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le

développement
métalinguistique
JEAN ÉMILE GOMBERT

psychologie d’aujourd’hui
PSYCHOLOGIE D »A U J O U R D ’ H U I
COLLECTION D IR IG É E PA R PA U L FRA 15SE

LE DEVELOPPEMENT
MÉTALINGUISTIQUE

J E A N É M I L E /g O M B E R T
M aUté de eonfàrênces à VünivefaiU de Bourgogne

í
P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S DE FRA NC E
- 02041990-0 74 8 3

A Pierre Grêco

ISBN 213 0427081


ISSN 0768 1623
Dépôt — 1'* édiüon : 1900, m m
© Fresaes Universitairefl de Franee, 1990
108, bonlevard Saint-Germain, 75006 PaiÍB

4
Sommaire

Avajvt- propos, 9

C hajpitre P remier. — C onsidératíons générales, 11

A / Définition du terme t métalinguistíque >,11


1* Les conceptions psycholinguistiques, 13
2. Usage lingiiistique^ usage psycholinguistíque^ 15

B / La métacognition^ 16

C / Métaprocessus, épiprocessus, 20

D / Métalangage^ métacommunication et capacités métapragmatiques^ 24

E / Conclusion^ 26

C hapitre II. — Le développetnenl m étaphonologique, 29

A / Introduction, 29

B / La díscrimínotion précoce des sons langagiers^ 30

C / LUdentífication mêtaphonoiogique, 33
1. La différencíation entre les sons langagiers et non langagiers, 33
2. L^identification &yllabique^ 34
3. L'identificfttion des phonèmes, 35

D / Le controle métaphonolagiquGj 37
1. La manipulation délibérée des syllabes, 38
2. La manipulation délibérée des phonèmes, 39
6 Le développement métalinguistique

Y. t La mise en place des capacites métapkonologiques et rapprentissage de la


lecture, 45
1 Les comportements métapho&oiogiques comme consequence dc
rapprentissage de la lecture, 45
2* La capacite métaphonologíque comme prérequis de rapprentissage de
ía lecture, 48
3, L'entrainement métaphonologíque precoce et ses effets sur rapprentis­
sage de la lecture, 53

F / Conctusíon, 55
1, Les comportements épiphonologiques 55
2, Les comportements métaphonologiques, 57

Chapitre IIL — Le développement métasyntaxique, 59

A / Introduction, 59

B / Les jugem ents métasyntaa^iques^ 60


1. Les jugements de Tortlre d^énonciation, 61
2. Les autres jugements de grammaticalité, 66
3. Jugements de grammaticalité v$. jugements d ’acceptabilité, 70

Y í Le contrôle métasyntCLxique, 74
1. L’étude des autocorrections syntaxiques, 74
2. L’étude des hétérocorrections syntaxiques, 76
a / La correction des phrases jugées inacceptables, 77
6 / Les hétérocorrections grammaticales, 79

D / Conclusion^ 84
L Les comportements épisyntaxiques, 85
2* Les comportements métasyntaxiques, 86

Chapitre IV. — Le développement métalexícal et le développement m étasé-


mantique^ 87

A / Introduction, 87

B / La conscience et la manipulation déUbérée du mot^ 88


L Le développement métalexícal, 89
a / L a segmentation lexicale, 89
6 / Le controle délibéré de Laccès au lexique, 95
2. Le développement de la maitrise métasémantique du mot, 97
a / La différenciation entre le mot et son référent, 99
6 / La maitrise du terme métalinguistique « mot 105
3. Conclusion, 107
Sommaire

C / Le déveioppement métasémantique phrastique, 108

D / L^évoiution du traitement du langagefigi^ré, 112


1. La production des métaphores par Tenfant, 113
2. La compréhension des métaphores par Tenfant, 117

E / Concktsion, 121
1. Les comportements épilexicaux et épisémantiqiies- Í21
2* Les comportements métalexicaux et métasémantiques, 122

C hapitre V. — Le déveioppem ent m étap rag m atíq u e, 123

A / íntroduction^ 123

B / fa d éq u a tio n référentielle du message verbal, 126


1. L^estimation de rexpllcicité d'im message verbal, 126
2. Le controle de Texplicicité de ses propres messages verbaux, 135

C / L ddaptatíon du discours au destinataire, 137

D / La maitrise des règles sociales du langage, 143

R / L^humour Unguistique, 149


1. L^humour phonologique, 151
2. L"humour fondé sur des ambiguités Unguistiques, 151
3. L'humour pragmatico-sémantique, 152
4. Conclusion, 153

F / Conclusion^ 155
L Les comportements épipragmatiques, 155
2, Les comportements métapragmatiques, 157

C hapitre VI, — Le d é v e io p p e m e n t m é ta te x tu e l, 159

A / Introduction, 159

B / Z/6 controle de la cokérence^ 162


L Le controle de Tadequation entre Tinformation nouvelle et la base de
connaissance, 163
2, Le controle de la cohérence intratextuelle, 166
3, Le controle des inférences, 169
4, Conclusion, 175

C / Le controle de la cohésion, 175


1, La gestion métatingutsdque des anaphores, 176
2, La gestion métalinguistique des connecteurs, 180
3, Conclusion, 181
8 Le développement métalinguistique

X) / Le controle de la structíire textaelle^ 182


1. Le controle de Torganisation générale du texte, 183
2* Le traitement des différents types de textea, 189
a / La différenciation entre divers types de textes, 189
b / L a gestion métalinguistique des récits^ 191
3. Conclusion, 193

E / Conclusion^ 194

Lh>PiTR£ VII. — Développement métalingiústíque et langage écrít, 197

A / Introduction, 197

B / Les conceptions precoces du langage écrii^ 198

C / Développement métalinguistique et lecture^ 207


1. Les processus menant à Ia compréhensíon en lecture, 208
2. Les compétences métalinguistiques associées à Tapprentissage de )a
lecture, 211

D / Développement métalinguistique et production êcrite^ 215


L Le processus de rédaction, 215
2. La production de textes médiocres, 216
3. L ’importance de Tautomatisation, 218
4. Les activités métalinguistiques mobilisées dans Tactivité rédactionnelle,
220

E / Conclusion, 221

C hapitre VIIL — La dynamique du développement métalinguistique, 227

A / Introductioriy 227

B / Les différentes conceptions du développement métalinguistique^ 228

C f Le modele de KarmilQff-Smith^ 236

D / Un c modèle i du développement métalinguistique chez renfant^ 242

CoNCLUsroN, 251

Bibuocraphje , 255

Index des auteurs, 285

Index thématique, 291


Avant-propos

Cet ouvrage doit beaucoup à tous ceux qui^ paifois à leur insu,
ont influencé son auteur. Michel Moscato jadis, convamcu de
la nécessité d ’étudier expêrimentalement les phénomènes psycho-
logiques; Pierre Gréco fu t naguère, et demeure, 1'esprit scientifique
auquel il est le plus redevable; Michel Fayol est, auJourd’hui^ le
théoricien du développement cognitif, le chercheur militant et le
compagnon de recherche quL, quotidiennement, inspire, motive et
participe à son travail.
Une première version d ’un texte est souvent inélégante,
imprécise, voire erronée. La version finale doit, en fait, beaucoup
aux premiers lecteurs du manuscrit initial qui, de droit, doivent
être considérés comme les co-auteurs du produit fini. Hervé Abdi,
Michel Fayol, Marcei Frochot, Henri Lehalle, Daniel Zagar et
surtout Jean-Pierre Bellier peuvent prétendre (ils ne le désirent
peut-être pas tous) à ce statut
Enfin, le moteur de la recherche se situant souvent en dehors
du laboratoire, et même de la discipline, Jacqueline, André, Marie-
Claire, Sophie, Franck et Charles-Edouard Gombert ont leur part
de responsabilité dans le document commis.
Pierre Gréco avait accepté de préfacer cet ouvrage, la maladie
Ven a empêché, Comme tous ceux qui Pont approché, je ressens à
son égard une fascination certaine et lui voue une profonde
admiration. II fu t mon directeur de thèse, sa disparition me laisse
scientifiquement orphelin. Que ce livre soit un hommage à sa
mémoire.
CHAPITRE PREM IER

Considérations générales

A / Définition du terme « métalinguistique h

Une chose est de traiter le langage de façon adéquate en


compréhension et en production, autre chose est de pouvoir
adopter une attitude réflexive sur les objets langagiers et leur
manipulation. C’est cette dernière capacite qui est désignée sous le
vocable « métalinguistique » par une toute recente tradition
psycholinguistique.
En fait, ce néologisme « métalinguistique » n’est utilisé que
depuis peu. Entre 1950 et 1960, les linguistes désignent par ce
terme ce qui a trait à la métalangue qui est une langue dont le
lexique se compose de Pensemble des mots de la terminologie lin-
guistique (par exemple, syntaxe, sémantique, phonème, lexème...
mais aussi des termes d’usage plus courant comme : mot, phrase,
lettre, etc.). Dans un sens un peu plus général, on appelle
métalangue la langue, que ce soit la langue naturelle ou une langue
formalisée (comme en logique), qui sert eUe-même à parler d’une
langue. Plus précisement ce vocable renvoie, comme le souligne
Benveniste (1974) à une langue dont Vunique fonction est de
décrire une langue; ainsi tout le vocabulaire de la métalangue ne
doit trouver application que dans la langue.
La perspective fonctionnelle qui s’intéresse au langage en
fonctionnement dans son utilisation par des locuteurs réels, a
donné une importance toute particulière à ce niveau de langage qui
12 Le développement métalinguistique

prend pour signifiés les signifiants de la langue et lui a donné un


statut original dans ractivité même du sujet,

En 1963, Jakobson divise les foncüons du langage en fonctíons priucipales et


fonctions secondaires. Les fonctions principales sont celles qui concement directe-
ment les trois príncipaujc protagonistes de la situation de communicatioD^ à savoir :
Témetteur, le destinataire et ce qui est référé par le message* D décrit donc trois
fonctions principales : la fonction expressive {ou émotive) qui concerne Timplica-
tion de 1’émetteur dans ce qu’il d i t ; la fonction conative qui concerne la part du
message destinée á influencer le partenaire; enfin la fonction de representation (ou
de dénotation) qui est centree sur les référents du message donc sur le contenu plus
que sur Tacte de langage, Les fonctions secondaires sont pour leur p a r t : la fonction
phatique^ en oeuvre lorsque le langage ne sert non plus à communiquer un message
mais principalement à maintenir le contact entre les deux locuteurs ( par exemple :
conversations d"amoureux, échanges de politesses banales,,*); la fonction ludique
et poétique qui correspond à un jeu sur le langage (par exemple le jeu de mot mais
aussi toute m anipuladon poétique du langage); enfin la fonction métaiinguiêtiqtie
qui concerne Pactivité qui consiste à parler de la parole, activité linguístique qui
prend donc le langage lui-même conune objet.

Dans son acception linguistique, qui est celle issue de la


conception de Jakobson, la métalinguistique concerne donc Tacti-
vité linguistique qui porte sur le langage. Ou encore, comme Técrit
Benveniste (1974), la faculte métalinguistique renvoie à la « possi-
bilité que nous avons de nous élever au-dessus de la langue, de
nous en abstraire, de Ia contempler, tout en Tutilisant dans nos
raisonnements et nos observations >. Dans cette optique la
métalinguistique est restrictivement dépendante de la capacite que
le langage a de renvoyer à lui-même. Mais si cette capacité est à
la base de Tactivité métalinguistique, cela implique, du point de
vue psychologique qui est le nôtre, un travail cognitif qui dépasse
largement la stricte activité linguistique (si tant est que, isolée,
cette demière ait d’aiUeurs une quelconque réalité psychologique).
On défendra même dans Ia suite du texte que, du point de vue de
Pactivité cognitive du sujet, toute utilisation autoréflèxive du
langage ne présente pas obügatoirement un caractère métalinguis­
tique.
Comidérations générales 13

1 . L e S CONCEPnONS PSYCHOLINGUISTIOUES

Dans sa revue de question sur le sujet, Chaudron (1983)


caractérise les activités metalinguisti<jues par le fait qu^elles
traitent le langage comme un objet. Objet, precise Content (1985),
dont le sujet peut alors étudier les propriétés et à propos duquel il
peut avoir des intuitions, faire des hypothèses et acquérir des
connaissances. II y a là une première définition psycholinguistique
qui se trouve différemment précisée par les écrits de plus en plus
nombreux à sMntéresser à ce champ d’étude. En fait, ce qui pour
le psycholinguiste différencie le métalangage du langage naturel
est Fattention du locuteur, mais là s’arrete le consensus. En effet,
selon les auteurs Taccent sera mis sur Taspect déclaratif de la
connaissance métalinguistique, sur son aspect procédural, ou
conjointement sur les deux.
Un premier ensemble d’auteurs définit le champ métalinguisti­
que comme renvoyant chez le sujet à la connaissance qu’il a des
traits et des fonctions du langage (C. Chomsky, 1979; Downing
1979) ou, dans une optique plus fonctionnaliste, de sa structure,
de son fonctionnement et de son usage (Bredart & Rondai, 1982).
Dans cette optique, Read (1978) assimile rhabileté linguistique
primaire à connaitre quelque chose et la capacite métalinguistique
à connaitre qu’on le connait. C’est la conscience que le sujet a de
ses connaissances déclaratives sur le langage qui est ici le critère
premier. Dans cette même lignée qui insiste sur le langage en tant
qu’o6yeí de pensée, mais plus soucieuses de situer le fonctionne­
ment métalinguistique dans Tactivité même du sujet (ou plus
influencées par la tradition piagétienne), sont les définitions qui
décrivent Tactivité métalinguistique en termes de réflexion sur le
langage, sa nature et ses fonctions (Pratt & Grieve 19846; Van
Kleeck, 1982), le démarquage par rapport à une conception
linguistique étroite étant d’ailleurs parfois opéré par Pinsistance à
souligner que cette réflexion porte non pas seulement sur les règles
d’une langue particulière mais sur Pactivité de langage dans son
ensemble (Boutet & coll. 1983). Pour sa part, Kolinsky (1986),
tout en définissant la capacité métalinguistique comme la prise en
compte du langage en tant qu’objet, precise que cet objet a une
14 Le développement métalinguistique

stnicture particulière, précision importante pour tenter d’étudier


la spécificité du fonctionnement métalinguistique par rapport à
d’autres activités réflexives sur d’autres produits ou d’autres
processus cognitifs (cf. infra la partie consacrée à la métacogni-
tion).
Dans une autre optique, certains auteurs s’attachent à caracté-
riser Tactivité métalinguistique au cours même du traitement du
langage, que ce soit en production ou en compréhension. L’activité
métalinguistique se trouve alors caractérisée par le controle
délibéré {en anglais le terrae généralement utilisé dans ce cas est
<monitoring ») que le sujet opere sur les processus d’attention et
de sélection en ceuvre dans le traitement du langage (Cazden,
1976; Hakes, 1980). Cazden (1976) precise que normalement
rhabileté à utiliser le langage, comme toute autre habileté
comportementale, ne demande pas un effort cognitif particulier et
que ce processus foncUonne efficacement de façon non contrôlcc
consciemment. Toutefois, occasionnellement, certains aspects du
langage lui-même vont devenir Tobjet principal de Tattention. Se
référant à Taccès au lexique, Cazden donne comme exemple le fait
de s’arrêter pour chercher un mot, ce type d’activité demande une
maitrise (t awareness >) métalinguistique définie comme étant <la
capacite de rendre opaques les formes verbales et de leur prêter
attention en elles-mêmes et pour elles-mêmes » (p. 603). Par cette
formulation, qui n’exclut ni Taspect « conscience du langage *, ni
Taspect de controle, Tauteur évoque la capacité de Tindividu de
s’abstraire de Tutilisation normale du langage pour déplacer son
attention, des contenus transmis aux propriétés du langage utilisé
pour les transmettre.
D’autres auteurs vont de la même façon proposer (explicite-
ment ou implicitement) des définitions qui englobent les aspects
déclaratifs et procéduraux sans paraitre considérer qu’il s’agit là
de deux instances distinctes de Tactivité métalinguistique. C’est le
cas en particulier de Téquipe australienne de Ttmmer (Pratt &
coU., 1984; Tunmer & Bowey, 1984; Tunmer & Herriman, 1984)
qui parle à la fois de réflexion siu: et de manipulation des traits
structuraux du langage, et de controle des mécanismes mentaux
impliques dans le traitement du langage. II y a là deux instances
qui, comme le souligne Kolinsky (1986), méritent d’être distin-
guées. C’est ce que font explicitement Mardew (1983) et surtout
Bialystok (19866; Biaiystok & Ryan, 1985a,6).
Considérations générales 15

Pour Bialystok, les activités métalinguistiques comprennent, d^uiie part^ les


activités d ’anaiyse par le sujet des connaissances linguistiques et, de Tautre, celles
de controle des processus linguistiques, controle qui suppose la sélcctíon et la
coordination d ’informations dans un contexte de contraintes temporelles. Bialystok
postule une relative indépendance entre ces deux « dimensions cogmtives > de la
capacite métalinguistique, L ’anaÍyse des connaissances est requise lorsque la
situatíon de traitement linguistique est épurée des índices contextuels extralinguis-
tiques qui permettent habituellement une production ou une compréhension non
réfléchie* Le controle cognitif conscient intervient lorsque Ia situatíon demande une
prise en compte pri\ílégiée des aspects formeis du langage aux dépends de la
signification. Au contraire, Menyuk (1985), dans son commentaire du modele
proposé par Bialystok, affirme que ces deux dimensions ne sont pas indépendantes
et que la première capacite presente nécessairement une antériorité génétique par
rapport à la seconde, la prise de conscience des traits structuraux du langage étant
un prérequis de leur prise en compte délibérée dans le controle par le sujet de ses
propres activités de traitement linguistique (« we cannot use knowledge that we do
not kaue > — « nous ne pouvons utiliser des connaissances que nous ne possédons
pas >, p, 256).

2 . U sA G E LINGUISTIQUE,
USAGE PSYCHOUNGUISTIQÜE

Quelle que soit la définition retenue, Tacception psycholinguis-


tique du terme « métalinguistique » est donc plus large que celle
correspondant à Putilisation que font les linguistes de cette notion,
Linguistiquement parlant, est métalinguistique tout ce qui a trait
à la métalangue. Autrement dit, le linguiste dépistera « le
métalinguistique » en identifiant dans des productions verbales des
marques linguistiques traduisant des processus d’autoréférencia»
tion (utilisation du langage pour référer à lui-même), le psycholo-
gue quant à lui cherchera dans le comporteraent {verbal ou non)
du sujet des éléments qui lui permettront d^inférer des processus
cognitifs de gestion consciente (de réflexion sur, ou de controle
délibéré), soit des objets langagiers en tant que tels, soit de leur
utilisation.

Cette précision d^ordre terminologique n ’est pas superflue. En effet, cc quí est
métalingmstique pour les uns ne le sera pas forcémcnt pour les autres, Ainsi, la
capacite à adapter un message verbal à différents paramètres de la situatíon
d^énonciation (cf., plus bas, le chapitre sur le développement métapragmatique)
sera, si tant est que Tadaptation soit volontaire de la part du sujet, d ’ordre
16 Le développement métalinguistigue

métalinguistique pour le psychologue; si elle nc se traduit pas par des marques de


surface d'autoréférenciation, les linguistes ne la qualifieront pas de teile, seuls tes
plus fonctionnalistes d’entre eux souligneroni le caractère métacoimnunicatif de
cíette habilctc {la mctacommunication ae référant alors umquement aux aspects non
verbaux de la communication, cf. plus bas la partie traitant de cette nodon). Au
contraire, les commentaires que les jeunes enfams font sur leur propre langage, qui
pour le bnguiste som sans ambiguité possible des productions métalinguistiques, ne
traduiront pas forcément une compétence métalinguistique d ’un point de vue
psychologique. Pour qu’il en soit ainsi, il sera nécessaire que le caractère conscient
et réfléchi de Tactivité cognitive ayant présidé à la production soit établi.

I) est nécessaire, à ce point de Texposé, de dénoncer une


contradiction qui n’est qu’apparente mais qui peut susciter de
vaines controverses. L’objet d’étude privilégié du linguiste est la
langue (le langage, pour les moins orthodoxes). Dans cette optique,
c’est Vénoncé métalinguistigue qui peut constituer un objet d’étude
pour la discipline, les facteurs extra-linguistiques intervenant dans
la production de cet énoncé n’étant consideres que secondaire-
ment. Au contraire, certains de ces facteurs vont constituer le focus
de Tattention du psychologue. Pour lui, la qualification d’une
production linguistigue ne peut être légitimeraent faite qu’en
regard des facteurs psychologiques (et plus particulièrement des
facteurs cognitifs) qui y ont présidé. II parlera de maitrise^ de
capacites^ de comportements, á^attitudes métalinguistiques et les
productions correspondantes n’ont aucune raison de faire Tobjet
des raêmes classifications que celles opérées par le linguiste qui les
appréhende en tant qu’énoncés. Pour être complémentaires les
champs d’étude des uns et des autres et les points de vue quMls
adoptent ont tout avantage à être respectivement délimités et
localisés.

B / La métacognition

A la suite de FlaveU (1976, 1978, 1981; FlaveU & Wellman,


1977), nombreux sont les auteurs qui considèrent que les capacités
métalinguistiques font partie intégrante de la rubrique générale
* métacognition >.
Considérations générales 17

En 1976 Flavell définit ainsi ia métacognition :

« La métacognition se réfère aiix connaissances du sujet sur ses propres


processus et produits cognitifs ou sur toute chose qui leur est retiée, par exemple,
les propriétés des informations ou des données pertinentes pour leur apprentissage.
Par exemple, je déploie ime activité métacognitive (métamémoire, meta-
apprentissage, méta-attention, métalangage, ou autre) si je remarque que j’ai plus
de difficultés à apprendre A que B ; s"il me vient à Tesprit que je dois contrôler deux
fois C avant de Taccepter comme un fa it; s ll me vient à Tidee, dans une situation
de tâche à choix multiples, qu’il est préférable dVxaminer chacune des possibilites
avant de décider quelle est la m eilleure; si je pressens qu’il vaut mieux prendre D
en note car je risque de Poublier (...) Entre autres choses, la métacognition renvoie
au controle actif, à la régulation et à 1’orchestratíon de ces processus en relation
avec les données ou objets cognitifs sur lesquels ils portent, normalement en
fonction d’un but ou d'un objectif concret » (p. 232, notre traduction).

En bref, la métacognition renvoie à toute connaissance qui


prend pour objet ou qui régule tout aapect de toute tâche cognitive,
ce que Flavell (1981) resume par cette formule lapidaire :
« cognition about cognition » (p. 37). En fait, comme le soulignent
Reynolds et Wade (1986), si le terme de « métacognition » est
relativement nouveau, le concept ne Test pas. Ainsi, ces auteurs
citent-ils Vygostky qui en 1934 décrit le développeraent de ce que
l’on appelerait de nos jours méta-attention et métamémoire :

« L’attention, à Torigine ínvolontaire, devient volontaire et de plus en plus


dépendante de la propre pensée de Tenfant : ta mémoire machinale devient
mémoire logique guidée par la signification et peut alors être utilisée par 1’enfant
de façon délibérée. On pourrait dire que Tattention et la mémoire deviennent
“logiques” et volontaires puisque le controle d ’une fonction est la contrepartie de
son caractère conscient » (Vygotsky, 1934/1962, p. 90, notre traduction),

Contrairement à ce qui a été constaté à propos des définitions


du terme « métalinguistique », le consensus est total pour affirmer
que la métacognition englobe les connaissances introspectives sur
les états cognitifs et leurs opérations, et les capacites de Tindividu
de contrôler et de planifier ses propres processus de pensée et ses
produits.
En ce qui concerne Taspect introspectif de la métacognition, il
est possible — comme le font Bialystok & Ryan (19856) pour ce
volet des capacités métalinguistiques — de faire un parallèle avec
ce que Piaget appelle les connaissances opératoires qui se
caractérisent par la possibilite pour le sujet d’opérer des trans-
18 Le déueloppement métalinguistique

formations sur ses propres connaissances en fonction de ce qui est


requis par la tâche à Iaquelle il est confronte. Une question
s’impose alors ; le concept de métacognition a-t-Íl une réelle utilité
{ne serait-ce qu’instrumentale) ou s’agit-il d’un simple change-
ment terminologique sans portée heuristique ? La pertinence d’une
telle question est renforcée par le modele presente par Kitchener
(1983). Cet auteur se fonde sur le constat que le plus souvent les
mécanismes de controle métacognitif décrits dans la littérature
portent sur des tâches très simples et sont insuffisants pour
appréhender avec succès des problèmes dont Tissue est probabi-
liste (cas de la majeure partie des problèmes cognitifs auxquels
l’adulte est quotidiennement confronte). Elle postule alors Texis-
tence, à partir de Tadolescence, de processus de controle de haut
niveau (de niveau < meta-métacognitif ») permettant de résoudre
ces problèmes à issues indéteiminées, processus méta-
métacognitifs qu’elle regroupe sous Tappellation « cognition
épistémique >. Des connaissances primaires à la métacognition
(d’apparition plus tardive) puis à la cognition épistémique se
retrouve esquissé Tensemble du modèle développemental piagé-
tien. Toutefois, il ne semble pas qu’il y ait là une simple
redondance. En effet, pour reprendre des termes en vogue à
Genève dans les années soixante-dix, l’approche en terme de
métacognition peut être conçue comme une opérationnalisation
« procédurale » du modèle « structural » de Piaget, approche
susceptible d’en décupler la portée heuristique et qui nous semble
bien mieux mériter le qualificatif de néo-piagétien (qui parfois
s'ignore) que les approches en termes de traitement de TInforma­
tion et de places limitées en mémoire de travail (ces deux
approches ne sont d’ailleurs pas exclusives Tune de 1’autre et sont,
au contraire, souvent complémentaires). De plus, Tempan de la
métacognition est plus restreint que celui de la cognition, dont
Piaget étudie le développement, il est limite aux processus de
« réflexion » et ne recouvre donc pas, loin s’en faut, Pensemble des
processus cognitifs à 1’oeuvre dans le traitement de hinformation.
Outre le métalangage, les « métacapacités » les plus communé-
ment citées sont : le méta-apprentissage qui renvoie à la
connaissance et au controle des processus d’apprentissage; la
méta-attention qui qualifie la capacité de faire volontairement
attention; la métacognition sociale qui designe la connaissance des
processus cognitifs en oeuvre chez autrui et de leurs implications
Considérations générales 19

comportementales; enfin la métamémoire qui, hormis le métalan-


gage, est un domaine de Ia métacognition unanimement cite et qui
est le plus étiidié.
Au niveau le plus general, la métamémoire coirespond à la capacite de maitriser
sa propre mémoire {Schneider, 1985) et constitue ainsi le lien conceptuel entre la
mémoire et TinteIligence (Brown, 1978), Cette capacite est en queíque sorte le
prototype de la capacite métacognitive, tant il est vrai qu"il est facile d ’y distinguer,
à la suite de Fiavell (qui utilise ce teraie des 1970), Taspect connaissances
déclaratives dans la connaissance des facteurs qui affectent les performances
mnémoniques individuelles — Wellman & Johnson (1979) y ajoutent la compré-
hension des verbes < to remember > (se rappeler) et « to forget » (oublier) — et
Taspect procédural dans les efforts volontaires pour stocker ou retrouver en
mémoire (cf,, par exemple, Fiavell, 1981),

Si, comme il a été signalé plus haut, la plupart des auteurs


considèrent que les capacites métalinguistiques font partie de la
rubrique générale « métacognition », cette position n’en est pas
pour autant unanime. En effet, cette conception qui implique un
primat du métacognitif sur le métalinguistique s’oppose à celle de
Gleitman et coll. (1972) qui voient plutôt une totale séparation
entre les deux domaines, ceux-ci seraient simplement reliés par
quelques habiletés sous-jacentes qui seraient sous la dépendance
du développement général de la conscience. Un troisième point de
vue, celui de Clark (1978), postule des différences mais aussi des
recouvrements entre les capacites métalinguistiques et métacogni-
tives. Enfin, s^appuyant sur le modele de Piaget, Van Kleeck
(1982) tente de concilier les deux demiers points de vue. Pour elle,
les capacites métalinguistiques d’une part et métacognitives de
Tautre sont toutes deux sous la dépendance du développement
cognitif et seraient donc séparées en tant que capacites spécifiques
et susceptibles de recouvrements en tant que domaines d’actualisa-
tion des mêmes nouvelles compétences des sujets. Même si ce débat
demeure marginal, il importe, pour le psycholinguiste, de situer le
plus claireraent possible les capacites métalinguistiques par rap-
port aux autres capacites cognitives.
Au début de cette partie se trouve rappelée la définition que
Fiavell (1981) doune de la métacognition : * la cognition sur la
cognition », qu’en est-il des métacapacités particulières : le méta-
apprentissage est-il « Papprentissage de Papprentissage »; la
méta-attention « 1’attention sur Pattention *; la métamémoire « la
mémoire de la mémoire > ? Certes n o n ! Les caractérisations
20 Le développement métalinguistique

générales qui conviennent sont : cognition sur Tapprentissage;


cognition sur rattention; cognition sur la mémoire. De la même
façon, et nous retrouvons ici la différence de point de vue entre
linguistes et psycholinguistes, Tactivité métalinguistique ne ren-
voie pas au langage sur le langage, mais à la cognition sur le
langage et fait partie integrante des activités métacognitives.
Toutefois, les produits cognitifs sur lesquels porte en partie la
réflexion métalinguistique (les objets linguistiques) présentent des
particularités qui donnent à ce sous-domaine de la métacognition
des caractéristiques tout à fait originales : ce sont des objets
symboliques, mais néanmoins facilement accessibles à la percep-
tion et sans doute ceux qui quantitativement sont le plus
fréquemment manipulés par Tenfant. Leur importance pour le
développement général de la pensée et plus particulièrement pour
le développement métacognitif pourrait donc être primordiale.

C / Métaprocessus, épiprocessus

Les développements précédents mettent en évidence 1’existence


d’un relatif consensus pour affirmer que les activités métalinguisti-
ques (comme d’ailleurs les autres activités métacognitives) ne
peuvent prétendre à ce statut de métalinguistique que si elles sont
effectuées consciemment par le sujet et qu’à ce titre leur émergence
suppose de la part de Tenfant une capacité de réflexion et d’auto-
contrôle délibéré. Cela n’implique pas que, avant Tapparition de
cette capacité, 1’activité cognitive du jeune enfant ne soit pas
contrôlée; Karrailofí-Smith (1983) va d’ailleurs jusqu’à écrire que
« les métaprocessus sont un composant essentiel de racquisition,
qui fonctionne continuellement à tous les niveaux du développe­
ment, et n’intervient pas seulement comme un épiphénomène
tardif > (p. 35-36, notre traduction). En fait, Karmiloff-Smith
utilise le terme de métaprocessus dans une acception large ce qui
Tamène à distinguer des « métaprocessus inconscients * et d^autres
(plus tardifs) accessibles à la conscience et au compte-rendu verbal
(Karmiloff-Smith, 1986, 1987). Cette classification au sein d’une
Considérations générales 21

vaste catégorie regroupant Tensemble des processus « qui opèrent


sur les représentations internes elles-mêmes > (Karmiloff-Smith,
1983, p. 36, notre traduction) qu’ils soient ou non conscients
trouve son écho à propos des activités métalinguistiques chez
Kolinsky (1986) qui, à la suite de Hakes (1980) distingue les
comportements métalinguistiques précoces, épisodiques, et ceux
ultérieurs qui peuvent être obtenus par des soUicitations extérieu-
res. De même, Levelt & coll. (1978) qualiíient de « métalinguisti­
ques » à la fois des phénomènes qu’ils affirment eux-mêmes être
à la limite de la conscience (comme les auto-corrections spontanées
du jeune enfant) et d’autres qui sont clairement le résultat d’une
réelle réflexion explicite siu* le langage. C’est Tacceptation d’une
définition aussi large qui amène un certain nombre d’auteurs à
affirmer 1’existence d’activités métalinguistiques précoces avant
quatre ans et demi - cinq ans, voire même dès deux ans (cf. infra).
En fait, il semble bien que par le même vocable se trouvent
ainsi désignés des phénomènes dont la similarité est üée à un biais
d'observation. En 1984, Gilliéron écrit : « Toute connaissance est
nécessairement “méta” du point de vue de Tobservateur. EUe porte
non pas sur le réel mais sur Tintelligibilité du réei ». La description
psychoiogique pertinente ne peut se faire in abstracto et exige de
"la part du chercheur ou du théoricien une décentration lui
permettant d’accéder à la signification des comportements dans le
contexte cognitif des sujets qui en sont les auteurs. A la suite de
Bredart & Rondai (1982), de Chaudron (1983) ou de Kolinsky
(1986) nous pensons qu’il faut distinguer entre, d’une part les
habiletés constatées dans des comportements spontanés et, de
1’autre, les capacités fondées sur des connaissances systématique-
ment représentées et pouvant être délibérement appliquées. Plus
qu’une différence de degré, c’est une différence qualitative dans
l’activité cognitive elle-même qui nous semble séparer ces deux
ensembles de comportements. La clarté terminologique exige donc
qu’ils ne soient pas désignés par la même appellation.
Une façon satisfaisEmte de bien marquer la différence pourrait
être d’utiliser systématiquement 1’expression « habileté métahn-
guistique » (< metalinguistíc skill >) pour désigner les connaissan­
ces linguistiques appliquées plus ou moins automatiquement sans
réflexion ni décision délibérée de la part du sujet et de réserver
Pexpression « capacité métalinguistique > (< metalinguistíc abi~
lity ») quand ce caractère délibéré et réfléchi est étabU (pour une
22 Le développement métalinguistique

discussion de la distinction entre « skilb » et « abilities » cf.


Anamon, 1981). Mais outre le fait que ces syntagmes ne se prêtent
pas facilement à Tadjectivation, force est de constater qu’ÜB ont
jusqu’alors été employés indifféremment Tun pour Tautre dans la
littérature (même si implicitement certains auteurs semblent en
différencier 1’usage). Tout en nous efforçant de respecter cette
distinction, il nous faut donc chercher ailleurs notre différenciation
terminologique.
En 1968 Culioli écrit ;

* Le tangage est une acdvité qui suppose elie-même une perpétuelle activité
épiiinguistique (définie comme * activité métalinguistique non consciente »), ainsi
qu’une relation entre un modèle (la compétence, c’est à dire Tappiopriation et la
maitrise acquise d ’un système de règles sur des unités) et sa réalisation (la
performance) dont nous avons !a trace phonique ou graphique, des textes »
(p. 1 0 8 ).

Ce concept á ’épiiinguistique n’a guère eu de succès et n’est


jamais sorti des frontières de la francophonie (si Ton excepte
Tutilisation fugace, dans une acception différente, qu’en fait
Karrailoff-Smith, auteur autant francophone qu’anglophone, en
1979a). On le retrouve néanmoins sous la plume de quelques
linguistes ou psycholinguistes francophones et semble parfaite-
ment adéquat à la classe de phénoraènes que nous voulons lui faire
décrire. Nous emploierons donc ce terme <épiiinguistique » pour
désigner les c activités métalinguistiques inconscientes posant
par définition que le caractère réfléchi ou délibéré est inkérent à
Vactivité métalinguistique au sens strict (tout conune ailleurs
— Goifibert, 1987; Gombert & Fayol, 1988 — nous différencions
plus généralement les épiprocessus des métaprocessus]. Pour
Culioli ces activités épilinguistiques sont impliquées dans tout
comportement langagier et représeutent donc Pautoreférenciation
implicite automatiquement presente dans toute prodnction lin-
gnistique. Cette conception est inhérente à Tacception linguistique
qui légitimement est celle que Culioli donne à « métalinguistique »,
le glissement sémantique opéré par les psycholinguistes à propos
de ce terme se retrouvera donc logiquement pour celui d’< épilin-
guistique ». Nous réserverons donc Tusage d’< épiiinguistique » à
la désignation des comportements qui s’apparentent aux compor-
tements métalinguistiques mais dont le caractère non-conscient
semble être étabii. La contrainte du caractère réfléchi et déli-
Considérations générales 23

béré permet de différencier nettement le concept de compétence


métalinguistique du concept chomskien de compétence linguis-
tique, En effet, ce deniier concept renvoie à une connaissance
inconsciente que le locuteur a de l’ensemble des règles qui
déterminent la grammaticalité des phrases, ce que Chomsky
(1965) appelle la connaissance tacite, La compétence linguistique
n’exige en aucun cas que 1’individu soit capable d’expliciter les
règles qu’il suit lorsqu’it parle ou lorsqu’il est en position
d’auditeur. En d^autres teimes, Vintuition linguistique n’est pas de
Tordre du métalinguistique. Quant à « répilinguistique », la
restriction et le déplacement que nous avons opérés suffisent à le
différencier des concepts de la grammaire générative.
II devient clair qu’un des problèmes principaux pour le
psycholinguiste s’intéressant au développement métalinguistique
est celui de la mise en évidence du caractère conscient d’une
activité mentale. Traditionnellement, la conscience est attestée par
la capacité du sujet à expliciter verbalement les déterminants de
ses propres comportements. Cette approche introspectionniste
n’est malheureusement pas toujours satisfaisante. En effet, si en
première analyse on peut appliquer le qualificatif « conscient » aux
processus cognitifs explicitables par le sujet (et encore, la possibi-
lité de reconstructíon a postériori d’une démarche plausible n’est
pas à écarter), il est clair que la non-explicitation ne suppose pas
obligatoireraent la non-conscience. Clark (1978) signale que ceci
est d’autant plus vrai que Ton s’intéressera à de jeunes enfants
dont il est peut-être difficile d’attendre qu’ils commentent claire-
ment un langage qu’ils viennent juste de commencer à acquérir.
Toutefois, comme le rappelle Kolinsky (1986) en se référant à
Piaget (1974a,ò), que la verbalisation ne soit pas un critère
suffisamment sensible pour établir la conscience n’implique pas
qu’elle ne joue aucun rôle dans le développement métalinguistique.
En particulier, la thèse piagérienne selon laquelle les tentatives de
verbalisation d’une action sont susceptibles de permettre Pacces-
sion à un niveau supérieur de conscience pourrait être étendue aux
actions linguistiques.
Si la non-conscience est difficile , voire impossible, à établir à
propos des comportements spontanés, il est toutefois possible d’en
établir la vraisemblance dans des situations expérimentales en
essayant de montrer que les comportements adaptes observés dans
la résolution de tâches métalinguistiques (par exemple une tâche
24 Le développement métaUnguistique

de correction graminaticale) ne diffèrent pas de ceux provoques


par des tâches voisines non-métalinguistiques ou prescrivant un
controle conscient dont Teffet attendu est inverse dc cclui prédit
pour la première tache {par exemple une tâche de répétition
verbatira de phrases agrammaticales). Une autre voie féconde,
mais qui pose chez le jeune enfant des problèmes difficiles à
résoudre, pouirait être 1’analyse des temps de réponse des sujets,
quciqu’!! y ait là un risque de confusion entre controle et
conscience.

D / Métalangage^ métacommunicatíon
et capacites métapragmatíques

Le degré de formalisme des diverses sítuations de traitement


du langage n’est pas indifférent quant à í’exigence ou non, pour la
résolution du problème linguistique posé, d'un fonctionnement
véritablement métalinguistique plutôt que simplement épilinguis-
tique. Par exemple, Bialystok ác Ryan (1985o,6) suggèrent que les
conversations dans des contextes naturels demanderaient peu de
connaissances explicites sur le langage et peu de controle délibéré,
Fattention des interlocuteurs étant centrée sur les sígnifications. En
revanche, les tâches du type lecture et écriture demanderaient un
plus haut niveau d’activité métalinguistique. Ces auteurs éclairent
cette différence en utilisant la distinction entre tâches métacommu-
nicatives et tâches métalinguistiques^ la maitrise métacommunica-
tive dans laquelle Tattention du sujet est portée sur Tintention de
communication étant cognitivement moins coúteuse, ou moins
complexe, donc plus precoce, que la maitrise métalinguistique qui
demande la capacité à porter son attention sur les aspects formeis.
Pour Flavell (1977, 1978, 1981) la métacommunicaüon
renvoie à la connaissance que le sujet a des facteurs qui
interviennent dans tout comportement participant à une activité
de conununication, qu’il s’agisse d’un comportement verbal ou
d’un comportement non verbal, et en particuHer la connaissance
des facteurs liés aux personnes en interaction, ceux liés à la tâche
Comidérations générales 25

à accomplir, et ceux liés à la stratégie du locuteur. Van Kleeck


(1984) propose une définition quelque peu différente. Cet auteur
postule que Ia métacommunication se réfère uniquement aux
aspects non verbaux de la situation de communication verbale, ce
qui la distingue de la réflexion métalinguistique sur le langage lui-
même. Ainsi, Tactivité métacommunicative porterait à la fois sur
le flux de la conversation et sur le contexte extra-linguistique dans
lequel une production particulière doit être interprétée {échanges
de regards, postures, mimiques, contacts, distance interperson-
neile, intonation, habillement, etc.). Dans cette optique, « le
métacommunicatif » ne serait donc pas susceptible de recouvre-
ment avec « le métalinguistique ».
Le débat quant au recouvrement ou non entre le domaine
métalinguistique et celui de la métacommunication ne nous
concerne pas directement. En effet, le fait que la métalinguistique
appartienne ou non à la métacommunication n’estpas susceptible,
en première instance, d^affecter Tanalyse des comportements
métaünguistiques mais plutôt celle des comportements métacom-
municatifs, analyse qui n’entre pas dans notre propos. Toutefois,
il importe de distmguer les comportements métacommunicatifs des
comportements métapragmatiques, qui eux feront Tobjet d’un
chapitre de cet ouvrage.
Pour Bates, 1976, la maitrise (« awareness »] métapragmati-
que correspond à Ia maitrise consciente de la part du sujet des
règles sociates du langage (mots et toumures quMI convient
d’employer dans telle ou telle situation, manière de parler, manière
de conduire la conversation, etc.) telle qu’elle est reflétée dans ses
commentaires explicites. Reprenant cette définition, Van Kleeck
(1984), comme eUe le fait pour la métacommunication, rejette les
comportements métapragmatiques hors du champ de la métalin­
guistique prenant argument du fait que Tactivité métapragmati-
que porte sur Tutilisation sociale du langage et non sur le langage
lui-même. Telle n’est pas la position de Hickmann (1983) qui
définit la capacite métapragmatique comme « une capacite
métalinguistique particulière, notamment la capacité de représen-
ter, d^organiser et de réguler les emplois mêmes du discours »
(P- 21).
Si nous acceptons que les activités métaünguistiques regrou-
pent Tensemble des activités qui supposent une réflexion et/ou un
controle délibéré sur le langage, les activités métapragmatiques
26 Le développement métalínguistique

üous semblent naturellement correspondre aux activités métalin-


guistiques qui portent sur les aspects pragmatiques du langage,
aspects qui, selon Bates elle-même, regroupent Tensemble des
< règles indicielles qui relient une forme linguistique à un contexte
donné » (p. 3, notre traduction). Nous nous rallions donc au point
de vue de Hickinann tant il est vrai qu’tl parait difficile d'exclure
la métapraginatique de la métalínguistique sans exclure la prag-
matique du langage de la linguistique. Ce serait là une entreprise
qui irait à contre-courant de I'évolution de cette discipline. Un
linguiste pourrait peut-être sV risquer, un psycholinguiste qui
adopterait une telle position risquerait d'amoindrir à Textrême son
domaine de recherche.
Quant à la métacommunication, la necessite de limiter les
recouvrements entre concepts, nous conduit à adhérer à la position
de Van Kleeck tout en suggérant que la maitrise des aspects non-
verbauA de la situation de commuaication verbale est indépen-
dante des caractéristiques linguisüques des discours et correspond
donc à la maitrise des facteurs à l oeuvre dans toute activité de
communication qu‘elle soit verbale ou non. II y a ici encore, un
glissement terrainologique par rapport à Tacception linguistique,
les linguistes, à la suite de Watzlawick et coll. (1967) utilisant
généralement ce concept de façon restrictive comme renvoyant aux
actes illocutoires intervenant dans un échange particulier (cf.
Caifi, 1984).

E / Conclusíon

A propos de Tutilisation de certains concepts piagétiens, notre


maitre Pierre Gréco (1980) écrit :

« On p€ut bien appeler *^schème^ ou ‘‘opération’" ce qu^on veut, à conditíon que


la définitíon choisíe permette de repérer sans trop de subtUités ou d^hypocrisie les
observables * (p. 633).

Nous sommes ainsi invité à trancher dans la polysémie qui


semble être de règle pour les concepts présentés dans ce chapitre
Considérations générales 27

introductif. Ainsi, dans Ia suite de cet ouvrage il faudra entendre


par :
Mêtacognition : domaine qui regroupe; 1- les coiiiiaissances
introspectives conscientes qu’un individu particulier a de ses
propres états et processus cognitifs, 2- les capacites que cet
individu a de délibérement contrôíer et planifier ses propres
processus cognitifs en vue de Ia réalisation d’un but ou d’un
objectif déterminé.
Métaprocessus : processus cognitifs accessibles à la conscience
participant à Ia mêtacognition
Métalangage ou acüvités métaiinguistiqiies : (différent de
« métalangue » cf. supra) sous-domaine de la mêtacognition qui
concerne le langage et son utilisation, autrement dit comprenant;
1- les activités de réflexion sur le langage et son utilisation, 2- les
capacites du sujet à contrôíer et à planifier ses propres processus
de traitement linguistique {en comprêhension ou en production).
Ces activités et ces capacitês peuvent concerner tout aspect du
langage qu’il soit phonologique (on parlera alors á''activités
métaphonoLogiques)^ syntaxique [activités métasyntaxiques)^
sêmantique [activités métasémantiques) ou pragmatique [activités
métapragmatiques).
Activités épilinguistiques : comportements prêcocement avêrés
qui s’apparentent aux comportements mêtalinguistiques mais qui
ne sont pas (et n’ont jamais êté, cf. chapitre VIII) contrôlês
consciemment par le sujet. II s’agit en fait de manifestations
explicites, dans les comportements des sujets, d’une maítrise
fonctionnelle de règles d’organisation ou d’usage de la langue.
Epiprocessus : Processus inaccessibles à la conscience, mani­
festes dans les activités épilinguistiques (comme plus généralement
dans les activités épicognitives)^ participant à la gestion, à la
régulation et au controle du traitement linguistique (ou d’autres
tâches complexes).
Le découpage de Tactivité métalinguistique en plusieurs
activités particulières est quelque peu artificiei, le psychologue
préférerait sans doute une articulation qui tienne mieux compte
des spécificités et des niveaux de complexité des processus cognitifs
impliques dans les différents comportements mêtalinguistiques.
Une telle classification, si elle reste un objectif souhaitabíe à terme,
28 Le développement métalinguistique

nous semble toutefois prématurée. Par ailleurs, chacun des sous-


domaines cites regroupe des travaux qui s’articuient les uns avec
les autres ce qui n’est pas le cas d’un sous-domaine à I’autre. Cet
impératif d'ordre pédagogique nous conduira à utiliser les diffé-
rents niveaux d^analyse linguistique mentionnés précédemment
comme ossature de Texposé. Les chapitres suivants seront donc
successiveraent consacrés au développement métaphonologique,
au développement métasyntaxique, au développement métasé-
mantique puis au développement métapragmatique. Elargissant la
f>erspective, nous consacrerons ensuite un chapitre au développe-
raent métalinguistique textuel, largement délaissé dans la littéra-
ture, puis un chapitre aux spécihcités de la manipulation de Pécrit.
Nous tenterons enfin une synthèse du développement métalinguis­
tique avant de revenir brièvement en conclusion à la discussion du
concept de < conscience » central tout au long de notre propos.
CHAPITRE II

Le développement
métaphonologique

A / Introduction

L’acception du terme métaphonologie est ici différente de celle


que lui donnent Boysson-Bardies et coll. (1984) ou Oller et coll.
(1985) qui utilisent ce terme pour qualifier les paramètres qui
jouent un rôle dans l’établissement de la phonologie, en d’autres
termes qui spécifient les sons langagiers par rapport aux autres
sons. En tant que capacite métalinguistique particulière, la
capacite métaphonologique correspond à la capacite d ’identifier
les composants phonologiques des unités linguistiques et de les
manipuler de faqon délibérée (ce que les anglo-saxons appellent
généralement « phonological awareness »). Ce champ d’étude est
sans doute, de ceux qui seront abordes dans cet ouvrage, le plus
homogène (ponr des revues de question détaillées, cf. Content,
1984, 1985; Morais & coll., 1987a; Nesdale & coll., 1984). En
particulier, Téquipe bruxelloise de Paul Bertelson, dont les travaux
seront abondamment cites, développe depuis plusieurs années sur
ce thème, un ensemble de recherches d’une rare fécondité.
A la suite d’autres auteurs, Content (1985) invite à distinguer
clairement la capacite à analyser explicitement la parole en ses
composants phonologiques, des processus d’analyse non conscients
et automatiques qui ont cours dans les activités habituelles de
perception et de compréhension du langage. En effet, une chose est
de manifester un comportement linguistique qui suppose Textrac-
30 Le développement métalinguistique

tion et la prise en compte d^unités phonologiques de tailles


variabies, autre chose est d’appréhender le mot comme un objet et
de réaliser qu’ÍI est composé de segments isotables : les syllabes et
les phonèmes. C’est de rapparition et du développement de ce
dernier type de capacite dont il sera ici question.
Dans la première partie de ce chapitre, seront rapidement
rappelées les données disponibles sur les habiletés precoces à
discriminer les sons langagiers, habiletés qui constituent un
prérequis non seulement des capacites métaphonologiques ulté-
rieures, mais aussi, en amont, de la compréhension du langage.
L’émergence de la conscience métaphonologique sera ensuite
étudiée à la lumière des expériences consacrées à Tidentification et
au dénombrement des syllabes et des phonèmes par Tenfant. La
mise en place du controle métaphonologique sera quant à elle
iilustrée par Pétude des manipulations phonologiqpjes, en particu-
lier par le biais de taches d’analyses et de synthèses. Sur le sujet
abordé, la discussion ne saurait rester à un niveau théorique. II
existe, en effet, une très importante littérature consacrée à Tétude
des rapports qui existent entre les capacites métaphonologiques et
les performfmces des enfants lors de Tapprentissage de Ia íecture.
Cette question sera abordée à la fin du chapitre avant une demière
partie tentant de résumer et de synthétiser les données rapportées.

B / La discrimination précoce des sons langagiers

Les travaux établissant sans ambiguité que dès ies premiers


mois, voire dès les premiers jours, le bébé est capable de
discriminer de petites différences dans les sons langagiers sont de
plus en plus nombreux (pour une revue de question critique, cf.
Bertoncini, 1984),
Ces travaux utilÍBcnt pour ta plupart le paradigme experimental de l^habitua-
tion* Autrement dit, ils sUntéressent à la réponse de Tenfant confronte à une
stúnulation nouvelle, après une période d^habituation à une autre stimulation. Si
on presente de façon repétitivc un son (par exemple /ba/, /ba/, /ba/, .„) à un bcbé
age de un mois ou plus, on recueille dans un premier temps une reponse du bcbé
Le développement métaphonologique 31

à la nouveauté {par exemple une décéléraljon cardíaque ou une augmentation de


la fréquence dea succions non nutrilives), au cours de la suite répétitive le laux de
la réponse diminue; si un autre son (par exemple /pa/) est intercale dans la suite
on observe un soudain reièvement du taux de réponse (Eimas & colb, 1971)* La
réapparition d'une réponse à Ia nouveauté atteste de la discrimination fonctionnelle
enue les deux sons, En cffet, si le bébé n'avait pas perçu une différence entre les
sons la courbe d"babituation aurait poursuivi sa décroissance (ou sa stagnation si
le taux initial de réponse avait déjà rejoint la ligne de base, c’est à dire le taux
normal hors stimulation)* Le même type de résultat a été rctrouvé pour les sons
/ba/ et /ga/, /ba/ et /m a/, /bi/ et /di/ ou /si/ et pour les voyelles* En fait, la plupart
des contrastes phonétiques semblent aussi bien discrimines par le nouirisson que
par Tadulte* En particulier, comme le montrent Bertoncini & Mehler (1981), les
variations de traits phoncmiques semblent mieux perçues dans les syllabes (par
exemple, /tap / us. /pat/) que dans les ensembles non syllabiques de phonèmes (par
exemple, /tsp / vs. /pts/)* Par ailleurs, Mehler (1986) montre que dès Tâge de cinq
jours le nouveau-né différencie sa langue matemelle d^une autre langue*

Le système auditif étant fonctíonnel plusieurs semaines avant


la naissance, ces résultats pourraient en paitie étre liés à Texpé-
rience auditive du foetus pendant la vie intra-utérine. C’est ce quí
est suggéré par les résultats de DeCasper & Spence (1986) qui
montrent, en utilisant comme réponse les succions non-nutri tives
mais par une technique de choix opérants, que les nouveau-nés
discriminem d’un autre discours formellement comparable, une
courte histoire qui avait été lue quotidiennement par les mères
pendant les six dernières semaines de la grossesse. De même ils
sont capables de discriminer d’une autre voix, la voix de leur mère
mais pas ta voix de leur père (DeCasper & Prescott, 1984). En fait
ces données doivent être nuancées par celles de Streeter (1976) qui
montre qu’il existe à la fois des sons qui sont différenciés par tons
les bébés et d’autres qui le sont uniquement par ceux qui ont été
confrontés à des exemples de ces différents sons dans le langage
qu’ils ont entendu. Ces données sont confirmées par les études qui
montrent que les nourrissons peuvent discriminer des contrastes
phonétiques absents de la langue de leur entourage (cf. Lasky &
coll., 1975). 11 y aurait donc des mécanismes de traitement
capables de fonctionner sans exposltion préalable aux contrastes
sonores consideres. C’est ce qui conduit Eimas (1985) à faire
rhypothèse de Texistence d’un mécanisme inné de la perception du
langage. Pour cet auteur, dans la suite de Pévolution les enfants
conserveraient et vraisemblablement affineraient les capacites
perceptives correspondant aux distinctions phonétiques de leur
langue matemelle mais perdraient la capacite de détecter les
32 Le développement métalinguistique

distinctions qui n’existent pas dans cette langue. C’est ainsi, par
exemple, que les Japonais ne peuvent discriminer les phonèmes /r/
et /!/, contraste ímportant dans d’autres langues comme Tanglais
ou le français (Miyawaki & coll., 1975).
Si rinnéité de certaines propriétés générales du système auditif
n’est pas discutable, il n’en est pas de même de Texistence de
mécanismes innés spécifiques à la perception de la parole (Jusczyk,
1981). Dans un tout autre domaine, Pisacreta & coll. (1986)
montrent, par une technique de conditionnement opérant, que les
pigeons peuvent discriminer certains mots de Tanglais parle. Par
ailleurs, des capacites de discrímínation et de catégorisation
phonémiques ont été mises en évidence chez le macaque rhésus et
le chinchilla (cf. Kuhl, 1987a,6). Personne ne songe à affirmer
qu'il existe chez Tanimal des mécanismes spécifiques de Ia
perception du langage. En fait, comme le signale Bertoncini (1984,
p. 43), dans Pétude de Ia perception de la parole par le bébé
* beaucoup de résultats peuvent s’expliquer sur la base d’un
traitement acoustique des indices présents dans le signal sans qu’il
soit nécessaire de postuler un mode de perception distinct >. De
fait, Cutting & Rosner (1974) montrent que les bébés traitent les
sons langagiers et non langagiers de la même façon.
Comme le font remarquer Nesdale & coll. (1984), il est
Ímportant de bien distinguer la discrimination precoce des sons
(qu’i!s soient ou non langagiers) et la maitrise phonémique (qui,
elle, est de nature métaphonologique), la première est manifeste-
ment plus précoce que la seconde, de plus elle a vraisemblable-
ment, chez le bébé comme chez Padulte, un caractère automatíque
et obligatoire (pour se convaincre de ce phénomène chez Tadulte
il suffit d’essayer de ne pas discriminer /ba/ et /pa/),

Waltach & coll. (1977) comparent dem groupes d ’enfants de 5-6 ans issus d ’un
milieu social défavorisé pour le premier et de classe moyenne pour le second. Dans
une première cpreuve on nomme devant les enfants des réfcrents dont les noms ne
diffèrent phonologiquement que par le phonème initial — par exempleja il (príson)
et whale (baleine) —, les enfants doivent designer chacun des objets sur des images.
Dans une seconde épreuve des images représentant des référents dont les noms
sont phonologicpiement très contrastes — par exemple man (homme) et kouse
(maison) — sont presentees aux enfants qui doivent designer celle représentant un
référentdont le nom commence par un certain son (par exemple, /m /). La première
épreuve ne mobilise que des habiletés à discriminer alors que la seconde exige
1'identification consciente d ’un phonème. Les résultats montrent que, alors que la
première épreuve est subie avec succès par tous les enfants quel que soit leur milieu
Le développement métaphonologique 33

social d’origine, la réussite à la seconde éprcuve atteint à peine 50% chez les
enfants socialeirieul dcfavorisés bien quVIlc soit presque totale dand Tautre groupe,

Au delà des considérations sur les effets d’un milieu plus ou


moins favorisant, ces résultats mettent en évidence Tindependance
entre la discrimination des sons langagiers et la maitrise phonémi-
que. Si la première est bien évidemnient un prérequis de la
seconde, elle n’en constitue pas une condition suffisante. Autre-
ment dit, une discrimination fonctionnelle entre deux sons langa­
giers n’implique pas une identification consciente de la différence
phonologique qui existe entre ces sons. Ces deux types d’appréhen-
sion du langage devront donc être clairement différenciés dans les
comportements suscités par les tâches expérimentales destinées à
étudier le développement métaphonologique.

C/ identification métaphonologique

1 . I j A d if f é k e n c i a t i o n e n t r e l e s s o n s l a n g a g ie r s
ET NON LANGAGIERS

Au cours d’une série d’expériences dont il sera ici question à


plusieurs reprises, Smith & Tager-FIusberg (1982) étudient, chez
des enfants âgés de 3 à 5 ans, la capacité de différencier les sons
du discours (« speech sounds ») et d’autres sons {par exemple, un
cliquetis ou un ronfleinent). Dans une phase d’entramement, elles
présentent aux sujets pris individuellement un ensemble de sons
parmi lesquels se trouvent d’une part des syllabes et d’autre part
des bruits divers. Pour chaque son, Tenfant doit dire s’il appartient
ou non au langage, rexpérimentateur corrigeant au fur et à mesure
les erreurs commises par le sujet. Immédiatement après cet
entrainement, une phase expérimentale identique (mais évidem-
ment sans feed-back correctif) est proposée au sujet. Les taux de
réussite (63 % à 3-4 ans et 67 % à 4-5 ans) sont signicativement
supérieurs à la réponse au hasard (50%, à .01 les limites de
confiance sont de 40 % et 60 %). En outre, 22 % des enfants à 3-4

I E. <X>3HBERT — 2
34 Le développement métalinguistique

ans et 28 % à 4-5 ans fournissent au moins neuf bonnes réponses


sur les dix demandées. Les auteurs mettent ces résultats au crédit
de la thèse de Texistence de capacites métaphonologiques precoces.
Sans niettre en doute le caractère effectif des performances
observées, il est douteux qu’elles traduisent bien une quelconque
réflexion sur le langage. En effet, qu’adviendrait-il à la suite d’une
tache n’impliquant que des sons non langagiers {par exemple une
tache dans laquelle il s’agirait de différencier des cris d’animaux,
d’autres sons non langagiers). L’hypothèse la plus vraisemblable
est qu’on observerait des taux voisins de réussite invalidant ainsi
rinterprétation des auteurs au profit d’une interprétation en
termes de capacites de discrimination et de catégorisation globale
des stimuli sonores. La conscience métaphonologique ne peut être
attestée que par des discriminatíons réfléchies au sein même du
système phonologique de la langue,

2. L ’IDENTIFICATION SYLLABIQUE

Les travaux les plus nombreux à s’intéresser à Tidentification


consciente des syllabes sont ceux qui traitent de Tidentification
precoce de rimes par Tenfant, comportement linguistique dont
Fexpérience quotidienne et la lecture des monographies donnent
des exemples frappants souvent difficiles à interpréter et à
généraliser. Ainsi, Nesdale & coll. 1984 rapportent les propos de
Kate âgée de 3 ans et 1 mois : « Can I have a bit of cheese please ?
(Puis-je avoir un morceau de fromage, s’il te plait?) — cheese
please — that^s a rhyme (cheese please — c’est une rime) >.
Par une technique de choix forcés, Lenel & Cantor (1981),
étudient cette capacite d’identifier des rimes chez des enfants âgés
de 4 à 7 ans. Par exemple Tenfant doit d ire des deux mots « chair »
(chaise) et «flag » (drapeau), celui qui rime avec «pear * (poire).
Dans Ia phase expérimentale, qui suit six essais avec feed-back
correctifs, les taux de réussite sont de 77 % à 4-5 ans, de 83 % à
5-6 ans et de 87 % à 6-7ans. Par une technique similaire, Smith
& Tager-Flusberg (1982) trouvent des résultats voisins à 4-5 ans
(79%) et 67 % de réussite à 3-4 ans. De plus ces demiers auteurs
rapportent que, dès cet âge, 28 % de leurs sujets donnent au moins
neuf bonnes réponses sur dix.
Le développement métaphonologique 35

Comme le soulignent plusieurs auteurs {cf, par exemple


Content, 1985), il est de mieux en mieux établi que la réussite dans
ce type d'’épreuve ne requiert pas d’identificatioii explicite de la
syllabe et qu’elle peut être expliquée par la seule utilisation des
ressemblances globales entre les mots presentes.

Content & coll. {1986c) mettent d^ailleurã en évidence qu’il n ’y a aucune


corrélation entre les performances dans les tâches de jugement de rimes et celles
dans d’autres tâches métaphonologiques, ceei aussi bien chez des enfants * tout-
venant » de 6 et 7 ans. que chez, des dyslexiques de 6 et 9 ans, des adultes
analphabètes et des adultes ayeint apprís à tire à 1'adolescence.

En définitive, la seule expérience pouvant se rapporter à une


discrimination métaphonologique de la syllabe, semble être celle
de Liberman {1973, Liberman & coll. 1974} qui demande à des
enfants de 5, 6 et 7 ans, de répéter des mots plurisyllabiques puis,
pour chaque mot, de taper sur la table autant de fois qu’il y a de
syllabes. La phase expérimentale qui comporte 42 essais, suit une
phase d’entrainement composée de 12 essais, dans Tune et 1’autre
phase les sujets bénéficient d’une correction explicite des erreurs
commises. En prenant comme critère de succès la réussite à six
essais consécutifs, le taux de sujets subissant Tépreuve avec succès
est de 46 % à 5 ans 48 % à 6 ans et 90 % à 7 ans. Ces sujets
performants ont, pour réussir Tépreuve, besoin en moyenne de
25,7 essais à 5 ans, 12,1 essais à 6 ans et 9,8 essais à 7 ans. Enfin
les pourcentages de sujets réussissant Tépreuve dès les six premiers
essais sont respectivement de 7%, 16% et 50%.

3. L 'IDENTIFICATION DES PHONEMES

La difficulté de l’identification croit considérablement lors-


qu’on passe de la syllabe, que de nombreux auteurs considèrent
comme 1'unité naturelle de la segmentation du discours (cf. par
exemple Mehler, 1981), au phonème qui suppose une décomposi-
tion de cette unité.
Liberman (1973; Liberman & coll., 1974), parallèlement aux
tâches de dénombrement de syllabes (cf. supra), applique la même
méthode à Tétude des capacités des enfants à discriminer
consciemment les phonèmes. II s’agit donc pour les sujets de 5, ó
36 Le dêveloppement métalinguistique

et 7 ans de répéter une syllabe ou un nmot unisyllabique puis de


taper sur la table autant de fois qu’Ü y a de phonèmes {de 1 à 3).
Ici encore, lors de ta phase d’entrainement composée de 12 essais,
comme lors de la phase expérimentale qui en comporte 42, les
erreurs sont corrigées expíicitement par Texperimentateur. Le
critère de la réussite à six essais consécutifs donne un taux de
succès nul à 5 ans, de 17 % à 6 ans et de 70 % à 7 ans. Quel que
soit son âge aucun sujet ne réussit directement les six premiers
essais et le nombre moyen d’essais nécessaires à la réussite est de
26 que ce soit à 6 ans ou à 7 ans. Hakes (1980) qui reproduit
fidèlement Texperience de Liberman avec des enfants âgés de 4 à
9 ans obtient des taux de réussite légérement supérieurs : 10% à
4-5 ans, 30 % à 5-6 ans, 85 % à 6-7 ans, 95 % à 7-8 ans et 100 %
à 8-9 ans. Ce type d’épreuve ne semble donc réussi que vers 6-7
ans. Bien évidemment, outre l’âge, un facteur importam qui
différencie les groupes est Teffet chez les enfants les plus âgés de
Tabord de Técrit à travers Tapprentissage de la lecture. II est
possible que, chez ces demiers, un processus de visualisation de la
syllabe présentée détermine un simple comptage des lettres la
composant. II y a donc un risque de confusion entre phonème et
graphème.
Cette dernière analyse est validée par les résultats de Tunmer & Nesdale (1982)
qui dupliquent 1’épreuve de Libennan, mais avec Ia moitié des items contenant des
phonèmes qui à l’écrit sont representes par deux graphèmes — par exemple
* book » (livre) qui comporte trois phonèmes mais quatre graphèmes comme le moí
Trançais * bouc >. Avec les items ne contenant pas de lei digraphe, ces auteurs
retrouvent les 70 % de réussite à 7 ans constates à 1’issue de Texperience de
Liberman. En revanche, seulement 35 % des sujets de cet âge subissent 1’épreuve
avec succès quels que soient les items. Seuls ces demiers sujets manifestent une
capacite à díscríminer les phonèmes.

Le simple dénombrement des phonèmes ne semble donc


p o u v o ir être effectué que relativement tard, les choses se compli-
quent encore lorsqu’il s’agit, non plus d’un simple dénombrement,
mais d’une identification de chacun des phonèmes composant une
syllabe. Calfee & coll. (1973) demandent à des sujets âgés de 6 à
17 ans d’arranger des cubes de couleur conformément à Tarrange-
ment des phonèmes dans des syllabes qu’ils leur présentent
oralement. Dans une première tâche, les sujets entendent des
syllabes composées des deux phonèmes /Í/ et /p / combines de
différentes façons (/pi/,/ip/,/pip/...), ils doivent alors disposer les
Très jeune, 1'enfant est capable de manipuler correctement le langage,
aussi bien en compréhension qu'en production. Ces habiletés pré-
coces n'impliquent en rien que, parallèlement à rémergence du langage,
s'installe d'emblée une capacité à « réfiéchir » sur les objets symbo-
liques ainsi manipulés et à en contrôler délibérément l'utilisation. En
d'autres termes, rémergence des capacités métalinguistiques doit être
distinguée de Ia simple mise en place des capacités de communication
verbale.

On trouvera dans cet ouvrage une revue détaillée de Ia plupart des


résultats expérimentaux et faits d'observation concernant le dévelop-
pement métalinguistique. Les aspects phonologiques, syntaxiques,
lexicaux, sémantiques, pragmatiques et textuels sont ainsi successive-
ment abordés. Cette revue de question débouche, d'une part, sur l'éla-
boration d'un modèle de développement, d'autre part, sur un inventaire
et une réfiexion sur les liens existant entre les capacités rhétalinguis-
tiques et l'apprentissage de Ia lecture-écriture.

Ce livre s'adresse non seulement aux psychologues et linguistes, étu-


diants, chercheurs ou praticiens, mais aussi aux professionnels des
apprentissages, pédagogues et rééducateurs, qui s'intéressent à Ia mise
en place des capacités de contrôle du langage chez 1'enfant.

Jean Emile Gombert enseigne Ia Psychologie génétique à rUniversité de Dijon


et y mène ses recherches dans le cadre du Laboratoire d'Etudes des Acquisitions
et du Développement.

16 5 FF 2 2 2 6 4 0 7 6 / 3 / 90 782130 427087

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