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g g g M .

JOCELYNE FERNANDEZ

Les
p articu les
énonciatives

LINGUISTIQUE NOUVELLE
/

Les particules énonciatives ( pen), articulateurs infimes mais


nombreux du discours, proscrits congénitaux des grammaires
structurales et phrastiques, sont au coeur d'une problématique
actuelle : 1'interaction entre langues, langage et cognition. Pour
scruter Ia rythmique processuelle des pen, deux prototypes de
communication orale sont confrontés : Ia tradition orale et
chantée de civilisations sans écriture. Ia rhétorique quotidienne
de sociétés urbaines. La description comparée de systèmes
particulaires dans différentes langues du monde (indo-euro-
péennes, finno-ougriennes, amérindiennes, australiennes,
sémitiques...), empruntant les voies complémentaires de l'eth-
nolinguistique, de Ia pragmatique, des théories de 1'énoncia-
tion, autorise des hypothèses typologiques et diachroniques :
Ia modulation particulaire opposée à 1'intonation, Ia démotiva-
tion comme procédé de morphogenèse. Cette saisie d'une
parole sans protocole bouleverse les hiérarchies syntaxiques :
dans le discours impromptu, prosodie et pen régulent 1'ordre
des mots. Un modèle d'analyse thématique à trois constituants
énonciatifs (thème - rhème - mnémème) est proposé : proces-
sus et stratégies sont inférés d'une longue expérience de ter-
rains contrastés (entretien dirigé en Laponie, débat scientifique
et médiatique trançais, interlangue des familles mixtes franco-
finnoises, etc.). Prétendre ancrer dans Ia variation plurilingue
de Ia parole humaine une hypothétique invariance cognitive
n'est plus, à l'ère des robots et de 1'intelligence artificielle,
dépourvu d'enjeu.

M. M. Jocelyne Fernandez, directeur de recherche au cnrs,


est 1'auteur de plusieurs ouvrages sur les langues scandinaves
et finno-ougriennes, le bilinguisme et 1'analyse contrastive du
discours.

198 FF 2 2 4 0 9 9 6 0 / 5 / 94
A Miina, Sommaire
à sa mémoire lumineuse

Abréviations..................................................................................... ix

Introduction : Les particules énonciatives, pourquoi? ........................ 1


Pourquoi « particules »? 2
Pourquoi « énonciatives » ? 3
Pourquoi les étudier? 4
Profil symptomatique des pen. 4

PREMIÈRE PARTIE

FLUCTUATIONS DU STATUT
DES PARTICULES ÉNONCIATIVES EN LINGUISTIQUE:
DE L’EXCLUSION DANS LA PHRASE
A LA CONSÉCRATION DANS LE DIALOGUE

Chapitre premier: Les particules énonciatwes au pilori............................. 9


1. pen et parties du discours .................................................... 9
2. pen et linguistiquestructurale................................................ 12
ISBN 2 1 3 0 4 5 8 1 5 7
a / L’écrit 12
ISSN 0 2 9 2 - 4 2 2 6
b / L’énoncé bref 14
Dépôt légal — i r« édítion : 1994, mai c / L’illusion du discret 18
© Presses Universitaires de France, 1994
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris 3. pen et didactique aseptisée des langues............................... 19
VI Les particules énonciatives VII
Sommaire

Chapitre I I : les particules énonciatives et leurs conditions de Jèlicité........ 21


TROISIÈME PARTIE
1. Les approches holistiques..................................................... 21
a / Linguistique énonciative 21 PARTICULES ÉNONCIATIVES
b / Linguistique textualo-discursive 24 ET TENDANCES UNIVERSELLES
c í Pragmatique et interaction 27
Chapitre V: Les particules énonciatives et 1’oralité.................................. 117
2. Les approches comparatives.................................................. 34
1. Oralité et écriture................................................................. U7
a / Dialectologie aréale 34
b / Proverbe et dialogue 37 2. pen et tradition o ra le .................................................................. 120
a ! La tradition comme contexte linguistique ' 120
3. Adéquation des choix fondamentaux.................................. 45 b / La tradition codifiée : le chant, la poésie épique, le conte,
a / Le type de langue 45 le proverbe 126
b / Le registre 46
c / La transcription 47 3. pen et énonciation orale ...................................................... 138
a / Parler impromptu 138
b / L’oral simulé 141
c / L’écrit oralisé 143
DEUXIÈME PARTIE
4. Les pen de 1’oral à 1’écrit.................................................... 158
PARTICULES ÉNONCIATIVES ET TYPOLOGIE: a ! Le cas hébreu 158
PORTRAIT DES PEN b / L’exemple same 160
DANS QUELQUES LANGUES DU MONDE c / Le laboratoire créole 171
Chapitre VI: Les particules énonciatives dans la dynamique du discours. . . 173
Chapitre III: Langues d’Europe........................................................... 55
1. Analyse processuelle ............................................................. 173
1. Les langues fmno-ougriennes................................................ 55 a / pen et reformulation 174
a / Le same 55 b ! Le piétinement syntaxique 177
b / Le finnois et les langues fenniques 66
2. Analyse conversationnelle...................................................... 183
2. Les langues indo-européennes 71 a / pen et lubrification 183
a / Les langues germaniques 71 b/ pen et interrogation 190
b / Le bulgare et les langues balkaniques 85 c/ pen et progression thématique 197
c ! Le français et les langues romanes 89 3. pen et syntaxe positionnelle....................................................... 220

Chapitre IV: Langues extra-europêennes.................................................. 99


QUATRIÈME PARTIE
1. Les langues sémitiques......................................................... 99
a / L’arabe 99 PARTICULES ÉNONCIATIVES ET SCIENCES DU LANGAGE:
b / L’hébreu 103 BILAN ET PROSPECTIVE
2. Les langues amérindiennes.................................................... 103
Chapitre VII: Particules énonciatives et principales orientahons linguistiques. . . 229
3. Autres langues....................................................................... 108 1. pen et linguistique historique................................................ 229
a / Les langues australiennes 108 a / Morphogenèse 229
b / Le basque 11q b / Philologie des textes 231
VIII Les particules énonciatives

2. pen et linguistique descriptive.............................................. 232 ABRÉVIATIONS


a / Ethnolinguistique 232
b / Dialectologie 233
3. pen et théories linguistiques................................................. 235
a / Linguistique contrastive 235
b / Linguistique formelle 242
c / Linguistique générale 244
4. pen et linguistique appliquée................................................ 245

Chapitre VIII: Particules énonciatives, linguistique et Sciences connexes . . . . 247


1. Psycholinguistique et sociolinguistique.................................. 247
2. Sciences cognitives et intelligenceartificielle......................... 249
3. Anthropologie......................................................................... 249

Conclusion: Moduler pour construire..................................................... 251 acc accusatif


adi adjectif
Adv adverbe
Bibliographie........................................................................................ 253 affirmatif/ve
aff
all allemand
Index des PEN par langues .................................................................. 271 angl anglais
aor aoriste
Index des notions.................................................................................. 275 ca carélien
CLG cours de linguistique générale .
Index des noms 279 DISCOSS discours contrastif scientifique et de spécialite
doffin discours oral français-finnois.
es estonien
ess essif
Fém féminin
fi finnois
fr français
gén génitif
GGT grammaire générative et transformationnelle
impér impératif
impft imparfait
LACITO laboratoire de langues et civilisations à tradition orale du cnrs.
li live
Mn Mnémème
nég négatif, négation
no norvégien
nom nominatif
ORM ordre des mots
ouvr ouvrant(e)
X Les particules énonciatives

p prédicat
part participe Introduction
part express particule expressive
part mod particule modale
PEN particule(s) énonciative(s)
LES PARTICULES ÉNONCIATIVES,
pers personne POURQUOI?
plur pluriel
p. p. act. participe passé actif
p. p. pas participe passé passif
postpos postposition
prés présent
prét prétérit
pron pronom
Q, question
R réponse
rad radical
Rh rhème
S sujet
sa « One can describe linear permutations of predicate, subject, and
same object, but what factors control altemative uiord orderings? One can
sg singulier call the roster of sentence-initial conjunctions, but where does
SILF société internationale de linguistique fonctionnelle
SN one use affixes or certain particles that dejy analysis and for which
syntagme nominal the informant can give no meanings? To answer these and other
su suédois
sv problems one needs discourse perspective» Robert E. Longacre,
syntagme verbal 19761.
Th thème
V « Quand on a affaire à des corpus de langue orale/ü ne faut pas
verbe s’attendre à ce que les chames s’analysent intégralement. II y a un
ve vepse
vo déchet qui relève de ce que Jakobson appelait « le phatique » /en
vote
particulier des éléments intéressants à interpréter du point de vue
de 1’information/qui souvent sont à des jointures/entre thème et rhème
Signes utilisés
par exemple (...). II faut faire une place à cette phatique communica-
tionnelle» Jean Perrot, 198912.
I intonation descendante
t intonation montante Fréquente dans 1’expression naturelle, sinon fréquentable selon
—■ intonation plate
=» enchainement rapide les grammaires, la particule énonciative au sens strict — celle que
# indique la place devenue vide d’une particule nous classerons parmi les particules « nucléaires » — est breve (géné-
ralement monosyllabique); elle est subordonnée prosodiquement à
un autre mot; extérieure au contenu propositionnel de 1’énoncé,
elle résiste à toute spécification lexicale; elle peut se présenter comme
détachée du reste de l’énoncé sans renoncer à 1’influencer (le moduler).

1. Introduction au Discourse Grammar, Studies in Indigenous Languages o f Columbia, Panama and


Ecuador, R. E. Longacre (éd.), p. 2. Mous soulignons.
2. Table ronde sur Thème, rhème et concepts voisins, Joum ée d’étude de la Société de linguis-
tique de Paris, Paris, ens , 21 janvier 1989. Le locuteur accentue.
2 Les particules ênonciatives Introduction 3

Cette première définition appelle quelques explications. Les deux Notre premier choix terminologique — de préférence à la multi-
citations liminaires illustrent sommairement, avec les difficultés qu’ont tude de variantes afFérentes aux analyses modemes de discours (« ponc-
éprouvées (ou qu’éprouvent encore) les linguistes à reconnaitre 1’objet tuants », « adverbes modaux/de phrase », « connecteurs », « gambits »,
de notre propos, la complémentarité des voies qui ont été les nôtres etc.) est justifié par le souci de mettre en valeur la contradiction inhé-
pour le cerner, et que nous prônerons pour mieux encore l’appré- rente à ces éléments: légéreté à la fois phonique et syntaxique (mots
cier . si 1 analyse de discours, adoptée précocement par certains eth- brefs, encore réduits par la prononciation familière; classement fluc-
nolinguistes américains, s’avère être un préalable indispensable à la tuant dans les grammaires) vs importance pour le fonctionnement
réussite de 1entreprise, les théories de 1’énonciation vers lesquelles discursif — ce que nous semble bien rendre 1’association de « parti-
glisse inexorablement le structuralisme francophone sont — malgré cule » (c’est-à-dire une « partie intime », selon le Robert) et d’un adjectif
leur parti pris phrastique majoritaire un apport essentiel (II.3). qui fait référence au domaine central de 1’énonciation en linguistique.
Ce sera là notre deuxième choix.

Pourquoi «particules »?
Pourquoi « ênonciatives »?
Les particules ont mauvaise réputation, chez les usagers des langues
comme chez leurs analystes. Chez ces derniers, l’une des objections Notre démarche s’inscrit dans la (jeune) tradition francophone
les plus fondées est 1’usage extensif et indifferencié du terme : de 1’énonciation, variante francophone de la « pragmatique » d’origine
anglo-saxonne. Nous retenons de la problématique énonciative 1’inté-
C est certainement le terme qui a le plus d’emplois malgré sa défini­
tion aussi vague que peu opératoire : on le trouve pour désigner gration du sujet dans le système de la langue, nous reconnaissons
des marquants grammaticaux d’aspect, de temps, de mode (cf. sté dans les démarches ênonciatives, en dépit de Thétérogénéité des écoles,
marque de futur en bulgare, by marque de cond. en russe), des la conception commune d’une sémantique en action (cf. II.l)1. Nos
marquants de degré (bulg. po-, gr. pio, roum. mai, alb. mè), des relatifs particules ênonciatives (pen) ne correspondent à aucun des sous-
(le úe persan, le ai hawaien), la négation (très fréquent), (...) les jonc- groupes de « particules» inventoriés par les théoriciens qui contes-
teurs (cf. les particules dé, ge, men du grec ancien), les marqueurs
d interrogation (cf. slave li), d’optatif (gr. ei gár, lat. utinam), de jussif, tent le terme : il peut s’agir de syntagmes liés comme de mots isolés.
sans parler des particules « discursives » (all. gar, mal, nur, doch, schon, Le concept de particule sera défini ici non selon un ensemble fermé
bulg. be, de, bre) et des particules de composition...1 de traits formeis mais en référence à un processus fondamental d’orga-
nisation (de construction, dans la mesure ou 1’oral naturel surtout sera
ou encore
visé) du discours. Les pen accomplissent au niveau énonciatif des
La classe des «particules » verbales de 1’anglais (give up, send off...) tâches comparables à celles des formants au niveau morphosyntaxique,
est un exemple type de 1’usage de cette étiquette par défaut. D’autres mais la catégorisation des diíférents marqueurs requiert quelque sou-
mots, adverbiaux, reçoivent aussi cette étiquette : even, only, ever, not. plesse : si les « énonciateurs » (au sens restreint) « s’isolent facilement
Dans des langues plus exotiques, des collections extraordinaires de des autres marquants », une seule et même particule peut avoir simul-
mots ont été associées a la categorie des « particules » : marqueurs
de mode et de type phrastique, honorifiques, indicateurs de topique tanément plusieurs valeurs2.
et de focus, marqueurs casuels, morphèmes de temps/aspect, mar­
queurs d’emphase, subordinateurs, coordinateurs...12
1. En 1’absence d’un contexte épistémologique équivalent, nous utilisons cependant le
qualificatif de « Discursive [Partides] » (dd >) dans nos publications anglophones — voir biblio-
graphie.
1. J. Feuillet, Introduction à ianalyse mmphosyntaxiqm, p. 70-71. 2. Cf. J. Feuillet, op. cit., p. 216 qui dte 1’exemple du chinois ne (démarcatif, interrogatif,
2. A. M. Zwicky, Clitics and partides, p. 291. emphatique...).
4 Les particules énonciatives Introduction 5

en position initiale ou parenthétique, avec une fonction primaire-


Pourquoi les étudier? ment pragmatique (attitudinelle et évaluative)1.
Pour ce qui est des particules énonciatives, une liste de symptômes
Les particules énonciatives étaient naguère encore les «personae sera préférée à des critères définitoires. Nous retenons comme perti-
non gratae» de la description stylistique, grammaticale voire linguis- nents les symptômes mis en valeur par deux approches sensiblement
tique. Qualifiées souvent de « mots de remplissage » (« vides/explé- différentes mais non fondamentalement contradictoires:
tifs »), eües sont les premières exclues des textes rédigés ou édités, 1 / Papproche linguistique, qui souligne 1’invariabilité des pen et
ce qu’attestent maints exemples, extraits de livres de grammaire Pintérêt du sous-groupe des « particules expressives» (All. Abtõnungs-
comme de publications revendiquant le naturel de rinterview. Or, partikeln) par lesquelles le locuteur s’efforce de moduler son message
dans 1’oral spontané, les pen sont extrêmement fréquentes (français (dispositions d’esprit et jugement) tout en clarifiant la relation inter-
alors, bien, bon, voilà, enfin...) — ce que nous avons pu vérifier en locutive. Les particules expressives ont pour particularité d’être
comparant à leurs enregistrements origineis divers entretiens publiés. homonymes d’autres mots (conjonctions, adverbes, adjectifs...), et d’être
Une monographie consacrée à ces particules, qui se propose en pro- syntaxiquement facultatives2;
cédant de 1’intensif (quelques systèmes particulaires) à 1’extensif (la 2 / 1’approche pragmatique, qui établit une définition prototypique
communication) de mieux cerner la spécificité grammaticale des pen universelle sur la base de critères à la fois structurels et fonctionnels.
pour les « réhabiliter » dans leur fonctionnement discursif, peut ainsi Une pen doit satisfaire aux deux aspects, c’est-à-dire être dépourvue
prétendre compléter utilement 1’inventaire moderne des caractéristi- de sens propositionnel, qualifier le processus d’énonciation plutôt que
ques de la parole (réelle ou simulée). Sans aller jusqu’à affirmer la structure des énoncés, et ancrer les messages du locuteur dans ses
avec l’une de leurs enthousiastes exégètes que «les particules sont attitudes (/sentiments) de façon indirecte ou implicite. Le terme de
ce qui distingue le langage humain du langage des robots », nous pen est réservé aux manifestations verbales de cet ancrage, qui peut
partageons 1’opinion, pour avoir mené sur ces petits mots durant s’effectuer par ailleurs par des moyens gestuels ou prosodiques.
près de deux décennies une investigation minutieuse, que les parti­ Une fois posé le choix du terme de « particule », un second choix
cules « appartiennent à 1’essence même de la communication s’impose, qui est celui d’une sous-catégorisation entre pen nucléaires
humaine » ’. et pen périphériques : les premières remplissent exclusivement les fonc-
tions précitées, les deuxièmes auront des emplois plus ou moins propo-
sitionnels selon les cas, la première des classes étant, dans chaque langue,
Prqfil symptomatique des PEN relativement fermée, mais la deuxième ouverte. Une caractérisation
universelle des pen insistera sur le domaine de la modalité avec lequel
Différents tests visant à répartir les particules dans des classes elles partagent un certain nombre de critères (implicite, expressivité,
formelles strictes (ailixes flexionnels, adverbes avec restrictions d’occur- intersubjectivité) et sur celui de leur pertinence transphrastiqw qui combine
rence, variantes clitiques de mots indépendants...) concluent à Pinexis- les aspects de cohésion (formelle) et de cohérence (sémantique)3.
tence d’une entité « particules ». L’unique classe linguistiquement jus- Spécifiques ou universelles, les particules énonciatives échappent
tifiée serait alors celle de « marqueurs de discours » qui se distinguent à toute tentative de classement en «parties du discours» (c’est-à-
par une prosodie, une distribution et un sens particuliers : de petits dire en parties de phrase).
mots, pour la plupart monomorphémiques, qui apparaissent souvent
1. Cf. A. M. Zwicky, Clitics and partides, p. 290 sq.
2. C f H. Weydt et al., Kleine deutsche Partiketlehre, Introduction, p. 5-10; H. Weydt &
K. H. Ehlers, Partitelbibliographw, Préface, p. 3-11.
1. Cf. A. Wierzbicka, Introduction, Journal o f Pragmatics, 1986, 10/5 (« Special Issue on 3. C f J. O. Ostman, The symbiotic relationship between pragmatic partides and impromptu
P artides»), p. 519-520. speech, p. 149 sq.
P R E M IÈ R E P A R T IE

Fluctuations du statut
des particules énonciatives en linguistique:
de Vexclusion dans la phrase
à la consécration dans le dialogue
Chapitre premier

LES PARTICULES ÉNONCIATIVES


AU PILORI

1. PEN et parties du discours

L’histoire de la linguistique reflete — tandis que méthodes et


instruments d’analyse se perfectionnent — un duel permanent entre
deux conceptions de 1’ontologie de la langue, périodiquement érigées
en convictions irréductibles : la langue comme système formei vs la
langue comme interaction sociale. L’approche structurelle, qui adopte
une perspective interne à la langue, est étroitement associée aux
tentatives de définition des classes de mots et des «parties du dis­
cours ». L’analyse en parties du discours remonte, on le sait, à la
grammaire des Alexandrins, elle dégage huit types de mots : le nom,
le verbe, la particule, le pronom, 1’adverbe, rarticle, la préposition,
la conjonction. Pour le français, le modèle type est représenté par
Le bon usage de Grevisse, qui substitue une classe d’ « interjections »
— ajoutée du reste par les grammairiens latins à la nomenclature
grecque — à celle des particules1.
La classification des mots en « parties du discours » présente les
avantages et les inconvénients d’un outil ancien et bien rodé, qui
a prouvé son efíicacité. Les critères de la classification découlent
des deux pratiques logiquement distinctes que met en oeuvre Panalyse
grammaticale de la chaine parlée : d’un côté, une décomposition

1. Cf. B. Colombat, Eléments de réflexion pour une histoire des parties du discours;
J. Feuillet, op. cit., p. 10 sq.; J. Lallot, Origines et développement de la théorie des parties
du discours en Grèce.
10 Fluctuations du statut des particules énonciatives Les Particules Énonciatives au pilori 11

linéaire, de 1’autre une répartition des composantes en fonction de introduire ensuite des sous-classes qui hypothèquent aussitôt posée
propriétés imbriquées. Cette classification, dont les fondements expli­ la validité du critère morphologique1. La forme indique habituelle-
cites sont morphologiques et notionnels, fait périodiquement 1’objet ment 1’appartenance à une classe, mais cela ne va pas sans ambi-
depuis la fin du xixe siècle de critiques virulentes, de la part de théo- guité : voir les exemples finnois tulevat ajat (part. prés. plur. + subs.
riciens de renom — de F. Brunot à J. Feuillet1 — : on dénonce, nom. plur.) « les temps qui viennent» et ajat tulevat (subs. nom.
avec 1’hétérogénéité de classes arbitrairement délimitées, la préten- plur. + v. fini 3e pers. plur. non passé) « les temps viennent/vien-
tion universaliste du cadre descriptif. Parmi les arguments raisonna- d ro n t», dont 1’indistinction formelle, à la fois historique et typolo-
bles avancés pour rentabiliser le classement, on citera la possibilité gique (la 3e personne du présent est un ancien participe), n’est cor-
d’affecter à un paradigme des membres qui puissent présenter un rigée que par le positionnement respectif des termes. En hongrois
ensemble de traits (formels/notionnels/fonctionnels) non obligatoi- d’ailleurs, langue dont la morphologie est encore plus riche (de 17
rement concomitants — ce critère s’applique à notre distinction entre à 27 cas selon les critères retenus), on constate que les vocables qui
particules nucléaires et périphériques (cf. Introduction). L’objectif peuvent être rangés immédiatement dans l’une ou l’autre classe, grâce
même d’une telle partition semble aujourd’hui difficile à récuser, à leur suffixe de dérivation par exemple (tels les substantifs en -ság/
défini en ces termes : « permettre la formulation économique d’un -ség, ex. beteg « malade », betegség « maladie »), ne sont qu’une infime
grand nombre d’informations grammaticales en ne recourant aux partie du vocabulaire de la langue. Quant aux difficultés soulevées
énumérations extensives que pour les « exceptions »12. sur le terrain par cette classification, A. Sauvageot cite le témoi-
Plusieurs problèmes n’en subsistent pas moins, et non des moin- gnage de jeunes linguistes soviétiques : leur inventaire du selkoup
dres. La prétendue universalité du classement, si elle n’a jamais fait du Taz (dialecte samoyède) distingue de la caractérisation du mot
1’unanimité des linguistes, bénéficie présentement d’éclairages syntaxi- ses représentations ou « modulations », fonctions exercées en dehors
ques inédits: « les fondements réels de la classification, ceux qui de sa classe. II n’est pas exclu que 1’influence d’une telle classifica­
ont permis son application à des langues très diverses (y compris tion ait pu être déterminante pour 1’évolution typologique des langues
des langues sans flexion) sont uniquement syntaxiques »3. Or 1’asser- non indo-européennes2.
tion (négaüve) selon laquelle « [les parties du discours] ne sont pas Le cas particulier de 1’adverbe mériterait-il plus d’attention? Pierre
des fatalités langagières universelles »4 est pour nous plus qu’un pos- d’achoppement des théories fondées sur les parties du discours,
tulat, vu les difficultés d’application de ce classement aux langues 1’adverbe constitue certes une classe taxée de « fourre-tout» quand
d’un de nos domaines de spécialité — les langues finno-ougriennes, ce n’est pas de « classe-poubelle » (1’expression est de B. Pottier) que
lesquelles ne sont pas à proprement parler des langues « sans flexion ». les fonctionnalistes chercheront à intégrer à leur classe, nouvelle-
Si les grammairiens finnois et estoniens, des plus classiques aux plus ment créée, de « monèmes propositionnels »3. La classe de 1’adverbe
innovateurs, privilégient une classification à base morphologique et — que l’on a aussi proposé d’instituer, grâce à une « méthode de
distinguent trois sortes de vocables — ceux qui se déclinent/ceux bouclage», en groupe fonctionnel défini négativement par son
qui se conjuguent/ceux qui sont invariables —, c’est d’ordinaire pour ensemble (il ne peut exercer de fonction actancielle) et positivement
par ses sous-groupes (fonctions respectivement circonstancielles, moda-

1. Cf. F. Brunot, La pensée et la langue, 1922, p. 166; J. Feuillet, Se débarrassera-t-on un 1. Cf. E. N. Setàlà, Suomen kielioppi, 1898; A. Penttilá, Suomen kielioppi, 1957; V. Tauli, Stan­
jour des parties du discours?, 1983. dard Estonian Grammar, 1983.
2. J. P. Lagarde, Les parties du discours dans la linguistique moderne et contemporaine, 2. C f A. Sauvageot, Parties du discours et analyse linguistique, p. 169 sq. — qui emprunte
p. 108; voir aussi S. Auroux, Les critères de définition des parties du discours. ce « témoignage » à A. I. Kuznecova, E. A. Xelimskij & E. V. GrusTdna, Ocerki po selkupskomu
3. P. Garde, Présupposés linguistiques de la théorie des parties du discours, p. 2; voir jaziku, 1980 — et L ’élaboration de la Umgue Jirmoise, chap. sur «Les catégories grammaticales
aussi son article «Des parties du discours, notamment en russe » dans le BSLP, 1981. étrangères », p. 419 sq.
4. A. Culioli et J. P. Desclés, Système de représentations linguistiques et métalinguistiques, p. 43. 3. Cf. A. Martinet, Grammaire fonctionnelle du Jrançais, p. 147.
12
Fluctuations du statut des particules énonciatives Les Particules Énonciatives au pilori 13

lisatrices et modificatnces)' - ne nous intéressera que par son dite » dont « la langue est 1’unique objet» (Saussure, clg, p. 38).
Identification ponctuelle (l’adverbe dit « de phrase ») à l’une des caté- De là à consacrer 1’étude de la langue en tant que code idéalisé,
gones de pen dont ü sera question ici. manié par des locuteurs idéaux dans un environnement idéal, il n’y
intrínS é»onciatives échappent, du fait de son incapacité a qu’un pas. La ggt est claire à ce sujet: le locuteur-auditeur-idéal
tnnseque a apprehender les phénomènes autres que segmentaux n ’est «pas affecté par des conditions grammaticalement non perti­
du<<(Í c o etS>>, a C°mpétenCe d’Un traitement structuraiiste en parties nentes telles que limitation de mémoire, distraction, déplacement
d’intérêt ou d’attention, erreurs» 1 — autant de conditions qui sont
en revanche directement pertinentes pour 1’interprétation de nos par­
2. PEN et linguistique structuraJe ticules énonciatives. Mais le structuralisme n’est pas en reste : en
pratique, les traits constitutifs de la «parole impromptue » (V.3) se
a / L’écrjt voient rejetés dans une zone périphérique, voire « extralinguistique ».
Evacuée, entre autres, pour le structuralisme classique et ses
En dépit de la diversité des écoles et des tendances qu’il a engen- variantes, la prosodie : ainsi de 1’intonation, prudemment ignorée
rees, le structuralisme se fonde sur une communauté de vues dont par le plus grand nombre et longtemps stigmatisée par A. Martinet
comme « non directement linguistique »2. O r une présentation
aaccordee
c c o r d é ea Tlat langue parlee, pnorité 86 résUmer
à la ^
linguistique 1descriptive
Primauté
objective, due à un théoricien issu du structuralisme, des traits d’oralité
ux depens de 1approche normative, égalité des langues2 Ce pro- — certes difficiles à combiner avec la représentation des mots —
gramme, assorti d’une méthodologie scientifique puissante (difíeren- n’omettra pas de poser une subdivision en :
la n r o m T ^ ^ * dachronie>etc0 n’aurait-ü pas dü entrainer
la promonon automaüque d’un certain nombre d’objets jusque-là — traits prosodiques, qui appartiennent au système linguistique
et véhiculent des contrastes systématiques de sens; ils se distin-
“ guent des autres procédés linguistiques (tels les suffixes) en ce
decntes. L>oc7n peut
a 7 neanmoins
remÍer ^ se de8qUdS F° avec
demander ral etle *recul si le véri-
non
qu’ils portent (le contour intonatif par exemple) sur des
table carcan impose par un modèle issu de 1’obsewation de 1’écrit séquences longues de parole;
est durablement compensé par les acquis d ’une innovation devenue — traits paralinguistiques, qui couvrent aussi des portions de parole
de longueur variable, mais ne sont pas systématiques; ce ne
en dénk f u T d’° pter P° Ur un bilan po^if, sont pas des parties de la grammaire, mais des variations addi-
en depit du dogme deja tres conteste des dichotomies secondaires
tionnelles par lesquelles le locuteur signale 1’importance de ce
qu’il dit.
L is tin f^ l h T n SC° UrS autbenti(3ue> constructeur (voir
Eisting Vl.l.b). Quanütativement, les effets directs et indirects du D ’une caractérisation fonctionnelle des deux principaux traits pro­
respect des dichotomies pnncipales — « langue/parole », relayée par sodiques, 1’intonation et le rythme (respectivement « mélodie » et
le couple «competence/performance» de la grammaire générative « mesure » de la parole) se dégagent en outre certaines tendances
et transformataonnelle - n’ont pas fini de se faire sentif. L’acd s générales :
r e s V u n T ^ W * & " rhétér°Sénéité » visées par le structuralisme — la fonction du rythme est interne au système phonologique :
un voeu bien pieux au regard d’une linguistique «proprement il impose une organisation aux sons de la langue, en parti-

Ü - & Í 5 Í peUH5!’ PeUt'° n Parler d’Une Classe de Fadverb^ . et Introduction â l’analyse mor-
1. N. Chomsky, Aspects o f the Theory o f Sjyntax, trad. française, p. 12.
gM rãk P' 32-37; J. L- Chiss et G. Puech, U s f o n d ^ ts de la 2. Cf. A. Martinet, Les éléments de linguistique générale, p. 101, et son compte rendu de La
structure des langues de C. Hagège dans La linguistique, 1983, 19/2, p. 147-148.
14 Les Particules Enonciatives au pilori 15
Fluctuations du statut des particules ênonciatwes

culier le schéma des syllabes, mais il n’exprime pas par lui- supérieure d’analyse grammaticale est la phrase»1. Relation et
même de contrastes de sens; analyse grammaticales, soit. Mais 1’introduction d’une dimension « lin­
1’intonation, en revanche, fonctíonne au sein du système lexico- guistique » et du terme d’ « énoncé » ne modifie guère, jusqu’au tex-
grammatical : elle encode certains aspects de la mise en mots, tualisme des années 80, la perspective2.
et exprime en conséquence des contrastes de sens1. Parmi les constructions spécifiques de l’oral que les descriptions
Le fait que le rôle essentiel de 1’intonation soit invoqué, et son à base phrastique ont écartées — et dont une syntaxe réaliste de
intégration dès le premier stade de 1’analyse exigée, par des cher- l’oral est, en revanche, tenue de s’occuper , on peut mentionner
cheurs en linguistique de 1’oralité, n’est évidemment pas fortuit12. les phrases clivées qui, fréquentes dans la parole impromptue, ont
L’application au créole de la Guadeloupe par exemple d’une classi- également une représentation forte dans les formules codifiées (voir
fication « européenne » (en parties du discours) se heurte moins au proverbes, II.2), et dont la « dislocation » à gaúche ou à droite est
caractère positionnel de la langue qu’à sa nature de langue de 1’oralité. iconique du processus instantané d’énonciation (voir VI.2). Sont exclus
Plusieurs spécialistes proposent de considérer comme unité integrante de même les éléments qu’un schéma phrastique préétabli ne peut
maximale à partir de laquelle on dégagera ultérieurement des faire apparaitre que comme « détachés », extérieurs à la structure
unités isolables une « période » intonativement manifestée, sorte de la phrase proprement dite : les particules énonciatives (non encli-
de variante prosodique de la phrase3. Mais s’agira-t-il encore d’une tiques), qui ne peuvent être ni constituants principaux de la phrase
« phrase » ? ni déterminants de ces constituants, mais aussi d’autres éléments qui
résistent à 1’intégration, tels les termes d’adresse et les interjections.
b / L’énoncé bref II existe en somme, au regard de la syntaxe phrastique, deux types
de matériaux linguistiques (autre dichotomie inhérente au système!):
Le qualificatif n’est pas innocent: ce syntagme recouvre dans les éléments qui servent à construire les phrases d’une part, diffé-
notre optique — bien que le terme d’« énoncé » soit de nos jours rents ajouts extérieurs à celles-là d’autre part. C ’est précisément le
considéré comme plus neutre que celui de « phrase » (référence à point de vue que nous récusons: dans la perspective de description
1’écrit) la double réalité de 1’unité dite « supérieure » (quand ce d’énoncés (brefs ou longs) pris en situation, dans le cadre d’une syntaxe
n ’est pas « maximale ») imposée par le structuralisme. L’« énoncé » empirique donc, tout élément linguistique présent dans un énoncé
de la grammaire traditionnelle comme de la linguistique structurale « norm al» (dialogai ou monologal) est potentiellement significatif.
non seulement ressemble comme un frère à la phrase de 1’écrit, En conséquence, la dichotomie / éléments propres vs ajouts/ est sans
mais il est, dans sa version maximale, désespérément court. Cette fondement. Comme le montre pour le fmnois une investigation réso-
nature phrastique est d’ailleurs le plus souvent admise sinon pro- lument aphrastique de 1’oral non normé, si un locuteur dit par
clamée : voir, à cinquante ans d’intervalle, la définition selon laquelle
exemple :
« [la phrase] est un ensemble d’articulations liées entre elles et qui,
ne dépendant grammaticalement d’aucun autre ensemble, se suffi- Mi mut se oli nys se PIRtuaika sitte joka paikas
sent a elles-mêmes » et l’afíirmation que « Pour le sens commun, 1’unité « bon mais c’était maintenant ce temps de la gnôle après de
tous côtés »,

1. Cf. M. A. K. Halliday, Spoken and written language, p. 30 et 48.


1. Citations respecüves d’A. Meillet, Introduction à 1’étude comparatwe des langues indo-européennes,
2. « Des » et non pas « les [chercheurs] » : sans doute faut-il attribuer à 1’influence pro-
Paris, Hachette, 1937 (7e éd.), p. 355, et J. Feuillet, Introduction á 1’analyse morphosyntaxique, p. 43.
longée des enseignements du fonctionnalisme 1’absence quasi totale d ’études concernam la
2. Voir « L a théorie linguistique traditionnelle distingue deux unités fondamentales {...)
prosodie chez les descnpteurs français (ethnolinguistes en majorité phonologues) de langues
le mot et la phrase» (J. Lyons, Linguistique générak, p. 131) et «pour qu’un message soit linguisti-
à tradition orale voir bibliographie de la Société d ’études anthropologiques et linguistiques
de France (selaf) aux Editions Peeters. quement recevable, il doit satisfaire à un minimum formei [au plan syntaxique] que nous
3. Cf. G. Hazael-Massieux, Les parties du discours en créole de la Guadeloupe. appelons 1’énoncé» (B. Pottier, Linguistique générale, p. 3).
Les Particules Énonciatives au pilori 17
16 Fluctuations du statut des particules énonciatives

éléments mentionnés précédemment; 2 / un tel ensemble, encadré


on ne peut « épurer» la structure des éléments particulaires sans
par des particules, est marqué par une prosodie « phrastique », déli-
condamner cette structure à 1’absurdité : le noyau propositionnel ne
mitatrice d’un ensemble syntaxique, même si les éléments encadrés
forme pas un ensemble pertinent. La chaine particulaire est essen-
tielle à la compréhension de 1’acte de parole : dans ce cas précis, sont du type ci-dessus1.
ce préambule signale la réplique comme étant la 2Ccomposante d’un La prosodie, en tant que critère premier de délimitation des unités
supérieures — qu’on les designe des termes de phrases/d enonces/ou
couple parallèle (question-réponse). Les implications véhiculées par
de « périodes » — , est loin de faire encore funanimité des linguistes.
1association énonciative de marqueurs temporels sémantiquement
exclusifs (« maintenant-après/ensuite ») ressortissent de même à une Le système de découpage de la langue parlée mis au point par
M. C. Hazaél-Massieux notamment semble rejoindre notre concep-
appréhension authentique des mécanismes de construction du dis-
cours. tion du discours. En efTet, quel que soit le degré d’intervention accordé
à 1’intonation dans la « phrase » traditionnelle, il s’agit toujours d une
Or la syntaxe dite des « macrosyntagmes»', dont 1’influence
phrase hors discours. Dans le meilleur des cas, 1intonation n est envi-
s’est exercée durant les deux dernières décennies sur 1’ensemble des
recherches scandinaves et finlandaises en oralité, a eu, en dépit de sagée que lorsque tous les autres recours ont été épuisés : « on tente
d’attribuer une intonation à une “ phrase que 1on a préalablement
certames faiblesses congénitales (telle la place accordée, sans réfé-
découpée selon d’autres critères, on ne se pose pas la question du
rence à la prosodie, au critère de « complétude » structurelle des
découpage du discours selon des critères strictement intonatifs » . Or
syntagmes) une intuition géniale en matière de classification. L’appel-
1’intégration de 1’intonation dans la définition même de l’unité de dis­
lation de « macrosyntagme interjectif» par exemple se justifie en
effet par 1’existence de 1 / répliques formées par des particules isolées, cours devrait être un préalable pour toute description de 1oral. Le
ex. mm, ai, joo+o («mm, ah, oui-i»); 2 / chaines au moins partielle- repérage de 1’intonation comme marque d’achèvement acoustique (into­
nation terminative mais non nécessairement descendante) et comme
ment fixes formées de deux ou trois particules, ex. joo niin, ai jaha,
joo joo, just just, juu kuule, ai juu niin, jaa no niin (« mais oui, ah tiens, marqueur des relations entre propositions (parallélisme intonatif pour
oui oui, voilà voilà [c’est ça], oui tu sais, ah bon tiens, bon eh la coordonnée, intonations opposées pour la subordonnée) affirme la
nécessité de dégager à 1’oral des noyaux, autour desquels gravitent
bien »), dans lesquelles les particules, sans pour autant former de
des compléments ou satellites noyaux qui ne sont pas forcément
« constituants », adoptent un ordre non arbitraire. Ai (« ah ») par
exemple sera toujours en début de chaine : *juu niin ai, *jaha ai. identifiables à la phrase (« noyau rempli ») de la grammaire tradition­
Autrement dit, nous avons ici affaire à des syntagmes qui ne repré- nelle. Deux versions d’un même récit en créole de la Guadeloupe
sentent aucune des catégories syntaxiques (mots, propositions, phrases) seront versés au dossier des rapports entre oralité et écriture (V.4), e x .:
du système phrastique. Ces syntagmes ne connaissent pas de hiérar- «La chasse aux crabes»
chie, mais des limitations de combinaisons. On montre aisément par (oral)
exemple que les morphèmes de « rétroaction » (angl.feed-back) peuvent Alors/la chasse aux crabes/ça se passe/à lajinjuin/au débutjuillet/exac-
tement/après... heu... les grandes chaleurs/heu... du Carême/tu sais là-
former un ensemble avec n ’importe quelle autre classe de m ots:
bas on appelle...
niin meni juu, nain on juu, jaa nelja nii, joo Mikko niin (« ça s’est passé
comme ça oui, ah tiens quatre alors, eh oui Michel oui») etc. II
1. Cf. A. Hakulinen (éd.), Sumialmsen keskustehm kànqa 1, p. 24-25. D ’autres types de construc­
n ’échappe pas que ces constructions lacunaires quant à leur « phras- tion « négligées» sont signalées pour le finnois, telles les construcüons limitrophes (syntagmes
ticité » partagent néanmoins certaines des propriétés des phrases : dont l’un des constituants est commun à deux énoncés contigus) ibid., p. 25 , qui ne
semblent pas avoir d ’équivalent usuel dans une langue à ordre des mots (relaüvement) lixe
1 / les particules peuvent encadrer des phrases aussi bien que les comme le français. Voir cependant certains des « Télescopages syntaxiques» decnts par J.
Boutet et P. Fiala, DRLAV, 1986, 34-35, p. 111-126.
2. M. C. Hazaél-Massieux, Parties de la phrase ou parties du discours!, p. 9U sq.
1. Cf. B. Loman and N.Jõrgensen, Manual for beskriming az> makrosyntagmer, 1971.
18 Fluctuations du statut des particules énonciatives Les Particules Énonciatives au pilori 19

(écrit) modent les lexicographes. Une analyse serrée, qui s’inscrit dans le
La chasse aux crabes a lieu, aux Antilles*, vers la Jin juin ou le début cadre de la sémantique logico-argumentative d’0 . Ducrot, aboutit
juillet, c’est-à-dire après cette saison chaude qu’on appelle le Carême. à la définition suivante : au contraire est une locution adverbiale, presque
[*traduction d un « là-bas» qui hors situation n’a plus de
sens] \ toujours facultative, qui articule deux termes dune opposition pro-
duite par un locuteur unique; elle présente le deuxième terme comme
Notre jugement sur le fond est tout aussi catégorique : aucune le plus éloigné possible du premier, même si 1’écart est purement
définition traditionnelle de la « phrase » n ’est acceptable dès lors subjectif. Cette forte charge de subjectivité sur le plan énonciatif
que 1on entreprend d’analyser de 1’oral en situation. Les implica­ doit être consignée comme trait définitoire de la locution : au contraire
do118 méthodologiques que nous en tirons sont moins radicales, eu indique que le locuteur privilégie le deuxième terme, et exprime
égard à 1’objet que nous nous proposons d’analyser (des mots, fussent- l’un des trois mouvements//réfutation/contradiction/opposition//
ils particules) comme a la démarche que nous nous autorisons: une dont la distribution formelle articule le discours argumentatif .
segmentation de la masse discursive qui repose sur une approche Mentionnons aussi, parmi les Solutions inadéquates adoptées par
perceptuelle (et non de phonétique instrumentale). Aussi préférerons- la majorité des dictionnaires, celle qui consiste à gloser les pen les
nous, pour 1 analyse de ces différents types de marquage, la termi- unes par les autres — au mepris de tout traitement sémantique
nologie la moins chargée possible : énoncé long ou séquence longue plutôt (ou textuel)2. Différents démontages du discours lexicographique
que «période» qui semble faire référence à une notion déjà éla- consacré aux adverbes de phrase/PEN du français sont posés par
borée par la rhétorique. ailleurs comme préalables à la mise au point d’une méthode en
Mais, surtout, notre insistance sur la prosodie n’est pas motivée didactique des langues3.
par le seul désir de dénoncer (procès anachronique) les carences
du courant linguistique majeur du xxe siècle : elle vise à cadrer vala-
blement la problématique des particules énonciatives, ces construc- 3. PEN et didactique aseptisée des langues
teurs infimes et pourtant non «discrets».
Une illustration complémentaire consiste à relever les occurrences
c / L’illusion du discret de pen dans le chapitre « application » des methodes contrastives.
Une comparaison des principaux ouvrages pédagogiques existants,
L’appréhension des particules en tant que « mots » et leur ran- destinés aux étudiants francophones et anglophones de langues nor-
gement dans la categorie des mots « vides » ont leur corollaire dans diques, nous a permis de constater que le sort réservé aux pen n’est
le discours lexicographique tenu à propos des pen . Différents travaux guère plus enviable dans ce type d’ouvrages. 1 / Pour le finnois,
récents s’attachent à démontrer, pour le français, le décalage exis- -hAn et -pA sont les seules particules mentionnées, tardivement
tant entre analyse linguistique relative aux éléments informatifs vs à partir du 9e texte dans le manuel de V. Kallioinen, du 14e dans
aux éléments discursifs, un décalage que sanctionne, en 1’amplifiant,
la production lexicographique. Un exemple éclairant est fourni par
1 Cf N Danjou-Flaux, Propositions pour une définition de « au contraire », et « Au
1examen critique de données empruntées au Trésor de la langue Jran- contraire », connecteur adversatif; N. Danjou-Flaux et M. Gary-Prieur, « Forcément » ou le
çaise (tlf, dictionnaire édité par 1’Institut national de la langue fran- recours à la force dans le discours. Une démarche equivalente, visant a la recherche d inva-
çaise, Nancy): plusieurs articles consacrés à la locution «au contraire» riants sémantiques, est à signaler pour le finnois (III. 1). ,
2. Voir Pexemple de Tanglais also donné comme équivalent de hkewise, too par le Webster s
soulignent 1inadequation de la notion d opposition dont s’accom-1 de 1977, dans A. Wierzbicka, Introduction, Journal o f Pragmatics, 10/5 (Special Issue on « Parti-
cles»), p. 521. . , . . .
3. Cf. J. P. Davoine, « ... des connecteurs phatiques ... » qui denonce leur classement au
1. Texte présenté par M. C. Hazaél-Massieux dans son intervention à la Journée d’étude nombre des « interjections» — invariables et isolées — dans le Didionmire de linguistique de
sur La phrase, Société de linguistique de Paris, 17mars 1990. Jean Dubois (Paris, Larousse, 1973).
20 Fluctuations du statut des particules énonciatives

celui de O. Nuutinen (à l’exception de quelques occurrences inexpli- Chapitre II


quées) — et en tant que marques d’oral familier (« de Helsinki»).
2 / Pour le suédois, nog et ju figurent «dans une dernière catégorie
LES PARTICULES ÉNONCIATIVES
(...) sans équivalent en français » dans la grammaire de Gravier et
Nord (p. 109-110), mais sont totalement absents du «M anuel de ET LEURS CONDITIONS DE FÉLICITÉ
conversation », en íin du même ouvrage, ou sont énumérés des « mots
et phrases d’usage quotidien » (p. 156-159). Ju et vãl, mentionnés
en note, n ’ont pas non plus « d’équivalents directs en anglais » chez
H. Borland (p. 209)...1

1. Les approches holistiques

Le cadre de 1’analyse morphosyntaxique n’offre aux particules


énonciatives qu’une cote mal taillée. Si un traitement adéquat des
pen passe nécessairement par une «vision totalisante des phéno-
mènes linguistiques », et si la première exigence méthodologique est
celle de « partir de 1’unité supérieure », cette unité n ’est pas pour
nous, on l’aura compris, «la phrase ou le phrasèm e»1, mais bien
la globalité du discours. Son étude peut être abordée sous trois éclai-
rages en partie seulement convergents et que, pour la clarté de
1’exposé, nous présentons successivement.

& / Linguistique énonciative

L’étude du discours s’inscrit de façon privilégiée dans l’une des


théories linguistiques majeures de notre temps, « 1’énonciation », dont
les antécédents historiques sont aujourd’hui bien connus : la gram­
maire et surtout la rhétorique (d’Aristote à Perelman), certains cou-
rants philosophiques (de la phénoménologie de Hegel aux philoso-
phes du « langage ordinaire» — Austin, Strawson, Searle). La
démarche énonciative, réaction contre la logique extensionnelle et
contre la linguistique structurale, tend à intégrer le sujet dans le
1. Cf. V. Kallioinen, Fimish corwersational exercises, Helsinki, sks, 1974; O. Nuutinen Suomea
suomeksi, 1-2 Helsinki, sks, coll. skst, 338, 1977-1978; M. Gravier et S. Nord, Manuel pratique
de Langue suédotse, Paris, Klincksieck, coll. Les langues de l’Europe du Nord, 2, 1974 (2Céd
1964); H. H. Borland, Swedish for students, Heidelberg, J. Groos, 1970. 1. Citations extraites de J. Feuillet, Introduction d l’analyse morphosyntaxique, p. 73-75.
22 Fluctuations du statut des particules énonciatives Conditions de Jèlicité 23

système même de la langue. Cette intégration, qui repose sur 1’étude un référent précis à ces mots si l’on ne connait pas (...) les actants
de catégories subjectives explicites (personne, déixis, modalité — et le cadre spatio-temporel de fénonciation»1. La subjectivité domi­
« L’appareil formei de Fénonciation » ’), vise à repérer les traces des nante, définie par opposition à une hypothétique énonciation objec-
opérations langagières dans le discours. L’approche énonciative tive, est aussi du ressort des pen : nombre d’entre elles méritent
implique un refus des dichotomies célèbres [supra 1.2): « la produc- 1’appellation de « subjectivèmes »2. Pour ce qui est des modalités,
tion d’un message particulier, ou performance, est toujours la mani- définies comme points de vue du sujet parlant sur le « d it» ou contenu
festation de la compétence, et ne lui ajoute rien, par définition (...). propositionnel, c’est à la possibilité d’une typologie, allant de 1’impli-
La performance ne crée pas : elle manifeste une utilisation spéci- cite à fexplicite, et conçue comme partie intégrante du domaine
fique des capacités de compétence »12. Avec un déplacement de 1’oppo- de 1’expressivité, que nous nous attacherons.
sition langue/parole et 1’émergence de dichotomies nouvelles Déferlant sur la recherche anglo-saxonne et allemande depuis
(langue/discours, énoncé/énonciation, langue/texte), une conception deux décennies déjà, le raz de marée pragmatiste s’introduit en France
commune de la sémantique s’est instaurée. Le langage, activité signi- par la brèche du conversationnalisme naissant; avec le ralliement
fiante, ne saurait être prive de sa dimension communicative : on des théoriciens de fargumentation, la pragmatique acquiert ses lettres
préférera aux dichotomies tranchées les Solutions continuistes — modes de noblesse : un rétablissement spectaculaire s’opère en faveur d’un
de réalisation divers d’une catégorie, liens entre catégories tradition- courant initialement tenu pour individuel et illusoire3. D ’aucuns
nelles (morphologie et syntaxe, syntaxe et sémantique, etc.). Une souhaitent aujourd’hui fédérer deux courants pragmatiques initiale­
attention particulière sera accordée aux glissements sémantiques ment distincts (énonciatif/illocutoire). Un rapprochement original entre
qu’induisent entre « valeur centrale » et « valeurs secondaires » les les pères fondateurs respectifs, Benveniste et Austin, souligne avec
circonstances énonciatives. D ’un point de vue épistémologique, le raison la « modernité » de leur démarche qui, privilégiant les phéno-
champ énonciatif contemporain pouvait être, il y a quelques années mènes de discours dans le contexte psychosocioculturel, émancipe
encore, subdivisé en deux grandes tendances : l’une, d’inspiration aussi la linguistique des perspectives « immanentiste, informationa-
néostructuraliste et européenne (française en particulier), dite de liste, et monologique »4.
« 1’énoncation au sens étroit du terme »; 1’autre, dite « pragmatique », Pour la constitution d’un champ énonciatif en France, et la recon-
d’inspiration logique et anglo-saxonne3. naissance de catégories spécifiques, le rôle de Benveniste est fonda-
Les multiples facettes de la recherche énonciativiste concernent mental. Notre investigation énonciative du domaine particulaire
toutes, à des degrés divers, notre objet — qu’il s’agisse des compo- s’inspire pourtant moins de ses idées que de celles d’un fidèle dis-
santes de la signification (incluant la cohésion textuelle et la cohé- ciple de Saussure. Peut-être 1’oeuvre de Charles Bally qui, sous la
rence), des catégories énonciatives par excellence (déictiques, déter- modeste rubrique d’une « stylistique », osa afhrmer fimportance dans
minants, modalités, performatifs...)4, ou encore des supports le langage social de 1’affectivité individuelle, n’est-elle pas une « nou-
privilégiés de présuppositions (certes, puisque, même, aussi...). Tels cri- velle matrice » au sens ou le serait la pragmatique5. Toutefois, qu’il
tères définitoires formulés pour une catégorie énonciative consacrée
(les déictiques) s’appliquent à nos pen : « il est impossible d’attribuer 1. Cf. J. Cervoni, op. cit., p. 27. Aussi bien regroupions-nous sous la rubrique
d ’ « embrayeurs» les déictiques et les particules (de même que les suffixes aspectuels de déri-
vation verbale) dês notre étude sur Le finnois des Somes bilingues, 1982, p. 78 sq.
1. E. Benveniste, article de Langages (1970, 17, p. 12-18), repris dans Problèmes de linguistique 2. Cf. C. Kerbrat-Orecchioni, L ’énonciation, p. 151-157, p. 32 sq.
générale, II, p. 79-88. 3. C f B. N. Grunig, Pièges et illusions de la pragmatique linguistique, Modeles linguistiques,
2. B. Pottier, Linguistique générale, p. 23. 1979, 1/2 («Énonciation et pragmatique»), p. 7-38.
3. Cf. C. Fuchs, Quelques réflexions sur le statut linguistique des sujets énonciateurs et 4. C f C. Kerbrat-Orecchioni, Benveniste et la théorisation 2. La pragmatique du langage
de 1’énonciation, 1980, et Les problématiques énonciatives: esquisse d 5une présentation histo- (Benveniste et Austin), p. 45 et 54.
rique et critique, 1981. 5. Comme se plaít à le souligner J. L. Chiss — voir chap. « La stylistique de Charles
4. Cf. J. Cervoni, Uénonciation, p. 14-22. Bally : de la notion de “ sujet parlant ” à la théorie de fénonciation » (art. paru dans Langages,
• 24 Fluctuations du statut des particules énonciatives Conditions de filicité 25

s’agisse de 1’activité du sujet parlant mesurée à 1’étalon des évaluatifs imputé à un usage anarchique des termes de « texte » et de « dis­
dès son Traité de 1909, ou de 1’expressivité venant contredire la thèse cours », dans lesquels certains voyaient une opposition d’ensemble
de la linéarité par le biais de la segmentation (dislocation, anticipation, « fini/non fini», d’autres une différence entre « écrit/oral », d’autres
anaphore)1, ou encore de 1’analyse des «signes extra-articulatoires (...) encore une distinction « statique/dynamique ». Nous avons opté pour
qui se reflètent indirectement dans la syntaxe de la phrase »2, cette une utilisation des deux termes en complémentarité, soit 1 / le « texte »
démarche-là présente avec le repérage des marqueurs énonciatifs de conçu comme objet d’une analyse formelle et structurelle (d’oú la
troublantes affinités — y compris dans le sens chimique du term e3. primauté accordée aux phénomènes de cohésion transphrastique),
2 / le « discours» conçu comme objet d’interprétation, une fois
b / Linguistique textualo-discursive
I'ensemble textuel (re)placé dans son contexte énonciatif, c’est-à-dire
Les vertus de la linguistique textuelle étaient, il y a quelques situé en amont et en aval (conditions de produetion, portée interlo-
années encore, moins evidentes pour un linguiste francophone que cutive — adéquation à la situation, efficacité)1. Si la rubrique
pour ses collègues nordiques ou allemands. Certains théoriciens de d’ « analyse transphrastique » parait plus apte à souligner 1’ampleur
1’énonciation pourraient néanmoins sans déroger souscrire aux prín­ du champ concerné2, on peut souhaiter maintenir une distinction
cipes d’une analyse textuelle justifiée ainsi: « la capacité d’apprécier entre 1’approche proprement textuelle (étude des procédés formeis
la cohésion d’une suite de phrases est partie intégrante de notre de liaison entre phrases) et une approche discursive qui, rejoignant
conscience linguistique ». Le texte, pris comme unité de communi- par là la pragmatique interactionnelle, mettra 1’accent sur les aspects
cation, se définira comme « un ensemble formé d’une ou de plu- fonctionnels de 1’usage conversationnel (présuppositions, actes de
sieurs phrases unies par un réseau de relations de coréférence ». parole, schémas d’interaction)3.
Trois concepts de base — la grammaticalité, 1’acceptabilité (commu- Une perspective résolument textualiste, telle que celle prônée
nautaire) et 1’adaptabilité, ou degré d’adéquation contextuelle4 — par N. E. Enkvist dans ses « Fondements » — « Chacune des phrases
fondent 1’approche textuelle, encore que des réseaux plus complexes ct des propositions possède, outre sa strueture grammaticale de base,
de textualité aient pu être élaborés5. une strueture informative qui est au Service de la stratégie textuelle.
Le statut officieux du textualisme en France — hormis dans les L’objectif principal de la linguistique textuelle est 1’étude des rela­
milieux d’enseignants de langues6 — pouvait naguère encore être tions qu’entretient cette strueture informative avec la strueture gram­
maticale de base » — présente d’indéniables affinités avec la théorie
1985, 77) et «Charles Bally: qu’est-ce qu’une “ théorie de rénonciation” ? » (communic. au des deux (trois) niveaux que nous privilégions (VI)4. Nous verrons
Colloque «Histoire des théories de rénonciation», Paris, 12-14.XII.1985, paru dans Histoire
EpistémologU Langage, 1986, 8/2), dans J. L. Chiss et C. Puech, Fondations de la linguistique, p. 193-206 quel pouvoir fécondateur exerça sur 1’analyse de deux repères dis-
et 207-216. cursifs essentiels (marquage particulaire et syntaxe positionnelle) la
1. Cf. Ch. Bally, Traití de stylistique fiançaise, 2 vol., Heidelberg-Paris, Winter-Klincksieck,
1909, 3e éd. 1951; Le langage et la vie, Genève, Atar, 1952 (2'éd., 1913), p. 94 sq. perspective du texte dans sa variante finlandaise (III. 1). Le fonda-
2. Chap. I de la « Théorie générale de 1’énonciation », Linguistique générale et linguistiquefran- teur du mouvement en Fenno-Scandie entend — autre vision inté-
çaise, p. 40-47.
3. « Afíinité » définie par Le Petit Robert (éd. de 1989) comme la «propriété de deux corps gratrice de la relation énonciation/pragmatique — résumer 1’évolu-
de s’unir par 1’intermédiaire de leurs particules semblables ».
4. Adéquation qui recouvre en gros la règle de « pertinence » (argumentative ou situa- 1. Cf. M. M .J. Fernandez, Réénoncer pour traduire et vulgariser, p. 25 sq., et Le discours
tionnelle) promue par certains théoriciens de 1’énonciation — voir C. Kerbrat-Orecchioni, des Somes, p. 53 sq.
Vénonáation, p. 211-212. 2. Cf. l’Avant-propos de D. François-Geiger, Modeles linguistiques, 1988/10, («Analyse transph­
5. Cf. N. E. Enkvist, Tekstilingdstiikanperuskãsitteita, chap. « Pourquoi a-t-on besoin de linguis­ rastique »).
tique textuelle? », p. 5-12; R. de Beaugrande and W. Dressler, Introduction to TextLmguistics, p. 1-11. 3. C f C. James, Contrastive Analysis, Harlow, Longman, coll. Applied Linguistics and Lan-
6. Voir les nombreux numéros de la revue Pratiques — notamment « Argum enter» (1980,
guage, p. 103-104.
28), «Pouvoirs des discours» (1981, 30), «R aconter et décrire » (1982, 34) — et le numéro 4. N. E. Enkvist, Tekslilingvistiikm peruskásittátã, p. 58. Seule différence importante avec notre
de Langue fiançaise, 1978, 38, coordonné par M. Charolles et J. Peytard (« Enseignement du approche : nous nous garderons d’affirmer a priori le déterminisme absolu du contexte et/ou
récit et cohérence du texte »).
cotexte sur la stratégie.
26 Fluctuations du statut des particules énonciatives ( '.onditions de félicité 27

tion de la linguistique textuelle sous la forme de quatre modèles ( )n perçoit la dérive qui se produit d’une linguistique du texte, d’ins-
textuels successifs: piration structuraliste, occasionnellement transformationnaliste, vers
1 / Les modèles textuels à base phrastique (sentence-based). Les tex- une linguistique processualiste qui, certes, se fonde sur 1’utilisation de
tualistes cherchaient à expliquer, par rapport à des textes déjà stmctures pour expliquer les procès mais, dans Foptique des années 80,
produits, les liens interphrastiques, la cohésion : ils centraient leur implique un élargissement de la discipline linguistique. Le proces­
étude sur les mécanismes de surface tels diaphore et ellipse. sualiste s’inspire de modèles empruntés, en dehors des descriptions
L’exemple classique cité est celui de la Cohésion in English de Hal- de langues naturelles, à la psychologie (et à la neuropsychologie),
liday et Hasan (1976).
2 / Les modèles textuels à base prédicative (predication-based) qui aux théories de 1’information, dernièrement à la recherche compu-
considèrent le texte comme l’agencement (la textualisation) d’élé- tationnelle menée en Intelligence artiíicielle (cf. infra VI. 1). Les modèles
ments sous-jacents — appelés propositions ou prédications — syntaxiques n’excluent du reste plus certains critères cognitifs ou inter-
conformément à une certaine stratégie (différentes stratégies pro- personnels: les superstructures performatives et le complexe
duisant, à partir d’une même entrée, différents types de textes). « focus/présupposition » n’impliquent-elles pas déjà une reconnais-
L’analyse dite de « combinaison phrastique »1 est 1’exemple type
d’application du modèle. sitnce des paramètres interactionnels?1.
3 / Le modèle à base cognitive (cognitive-based), autrement dit la
textualisation modelée en termes de réseaux, de cadres, de c / Pragmatique et interaction
schémas. C’est la conceptualisation de la cohérence, et non plus
de la cohésion, qui est en cause — ce qui n’est pas sans poser Afin de « boucler la boucle » des trois éclairages holistiques posés
de problèmes, puisque la cohérence est une fonction, et non une comme conditions de réussite de 1’analyse particulaire, il convient
qualité inhérente, du texte. Le terme de « connexité » (angl. con- d’envisager certains des aspects spécifiques de 1’émergence du champ
nexity) est d’ailleurs usité depuis peu (1980) pour couvrir 1’ensemble pragmatique — non plus dans son acception (tardive) « intégrée »
/ cohérence et cohésion/ c’est-à-dire une question d’interaction entre mais dans sa variante épistémologique propre. Cette pragmatique-là
le texte et 1’appareil cognitif du récepteur.
4 / Le modèle dit interactionnel. II est susceptible de répondre à s’avère au demeurant concerner d’autres aspects du traitement des
la question : « Qu’est-ce qui amène un certain individu dans une pen que ceux dfordinaire mis en valeur par la variante énonciativiste.
situation donnée à extraire certains éléments de son stock cognitif S’inscrivant toutes deux dans le cadre d’une théorie de 1’action,
à des fins de textualisation ? » Référence y est faite à différents 1’analyse de discours et 1’analyse conversationnelle relèvent de deux
types de schémas explicatifs, les maximes de Grice (1975), les théo- paradigmes scientiíiques différents, les Sciences du langage et les ethno-
ries des actes de langage (Cole et Morgan après Austin)3, les
« tours de parole » de 1’ethnométhodologie. sciences, ce qui implique un certain nombre de divergences théori-
ques et méthodologiques. Les analyses de discours visent à élaborer
Ces modèles traduisent, avec un investissement chronologique du des modèles de la conversation (prédictibles et non contradictoires),
domaine textuel, les ambitions croissantes des textualistes : Enkvist insiste les analyses conversationnelles procèdent de manière inductive12.
sur leur nature de « boites chinoises» (le 4e peut inclure le 3C, etc.)4. L’analyse conversationnelle prend pour objet la conversation réa-
lisée et s’efforce d’interpréter les actes (y compris langagiers) pro­
1. Cf. D. A. Daiker, A. Kerek and M. Morenberg (eds.), The Writefs Options: College Sentence
Combining, New York, Harper and Row, 1979.
duits; les facteurs non verbaux (communication inégale, relations
2. Cf. R. C. Schank and R. P. Abelson, Scripts, Plans, Goals and Understanding. An Inquiry de pouvoir...) sont traités comme des notions destinées à faciliter
into Human Knowledge Stmctures, Hillsdale, N. J. Lawrence Erlbaum Associates , 1977, et N. V.
Findler, Associative Networks, 1970.
1’observation ordinaire — et non comme des concepts théoriques.
3. Cf. P. Cole and J. Morgan (éds.), Syntax and Semantics 3 : Speech Acts, New York, Aca-
demic Press.
4. Cf. 1’Introduction « Coherence, composition and text lingnistics», de N. E. Enkvist 1. Cf. la Préface « Impromptu specch, structure and process» de N. E. Enkvist (éd.),
(éd.), Coherence and Composition, p. 14-17. Voir aussi M. M, J. Fernandez, La linguistique tex­ Impromptu Speech, p. 7.
tuelle en Fenno-Scandie. 2. Cf. J. Moeschler, Modêlisation du dialogue, p. 4-7 et 17-18.
Conditions de fé liá té 29
28 Fluctuations du statut des particules énonciatives

en présence sont continüment (...) et simultanément en situation


Si les actes de parole institutionnalisés (baptême, etc.) et ritualisés
d’émission et de réception » 1.
(remerciement, excuse, compliment) ne posent pas de problèmes
L’approche comportementale concerne directement la probléma-
d’identificationil n’en va pas de même du dialogue authentique :
tique des pen , en ce qu’elle s’intéresse aux actes de langage indi­
les constructions usuelles s’avèrent réfractaires au classement en « actes
rects, aux procédés d’autocorrection, aux atténuateurs. Parmi les para-
de langage » (Austin et Searle), d’oú la prolifération de divers modèles,
mètres qui déterminent les règles interactionnelles, on remarque
au statut théorique incertain, qui se rapprochent de 1’empirique.
1’aspect le plus général de la politesse, probablement un universal,
Hormis les actes de langage indirects, première concession de la
« éviter la confrontation ». La recherche d’un équilibre adéquat entre
théorie à rempirisme2, le seul modèle effectivement appliqué se
les deux príncipes des « faces» — protection de la sienne et ména-
concentre sur une dyade aux rôles clairement déterminés (type pro-
gement de celle des autres (théorie des « faces» mise au point par
fesseur/élève, médecin/patient) — évacuant par là même la conver-
Goffman, affinée par Brown et Levinson) — est un élément fonda-
sation quotidienne! Dans sa version la plus prestigieuse, celle de
mental de régulation : bien des stratégies observables dans 1’interlo-
Sinclair et Coulthard (1975), le modèle d’échange en situation péda-
cution sont autant de tentatives de résolution de cette double
gogique (« actes» qui se construisent en mouvements, épisodes, etc.)
contrainte2. La réflexion verbale de ces règles est encodée à 1’aide
révèle, avec 1’ancrage culturel de la pratique discursive, les difíicultés
de procédés divers : variations aspectuo-temporelles et de mode énon-
d adaptation d’un modele transculturel. Les actes de langage ont
ciatif (question à valeur jussive), prosodie, ordre des mots (thématisa-
certes plusieurs mérites à leur actif — dont la promotion de
tion), locutions et particules, déictiques émotionnels, interjections. Ces
«1 échange » mais ils ont aussi, d’une longue fréquentation de
procédés ont en commun 1’aptitude d’effectuer un « ancrage implicite»
la théorie grammaticale (phrases et système), conservé des entraves
de 1’énoncé dans 1’interaction en cours. Les déictiques d’usage ordi­
méthodologiques. Un corpus large et typologiquement diversifié, préa-
naire (monstration, anaphore) et les adverbes attitudinels — épisté-
lable à toute généralisation, permet seul de repérer certaines « ano-
miques (probablement) ou évaluatifs (malheureusement) — réalisent un
malies » du discours : dans la conversation ordinaire, 1’interlocuteur
ancrage explicite de 1’énoncé dans le contexte : on pourrait leur donner
peut ne pas réagir au stimulus du locuteur, ou réagir à 1’inverse
une représentation sémantique dans le lexique. Les particules énon­
de son attente. L’échange conversationnel ne saurait être réduit à
ciatives, en revanche, ancrent implicitement 1’énoncé : elles ne peuvent
un acte intentionnel, puisque le locuteur ne décide pas seul de la
pas (aisément) qualifier 1’univers intérieur du texte, mais doivent être
signification de son acte : il s’agit d’une négociation conjointe et
interprétées comme véhiculant les attitudes et les commentaires d’un
constante des significations3. On constate en France même, avec
énonciateur. Parmi les traits constitutifs du concept d’implicite, celui
le glissement de certaines démarches du discours vers la conversa­
de « pertinence courante » (angl. current relevance) nous semble mériter
tion, une rapide évolution des conceptions : la « pragmatique du
une certaine attention : il insiste sur la construction transphrastique
troisième type » traite d’« intersubjectivité », la distinction entre émet-
du message. Directement liée à la cohérence du discours, la « perti­
teur et récepteur est relativisée, du fait que « les difTérentes parties
nence courante » est celle qui, préparant 1’allocutaire à 1’interpréta-
tion adéquate d’un énoncé, va par exemple permettre au locuteur
de justiíier son action ou son inaction, mais aussi d’afíirmer, en indi-
1. Cf. C. Kerbrat-Orecchioni, La description des échanges conversationnels: Fexemple
du compliment, DRLAV, 1987, 36-37, p. 1-53, et L’ « échange » comme unité transphrastique
L’exemple de 1’excuse, Modèles linguistiques, 1988, 10/2 («Analyse transphrastique»), 1. Citations extraites de C. Kerbrat-Orecchioni, L’approche interactionnelle en linguis-
tique, LHnteraction, 1989, p. 10 et 16, que l’on comparera à une définition du sens donnée
2. Voir la différence entre valeurs respectívement patente et latente de l’énoncé, C. Kerbrat- par le même auteur en 1980 : « u n texte veut dire ce que 1’allocutaire suppose que le locuteur
Orecchioni, Uénonciation, p. 188-196. a voulu dire dans (par) ce texte », L ’áionciation, p. 181.
3. Voir A. Hakulinen (éd.), Suomalaisen keskustelun keinoja, chap. « La segmentation de la 2. Cf. C. Kerbrat-Orecchioni, L’approche interactionnelle en linguistique, Uinterartwn, p. 19.
parole en actes de langage », p. 43-47.
30 Fluctuations du statut des particules énonciatives ('.undiímns de félicité 31

quant sa source, la fiabilité de son assertion1. Tandis que la réfé- iinimel de 1’énoncé, mais lui apporter un sens supplémentaire —
rence explicite au contexte inclut les aspects vériconditionnels et pro- r in ore que décisif pour 1’interprétation1. II existe de nombreuses
positionnellement pertinents, de même que la référence spatio- dmoininations de sous-catégories de particules en fonction des cri­
temporelle, la référence implicite ne qualifie pas le « d it» en tant m es retenus, parmi lesquelles on mentionnera: 1 / les particules
que tel, mais le processus énonciatif lui-même et certains aspects rUuliées en fonction de leur position ou distribution. Les particules encli-
de ses implications interlocutives. Exemple : Je suis là maintmant est liques par exemple se rattachent à un autre mot de 1’énoncé sans
un énoncé déictique, ancré explicitement dans la situation; qu’il le que cela implique obligatoirement une modification de son sens (uni-
module en Enfin, quoi, je suis là maintenant, et le locuteur opère une i.iiie) — voir, pour les langues finno-ougriennes, III. 1; 2 / les parti-
sorte de déplacement du contexte spatio-temporel, les deux parti­ t ulcs de degré signalent, en le focalisant, le rangement du consti-
cules insérées (ici placées à 1’initiale) lui permettant d’ancrer implici- luant auquel elles ont incidence (et de ses alternatives) dans une
tement 1’énoncé dans (des attitudes et des sentiments rapportés à) c( lielle de degrés. Ces particules jouissent en pragmatique franco-
un contexte énonciatif. Mais il n’est pas toujours aisé de tracer une plione de faveurs particulières, grâce à la théorie logico-argumentative :
frontière. La distinction entre explicite et implicite ne recouvre pas du moins, surtout, même, quand même...2. Au troisième groupe, celui des
celle entre conventionnel/non conventionnel: tout élément du système particules «modales», ont été consacrées des études variées, sous
langagier (verbal ou non verbal) peut se conventionnaliser (geste indi- fimpulsion notamment d’un linguiste allemand, H. Weydt (cf. biblio-
viduel qui devient une « mode » collective, particule d’atténuation graphie et infra III.2.a).
qui se stabilise en « honorifique », etc.), et, accédant par là au statut Les critères retenus par 1’analyse du discours sont hétérogènes,
d’une abstraction cognitive, devenir partie intégrante du stock séman- les dénominations sont variées / / « particules/marqueurs/ponctua-
tique. Cette distinction scalaire ne recouvre pas non plus celle entre leurs » — « discursifs/énonciatifs/modaux/expressifs » e tc .// (voir
intentionnel/non intentionnel: 1’intention a trait à la source (l’émet- III.2.c pour le français). La reconnaissance de deux sous-catégories
teur) du message, tandis que la distinction explicite/implicite a trait (kit néanmoins la quasi-unanimité des linguistes: 1 / des particules
à une certaine prise en charge du code utilisé dans 1’interaction. de nature textuelle, proches des connecteurs (et l’on sera amené
L’une des meilleurs définitions énonciatives disponibles nous semble à traiter d’une classe mixte de « conjonctions-particules ») qui relient
être la suivante : si l’on peut être tenu pour responsable de ce qu’on entre elles des parties du texte (propositions, phrases, énoncés, tels
dit (on fait) — devant une cour de justice, en dernier ressort — , pourtant, ainsi, mais, de même que certains enclitiques de corrélation
le message (1’acte) a été exprimé (réalisé) explicitement. L’exemple additive et de consensus, fí. -kin et -hAri), et d’autres marqueurs tex-
fourni par J. O. Õstman à 1’appui de cette définition est celui-ci luels tels les signaux de bornage (fr. bon, bien, fi. min « alors, eh
(transposé) : si X lance à Y — T ’es qu’un escroc!, il pourra être trainé bien »), les marqueurs de changement thématique (sinon, autrement),
en justice pour insulte, mais s’il lui jette — Vas tout de ton père!, les procédés de mise en doute de la véracité de 1’expression (encliti­
sa culpabilité sera difíicile à prouver12. ques équivalant à « paraít-il » dans de nombreuses langues); 2 / des
Quelles sont les exploitations possibles de la catégorie « parti­ particules interpersonnelles, qui impulsent et régulent le processus inter-
cules et locutions particulaires» dans une perspective d’analyse actif. Exemples: les éléments fixateurs d’attention tu vois, regarde, écoute,
transphrastique ? Les critères d’identification n’étant ni morphologi- les expressions de « réserve » assez, plutôt, quelque part, et les procédés
ques («invariabilité »), ni syntaxiques, l’on entendra par particules d’ « atténuation », plus difficiles à caractériser du point de vue fonc-
de petits mots que l’on considère ne pas influer sur le sens proposi- tionnel, telles certaines particules enclitiques des langues particulaires,

1. Cf. W. L. Chafe, The deployment of consciousness in the production of a narrative.


1. Cf. A. Wierzbicka, Precision in vagueness.
2. J. O. Õstman, Tou know: A Discourse Functional Approach, p. 18-25.
2. Cf. O. Ducrot, Les échelles argumentatives, Paris, Minuit, 1980.
( '.onditions de fllicité 33
32 Fluctuations du statut des particules énonciatives

Ces deux points de vue soulignent la fonction d’encadrement


ex. fi. -hAn, -pA(s) qui vont atténuer la force illocutoire de 1’énoncé
et de régulation/orientation des particules. Leurs différences princi-
(ordre > suggestion, etc.) — voir VI.2.a.
pales correspondent aux deux sous-groupes de p e n établis par la
On notera, d’une part, que des catégories défmies sur des cri-
rccherche récente : 1 / les particules spécialisées dans 1’emploi textuel;
tères aussi divers ne peuvent qu’empiéter les unes sur les autres;
2 / les particules spécialisées dans 1’emploi interpersonnel. Un troi-
d’autre part, que les groupes formés sur la base de critères fonction-
sième sous-groupe, mis en valeur par 1’analyse conversationnelle, est
nels sont rarement constitués de particules exclusivement. Un exemple
( elui des « inteijections » (non onomatopéiques) qui jouent souvent
prégnant pour la conceptualisation empirique du discours est celui
un rôle de marqueurs de rétroaction : « ah bim, ah oui, ah bon ». L’obser-
du marquage énonciativo-hiérarchique (sélection, emphase, thémati-
vation d’un large corpus discursif permet de dégager, en dépit de
sation), qui utilise concurremment certaines particules et certains pro-
Irontières fluctuantes entre les groupes, quelques tendances géné-
cédés prosodiques (variations intonatives et accentuation)1. Les élé-
rales : plus une p e n s’approprie de fonctions cohésives ou textuelles,
ments de « réserve », déjà mentionnés, comprennent de même des
plus elle évolue vers un emploi syntaxique, pour devenir notamment
représentants de catégories linguistiques diverses.
conjonction. L’histoire proche du finnois oífre ainsi de nombreux
La perspective interactionnelle permet de mieux cerner la valeur
exemples de transferts de particules d’un groupe à l’autre, par exemple
sémantico-énonciative des particules, de deux points de vue au moins:
le mot d’emprunt ja, interjection devenue conjonction (puis
1 / Les particules énonciatives jouent le rôle de délimitateurs
« adverbe », cf. II.2.a); les conjonctions jos «si», kun «lorsque» et
sémantiques. Excluant une partie des interprétations possibles de
mutta « mais », toutes d’origine pronominale, devenues particules après
1’expression, elles indiquent de quel type de pertinence il est ques-
avoir été adverbes, etc. En synchronie dynamique, on peut observer
tion. Les langues peuvent développer des structures particulières,
aujourd’hui Pévolution de i/ian « tout à fait» et de melkein « presque »
afin de guider le processus de 1’interprétation en stipulant certaines
qui sont en voie d’acquérir, à côté de leur fonction de mise en
propriétés des contextes : 1’emploi de telles structures diminue le cout
valeur, une fonction de « réserve », de même que Pévolution de kato
de traitement d’un énoncé. Ces idées, élaborées par les théoriciens
(forme orale de katso « regarde ») qui, « particulisé » hors du para-
de la pertinence12, ne sont pas sans rappeler la définition, proposée
digme verbal, prend une valeur de connecteur1.
par les ethnographes de la communication, des « indices de contex-
En résumé, si la différence entre parole impromptue et langue
tualisation » (contextualization cues) : « les moyens par lesquels le locu-
standard a le plus souvent été abordée en termes de déviance par
teur signale et les auditeurs interprètent (...), comment le contenu
rapport à une norme, cela est dü autant aux fondements culturels
sémantique doit être compris et comment chaque phrase se rattache
de nos grammaires qu’aux techniques dont disposaient les grammai-
à ce qui précède et à ce qui suit »3.
riens antérieurement à Papparition du magnétophone/scope. La des-
2 / Le locuteur, en ayant recours aux particules énonciatives,
cription exacte de la parole authentique continue de poser des pro-
choisit de disposer son message dans un cadre interprétatif, autre-
blèmes cruciaux: instabilité de la syntaxe orale, difficulté de découpage
ment dit de fournir à son interlocuteur des indications quant à sa
de la masse textuelle, etc. Un élément de solution consiste à prendre
propre évaluation de la situation, et quant à la nature de l’acte
en compte les structures interactionnelles: certains traits spécifiques
de langage qu’il estime effectuer par son énoncé4.
de Poral spontané s’expliquent par la résistance qu’opposent les struc­
tures grammaticales aux exigences de Pinteraction. La « déviance »
1. Mais nous verrons aussi comment cette apparente faiblesse du classement intralingual
devient un point fort (critère typologique) de la théorisation interlinguale (VIII.3). se produit lorsque des príncipes interactionnels Pemportent sur les
2. Cf. D. Brockway, Semantic constraints on relevance, 1981; D. Blakemore, Semanúc Cons- règles syntaxiques, par exemple lorsqu’un locuteur évite de marquer
traints on Relevance, 1987; D. Sperber et D. Wilson, La pertinence. Communication et cognition, 1989,
« L a forme propositionnelle et le style : les effets présuppositionnels», p. 301-326.
3. Cf. J .J . Gumperz, Discourse Strategies, p. 131. 1. Cf. A. Hakulinen (éd.), Suomalaisen keskustelun keinoja, p. 115 sq.
4. Cf. D. Schiffrin, Discourse Markers, p. 20.
34 Fluctuations du statut des particules énonciatives <,'onditions de félicité 35

une pause à la fin d’une unité textuelle (paragraphe ou énoncé long) ■omme «inachevé ». Or la réalité des faits observés dans des condi-
afin de réserver son tour de parole, ou encore lorsqu’il préfère au iinns naturelles de parole contredit cette interprétation, au moins
silence une séquence de mots «vides». L’étude interlinguale des pour ce qui est de Femploi de la copule dans plusieurs dialectes
pen , qui interviennent précisément dans les deux cas précités, sera de la région baltique et du russe du Nord. Un usage similaire de
d autant plus appropriée que des travaux récents ont montré combien ertte «conjonction» en finale a pu ainsi être relevé dans différents
le seuil de tolérance du silence était affaire de culture (et de « sous- iccueils de dialectes estoniens et finnois, dans des récits ingriens et
cultures» régionales ou ethniques)1. caréliens, ainsi que dans des phrases éparses citées par des dialecto-
logues russes et lettons. Dans les textes estoniens et finnois, la copule
jti se rencontre en position finale lorsqu’il s’agit de signaler qu’une
2. Les approches comparatives série (objets ou faits cités) est incomplète : elle constitue couramment
le dernier élément d’une narration orale, ex. « II ne vaut rien, il
Variante originale du comparatisme aujourd’hui reconnue comme est aveugle, il est bavard, il boit et», là oü un texte littéraire aurait
l’une des tendances majeures de la linguistique générale, la linguis- « et ainsi de suite, etc. ». II est intéressant de noter que le connec-
tique contrastive devrait offrir un cadre méthodologique idéal pour teur et son emploi « adverbial» ne s’excluent pas mais coexistent
1’observation des pen . Nous préférerons à la comparaison abstraite Iréquemment au sein d’un même énoncé, ex. fi. Mina saim markki-
d’éléments mal répertoriés 1’aspect de « continuum en contrasti- noilta hevosen sittej ja/se hevonen oli/se oli sitte hyvã hevonel lihava kovastij
vité »12 qu’illustre la linguistique aréale. ja muutoj ja « J ’ai acheté au marché un cheval alors et, ce cheval
était, c’était donc un bon cheval, bien gras et autrement et (=? comme
a / Dialectologie aréale il faut)». Les dialectes ingriens connaissent le même type d’emploi,
Considérons, pour lexemple, une étude qui, datant de plus de leur originalité consiste à remplacer la copule (finnoise) ja par son
vingt ans, fait encore aujourd’hui figure de travail de pionnier: partant équivalent russe i et à Futiliser dans des contextes identiques, ex.
du príncipe bien connu de F « usure » des lexèmes (le mot « plein » kãim mõ Gin/bo messiGal mont pãivaG./rui"sta nittãmàZ i kagra nittãmãZ
se vide de son sens et se réduit à une particule ou à un affixe i « Nous aussi/nous sommes allés chez le propriétaire pour quelques
lui-même bientôt réinvesti d’une fonction grammaticale), qui est, nous jours/faucher le seigle et faucher Favoine et (= etc.)». On signale
le verrons, à Forigine de la formation de Fune de nos classes essen- de même dans certains parlers lettons la présence d’un un « e t »,
tielles de particules, F. de Sivers se propose d’examiner, avec 1’adver- ne (négation) ou ka « que » en position finale, alors que Fénoncé
bialisation des conjonctions dans quelques parlers populaires du pour- est à Févidence achevé1.
tour de la Baltique3 un cas, plus rare, d’évolution inverse. Une Le russe semble être la seule langue oü la position finale des
conjonction, dont la fonction est en príncipe clairement définie, n’est conjonctions ait attiré Fattention des linguistes. A. B. Sapiro cons­
pas censée se présenter seule : elle assure normalement la liaison tate, suivi en cela par P. S. Kuznecov, que Futilisation des conjonc­
avec ce qui précède en début d’énoncé, ou entre deux éléments tions en fin d’énoncé est très répandue dans les dialectes du Nord,
de la chaine parlée. Aussi la présence d’une conjonction en fin mais peu attestée dans les documents écrits; il essaie d’établir une
d’énoncé tend-elle à être interprétée comme la marque d’une inter- distinction entre les conjonctions da, da i, i et a et les « particules »
ruption due à des causes extralinguistiques, et 1’énoncé qu’elle clôture qui se présentent sous la même forme phonique (occasionnant des
risques de confusion). Les nombreux exemples cités de particules
1. Cf. N. E. Enkvist, Préface à Impromptu Speech, p. 18 sq.; M. M .J. Fernandez, Le discours
des Somes, p. 112 sq.; C. Hagège, Uhomme de paroles, p. 267-284. 1. Cf. S. Tarming, « Mulgi murdetekstid », Eesti murded, I (Tallinn, 1961); M. Must, « Kesk-
2. C f Le discours des Somes, p. 42 sq. murde tekstid », Eesti murded, II, Tallinn, 1965; P. Virtaranta and P. Soutkari, Jfàytteità suomen
3. F. de Sivers, L’adverbialisation des conjonctions dans quelques parlers populaires, 1968. murteista, Turku, 1964; A. Laanest, Isuri murdetekste, Tallinn, 1966.
36 Fluctuations du statut des particules énonciatives 37
Cunditions de Jelicité

(casticy) et de conjonctions (sojuzy) sont classés en fonction de leur sii(■ de témoignages oraux (intonés et rythmés) car « C ’est la courbe
position dans 1’énoncé : conjonctions préposées, postposées, « enve- mélodique de la phrase qui peut nous faire comprendre, si un énoncé
loppantes » (circumposées), ex. : rsi « entier» ou amputé. Tout discours est accompagné de
da tut popaxali da, da tut manastyr’ stali stroit’ o berezku da mélodie»1. Ce phénomène présenté comme un « glissement fonc-
« et alors (ils) labouraient et, et alors (ils) commencèrent à construire lionnel des conjonctions », qui semble s’étendre sur une vaste région
un monastère sur le rivage et.»1. •illant de la Baltique jusqu’en Sibérie (des faits analogues sont signalés
pour le yakoute), mérite sans aucun doute d’être vérifié plus large-
En Pabsence de contexte, il est difficile d’interpréter ces exem­ mcnt, comme le souhaitait 1’auteur en conclusion; son attestation
ples avec certitude; il semble toutefois que la conjonction finale, aréale, dans deux rameaux linguistiques distincts, prouve au moins
dans les énumérations au moins, corresponde à une expression adver- que la fluidité des catégories n ’est pas, dans 1’énonciation naturelle,
biale de type « et ainsi de suite », « avec d’autres choses de ce genre ». un simple mirage.
Cette interprétation se fonde, en estonien, sur la richesse des textes
recueillis, et sur la fréquence des conjonctions adverbialisées. A côté b t Proverbe et dialogue
de la copule ja interprétée comme «et caetera», on rencontre en ftn A fins de comparaison dans la même aire géographique, nous
d’énoncé d’autres conjonctions, par ex. või « ou », nõnda et « de sorte pouvons nous livrer à 1’examen du remarquable corpus fourni par
que », ex. :
la publication récente d’une concordance entre proverbes balto-finnois.
pãjoBoesiDjo varastasiD mel katte saiD//kal menè kef\GàD kulkist vá/va La structure du proverbe, comme celle d’autres genres énonciatifs
mmel oll mütl vdmà ots s/vá palittu vn/ /ikke sê veetti ã ritualisés, directement issus de la tradition orale, semble reposer sur
« Les garçons d’honneur chapardaient tout ce qu’ils pouvaient une formule (schéma) de base régie par des impératifs mnémotechni-
attraper. Les chaussures de quelqu’un quelque part par exemple/ ques de rythme et de syntaxe. Cette impression d’ensemble est con-
ou la casquette que quelqu’un avait accrochée au portemanteau, firmée par la comparaison des 900 Proverbes septentrionaux édités par
ou un manteau par exemple. De toute façon, on le prenait.» M. Kuusi2, empruntés aux langues balto-finnoises c’est-à-dire
finnois, carélien, estonien, vote, vepse et live et rapprochés de leurs
Les deux dialectologues mentionnés choisissent, pour le russe,
parallèles russes, baltes, germaniques et scandinaves. On constate
de classer les conjonctions non conjonctives au nombre des « parti­
que les énoncés simples — une seule prédication assertive, interro-
cules ». Sapiro propose de définir les « particules » en fin d’énoncé
gative ou jussive —, qu’ils soient affirmatifs ou négatifs, sont 1’excep-
comme éléments « finaux-fixants» (zakljuãtePno-zakrepitlPye casticy),
tion : 28 sur les 800 du corpus retenu (après élimination des occur-
substituts de vraies conjonctions que le locuteur, incapable d’orga-
rences limitées à une langue unique). Extrêmement rares sont au
niser ses phrases, dispose de façon fortuite. Le commentaire du dia-
demeurant les énoncés complexes à plus de trois propositions et
lectologue est d’ailleurs très significatif: le locuteur parle « m a l»,
les énoncés longs à structure textuelle hiérarchisée (énoncé simple
«il s’arrête souvent sur n’importe quel élément de la chaine... ».
suivi d’une énumération explicative par exemple): moins de 1 %.
Mais comment savoir si la phrase est «inachevée » ou non? Et
La grande majorité des énoncés se répartit dans deux classes d’équi-
1’auteur de 1’étude invoque à juste titre — et à une époque ou
valence par couples de langues: équivalence du parallélisme struc-
cette opinion, en milieu fonctionnaliste, ne s’imposait pas — la néces-
turel d’une part, équivalence de la structure à particule énonciative
d’autre part.
1. Cf. A. B. Sapiro, Nekotorye osobennosti v upotreblenii castic i sojuzov v russkix govorax,
Bjulleten’ dialektologiceskogo sektora Instituía mss/cogojagika Akatknü Nauk SSSR, 1949, p. 88-95; exemples
repris dans P. S. Kuznecov, Russkaja dialektologija, Moscou, 1951. 1. F. de Sivers, art. cit., p. 468.
2. M. Kuusi (éd.), Provérbio. Septentrionalia, 1985.
38 Fluctuations du statut des particules énonciatives C.onditions de félicité 39

1 / Pour nous en tenir aux deux langues principales du groupe, siis sajab seitse nãdalat. Ce bornage sert aussi à renforcer le conseil
dont la parenté morphosyntaxique est de surcroit presque transpa­ ou 1’ordre, y compris en carélien, ex. «Aide-toi, (alors) le ciei
rente, on a pour le couple finnois-estonien 26 % d’énoncés au paral- 1 aidera/prendra soin de toi», ca. Itse kuin katsot, dai Jumal kattsoo.
lélisme d iconique formelle. S’il n’y a pas similitude morphologique La fréquence de cette jonction rhématique s’étend au-delà de la
et syntaxique ex. « L’homme propose [et] Dieu dispose»1, fi. région balto-fmnoise jusqu’aux langues des familles voisines, baltes
Ihminen pããttãa, Jumala sãàtãã, es. Inimene môtleb, jumal juhib — , l’ico- et germaniques: plusieurs équivalents suédois sont articulés par
nique peut être marquée dans une langue par la répétition de suf- 1’adverbe-PEN sã « ainsi, alors ».
fixes casuels (cf. la morphologie redondante et la concordance verbo- Courante est aussi la pen enclitique de corrélation additive -kin
nominale du finnois), ex. fi. Suun sanoissa, pieni tbissã « Grand en paroles, « aussi», ex. « Même un seigneur a le droit de manger en paix »,
petit au travail», dans 1’autre par 1’identité parfaite de la séquence, fi. Ruokarauha herroissakin (litt. « Paix du manger même chez les sei-
es. Kes palju rãdgib, see vãhe teeb « Qui parle beaucoup (il) peu fait». gneurs »), particule dont la valeur argumentative est explicitée par
A ceei s’ajoutent 9 % environ d’énoncés similaires dans une troi- 1’équivalent suédois : Matro och skitro màste till och med drãngen ha, litt.
sième langue : carélien ou live. Exemple de proverbes bien connus « Paix de manger et paix de chier doit avoir le valet y compris».
dans toute la région : fi. Oma maa mansikka, muu maa mustikka/ca. Oma D’emploi moins automatique, la particule enclitique de corrélation
maa mansikka, muu moa mussikka, litt. « [Son] propre pays [c’est] une négative fi. -kaan/-kãàn, es. -ga, souligne la charge présupposition-
fraise, autre pays une myrtille », c’est-à-dire « Rien ne vaut son chez nelle de 1’énoncé, ex. « Un loup n’est pas aussi grand/noir qu’on
soi», et la variante estonienne Oma maa marjukane, oma kodu kaunikane, le d it», fi. Ei susikaa niin suur oo kun huuretaan (litt. « Pas le loup non
« Son pays [c’est] une douce baie, sa maison une vraie beauté ». plus est aussi grand...»), es. Ega susi niin suut ei ole, kui tetas (« Et
Ou encore : « Oü il y a de la fumée, (là) il y a de la chaleur», non plus le loup... »), qui suggèrent avec souplesse un contexte de
fi. Miss on savua, siin on lãmmint/es. Kus suitsu, seal sooja/Yi. Kus so’vvô, rumeur/ragot à déjouer.
sal lemcji. Autre pen utilisée de concert par les langues du groupe, la par­
Dans les quelques proverbes parallèles par corrélation négative, ticule dialogique fi. kyllã/ts. küll qui dans la formule proverbiale est
les deux termes de la négation peuvent, en passant d’une langue généralement placée à 1’initiale, ex. « (Oui) la faim apprend au Lapon
à 1’autre, permuter, ex. « Le travail ne s’achève pas en travaillant à chanter, au loup à hurler, etc. », fi. Kylla nãlka opettaa lappalaisen
ni le sommeil en dormant, fi. Ei tyb tehm lopu eikã uni maaten, mais laulamaan, es. Küll hàda õpetab...
ca. Ei uni lopu maguamal eikã tyot tegemãl, c’est-à-dire la corrélation Ces particules peuvent se combiner — encore que le figement
dans 1’ordre inverse («Ni le sommeil — ni les travaux »). de la formule semble avoir épuré 1’énoncé (comme il l’a fait des
2 / L’autre groupe (29 % environ) des équivalents fait intervenir répétitions non fonctionnelles) de ces modalisations multiples propres
pour le couple finnois-estonien une ou plusieurs particules, dont la à 1’oral. La comparaison fait apparaitre des variantes intra- et/ou
plus fréquente est de loin la pen de bornage thématique fi. niin/es. interlinguales: « S’il y a de la place sur la route, il y a aussi du
siis « ainsi, eh bien, alors », qui introduit la proposition principale jeu dans les chaussures en écorce », fi. Jos on tiâssã tilaa, kyl on vir-
après une proposition temporelle ou conditionnelle. Ex. : « S’il pleut suskin varaa ou bien Jos on virsussa varaa, ni on tiellaki tillua, ca. Jos
le jour des sept frères/des sept dormeurs [10 juillet, 27 juillet], (alors) on vartta virsussaki, onpa suollaki sijoa. Si, dans les trois formules, à
il pleuvra plusieurs semaines», fi. Unikeon pãivànã jos («si») sataa, la proposition conditionnelle fait écho un double marquage de 1’affir-
niin sataa seitsemãn viikkoa, es. Kui («lorsque ») seitsemevenna paeval sajab, mation principale (confirmation de 1’existence assertée par le pré- >
dicat verbal + confirmation ponctuelle du circonstant local), le degré í
1. Nous donnons, lorsque le mot à mot n ’est pas nécessaire, la forme française normalisée de force de 1’affirmation varie avec la particule sélectionnée : m(in) :
du proverbe type, lui-même fondé sur des critères de fréquence et fourni par les répertoires
de proverbes balto-fmnois. relativement neutre < kylla nettement affirmatif < -pa emphatique •
Conditions de Jèlicité 41
40 Fluctuations du statut des particules énonciatives

tique — allitération) mais fi. Ku varkaalt varastaa, ni Jumalaki nauraa


(employé aussi en finnois, notamment dans les énoncés exclamatifs
— Onpa mies viitsikãs! «II a de 1’humour, le bonhomme!»). («Lorsque — même le Seigneur r it»), dans lequel 1’actant 1 est
cncadré par les deux pen. Certaines des formules se retrouvent dans
3 / Q u’en est-il lorsque les formules de deux ou plus de deux
toutes les langues de la région balto-scandinave, langues germani-
langues en contact ne présentent pas cette identité alternative de
ques y comprises, avec un schéma iconique identique, ex. « Le temps
schéma syntactico-pragmatique, c’est-à-dire soit un parallèle para-
tactique soit un parallèle particulaire ? Si l’on examine ces cas, nom- porte conseil», all. Kommt ^eit, kommt Rat, su. Kommer üd, kommer râd,
breux (22 %), de construction-calque à une différence près, la pré- es. Tuleb aeg, tuleb nõn («Vient le temps, vient le conseil») auquel
sence ou non de la pen, on constate que la différence est s’oppose le finnois Kun tuloo pãivà, niin tuloo neuvo (« Quand vient le
systématique entre finnois et autres langues : le proverbe finnois est jour, niin vient le conseil»). Cette systématique particulaire du finnois
toujours, à quelques exceptions près, celui qui se distingue par un s’observe aussi avec une modalité autre qu’assertive, jussive par
marquage particulaire. Les pen utilisées sont les mêmes que celles exemple : « Visite rarement, tu seras bien traité », ca. Harvemba gost’ih
déjà citées, c’est-à-dire : kãy, armahembi olet, es. Harva kaid..., mais fi. Kun harvoin kãy, niin hyvãnã
— pen de corrélation additive -kin, ex. «C e que tu cherches, pidetããn (« Lorsque — niin »).
tu 1’auras», fi. Ken mitâ kaapii, se sita saapkii, es. Mis sa otsid, seda La cohésion de la formule finnoise peut être renforcée aussi par
leiad. Cette pen sert à marquer ainsi non seulement la confirmation la pen de corrélation additive négative, ex. « Qui ne travaille pas
de 1’action attendue (enclitique suffixé au prédicat verbal) mais aussi ne mange pas », es. Ep ole tóõd, ep ole leiba («II n’y a pas de travail,
la confirmation de l’un ou 1’autre des actants, sujet, ex. « Qui a il n’y a pas de pain »), mais fi. Jos ei ole tyótà, niin ei ole leipãákaan
soif a des jam bes»1, fi. Joll on jano, sill on jalatkin, es. Kel janu, sei (« Si — alors pas de pain non plus»).
jalad, vo. Hei onjano, senel onjalgaD, ou encore objet, ex. « Vaillance Cet effort de construction d’un discours argumenté, là ou les
1’emporte sur malchance », fi. Ahkemus fcovan onnerdán voittaa (litt. « Vail- autres langues se contentent d’une formule aussi laconique qu’ico-
lance(nom.) rude(acc.) sort(acc.)+tón vainc »), ca. Ahkeruus kovan onnen nique, est d’autant plus net qu’un certain nombre de variantes fin-
voittaa. Cette divergence est d’autant plus frappante lorsque la même noises ont recours à des pen de modalisation non attestées par ail-
formule, commune au stock parémiologique interculturel, se trouve leurs dans les classes d’énoncés équivalents déjà évoquées,
dans plusieurs langues voisines, ex. « Telle mère, telle fille/Tel père, principalement la pen -han/-hãn de pertinence ou de connaissance
tel fils », es. Kuidas ema, nõnda tütar. Kuidas isa, nõnda poeg, ca. Mitys partagée, combinée avec l’une ou 1’autre des pen de corrélation,
on ema, semmóni era («Mère — filie »), mais fi. Minkãlainen isa, sen ex. « Le loup/Pours ne fait pas de mal près de sa tanière », fi. Eihàn
lainen poikakin (« Père — fils »). se karhukaan pesàmuatam pilloo (v. nég + han se/le loup + kaan... « Non,
— pen de bornage thématique niin. Le schéma général des for­ c’est bien connu, même l’ours n’abime pas sa tanière ») es. Ega
mules proverbiales dans les autres langues du groupe est celui d’une hunt pesa ümbert ei muna «E t il n’attaque pas, le loup, près de sa
liaison paratactique par iconique pur. Le finnois a, lui, une structure tanière ». Cette particule thématique peut être corrélée (comme elle
syntaxique hiérarchisée en proposition conditionnelle + proposition l’est fréquemment dans 1’argumentation orale) à la conjonction adver-
principale, ou proposition temporelle + proposition principale. Ex. : sative, laquelle est peu attestée par ailleurs (opposition paratactique),
« Un voleur volé et le Seigneur r i t », es. Varas varastab varga jãrelt, ex. « II y a toujours du poisson dans l’eau, mais pas toujours dans
vana jumal vaatab pããlt (litt. « Un voleur vole un voleur, le vieux Sei­ le filet», fi. Onha ne kalat ai jàroes, mut ei apajal («Ils sont certes les
gneur suit du regard », cohésion renforcée par 1’iconique phonéma- poissons toujours — mais pas... ») ^ ve. Ühlài kala vedes, ei iíhtai
lasjames (« Toujours —, pas toujours — »).
La pen d’affirmation dialagique enfin confere aux proverbes
1. Les langues fenniques sont des langues à construction possessive en « être »; litt. « A finnois une tonalité interactive absente des autres langues : « L’argent
qui est soif, à celui-là est des jam bes».
42 Fluctuations du statut des particules énonciatives ( M/iditions de félicité 43

fait tourner les roues », es. Raha paneb rattad Raima, mais fi. Kyllã rahalla
rattaat pyòrwãt («Ah oui, avec de l’argent... »). Pour une formule 4 / Essais d’interprétation
commune à 1’ensemble des langues fenniques, « Oü il y a acteur,
il y a témoin », dont la version standard est réduite à deux syntagmes a / Syntaxe et synchronie. — Cette tendance nette au marquage
identiques comprenant chacun deux constituants (adverbe localisant inleractionnel (dialogique) du finnois, par opposition aux autres langues
+ sujet-agent), vo. Kuza teãijãd, siàl nãtsijãD (« Oü — là »), le finnois, du groupe fennique, peut aussi s’expliquer par des choix syntaxiques
après avoir permuté les deux syntagmes, ajoute au minimum une différents, lesquels nous ramènent au problème du rythme. L’on
pen de corrélation additive, et lorsque la variante est plus longue,
constate en eífet qu’à un nombre non négligeable d’occurrences (12)
l’introduit par la pen afíirmative : Kyl siin on (...) nãkijã kun tekijãki dans lesquelles le finnois seul fait usage de pen correspond aussi,
(« Oui là oü il y a (...) un témoin comme un acteur aussi»). Outre systématiquement, une différence de construction syntaxique dans
qu’un énoncé neutre est 1’exception en finnois, les formules modali- les autres langues. Pour une formule proverbiale du type « Qui fuit
sées véhiculent, grâce aux pen, des nuances discursives variées. Ainsi un loup, (il) trouve un ours sur sa route », que telle ou telle langue
pour « L’hiver ne passera pas sans montrer ses habitudes (ni l’été du groupe peut rendre occasionnellement par le simple iconique
sans pleuvoir)», à 1’énoncé simple (et quelque peu énigmatique) ca. (ex. carélien), la grande majorité des constructions syntaxiques suit
Talvi tapansa nãyttãã (« L’hiver ses habitudes montrera »), le finnois ce modèle (attesté interculturellement) de proposition rela-
répond par Kyllã talvi tapansa..., ou encore Eihan talvi tavatansa mene tive + proposition principale, elle-même introduite par un pronom
« Ah non, c’est bien connu, 1’hiver sans ses habitudes ne passera pas ». personnel/déictique qui fait écho au pronorn relatif initial: es. Kes
Quelles qu’en soient les raisons, le profil explicitement dialogique hundi eest hoiab, see karu leiab. O r le finnois use, lui, d’une formule
de la formule proverbiale fmnoise se dégage nettement de Fensemble dialogique : la 3e personne générique (« Qui — i l ») est remplacée
du corpus. Un dernier exemple révélateur de la différence typologique par une apostrophe directe à la 2e personne, laquelle s’accompagne
(du point de vue énonciatif, s’entend) entre formules de deux langues dans la quasi-totalité des cas, au niveau morphosyntaxique, d’une
aussi proches génétiquement est le suivant: le dicton « Trompe le construction /proposition temporelle ou conditionnelle + proposition
champ une fois, le champ te trompera neuf fois » suscite en finnois principale/ articulée par la pen niin: Kun lãhet sutta karkuun, niin karhu
plusieurs variantes, introduites soit par jos « si », par kun « quand » on vastas (« Lorsque tu — alors 1’ours »). L’automatisme de ce choix
ou par kyllã « o u i» mais toujours articulées par la pen de jonction peut être apprécié lorsque chacune des deux langues dispose de plu­
thématique niin. O r 1’estonien dipose de plusieurs variantes « neutres » sieurs formules avec variation lexicale, ex. « Qui ne nourrit pas un
(liaison paratactique), mais 1’unique cas dans lequel le bornage est marqué chien nourrit un voleur/pas un chat — une souris, etc. », oü le
est une occurrence de discours direct çité (mode d’ailleurs très rare finnois a toujours Kun et ruoki — niin (« Quand tu ne nourris pas
dans le corpus): Põld ütleb:« Kuipermees mind üks kord narrib, siis narrin... », — alors ») et 1’estonien toujours Kes ei sõõda — see (« Qui ne nourrit
c est-à-dire : « Le champ d it: « Quand le fermier me trompe une fois, pas — i l »). Ce choix du finnois est permanent, y compris lorsqu’une
alors je le trompe... ». C ’est bien la la preuve que les autres langues corrélation syntaxique « classique » (répertoriée par les grammaires)
balto-finnoises connaissent le même type de marquage énonciatif, mais serait possible comme dans les autres langues, ex. « Plus grand est
qu’elles ont fait le choix (ou, pour elles, les transmetteurs de la tradi- le cheval, plus grand est le collier », ca. Midã suurmbat hevot, sidã
tion orale) d’une énonciation neutre là oü le finnois privilégie une suurmbat lãnget (= fi. Mitã — sita), mais fi. Jos on hepo suur, ni suurmmat
énonciation interactionnelle1.

être alléguées pour expliquer une différence aussi systématique entre finnois et autres langues
1. Les conditions de coilecte du coipus — qui, mystérieuses jusqu’à une époque récente, fenniques: les sources sont, pour chacun des domaines, très diverses (voir M. Kuusi, op. cit.,
posent problème pour tout ce qui concerne la tradition orale — ne sauraient raisonnablement p. 9-10 et 78-82).
44 Fluctuations du statut des particules énonciatives
Conditions de félicité 45

on lãnget (litt. « Si-est-cheval-grand, niin plus-grand-est-collier »)'. La


à la fin de 1’énoncé. Uanalyse statistique montre, pour ce sous-corpus
régularité du choix finnois met en valeur 1’importance rythmique
particulier, que 1’emploi de la formule modalisée connaít une forte
de la particule, laquelle, en introduisant une pause suspensive12, non
variation d’une région dialectale à 1’autre : très usitée dans les dia-
seulement explicite la corrélation entre les deux propositions (valeur
lectes finnois de l’Ouest, elle est peu représentée à 1 Est et quasi
syntactico-sémantique donc) mais permet la mise en place d’un
inexistante dans l’aire carélienne. En Estonie, 1’ouverture en küll est
procédé mnémotechnique, indispensable à la transmission orale, dont
plus courante dans le Nord que dans le Sud. Enfin, parmi les pro­
la régularité d’emploi compense la non-identité phonématique (et
verbes sames publiés (1’édition la plus extensive remonte à 1922),
syntaxique) entre les deux éléments articulateurs corrélés.
on relève plus de 8 % d’utilisation de la formule, ce qui laisse sup-
poser que les Sames, chez qui l’on ne trouve pas trace de proverbes
P / Interprétation géolinguistique en diachronie. — Seule une compa-
originaux dans les groupes de l’Est, ont emprunté ce modèle à leurs
raison minutieuse et exhaustive de formules équivalentes permettrait
voisins proto-finnois (c’est-à-dire de 1000 avant J. C. aux débuts de
d estimer valablement dans quelle mesure les particules énonciatives
peuvent servir au repérage des influences et des emprunts. Une étude notre ère environ).
Du point de vue sémantique, ce groupe isomorphique se décom-
récente fournit quelques éléments dans ce sens : 1’éditeur du corpus
pose en quatre schémas récurrents: «Kylla. S» peut signifier
de Proverbes septentrionaux déja cité, M. Kuusi, s’est précisément
1 / « Oui/certes le S lui-même » (fi. Kylla S Xnsà (poss.) V; le same
intéressé, a des fins d’etymologie et de localisation géographique,
explicite souvent cette valeur par 1’ajout du pronom ies « lui-même »),
à l’une des formules contenant une pen initiale dans deux langues
2 / « Oui/certes le S aussi» (fi. Kylla S + kin (X) V, ex. Kylla pieniMi
fenniques, finnois et estonien, et en langue same : les pen d’affirma-
kivi kuormaa kaataa, sa. Gal uhca geadggásge lusá nuorrá, « Oui une petite
tion dialogique kylla, küll, gal3. II ressort de cette comparaison que
pierre aussi le chargement culbute »), 3 / « Oui/certes S (toujours,
de nombreux proverbes commencent dans ces langues par la pen
pour finir) V », schéma le plus courant en finnois, 4 / sens étymolo-
(«adverbe m odal» pour 1’auteur de 1’article) de renforcement
gique de « beaucoup, suffisamment» (c’est-à-dire « Oui, pour ce qui
(affirmation-confirmation) ou d’emphase portant généralement sur
est de S, il y en a suffisamment»), rare en same. Les raisons de
le verbe de la phrase, parfois avec la valeur concessive de « certes,
cette variation sont complexes, elles ont trait autant à 1’énonciation
pour sür, encore que »). Ce schéma syntaxique se trouve notam-
(thématisation marquee ou emphatisation des differents constituants)
ment dans les variantes de formules sur le thème du travail ou de
qu’à la syntaxe (règles régissant 1’ordre des mots dans les langues
1’action, ex. fi. Kylla tyo tekijãnsã neuvoo « Oui le travail conseille son
fenniques et sames), mais il est intéressant de constater que la seule
auteur » (plus courante que la formule non modalisée, elle peut encore
présence ou absence d’une particule modale permet d asseoir cer-
être renforcée/dialogisée par des pen enclitiques - Kyllã+pã+hãn se
taines hypothèses quant aux flux migratoires humains et aux
tyo... « Ça oui, pour sür, le travail... »), et le verbe est généralement placé
influences linguistiques qu’ils impliquent.
1. Ce choix apparait au minimum en tant que variante, là oü les autres langues usent
uniformément de la structure /R elatif — déictique/, ex. « Oü il y a des taureaux, (là) il
y a des sabots», fi. M is on hãrkãá, sim on sorkkaa, variante Kun on sorkkaa, niin on harkMkin 3. Adéquation des choix fondamentaux
- c’est-à-dire « Si — sabot, niin — taureau + kin — alors que 1’estonien, avec diíférentes
variantes lexicales, se contente d’un schéma syntaxique minimal /« Oü + Sujet, là + Sujet »/{Kus
hürga, seal sõrga; kus hünda —, etc.). Dans 1’ensemble du corpus, une seule occurrence (n° 759)
a / Le type de langue
a pu être relevée de choix inverse : « Ce qui n ’est pas fait à temps est vite oublié », fi.
M M — se, mais es. Kui — nii («Lorsque tu — n ii»), variante il est vrai de M is — see. Quand elle ne les condamnait pas, la linguistique moderne était
2. Bien que la convention orthographique place la virgule avant la p e n , la pause orale
naturelle intervient après Ia p e n , soulignant ainsi 1’eíFet de palier intonatif avant témission naguère encore étrangement silencieuse au sujet des particules énon­
de la proposition principale — cf. infra II.3.C. ciatives. L’une des raisons de cette indifférence est sans doute, avec
3. M. Kuusi, 1988, Kyllà-küll-gal alkuisista sananlaskuista, Virittájá, 1, p. 143-155.
1’origine des linguistes, la nature de la langue à partir de laquelle
46 Conditions de félicitê 47
Fluctuations du statut des particules énonciatives

se sont élaborées la plupart des théories, autrement dit 1’anglais — (ompris spontanée, connait des normes différentes, en fonction des
langue dans laquelle le rôle des « pen » au sens strict est limité. registres et des situations, que nous devons nous attacher à définir :
Or, les langues indo-européennes elles-mêmes connaissent entre elles la systématique d’emploi des pen orales est tributaire, au même titre
de grandes différences pour ce qui est de la richesse en pen et de que 1’écrit, de tendances stylistiques.
leurs emplois. Le fait que la majorité des travaux qui font autorité
aient été consacrés aux langues slaves et à 1’allemand n’est pas fortuit: c / La transcription
en allemand les combinaisons de pen sont usuelles dans la langue
« ordinaire », et pas seulement dans la formule célèbre de Kafka Des engagements pris quant au niveau discursif de 1’analyse va
«Aber denn doch wohl nicht gar so sekr»..}. La référence périodique qui s’ensuivre le choix de la transcription : ni phonétique ni phonolo-
sera faite ici même à un domaine (génétiquement et, en partie du gique mais orthographique, c’est-à-dire usant des systèmes ofFiciels d’écri-
moins, typologiquement) extra-européen — celui des langues finno- lure déjà pleinement stabilisés ou en voie de stabilisation. Cette option
ougriennes se justifie moins par notre spécialité propre que par première induit de même le choix limitatif des symboles de configu-
la nature richement particulaire de ces langues12. Le recours à une ration textuelle, préférant au rendu minutieux de la perception auditive
nomenclature spécifique et/ou à un classement différencié est par un petit nombre de marques susceptibles de favoriser la perception
ailleurs justifiable en terme de « co ü t» : autant est concevable 1’atti- globale des structures discursives. Notre choix d’une transcription
tude d un théoricien qui, sur la base d’une observation privilégiée, orthographique, qui se veut lucide, se réserve la possibilité d’intégrer
celle de sa langue maternelle anglaise, se croit autorisé à classer dans la graphie certaines des observations résultant de travaux récents :
les particules discursives comme « mots indépendants » et non « cli- 1’expression libre est marquée dans la langue « standard » par cer-
tiques »3, autant serait contestable 1’ignorance d’une classe particu­ tains écarts systématiques vis-à-vis de la forme écrite normée. Cet
laire dans les langues qui disposent eífectívement d’éléments identi- ajustement de la graphie à la morphologie de 1’oral met en valeur
fiables comme pen nucléaires. le facteur « fréquence » : à la fréquence d’usage correspond une ten-
dance à 1’abrègement — ex. fi. -kin «aussi» [ki], niin « ainsi, eh
b / Le registre bien » [ni] ou [ni:] — compensée par une nette corrélation entre
caractère fonctionnel du phonème/tendance au maintien. La prise
Le choix du registre sera, de même, déterminant pour dégager en compte de facteurs prosodiques (telle la rapidité du débit) per-
avec une relative rigueur une classe de pen fondée sur des critères mettra par ailleurs d’expliquer certaines déviations (contractions) de
non totalement idiosyncratiques. En effet, si « 1’o ral» semble le lieu 1’oral. Quant à la configuration textuelle, notre souci sera, avec la
privilégié d un ancrage implicite opéré par ces éléments aussi légers recherche de quelques critères simples permettant de découper la
que récurrents, encore faut-il au préalable prendre la mesure des masse textuelle, de ne pas réduire la réalité discursive à une struc-
difFérences existant entre types d’oraux — et relativiser les présup- ture plate. L’exemple de celle de nos langues qui est la moins conta-
posés idéologiques véhiculés au fil du temps et des ouvrages par minée par 1’écrit, la langue same, servira à ébaucher les caractéristi-
la tenace mythologie d’un français parlé qui serait « populaire », ques acoustiques du texte oral. L’univers du discours y est
« pauvre» et « évolutif» par définition4. La langue parlée, y
tridimensionnel.
1 / Rythme et tempo. — On observe généralement une progression
1. Extrait du Procès, cité par H. Weydt et a í, Kleine deutsche Partikellehre, Introduction, p. 7. du discours par unités rythmiques, alternances de syllabes lourdes
2. Contrairement à ce que croit pouvoir affirmer, à la suite de linguistes russes, A. Wierz-
bicka, Introduction, Journal o f Pragmatics, 1986, 10/5 (« Special Issue on Particles»), p. 519. et de syllabes légères. Dans le dialogue, Fouverture est réduite à
3. Voir les tests pratiqués par A. M. Zwicky, Clitics and particles, p. 289-290. une particule monosyllabique qui, répétée, souligne le parallélisme
4. Voir « Les grands mythes séparateurs», C. Blanche-Benveniste et C. Teaniean, Le fran­
çais parlé, p. 11-37. de stratégie entre énoncé-question et énoncé-réponse, ex. Na leaigo
48 Fluctuations du statut des particules ênonciatives
l '.nnditions de félicité 49

dus heasta? — Ma gal mus leai (« Eh bien avais-tu un cheval? — Eh


bien certes j ’[en] avais»), L’énoncé assertif est fréquemment clôturé ---------- / + ----------------.
par un mot bref (— Mon ledjen jo konfirmerejiwvon ledjen. Jo) («J’étais
. ------- + / + ----------- .
déjà confirmé j ’étais. Eh o u i»).
2 / La pause. — La pause la plus fonctionnelle, au stade de la La conception des grammaires selon laquelle la conjonction se
transcription, est celle qui coincide avec le point d’aboutissement place « en tête » de la proposition correspond à une interprétation
d’une intonation terminative, délimitant par là les « phrases» de réductrice : il faudra, pour trancher en faveur de 1’appartenance de
l’oral, et pouvant s’accompagner d’une marque paralinguistique de la conjonction à l’une ou l’autre des propositions, examiner le rôle
limite d’énoncé, ex. — In vai 1 Ja jos mon cálan mon cálan d a b b e l i s d’un autre facteur prosodique — Pintonation.
sámegiela 1 (rit) (« Pas encore. Et si j ’écris j ’écris le same d ’ici. » (rit)). 3 / L’intonation, qu’il s’agisse de son rôle de signifiant au plan >
Cette pause finale est pourtant loin d’être la plus fréquente : dans syntaxique ou au plan expressif (indice/signal)1, est essentielle pour ;
le flux du discours apparaissent différents types de pauses, notam- Panalyse des énoncés oraux : censée foumir une information au niveau )
ment des pauses d’hésitation longues ou brèves, que nous transcri- de la phrase, elle peut aussi exprimer Pattitude ou les sentiments \
vons respectivement par quatre points [....] et deux points Cette du locuteur. C ’est pourtant Pintonation en tant que structuration \
notation ne repose pas sur une mesure instrumentale mais se fonde textuelle et discursive que nous souhaitons privilégier ici. Les travaux
sur 1’observation d’une fonction propre à la plus brève des deux, portant sur les phénomènes prosodiques dans la parole naturelle
qui marque le plus souvent une autocorrection (— Juohkajage ..juohke sont encore à ce jour peu nombreux et diíEcilement exploitables,
vahkus, « Chaque année .. chaque semaine »). Les pauses ne peuvent ce qui nous autorise à poursuivre le « bricolage » à fondement per-
servir de repère pour la subdivision en segments que jusqu’à un ceptuel entrepris dans nos travaux antérieurs2. Les deux rôles pri-
certain degré. Les pauses les plus brèves (/) interviennent dans une mordiaux que joue pour nous Pintonation, dans la phase du déco-
même séquence, elles peuvent même contrevenir aux règles élémen- dage puis dans celle de la transcription sont les suivants : 1 / la
taires de la syntaxe (normative) — pauses entre constituants de délimitation des énoncés au sein des paragraphes (délimitation assurée
phrases, à Pintérieur du syntagme déterminant/déterminé, etc. Les aussi par des locutions formulaires). Le seul repère fixe est Pintona­
pauses n’obéissent pas à un modèle syntaxique : elles peuvent marquer tion terminative associée à une pause nette, ex. Eai i I lean gal suolu l
aussi bien une hésitation improvisée (réflexion, incertitude) qu’une (« Non. II n’y avait pas d’ile. »). Certains segments, marquês chacun
segmentation programmée (destinée à faciliter la compréhension). par une intonation descendante non suivie d’une pause nette, seront
Imprévisibles à 1’oral, les pauses ne peuvent être jaugées selon les transcrits toutefois comme des énoncés en chaine : le rythme des
normes de 1’écrit: elles ne sont obligatoires qu’en fin d’énoncé (com- groupes accentuels et le débit du locuteur font de cette séquence
binées avec une intonation terminative), et sont toujours pertinentes, une unité informative (qui correspond souvent à une Réponse mul-
en discours, au-delà du constituant minimal qu’est le mot. Une illus- tiple), ex. — Dat dat gal lea dáza => Dat lea Rov Amle => Dat leai
tration convaincante de cette liberté de segmentation est fournie Leansman bárdni dat l (« Ah oui pour sur qu’il est norvégien => C ’est
par la pause en relation avec une conjonction: dans des discours de Rov Amle => C ’était un fils Leansman »). 2 / L’indication du statut
provenance diverse, comme chez un seul et même locuteur, la pause de certains énoncés au sein d’une période discursive, essentiellement
peut être placée « indifféremment» avant et/ou après la conjonc­ des énoncés-parenthèses et des énoncés-citations (variations du niveau
tion, ex. — De buhtisdeje daid bissuid ja/ordnejedje ja/ja luõejedje (« Alors intonatif).
ils ont nettoyé les fusils et/ [les] ont préparés et/et [les] ont chargés »). Un aspect important, que nous n’aurons pas Poccasion de déve-
L’énonciateur dispose en somme des trois schémas rythmiques sui-
vants: 1. Cf. C. Hagège, La structure des langues, p. 22-23.
2. Cf. Le jinnois des Sames bilingues, p. 240 sq., et infra VI.3.
50 Fluctuations du statut des particules énonciatwes (Àmditions de félicité 51

lopper ici, est celui des relations entre oral et ponctuation (graphique). transcription couvre effectivement nos besoins quant à la segmenta­
Signalons simplement que la comparaison de deux langues dispo- tion du texte et aux constantes morphophonologiques de 1’oral. Les
sant de traditions de ponctuation écrite, en 1’occurrence le fínnois phénomènes prosodiques autres que les pauses (intonation, rythme,
et le français, fait ressortir des différences essentielles de conception débit) interviennent dans 1’analyse lorsque leur rôle est jugé signifi-
quant au rôle (grammatical vs discursif) de la ponctuation, ce qui catif pour une interprétation processuelle des pen .
n ’est pas sans incidence sur les problèmes posés par la transcription : Ce système a pu être appliqué avec rigueur à nos propres corpus,
1’emprise exercée sur nos informateurs fennophones par la régle- ainsi qu’à la plupart des exemples de langues empruntés à nos
mentation de 1’écrit induit des transferts de ponctuation syntaxique domaines de spécialité (germaniques et finno-ougriennes). Pour les
(et d’interprétations subséquentes quant aux conjonctions-PEN) qui autres langues, et malgré une première sélection d’énoncés aux cri­
n’épargnent pas 1’édition même de nos textes sames...1 tères de transcription transparents, nous devrons nous résoudre
En résumé, on trouve dans notre système de transcription : dilemme courant en linguistique générale — à citer aussi des exem­
ples dont la clef de lecture n’est pas fournie par les auteurs. Si
— une transcription orthographique aménagée selon des critères
linguistiques éprouvés; 1’appréhension translinguale peut seule justifier la nécessité de poser
— un ensemble de signes de découpage/ponctuation du texte qui une catégorie « pen », un détour préalable par les études spécifiques
est un compromis entre l’écrit et 1’oral. Les énoncés clôturés qui leur sont consacrées dans diíférentes langues, füt-ce dans le cadre
par une intonation terminative (1) suivie d’une pause commen- de théories et de méthodologies non concertées, devrait s’avérer riche
cent par une majuscule et se terminent par un point (convention en enseignements.
destinée à faciliter la lecture); la segmentation est assurée, au
sein des énoncés, par des barres obliques (/), les pauses suspen-
sives par des pointillés — pauses longues [....] ou moins longues
Les pointillés entre parenthèses (...), de même que les paren-
thèses vides () dans la traduction, indiquent les segments tronqués.
— Les repliques (tours de parole) autonomes sont ouvertes par
un tiret suivi d’une majuscule, et closes par un signe de ponc­
tuation finale, sauf interruption par l’allocutaire (trois points de
suspension); les éléments de rétroaction sont indiqués entre
parenthèses. Des guillemets signalent les citations marquées par
une articulation ou une prosodie distinctives (rehaussement du
niveau intonatif). Une série de majuscules traduit une accen-
tuation forte (emphase).
— Les signes paralinguistiques prégnants à 1’écoute figurent entre
parenthèses sous une forme condensée; certains signes parti-
culiers interviennent épisodiquement (soulignement pour indi-
quer les chevauchements de parole, etc.)”.

Ainsi défini, et étant bien entendu que la notation de l’oral ne


rend qu’une image imparfaite de 1’énoncé réel123, ce système de

1. Cf. Le jinnois des Sames bilingues, p. 74-77.


2. C f Le discours des Sames, p. 56-81.
3. C f F. Gadet, Le français ordinaire, p. 40 sq.; C. Leroy, La notation de Foral, Langue Jran-
çaise, 1985, 65; P. Thibaut et D. Vincent, La transcription ou la standardisation des produc-
tions orales, U NX, 1988, 18.
D E U X IÈ M E P A R T IE

Particules énonciatives et typologies:


portrait des P E N dans quelques langues du monde
Chapitre III

LANGUES D ’EUROPE

1. Les langues fínno-ougriennes

Les langues finno-ougriennes d’Europe du Nord sont celles qui


ont, jusqu’ici, donné lieu à 1’ensemble le plus structuré et le plus
significatif de travaux consacrés aux particules. Cette supériorité, qui
s'explique par la nature de ces langues aussi bien que par 1’évolution
de la discipline linguistique dans les régions concernées {infra, b),
justifie la priorité qui leur est accordée ici pour tenter d’esquisser
quelques traits généraux des particules énonciatives.

a / Le same

Le same appartient à la famille des langues finno-ougriennes,


laquelle comprend neuf langues principales — outre le same et le
groupe fennique, le mordve, le tchérémisse, le votiak, le vogoul, 1’ostiak
parles par d’infimes minorités d’ex-URSS, et le hongrois — et se rat-
tache avec les langues samoyèdes au groupe ouralien. L’hypothèse
la plus solide quant à 1’origine de la communauté same se fonde
sur une recherche pluridisciplinaire : 1 / sur le plan linguistique, le
same est une langue finno-ougrienne, étroitement apparentée aux
langues fenniques; 2 / du point de vue anthropologique, les Sames
présentent les caractéristiques d’une population distincte des autres
groupes ethniques d’Europe, une part de leur héritage génétique
proviendrait des premiers occupants de la Fenno-Scandie; 3 / pour
ce qui est du patrimoine culturel, les Sames se rattachent aux popu-
Particules énonciatives et typologie hmgues d ’Europe 57
56

lations arctiques. Le same se subdivise en neuf parlers principaux s.une, langue minoritaire dispersée sur quatre territoires étatiques,
relativement hermétiques, dont trois groupes représentés en Finlande : i-st, jusqu’à une époque très récente, d’origine non autochtone —
le same du Nord (dit aussi « de montagne »), parlé par 80 % de 11'ou un certain monolithisme des options. II s’en dégage trois cou-
la population, et deux parlers de l’Est, le same d’Anar, usité dans i.mts majeurs : 1 / la spéculation sur l’apport de la langue same pour
la région du lac du même nom, et le skolt, implanté au nord-est Ir comparatisme finno-ougrien et ouralien; 2 / Pinventaire des traits
et au sud du lac depuis 1’évacuation de ses locuteurs de la région sprcifiques du same, essentiellement son système quantitatif; 3 / un
de Beahcan (fin de la seconde guerre mondiale). mlérêt croissant pour 1’avenir de la langue, qui se résume, jusqu’à
1'adoption de 1’orthographe commune au moins (1979), aux pro-
blrmes de transcription1.
Les quelques grammaires existantes de la langue same réservent
aux particules enclitiques une place discrète dans leur inventaire mor-
pliologique : 3 pages sur 452 dans la grammaire devenue classique
dr K. Nielsen (lreédition 1926-1929, rééditée en 1979)2. C’est
Mirtout dans les chapitres consacrés à Pordre des mots — problème
syntaxique essentiel dans les langues finno-ougriennes, ou il fut long-
Irmps considéré comme énigmatique de « liberté » — que l’on trouve
1'illustration de leurs emplois : hormis des énoncés neutres à deux
ou trois termes, dont la fréquence dans les manuels de langue s’inten-
silic d’ailleurs avec la normalisation de 1’écrit, la souplesse
« syntaxique » (c’est-à-dire en fait stratégique, sous un éclairage plus
neuf) du same se traduit par le recours à de nombreuses particules,
iiutant que par la variation de Pordre des constituants. L’usage des
particules est — comme celui de la variation séquentielle — attribué
à une intention de « mise en valeur» de la part du locuteur, à
Prxception de Penclitique -go qui, en same comme dans les langues
Iruniques (voir ci-dessous b f) est la marque grammaticale de Pinter-
rogation totale. La particule -go est en conséquence la seule à faire
Pobjet, dans les grammaires, d’un développement — lequel tend à
souligner la multiplicité des choix disponibles. O r cette richesse est,
à y voir de plus près (comme pour Pordre des mots), limitée par
la nécessité d’une référence situationnelle ou contextuelle. De même,
la variabilité positionnelle de la particule -go, qui s’explique difficile-
mcnt dans le cadre d’une analyse phrastique, s’intègre tout

1. Référence sera faite ici, sauf indication contraire, au same du Nord, le seul à disposer
d'une orthographe unifiée. Sur 1’historique de cette orthographe et son évaluation linguis-
ii<|uc, voir M. M. J. Fernandez, L’unification de la langue lapone (same), et Le discours des
A l’inverse de ce qui est le cas d’autres langues de la région Satnes, p. 59 sq.
2. K. Nielsen, bzrebok i lappisk (samisk), Bind I, Grammatikk, p. 185-188.
(finnois et langues scandinaves), la recherche consacrée à la langue
58 Particules ênonciatives et typologie hmgues d ’Europe 59

naturellement dans une perspective textualo-discursive. La démons- | >nmoms/adverbes interrogatifs, 25,4% de pen, 24,2% de parti-
tration gagnerait donc à s’appuyer sur une référence au contexte *'iles -go1; 2 /p o u r les signifiants interrogatifs combinés, 39,6% de
dialogique1. |iroiiom s/adverbes + pen , 38 % de -go + pen , 11,6 % de
Comment se construisent en same question et réponse totales? pmnoms/adverbes + -go, 11,6% de pronoms/adverbes + -go + pen ;
OíFiciellement, la question utilise sa particule attitrée, et la réponse i / en nombre absolu enfin (individuels + combinés), les pen attei-
consiste à reprendre, sous une forme affirmative ou négative selon Kiient 42 %, les pronoms/adverbes 40 % et les particules -go 33,7 %
le cas, le mot auquel la particule était suffixée dans la question, teulement. Autrement dit, quel que soit le degré de complexité du
ex. Boratgo? (manges+go) «Manges-tu? », réponse : Boran «Je mange », marquage retenu pour 1’évaluation, les pen 1’emportent sur la parti-
In (bora) «Je ne mange pas », c’est-à-dire « o u i» et « non ». Leatgo i ulr interrogative (grammaticale). S’agit-il d’une différence entre inter-
borran? « T u as mangé?», réponse: Lean/In leat. De même pour mgation neutre vs non neutre? Examinons brièvement les pen les
répondre à une question interro-négative (Itgo bora? « Ne manges-tu plus fréquemment utilisées dans finterrogation : -ba et ses variantes,
pas? »). La pratique actuelle qui, sous 1’influence des langues scandi- , i ammal. Formée de deux particules de « renforcement », -ba + dat
naves voisines, tend à favoriser 1’usage de réponses de type adver­ (pronom démonstratif/PEN), -bat apparaít dans les grammaires comme
bial, est dénoncée par les nouveaux pédagogues : les réponses « o u i» particule de « mise en valeur », susceptible de se substituer parfois
et « non » des langues indo-européennes doivent s’exprimer en same à go. Mais son rôle, dans la langue spontanée, va bien au-delà du
par la répétition, qui équivaut à une affirmation, ou par la négation simple marquage interrogatif. L’énoncé2 — Don bat ledjet doppe okto?
de 1’élément fini du constituant-prédicat12. (lu - pen - étais - là-bas - seul) signifiera moins « T u étais là-bas tout
La réalité du dialogue same en situation se révèle moins uni- seul?» que « Vraiment, tu étais là-bas tout seul?», ou encore,
voque. Le comptage des catégories formelles effectué dans un corpus « Clomment ça, tu étais là-bas tout seul?», ou encore (avec forte
représentatif de dialogues3 nous permet d’évaluer la proportion res- arcentuation sur o k t o ) « Tu ne me feras pas croire que tu étais
pective de morphèmes utilisés pour marquer la question : en sus là-bas tout seul! » Le locuteur, incrédule, ne s’enquiert pas d’une
des deux signifiants définis par les grammaires finno-ougriennes, mots information objective : il exige des explications, voire des preuves
interrogatifs (adjectifs, pronoms, adverbes) et particule -go, s’impose supplémentaires. L’énoncé Dus bat maid lea oôda biila (toi-à - pen-
d’emblée à 1’observation une troisième catégorie, celle de particules aussi - est - nouveau - voiture (nom.)) s’adressera à un allocutaire connu
enclitiques diverses (pen). Si nous nous en tenons aux quatorze dia­ pour ses finances défaillantes... ou son mépris des voitures; il pourra
logues échangés entre des locuteurs natifs, la hiérarchie suivante se ètrc le fait d’un locuteur qui dénonce la société de consommation...
dégage : 1 / pour les signifiants interrogatifs individuels, 27,6 % de ou qui se ronge les ongles d’amertume en constatant qu’il est le
seul à ne pas avoir les moyens de renouveler son véhicule; les gloses
1. Ainsi, tel exemple cité pour illustrer la diversité des déterminants susceptibles de pré- adéquates seront, en fonction de la prosodie et de la situation : « Alors
céder la particule interrogative (K. Nielsen, op. cit., p. 408) , — Hui uhcngo Ii)gá lea ? litt. três même toi tu as une nouvelle voiture?», ou encore «T u as une
- petite + go - Inga - est, c’est-à-dire « Elle est très petite, Inga? », est inconcevable s’il n ’est
précédé d’une assertion dont il constitue la reprise partielle, ce que suggérera la traduction nouvelle voiture, toi aussi?», ou encore «Tiens toi aussi tu as une
«Elle est si petite que ça, Inga?» De même, la suffixation de la particule au dernier mot
de la phrase s’explique moins par son incidence à 1’ensemble de la phrase (ibid., p. 409) 1. Une 4' catégorie a été repérée pour 22,5 % cTentre eux, le signifiant intonatif— defini,
que par l’insertion textuelle de 1’énoncé lui-même : It áiggo eambbogo? (ne..pas - désires - plus +go) nvrr quelques réserves (difficulté de le distinguer, en l’absence de morphèmes interrogatifs,
« Tu n ’(en) veux pas plus ? » est, selon toute probabilité, la reprise immédiate d’une assertion du marquage situationnel ou contextuel) — par la négative : est considéré comme marqué
négative émise par l’interlocuteur. intonativement tout énoncé, induisant une réponse, qui n ’est porteur d’aucun des trois autres
2. Suggéré par un bref descriptif de la particule -go chez K. Nielsen, ce fonctionnement marqueurs d’interrogation.
est érigé en règle grammaticale dans les manuels scolaires, tel le Min sámigiella - Samisk gram- 2. Selon la pratique encore aujourd’hui dominante, nous écrivons, dans les exemples,
matik d’ I. Ruong, p. 162-164. les particules (enclitiques) sames séparées du mot sur lequel ellcs s’appuient; la tendance
3. Dix-neuf discours rassemblant 53 locuteurs — voir typologie des situations dans /r inverse (conforme à Torthographe finnoise) semble actuellement gagner du terrain — cf.
discours des Sames, p. 132-133. K. P. Nickel, Samisk grammatikk, p. 200.
60 Particules énonciatives et typologie / /ingues d ’Europe 61

nouvelle voiture, ça alors! » («c’est la meilleure! », etc.). Exclusif <>n a parlé de ça?!». Et 1’indignation atteindra son comble avec
d’une interrogation neutre, -bat peut accompagner un autre interro- la mise en emphase du complément: — Leago son d á n á s s i birra hál-
gatif: le «Pour qui me prends-tu?!» indigné du français se rendra lojwvon? « Quoi, on a parlé de ça, ce n’est pas possible! (pas sérieux,
par — Geanin bat don mu gáddet? (qui-en tant que - pen - tu - me - etc.)». A cette gradation dans la force illocutoire correspond un
croyais). Sans la pen, cette question porterait sur une Identification dcgré variable d’activité impliquée : malgré les difficultés de traduc-
erronée («Tu me confondais peut-être avec quelqu’un? »); avec la lion et de glose déjà maintes fois soulignées, les informateurs s’accor-
pen, elle sera perçue sans hésitation comme le reproche adressé à dcnt pour estimer que, après confirmation de la question marquée
1’auteur d’un acte (de langage ou non) inadéquat par rapport à la par son, la probabilité d’une intervention brutale (interruption des
personnalité assumée du locuteur. L’énoncé modulé par la particule ilébats...) de la part du questionneur est plus forte que dans le cas
est de l’ordre du subjectif, il est porteur d’une forte charge de pré- ifune question introduite par -go.
supposition, aisément vérifiable dans le dialogue. Comme son com- Autre particule double, -ges (< -ge de corrélation + -s de renfor-
pagnon, évoquant le chalet isolé de sa jeunesse, vient d’affirmer qu’un ccment) s’emploie principalement dans les énoncés assertifs à moda-
voisin de plus de 90 ans lui rendait visite « à pied tous les automnes », lité négative dominante, avec une valeur implicite de soupçon ou
l’interlocuteur s’étonne : — Doppe Bábosis bat láuii jitnat? « Là-bas à de reproche. Cette valeur transparait aussi dans un certain nombre
Báõos, vraiment (bat), il te rendait visite ? » Et la réponse atteste de questions. L’énoncé — Maid don ges doppe logat? (quoi - tu - pen -
que la question a bien été perçue pour ce qu’elle est — non pas la-bas - lis) « Q u’est-ce que tu lis donc là-bas?», qui, sans la pen,
une demande de vérification, mais 1’expression d’une surprise mal serait une simple question neutre à fin informative, prend avec la
déguisée, consécutive à 1’attestation mentale de la distance : « Oui- pen valeur d’inquisition entachée de soupçon. Cette question sera
oui. Ça fait une bonne trotte à pied mais... ». En résumé, une ques­ par exemple formulée par une mère qui suppose que son fils, enfermé
tion qui contient la particule -bat aura tendance à induire en same dans sa chambre à 1’heure du díner, est occupé à lire des bandes
deux types de réponses — l’une traduisant une réaction vive (irrita- dcssinées au lieu de faire ses devoirs. La nuance de reproche poten-
tion...), l’autre livrant une explication à structure argumentative. tiel, qui présuppose généralement une relation d’autorité familière,
L’énoncé ainsi modulé tient, comme le suggère la ponctuation des explique que cette pen soit peu fréquente hors des contextes
gloses, autant de 1’exclamation que du questionnement. Une grada- d échanges quotidiens; elle permet néanmoins une modulation que
tion s’établit entre la particule et les pen « limitrophes », qui peut les langues dépourvues de dispositif particulaire ont du mal à rendre.
s’illustrer à partir de 1’énoncé suivant: Ainsi, une interrogation telle — Maid don ges mannet dan dadjat? (quoi -
lu - pen - es allé - ce - dire) aurait, avec un interrogatif tel Manin
— Leago dán ássi birra hállojuwon? (« Pourquoi? »), un sens nettement accusateur. La pen, en limitant
est (3Cpers. sg. prés.) + go ce..ci (adj. dém. gén. sg.) chose (gén. sg.)
au sujet de (postpos.) été parlé (p. p. pas.) la responsabilité potentielle de 1’allocutaire, suggère que le locuteur
« Est-ce qu’on a parlé de ça? ». est prêt à lui accorder des circonstances « atténuantes »... par 1’ajout
d’une simple syllabe. La glose française requiert, pour en ajuster
Le locuteur, sorti en cours de réunion, s’enquiert des questions la tonalité (= « Qu’est-ce qui t’a pris d’aller dire une chose pareiUe ? »),
qui ont pu être abordées en son absence. Avec — Lea bat dán ássi plusieurs ajouts lexématiques.
birra hállojuwon?, il s’étonne que l’on ait traité d’une question non Avec la particule ~ ammal ~ amma ~ alma, de même radical
prévue à 1’ordre du jour : «Alors (bat), on a parlé de ça?!». Le que 1’adjectif albma «vrai, réel», une étape supplémentaire est fran-
locuteur s’émeut, ou s’indigne, qu’on soit allé jusqu’à traiter d’une chie dans le renforcement de la présupposition: usitée, avec le sens
question qui aurait nécessité un préalable (enquête, présence des de «Je suppose, surement, sans aucun doute », dans les questions
intéressés, etc.): — Leago son dán ássi birra hállojuwon? « Comment, pour lesquelles la réponse parait certaine, la particule déclenche un
62 Particules énonciatives et typologie hmgues d ’Europe 63

processus relativement automatique de réponse. Une question affir- insemble varié de particules et une succession quasi illimitée de cons-
mative marquée par ammal tend en effet à susciter en réponse un lituants. Pour ce qui est de la réponse négative simple, le degré
énoncé exprimant Faccord ou le désaccord immédiat. Une question de marquage particulaire semble directement fonction du statut
négative tend à être suivie d’une réponse à forte modalisation de scinantico-énonciatif de 1’énoncé : alors que dans une R cFinfirma-
confirmation (négative), ex. : lion ou de confirmation le support négatif (« verbe » pour les gram­
[«II n’y habite sürement (amma) plus personne ? »] maires fmno-ougriennes, puisqu’il est porteur d’indices de flexion
— Ma i dat dál gal ása dieòusge. pcrsonnelle) s’accompagne éventuellement d’une simple particule
pen (ouvr.) ne..pas (v. nég. 3e pers. sg.) pen (finsistance (gal « oui, certes») ou de corrélation (-ge «et, aussi/non
maintenant (adv.) certes (pen) habiter (radie.) bien sür (adv.) plus, effectivement»), la R de confirmation d’infirmation1 fait le
« Oh non personne n’y habite maintenant bien sür. » plus souvent appel à un assortiment complexe de morphèmes de
Qu’en est-il des particules dans la réponse ? Les grammaires sames, icfutation et/ou de renforcement, au premier rang desquels les pen.
nous 1’avons vu, traitent les réponses d’un point de vue strictement Considérons un exemple d’énonciation spontanée de cette réfuta-
normatif, sous deux aspects: 1 / quels sont les constituants à répéter lion catégorique :
pour répondre à une question?; 2 / quelles sont les corrélations à (Q. Ça y est, tu lui as raconté de gros mensonges, au petit?)
respecter par rapport à la question? Ce point de vue restrictif (qui — In dal gielistan in leat gal in fal in álgage.
s’explique par la primauté accordée à 1’assertion dans la tradition ne..pas (v. nég. l rc pers. sg.) pen menti (p. p. act.) ne..pas
linguistique) fait de la réponse un élément mineur, une sorte d’appen- (v. nég. l repers. sg.) être (rad.) pen aff. ne..pas (v. nég. l repers. sg.)
pen ne..pas (v. nég. Upers. sg.) début (acc. sg.) + ge (pen)
dice obligé de la question — laquelle, bien que sous-traitée, ne peut, « Ah non alors je n’ai pas menti ah ça non pas du tout pas le
étant donné ses traits distinctifs (inversion, marqueurs morphémati- moins du monde non. »
ques, etc.), être totalement assimilée à une assertion. Notre démarche
est autre : une fois posé le caractère premier de la question dans Le vieux conteur, surpris par 1’intrusion brusque et ironique d’un
tout dialogue (et, partant, dans tout discours), on ne saurait mini- liers, perçoit d’emblée les présuppositions véhiculées par la question
miser 1’importance de la séquence-réponse qui sera, elle, le point (elle-même du reste marquée par une pen qui tend à poser la réponse
de départ de la parole seconde, écho infidèle — par inversion des comme connue d’avance). II refuse d’être soupçonné d’invention vis-
rôles — de la question. Uexamen détaillé des réponses simples (affir- à-vis de son interlocuteur (ethnolinguiste) étranger, ce qu’il notifie
matives et négatives)1 infirme et confirme à la fois certains des prín­ à 1’intrus par une réfutation absolue : quatre verbes négatifs, dont
cipes énoncés par les grammaires sames. Si la répétition d’un seul le premier porte sur le prédicat (seul constituant de la question répété),
constituant (prônée par les grammaires) est exceptionnelle dans le le deuxième porte sur la reprise du prédicat par un auxiliaire, le
dialogue spontané, ce mode de réponse n’est pas non plus directe- troisième est autoprédicatif, le quatrième, en niant 1’aspect (poten-
ment concurrencé par la réponse « indo-européenne » (particule affir- tiellement) inchoatif du procès, réfute jusqu’à son infime scalaire.
mative ou négative). C ’est la combinaison des deux procédés Chacun des verbes négatifs est, de surcroit, renforcé d’une p e n :
— affirmation et répétition — qui est ressentie comme la plus natu- le l cr, d’une pen de thématisation (dal); le 2C, d’une pen d’affirma-
relle par les locuteurs samophones: elle fait intervenir en général tion/confirmation (gal) ; le 3e, d’une pen « drímmédiateté » (faí2); le
non */une seule particule + un seul constituant/ mais bien un

1. Sur cette typologie à fondement sémantique, voir Le discours des Sames, p. 443-460.
1. Pour une discussion des critères d’identification, du repérage des frontières entre réponses, 2. Avec un impératif, fa l souligne le caractère immédiat de Taction à accomplir : — Boaòe
et de Télicitation des cas limites (R multiple ou succession de R simples?, R inachevée...), fal « Mais viens-donc! » pourra aussi se gloser « T u n ’as qu’à venir, c’est tout! » ou « Viens,
voir Le discours des Sames, p. 390-407. naus façons!».
64 Particules énonciatives et typologie Inngues d ’Europe 65

4e, d’une pen de corrélatíon négative (-ge). Peut-on imaginer dispo- — Q. Dieòátgo t — R. De dieòán l
sitif plus performant pour un usager de la langue désireux de réfuter « Sais-tu ? » « Oui je sais. »
Th Rh
jusque dans le moindre détail la charge présuppositionnelle de la — Go kan oahppan t — de dieòán 1
question qu’il a ressentie comme une agression? « Quand j ’aurai
Outre que rénonciation marquée — par le jeu combiné des par­ appris, je saurai.»
Rh.
ticules et des ajouts syntaxiques — semble indissociable de la situa-
tion de conversation, il ressort de 1’analyse d’un corpus d’échanges Ce rapprochement fournit la preuve que, en dépit de la règle
spontanés que la réponse négative (qui coincide dans bien des cas instaurée par les grammaires, 1’énonciation spontanée a dans cer-
avec la négation tout court) est une modalité originale et forte, variante lains cas pour réflexe, comme Pénonciation élaborée en a générale-
marquée de 1’énoncé-réponse affirmatif, et non pas simple alterna- ment le souci, la mise en valeur de la structure informative du
tive de celui-ci. De cette organisation-là aussi les pen assument message.
— certes conjointement avec des supports variés de négation — la Au-delà même du schéma minimal, le rôle de structuration des
responsabilité première. pen est déterm inant: si 1’énoncé-réponse ne contient pas de pen,
Peut-on parler de corrélations dialogiques qui reposeraient sur ou contient un nombre limité de pen de nature standard (ex.
1’infrastructure des pen ? Pour ce qui est du couple dialogique de « O u i/d ’accord/certes/assurément» selon les registres de langue),
base (Q-R), on constate qu’aucune corrélatíon véritable induite par la séquence est le plus souvent calquée sur celle de la question.
les particules ne s’impose dans la tradition orale (exception faite des Ea présence nombreuse des pen, par contre, opère une redistribu-
occurrences d’ammal déjà mentionnées). Aux corrélations d’autres caté- lion des unités rythmiques, et donc de 1’ordre des constituants, ex.
gories morphologiques (pronoms/adverbes déictiques, lexèmes quan- pour le same :
titatifs, etc.) prônées par les grammaires se substituent présentement (Q. - Y avait-il très peu d’argent alors ou bien...?)
certaines corrélations particulaires stabilisées par 1’accès à de nou- — Pia gal dat uhccán leai dalle dan áigge ruhta
veaux réseaux de communication : nous en traiterons au chapitre pen ouvr. pen aff. pen en petite quantité (adj. ess. sg.) était (3epers.
du passage à 1’écrit (V.4). sg. prét.) alors (adv.) ce (dém. acc. sg.) temps (acc. sg.) argent
(nom. sg.)
Dans la réalité d’un échange ordinaire, chacun des deux schémas « Ah oui ça il y en avait peu alors à 1’époque de 1’argent.»
canoniques de réponse simple dégagés (certes différents de ceux des
grammaires) fait intervenir une ou plusieurs pen : Leago...? (est + go) Plus que tout autre élément du discours, les particules énoncia­
— De lea. (PEN-est), c’est-à-dire «Y a-t-il...? — Oui, il y en a.» tives manifestent la concomitance de 1’élaboration et de la produc-
et Ledjego dat...? — Dat dat gal ledje., c’est-à-dire « Etaient-ils...? — tion, caractéristique première de Pénonciation orale : les pen ordon-
Eux pour sür (2 pen) ils 1’étaient. » Cette pen, de, qui apparait à nent les maillons de la chaine parlée en une succession d’unités
rinitiale de la réponse affirmative minimale, est également le démar- rythmiques, dont 1’agencement ne saurait être prédéterminé, puisque
catif utilisé, après une proposition circonstancielle (causale ou tem- ce rythme reílète et scande Pévolution de la pensée de Pénonciateur.
porelle), pour introduire 1’énoncé principal d’une réponse élaborée. En conséquence, la hiérarchie des facteurs qui pèsent sur la struc­
Ce parallélisme d’usage souligne, malgré une apparente disparité ture dans le processus de construction du discours s’établit comme
syntaxique, 1’analogie informative qui existe entre les deux construc- su it: 1 / 1’intonation, 2 / les particules, 3 / la séquence. Des straté-
tions : dans la binarité syntactico-prosodique /prop. subord. + prop. gies, plus ou moins conscientes selon les cas, construites par Porgani-
princ./ comme dans le couple /Q ,+ R /, 1’énoncé introduit par la sation particulaire de la chaine parlée, nous traiterons au chapitre
particule de a fonction de rhème, e x .: de la dynamique du discours (VI).
66 Particules énonciatives et typologie langues d ’Europe 67

h / Le finnois et les langues fenniques et* dernier, ce sont les pen enclitiques qui, sous la rubrique de «par-
Du fait d’un contexte historique et géographique particulier, les (icules modales » et d’adverbes modaux ou « modificateurs », se tail-
recherches consacrées à la langue finnoise n’ont bénéficié que tardi- lcnt la part du lion, après avoir été distinguées par le grand gram-
vement de 1apport des grands courants de la linguistique moderne. mairien Setàlá (un sous-chapitre consacré aux «particules liées » dans
Jusque dans les années 70 de ce siècle au moins, la Finlande, isolée sa Syntaxe de 1919)’.
tant par sa position (géographique) périphérique que par la nature L. Hakulinen, dans son ouvrage fondamental destiné à expliciter
non indo-européenne de sa langue majoritaire, privilégie une concep- les phases d’élaboration de la langue finnoise, traite longuement des
tion concrète, positiviste, voire atomistique, de la linguistique — avec particules enclitiques, notamment : des particules de corrélation addi-
une nette prédilection pour la recherche diachronique. C ’est avec (ive, -kin « aussi » et -kaanl-kããn « non plus »; de la particule gram-
1’expansion de la linguistique textuelle (à partir de 1975, date de maticalisée comme interrogative -ko/-kõ; de la particule de « renfor-
la publication en finnois de son texte fondateur1) que s’amorce un rem ent» -pa/-pà, utilisée surtout de nos jours dans des emplois figés,
renouveau radical de la Science fennistique, au confluent d’une stylis- mais qui, empruntée sans doute aux langues baltes, a son équivalent
tique moderne et d’une pragmatique raisonnablement intégrée. Plu- dans la plupart des langues fenniques. Le développement le plus
sieurs des recherches d’inspiration textualiste correspondent aux thèmes eonséquent est consacré à la particule -han/-hãn, glosée « comme
nodaux des théories francophones de 1’énonciation, parmi lesquelles <m le sait, comme on le voit, il est bien connu que », et qui a pour
on mentionnera : probable origine le pronom de 3epersonne du singulier, ex.
les pronoms personnels, dont on a pu montrer que la distribution — Hãn, hãn tuossa tulee
entre / /+ a n im é /-a n im é // correspond à une distinction entre pron. 3Cpers. sg. (masc./fém.) pron. 3Cpers. sg. (masc./fém.) là-
locuteur réel et agent rapporté du discours indirect; dans (inessif) arrive
« Lui, il arrive, là »,
les déictiques, nombreux et nuancés en Finnois, dont on a étudié c’est-à-dire
les valeurs endophoriques, exophoriques, diaphoriques; — Hãn, juuri hãn, tuossa tulee
1ordre des mots qui, négligé par les grammaires traditionnelles « Lui, lui justement, il arrive là »,
car déchargé de son rôle syntaxique par le riche système casuel qui peut être glosé avec deux nuances distinctes
du finnois (14 cas productifs), fait 1’objet d’une étude détaillée a/ « Gomment on le voit, il arrive »
b/ « II est évident que c’est bien lui qui viendra».
dans une perspective interactionnelle12;
— les particules énonciatives. D ’après L. Hakulinen, toutes les autres nuances découlent de
celles-là, 1’élément ayant perdu sa pronominalité pour devenir un
L’ « originalité » syntaxique du finnois est, comme celle du same,
adverbe enclitique, désaccentué et soumis à 1’harmonie vocalique.
à mettre en rapport avec sa tradition d’oralité. Les grammairiens
Cette particule aurait été, à Forigine, usitée surtout dans les dia-
finlandais se sont de longue date intéressés aux éléments périphéri-
lectes de l’Est. En dehors du finnois et du carélien, elle n’apparait
ques que constituent les mots et les locutions mobiles dits aussi
dans les langues fmno-ougriennes qu’en vepse. L’usage équivalent
« isolés » de la phrase finnoise : c’est parmi ces éléments que P. Ravila
du déictique dat en same serait dü à 1’influence du finnois. Au cha-
classe les « suppléments de proposition » (fi. lausem-lisãkkeet), auxquels
A. Penttilá adjoint les « ajouts de remplissage » (fi. tayte-lisàykset). Chez pitre des Relations entre classes de mots, L. Hakulinen mentionne
la classe des « particules» comme la plus récente de toutes: les
adverbes, prépositions et postpositions du finnois sont toutes d anciens
1. N. E. Enkvist, Tekstilingmtiikan peruskãsitteitã, Helsinki, Gaudeamus. Sur 1’évolution des
Sciences du langage en Finlande, et plus précisément de la linguistique textuelle, voir M. M.J. Fer-
nandez, La linguistique textuelle en Fenno-Scandie. 1. P. Ravila, Lauseeseen liittyneet irralliset ainekset; A. Penttilá, Suomen kielioppi, p. 335,
2. A. Hakulinen et F. Karlsson, Nytysuomen lauseoppia, 1979. 537-538, 545; E. N. Setàlá (puis M. Sadeniemi), Suomen kielen lauseoppi, p. 126-128.
68 Particuks énonciatives et typologie ÍMngues d ’Europe 69

lexèmes (noms ou verbes) ou des mots d’emprunt. Aucune conjonc- comme étant connue généralement, ou du moins bien connue
tion ne remonte au finno-ougrien commun, et trois seulement au de 1’allocutaire. L’enclitique agissant comme un signal, l’allocu-
fennique commun : ku(ijn « quand, comme », ettã « que », jos « si », taire devra chercher une relation d’implication avec le reste du
toutes trois issues de racines pronominales. L’énoncé Hãn sanoi ettã texte. Les emplois divers de -hAn sont réductibles à une fonction
(«II a dit que ») signifie initialement Hãn sanoi nüin («II a dit ainsi», pragmatique de base — indexer une phrase en tant que rappel
cataphorique) — ce qui explique que la segmentation naturelle se d’une connaissance partagée —, les sens « variés » (voir 1’inven-
place après la conjonction (cf. pause, supra II.3.c): elle annonce de taire disparate du dictionnaire du finnois moderne, ns) résultent
fait une citation1. De ce survol diachronique, nous retenons que des combinaisons de cette fonction avec les autres implications
« chaque particule íinnoise qui n’est pas un mot d’emprunt est un possibles de la phrase. -hAn peut aussi se caractériser comme une
ancien adverbe », ainsi que raffirmation d’ordre général selon laquelle particule modale qui signale les prédispositions de 1’énonciateur1.
«les classes de mots se sont au cours des siècles différenciées, à L’interprétation s’enrichit avec la percée du conversationnalisme.
partir d’un ensemble phrastique plurifonctionnel, au fur et à mesure On repère aisément dans le dialogue des fonctions plus diversifiées
des spécialisations d’emp!oi »12, remarque intéressant la morphoge- — de concession, d’objection, d’explication. L’appréhension dialo-
nèse que corroborent certaines des observations suscitées par un corpus gique s’assortit bientôt d’une dimension contrastwe. On peut montrer
de linguistique aréale (II.2). par exemple que la corrélation -han — muita du finnois est rendue
La problématique des particules énonciatives fait son apparition, en français soit par un morphème conjonctif discontinu («bien —
en linguistique íinnoise et scandinave, avec les deux grands courants mais »), soit par un adverbe ou une locution (« certes, sans doute, d’accord,
importés des pays anglo-saxons, le transformatíonnalisme puis la prag- il est vrai») suivis d’une conjonction adversative («mais, cependant»),
matique. Les études contrastives n’échappent pas à 1’incongruité fondamen-
S’appuyant sur la thèse de doctorat de l’un des auteurs (A. Haku- tale d’une approche structuraliste : l’on est souvent amené à rai-
linen, 1976), la Syntaxe du jinnois modeme3, d’obédience textualiste, sonner sur des exemples écrits... à propos d’éléments caractéristiques
réserve une place de choix aux particules, notam m ent: du code parlé. Ainsi la prétendue « ambiguité » de la fonction d’iden-
— la particule sitã (forme partitive figée du déictique se « se ») qui, tification/opposition de la particule -hAn dans un exemple tel
employée surtout avec des formes impersonnelles ou passives à — MEiLLEhân olisi sen pitanyt tulla
valeur générique (le passif finnois est unipersonnel), dénote une nous-chez (illatif) + pen serait lui-de (pron. 3epers. sg. gén.) dü
participation discrète du locuteur au procès énoncé, ex. (p. p. act.) venir
« C’est chez nous qu’il aurait dü venir »2
— Sitã on nahnyt yhtã ja toista
pen est vu (p. p. act.) un (part.) et autre (part.) est de fait levée à 1’oral par la prosodie (accent d’emphase sur le
« On en a vu des choses »;
circonstant). Aussi 1’exemple ne se confond-il pas avec un énoncé tel
— la particule -han/-hãn qui, ne possèdant pas de sens (dénotation) — Sinnehün se sitten tulikin
de base, n’ajoute rien au noyau propositionnel de la phrase, mais là-vers (illatif) + pen il (nom.) ensuite est venu (prét. + pen )
se rattache au côté pragmatique du sens. En faisant usage de « C’est bien là qu’il est venu (aussi)»,
-hAn, le locuteur présuppose 1’information contenue dans la phrase

1. L. Hakuiinen, Suomen kielen rakenne ja kehitys, p. 199-201. 1. Cf. Le jinnois des Somes bilingues, p. 134 et p. 224-225.
2. Ibid., p. 71-72. 2. Cité dans le mémoire de maitrise de J. Viitanen, La traduction de la particule -han/-hãn
3. A. Hakuiinen and F. Karlsson, Nykysuomen lauseoppia, 1979. en français, Université d ’Helsinki, 1977.
70 Particules énonciatives et typologie langues PEurope 71

dans lequel le double marquage de la vérification (de présupposi- un instant prolongé de bavardage et lui lance — Os kããtaoã kaapallajá
tion) est assuré par la corrélation -han -— kin (« aussi, effecüvement»). («Faut ben que j ’aille faire un tour à la boutique aussi»);
La position des textualistes finlandais a considérablement évolué ces Pemploi de la particule a pour efíet de minimiser 1’objectif de cette
dernières années, à la lumière d’études contrastives réalisées entre démarche, qui s’insère dans 1’ensemble des activités du jo u r1 (v.
langues de la région (suédois/finnois — ce fut le point de départ aussi VI.3).
d’une méthode quantitative) ou entre ces langues et des langues Pour ce qui est du domaine fennique, les particules énonciatives
dites de grande difíusion1. La particule de corrélation additive -kin ont pâti des aléas de 1’Histoire récente, qui ne favorisait guère le
s’avère jouer un rôle particulier dans des énoncés, fréquents, non rccueil d’un oral impromptu dans les communautés fmno-ougriennes
précédés de « mention antérieure» : les énoncés d’ouverture de (PUnion soviétique. Avec les bouleversements que connait depuis
conversation. Bien que certaines des occurrences de -kin dans ces peu (1990) la région baltique, 1’étude ébauchée ci-dessus d’un point
énoncés en général des commentaires sur les phénomènes natu- de vue aréal (II.2) ne devrait être que le préliminaire à de passion-
rels ou sur des détails de la vie quotidienne — puissent être rempla- nantes découvertes.
cées par les adverbes sémantiquement équivalents (myõs « aussi », jopa
« même »), 1’enclitique véhicule certaines implications pragmatiques
2. Les langues indo-européennes
originales. Un poème d’atmosphère, très populaire en Finlande, prête
ainsi son cadre énonciatif à une étude spécifique :
a / Les langues germaniques

[Deux vieilles, vieilles corneilles/somnolent en silence sur la bar- Uanglais. — Les caractéristiques spécifiques des marqueurs dis-
rière du champ. () Le ciei est gris. II pleut. L’automne est là.] cursifs sont reconnues en anglais, depuis longtemps déjà, par la plupart
Kurkikin jo lãhti, vepelleen
toinen virkkaa niin kuin itselleen. des grammaires. Les grammaires traditionnelles distinguent une classe
Pitkã hiljaisuus. Jo toinen/cin: d’interjections; les grammaires structurales introduisent des sous-
«Min maar, lahti» sanoo takaisin. catégories entre mots fonctionnels, en vertu de critères distribution-
Sitten vanhukset toas vaikenee. Jàrven pintaa sade soittelee12. uels complétés par des critères sémantiques. Ch. C. Fries distingue
« La grue aussi est déjà partie », dit à sa soeur/l’une comme se ainsi quinze classes de mots fonctionnels, dont un groupe K de mots
parlant à elle-même. / /Un long silence. Et déjà Pautre d’ajouter :
/«E h oui, tiens, partie», répond-elle. //Après quoi nos vieilles qui apparaissent souvent au début des énoncés-réponses et, de façon
de nouveau se taisent. Sur le clavier du lac pianote la pluie. » générale, à 1’initiale d’énoncés réactifs dans la conversation (ex. well,
oh, now, why); un groupe L, dont les membres ont la même distribu-
Le -kin d’ouverture peut s’interpréter comme visant à intégrer tion que ceux de K, mais peuvent constituer à eux seuls des énoncés-
le départ de la grue dans une classe d’événements concomitants, réponses complets (ex.yes, no); un groupe M de signaux destinés
familiers aux deux participants (environnement partagé). Une impli- à attirer 1’attention (ex. look, say, listen), un groupe N d’introducteurs
cation de neutralité en découle : 1’événement ainsi comparé risque- d’actes sémantiques particuliers (ex. please + énoncé-requête)2. Plusieurs
rait, sans la particule, d’être interprété par 1’allocutaire comme une thèses de doctorat ont été consacrées à ces marqueurs, dans 1’orbite
nouvelle « dramatique ». Autre exemple : A quitte son voisin B après de 1’analyse du discours et de 1’analyse conversationnelle, aux Etats-
Unis comme en Grande-Bretagne3. Un consensus semble se
1. A. Hakulinen, F. Karlsson, M. Vilkuna, Suomen tekstilauseiden piirteitã: kvantitatiwinen tut- 1. Cf. P. Hietaranta, -kaan/-káan liitepartikkelin pragmatiikkaa, Virittãjà, 1980, 2, p. 250-254;
kimus, Helsinki University, coll. Publications of the Department of General Linguistics, 6, M. Vilppula, « Kurkikin jo lahti», Virittàjã, 1984, 1, p. 47-60.
1980. Voir, pour la contrastivité finnois/français, certains résultats du Proiet doffin traités 2. Cf. Ch.C. Fries, The Structure of English, 1952.
en VII.4. 3. Cf. D. James, The Syntax and Semantic of Some English Inteijecüons, 1974; L. C. Schourup,
2. Poème Syksy («L’automne ») de Lauri Pohjanpàà. C.ommon Discourse Partieles in English Conversation, 1983; D. Schiffrin, Discourse Markers, 1987.
72 Particules énonciatives et typologie Langues d ’Europe 73

dégager, en dépit de variations terminologiques non négligeables, sitaire est analysé : au bout de 55 minutes d’exposé formei (thèmes
en faveur de 1’intégration, sur une base distributionnelle, de la classe et démonstration), 1’enseignant utilise you know plusieurs fois, bientôt
traditionnelle des « interjections », ce qui peut s’illustrer sous la forme suivi en cela par les étudiants. Interprétation : 1’apparition du l er
de 1’échange de répliques suivant : — Kim will want, you know indique un changement de ton, le professeur veut être consi-
well/oh/like/uh/say/why, a golden penguin. — Well/ Hey / Okay /Yes! Y3know/ déré comme un pair, ce qui finit par être accepté par les
Look/Listen, let’s go to físnw Beach\ étudiants1.
On peut prendre pour modèle de la description des particules Des fonctions secondaires apparaissent dans les locutions «asyou
énonciatives anglaises 1’étude du role de la locution you know dans know» et « don’t you know»; ces fonctions sont prédictibles d’après
le discours anglo-am éricain contem porain réalisée p ar le sens général de la particule et son interaction avec 1 / les diffé-
J. O. Õstman12, angliciste et pragmaticien finlandais d’expression sué- rents contours intonatifs, 2 / le positionnement de la pen dans
doise dont la réflexion méthodologique, qui a fait école en Fenno- 1’énoncé. Le locuteur qui pose sonjyow know à finitiale, tout en évitant
Scandie, a déjà été évoquée (II.l.c). la contestation, introduit une nuance de politesse : même si 1’allocu-
Cette étude, sur la base d’un corpus de conversations entre adultes taire ne « sait» pas, le locuteur se comporte comme s’il savait. En
d’une part et entre enfants de l’autre, s’efforce de dégager le sens position finale, la particule implique — avec un contour interrogatif
et les fonctions de la locution-PEN. You know partage certains traits généralement — une information moins certaine, susceptible d’être
avec d’autres pen : utilisé surtout à l’oral, dans des situations infor- vérifiée immédiatement (« vous êtes d’accord? », «vous voyez ce que
melles, en face à face, il est particulièrement fréquent dans les parties je veux dire?»).
narratives des conversations. Atténuateur, you know transmet 1’infor- You know peut aussi annoncer un changement de tour de parole.
mation implicitement: le locuteur sort de son cadre propositionnel Pour indiquer ce changement, qui peut 1’être aussi par des procédés
pour métacommuniquer ses attitudes et ses sentiments. You know viole extralinguistiques (tel un geste final), 1’anglais fait un large usage
plusieurs des Maximes de Grice : « Manière » (comme les autres pen) des pen, adverbes, conjonctions et interjections, qu’il s’agisse des
mais aussi « Qualité » — la valeur lexico-sémantique de you know « compléments conversationnels a posteriori» (conversational post-
ne devrait-elle pas laisser entendre que ce que l’on énonce est déjà completers) tels les fameux « tags », ou des « prédémarreurs con­
connu? Le sens fondamental, prototypique de you know sera défini versationnels » (conversational prestarters), tels les marqueurs de discon-
comme su it: le locuteur s’efforce d’amener le destinataire à coo- tinuité (well « eh bien », OK...f. Cette fonction de « changement de
pérer et/ou à accepter le contenu propositionnel de son énoncé tour » peut se paraphraser par you know what?, procédé courant chez
comme une connaissance partagée. les enfants pour attirer 1’attention (cf. fr. « T u sais pas (quoi)?»),
Cette définition sommaire vise à souligner les points essentiels: c’est-à-dire chez les adultes — Do you want to know? (« Voulez-vous
1’effort et la requête de coopération. Ce n’est pas la connaissance savoir ? »). « Prédémarreur » comparable, anyway présuppose qu’une
mutuelle effectivement partagée qui compte, mais rafFirmation de forme de digression a précédé, et indique que le discours qui suit
cette connaissance, par laquelle le locuteur crée un lien d’intimité, est un retour à 1’orientation principale du dialogue; mais you know
voire de connivence. Le recours à you know implique toutefois une peut, à 1’inverse, entraíner le discours dans une digression. You know
relation de hiérarchie : le locuteur se pose, face au destinataire, en peut enfin servir à « occuper le terrain» — fonction comparable
détenteur d’un pouvoir supérieur; il doit prendre 1’initiative pour à celle de I don’k know pour exprimer 1’incertitude, paraphrasable
créer 1’illusion d’une égalité. L’exemple long d’un séminaire univer- en «Je ne sais plus quoi dire/penser» (cf. fr. «je (ne) sais pas»),
1. J. O. Õstman, op. cit., p. 18-20.
1. Cité par A. M. Zwicky, Clitics and particles, p. 303. 2. Terminologie de H. Sacks, E. A. SchleglofF and G. Jeferson, A simplest systemics for
2. J. O. Ostman, You know: A Discourse Functional Approach. the organization of turn-taking..., p. 706 et p. 719.
74 Particules énonciatives et typologie Langues d ’Europe 75

En dépit de certains emplois idiolectaux répétitifs, la particule ne cessé d’aller croissant à partir de la fin des années 1960. Parallèlement
saurait être assimilée, on le voit, à un simple « remplisseur de pause », s’intensifiait 1’investigation d’autres expressions aux fonctions compa-
encore que 1’étude de ses valeurs diversifiées selon qu’elle est pré- rables (conjonctions, adverbes). Une fois constatée l’exceptionnelle adé-
cédée et/ou suivie de pauses ou non fournisse des renseignements quation de la langue allemande à cette problématique, du fait d’un
non négligeables quant à la dynamique interactionnelle. réseau riche et nuancé de particules, ex. — Klaus istja verreist (« Klaus
Les valeurs contextuelles de you know peuvent être comparées est bien parti [à 1’évidence] »), — Franz ist doch nicht gescheit (« Finale-
à celles des quelques pen anglaises pour lesquelles il existe déjà des ment, Franz n’est [malgré tout] pas très futé »), une sorte de rattra-
descriptions fonctionnelles, telles well et why dont rinteraction a été page forcené s’est produit, et la recherche a été particulièrement active
étudiée dans les questions et les réponses1, I guess qui, de raême au cours des deux demières décennies. L’un des rapports les plus récents
que I think, est plus orientée vers le locuteur que you know et like, sur le domaine peut ainsi passer en revue, après sélection,
I mean qui partage la même nature inférentielle — ou encore cer­ quinze ouvrages et plusieurs dizaines d’artic.les'. Certains problèmes
tains atténuateurs (sort of, kind of...) qui semblent affecter le contenu restent non résolus, dont trois questions fondamentales : 1 / peut-on
propositionnel de l’énoncé plus directement que you know. ramener les nombreuses variantes sémantiques et les divers modes
En résumé, une pen telle you know peut être utilisée dans diffé- d’utilisation d’une particule modale, dont le sens est éminemment dépen-
rents types de fonction : pour imputer une connaissance (commune) dant du contexte, à un sens unique ? 2 / peut-on donner une caracté-
du contexte au destinataire; comme indicateur de changement de risation sémantique commune de la catégorie « particules »? 3 / existe-
tour de parole; comme marqueur de politesse. De plus, la pen peut t-il ou non un lien interne entre les différentes fonctions grammati-
être utilisée dans toutes ces fonctions simultanément, à différents degrés. cales d’un lexème-particule, ex. einfach qui en tant qu’adjectif signifie
L’analyse proposée par J. O. Ostman distingue trois aspects : 1 / la « simple », mais en tant que particule prend des valeurs nuancées («tout
cohérence (pertinence); 2 / la politesse (modalité); 3 / la structuration de bonnem ent», etc.) ? La question 1 / reçoit des réponses de plus en
1’énoncé, qui inclut finformation lexico-grammaticale ainsi que les plus positives, quant à 2 / et 3 / on reste très partagé2.
actes de langage — en particulier un modèle d’interprétation des La recherche allemande consacrée aux pen s’attachait initiale-
actes indirects. Une concordance permet d’évaluer laquelle des fonc­ ment à la description des sens individuels. Avec les premiers essais
tions de la pen est prioritaire pour chaque énoncé donné, et la repré- de caractérisation générale des pen est apparue la question de la
sentation des pen et de leurs fonctions inclut, tout en dégageant subjectivité — attitude du locuteur vis-à-vis du contenu propositionnel
leur sens nucléaire, les extensions sémantiques pertinentes pour cerner de son énoncé, selon l’une des définitions pionnières3. Plus 1’analyse
cette valeur prototypique — voir notamment le déplacement des pen sémantique s’aífine, plus la possibilité d’une définition uniforme du
sur une échelle « certitude — incertitude »12. groupe pen semble hypothétique. La dimension textuelle peut
d’autant moins être ignorée que la linguistique germanophone cons-
Uallemand. — La linguistique allemande est, en Europe, celle titue précisément 1’un des terrains privilégiés d’élaboration des théo-
qui a contribué le plus à enrichir la problématique des particules. ries textualistes (II.\.b). Aussi les recherches récentes incluent-elles
Alors que les « mots de remplissage » étaient, en allemand comme comme trait sémantique additionnel des pen la référence au co-
dans d’autres langues, longtemps méprisés pour des raisons stylisti- texte (antérieur ou postérieur), un trait qui se réfère donc à la fonc­
ques, 1’intérêt des linguistes pour 1’analyse des fonctions sémantiques tion de cohésion ( /connexion) des pen .
et pragmatiques des particules dites « modales » (Modalpartikeln) n’a
1. C f G. Ohlschláger, Untersuchungen zu den Modalpartikeln des Deutschen.
2. Cf. D. Hartmann, Context analysis or analysis of sentence meaning? on modal parti-
1. Cf. R. Lakoff, Questionable answers and answerable questions. cles in German.
2. J. O. Ostman, You know..., p. 37 et p. 41. 3. H. Weydt, Abtônungspartikel. Die deutschen Modalwõrter und ikrejranzosischen Entsprechungen, 1969.
76 Particules énonciatives et typologie Langues d ’Europe 11

Comment construire valablement la description sémantique de tères précis: les particules, à la différence des adverbes, n’ont pas
ces pen ? Doit-on inclure dans leur définition les variantes sémanti- le statut de membres de phrases et ne peuvent occuper seules la
ques dues à des paramètres textuels? Doit-on viser la description première place dans la phrase; à la différence des modalisateurs,
exhaustive d’un sens « riche »? C ’est la solution d’ordinaire adoptée les particules ne se rapportent jamais à la phrase (/prédication) tout
par les études récentes, qui s’affirment maximalistes1. Les linguistes entière, mais toujours au mot avec lequel elles commutent. La dis­
allemands, comme nombre de leurs collègues européens et anglo- tinction repose aussi sur le test de Pinterrogation : les modalisateurs
américains, se trouvent d’ailleurs confrontés au problème de la ter- peuvent répondre à des questions globales et les adverbes à des
minologie. On mentionnera 1’étude du « Sens épistémique» de questions partielles, la particule ne peut répondre à aucune ques-
M. Doherty12 comme susceptible d’apporter certains éléments de tion. En outre, les particules se distingueraient des conjonctions en
réponse intéressant, au-delà des particules, les grandes questions qui ce qu’elles n’influencent pas la position des membres de la phrase1.
agitent aujourd’hui la linguistique générale, dont celle des relations Ces critères, séduisants par leur rigueur, ne résistent pas à Pexamen
entre sémantique et pragmatique. Cet ouvrage présente, avec 1’analyse des faits : la frontière entre éléments intégrés à la phrase et éléments
exhaustive de certaines pen (doch « pourtant», etoua « peut-être », denn hors construction est particulièrement flottante, ce que traduit la
« donc », ja et wohl « bien, très ») et un inventaire des combinaisons gêne des grammairiens allemands qui ont recours à une termino­
de pen et de leurs fonctions interrogatives, une réílexion sur la moda- logie mixte et instable — « fausses conjonctions », « adverbes con-
lité. Les pen sont considérées non comme un phénomène unique jonctionnels » (unechte Konjunktionen, Konjunktionaladuerbien) 2.
et isolé, mais comme parties intégrantes d’un système complexe Les particules de Pallemand ont donné lieu à une abondante
d’expressions verbales au sens épistémique. Le rôle des pen « attitu- littérature d’un point de vue de contrastivité externe. Ainsi des connec-
dinelles » (Einstellungspartikeln) est comparé à celui des adverbes de teurs adversatifs aber et sondem de Pallemand — comparés au but de
phrase (wahrscheinlich « vraisemblablement», wirklich « véritablement», Panglais — dont on a pu montrer que les implications communica-
etc.), des verbes modaux (tels vermuten « supposer », glauben « croire »), tives respectives déterminent les impossibilités d’occurrence dans cer­
des modalités et des modes phrastiques (affirmation/négation; asser- tains types de phrases. Les subordonnées en aber doivent être, en
tion, interrogation, jussion), de Pintonation. L’intérêt de cette approche, contrastivité, mises en relation avec les propositions en but qui ne
qui emprunte sa terminologie à différentes écoles (ethnométhodo- sont pas réduites aux éléments contrastés dans la deuxième phrase,
logie, sémantique logique...), réside dans la mise en regard de tandis que Pinverse est vrai des propositions en sondem. Les proposi­
1’ensemble des énoncés contenant ou non une expression épistémique; tions en sondem peuvent être converties en anglais soit par le procédé
la recherche d’invariants sémantiques s’établit selon une gradation de la coordination asyndétique, soit par des constructions clivées
de 1’explicite à Pimplicite. ou pseudo-clivées (John didn’t go to London, it was Peter), soit encore
Les tentatives les plus élaborées de classification des particules par des propositions en but dans lesquelles tous les constituants iden-
par les grammairiens allemands passent par Péclatement de la classe tiques à ceux de la première proposition sont éliminés (Peter is not
de Padverbe. Helbig et Buscha distinguent les « adverbes » (Adver- stupid, but lazy). La fonction des « particules expressives » (Abtonungs-
bien) des « mots semblables aux adverbes » (adverbahnliche Wõrter), eux- pa.rti.keln) de Pallemand donne lieu également à nombre d’exercices
mêmes subdivisés en « particules » (Partikeln), « modalisateurs » (Modal- contrastifs de type didactique. De la comparaison dans les deux langues
wõrter), « négateurs » (Negationswõrter) et « équivalents de propositions »
(Satzãquivalente). La distinction repose sur un certain nombre de cri-
1. G. Helbig and J. Buscha, Deutsche Grammatik. Ein Handbuchjur den Auslandenmterrickt, Leipzig,
veb Verlag Enzyklopádie, 1974, p. 428-429.
1. Voir notamment D. Franck, Grammatik und Konversation; E. Kõnig, Modalpartikeln in Frage- 2. Références chez J. Feuillet, Introduction à Vanalyse morphosyntaxique, p. 192-194. Voir aussi
sãtzen; H. Thun, Dialoggestaltung im Deutschen und Rumanischen. D. Bresson, «Adjectif» ou «ad v erb e» : des classes de mots problématiques en allemand,
2. M. Doherty, Epistemische Bedeutung 1985. Cercle Linguistique d’Aix-en-Provence (éd.), Travaux 1, p. 9-38.
78 Particules énonciaiwes et typologie Ijmgues d ’Europe 79

de dialogues authentiques ressort ainsi le caractère exceptionnel (la La classe des « particules » qui, dans les grammaires suédoises
quasi-inexistence) des équivalences lexicales. Le transfert approxi- comme dans les grammaires finnoises qu’elles ont inspirées, regroupe
matif de contenu est réalisé par un mélange d’items lexicaux, de tous les éléments de la langue non identifiables en tant que noms
variations de structure, d’intonation, de segmentation et de présen- ou verbes, comprend aussi en suédois les adverbes de phrase. Aucun
tatifs diíFérents — procédés rhétoriques qui peuvent s’interpréter en traitement de faveur n’est réservé dans l’histoire de la langue à ces
termes de pragmatique. Mal, eben, auch et doch, dont la haute fré- adverbes qui ne constituent pas de paradigme morphologique dis-
quence est notable dans les phrases dites « éducatives », sont acquis tinct — à la différence des particules enclitiques du finnois par
par 1’enfant au cours du processus de socialisation, et sont décrits exemple. On trouve toutefois dans certains des ouvrages de linguis-
comme des procédés servant à accomplir des actes de langage indi- tique historique qui font désormais autorité plusieurs passages tou-
rects. L’emploi de mal en particulier dans les expressions jussives chant à cette problématique. Evoquant dans son ouvrage général
correspond à une forme de politesse : la force directive d’un ordre consacré aux langues « nordiques» (scandinaves), les conditions de
est atténuée par 1’ajout de la particule, procédé comparable à la développement des langues parlées nationales, lesquelles n’apparais-
construction dite en anglais « whimperative» (question-requête). L’emploi sent en Scandinavie qu’au xvne siècle avec la centralisation de la
de auch et de eben suppose une autorité, il combine les actes de vie culturelle, E. Wessén oppose à la langue écrite — plus ancienne
langage indirects (autodéfense et reproche) avec 1’assertion impli- (textes de lois en vieux suédois) que la langue parlée nationale, et
quée. Ces particules n’ont pas forcément d’équivalents dans les autres comme telle devenue fixatrice de la norme — la langue parlée. Celle-ci
langues germaniques. En suédois par exemple, si d’autres procédés se caractérise par des procédés stylistiques destinés à faciliter la mémo-
sont disponibles pour 1’expression de la politesse, ce qui est exprimé risation (rythme, allitération, répétition, anaphore) qui tendent à
indirectement par mal donne généralement lieu à une expression s’effacer à 1’écrit au profit d’une expression abstraite : de paratac-
explicite, ex. Var snall och... ou sa négation (« Sois [assez] gentil pour... » tique en vieux suédois classique, la liaison devient ainsi
— « T u ne voudrais pas être [assez] gentil pour...»), tandis que hypotactique1. Traitant de 1’ordre des mots dans son Histoire de la
eben et auch résistent durablement au paraphrasage. II n’est pas jusqu’au langue suédoise, le même auteur caractérise ainsi les trois facteurs qui
monème (/groupe de monèmes) transcrit généralement par la com- déterminent 1’ordre de la phrase assertive : la tradition grammati-
binaison des lettres «m» et «h», fréquent en allemand parlé, dont cale, d’oti un ordre des mots normalisé, produit d’un héritage cul-
1’importance communicative pour 1’apprenant n’ait été soulignée. Le turel; le besoin d’expressivité, d’ou des mises en valeur, des emphases
monème « hm » + « mhm » remplit une grande variété de fonctions res- émotionnelles; le rythme de la phrase, qui crée ses propres lois,
sortissant à la régie par 1’allocutaire de 1’activité parlante du locu- susceptibles de modifier, avec le temps, la tradition2. On note que,
teur par exemple pour indiquer son acceptation vs son rejet des malgré des différences stylistiques nettes entre écrit et oral du point
présuppositions que véhicule 1’énoncé1. de vue du rythme, «1’emphase était encore très répandue dans la
langue juridique du vieux suédois (...) qui, se fondant sur le récit
Les langues scandincwes. — Le suédois est celle des langues scandi- juridique oral, reproduit de la langue parlée (...) C ’est le constituant
naves dans laquelle le plus grand nombre de travaux ont été consa- le plus important dans le contexte qui est en général placé en tête. »
crés aux particules, d’un point de vue pragmatique notamment. Une forme d’emphase très usuelle dans les textes les plus anciens
consiste à reprendre un constituant de phrase par un pronom « pléo-
1. Cf. en particulier B. Asbach-Schnitker, Die adversativen Konnektoren aber, sondem und nastique » ou par un adverbe. Le sujet, placé en tête, sera ainsi
but nach negierten Sàtzen, p. 457-465; E. Paneth, Kontrastive Übungen zur Funktion der
Deutschen Abtónungspartikeln (Für englische Studenten), p. 469-478; B. Stolt, Ein Diskus-
sionsbeitrag zu mal, eben, auch, doch aus kontrastiver Sicht (Deutsch — Schwedisch), p. 479-487;
K. Ehlich, Formen und Funktionen von, H M ’ — eine phonologisch-pragmatische Analyse, 1. E. Wessén, De nordiska spraken, p. 82-93.
p. 503-517, in lhe Partikeln der deutschen Sprachen, H. Weydt (éd.). 2. E. Wessén, Svensk sprakhistoria, III, p. 205.
80 Particules énonciatwes et typologie Langues d ’Europe 81

repris par un han, hon, pãt ou pe (pronom de 3e personne du singu- ta c » 1?). Pour ce qui est de Tinsertion de vàl dans un énoncé, cet
lier, masculin, féminin, neutre, ou pluriel) anaphorique devant le appel en confirmation des actes peut être destiné à favoriser une
prédicat, en particulier lorsque le sujet est accompagné de détermi- demande, voire à influencer 1’allocutaire (on songe aux manipula-
nants. Par ailleurs, après un constituant (placé en tête) accentué, tions rhétoriques), ex. — Du ringer vãl om Du hor nânting. (« Tu me
on a souvent un p« (= su. moderne da « alors ») pléonastique — en téléphones (hein?) si tu apprends quelque chose? »). La justification,
particulier si le constituant est accompagné de déterminants et suivi qui n’est pas nécessaire dans le cas ou l’on s’adresse à un allocutaire
d’une pause. Après une proposition subordonnée, la principale est de statut inférieur, peut aussi traduire des égards particuliers de la
introduite de même par un ?a pléonastique. On trouve aussi parfois part du locuteur. C ’est donc ici du décalage entre différentes moda-
dans cette position 1’adverbe de lieu ?ãr « là » (su. dar) et 1’adverbe lités (nécessaire vs possible) que s’inspirera 1’interprétation2.
de manière swa (su. sa) « ainsi», ex. Ingeborgh swa heyt hans sjister « Inge- L’étude des locutions-PEN du suédois a aussi progressé ces der-
borg ainsi s’appelait sa soeur ». En suédois parlé moderne, le sujet nières années grâce aux travaux pragmatiques consacrés en Finlande
est souvent repris par un pronom anaphorique, ce qui est à 1’origine à l’oral. Les « ajouts phrastiques» étant reconnus désormais comme
une construction emphatique : le mot principal était suivi d’une pause régulateurs de 1’échange dialogique, on a étudié en particulier les
de mise en valeur et d’un pronom proclitique formant unité accen- locutions interactionnelles. Les séquences constituées d’un pronom
tuelle avec le prédicat, puis 1’emploi est devenu « pléonastique » après et d’un verbe de Tc personne du singulier d’une part, d’un verbe
disparition de la valeur d’emphase'. Cette analyse peut, on le voit, et d’un pronom de 2e personne d’autre part (ordre des mots interro-
être transposée en termes d’organisation énonciative : la fonction gatií) partagent un trait évolutif: elles se forment par lexicalisation
démarcative de 1’adverbe-PEN à la jointure entre thème et rhème d’une construction syntaxique et déplacement du sens. La construc­
est directement comparable à celle que nous relevons par ailleurs tion subit un changement de rang prosodique et syntaxique : ces
en same dans 1’énoncé-réponse simple. séquences ne constituant pas d’unités prosodiques, leurs composantes
La problématique spécifique des « particules/adverbes modaux » individuelles ne peuvent recevoir de déterminations. La construction
(dits encore « adverbes d’acte de parole » — su. talaktsadverb) fait syntaxique (productive) et la locution lexicalisée peuvent continuer
son entrée en force dans la linguistique suédoise avec 1’avènement d’exister parallèlement, ce qui est le cas pour Jag mmar, séquence
de la pragmatique à la fin des années 1980. Citons 1’analyse des usuelle dans le suédois de Helsingfors. On trouve, dans un registre
deux pen enclitiques les plus usuelles : ju « évidemment, c’est vrai », informei, deux types de ja(g) menar, distingués aussi par leurs pro-
et vai « n ’est-ce pas, bien ». En ayant recours à ju, le locuteur étaye priétés syntaxiques : 1 / sens de «je veux dire » et «je considère »
son assertion de raisons concrètes : il établit une relation logique, (jag asyjtar, jag anser — cf. saob3), le 2e mot est accentué; 2 / valeur
qu’il souligne, avec les actes de parole précédents, ex. — Du kan en apparence confuse, le 2Cmot (verbe) est atone. Exemples:
inte gà ut. Det regnarju. (« Tu ne peux pas sortir. (Puisqu’) il pleut. »). A. Constructions syntaxiques productives, — Men jag menar just
Par cette référence à un rationnel explicite, le locuteur manifeste att/metoden ãr hemskt bra (« Mais je veux dire justement que la méthode
son désir de coopération; le rappel de quelque chose de générale- est excellente»); — Int menar ja nu precis sagor (nég. - v. - pron.
ment connu, ou de connu des deux interlocuteurs, sera interprété l repers. sg. - pen - exactement - contes) « C ’est pas exactement des
comme une manifestation de solidarité bénéfique à 1’échange, ex. contes que je veux dire ». B. Expressions lexicalisées, — A ínte ha
JVi kan ju Jranska. Vad betyder egentligen « répondre du tac au tac»? (« Vous
[qui] savez le français. Que signifie en fait «répondre du tac au 1. Expression calquée à torigine sur la coutume suédoise d’échanger des remerciements
en série (— Tack sâ mycket! — Tack tack. «M erci beaucoup!. — Merci, merci (c’est-à-dire
« Merci à vous, je vous en prie »), introduite à la cour de la reine Marie-Antoinette par
le comte von Fersen et son entourage.
2. Cf. K. Aijmer, Partiklarna ju och vai; Nâgra talaktsfunktioner hos adverb i svenskan.
1. E. Wessén, op. át., p. 211-214. 3. Ordbok bfier svmska sprâket, utgiven av Svenska Akademien, Lund, 1983.
82 Partwules énonciatwes et typologie I xingues d ’Europe 83

jag nâ imot teve som sâdan/ja menar nu kan man/tãnka sej att/se ett program pnint de vue interactionnel (réservation du tour de parole), traduit
(« Et je n’ai rien contre la télé en tant que telle, je veux dire bon mí choix subjectif du locuteur. La locution lexicalisée se rencontre
on peut, envisager, de regarder une émission »). Dans le groupe A, i !u'z les locuteurs expérimentés, soucieux de convaincre leur parte-
jag menar fonctionne comme une proposition principale régissant soit uaire : le choix de marqueurs textuels est déterminé aussi par des
une proposition complétive en att « que » — soit un SN-objet; 1’ordre lacteurs extralinguistiques (personnalité, intention etc.). Exemples de
des mots est non fixé, il y a inversion si un circonstant est placé substitution possible :
en tête; quant à la prosodie, le verbe est accentué; le sens est celui — [« Et je n’ai rien contre la télé en tant que telle »]
de « avoir 1’intention de », « penser à », « avoir en vue », « consi- a) ja m e n a r /alltsa/sâledes/det vill sdga/med andra ord («je veux
dérer». Dans le groupe B, la séquence est atone, n ’est suivie ni dire/donc/par conséquent/c’est-à-dire/autrement d it»)
d’un SN-objet, ni d’une complétive, elle ne peut être niée; 1’ordre b) vet du/forstâr du/ser du/hor du («tu sais/tu comprends/tu vois/tu
des mots est fixe et la séquence ne peut pas être placée en finale. entends» — ordre interrogatif en suédois, cf. ci-dessous)
c) kara vàn/mamma lilla/gulle vãn (« cher ami/ma petite maman/mon
Dans les énoncés du groupe B, la séquence est syntaxiquement
trésor »)
et sémantiquement comparable aux résumatifs de type alltsa (« donc ») djfdr fan («diable», ««putain»)
et saledes (« ainsi, par conséquent»): — Ja menar/alltsa /sâledes di vet [«je veux dire bon on peut envisager de regarder une émission »].
ju in ens... (« En som m e/donc/par conséquent ils ne savent même
pas... »). Sorte de sous-catégorie de la classe des « adverbes de phrase » Toutes ces alternatives ont une fonction textuelle commune : indi-
de la grammaire traditionnelle, ces ponctuateurs se rattachent à la t|uer un tournant de Fargumentation. Le choix entre a) d) corres-
proposition suivante dont ils modifient le contenu propositionnel. pond à difFérents procédés sélectionnés par le locuteur pour souli-
A 1’appui de cette interprétation, on note que les trois gner Fimportance du contenu. Avec Finterjection/juron (d),
séquences/adverbes peuvent se placer altemativement dans le champ Finterpellation situe le locuteur socialement et se fait plus pressante.
nodal à la place des circonstants, ex. — Di vet ju ja menar/alltsa/sa­ En conclusion, si les difFérentes variantes a) d) sont similaires
ledes inte ens. Parmi les éléments pragmatiques qui se comportent du point de vue de la stratégie textuelle, elles diffèrent quant à
de même, on relève les mots d’adresse, les interjections, les jurons leurs implications communicationnelles (qui vont de la neutralité à
(voir ci-dessous). Cette perspective renouvelle la problématique de la menace). Ces éléments caractéristiques de la parole impromptue
1ordre des mots en suédois : a 1’encontre de la règle enseignée par peuvent s’analyser au niveau énonciatif sans se voir assigner une
les grammaires selon laquelle un seul constituant devrait pouvoir place dans le réseau des relations syntaxiques1.
se placer devant le verbe — difFérents travaux sur 1’oral ont montré Quant aux locutions-PEN à structure phatique (avec ordre des
que les possibilités de variation y sont très larges1. En résumé, si mots interrogatif), on peut leur appliquer une analyse à deux niveaux.
1’ordre des mots peut généralement servir de critère distinctif en D’un point de vue lexico-structurel, les séquences fórstâr du/ser du
suédois — les conjonctions ne modifient pas 1’ordre des propositions [sidu, registre oral)/hor du/vet du («comprends-tu/vois-tu/entends-
pnncipales, mais les connectifs, comme les autres circonstants, pro- tu/sais-tu ») constituent bien des questions et 1’on ne peut nier 1’inten-
voquent 1’inversion — cette règle n’est pas absolue à Poral: 1’ordre tion du locuteur de s’assurer, par le recours à Fexpression lexica­
direct se maintient, dans certains cas, malgré la présence d’adverbes lisée, que certaines des conditions pragmatiques nécessaires à Fins-
ou de locutions adverbiales en tête de Fénoncé. tauration d’un dialogue sont remplies2. II suffit pourtant, pour se
La séquence jag menar du groupe B, qui peut s’interpréter d’un convaincre qu’il ne s’agit plus de questions au sens propre, d étudier

1. Ces adverbes/circonstants peuvent être considérés, afin de souscrire aux exigences de


classement de la grammaire traditionnelle, comme équivalant sémantiquement à des conjonc­ 1. Cf. la remarquable démonstration de M. S aari: Jag menar, Xenia Huldemana...
tions cf. N.Jõrgensen, Meningsbyggnaden i talad svenska, p. 105 sq. 2. Cf. M. Coulthard, 1977, An Introduction to Discourse Analysis, p. 171 sq.
84 Particules énonciatives et typologie 85
langues d ’Europe

les répliques subséquentes à ces locutions dans un corpus dialogique, iciic fois il va falloir que tu t’excuses! »). Dans ces exemples, le
ex. A. — Hade han blã õgon? B. — Vetdu det minnsjag inte. A. — *Ja, '.cgment considéré se distingue des précédents par une valeur lexi-
jag vet. Jasã, nehe. (A. « II avait les yeux bleus ? » B. « Tu sais, . ale nette, une distribution fixe, 1’indépendance prosodique (malgré
je m’en souviens pas. » A. «(* Ah oui, je sais.) Ah bon, d accord le eouplage éventuel avec un mot d’adresse). Ces segments sont com-
(litt. « no-on »). »). Le partenaire réagit au contenu propositionnel pa rabies aux inteijections (incluant les jurons) et aux teimes d’adresse :
de 1’énoncé, et non à la locution proprement dite (qui ne fonctionne i fun point de vue strictement syntaxique, il s’agit d’une classe diffé-
plus comme syntagme régissant). j ente de celle des pen .
Un test permet de vérifier la valeur de ces locutíons-PEN : leur
suppression a pour effet de rendre 1’énoncé plus catégorique, ex. b / Le bulgare et les langues balkaniques
dans Sã ska man gora rmd allt som ãr svârt fórs&r du. (« (Test comme
ça qu’il faut faire avec tout ce qui est difficile, tu comprends»), Le bulgare. — C ’est sur cette langue — à la fois slave et « balka-
nique » (voir ci-dessous) — que nous nous attarderons plus parti-
la modulation finale atténue le contenu propositionnel. L’appel adressé
ainsi par le locuteur à son partenaire est intensifié en suédois du i ulièrement. Moins connu des non-slavisants que le russe1, le
bulgare dispose d’un appareil complexe et nuancé de procédés de
fait du mode interrogatif. On note que, dans d’autres langues, les
expressions équivalentes ont souvent la forme de 1’impératif: ex. modalisation et d’expressivité qui ont fait récemment 1’objet d’une
listen, kuule; look, katso (kato), en anglais et en finnois. Le français elude d’envergure en France : une thèse de nouveau doctorat due
a M. Vrinat-Paskov2. L’auteur s’était au préalable attachée dans
regarde/êcoute traduit de même une relation familière, fonction dis-
plusieurs articles à souligner son point de vue : la nécessité d’une
tincte de celle de voyez-vous, plus recherché et plus textuel (planifíca-
tion à long terme, prépondérance monologique). distinction entre deux grands ensembles appartenant tous deux au
domaine encore mal connu de la subjectivité dans la langue. La
Une analyse purement structurelle ne permet pas de rendre
modalisation réunit tous les moyens linguistiques (sémantisme des verbes,
compte des expressions ci-dessus. Malgré leur forme interrogative,
ces expressions ne fonctíonnent pas comme des questions mais doivent auxiliaires dits modaux, locutions, adverbes, particules, etc.) qui mani-
être interprétées comme des actes indirects de langage (II.l.c)1. festent un jugement, logique ou appréciatif, porté par le locuteur.
I ,'expresswité regroupe tous les procédés linguistiques qui rendent comp-
Ces expressions correspondent bien aux critères que nous posions
(ent d’une réaction aífective et émotionnelle du locuteur face à un
initialement (Introduction) comme caractéristiques d’une notion par-
enoncé ou à une situation donnée. Cette distinction affleure du reste
ticulaire large : elles sont breves, lexicalement peu claires, extérieures
au contenu propositionnel de 1’énoncé; elles entretiennent une rela­ dans les grammaires bulgares m odernes: la Grammaire éditée par
1’Académie des Sciences de Bulgarie en 1983 établit une nette diífé-
tion syntaxique vague avec leur environnement, elles ne constituent
rence entre les particules modales, qui expriment Fattitude volon-
pas d’unité prosodique indépendante. Comme pour 1’ensemble des
laire du locuteur, et les particules émotionnelles, qui traduisent ses
pen périphériques se pose toutefois le problème d’une démarcation
fonctionnelle nette : il faut accepter 1’idée d’un éventail sémantique, ctats aífectifs. On donnera de ces deux grands ensembles les exem­
pourvu à une extrémité d’un sens plus ou moins plein (interroga- ples suivants:
tion), à 1’autre d’un sens très affaibli (de type « ajout»). Exemple
de sens relativement plein : — Fórstãr du. du behóver inte vara tyst nu 1. Les particules énonciatives du russe, nombreuses et nuancées, ont éveillé un intérêt
lãngre. (« Tu comprends [que] tu n’as plus besoin de te taire »), ou lardif chez les chercheurs autochtones. Une publication collective récente, consacrée en fran­
zais aux particules russes, fait écho à certaines des questions nodales soulevées par d autres
encore Hõrdu (HasseJ. nujar du nog be om ursãkt! (« Ecoute (Jeannot), tlicoriciens. Cf. R. Rathmayr, Les particules ont-elles une signification propre?, et Les parti­
cules russes, lexèmes pragmatiques, D. Paillard et al., Les particules énonciatives du russe contempo-
uiin, Paris, cnrs , Institut d’études slaves, 1986, I, p. 53-62 et II, p. 227-240.
1. Cf. M. Saari, Nágra pragmatiska partiklar i svenskt talsprâk.
2. M. Vrinat-Paskov, Les particules expressioes du bulgare modeme, 1990.
86 Particules énonciatives et typologít I imvms d'Europe 87

A / pour la modalisation : i|'im invariant de base dans le processus communicatif. Quatre groupes
— Tja maj se e/zagubila pum ipaux de particules expressives se profilent ainsi: a / avec les
pron. fém. 3e pers. nom. part. mod. se perdre (3epers. parfait) ptiiiiniles d’adresse ma, le, mari, more, va, peu usitées dans la langue
« Apparemment, elle s’est perdue »; ( (miciuporaine standard, le degré d’émotion est minimal, la fonction
n i pbatique et sociale; b / les particules illocutoires a, ja, be, de, ki,
B / pour 1’expressivité : Huli, liolan renforcent la visée (jussive, incitative, négative...) du locu-
— Jü gledaj! Dojde si, a? li oi qui désire exercer une pression sur 1’interlocuteur; c / les parti-
part. express. regarder (impft. 2) venir (aor. 2) part. express. t ulrs réactionnelles lore, ale, li, zer, eh manifestent une réaction vive
«Ça alors! Alors comme ça, tu es venu?» du locuteur, sans qu’il cherche à agir sur son interlocuteur; d / les
pnilirules de rupture e, ami, ama, ce traduisent le surgissement d’une
L exemple A montre de quelle manière le locuteur, fondant son
lilcc ou d’un élément nouveau, et font progresser (souvent par oppo-
jugement sur les apparences (retard, etc.), juge la réalisation/la réalité 1’énoncé1. Si quelques-unes de ces particules sont tombées
du procès. L’exemple B met en valeur la réaction émotionnelle du
en désuétude, ou sont perçues aujourd’hui comme «populaires, archai-
locuteur :ja fait surgir au sein de l’énoncé l’étonnement du locuteur,
ijurs ou folkloriques», la majorité d’entre elles est encore bien vivante,
a pose une question rhétorique, le locuteur manifeste par ces pro-
lent emploi est plus fréquent qu’on ne pourrait le croire ou que
cédés sa surprise joyeuse devant un événement inespéré, il tente
Ir* bulgarophones veulent bien 1’avouer:
d instaurer un contact avec son interlocuteur. Les critères de diffé-
renciadon entre les deux groupes ne sauraient être morphosyntaxi- « [les particules expressives du bulgare] sont frappées d’un ostra-
ques : ces particules n ’ont pas de place obligatoire dans 1’énoncé, cisme dü au souci de la norme littéraire, et, aussi bien à 1’école
qu’à la maison, on recommande aux enfants de ne pas les utiliser
leur présence ne modifie pas les rapports existant entre les autres
sous peine de paraitre “ grossier”, “ mal élevé”, impoli, etc. C’est
constituants. Quant aux critères sémantiques, la terminologie bulgare peut-être l’une des raisons qui expliquent le manque d’intérêt
traditionnelle distingue déjà les modalisateurs, morphèmes à sens général à leur égard, au sein des linguistes bulgares, car ce genre
plein, des expressifs, « mots-outils» (sluzebmi dumi) à signification de préjugé a la vie dure. »
variable. « L’expressif fait sens au sein d’un énoncé donné : il ajoute
un sens supplémentaire à ce dernier et en même temps il en reçoit Remarque qui vient enrichir d’un témoignage linguistique sup-
sa signification pleine»1. Les différences entre particules peuvent plémentaire le dossier du « pilori» ouvert ci-dessus au chap. I. Le
certes être étudiées grâce à leur substitution dans un énoncé donné, coipus dépouillé est abondant, surtout littéraire — auteurs variés
dans le temps (du siècle dernier à 1988), par le registre et le genre
ex- Ela de! (« Viens donc! »), 1’invitation s’adresse à un interlocu­
teur timide, gêné; Ela be! (« Mais enfin, tu viens ? »), le locuteur (prose, théâtre) — mais aussi oral, avec quelques enregistrements
s’impatíente devant un interlocuteur lent à réagir, il s’agit souvent empruntés au fonds du Dictionnaire des Jréquences de la langue bulgare
d’une 2Cinvite; — Ami... ela! í« Eh bien... viens! »), le locuteur hésite fiarlée (1987). Une analyse syntaxique détaillée est consacrée au com-
avant de se prononcer et le même énoncé, sans pause intermédiaire, portement des particules expressives: leur place dans Fénoncé, leur
peut servir de réponse («Viens, bien sür! »); — Ela ma! («Allez, incidence. De la comparaison d’un nombre important d’exemples,
viens. »), la particule, obligatoire avec un allocutaire femme, est res- il ressort que les expressifs sont autonomes du point de vue syntaxique :
sentie dans les autres cas comme littéraire ou archaique. Mais une leur absence ne change rien d’essentiel aux relations entre autres
étude plus rigoureuse imposera, pour chaque particule, la recherche constituants, qu’ils portent sur 1’ensemble ou sur une partie seule-

1. Ibid., p. 197 sq.


1. Cf. M. Vrinat, Modalisateurs et expressifs en bulgare, p. 190-193. 2. M. Vrinat-Paskov, Les particules expressives du bulgare modeme, p. 4.
88 Particules énonciatwes et typologie Langues d ’Europe 89

ment (c’est le cas des particules d’adresse) de la phrase. Les expres- L’analyse sémantico-pragmatique du corpus, dont la portée est
sifs (déja séparés, nous 1’avons vu, des modalisateurs) seront aussi, restreinte ici par ses choix théoriques — 1’approche pragmatique se
sur la base de critères syntaxiques, distingués des inteijections, les- limite à un classement searlien des énoncés et de leur force illocu-
quelles constituent des « mots-phrases ». Quant aux affinités parti- toire, la dimension textuelle est radicalement exclue —, gagnerait
culières avec certaines catégories verbales, il est montré que, dans à être reprise en termes d’actes indirects du langage (nombreux exem­
les énoncés jussifs, les expressifs collaborent le plus souvent avec ples de questions caudales) et de stratégie discursive à long terme.
1’aspect perfectif. Un exercice de commutation, soumis à 1’apprécia-
tion d’un échantillonnage de locuteurs sociologiquement différen- Langues balkaniques. — Sous cette étiquette aréale, des recherches
ciés, permet de mieux cerner la valeur individuelle de ces particules, récentes ont mis Paccent sur la parenté des pen dans des langues
à partir de variations sur 1’impératif cakaj! (« attends! »): cakaj de! traditionnellement réparties entre plusieurs rameaux et familles géné-
cakaj be! abe cakaj! ami cakaj! cakaj ma! cakaj mari!, pour un registre tiques distincts1. Le grec moderne par exemple comprend un
d’états d’âme allant de Timpatience à la taquinerie (allocutaire nombre important de particules expressives qui, pour la moitié d’entre
féminin!), passant par la colère, voire la brutalité. Le rôle trans- elles au moins, sont identiques à celles du bulgare évoquées ci-dessus
phrastique des particules s’inscrit en filigrane dans une masse tex- — encore que les dictionnaires grecs révèlent d’autres étymologies
tuelle riche. Ainsi du rôle de be, dont la valeur d’intensification des que celles données par les dictionnaires bulgares (ou albanais!): jia
visées assertive et jussive n’est pas indépendante de la séquence, par exemple n’est pas considéré en Grèce comme la forme iotisée
construite notamment par une succession de négations, ex. : de a, mais comme 1’antique eia passé aussi en latin (souvent suivi
de 1’impératif en attique avec le sens de « eh bien allons »)2. On
[Gerco les regardait d’un air courroucé] trouve en grec un flottement terminologique déjà observé ailleurs,
— Njamam be, bratja, njamam pet pari, s kakvo ste vi cerpja. Njamam
hljab, kamo li vino. les grammaires appelant « particules » (mória) des mots courts inva-
— Nameri be, denjat ti e dnes. Nameri (...) riables de natures diverses : prémorphèmes de mode ou de temps,
— Ostavete me be, bratja. négations, à côté des particules-conjonctions, particules-adverbes, etc.
« Mais enfin, je n’en ai pas, frères, je n’ai pas un sou, avec quoi Si la plupart des particules expressives du grec ancien ont disparu,
je vous offrirai un verre? Je n’ai pas de pain, encore moins de celles qui jouaient le rôle de joncteurs interphrastiques ont survécu3.
vin. — Tu n’as qu’à en trouver, c’est ta fête aujourd’hui. Trouve
(...). — Mais fichez-moi la paix, frères.»,
La monographie consacrée par J. D. Denniston aux particules
ou encore du rôle de a qui, décrit au chapitre de la « rectification », du grec établit une classification à fondement exclusivement séman-
s’inscrit aussi dans une procédure de recherche de mots (VI. 1.6), ex. : tique : les particules, ressortissant au domaine expressif et émotif de
la langue, représenteraient un stade relativement tardif d’évolution4.
[Deux hommes, attablés, boivent de l’eau-de-vie]
— Be kakua rakija e tova! gladi se dovolen Kokorkov po gardite. Ne rakija c / Le français et les langues romanes
ami boza! A, boza! I boza ne e!
«Bon sang, qu’est-ce que c’est que cette eau-de-vie! s’exclame En France, 1’analyse de discours, indépendante de la tradition
Kokorkov satisfait en se frottant la poitrine. C’est pas de l’eau-de- rhétorique, est une importation récente : à la différence des recher-
vie, c’est de la boza! Enfin, de la boza! Ce n’est n’est pas non
plus de la boza!»1.
1. Cf. J. Feuiilet, Introduction à la linguistique balkanique, Paris, p o f , 1986, Cahiers balkaniques
n° 10, p. 15 sq.
2. Renseignements oraux fournis par H. Tonnet.
3. Cf. H. Tonnet, Aperçu sur 1’évolution historique des particules de liaison (joncteurs)
1. M. Vrinat-Paskov, op. cit., p. 300 et p. 320; exemples extraits des romans de C. Cer- en grec, Cahiers balkaniques, 1988, 12, p. 135-150.
kovski, Po vitata pateka, 1982, et de V. Plamenov, Utre ste si hubava, 1984. 4. J. D. Denniston, The Greek Partieles, p. 37 sq.
90 Particules énonciatives et typologie htngues d ’Europe 91

ches anglaises et américaines, la conversation quotidienne en est i le potentiel argumentatif permet de préciser Fimpact de la modifi-
absente jusqu’au début des années 1980. Les marqueurs conversa- ( .iiion argumentative introduite par Fopérateur. Exemples:
tionnels font une entrée tardive et discrète dans la littérature spécia- — II est 8 h. Presse-toi!
lisée avec une terminologie disparate qui reflète différents choix théo- — II est presque 8 h. Presse-toi!
riques et méthodologiques. Progressivement reconnus comme particules — II est presque 8 h. Ne te presse pas (surtout)! [Ironique]
(discursives ou énonciatives), ces marqueurs sont également men-
On distingue en outre, parmi ces príncipes, un sous-ensemble
tionnés comme « signaux de coopération », « appuis de discours »,
voire « parapraxèmes» (chez les sociolinguistes occitanistes)1. Ils <Ir règles qui possèdent des structures sémantiques spécifiques, appe-
lérs « topos» : les topos entretiennent un rapport très étroit avec les
apparaissent surtout au titre des connecteurs pragmatiques et des mar­
queurs de structuration de la conversation, dans le cadre de la théorie de opérateurs argumentatifs, ils expliquent la façon dont ces derniers
déterminent, indépendamment des données informatives (conditions
1’argumentation et celui du conversationnalisme genevois respecti-
vement. i le vérité), les possibilités argumentatives des phrases. Soit par exemple
lYnchainement Cette voiture est bon marché; tu devrais donc 1’acheter; le
La théorie de 1’argumentation d’0 . Ducrot et J. C. Anscombre
I" segment sert à accomplir un acte d’argumentation dont le 2e expli­
est, de ces deux options, la plus connue et la plus « suivie » en
cite la conclusion, le connecteur donc les intégrant dans une stratégie
linguistique française. De cette théorie évolutive que « nous (J. C. Ans­
globale de démonstration (qui s’appuie sur un topos reconnu dans
combre et O. Ducrot) ne cessons depuis (une quinzaine d’années)
d’appliquer, de détruire, de reconstruire »12, nous (MMJF) retien- notre collectivité). Exposée dans plusieurs articles de revue, cette
ionception de Fargumentation a donné lieu à deux ouvrages princi-
drons l’idée centrale, à savoir la thèse de 1’existence, pour certains
paux, avant d’être articulée avec une théorie de la polyphonie1.
éléments au moins de la langue, d’une fonction argumentative qui
Aucune des études de détail impulsées par la théorie n’est étrangère
ne se laisse pas réduire à leur contenu informatif. On distingue dans
:i notre problématique. Difficile pourtant d’assimiler les connecteurs
1’exercice de la fonction argumentative quatre opérations principales :
et les opérateurs en question2 à nos particules énonciatives: au-
1’inférence, la visée argumentative, l’acte d’argumentation, Forienta-
dclà d’une curiosité d’estime (pour une entreprise productive et sédui-
tion argumentative. Deux autres définitions concernent les morphèmes
sante), les corpus traités (écrit et exemples ad hoc) s’avèrent d’une
qui réalisent des fonctions argumentatives. a / Les connecteurs argumen-
laible adéquation pour nos visées processuelles. L’ethnolinguiste
tatifs sont des signes qui peuvent relier deux ou plusieurs énoncés,
('■prouve en outre quelque gêne à s’inféoder à une théorie défmie
en assignant à chacun un rôle particulier dans une stratégie argu­
en ces term es: « la théorie qui amène à observer un fait en le carac-
mentative unique : donc, par exemple, fait de 1’énoncé qui précède
térisant comme tel ou tel est précisément celle qui permet d’expli-
le lieu d’un acte d’argumentation dont la conclusion est donnée par
1’énoncé suivant. b / Uopérateur argumentatif (ne... que, presque, dès, etc.) quer qu’il soit tel ou te l» 3...
a pour champ d’application un énoncé unique, ou, plus exactement,
la phrase (entité de langue) réalisée par cet énoncé. Un morphème X
est un opérateur argumentatif s’il y a au moins une phrase P telle 1. O. Ducrot, Note sur 1’argumentation et 1’acte d’argumenter, Cahiers de linguistique fran-
(aise, 1982, 4, p. 143-163; Opérateurs argumentatifs et visée argumentative, Connecteurs pragma­
que Tintroduction de X dans P produit une phrase P ', dont le poten- tiques et structure du discours, E. Roulet (éd.), p. 7-36; Les échelles argumentatives, 1980 (reprise modi­
tiel d’utilisation argumentative est différent de celui de P. Cette notion fico d ’un chap. de La preuve et le dire, Mame, 1973), Le dire et le dit, 1985; J. C. Anscombre
el O. Ducrot, Uargumentation dans la langue, 1983.
2. Cf. J. C. Anscombre et O. Ducrot, Deux mais en français?, Lingua, 1977, 43, p. 23-40;
1. Cf. D. André-Laroche-Bouvy, La conversation quotidunne. Introduetion à Lanalyse sémio-linguistique O. Ducrot et ai, Justement inverseur argumentatif, Lexique, 1982, p. 151-164; O. Ducrot et ai,
de la conversation, 1984; F. Gadet et F. Mazière, Effets de langue orale, Langages, 1986, 81. Sous un mot, une controverse : les emplois pragmatiques de toujours, et Toujours (suite): le
2. O. Ducrot, L’argumentation dans la langue : bibliographie, Modeles linguistiques, 1988, cas des conclusions assertives, Modèles linguistiques, 1985, 2, p. 105-124 et 1986, 2, p. 115-122.
10/2 («Analyse transphrastique »), p. 131-132. 3. O. Ducrot et ai, Les mots du discours, p. 28.
92 Particules énonciatives et typologie Ijingues dPEurope 93

Pour ce qui est des pen en français oral, la recherche la plus de clore 1’échange. Les différents modes d’articulation du discours
systématique les concernant s’inspire d’un modèle d’analyse du dis- et leurs marques linguistiques sont analysés, en particulier les connec-
cours élaboré à 1’Université de Genève sous 1’impulsion d’E. Roulet, teurs interactifs et les marqueurs de structuration de la conversation.
et dont un ouvrage collectif nous permet d’apprécier les prémisses1. Les connecteurs interactifs, qui peuvent appartenir à des catégories
La démarche est située par les auteurs eux-mêmes à 1’intersection grammaticales diverses (conjonctions, adverbes, interjections), sont
de plusieurs courants de recherche pragmatiques : 1 / 1’oeuvre de décrits dans une double perspective syntaxique et pragmatique. Deux
Bakhtine qui, introduisant les concepts de dialogisme et de poly- groupes de connecteurs argumentatifs ont pu être définis — 1 / ceux
phonie, fit éclater le présupposé de 1’unicité du sujet parlant; 2 / la cjui ont la fonction générale d’articuler deux constituants (donc, par
théorie tagmémique de Pike qui intègre 1’étude du langage dans conséqumt, alors); 2 / ceux qui articulent plus de deux constituants
une théorie unifiée de la structure du comportement (cf. IV.2); 3 / les (finalement, en somme, au fond, de toute façon). Deux types d’intervention
réflexions sur 1’illocutoire et sur 1’implicite des philosophes anglo- seront distingués : a / la présence de ces connecteurs n’est pas néces-
saxons (Austin, Searle, Grice); 4 / les méthodes des ethnométhodo- saire, et seul 1’emploi de certains parait possible — donc par exemple
logues américains (Goffman, Sacks, Schegloff), contribution détermi- exige la prise en compte d’un implicite non-argumentatif, alors semble
nante à 1’analyse de la conversation en face à face; 5 / la sociolin- iirticuler des constituants sans prémisse de cet ordre, il sert à « valider
guistique appliquée à une typologie interactive (Labov, Sinclair, une transition » et il indique qu’il existe pour 1’énonciateur une rela-
Edmondson...); 6 / la théorie de 1’argumentation de Ducrot et Ans- lion de légitimation; b / la présence de ces connecteurs s’avère néces-
combre. Cette recherche s’impose d’analyser des discours complets saire, seuls certains d’entre eux semblent possibles : ils articulent plus
authentiques: conversations, entretiens et débats radiophoniques, textes de deux constituants et nécessitent la prise en compte d’un implicite
journalistiques et littéraires12. Le discours est conçu comme une négo- argumentatif dont les propriétés difíèrent pour chaque connecteur.
ciation, dont la structure hiérarchique est largement déterminée par Associés à une même fonction illocutoire, ces connecteurs introdui-
les contraintes de 1’interaction verbale, contraintes communicatives sent des interventions dont la place dans la structure hiérarchique
(soutien de Pattention de 1’interlocuteur, (re)formulation), contraintes d’un échange dépend de 1’exploitation effective des conditions
rituelles (par exemple les reprises). La négociation se poursuit entre d’enchainement qui leur sont associés1.
interlocuteurs, sous forme d’échange et d’intervention, tant que la Les marqueurs de structuration de la conversation (msc) ont été
complétude interactionnelle n’est pas satisfaite par un double accord étudiés en particulier par A. Auchlin2. Le cadre descriptif dans
(y compris sur 1’impossibilité d’aboutir)3. Ce modèle hiérarchique lequel s’insère cette étude comprend, outre les interventions, les
définit 1’échange (unité minimale de coopération entre interlocuteurs) echanges et les actes de langage (constituants d’une intervention),
comme constitué de trois interventions coordonnées formant respec- les niveaux de textualisation qui correspondent en gros à la coordi-
tivement une question, une réponse et une évaluation, auxquelles nation et à la subordination. Le príncipe général qui régit toute
sont attribuées des fonctions illocutoires initiatives et réactives. Ainsi, intervention est celui dit de « rétro-interprétation globale » : l’attri-
une demande d’information (fonction initiative) entrainera une réponse bution de fonctions aux constituants pouvant dépendre d’un consti-
(fonction réactive) correspondant à une information (fonction initia­ tuant ultérieur, on va par exemple réinterpréter 1’échange secondaire
tive) qui sera suivie d’une évaluation (fonction réactive) permettant (parenthétique) comme un préalable à la réponse finalement obtenue.

1. Cf. Cahiers de linguistique jrançaise, Genève, 1982, 4 (« Concession et consécution dans


1. Cf. E. Roulet, A. Auchlin, J. Moeschler, C. Rubattel et M. Schelling, Varticulation du lr discours »); M. Schelling, Remarques sur le rôle de quelques connecteurs (donc, alors, fina-
discours en Jrançais contemporain, 1985. lement, au fond) dans les enchaxnements en dialogue, Connecteurs pragmatiques et structure du
2. Ibid., Introduction, p. 1-7. discours'> E. Roulet (éd.), p. 169-180.
3. Ibid., chap. 1, p. 9-20 et 33-68; E. Roulet, Echanges, interventions et actes de langage..., 2. C f E. Roulet et ai, op. cit., p. 93-110; A. Auchlin, Réflexions sur les marqueurs de
ELA, 44. structuration de la conversation, ELA, 44.
Langues d’Europe 95
94 Particules énonciatives et typologie

gone, finir par être le plat de résistance du conversationnalisme fran-


Le classement des msc, dont 1’auteur fournit 1’inventaire provisoire
cophone, ont à nos yeux un mérite essentiel: la conception des
suivant
stratégies qui y est développée repose sur la prise en compte priori-
aufait, à propos, ah oui + (dis-donc/ dites-moi, j ’y pense, aufait), ouais/non, taire des marques linguistiques responsables de cette organisation hié-
mais, maintenant, voilà, bon, alors, ben, eh bien, pis; ben alors, pis alors, rarchique et argumentative. On ne peut que regretter que ce modèle,
bon alors, alors bon, pis bon, bon pis, bon ben, ben bon, pis ... quoi, ben ... quoi,
alors voilà, ben boilà, pis voilà; quand on sait/voit, d’une part... d’autre part, si attentif aux ordres hiérarchiques, néglige quasi totalement (à 1’excep-
tion de quelques illustrations ponctuelles destinées à « désambigüer »)
s’effectue selon deux types de critères. Premier critère, le comporte- le rôle du signifiant premier de Pénonciation orale : la prosodie. De
ment à 1’égard des niveaux de textualisation des constituants qu’ils ceci un simple exemple — mais il est loin d’être isolé —, lorsque
articulent: enchaínement linéaire, « décrochement descendant» le spécialiste des msc souligné, en préalable au classement de ces
(passage d’un argument à une conclusion, par exemple), ou encore marqueurs, que 1’articulation des constituants de la conversation n’est
ouverture « sans indexadon du niveau de textualisation » (le consti- pas leur fait exclusif. « D ’une part, des traits sémantiques divers des
tuant qui précède peut être par exemple de nature non verbale, énoncés peuvent spécifier leurs rapports », ex. :
contextuelle). Deuxième critère : les types de constituants articula-
A — Pauras pas de dessert,
bles, c’est-à-dire un constituant du même locuteur, un constituant t’es pas venu avec nous,
de 1’interlocuteur, ou un constituant non verbal (contextuel). Le croi-
sement de cette double tripartition est censé pouvoir rendre compte dans lequel « les marques de temps et de type d’action accomplis
de toutes les situations d’enchainement. Outre cette vision d’ensemble suffisent à indiquer que le second énoncé est une sorte d’argument,
des préférences d^mplois1, Pétude nous livre d’intéressantes analyses d’explication, de justification, pour le premier », ce rapport de subor-
de détail: voir le rôle de « pré- » ou de « rétro-totalisation » de bon dination non spécifié constituant un « décrochement descendant»
(intégration d’éléments), ex. c’est pas un paumé quoi mais enfin / i compte du niveau de textualisation. D’autre part, « ces rapports entre cons­
tout le temps sur les autres c’type-là bon/pis une fois j ’en ai eu tituants peuvent être spécifiés, i. e. explicités par des connecteurs argu-
ras le boi (...), les valeurs complexes et concurrentes de alors (décro­ mentatifs», ex. :
chement ascendant et descendant), le comportement des msc com-
B — il n’a pas plu,
posés (bon ben). le Unge est sec,
Ce modèle d’analyse est assurément 1’un des plus sérieux mis
au point jusqu’ici quant aux structurateurs « authentiques » de la dont on nous explique que « Ces deux énoncés, dont les contenus
conversation. Outre que nous ne saurions nier son apport personnel respectifs ne permettent pas d’affirmer qu’ils entretiennent tel rapport,
pour ce qui est de Pinterprétation individuelle de certains marqueurs peuvent être articulés par puisque, car, donc, etc., qui ont pour effet
— dont on trouve la référence dans les notes de cet ouvrage —, 1 / d’effectuer le changement de niveau de textualisation, 2 / de
on ne peut que saluer la perspicacité avec laquelle ces analyses sont décrire la fonction de 1’énoncé subordonné par rapport à 1’au tre» 1.
menées « en complément», comme il est maintes fois souligné par Oui, certes, les traits sémantiques d’une part et les connecteurs
les auteurs12, des travaux menés par ailleurs dans le cadre de la argumentatifs d’autre part sont susceptibles de spécifier ces rapports,
théorie de Pargumentation. Ces « compléments » qui pourraient bien, mais nulle part n’est mentionnée 1’intégration intonative de ces deux
avec une ouverture plus grande (intégration européenne oblige!) de segments. Or il s’agit précisément de deux cas nets dans lesquels
la communauté scientifique française sur les publications hors hexa- nous avons affaire, aussi bien dans 1’énoncé A que dans 1’énoncé B,

1. Cf. tableau, A. Auchlin, art. cit., p. 95-96. 1. C f A. Auchlin, Réjlexions sur les marqueurs de structuration..., p. 93-94.
2. C f E. Roulet (éd.), Comecteurs pragmatiqu.es et structures du discours, Présentation, p. 3-5.
96 Particules énonciatives et typologie Langues d ’Europe 97

à une partie rhématique suivie d’une partie mnémématique, ce qui Tension Condition Résolution
en français est indiqué sans ambiguíté par un schéma intonatif binaire Pierre quand il a faim ben hein
(notre stratégie binaire 2, cf. VL2.r): il mange
si alors quoi
A T’auras pas de dessert I t’es pas venu avec nous —
B' II n’a pas plu 1 le linge est sec —. articulateurs phatiques

Or, si l’on peut comprendre que l’un des précurseurs les plus On reconnait dans certains de ces « appuis » non conjonctifs (de
inventifs des théories de 1’énonciation, Charles Bally, ait négligé à résolution) les démarcatifs qui adoptent dans diverses langues la forme
son époque, contemporaine du structuralisme triomphant, de prendre de particules enclitiques, et leur place dans une [ébauche de] typo­
en compte des phénomènes intonatifs — ce qui lui fait poser une logie discursive — en 1’occurrence structurations consécutive vs causale
relation de « coordination » fclue a un « rapport logique ») entre deux favorisées respectivement par 1’oral spontané et l’oral du débat
énoncés tout à fait comparables à B, Nous ne sortirons pas. II gèle. 1 devrait se prêter avec profit à des comparaisons interlinguales ulté-
cette négligence est beaucoup moins explicable, cinquante ans rieures. Le rôle de ponctuation à deux niveaux des adverbes énon-
plus tard, chez des analystes de conversation. Sans doute les modèles ciatifs « bon, bien, très bien» (dont bon est la forme non marquée) est
francophones d’analyse du discours, y compris ceux qui favorisent repéré, lui, dans une perspective plus nettement interactionnelle :
1’inventaire (d’une partíe) des particules énonciatives et le repérage un rôle interprétable tantôt comme clôture discursive destinée à un
de leurs fonctions, gagneraient-ils à cesser d’ignorer les deux dimen- autre locuteur, tantôt comme trace d’opération métalinguistique du
sions principales de la contrastivité — interne (spécificité de 1’oral locuteur sur son propre énoncé, ex. :
par rapport à 1’écrit) et ... externe (rôles respectifs de 1’intonation [X vient d’être interrompu par plusieurs intervenants]
et des pen en linguistique aréale). — Bon alors d:/parce que/bon/d: il est d/bon/i/i montre aussi Jinak-
mmt (...)
Parmi les travaux individuels concernant les pen du français,
on note encore deux directions intéressantes de recherche. Les 2e et 3e bon ne se réfèrent ni au contenu du discours ni
aux propos des autres participants, mais, tout en assurant le temps
1 / L’une, dans le cadre d’une investigation collective vouée à
nécessaire à 1’organisation du discours, ils « rassurent» locuteur et
1« Analyse morphosyntaxique du français contemporain » (placée sous
la direction de M. A. Morei à 1’Université Paris III), s’efTorce d’assurer allocutaires par une appréciation positive des choix en train de
la liaison — option minorisée, nous 1’avons vu, par les analyses de s’opérer2. Cette interprétation fournit, on le voit, un argument sup-
plémentaire à l’appui de 1’hypothèse (voir p. 153) selon laquelle les
discours contemporaines entre les domaines syntaxique et
particules énonciatives « désémantisées » tendent à retenir une partie
pragmatico-énonciatif. Les pen y apparaissent en tant qu’« appuis
du sens qu’expriment pleinement leurs homonymes lexematiques.
du discours », subdivisés en articulateurs et en phatiques (distribués
respectivement en début et en fin de période), marqueurs spécifi- 2 / Autour du corpus de français montréalais dit de « Sankoíf-
Cedergren » s’est développée au Québec (Universités de Montréal
ques de délimitation des « périodes », unités sémantiques et formelles
qui comportent trois éléments (tension, condition et résolution) et et de Lavai) une investigation des « ponctuants » outre ceux du
peuvent se schématiser à l’aide d’une formule : français métropolitain, le là du parlé standard québécois et le osti
des ouvriers montréalais. Ces phatiques-ponctuants sont confirmés

1. Cf. D. Luzzati, Analyse périodique du discours, Langue Jrançaise, 1983, 65 («L’oral du


débat»), p. 62-73. . . . , ,. Hn oi
1. Cf. Ch. Bally, Linguistique générale et linguistique jremçaise (lr'é d . 1932), p. 53-56. 2. Cf. A. Winther, Ponctuation discursive et ponctuation metadiscursive, ibid., p. oU-y 1.
98 Particules énonciatives et typologie

dans leur rôle de charnière stratégique (topicalisation, incise, force Chapitre IV


illocutoire...). L’analyse du déictique là en particulier souligne, en
dépit d’une désémantisation caractéristique de ses emplois énoncia- LANGUES EXTRA-EUROPÉENNES
tifs, la probabilité du contexte locatif d’apparidon
Pour ce qui est des autres langues romanes, il semble que, à la suite
d un mouvement décisif impulsé par la recherche germanophone
voir les nombreuses contributions consacrées, dans des Actes de
colloques contrastifs allemand (/autrichien)/langues romanes, aux «glie-
derungssignale» de litalien, du portugais et du roumain, ainsi qu’une
longue serie de travaux publies (dans la Revue Lengutye y Ciência, de
lTJniversité de Trujillo au Pérou) par E. Zierer2 —, un champ
nouveau soit en voie de constitution dans les linguistiques autoch-
tones respectives. L’incidence des exclamatifs particulisés (interjec-
tions et jurons), ébauchée déjà pour le catalan et 1’espagnol3,
devrait, avec le développement des études interactionnelles, y jouer 1. Les langues sémitiques
un rôle accru.
Les particules du latin sont un domaine encore peu exploré, a / L’arabe

pour lequel une jonction reste à opérer avec les études de rhéto- Le problème des « particules » en arabe intéresse de longue date
rique classique consacrées aux connecteurs logico-syntaxiques *.1234 la linguistique sémitique : le terme même qui est généralement traduit
par « particule » apparait déjà dans le traité de grammaire arabe
le plus ancien conservé, le kitãb de Síbawayhi (mort vers 796/180).
Le kitãb est à 1’origine de la tripartition des parties du discours
en nom, verbe (définis par des traits catégoriels) et particule. Celle-ci
(harj) se définit par la négative — « ce qui contribue au sens sans
ètre ni nom ni verbe » — définition qui se perpétuera, sous diffé-
rentes formulations, dans la tradition de la grammaire arabe. Cette
tripartition fut affirmée précocement (fin ixe siècle) par les grammai-
riens arabes comme étant de nature universelle1.
La particule est définie comme «ce qui manifeste un sens ail-
leurs qu’en elle-même » dans l’un des premiers ouvrages de théorie
linguistique arabe — le *idãh fi ilali al-n-nahw de al-Zaggagi (mort
vers 949/337). La définition de RadI al-Dln al-Astarbãdi (mort vers
1. Cf. D. Vincent, C ’est ici ou là? C ’est ici là, Variation Omnibus, D. Sankoffet H. Ceder- 1288/686) dans son sarh al-kãjiya, à 1’époque du logicisme systéma-
gren (éds.), Edmonton, Linguistic Research, 1982, p. 437-444. tique, revient à poser la particule comme unité syncatégorématique :
2. Cf. H. Weydt et K. H. Ehlers, Partikelbibliographie, p. 237 sq.
3. C f J. Lüdtke, Les exclamatives en catalan, Verbe et phrase dans les langues romanes. Mélanges « La particule manifeste son sens dans la forme d un autre mot [qui]
oj)erts à Louis Mourin, E. Roegiest et L. Tasmowski (éds.), Gent, Université, coll. Romanica
Gandensia, p. 56-67 ; J. Fnbourg, Jurons espagnols, Actes de lajoumée d’étuá de la SEF « Conduites
blasphêmatoires» (Pons, 5 juin 1989), 14 p. sous presse. 1. Cf. J. P. Guillaume, Le discours tout entier est nom, verbe et particule — Elaboration
4. Renseignement oral fourni par G. Serbat. et constitution de la théorie des parties du discours dans la tradition grammaticale arabe.
100 Langues extra-européennes 101
Particules énonciatives et typologie

exprimera donc implicitement le sens qu’y aura engendré la parti- souvent par la présence d’une autre particule, qad, devant le pré-
cule en même temps qu il exprimera explicitement son propre sens ». dicat, pose problème au traducteur dès lors que la construction com­
Si les grammairiens arabes n’échappent pas plus que leurs collègues porte plusieurs propositions successives. Ainsi, pour rendre la thé-
occidentaux au conflit entre classements formeis et classements fonc- matisation et 1’ordre marquês de :
tionnels des unités linguistíques, on distingue chez la majorité d’entre
’inna ’abãka qad gadara bi-tú al-zamãnu wa-hãnathu aUasãkiru wa-qatalahu
eux « une véritable intuition de 1’existence d’une valeur fondamen-
al-wazint
tale pour chaque particule et du rôle du contexte dans la modula- pen père(acc.)-ton pen s’est retourné(prét.) contre-lui le-desün(nom.)
ti°n de cette valeur», comme l’a montré D. E. Kouloughli1. et a trahi(prét.)-lui(pron.acc.) les-soldats(nom. pl.) et a tué-lui le-
Considérons quelques exemples de celles des particules arabes vizir(nom.)
qui semblent pouvoir être rattachées à la catégorie des particules
Le traducteur a le choix entre 1 / alléger la structure en seg-
énonciatives. L arabe dispose, comme nombre d’autres langues, de
mentant la séquence longue en énoncés indépendants, « La destinée
deux procédés essentiels de stratégie discursive : la variatíon de 1’ordre
du temps s’est montrée agressive à 1’égard de ton père. Les soldats
des mots et la « mise en valeur » du constituant à thématiser par
l’ont trahi et le vizir l’a fait mettre à m o rt» (A), ou encore « Le
de petits mots généralement mono- ou disyllabiques2. Rares sont
destin s’est retourné contre ton père; ses troupes 1ont trah i» (B),
les travaux consacrés jusqu’ici à 1’arabe/aux arabes parlé(s); nous
2 / préserver la stratégie thématique du texte-source ici 1’énoncé
empruntons nos exemples à un corpus spécial de textes, transmis
concerné, qui répond à une question du type « Qui s est retourné
oralement avant de devenir un monument littéraire traduit dans
contre ton père? », a la structure O (Th) vs (Rh) par 1’emploi
la plupart des langues du monde : les Contes des Mille et Une Nuits.
d’une expression diathétique, « Ton père a été victime du destin »
Ce corpus se prête à la contrastivité interne — traces d’oralité natu-
(C). En arabe, comme dans les autres langues caracterisées par un
relle dans un texte stylistiquement élaboré — et favorise une démarche
système particulaire riche (voir nos exemples littéraires sames), l’accu-
de contrastivité externe, pour laquelle trois traductions ont été rete-
mulation des pen constitue pour le transfert interlingual un obstacle
nues, datant respectivement de la fin du xixe siècle (A) et des
difficilement surmontable. Tel dialogue rapporté de notre corpus
années 60 (B et C)3. La plus fréquente de ces particules — dont
arabe fait intervenir, outre la pen inna. et son corrélat qad, les pen
la spécificité syntaxique consiste à régir casuellement le mot sur lequel
elles s appuient est dans notre corpus 5inna., qui fonctionne comme innama et amma:
un support présentatif («voici que», « c’est ... qui/que », «il y a [Et le répétiteur d it :] T
... qui/que »), thématise un mot placé en tête de l’énoncé et impose ’inna ’abãka mã ta 'rijuhu ’anta wa-lã nahnu (...) fa-waziru Misra innama
à 1’énoncé un ordre expressif (p e n + svo ou ovs, alors que 1’ordre huwa gadduka wa-ammã ’abüka fa-lã ta’rifiihu anta wa-la nahnu
pen père(acc.)-ton, ne(nég.) tu-connais-lui tu(nom.) et ni(nég.)
normal est en arabe vso), ex .: [Et ü déclara au wali\inna hadã al-iqda
nous(nom.) (...) donc(PEN)-vizir(nom.) Egypte(acc-) pen il(nom.)
sunqa mm 'ind-i (p e n - ce - dét.-collier(acc.) - a été volé - de chez- ' grand-père(nom.)-ton, et quant à(pEN) père(nom.)-ton PEN-ne(nég.)
moi) « C est un collier qui m’a été volé ». Ce marquage simple, corrélé tu-connais-lui(acc.) tu(nom.) et ni(nég.) nous(nom.)
1. D. E. Kouloughli, Les particules ont-elles un sens ? Si la première partie du discours fait 1’unanimité parmi les tra-
2. Sur le problème du « double sujet »> voir C. Hagège, Du thème au thème en passant
par le sujet, p. 24-29. 1 ducteurs («Quant à ton père, ni toi, ni nous ni personne ne le
to  ' jtC P081"?1 :, ’alf a ^ wa revu et corrigé par Sa'íd al-Husüsí, Le Caire, Búlãq connaít»), 1’argumentation de la deuxième franchit plus difficilement
ltU5. Tradutiems: Le Iwre des Milk et Une Nuits, trad. J. C. Mardrus, E. Fasquelle, 1888-1904
Robert Laffont 1980; Les Mille et Une Nuits, trad. R. Khawam, Albin Michel, 1965-1967- á le barrage de la traduction. Pour assurer sa force de conviction,
Iwre des MtUe et Une Nutts, trad. A. Guerne, Club trançais du livre, 1966-1967. L’étude énoncia- 1’énoncé devra faire appel à des procédés syntaxiques variés : « Encore
tf ouve, dans la de doctorat d ’Amina Aderdour. Les problèmes de la traduc-
Uon des M m et Une Nuits. Approche contrastive et textuelle: syntaxe et énonciaâon. Université de Paris V, 1993. une fois, sache que le vizir d’Egypte n’est que ton grand-père... ».
102 Langues extra-européennes
103
Particules ênonciatives et typologie

La répétition d’une seule et même particule enfrn (ou d’un groupe b / L’h é b re u
d entre elles) donne lieu en français à des Solutions diverses selon L’observation de langues de création récente est, nous le signa-
la conception qu a le traducteur du style « littéraire » : lions en début de cette Deuxième partie, essentielle pour la connais-
[11 répondit à nos supplications :] sance de la dynamique des systèmes particulaires. Le cas du same
lã tutil alqy-ya al-kalãma ’ammã al-qatlu fa-lã tatma fi-hi wa-Pmmã a pu être présenté comme celui d’une langue de 1oralité précipitée
sihruka fa-labudda min-hu soudain dans Funivers communicationnel de 1’écrit. Le cas de 1hébreu
ne(nég.) soit long(impér.) pour-moi le-discours(acc.), quant à(PEN) peut être cité, a contrario, comme exemple d’une langue devenue
la-mort(acc.), PEN-ne(nég.) aie peur(impér.) d’elle. Et quant à(pEN) langue orale vivante après avoir eu, durant des siècles, le statut exclusif
le-pardon(acc.) pour-toi PEN-ne(nég.) aie espoir(impér.) sur-lui. Et
quant à(PEN) ensorcellement(acc.)-ton pen il faut de-lui. de langue classique («morte»).
L’hébreu, on le sait, cessa d’être parlé au ne siècle après J. C.
La solution adoptée va de refFacement pur et simple du mar- en tant que langue communautaire : la majorité des Juifs lui substi-
quage pardculaire (A), à la répétition d’un présentatif syntaxique tuèrent à 1’oral d’autres langues, en Palestine comme dans la dias-
équivalent « Pour ce qui est de mon projet de t’ôter la vie (...). pora. Le fait que Fhébreu ne fonctionnât entre communautés qu’à
En revanche, pour ce qui est d’obtenir un pardon (...)» (B) — en 1’écrit (ou dans un oral très codifié) ne semble pas avoir autreme nt
passant par le paraphrasage syntaxique — « Si c’est la peur de mourir gêné ses utilisateurs, à en croire Fépoque tardive d’apparition d une
qui te fait parler, tu n’as pas à craindre la mort (..); mais pour idéologie du renouveau de la langue. Les écrivains furent par contre
ce qui est de ton ensorcellement, tu n’as pas le moyen d’y échapper » amenés à construire une langue orale simulée : le dialogue littéraire
(C). Les options B et C appellent deux remarques : 1 / quel que yiddish et hébreu emprunte, durant tout le xix' siècle, ses modèles
soit le désir du traducteur de rendre par un équivalent idiomatique (composition et matériaux stylistiques) au répertoire russe. Les rela-
la rupture thématique du discours, le français lui semble d u n e part tions qu’entretenait à Fépoque chacune des deux langues avec le
ne^ pas pouvoir tolérer plus de deux répétitions successives de la russe n’étaient d’ailleurs pas identiques : pour le yiddish, qui dispo-
même séquence, d’autre part exiger un marquage logico-syntaxique sait d’un répertoire propre de p e n , le modèle russe joua le rôle
plus explicite (« en revanche», «mais»); 2 / celui des traducteurs d’un filtre littéraire; pour Fhébreu 1’urgence des besoins en simula-
qui manifeste un souci permanent de respect du style oral compense tion de p e n provoqua (avec celle d’autres procédés dialogiques) 1intru-
les variations des segments-thèmes dues à 1’absence de structure par- sion en force des p e n empruntées au russe1 jusqu’à 1émergence
ticulaire en français par Fintroduction d’un triple schéma iconique d’un répertoire oral authentique (V.4.a).
dans la partie rhématique : « tu n’as pas à.../tu n’as pas à.../tu n ’as
pas à ...». D ’un point de vue diachronique, on note, avec une
conscience accrue des spécifxcités de Foral dans la communauté des 2. Les langues amérindiennes
usagers des langues (linguistes, pédagogues, simples locuteurs), 1’évo-
S’attaquant aux problèmes posés aux générations successives de
lution du concept même de style oral, une évolution dont les parti­
descriptivistes par les particules des langues méso-américaines, les
cules ênonciatives se confirment être un utile baromètre1.
études discursives impulsées par le Summer Institute of Linguistics

1. Sur l’origine des pen en hébreu, voir I. Even-Zohar, The emergence of speech orgam-
zers. Voir aussi Polysystem Sudks, chap. « Void pragmatic connectives » du meme auteur pour
une discussion des príncipes de sélection appliqués par fhébreu dans le processus de (re)crea-
1. De mmimaux dans la traduction A, les procédés de marquage thématique deviennent tion de pen et F Alvarez-Pereyre, La transmission orale de la Michna, pour les regles de cantila-
írequents et vanes (constructions clivées, supports de thématisation, etc.) dans la traduction C. don des textes religieux hébraiques. Le cas des pen de fhébreu sera repns ci-dessous au
e souci d u n e oralite authentique se fait du reste explicite dans la préface de Guerne. titre de leur évolution récente et de la simulation du dialogue htteraire.
104 Particules énonciatives et typologie Langues extra-européennes 105

réservent à ces petits mots une place de choix : une section


(s il ) de plusieurs événements-pivots constitue une sorte de résumé-scénario,
entière dans chaque monographie1. ex. « La vieille femme rentra na’a chez elle (...) Nous nous présen-
Le tarahumara Occidental (langue uto-aztèque parlée dans 1’Etat tâmes na’a pour 1’arrêter. Nous la quittâmes na’a (...). » Les fonctions
de Chihuahua au Mexique) se prête ainsi à la mise en relation de de la particule sont moins fixes dans le dialogue, oü son rôle argu-
suflixes verbaux de source et de vérité avec diíFérents degrés de mentatif est toutefois repérable dans 1’articulation de deux proposi-
« proéminence » dans le discours. Dans les formes d’élicitation, la tions, ex. «A u cas oü le bruit se reproduirait na’a, frappez-les! » 1.
« particule de source » (p s ) indique si 1’élément rapporté correspond Resté longtemps « mystérieux » pour les descripteurs, le suffixe
à une connaissance de première ou de deuxième main, tandis que -tz de 1’aguacatèque, langue maya du Guatemala, ne peut de même
la « particule de vérité » (p v ) fournit une appréciation du locuteur s’interpréter valablement que dans sa fonction de structuration dis-
quant à la fiabilité de la source. Pouvant se combiner de différentes cursive. Le discours aguacatèque organise son information selon deux
façons, ces suflixes se voient attribuer des sens variés dans le contexte degrés d’importance : la trame et le contexte. L’affixe -tz interfère
du discours. Pour ce qui est des particules de source, -ke distingue avec ces deux types d’information, son sens et sa fonction varient
ce dont le locuteur parle pour 1’avoir vu ou fait lui-même, avec selon les (sous-)types de discours. Sa fréquence la plus élevée se trouve
-ra le locuteur énonce quelque chose qu’on lui a rapporté. Avec dans le discours narratif à prédominance événementielle : -tz se post-
les particules de vérité, le locuteur manifeste qu’il souhaite ou non pose aux noyaux prédicatifs successifs pour construire une chaine
vérifier que ce qu’il dit est v ra i: avec -’e, le locuteur accepte la d’événements-repères (ex. « Ils allèrent + tz jusqu’à Quezaltenango
responsabilité de ce qui est dit, avec -e il ne 1’accepte pas. De la pour voler. Ils entrèrent +tz dans un magasin pour voler »). Dans
combinaison de -e (doute) + -ra (information de deuxième main) résulte le discours-exposé, -tz, placé en fin d’ouverture, signale le topique
un sens particulier, interprétable selon le contexte, exemple : de la section qui suit; placé à la fin de la conclusion, il résume
ou reformule le topique de la section2.
— Simí-le-ga-ra-e
aller-passé-état-ps-pv En cuaiquer, langue chibchane parlée en Colombie et en Equa-
« Quelqu’un a dit qu’il était parti mais ce n’est pas vrai. » teur, le suffixe -ne peut s’attacher aux éléments de liaison (conjonc-
tions), aux verbes de propositions subordonnées et aux noms.
Une étape ultérieure de 1’analyse consiste à rechercher, dans a / Avec un élément de liaison pseudo-locatif, -ne fonctionne
une perspective textualo-discursive, une corrélation entre les degrés comme un signal: il indique que le discours progresse par un événe-
de mise en valeur qu’établissent respectivement source et vérité d’une ment ou une activité nouveaux. Suasne, qui est formé de trois mor-
part, temps et aspect de 1’autre2. phèmes (sua « là », -s « à partir de », -ne « progression »), véhicule
En zapotèque de Cajonos, langue otomanguéenne du Mexique, le sens de « à partir de cet événement ou cette activité, progressons
la particule na’a met en valeur ce qui est important dans la perspec­ en direction d’un événement ou d’une activité nouveaux». Dans
tive du locuteur : ses valeurs spécifiques sont fonction de la structure une perspective textuelle, suasne joue un rôle double de structura­
syntaxique et du contexte discursif. Dans le discours narratif de type tion : il divise le texte en paragraphes distincts et il confere une
monologique, la particule, suffixée au sujet grammatical de la phrase, unité de base au paragraphe qu’il introduit. Suasne est souvent répété
indique 1’agent thématique d’une section du discours; suffixée au dans deux énoncés successifs; dans un conte populaire par exemple,
prédicat, elle souligne les événements-pivots du récit. La succession deux frères poursuivent un « armadillo » qui se cache dans un trou,
ils se mettent à creuser la terre pour le retrouver:
1. Nous remercions Michel Launey pour une expertise sévère de cette documentation.
2. Don Burgess, Verbal suflixes of prominence in Western Tarahum ara narrative dis-
course, Discourse Studies in Mesoamerican Ltmguaees, 1 - Discussion, L. K. Tones & R. E. Longacre 1. L. B.Jones and D. Nellis, A discourse particle in Cajonos Zapotec, ibid., p. 189-218.
(éds.), p. 171-188. 2. Lucille E. Mc Artur, Highlighting in Aguacatec Discourse, ibid., p. 219-244.
106 Particules énonciatives et typologie Lcmgues extra-européennes 107

Suasne manaz ahuane (...). Suasne manaz masen pilayucman panainquit énorme traité de 762 pages1), sans doute aussi par les présupposés
« A partir de là, de nouveau les gens (...). A partir de là, ils tom- idéologiques qui s’attachent — ou qu’attache le regard extérieur
bèrent et se trouvèrent dans la terre ».
— à une activité de formation linguistique destinée essentiellement
b / Suffixé à un verbe de proposition subordonnée, -ne le marque aux missionnaires et aux traducteurs de la Bible. Pourtant, outre
comme tel, et indique que l’événement rapporté dans la proposition qu’il parait difíicile pour un ethnolinguiste de dénier a priori tout
indépendante suivante se situera sur 1’axe principal. intérêt à une théorie née et développée à partir d’un important
c / Attaché à un nom, -ne a pour fonction principale d’introduire recueil de données orales, appliquée déjà à plusieurs centaines de
ou de réintroduire les participants majeurs en début de paragraphe. langues — « Combien de théories contemporaines (...) peuvent-elles
Le rejet d’un participant majeur hors de la scène est accompli par se recommander d’une application et d’une vérification empirique
un autre suffixe1. aussi étendues? »2 —, cette théorie, l’une des premières à briser
D’une description exhaustive et détaillée des connecteurs du teribe, le carcan de la linguistique de la phrase, a aussi le mérite de cher-
langue chibchane parlée au Panama, on retiendra la fonction de cher à intégrer fonctions grammaticales et valeurs sémantiques. Cette
la particule -ga: très fréquente, souvent combinée avec d’autres puissante avancée en direction d’une théorie unifiée de la structura-
connecteurs, elle souligne la relation logique ou temporelle qui rat- tion du comportement humain, qui passe par la définition de « points
tache les événements secondaires à ceux de l’axe principal, il semble de substitutions » (angl. slot) et qui pose une équivalence fondamen-
que son absence ait pour corollaire une forte cohésion entre les tale entre comportements langagier et non langagier (« des éléments
phrases ou les paragraphes du cotexte2. verbaux et non verbaux peuvent être substitués les uns aux autres
L’existence d’une ressemblance morphologique entre les parti­ et remplir la même fonction »3) rejoint les préoccupations de la lin­
cules de focalisation et le verbe être est signalée dans diverses langues guistique textualo-discursive. Avant d’être la clef de voüte de 1’eth-
de la région, en andoke en particulier oii l’une des particules les nographie de la parole (Hymes), la notion d’adéquation au contexte
plus usitées est identique à une forme fléchie du verbe être, ce qui situationnel justifie chez Pike et ses successeurs cette fascination pour
suggère 1’hypothèse d’une correspondance entre ce type d’emphase de petits mots « mystérieux » (voir citation de Longacre dans notre
et les constructions à support présentatif et/ou emphatique des langues Introduction). L’importance de cette approche est d’autant plus
indo-européennes (c’est le voisin qui picolé)3. marquée dans la linguistique américaine que la ggt, à la différence
de ce qui était le cas en Europe ou les théories grammaticales
Contribution non négligeable de la linguistique américaine à s’appuyaient sur une tradition textualiste déjà solide (Ecole de Prague,
1’étude du langage et du comportement humain, la théorie tagmé- T. Van Dijk, J. Petõfi, W. Dressler), s’en tenait à une définition exclu-
mique de K. L. Pike est encore aujourd’hui méconnue dans les pays sivement phrastique de la grammaire. Mais elle présente surtout
de langue française. Cette ignorance s’explique par la nature des 1’avantage d’un savoir cumulatif — combinant une théorie élaborée
langues décrites (langues amérindiennes, puis langues des Philippines mais évolutive, et la vivification constante des terrains multiples qui
et de Nouvelle-Guinée), ainsi que par la relative difficulté d’accès 1’alim entent: dès la fin des années 70, le niveau discursif n’est plus
à 1’exposé principal de la théorie (manuel ronéotypé devenu un conçu seulement comme une étape optionnelle, accessible à 1’issue
d’un débroussaillage du terrain structurel, mais comme le préalable
1. L. A. Hendriksen and S. H. Levinsohn, Progression and prominence in Cuaiquer dis-
course, Discourse Grammar - Studies in Indigenous Languages of Colombia, Panama and Ecuador, R. E. Lon-
gacre (éd.), p. 43-68. 1. K. L. Pike, Language in Relation to a Unified Theory of the Structure of Human Behavior, 1967
2. Cf. C. Koontz and J. Anderson, Connectives in Teribe, ibid., p. 95-131. (2e éd., 1954-1960).
3. Cf. P. Witte, Functions of the Andoke copulative in discourse and sentence structure, 2. E. Roulet, Linguistique et comportement humain, p. 12.
ibid., p. 253-288. 3. K. L. Pike, op. cit., p. 20.
108 Particules énonciatives et typologie Langues extra-europêennes 109

nécessaire à toute appréhension du système1. O r cette inversion La description sémantique de ces particules s’attache à découvrir
radicale de la hiérarchie est loin de faire encore, en Europe même, des composantes sémantiques centrales et à leur affecter une formu­
1’unanimité des théoriciens (cf. infra VI.2). lation sémantique directe, susceptible d’être testée/vérifiée/modifiée.
Conformément à la méthode de description sémantique élaborée
par A. Wierzbicka1, les défmitions de p e n sont formulées comme
3. Autres langues paraphrases substituables : si une seule et même paraphrase est subs-
tituable à une particule dans toutes ses occurrences, ce sera la preuve
a /L e s langues australiennes empirique que 1’élément central (invariant) du sens a été saisi. La
Autres langues de tradition orale restées longtemps inaccessibles, paraphrase, desdnée à décomposer le sens en unités plus petites,
les langues aborigènes d’Australie s’avèrent disposer d’un stock impor- sera formulée en langage naturel, afin d’éviter, avec un intermé-
tant de particules discursives, problématiques pour le descripteur comme diaire inutile, une probable distorsion du sens. La traduction des
pour 1’apprenant. Dans une perspective de didactique pragmatique des particules doit livrer certaines indications quant au type d’informa-
langues, une étude récente s’efforce de montrer qu’une analyse soigneuse tion qu’elles encodent: relation entre le locuteur et sa proposition,
peut déboucher sur la formulation de descriptions claires. L’argumen- différenciation stylistique.
tation principale porte sur la nécessité de poser des hypothèses expli­ L’examen de neuf particules propositionnelles du warlpiri permet
cites quant au sens, afin de les vérifier ou de les modifier au besoin2. de les regrouper en cinq domaines d’emploi.
Le point de départ de 1’étude est une constatation d’échec péda- 1 / Avec nganta et muna, il est impliqué, mais non spécifié, que
gogique : la difíiculté d’apprentissage des langues aborigènes d’Aus- quelqu’un d’autre a réellement émis 1’assertion. Les paraphrases expli-
tralie centrale semble due, outre un système grammatical et lexical catives suivantes sont proposées:
original, à de petits mots énigmatiques qui ne trouvent générale-
nganta « ceci pourrait être dit par quelqu’un/je ne dis pas que
ment pas place dans les paradigmes des grammaires. La sous-classe je le dirais/je suppose que tu peux deviner de qui il s’agit»; muna
des particules propositionnelles, dont le traitement le plus extensif « ceci pourrait être dit par quelqu’un/je ne dis pas que je le
a été proposé jusqu’ici par une description présentée, de façon sympto- dirais/je ne dis pas que je ne le dirais pas».
matique, dans un atelier du s il évoqué ci-dessus (IV.2)3, est la plus
interessante sémantiquement: elles spécifient la relation qui existe 2 / Kari et karinganta, se référant au bien-fondé d’une assertion,
entre 1’énoncé et le contexte plus large du discours et/ou le contexte distinguent d’une affirmation plus large de vérité la connaissance
extralinguistique de 1’acte de langage, indiquent l’attitude du locu- propre du locuteur. Leur emploi dans les questions caudales confere
teur ou son jugement envers l’énoncé. Des particules aux fonctions à 1’énoncé une force illocutoire supplémentaire (demande de confir-
similaires ont été décrites dans d’autres langues australiennes, dont mation):
certaines sont phonologiquement indépendantes comme les parti­ kari«je peux dire ceci/du fait de quelque chose dont j’ai eu
cules propositionnelles du warlpiri, d’autres sont des clitiques4. connaissance »; karinganta «je peux dire que ceci est vrai/je suppose
que n’importe qui penserait que c’est vrai/du fait de quelque chose
1. Cf. I/introduction de R. E. Longacre à Discourse Grammar - Studies in Indigenotis Languages dont on a eu connaissance».
of Colombia, Panama and Ecuador, p. 1-20.
2. J. Harkins, Semantics and the language learner - Warlpiri particles, Journal of Pragmatics, 3 / Kulanganta, qualifiée de « contrefactuelle », introduit le doute
1986, 10/5 (« Special Issue on Particles», A. Wierzbicka, éd.), p. 559-573.
3. M. Laughren, A preliminary description of propositional particles in Warlpiri, Papers («on pourrait penser ceci/je pense que quiconque penserait que
in Warlpiri Grammar: in Memory of Lothar Jagst, S. Swartz (éd.), Darwin, Summer Institute of
Linguistics, coll. sil / aab Work Papers, Ser. A No. 6, 1982, p. 129-163.
4. Voir notamment 1’ouvrage fameux de R. M. W. Dixon, The dyirbal language of North Queens- 1. Cf. A. Wierzbicka, Semantic Primitives, 1972, et Lingua Mentalis: the Semantics of Natural
land, Cambridge, Cambridge University Press, 1972. Language, 1980.
110 Particules énonciatives et typologie
Langues extra-européennes 111

ce n’est pas vrai/s’il savait ce dont j ’ai eu connaissance » — cf.


à la p e n ba et à ses compatibilités avec les conjugaisons synthétique
Ia particule phrastique négative kula « ne...pas»), ex. :
et périphrastique. L’énoncé assertif A — Etortzen da « II vient» est
— Kala yakarra-pardi-ja yali kulanganta ngurrju, kala nyumu transformé par Pinsertion de la particule en un hypothétique : B*
passé s’éveiller-se lever-P que kulanganta bon mais mort celui-là — Etortzen ba da, inacceptable au sens de « il vient» mais acceptable
« Celui-là s’est levé comme s’il allait bien (= était vivant), mais
il était mort. » au sens de « s’il vient (maintenant/ou plus tard)». L’emploi de la
particule ba (qui peut signifier « si », ou « donc », mais est aussi une
4 / Marda («je ne dis pas que ceci est vrai/je ne dis pas que réalisation fréquente de bai « o u i») est obligatoire en cas d’ellipse
ceei n’est pas v rai») et ngari (« ce ne serait pas vrai de dire plus du sujet si le verbe est conjugué synthétiquement; il est d’ordinaire
que ceci»), qui servent à limiter une assertion, correspondent assez impossible, même s’il y a ellipse du sujet, quand la conjugaison est
bien à deux particules anglaises aux fonctions équivalentes: perhaps périphrastique. On note cependant que Pénoncé B s’entend chez
et just, d’ailleurs plus fréquemment utilisées par les locuteurs abori- des enfants, dans un contexte d’argumentation vive, ce qui corres-
gènes que par les anglophones natifs. pond à Putilisation généralisée et non standard de ya dans Pespagnol
5 / Ngarra («je dis quelque chose de différent/de ce que quelqu’un parlé au Pays basque sud. De même la particule ba s’utilise parfois
aurait pu penser avant») et kapi/u\ («je pense à quelque chose aussi avec des verbes composés — du moins pour ce qui est du
de différent/de ce que quelqu’un aurait pu penser avant/je veux participe perfectif — dans une situation de discussion vive :
savoir si c’est vrai ») s’utilisent lorsqu’une proposition est soit contraire
soit alternative par rapport à 1’assertion ou à la croyance antérieure — Ez duzu ikusi, ba! — BA dut ikusi.
du locuteur (ou d’une tierce personne). («Vous ne 1’avez pas vu, allons! — Si je Pai vu! »)
— Ez zara joan! — BA naiz joan.
Certaines similitudes formelles existent entre les particules ainsi («Vous n’y êtes pas allé! — Si, j’y suis (vraiment) allé»).
groupées : marda et nagayi sont les seules qui puissent accueillir d’autres
clitiques, ngarra et kapi/u sont les seuls qui fonctionnent en tant que Cette valeur de contradiction est d’un emploi variable selon les
particules phrastiques. dialectes : rare en biscayen et en guipuzcoan, elle est ignorée dans
Deux idées-forces constituent 1’intérêt principal de cette étude : les dialectes parlés en France.
1 / cette analyse énonciative scrupuleuse suggère que le linguiste soit L’utilisation de la particule est aussi fonction d’une règle de posi-
tenu de parcourir, muni de ses outils professionnels, 1’itinéraire que tion rhématique du prédicat. Si le circonstant est situé immédiate-
1’apprenant est appelé à emprunter (à un niveau subconscient); 2 / au- ment à gaúche du verbe, le sujet n’est pas indispensable, et la phrase
delà de la richesse communicationnelle des p e n , il reste à étudier est acceptable sans ba. Ba est requis lorsque tous les constituants
ce que, par cet encodage discret, chaque langue spécifique distingue nominaux et adverbiaux sont situés à droite du verbe conjugué synthé­
comme culturellement significatif1. tiquement (à Pexception de Pimpératif):

b l Le basque — Ba dator aita gaur (*Dator aita gaur)


ba il-vient le-père aujourd’hui
Une thèse d’Etat soutenue il y a quelques années nous offre « (Le) père vient aujourd’hui. »
une ouverture précise, dans le sillage de Pune des Ecoles franco-
phones de Pénonciation, sur le fonctionnement de certaines parti­ Ba est compatible avec les verbes conjugués synthétiquement,
cules dans Pénoncé basque2. Un long développement y est consacré même si d’autres éléments sont placés en tête; son emploi provoque
généralement dans ce cas une suraffirmation ou une emphase. Sur
1. J. Harkins, art. cit., p. 571-572. la base de Pétude comparative de deux autobiographies écrites en
2. G. Rebuschi, Structure de Vénoncé en basque, 1984.
guipuzcoan non standardisé, on peut poser en résumé que, si (pour
112 Particules énonciatives et typologú Langues extra-européennes 113

des raisons qui dépassent la problématique de la grammaire de la biscayen et en labourdin, seule 1’intonation montante les distingue;
phrase) X, situé canoniquement à gaúche de Y, vient à disparaitre, 2 / en bas-navarrais et en souletin, un morphème interrogatif -a vient
il existe une règle d’insertion de ba à la place laissée libre par 1’effa- se suffixer à la forme verbale conjuguée; 3 / en guipuzcoan, c’est
cement de X : *Dator « II vient» n’est pas bien formé, mais Hura la particule interrogative (particule modale) al qui est utilisée, ex.
dator « Lui, il vient »/Nekatuta dator «II vient (= est) fatigué »/Hona « Est-ce Belen? » d) Belen da? b) Belen dea (ou deia)? c) Belen al da? Les
dator «II vient ici» /Ba dator «II vient» le sont1. interro-négatives se construisent en combinant les procédés ci-dessus
Cette constatation amène à s’interroger sur une détermination (ez da Belen? etc.).
énonciative, et non pas syntaxique, du fonctionnement de ba. La langue dispose en outre de particules adverbiales modales.
Pour ce qui est de l’ordre neutre (sujet-circ.-obj.ind.-obj.dir.- II s’agit d’une courte classe de mots qui peuvent s’intercaler entre
attribut-complexe verbal) dans une assertion affirmative, une forme la particule et 1’auxiliaire, entre ba et le verbe conjugué synthétique-
verbale conjuguée ne peut figurer à 1’initiale d’une phrase ou d’une ment, entre ez et la forme verbale conjuguée (verbe ou auxiliaire).
proposition : on introduit ba devant le verbe conjugué synthétique- Exemple, avec omen « paraít-il, dit-on » Ez omen dator « On dit
ment ce qui semble être la seule contrainte absolue dans 1’ensemble qu’il ne vient p a s ». Omen tient à la fois de la modalité 2 (épisté-
des dialectes basques. L’importance énonciative des éléments ne coin­ mique) et de la modalité 3 (appréciation), au sens culiolien1, tandis
cide pas nécessairement avec leur importance grammaticale, mais que al (interrogation, cf. supra), étymologiquement lié à afiai « pouvoir »,
se dégage de 1’organisation communicative de 1’énoncé, en contexte est intermédiaire entre les modalités 1 (assertion, interrogation, injonc-
ou en situation. On reconnait un thème (eífaçable lorsqu’il est déic- tion) et 2, tout comme ote (variante ete), parfois équivalent en labourdin
tiquement ou anaphoriquement recouvrable) et un rhème (normale- du guipuzcoan al, mais qui marque un fort étonnement en guipuz­
ment toujours présent en surface), ce dernier défini chez les euska- coan et en biscayen (= modalités 1 et 3): Etorri ote da? « Se peut-
rologues comme élément sur lequel porte 1’interrogation («elemento il qu’il soit venu? » Différences essentielles: al est incompatible avec
inquirido », terminologie restrictive puisque le Rh peut apparaitre sans une Q_ ouverte, ote est possible : Nor ote da? « Qui est-ce donc? qui
Q, préalable). Quant à 1’assertion négative, la particule négative ez cela peut-il bien être ? » Ces particules modales ne constituent pas
(qui fonctionne aussi de façon autonome, « non ») doit précéder le une classe bien défimitée : telle particule peut n’exister que dans
vc et le participe. Les éléments situés à gaúche de ez ne sont pas un groupe de dialectes, ou fonctionner comme telle dans certains
affectés par la négation : ils sont le thème de 1’énoncé. dialectes, mais comme « verboide » (mot qui ne dispose que de cer-
La particule ba, présente (par option ou nécessité) dans la variante taines propriétés grammaticales des verbes) dans d’autres. Exemple
affirmative, disparait obligatoirement au négatif: Ba dator « II vient » de ce statut ambigu : ohi « avoir coutume de », particule adverbiale
> Ez dator «II ne vient pas» (*Ez ba dator acceptable uniquement en navarro-labourdin, mais verboide en guipuzcoan2.
au sens de « S’il ne vient p a s »). On constate le parallélisme entre Cette brillante démonstration — réalisée dans le cadre de l’une
la construction négative et la construction suraffirmative/affirmative des théories francophones de 1’énonciation, d’obédience culiolienne
emphatique : dans les deux cas, on a une marque explicite du fait — nous inspire les réflexions suivantes : il est intéressant de constater
que, si 1’assertion positive n ’est pas primitive, elle est néanmoins que certaines contraintes syntaxiques semblent identiques dans des
primaire. Tant la négation que l’emphase affirmative (= négation langues aussi différentes que le basque et les langues finno-ougriennes
de la négation) en sont dérivées, du fait qu’elles la présupposent. (par exemple la présence obligatoire d’un élément en tête, particule
Le rôle des particules peut être examiné aussi quant à 1’interro- en 1’absence de s n , devant le verbe fini — cf. Futilisation compa-
gation, ou elles concernent surtout les Q .« fermées » (totales): 1 / en
1. Cf. A. Culioli, Thêorw des opérations énonciatives, 1976, p. 69-73.
1. Ibid., p. (60-)67. 2. G. Rebuschi, op. cit., p. 68-86.
114 Particules énonciatives et typologie

rabie d e sita en finnois), et q u e la frontière en tre pen (qui éch a p -


p e n t à des con train tes syn taxiq u es strictes) e t particules interroga- TR O ISIÈM E PARTIE
tives gram m aticalisées est aussi fluctuante dans les variantes n o n nor-
m alisées du b asq u e q u e dans les dialectes su éd ois par ex e m p le (voir
p o u r le d ialecte de Solf, V I.2 .b ) 1. L e parallélism e co n sta té entre
con stru ction n ég a tiv e et con stru ction « suraffirm ative » (em phatique)
Particules énonciatives et tendances universelles
co n fere d e m ê m e u n e d im en sio n th éoriq u e su p p lém en taire à nos
observations sur la rythm ique parallèle d ’én o n cés fortem en t m arques
(par u n e m o d u la tio n expressive ou u n e négation ) en sam e. L ’ouver-
ture d e cette th éorisation à des con sid ération s transphrastiques —
ex clu es, o n le sait, p ar le cadre cu liolien d ’analyse — favoriserait
sans nul d o u te u n d éb at scientifique élargi sur d es p h é n o m è n e s de
la n g u e difficiles à cerner.

1. U n autre exemple de flottement est celui qui affecte la frontière entre pen et parti­
cules aspectuelles — voir les exemples de berri « nouveau » > marque d ’achevé, et de ari
« être en train d e » (verboide ou particule modale?), ibid., p. 655.
Chapitre V

LES PARTICULES ÉNONCIATIVES


ET L’ORALITÉ

1. Oralité et écriture

La plupart des francophones et des locuteurs de langues d’Europe


vivent dans une société de Fécrit, qui privilegie 1’emploi d’une forme
de langue transmise par 1’éducation scolaire et livresque. L’écrit remplit
souvent les fonctions les plus prestigieuses, mais la parole est, à la
fois d’un point de vue historique et synchronique, primaire et pri-
mordiale. L’intérêt de 1’oral et celui des différences d’usage codifiées
dans les sociétés à tradition orale ont été soulignés par les cher-
cheurs dès les premiers temps de la linguistique moderne, puis une
controverse s’est fait jour quant aux implications — positives ou
négatives — du passage à 1’écriture. L’écriture favorise, avec 1’exten-
sion de la capacité mémorielle, la transmission décontextualisée des
connaissances, décontextualisation qui serait à 1’origine du dévelop-
pement de 1’esprit critique et de la pensée philosophique. Ceux qui
contestent cette hypothèse font valoir que la recherche de 1’objecti-
vité (sous controle communautaire) est, dans la tradition orale, une
notion centrale. A 1’inverse, les textes religieux que seule une mino-
rité d’initiés est, dans leur version écrite, habilitée à interpréter, seront
cités comme contre-exemples d’une objectivité accrue. Aucune civi-
lisation ne peut du reste prétendre être exclusivement « écrite » :
la pratique de 1’oral subsiste parallèlement à celle de 1’écrit, dans
les communautés rurales d’Europe par exemple, et certains groupes
sociaux (« défavorisés ») restent ignorants de la lecture et de 1’écri-
118 Particules ênonciatwes et tendances universelles Les P E N et l ’oralité 119

ture. Si 1’écrit n’est pas qu’une simple variante de 1’oral, on ne saurait réduction (ni préparation ni connaissance préalable du sujet) de
conclure à sa supériorité culturelle indépendamment de circonstances Pensemble /planification + exécution/, les segments émis sont brefs,
historiques et sociales1. Particulation fortuite, les renversements de construction fréquents.
Autre changement important consécutíf à l’avènement de 1’ère scrip- Ges traits spécifiques n’hypothèquent normalement pas la com-
turaire : 1’objectivisation du texte lui-même. L’entreprise qui s’attache munication mais le profil « norm al» du flux discursif ne peut
à démontrer combien le modèle indo-européen des grandes langues manquer d’apparaitre, rapporté aux schémas normatifs de Pécrit,
de culture dont celui d’un latin acontextué, érigé en type idéal comme globalement déficient — d’oü Pabsurdité intrinsèque d’une
a infléchi, voire faussé, la présentation des langues dépourvues d’écri- analyse qui prétend se fonder sur la version transcrite de Penre-
ture est récente. Une tendance extrême s’est fait jour par contrecoup, gistrement;
qui consiste à afFirmer 1’autonomie des systèmes coexistant au sein — la dépendance situationnelle de Péchange oral, conséquence de
d’une même langue : on oppose la langue « standard » normée à diffé- la coprésence des interlocuteurs, est inévitable. Les études inter-
rents registres interlocutifs. Au-delà des lacunes inhérentes à un choix actionnelles, qui afFirment la parole dans ses dimensions non stric-
structuraliste et phrastique (1.2), Pinfluence pernicieuse de Pécrit oriente tement linguistiques (attitude, intention, implicite...) créent un
la réflexion linguistique même : Pécrit, reconnu comme « secondaire », terrain favorable à Pinventaire des systèmes particulaires1.
n’en continue pas moins de faire figure d’étalon par rapport auquel La coexistence dans une communauté de variantes syntaxiques
1’oral est jugé fragmentaire/pauvre/incorrect... distinctes pose le problème d’une syntaxe de référence. Les modèles
On accorde certes un grand crédit, dans les civilisations « neuves » syntaxiques européens, qui se fondent sur une tradition d’analyse
et soucieuses de reconnaissance, à la parole de Phomme du peuple, en phrases et parties du discours, évitent en général de prendre
qui, soigneusement archivée, alimente bientôt les descriptions pho- position. L’idée, implicite, prévaut que Poral et Pécrit sont les réali-
nétiques/phonologiques, morphologiques et lexicales — dans une sations d’un seul et même système — dont Poral ne serait d’ailleurs
perspective volontiers historique. Mais les critères de sélection des qu’une variante simplifiée. La comparaison s’appuie d’ordinaire sur
informateurs, analphabètes répondant aux exigences — compétence des évaluations quantitatives du type « plus d’ellipses du sujet» ou
mémorielle et performance rhétorique — des civilisations de « moins d’enchâssements» (à Poral — cf. V.3). Le modèle systémique
Pécrit/voire de 1’élite intellectuelle, excluent de Jacto le recueil d’une fait exception : M. A. K. Halliday, sans nier Pexistence d’une syntaxe
parole « ordinaire »2.
de base, proclame la variante orale plus riche et plus inventive que
Grâce aux progrès des techniques d’enregistrement et à Pinflexion celle de Pécrit: « C ’est dans la parole spontanée, opérationnelle, que
holistique de la linguistique moderne, les différences entre langue la syntaxe grammaticale d’une langue est le plus pleinement exploitée,
parlée (dialectale, évolutive) et langue écrite (normée, conservatrice) ce qui entraine, avec Pouverture de ses frontières sémantiques,
sont déjà bien documentées. Paccroissement de son potentiel de sens. »2 En rapportant les dif­
Les caractéristiques de Péchange oral peuvent se résumer ainsi: férences aux impératifs du discours, les analyses transphrastiques
du fait du canal (acoustique) utilisé, des structures syntaxiques renouvellent la perspective; peu nombreuses sont toutefois les tenta-
simples et une forte redondance sont nécessaires au décodage; tives d’inventaires de tournures qui, banalisées par la fréquence dis-
Pabsence du temps de planification impose à la parole naturelle cursive, finissent par se grammaticaliser3. On peut se demander du
une construction improvisée. Dans des conditions maximales de
1. Cf. M. Coulthard, An Introduction to Discourse Analysis; W. Edmonson, Spoken Discourse;
1. Cf. J. Goody, The Dorwstkation of the Saziage Mind, et B. Street, Literacy in Theory and Practice. F. Gadet, Le Jrançais ordinaire, p. 49-57; P. Linell, Mãnniskans sprak, p. 230-232.
2. Cf. P. Linell, The Written Language Bias in Unguistics, W .J. Ong, Orality and Literacy , 2. M. A. K. Halliday, An Introduction to Functional Grammar, p. XXIV.
et notre rapport à 1’unbsco « Méthodes ethnolinguistiques... ». 3. Voir par exemple T. Givón (éd.), Discourse and Syntax.
120 Particules énonciatives et tendances uniuerselles Ixs P E N et Foralité 121

reste, dans la perspective empirique qui est la nôtre, si 1’urgence et 1 000 en Russie) à... 300 000. Les Sames furent, avant d’être
d’ériger un type de parole en prototype ne devrait pas primer sur refoulés jusqu’aux régions les plus septentrionales, les premiers occu-
une réflexion vouée à 1’unicité (vs duplicité) du système. « L’idée pants (connus) de 1’espace nordique : en conséquence (paradoxe glot-
d’une syntaxe autonome s’appuyant sur une vision de la phrase ins- tohistorique commun), ils sont aussi les demiers à accéder à un statut
pirée de Técrit n’est pas une nécessité conceptuelle. » 1 Nous parta- officiel. La culture same, dispersée sur quatre territoires, est la seule
geons cette opinion des conversationnalistes helsinkiens, aussi nous dans cette aire géographique, et l’une des rares à 1’échelle de 1’Europe,
garderons-nous de faire 1’impasse, au profit de la seule conversation, à avoir préservé son caractère quasi exclusif d’oralité d’oü une
sur une oralité tout aussi « pure » : la tradition anonyme et collec- dynamique essentielle de la parole proférée, le « dire » investi d’un
tive, dans quelques-unes de ses formes les plus rituelles d'orature2. pouvoir magique de création. La (jeune) littérature same continue
de refléter, avec une modernité de ton qui renouvelle le genre, 1’art
du conte et du récit mythique.
2. PEN et tradition orale
Sa position charnière même entre une tradition codifiée et un
remodelage subreptice par la norme écrite confere à la langue same
a / La tradition comme contexte linguistique
un profil peu banal. Les traits de la langue susceptibles d’être attri-
Les formes « canoniques » qui constituent 1’essentiel de la pro- bués à une motivation d’oralité se regroupent sous trois rubriques.
duction orale dans les sociétés traditionnelles d’Océanie ou d’Afrique — Le phonosymbolisme : moins prégnant en same que dans d’autres
sont en Europe de nos jours très marginales : une enquête extensive langues finno-ougriennes (tel le finnois), il adopte une configura-
de terrain comme celle que nous avons menée en Laponie ne peut tion particulière avec le rôle joué précisément dans le chant tra-
accorder aux textes et aux énoncés de ce type qu’une importance ditionnel par les « syllabes vides» (voir b).
inversement proportionnelle à celle qui est prônée par les oralistes3. — Le morphosymbolisme : reprise intégrale de syllabes ou de mots
L’expérience de ce terrain nous inspirera pourtant pour brosser à {gulul gulul « peu à peu ») ou succession irréversible de polynômes
grands traits le portrait d’une oralité traditionnelle. La perpétuation obéissant à la Loi de Grammont1 (duoppil dáppil « de différents
de 1’identité n’a certes déjà plus, chez les Sames, pour seul garant côtés », litt. « de là d’ici »).
la mémoire individuelle et collective, leur civilisation néanmoins baigne — La polysémie, dont 1’exemple du segment forme de /une dentale
tout entière dans un climat d’oralité. Si le Pays des Sames n’est « sonore » + un a palatal + une dentale « sourde » /, dat dans
présentement qu’une entité virtuelle, le joik, vision du monde et l’orthographe commune, qui peut être soit adjectif/pronom déic-
art du souvenir plus que musique traditionnelle, est bien 1’attribut tique (nom. sing., duel ou pluriel), soit pronom personnel (3e pers.
le plus ancien et le plus authentique d’une culture transmise par sing. ou pluriel), soit particule thématisante2.
voie orale, le symbole unificateur d’un peuple aujourd’hui dispersé.
La communauté samophone, souvent qualifiée d’« homogène » car Nous rapportons au système fondamental de la « duophore » cer-
numériquement faible, se caractérise par la disparité des définitions taines caractéristiques de la langue telles 1’existence d’un duel (devenu
de «sam ité» (critère linguistique, critère économique...?). Les esti-
mations varient, selon les sources, de 35 000 Sames (chiffre réaliste 1. Cf. C. Hagège, La structure des langues, p. 26.
— dont 20 000 en Norvège, 10 000 en Suède, 4 000 en Finlande 2. Le same exploite également certaines oppositions phonologiques qui intéressent le système
particulaire. A cóté de l’adverbe dál [dasl], généralement accentué, « m aintenant», s’est déve-
loppée la variante phonologique dal [dal], probablement de même origine, qui joue le rôle
1. A. Hakulinen (éd.), Suomalaisen keskustelun keinoja, p. 22. d’une particule énonciative (valeur de persuasion ou d’atténuation), ex. Na eai dal lean
2. Voir aussi C. Hagège, « Les leçons de Foralité », Vhomme de paroles, p. 83-86. nu vearráige « Eh bien non vovons ils n ’étaient pas très difficiles». Certains énoncés
3. Voir L. Bouquiaux et J. M. C. Thomas (éds.), Enquête et description des langues à tradition font même usage de la paire minimale, ex. — In mon dal daid gal mal dál ka « Moi alo rs
orale, III, p. 899 sq. non pas ceux qui sont m aintenant».
122 Particules énonciatiues et tendances universelles Ix s P E N et 1’oralité 123

exceptionnel dans les langues finno-ougriennes comme dans les langues ciée au rythme et à la ponctuation auditive, dans Finteraction same
indo-européennes modernes) et la richesse spatio-temporelle. Substi- traditionnelle. Dans tel échange long entre locuteurs de same ancien,
tuer la duophore à 1’ « égophore » des premiers théoriciens de Fénon- Févaluation d’une distance, par exemple, [Q_ initiale « Quelle dis-
ciation, et proposer de compléter la caractérisation de « 1’instance tance de (...) à (...)?» puis, après modification du point de repère,
du discours ou [les indicateurs de la déixis] sont produits » — « sous Q « Quelle distance de là à pied? »] résulte d’une négociation serrée,
la dépendance du je qui s’y énonce » 1 — par (notre additif) « et à balisage déictique et modal. II n’est pas inintéressant de comparer
sous le controle du tu pour qui ils sont produits » n’est pas qu’un la carte topologique des lieux avec la carte mentale des interlocu-
simple jeu de langage. II s’agit de souligner — à Fencontre d’une teurs telle qu’elle se dessine dans 1’univers du discours : un réseau
tradition monologale d’analyse — que le «je » ne peut être le point complexe de relations anaphoriques et/ou déictiques se développe,
de référence unique : le jeu même de 1’interlocution exclut Féven- par substitution progressive d’un adverbe à 1’autre. Cette stratégie
tualité d’une référence fixe. Constitutive de 1’acte de parole (jusque cogérée de progression thématico-spatiale se traduit par 1’alternance
dans ses expansions monologiques), 1’interlocution ne peut se réduire de (pseudo-) questions et réponses, dont les marqueurs dominants,
à la mise en oeuvre de deux courants alternatifs égophoriques: c’est inscrits dans une tradition orale pluriséculaire, sont des particules
aux conventions du duo que, pour fonctionner efficacement, elle fait enclitiques. Si le « sens» de base d’un tel dialogue repose sur Fenchai-
appel2. nement des relateurs et des lexèmes spatiaux, dont une majorité
La déixis spatio-temporelle est traditionnellement présentée par d’adverbes déictiques (un par réplique au moins), la progression thé-
les grammaires de langues fenniques et sames comme très complexe : matique repose essentiellement sur Finfrastructure des p e n 1. La
suífixes casuels, prépositions/postpositions/lexèmes (problèmes de langue same dispose notamment d’une série d’enclitiques («désé-
grammaticalisation pour des situations linguistiques mal stabilisées), mantisés ») d’origine déictique, dont ceux déjà signalés : dal et dat
adverbes — nombreux et nuancés. Posant comme hypothèse de départ (voir aussi le finnois tuota « allons, voyons» < partitif du déictique
une affinité structurelle entre oralité et richesse spatio-temporelle, tuo « celui-là ») — ce dernier directement comparable au ponctua-
nous nous pencherons sur Fénoncé same en situation. On observe teur là du français2. Dans le discours same traditionnel, la ponc­
que la complexité de la structuration spatiale est liée à Fenvironne- tuation, prise au sens de Fensemble des faits phoniques qui mar-
ment ethnoculturel: la localisation joue, dans la société tradition- quent Farticulation du discours en unités de différentes dimensions3,
nelle, un rôle primordial (allant jusqu’à tenir lieu de critère unique se caractérise par une omniprésence de la dimension interlocutive
d’identification — voir décalage entre Fanthroponyme autochtone (structuration textuelle, y compris monologique, en questions-réponses;
et 1’état civil officiel)3. Cette complexité, qui se manifeste dans le citations prosodiques, lexèmes duophoriques). Des nombreux moyens
dialogue par 1’usage concurrentiel des valeurs endophoriques et exo- utilisés, du fait de la concomitance propre à 1’oral de la planification
phoriques des déictiques, s’accompagne de variations sémantiques et de Félaboration, pour réduire le décalage entre temps nécessaire
tenant au caractère fonctionnel de la localisation. Pour 1’éleveur de à Félaboration et durée limitée de la communication, on retient le
rennes, c’est ainsi la dimension verticale qui sera non marquée, pour rôle central dévolu aux particules énonciatives. Ces p e n qui, organi-
le pêcheur ce sera 1’axe longitudinal (voir illustrations textuelles, les sant la chaíne parlée en une succession d’unités rythmiques, contri-
« cartes mentales » de 1’éleveur/t'v du pêcheur). L’analyse de dialo­
gues spontanés met en valeur le rôle central de la monstration, asso- 1. Le texte intégral de ce dialogue, analysé du point de vue de sa structuration spatiale,
se trouve dans Le discours des Sames, p. 258-264; il sera partiellement repris, pour ses diver-
gences avec les stratégies de 1’ère scripturaire, ci-dessous en V.4. Voir aussi M. M .J. 1er-
1. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, I, p. 262; voir aussi C. Hagège, La stmáure nandez, Déixis, anaphore, thématisation dialogique.
des langues, p. 100-101. 2. Voir J. M. Barbéris, Déixis et balisage du parcours narratif: le rôle-pivot de 1’adverbe
2. Chapitre « Système de la langue et motivation d’oralité », Le discours des Sames, p. 217-300. « l à » dans des récits de lutte, Langages, 93 («Paroles ouvrières»), p. 45-63.
3. Cf. M. M .J. Fernandez, Les anthroponymes sames. 3. Voir C. Hagège, La ponctuation dans certaines langues de 1’oralité.
124 Particules énonciatives et tendances uniuerselles ly s P E N et 1’oralité 125

buent à moduler la teneur des relations interlocutives. favorisent plus efficace pour la construction du discours qu’elle permet, tout
le déplacement et la répétition des constituants syntaxiques de base. en confirmant la structuration d’une séquence longue, d’introduire
II s’ensuit dans 1’énoncé une relative marginalisation de 1’ordre des avec souplesse des variations sémantiques (changements de thèmes
consdtuants1. ou d’actants). Ainsi dans
La cohésion interphrastique est assurée de même par des pro-
[Q. Dans ta maison il y avait un sauna?]
cédés non grammaticaux (au sens de l’écrit): éléments suprasegmen- — Jo dat gal leai mis caòat/dat leai sávdni => Sávdni leai.
taux et particules énonciatives, dont certaines sont spécialisées dans « Oui nous en avons toujours eu, il y avait un sauna =* Un sauna
1’ancrage textuel des énoncés. La i/pétition est un procédé récur- il y avait. »,
rent de structuration orale : répétition de mots, de schèmes et de
séquences (altemance de séquences longues et brèves, parallélisme 1’inversion finale de 1’ordre des mots permet à Fénonciateur de trans-
narratif des questions et des réponses). La cohésion d’isomorphie former le constituant déjà connu en un constituant « nouveau », qui
est prégnante dans le discours de tradition orale, notamment la cohé­ actualise en la répétant Finformation proposée par la question. Ce
sion iconique, concept emprunté par les textualistes nordiques à la mode cohésif est moins lié au système linguistique qu’au contexte
sémiologie2, qui concerne des styles discursifs variés — et pas seu- d’oralité traditionnelle: dans un environnement comparable, il
lement les plus esthétisés d’entre eux (métrique poétique...). Le dis­ s’observe pareillement chez des locuteurs fennophones de la même
cours des vieux Sames peut donner lieu à des variations diverses : génération. Une stratégie naturelle mais dynamique tendra à com-
dans la réponse biner les deux types de cohésion. Ainsi d’une argumentation des-
tinée par une vieille femme à convaincre Fenquêteur de la précision
[Q; II y avait donc des ponts/de sorte qu’en voiture aussi on de ses connaissances (puisqu’elle a séjourné dans la plupart des lieux-
pouvait traverser?]
dits et villages de la paroisse en question — Utsjoki-Ohcejohka):
N a go geaidnu leai/saldi m aid leai jogas/gokko geaidm lea => Saldi
maiddái.
[«A Alavieska et à Taivalkoski | j ’ai été. J ’ai été à Nuorgam...
« Enfin quand il y avait une route, il y avait aussi un pont sur à Palokoski. »]
le fleuve, là oti il y avait une route => Un pont aussi. »,
Karigasniemessã olen ollu
la variation est à la fois morphologique (variantes brève vs longue
de Fadverbe «aussi»), syntaxique (passage du prétérit au présent Rautuskaijissa \ olen ollu
du verbe « être »), sémantique (proposition temporelle remplacée par
ja joka paikassa | olen ollu
une construction spatiale), mais 1’ordre de la séquence est préservé,
«A Karigasniemi | [que] j ’ai été
et Fon trouve, de part et d’autre du prédicat verbal, des constituants à Rautuskaidi | [que] j ’ai été
sensiblement identiques. Un autre schéma d’isomorphie s’avère, dans et à partout | [que] j ’ai été!»
le discours issu de la tradition orale, particulièrement productif: celui
que nous avons surnommé «cohésion circulaire». Moins parfaite que Cette stratégie de persuasion qui, combinant les trois procédés
Ficonique du point de vue formei, la cohésion circulaire est d’autant /répétition + iconique + circulaire/, s’achève sur une figure métrique,
strophe à trois vers dont le rythme lancinant (accompagné d’une
gestuelle appropriée — coup du plat de la» main, sur la table, à
1. Paradoxalement, c’est donc un phénomène d’« ordre » (la linéarité du discours) qui
provoque la réduction de 1incidence de l’ordre (séquentiel). Du fait de la présence nombreuse
chaque début de segment) est scandé par un schéma dichotomique
de vides effectifs ou remplis, 1’orm est plus souvent informatif que syntaxique, la construction à réalisation de rhème — mnémème (voir VI.2.c).
plus analytique que synthétique.
2. Voir par exemple N. E. Enkvist, Unguistics Stylistics, p. 123 et Tekstilingvistiikan perusküsit-
Si Fobservation d’une relation inversement proportionnelle entre
tátã, p. 108 sq. Ci-dessous V.2-b. cohésion syntaxique vs iconique que nous faisions dès Fépoque de
126 Particules énonciatives et tendances universelles le s P E N et 1’oralité 127

notre étude sur le finnois parlé par les Sames bilingues nous semble de proie — un même usage est observable dans les chants pasto-
toujours valable, elle est a rapporter à la compétence scripturaire raux du sud de 1’Estonie), les p e n attestent la spécificité du code
des locuteurs plus qu’à leur compétence linguistique. La structura­ oral. Ces syllabes sont un facteur essentiel de structuration de la
tion iconique est apparentée à d’autres processus de rétention mémo- période musicale, et jouent dans le chant same un rôle régulateur
nelle relevés dans diverses civilisations de 1’oralité — du « chiasme de 1’équilibre métrique déjà attesté dans d’autres chants tradition-
discursif» de la rhétorique hébraique aux « structures de miroir » nels (des musiques polyphoniques africaines à la poésie chantée de
des langues somali et moru décrites par C. Hagège1. On notera fllandre et de Bretagne, voir ci-dessous). Elles se subdivisent formel-
toutefois que 1’énonciation orale non traditionnelle n ’est pas pour lement en : particules enclitiques proprement dites (-ge « aussi », -han
autant dépourvue de moyens cohésifs comparables, tel le « listing » « c’est vrai »), particules et incises interlocutives empruntées au code
de la parole impromptue (Vl.l.è). dialogique (na « alors, eh bien », gal « oui, certes », nai « aussi »,jo/juo
« déjà, o u i»), lexèmes démotivés — formes fléchies du verbe « être »
b / La tradition codifíée : le chant, la poésie épique, le conte, le proverbe {lea « e st», leai « était»), adverbes de temps et de comparaison (de
Le chant traditionnel. C ’est encore notre terrain same, fertile « puis, alors», vel « encore », nu « ainsi», go « qu an d », nugo
en observations de première main malgré son inéluctable érosion « comme »). La structuration du flux musical par ces syllabes, dont
par l’environnement européen, qui nous servira de point de départ. certaines ne sont pas identifiables en tant qu’éléments de la langue
Le joik du Nord offre 1’exemple d’un chant dont les caractéristiques (la, lo, lu...), est comparable à celle du flux énonciatif par les p e n
(texture onomatopeique et inspiration pentatonique) ont pu être rap- de la langue parlée : ainsi ponctué, flénoncé véhicule un message
prochées de celles d’autres populations « primitives » du globe — les indiciei, construit plus par la prosodie que par la valeur sémantique
Inuits et les Indiens notamment. Quant à la structure et au style, individuelle des mots. Le joik bref comporte généralement quelques
on distingue deux types essentiels de joik2. 1 / Les «joiks antiques» mots, voire une ou deux phrases, qui en explicitent le cadre et le
longs, chants épiques historiques et mythiques, content des luttes thème; les thèmes sont empruntés à l’environnement, cris et démar-
acharnées entre chamans c’est un genre totalement disparu ches des animaux, favorisés par l’usage onomatopéique des p e n . Les
aujourd’hui. 2 / Les joiks les plus simples, probablement les plus animaux les plus familiers (chien, renne, saumon) font 1’objet de
anciens, comportent peu de m ots: mélodie et rythme sont marquês joiks, de même que les toponymes, souvent d anciens lieux de culte.
verbalement par des « syllabes vides ». Quel est le rôle de ces syllabes L’homme n’en reste pas moins la source d’inspiration la plus féconde :
vides? Malgré 1’évidente distance établie par le joikeur entre chant le chanteur lui-même (peu de formes en «je »), mais surtout ses
et style parlé, nous considérons que ces mots brefs, généralement proches, ses voisins. Subordonné à 1’expression musicale, le texte
monosyllabiques, ne sont pas fondamentalement différents des parti­ est allusif: les joiks classiques sont de véritables portraits brossés
cules énonciatives de floral. Sans doute cet usage peut-il être attribué par la mélodie, le rythme et la mimique plus que par les paroles.
à 1origine chamanique du joik — voir exemple A / ci-dessous — Certains schémas récurrents sont repérables : un homme vif et leste
mais, outre qu’une fonction pragmatique de la répétition des syllabes sera décrit par un rythme sautillant (voir exemple C), une chaine
ne peut être exclue (veille du berger, maintien à distance des bêtes de montagne par une ligne mélodique regulière et cadencée. Le
rythme est 1’élément de base de la structure musicale : il s’établit
entre lui et la mélodie un rapport de complexité inversement pro-
1. Cf. Lejmnois é s Sames bilingues, « Cohésion structurale », p. 254-264; G. Mounin, Hebraic
rhetonc and faithful translation, Technicalpapers for the Bible Translator, 1979, 30, 3, p. 336-340- portionnel, et c’est à lui que s’attache le joikeur talentueux avant
C. Hagège, La structure des langues, p. 60. même de trouver ses mots (mémorisés ou improvisés). Les incerti-
2. Le terme same de juotggus est concurrencé par celui de luohti, du vieux norrois Ijéõ
« c h an t», lequel a donné aussi le terme de leudd, chant des Sames de 1’Est (Skolts) à textes tudes de 1’exécution sont aussi 1’apanage de la tradition orale : plus
eptques longs cf. M. M .J. Fernandez (éd.), Le joik sans frontières, p. 1-6. que de « règles» musicales, c’est d’un espace musical qu’il s’agit,
128 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 129

délimité sur la base de critères subtils, identifiables par les membres Si l’on peut opposer, en matière de transmission, Findividuel au
de la communauté. Du fait de Pextrême variatíon des mélodies recueil- collectif, la spécificité de la poésie de tradition orale chantée se situe
lies, et de la faible incidence de la partie textuelle, le joik fut long- avant tout — à la difference du texte figé de la poésie écrite
temps considéré comme produit éphémère de 1’improvisation; mais dans sa variatíon, corollaire de la diversité des interprètes et des
les recherches récentes font apparaitre un efíbrt de formalisation situations d’exécution (/d ’énonciation). Le rapprochement possible,
et de stylisation chez les joikeurs les plus réputés. On donnera un que nous avons esquissé ci-dessus par le biais des syllabes vides du
exemple de chacun des genres : joik, avec le style métrique du langage ordinaire n’a pas échappé
A / « Silgis » est un résidu du joik chamanique, version probable- à 1’attention de certains linguistes (« fonction poétique du langage »
ment originelle de ce chant traditionnel. Parmi les rares paroles per- de R.Jakobson) ni de certains anthropologues («style oral» de
ceptibles dans le chant se trouvent les noms des lieux sur lesquels M.Jousse)1. Avec une conception anthropologique du rythme lié au
1’assistance souhaite s’informer. Le développement émotionnel, que corps humain, nous touchons au domaine de 1’ethnolinguistique, dont
trahissent les discordances de la voix, est à la fois accentué et jugulé la littérature orale constítue Pune des sous-disciplines les plus solides.
par la répétition quasi obsessionnelle des syllabes vides : les p e n trou­ Force est toutefois de constater que si les régularités du texte sont
vent là toute leur puissance suggestive, instrument pré-psychanalytique déjà bien inventoriées (phraséologie formulaire d’ouverture et de
de divination qui ne le cède en rien au sourd martèlement du clôture du chant, articulation du récit, etc.), rares sont les études
tambour. consacrées à la poésie chantée du point de vue de la relation /langue
B / « Demoiselle moustique » (Cuoikanieida), joik d’animal. Le joik et musique/. C ’est sous Pégide de 1’ethnomusicologie que se sont
est très bref, il illustre la dynamique spatiale des onomatopées mono- élaborées récemment des méthodes d’analyse des rythmes et des
syllabiques : la danse du moustique est suggérée dès la première mélodies, allant d’une redéfinition du rythme — caractérisé par un
phrase musicale par une succession de p e n suivies de 1’énoncé textuel « faisceau de traits qui relèvent (...) d’ordres différents, (...) les marques,
unique qui, explicitant la situation, sera répété par-delà une longue les durées, la morphologie, la relation au temps ou métricité, la
suite de monosyllabes, au rythme léger et lancinant de 1’insecte ». structure »2 — à une analyse comparée des fonctions poétique et
-Dg jo 10 loo lo loo-oo (...) Na cuoikanieida nu’o juo vuodjela ja jo go luu (..) musicale dans leur rôle à la fois structurant et signifiant. Le groupe
{« Alors 10 10 loo lo loo-oo (...) Eh bien demoiselle moustique ainsi « Musilingue » du l a c i t o en particulier s’attache à mettre en évi-
oui progresse et jo go luu »). Les mots soulignés sont ceux qui peuvent dence, outre les procédés répétitifs de mémorisation, les rapports
être identifíés comme mots de la langue, bien qu’il soit souvent diffi- étroits existant entre métrique et syntaxe respectivement poétiques
cile de leur attribuer leur sens « plein » — d’oü le caractère mixte et musicales3. O r parmi les eífets de « non-sens» dus au fait que
de la traduction. la mélodie impose ses contraintes au texte, on trouve Pinsertion fré-
C / Somban Áilu (nom d’homme), est un joik de personne. Le quente de « syllabes non significatives» (s n s ) 4. N o u s emprunterons
chanteur joike son propre père (improvisation), le schéma structurel à des travaux élaborés durant la phase préparatoire à la constitution
est comparable à celui de B. Les p e n initiales évoquent la démarche de Musilingue les quelques exemples suivants : cet échantillonnage
rapide du personnage (De loo la la loo la la...) et sont suivies, aux fortuit de genres aussi divers que le chant d’enfant, le chant reli-
deux tiers du chant, d’un énoncé descriptif {de searra leai lâbnat leal
searra leai le lee « alors actif était vif était vif était actif était le lee »),
1. R. Jakobson, Questions de poétique, 1973, et M. Jousse, Le style oral, 1925.
lui-même interrompu par une suite de p e n ; le chant s’achève sur 2. Cf. S. Arom, Potyphonies et polyiythmies instrumentales d’Ajnque centrale, vol. 2, p. 413-414.
une séquence sans paroles (luu lu luu la na lee luu luu la)1. 3. Cf. A. M. Despringre, Démarches, concepts et méthodes pour 1’étude des relations
Musique/langue.
4. Cf. H. Rivière, Syntaxe musicale et syllabes non significatives, dans Poésies chantées de
1. Autres pièces, ibid., p. 10 sq. tradition orale en Flandre et en Bretagne, A. M. Despringre (éd.), p. 259-284.
Les P E N et Voralité
131
130 Particules énonciatives et tendances universelles

gieux, la chanson paysanne donne une idée de 1’ampleur du phéno- L’exemple suivant confronte trois variantes locales d une même
mène « s n s » ( / p e n ) dans quelques langues du m onde1. pièce. Dans les trois cas, la majeure partie du texte est composée
de mots inventés, sans signification, qui ont une sonorité insolite
Dans les chants d’enfants hongrois, certaines pièces présentent en hongrois — même si la terminaison -om est empruntée au système
des sections entièrement dépourvues de sens, incorporées dans des grammatical de la langue (suífixe personnel). Dans chacune des trois
fragments intelligibles. La présence ou non de s n s est directement variantes, quelques vrais mots hongrois surgissent soudain, sans lien
liée au genre du chant et à sa fonction : les « moqueries » par exemple apparent avec le cotexte.
n ’en comportent pas. A fopposé, les comptines et les chants destinés
aux tout-pedts contiennent des s n s en grand nombre. L’origine de
ces parties textuelles dépourvues de sens est directement liée à la
fonction du ch an t: dans la comptine, le rythme importe plus que n n i n n i J n u Ju n u
var. 1. Cin - cin - dà - lom trom- bo - là - rom trà - la szon - dà
j
lom [med - ve| zu - zà - lom
le sens, la cohésion du texte est privilégiée, au détriment de sa cohé-
Csin - csin - drà - lom Idom- bi - tà| - lom tràl | as - szony | trà - lom |med - ve| szi - szà - lom
rence. L’effet comique provient d’une apparence de raisonnement v a r 2.

var. 3. Cin - cin ■dà- lom cim - bo - rà - lom fràj fas - szony | frà - ja [med - vel zsu - zsà - la
logique, imitation enfantine du mode narratif des adultes. Même
si le texte est totalement incompréhensible, la pièce est liée à des
situations bien définies : telle mélodie est chantée lorsqu’une cocci-
nelle se pose sur la main, telle autre se rattache à un certain moment
d’un jeu déterminé. Dans les chants destinés aux tout-petits, c’est n nin nu n n j
encore la primauté de la sonorité sur le sens qui justifie la présence var. 1. |à - lom||à - lom| pe - tru - zà - lom ]hopp] 1sü - tni| | ka - là • csot]
des s n s . Exemple de chant formé de mots compréhensibles mais var. 2. là - lom||à - loml pe - tru - zsà- lom |hopp| cu - dri | ka - là • csom[
dont les phrases sont dépourvues de sens: les mots sont choisis en var. 3. àj - lom bàj - lom |pes- tre |[zà - rom|[hãbl su - n ka - là - suty
fonction de leur sonorité (voyelles sombres, u, a [a], consonnes
I [ = mot qui a un sens
sonores (b, d, gy [g’] ; l) et de 1’uniformité de leur rythme (série
de syllabes brèves, traduites musicalement par des crochês).

Les mots intelligibles, connus, sont introduits à des fins de


mémorisation — encore que, dans certains cas, le texte puisse
s’avérer être la déformation d’un texte plus ancien. Compréhen­
sibles ou non, ces textes peuvent rester inchangés durant plusieurs
générations, à condition que leur fonction soit préservée. les
enfants chantent pour le plaisir de la sonorité, du rythme et du

La liturgie juive fournit Fexemple de chants intermédiaires entre


« Ohjules, Jules, Jules, joue la cornemuse, cornemuse, cornemuse,
Pest, Buda, Buda, Buda, popcorn. » oral et écrit: du fait de 1’absence passée de notation des mélodies

1. Extraits des Actes d ’une Journée d’étude, Les syllabes non signijicatives dans le chant tradi-
tionnel (lacito, Paris, 25 novembre 1982), manuscrit reste inédit que nous remercions A. M. Des- 1. Cf. J. Frigyesi, Les syllabes non significatives dans les chants d ’enfants de la Hongrie,
pringre de nous avoir communiqué. Les syllabes non significatives dans le chant traditionnel, 10 p.
132 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et Foralité 133

de la synagogue, une grande variété de mélodies et de styles musi- 1’instrument. Mais « du » est aussi une interpellation («toi » en yiddish,
caux caractérise la tradition juive. Les textes, fixés en príncipe par comme en allemand), celle de Dieu. Le point le plus important du
les livres de prière, disposent d’une certaine marge de variation : texte est donc la syllabe qui, initialement, n’était qu’une simple ono­
les différences régionales de prononciation peuvent s’accompagner, matopée. Exemple :
dans la tradition d’Europe centrale, de sons et de syllabes addition- (le texte est bilingue, avec alternances hébreu/yiddish)
nels. Espacer les mots d’un texte aussi courant que le Qaddish (au Ri-bo-no schel olom (5 íois),/ich wel dir a Du-dele singen,/du du du du
cours d’un service du Nouvel An enregistré à Budapest) revient ainsi du./A-ye emzo-e-choh, Iwe-a-ye b emzo-e-choh,/wo kan man dichyo ge-fi-
à mettre en valeur la signification de chaque mot individuel. Para- nen, / un wo kan man dkh nit ge-Ji-nen?!du du du du du. /As wo ich geh
doxalement, les syllabes non significatives rendent le sens du mot is doch du, /un wo kh steh is doch du, rak du, nor du, wk-der du, o-ber
du, du du du du du...
plus expressif: en insistant sur les voyelles, en les renforçant par «M aitre de 1’univers, (5 fois ),/je vais te chanter une «dudele»,
des consonnes nouvelles, elles accentuent le caractère plaintif de la /d u du du du d u ./O ü pouvoir, oui, te trouver,/et ou pouvoir ne
prière. Ces éléments ajoutés aux textes sacrés (syllabes répétées entre pas te trouver? (bilingue)/du du du du d u ./O ú que j aille c est toi,
deux mots, ex. la-la-la, ra-ra-ra, aj-vé etc.), sont une contribution subs- / e t oü que je sois c’est to i,/to i seul (bilingue), toi encore, toi
tantielle au mode d’exécution : leur présence et leur distribution sem- toujours du du du du d u ...»
blent correspondre à des régions et des types de communautés bien A 1’autre bout de la planète, un usage comparable des s n s est
déterminés. En dehors de la liturgie même, la musique connait des observable dans la chanson populaire vietnamienne. Les chansons
pièces constituées entièrement de s n s : chants d’inspiration religieuse populaires du Viet-Nam sont pour la plupart des distiques de six
sans être liées à un office donné, elles expriment une ardente dévo- et de huit syllabes, ou formées de deux distiques. Le vietnamien,
üon et évoquent la prière. Dans nombre de ces chants, appelés nigounim comme le chinois, est une langue monosyllabique à tons; du fait
(sg. nigoun), le texte, sans être chanté, est présent à 1’esprit du chan- de circonstances contraignantes, la métrique des vers varie très peu.
te u r: les syllabes « vides » vont prendre le sens du texte qu’elles L’addition de mots parfois dépourvus de sens est l’un des procédés
remplacent sur la ligne mélodique. Cette conception symbolique des les plus usités par les chanteurs populaires pour briser le cadre rigide
s n s semble surtout représentative du hassidisme (courant ultra-
de 1’alternance obligatoire des tons (« égaux » vs « obliques »). Quelle
orthodoxe marqué par un mysticisme profond): du fait du caractère est la nature des éléments ajoutés? Ce sont soit 1 / des voyelles,
indicible de la foi, la musique joue chez les Hassidim un rôle plus / a / et / i / dans les récitations et les chants bouddhiques, / u / dans
important que dans les autres communautés. Un chant yiddish uni- les chants du théâtre traditionnel classique; 2 / des mots répétés;
versellement connu («Fregt di welt di alte kasche») résume cette philo- 3 / des mots d’introduction (« voilà », « eh bien », « de plus »). On
sophie : les s n s interviennent aux points importants du texte, évo- trouve aussi 4 / des notes de musique : beaucoup de chants vietna-
quant les discussions qui ont lieu au cours de 1’étude talmudique. miens insèrent les notes tinh tính tang (antérieures au système hò xu
La parodie de Q et de R stéréotypées ainsi instaurée viendra ren- xang que connaissent également les Chinois et les Coréens) entre
forcer le caractère ineffable des questions essentielles: « Le monde les syllabes des vers, notes qui peuvent constituer une sorte de ritour-
pose la vieille question, tra la la di ridi ra./On répond ta-da ra-da-ram, nelle ou de refrain {Tinh tính tang tang tính tính, duyên tính rang...). 5 / Des
oi, oi, ta ra ta ra ra... » Cette liaison étroite entre questions essentielles mots qui précisent ou complètent peuvent être ajoutés : dans un
et expression irrationnelle est traitée dans un récitatif attribué à l’un chant quan ho par exemple, le vers Tay em nâng cái coi giâu (« Ma
des premiers maitres du hassidisme, Levy Itzhak de Berditchev
(1740-1810): le texte est basé sur un jeu de mots. Le titre, «Dudele»,
1. Cf. P. Laki, Éléments non significatifs dans la musique traditionnelle juive d’Europe
fait allusion à la cornemuse : la syllabe «du» est employée tout au centrale, ofi. át., 10 p. L’extrait de la Dudele est repris d’A. Z. Idelsohn, Jewish Music in Its
long de la pièce comme une onomatopée qui évoque le son de Historical Development, New York, 1975, p. 422.
134 Particules énonciatives et tendances universelles le s P E N et 1’oralité 135

main soulève le petit plateau de bétel») sera chanté (May) tay (i De telles formules exercent un effet puissant sur 1’auditoire, même
a) em nâng cái coi (có dung) giau, c’est-à-dire : « (Voici) ma main (qui) si toutes les expressions ne sont pas comprises, ou sont inventées
soulève le petit plateau (qui contient) du bétel. » Quant aux fonc- pour la circonstance1.
tions exercees par ces mots ajoutes, on note qu’en plus des rôles Ces procédés déjà bien répertoriés de la poésie épique peuvent
de présentation, d explicitation, de refrain, d’accompagnement des être abordés sous 1’éclairage nouveau de 1’analyse textualo-discursive.
gestes des travailleurs (h aspiré renfbrcé pour rythmer 1’expiration On regroupe, nous l’avons vu (V.2.fl), sous 1étiquette d « iconique »
de 1effort, ex. hò lo, hò hui, hò ri, hu la), on trouve des exemples plusieurs des phénomènes de répétition structurelle évoqués. Rythme,
de mots qui apparaissent en anticipation de mots figurant dans le allitération et rime sont des exemples d’iconique phonologique. L’ico-
vers suivant, ou qui font écho à des mots du cotexte antérieur1. nique est aussi fondamental pour 1’agencement textuel, interphras-
tique comme intraphrastique. Si 1’enracinement corporel du parallé­
La poésie épique. Les procédés poétíques caractéristiques de la poésie lisme est souligné par l’anthropologie («geste propositionnel» de
épique finno-ougrienne sont défrnis ainsi par l’un de ses spécialistes mon- M.Jousse), le phénomène peut aussi, dans une culture donnée, par-
diaux : « l’allitération, le parallélisme, le crescendo de la forme (fi. ms- ticiper d’une stylistique érigée en code rigoureux. C. Hagège cite
kurilaki, « loi de la tarare » ou « loi du vannage »). La tradition univer- le cas de la Chine ou se développa à partir du ivc siècle après J. C.,
sitaire y ajoute le mètre, y compris la césure, mais nous le considérons répondant au besoin de codifier un genre poétique nouveau (le ju),
comme secondaire, une importation des études gréco-romaines (...) »2. une réflexion sur le problème des mots pleins et des mots vides.
L’allitération se trouve surtout, en dehors de 1’épopée, dans Ia tradi­ Une rigoureuse correspondance de vers à vers devait s’imposer entre
tion voisine des lamentations, une forme de poésie rituelle fortement les mots, mis en rapport deux par deux a la même place dans chaque
structurée par des eífets paralinguistiques (sanglots, gémissements)3*.Le vers, et on entreprit, pour faciliter la tâche des poètes, de dresser
parallélisme kalévaléen a fait 1’objet de nombreuses études; on note aussi 1’inventaire des mots de la langue par classes de sens . mots pleins,
son importance dans 1’épopée estonienne Kalevipoeg. Les descriptions tous les objets solides ou appréciables par les organes des sens; mots
y utilisent des groupes ternaires et des groupes binaires combinés, insis- vides, les termes abstraits mais aussi les adverbes et conjonctions .
tance qui peut prendre la forme d’une litanie. La description des cham­ L’exemple d’un chant kalévaléen peut être cité, «Le serment» (Vala,
bres métalliques du monde souterrain (chap. XIV) donne ainsi lieu à poème dit du « cycle de Saari», voir Chant xvm dans FAncien Kale­
une énumération des objets qui se mue en une sorte d’incantation : vala de Lõnnrot), choisi pour son caractère primairement dialogai
Rauda-uksed, rauda-aknad, Raudalaedja raudpõrandad... — raud - rauda « le — ce qui est aussi un critère essentiel de datation pour 1histoire
fer » indique la matière des objets énumérés (angle, porte, fenêtre, mur, ethnolittéraire. Les formes d’iconique «pure » (concordance parfaite
table etc.). Les incantations populaires font du reste usage d’un procédé entre forme linguistique et sens référentiel) y sont réservées au mar-
identique, par exemple les paroles contre 1’entorse : quage d’une étape décisive pour la dynamique du discours. Sur la
base d’une analyse textuelle, ce chant kalévaléen peut se caracté-
Oniks luista luksatanud,
puusaluista plaksatanud, riser, outre les connotations et les rites propres à un espace ethno-
nihusista niksatanud... linguistique donné, comme un modèle particulier de discours oral,
qui tient à la fois du discours de spécialité (logique discursive interne,
1. Cf. Tran Van Khé, Le rôle structurel des éléments (syllabes sans significations) dans contraintes stylistiques) et de Féchange conversationnel dont cer-
la prosodie populaire. Exemples pris dans les chansons populaires du Viet-Nam, op. cit., 15
p., et Tran Van Khê, La musique metmmimne traditionnelle, Paris, p u f .
2. R. Austerlitz, Structures formelles de la poésie traditionnelle carélo-íinnoise — le cadre
nord-eurasien, p. 120. 1. Cf. F. de Sivers, Quelques réflexions sur le parallélisme dans 1’épopée estonienne Kale-
3. S. Sõderholm, Les lamentations caréliennes, reflets des croyances populaires, Kalevala
et traditions orales du monde, p. 161-168. P 2.SCf. C. Hagège, Le problème linguistique des prêpositions et la solution chinoise, p. 22 sq.
136 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et l ’oralité 137

tains types d’iconique sont les structurateurs privilégiés, telle la répé- comparables à une séquence de percussions), le cycle accentuel (prín­
tition d’actes de langage négatifs: cipe cyclique de succession des deux accents métriques), la pulsation
En usko unia naisen (formule jalonnée de repères temporels, tel le raccordement par une
enka vaimojen valetta: consonne des unités finales et initiales de chaque formule)1.
toki lahen, en totelle.
(«Je ne crois gas les rêves de fem m es/ni ne crois les mensonges Le conte. — La langue des contes populaires, langue poétique
d’épouses/je pars c ’est vrai, je n ’obéirai p a s » )1. plus proche de la langue parlée ordinaire que celle du chant, se
situe à la limite de la prose rythmée et du vers rythmique au nombre
Un autre domaine d’application de la linguistique moderne aux
de syllabes non fixe — un aspect qui a intéressé en particulier les
recherches menées sur la tradition orale est celui de la versification,
folkloristes hongrois2. Dans les contes hongrois du xixc siècle,
considérée comme mode de production et d’organisation du dis-
oeuvres de poètes inspirées de modèles populaires, on trouve des
cours. Certaines formules vides de sens (ouverture formée d’une suite
passages entiers marquês d’une pulsation rythmique, tels les contes
de s n s ), caractéristiques du chant traditionnel chleuh (Maroc)
rythmiques d’animaux de László Arany, ou le conte tchango de
s’avèrent être, dans cette perspective, des matrices rythmiques spon-
Hétfalu « Petit serpent, chat et v e r», d’Antal Horger, versifié au
tanément modélisées. Une enquête menée sur le terrain a permis
rythme du travail des bücherons3. La composition des contes héroi-
d’établir les príncipes du processus créatif: 1 / la formule vide repre­
sente une matrice rythmique dont le vers réel reproduit 1’organisa- ques est très régulière : les meilleurs conteurs scandent leur récit,
et les caractéristiques rythmiques, dont la plus importante est 1’accent,
üon selon un codage systématique; 2 / cette matrice peut être recons-
truite par décodage à partir du texte du vers. Une méthode de se perçoivent même dans les récits altérés par un transfert (écriture
ou traduction). L’unité de base, mesure de six syllabes dont la l re
détection mise au point pour 1’étude de ce cas de modélisation spon-
et la 4e seules sont accentuées, se trouve principalement dans 1’intro-
tanée a permis ainsi de reconstruire 126 formules à partir de maté-
duction et dans la conclusion des diverses parties constitutives du
riaux provenant de différentes régions berbérophones du Maroc
récit. Les variations rythmiques sont marquées par les pauses et les
central et méridional. Toutes ces formules peuvent être ramenées
changements de tempo subséquents. Le « vers martelé », caractérisé
à un système unique : les formules vides disposent d’un vocabulaire
par un accent dynamique (et non par les différences de durée du
de base constitué par onze unités monosyllabiques vides de sens qui
mètre classique), est considéré aujourd’hui comme le príncipe de
se combinent pour former des séquences de longueur et d’arrange-
base de la versification traditionnelle finno-ougrienne. Pour ce qui
ment variables. La combinatoire est soumise à des règles de distri-
est des relations entre segmentation orale et ponctuation, on remarque
bution bien définies qui tiennent compte de leur formation : deux
que les gens cultivés, lorsqu’ils « disent» un conte, ont tendance
unités initiales (a, ay), cinq unités médianes (li, la, da, lay, day),
à faire coincider pause et ponctuation, alors que le conteur rattache
quatre unités finales (lal, dal, layl, dayl). Une formule matricielle com-
spontanément 1’article et la conjonction au mot précédent pour faire
prend deux composantes : une combinaison de monosyllabes sans
ensuite une pause d’une respiration (cf. pause, supra, II.3). Un facteur
signification d’une part, des facteurs discriminatoires qui détermi-
essentiel du rythme consiste dans l’apparition intermittente de demi-
nent son individuation d’autre part — la tonalité syllabique (déter-
mesures composées d’une syllabe tonique et de trois à quatre syllabes
minée par le type mélodique de la consonne initiale), le schème
cellulaire (les monosyllabes des formules vides, tiyat « coups, percus- 1. C f H. Jouad, Formules rythmiques spontanées en poésie orale.
sion » en chleuh, représentent une séquence d’événements sonores 2. C f A. Kovács, A Népmese prózódiájáról. Egy szatmári meseszóveg ritmikai elemzé-
sének tanulságai, MTA /. Osztaltyának Kòzlenényei, 1969, 20; A mese-nyelv ritmusához. Ritmikai
vizsgálatok három nógrádsipeki meseszõvegen, Tanulmànyok egy êszakmagyarorszàgi falu folklórjáTÓl,
1. Cf. M. M. J. Fernandez, Perspective énonciative du chant traditionnel, et M. M .J. Fer- A. Szemerkényi éd., Budapest, 1980.
nandez (éd.), Kalevala — Chants et musiques traditionnels de Finlande, p. 1-4. 3. A. Kovács, La prosodie du conte populaire hongrois, p. 105.
138 Particules énonciatiues et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 139

atones. Ce sont soit des stéréotypes composés de deux segments — traits intratextuels : on décrira une syntaxe spécifique (« déviante »),
(« Halte-là, qui es-tu ? »), soit, plus souvent, des semi-propositions indé- 1’usage de certains types de phrases ou de particules au niveau
pendantes en fonction d’apposition, de brefs énoncés assertifs (Ugy morphosyntaxique, la prédominance de certains types de réfé-
is vót. « C ’est ainsi que ce fut. ») ou interrogatifs (Hogy lehet ez? rence au niveau énonciatif;
« Comment cela se peut-il? ») qui rompent la cadence régulière. Des — production du discours : 1’approche sera processuelle. La parole
facteurs multiples dont le rythme est la résultante, le rôle des interjec- impromptue est régie par les nécessités (limitations de la mémoire...)
tions et des particules qui précèdent ou commencent les mesures est, d’une production en temps réel.
avec celui de 1’intonation, le moins documenté jusquici1.
En résumé, certains types de situation font appel à une produc­
tion du discours accélérée dont la contrainte se reflète dans les struc-
Le proverbe.— Transition entre oral et écrit, dans la mesure ou
tures du discours produit. Le degré d’improvisation peut être évalué
elle nous est généralement parvenue, dans le domaine européen du
par rapport à un certain nombre de param ètres: le discours
moins, sous une forme figée par le support (écrit) autant que par
impromptu se situe dans un espace à trois dimensions, qui com-
la structure mnémotechnique, la formule parémique se prête aisé-
prend le degré de préparation, 1’étendue de la planification, le degré
ment à une analyse des particules énonciatives en tant que mar-
de fixité macrostructurelle (structuration « à cases vides »)1.
queurs de rythme et/ou de relations d’interlocution. Nous renvoyons,
Le concept de parole impromptue peut être abordé de diffé-
pour son illustration, à 1’étude comparative du domaine balto-finnois
rentes façons. L’un de ses traits définitoires étant la création d’un
(II.2).
langage « sur 1’instant», son exemple prototypique est 1’interaction
quotidienne spontanée, en face-à-face. La p i est généralement carac-
3. PEN et énonciation orale térisée par une structure « lâche » ou fragmentée — coordinations
plutôt qu’enchâssements, simplifications syntaxiques dues au fait que
a / Parler impromptu le contenu prend le pas sur 1’expression, redondance forte, etc. Une
analyse détaillée des variables discursives permet de poser une échelle
Nous empruntons au premier théoricien de la linguistique tex-
de degrés à deux extrêmes: la dyade orale à l’un des pôles, la prose-
tuelle en Fenno-Scandie, N. E. Enkvist, cette notion de « parole
exposé à 1’autre. L’inventaire d’un certain nombre de traits (parmi
impromptue», dont la connotation d’absence de répétition nous
lesquels la visibilité, la réciprocité, le caractère informei, la sponta-
semble convenir aux situations naturelles d’énonciation ici visées.
néité de la rétroaction, 1’empathie) permet de déterminer duquel
Les notions recouvertes par le discours « spontané » (qui peut être
des pôles le discours en question est le plus proche. Un autre type
suscité, voire extorqué), le discours « non planifié » (une planifica-
de grille permet, en situant le discours au point d’intersection de
tion qui est concomitante à 1’énonciation) ou la « conversation » (quo-
deux axes (notions fonctionnelles, cognitives, causales vs structurelles,
tidienne) — limitatif, encore que représentant un registre typique
verbales, résultatives), d’établir une gradation des aspects linguisti-
en sont à 1’évidence proches. La parole impromptue (p i ) peut
être définie en termes de
— co n tex te : in v en taire des traits situationnels nécessaires à la créa- 1. Les textes de type « cases à rem plir» sont nombreux dans nos sociétés modernes,
tion d ’u n e situation de p i . II n ’existe pas de « langue im p ro m p tu e » de la déclaration d ’impôts au bulletin météo de la télévision (prérédigé, puis présenté avec
un degré d ’improvisation variant selon les cultures), et le caractère stéréotypé de certains
m ais se u lem en t des façons im p ro m p tu e s d ’utiliser la lan g u e; dialogues (entre professeur et élèves, entre médecin et patient, etc.) en a fait des spécimens
favoris d’analyse de discours. La conversation quotidienne elle-même n’échappe pas aux règles
du genre « discours à case vide » : 1’aptitude à remplir des cases dans des modèles préétablis
est 1’essence même d ’un comportement verbal satisfaisant. C f L’introduction, Impromptu
1. Cf. A. Kovács, op. cit., p. 107 sq. speech, structure and process, p. 11-31 de N. E. Enkvist (éd.), Impromptu Speech...
140 Particules énonciatives et tendances universelles I t s P E N et l’oralitê 141

ques du produit, qui va de la fragmentation (structure « lâche ») ment dit, 1’échange spontané n’impose pas 1’emploi de p e n mais
à l’intégration (structures « serrées», non redondantes)1. crée un terrain favorable, qui à son tour crée pour les p e n une
Les particules énonciatives sont, on le sait, très fréquentes dans prédisposition naturelle à intervenir dans l’echange spontané. Cette
1’interaction spontanée. Les deux catégories, p i et p e n , ont pu être convergence amène certains théoriciens à utiliser le terme de
décrites selon deux aspects également déterminants, la planification «symbiose» pour qualifier la nature des relations entre p e n et p i 1.
et la politesse.
La planification, à distinguer du « degré de préparation », a trait b / L’oral simulé
aux problèmes de structure. Le locuteur peut planifier ses énoncés Les exemples simulés, pour être des idéalisations parfois trom-
en silence (pauses, planification rétrospective — faux départs, répéti- peuses, n’en sont pas moins le reflet (d’une perception de) certaines
tions), mais pour s’assurer que ses pauses ne vont pas être prises caractéristiques de la parole impromptue — voir les effets de « parler
indüment pour les eíFets d’une « panne » discursive, il occupe le populaire » dans le débat politique. Nous nous limiterons ici à la
terrain en usant des p e n appropriées (d’oü les étiquettes de « mar- variante littéraire — théâtre ou fiction — de l’oral simulé. Une
queurs d’hésitation », « remplisseurs de pause » etc.): tu vois, bon, en constatation universelle, quant aux particules énonciatives, est la sui-
fait...
vante : leur perception consciente dans la parole impromptue n est
La politesse, notion sociale et interactive, est considérée par dif- généralement pas le fait des locuteurs ordinaires lesquels, inter-
férents pragmaticiens comme 1’autre facteur important du discours rogés, assurent ne pas faire usage de telle ou telle p e n de registre
qui produit p i et p e n 2. Dans les situations « normales », le carac- bas; pourtant leur absence est en revanche aisément perçue comme
tère indirect de la conversation est sensible : une stratégie destinée provoquant une impression de « livresque » ou d’ « artificiei » dans
à éviter la confrontation. Linguistiquement, cet « évitement» sera le dialogue. Aussi bon nombre d’écrivains réservent-ils à ces petits
souvent réalisé grâce à des atténuations régulatrices du discours : mots une place de choix dans leurs dialogues. Ceei vaut en parti-
les p e n jouent un rôle essentiel dans ce domaine linguistique du culier pour le théâtre et pour la prose narrative. La littérature russe
« vague ». Paradoxalement, la stratégie de « 1’indirect» confere au du xixc siècle notamment fait figure, dans une perspective comparée,
discours produit une tonalité spontanée (VI.2.a). de génératrice/utilisatrice privilégiée de ces procédés d’oralisation
Existe-t-il une relation d’implication entre l’apparition des p e n — que toutes les traditions européennes n’ont pas été aussi promptes
et le caractère improvisé du discours? La fragmentation d’un énoncé à codifier. Si Pouchkine est considéré comme ayant intensifié 1’usage
oral n’obscurcit pas la compréhension de 1’allocutaire : elle est souvent des p e n , c’est Gogol qui, les subordonnant à des fonctions narra-
destinée à la faciliter. Aussi peut-on poser, sur des bases interactives tives précises, les a érigées en organisateurs primaires de la structure
plus que grammaticales, que la présence nombreuse de p e n , fac- dialogique — suivi de près par Tolstoi et Dostoievski. Les dialogues
teurs de segmentation, est une condition suffisante pour considérer de Gogol témoignent chez 1’auteur d’une conscience vive du rôle
le discours comme ayant un fort degré d’improvisation. du « vidage sémantique » des lexèmes: usage idiolectal des parti­
On peut se demander, à 1’inverse, si le discours improvisé implique cules pour caractériser ses personnages, parodie particulaire du bavar-
le recours à des particules énonciatives. L’échange spontané présup- dage intempestif, distribution scénique des locutions particulaires. On
pose une situation d’énonciation spécifique, dans laquelle les rela- a pu caractériser de « symptôme d’incertitude sous tension » le dis­
tions interpersonnelles sont prépondérantes. Or les p e n constituem cours d’Akaki Akakievitch en réponse au verdict du tailleur Petro-
pour 1’expression implicite de ces relations un recours privilégié. Autre- vitch dans Le manteau. Toute la scène fatidique du «verdict» est
1. Cf. W.L. Chafe, Integration and involvement in spoken and written discourse, Paper
presented at the 2nd Congress of thn International Association for Semiotic Studus, Vienna, July 1979. 1. Cf. J. O. Õstman, The symbiotic relationship between pragmatic parüdes and impromptu
2. Cf. R. Lakoff, Stylistic strategies within a grammar of style. speech.
142 Particules énonciatiues et tendances universelles Í£s P E N et Foralité 143

construite sur 1’opposition des particules affirmatives et négatives, ont pu être relevées en finnois, et 30 % de plus en suédois, comparé
de même que sur une alternance entre valeurs conventionnalisées au théâtre scénique correspondant de mêmes auteurs1.
et manipulations comiques de ces particules. Une chaine ininter- Rappelons enfin 1’usage personnel que fait des pe n — à 1’aube
rompue de da conduit à 1’issue du duel verbal: rassuré ponctuelle- de 1’écriture théâtrale dans la langue majoritaire de son pays
ment par des da secondaires, le client, anxieux d’obtenir la répara- le « père de la littérature finnoise », Aleksis Kivi, dans sa comédie
tion de son manteau, se voit finalement opposer un da net péremptoire : paysanne Les savetiers de la lande (Nummisuutarit, 1875). A 1’acteIV,
Da net, èto vyjdet. « Eh bien non, c’est infaisable. » 1 le jeune savetier Esko, qui est sous 1’efFet de sa première beuverie,
L originalité et la puissance de ce registre particulaire dans la contraint le tailleur Antres à le « tâter » (muscles et chevelure) en
littérature russe ont une autre incidence sur nos préoccupations com- ces termes :
paratives. Ces mêmes particules allaient en effet influencer la stylisa-
[«Une deuxième fois!» (antres tâte)]
tion littéraire de 1’hébreu moderne : on dut faire appel pour la styli- — Niin. Entüs kolmas kerta! — () — Kolmas kerta. Tunnustappas!
sation des dialogues au répertoire littéraire russe, déjà intégré en — (Antres) Mina tunnustan! (Tunnustaa) . «Voilà (pen ). Et puis
partie par les vernaculaires yiddish d’Europe de l’Est. Un exemple encore (pen ) une troisième íbis! — () — La troisième fois.
d’adaptation au nouveau registre hébreu des procédés d’oralité Tâte donc, mais tâte (2 pen )! — (Antres) Mais je tâte! (II tâte).»
empruntés à la littérature russe est fourni par 1’oeuvre d’Uri Nissan
Cette combinaison répétée de pe n et de jussifs est symptoma-
Gnessin. Les nouvelles tardives (1905-1913) de Gnessin utilisent un
tique de la démarche d’un auteur qui, s’évertuant jusqu’à son dernier
vaste arsenal de pe n (assorties d’onomatopées, d’hésitations et de
soufflé à promouvoir une langue finnoise non académique, ne pouvait
pauses) dans lesquelles le calque russe est transparent. On relève
rester insensible à fefficacité du trio émotif-perlocutif-performatif:
dans ses dialogues nombre de phonèmes (graphèmes) non phonéti-
dans Pextrait ci-dessus, 1’allocuté s’exécute après la double p e n 2!
quement motivés en hébreu... mais qui le sont en russe, telles les
nasales placées à 1’initiale des particules pour symboliser le démar-
c / L’écrit oralisé
rage hésitant de 1’énonciation, ex. M-ken « m...oui, enfin », M...nu
« eh bien, voyons», calqués sur le russe m-da, m-nu. Ce modèle Cet aspect essentiel de la comparaison oral-écrit n’a pas retenu
d’hébreu moderne va jusqu’à régler son rythme d’oral familier sur 1’attention des linguistes. Après une longue phase d’analyse de
celui du russe, grâce à 1’insertion dans la chaine d’emprunts particu- « pseudo-oral», qu’il est de bon ton aujourd’hui — et la critique
laires directs (tels naprimer «par exemple», znachit « c’est-à-dire »)2. n’est pas sans fondement — de rejeter, les études se concentrent
Pour ce qui est d’une autre tradition littéraire, à laquelle nous sur 1’analyse [des dimensions pragmatiques] de la conversation. Les
avons consacré différents travaux, on n’omettra pas de mentionner mécanismes d’oralisation d’un texte écrit restent relativement mal
le marquage opéré par les particules énonciatives dans les dialogues connus, ce qui s’explique en partie par la difficulté de tester des
et monologues (intérieurs) du théâtre radiophonique, genre déve- différences directement conditionnées par le stimulus choisi (struc-
loppé dans 1’aire fenno-scandinave (et germanophone) avec plus tures peu imaginatives pour les tests par images, etc.). Rappelons
d’audace que dans le domaine francophone : 40 % de pe n de plus
1. Voir M. M. J. Fernandez, Le théâtre radiophonique déexpression suédoise en Finlande... et un
article sur «Les voix de 1’audiodramaturgie... ». L’usage systématique des pen dans le théâtre
1. L’analyse détaillée de cette implacable machinerie stylistique à fondement particulaire naturaliste d’August Strindberg (chez certains personnages provocateurs, tel le Capitaine du
se trouve chez I. Even-Zohar: « The tailor Petrovich pronounces the verdict of Akakij », Père), mis en valeur dans nos enseignements de littérature scandinave à FUniversité de Rennes
Slavica Hierosolymitan, 1978, 3, et Polysystem Studies, p. 228-232. II (1969-1978), trouve par ailleurs un écho inattendu chez I. Even-Zohar, Polysystem Studies,
2. La démonstration, importante documentation à 1’appui, de cette iníluence littéraire p. 237-241.
et particulaire est fournie dans I. Even-Zohar, Gnessin’s dialogue and its Russian models, 2. Autres exemples dans Le discours des Sames, p. 679 sq. Voir aussi notre article « De
Polysystem Studies, p. 131-153. la sauna sur la lande à la scène nationale finlandaise ».
144 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 145

les conclusions que nous nous autorisions jadis à formuler sur la agrémenté d’une stratégie explicative qui consiste à prévenir les pré-
base d’un échantillonnage comparatif: la langue parlée se caracté- suppositions de 1’auditoire, et de digressions personnelles et subjec-
rise par son ampleur, sa prolixité, elle est plus analytique que la langue tives qui, si elles n’ont pas leur place à 1’écrit, remplissent une fonc-
écrite. Le locuteur se livre à une véritable préparation psycholo- tion très nette à 1’o ra l: tout en créant pour le locuteur une détente
gique de 1’auditeur, laquelle met en oeuvre deux procédés complé- et un espace de confidence qui facilite 1’exposé, elles livrent à 1’allo-
mentaires : le premier, qui s’emploie à difFérer et à disséquer ce cutaire, avec le poids de 1’expérience vécue, un argument indirect
qui est nouveau dans le discours, entraine la dilution des consti- pour 1’impliquer dans le jugement souhaité. Exemple :
tuants synthétiques (constructions adnominales, propositions enchâs-
sées); le deuxième consiste à faire porter, par exemple en les extrayant en fait c’est surtout un p h o n é t ic ie n . Mais/ça ne veut pas dire que/moi
fai longtemps d /eu une attitude tr è s n é g a t iv e / vis-â-vis de son
(« dislocations ») un éclairage distinctif sur certains constituants. La
livre. => Puis je me suis aperçu que quand même (rit)/j> avait des choses.
langue parlée fait usage, à ces fins de délayage, d’un certain nombre
de mots indéfinis ou modérateurs « vagues » (VI.2.a). Par compensa-
En deux p e n , en fait puis quand même, un connecteur adversatif
tion, 1’oral fait appel à des procédés cohésifs nombreux et divers:
(mais) et trois énoncés, 1’objection éventuelle se trouve ainsi écartée.
les constructions asyndétiques sont rares, encore que 1’intonation soit
un procédé fréquent d’intégration discursive1. Un autre facteur récurrent d’allongement du texte est la multi-
plication des reformulations, des paraphrases et, chez un lin-
A défaut de méthode rigoureuse permettant de tester (sans la
distorsion du studio ou du laboratoire) les mécanismes d’oralisation, guiste/grammairien, des exemples :
nous livrons ici quelques réflexions fondées sur la comparaison de «II pleut à verse» ou «II pleut des cordes» (—)/y en aurait encore d...
matériaux authentiques et maitrisables. La situation d’énonciation «II pleut à seau» et...» Que sais-je encore?
d ix a u t r e s .
est celle d’un colloque scientifique; les discours oralisés sont ceux et, plus loin,
des participants. Afin de prévenir un certain risque de circularité comme le suggêrait d Mlle X./ça serait d « Quel sale temps!» ou/« Quelle
— le texte écrit auquel nous nous référons n’est pas celui d’une joumée!» n’est-ce pas/ou d... «II en tombe encore» enfin que sais-je?
pré-publication, mais celui des Actes diffusés a posteriori — nous avons
pris soin de sélectionner celles des Communications qui se fondaient Cette pratique de 1’inventaire lexical (ici paradigmes d’exemples),
à 1’évidence sur un support écrit: des exemples reproduits par rétro- dite encore «listing», que nous traiterons plus précisément dans
projection dans un cas, un texte entièrement rédigé dans 1’autre2. le cadre de 1’analyse processuelle (VI. 1), appelle deux remarques.
Dans un cas comme dans 1’autre, la simple juxtaposition des para-
graphes correspondants suffit à visualiser le phénomène de « délayage » 1 / La preuve, si besoin était, de son caractère impromptu, tient
sus-mentionné. Pour ce qui est des théories de la traduction, le premier dans le fait que le listing, une fois déclenché par 1’énonciation, semble
exemple retenu est ainsi introduit, à 1'écrit, en cinq lignes : pouvoir se dérouler à 1’infini, au gré des exemples supplémentaires
qui viennent à 1’esprit du locuteur. Quant aux raisons de ce déclen-
Un seul auteur à ma connaissance a cherché à établir une typologie précise.
Cette typologie soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout (...), chement, elles sont directement liées à la situation de prise de parole :
le nombre et la nature (longueur, interruption, modalisation) des
ce qui, dans la version orale, devient un passage de trente lignes, inventaires sont partiellement conditionnés par la relation qui s’établit
entre locuteur et allocutaire(s). On observe ainsi, chez les locuteurs
1. Cf. Lejinnois des Somes bilingues, p. 87-94; P. Saukkonen, Kokeellisia havaintoja, p. 13-32. les plus attentifs à la réception de leur discours, une modulation
2. Voir textes publiés dans les Actes du IIe Colloque contrastif discoss, Traduction et vulga-
risation scientifique, M. M. J. Fernandez (éd.). La transcription intégrale, dont nous sommes Pautem*,
constante de 1’inventaire en fonction des réactions ou de 1’absence
des enregistrements pris en séance, est inédite. de réactions de 1’auditoire. La deuxième liste d’exemples citée ci-dessus
146 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 147

n’était apparemment pas planifiée par 1’énonciateur: elle stimpro- Catford essaie d’analyser des niveaux de t r a n s f e r t / qui sont/vous le remar-
vise à la suite de la suggestion d’un collègue1. quez/tous toujours au niveau de la l a n g u e .
2 / Cette pratique du listing, directement suscitée par la situa- Ce résumé opère à plusieurs niveaux. II est marqué initialement
tion d’oralité interactive, est ressentie par Fénonciateur, dans ce genre par une p e n de conclusion, donc — à 1’incidence longue ici, puisqu’elle
discursif particulier — c’est-à-dire un discours de spécialiste à tona- se réfère non à 1’énoncé immédiatement précédent, mais à un rai­
lité pédagogique, même s’il est prononcé devant une assemblée de sonnement développé dans 1’ensemble du cotexte antérieur. Cette
pairs comme 1’éloignant indüment de son propos initial: la démons- conclusion s’appuie sur des énoncés phatiques, syntagmatiques mais
tration d’une théorie à partir de quelques exemples. Le souci de situés aux marges de la catégorie « p e n » : vous voyez, vous le remar-
recentrage se manifeste, dans la séquence immédiatement contigué quez, émis ici avec une articulation et une accentuation distinctives
à chacun des deux inventaires précités, par une reprise vigoureuse qui les signalent comme devant être pris dans leur sens « littéral» .
du raisonnement, laquelle est marquée chaque fois par l’une des Ces énoncés phatiques ont pour objectif et en 1’occurrence pour
particules énonciatives déjà bien répertoriées, en analyse de discours, effet, puisque aucune velléité de contestation ne s’exprime d’impli-
comme procédés de cohésion et traces d’« opération énonciative »2 : quer la responsabilité des auditeurs dans le processus de déduction
alors dans le premier cas, donc dans le deuxième. et, incidemment, de clarifier en la temporisant la structure des gref-
a) Alors/c’est un type de classijicationd qui fait b o n d ir d/pas mal de fons successifs (voir la deuxième occurrence). La responsabilité impli-
gens (...) et... la plupart des théoriciens de la traduction (...) diraient/mais/en quée est toutefois limitée par le caractère provisoire de la conclu­
jin de compte « a u c v n e de ces traductions n’est une traduction/ l ib r e ». sion. Cette démonstration, modèle de stratégie persuasive non dirigiste,
Car qu’est-ce que c’est qu’une traduction/ l ib r e ?
procède en effet par paliers, et le résumé conclusif intermédiaire
On pourrait s’attendre ici à une définition précise, soigneuse- servira de point d’appui à la phase suivante du raisonnement. De
ment préparée par 1’exposant (encore qu’éventuellement différée par cette structure en paliers, un marqueur porte implicitement le témoi-
de nouvelles réfutations — « ce n’est pas, comme on pourrait le gnage : la p e n déjà qui illustre sans ambiguité la fonction énonciative
croire... »). Ce serait oublier 1’attentive réceptivité de notre énoncia- des adverbes « de phrase » — de séquence longue, en 1’occurrence,
teur, lequel se confirme décidément résolu à tenir compte des réac- puisque la hiérarchie syntaxique improvisée de cet énoncé oral admet
tions de son auditoire : quelques chuchotements diffus suffisent à le greffage successif de plusieurs propositions relatives. La notion
déclencher un commentaire autocritique et complice. d’antériorité conceptuelle contenue dans déjà porte non sur un consti-
(Chuchotements) Ah ben/oui/bien sür (rit). Etant donné ce quefai dit tout- tuant de syntagme mais sur le processus d’énonciation lui-même.
à-l’heure/on peut répondre plusieurs choses (rient). On pourrait répondre que Insérée entre un syntagme thématique en préjection (« dislocation
la traduction libre/ça serait/la traduction qui dirait d/à la place «11 à gaúche ») et le pronom anaphorique qui le représente dans la
neige. »/bien súr. (...) Non/mais je voulais dire la traduction fa u tiv e (—Ah prédication principale, la p e n joue un rôle thématique fondamental,
ah!) (brouhaha). à la fois intra- et interphrastique : déjà signale et limite le thème
Nouveau recentrage, suivi d’un appel à la solidarité du groupe : ainsi dégagé mais annonce simultanément la prise en compte, pour
un enchainement thématique ultérieur, de 1’énoncé qui le contient.
b) Donc/vous voyez/la notion de/ traduction l ib r e /déjà/elle est/ totalement
distincte/pour... un traducteur disons/d et pour d ... quelqu’un qui comme Placée dans cette position, et investie des pouvoirs modalisateurs
dont jouissent certains « petits m ots» à 1’oral, la p e n ne peut être
Suggestion à laquelle 1’orateur decide immédiatement de conférer une importance
(emphase) particulière pour des raisons que nous n ’analyserons pas ic i: les exemples précé-
dents ont été accueillis avec scepticisme, etc. 1. Nos corpus de discours politiques comprennent par contre de nombreuses séquences
2. Voir le numéro 50 de langue française (« Argumentation et énonciation »), en particulier argumentatives ponctuées par des vous voyez ou voyez~vous à 1’émissiori quasi automatique. Voir
1 article d’A. A. Bouacha sur « A lors» dans le discours pédagogique. aussi 1’analyse de you know (IJ.I.2).
148 Particules énonciatives et tmdances universelles Les P E N et 1’oralité 149

considérée comme 1’équivalent d’un adverbe intégré aux énoncés L’idée principale — impossibilité de transfert du sens par le calque
adjacents — pas plus «vous voyez déjà que la notion...» que «la notion pur des éléments grammaticaux — se trouve résumée dans la version
est déjà distincte», dont 1’incidence serait limitée à ces constatations écrite en deux lignes :
et n ’aurait pas la portée de construction d’un raisonnement que
l’on discerne dans cet élément léger, nonchalamment glissé entre II serait absurde, au nom de nos théories, de condamner l’usage d’une telle
«traduction», puisqu’elle remplit une fonction métalinguistique indispensable.
les feuillets du discours. La particule, dans ce fonctionnement
impromptu qu’exclut la rigidité de Pécrit, se révèle être d’une sou- Mais ce qui est « gommé » de la version rédigée, c’est non seule-
plesse et d’une subtilité tout à fait comparables à celles des encliti- ment le caractère abrupt de la critique (Pécrit, définitif et visant
ques monosyllabiques des langues « particulaires »; elle présente en les travaux d’un collègue, aura ici des exigences de « modération »),
outre sur ces enclitiques la supériorité des éléments structurateurs mais le caractère interactif du raisonnement. Le raisonnement en
et néanmoins porteurs d’une charge sémantique1. eífet dont, nous Pavons vu, le prétexte apparent est la réaction (rire)
de Pauditoire — une donnée paralinguistique donc — passe par
Un deuxième exemple de « cas extrême » produit (sur transpa- différentes phases de digressions et de parenthèses, que nous ne
rent) par 1’exposant, et qui va donner lieu à une expansion discur- pouvons reproduire ici dans leur intégralité (une page de texte serré).
sive importante, est celui de la transcription utilisée par le linguiste Les particules et éléments apparentés jouent dans ces développe-
professionnel pour gloser un énoncé de langue non décrite, en Poccur- ments secondaires un rôle de premier plan : on repère des particules
rence le moru2. L’exemple est d’abord projeté sans commentaire, ou locutions particulaires de concession (tout de même, à vrai dire),
puis lu à haute voix: des questions finales rhétoriques (n'est-ce pas.)1. Les p e n sont égale-
voki la transcription qui en estfaite par le linguiste. Ça donne/« chien-noirceur- ment en bonne place pour marquer Pinsertion de commentaires brefs,
femme-jmncipe frère-moi d e -d e -d e » (rient). signalés par leur intonation (baisse du niveau) et leur débit (accéléré)
comme parenthétiques, ex. Alors/faut-il 1’appeler/littêrale/faut-il Vappeler
La réaction (prévisible) des auditeurs/spectateurs ne s’est pas fait
word-for-word (...)/peu importe2.
attendre; elle servira de point de départ au raisonnement, d’abord
Le premier cas d’oralisation sélectionné nous a permis de repérer
sous la forme d’une réfutation :
et d’analyser Pincidence des particules énonciatives dans un discours
C’est-à-dire que (rit)/on peut difficilement considérer qu’on a/affaire à/un en voie de constitution, dont le support écrit — documents sur trans-
énoncé /signifiant/en Jrançais/et correspondant à/quelque intention/de dire parent et notes d’accompagnement sur papier — pose un certain
d’un bcuteur d moru. Autant dire que ça ne veut rim dire m français. cadre sans baliser pour autant le parcours. L’orateur sait de quoi
=> On peut tout de même voir de quoi ça parle. À v r a i d ir e (...) On
peut au moins reconstituer/ le sujet du discours n’est-ce pas. il va parler, il a recours à son aide-mémoire pour ajouter des préci-
sions d’ordre documentaire comme pour respecter la logique de
Suit le justificatif de cette citation, introduit par une question Pexposé dont il a esquissé par avance les grandes lignes. Mais
de structure rhème-mnémène (« dislocation à droite »): P « emballage » linguistique lui-mème n’est pas livré avec ce mode
Mais/d qu’est-ce que çafait apparcãtre/ce type de traduction? (...) que ça d ... 1. Sous-catégorie des « actes indirects», les Q finales de ce type occupent une place
ça ne transmet pas le message (...). Et qu’on ne peut pas plus trans- importante dans la littérature anglo-saxonne spécialisée et d’autres recherches pragmaticiennes
jèrer/les/constituants linguisüques d’un énoncé/qu’on ne peut/constit.. transjèrer qui en sont inspirées. Voir par exemple Pexploitation judicieuse qui est faite de ces «tag-
le sens/par des moyens comme ça. Questions» dans la thèse de J. O. Ostman, Pragmatics as Implicitness (;infra VI.2.Ã).
2. Notons que 1. 1’insertion de commentaires brefs est facilitée aussi à 1’oral par la struc­
ture « asyntaxique » (légitimée par la seule intonation) de certains constituants binaires, ex.
1. Cf. O. Vàlikangas, La notion de «déjà»..., pour une confrontation européenne de Bidon \ Vaide sociale hein — (Rh — Mn + pen ). 2. peu importe a dans 1’exemple ci-dessus sa
ce domaine sémantique. fonction pleine de RJi (intoné i), mais peut aussi servir, dans d’autres contextes, de ponctua-
2. Exemple emprunté à La structure des langues de C. Hagège. teur répétitif.
150 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et Voralitê 151

cTemploi succinct, son adéquation sera fonction du stock cognitif enjeux. L’orateur, à la différence du précédent qui présupposait chez
dont dispose Fénonciateur. En d’autres termes, 1’ajustement final du son auditoire (sans doute à juste titre) un savoir partagé propre à favo-
discours repose entièrement sur l’expérience publique de 1’orateur, riser, à moindres frais, Fallusion voire la connivence, sait ne pas s’adresser
sur sa faculté d’enchainer avec aisance les points qu’il a prévu à un auditoire de spécialistes de sa discipline au sens strict1.
d’évoquer comme sur son aptitude à tenir compte des réactions (ver- Ce souci se fait jour dès 1’introduction, à 1’écrit comme à 1’o ra l:
bales ou non) de 1’auditoire sans « perdre le fil» de son discours Je ferai le point sur les incertitudes de la t a . Une deuxième motivation
ni se laisser totalement dévoyer. Cette aisance, qui est certes un puissante se dégage avec insistance des formulations paraphrastiques
acquis socio-professionnel mais plonge aussi ses racines dans une de la version orale : le désir de souligner, contrairement à ce que
forte tradition culturelle, justifie que l’on puisse parler ici des ten­ Forateur estime être Fopinion généralement répandue, Fétroitesse
dances de 1’oralisation sans entrer dans des considérations de dis­ des liens et la nécessité d’une recherche interactive entre traduction
cours de spécialité1. Le professionnalisme de Forateur n’exclut d’ail- humaine et traduction automatique.
leurs pas 1’éventualité de « ratés» énonciatifs, universal de toute Dans la version écrite, le problème essentiel qui se pose à la
situation d’interlocution en temps réel2. t a est bouclé en quelques lignes:

Voyons maintenant comment se déroule un autre type de dis­


La diffkulté fondamentale (insurmontable?) en traduction automatique tient
cours, dans la même situation d’énonciation. Le thème est celui du à ce qui fait la spècijkité de tout texte — littéraire ou non — écrit dans
« Controle de 1’information en traduction automatique ». Le support une langue, à savoir la formulation elliptique (...). Or un automate ne peut
écrit est cette fois plus qu’un squelette : Fénonciateur va s’efibrcer travailler que sur de l’explicite (...). Le paradoxe est de devoir réconcilier
de personnaliser et d’actualiser son texte prérédigé. Bien que la pré- le texte et 1’automate.
sence d’un texte entièrement rédigé restreigne la latitude d’improvi-
A Foral, Fexplicitation de cette problématique qui requiert de
sation, le souci de « ciblage » à Fintention d’un public donné est
Fauditeur, peu ou pas initié, une certaine adaptabilité psychologique,
tout aussi perceptible. L’ajustement progressif, qui prend d’autres
technique et terminologique, va entrainer d’emblée certaines pré-
formes, va résulter en un allongement sensible : Fenregistrement trans-
cautions dans la formulation, d’oú de nombreuses variations para­
crit represente un espace textuel supérieur de 30 % environ au texte
phrastiques. L’orateur, avant de s’atteler à la tâche, prend soin de
rédigé. Quelles sont les stratégies qui se dégagent de cette oralisa-
s’installer confortablement dans son discours: le thème de départ
tion ? Mis à part quelques « délayages» occasionnels (digressions,
(«topique » de Fensemble du paragraphe) est préjeté, segmenté,
anecdotes personnelles), Féclairage nouveau conféré au texte écrit
encadré par deux p e n :
par la présentation orale porte essentiellement sur deux points : d’une
part, un effort d’explicitation, de vulgarisation (de haut niveau) des — Alors/la difficulté fondamentale/ en fait/en traduction automatique/eüe
notions de base de la traduction automatique, d’autre part une ten- est due à ce qui fait la spécifkité de tout texte écrit dans une langue natu-
tative de démythification de cette activité paralinguistique et de ses relle/que ce texte soit littéraire ou n o n /.
Une spécificité qui, aussitôt mentionnée dans le rhème et banalisée
1. On aurait tort dc considérer la situation cTexposé scientifique comme un universal
énonciatif. Entre les deux extremes d ’habitus culturels pourtant tous deux européens — d ’une
par son caractère « naturel », sera encore différée (et en quelque sorte
part 1 exposant français dont la prestation orale semble faire fi de tout support écrit (et dont apprivoisée) par son ancrage dans le contexte actuel d’échange collectif,
la version publiée risque de défier tout autant la comparaison), cTautre part 1’ « orateur »
finlandais qui énonce (lit) oralement in extenso (et sans modifier une virgule) un texte préalable- et qu’on a évoqué/à plusieurs reprises/pendant ces deux ...joumées/,
ment distribué aux auditeurs, tous les ccarts (entre écrit et oral) sont susceptibles de se pro-
duire. Cf. M. M. J. Fernandez, Analyse contrastive du discours et communication interscience...
2. Ex. L’annonce du premier exemple de Catford comme « traduction libre » provoque la pro- 1. Le colloque rassemblait une majorité de linguistes — dont les rédacteurs de la revue
testation énergique d’un auditeur : — Non, eüe est pas libre !. L’orateur bafouille : — Pardon. Mot- discoss concernée par le domaine des langues de spécialité et quelques professionnels de
à-mot. Excusez-moi, et s explique précipitamm ent: J'êtais en train de regarder Vensemble du schéma!. la traduction « humaine », dont certains initiés à la problématique de la traduction automatique.
152 Particules énonciatives et tendances unwerselles Les P E N et Vorahtê 153

puis reprise elle-même sous la forme d’un thème préjeté : On remarque dans cette conclusion provisoire interactionnelle
le rôle essentiel joué par la locution-PEN si vous voulez. Placée après
Pest-à-dire ce qui fait la spéciftcité d’un texte en langue naturelk c’est/sa
formulation elliptique. un terme saugrenu d’abord (mais il s’intègre nettement dans une
démarche de « mise à portée », « popularisation », etc.), elle se dis­
Le problème de 1’ellipse, fút-il d’une rassurante banalité, mérite tingue sémantiquement d’autres variantes moins actancielles, tel nPst-ce
quelques détails, lesquels seront, pour plus de süreté, introduits par pas qui, impersonnel et plus bref, aura d’ailleurs tendance, dans une
une p e n qui réactive (sorte de « clin d’oeil» complice) 1’allusion à prononciation relâchée, à se monosyllaber ((s’)pas). Si vous voulez est
un savoir partagé, maintes fois évoqué dans les sessions précédentes : un bon exemple du maintien, dans un emploi particulaire, de la
charge syntactico-sémantique — encore qu’aífaiblie, mais ne sont
Hein/le problème de L ’ELLJPSE/la formulation elliptique avec le texte indiíférents ni la modalité conditionnelle ni le sens propre du lexème
en langue naturelle/la l in é a r it é / laconique/de la suface (...) k texte n’étant verbal. Si vous voulez n’est pas non plus sociolinguistiquement neutre :
autre chose que/le sig n e le p o in t e u r hem/qui suggère le sens plutôt
qutil ne le détaille. cette pe n apparait plutôt dans un contexte officiel et public (un locu-
teur face à plusieurs), sa modulation sociale va dans le sens de 1’expan-
Le premier hein, distinctivement marqué comme commencitif (into- sion (cf. le « si vous le voulez bien » des présentateurs médiatiques) plus
nation montante suivie d’une légère pause), a incidence à 1’ensemble que dans celui de la réduetion (si (!ou) voulez, rare, peut-être du fait
de 1’énoncé. Le deuxième a une portée plus limitée : bien qu’il ne de sa morphologie plurielle). Mais il y a plus : ce syntagme long
soit pas totalement dépourvu de la fonction de « rappel de conni- et interlocutif partagé avec les pe n des langues particulaires une fonc­
vence » qui constitue le trone sémantico-pragmatique commun de tion énonciative spécifique. Placé au sein du bloc-rhème dans une
cette particule, il remplit une fonction plus précise, qui est la démar- position que les théoriciens de 1’Ecole de Prague désignaient comme
cation a posteriori d’un élément (souvent, comme ici, d’un terme) nou- « transitoire », si vous voulez se révèle être la trace de la thématisation
vellement introduit, sur lequel 1’énonciateur a généralement fait porter à deux niveaux caractéristique d’une strueturation longue à 1’oral.
une certaine emphase (accentuation forte, marquée dans la trans- On peut montrer que ce fonctionnement est, pour certaines p e n ,
cription par des majuscules). assez systématique, dans le cadre de constituants énonciatifs longs
Nouvelle formulation du problème, encore plus précise, intro- (Th ou Rh), lorsqu’il y a thématisation cumulative (ici après un thème
duite par la pen de relance de la rhétorique discursive (alors t ), préjeté, le paradoxe... í c’est d’avoir...)1.
ponctuée d’une p e n de demande d’approbation, et clôturée par des Quant à cette autre pe n orale, laconique, régionale (taxée parfois
allusions réitérées au savoir partagé et déjà discuté, avant d’aborder de « parisianisme », par opposition au « h é » méridional), hein, elle
enfin la diíFiculté principale, celle qui risquerait d’avoir échappé, apparait dans ce discours comme remplissant trois fonctions distinctes
en dépit de leur savoir avéré, aux auditeurs. au moins, dont celle, déjà mentionnée, de bornage (consensuel, ou
voulu tel) d’une mise en emphase est la plus récurrente : ç a s ’est
Alors c’est tout le problème n’est-ce pas de 1’explicite et de l’implicite. dévelo p p é so u s les a u sp ic e s de la r o b o t i q u e h ein. La pe n se place réguliè-
Qu’on a beaucoup/mentionné. Aujourd’hui et hier. Or un automate/ne peut rement à la fin du syntagme, y compris dans le cas d’emphases
travailler que sur de 1’e x p u c it e (...).
partielles (d’un seul des constituants), ex. le M O D E /d e la m is e en é vi-
d e n c e /h e in . Effet secondaire de cet emploi emphatisant, probablement
Une reformulation ultime, dans un registre vulgarisant, servira
à aborder 1’aspect pratique des choses («Alors concrètement...») : lié au contexte énonciatif du discours pédagogique (/didactique/de
vulgarisation), le rôle de hein en tant que ponctuateur (consensuel)
le paradoxe de la traduetion automatique/ c’est d’avoir à r é c o n c il ie r /si
vous voulez/le texte et/et l’automate. 1. C f. Le Jinnois des Somes bilingues, p. 241-245, et infra VI.2.C.
154 Particules énonciatives et tendances universelles I^es P E N et Voralité 155

cTopération métalinguistique se dégage également d’un certain nombre des particules, et pas seulement pour les plus mécaniques (rythmi-
d’occurrences, ex. [on êtudie] d’abord la f a i s a b i l i t é / comme on dit hein/d’une ques) d’entre elles. Voyons comment s’organise par exemple à 1’oral
interrelation, ou encore (...) langues/ discours/ espace rêférentiel (...). Vénoncia- cette étape cruciale de la démonstration qu’est la conclusion —
tion pourfaire vite/hein. Un troisième emploi de hein recoupe la caracté- laquelle, dans un contexte scientifique, conçue comme provisoire,
ristique générale des p e n sur laquelle nous avons insisté dans la partie se confond aisément, nous 1’avons vu, avec un résumé. La version
« pe n et tradition orale » (V.2): leur fonction rythmique. Dans la partie écrite pose 1’information comme se répartissant entre trois vecteurs,
technique du discours, le rythme souligne une démarche ouvertement et conclut:
didactique qui consiste à détacher (« mâcher ») les mots pour rendre
cognitivement accessibles les étapes successives de la procédure, ex. : On comprend, dans ces conditions, que les difficultés de 1’automate tra-
ducteur vont surgir aux deux moments cruciaux du processus: le déciyptage
Simulation réciproque ça veut dire/simulation d y n a m iq v e / hein lo u lles du texte source, le transfert du texte source en texte cible.
progrès d ... intervenus hein ... intervenant/à l’un des deux.... pâles/m is en
tm sion/hdn/ sont im m édiatm m t/hán/d .... récupérés/hein/simulés/par 1’autre A ce stade, la conclusion de 1’orateur se veut énergique et directe :
pole.
séquence de segments brefs dans le premier énoncé, suivie de seg-
Servant à souligner et à délimiter un constituant particulier mis ments plus longs dans une partie explicative, puis d’un 3e énoncé
en emphase, la p e n hein n’est généralement pas investie, comme le binaire qui résume à 1’aide de deux termes abstraits (nominalisa-
sont d’autres p e n observables dans ce discours, d’une fonction d’arti- tions) les « étapes » et « niveaux » évoqués précédemment:
culation thématique de 1’énoncé. Toutefois, positionnée en un point
stratégique de 1’énoncé, par exemple à la jointure entre bloc-thème II y a donc trois/trois étapes/ Tanalyse/ le transfert/la génération. Mais/les
difficultés disons/d pour la mise sur pied/du programme en traduction auto-
et bloc-rhème (souvent des Th et Rh cumulatifs), elle peut être amenée matique/donc apparaissent aux deux niveaux. Du déayptage donc/et du
à remplir cette fonction de bornage; la valeur du hein de consensus transfert.
tend à être renforcée par la répétition insistante de la p e n , comme
cela se produit à plusieurs reprises dans 1’exposé, ex. On voit le rôle que joue donc, particule effectivement conclusive,
si l’on v e u t fentends/jovE R le je u de 1’utilisation de Vautom ate/hán/
dans la configuration de cette mise au point qui adopte successive-
hein/si l’on veut jouer ce je u -là / ment plusieurs procédures logico-sémantiques (quantification, énu-
mération, dénomination), démarche somme toute assez éloignée de
La répétition, on le voit, est loin d’être à 1’oral un phénomène ce que l’on entend habituellement par une expression « naturelle »,
homogène et univoque, qui ne serait dü qu’à 1’inaptitude du locu- non planifiée. La juxtaposition de ces deux paragraphes, l’un écrit,
teur à s’exprimer clairement. La majorité des répétitions sont, dans 1’autre transcrit, illustre remarquablement la différence des besoins
la parole impromptue, fonctionnelles — sans qu’il s’agisse du reste communicatifs (et en conséquence des dispositifs syntaxiques) à 1’écrit
d’une simple fonction de remplissage. La répétition est le corollaire et à 1’oral. Le style écrit privilégie 1’aspect conceptuel déductif, en
obligé du caractère linéaire de 1’énonciation orale : la redondance posant en préalable une prédication de jugement qui va régir la
n’a pas à 1’oral la connotation négative dont l’ont arbitrairement prédiction factuelle subséquente (« on comprend »). L’oral livre les
affublée les grammaires1. Cette observation vaut pour 1’ensemble faits bruts selon trois éclairages successifs dont une particule monosyl-
labique répétée en des positions variables (milieu, début, fin de
1. Nous nous attachons à repérer et à classer ccrtaines données systématisables du fonc-
tionnement des p e n , ce qui n ’exclut pas la présence d ’emplois plus fortuits. On notera cepen-
syntagme) et avec des valeurs non totalement identiques (seul le
dant que 1. L’usage mécanique redondant de hein, sorte de maniérisme idiolectal et/ou régional, premier donc est véritablement conclusif, les deux suivants sont des
s’est révélé très marginale par rapport aux emplois fonctionnels de la pe n ; 2. des occurrences
des principaux fonctionnements particulaires décrits ici ont été relevées également dans cTautres
anaphoriques énonciatifs) est chargée, grâce à la figure iconique ainsi
types de discours et chez d ’autres locuteurs. créée, de signaler 1’interrelation.
156 Particules énonciatives et tmdances universelles Les P E N et Voralité 157

La dimension interlocutive, moins présente dans ce discours que de surprise provoqué par le pseudo-dialogue précédent. Cette dra-
dans le précédent, n’est pas favorisée par le mode de préparation matisation d’un exemple relativement paradoxal a été conçue en
choisi (texte rédigé). La conscience des besoins d’une « communica- situation d’interlocution comme nécessaire à la démonstration. L’écrit,
tion » dans les deux sens du terme (scientifique et pragmatique) se qui n’a pas à appréhender d’éventuelles réactions, ne retient dans
manifeste, outre l’appel discret mais récurrent à un consensus (hein, un premier temps de 1’exemple que sa valeur de vérité générale,
n ’e st-ce p a s ) , par la personnalisation de certains énoncés, souvent sous encore qu’une incise circonstancielle « vague » vienne atténuer de
la forme d’une expression concrète. On nous apprend par exemple façon préventive 1’efTet du deuxième objet à énoncer (et, des deux,
que « c e q u i g u e tte la t a , ce n ’e s t p a s le c o n tre-sen s m a is le n o n -sen s, ou le moins aisément acceptable): Même le délire du psychotique a sa logique
p l u t ô t 1’a bsen ce d u s e n s » (formulation quasi identique dans les versions propre et, d’une certaine manière, son sens.
écrite et orale). Mais, avant de passer à un autre aspect de la ques- On ne s’étonnera pas de trouver un marquage énonciatif encore
tion, 1’exposant, dans sa version orale, concrétise cette idée par un plus accentué dans la dernière partie de 1’exposé, celle qui, au-delà
exemple : de 1’évaluation, aborde 1’aspect « prospective » de la t a . Le texte
écrit peut, sans autre forme de procès qu’un rappel conventionnel
a) Vous avez quelques bouts de phrases qui sont bien traduites heinlet
tout à coup làlle pataquès. de l’instance énonciative du jugement (à nosyeux), avancer une idée
b) le traducteur hummnlluilcomme je vous le disaislil met toujours du sens. qui risque d’être pour beaucoup choquante :
c) Prenez par exemple d .... le délire d’un p syc h o tiq u e . Eh ben il a
sa logique. Même si on ne l’aperçoit pas. Le vrai problème, à nos yeux, est moins de discipliner Vautomate pour lui
faire simuler Vhumain (...) que de discipliner les populations productrices et
La tonalité délibérément interlocutive se traduit dans ces trois consommatrices dinformation pour leur faire simuler Vautomate.
énoncés par une concentration de procédés oralisants qui ne peut Mais, face à son public, 1’orateur sera moins direct:
qu’aller droit au b u t: fustiger 1’intérêt et 1’imaginaüon de 1’auditeur
au moment oü il risquerait de s’engluer dans les méandres de la II ne suffit paslsi vous voulezlle problème c’est peut-être moins ...

problématique du « sens ». Les procédés utilisés sont les suivants:


Et au cas oü ces atténuateurs ne suffiraient pas à convaincre
a / animation de 1’allocutaire (pronom personnel, présent, vous de la bonne foi du locuteur, il va la manifester par un commentaire
avez), p e n de consensus (hein), coordination puis structure télégra- préventif — des excuses anticipées quant à 1’apparente « brutalité »
phique du Th (adverbe temporel + déictique local, tout à coup là t) du propos, brutalité aussitôt justifiée par 1’importance du sujet:
et du Rh (substantif familier, le pataquès 1) pour précipiter les événe-
ments; et ahrs làje le dis defaçon un peu/comment dirais-je.... !un peu à Vemporte-
pièceld pour d .... montrer que c’est un problème qui me parait tout de même
b / thème fortement marqué (préjeté, suivi de pronom empha- im p o r t a n t I
tique), puis rappel de discours antérieur doublement personnalisé
(je — vous), Rh emphatisé; On remarque 1’accumulation des atténuateurs {un peu, recherche
c / deux énoncés brefs à enchainement rapide, le premier jussif, lexicale, p e n concessive) avant 1’emphase justificatrice qui précède
le deuxième assertif, mais la structure globale est calquée sur celle la reprise du thème :
d’un couple question-réponse dont le premier serait le Th et le
deuxième le Rh, ce dernier introduit par une p e n typique de transi- le problème c’est peut-être m o in s Ide discipliner Vautomate pour lui fairel
dsimuler .... Vhumain/hein/que de/discipliner Vhomme/Vhumain/pour lui
tion dialogique, Eh ben (prononcée d’ailleurs avec une familiarité com- faire simuler/Vautomate.
plice). L’énoncé subséquent, assertif par son intonation, hypothé-
tique et argumentatif par son connecteur (même si), confirme 1’effet Cette vérité toute crue (seules modulations, hein et la paraphrase
158 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et Voralitê 159

homme/humain) est enfin lâchée. Et le paragraphe écrit en restera (autre exemple de « pe n au pilori»), indéniables calques du yiddish,
là. Mais il n’en va pas de même à Poral. L’énonciateur s’empresse ces pe n n’en sont pas moins devenues les commencitifs et les conca-
(et 1’appel au consensus se fait explicite) de dissiper les malentendus ténateurs les plus usuels de Phébreu quotidien. Plusieurs autres connec-
encore possibles: teurs appartiennent à la même catégorie, tels tir’e/tir’i («Tu vois»),
commencitif, ve-kahka (« et ainsi de suite »), finitif, al kol panim (« en
Entendons-nous bien. =» II s’agit là/d’une relation dialectique perm a-
tout état de cause», changement de sujet)1. Les deux stocks de pen
nente / ein
h /
aujourd’hui disponibles en hébreu se sont donc constitués à partir
Suit une longue argumentation théorique qui vient à point nommé d’autres langues, mais le traitement différent qui leur est réservé
rappeler, à 1’appui de cette vision interactive de la relation automate- illustre la complexité des mécanismes de choix dans les interférences
humain, une réalité toute simple : 1’automate, conçu par les hommes, de substrat. II s’agit globalement d’une opposition entre / / registre
n’est jamais qu’une forme d’exploitation de la rationalité humaine1. haut/officiel et peu courant vs registre bas/non officiel et courant//.
Dans cette situation comme dans beaucoup d’autres, la fonction du
substrat, résultant d’opérations non planifiées (souvent inconscientes),
4. Les PEN de Poral à 1’écrit explique partiellement le succès du répertoire naturel disponible, pour-
tant condamné par les normalisateurs.
a / Le cas hébreu Un autre trait à souligner est Pévolution récente chez des locu-
L’emprunt et le calque ont joué pour la constitution de 1’hébreu teurs dont Phébreu tend à devenir la langue maternelle exclusive.
moderne (cf. IV.l.è) un rôle fondamental, encore que difíicile à Ils échappent doublement aux pressions de cultures étrangères puisque,
évaluer, en particulier dans les domaines les moins conscients: d’une part la tradition littéraire est devenue pour eux relativement
Finfluence des langues « étrangères », influence réduite dans les zones énigmatique, d’autre part aucune autre langue orale ne leur impose
rapidement normées (grammaire et vocabulaire), n ’a pas épargné ses mécanismes.
le champ des p e n . La différence encore aujourd’hui perceptible entre Différents tests (Israéliens parlant Panglais avec un entrainement
les répertoires « oraux » respectivement authentique et simulé (c’est- minime, Israéliens retournant au pays après un séjour de longue
à-dire littéraire) de 1’hébreu moderne s'explique en partie par les durée à Pétranger, etc.) donnent à penser que Phébreu parlé contem-
rôles respectivement plus dominants du yiddish et du russe en tant porain fait u n usage plus restreint des pe n que par exemple Panglais,
que langue 1. Les pe n de 1’hébreu moderne fournissent une excel- Faméricain, les langues scandinaves et même le français — ce qui
lente illustration de la différence entre les statuts culturel vs naturel ne peut s’expliquer uniquement par Pattitude des puristes. Toute-
de 1’ « authentique » et du « correct » dans la langue. Les enseignants fois, le nombre et la diversité de ces pen sont en évolution constante.
et autres puristes allaient en effet s’acharner sur des procédés consi- On peut citer comme exemples de pe n nouvelles dans Phébreu
dérés comme vulgaires, superflus, voire « non hébreux» transmis contemporain les particules lo (« non ») et ken (« o u i») qui sont cou-
par le vernaculaire, alors que d’autres procédés de Poral, simulés ramment utilisées — avec un faible degré de conscience — comme
et n’ayant jamais acquis de véritable statut dans la langue parlée quo- commencitifs. Lo ki (« non mais », « non parce que ») est utilisé de
tidienne, continuaient d’être considérés comme corrects. On peut citer même, le plus souvent comme embrayeur interphrastique (= finitif
les exemples de az « puis », tob « bon, bien » : stigmatisées par les puristes 4- commencitif). Exemples d’énoncés usuels : « C’est une belle joumée...

1. Nous avons volontairement choisi, pour illustrer le caractère improvisé et incertain 1. La défiance de certains locuteurs à 1’égard de la particule az par exemple s’expliquerait
de Toralisation, les discours de deux spécialistes incontestables des domaines exposcs, ensei­ du fait de son identité phonique avec le yiddish az « que » (conjonction). Or, la pen az de
gnants universitaires de surcroit: M. Pergnier pour la traductologie, G. Bourquin pour la 1’hébreu semble issue d’une autre particule yiddish, iz — iz vi filt ir zikh ? « eh bien comment
traduction automatique. allez-vous?» — , cf. I. Even-Zohar, Polysystem Studies, p. 242.
160 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et l’oralité 161

— Non oui (lo ki) c’est une belle joumée ». « T u es en train de dans la parole quotidienne des jeunes (moins de silences, d’hésita-
compléter tes études de maitrise? — Non oui (lo ki) j ’ai commencé » tions, d’autocorrections; un recours moins fréquent à 1’alternance
— énoncés non reconnus comme « corrects » mais attestés dans toutes codique)1. L’identité de la communauté same elle-même est exté-
les classes sociales1. rieurement renforcée par des manifestations symboliques, dont la
substítution quasi généralisée du radical autochtone, sámi, à 1’emprunt
b / Lse x em p le sa m e « colonial ». Sur le plan interne, ce retour aux sources s’accompagne
d’une radicalisation de la relation à 1’oralité ancestrale, laquelle n’est
Avec la prise de conscience favorisée par les Etats s’affirme
pas sans aléas. Car 1’activité de ressourcement, ici comme dans d’autres
aujourd’hui dans les trois Laponies de Fenno-Scandie2 une volonté
processus de renouveau ethnique, se heurte à 1’inadaptation des struc-
d’autogestion, laquelle entraine aussi, processus bien connu d’autres
tures traditionnelles, quand ce n’est pas à 1’ignorance de leurs parti-
sociétés post-coloniales, une remise en question des autorités jadis
cularités. Les traits d’oralité consciemment ou non occultés par les
incontestées: les chercheurs non autochtones, ethnologues et ethno-
représentations modemes de la langue (manuels scolaires...) sont pré-
graphes bientôt suivis des linguistes (reproches d ’illisibilité des sys-
cisément les traces de la relation duophorique que nous avons posée
tèmes de transcription, de carriérisme dans la sélection de 1’objet
comme caractéristique de 1’interlocution: richesse déictique et déri-
d’étude, etc.). L’exigence d’une gestion autonome des moyens d’expres-
vationnelle, etc. (V.2). La structuration que révèle chacun de ces
sion s’est concrétisée jusqu’ici dans une planification linguistique à
traits se neutralise avec 1’instauration d’une relation nouvelle au temps
1’évidence favorisée par le démocratisme ambiant (scandinave d’ins-
de la parole. Tandis que le passage à 1’écriture tend à modifier
piration). L’évolution peut être qualiíiée de globalement positive. Du
les procédures de textualisation (cohésion logico-syntaxique plus qu’ico-
point de vue du fonctionnement naturel et diversifié de la langue,
nique, ordre énonciatif plus figé), s’eíface un mode de conceptualisa-
la samophonie est en passe de gagner son combat dans les régions
tion qui reposait sur la déixis. Rapprochons pour les commodités
oü elle était quantitativement dominante. Promue par les diíférentes
de la démonstration deux exemples de dialogues que différencient
administrations scolaires, 1’orthographe commune s’est installée sur
leur contexte énonciatif (respectivement intimiste et médiatique) et
le terrain; la rénovation lexicale, s’appuyant sur un équipement média-
les caractéristiques sociales de leurs énonciateurs (A. plus de 60 ans,
tique puissant (rádios samophones locales et internordiques, organes
non scolarisés; B. 20-30 ans, études secondaires). Nous ne citerons
de presse subventionnés) obtient progressivement, non sans conflits
que les premiers énoncés de chacun des dialogues. Dialogue A :
intercommunautaires, l’aval des locuteurs3. La qualification de
« semilingue», si elle fut jamais justifiée, ne semble plus l’être [a / Quelle d i s t a n c e y a-t-il d’ici précisément à là-bas à ton
aujourd’h u i: un rééquilibrage fonctionnel s’est instauré entre les domicile à B á õ o s/sais-tu combien/depuis ici depuis le bourg?]
langues, une meilleure adéquation de la langue same est perceptible b / Goal mo bat dal dat lea? Galhan dat lea vissa... beannot miilla
vai ...gol dat guokte miilla lea gal.
1. O n signale aussi 1’émergence rapide dans 1’hébreu fa m ilie r de mots ou locutions cforigine
c / Eambbo dat gal lea.
déictique, tels ze « ce lu i-ci », kaze « com me ceci » — com parables aux tra nsitio ns désém anti- d / Gal dat liikká lea eambbo gal.
sées des langues fenno-scandinaves que nous répertorions pa r ailleurs — , cf. I. E ven-Zohar, e / Amrnal .. ammal jo vihtta miilla gal lea dákko Deatnorái.
op. dt.., p. 244. f / 1 leat ban nu .. I DAT leat nu. Go i leat vihtta miilla
2. L’imprécision des documents concernant les Sames d ’ex-Union soviétique comme le
caractère préliminaire de nos propres enquêtes sur la presqutle de Kola nous interdit, jusqu’à
na .... Gal dat dohko .. dál dohko Nuwosii gal lea vihtta.
plus ample informe, toute comparaison sérieuse avec cette quatrième communauté. g / % (...)
3. Sur rh a rm o nisation polém ique de 1’orthographe com m une, se substituant à l ’issue d ’une
longue procédure aux tro is systèmes de tra n s c rip tio n utilisés en concurrence, et sur les trib u la -
tions de la création lexicale, présentem ent écartelée entre un purism e susceptible de conso-
lid e r 1’id e n tité panlapone et un internation alism e destiné à g a ra n tir 1’im p la n ta tio n des néolo-
gismes, on consultera « L ’u n ifica tio n de la langue lapone (sam e)», et Le jmnois des Sames bilingues,
p. 204 sq. 1. C f. no tre « E tre bilin gue en Fenno-S candie».
162 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 163

b / Combien peut-il bien y avoir? Ah oui pour sur il y a Dans le dialogue B (interview d’une stagiaire), en revanche, les Q
sans doute .... un mille et demi ou alors .... oui il y a bien et les R prennent une forme spécifique et régulière :
deux milles surement.
c / Plus il y a surement — Na leatgo oahppan?
d / Oui il y a quand m ême plus surement. — Na veha mon gal lean oahppan (rit).
e / Peut-être .. peut-être bien cinq milles oui il y a depuis ici — Na leamasgo dus ovdal oejolasvuohta (...)?
le long du Deatnu. — Eh bien as-tu appris?
f / A h non alors là .. Ah ça non alors. Puisqu’il n ’y a pas — Eh bien un peu j ’ai certes appris (rit).
cinq milles enfin .... Oui jusque là-bas .. maintenant jusque — Eh bien as-tu eu auparavant la possibilité (...)?
là-bas à N u w o s oui il y en a cinq.
g / Ah bon (...) Les Q sont introduites par le morphème interrogatif -go, 1’unique
p e n récurrente est Na qui, avec une intonation différente (í, J) peut
Dans ce dialogue, les Q, et les R apparaissent, en dépit d’une ouvrir R aussi bien que Q Cette pratique est corroborée par 1’obser-
alternance rapide, comme de simples variantes d’énoncés assertifs, vation d’un corpus individuel: les questions d’un ethnolinguiste
ce qui résulte du rôle dominant tenu par les p e n (44 pour 16 répli- « étranger» (samophone non natif), relevées dans deux dialogues
ques). Sans Finfrastructure de ces p e n , qui assurent cohésion et struc- comportant au total 119couples Q -R 1. Les questions en -go y
turation du discours, le sens de base du dialogue (objectif: 1’évalua- représentent dans 1’absolu (marqueurs individuels et combinés) plus
tion, négociée, d’une distance) serait difíicilement perceptible, malgré de 50 % du corpus. Si certains locuteurs natifs stigmatisent la mala-
la présence de multiples relateurs et lexèmes spatiaux1. L’allocuté, dresse de cette construction, le linguiste est plutôt enclin à y voir
en préalable à toute réponse, effectue une reprise personnalisée (b) 1’usage figé d’une construction fréquemment entendue. Les études
de la Q_ initiale. Ce faisant, il use d’une p e n , goal, dont la tradition modernes consacrées à 1’interlangue montrent en effet que la fré-
accompagnait volontiers 1’adverbe interrogatif dans la forme d’énon- quence d’une forme utilisée, durant son acquisition, dans la langue 2,
ciation la plus impromptue qui soit: le monologue intérieur oralisé. reflète en 1’amplifiant une tendance enregistrée par 1’apprenant2.
Cette spontanéité, livrée à 1’état brut, se traduirait dans un autre Autre observation à 1’appui de cette hypothèse : 1’emploi monoli-
environnement culturel, soit par un cri inarticulé (ou un juron), soit thique de Na, particule ouvrante, que fait ce même ethnolinguiste
par un flot de paroles incontrôlé. C ’est un jet continu de particules correspond bien à 1’usage général noté chez ses contemporains, samo-
qui échappe au vieux Same : — Goal mo bat dal dat lea? (p e n - phones natifs. Quant au « pourquoi» de cette évolution, doit-on
comment - p e n - p e n - ce - est) « Combien ça peut-il bien faire? ». considérer que cet usage uniformisé, aux possibilités d’improvisation
Quelques repliques plus loin, reprenant l’orientation locale (dakko, réduites, correspond à un nivellement des ressources de la langue
prolatif) fournie par une autre question, il s’interrogera encore : (sous 1’influence par exemple des langues germaniques, interpréta-
Goal mo bat dal lea dakko? « Combien ça peut-il bien faire en tion chère aux finno-ougristes nordiques)? Ou bien peut-on déceler
passant par là? ». Frêle témoignage sur 1’interrogation particulaire quelques symptômes de cette évolution dans le parler des anciens
dans 1’oralité same d’antan, ce degré absolu d’énonciation orale, tra- Sames? II semble que la seule différence nette entre le parler des
ditionnelle et impromptue, gardera ses secrets : les occurrences de vieillards et celui de leurs « cadets » (de 50 à 70 ans) soit d’ordre
cette particule se font rares dans les discours d’informateurs scola-
risés, et les locuteurs de moins de 40 ans s’avèrent incapables d’en possibles: ex. Goal gosa? « Ou cela?» (pour obtenir une précision), Goal mo? «Com ment
cela? » etc. Dans les monologues intérieurs de notre corpus, il apparait aussi — sorte d ’auto-
indiquer les usages2. interrogation destinée à réveiller une mémoire défaillante — sous la forme Goal aitto?
précisément) « C’était comment déjà?» ou «Voyons... ».
1. Texte intégral et analyse dans Le discours des Sames, p. 584-589. 1. Cf. Le discours des Sames, p. 343 sq.
2. Goal est dans la langue ancienne un mot interrogatif employé soit de façon autonome, 2. Cf. C. Perdue, Présentation de Langages, 1986, 84 («12acquisition du français par des
soit en renforcement d ’un autre adverbe, lorsque la question suggère plusieurs alternatives adultes immigrés : aspects psycholinguistiques»), p. 5-8.
164 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 165

scalaire : outre le caractère minoritaire plus marqué des questions gram- « Mais quoi” alors * voilàVun gars « Mais quand se présente” un gars
maticalisées, il se produit un glissement constant d’une formule à 1’autre, de la région se présente qui a beau- de la région bon connaisseur des
coup parcouru les forêtsVlui* ça/ forêts^ j kúe alors7 ouig il réussit
ex. (« Oui, c’était mon oncle. ») — Nugo dat leai? « Ah c’était comrae même1'1 par temps de pluie le feu.
oui^ mêmeApar temps de pluie il
ça? » (« Et Iw ar, c’était mon beau-frère. ») — Nu bat leai? La substitu- réussit le feu c’est sur'. Boré làVrien Quand il'” a eu son feu” , alors
tion d’une pe n à 1’autre ponctue 1’assertion de 1’interlocuteur et lui du tout7 quand lui”1son feu il (l’)a + leterrien° ne 1’éteintpasdutout1,
donne à entendre que la suite de son discours est attendue — sans eu” lui" £<y pour súr? il 1’éteint pas/ mais + (l’)emporte avec lui dans le
impatience mais avec intérêt. La situation d’oralité traditionnelle va c’est súrf jamais de la vie mêmeV sud pour qu’il y ait aussi + 1’année
+ il se (le) fourre dans la poche/il suivante du feu" à leur retour" en
de pair avec une disponibilité autant physique que psychique : ces Laponie — au cas oü ce serait une
(T) emporte dans le sud ce* feu pour
locuteurs sont des gens qui ont le temps, et pour qui la parole proférée qu’il y ait 1’année suivante/du feu"/ année pluvieuse.»
signifie la mise en relation de deux expériences, de deux visions du alors ° quand/ ils reviendront" ici*
monde, ce monde füt-il limité sur le plan humain à celui de la famille en Laponie/si c’est une année plu-
proche, sur le plan géographique aux cimes arides de la Laponie. Savoir vieuse.»
« parler », c’est aussi, dans la culture traditionnelle, savoir écouter. Dans sa version orale impromptue, ce discours se caractérise par :
Les Sames de 1’ère médiatique ont, eux, d’autres préoccupations :
confrontés à 1’urgence du sauvetage in extremis d’une langue et d’une — une structuration prosodique, marquée par la segmentation intra-
culture, ils privilégient 1’entretien dirigé et 1’assortissent de déclara- syntagmatique (c) et intraphrastique (w), de même que par la para-
tions qui, ayant massivement valeur de sondages d’opinions, en adop- taxe interphrastique (intonation suspensive (+) que 1’écrit rempla-
tent aussi la forme hâtive — d’oü une forte proportion d’énoncés inter- cera par un connecteur adversatif);
rogatifs marquês par la seule intonation. — un grand nombre d’actualisateurs, pronoms personnels à forme
Cette comparaison peut être complétée, toujours dans une pers­ orale (dat non humain (e, m, o) remplacé à 1’écrit par le pronom
pective de contrastivité interne, par celle d’un même discours énoncé humain son («', m') ou par un substantif anaphorique (o')); déic-
successivement à 1’oral et par écrit. La transcription d’une anecdote tiques : adjectifs « vagues » (c), anaphoriques (k, t), adverbe spatial
impromptue, effectuée par nous puis rédigée (/corrigée) par un jeune (devant toponyme fléchi (x), devant conjonction temporelle (z/));
informateur, nous servira à visualiser les tendances de cette rhéto- — un nombre plus grand encore de particules énonciatives, parti­
rique scripturarisée. cules interlocutives d’affirmation/confirmation (g, q, r) dont l’écrit
tend à limiter 1’emploi aux assertions afíirmatives (g'); particules
[Les « terriens» (láttánat = non-Sames) sont friands de parties thématisantes tf, p) qui renforcent 1’assertion (affirmative ou néga-
de pêche et de randonnées en montagne, mais à la moindre goutte
de pluie ils grelottent, incapables qu’ils sont d’allumer un feu de tive), et dont 1’écrit se dispense en fonction intralocutive;
camp] — un ordre des mots informatif que l’écrit neutralise [n > n');
— des constructions analytiques que 1’écrit, sous 1’influence d’une
ORAL ÉCRIT
Muhto rtuúda dath dákkárc/ báikegoddá- normativité scolaire déjà bien ancrée dans la tradition fmlandaise,
Muhto go boahtáa ollu mehciid johtánd
las boahtá gi lea ollu mehãid johtánd/ báikegoddálas, sonhan? 1 gafi' fidne synthétise: les constructions verbo-nominales dites « quasi-
dathanef gals awingeh fidne dola gal1. arvingi?h dola. Go sonm lea ozzon propositions » ( d > d ', w > w ' ) 1.
Na? i dar/mihkkige go datm lea dola dola1, de +láttán° i jáddát dan olle-
ozzon" dat° datp galq i jáddat/dan ges , muhto váldáfárrui máttás vai lea Les différences par rapport au contraste oral/écrit déjà scruté
galT i ajibeaivvisgeV sáhttá dohppetfár- boahttejahkáige + dollau sin boaòidet- dans d’autres langues de la région — et notamment en finnois —
rui lubmii/doabm máttás dar? dola vai lea tiinv' fas Sápmái — jos deaivá leat arve- consistent en ce que : 1/ la dimension interlocutive est omnipré-
boahtte jahkái/dollau/’dalkv go/bohtetw jahki.
fas deikex Sápmái/jos lea arvejahki. 1. C f. M . M . J . Fernandez, V erbo-nom inalisations et s c rip tu ra risa tio n ..., p. 182-188.
166 Particules énonciatives et tendances universelles Les P E N et 1’oralité 167

sente dans 1’énonciation orale same — cf., au début d’un discours seulement par le quantificateur initial: Manga # àr/de gãmingar/de
de type monologique, l’interrogatif maid (a) « quoi? », auquel répond ord (« Nombreux sont/les actes... »).
ultérieurement le commentaire — Na ... (pe n ouvrante (k)), traces Un príncipe de vie à visualiser sous la forme d’une figure humaine
dialogiques que l’informateur a jugé bon d’effacer dans la version « appelée » (et interpellée) par le seul jeu de quelques pe n , et 1’aisance
écrite; 2 / la cohésion interphrastique est souvent assurée à 1’oral énonciative du suédois prend le pas sur celle du français:
par un procédé iconique (dolla... dolla (u)), que l’écrit remplace par
Nabe son
une liaison logico-syntaxique (ici particulaire, -ge). gii duoòas ohcá
Pour ce qui est du fonctionnement des pe n dans le passage de amai son ii sat oainnege eará
1’oral à 1’écrit, on ne saurait négliger 1’observatoire privilégié que su. An han da
propose un espace littéraire fraichement inauguré. Avec 1’implanta- som verkligen sõker
tion de la langue unifiée dans cette société en mutation, un portrait ser vai snart inget amai
subrepticement retouché des pen nous est offert: les pen telles qu’elles Et # celui-là
se reflètent dans le miroir fidèle d’une littérature à 1’essai. Le nombre qui vraiment cherche
de samophones qui s’exercent à 1’écriture va croissant, leur oeuvre est-il # encore à même de voir # autre chose.
s’inscrit dans deux traditions: l’une, pluriséculaire et de nature exclu-
sivement orale, qui a permis à la langue same de survivre de géné- Les deux langues à tradition écrite se retrouvent à égalité devant
ration en génération, malgré la pression constante de 1’environne- un thème plus grave. Confronté aux bornes ultimes de 1’existence,
ment scandinave, dans ces régions désertiques du nord de 1’Europe; 1’énonciateur same n’hésite toujours pas à user de modulation fami-
l’autre, une tradition ébauchée il y a quelques décennies à peine lière :
et consolidée récemment par 1’adoption d’une écriture unifiée. L’oeuvre Jápmin ja riegádeapmi
poétique de N. A. Valkeapàà s’inspire directement de la pratique du Dathan leat olbmo
chant traditionnel qui, sous une forme modernisée, a fait connaitre deháleamos ássit
du grand public nordique ce fils d’éleveur de rennes. Quelques extraits Jus eallimis ii huma
de sa trilogie, et leurs traductions en suédois et en français, suffiront Ja máid ba das hupmat
à illustrer la difficulté de transfert interlingual des valeurs véhiculées dathan lea nu árgabeaiwálas
par les p e n ... lesquelles interfèrent d’emblée, dans ce contexte, avec
le poids de la tradition littéraire dans chacun des domaines culturels Les traducteurs, en revanche, choisissent la sobriété : une seule
respectifs. Ainsi, le français s’accommode d’une justification (rhéto- pe n de confirmation, respectivement dans les parties conclusive et
rique) placée dans un poème liminaire introductive, su. Dõden och fódelsen/Mãnniskans #/viktigaste stunder/(...)
det àr ju sâ alldagligt; fr. Mort et naissance/voilà bien 1’essentiel
Dathan gal leat olu pour l’hom m e//A moins de parler de la vie//M ais pourquoi # en
dat dagut parler/c’est si trivial # le quotidien1.
dat sánit...
En ira-il autrement du dialogue en prose, domaine qui est dans
Certes ils ne manquent pas 1’ensemble régi par des traditions stylistiques moins contraignantes ?
les actes
Dans la saga désormais célèbre (qualifiée de « première épopée »
les paroles
[qu’on aurait pu se dispenser/de faire/de dire...]
1. Nils-Aslak Valkeapàà, Ruoktu váimmus, Munkedal, d a t , 1985 (trad. suédoise, Viddema
pour lequel le suédois a préféré 1’implicite d’une assertion modalisée inom mig; Munkedal, d a t , 1987; trad. française, Migrante est ma demeure, Paris, u n e s c o , à paraitre).
168 Particules énonciatiues et tmdances universelles Les P E N et Voralité 169

same) de K. Paltto, les tensions d’une époque guerrière trouvent b— Dat lea... vuorddes mat vehá... dat lea nugo... dat lea «jag ãlskar
leur expression naturelle dans la formulation particulaire. du ».
d — Mun in jáhke du. Mii dat dus lea diet amas « dig», dat ii leat gal
(« II t’a menacé d’un châtiment exemplaire, si on réussissait à albma sátni (...).
te prendre, lui expliqua Sofe ») e — Go áhcci guiai su sániid, de son ii lean sat nu sihkkar ahte leigo dat
— Já vai garraseamosban, vatnalahtii Andaras. — Ma dieòánban goit «du» vai «dig». Moatte bustáva meattáhusahan sáhtii bargat gii beare.
váruhit. (...) (a — Alors comment dit-on en suédois «mun ráhkistan du» [je
faim e] ? me demanda-t-il.)
De même, quelques répliques plus loin, l’annonce d’un (nouveau) b — C ’est... attends voir un peu... c’est voyons... c’est «jag ãlskar du».
départ est atténuée par une suite d’assertions (négatives) destinées (c — Ah oui maintenant U doit le garçon un peu se tromper.
à prévenir les présuppositions (/craintes) de l’allocutaire : En suédois c ’est «jag ãlskar dig»)
d — Je ne te crois pas. Q u ’est-ce que c’est que tu as ce «dig»
— Na, ibidis munban fas vázzilan. (...) — In munban guhkás mana, bizarre [= d’oü c’est-y donc que tu le sors ce «dig»], ça c’est
de hal juo in mana gal jeòòii Andaras. pas le bon mot (...).
e— Lorsque père entendit ses paroles, (alors) il ne fut plus aussi
La traduction française parvient, non sans quelque acrobatie,
sür si c ’était «du» ou «dig». Parce qu’enfin une erreur de deux
à rendre la plupart des nuances, n’était-ce 1’épreuve du combiné : ou trois lettres ça pouvait arriver à n ’importe qui.
— Tiens donc, alors comme ça exemplaire hein, dit Andaras en
trainant sur les mots. — Eh bien, je n ’ai plus qu’à ouvrir 1’ceil Nous disposons pour ce livre de traductions publiées dans une
et le bon. (...) langue scandinave, le norvégien, et dans la langue finno-ougrienne
— Bon, je reprendrai ma route # au petit matin. (...) — Je ne voisine, le finnois, ce qui permet d’apprécier la distance entre les
m ’en vais pas loin #, ça alors non foi d’Andaras, la consola-t-il. deux groupes de langues1. Passée 1’unanimité aréale du commen-
Le finnois, langue réputée particulaire, est à peine plus à l’aise. citif ordinaire,
La traduction s’appuie sur un usage similaire des commencitifs, mais fi. a — No miten sanotaan ruotsiksi, no. a — Ma, kordan sier du pa
n’assure pas pleinement 1’encadrement des constituants mis en svensk,
emphase, — Jaa, vai kovimmalla #, et la chaine de consolation parti­
culaire est carrément interrompue par des points de suspension : les différences se manifestent sous deux form es:
— En mina, en... # # # #, lohdutti Ántaras.1 1 / 1’absence pour le norvégien de la liaison particulaire « vague »
Le premier roman, autobiographique, de J. A. Vest offre de nom- issue d’une conjonction de comparaison (VI.2.a),
breuses occasions d’argumentation dialogique autour du personnage
fi. b — Se on... odotas vãhãn... se on niinkuin... se on «jag ãlskar du»,
central, le père, personnalité dominante et controversée. La repré-
no. b — Det e... vent na litt...det e # ... dei e «jag ãlskar du»;
sentation particulaire est, dans une langue quotidienne en prise directe
sur 1’oralité ancestrale des isolats fluviaux de la vallée du Deatnu, 2 / le maniement moins souple pour le norvégien de l’adverbe-PEN
très forte. Ainsi, d’un dialogue entre père et fils modéré par la tona- là ou le finnois peut, comme le same, suffixer son enclitique
lité enfantine du souvenir: à n’importe quel syntagme (initial) long,
[Le narrateur, pensionnaire au collège, vient passer quelques
fi. e. Kun isã kuuli hanen sanansa, # hãn ei ollut enãã niin varma ettã
jours à la ferme de ses parents; son père, autodidacte enthou-
oliko se «du» vai «dig». Parin kirjaimen erehdyksenhãn saattoi tehdã kuka
siaste, en profite pour tester ses nouvelles connaissances]

1. Jovnna-Ánde Vest, Cáhcegáddai nohká boazobálggis, Kárasjohka, D aw i Media, 1988 (trad.


1. Kirsti Paltto, Guhtoset dearoan min bohccot, Munkedal, dat, 1987 (trad. fmnoise, Voijaa norvégienne Reintrakket ender ved bredden, Oslo, Aschehoug, 1989; trad. fmnoise, Poropolku samma-
minun poroni, Oulu, Pohjoinen, 1988). loituu, Oulu, Pohjoinen, 1990; trad. française, La berge des rennes déchus, à paraitre.)
170 Particules énonàatives et tendances universelles Les P E N et l ’oralité ■ 171

hyvànsâ., no. e. Da far harte det, # var han ikke lenger sã sikker pã om L’enclitique -hAn — suffixé à un pronom personnel [a, b), au
de skulle vare «du» eller «dig». Hvem som helst kunne ta feil (#) pã support négatif (a), à un verbe fini (c), à un adverbe de cohésion
et par bokstaoer (#).
interphrastique (c) —, est confirmé par cet exemple dans sa fonction
Dans ce dernier exemple, 1’influence de la tradition écrite est d’unique correspondant usuel de la série dal/dat/-han/-son du same.
perceptible : rarticulation particulaire entre proposition subordonnée Une mission polysémique que 1’usage actuel, partiellement induit
(thématique) et proposition principale (rhématique), qui existe dans par les choix pédagogiques du corps enseignant samophone, devrait
à plus ou moins brève échéance réserver à la pe n dat en same —
l’une comme dans 1’autre langue, respectivement min (voir le balan-
cement de la formule parémiotique, 11.2.6) et sã (III.2.a), a été écartée à 1’exclusion de tout libéralisme variationnel1.
du commentaire narratif. Son usage est dans les deux langues prohibé
c / Le laboratoire créole
comme « dialogique/familier » par la stylistique de l’écrit.... ce qui
n ’est pas encore le cas en same. Pidgins et créoles, en fournissant au linguiste 1’occasion d’une
La force de conviction particulaire du same trouve son plein expérience sans protocole, contredisent partiellement 1’impossibilité
emploi dans les dialogues ouvertement polémiques. Dans telle dis- avérée pour les Sciences humaines d’une expérimentation directe sur
cussion vive entre père et mère du même roman, la différence quan- la genèse même de leur objet d’étude. Notre ambition — sans adopter
titative interlinguale va du simple au double : dix pen en same, la la démarche dite « récapitulationniste » qui prétendrait voir dans
moitié à peine dans les versions norvégienne et française. la créologenèse (et dans 1’acquisition de la langue maternelle) la répé-
tition de la naissance du langage2 — se limitera au rappel de quel-
(« M on père avait sa défense toute prête. ») ques traits dominants d’oralité déjà bien répertoriés dans ces langues
a Iezahan dal álge. In dal divttege gal amas rivgu vuortuhit iezãn. de transition. Des trois tendances fondamentales que C. Hagège
a — Muhto ieshan don bahkket dohko, it astta bargat dálubargguid. (...)
c — Ferte dat gal gjdnu doaladit minge beali. Muòuihan mii áibbas duol-
propose de substituer aux concepts illusoires de « simplicité » et de
mmahat. « minimum opérationnel» — à savoir 1’économie, l’analyticité et la
motivation3 — les deux dernières au moins recoupent certaines des
a C ’est elle # quoi qui a com m encé. Je ne vais tout de même
tendances dégagées pour « nos » langues orales (V.2.b). La présomp-
pas # laisser # une Finnoise me faire la leçon.
b — Mais c’est toi # qui t’imposes, tu ne trouves pas le temps tion de balisage particulaire des procès linguistiques dans les diffé-
de t’occuper des travaux de la ferme. (...) rents créoles est d’autant plus forte que la pénétration (hâtive) de
c — II faut bien # que quelqu’un reste là pour défendre nos ces langues dans le champ (nouveau) de la communication écrite
intérêts aussi. (Parce que #) sinon on sera vite piétiné. ne semble pas se faire sans problèmes4. Les rares travaux, ponc-
no. a Det e ho sjçsl # # som begynne. PE kan da ikke la ei Jremmen tuels, dont nous avons pu avoir connaissance, quant à 1’origine pha-
jinska Jã lov til (...). b — Men det e jo du sjal som absolutt vil dit
(..). c — Nãm mã # # ta pã sa ã snakke for oss #. Ellers # kommer
vi snart helt under stavekn. 1. Ce pronostic pessimiste s’appuie sur certains observables sociolinguistiques, telles les
réactions des lecteurs/auditeurs, dans les régions méridionales de la Laponie (oü le same
n ’est déjà plus langue quotidienne) à la richesse particulaire des oeuvres citées. Un autre
Le finnois préserve, grâce à une distribution particulaire géné- chapitre intéressant que, faute d ’une documentation adéquate, nous ne traiterons pas ici,
reuse, la charge émotionnelle de l’original, mais, sur le plan mor- est celui des variations particulaires dialectales — notamment de part et d’autre des frontières
étatiques des trois Laponies: divergences pragmatico-sémantiques et condamnation réciproque
phologique, on constate 1’extrême monotonie des procédés udlisés : des « emprunts » aux langues majoritaires.
2. Voir la critique de D. Bickerton, Roots of language (Ann Arbor, Karoma, 1981) dans
fi. a — Itsehãn # aloitti. Enhàn mina nyt anna # riukun pããstã niskan C. Hagège, Uhomme de paroles, p. 33-34.
pãàlla. b — Mutta itsehãn sina tuppaudut sinne (...). c — Tdytyyhãn 3. Cf. C. Hagège, op. cit., p. 35-41, et La structure des langues, p. 119-125.
4. Cf. A. Bentolila, Langues de tradition orale et modernité : les nouvelles émergenc
nyt jonkun pitãã meidankin puolta. Muutenhan meidãt poljetaan kokonaan. de la communication en créole, Kalevala et traditions orales du monde, p. 491-502.
172 Particules énonciatives et tendances universelles

tique et déictique de certaines pen des créoles à base française et Chapitre VI


anglaise1, devraient susciter une recherche plus poussée, dans les
pidgins et les créoles mais aussi en espéranto et dans les langues
des signes, sur ces constructeurs instables et sur leurs implications
LES PARTICULES ÉNONCIATIVES
pour la morphogenèse et pour 1’évolution des langues. DANS LA DYNAMIQUE DU DISCOURS

1. Analyse processuelle

L’analyse dite interlinguale, formulation préférée aujourd’hui par


certains à celle de « contrastive », fournit 1’exemple d’une démarche
processualiste appliquée à la comparaison des langues. La linguis-
tique contrastive a vu elle aussi au cours des dernières années son
territoire s’étendre : un glissement progressif se produisant, de la
comparaison de niveaux structurels à 1’ajustement interactif entre
individus et cultures, les processus communicatifs sont considérés
comme points forts de 1’analyse. A la description de parallélismes
entre les langues se substitue une investigation de type causai: le
chercheur s’interroge aussi sur le « pourquoi», sur les raisons pour
lesquelles tel type d’énoncé a été produit par tel locuteur dans tel
type de situation1.
Le processualiste, s’il souhaite utiliser les structures pour expli-
quer les procès, emprunte aussi ses modèles hors du domaine strict
de la linguistique, par exemple dans les domaines empiriques de
la psychologie et de la psycholinguistique. Ces modèles peuvent
prendre en compte des notions d’économie, telle que 1’entropie usitée
en Théorie de l’Information2, ils peuvent avoir recours pour 1’inter-
prétation à des notions de rhétorique, tels les « points de confirma-
1. Cf. C. Lefebvre et R. Fourlnier, La particule « là » en créole haitien, Cahiers de linguis- 1. Cf. K. Sajavaara et J. Lehtonen, The analysis of cross-language communication.
tique, 1979, 9, p. 37-72; Z. Frajzyngier, On the origin of « say » and « se » as complementizers 2. Sur la néguentropie comme moteur de 1’évolution des sons, voir C. Hagège, La structure
in Black English and English-based creoles, American Speech, 1984, 59/3, p. 207-210. des langues, p. 24.
174 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 175

tion » mis en valeur par la Théorie de la Décision. Ainsi, dans un phrastique » (mrp) se propose ainsi, à partir de 1’analyse d’un corpus
texte non ambigu, les points de confirmation et les points de déci­ de conversations spontanées complété par quelques autres situations
sion coincident totalement; moins 1’écart entre ces deux lieux du discursives — dont, nous le verrons, celle du discours pédagogique ,
discours est grand, moins 1’allocutaire devra faire d’efforts. Ces signaux de répondre aux trois questions suivantes:
particuliers de confirmation que le discours insère dans la structure
— Quels sont les éléments qui peuvent servir de mrp ?
syntaxique pour délimiter les constituants énonciatifs de 1’oral cor-
— Quelles fonctions remplissent les mrp dans 1’organisation textuelle ?
respondent à une catégorie de pen : ils se situent au point d’articu-
— Quels objectifs discursifs et interactionnels vise le locuteur qui
lation entre bloc-Th et bloc-Rh, par exemple en français alors/eh
a recours à ces marqueurs de reformulation paraphrastique ?1
bien/en effet (voir VI. 2. e), en finnois niin ex. : Jos sina tulet \ niin lahden
i («Si tu viens (pen) je partirai»)1. Une conception processuelle La notion de paraphrase à laquelle on se réfère ici renvoie au
du fonctionnement des langues — prise dans le sens général oü paraphrasage contextuel et communicationnel. L’accent est mis sur
les structures syntaxiques sont, dans 1’énoncé en situation, subordon- Vactivité du locuteur qui établit une relation paraphrastique plus que
nées aux stratégies et aux processus communicatifs — est de nature sur 1’équivalence sémantique entre énoncés: c’est une « prédication
à favoriser le traitement des problèmes soulevés ici, bien que seules d'identité » qui est en jeu 2. On distingue pour 1’analyse les trois
les grammaires mises au point pour le traitement automatique du constituants de la paraphrase : fénoncé-source; fénoncé-doublon;
langage aient jusqu’ici prétendu à la caractérisation de « processuelles » le (ou les) mrp, c’est-à-dire félément qui indique la relation
au sens strict2. paraphrastique3.
Les mrp forment une sous-catégorie des connecteurs pragmati-
a /P E N et reformulation ques : apparentés en cela aux « marqueurs de fonction interactive »
et aux « marqueurs de structuration de la conversation » (msc) définis
« Reformuler le sens, c’est toujours le déplacer, le moduler en
le re-produisant, mais c’est aussi, et par le même mouvement, par le conversationnalisme genevois4, ils renvoient aux moyens par
faire comme si l’on pouvait annuler ces glissements. » lesquels le locuteur entreprend la mise en relation de ses actes verbaux.
Formuler un énoncé est une activité intentionnelle, le locuteur est
La paraphrase et les glissements de sens sont Pun des domaines responsable du résultat de son acte de formulation. L’effort que le
privilégiés d’application des théories de 1’énonciation. L’orientation locuteur doit réaliser se manifeste par certaines « traces » qu’il laisse
dominante, formelle et/ou syntaxique, de ces théories en France dans le discours — les msc et les mrp en particulier. On ne peut,
explique qu’un nombre restreint de travaux ait été consacré à 1’acti- pour 1’inventaire des mrp, partir d’une classe grammaticale ou lexi-
vité de paraphrasage dans le langage ordinaire — à la différence cale préétablie : le critère principal dldentification sera 1’existence
de ce qui est le cas pour la reformulation du texte scientifique4. d’une relation paraphrastique entre deux énoncés liés par une cer-
Les particules énonciatives émergent de publications périphériques
en marge des théories de Pargumentation et du conversationna- 1. La dcmonstration et les exemples qui suivent sont empruntés aux deux articles de
lisme genevois. L’étude des « marqueurs de reformulation para- E.Gülich et Th. Kotschi, parus la même année (1983) en allemand et en français : Partikeln
ais Paraphrasen dans Partikeln und Interaktion; Les marqueurs de la reformulation paraphras­
tique dans Connecteurs pragmatiques — auquel nous nous référerons plus précisément.
2. Cf. M. F. Mortureux, Paraphrasage et métalangage, p. 51.
1. Cité par N. E. Enkvist, qui désigne comme «m arqueur de clôturation precoce» ce 3. Notons que si les m r p constituent le moyen le plus explicite d u paraphrasage, ils n ’en
niin de bornage, Introduction à Impromptu Speech, N. E. Enkvist (éd.), p. 25. ont pas fexclusivité : des marqueurs non segmentaux interviennent, tel le parallélisme syntaxique,
2. Cf. H. Raiffa, Décision Analysis, Reading, Massachussetts, Addison-Wesley, 1968; N. Sager, la répétition du contour intonatif de Pénoncé, la réduction de la vitesse du débit, une articula-
Natural Language Information Processing. A Complete Grammar of English and its Applications, Reading, tion nette des deux syllabes qui terminent fénoncé-doublon (E. Gülich et Th. Kotschi, op.
Massachussetts, Addison-Wesley, 1981. cit, p. 309).
3. Cf. C. Fuchs, La paraphrase, p. 186. 4. Les m r p chargés, comme les m s c , de régler la continuation (« processing ») du discours,
4. Numéro 53 de Langue fianpaise consacré à « La vulgarisation » — voir bibliographie. se situent, à la différence des m s c , à un même niveau de textualisation. Voir supra III.2.c.
176 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 177

taine équivalence sémantique intradiscursive. II se dégage deux caté- b / Le piétinement syntaxique


gories de mrp : L’évolution contemporaine de la linguistique textuelle qui, partant
1 / Des expressions complexes contenant le plus souvent des verbes d’une approche grammaticale, s’oriente graduellement vers 1’investi-
ou substantifs qui renvoient au processus communicatif, parmi gation des réseaux cognitifs ou associatifs, constitue, nous 1’avons
lesquelles deux sous-groupes : a / des propositions complètes (je souligné, un indéniable progrès. Du point de vue strict de la disci­
le répète, je vais vous dire...); b / des expressions stéréotypées (c’est pline linguistique, le bilan des multiples études consacrées aujourd’hui
que, c’est-à-dire (que), autrement dit, par exemple...). à 1’oral reste toutefois mitigé : on peut s’inquiéter du faible apport
2 / Des morphèmes et des locutions traditionnellement considérés qu’elles représentent pour notre connaissance des mécanismes gram-
comme adverbes, conjonctions, interjections : a / ah, ah oui, ah maticaux de la langue parlée. Une façon de pallier cette lacune
ben, alors, bon, évidemment, enjin, hein... — éléments qui peuvent peut consister à emprunter, pour les appliquer à des corpus oraux
se combiner entre eux et former des séquences de mrp, tels que diversifiés, certames des méthodes mises au point par les rares équipes
b / alors déjà si vous voulez, eh ben alors voyez... Cette deuxième caté- de syntacticiens spécialisées dans l’étude du français parlé. Le phé-
gorie est tributaire d’équivalences sémantiques fortes, dépendantes nomène de « listing» (inventaire lexical communément appelé
du contexte. « bafouillage »), phénomène récurrent de l’oral, d’ordinaire évacué
Quant aux facteurs déterminant le choix des mrp, on remarque par les grammaires — ne jurerait-on pas qu’il échappe à toute régu-
que le choix dépend en premier lieu de 1’ordre des éléments constitu- lation syntaxique? — se prête notablement à cette confrontation1.
tifs de la paraphrase : énoncé-doublon et mrp. Les éléments mrp de Les productions de français parlé se caractérisent en effet par
la catégorie 1 sont le plus souvent antéposés. Pour la catégorie 2 on un certain nombre de régularités syntaxiques, régularités qui « peuvent
trouve trois positions : antéposition (ah, alors, bon, de toutefaçon, disons, être décrites en termes purement syntaxiques, avant de faire inter-
donc, enfait, enjin, d’accord, oui, tu sais/vous sanez...)\position intégrée (donc, venir des phénomènes d’interaction ou de rhétorique discursive. (...) On
précisément, vraiment); postposition (bon, évidemment, hein, oui, quoi, voilà...). les retrouve chez tout le monde et même dans des situations ou
Les combinaisons de plusieurs mrp sont toujours antéposées. Le choix plusieurs locuteurs participent à la production du texte. »2 De la
dépend aussi des différents types de paraphrase : certains marqueurs méthode élaborée par les chercheurs du gars (Groupe aixois de
semblent spécialisés dans la reformulation d’un énoncé-réplique, par recherche en syntaxe), dont 1’objectif ultime consiste à montrer
exemple d’a£cord, voilà, oui non mais. Par ailleurs, certains mrp sont affectés comment 1’étude de ces régularités pourrait contribuer à dégager
de préférence à une relation paraphrastique contiguè vs éloignée (c’est- une typologie des productions orales, nous ne retenons ici que les
à-dire vs donc). Pour ce qui est de la fonction générale des mrp, l’hypo- aspects pertinents pour notre propos. Cette méthode de découpage
thèse suivante a pu être posée : le mrp est plus ou moins présent dans rationnel du flux discursif, sur la base de critères non exclusifs d’un
tous les cas qui peuvent être interprétés comme paraphrases, son impor- modèle grammatical, procède en deux étapes: 1 / ramener le texte
tance est inversement proportionnelle à la netteté de 1’équivalence à des suites syntaxiquement analysables en situant certains phéno­
sémantique exprimée. Le locuteur établit, grâce à Pemploi de mrp, mènes hors de l’axe syntagmatique; 2 / délimiter, grâce à une théorie
une relation d’équivalence qui lui permettra d’orienter les processus syntaxique cohérente, les unités syntaxiques du texte. Une telle réduc-
d’interprétation de 1’allocutaire1. Formuler un texte est un processus tion à l’axe syntagmatique, généralement admise comme naturelle
de propositions successives, lesquelles propositions 1’allocutaire a tout
loisir d’accepter ou de refuser2. 1. Ce paragraphe reprend les positions de notre article «Listing et typologie contras-
tive... ». On me pardonnera de préférer au terme de « listage », recommandé par les commis-
sions de terminologie, un anglicisme déjà bien implanté dans la littérature spécialisée
1. Op. cit., p. 313, 325-326. voir aussi D. Luzzati et J. Mariani, De 1’analyse de corpus à la reconnaissance de la parole.
2. Cf. G. Antos, Grundlagen einer Theorie des Formulierens. 2. C. Blanche-Benveniste, Les régulations syntaxiques..., p. 7.
178 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 179

pour les « ratés » (répétitions dépourvues de signification apparente), — Ça été ....


n’est pas sans justiíication dans les suites énumératives, ou produites ça été un peu artificiei/
par un effort de recherche lexicale. Ces differents types de séquences et puis ça été un peu pénible
et puis c’est passé très vite
ont une caractéristique commune : les suites d’éléments alignés corres-
pondent à la réédition de plusieurs versions d’une même place syntag- Mais ça été/ça été (-(E) assez rapidej
très rapide oui.
matique. Le locuteur « piétine » en quelque sorte sur une même place
syntaxique, produisant par là même un inventaire paradigmatique, Inversement, il semble que les prises de parole publiques (ou
que l’on choisira de représenter sur un axe vertical, puisqu’il inter- ofíicielles) s’autorisent un recours prolongé à des schèmes syntaxi­
rompt provisoirement le déroulement syntagmatique (horizontal), ex. : ques répétitifs, périodes dépourvues donc de ruptures1.
— Cela me semblait la première. La « recherche de mots », considérée très généralement comme
la première priorité pour essayer de .... caractéristique de 1’oral impromptu, a certes fait l’objet d’un grand
de mintégrer. nombre d’études, sous des rubriques diverses: outre les analyses de
conversation, la paraphrase, la reformulation, différentes études spé-
Cette méthode présente, quant au repérage d’un système sous- cialisées en pathologie du langage (aphasie anomique etc.). Rares
jacent à 1’énonciation impromptue, deux avantages immédiats : d’une sont pourtant les efforts d’intégration de cette recherche de lexique
part on enregistre le type d’opération syntaxique qui est en jeu, à une analyse syntaxique, dont on peut résumer ainsi les príncipes
sans avoir à se prononcer d’emblée sur les intentions du locuteur théoríques: 1 / le listing est conçu comme un mécanisme par lequel
— encore que nous nous réservions, à la différence de ce qui a sont énumérés des éléments de même rang syntaxique, donc des
été le cas jusqu’ici dans les travaux du gars, la possibilité d’analyser syntagmes coordonnés à l’intérieur d’une construction verbale; 2 / la
au niveau 1 des phénomènes qui, du point de vue énonciatif, ne notion même de relation syntaxique est en cause, c’est-à-dire la rela-
sauraient être confondus (infra 2.b). D ’autre part, la représentation tion existant entre des « term es» construits par un verbe et qui
graphique, qui découle de 1’opération fondamentale de distinction partagent un ensemble de traits formeis syntactico-sémantiques. Pour
des deux axes (paradigmatique et syntagmatique), permet, en facili- mémoire, cette théorie distingue deux grands types d’organisation
tant la lecture — avantage non négligeable si l’on songe aux raisons syntaxique : d’une part, une organisation fondée sur le pouvoir
couramment invoquées pour justifier une marginalisation des phé­ constructeur de catégories majeures comme le verbe (qui construit
nomènes de « ratage » spontané — de dégager aussi la séquence ses sujets et compléments); d’autre part, une organisation fondée
maximale du passage. sur des schèmes syntaxiques non dominés par des catégories (ex. :
L’établissement d’une typologie discursive nécessite le recours à Génial, ce bouquin1) mais eux aussi en association avec la construc­
un nombre de textes et de situations discursives important. Cer- tion verbale. Ces deux types d’organisation s’illustrent aisément par
taines tendances ont néanmoins pu être dégagées quant au discours la distinction classique entre complément de verbe vs complément
oral1. On observe pour des types de discours « ordinaire » (conver- de phrase (ou, dans d’autres terminologies, complément verbal vs
sation et récits de vie) une alternance régulière entre a / séquences modal, valenciel vs périphérique, etc.), ex. il t’a rêpondu sincèrement
répétitives de mêmes schèmes (dispositifs) syntaxiques et b / construc-
tion autre, occurrence unique généralement, en rupture donc avec
la séquence répétitive, ex. : 1. D ’autres critères contribuent à caractériser un discours impromptu vs planifié, telle
Timportance respective des pronoms et des syntagmes nominaux (cf. C. Jeanjean, L/organisa-
tion des formes sujets en français). Les risques d ’ambiguité dus à l’inflation des proformes
sont, dans 1’oral impromptu, difíiciles à éviter, comme en témoignent diíférents effets comi-
1. Ces exemples sont extraits de notre projet contrastif d o f f in , « Discours oral franco- ques relevés dans notre corpus.
finnois», mené au l a c i t o depuis 1988. 2. Cf. J. Deulofeu, Les énoncés à constituant détaché.
180 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 181

vs sincèrement, tu as tort, dont on peut montrer que le deuxième adverbe de ce point de vue nettement à la rectification a posteriori1 —, la
porte sur rénonciation même, ne peut recevoir ni négation ni inter- construction en « bribe » apparaít ainsi comme la caractéristique de
rogation, ni être extrait. Un terme construit par un verbe est ainsi base de toute énonciation en cours d’élaboration, à 1’écrit comme
doté de trois propriétés essentielles: 1 / il est réalisable dans plu- à 1’oral.
sieurs catégories grammaticales, dont une de « proformes », et des Deux types sémantiques de listing émergent en priorité du corpus
catégories à lexique (comment, comme ça; franchement, etc.), qui ont une franco-finnois: 1 / 1’énumération additive; de multiples occurrences
relation d’équivalence : c’est une organisation paradigmatique, inexis- témoignent du rôle central pour le récit monologique de ce « piéti-
tante pour les éléments non construits; 2 / sa relation au verbe est nem ent» sur un même emplacement syntaxique (on arme à/ouBLiER
modulable, grâce à différents types de constructions (« dispositifs»); .. la maison/le travail/tout ça). On note aussi Pincertitude de 1’interpré-
3 / il reçoit les modalités (afFirmative, négative, interrogative) du verbe tation en 1’absence de marqueurs explicites : s’agit-il de lexèmes dif­
(desquelles 1’associé reste exclu — voir l’ex. de sincèrement ci-dessus). férents correspondant à des référents différents, ou à un seul et même
En conséquence, un terme construit par un verbe peut donc initier référent? Ainsi, dans — Après il est allê voir mon chef.... mon supérieur
une liste qui favorise les contrastes de modalité (II t’a parlé sincèrement disons/le le chef du du Service exportation, seule la réalisation prosodique
mais pas brutalement, etc.), contrastes auxquels ne peuvent donner lieu permet de décider, hors contexte, si le 3e syntagme nominal est une
les associés (tels puisque, quant à, vu que), ce qui rend d’autant plus reformulation des l er et 2e, ou bien une expansion mnémématique
plausible 1’existence d’une corrélation entre le domaine des éléments du pronom sujet (VI.2.Í). 2 / La recherche lexicale; au-delà de la
construits et la recherche de lexique1. simple énumération, et en deçà d’une investigation vouée à 1’inten-
Si la représentation graphique vise, en simplifiant la lecture, à tionnalité des énonciateurs, la recherche lexicale révèle certaines pro-
rattraper la « bonne linéarité » du syntagme, il ne s’agit pas d’une cédures essentielles de la construction du sens :
simplification purement arbitraire : les travaux récents de psycholin- — La synonymie, souvent approximative à 1’oral (quasi-synonymie
guistique ont montré que la perception du langage fait intervenir de Et puis avec 1’habitude/bon ben avec le temps .... on s’y fait).
un modèle correcteur. Ainsi 1’énoncé — Etje crois qu’ils dowent/bon/prre- — La précision, qui, dans le contexte particulier de 1’interlangue,
mièrement/je crois qu’ils font d..../qu’ils passent par d..../ils s’onentent tout se confond fréquemment avec 1’autocorrection, qu’il s’agisse des
de suite vers la police française/ils leur demandent le .... le casier judiciaire. récits de vie recueillis en français auprès de fennophones natifs
sera, dans la compétence naturelle du locuteur ordinaire, rectifié (Les seules mémoires que fa i de cette êpoque .. enfin souvenirs), ou bien
et « idéalisé » en «je crois qu’ils s’orientent tout de suite vers la police fran- d’entretiens suscités entre des locuteurs francophones dont la com­
çaise et demandent les casiers judiciaires», comme tendent à le prouver pétence originelle s’avère fragilisée par une longue insertion en
différents tests psycholinguistiques2. milieu finnois. Certaines occurrences permettent d’observer
Quant aux lieux d’occurrence du « bafouillage », nous avons pu Penchainement difficilement prédictible des étapes spontanées du
vérifier dans notre corpus 1’extrême fréquence de deux énoncés-bribes listing, telle la séquence
déjà repérés pour le français parlé : les bribes en amorce (répétitions
en début de syntagme) et les bribes par anticipation (J’étais toujours — C’est pas .. c’est pas vraiment/.... comment dire? .. t e h o k a s . =» C’est
pas .. ( — efficace) effic ace voilà. C’est pas cent pour cent quoi,
au .. enfin assujetti au permis de travail quoi). Par analogie avec les brouil-
lons de textes écrits — 1’ajustement en cours d’écriture s’opposant dans laquelle on a la progression : négation-hésitation > auto-
interrogation > interférence finnoise > reprise du terme standard
1. Cf. différentes publications du g a r s , notamment Recherches sur le français parlé, 1979 (1 ) suggéré par 1’interlocuteur > réappropriation (individuation expres-
et 1984 (6); C. Blanche-Benveniste et al., Pronom et syntaxe, p. 33-57.
2. Cf. D. S. Boomer et J. M. Laver, Slips of the tongue; E. Goffman, Forms of Talk,
p. 207 sq. 1. Cf. J. L. Lebrave, Lecture et analyse des brouillons.
182 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 183

sive) de la notion par substitution au terme standard d’une for- A 1’issue de cette recherche, le locuteur est tenté d’en valider
mulation familière (ponctuée par la particule quoi). (ou invalider) les résultats — par des adverbes ou particules de moda-
lisation (énonciative), enjin, oui, c 'e st s u r : p l u s R É S E R V É /p lu s su r la
L’incertitude linguistique peut aussi se traduire par des scrupules
défen sive d p l u s .... oui p lu s t im id e .
excessifs quant à 1’élimination de malentendus possibles, ex. :
Pour ce qui est de la validité de la méthode, le bilan résultant
— D’abord dons les les champs. Ensuite .... Dans les champs/oui dans/pas de 1’application à un corpus mixte (de dialogues en milieu bilingue)
dans les chants «A-a» (chante) mais dans les champs oui dans ... (-non des hypothèses et méthodes ci-dessus évoquées s’est avéré positif:
non dans l’amculture d ....) Dans l’agriculture voilà. A ramasser des patates nous avons pour le français la confirmation que, le « d it» et le « dire »
quoi! (rient).
étant moulés dans les mêmes moules syntaxiques, «le bafouillage
La confrontation de ces types variés de listing permet d’affirmer est lié à la dimension paradigmatique du langage»1.
une idée chère aux tenants d’une linguistique processuelle : le che- Quant à Faffinité posée entre les éléments construits et le bafouil­
minement lexical efíectué est un phénomène signifiant en soi, que lage, elle est vérifiée par un certain nombre de comparaisons, ainsi
ne saurait révéler la prise en compte du seul dernier terme. celles de prépositions et de conjonctions dans leurs emplois respecti-
Parmi les eíFets du listing, on mentionnera la panne lexicale, vement associés et construits, telles p o u r et c o m m e 2 : elle l ’a re .. res­
qui peut se traduire par le recours à un terme englobant « vague » se n ti d / u n p e u c o m m e /u n p e u beau cou p hein co m m e un m ilieu s n o b . Des

(ya/une façon de vivre/ya/des manières/ya des tas de choses...), mais aussi précautions d’usage qui trouveront leur plein emploi dans le jeu
par des interrogations explicites sur le remplissage lexical, voire par de 1’interlocution.
un vide lexical (comment on appelle ça?, comment dire?, je sais pas) qui,
en fonction de différents facteurs contextuels, seront interprétés ou
2. Analyse conversationnelle
non comme des appels directs à l’allocutaire. L’ignorance peut être
réelle, ou simulée à des fins variées; tel locuteur saura, en s’appuyant
a / PEN et lubrification
sur des moyens prosodiques (émission négligée mais sonore des noms
étrangers), tirer parti de 1’interruption brusque d’un listing « exo- Nous regroupons sous cette étiquette technique les notions de
tique » (1’énumération de fabriquants finlandais d’articles de sports) dilution, de délayage (stylistique), d’atténuation et de modération (inte-
pour détendre 1’atmosphère formelle d’une négociation : — Par exemple ractionnelle) qui sont apparues dans plusieurs chapitres déjà pour
Karhu/ou bien Luhta ou je ne sais quoi! (cous rient). décrire les procédures propres à 1’expression orale (V.3 notamment),
L’ignorance manifestée par je sais pas jouxte couramment 1’emploi et que de nombreux linguistes rattachent aujourd’hui au « vague »
« parüculaire » d’un tel syntagme. L’exemple suivant présente 1’intérêt de la parole impromptue. Une idée similaire était promue dès les
d’utiliser dans des énoncés contigus les deux variantes énonciatives années 70 sous le terme de «hedge» : G. LakofF entendait par là « les
de cette locution particule énonciative, puis énoncé négatif intro- mots dont la fonction est de rendre les choses plus obscures ou
ducteur d’une proposition interrogative : — et ça m’cwait déjà donné plus claires»3 — nous utilisons pour ces derniers le mot de « ren-
quand même une .. une idée/je sais pas/quelque chose de France. Et je ne forcement», réservant « atténuation » aux mots, expressions et énoncés
sais pas si c’est à/à cause de ça que j ’ai choisi. Les variantes sont ici
distinguées par leur réalisation phonétique (tempo, articulation) avec 1. C. Blanche-Benveniste, Syntaxe, choix de lexique et lieux de bafouillage, p. 151.
2. Cette confirmation d ’une tendance n ’exclut pas (nous travaillons sur des langues natu-
d’autant plus de netteté qu’il s’agit d’un énoncé d’interlangue. La relles!) que des contre-exemples puissent être relevés : d o n c d / c o m m e p a i d ü q u i tt e r / c o m m e d
distinction est généralement moins perceptible chez les locuteurs fran- b o n c ’é ta it u n c h o ix d è s le d i p a r t j e s a i s ...

3. Cf. G. Lakoff, H edges: a study in meaning criteria and the logic of fuzzy concepts,
cophones, encore que la prosodie puisse être facteur de désambi- p. 234. L’angl. hedge a le sens concret de « haie, barrière », d ’oü le verbe to hedge « se couvrir,
güation. éviter de se compromettre » — cf. The Concise Oxford Didionary.
184 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 185

qui contiennent un sens d’indétermination. Le terme d’ « adoucis- En finnois, peuvent fonctionner comme « atténuateurs» de nom-
sant» utílisé par ailleurs (so fte n e r ') décrit bien la fonction de ces breuses expressions allant de mots individuels à des phrases et énoncés
mots dans 1’interacüon : grâce à eux, le locuteur atténue en les diluant longs1. Exemples caractéristiques: les adverbes d’intensité (a ik a
les effets de son message. Les atténuations sont monnaie courante « assez », m elko « plutôt », la h es « presque »; ih a n « tout à fait» dans
dans la conversation quotidienne, ex. [discussion entre jeunes femmes le parler contemporain), ex. — e t k y l m a tied ã n ih a n /T U T ta v is ta n ik i ...
sur un roman contemporain] : « ah ça je le sais bien, même sur mes a m i s aussi»; les adjectifs
mais/de mon point de vue c’était terriblement rêel parce que fa i .. il me démonstratifs tels sellan en , ta lla n e n « un tel, un de telle sorte, un ...
semble que/les gens au fond éprouvent ce geme de chose s’ils sont un peu comme ça » et les pronoms indéfinis jo k u , j o t a i n « quelqu’un, quelque
an ../peut-être un peu enfin/anormaux en quelque sorte/mais bon... chose », ex. :
L’atténuation a donné lieu à 1’établissement de sous-catégories, — niin tai sill+ei ollu mitãã/niinku esimerkiks jotain kunnon sellast/AUK-
en fonction de 1’objet vise par la dilution de 1’énoncé. 1 / L’atténua- toriteettii tai jotai. => Et mitã lapsi TARvii.
« oui ou elle avait aucune, enfin par exemple une sorte de vraie,
teur peut se trouver à 1’intérieur de la proposition exprimée, il sera
autorité ou autre. => Ce dont 1’enfant a besoin . »
alors dénommé « approximateur » (angl. a p p r o x im a to r )2, ex. un p e u ,
p e u t-ê tre , en q u elqu e so rte dans 1’exemple ci-dessus. Dans 1’expression « Protectrices » sont souvent les expressions modales (« peut-être »,
un p e u a n o rm a u x , 1’atténuation a pour objet le concept d’ « anorma- « vraiment », « sürement », « probablement», « du moins », « seule-
lité ». Du point de vue du locuteur, 1’anormalité n ’est pas ici totale m en t», « autrement»), les locutions (« à mon avis », « il me semble »,
ni prototypique, et il utilise l’atténuation pour adapter le concept «je ne sais pas ») et les énoncés longs par lesquels 1’énonciateur
au contexte. Autrement dit, 1’atténuation relativise une partie de exprime des réserves quant à la vérité, la pertinence ou la clarté
la proposition, c’est-à-dire celle que l’on prédique à propos du sn de la proposition. Protectrices peuvent être aussi les reformulations
générique (les g e n s). 2 / Un autre groupe d’atténuateurs est formé par lesquelles le locuteur s’autocorrige ou précise sa pensée, certains
des « protecteurs » (angl. sh ields) : 1’élément obscur intervient dans traits non verbaux (rire, intonation, pauses).
la relation créée entre le contenu propre de 1’énoncé et 1’énoncia- Les pe n de 1’oral — n iin k u (n ) « en somme », sille e « en quelque
teur, c’est-à-dire dans la façon dont 1’énonciateur situe sa proposi­ sorte », jo te n k i(n ) « d’une certaine façon », ta v a lla a n « en un sens »
tion par rapport à la vérité. Dans 1’exemple ci-dessus, sont « protec­ peuvent faire fonction d’approximateurs aussi bien que de protec­
teurs » : f a i .. i l m e se m b le que, p e u t-ê tre . L’énonciateur manifeste grâce teurs, car leur sens est difficile à cerner et leur incidence relative-
à eux qu’il rapporte entièrement la proposition à la vérité; soit il ment fluctuante2. Ces pe n orales sont, en finnois comme dans
est incertain de ce qu’il dit, soit il désire donner 1’impression de d’autres langues, fréquentes dans la conversation. Les modes d’atté-
cette incertitude. Les deux catégories d’atténuateurs, « approxima- nuation varient notamment selon 1’âge et les individus : niirtku « enfin,
teurs » et « protecteurs », interviennent souvent conjointement dans en somme » s’avère par exemple être un trait caractéristique du
un même énoncé — comme dans 1’exemple cité — ce qui renforce langage des jeunes. Chez un seul et même locuteur, le nombre et
1’impression de circonspection de la stratégie énonciative3. Les pro- la nature des pe n varient selon les situations: 1’atténuation sera
cédés usuels du finnois parlé ont été étudiés dans cette perspective.
1. Ces considérations s’inspirent de nos échanges de vue avec A. Hakulinen et les membres
de son groupe de recherche (Helsinki). Les exemples sont empruntés au chapitre « Varaukset»
1. Cf. D. Crystal and D. Davy, Advanced Conversational English, London, Longman, 1975. (Les réserves) de l’ouvrage collectif Suomalaisen keskustelun keinoja (A. Hakulinen, éd., p. 118-123),
2. C f E. Prince, J. Fraser, C. Bosk, On hedging in physician-physician discourse, Lznguistics simplifiés et adaptés à notre propre système de transcription.
and the Professions, R. J. di Pietro (éd.), Norwood, Ablex, Coll. Advances in Discourse Processes, 2. La notion d’incidence est généralement rattachée à difFérentes « opérateurs», notam­
8, 1982, p. 85-86. ment de négation et d ’interrogation, cf. I. Vuoriniemi, Konnektorit tekstin strukturoijina, Virit-
3. C f E. Prince et ai, op. cit, p. 85. tãjã, 1976, 80, p. 192-215. Sur les rôles respectifs des pen et de 1’intonation, voir VIII.3.
186 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 187

difFérente dans le discours impromptu et dans un discours public La fonction de niinku est moins évidente d an s:
préparé.
— Süs tavallaa siis kuvataan niinku/siin+on koko qjan puhutaa h à n muo-
La notion même d’atténuation est problématique : les expres- dossa. Tai niinku sillee et siin niinku tavallaa tulee niinku
sions utilisées pour la signifier ont aussi d’autres fonctions dans la « Enfin d’une certaine façon enfin on représente une sorte d e/
phrase. Dans la tradition fennistique, les expressions d’atténuation, on y parle tout le temps à la troisième personne. Ou enfin de
en particulier les p e n (niinku, sille, jotenkin ...) et les locutions étaient sorte que enfin d’une certaine façon il y ait une sorte de. »
considérées comme des « ajouts de remplissage ». Décrites comme
Chacun des deux niinku finaux (soulignés) est suivi d’une pause;
« détachées » syntaxiquement et sémantiquement du reste du cotexte,
après la pause, le locuteur change de projet et commence un nouvel
ces « pauses remplies» ressortissent au processus de planification de
ensemble syntaxique. Niinku(n) se rattache au processus de planifica­
la parole1. Pourtant la « réservation du tour de parole » ne corres-
tion, il indique que le locuteur a 1’intention de poursuivre, son empla-
pond qu’à une faible proportion des emplois de p e n . N o u s pren-
cement n’est pas ici non plus fortuit: la p e n est placée après le
drons ici 1’exemple de niinku(n), dont les fonctions sont en finnois
verbe, les allocutaires attendent un complément supposé délivrer le
contemporain très diversifiées. Soit le dialogue suivant:
message essentiel. La brusque interruption de la construction
(A — C ’est sans queue ni tête cette histoire!) syntaxique elle-même incite les allocutaires à attendre paisiblement
B Má luin sitã/ARKkienkeli Oulussa m. Siin+on HiRveen nákyvã la suite : le remplissage de la pause n’étant pas indispensable, niinku
kaikkitietávã kertoja moninen kertoja. Osan aikaa. Joka antaa niinku siitã
[Leenasta] tietynlaisen kuvan ja sit+osan aikaa siin+on niinku leeiw
est chargé d’atténuer 1’impression de brutalité produite par cette
ker-/siis tavallaa süs kuvataan niinku (...). Ku se Ajatteleejotain sellasia aja- interruption.
tuksia/niinku Todella niinku fiksuja juttuja. En résumé, la particule niinku(n) apparait souvent au début d’un
«J’ai lu ça, archange à Oulu oui. II y a un conteur terrible- ajout destiné à exprimer un changement dans la planification ou
ment visible au courant de tout un conteur ironique . Une partie une correction. La p e n niinku(n) joue en finnois moderne deux rôles
du temps. Qui donne d’elle [Leena] une certaine image et puis principaux — de liaison textuelle d’une part, d’atténuation interac-
une partie du temps il y a niinku{pen ) leena qui rac-/quoi(PEN)
en un sens quoi(PEN) on montre niinku (pen ) (...). Quand elle pense tionnelle d’autre part — qu’il n’est pas facile de distinguer l’un de
quelque chose des pensées comme çà/mmkupEH) vraiment niinku 1’autre. « II s’agit en tous cas d’une partie intégrante de la syntaxe
(pen ) des trucs chouettes. » de la parole, et non pas d’un ajout sans attaches avec 1’énoncé. »'
Au début, B essaie d’expliquer un point de vue déjà exprime
Avec 1’expansion récente du conversationnalisme, ces « marqueurs
mais que les autres n’ont pas compris. Elle commence sur un ton
de vague » ont attiré aussi 1’attention des usagers et des analystes
plein d’assurance, avec une certaine fougue; peu à peu les marques
de langues scandinaves, en Suède en particulier. Un article de presse
de précaution apparaissent de plus en plus nombreuses et le dernier
suédois rapporte 1’extrait d’interview suivant:
énoncé (« Peut-être que c’est pas tout à fait pareil au fond ») remet
en cause la pertinence de 1’ensemble de la réplique. Niinku fonc- — Pa sâ sãtt tycker jag anda att jag nãnstans haft nytta av mina erfaren-
tionne au début comme atténuateur (les deux premiers, devant un heter. Det ger liksom klarhet i livet som hjálper en manga gânger.
s n ). La position du niinku atténuateur, devant le verbe ou le s n qui
— Hurdâ? — Ja, det ar ju pâ nâgot sãtt anda lãttare att forstã det som
hánder, tycker jag, och det ár ju nãnstans anda viktigt.
véhicule rinformation nouvelle, n’est nullement fortuite : son envi- « D e cette façon je trouve quand m ême que j ’ai quelque part
ronnement le plus usuel est la partie-rhème. tiré parti de mes expériences. Ça donne en quelque sorte une
clarté dans la vie qui aide bien des fois. — Com m ent ça?
1. Cf. R. Vuorinen, Puhekielen táytelisãkkeistà, fCirjoituksia puhekiekstd, Turun puhekielen pro-
jektin julkaisuja, 1, M. K. Suojanen (éd.), Turku, Turun yliopisto, coll. Turun yliopiston suoma-
laisen ja yleisen kielitieteen laitoksen julkaisuja, 14, 1981, p. 43-58. 1. Cf. A. Hakulinen (éd.), op. cit., p. 122.
188 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 189

— Eh bien, c’est vrai que d’une certaine façon c’est quand même d’un concept1, de même que pour susciter (/maintenir), par une réfé-
plus facile de comprendre ce qui se passe, je trouve, et c’est vrai rence commune, un sentiment de solidarité2. Opérateur d’ancrage
que quelque part c’est quand même important. » implicite, liksom est caractéristique des situations de conversation infor-
L’interviewé y emploie un certain nombre d’expressions [pâ sâ melle : il peut se paraphraser « représente-toi/imagine-toi ça».
sdtt/nãnstans/liksom/pâ nâgot sãtt, «de cette façon/quelque part/en Les marqueurs de « vague », variantes de liksom, peuvent se classer
quelque sorte/d’une certaine façon ») qui sont dénoncées par la jour- selon différents critères: degré d’investissement dans les valeurs de
naliste comme inutilement vagues : il s’agit d’une langue « relâchée », solidarité/camaraderie, facteurs sociaux, stylistique psychologique (c’est-
peu claire et peu engageante, et qui apparait en outre comme pré- à-dire personnalité, oral/écrit, âge, sexe, classe sociale). Les plus cou-
tentieuse puisqu’elle se donne 1’apparence d’une langue profonde, rants sont pâ nagot (nât) sãtt (« en quelque façon ») et ses variantes
bien réíléchie1. (« à sa façon » ...), ou encore la variante double pâ sãtt och vis, litt.
Certains de ces mots et expressions sont néanmoins très cou- « de façon et sorte », ex. : Det var pâ satt och vis lite trist (« C ’était
rants: dans un corpus varié étudié par K. Aijmer, liksom « en quelque en un sens un peu dommage »).
sorte, en somme » apparait, sur 500 000 mots, 600 fois2. Liksom peut Autre type de marqueurs de vague courants en suédois, ceux
ètre introduit dans n’importe quelle position, et il n’existe pas de qui apparaissent en fin d’énoncé, sorte de « suspension/continua-
restrictions quant au nombre d’occurrences au sein d’un même tion » le plus souvent introduite par och/â « et » ou eller « ou » : och
énoncé. Sa distribution peut s’illustrer de 1’exemple suivant: Sâ jag sâ dãr « et comme ça, et ainsi de suite » och sânt dãr (« et des choses
âkte i vãg till akuten â satt dar och vãntade liksom. (« Alors je suis parti aux comme ça »); eller nât (« ou quelque chose, ou autre »), eller nât sânt
urgences et je suis resté là à attendre en somme »). Liksom peut dãr (« ou quelque chose comme ça »). Le suspenseur se réfère à un
s’insérer entre tous les constituants de cet énoncé, les seules posi- ensemble, que l’on peut définir en énumérant la totalité des membres
tions inacceptables semblant être situées après la pen d’ouverture qui le constituent, mais que le locuteur peut aussi choisir de caracté-
et entre la préposition directive et le lieu régi. Liksom focalise un riser en extrayant une unité représentative. Le type de référence
élément précis de la phrase qui soit le suit/soit le précède — ce est déterminé par le choix de la construction : le suspenseur en och-
que parfois seule la prosodie permet de déceler. Liksom est décrit signale à 1’auditeur qu’il doit ajouter les autres membres de 1’ensemble,
dans le Grand dictionnaire de 1’Académie suédoise (saob, II, 2, 3) c’est-à-dire compléter ce qui n’est pas dit explicitement; en termes
comme une conjonction exprimant la comparaison, ou comme un de « théorie des ensembles », le suspenseur en eller- extrait (au moins)
adverbial qui indique que le mot qu’il modifie est à prendre dans un membre alternatif de (tout) 1’ensemble qui pourrait remplacer
un sens autre que littéral. le constituant focalisé. L’appel au cadre référentiel et cognitif commun
Certains emplois du mot s’expliquent par les règles conversa- est d’autant plus créateur de « solidarité » que ces deux suspenseurs
tionnelles : avec liksom, le locuteur décline toute responsabilité quant ont une fonction pragmatique : d’exemplificateur (och-)] d’opérateur
à son assertion. Opérateur modal, liksom exprime 1’attitude du locu­ d’incertitude (ellerj. Le recours au suspenseur peut être une façon
teur ou atténue 1’efFet d’un acte de langage (jugement...). C’est souvent de clôturer ou d’abréger une énumération ou « liste » si le locuteur
la forme niée du verbe qui est modifiée par cette atténuation, et ne peut/ou ne veut pas être explicite, ex. hon lãser tyska och jranska
on note les collocations courantes «jag kãnner/jag tycker/jag tdnker liksom » och allt sânt (« Elle étudie 1’allemand et le français et ainsi de suite »
(«j ’ai le sentiment/je trouve/je pense en quelque sorte »). Mot « adap- — litt. «tout te l») — cf. VI. 1.b.
tateur », liksom peut être utile pour élargir implicitement 1’acception
1. Cf. J. L. Austin, Sense and sensibilia, London, Oxford University Press, 1962.
2. Les expressions de ce type, destinées à faire appel à Ia solidarité et à la coopération,
1. Cf. Monica Boéthius, « Det dunkelt sagda», Vi, 1985, 41. ont également été surnommées en anglais «cajolers» (littéralement, expressions destinées à
2. Cf. K. Aijmer, Vad man ej klart kan saga — om vaghetsmarkòrer. berner quelqu’un) — cf W. Edmonson et J. House, Let’s Talk and Talk about it, p. 63.
190 Particules ênonáatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 191

En résumé, les opérateurs de vague ont ceei en commun qu’ils tifs). En effet, si le domaine des questions est déjà relativement bien
influencent le fonctionnement lexico-sémantique des mots qu’ils déter- étudié de certains points de vue — Q, en relation avec les concepts
minent mais d’autres fonctions, en apparence secondaires, peuvent d’épistémicité et de modalité, contour intonatif caractéristique de 1’inter-
se développer et devenir dominantes. L’attitude de « réserve » ne rogation dans certaines langues (dont 1’anglais et le français) —, la
correspond pas toujours à une incertitude de la part du locuteur. catégorie étudiée est toujours déterminée au préalable selon des cri-
Parmi les facteurs explicatifs, on trouve le souci de politesse1, de tères grammaticaux. Or la question n’est qu’une manifestation spéci-
respect du partenaire, d’informalité. Dans certaines situations, les fique du comportement humain, à laquelle le « préjugé de 1’écrit»
règles conversationnelles sont mises en concurrence — souci de (1.2.) a conféré un statut particulier dans la description linguistique,
ménager 1’auditoire sans négliger 1’objectif d’exactitude, dans un entre- sur la base d’une structure segmentale ou de sa représentation écrite
tien radiophonique par exemple2 — , exigences contradictoires qui (« ? »). II faut, pour traiter du phénomène global de Pinterrogation,
accentuent, dans un discours non planifié, la tendance des pen à mettre en rapport chaque question particulière avec sa situation, son
s’accumuler. objectif, 1’effet qui en résulte — facteurs qui déterminent si un énoncé
doit être interprété comme question ou non1.
b / PEN et interrogation On repère parmi les pen de Solf une sous-classe de « particules
Nous avons vu, avec 1’exemple du same, quel rôle essentiel jouent interrogatives». Elles constituent une classe prototypique d’éléments
les particules dans la construction de Pinterrogation, mais combien qui, n’étant pas définissables en termes lexicaux, mais en termes
fluctuante est, dans les langues à tradition orale (voir aussi le basque, de traits syntaxiques/sémantiques/pragmatiques — dont aucun n’est
les langues australiennes), la frontière entre particules énonciatives par lui-même nécessaire ou suffisant — , défient toute tentative de
et particules grammaticalisées. rangement dans Pun des casiers traditionnels de la grammaire. Encore
Nous prendrons ici, dans la même aire linguistique, un autre que le domaine concerné puisse être assimilé à celui des « directifs »,
exemple de langue « orale », variante dialectale d’une langue normée. c’est ici une approche scalaire qui est retenue, incluant différents
La thèse de doctorat de Pun des spécialistes nordiques de Pénoncia- degrés de confirmation de demande (explicite/implicite). On consi-
tion particulaire, J. O. Ostman, est précisément consacrée aux parti­ dère une échelle de demande d’information à deux pôles. 1 / A
cules interrogatives dans le dialecte de Solf, dialecte suédois de Fin- Pun des pôles, on a la catégorie de « Requête explicite d’informa-
lande parlé sur la côte ostrobotnienne, au sud de la ville de Vasa3. tion nouvelle » : le locuteur souhaite savoir quelque chose qu’il ignore.
Au-delà de son objectif empirique — éclairer un aspect de la gram- Les questions en qu- sont plus proches de ce pôle que les Q, en
maire du dialecte de Solf, la formation des questions — , cette étude oui/non. 2 / La Q est proche de Passertion ordinaire : la demande
vise à illustrer Pun des modes d’interaction entre langue et culture. de confirmation est un point discret au milieu de Péchelle, exempli-
La méthode consiste à appliquer différents modèles, sans allégeance fiée par les «tags» (Q_ caudales, etc.), ou, à Pautre pôle, par une
irrévocable à une théorie particulière. Les principales définitions géné- locution particulaire telle you know (requête implicite — III.2.a).
ralement acceptées des questions y sont contestées: définition Demande implicite Demande de Demande explicite
syntaxique (question liée à 1’assertion par une relation nette), séman- d’acceptation confirmation d’information nouvelle
tique (interrogations, par opposition aux énoncés assertifs et jussifs), d’un énoncé
pragmatique (les questions seraient une sous-classe des énoncés direc- X ______________ X ______________ X
you know «tags» oui/non Q_ en qu-
1. Voir la théorie des «faces», P. Brown et S. C. Levinson, Politeness. Some Universais in Relation entre demandes implicites/explicites sur une échelle graduelle
Language Use, p. 145-146, et II. 1.e supra.
2. Cf. K. Aijmer, op. cit., p. 115-117.
3. J. O. Ostman, Pragmatics as Implicitness, Berkeley, 1986. 1. Cf. J. O. Õstman, op. cit., p. 4-5.
192 Particules énonciatives et tendances unwerselles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 193

Aucune définition a priori de la question n’est fournie, bien que [—J ’ai mis du sucre? — Mets-en plus!]
l’on puisse montrer que certaines des p e n de Solf équivalent à des — A ja lakt da
«J’en ai mis alors?»
particules interrogatives grammaticalisées. Rappelons que la forma-
tíon des questions en suédois standard est similaire à celle du fran- Les particules ta et da se placent toutes deux en finale pour
çais : pour les Q_ en oui/non, on a «inversion» du sujet et du verbe marquer une interrogation ou une requête, leur origine est commune
fini; dans les Q_en qu-, le constituant sur lequel porte le questionne- (vieux suédois pa), mais chacune a développé des présuppositions
ment passe (sous la forme d’un interrogatif) en première posidon, spécifiques qui introduisent des restrictions sur leur contexte perti-
il est suivi de 1’inversion du sujet et du verbe. De plus, le suédois nent. Leur fonction interrogative est nettement différenciée : da, pro-
peut avoir recours à la variation de la courbe intonative pour indi- sodiquement clitisée, focalise dans Finterrogation 1’élément sur lequel
quer que 1’énoncé est une question plutôt qu’une assertion. Pour il s’appuie; tã, qui peut être accentué, indique que 1’ensemble de
cette variante dialectale de suédois comme pour nos dialogues sames, 1’énoncé qu’il ponctue est une Q. Les réponses impliquées respecti-
les chiffres sont significatifs : sur 643 exemples de « demandes », 122 vement par chacune des deux particules ne sont pas interchangea­
sont des Q ,en oui/non pures et 85 des Q e n qu- pures, 207 énoncés bles : après tã, on attend plutôt une R afíirmative, après da (c’est-à-
au total, soit 32,1 % du nombre total d’énoncés — auxquelles il dire après une Q rhétorique) une R négative.
faut ajouter 25 Q, marquées par la seule prosodie (= 36 %). On On constate que toute demande d’information tend, dans le dia­
constate donc qu’un tiers seulement des Q/demandes ressortissent lecte de Solf, à contenir une ou plusieurs p e n , lesquelles occupent
au schéma canonique officiel. souvent une position finale. Cette position distingue d’un point de
Quatre particules ont été sélectionnées pour 1’analyse, qui sem- vue distributionnel les p e n interrogatives des p e n de probabilité, qui
blent couvrir une large échelle correspondant à la figure ci-dessus : tendent à se placer après le verbe fini, et des p e n d’emphase, qui
ta da ela na. Non interchangeables, elles seront désignées ci-dessous se placent à 1’initiale1. Le dialecte de Solf, comme d’autres langues
comme « particules interrogatives » (ce qui est une simplification). orales, use des p e n en co-occurrence avec d’autres procédés de for-
Pour ce qui est du suédois standard, les p e n de probabilité épisté- mation de Q,(telle 1’inversion de 1’ordre des mots). Dans quelle mesure
mique (mg, vai) et de pertinence (ju) ont déjà donné lieu à un certain les particules de Q. en Solf constituent-elles un système syntactico-
nombre d’études (III.2.a). Les p e n d’interrogation ne sont pas recon- sémantique ? Bien qu’aucune de ces particules ne soit complètement
nues comme telles, trois d’entre elles ayant des homonymes au sens grammaticalisée, certains traits systémiques peuvent être dégagés :
lexico-sémantique précis : conjonction disjonctive ela « ou », lexème certaines des particules portent sur un constituant unique, d autres
na « quelque chose », adverbe-conjonction ta « quand, alors ». tendent à avoir incidence à 1’ensemble de 1’énoncé.
Les fonctions de la particule da du suédois standard — conjonc­ Si nous comparons les sens des p e n interrogatives dans un
tion de temps « quand, alors que » /adverbe de temps « alors » / p e n ensemble de paires minimales, nous pouvons mettre ces sens en
démarcative — se répartissent dans le dialecte de Solf entre deux rapport avec les points de l’échelle de la figure ci-dessus, p. 191, ex .:
particules : ta et da. La p e n ta conserve, dans certains emplois, quelque
chose de sa valeur temporelle; elle fonctionne en fin d’énoncé comme «Est-ce que Kalle a frappé Ville?»
A Kalle sleiji Ville?
particule interrogative (demande de confirmation, ou d’information ____________ a. da? b. tã? c. ela? d. na?
complémentaire). Le sens principal de da, particule interrogative en
position finale, consiste à suggérer que ce qui est dit est contraire, On notera toutefois que cette échelle étant progressive, les p e n
opposé, ou en contraste avec le contexte verbal précédent (ou le interrogatives couvrent tout le champ de 1’interrogation jusqu aux
contexte situationnel non verbal), en particulier dans les questions
en oui/non, ex. : 1. Cf. J. O. Ostman, op. át., p. 50-76.
194 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 195

Q. en qu-, Les énoncés en da peuvent être placés à droite de 1’échelle, pen du dialecte de Solf sont-elles fonctionnellement plus proches
puisque dâ peut introduire un Th nouveau; ta ne s’utilise que pour de celles du suédois ou de celles du finnois?
une demande de confirmation. L’énoncé en ela (« ou bien »), proche Considérons la formation des questions en finnois: 1 / les ques­
d’une Q en qu-, sera placé au milieu de l’échelle, au point de tions en qu- se forment de la même façon qu’en suédois (et en fran-
« demande de confirmation », entre ta et da. En résumé, les demandes çais), mais il n’y a pas dtinversion en finnois; 2 / pour les questions
dtinformation et de confirmation tendent, dans le dialecte de Solf, en oui/non, le finnois utilise la p e n interrogative -kO après le posi-
à utiliser des p e n , une Q. peut toujours être formée sans elles. Les tionnement initial du constituant sur lequel porte la Q.
particules interrogatives de Solf devront être considérées non seule- L’intonation finnoise est habituellement décrite comme très mono­
ment en tant que classe de particules en voie de grammaticalisation, mais tone (début de la phrase légèrement plus haut que la fin). Llntona-
aussi en tant que sous-classe particulière de la classe des p e n . tion expressive de la Q, est obtenue en remontant le niveau des
Lorsque c’est le contenu propositionnel de 1’énoncé qui importe, premiers éléments, ou 1’ensemble de la courbe intonative de quel-
les p e n risquent de faire obstacle au transfert d’information : elles ques dixièmes de hertz. Du point de vue structurel, la p e n interro­
s’effacent lorsque le locuteur répète lui-même sa question pour la gative du finnois s’attache à 1’élément initial, tandis que la p e n de
rendre plus aisément compréhensible ( à un destinataire inattentif Solf est un élément final, ce qui écarte 1’éventualité d’un calque
ou non locuteur natif de Solf). La p e n disparait aussi si la Q est mot à mot. On remarque toutefois, entre les deux types de ques­
répétée par une tierce personne à 1’intention du même destinataire, tion, certaines similitudes de formation.
ce qui prouve bien que les p e n , n’obéissant pas à des règles totale- 1 / En finnois, -kO n’est pas la seule particule interrogative uti-
ment inconscientes, doivent être traitées en priorité au niveau lisée, la p e n de pertinence -hAn joue aussi ce rôle, en particulier
énonciatif1. dans les constructions génériques et indéfinies, ex.1 :
Un chapitre complémentaire abordé dans cette étude est la ques­ — Poimitaanhan syksyllã marjoja?
tion des influences aréales susceptibles d’expliquer le comportement des être cueilli(passif)-Ãa« automne-à baies(part. plur.)
p e n interrogatives dans le dialecte de Solf. Ltinfluence pluriséculaire «Les baies se ramassent à 1’automne, non?»
du finnois sur les dialectes suédois de Finlande se limite-t-elle à la
prosodie (effacement de la distinction ton/accent tonique préservée 2 / La particule interrogative grammaticalisée, -kO, limitée en prín­
en suédois standard, schéma intonatif monotone)? cipe aux questions en oui/non, peut aussi s’employer avec un mot
Différents travaux visent à prouver les similitudes fonctionnelles interrogatif en qu-, ex. :
existant entre certains aspects de la prosodie et les particules énon­ — Missako se Kalle nyt taas on?
ciatives — voir VIII.3. La comparaison translinguale peut être appli- ou-ko ce/le Kalle maintenant de nouveau est
quée au cas de Solf: le suédois forme ses questions en oui/non sans « Ou est-il ce Kalle encore une fois ? »
p e n , et peut faire usage de la seule intonation à des fins grammati-
La particule («inutile ») rend la d quelque peu rhétorique, signa-
cales. Le finnois use par contre de deux p e n enclitiques pour
lant par là qu’une R propositionnelle, encore qu’acceptable, n’est
exprimer les questions et les demandes de confirmation : la particule
pas attendue. La réponse (/réaction) la plus naturelle sera du type :
interrogative grammaticalisée -kO, et la p e n de pertinence -hAn. Or
«Ah, les garçons c’est ça! ». On note dans ce cas précis la similitude
le finnois évite 1’utilisation de 1’intonation à des fins purement gram-
de fonctionnement entre particule interrogative et p e n .
maticales. La question qui se pose est double : 1 / le développement
La situation du dialecte de Solf est comparable à celle du finnois,
de p e n interrogatives à Solf est-il du à 1’influence du finnois? 2 / les

1. J. O. Ostman, Pragmatks as Implkitmss, p. 100-101. 1. Cf. A. Hakulinen, Reports on Text Linguistics..., p. 55.
196 Particules énonciatiues et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 197

mais la grammaticalisation des particules est à un stade moins avancé : vasti, varmaankin («probablement»)1. Le choix de ces éléments de
le -kO grammaticalement conditionné du finnois n’exclut pas des modulation est ici, encore plus que dans les langues non (ou peu)
emplois pragmatiques; les p e n pragmatiquement conditionnées de particulaires, une question de stratégie.
Solf remplissent parfois des fonctions grammaticales. En somme, les
données n ’excluent pas la possibilité d’une influence du finnois sur c / PEN e t p ro g re s sio n th é m a tiq u e
la formation des questions dans le dialecte de Solf, encore que cer-
Rappelons les príncipes de base sur lesquels nous fondons notre
tains faits plaident là contre (positionnement différent des particules
analyse en constituants énonciatifs.
interrogatives, marquage grammatical des Q_ partielles en finnois...).
1 / De la triple organisation de 1’énoncé adoptée par des théori-
L’hétérogénéité de fonctionnement des particules enclitiques du ciens divers, de Pierce et Morris à G. Lazard et C. Hagège en passant
finnois intrigue depuis peu les linguistes finlandais. Au fil des analyses,
par F. Danes et J. Firbas, nous retenons comme prioritaires les
plus se précisent les differences de tonalité discursive (force illocu-
niveaux 1, niveau énonciatif (dit aussi de « sémantique en action »),
toire) entre particules, plus se confirme 1’impossibilité de tracer une
et 2, niveau morphosyntaxique. Au niveau 1 s’exercent des tendances
ligne de démarcation nette : ex. — Tuletko Itsenãisyysjuhlaan? (« Viens-
universelles (celle qu’a bien mises en valeur récemment la pragma-
tu à la fête de 1’Indépendance »?), Q neutre, d’une personne chargée
tique), au niveau 2 s’exercent des contraintes spécifiques aux langues.
par exemple de prendre les inscriptions, — Tulethan Itsenãisyysjuh- S’il existe une certaine supériorité hiérarchique (et chronologique
laan?, Q_ orientée et nuancée qui présuppose une R affirmative. Avec dans la production du discours) du premier sur le deuxième niveau,
une certaine qualité de la voix (« cajoleuse »), cette Q, de confirma- c’est en fin de compte d’une codétermination par les deux niveaux
tion peut servir à flatter ou à influencer 1’allocutaire1. Avec la p e n
que résulte le sens.
kai ( Tulet kai (...)?), la présupposition de la Q est renforcée : le
2 / La stratégie énonciative choisie repose sur trois critères:
locuteur, qui escompte que 1’allocutaire s’associe à son point de vue,
a / 1’intention communicative de 1’énonciateur, b / son identification
cherche à induire une R affirmative (ou négative, après une Q_ interro-
sélective des données pertinentes, c / les hypothèses que différents
négative). Avec muka « parait-il, n’est-ce pas », l’orientation de la Q
indices et/ou connaissances antérieurs 1’amènent à poser quant aux
est inverse de celle de kai: le locuteur attend une R négadve après
dispositions mentales de 1’énonciataire.
une Q_ positive, et inversement. Les différences de position et de
3 / Des définitions les plus généralement adoptées du couple thème
combinaison compliquent encore la situation : -hAn et -kO occupent
et rhème, celle qui les assimile à la terminologie classique de sujet
une position fixe, mais kai se déplace, peut apparaitre à 1’initiale
et prédicat « logiques » nous semble la plus pertinente : le Th cor-
(— Kai tulet?, forme d’insistance); -hAn peut s’associer à -kO, muka
respond à « ce dont on parle », le Rh à « ce qu’on en dit »2.
de même, mais son équivalent syntaxique kai, non : — Tuleekohan
Seule la dimension textualo-discursive est susceptible de permettre
miekesi myõs? («Et ton mari vient aussi? », ton de sollicitude) mais
une compréhension profonde des phénomènes de thématisation. Une
*Tuleeko kai (...). Difficile aussi de tracer une ligne nette de démarca­
analyse énonciative limitée au cadre de 1’énoncé pourra par exemple
tion entre p e n plutôt affectives/w p e n plutôt modales/zw adverbes
difficilement expliquer que, dans une même langue, certains thèmes
de phrase. Ces derniers tendent toutefois à se distinguer morpholo-
puissent être non marquês (c’est le cas notamment, en français comme
giquement, en finnois comme dans d’autres langues, par leur lon-
dans les autres langues à servitude subjectale, du thème coincidant
gueur et par la possibilité plus nette d’une accentuation marquée :
— Mieheni tulee kai, valeur d’incertitude équivalent à celle de luulta-
1. Cf. A. Kàrnà, Partikkelit puhutussa ja kirjoitetussa kielessâ.
2. Nous écartons les propriétés définitoires de « donné » et « nouveau » comme ne rendant
1. On note qu’avec une intonation différente, rhématique, le même énoncé peut prendre pas suffisamment compte de 1’activité sélective qui préside à 1’organisation stratégique de
une valeur de justification : [Tu n’as pas perdu tes liens avec la Finlande] « puisque tu viens 1’énoncé — encore que l’on ne puisse nier la fréquente corrélation qui existe entre T h /
à la fête de l’Indépendance ». donné d’une part, Rh/nouveau de 1’autre.
198 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 199

avec la fonction syntaxique de sujet) et d’autres marquês par un ou de transition, ses fonctions peuvent être spécialisées (exemplifica-
procédé d’extraction, ex. : Les heures supplêmentaires, ils les ont supprimées. tion, addition, contraste, segmentation temporelle), ce qui est indiqué
Cette thématisation explicite (« dislocation à gaúche », « préjection »), par un connecteur de type «par exemple, et, mais, ensuite» etc., ou,
qui s’accompagne souvent d’un support syntaxique (quant à, en ce tout simplement, à 1’oral, par un ponctuateur énonciatif. Exemple
qui concerne, pour ce qui est de...) en français, d’une particule énonciative de transition abrupte, le locuteur passe de la catégorie générale des
dans les langues particulaires (same dat, dal...), est partie intégrante gens âgés au souvenir de son propre grand-père : — C’est pas le cas
de la stratégie discursive : il s’agit pour 1’énonciateur de signaler une de tous les petits vieux. Mon grand-père/bon/ça Vamusait pas tellement (...).
disjonction dans la trame de son discours1. Plus que d’un « remplissage » de pause, il peut s’agir, on le voit,
La prise en compte de la dimension interactionnelle du discours d’une stratégie délibérée de simplification de la forme de communi-
n ’a pas jusqu’ici réussi à tirer la problématique thématico-énonciative cation. La longueur et la complexité syntaxique sont des facteurs
de 1’impasse heuristique à laquelle 1’avaient conduite les intuitions qui affectent 1’aisance avec laquelle le discours est produit puis inter­
géniales de 1’Ecole de Prague : progression thématique et dynamique prété — gêne que le locuteur essaie d’atténuer à 1’aide d’une construc-
communicative continuent de se fonder sur des écrits programmati- tion analytique. Cette stratégie de simplification résulte des condi-
ques plus que sur la description de fonctionnements dialogiques réels. tions particulières de planification de l’o ra l: un locuteur conscient
Notons toutefois certaines avancées dans la conceptualisation des des procédés disponibles choisira par exemple de segmenter son
phénomènes de thématisation, dont bénéficie notamment la théma­ message (présentation linéaire de chacun des actants successifs sans
tisation marquée. Une fois dépassé le schéma générativiste de « dis­ effort d’intégration syntaxique) afin de faciliter la compréhension.
location à gaúche »2, le thème préjeté peut ainsi être interprété en Dans ce sens, le thème marqué peut être considéré comme résultant
termes de clarification du message par « identification anticipée du d’un effort d’adaptation de 1’énonciateur aux données de la situa­
référent»3. Si le príncipe sous-jacent à Femploi d’un thème marqué tion. Le thème marqué non seulement permet d’organiser un message
est 1’activation d’un référent discursif, la stratégie de simplification long en segments brefs mais introduit une plus grande souplesse
choisie est, à 1’évidence, fonction des composantes énonciatives du quant à 1’ordre dans lequel les choses peuvent être dites. Si la fré-
discours en situation. Certains référents du discours, pertinents, sont quence d’usage du thème préjeté sous sa forme la plus schématique
aisément accessibles, sans identification verbale explicite, durant tout (substantif en préjection repris par un pronom dans 1’énoncé prédi-
1’échange conversationnel, — par exemple s’ils étaient présents dans catif) varie d’une langue à l’autre, toutes les situations d’oralité
le cotexte immédiatement précédent. Inversement, si le locuteur intro- impromptue tendent à favoriser le recours au thème marqué pour
duit un personnage, une idée ou un événement nouveaux, la rupture permettre 1’insertion de commentaires/parenthèses longs. Ainsi, en
discursive se traduira par la montée d’un thème au premier plan. anglais, langue dans laquelle la « dislocation » est relativement peu
Le thème nouveau, extrait, peut être aussi souligné par 1’insertion usuelle, un corpus de 170 000 mots pourra comporter jusqu’à 38 %
d’une p e n ou d’une locution particulaire destinée à attirer 1’atten- de thèmes suivis d’une p e n et d’une insertion longue, ex. — Because
tion, ex. Ce type, tu sais, il y est pour rim, ou Cet homme, voyez-vous, the BUSEs/you know there are hardly a n y in the winter/they all shut down
Messieurs, est innocent, selon le registre. Dans le contexte plus large (« Parce que les b u s , v o u s savez(pEN) y en a pratiquement p a s en
du discours, le thème fonctionne comme marqueur de connexion hiver, toutes les lignes ferment»)1.
Pour ce qui est de la structure de base de 1’énoncé, un seul
1. La marque segmentale de thématisation varie selon les registres et peut revêtir en constituant, à fonction de rhème au niveau énonciatif, est nécessaire
français même une forme particulaire : Les heures supp’/putain/i’ les ont sucrées.
2. Cf. par exemple E. Larsson, La disbcation en français. Etude de syntaxe générative, Lund, pour former un énoncé communicatif (minimal). II est marqué par
Gleerups, Coll. Etudes romanes de Lund, 28, 1979.
3. Cf. R. Quirk et ai, A Comprehensive Grammar of the English Language, London, Longman,
1985, § 17.78. 1. Cf. K. Aijmer, Themes and tails..., p. 143-147.
200 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynam iqw du discours 201

une intonation spécifique, descendante en français, et bien qu’il cor­ répété est fréquemment le sujet, soit repris intégralement lui-même,
responde souvent au prédicat du niveau morphosyntaxique, il n’est ex. — Salddit? Jo dieõusjoga rastá 1 salddit —■ («Des ponts? Oui bien
pas toujours pour autant une réponse. Au-delà de 1’énoncé minimal, sür à travers le fleuve, des ponts»), soit qu’au pronom sujet fasse
la structure de 1’énoncé simple peut être binaire, c’est-à-dire alterna- écho un pronom anaphorique, ex. — Dat dat gal lea guolli 1 dat (« Ça
tivement T h t Rh l ou Rh 1 — Mn —, ou encore ternaire (avec alors oui c’est un poisson, ç a »), soit que le pronom sujet initial
combinaison des deux variantes binaires). La distinction d’un troi- ne fasse qu’annoncer la reprise du substantif déjà posé dans la ques­
sième élément informatif, le mnémème, s’étaye de deux arguments tion, ex. — Jo!dat dat gal álge dan áigge 1 mohtor-fatnasat gal — (« Oui,
formeis : 1/ 1’existence d’un segment correspondant à cette fonction, elles alors oui elles ont commencé à cette époque, les barques à
marqué par un signifiant intonatif distinct (intonation plate)1; 2 / la moteur o u i»). Mais ce segment parenthétique est loin d’être une
valeur informative et discursive propre de cette fonction, qui ne simple reprise d’un ou de plusieurs éléments de la question : il peut
présuppose pas de coréférentialité avec un constituant identifiable se référer à un élément apparu dans le cotexte antérieur à la ques­
du cotexte précédent (à la différence de ce qui est généralement tion, ou simplement suggéré (connaissance partagée) par 1’échange
le cas du thème). La reconnaissance de cette organisation tripartite présent, ex. — Okta bárdni lea doppe l máddin —*• («J ’ai un fils là-bas,
si elle ne peut rendre qu’imparfaitement compte de 1’agencement dans le Sud »).
des éléments informatifs dans un discours impromptu — représente La stratégie binaire 2 est relativement fréquente dans ce que nous
néanmoins un progrès par rapport à fanalyse traditionnellement dicho- avons appelé la « réponse multiple » (suite d’énoncés rhématiques liés
tomique de 1’énoncé qui, de Platon aux générativistes en passant par le tempo) oti elle constitue l’altemative naturelle des énoncés mini-
par le structuralisme classique, prétend calquer la structure séman- maux, ex. — Leai \ => Dai dat gal leai \ Biebmo-gándda oabbá («Ah
tique sur un schéma d’organisation morphosyntaxique. La construc- oui => Elle 1’était c’est sür, la soeur du fils adoptif»), réponse dans
üon du discours ne procède pas par oppositions binaires entre //n o n laquelle 1’intonation parenthétique marque le rappel de 1’identité (du
informatif vs inform atif// mais par la modulation scalaire de diffé- sujet), ou encore — Coarve-liimmaid l =* Bohcco-corvviin 1 vusse liim-
rents degrés d’information, dont la structure ternaire d’un énoncé maid — («Des colles de corne => Avec les'cornes de renne, ils fai-
« simple » (non minimal) est une représentation adéquate. saient bouillir des colles »), réponse dans laquelle le segment mnémé-
matique est la reprise d’un syntagme(-procès) déjà mentionné dans
Nous illustrerons de quelques exemples sames les príncipes de le cotexte antérieur. Cette stratégie dtinformation complémentaire,
cette analyse. Si, dans le dialogue, le schéma binaire 1 (Th — Rh) qui est très usitée dans certains types de discours (ceux que l’on peut
correspond le plus souvent au couple Q-R minimale, le schéma qualifier de « documentaires »), se rencontre aussi dans la conversa-
binaire 2 (Rh — Mn) tend à intervenir dès que la réponse comprend tion ordinaire, ex. — Hirsa-visü. =» Guôa duma aso 1 dat hirsat —* (« Une
plus d’un constituant. Ce schéma binaire doit sa fréquence dans maison en rondins => De six pousses d’épaisseur, les rondins »).
la réponse au phénomène de répétition des éléments de la question : La pragmatique interactionnelle est venue apporter tardivement
ils sont généralement répétés après le noyau rhématique de la réponse, un soutien logistique, efficace encore qu’ambigu, aux tenants dont
avec une intonation parenthétique; il peut y avoir répétition d’un nous sommes de la reconnaissance d’un 3e constituant énonciatif.
ou de plusieurs éléments (voir exemples en III.l.a). Le constituant ainsi Si 1’articulation entre syntaxe et énonciation est loin d’être encore
satisfaisante dans les travaux des pragmaticiens — du fait de la confu-
sion constante des trois niveaux initialement posés (par la théorie)
_ !• P es recherches phonétiques récentes ont montré que l’identification des constituants
thématiques est opérée en français par trois intonèm es: continuation majeure pour le Th comme distincts — , la réflexion suscitée par un modèle général de
non marqué, continuation majeure appellative pour un T h antéposé avec une marque syntaxique grammaire fonctionnelle tel celui de S. C. Dik ne pouvait ignorer
d ’extraction (« Ton frangin t c’est un drôle »), parenthèse pour le « Thème postposé » —
cf. A. Di Cristo, Aspects phonétiques et phonologiques des éléments prosodiques, p. 49. longtemps les éléments « extérieurs » à la prédication. A partir d’un
202 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 203

schéma d’organisation linéaire de la phrase en / (thème) — prédica- un rhème est enfin associé au thème de départ, et des particules
tion (queue)1/ , la « queue » (angl. tail), désormais décrite en énonciatives tendent à se pôster à la jointure1. Tout énoncé oral
termes d’exigences de 1’interaction verbale, apparaít comme secondaire prolongé au-delà d’une réponse brève fait appel à des procédés de
dans les contextes ou la transmission de Tinformation seule est impor­ connexion, dont le plus naturel est la prosodie : la continuité d’élo-
tante, mais essentielle pour la création d’une intimité affective. Cette cution sera marquée, avant même 1’émission d’une conjonction (addi-
queue, notre mnémème donc, se trouve normalement dans des pré- tive ou adversative), par la remontée de la voix sur la demière syllabe
dications d’un certain type. Les énoncés contenant la prédication du constituant identifié comme rhème — une intonation que nous
suivie d’un mnémème sont ceux qui se rapprochent le plus des « évé- qualifions de suspensive, et dont 1’incidence a pu être montrée, pour
nements AB », c’est-à-dire connus à la fois de A et de B, par réfé- les langues finno-ougriennes par exemple, sur le découpage phono-
rence à une classification des assertions fondée sur la connaissance logique du texte oral (intonation suspensive sur la conjonction, suivie
partagée qu’elles impliquent2. La prédication portant sur les évé- d’une pause, alors que la ponctuation écrite place une virgule avant
nements AB représente Tinformation en tant que connaissance par­ la conjonction, cf. II.3). On a vu, à 1’inverse, qu’une conjonction
tagée (réaction ou commentaire spontanés), elle a une fonction expres- frnale et porteuse d’une intonation terminative (1) présente les carac-
sive ou émodonnelle. Dans ce sens, le mnémème n ’est pas chargé téristiques d’une particule énonciative (II.2).
de « désambigüer », il est utdlisé comme un moyen grammatical destiné Le découpage suprasegmental du discours long implique le repé-
à créer un lien aíFectif avec 1’allocutaire, et 1’énoncé est souvent rage de 1’intonation que nous qualifions de cumulative une structu-
ponctué par une ou plusieurs p e n . Le mnémème, n ’ayant pas besoin ration de couverture sígnalée aussi par la présence de marqueurs
de contenir une description complète, s’achève souvent sur un déic- discursifs. Nous postulons en effet que le regroupement syntaxique
tique ou un référent « vague » (ex. « C ’est vrai, c’est vraiment d r a - des énoncés minimaux en séquences orales longues a pour corollaire
m a t i q u e , ce genre de truc, chéri»). On remarque une fois de plus au niveau énonciatif une couverture suprasegmentale longue dont
qu un élément du discours oral qui, du point de vue strictement certains marqueurs énonciatifs (segmentaux) permettent de repérer
informatif, apparaít comme redondant, sera perçu, dans une pers­ la structuration sous-jacente. En d’autres termes, la courbe informa-
pective interactionnelle, comme un rouage essentiel de la construc- tive avec laquelle est réalisé un énoncé tel Après que sa mère se Jiit
tion dialogique. Le mnémème contribue à renforcer la connivence égarée dans laforêt, lafilletteJui placée à l’orphdinat est le signifiant premier
entre énonciateur et énonciataire, fonction phatique dont on a pu de la stratégie énonciative utilisée. Dans un contexte narratif, sa
montrer qu’elle est en anglais par exemple nettement plus impor­ réalisation probable sera celle de la stratégie binaire 1, c’est-à-dire :
tante (84 % des énoncés) que son rôle de désambigüation3. Après que sa mère — forêt (Th)/la fillette — à Vorphelinat (Rh). Dans
le registre spontané d’un dialogue, 1’enchainement des deux proposi-
Que trouve-t-on dans le discours au-delà de 1’énoncé bref? Une tions pourra aussi correspondre à une stratégie binaire 2, c est-à-dire
manifestation usuelle d’énonciation spontanée est 1’émission de Après que sa mère s’est égarée — forêt (Rh) /elle a êté — à Vorphelinat
« thèmes perdus» anacoluthes au niveau syntaxique — que le (Mn), en réponse par exemple à Quand est-ce que la filie a êté placée
locuteur s’efforce souvent, après diverses digressions, de réintégrer à Vorphelinat? II noüs parait essentiel d’appliquer un même schéma
dans son discours. Cette tentative de réintégration aboutit parfois: d’analyse énonciative à 1’énoncé bref et au discours long, alors que
nombre de syntacticiens convertis à la pragmatique cèdent trop aisé-
ment à la tentation de centrer 1’analyse sur des énoncés binaires
1. Cf. S. C. Dik, Functional Grammar, p. 168 sq. simples, quitte à rejeter tout ce qui vient compliquer la structure
2. Cf. W. Labov et D. Fanshell, Tfwrapeutic Discourse. Psychotherapy as Conversation, New York
Academic Press, 1977, p. 100.
3. Cf. K. Aijmer, Themes and tails..., p. 150-152. 1. Cf. Le jinnois des Sames bilingues, p. 235-240.
204 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 205

dans le domaine (vague) du « cadre » ou de 1’ « arrière-plan »*. Le Dans les deux cas, 1’intonation montante (c’est-à-dire cumulative
deuxième point important est le repérage possible de la thématisa- pour a f) peut thématiser la temporelle (la principale étant le rhème),
tion interne à chacune des composantes (ici propositions au sens mais la construction analytique laisse transparaítre la structure thé-
syntaxique du terme) de la séquence : signalée aussi par d’autres matique sous-jacente de 1’énoncé autonome — et elle garde la possi-
marqueurs d’articulation textuelle (pause, changement de rythme, bilité d’emphatiser par exemple le circonstant local en fantéposant
etc.), cette thématisation repose en grande partie sur le jeu des par­ au verbe —, alors que la construction synthétique opacifie la struc­
ticules énonciatives, lesquelles se placent fréquemment, non seule- ture en figeant la séquence1.
ment à la jointure entre thème et rhème longs, mais, au sein de Or les traces de la transition sous-jacente (jointure entre T h /R h
chacune des composantes de 1’énoncé long, à la jointure des thèmes ou entre Rh/M n) sont précisément dans cette langue les marqueurs
et rhèmes éventuellement sous-jacents, ex. : que nous regroupons sous 1’étiquette de particules énonciatives, autre-
Après que sa mère tu vois s ’était êgarée dans la fo rê t/la filie bon elle a été pkcée
ment dit des particules enclitiques, ex. — Minãhãn olen hakemassa/mikã
à l ’orphelinat se olis semmonen awoisamfn (« Eh oui moi qui cherche, qu est-ce qui
serait en quelque sorte plus valable »), ou encore des
Th (p e n ) Rh Th (p e n ) Rh pronoms/adverbes/conjonctions « désémantisés », ex Ja sitten kun
I-----------------1 I____________ I
mina olin noin tosin tãysikãinen niin/minã aloitin sen lapin kielen («Et puis
Th Rh
quand j ’étais comme ça en fait adulte eh bien, j ’ai commencé le
[ce] lapon »)2.
La démonstration est d’autant plus convaincante dans une langue En français même les particules énonciatives servent à expliciter,
comme le finnois que la systématique des degrés de phrasticité, de dès que 1’énonciation se prolonge, la stratégie thématique, à com-
même que la modulation particulaire, y sont plus marquées qu’en mencer par le bornage explicite d’un thème qui, en 1’absence d’un
français. On peut aisément montrer en finnois qu’une prédication clitique spécifique, risquerait de se perdre dans le flot continu des
indépendante se réalise, une fois textualisée en prédication circons- segments successifs, ex. :
tancielle, selon le cas en a / une proposition subordonnée introduite
par une conjonction (oral), b / une proposition participiale (écrit). E x .: Alors/face à ces deux obstacles majeurs / (...) 1’obstacle au niveau du d é c r y p -
TAGE/et 1’obstacle au niveau du .... du t r a n s f e r t / les cherckeurs/ en tra-
À itif oli eksynyt metsããn 1 duction automatique/ eh bien/explorent toutes les/possibilités.
« La mère s’était égarée dans la forêt»
(S=) Th — (V + C =) Rh Et, quel que soit fentraínement de 1’orateur, on voit mal comment
il pourrait mener à bien avec naturel le déroulement de son dis­
cours sans recourir à ces marqueurs « discrets » (sens ordinaire) mais
a / Kun àiti. oli eksynyt metsãan 1 tyttõ joutui lasten kotiin J eíficaces d’une stratégie aussi intentionnelle qu’improvisée. Témoin
« Quand la mère se fut égarée dans la forêt, la fillette fut placée cet extrait d’un exposé scientifique (analysé par ailleurs en V.3 .c)
à 1’orphelinat» qui ne compte pas moins de trente et un segments successifs:
b / Ãidin eksyttyã...
mère-de (gén.) après ayant été égarée (p. p. p. partit.) Celui qui .... d .... veut/être/pRis e n c h a r g e Mn/celui qui veut que son
« Après 1’ « égarement » de la mère... ». texte/soit pris en charge (...)/que son texte soit traité par un automate/que

1. Cf. M. M .J. Femandez, Verbo-nominalisations et scripturarisation d’une énonciation


1. Voir notre critique, sur ce point précis, de La syntaxe du message de P. Blumenthal dans à tradition orale, p. 185-188.
Le discours des Somes, p. 620 sq. 2. Autres exemples dans Le finnois des Sames bilingues, p. 241-246.
206 Particules ênonciatwes et tendances universelles Les particules ênonciatwes dans la dynamique du discours 207

son texte soit rendu d/d’une manière ou d’une autre/soit dans la mane situation d’énonciation naturelle : le monologue n’est à 1’oral qu’un
langue/Au t r e m e n t hein/ soit dans une autre langue (...)/eh bien/il faut/à moment privilégié du dialogue, celui oü l’un des participants réussit
ce moment-là/ilfaudra/hein/qu’il/que ce qu’il écrit/enfin qu’il écrive si votes à occuper durablement le terrain sans avoir à notifier sans cesse
voukz/defaçon à .... mettre en évidence/dans ce qu’il écrit/ce qu’il considere
par des moyens variés son intention de « garder» la parole.
comme/information/à/prêserver/et donc à/transmettre.
Voyons comment s’effectue, dans un entretien dirigé entre locu-
De cette oraüsation souple d’un texte prérédigé ne sont pas exclues, teurs samophones, le passage de la réponse brève à la séquence
on le voit, les répétitions (celui qui — celui qui; que son texte soit — narrative, puis la gestion de cette narration prolongée.
que son texte soit), les atténuations (d’me manière ou (Pune autre) ni les
a / Jo/de láviimet. Monge mAjgii lean viezzan gálwuid doppe Skiippaguras.
autocorrections (qudl/que ce qu’il écrit; il faut/il faudra). Malgré 1’impres- b / Ja Skiippaguras go galga goargrjulit dân sátto-Deanu deike Gevggavuollai
sion diffuse d’un certain piétinement — sensible surtout à la lecture
du texte transcrit — les particules interviennent avec justesse et pré- c / Ja go mi boòiimet Geavgjcmuollai (...) galggai vuos Geavgjavuolde guottasit
cision, qu’il s’agisse de solliciter 1’approbation de 1’auditoire quant daid gálwuid hirbmat heaijggo dearbmai ja/ja lánet duon .. duo/giehtajorriid
à la terminologie (p r i s e n c h a r g e hein) ou quant à 1’ajout séman- sisa.
d / Ja giehtajorriguin/jitnat márjgga márjgga geardde viezzamin/ovdal go lea
tique (a u t r e m e n t hein) ou de faire passer avec aisance la forme fidnejon dohko. Dohko leai joratanmátki golbma kilomehtera.
sélectionnée après hésitation (que ce qu’il êcrit/enjin qu’il écrive si vous
voulez). Aucune d’entre elles n’est en somme ni fortuite ni gratuite. a / — Ah oui / nous en avions coutume. Moi aussi bien des fois
Mais 1’habileté suprême de 1’énonciateur, qui, sans pouvoir confirmer je suis allé chercher des marchandises là-bas à Skiippagurra.
b / Et de Skiippagurra comme il faut se mettre à godiller le Deatnu
en soi une prérédaction soignée, confirme au moins 1’aptitude à pla-
sablonneux jusqu’ici en dessous de la Cascade (...).
nifier dans 1’instant, réside dans le positionnement au point médian c / Et lorsque nous arrivions en dessous de la Cascade (...) il fallaít
(segment n° 15) et stratégique (transition distinctement artículée, enca- d’abord depuis en dessous de la Cascade transporter ces mar­
drée de deux pauses) d’une p e n thématisante par excellence : chandises jusqu’à la berge très escarpée et/et (les) charger à 1’inté-
rieur de la .. la brouette.
celui qui — qui — que — que — soit — soit/eh bien/il faut — ilfaudra d / Et avec la brouette/aller beaucoup beaucoup de fois cher-
— qu’il — que — ce qu’il ... cher/avant qu’on arrive jusque-là. Jusque-là il y avait trois kilomè-
tres de trajet avec la brouette.
Cette p e n disyllabique chargée d’implicite (voir notre définition
dès 1’introduction), ici comme dans nombre de discours publics, ne L’énonciateur de ce passage, bien qu’il n’ait pas, comme d’autres
se contente pas de permettre au texte de respirer (et à 1’orateur samophones de sa génération (+ de 60 ans), la réputation d’être un
de se reposer sur un palier suspensif, avant d’amorcer une descente conteur émérite, possède un sens solide du récit didactique : sa stra-
intonative freinée par la segmentation), elle construit en la spectacu- tégie favorite est la progression linéaire simple. a/ Le l cr énoncé est
larisant la relation énonciativo-hérarchique qui caractérise précisé- une réponse affirmative minimale à réalisation de rhème. L’énoncé
ment notre schéma énonciatif 1. assertif suivant est 1’initiateur du récit, l’ordre de ses constituants
Voilà qui semble nous éloigner de notre propos initial d’analyse est direct, il n ’use d’aucun procédé particulier de marquage théma-
« conversationnelle ». Mais la contradiction n’est qu’apparente : le tique interne. II est étroitement relié à la réponse qui précède par
rétablissement auquel on assiste présentement, dans la recherche, fenchamement thématique interphrastique : le (sujet-)thème égopho-
d’un équilibre en faveur du texte dialogique ne doit pas être pre­ rique (pronom personnel mon « m o i») est une reprise partielle du
texte à une nouvelle exclusive. L’énonciation à participant unique noyau rhématique de la réponse (1’indice personnel -met « nous »),
peut d’autant moins, dans notre perspective, être disqualifiée, que la cohésion est soulignée par 1’enclitique -ge. b/ Suit un énoncé tex-
nous tenons à lui restituer une caractéristique peu contestable en tuellement enchaíné de même : le rhème du 2Cénoncé de a /, le
208 Particules énonciatioes et tendances underselles Les particules énonciatioes dans la dynamique du discours 209

toponyme Skiipagura-s (locatif), est répété en position de thème, marqué (R.) Rhl
par sa préjection devant 1’énoncé circonstanciel (conjonction go). Le
connecteur ja renforce la cohésion chronologique des faits décrits. Th2 (=1/2 Rhl) —> Rh2
c/ C ’est encore un toponyme fléchi qui marque lepassage du rhème
au thème entre b/ et d , mais les choses sont plus complexes. La Th3 (=Rh2) -> etc.
désinence afférente (directif) fait de ce circonstant le point d’aboutis-
sement d’un nouvel énoncé, lui-même intégré syntaxiquement (go) Nous en retiendrons, en dépit de la présence relativement nom-
et prosodiquement (intonation cumulative) à une séquence plus longue. breuse des relateurs interphrastiques qui caractérise habituellement
L’énoncé entier qui, au niveau syntaxique, est une proposition cir- une énonciation planifiée, Pintervention minime de la prosodie
constancielle (temporelle), a la fonction de segment-thème par rapport syntaxique (proche de la ponctuation de Fécrit). La nature impromptue
à 1’énoncé principal segment-rhème, comme c’est généralement le de ce discours transparait, malgré une stratégie rigoureuse, dans plu-
cas des énoncés complexes dans Pordre/proposition subordonnée t sieurs éléments : Femploi de déictiques « explétifs», dont certains
proposition principale M . La structuration de cette séquence longue fonctionnent comme des p e n de transition entre thème et rhème
n’est pas binaire mais ternaire, puisqu’une remontée intonative (into­ (e); la non-coincidence entre segmentation prosodique et structura­
nation suspensive) se produisant sur le connecteur ja, suivi d’une tion syntaxique — segmentation intersyntagmatique inexistante, into­
pause, annonce une expansion elliptique (pas de pronom anapho- nation terminative et pause qui font d’énoncés syntaxiquement liés
rique pour représenter Fobjet de Finfinitif, lui-même dépendant d’une deux messages distincts (c//d). La répétition du connecteur ja après
forme impersonnelle lointaine — galggai « il fallait», l crterme de une pause non syntaxique (c) est un argument supplémentaire en
Fénoncé principal). La structuration thématique sous-jacente de chacun faveur du classement de ce discours comme produit d’une énoncia­
des trois énoncés pourrait être aisément reconstituée, d’autant que, tion finalisée (objectif didactique) et néanmoins impromptue1.
dans le 3e énoncé, une transition déictique répétée en indique la trace.
La question des enchainements thématiques intéresse directement
le rôle de construction des particules énonciatives dans le discours.
Aucune typologie exhaustive de ces enchainements n’ayant à notre
connaissance été élaborée à ce jour, les propositions faites dans le
go mi — G-vuollái galggai — dearbmái ja/ja lánet duon — sisa cadre de la « perspective fonctionnelle de la phrase » (p f p ) par les
« lorsque nous — en dessous de la C. il fallait — à la berge théoriciens pragois restent valables. Deux types de progression thé­
et/et charger de cette — à Fintérieur ».
matique au moins, sur la dizaine proposée, sont observables dans
Fénonciation en situation : la progression linéaire simple, dont nous
Le lexème localisateur final, privé de son relateur spatial et fléchi avons déjà vu quelques exemples en français et en same, et la pro­
(comitatif), devient le thème de Fénoncé suivant (d), émis prosodi­ gression avec rhèmes successifs associés à un thème général (qui
quement comme un énoncé indépendant (précédé d’une intonation traverse Fensemble du texte)2. Une réflexion approfondie devrait,
terminative et d’une pause) bien que syntaxiquement lié au précé- nous semble-t-il, être menée quant aux corrélations possibles entre
dent (infinitif régi par Fimpersonnel ilfallait). De structuration binaire, composantes énonciatives de la situation de dialogue [et de ses expan-
cet énoncé s’achève sur un adverbe déictique rhématique qui sions monologiques] et type(s) d’enchainement thématique produit(s).
deviendra à son tour le thème de Fénoncé simple suivant. En résumé,
la stratégie linéaire simple de ce début de récit pourrait aisément 1. Cf. Le discours des Sames, p. 594 sq.
2. Cf. F. Danes, Functional sentence perspective and the organization of the text, et De
se visualiser la structure sémantique et thématique du message.
210 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 211

11 apparait, sur la base des analyses pratiquées, que, dans la situa- La partie narrative (énoncés de 1 à 8) peut se représenter ainsi:
tion d’entretien dirigé qui, pour des raisons techniques et métho-
dologiques évidentes, continue de foumir la majorité des corpus oraux Thl —> Rhl
la progression par association de rhèmes successifs à un thème I
unique est la plus naturelle. Le questionné pourra ainsi, tout occupé Th2 (=Thl) —> Rh2 + pen + Rh2'
à rassembler et à formuler les renseignements requis, se contenter
de reprendre le « thème » proposé par son partenaire, quitte à le Th3 (=Thl) —> Rh3
décomposer et recomposer au gré de ses souvenirs s’il s’agit par I
+ Th4 (—Rh3) —> Rh4 + Rh5
exemple d’un référent collectif: pen

— Et tes parents/ils se sont connus ou? Th6 (= Rh3) —> Rh6


d .... Bon. Ben. En fait/ma mère est jinlandaise/ et mon père avait
.... travaillé en Finlande .... comme .... comme conseiller d’ambassade .... I
Rh7 —> Mn7 (= Rh3)
enfin pas comme consâller je sais pas d / comme a t t a c h é d’ambassade d
.... Pff. Ils se sont/ils se sont mariés alors que mon père avait déjà habite
en Finlande pendant 6 ans/ 7 ans/ quelque chose comme ça. Rh8 <— Mn8 (= Mn7)

Bien que le répondeur prenne soin de sUnstaller confortable- Après une initiative personnelle d’explication (parce que) et l’ins-
ment dans sa réponse grâce à des p e n d’ouverture (Bon. Ben. com- tallation confortable (bon) dans une perspective de récit-souvenir,
mencitif, En fait dilatoire), différents indices (pauses longues, listing 1’énonciateur a d’abord recours à une stratégie à thème unique, dont
tâtonnant, soupirs) traduisent une certaine gêne dans la formula- riconisme est interrompu par une autocorrection (p e n enfin, elle a
tion : Peffort du souvenir s’achèvera d’ailleurs sur une évaluation gardé > elle a). Avec 1’énoncé 4, le thème et la stratégie changent
vague (qmlque chose comme ça). Passée 1’installation initiale, la mono- (> progression linéaire simple) après une p e n initiale d’auto-
tonie de la narration déroulée à partir d’un Th unique (parfois correction (Enfin). Du point de vue syntaxique, on note l’auto-
dédoublé, parents > père et mère) ne sera interrompue que par une correction de elle a en ça a (été) pour pallier 1 ambiguité d une prono-
autocorrection particulaire (comme — enfin pas comme —). La narra­ minalisation foisonnante à 1’oral. Les énoncés 7 et 8 illustrent une
tion à Th imposé (posé par la question) se poursuivra jusqu’à ce stratégie non prévue par la p f p laquelle s en tenait à une analyse
que 1’énonciateur récupère une aisance naturelle (et non plus simulée dichotomique en T h /R h — : notre schéma binaire 2, rhème-
par une accumulation de p e n ) qui se traduira par des variations mnémème. Sa représentation graphique pose quelque problème : en
de stratégies et denchainements thématiques. Exemple : dépit du déroulement linéaire du discours, cette stratégie impulse
un mouvement de retour en arrière (renvoi à un référent déjà men-
Et tu n’es venu en Finlande qu’en vacances?
— En vacances seulement/oui/l’été. Parce que bon .... tionné, ce qui est le cas ici, ou déjà impliqué par 1’univers du dis­
1. ma mère a gardé la nationalité jinlandaise +/ cours) que peut difficilement symboliser un fléchage univoque.
2. et elle a gardé .... enfin elle a une grande famille ici/ L’importance de ce type de stratégie n’est toutefois pas négligeable :
3. et puis elle a .... une petite propriété. =» la justification du mnémème est ici moins interactionnelle (conni-
4%Enfin c’était/c’était la propriété de mon g r a n d -p è r e . vence, solidarité, etc. — voir ci-dessus pour la « queue ») que tex-
5. A ce moment-là. =»
6. Et elle a/ça a été coupé en morceaux. tuelle. Ce renvoi à un référent déjà mentionné (propriété), suivi d’une
7. Et il reste une petite propriété. information « nouvelle » (la venue) aussitôt neutralisée par sa locali-
8. On est venu/là. => sation mnémématique, permet à 1’énonciateur de résumer et de
212 Les particules énonciatioes dans la dynamique du discours 213
Particules énonciatioes et tendances universelles

boucler son discours tout en suggérant une relation logique entre quement emphatisé (support présentatif c’est... qui) et plusieurs accen-
le récit (ma mère a gardé) et la réponse brève sur laquelle il s’était tuations fortes ponctuelles1. La force illocutoire de 1’énoncé est atté-
greíFé par 1’artifice du connecteur explicatif. Cette stratégie mnémé- nuée par deux syntagmes initiaux (cadre énonciatif «D ’après ce que
matique répond donc à deux exigences intrinsèques du discours: ...», verbe impersonnel de jugement), et Fon peut difficilement pré-
cohésion et cohérence. juger de Fintention réelle de Fénonciateur. Après quelques commen-
taires seconds, Fintention s’explicite :
La progression thématique du discours devrait pouvoir s’analyser — (Al). Et tant que/à mon cmis on n’aura pas passé ce c a p -l à c’est-à-
dans des discours qui aient pour point de départ un échange dialo- dire de (...)/eh bien à ce moment-lâ d .... les possibilités seront limitées.
gique mais n’excluent pas les développements monologiques qui en
sont issus. Une situation idéale de passage d’un type de discours Thème long, cadre temporel, puis expansion (c’est-à-dire), le
à 1’autre — sans que les genres soient inextricablement mêlés, comme segment-Rh est articulé au Th par une pen, eh bien. Le dernier consti­
c’est souvent le cas dans la conversation quotidienne —, est fournie tuant {(possibilités) limitées, message principal) provoque une protesta-
par la situation d’exposé oral débouchant sur une discussion. Nous tion catégorique de la part de Fexposant précédent, indirectement
proposons à 1’analyse un extrait du colloque sur Traduction et vulgari- mis en cause :
sation qui a déjà donné lieu à exemplification (ce chapitre et V.3.c). — (Bl)C’est pas ça que f ai dit hein! (rires discrets) J]aijamais_dü
Ce passage présente entre autres intérêts celui d’enchainer successi- ça mais enfin d ....
vement, à la suite de 1’intervention imprévue d’un des participants, — (A2)Non mais bon ....
une partie dialoguée sur un exposé monologique, puis de nouveau — (B2) C’est pas m o i qui ai dit ça. —•J ’ai pas dit ça. (-Mon mais ....)
une partie monologique (avec décalage du thème puisqu’il va s’agir Le concepteur/c’est pas le programmeur.
cette fois d’argumenter le point de vue mis en cause dans la discus­ — (A3)Mon mais .... programmeur d linguiste etc. Hein je ...
— (B3) C’est toute 1’équipe qui a ...
sion). La vivacité et le naturel de la discussion — en fin de journée, — ( A 4 ) TOUTE l ’é q u i p e . t o u t e l ’é q u i p e
le cercle des présents s’est resserré — garantissent en outre 1’emploi — (B4)... qui a travaillé sur les t e x t e s ...
de procédés énonciatifs relativement rares dans les discussions uni- — (A5) toute l’équipe qui a travaillé sur les textes. D’accord!
versitaires conventionnelles. L’orateur, qui a souhaité mettre en évi- — (B5) ... sur les textes/.... et qui a justement fait la .. le .. les quatre
dence les liens qui existent entre sa propre communication1 et un (-D’accord!)/les quatre d .... les quatre sommets du tri .. du rectangk/de
tout à l’heure.
exposé précédent consacré à la «Traduction automatique », revient
sur celui-là et formule ce qu’il en a retenu en ces termes : B l.L e l erénoncé de réfutation, borné par une pen d’appel à
[ D ’après ce qui a été exposé] on a 1’impression que/toutes .. tous les algo-
Fapprobation (hein) fait porter une emphase négative sur le complé-
rithmes qu’utilise Vordinateur pour traduire/c’est .... le programmeur/ ou celui ment direct, pronom anaphorique qui renvoie à Fensemble de la
qui le c o N ç o ir / q u i v o n t les lui .. instruire. conclusion (= Rh) du monologue précédent: il s’agit d’un enchaine-
ment de progression thématique simple. L’énoncé est répété avec
Cet énoncé est structuré de façon à insister sur Fidée principale un ordre des mots différent: Fobjet n’est plus emphatisé, mais la
à retenir : thème préjeté syntaxiquement complexe (proposition rela- négation est lexicalement renforcée; un énoncé adversatif (mais) reste
tive déterminative), bloc-Rh comprenant un constituant (sujet) syntaxi-

1. Accentuations fortes que nous transcrivons indistinctement par des majuscules mais
qui ne sont pas automatiquement en français marques d ’emphase : leur signification doit
1. F. L ojacom o, Peut-on traduire un texte scientifique en langage ordinaire?, Traduction être étudiée par rapport à fensemble du cotexte, ici un discours à 1 articulation didactique,
et vulgarisation scientifique, p. 133-141. tendance renforcée par Fidiolecte du locuteur.
214 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 215

inachevé, après la pen enfin (valeur de renoncement ou de concilia- tition docile (effet « perroquet») des rhèmes successifs de B, pour
tion) car il est interrompu (et recouvert)1 par A2. développer sa pensée et réintroduire progressivement la critique for-
A2. Enoncé concomitant à la fm de Bl, volontairement inachevé : mulée en Al.
il est borné par une pen de temporisation, un bon ponctuateur dont
le caractère final est contré par une intonation suspensive et un — (A6) o k . (A7) Toute iéquipe. (AS) Toute iéquipe / mais toute iéquipe
allongement de la voyelle nasale (voix trainante). jusqu’au moment ou le programme est mis sur le marché. (A9) A partir
B2. B insiste, réitère deux fois son énoncé négatif, avec d’abord du moment ou le programme est mis sur le marché / le programme il traite
une emphase sur le sujet (support syntaxique et accentuation de des textes. (A10) Hnn. (All) Et ce sont les t e x t e s qu’il traite / après
avoir été mis sur le marché qui devraient i n s t r u i r e le programme. (A12) Or
1’égophorique), puis, après un enchainement rapide (=>) un énoncé
ç a dans les recherches actuelles/à mon avis/hein/on va pas jusqu’à ce stade-là.
négatif neutre (ni thème marqué, ni emphase). L’énoncé explicatif (A13) On part du príncipe que/quand le programme est mis sur le marché/il
qui suit a une stratégie binaire 1 : Th — Rh. est terminé. (Al 4) Hein.
A3. A achève et précise dans un style télégraphique (listing nominal — (B6) Oui mais dans le stade actuel ....
et suspenseur) 1’énoncé rectificatif qu’il a déjà essayé d’introduire
précédemment LNon mais Un énoncé introduit par une pen A8. Le syntagme nominal - Rh de A7, devenu Th de A8, est
d’appel à 1’approbation (hein) est interrompu. répété avec un connecteur adversatif (mais) et complété par une
B3. A la suite de 1’énoncé négatif binaire de B2 (Le — t c’est subordonnée temporelle (Rh). A9 poursuit la narration de A8, A10
pas — l), énoncé à structure syntaxique d’identification (c’est — qui), marque une étape : pen d’appel à 1’approbation (Hein), qui sert à
interrompu. vérifier implicitement si 1’allocutaire suit toujours le raisonnement
A4 reprend, confirme et réitère avec une emphase forte le et/ou est toujours d’accord. A ll coordonne et réaffirme avec
syntagme nominal (identifié) de 1’énoncé B3 interrompu. emphase sur le sujet (identifié par un support syntaxique) 1’idée
B4 complète la relative déterminative interrompue de B3. avancée dans le monologue précédent (antérieur au dialogue
A5 reprend 1’énoncé total A4 + B4 et ponctue par une pen Al — B5). Al 2, après un connecteur argumentatif (or), asserte néga-
d’approbation : D ’accord! tivement un énoncé dont le thème doublement marqué (préjeté,
B5 reprend le dernier syntagme nominal de B4 et ajoute une emphatisé, ç a ) est un anaphorique oral qui renvoie à Pintégralité
2Crelative déterminative coordonnée, brièvement interrompue par
de 1’énoncé A ll. La négation est diíférée et atténuée par une transi-
la répétition de la pen d’approbation de A puis achevée.
tion constituée de deux syntagmes circonstanciels et d’une pen de
A6 va réitérer 1’accord avec une variante, la pen d’emprunt
demande d’approbation (hein). Al 3 explicite A l2. A l4 clôture le
anglaise o k 2. A7 est une reprise et une nouvelle confirmation du
développement monologique par une nouvelle pen de demande
syntagme nominal (toute iéquipe) introduit en B3 et emphatisé en
d’approbation.
A4. L’approbation pourrait être totale, et la réplique de A s’achever
sur ces confirmations d’accord. Mais 1’énonciateur A n’en reste pas B6. Surpris par la force illocutoire du monologue de A, B pro­
là : il profite en quelque sorte du silence de son interlocuteur, grâce teste mollement (Oui mais ...) — avant de se «ressaisir» et de
au consensus qu’il s’est employé lui-même à provoquer par sa répé- construire un autre discours argumentatif (non reproduit ici).
Le monologue de A tire sa force illocutoire d’un raisonnement
1. Le soulignement discontinu indique ici les énoncés/parties d ’énoncés concomitants. argumenté et structuré par une cohésion temporelle et textuelle solide
2. L’intéressant ici étant la valeur illocutoire renfòrcée de ces « signaux d ’écoute/d’appro- (mais — jusqu’au moment — à partir du moment — et — or —). De
bation » (cf. D. André-Laroche-Bouvy, La conversation quotidienne, p. 126-128): bien que mor-
phologiquement simples, ils ne sont ni désémantísés ni désaccentués, et s’avèrent aptes à A6 à Al 2, la stratégie est celle d’une progression thématique simple
embrayer tout un développement argumentatif (A7-). qui peut se représenter ainsi:
216 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 217

Rh6 (p e n ) ronnement énonciatif que de la personnalité des intervenants et de


Rh7 leurs interrelations. Dans un contexte plus solennel, le temps réservé
à la discussion est souvent 1’occasion pour les spécialistes présents,
Th8 (= Rh7) et en particulier pour ceux qui fònt autorité dans le domaine, de
mais Th8 (= Rh7) —> Rh8 développements monologiques. Pourtant les conventions du genre
excluent que le discours second (programmé comme commentaire)
Th9 (= Rh8) —> Rh9 s’érige en « communication » à part entière : ces contraintes impo-
sent à 1’intervenant un exercice de style mixte, destiné à informer
________ — — ■------------ " " Ã lO (p e n )
1’auditoire (positions et travaux du spécialiste et de son équipe) tout
Thl 1 (= 1/2 Rh9) —> Rhl 1
en préservant 1’apparence d’un dialogue avec — ou du moins d’une
référence privilégiée à — 1’exposant en titre. Les deux extraits sui-
Thl2 (= Thl 1 + Rhl 1) —> Rhl2
(= Th 12) vants illustrent cette situation : il s’agit encore d’une réunion scienti­
fique, mais le style des interventions est plus formei, conditionné
L’énoncé A l3 n’est directement relié ni thématiquement ni à la fois par le cadre institutionnel et physique1.
syntaxiquement à ce qui précède; cet enchainement, fréquent à 1’oral, Après un préambule (— Oui/je voudrais dire deux choses. Uune diabord
est de íype iconique (répétition parallèle d’un schéma syntaxique, sur cette affaire de «c’est ... qui/que»/et des interprétations divergentes possi-
On va pas jusqu’à — / / On part du príncipe que —). bles.) et une adresse publique indirecte (3e personne) à 1’exposante
En résumé, les particules énonciatives contenues dans ce dia­ précédente (d Je crois que Madame M ./a tout à fait raison/de/vouloir
logue greffé sur un premier monologue et dans le deuxième mono- s’accrocher à un fait ò .... d /et .. et de croire à «c’est que» quand il y
logue qui en est 1’expansion sont quantitativement minoritaires par a « c’est que».) vient 1’objection, suivie d’argumentation :
rapport à 1’ensemble des constituants, du fait notamment de nom-
Mais croire à «c’est que» ça ne veut pas dire nècessairement admettre que
breuses répétitions et reformulations. Elles n’en exercent pas moins «c’est que» ne sert QUE/à .. à une chose. Déjà n’est-ce pas on le .. c’est
leur rôle de constructeurs du discours. Dans le dialogue, les pen d en Jrançais un outil/pRiviLÉGiÉ pour d réaliser/ce que fappelle volon-
ancrent implicitement les attitudes, les intentions, voire les états d’âme tiers la sélection e x c l u s i v e (...). Bon. Mais d Mademoiselle R. a montrê
de 1’énonciateur : hem! enfin, bon .... Elles servent aussi à modérer (...). C’est déjà a u t r e CHOSE/que la sélection e x c l u s i v e . (...) I I faut
c r o i r e à ce qui se présente/rruás mais avec d une certaine p r u d e n c e /parce
et à limiter 1’afírontement verbal en insérant entre les répliques de
que/il y a plusieurs donnies en même temps/et souvent/ I í n t o n a t i o n d
1’argumentateur activé (B dans le dialogue) une marque d’approba- contredit/la .. séquence de .. de mnrphànes qui se présente dans une chaíne.
tion (.D’accord!, A5, B5) qui permettra, après répétition et variation d Par exemple/ quand on dit quelque chose introduit par « Savez~vous
lexicale ( o k ) à 1’allocutaire de développer à son tour une argumen- que... »/formule interrogative/ en mettant une intonation qui n’a r i e n dtinter-
tation en occupant le terrain par un monologue. La partie monolo- rogatif/ça n ’e s t p a s une interrogation. S’pas. Ta constamment des choses
gique est encadrée par dejux pen d’approbation, l’une assertée ( o k ) de ce type-là. Bon. C’est ce qui corrige/si vous voulez/la position ferme
que vous avez raison d’adopter/ mais d .... ferme et éclairée.
au début pour clore 1’échange interlocutif, 1’autre suggérée à la fin
(Hem) pour clôturer le développement monologique, mais annoncée L’argumentation déployée ici quant à la diversité des faits de
déjà par deux pen identiques, 1’une interphrastique (A 10) 1’autre langue et à la complexité de 1’interprétation à donner s’organise
intraphrastique (Al 3) qui marquent les étapes du raisonnement.
1. Joum ée cTétude sur Thème, rhème et concepts voisins (21 janvier 1989), organisée par la
prestigieuse Société de linguistique de Paris dans l’un des hauts lieux de la vie universitaire
La discussion qui suit un exposé scientifique ne se déroule pas parisienne — PEcole normale supérieure de la rue d ’Ulm — devant une assemblée de som-
toujours sur un ton aussi v if: sa nature est fonction tant de 1’envi- mités. L’intervenant est Pun des organisateurs principaux.
218 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 219

selon une procédure logico-syntaxique claire : déjà — mais — et puis II y a un déchet qui est/qui relève de ce que/Jakobson appelait «le pha-
— mais — mais. Pourtant 1’ensemble de la partie argumentative est tique»/s’pas/ et ce sont/en particulier des éléments/qui (...)/parce que souvent
ce sont des éléments/qui sont à des j o i n t u r e s d (...)/jointure entre thème
encadrée par deux énoncés contenant des particules. Le premier
et rhème/d par exemple/d et .. et qui varient selon d les .. la m o d a l i t é
débute sur un appel discret au consensus (/rappel de connaissances de la phrase d ou ils se présentent.
partagées) — déjà n’est-ce pas ... — le dernier, de type résumatif,
constitue 1’unique adresse directe à 1’exposante (avec syntagme verbal Et les éléments relevant du phatique auxquels il est fait allusion
à la 2e personne du pluriel, la position que vous cwez raison de ...), alors
s’avèrent être précisément ceux que nous classons parmi les pen.
que les énoncés précédents sont neutres ou impersonnels (II est Jré-
quent, quand on dit...). Les énoncés contigus à ces énoncés de bornage 1. C’est c’est le cas du du « Bonben» dans des/dans des énonciations/ n’est-ce
contiennent également des pen monosyllabiques qui ponctuent avec pas.
souplesse 1’assertion (bon) ou suggèrent avec une certaine familiarité 2. C’est là un élément d .... qui sert à .... á a n n o n c e r quelque chose. =>
l’approbation (s’pas). Remarquable ici est la corrélation entre pas- 3. Qui est e n d e h o r s des messages eux-mêmes mais sert de ..../une espèce
sages pseudo-dialogiques à énonciation personnalisée (l’égophorique d’annonce.
du début — ce que j ’appelle volontiers — et l’adresse finale à 1’allocu-
taire privilégiée) et particules énonciatives d’une part, démonstration Du point de vue de la progression thématique, cette exemplifica-
argumentée à cohésion exclusivement logico-syntaxique d’autre p a r t: tion prend la forme d’un premier énoncé à trois constituants énon-
la partie centrale (non reproduite ici), exposé universitaire type destiné ciatifs, d’un 2e avec progression thématique simple, d’un 3e qui associe
à un auditoire large, ne contient pas une seule pen. un nouveau rhème au thème du précédent et après une anacoluthe
Après une réponse brève et conciliante de 1’exposante Q’aurais reformule le rhème du 2e à 1’aide d’un syntagme « vague ». Ceei
dú dire dans les limites du corpus.) vient la deuxième partie de 1’interven- peut se représenter :
tion, dont le déroulement suit dans les grandes lignes un schéma
similaire à celui de la première : problématique générale avec réfé- Thl —> Rhl —> Mn + PEN
rence à d’autres autorités du domaine, puis retour au contenu de
1’exposé avec adresse directe à son auteur. Du fait que cette inter- Th2 (= Rhl) — > Rh2
vention n’est pas la première, 1’orateur s’autorise une procédure sim-
plifiée — préambule plus court, économie de la référence à l’expo- Th3 (= Rhl) —> Rh3 + Rh3' (= 1/2 Rh2)
sante :
L’intervention s’achève, après une adresse directe à 1’exposante
(rit ) Bon. d e u x i è m e chose que je voulais dire/d quand on a qffaire à (référence, avec geste de monstration, aux extraits de corpus distri-
.... à des corpus de/langue o r a l e / 3 je crois que .... il faut pas s’attendre bués — Voyez .... comme ce que vous aviei l à ), sur une déclaration
â ce que/ d les chaínes s’analysent i n t é g r a l e m e n t / õ en successions de d’intention méthodologique personnalisée (égophorique de fexpérience
thèmes/de rhèmes ou de post-rhèmes éventuellement. d T a un déchet. et de 1’opinion : je crois qu’on doit trouver de ces choses-là/et qu’il faut
leurfaire une place.) et une conclusion générale : T a une espèce de p h a ­
La demière assertion, frappante de familiarité — voire choquante t i q u e c o m m u n i c a t i o n n e l l e / d qu’il faut enregistrer. On retient de cette

pour les « holististes » de 1’analyse discursive — , est immédiatement deuxième intervention, allant de pair avec une tonalité moins for-
reprise et explicitée. L’énoncé bref rhématique devient segment-thème melle (lexique familier, «déchet»; morphologie relâchée, il faut pas
d’une séquence longue et syntaxiquement complexe (plusieurs coor- s’attendre, y a; nombreux égophoriques), une strueture syntaxique d’oral
dinations et subordinations): improvisé (anacoluthes, autocorrections, répétitions, syntagmes ico-
220 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 221

niques)1 et une structure énonciative qui n ’exclut pas les atténua- naire de la langue finnoise contemporaine (ns) précise que kyllã
teurs (éventuellement, une espèce d’annonce) ni les particules énonciatives. dispose d’un emplacement alternatif: en début de phrase, après le
Celles-ci n’encadrent pas le discours avec autant de netteté que dans premier constituant ou après le verbe fini. L’accord le plus net est
le passage précédent, mais elles 1’ouvrent (Bon.) et le ponctuent: marqué par la position initiale. En fin de phrase par contre le sens
pen d’appel à 1’approbation après une référence (Jakobson) et après interactionnel est moins évident. On peut afíiner la définition du
un exemple (le cas de « Bon ben »), y compris sous sa forme réduite ns en disant que kyllã sufíit parfois à conférer (par lui-même) une
(s’pas) qui atteste comme particule proprement dite la question caudale nuance d’accord à 1’énoncé.
n’est-ce-pas?, locution de valeur tout à fait comparable à celle de L’adverbe sitten ne se trouve en position initiale qu’avec sa valeur
la pen hein dont font usage d’autres énonciateurs (V.3.c). temporelle (de connecteur). Lorsqu’il est « dépourvu de sens parti-
culier, en tant que mot de remplissage ou de renforcement» (ns),
sa distribution est autre : il se place après le verbe ou du moins
3. PEN et syntaxe positionnelle avant le dernier constituant de la phrase. Dans les conclusions, la
position finale est la plus fréquente, ex. — No n i . Tããltã tulee sit viimme
L’observation du fonctionnement des pen dans une stratégie thé- (—Jahaí). Viimene tehtãvã nyt sitte. («Bon alors! Ici voilà ensuite le
matique longue (§ ci-dessus) éclaire et opacifie à la fois les données dernier (— Ah bon!). Le dernier exercice maintenant sitte (donc). »).
d’une controverse quant à leurs critères définitoires : la définition Du point de vue strict du sens et de la fonction, kyllã et sitten
selon laquelle leur placement à 1’initiale est exclu (voir chap. III, semblent avoir peu en commun, si ce n’est leur tendance commune,
langues germaniques notamment) par exemple tient mal la route non signalée par les dictionnaires, à intervenir, tant l’un que 1’autre,
d’une analyse transphrastique — à moins de s’en tenir aux seules plusieurs fois dans la même réplique, voire dans le même énoncé, ex. :
particules « enclitiques » (raisonnement circulaire). Conformément à
notre choix de démarche empirique, nous nous en remettrons, une a/ — Se on kyllã P A ran tu n u k y l Iü. b / — k y l se L ih a on kyllã oikein
fois de plus, à 1’examen de corpus d’oral authentique, afin de tenter hyvãA.
a ! « Ça s’est amélioré c’est sür ah oui. » b / « oui cette viande
de dégager quelques critères de discrimination (sinon définitoires).
est vraiment bonne pour le coup. »
La plupart des analyses consacrées aux particules énonciatives
(« modales », « pragmatiques »...) soulignent la tendance à 1’accumu- On voit que les deux pen kyllã peuvent encadrer 1’élément rhé-
lation que manifestent ces particules dans beaucoup de langues. Ceei matique accentué (d) ou bien que l’un peut se placer au début de
vaut également pour le finnois, oü l’on peut observer par exemple 1’énoncé, 1’autre après le verbe (b). Dans une perspective syntaxique,
les emplois cumulatifs de deux des pen les plus usuelles du discours on pourrait éventuellement dénoncer la « redondance » de cet emploi,
impromptu, kyl(lü) « oui, certes» et sit(ten) « puis, ensuite, alors». mais, nous 1’avons signalé, la notion de redondance est étrangère
Leur origine est différente : kyllã est classé traditionnellement au au mode de pensée de 1’analyse conversationnelle. On peut montrer
nombre des adverbes modaux, sitten est un adverbe pronominal de en effet que la répétition est à 1’oral un phénomène à grande échelle :
temps. on trouve à un extrême la répétition « bafouillante » (VI. 1.6), néces-
La définition lexicographique de kyllã est la suivante : « procédé saire à la planification, de même que la répétition maniérée; à 1’autre
de renforcement et de mise en valeur, employé dans Fexpression extrême, on aura la répétition rhétorique nettement articulée, orientée
de 1’accord, ou du ralliement à- la pensée d’un autre. » Le Diction- vers des objectifs précis. Les énoncés de 1’exemple ci-dessus manifes­
tent une certaine affectivité, qui souvent entraine la reprise de la
1. La structure réelle de ce passage pourra être comparée avec sa structure simulée ... même pen par 1’interlocuteur (6).
transcription simplifiée dans la citation cTIntroduction du présent ouvrage -.. dont les for­
mules égophoriques notamment ont été effacées. Sitten a un statut différent, dans la mesure oü, en tête de phrase,
222 Particules énonciatives et tendances universelles Les particules énonciatives dans la dynamique du discours 223

il n e p eu t être q u e tem p orel. M ais ce c i n e 1’e m p ê c h e p as cTêtre ce mécanisme. Le discours est formé d’unités syntaxiques (mots, pro-
répété lorsqu’il est « dépourvu d e sens ». O n p eu t citer ainsi 1’exem ple positions, phrases ...) mais leur délimitation n’intervient pas brusque-
lo n g d ’u n p assage ou ch a cu n des locu teu rs successifs finit p ar utiliser ment. II s’agit d’une construction graduelle de la part du locuteur : chaque
la pen sitten, ce qui sem b le être u n cas d ’effort d e co n cilia tio n , de étape tend à restreindre la portée de 1’ensemble de la réplique, à
rech erch e d e con sen su s : — Olis pysyny kato sit (...) pysyny. p o i s . — Sit foumir des indices supplémentaires à 1’interlocuteur quant au moment
ku kerra piti ottaa taikka s i t t e n . (« Si seu lem en t il était resté tu vois oü il va pouvoir prendre la parole. Ainsi la « projectabilité » de 1’unité
pen (...) resté. E n dehors. « — « Pis q u an d il fallait e n p ren d re ou syntaxique va croissant avec la progression du discours1.
après »). L a p rop osition in trod u ite p ar u n 3e lo cu teu r c o n tien t la Le début de la phrase est généralement considéré en finnois
m ê m e pen, puis les d eu x locu teu rs qu i p artagen t u n e m ê m e analyse comme Templacement non marqué des adverbes de phrase
se to u m en t vers les d eu x autres en d em andant «No mitãs sit ajattelette?» adverbes de probabilité et de commentaire notamment —, ou encore
(« E h b ien q u ’est-cé que vous p en sez alors (pen)? ») et les d eu x autres des connecteurs anaphoriques (sen takia « par conséquent», nãin ollen
ex p liq u en t leu r p o in t d e v u e en ayan t recours à sitten {Sitte se ni. Me « dans ces conditions »...). La différence de classement entre adverbes
pãastãa sitte. « Alors(PEN) vo ilà b on . O n laisse faire alors(PEN) »). et particules énonciatives se fonde sur le fait que les pen restent
Pour vérifier cette interprétation, il faudrait pouvoir substituer extérieures au contenu propositionnel de la phrase. Or nombre de
à chaque pen un équivalent de valeur « consensuelle » identique — pen se placent en tête de la phrase, certaines n’interviennent ail­
ce qui est délicat, du fait de la nature même des pen (aucune alter- leurs que par exception. Certaines de nos pen sont classées par les
native paradigmatique vraie). Par ailleurs, un contre-argument con- syntaxes parmi les adverbes de commentaire, tel kyllã. Le caractère
sisterait à se référer au sens « multiple » de la pen sitten pour justi- « adverbial» et de « commentaire » n’est toutefois pas toujours évident
fier son omniprésence, mais 1’analyse du corpus n ’étaye pas cette à la lumière des répliques dialogiques, ex. :
interprétation : la fréquence de sitten est liée à un fonctionnement
A — (rit) Aij jai ai ai.
de groupe précis, elle n’est pas « contagieuse » si cet effort de solida-
B — Kyl mua RAsitti ku tota noi/m e oltii KERra (...)
rité est absent1. « Ah oui ça m’a fatigué quand bon alors(2 pen), on était
UNE FOIS (...) »
Les travaux récents des conversationnalistes finlandais ont permis
de vérifier pour le finnois 1’importance du début de la réplique déjà Qui plus est, on trouve en début de phrase des pen que la
mis en valeur par d’autres analyses dialogiques. La position initiale syntaxe ne traite jamais. Nombre d’entre elles sont en effet des élé-
est, on le sait, essentielle à plusieurs niveaux de la description lin- ments qui n’apparaissent que dans la conversation, et qui reçoivent
guistique : le début de la phrase signale son type syntaxique (mot précisément leur motivation de la structure de 1’échange dialogique.
interrogatif en tête, impératif en tête ...). Or, cet emplacement n’est C ’est le cas de ai, qui se rapporte à ce qui précède, et introduit
pas moins important du point de vue de la construction du dia­ soit une Q de controle soit un retour à un thème antérieur qui
logue : afin d’éviter au maximum les silences prolongés et, à 1’inverse, ressurgit brusquement, e x .:
les prises de parole simultanées, les locuteurs doivent disposer d’un — a i ju u TOST/mu ãskãn piti (...)
mécanisme de repérage de début et de fin de phrase. Les ethnomé- « tiens oui À PROPOs/tout à 1’heure j ’ai failli (...)»
thodologues ont tenté de dégager les caractéristiques universelles de
A 1’initiale on trouve aussi différents signaux d’interruption ou
1. Cf. A. Hakulinen (éd.), Suomen kklm keskustelu keinoja, p. 124-128. On pourrait citer, à de « remise en place », tel muuten « autrement, d’ailleurs ».
1’inverse, de nombreux exemples d’emplois monologiques de sitten dont la valeur temporelle
(chronologique, kun — sitten) s’eíTace graduellement au profit de son effet de structuration 1. Cf. H. Sacks, E. A. Schegloff and G.Jeferson, A simplest systemics for the organization
(cohésion et rythme de la répétition) — cf. Le finnois des Sames bilingues, p. 254 sq. of tum-taking...
224 Particules ênonciatives et tendances universelles Les particules ênonciatives dans la dynamique du discours 225

On remarque qu’une réplique d’oral impromptu est fréquem- La linguistique transphrastique qualifie volontiers ces éléments
ment introduite par le support négatif ei (3epersonne du singulier de « métatextuels». Le concept qui sous-tend cette analyse est celui
du « verbe » négatif en finnois, qui sert aussi de particule de néga- d’une répartition sur deux niveaux : le contenu (« propositionnel»,
tion), or il ne nie pas toujours quelque chose qui précède, même pour la syntaxe) et son commentaire. On dit aussi que les éléments
implicitement, ex. : métatextuels sont « réfléchis », ils renvoient à la partie de texte qu’ils
constituent eux-mêmes, ex. «Mon point de vue, c’est que ». Ces éléments
— Ei kyl ma sano iha suoraa et kyl ma (...) contiennent souvent un verbe d’opinion — «je trouve que» , ou
« Non mais bon je dis très franchement que oui moi je (...)»
une construction selon les langues pré- (fr. à mon avis) ou post-
Les jurons forment, parmi les initiateurs d’énoncés, un groupe positionnelle (fi. minun mielestà). Le fonctionnement réel de ces élé­
à part. Ils sont proches des pen de par leur distribution : ils peuvent ments dans la construction du discours est loin d’avoir été élucidé1.
se placer au début, au milieu ou à la fin. Les jurons initiaux appor- Autres procédés de réservation d’un temps prolongé, les intro-
tent le plus souvent un commentaire sur 1’action ou la situation; ductions apparemment « vides » : leur position à Finitiale permet
à 1’intérieur de 1’énoncé, ils fonctionnent aussi comme évaluateurs au locuteur de diíFérer — caractéristique de répliques gênées/déli-
du récit. Dans le corpus de Helsinki, les jurons les plus fréquents cates/réticentes — Finformation proprement dite (ex. « Ça mainte-
so n t: jestas (< «Jésus »), jumalauta (« bon Dieu »), paskat (« merde »), nant c’est bien sur le genre de situation... »).
perkele (« diable »), saatana (< « Satan », «putain»). E x.1: Pour ce qui est du français, la distribution des pen dans le dis­
cours ou le dialogue est encore insuffisamment étudiée, du moins
(riant ) S A A tana se on p u ra s su p u o l s ik a a r ia ! dans des corpus larges. Signalons toutefois quelques indications inté-
— Perkele ku mina () ãlã viirti kuule)
— S a a ta n a â k a i m e n y t ta ssa K U iv in su in ruveta olem aa. ressantes fournies par un mémoire d’étudiant portant sur les pen
« putain il a bouffé la moitié du cigare! — Merde alors moi qui bon/ben/bonben/quoi/je veux dire/si tu veux/enfin/tu sais/tu vois/de la langue
( s’il te plait hein) — Putain on va quand même pas rester quotidienne : la distribution des pen dans sept classes distinctes (res-
là la bouche sèche . » pectivement, 1 et 2. pen en tête ou en fin de tour de parole; 3
Certaines des pen évoquées ici peuvent constituer seules une et 4. pen suivie ou précédée de signal d’attention; 5. P en précédée
réplique: c’est le cas de ei («non»), kyllã («oui»), ai («tiens!»), ou suivie de pause; 6. pen insérée dans un flux continu de paroles;
et des expressions de « rétroaction minimale » (dont certaines « pseudo- 7. pen en tête de discours rapporté direct) confirme la polyvalence
conjonctions ») — joo, niin2. de bon (présent dans toutes les cases), suivi de près par tu sais, enjin,
On trouve également parmi les « introducteurs » certains énoncés si tu veux. Rares sont les tendances nettes qui se dégagent: ben initial
complexes, dont ceux que les ethnométhodologues ont dénommé (embrayeur de R), de même (souvent) bon, enjin (conclusion, résumé,
les « préfaces narratives » (story preface) : procédés de réservation d’un autocorrection); quoi final (conclusion), de même que tu vois (recherche
temps de parole prolongé, ils introduisent, plus que 1’énoncé, Facti- d’approbation)2.
vité même de narration («Y a un truc qui était bien .... une fois je Le déclenchement du positionnement semble, en clair, de nature
devais (...) »j3. avant tout pragmatico-sémantique : s’agit-il encore de syntaxe?
Une attitude de compromis consiste à poser 1’hypothèse de régu-
1. Exemples inspirés de A. Hakulinen (éd.), Suomalaisen keskustelun keinoja, p. 131-134. lations syntaxiques (co-déterminant la distribution) comparables à
2. Ces signaux de rétroaction, qui rassurent le locuteur dans son rôle — voir les « auditor celles déjà repérées pour 1’inventaire lexical (VI. 1.d).
back-channel signals » de S. Duncan, On the structure of speaker-auditor interaction during
speaking turns, Lmguage in society, 1974, 3/2, p. 161-180 —, ni réponses ni embrayeurs de
réplique (en général), mériteraient une étude syntaxique appropriée. 1. Cf. D. Schiffrin, Meta-talk: organizational and evaluative brackets in discourse.
3. Cf. H. Sacks, Some considerations of a story told in ordinary conversation, Poetics, 2. Cf. P. Sihvonen-Hautecoeur, Enjin tu vois quoi. Fondions des particules discursives dans Voral
1986, 15, p. 127-138. spontané, maitrise de philologie romane, Université de Jyváskylà, 1987.
Q U A TR IÈM E PARTIE

Particules énonciatives et Sciences du langage


bilan et prospective
Chapitre VII

PARTICULES ÉNONCIATIVES
ET PRINCIPALES ORIENTATIONS
LINGUISTIQUES

1. PEN et linguistique historique

a / Morphogenèse

Les pen tirent en somme leur origine de deux sources diffé-


rentes. 1 / Les particules nucléaires, dont beaucoup ne partagent
1’identité phono- et/ou morphologique d’aucun autre élément de
la langue, exercent une fonction de structuration du flux énonciatif.
La richesse d’une langue en particules de cet ordre (comme c’est
le cas du same) est posée ici comme étant le corollaire d’une longue
tradition d’oralité. Certaines de ces pen , effets d’une vive émotion,
traditionnellement classées parmi les « inteijections », semblent n’avoir
jamais eu de « sens » précis mais se présentent sous une forme actuelle
conventionnalisée (fr. oh, ah, fi. ai, sa. vuoi...). 2 / Certaines particules,
parmi lesquelles une majorité de pen périphériques, peuvent être
rapprochées d’autres éléments de la langue (adverbes circonstanciels,
pronoms démonstratifs et conjonctions notamment), dont elles repré-
sentent une variante « désémantisée ». Ceei rejoint la question cen-
trale en linguistique de la démotivation progressive des lexèmes comme
procédé naturel de création d’opérateurs cohésifs. On peut montrer
dans plusieurs langues que certains circonstants (lieu, temps, manière)
perdent graduellement leur sens pour devenir connecteurs ou indices
pragmatiques le hongrois contemporain serait un bon exemple de
ce processus, pour lequel une formule de réduetion a pu être établie,
en référence à la tendance générale des langues à « faire coincider
230 Particules ênonáatives et Sciences du langage Particules ênonáatives et principales orientations 231

coüt et information »*. Deux points de vue se concurrencent quant les modes d’emprunt des pen à d’autres langues (VII.3. infra), d autre
aux raisons de ce vidage : 1 / les pen , correspondant à des réflexes part 1’aspect historique de 1’interaction entre intonation et pen —
primaires conventionnalisés, auraient une sorte de primauté dans dans quelle mesure une langue peut-elle se muer de primairement
la communication humaine2; 2 / les pen , qui représenteraient au particulaire en primairement intonative?1 Quant aux enseignements
contraire un stade tardif d’évolution, reflètent une conscience méta- du «laboratoire créole », voir aussi V.4.c.
linguistique développée3. L’apparente contradictíon entre ces deux
points de vue, qui recouvre certaines différences stylistiques et fonc- b / Philologie des textes
tionnelles déjà relevées, doit être relativisée par rapport aux langues Pour ce qui est des pen « légères » et « spontanées », les sources
sur lesquelles porte 1’observation. écrites sont, on le sait, loin d’être fiables. Certaines de ces particules
Autre question : les pen connaissent-elles un usage plus évolutif sont quasi inconnues de 1’écrit — nous 1’avons vu pour les pen inter-
que celui des autres lexèmes? D ’une comparaison portant sur les actives (interrogations non grammaticalisées, rétroaction) ; d’autres
parties dialogiques des Canterbury Tales de Chaucer ressort 1’existence y servent à simuler l’oral. La particule pã du vieil anglais a donné
de nombreuses expressions particulaires tombées hors d’usage en fieu néanmoins à plusieurs travaux d obedience textualiste. On a
anglais modeme (by your leve, Benedicitee...); par contre, beaucoup de pu montrer que cette particule, qui tend a apparaitre dans les parties
celles que nous sommes tentés de classer en synchronie parmi les décisives de la narration (actions instantanées, achevées), à la diíFé-
« pen nucléaires» étaient déjà utilisées par Chaucer: voell, vohy, I rence de ponne (circonstances durables, époque indéterminée), foca-
gess(e) final4. Les pen nucléaires résistent mieux que les périphéri- lise les éléments de premier plan. L’évolution des marqueurs de
ques, ce qui s’explique par leur spécialisation fonctionnelle et par « plan » est au coeur d’un débat actuel en linguistique historique :
l’instabilité définitoire de la deuxième classe. le rôle respectif des styles et des types linguistiques dans les change-
Le jugement socio-culturel porté sur les pen explique aussi leur ments diachroniques. Les « distinctions de cadrage » (angl. grounding
disparition ou leur maintien. En finnois par exemple, 1’énonciation distinctions) reposent en anglais modeme sur la distinction entre pro-
soignée n ’échappe pas plus que la syntaxe à 1’influence des gram- position principale et proposition subordonnée d une part, sur le
maires indo-européennes; la condamnation radicale des particules système temps/aspect d’autre part (marquage multiple). Le vieil anglais
conversationnelles5 par les normalisateurs d’une tradition écrite par contre semble privilégier ce marquage du premier plan . les
tardive n a néanmoins pas suffi à réfreiner l’usage impromptu de énoncés marquês par pã décrivent les événements essentiels du récit,
ces particules. On peut du reste s’interroger sur les choix socio- leurs sujets sont des humains individualises, leurs « objets » sont for-
stylistiques respectifs des grandes langues (/civilisations), au vu de tement afFectés (assassinat...); les actions sont uniques, dynamiques
la différence typologique entre latin (pen peu nombreuses et d’emploi (intentionnelles et menées à terme). La narration respecte 1ordre
marginal par rapport aux joncteurs syntaxiques) et grec (pen expres- chronologique : c’est un exemple d’ « iconicite experientielle », selon
sives fréquentes et nuancées, surtout en grec ancien). D ’autres ques- la terminologie de N. E. Enkvist. Une description diachronique dégage
tions, intéressantes mais complexes, sont d’une part les raisons et des correspondances forme à forme entre différents stades de 1’anglais
(ainsi du then de 1’anglais moderne et du pã du vieil anglais), encore
1. I. Fonagy, Poids sémanüque et «poids phonique», p. 31. Voir aussi I. Even-Zohar, The emer- que le statut de ces formes puisse diíférer au sein du système de
gence of speech-organisers...
2. Cf. I. Fonagy, Prélangage et régressions syntaxiques.
signalisation des plans. L’hypothèse suivante a pu être posée quant
3. Cf. J. Denniston, The Greek Particles, p. 37. à 1’influence de Yoralité: la narration-type du vieil anglais, à mar­
4. Cf. V. Salmon, The representation of colloquial speech in «T he Canterbury Tales», quage de premier plan, est issue d’une tradition de récit oral, qui,
Style and Text, H. Ringbom (éd.), Stockholm, Abo, Âbo Akademi, 1975, p. 263-277.
5. p e n condamnées au nom de la « tradition nationale finnoise » (censée préférer la répé-
tition du constituam mis en question), cf. Le discours des Somes, p. 326 sq. 1. C f J. O. Ostman, Particles and prosody.
232 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énondatwes et principales orientations 233

ayant perdu son prestige à 1’époque du passage à l’écrit, a survécu faire des adeptes parmi les ethnolinguistes. Le travail de terrain est,
comme alternative stylistique du discours oral1. en ce qui concerne les pen , relativement délicat au premier degré
La diííiculté d’inventaire est encore accrue dans le cas des parti­ — mais à peine plus qu’en ce qui concerne la langue maternelle,
cules expressives (affectives): les rares études existant dans le domaine pour laquelle différentes expériences psycholinguistiques1 ont
roman par exemple sont consacrées aux connecteurs, souvent d’un montré que les pen échappent aussi bien à 1’attention métalinguis-
point de vue de logique argumentative2. La synchronie dynamique tique qu’à la mémoire à court terme. La difficulté native d’intros-
risque, dans ce domaine, de tenir lieu encore longtemps de perspec­ pection (VI. 1) n’exclut pas la mise au point par le linguiste de
tive diachronique. méthodes de repérage. On souhaiterait ainsi voir apparaitre dans
la troisième édition d'Enquête et description des langues à tradition orale2
— ce petit chef-d’oeuvre méthodologique auquel les ethnolinguistes
2. PEN et linguistique descriptive francophones sont redevables d’un appareil de grilles et de question-
naires d’enquête unique en son genre — des ajouts qui, sans remettre
a / Ethnolinguistique
en cause les fondements fonctionnalistes (fonctionématique et énon-
Se situant dans un courant de linguistique ancien, momentané- cématique élaborées à partir de 1’enseignement d’A. Martinet), réser-
ment éclipsé par la linguistique structurale, Pike, on le sait, chercha veraient une place à la dimension discursive et, avec elle, aux parti­
à rapprocher linguistique et Sciences connexes : la théorie unifiée, cules énonciatives. Une série de tests d’inventaire avec trancription
qu’il dédia à Sapir, ne pouvait se satisfaire d’une linguistique « de à trous, et des exercices s’inspirant de «Jeux dialogiques »3 argu-
la phrase » — « point de départ ou d’aboutissement (...) totalement mentatifs ne dépareraient ni les « Notions d’analyse linguistique »
inadéquat (...) sans référence à des relations de niveau supérieur»3. ni les « Cuides thématiques »4.
Cette ambitieuse théorie, soulignons-le, n’aurait pas vu le jour sans
l’expérience de terrain : initiée par les travaux de son auteur sur b l Dialectologie
la gestuelle de langues non décrites (Mexique), elle aboutira, sous
Un développement similaire serait à prôner pour la dialecto­
la direction de R. E. Longacre, à la description textuelle d’un vaste logie, cet autre volet du variationnisme oral. Un modèle existe en
ensemble de langues des Philippines et de Nouvelle-Guinée. Une 1’occurrence : le volumineux ouvrage Syntaxe et grammaire textuelle des
place de choix est réservée aux pen dans cette architecture du para- dialectes finnois5 est l’un des plus importants des trente dernières
graphe qui repose sur la logique « de repartée » (relations entre parties années pour la recherche fennistique. II consacre 1’heureuse alliance
d’un dialogue : Q , R, contre-Q_ etc.) et « d’incrém ent» (faisceau de d’une tradition grammaticale bien ancrée en Finlande — la dialec­
modalités — intention, désir, capacité, obligation, etc.)4.
tologie — et d’une méthodologie plus récente, mais déjà bien
Cette linguistique ouverte à des aspects négligés du comporte-
implantée dans les Pays du Nord : la linguistique textuelle. Le corpus
ment humain, qui s’est révélée être un instrument heuristique per-
est maximalement diversifié : représentation égalitaire de toutes les
fectionné pour la découverte de systèmes langagiers non décrits, devrait aires dialectales (une heure d’enregistrement pour chacune des
132paroisses du pays), auxquelles s’ajoutent les 50 000 fiches ini-
1. Cf. N. E. Enkvist, Old English adverbial pã — An action marker?, 1972; N. E. E.
et B. Wârvik, Old English pã, temporal chains, and narrative structure, 1987; B. Wârvik,
On grounding in English narratives, 1990. Voir aussi W .J. Ong, Orality, literacy and medieval 1. Cf. D. Franck, Grammatik und Konversation.
textualization, New Literaiy History, 1984, 17, p. 1-12. 2. L. Bouquiaux et J. M. C. Thomas (éds.).
2. Cf. O. Ducrot et C. Vogt, De «m agis» à «m ais» : une hypothèse sémantique, Reme 3. Cf. L. Carlson, Well in Dialogue Games.
de linguistique romane, p. 317-341. 4. Enquête et description... , volumes I et III.
3. K. L. Pike, Language in Relation to a Unified Theory of the Structure of Human Behmiior, p. 147. 5. O. Ikola, U. Palomàki, A. K. Koitto, Suomen murteiden lauseoppiaja tekstikielioppia} Helsinki,
4. Cf. E. Roulet, Linguistique et comportement humain, chap. 6. sks, coll. Suomalaisen Kirjallisuuden Seuran Toimituksia, 511, 1989, xix + 568 p.
234 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énonciatives et principales orientations 235

tiales de dialectes du Sud-Ouest et 30 échantillons de textes repré- incline également à la classer au nombre des particules énoncia­
sentant la « langue standard » (définie par un ensemble de critères tives1.
précis — y compris ethno- et sociolinguistiques), à des fins de com-
paraison. La méthode est explicitement scrupuleuse : critères de déli-
mitation des énoncés oraux qui tiennent compte de la construction 3. PEN et théories linguistiques
grammaticale, de la pause, de 1’intonation et d’éléments de contenu;
a / Linguistique contrastive
« texte » défini comme « 1’unité la plus large de 1’oral, ensemble
constitué d’une ou de plusieurs phrases que relie un réseau de rela- Jadis déclarée « non valide » du fait d’un amalgame abusif avec
tions de coréférence » (définition empruntée à N. E. Enkvist). L’étude l’« analyse des fautes», la linguistique contrastive (lc) constitué
se répartit selon les deux axes centraux de l’analyse syntaxique et aujourd’hui l’une des tendances majeures de la linguistique générale.
textuelle : I / La cohésion, les éléments, phrases et propositions du Les contrastivistes européens préfèrent — à la diíférence de leurs
texte. II / Les phrases enchâssées et 1’emploi des formes nominales. collègues américains, pour lesquels la lc se confond souvent avec
Dans la partie I, le fonctionnement des conjonctions ja « et », mutta la pédagogie des langues — attribuer la paternité de la lc aux com-
« mais », kun « lorsque » retient 1’attention : on le savait différent de paratistes de la fin du xixc siècle, et si d’aucuns soulignent par une
ce qu’en fait la grammaire normative, il est ici pour la première fois distinction terminologique la diíférence entre linguistique « confron-
documenté de façon extensive. Ainsi deja qui, sémantiquement additif, tationnelle » théorique vs contrastive appliquée, c’est à la complé-
est généralisé dans les dialectes en tant que suspensif: placé avant mentarité des deux que s’attache généralement 1’appellation lc. La
et/ou après la pause (cf. ici-même II.3.c), il indique la réservation du lc participe aussi de 1’évolution générale de la linguistique au
tour de parole — comparée, au passage, à 1’intonation du français xxe siècle, laquelle peut se résumer dans le passage d’une linguis­
qui « se maintient haute avant la pause » — ex. Ne nypittihija,jaja ’kuwa- tique structuraliste à une linguistique « socio-opérative »2 ou « pro-
tihin sittejjaja sitten ’niit’ ruvettihin... « on les a plumés et [puis], et [puis] cessuelle » (VI. 1). L’observation contrastive de la parole impromptue,
et [puis] on les a séchés ensuite et et ensuite on a commencé à qui concerne directement nos pen, se heurte à la difíiculté de repérer
les... ». Le cas de la proposition relative est étudié avec quelque (ou de susciter) des situations communicatives similaires3. Un préa-
détail: beaucoup plus rare dans les dialectes (3 % des phrases) que lable méthodologique : la distinction de deux types de contrastivité,
dans la langue standard (9 à 10 %), elle est aussi introduite par interne et externe, est, plus qu’un subterfuge, destinée à assurer la
une proforme différente : kun (conjonction temporelle de 1’écrit, validité de la comparaison translinguale.
variantes ku/ko à l’oral) qui correspond dans 90 % des occurrences
aux pronoms/adjectifs relatifs joka et mikã de la langue standard. Contrastivité interne. — Elle se subdivise elle-même en différents
Le fonctionnement particulier de ce kun, auquel les descriptions socio­ sous-thèmes, parmi lesquels nous mentionnerons : 1 / le scientifique
linguistiques de 1’oral finnois standard ont déjà attribué le statut vulgarisé — le discours de vulgarisation scientifique, conçu par ana-
de pronom relatif, mériterait une discussion approfondie. Ex. : logie avec la problématique du transfert interlingual comme le produit
a / ’Kauppa se o ko kannattaa, litt. « commerce-ce-est-»-vaut la peine », d’une « traduction intralinguale », et placé de par ses conditions de
c’est-à-dire « c’est le commerce qui vaut la peine »; b / Se ‘lehmã, production dans une relation de tension entre fonctions respective-
ensimmàinel lehmã kun úlos lasketúin keuaalla, se ’tropattiin...» (« Cette vache,
la première vache qu’on faisait sortir au printemps, on lui adminis- 1. Cf. notre compte rendu, b s l , 1991, 85/2, p. 332-337.
trait... »). La valeur de kun à l’oral, qui est, on le voit, étroitement 2. Cf. C. Hagège, UHomme de paroles, p. 235 sq.
3. Cf. M. M. Jocelyne Femandez, Analyse contrastive du discours et communication inter-
liée à des phénomènes de thématisadon marquée, équivalant en fran­ science, p. 3-10; K. Sajavaara, Contrastive discourse analysis and impromptu speech; K. Saja-
çais soit à un support syntaxique (ex. a), soit à une extraction (ex. b), vaara et J. Lehtonen, The analysis of cross-language communication.
236 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énonciatives et principales orientations 237

ment métadiscursive et paraphrastique, correspond pour le repérage langue à la comparaison des messages acoustiques et des messages
des pen et de leur fonctionnement à une orientation encore très peu optiques.
exploitée de la recherche1. 2 / La relation oral-écrit, passage de l’un Nous citerons pour finir, à titre d’illustration, un troisième cas
à 1’autre et interrelations complexes : c’est là, on 1’aura remarqué, Ia de contrastivité interne. Considérons le dialogue suivant, extrait d’une
dimension privilégiée par le présent ouvrage (chap. V notamment). série hebdomadaire d’émissions de télévision qui mérita durant quinze
Signalons une recherche pionnière, et qui mériterait d’être suivie, concer- ans le surnom de « grand-messe de la littérature ». Ce dialogue, dans
nant la comparaison à 1’oral et à 1’écrit des pen expressives (Abtõnungs- lequel la linguistique joue, exceptionnellement, un rôle de premier
partikeln) et des conjonctions allemandes. Le parallèle établi entre ces plan, est un véritable morceau d’anthologie. Les protagonistes, entourés
deux catégories (l’une plutôt énonciative, 1’autre plutôt grammaticale), d’une dizaine d’invités, s’engagent dans un échange qui, stylistique-
parallèle déjà maintes fois évoqué dans notre ouvrage, mérite quelque ment hésitant entre 1’entretien dirigé et le dialogue spontané, peut
attention supplémentaire. Une tendance nettement inverse s’observe déboucher sur des parties monologiques longues — à 1’initiative du
en eíFet dans des corpus appropriés : 1’explicitation des relations interph- meneur de je u 1. Celui-ci, selon 1’habitude qui lui vaut une partie
rastiques par 1’ajout de conjonctions (là ou l’oral s’en passait) est une de sa popularité, crée d’emblée une impression d’aisance naturelle :
tendance commune au sous-titrage (pour malentendants par exemple) questions directes (voire brutales), style correct mais familier ponctué
des films et à la présentation écrite des interviews; les pen reçoivent de pen, d’hésitations, de répétitions.
un traitement diamétralement opposé, leur apport supplémentaire (dans
— (Al) Bon. Alors on va passer maintenant à/à Claude Hagège
le registre de la nuanciation) étant le plus souvent jugé négligeable. avec ce.... Mais axiant de parler de votre livre/je voudrais quand mêmed ..
Or les pen expressives de 1’allemand sont en général plurifonction- connaítre deux ou trois choses sur vous/parce que .... parce que/bon oous
nelles (nous parlons d’« homonymes », cf. Introduction): elles assu- êtes un .. je le disais vous êtes un savant/mais d .... comment vous est
rent, parallèlement à la modulation de 1’énoncé, la fonction corres- venu le gout pour le langage/pour les langu.es/pour la linguistique....? Ça
pondant à leur catégorie syntaxique — c’est-à-dire adverbe de temps c’est .... Vers quel âge?
(erst, schon, noch), adjectif (ruhig, schon), adverbe de phrase (vieleicht, wohl) Pour qui croirait encore qu’une Q_ précise induit automatique-
ou conjonction (aber, denn, doch, nur, blojj). Ce dernier groupe se prête ment une R identique, la réponse du linguiste serait quelque peu
d’autant mieux à la réílexion théorique que son comportement se dif- décevante :
férencie selon que le message est parlé ou écrit:
— (Bl) Aussi loin que je plonge dans mes souvenirs/ cela est extrêmement
— aber par exemple, conjonction fréquente dans le roman narratif ancien/et depuis la plu s p e t it e enfance/j’ai toujours été f a sc in é par les
et dans la parole impromptue, se fait rare dans le dialogue de langues. => Je suis habité par une passion des langues. =* Je me souviens
roman. En tant que pen expressive, elle se trouve seulement dans que dans 1’enfance la plus tendre/je ne saurais dire à quel âge mais certaine-
les dialogues de roman et dans la langue parlée authentique; ment trè s TÔT/j’importunais mes parents pour que/on puisse m’acheter/un
ouvrage de chinois/ devant lequel j ’étais tombé en arrêt/ f a s c in é /dans une
— nur et blofl, très rares, ont une distribution nette : conjonctions vitrine de libraire/oú il trônait (...). J ’allais importuner les gens (...) des
dans les récits et pen expressives dans le dialogue (valeur d’empha- gens/dont l’exotisme/l’étrangeté/était pour moi un critère de valeur. (...) J ’inter-
tisation)2. rogeais. Et je notais.
Cette réílexion, fondée sur des considéradons typologiques intra- Une façon élégante en somme d’esquiver la datation. Le com-
linguistiques, devrait, pour être fructueuse, s’étendre au sein de chaque mentaire du journaliste a le tort d’ignorer la distinction (profession-

1. Cf. M. F. Mortureux, Paraphrase et métalangue dans le dialogue de vulgarisation; 1. Emission cfApostrophes, «L e plaisir des mots», chaine A2, décembre 1986; la convcr-
M. M. J. Fernandez, Réénoncer pour traduire et vulgariser. sation se déroule ici entre le producteur-meneur de jeu, Bemard Pivot, et le linguiste Claude
2. C f A. Kárná, Partikkelit puhutussa ja kirjoitetussa kielessà. Hagège, récemment nommé Professeur au Collège de France, auteur de l/Homme de paroles,
238 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énonciatives et principales orientations 239

nelle) subtile entre linguiste « en chambre » et linguiste de terrain, nique tripartite; assertion (b) introduite par un connecteur additif
ce qui provoque une vive protestation (B2), suivie, après rectification et une inteijection-PEN d’oral soutenu (mon Dieu) — avec cohésion
docile et admirative du questionneur, par une réfutation (B3) des logico-syntaxique explicite de la subordonnée et de la principale
présupposés du commentaire : R multiple dont le 2e énoncé utilise (si — en effet) —, suivie d’une relative appositive (c ) de réfutation
la stratégie énonciative 2 (Rh — Mn). absolue qui assurera le bouclage du paragraphe.

— (A2) Vous avez passé toute votre enfance dans les dictiomaires alors. — (B6) II emploie le verbe « m anter ». Regardez le Robert ou le Larousse.
— (B2) J v o n ! M m / d a n s les langues v iv a n t e s ! Et le verbe manier/est tout àfait en accord avec la su b til ité de Monsieur
— (A3) Ah dans les langues vivantes! Dumézil. (a) II ne dit pas que je les p a r l e /il ne dit pas que je les
— (B3) Non non non/j’étais pas un homme de bureau. = > Un komme c o n n a is /U dit que je les m a n ie . (b) E t/mon Dieu 3 /si manier signi-
d e t e r r a i n j ’étais/déjà. jie 3 « classer»/« comparer»/tasser .. tâcher de retrouver/ une parenté géné-
tique/en effet j’en manie un grand nombre/(c) ce qui ne signifie en aucunefaçon
Le journaliste revient à la charge : que je les C 0 N N A i s s E / a u sens oü je pourrais les parler.
— (A4) Ah oui. Mais à quel âge? A, quelque peu dépossédé de ses moyens par le dynamisme de
cette démonstration, se contente d’émettre une pen de rétroaction
En vain. II préférera renoncer, et enchainer sur le thème du
(ton bas), qui permet à B un développement explicatif, sous la forme
voyage par les langues :
d’un listing exotique et planétaire, interrompu tout juste par un com­
— (B4)J ’interrogeais les gens autour de moi constamment. Et 3 j ’.... f 'adorais mentaire parenthétique familier (élision du sujet, pen b i e n ) :
la babêlisation des lieux que je jrêquentais d (...).
— (A5) Mais parce que/apprendre les langues c’est voyager bien sür. — (A7) Ah oui.
(B5) 3 .... pour moi oui. Mais d je dirai/pour ne pas être intolérant/que — (B7) J ’en lis beaucoup/parce que je reçois/des revues de Pékin/de
fadmets volontiers/ qu’on peut apprendre des langues en restant sídentaire/ ce Tokyo/de Moscou/faut bien queje les lise/des Pays arabes/d’Israel/je lis ces
n’est pas exclusif. Pour moi/c’est complètement/SYNONYME des voyages. Des langues... [rires discrets des autres invités]
nomadisations. Je nomadise dans les langues et dans Vunivers en même temps.
C’est ça. L’intention maligne, non dépourvue d’ironie, dont Feffet est sanc-
tionné par le divertissement manifeste de Fauditoire, ne peut échapper
B sachant gré à A de ne pas s’obstiner, a formulé une R directe à A. II revient à sa stratégie initiale d’attaque directe, avec une
et sonore (emphase), suivie d’un commentaire, et bouclée par une obstination qui n’a d’égale que celle de Finterlocuteur à réfuter les
locution (C’est ça) dont la familiarité est une autre façon de signifier présuppositions de la question :
son appréciation (validation) d’une interprétation juste. Après une
référence longue (ici tronquée) au compte rendu élogieux cFun pair — (A8) Vous en lisez combien?
illustre, A embraye une Q_ directe : — (B8) Ça ne veut pas dire que je les parle.
— (A9) Vous en lisez combien?
(A6) [Citant un article de Georges Dumézil « autre savant — (B9) Lire des langues ne veut pas dire qu’on les parle !
célèbre »] : «Savoir 20 ou 30 langues paraissait une p e r f o r m a n c e . Hagège
en m a n ie /P L U s d e c e n t c i n q u a n t e ». Mais/c’est vrai? Quelques instants de flottement, recours massif aux pen (interlo-
cutives et d’hésitation) puis réitération de la ÇL assortie d’une res-
Nul n ’imagine plus, à ce stade, que la R puisse être également triction conciliante (de forme mnémématique):
directe. Le questionneur se voit gratifié d’une digression habile et
stylistiquement rhétorique, organisée selon un schéma logique : réfu­ — (A10) Oui mais enfin ... Oui mais enfin les mots .... (—) Oui d’accord/
tation (d) des alternatives terminologiques sous la forme d’une ico- mais vous en lisez combien? Sans les p a r l e r / sans les p a r l e r .
240 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énonciatives et principales orientations 241

L’obstination s’avère enfln payante : explication (-esquive, Mais...) aguerrí controle certes 1’évolution de la situation dans son ensemble
impersonnelle de justification de la non-réponse, puis aveu (amusé) (préalable implicitement accepté par les invités de 1’émission), mais
d’impuissance (ignorance): U ne peut empêcher son invité, orateur coutumier des estrades aca-
démiques sinon des salons de télévision, de déjouer ses stratégies
— (B10) Mais / lorsque l’on est dans .. dans une p a ssio n / l’idée d’une
évaluation ne vient fias. Je .. (rit) Je ne sais fias! d’enquête — par exemple en « om ettant» de répondre. D’autres
comparaisons de ce type sont nécessaires pour éviter les risques de
Ultime concession, non dépourvue d’enjeu, du questionné récal- catégorisation hâtive.
citrant: il choisit de se livrer à une évaluation approximative plutôt
que de laisser s’implanter la réputation d’une polyglossie (/multi- Contraslivité externe. — Nous nous sommes déjà interrogés, à propos
glossie) suspecte. de la recherche de mots, phénomène fréquent de la parole impro-
— (Al 1)4" en a trop! visée analysé ici selon le procédé du « listing », sur la validité univer-
(BI 1)Non non non. Je peux peut-être .. celles que je lis couram- selle d’une hypothèse syntaxique forte : dans quelle mesure la gram-
ment se comptent peut-être sur les doigts de deux mains/au grand maximum. maire peut-elle être considérée régler ce phénomène de « bafouillage »?
— voir les affinités démontrées entre éléments construits et bafouil­
Quel enseignement tirer de cet échange médiatique en face à lage (VI. 1.6). La dimension contrastive permettra d’inventorier les
face? Avant tout, la difficulté d’attribuer 1’usage des pen à tel ou manifestations du phénomène propres aux systèmes linguistiques res-
tel facteur contextuel, situationnel ou intcrpersonnel. Si la situation pectifs (les différences morphotactiques ont-elles une incidence sur
et le contexte d’énonciation sont ici communs aux deux participants, le lieu d’occurrence du listing?), d’évaluer la portée typologique de
les enjeux ne sont pas les m êm es: le journaliste-producteur vise ces observations: 1 / degré d’automatisme des constructions (simple
1’exploitation maximale d’un plurilinguisme exotique (de longues listes juxtaposition en français/structuration dilatoire favorisée par les par­
de langues africaines, indiennes et autres seront extraites de 1’ouvrage ticules modales en finnois); 2 / possibilité de transfert d’une langue
à différentes reprises), 1’invité-vedette est, lui, conscient d’une occa- à 1’autre des dispositifs syntaxiques ainsi dégagés en tant que critères
sion rare de médiatisation de sa discipline, la linguistique, linguis- de typologie discursive (discours improvisé/discours planifié, etc.).
tique de terrain notamment. Mais cette diíférence d’objectifs rvinduit L’application à une autre langue d’une méthode mise au point pour
pas de diíférence de comportement perceptible, dans la mesure ou le français soulève d’emblée certains problèmes.
chacun des deux est, dans son style, très à 1’aise. L’évaluation que
fait chacun d’eux des limites et des attributs du style oral est affaire 1 / Existe-t-il en finnois un mécanisme d’énumération sans
de personnalité individuelle autant que de rôle social1 : les pen per- joncteur?
mettent de prendre la mesure de la richesse intrinsèque de 1’interlo- Tel ne semble pas être le c a s: la majorité des séquences longues
cution, en ce qu’elles ne surgissent pas nécessairement avec automa- se présentent comme ponctuées de connecteurs du type ja « e t »
tisme mais constituent un potentiel permanent auquel le locuteur et ettã « que/de sorte que », respectivement conjonctions de coordi-
peut choisir d’avoir ou non recours. Cet extrait illustre la liberté nation et de subordination en grammaire standard (ex. Oui mon
de 1’énonciateur de différents poins de vue : le « meneur de jeu » contexte familial c’est que je suis russe/que mes parents sont russes
et () que je suis russe de la troisième génération ici et...). Cette
1. Ce que permettent de vérifier, pour B, d ’autres échantillons de discours enregistrés jonction apparait de même dans les séquences breves, pour lesquelles
dans des situations moins m édiatiques: du séminaire du Gollège de France à la convcrsation 1’oral français se contente habituellement d’une liaison paratactique
collégiale, 1’intervention des p e n reste ponctuelle, leur nombre infime — une tendance à
rhypercorrection que 1’intéressc explique volontiers par ses origines « extramétropolitaines » (ex. — Mais il notait les moindres mots, de sorte que) (ettã)/il notait
(judéo-tunisiennes). tout).
242 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énondatives et prindpales orientations 243

2 / Une morphotaxe inversée implique-t-elle le rejet des bribes l’on tend à assimiler à 1’Ecole d’A. Martinet et de ses successeurs
en position finale? (Université Paris V), et de la linguistique « formelle » qu’illustre sous
Quant aux lieux d’occurrences, il ne semble pas y avoir, dans cette étiquette une équipe dirigée durant plus d’une décennie par
la relation intersyntagmatique, de différences sensibles avec le fran- A. Culioli (Université Paris VII et cnrs). Un amalgame supplémen-
çais: on trouve des « bribes en amorce », avec une incidence plus taire se produit entre les linguistes « formeis» et les théoriciens de
forte de la transition opérée par les particules enclitiques (— Se tuo 1’énonciation, dont A. Culioli est l’un des maitres à penser. L’ethno-
sehan tuo hyviã asioita « Ça apporte ça apporte on le sait de bonnes linguistique et la linguistique formelle sont réputées ne pas faire bon
choses ») ou par des indéfinis de même fonction (« c’était une sorte de ménage — voir nombreux rapports de conjoncture sur les Sciences
•••• une sorte de couple »). Le rôle des particules pour 1’organisation du langage au cnrs. Un état de fait qui ne pouvait suífire à freiner
de la recherche en synonymie est prégnant, ex. — Se tuntu niinku notre curiosité, motivée par la conjonction avérée de deux domaines:
o u d o l t a siis se tuntu keinotekoselta ( « Ça fait d r ô l e quoi enfin ça 1’énonciation et ses particules. L’approche formelle se définit ainsi:
parait artificiei»). La nature dilatoire des procédés mis en jeu ressort
« La démarche adoptée refuse (...) que le linguiste s’en tienne à
de la modulation des contrastes, ex. — siis osaa jonkun verran des procédures classificatoires: 1’objectif reste d’appréhender le
d nyt mitenkããn loistcwasti mutt kuitenkin sillai ettã nyt y r i t t ã ã (« donc langage à travers la diversité des langues et, pour ce faire, de
elle a une certaine compétence enfin pas brillante brillante quoi construire, à partir de 1’observation systématique et minutieuse, un
mais quand même suffisante pour e s s a y e r du m oins »). Le degré système métalinguisüque de représentation qui permette de poser des pro-
Paffinité entre construit et bafouillage est diíficile à évaluer du fait blèmes et d’en donner des Solutions raisonnées. (...) [II s’agit de]
retrouver sous la forme banale d’énoncés quotidiens les opérations
de ces multiples procédés dilatoires; une tendance similaire du fran- enfouies du travail énonciatif» (nous soulignons, mmjf) .
çais a pu être vérifiée toutefois pour ce qui est des syntagmes en
« cas locaux » (circonstants construits par le verbe vs préconstruits), Cette construction d’une représentation métalinguisüque, qui passe
ex. Me taxiattiin tota/ .. me tavattiin Kõõpenhaaminassa (« On s’est par un certain nombre de concepts analytiques de base (lexis, caté-
rencontrés bon/ .. on s’est rencontrés à Copenhague (inessif)») et gorie notionnelle, opérations de détermination et de repérage, etc.),
Min no tost àidinkielestã siis viela niin niin ....(« Eh bien alors à propos vise notamment à rendre compte de la complexité sémantique des
de la langue maternelle (élatií) donc eh bien eh bien... »). marqueurs plurivoques. L’analyse de bien dans des exemples tels 1 / On
Tributaire d’une investigation approfondie des diíférents regis­ achève bien les cheuaux, 2 / Tu lis bien des romans policiers, toi! peut se
tres oraux respectifs, la caractérisation typologique du fonctionne- résumer en ces termes : « [Bien indique qu’à partir de 1’énoncé] on
ment du listing dans les deux langues considérées serait prématurée reconstruit la lexis d’oú l’on dérive une classe d’occurrences. On
à ce stade. La confrontation des entretiens bilingues disponibles n’en parcourt cette classe pour aboutir à un énoncé e2 : ex (bien) — Xo
accrédite pas moins 1’hypothèse de la construction particulaire comme -»e2 (ou A,0 note la lexis)»2. La méthode, qui consiste à dégager
universal du langage1. par approximations successives un schéma de glose invariant, fournit
quelques analyses appréciables, au nombre desquelles on citera celle(s)
b / Linguistique formelle de « alors » — inventorié en tant que signal de prise de parole, associé
Certaines approches linguistiques sont aisément confondues avec à diíférents schémas intonatifs et positionnels, associé à des emplois
1’une des Ecoles qui les représentent: c’est le cas notamment, dans de type déductif ou inférentiel (A. II y a P, alors Qj B. Si P, alors
le domaine francophone, de la linguistique « fonctionnaliste », que Q). L’ethnolinguiste aurait tort de sous-estimer le pouvoir fécondant

1. A. Culioli, Valeurs modales et opérations énonciatives, p. 55.


1. Cf. M. M .J. Fernandez, «Listing» et typologie contrastive — Les régulations syntaxi- 2. Ibid, p. 41; Formes schématiques et domaine, Particules et connecteurs, J .J . Franckel et
ques du discours. D. Paillard (éds.), p. 7-15.
244 Particules énonciatives et Sciences du langage Particules énonciatives et principales orientations 245

de recherches dans lesquelles les faits de langue sont subordonnés une allergie assez naive à toute espèce d,empirisme» 1 (nous soulignons,
à la manipulation théorique. Voir par exemple les conclusions qui mmjf). En dépit des velléités exprimées dans ce sens par certains
peuvent être tirées de la position de alors dans 1’énoncé : 1’énoncé linguistes, allemands notamment, la démarche qui consisterait à créer
correspond à une valeur déductive et intrasubjective si alors est en une catégorie de « parties du discours » spécifique pour les pen nous
tête, il s’inscrit dans un contexte de confrontation intersubjective parait dénuée d’objectif. Le postulat du parallélisme constitutif entre
si alors est postposé. La proposition introduite par un alors postposé niveau du message et niveau de Fénoncé (VI.2.c) acquiert avec la
« correspond à une proposition préconstruite qui trouve en la reprise contrastivité — interne et externe — une dimension interessante,
opérée par alors le repère à partir duquel elle devient susceptible et assigne aux pen un niveau d’analyse précis, celui de Fénoncia-
d’être prédiquée»1. L’emballage logico-formel qui amène à for- tion. Ceei n’exclut pas que l’on puisse se livrer à des tentatives de
muler une « première description » de alors en ces termes : classement reposant sur des critères 1 / sémantiques les joncteurs
subdivisés en coordonnants purs (copulatifs, disjonctifs, adversatifs)
« Etant donné une relation prédicative P construite à partir d’un
ler repère sití, alors constitue comme repère srrj d’une seconde et en organisateurs du discours (articulateurs et argumentateurs)
proposition ÇMa reprise d’un repère associé à P, tout en établis- 2 / morphosyntaxiques — les démarcatifs en position finale, les par­
sant une forme de disjonction entre sití et srrj. Ainsi Q_ est à ticules affectives qui, à la différence des modalisateurs (adverbiaux)
la fois extérieure à P et prédiquée d’un repère associé à P. Le ne commutent pas avec un groupe nominal à relateur2. Nous réi-
repère srrj est à la fois disjoint de sití et associé à la transformée1
de sití par P. »2 térons néanmoins notre perplexité quant à toute approche de ce
type limitée au cadre phrastique : 1’analyse d’éléments aussi sensibles
n ’est pas non plus ce qui devrait rebuter le linguiste descriptiviste à 1’environnement discursif que le sont les pen ne peut faire 1’éco-
toujours prêt à remettre en question ses propres compétences. nomie d’une approche transphrastique, pas plus que celle d’une
Aussi nous garderons-nous de rejeter catégoriquement la formalisa- approche translinguale. La poursuite d’une investigation de 1’oral,
tion comme inutilement ésotérique3. Nous ne nous inquiéterions pas qui est une condition nécessaire mais insufFisante de la théorisation,
non plus outre mesure de la « recherche préalable d’un site [qui devrait s’assortir, pour chacune des langue considérées, d’un repé-
implique] qu’il existe de bonnes formes » ... si cette recherche d’un rage des pen étroitement corrélé avec la typologie discursive3.
modèle normatif ne semblait recouvrir aussi une conception de 1’inter-
locution décidément bien éloignée de la nôtre.
4. PEN et linguistique appliquée
c / Linguistique générale
La didactique des langues est le domaine d’application par excel-
Düt-il être « clair que 1’empirisme, 1’éclectisme, la nuance ont mau- lence de la recherche linguistique. Nous avons dénoncé son indiffé-
vaise presse, à moins qu’ils n’assument la fonction polémique d’une rence aux pen dans une perspective strueturaliste (1.2) et il semble
purge contre la formalisation», nous avons donc choisi la solution du diíficile d’espérer des progrès notoires hors d’une conception plus
« bricolage », dont il nous apparait de plus en plus « qu’il a droit globale du système linguistique, incluant discours, style et culture.
à Vexistence, et que soutenir ou laisser entendre le contraire, c’est Différents théoriciens soulignent Fimportance d’un « climat favorable
bel et bien révéler, sous un purisme épistémologique très marqué,

1. Cf. J. Jayez, « Presque » et « à peine»..., p. 243 et 267.


1. J .J . Franckel, Alors — alors que, p. 28. 2. C f J. Feuillet, Introduction à Vanalyse morphosyntaxique, p. 194-197 et p. 213-216.
2. J .J . Franckel, art. cit., p. 26. 3. Pour un essai de typologie discursive français-finnois et Finventaire comparatif des pen
3. Voir par exemple la critique acerbe d’A. Wierzbicka, Introduction, Journal of pragmatics, dans Faire fenno-scandinave, voir notre Analyse contrastive du discours, vers un modèle franco-
1986 (« Special Issue on Particles»), p. 526. finnois et Le discours des Somes, p. 652 sq.
246 Particules énonciatives et Sciences du langage

aux pen » dans la salle de classe1, d’autres insistent sur la mise en Chapitre VIII
relation des valeurs particulaires de modulation avec les valeurs émo-
tionnelles et attitudinelles de l’intonation2. II est indéniable qu’un PARTICULES ÉNONCIATIVES, LINGUISTIQUE
objectif pédagogique qui vise rappréhension de la langue en tant
que reflet d’une culture — incluant communication phatique et règles ET SCIENCES CONNEXES
de politesse — est plus directement que d’autres profitable à la trans-
mission des stratégies particulaires. Un tel objectif ne garantit toute-
fois pas la süreté de 1’acquisition, qui se heurte aux mêmes difíi-
cultés que la description. Outre 1’inadéquation patente d’un
enseignement « non natif», 1’extension du domaine de la langue
à celui de la communication risque de noyer les pen dans un
ensemble mou de composantes prosodiques et paralinguistiques qui
occulte encore une fois la nature spécifique de ces marqueurs. On
ne peut prôner en 1’occurrence que le paufinement d’exercices ciblés,
mis au point par des didacticiens dont la pratique soit en prise directe 1. Psycholinguistique et sociolinguistique
sur la recherche descriptive et théorique.
L’insertion d’un manuel de hongrois dans la collection Assimil La fréquence des pen dans le discours oral est à mettre en
représente à cet égard une avancée appréciable. Parmi les obstacles rapport avec la nature cyclique de la parole : les séquences connues,
spécifiques de la langue magyar que les auteurs s’efforcent d’aplanir automatiques, alternent avec les séquences neuves, créatrices, qui
figurent les particules, dont quelques spécimens illustrent les difíi- impliquent une planification discursive consciente — donc les
cultés de glose, par exemple Vajon...? Que diable ...? « mot interro- séquences sémantiquement « vides » avec des séquences à forte teneur
gatif intraduisible. II indique la perplexité du sujet parlant»3. Ce informative (d’oü le fréquent positionnement des pen entre Th et
timide essai, limité par un cadre éditorial ultra-vulgarisateur, en appelle Rh). On observe ainsi que les pen s’accumulent lorsque le locuteur
d’autres : aucune méthode de langue à prétention d’authenticité ne doit produire un effort particulier — effort intellectuel de remémori-
devrait désormais faire 1’impasse sur les particules. sation (reconstitution chronologique minutieuse), de conceptualísa-
tion (1’exemple type étant 1’interview d’informateurs peu scolarisés
sur leur « sentiment linguistique »; mais il peut aussi s’agir de notions
abstraites, difficiles à verbaliser), ou effort de communication (émo-
tions, sujets intimes ou tabous).
En conséquence, les pen sont souvent assimilées à des « pauses
remplies», et leur rôle analysé dans les mêmes termes que ceux
utilisés pour la pause par la psycholinguistique (voir 1’ouvrage fonda-
mental de F. Goldman-Eisler (1968)); leurs connotations sociales
seraient aussi très proches de celles qu’ont pu dégager pour la pause
les sociolinguistes (voir notamment B. Bernstein (1977)). Nous adop-
1. Cf. H. Weydt et ai (éds.), Kleine deutsche Partikellehre, p. 5. tons vis-à-vis de ces caractérisations une position nuancée, conforme
2. C f A. Kriwonossow, Die modalen Partikeln in der deutschen Gegenwartsprache. à nos options antérieures: plutôt que de percevoir une dichotomie
3. G. Kassai et T. Szende, Le Hongrois sans peine, Paris, Assimil, 1989. Voir notre compte
rendu dans le b s l , l x x x v , 2, 1991, p. 320-324. tranchée entre « temps pleins » et « temps vides » de la parole, nous
248 Particules énonciativeS et sàences du langage P E N , linguistique et Sciences connexes 249

préférons souligner la continuité et la gradation informatives, qui


expliquent que certaines pen puissent jouer un rôle « plein » d’opé- 2. Sciences cognitives et intelligence artificielle
rateurs logico-sémantiques, en dépit de leur faible poids phonique.
Deux directions actuelles de recherche méritent d’être signalées : La linguistique cognitive s’est afErmée ces demières années comme
la base commune de diíférentes approches théoriques : le langage
Le langage enfantin. — Une attention particulière doit être accordée est une facette de la cognition qui reflète 1’interaction de considéra-
aux pen, facteurs importants du développement verbal de 1’enfant: tions sociales, culturelles, psychologiques, communicatives et fonc-
elles sont l’une des manifestations de l’interaction croissante de 1’enfant tionnelles, laquelle s’appréhende au mieux dans le contexte de 1’acqui-
avec les autres individus. Si peu d’expressions pragmatiques émer- sition, du développement cognitif, des processus mentaux. L’idée selon
gent avant l’âge de deux ans — aucun clitique par exemple dans laquelle la conceptualisation est ancrée dans l’expérience corporelle
les études portant sur 1’acquisition du finnois — , il semble que le (en particulier spatiale), commune à l’humanité, ce qui garantit cer-
fonctionnement de 1’intonation et des particules soit déjà bien maí- tains repères à la communication interpersonnelle, voire intercultu-
trisé vers cinq ans. A l’inverse du point de vue piagétien longtemps relle, nous semble pouvoir bénéíicier directement de 1’étude des par­
prôné, on tend aujourd’hui à considérer que 1’enfant est sociocen- ticules. II reviendra à une démarche pluridisciplinaire résolue de
trique de naissance, mais ne dispose pas des moyens lui permettant montrer en quoi 1’origine déictique (et fréquemment spatiale) des
d’interagir socialement. Les connotations sociales des particules dans particules, loin d’être un phénomène fortuit, s’inscrit dans ce pro­
des situations jusqu’ici peu observées — la conversation familière cessus de structuration métaphorique de notre univers mental.
entre adolescents par exemple — devrait constituer l’un des points
forts de la recherche future1.
3. Anthropologie
L ’interlangue. — Dans 1’orbite d’une étude portant sur 1’acquisi-
tion de difFérentes langues européennes par des adultes migrants Certaines similitudes de fonctionnement discursif, qui ressortent
(projet de la Fondation Européenne de la Science) ont pu être faites de 1’examen des pen d’une part et des phénomènes intonatifs d’autre
des observations précises concernant le fonctionnement discursif et part, amènent à s’interroger sur leur rôle respectif pour la typologie
métadiscursif des particules. Pour ce qui est des « articulateurs » fran- linguistique. Les langues pourraient ainsi être classées selon des cri-
çais, connecteurs spécialisés dans la démarcation des plans, la com- tères de domination sémantiquement pertinente, 1’exemple type étant,
pétence du locuteur natif se distingue par la diversité des ponctua- dans l’environnement européen, celui du finnois riche en particules
teurs utilisés (bon, donc, alors, bien, quoi...); un migrant par contre tend et peu contrasté prosodiquement, par opposition à 1’anglais.
à utiliser un articulateur unique (voilà) pour la sélection de 1’actant Peut-on extrapoler jusqu’à poser un príncipe de linguistique géné-
principal, le marquage de la chronologie événementielle, 1’introduc- rale selon lequel une langue doit utiliser des pen en proportion
tion du discours rapporté, usage qui, combine avec une prosodie inverse de son degré d’utilisation de l’intonation1? Cette hypothèse,
défectueuse, peut être source de malentendus2. s’appuyant sur des tests d’interprétation, est un élément non négli-
geable de la réflexion sémantique; elle doit toutefois prendre en
compte également les autres composantes verbales du sens (ordre
1. Cf. la contribution de M. Bowerman à Cognitive development and the acquisition of language, des mots, modalités prédicatives...) et, dans une perspective transcul-
T. E. More (éd.), New York, 1973, and J. O. Ostman, You know..., p. 48-67. turelle, ses composantes communicationnelles (gestes, mimiques, etc.).
2. Cf. A. Giacomi et R. Vion, La conduite du récit chez un migrant et un natif, Encrages,
18/19, p. 1-21; A. Giacomi et C. de Heredia, Réussites et échecs de la communication lin-
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250 Particules énonciatives et Sciences du langage

L’interaction qui, au-delà du champ linguistique, tend à dominer Conclusion


aujourd’hui l’anthropologie culturelle, est à cet égard aussi une thé-
matique privilégiée. La problématique des particules pourrait ainsi
MODULER POUR CONSTRUIRE
contribuer à réunir les théories du langage et la linguistique des
langues en une sémiotique générale des cultures.

Avec 1’introduction de la « compétence communicative », FafFec-


tivité et 1’intentionnalité ne sont plus écartées de 1’analyse linguis­
tique. Nombre d’études contemporaines sur les variations culturelles
de la compétence linguistique — notamment dans les sociétés bilin­
gues — soulignent Fimportance, parallèlement à la maitrise des struc-
tures lexicales et grammaticales, d’une maitrise des valeurs et des
attitudes ayant cours dans une société donnée. De ce point de vue
là au moins, le rôle essentiel des particules énonciatives pour la com-
munication humaine est indéniable.
Le rôle déterminant de ces ponctuateurs modaux, reconnu dès
le xvii' siècle par des philosophes de renom prônant Finvestigation
des « diíFérentes dispositions de Fesprit dans 1’acte de discours»1,
1’est aussi, encore qu’implicitement, par de prestigieux théoriciens
de la linguistique francophone — de Ch. Bally à C. Blanche-
Benveniste. Avec la question de Forigine du langage afíleure en efFet
celle du caractère primaire des particules, expression d’une pensée
prélogique. Avec la démonstration d’une interaction constante entre
contenu des énoncés et travail de dénomination se profile de même
la responsabilité assumée par les p e n dans le déroulement du dis­
cours, non programmé d’avance, mais construit par approches suc-
cessives. Nous espérons avoir montré que les « particules» ne doivent
pas être dissociées d’un ensemble continu de moyens verbaux, plus
ou moins explicites, qui assurent au sein de chaque système linguis­
tique particulier des fonctions majeures, tant socio-communicatives
qu’intradiscursives (planification, mémorisation...), sans lesquelles les
mots dits « pleins » seraient bien impuissants à faire sens.

1. J. Locke, An Essay Conceming Human Understanding, p. 99.


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* Pour les ouvrages collectifs, seule une sélection des contributions pouvait figurer ici.
On trouve des références en complément dans les notes du texte principal.
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Index des particules énonciatives
par langues

Aguacatèque: -tz, 105.


Allemand: aber, 46, 77, 236; auch, 78; bhfi, 236; denn, 46, 76, 236; doch,
2, 46, 75-76, 78, 133, 236; eben, 78; einfach, 75; erst, 236; etma, 76;
gar, 2, 46; hm, 18; ja, 75-76; mal, 2, 78; noch, 236; nur, 2, 236; schon,
2, 236; schon, 236; sondem, 77; melekht, 236; wohl, 46, 76, 236.
Anglais : ato, 19; anyway, 73; foy, 72; I guess, 74, 230; / 74; I think,
74; just, 110; Amrf 74; üke, 71-72, 74; likewise, 19; /úfea, 71-72, 84;
look, 71-72, 84; no, 71; 71; oh, 71-72; otoy, OiÇ 72, 73; perhaps,
110; say, 71-72; w í of, 74; then, 231; uh, 72; well, 71-72, 74, 230, 233;
71-72, 74, 230; yes, 72; you know (y’know), 30, 72-74, 191, 199,
248. Vieil anglais: pã, 231; ponne, 231.
Árabe: amma, 101-102; Ja, 102; inna, 100-101; innama, 101; qad, 101.
Basque: -a, 113; al, 113; ba, 111-112; bai, 111; ohi, 113; omen, 113; ote, 113.
Bulgare : a, 86-88; abe, 88; ale, 87; ama, ami, 86-88; be, 2, 86-88; bre, 2;
"ce, 87; de, 2, 86-88; e, 87-88; eh, 87; gidi, 87; holan, 87; ja, 86-87; ki,
87; le, 91; li, 87; lore, 87; ma, 86-87; maj, 86; mari, 87-88; more, 87;
va, 87; zer, 87.
Chinois : ne, 3.
Carélien : dai, 39; -ki, 39; -pa, 39.
Créoles : là, 172; say, se, 172.
Cuaiquer: -ne, 105; suasne, 35-36.
Estonien : ga, 39; ja, 35; küll, 39, 44-45; mi, 44; rwnda et, 36; siis, 38-39,
42; voi, 36.
Finnois: ai, aijuu, 16, 223, 229; aika, 185; ei, ei kai, ei kyl, 224; entãs, 143;
et(ta), 185, 187, 241; -han/-hãn, 19, 31-32, 41-42, 67-70, 169, 194-196,
205, 242; ihan, 33, 185; ja, 33, 35, 234, 241; jaa, jaha, 16, 168, 221;
jestas, 224; joku, 185 ;joo, 16, 224; jos, 9, 33 ;jotain, 185; jotenki(n), 185-186;
jumalauta, 224; just, 16; -kaan/-kaün, 39, 41, 67, 71; kai, 196; kat(s)o,
33, 84; -ki(n), 31, 39-40, 42, 45, 47, 67, 69-71, 170, 185; -ko/-ko, 67,
272 Les particules énonciatives Index des particules énonciatives par langues 273

194-196; kuitenkin, 242; ku(n), ko, 33, 186, 234; kuule, 16, 84, 224; kyl(là), Same : ammal (amai, amma, alma), 59, 61-62, 167; ba, ban, bat, 59-60, 161-162,
39, 42, 44-45, 185, 220-224; kyllàpãhan, 44; lahes, 185; luultavasti, 197; 164, 167-168; dal, 63, 121, 123, 161-162, 171, 198; dal, 49, 64-65,
melkein, 33; melko, 185; mm, 16; muka, 196; mutta, 33; ni(in), 16, 31, 38-42, 67, 121, 123, 169-171, 198, 201; de, 64-65, 127-128, 164, 168, 207;
143, 174, 185-186, 205, 224, 242; niinku(i)(n), 169, 185-186, 242; no, dieõus, 201; fal, 63; gal, 44, 48, 63-65, 127, 161, 164-166, 170, 201;
noniftn), 169, 221; noin tosin, 205; nyt, 170, 242; -pa/-pà, 19, 32, 40, -ge, 45, 61, 63-64, 121, 127, 167-168, 170, 207; -ges, 59, 61; -go, 57-59,
67; -pas/pãs, 143; paskat, 224; perkele, 224; -s, 169; saatana, 224; sellanen, 60-61, 64, 163; goal, 161-163; hal, 168; -han, 127, 161, 164-171;>,
185; semmonen, 205; siis, 186-187, 242; sillee, 185-187; sita, 68, 114; sit(ten), 48, 207-208; já, 161, 168; j(u)o, 48, 127, 168; mat, 169; na, 48, 65,
220-222; tallanen, 185; tavallam, 185; t(u)ota, tota noi, 123, 223, 242; vai, 121, 127, 163, 166, 168; nabe, 167; nai, 127; nu, 127; nu(g)o, 127-128,
168; varmaan(kin), 197. 164, 169; -s, 169; son, 60-61, 171; vai, 161, 168; vissa, 161, vuoi, 229.
Français: ah, ah b(i)en, ah bon, ah oui (+ dis-donc, dis-moi, j ’y pense, au fait), Suédois: alltsâ, 82-83; ãn, 167; àndà, 187; dà, 80; det vill saga, 83; eller nàt,
33, 94, 146, 176, 229, 238; ainsi, 31; alors, alors là, 4, 93-94, 97, 146, eller nàt sânt dar, 189; egentligen, 80; forstãr du, 83-84; hõr du, 83-84; ja,
149, 151-152, 157, 174, 176, 205, 237-238, 243-244, 248; à propos, 94; 187;ja(g) menor, 81-83;>ó, 84;>, 20, 80, 167, 187, 192; liksom, 187-189;
assez, 31; au contraire, 18; aufait, 94, 184; au fond, 93; aussi, 22; autrement, med andra ord, 83; nànstans, 187-188; nog, 20, 192; och sà dar, och sànt
31; à vrai dire, 148-149; b(i)en, 4, 94, 97, 210, 225, 239, 243, 248; bien dar, 189; pà nàgot sãtt, pã sà sàtt, 187-189; pà sàtt och vis, 189; sà, 39,
sür, 146; bon, 4, 31, 94-97, 140, 176, 180, 183-184, 199, 204, 210-211, 80; sàledes, 82-83; ser du, 83; till och med, 39; vàl, 20, 80-81, 167, 192;
213, 216-219, 225, 237, 248; bon ben, 94, 181, 219, 225; certes, 22; vet du, 83-84. Vieux suédois: pa, 80, 193; par, 80; swa, 80. Suédois de Solf:
c’est ça, 238; c’est súr, 183; c’est-à-dire, 148, 152, 176; d’accord, 176, 213-214, dà, elà, na, tà, vel, 192-194.
216, 239; de toute façon, 93, 176; déjà, 146-148, 238; disons, 193-194, Tarahumara: -e, 104, -'e, 104; -ke, 104; -ra, 104.
199; donc, 90-91, 93, 146, 155, 193-194, 267; du moins, 31; écoute, 31, Teribe : -ga, 106.
84; eh b(i)en, 94, 156, 191, 227-228, 235; en effet, 191, 258; enfait, 140, Warlpiri: kapi/u, 110; kari, 109; karinganta, 109; kulanganta, 109-110; marda,
145, 151, 176, 181, 210; enfai, 4, 30, 94, 176, 180, 183-184, 206, 210-211, 110; muna, 109; nagayi, 110; nganta, 109; ngari, 110; ngarra, 110.
213-214, 216, 225; en quelque sorte, 184; en somme, 93-100; évidemment, Yiddish: iz, 159.
176; finalement, 93; forcément, 19; hein, 97, 149, 152-154, 156-158, 176, Zapotèque : na’a, 104-105.
183, 205-206, 213-216, 220\je sais pas, 182, 210; je veux dire, 225\juste-
ment, 91; là, 97-98; maintenant, 94; mais, 31, 94, 259; même, 22, 31, 157;
mon dieu, 239; n’est-ce pas (spas), 148-149, 152-153, 156, 217-220; non,
non mais, 94, 213-214, 238, 240; oh, 229; OK, 214-215; osti (Montréal),
97; ouais, oui, (+ alors, mais enfin, non mais), 94, 176, 179, 182-183, 210,
215, 217, 238-239; par conséquent, 93; peu importe, 149; peut-être, 184; plutôt,
31; pourtant, 31; prêcisément, 176; puisque, 22; putain, 198; quand même, 31,
145, 182, 237; quelque part, 31; quoi, 30, 94, 97, 176, 180-182, 225,
248; regarde, 31, 84; sinon, 31; si tu veux/si vous voulez, 152-153, 157,
176, 206, 217, 225; surtout, 31, 91; toujours, 91; tout de même, 148-149,
157; très bien, 97; tu sais/vous savez, 176, 198, 225; tu vois/vous voyez,
31, 140, 146-147, 198, 204-205; un peu, 184; voilà, 4, 94, 176, 181-182,
248; voyez-vous, 84, 147, 198; vraiment, 176.
Grec ancien: de, 2; eia, 89; ge, 2; men, 2.
Hébreu : al kol panim, 159; az, 158; kaze, 159; ken, 159; lo, loki, 159; m-ken,
142; m...nu, 142; naprimer, 142; tir’e, ür’i, 159; tob, 158; ve-kahka, 159;
znachit, 142; ze, 159.
Hongrois: hej, 130; vajon, 246.
Ingrien: i, 35.
Letton: ka, 35; ne, 35; un, 35.
Norvégien: da, 170; jo, 170; nà, 169; sà, 170.
Russe : a, 35; da, 35-36, 142; dai, 35; da net, 142; i, 35; m-da, 142; m-nu, 142.
Index des notions

Actes de langage : 27-28, 32; indi- Communication : 4, 32, 83,


rects: 29, 74, 80, 84. 155-156, 171, 176, 199, 247,
Adverbe: vs particule, 11-12, 249, 251.
76-77; de phrase, 80-83. Concomitance (élaboration-
Affecdvité : 5, 24, 83, 85-89, 128, production): 65, 123, 139.
142-143, 168, 170, 196-197, Conjonction: finale, 34-37, 234;
221, 223, 229, 232, 246-247, -adverbe, 77; -particule, 31, 33,
251. 36, 192, 236-237.
Aréale : influence, 44-45, 194-196; Connaissance partagée : 70, 72, 74,
linguistique, 34-37, 89. 80, 151-152, 201-202, 218.
Argumentation : 19, 41, 63, 84-85, Connecteurs: 92-94, 106, 175,229,
90-91, 101, 111, 125, 158,
168-170, 212-219. 241-242.
Atténuateurs: 29, 31-32, 72, 78, Connivence : 41-42, 72, 139,
157, 183-190, 206, 220. 151-152, 202, 211.
Constituants énonciatifs: 197-198;
Bafouillage: 177, 180, 183, 221, thème-rhème, 198-199;
241-242. mnémème, 200-202.
Construction du discours : 3, 16,41,
Cognitif: modele, 26-27, 248-249, 65, 139, 148,170,205-206,209,
251; vs syntaxique, 13, 33, 37, 216, 223, 232, 242.
139; stock, 150. Contexte, contextualisation : 30, 32,
Cohérence : 26, 74, 130, 212. 36, 75, 105, 117, 138, 151, 153,
Gohésion : circulaire, 124-125; ico- 161, 184, 202, 217, 240.
nique, 102, 124-125, 134-135, Continuum : 22, 34, 76,84-85, 160,
155, 216; interphrastique, 26, 191, 193-194, 200.
75, 124-125, 175-176, 212. Contrastive (analyse, linguistique):
Combinaison (de particules): 39, 76, 19, 70, 77-78, 100, 235-242.
101, 143, 168, 190, 196, 220. Conversation : 27- 28, 187-190.
276 Les particules énonciatives Index des notions 277

Corrélation: additive, 38-41, Implicite : 5,29-30,46,61, 72, 140, Monologue: 23, 104, 162, 207, nucléaire vs périphérique, 1, 5,
70-71; dialogique, 58, 62, 64; 167, 206, 216; vs explicite, 102. 212, 215-216, 218, 237. 10, 46, 84, 229-230.
particulaire, 41, 64, 69-70, Impromptue (parole): 13, 63, 86, Morphogenèse : 33-37, 67-68, 89, Parties du discours : 9-12, 15-16,
100- 101. 118-119, 138-141,161-162, 209, 102, 171, 229-231. 33, 66, 68, 97-98, 119, 186-187,
224. Motivation d’oralité : 121-122, 171. 223-224.
Interaction : 27, 33, 119, 153, 184, Passage à l’écrit: 57, 118, 160-161,
Déixis: 22-23, 30, 66, 122-123,
198, 201-202, 250. Narration : 104-106, 207-212. 166-171.
160-165. Interjection : 16, 33, 71-72, 83, 85,
Dénomination: cf. listíng. Négation: 62, 63-64, 112, 136, Pause : 48, 68, 187, 225, 245; sus-
Désémantisation : 34, 97, 123, 128, 98, 138, 229. 181, 213, 224, 239. pensive, 44, 137.
Interlangue : 161, 192, 248. Négociation: 28, 92, 161-162. Période : discursive, 14, 17-18, 96,
141, 153, 205, 221, 229. Interrogation : 190-197; marquée :
Dialogique : tonalité, 41-42, 147; musicale, 127-128.
168-169; particule, 39, 44-45, 58-62, 112-113. Onomatopée : 127, 132-133. Pertinence : cognitive, 13, 32, 110;
Intonation : 13-14, 37, 49, 59, 73, Opération énonciative : 22, 91, 96, transphrastique : 5, 15-16,
69, 141-165, 167-168, 223.
Dialogue : 23, 58, 73, 83, 141, 186. 95-96, 144, 156, 195-196, 199, 146, 154, 239. 29-30, 80, 192, 195, 199.
231; cumulative, 203, 208; sus- Oral(e): tradition, 42, 66, 117, 164, Phatique: 83-84, 96-97, 147, 202,
Diaphore : 26, 155, 213, 223.
pensive, 165, 203, 208. 229, 231-232; style, 45-46, 219.
Dichotomie: 12, 15, 22, 195-196. Invariant sémantique : 19, 75-76,
Discours: 17, 25, 136, 203; vs 102-103, 118-119, 127, 129, Phrase : 14-15, 17, 21, 57, 245.
conversation, 27-28, 92-93. 85, 87, 109. 193, 240; répertoire, 103, 159. Planification: 118-119, 140, 199,
Dislocation : 15, 65, 144, 147-148, Oral vs écrit: 79, 155, 234; orali- 221, 251.
151-153,156,198-199,212,215. Jointure thème-rhème : 1, 154, 170, sation, 141-143, 145-148, Poétique: 129, 134-135, 137.
Distribution des particules : 34-37, 174, 203-204, 213, 219, 247. 156-158, 206. Politesse: 34, 77-78, 82-83, 140,
176, 186-189, 224-225. Juron : 83, 98, 224. Orature: 120-121, 126-129, 137-138. 190.
Duophore: 28, 121, 139, 161, Ordre des mots: 57, 66, 79, 82, Ponctuation : 50, 97, 123, 127, 137.
165-166. 112, 124, 165, 176, 220-225. Pragmatique : 22-24, 27-30, 74-75,
Listíng: 88, 126, 145-146, 177-183, 80-81.
Dyade : cf. duophore.
214, 239, 241-242. Parallélisme: 37-40, 114, 134. Préjection : cf. dislocation (à gaúche).
Paraphrase: 19, 109-110, 145, Processuelle (linguistique): 27, 139,
Emphase : 79, 106, 152-153,
Marquage énonciatif: 40-41, 62-64, 151-152, 174-177. 174-182, 235.
156-157..
102, 147; interactionnel: 43-44; Parataxe: 41, 145, 151, 165, 174. Progression linéaire simple :
Empirisme: 17-18, 28, 47, 107,
logico-syntaxique : 102; de plan, Parole impromptue: 35, 119, 207-209, 213, 215, 219.
171, 220, 244.
Enoncé : 14-15, 36-37; communi- 231-232, 248. 138-141; parole impromptue et Propositionnel(le): contenu, 68, 75,
catif minimal, 199-200; dialo­ Marqueur: conversationnel, 90-91, particules énonciatives, 140-141, 223, 225; geste, 135; particule,
93-96, 175; paraphrastique, 145, 148, 164-165. 108-109.
gique, 42-43, 62.
Enonciation: 3, 21-24, 139-149, 175-176. Particulaire: chaine, 142; langue, Prosodie : 17-18, 47, 76, 95, 194.
Médiatif: 104, 109-110, 31, 46, 55, 75, 101, 148-152; Prototype, prototypique : 5, 72, 74,
147, 174, 181, 194.
Ethnolinguistique : 2, 106-107, 118, Mélodie : 127, 132, locution, 30-31, 81-82, 149, 120, 139, 191.
135 232-233 249 Mémorisation : 79, 117, 131, 138, 153, 182, 191. Purisme linguistique: 74, 153,
Ethnométhodologie: 26-27, 76, 247, 251. Particule : de médiation, 104-105, 158-160, 170-171, 230, 245.
Métrique : 65, 125-126, 129-130, 109-110; enclitique, 31, 57-58,
223-224.
133-134, 136, 137-138. 67, 205; expressive, 5, 75, 77, Question: caudale, 73, 86, 109,
Mise en valeur : 65, 104-106, 221. 85, 87-89, 236-237, 245; énon­ 149, 191, 220; particulaire, 113,
Force illocutoire : 32, 59-61,88,101, Modalité, modalisation : 23, 85, 113, ciative vs grammaticalisée, 161-162; vs locution phatique,
109, 111, 143, 196, 213, 215. 180, 185, 197. 59-62, 67, 114, 162, 191-194; 83-85; vs réponse, 58-62,
Modulation : 11, 30,60,83-85,145, interlocutive vs textuelle, 31-33, 132-133, 156, 162-163, 200-202,
Grammaticalisation : 119, 194, 196. 167, 196. 187; modale, 31, 74-75, 113; 237-239.
278 Les particules énonáatives

Recherche de mots: cf. listing. «Tag» : cf. question caudale. Index des noms
Reformulation: cf. paraphrase. Texte, textuel: 25, 29-30, 53, 56,
Régulation syntaxique: 33, 127, 67, 75-76, 83, 161, 204,
177- 178, 183, 225. 211- 212, 234.
Répétition: 62-66, 79-80, 102, Thématique: bornage, 38-40,
105-106, 124, 136, 154, 42-44, 80, 151, 153-154, 174,
178- 179, 200, 206, 216, 221. 205-206; particule, 100, 147,
Réponse : 62-65; multiple : 49, 62, 165, 171; progression, 102, 147,
201-202, 238. 197-198, 207, 209-210.
Responsabilité énonciative : 29-30, Thématisation: 101, 153, 204;
61, 109-110, 147. marquée, 45, 198-199.
Rétroaction : 16, 33, 50, 139, 224. Traduction: 100-102, 146-148,
Rhétorique: 76, 118, 126, 152, 166-171; automatique, 150-158,
164, 166, 173, 221. 212- 216.
Rythme : 13-14, 43, 47-49, 65, 79, Transcription: 45-51, 119, 160.
123-125, 127, 129, 131, 136- Transition: cf. jointure.
137, 142, 154; vs sens, 130, 222. Transphrastique : cf textuel. Abelson R. P .: 26.
Typologie discursive : 37, 44-45, Blakemore D .: 32.
Aderdour A .: 100. Blanche-Benveniste C .: 46, 177,
Scalaire : cf. continuum. 97, 141-149, 168-171, 236,
Aijmer K .: 81, 188, 190, 199, 202. 180, 183, 251.
Segmentation : 15-16, 24, 68, 102, 240-241, 245.
Al-Dln al-Astarbãcfi R .: 99. Blumenthal P .: 204.
137, 140, 151, 199, 209. Typologie de 1’o ra l: 46-47,
Al-Husüsi S .: 100. Boéthius M .: 188.
Sémantique, sens : 30, 32, 76, 119, 178-179, 212. Alvarez-Pereyre F .: 103.
127, 130, 132, 174. Boomer D. S .: 180.
Al-Zaggagi: 99. Borland H. H .: 19.
Silence {ps parole): 34, 161. Vérité : 30, 104, 109-110, 184- Anderson J . : 106.
185. Bosk C .: 184.
Stratégie discursive : 26, 101, 125, André-Laroche-Bouvy D .: 90, 214.
147, 155, 199, 203, 238, Vidage sémantique : cf déséman- Bouacha A. A .: 146.
tisation. Anscombre J.C .: 90-92. Bouquiaux L .: 120, 233.
240-241. Antos G .: 176.
Vide: formule, 136-137; mot, 4, Bourquin G .: 158.
Subjectivité : 23, 75, 218. Arany L .: 137.
Suspenseur: 34-37, 190, 214. 18, 128, 135, 247-248; syllabe, Boutet J . : 17.
Aristote : 21. Bowerman M .: 248.
Syllabes non significatives : 126-128. Arom S .: 129.
129-134. Vulgarisation : 150, 152, 235- Bresson D .: 77.
Asbach-Schnitker B .: 78. Brockway D. : 32.
Syntaxe : 15,120,179,201,204-205. 236. Auchlin A .: 92-95. Brown P .: 29, 190.
Auroux S .: 10. Brunot F .: 10.
Austerlitz R .: 134. Burgess D .: 104.
AustinJ. L .: 21-23, 28, 92, 189. Buscha J . : 76.
Bakhtine V .: 92. Carlson L .: 233.
Bally C .: 23-24, 96, 251. Catford J. C .: 147.
Barbéris J. M .: 123. Cedergren H .: 97-98.
Beaugrande R. de : 24. Cerkovski C .: 88.
Bentolila A. : 171. Cervoni J . : 22-23.
Benveniste E .: 22-23, 122. Chafe W. L .: 30, 140.
Berditchev L. I . : 132. Charolles M .: 24.
Bernstein B .: 247. Chaucer: 230.
Bickerton D.: 171. C hissJ.L .: 12, 23-24.
280 Les particules énonciatioes Index des noms 281

Chomsky N .: 13. Feuillet J . : 2-3, 9-10, 12, 15, 21, Hakulinen L .: 67-68. Kouloughli D. E .: 100.
Cole P .: 26. 77, 89, 245. Halliday M. A. K .: 14, 26, 119. Kovács A .: 137-138.
Colombat B .: 9. Fiala P .: 20. Harkins J . : 108, 110. Kriwonossow A .: 246.
Coulthard M .: 28, 83, 119. Findler N. V .: 26. Hartmann D .: 75. Kuusi M .: 37, 43-44.
Culioli A .: 10, 113, 243. Fírmois des Sames bilingues (Le): 49-50, Hasan R .: 26. Kuznecov P. S .: 35-36.
Crystal D .: 184. 69, 126, 144, 153, 203, 205, Hazaél-Massieux G .: 14. Kuznecova A. I . : 11.
222 , Hazaêl-Massieux M. C .: 17-18.
Daiker D. A .: 26. Firbas J . : 197. Hegel: 21. Laanest A .: 35.
Danes F .: 197, 209. Fonagy I .: 230. Helbig G .: 76.
Labov W .: 92, 202.
Danjou-Flaux N .: 19. Fourlnier R . : 172. Hendriksen L. A .: 106. Lagarde J. P .: 10.
Davoine J. P .: 19. Frajzyngier Z .: 172. Heredia C. de : 248. Laki P .: 133.
Davy D. : 184. Franck D .: 76, 233. Hietaranta P .: 71. Lakoff R .: 74, 140, 183.
Denniston J. D .: 89, 230. Franckel J. J . : 243-244. Horger A .: 137. Lallot J . : 9.
Desclés J. P .: 10. François-Geiger D .: 25. House J . : 189. Larsson E .: 198.
Despringre A. M .: 129-130. Fraser J . : 184. Hymes D .: 107. Laughren M .: 108.
Deulofeu J . : 179. Fribourg J . : 98. Launey M .: 104.
Di Cristo A. : 200. Fries C .C .: 71. Idelsohn A. Z .: 133. Laver J. M .: 180.
Dik S. C .: 202. Frigyesi J. : 131. Ikola O .: 233. Lazard G .: 197.
Discours des Sames (Le): 34, 50, Fuchs C .: 22, 174. Lebrave J. L .: 181.
57-58, 62-63, 122-123, 143, Jakobson R .: 1, 129, 219-220. Lefebvre C .: 172.
162-163, 204, 209, 230, 245. Gadet F .: 50, 90, 119. James C .: 25, 65. Lehtonen J . : 173, 235.
Dixon R. M. W .: 108. Garde P .: 10. James D .: 71. Leroy C .: 50.
Doherty M .: 76. Gary-Prieur M .: 19. Jayez J . : 245. Levinsohn S. H .: 106.
Dostoievski: 141. Giacomi A .: 248. Jeanjean C .: 46, 179. Levinson S. C .: 29, 190.
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Gumperz J .J . : 32. Kerek A .: 26. Martinet A.: 11, 13, 233, 243.
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Fernandez M. M. J . : 25-26, 34, 57, Hagège C .: 13, 34, 49, 100, Kivi A .: 143. Meillet A .: 15.
66, 122-123, 126, 136, 143-144, 120-123, 126, 135, 148, 171, Koitto A. K .: 233. Moeschler J . : 27, 92.
150, 161, 165, 205, 235-236, 173, 197, 235, 237-238. Kõnig E .: 76. More T. E .: 248.
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Fersen von : 81. 70, 120, 185, 187, 195, 222, 224. Kotschi T. : 175. Morenberg M .: 26.
282 Les particules énonciatwes Index des noms 283

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Ong W .J.: 118, 232. Sager N .: 174. Winther A .: 97.
Sajavaara K .: 173, 235. VestJ. A .: 169. Witte P .: 106.
Ostman J . : 5, 30, 72-74, 141, Viitanen J . : 69.
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Paillard D .: 85, 243. Vion R .: 248.
Palomáki U .: 233. Saukkonen P .: 144. Zierer E .: 98.
Saussure F. de: 13, 23. Virtaranta P .: 35. Zwicky A. M .: 2, 5, 46, 72.
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Imprimé en France
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73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme
M ai 1994 — N° 39 882

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