes d'offrandes, liturgies solennelles et calendriers des fêtes,
mythes et récits cosmogoniques, hymnes aux dieux, processions de la
géographie mythique, etc.
Chaque séminaire a été sanctionné par un exercice de traduction. À l'issue
de l'exposé des principes du ptolémaïque, nous avons entrepris, à titre
d'illustration, l'étude des scènes d'offrande des deux yeux Oudjat. L'année
s 'étant achevée avant la fin de la lecture de toutes les scènes, nous n'avons
pu nous attacher au commentaire général et théologique, cette étude sera
donc poursuivie dans l'avenir. Lors de la traduction des textes ombites,
particulièrement corrompus dans l'édition de J. de Morgan, nous avons pu
bénéficier, grâce à l'amitié de Ph. Collombert, membre scientifique de
l'IFAO, de photographies de certaines scènes. À l'occasion de ce travail nous
avons également exposé les principes d'organisation des scènes de temple,
autrement appelés « grammaire du temple ».
3. Bibliographie
Outre les usuels mentionnés supra, signalons plusieurs usuels récents :
- Fr. Daumas f (éd.), Valeurs phonétiques des signes hiéroglypiques
d'époque gréco-romaine, Montpellier, 1986-1995.

D. Kurth, « Zum 'sdm.n.f in Tempeltexten der griechisch-rômischen Zeit », Gôttinger


Miszellen 108, 1989, p. 31-44.
Ivan Guermeur 201

- K. Jansen-Winkeln, Spàtmittelàgyptische Grammatik der Texte der 3.


Zwischenzeit, Àgypten undAltes Testament 34, Wiesbaden, 1996.
- P. Wilson, A Ptolemaic Lexikon. A Lexicographical Study ofthe Texts in
the Temple ofEdfu, Orientalia Lovaniensia Analecta 78, Leyde, 1997 ; qu'il
conviendra de compléter par les remarques de D. Meeks, Bibliotheca
Orientalis 56, 1999, col. 569-594.
- M.-Th. Derchain-Urtel, Epigraphische Untersuchungen zur griechish-
rômischer Zeit in Agypten, Àgypten und Altes Testament 43, Wiesbaden
1999.
- S. Cauville, Dendara. Le fonds hiéroglyphique au temps de Cléopâtre,
Paris, 2001.
- Idem, Dendara I. Traduction, "Orientalia Lovaniensia Analecta" 81,
Leyde, 1998.
- Idem., Dendara II. Traduction, "Orientalia Lovaniensia Analecta" 88,
Leyde, 1999.
- Idem., Dendara III. Traduction, "Orientalia Lovaniensia Analecta" 95,
Leyde, 2000.
- Idem., Dendara IV. Traduction, "Orientalia Lovaniensia Analecta" 101,
Leyde, 2001.
4. Textes traduits au cours des séminaires :
Stèle BM EA 1018, provenant d'Akhmim (PMV, 22) ; Edfou III, 360
(11) - 361 (5) ; Esna II, n° 14 ; Esna II, n° 5 ; Edfou VII, 143 (9) - 144 (8) ;
G. Bénédite, Philae I, 80 (19) - 81 (9) ; Dendara IX, 90 (13) - 91 (9) ; Edfou
V, 52 (12) - 53 (12) ; Edfou I, 286 (7) - 287 (12).
Pour l'offrande des deux yeux Oudjat, nous nous sommes limités, faute
de temps, aux scènes suivantes : Edfou II, 68 (17) - 69 (10) ; Edfou VII, 266,
4 - 441
n° 267,; 3Ombos
; Ombos
1, n°271.
II, n° 925 ; Ombos I, n° 488 ; Ombos I, n° 473 ; Ombos I,

II. Initiation à la géographie religieuse


Nous avons, dans le cadre de ce séminaire, abordé les problèmes de la
géographie religieuse, c'est-à-dire d'une géographie que l'on prendra soin de
distinguer de la géographie historique, une géographie qui n'est pas en phase
avec la réalité administrative et économique quand bien même les noms
sacrés ou géographiques évoqués sont réels.
L'un des fondements de cette géographie est le concept de nome, un
vocable grec (vo|j.ôc), qui signifiait au départ « lieu de pâturage, herbage »,
puis « habitation»8, a été introduit par Hérodote pour désigner un district,
une commanderie, une province, notamment dans sa description de l'Egypte,
sans que ceci lui soit spécifique. Le terme a été repris par Diodore de Sicile
puis par Strabon. Chez Hérodote, ces nomes sont les régions où étaient
recrutés les différents corps militaires, une définition assez éloignée du sens
habituel accordé à ce mot, notamment quand on l'utilise pour traduire le
terme spJt qui désigne en égyptien un district, et qui est connu depuis
l'Ancien Empire9.
Ce que l'on à coutume d'appeler nome x ou y, n'était connu, au départ,
que par les monuments d'époque tardive, sous la forme de processions de

sCf.P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque : histoire des mots,


Paris, 1999, p. 742-744, qui note que « le grec moderne a perdu le sens 'pastoral' ».
9 Cf. J. Yoyotte, Ann. EPHE 91, 1982-1983, p. 217-221 ; idem, Annuaire du Collège de
France 94, 1993-1994, p. 685-689.
202 Religion de l 'Egypte ancienne

« fecundity figures » selon la taxinomie de J. Baines10, figurées sur les


soubassements des temples ptolémaïques en particulier, pouvant représenter
les spjt. En fait, dans des versions très simplifiées, ce type de processions
remonte à la Ve dynastie, au temple de Sahoûré, puis on en trouve également
sur le soubassement de la « chapelle blanche » ainsi que sur la « chapelle
rouge » et à Deir el-Bahari.
C'est à partir de ce cadre que Brugsch va construire sa géographie
régionale de l'Egypte : selon cette logique, les listes gravées sous les
Ptolémées étaient censées dénombrer les provinces de ce territoire et d'en
énumérer les villes, comme si les divisions géographiques avaient été
immuables depuis l'Ancien Empire jusqu'à l'époque gréco-romaine. Cette
thèse s'est établie en doxa aujourd'hui encore communément admise, ce
malgré toutes les mises au point depuis 40 ans11. Mais la réalité est quelque
peu différente, il y a en effet une dichotomie importante entre cette
description géographique canonique et la réalité administrative
contemporaine. De plus, un autre problème est venu se greffer à cette situation déjà
complexe : l'emploi d'une terminologie grecque pour dénommer ces entités
géographiques. Ce furent Harris12 puis Brugsch qui les premiers firent
correspondre les nomes grecs avec ces spjt canoniques des listes et
processions géographiques ; pourtant, il n'y a que 9 cas en Haute Egypte et
12 cas en Basse Egypte de correspondance entre les noms grecs et la réalité
égyptienne.
Ainsi, si l'on prend la nomenclature d'Edfou, le texte communément
appelé « grand texte géographique »13, les éditeurs ont utilisé une
terminologie grecque qui par essence est inadaptée et même fausse en maints
endroits. A titre d'exemple pour la Haute Egypte : le premier d'entre eux,
appelé l'Ombite, a pour capitale, selon le texte même, Éléphantine, pourtant
localité distincte d'Ombos ; en outre, le nom égyptien du district ou spjt est
Ta-seti, qui depuis longtemps se confond avec le nom de la province de
Nubie, au-delà d'Éléphantine et finit même par désigner tout le Soudan
jusqu'à Kom Ombo. Cette spjt existe depuis l'Ancien Empire, avec un
Sobek comme divinité majeure au Moyen Empire et Horus l'Ancien
(Haroëris) à partir du Nouvel Empire. La province ayant pour capitale
Ombos est une réalité administrative fort tardive (règne de Ptolémée
Philométor), plus ou moins liée au contrôle de la Dodécaschœne.
Dans son édition d'Edfou Rochemonteix a intitulé la XVIe spjt de Haute
Egypte Hermopolite de la Gazelle alors que sa capitale est Hebenou, que
l'animal figuré est un Oryx et que la divinité majeure est une forme
d'Horus ; de fait, rien ne justifie de l'appeler Hermopolite !14
On pourra faire le même constat, par exemple, avec celui qui est appelé
Oxyrrhynque, la XIXe province de Haute Egypte ; il s'agit d'un district qui
avait, d'après les textes, Sepermerou pour capitale, une localité distincte
d'Oxyrrhynchos. On pourra également noter que la description religieuse
donnée par le texte d'Edfou ne correspond pas à la réalité théologique locale

I ° Fecundity Figures : Egyptian Personification and lconography of a Genre,


Warminster, 1985.
II Cf.}. Yoyotte, op. cit.
12 Hieroglyphical standards representing places in Egypt supposed to be its nomes and
toparchies, Londres, 1 852.
13 M. de Rochemonteix, Le temple d'Edfou I, Mémoires de la Mission Archéologique
Française , édition révisée par S. Cauville et D. Devauchelle, Le Caire, 1984, p. 329-344.
14 J. Yoyotte, Annuaire du Collège de France 94, 1993-1994, p. 675-676.
Ivan Guermeur 203

où Seth était la divinité majeure, en effet, la proscription de ce dernier dans


le temple d'Horus à Edfou a entraîné son oblitération du texte.
Le cas de l'Arsinoïte (XXIe de Haute Egypte), c'est-à-dire le Fayoum,
avec Chenâ-Khen (Acânthos) pour capitale et Horus pour dieu majeur, Osiris
et Khnoum selon d'autres sources est même topique de l'inadéquation de la
terminologie grecque : le nom évoque une création ptolémaïque qui ne
correspond absolument pas aux données de la tradition sacerdotale que
constituent ces textes.
Si l'on sait que les spJt apparaissent dès l'Ancien Empire,
administrativement nous ne pouvons en dire que peu de choses avant les
grandes recensions de l'époque ptolémaïque, et il est illusoire de penser que
les deux choses se recouvrent. Les processions que l'on voit depuis l'Ancien
Empire sont en réalité des processions de villes avec le territoire qui les
entoure et quelques entités spécifiques et cela a évolué au fils du temps,
même si canoniquement le nombre fut fixé à 42 : 22 en Haute Egypte et 20
en Basse Egypte. En réalité, dès le Nouvel Empire le vieux vocabulaire
concernant les nomes était devenu obsolète du point de vue administratif et
ne dénotait plus que les métropoles de ces circonscriptions ; c'est sur cette
nouvelle réalité que les administrateurs grecs vont bien plus tard coller leur
propre carte administrative et fiscale.
Si traditionnellement il y avait 42 nomes, on doit noter l'existence de
districts supplémentaires dans les listes à l'époque gréco-romaine,
notamment sous le règne de Ptolémée Sôter II. Pour ceux qui n'opèrent pas
de distinction entre géographie sacrée et administrative, l'explication est
simple : il s'agit d'une actualisation pour remédier aux carences de la vieille
carte15. Mais ceci n'est guère acceptable : comment expliquer dans ce cas
l'absence de métropoles comme Alexandrie ou Péluse ? Il paraît plus
satisfaisant d'admettre que ces districts supplémentaires ne sont pas une
actualisation d'une carte politique de l'Egypte, mais plus simplement la
notation de centres religieux devenus importants qui étaient omis auparavant
pour diverses raisons.
Après avoir exposé ces problèmes théoriques, nous avons décrit les
différentes sources dont nous disposions en nous appuyant sur un exemple
parmi d'autres: la XVIIe spJt de Basse Egypte, Séma-Béhédet, une
circonscription administrative qui apparaît au Nouvel Empire (soubassement
de la « chapelle Rouge »), époque où sans doute la région fut mise en valeur
et devint autonome.
Nous nous sommes donc attachés à la description, à la traduction et au
commentaire des processions proprement géographiques de cette province16.
Si, comme on les trouvait dès l'Ancien Empire, la plupart de ces listes ne
symbolisent chaque entité que par un seul génie, on trouve aussi sur les
soubassements de quelques temples gréco-romains des « processions
quadruplantes » où chaque province est figurée par quatre entités, deux
masculines et deux féminines :
1) Le lieu saint lui-même (spJt) (fém.) ;
2) Le bras d'eau ou canal (mr) qui dessert le port et irrigue son territoire
(masc.) ;
3) La campagne arable (w) (fém) ;

15 D. Devauchelle et J.-Cl. Grenier, « Remarques sur le nome hermonthite à la lumière


de quelques inscriptions de Tôd», BIFAO 82, 1982, p. 157-169, plus particulièrement
p. 157-158 et pourtant déjà J. Yoyotte, Ann EPHE 91, 1982-1983, p. 218.
16 On pourra voir aussi la présentation de S ; Cauville, « Les inscriptions géographiques
relatives au nome tentyrite », BIFAO 92, 1992, p. 67-100.
204 Religion de l 'Egypte ancienne

4) Le territoire marécageux (phw) (masc). Ces deux dernières entités


assurent l'alimentation du lieu saint.
Les légendes qui accompagnent ces personnages nomment les lieux et les
caractérisent par des allusions à la divinité majeure et aux mythes de
l'endroit17.
Dans un second temps, après avoir étudié les processions géographiques,
nous avons étudié les autres matériaux de la géographie sacrée : les scènes
d'offrande des temples ptolémaïques fonctionnant comme un « manuel de la
géographie sacrée »18 (Edfou II, 57 (6)-(18) ; Edfou III, 236 (14) - 237 (4),
Edfou V, 99 (13) - 100 (9) ; Edfou VII, 173 (5) - 174 (3) ; face externe du
naos de Dendara [inédit]), puis les divers papyrus géographiques (Tebtynis,
Livre du Fayoum etc.).

Élèves, étudiants et auditeurs assidus : Mmes, Mlles, MM. C. Bouanich,


J. Detouillon, J. Destival, FI. Dezegher, D. Lefebvre, A. Noël, P. Poilot,
J. Porchet-Bélilos, P. Prévôt, Th. Sagory, FI. Saragoza, Ph. Sussel, G. Tallet.

Publications du Chargé de conférences :


• « Le syngenes Aristonikos et la ville de To-bener (statue Caire JE
85743) », Revue d'Egyptologie 51, 2000, p. 69-78, + 2 pi.
• avec Chr. Thiers, « Un éloge xoïte de Ptolémée Philadelphe. La stèle
BM EA 616 », Bulletin de l'Institut Français d'Archéologie Orientale du
Caire 101, 2001, p. 197-219 + 2 pi.
• « Les cultes d'Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie
religieuse », Annuaire de l'EPHE 109, 2000-2001, p. 529-534.

17 Description détaillée et analyse chez J. Yoyotte, Annuaire du Collège de France 95,


1994-1995, p. 648-661.
18 Selon la description de Ph. Derchain, « Un manuel de la géographie liturgique à
Edfou », Chronique d'Egypte 37, 1962, p. 31-64.

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