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Département de linguistique
Sophie Heyd
Thèse présentée en vue de l’obtention
du grade de docteur de l’Université Strasbourg II
Discipline : linguistique
27 Octobre 2003
Georges Kleiber m’a en effet accompagnée dans mes travaux de recherche tout au
long de cette dernière année et ce, jusqu’à la rédaction finale de cette thèse. Je le re-
mercie ici pour son sens de l’équité, sa patience, son enthousiasme, sa disponibilité et
son soutien dans les moments les plus difficiles. Il va sans dire que nos nombreuses
discussions linguistiques, son sens critique, ses relectures attentives et ses exigences
de rigueur et de clarté ont été pour moi plus que précieux.
Introduction 5
Conclusion 203
Bibliographie 206
Introduction
S’il est deux formes qui suscitent l’intérêt des linguistes depuis déjà de nombreuses
décennies, ce sont le déterminant des et la forme de qui lui est morphologiquement ap-
parentée et qui émerge en contexte négatif. Elles constituent précisément l’objet de
cette thèse. Il nous faut indiquer dès à présent qu’en dépit du lien étroit qui unit de à
des, les deux grands thèmes de cette thèse ne sont pas complémentaires : le premier
concerne la généricité et l’habitualité, le second la négation. Nous nous sommes en
particulier interrogée sur l’interprétation des syntagmes nominaux (désormais SN) en
des en position sujet et ses rapports avec la généricité, en laissant de côté le problème
vaste et complexe de la généricité en position objet. La question de l’interprétation
des objets a toutefois été abordée indépendamment et réduite à un cas très particulier :
celui de l’interprétation des structures [de N] dans les phrases négatives. Nous avons
tenté de résoudre la question relative au statut et à la contribution sémantique de de
dans ce type de phrases.
La thèse s’articule donc autour de deux grandes parties : la première examine les pos-
sibilités d’interprétation générique et non générique des SN en des en position sujet,
tandis que la seconde porte sur l’interaction des structures [de N] avec la négation et
leur interprétation dans les contextes négatifs.
Cette généralisation n’est toutefois pas remise en cause par l’existence d’exceptions,
ce qui distingue les phrases génériques des phrases quantifiées universellement. En
nous fondant sur des études récentes portant sur le français (cf. Anscombre, 1999,
2002; Kleiber, 2001), nous montrons que ce facteur de quasi totalité, souvent érigé
comme trait définitoire de la généricité, est inadéquat pour rendre compte des phrases
telles que (2) qui expriment des assertions génériques à propos d’un sous-ensemble
d’individus non spécifiques.
L’hypothèse que nous défendons est que les SN en des peuvent accéder à ces dif-
férentes interprétations génériques, et notamment l’interprétation générique quasi uni-
verselle. La structure interne du SN s’avère être un facteur déterminant dans le choix
du type d’interprétation. Nous nous distinguons donc des travaux classiques qui re-
connaissent généralement un seul type de généricité, à savoir la généricité quasi uni-
verselle. De ce point de vue, une observation récurrente dans la littérature est que les
SN en des n’accèdent à des lectures génériques de ce type que dans des contextes très
particuliers, en l’occurrence les phrases contenant le pronom ça (4a) et les contextes à
modalité déontique (4b) :
(4) a. Des enfants, ça demande de l’attention.
b. Des pompiers doivent être courageux.
En fait, nous montrons qu’un autre contexte rend possible l’interprétation quasi uni-
verselle des phrases contenant un SN en des en position sujet. Il s’agit des contextes
tels que (5) dans lesquels le SN contient un élément restrictif :
(5) Des enfants malades sont grincheux.
Fondamentalement, cet élément doit pouvoir fonctionner comme prédicat au niveau de
la représentation sémantico-logique de la phrase. Nous verrons que les phrases telles
que (5) sont alors sémantiquement équivalentes à des phrases incluant une subordon-
née restrictive introduite par quand ou si dans lesquelles le rôle prédicatif de l’élément
restrictif est explicite (6) :
(6) {Quand / Si} des enfants sont malades, ils sont grincheux.
La seconde partie de la thèse est consacrée à l’étude de l’élément de dans les
phrases négatives de type (7) :
(7) Tom n’a pas acheté de {chocolat / cerises} pour le goûter.
7
Un fait remarquable, souligné depuis longtemps, est que l’occurrence de de est in-
trinsèquement liée à celle des déterminants un, des et du dans le contexte affirmatif
associé. Le passage du contexte positif au contexte négatif provoque une variation for-
melle : de se substitue aux déterminants un, des et du. La distribution des structures
[de N] fait donc écho à celle des SN en un, des et du dans les phrases affirmatives.
Elle est toutefois plus limitée dans la mesure où elle ne concerne que la position ob-
jet, alors que les SN en un, des et du sont légitimes, sous certaines conditions, comme
sujet, objet indirect ou comme constituant interne d’un syntagme fonctionnant comme
modifieur.
En dépit de cette alternance formelle qui se produit lors du passage de la phrase af-
firmative à la phrase négative, nous rejetons l’hypothèse selon laquelle de serait la
variante négative des déterminants un, des et du. Notre position est que de est un déter-
minant déficient et que les structures [de N] sont des SN indéfinis d’un type particulier.
En effet, de n’est apte à contraindre ni le nombre, ni le genre, ni le caractère massif ou
comptable du nom avec lequel il s’associe pour former un SN. De surcroît, ces SN sont
acceptables en position d’objet direct, mais proscrits dans toutes les autres positions
généralement accessibles aux SN, à savoir les positions de sujet, d’objet indirect et de
modifieur. De se comporte donc comme un déterminant vide et son rôle se limite à
satisfaire la contrainte syntaxique qui exige la présence d’un déterminant en français.
Les SN en de seraient semblables à des noms "nus", c’est-à-dire des noms sans déter-
minant. Nous proposons par conséquent d’analyser les SN en de comme des NP, et non
comme des DP.
Nous examinons également les rapports entre de négatif et les expressions à pola-
rité négative. La question de la pertinence d’une analyse de de comme item à polarité
négative (désormais NPI) mérite qu’on s’y attarde, étant donné le lien étroit qui unit
de à la négation. En effet, il a souvent été noté que l’occurrence de ces SN en contexte
affirmatif produit des agrammaticalités, ce qui est une propriété saillante des NPI. En
nous fondant essentiellement sur les travaux de Fauconnier (1976), Gaatone (1971,
1992), Muller (1987, 1991, 1997) ainsi que ceux de Giannakidou (1997, 1998) qui
s’inscrivent dans une approche plus générale de la polarité, notre position est de ne
pas voir en de un item à polarité négative. Il n’en demeure pas moins que les SN en
de sont des syntagmes dépendants de la négation, au sens où ils ne sont proprement
interprétables que s’ils se trouvent sous la portée de celle-ci.
Ceci nous amènera à explorer une autre piste plus prometteuse pour l’analyse des
SN en de : celle de l’incorporation sémantique. Nous tenterons de montrer qu’il existe
une corrélation entre deux éléments que tout distingue a priori : les SN en de d’une
part et les éléments nominaux incorporés d’autre part. En un mot, certaines langues
(hongrois, groenlandais de l’ouest, niuéen, chamorro, hindi par exemple) disposent
de configurations syntaxiques particulières dans lesquelles le verbe et son objet direct
forment une unité sémantique, et parfois même une unité morphologique. De telles
constructions sont appelées des configurations à nom incorporé (cf. Sadock, 1980; Mi-
8
thun, 1984; Baker, 1988; Bittner, 1994; van Geenhoven, 1998; Massam, 2001; Farkas
et de Swart, 2003). Une relation sémantique particulière s’établirait entre le prédicat
verbal et l’élément nominal incorporé. Elle se distinguerait de la relation qui unit un
verbe avec un SN objet "standard", dans la mesure où le nom incorporé ne serait pas
un véritable argument du verbe. Au plan morphosyntaxique, l’objet est généralement
réalisé sous la forme d’un nom "nu", il présente un marquage réduit du cas et/ou du
nombre et son occurrence se limite à une position spécifique, adjacente au verbe. Au
plan sémantique, il a toujours une portée étroite par rapport à tout opérateur. Cette
propriété s’explique en ce que l’objet incorporé et le verbe forment une unité. Par
conséquent, tout opérateur qui a dans son champ le prédicat verbal a nécessairement
sous sa portée l’élément incorporé.
L’examen comparatif des propriétés des SN en de d’une part, et des noms incorpo-
rés d’autre part, révèlera que ces SN partagent la plupart des propriétés caractéristiques
des noms incorporés : (i) ces SN indéfinis sont des NP, et non des DP, (ii) ils peuvent
être modifiés par des syntagmes adjectivaux ou prépositionnels, (iii) leur occurrence
se limite à la position d’objet direct, (iv) en l’absence de facteurs liés à la sémantique
lexicale, à la pragmatique ou au contexte extralinguistique, le marquage en nombre
n’est pas contraint et un phénomène de neutralisation de l’opposition massif / comp-
table peut se manifester, (v) ils ont nécessairement une portée étroite par rapport à la
négation (du fait de leur statut de SN dépendants), mais également par rapport à tout
autre opérateur.
Les deux chapitres suivants sont consacrés à l’examen des différentes lectures aux-
quelles les SN en des sont susceptibles d’accéder quand ils occupent la position su-
jet. On reconnaît généralement que, dans cette position syntaxique, ces SN peuvent
admettre des lectures existentielles (1a) ou partitives (1b), et plus difficilement des
lectures génériques (1c) :
L’examen des facteurs sémantiques qui conditionnent les lectures existentielles et par-
titives des SN en des fait l’objet du chapitre 2. Il nous amènera à reconnaître une lecture
partitive d’un type particulier, la lecture générique partitive, qui sera étudiée en détail
au chapitre 3. Ce dernier chapitre concerne en effet les lectures génériques des SN
en des. Nous distinguerons trois types de lectures génériques : (i) la lecture générique
quasi universelle, (ii) la lecture générique taxinomique et (iii) la lecture générique par-
titive. Nous montrerons en particulier que les SN en des peuvent accéder à ces trois
types de lectures génériques et nous étudierons les conditions nécessaires à l’émer-
gence de chacune d’entre elles.
Chapitre 1
1.1 Introduction
Ce chapitre est destiné à introduire et à préciser la définition d’un certain nombre de
concepts indispensables pour rendre compte des différentes lectures auxquelles les SN
en des sont susceptibles d’accéder quand ils occupent la position sujet. Il est organisé
en trois parties. Dans un premier temps, nous présenterons les caractéristiques essen-
tielles des approches anglo-saxonnes de la généricité, principalement nord-américaines
et germaniques (section 1.2). Puis, nous nous intéresserons à la manière dont les au-
teurs français appréhendent les notions de phrase et de SN génériques (section 1.3).
Enfin, nous conclurons ce chapitre en contrastant ces deux approches, de manière à
mettre en évidence les points de divergence et de convergence essentiels (section 1.4).
Examinons dans un premier temps les phrases dont le SN sujet réfère à une entité
particulière. Cette entité peut correspondre à un individu spécifique et unique comme
en (3) ou à un groupe d’individus comme en (4).
En (4), il ne s’agit ni des ouvriers en général, ni des étudiants en général. Ce sont les
ouvriers qui ont réparé la voie et les étudiants qui n’ont pas rendu leur copie.
Ces phrases sont construites à partir d’un prédicat dit stage-level (désormais prédicat
s-level) ou encore prédicat épisodique. D’un point de vue définitoire, les prédicats s-
level décrivent des événements particuliers ou des états temporaires. La plupart sont
des prédicats événementiels (c’est-à-dire dynamiques ou encore non statifs) comme en
(5), mais certains sont statifs 2 , notamment les prédicats adjectivaux qui décrivent des
propriétés non permanentes. C’est le cas en (6).
Dans chacune de ces phrases, les SN sujets réfèrent à des occurrences particulières
d’individus ou de groupes d’individus, ancrées à un temps et en un lieu spécifiques.
En (7a) par exemple, le sujet correspond à une occurrence de l’individu Félix, dont on
2. Pour une description détaillée de l’opposition aspectuelle entre prédicats statifs et non statifs, le
lecteur se reportera au chapitre 2, section 2.2.2.
14
prédique qu’il a dévoré hier soir (ancrage temporel) une souris. Notons que le SN objet
direct une souris réfère également à une occurrence de souris particulière, au sens où
il s’agit de la souris dévorée par Félix.
Les phrases telles que (7) sont appelées des phrases particulières (‘particular senten-
ces’). Nous utiliserons plutôt le terme de phrase ou prédication épisodique pour référer
à ce type de phrases dans la suite de ce travail.
Examinons à présent les phrases dont le SN sujet dénote une espèce. L’une des hy-
pothèses fondamentales défendue par les auteurs s’inscrivant dans cette approche de la
généricité est qu’un SN qui dénote une espèce est un SN générique. En effet, à la suite
de Carlson (1977), Krifka et al. (1995) définissent un SN générique comme un SN qui
ne réfère ni à une occurrence d’individu, ni à une occurrence d’objet, mais dénote un
autre type d’entité, à savoir un type ou une espèce.
Considérons par exemple les SN définis la pomme de terre et les pommes de terre des
phrases (8). Ils ne réfèrent ni à une pomme de terre particulière en (8a), ni à un groupe
particulier de pommes de terre en (8b), mais plutôt à l’espèce "pomme de terre".
D’autres exemples de ce type de phrases sont donnés en (9). Ils sont classiques dans la
littérature sur la généricité en français.
Dans tous ces exemples, les SN sujets sont analysés comme des SN génériques, dans la
mesure où ils renvoient à l’espèce, et non à des entités individuelles.
Soulignons pour éviter toute équivoque que les prédicats épisodiques des phrases (8)
ne sont pas les seuls prédicats à même de se combiner avec des SN génériques. Il existe
en effet une autre classe de prédicats, appelés prédicats caractérisants, qui admettent
également les SN génériques. Nous en donnons quelques exemples en (10), en préci-
sant que nous étudierons en détail ces prédicats dans la section 1.2.2.
Il découle de la définition introduite ci-dessus que les SN sujets des phrases (5),
(6) et (7) ne sont pas des SN génériques, dans la mesure où ils dénotent des entités
particulières, et non des espèces.
Une caractéristique des SN génériques est d’être compatibles avec une certaine
classe de prédicats, appelés prédicats kind-level (désormais prédicats k-level) ou en-
core prédicats d’espèce. Il s’agit de prédicats dont l’un au moins des arguments est un
SN dénotant une espèce. Un exemple caractéristique de prédicat k-level est le prédicat
être en voie d’extinction. En effet, seules les espèces, et non les entités individuelles,
peuvent être en voie d’extinction.
Cette observation constitue la base d’un test permettant de déterminer quels types
de SN sont génériques. Si l’association du SN avec un prédicat k-level provoque une
phrase anomale (c’est-à-dire non interprétable), le SN n’est pas générique. Si, en re-
vanche, une telle association produit une phrase dans laquelle la prédication exprime
une assertion à propos de l’espèce ou d’une sous-espèce (interprétation dite taxino-
mique, cf. Carlson, 1977; Gerstner-Link et Krifka, 1989), le SN est générique 4 .
En appliquant ce test au français, nous allons voir que seuls les SN définis en le et
les, ainsi que les SN indéfinis en un et des sont susceptibles d’une lecture générique
dans les phrases contenant un prédicat k-level 5.
Ces prédicats ne pouvant s’appliquer à des entités individuelles, les phrases sont ano-
males si le SN sujet dénote une telle entité. Ceci est illustré en (11).
(11) * {Félix / Mon chat / Le lapin de ma voisine} est en voie d’extinction.
Les mêmes effets se manifestent si le SN réfère à un groupe d’individus spécifiques,
comme en (12) :
(12) * Les lapins de ma voisine sont en voie d’extinction.
4. Gerstner-Link et Krifka (1989) utilisent le terme de SN D-génériques (‘D-generic NPs’) pour qua-
lifier les SN qui dénotent un type. Comme le soulignent Krifka et al., cette terminologie peut prêter à
confusion. En effet, le terme de D-généricité est mal approprié car il pourrait laisser croire que seuls
les SN définis peuvent dénoter une espèce. Or, les noms massifs "nus" en anglais (appelés ‘bare mass
nouns’) ne sont pas marqués morphologiquement du point de vue de la définitude et pourtant, ils sont
compatibles avec les prédicats k-level (i).
(i) Bronze was invented in the 30th century B.C. (Gerstner-Link et Krifka, 1989)
‘Le bronze a été inventé au 30ème siècle avant J.C.’
Signalons toutefois que le nom bronze en (i) se traduit par un SN défini en français.
Parallèlement, les SN indéfinis singuliers en anglais accèdent également à des lectures génériques si le
SN est interprété taxinomiquement (ii).
(ii) A mammal (namely the silver fox) is widespread in Canada.
‘Un mammifère (à savoir le renard argenté) est répandu au Canada.’
Comme nous le verrons par la suite, cette propriété concerne aussi les SN indéfinis en un et des en
français.
5. Le paradigme anglais est différent, voir par exemple Gerstner-Link et Krifka (1989).
16
En revanche, les SN définis en le et les qui dénotent une espèce sont compatibles avec
les prédicats k-level. La phrase exprime alors une assertion à propos de l’espèce (13) :
C’est seulement quand ils dénotent une sous-espèce que ces auteurs considèrent les
SN indéfinis comme des SN génériques. Ainsi en (14c) et (14d), les SN un lapin et des
félins sont des SN génériques car ils sont interprétés taxinomiquement.
Notons qu’en anglais, les SN indéfinis singuliers ont le même comportement que les
SN en un à l’égard de ce test (cf. par exemple Carlson, 1991). Leur occurrence en
position sujet dans une phrase contenant un prédicat k-level est source d’anomalie si
le SN dénote une entité particulière. En revanche, leur occurrence produit une phrase
acceptable si ces SN ont une lecture taxinomique. Ceci est illustré par les phrases (15)
qui sont les traductions anglaises des phrases (14a) et (14c) respectivement.
(16) a. Les français ont isolé le virus du sida au début des années 80.
b. Les français (que je t’ai présentés hier) ont isolé le virus du sida au début
des années 80.
c. Le Professeur Montagné et son équipe ont isolé le virus du sida au début
des années 80.
Les phrases en (16) sont toutes formées à partir du prédicat s-level avoir découvert
le virus du sida. Intuitivement, la phrase (16a) est interprétée génériquement, à l’in-
verse des phrases (16b) et (16c). Elle est en effet proche de la phrase (8b) de la page 14.
Examinons plus en détail les phrases en (16). Aucun élément du contexte linguistique
ou extralinguistique qui pourrait forcer la lecture non générique du SN sujet en (16a)
n’étant présent, le SN défini les français réfère à une espèce, et doit de ce fait être
considéré comme un SN générique. La phrase (16a) semble accéder à une interpréta-
tion générique.
En (16b), ce même SN ne renvoie plus à une espèce, mais à un groupe d’individus par-
ticuliers, spécifiques, dont l’existence est connue (du fait de l’indice déictique traduit
par la proposition relative restrictive que je t’ai présentés hier). Dans ce cas, le SN n’a
pas une lecture générique et la phrase (16b) n’est pas une phrase générique 6 .
En (16c), le SN défini dénote un groupe d’individus spécifiques et correspond donc à
un SN non générique. La phrase n’accède pas non plus à une interprétation générique.
Etant donné que le prédicat est identique dans ces trois phrases, les variations d’in-
terprétation observées en (16) sont nécessairement induites par la dénotation des SN
sujets.
Des effets semblables se manifestent avec les SN sujets en un et des. Les phrases
(17) et (19) montrent que ces SN peuvent être ambigus : soit ils dénotent une sous-
espèce (18a,18b), soit ils réfèrent à une ou plusieurs entités particulières (18b,20b).
Autrement dit, ils sont ambigus entre une lecture générique et une lecture non géné-
rique.
6. Un des faits les plus cités dans la littérature sur la généricité, indépendamment des approches, est
l’ambiguïté dans l’interprétation d’un SN hors contexte. Cette observation vaut tant pour l’anglais que
le français. Les exemples (16a) et (16b) en sont une illustration : le SN les français est ambigu entre une
lecture générique et non générique, tout comme d’ailleurs les SN définis singuliers des exemples (i) et
(ii) ci-dessous :
(i) [La pomme de terre]gen a été introduite en France par Parmentier.
(ii) [La pomme de terre]non−gen a roulé sous la table de la cuisine.
18
Les SN sujets un lynx et des lynx étant génériques en (18a) et (20a) respectivement, les
phrases sont interprétées génériquement. Inversement, quand ces SN renvoient à des
entités particulières, comme c’est le cas en (18b) et (20b), les phrases sont interprétées
non génériquement.
En résumé, les exemples (16a), (16b), (17) et (19) montrent que les observations
faites pour l’anglais par Krifka et al. et Carlson (1991) s’appliquent également au fran-
çais. D’une part, l’interprétation générique d’une phrase contenant un prédicat épiso-
dique dépend de la dénotation de son SN sujet. D’autre part, il n’existe pas, au niveau
du SN, de marqueur explicite de la généricité. Hors contexte, un SN défini ou indéfini
est toujours ambigu entre une lecture non générique et une lecture générique. Les cas
d’ambiguïté montrent même que leur association à un prédicat n’est pas toujours suf-
fisante pour lever cette ambiguïté. Dans ce cas, seuls des facteurs contextuels sont à
même de faire émerger l’une ou l’autre des lectures.
Ces phrases décrivent non pas des événements isolés, ancrés à un temps et en un lieu
spécifiques, mais une habitude de l’entité particulière dénotée par le SN sujet, indépen-
dante du temps et du lieu. Krifka et al. parlent dans ce cas de phrases caractérisantes
habituelles.
Ces phrases sont ambiguës entre une lecture événementielle et une lecture non évé-
nementielle, la seconde correspondant à l’interprétation dite habituelle. Il est en effet
possible de les interpréter comme faisant référence à un événement particulier (lecture
événementielle, cf. paraphrases (24a,25a)) ou comme décrivant une habitude (lecture
20
non événementielle, cf. paraphrases (24b,25b)). Dans ce cas, il n’est fait référence à
aucun événement spécifique.
Les phrases (24a) et (25a) sont des phrases particulières, étant donné qu’elles contiennent
un prédicat s-level ancré spatio-temporellement et qu’elles décrivent donc des événe-
ments particuliers. En revanche, les phrases (24b) et (25b) sont des phrases caractéri-
santes habituelles, puisqu’elles expriment des régularités perçues comme une habitude
de l’entité dénotée par le SN sujet.
La présence des modifieurs restrictifs (en italiques dans les exemples (31)) induit l’ana-
lyse des prédicats i-level avoir les cheveux roses, être sévère, indulgent, capricieux
comme des prédicats s-level en emploi non épisodique, c’est-à-dire comme des pré-
dicats caractérisants habituels. Par conséquent, les phrases expriment des régularités
et sont analysées comme des phrases caractérisantes habituelles. Nous observons que
les modifieurs à l’origine de la coercion en (31) sont de même nature que ceux qui
forcent l’interprétation caractérisante des phrases contenant un prédicat s-level, ambi-
guës entre une lecture événementielle et une lecture habituelle (cf. p. 20).
Crucialement, toutes ces phrases sont génériques dans les approches anglo-saxonnes,
indépendamment du caractère générique ou non générique de leur SN sujet.
Examinons à ce titre les exemples (32a), (32b) et (32f). En vertu des définitions in-
troduites précédemment (cf. section 1.2.1), le SN Pierre en (32a) et les SN indéfinis
un alsacien et une baleine respectivement en (32b) et (32f) ne sont pas considérés
comme des SN génériques dans la mesure où ils ne dénotent pas une espèce. En (32a),
le SN sujet réfère à un individu particulier. En (32b) et (32f), les SN un alsacien et une
baleine ne sont pas analysés comme génériques, étant donné qu’ils ne sont pas inter-
prétés taxinomiquement ici. Nous rappelons que les SN indéfinis en un et des ne sont
des SN génériques que s’ils dénotent une sous-espèce. Pourtant, la phrase (32a) décrit
une habitude de Pierre, de même que la phrase (32b) qui décrit une habitude des alsa-
ciens en général. Parallèlement, la phrase (32f) exprime une propriété caractéristique
des baleines en général. Par conséquent, (32a) et (32b) sont des phrases caractérisantes
habituelles, et (32f) est une phrase caractérisante générique. Ce sont donc des phrases
qui accèdent à une interprétation générique, en dépit du caractère non générique de
leur SN sujet.
9. Les possibilités d’interprétation des SN en des en position sujet dans les phrases caractérisantes
seront abordées dans le chapitre 3.
23
Quant aux exemples (32c), (32d) et (32e), ils se distinguent des précédents en ce qu’ils
contiennent un SN sujet générique, c’est-à-dire un SN qui dénote une espèce (32c,32d)
ou une sous-espèce (32e). Mais ils s’en rapprochent aussi car ces phrases expriment
une propriété caractéristique des lions en général en (32c,32d) et de la sous-espèce des
lions en (32e). (32c) et (32e) sont donc des phrases caractérisantes génériques (car le
prédicat principal est un prédicat i-level), (32d) étant une phrase caractérisante habi-
tuelle. Leur particularité est de contenir un SN générique en position sujet.
En (33a), les SN Simba et un lion dénotent un individu particulier. Ce sont donc des SN
spécifiques et non génériques.
En (33b), le SN indéfini un lion ne réfère pas à un individu particulier. Il s’agit donc
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d’un SN non spécifique. De plus, il n’est pas susceptible d’une lecture taxinomique
dans la mesure où la propriété d’être un mammifère est une propriété caractéristique
des lions en général, et non une propriété d’une sous-espèce particulière de lions. Nous
affinerons cette notion de propriété caractéristique par la suite. La lecture taxinomique
étant exclue, le SN n’est pas générique.
En (33c), le SN a une lecture taxinomique, car la propriété d’avoir une crinière n’est
pas une caractérisque de tous les félins. Il s’agit donc d’un SN générique. Toutefois,
ce SN est non spécifique dans la mesure où la sous-espèce de félins concernée par la
prédication n’est pas explicitée.
En (33d), le SN défini le lion et le SN indéfini un félin dénotent respectivement une
espèce et une sous-espèce. Ce sont donc des SN génériques. Le SN défini est consi-
déré comme spécifique par ces auteurs, de même que le SN indéfini car la sous-espèce
concernée est explicite dans la phrase.
En résumé, tous les SN définis sont spécifiques dans ce cadre théorique, qu’ils ré-
fèrent à un individu particulier ou à une espèce. En revanche, les SN en un sont ouverts
aux deux lectures. L’émergence de l’une ou l’autre de ces lectures semble dépendre
du prédicat avec lequel ces SN se combinent. Nous reviendrons sur cet aspect dans la
section 1.4. Les faits observés en anglais se vérifient donc en français : les mêmes ef-
fets interprétatifs apparaissent dans ces langues avec les SN définis et les SN indéfinis
singuliers.
ses petits est sentie comme une propriété essentielle des girafes.
Au contraire, les phrases (34b) et (35b) sont inacceptables car les propriétés prédiquées
à propos des girafes sont perçues comme des propriétés accidentelles, c’est-à-dire non
caractéristiques des girafes.
Toutefois, on observe à la suite de Nunberg et Pan (1975) (cités dans Krifka et al.,
1995), qu’une même propriété peut être essentielle pour certaines entités, mais acci-
dentelles pour d’autres. Ceci est illustré en (36).
Les prédicats des phrases (36a) et (36b) sont identiques à ceux des phrases anomales
(34b) et (35b) respectivement. Seuls le nom-tête des SN sujets a été modifié. On ob-
serve que les phrases (36) accèdent naturellement a une interprétation générique.
générique non-générique
Ph. Habi- Les mammifères allaitent leurs Un félin chasse la nuit : le tigre Pierre fume un cigare après le Un alsacien boit de la bière.
tuelles petits. du Bengale. dîner.
Un serpent, à savoir le boa, tue
ses proies en les étouffant.
Ph. carac- Les enfants aiment le chocolat. Un félin a une crinière : le lion. * Une baleine est un mammifère.
térisantes Un équidé, à savoir le zèbre, a
géné- des rayures noires et blanches.
riques
Ph. épiso- Les chinois ont inventé la por- Un castor est en voie d’extinc- Les enfants sont en train de Un homme est entré dans ce
diques celaine. tion. jouer dans le jardin. bar.
La pomme de terre a été intro-
duite en France par Parmentier.
Ph. Sta- * * La voiture de Max est dans le Un chat est allongé sur le ca-
tives garage. napé.
26
27
(37) a. Potatoes were introduced into Ireland by the end of the 17 th century.
‘Les pommes de terre ont été introduites en Irlande à la fin du 17ème siècle.’
b. Chewing-gum was invented by the Americans.
‘Le chewing-gum a été inventé par les américains.’
(38) a. Dinosaurs are extinct.
‘Les dinosaures sont éteints.’
b. Lions were exterminated in Asia by 1000 A.C.
‘Les lions ont été exterminés en Asie en l’an 1000 après JC.’
(39) a. Whales are mammals.
‘Les baleines sont des mammifères.’
b. Gold is a rare metal.
‘L’or est un métal précieux.’
(40) a. Frenchmen eat snails.
‘Les français mangent des escargots.’
b. Lions roar.
‘Les lions rugissent.’
28
On notera dans tous ces exemples que les noms "nus" de l’anglais correspondent
à des SN définis en français. Le débat relatif à l’interprétation des noms "nus" se situe
au niveau des phrases caractérisantes. Si ces noms réfèrent à une espèce en (37) et
(38) et sont donc des SN génériques, les points de vue divergent quant à leur interpré-
tation dans les phrases (39) et (40). Deux hypothèses s’affrontent. Carlson (1977) et
Chierchia (1998) considèrent que les noms "nus" dénotent une espèce dans toutes ces
phrases. A l’opposé, des auteurs comme Kratzer (1989, 1995) et Diesing (1992) font
l’hypothèse que les noms "nus" de l’anglais se comportent comme des espèces en (37)
et (38), mais comme des expressions indéfinies en (39) et (40).
Ce débat n’étant pas au centre de notre problématique qui, rappelons le, concerne
la lecture générique des SN indéfinis en des en position sujet, nous n’étudierons pas
plus en détail cet aspect du problème lié à l’interprétation des noms "nus" et corrélé,
en français, à l’interprétation des SN définis.
(41) lion(x)
Cette variable doit être liée par un opérateur pour être interprétable. Crucialement, les
différentes interprétations auxquelles peuvent accéder les SN indéfinis dépendent de
l’opérateur sous la portée duquel ils se trouvent. Trois cas de figure peuvent être déga-
gés.
D’une part, la variable fournie par le SN indéfini peut être liée par un quantifieur
existentiel qui a portée sur l’ensemble de la portion de discours. Il s’agit de la règle
de clôture existentielle (Heim, 1982, 138-140). Dans ce cas, le SN a une interprétation
existentielle. La forme logique (42b) associée à (42a) illustre ce premier cas de figure.
D’autre part, la variable peut être liée par ce que Lewis (1975) appelle un ad-
verbe de quantification tel que toujours, souvent, rarement, parfois, etc . . . Ces ad-
verbes ont la propriété de transmettre leur force quantificationnelle aux SN indéfinis
qui se trouvent sous leur portée 10 . Des exemples prototypiques de ce second cas de
figure sont donnés en (43).
(43) a. Riders on the Thirteenth Avenue line seldom find seats. (Lewis, 1975)
‘Les passagers de la ligne de métro de la 13ème Avenue trouvent rarement
de sièges.’
b. A man who owns a donkey always beats it now and then. (ibid.)
‘Un homme qui possède un âne le bat toujours de temps en temps.’
c. Sometimes, if a cat falls from the fifth floor, it survives. (Heim, 1982)
‘Parfois, si un chat tombe du cinquième étage, il survit.’
D’un point de vue logique, chacun des deux arguments de l’opérateur est une phrase
ouverte (‘open sentence’), c’est-à-dire une formule contenant une ou plusieurs va-
riables libres. Lewis, de même que Kamp (1981) et Heim (1982) traitent les adverbes
de quantification comme des quantifieurs non sélectifs, les opposant ainsi aux quanti-
fieurs "classiques" qui sont sélectifs (par exemple beaucoup de N, la plupart des N, etc
. . . ). Cela signifie que les adverbes de quantification ne lient pas une variable seule-
ment comme cela se produit dans le cas des quantifieurs sélectifs, mais ont au contraire
la propriété de lier un nombre illimité de variables distinctes en même temps.
Les formes logiques associées aux phrases (43b) et (43c) par exemple sont données
en (45). Les adverbes de quantification toujours et parfois étant analysés comme des
10. C’est de là que vient l’hypothèse que les indéfinis n’ont pas de force quantificationnelle inhérente,
mais qu’ils héritent de celle des quantifieurs sous la portée desquels ils se trouvent. Leur force quanti-
ficationnelle varie en fonction de l’adverbe de quantification en présence. C’est pourquoi, les indéfinis
sont analysés comme des variables.
30
quantifieurs non sélectifs, ils lient toutes les variables libres se trouvant sous leur por-
tée, à savoir les variables x et y en (45a) et la variable x en (45b).
Le troisième cas de figure est celui où les SN indéfinis sont interprétés générique-
ment, c’est-à-dire quand ils figurent dans une phrase caractérisante comme en (46).
De même, les phrases (47) qui contiennent une subordonnée restrictive introduite par
quand véhiculent des assertions génériques.
Comme nous l’avons rappelé en début de section, une des hypothèses fondamentales
de ces approches théoriques est que la lecture générique des SN indéfinis est intrinsè-
quement liée à la généricité de la phrase caractérisante dans laquelle ils figurent. La
quantification générique observée dans ce type de phrases n’étant pas induite par le SN
indéfini, les auteurs expliquent cet effet en postulant l’existence d’un opérateur géné-
rique, phonologiquement muet et semblable à un opérateur modal étant donné qu’il a
portée sur l’ensemble de la phrase.
En outre, les phrases (46) et (47) sont sémantiquement proches des phrases (48) et (49)
dont la particularité est de contenir les adverbes de quantification généralement et en
général.
Nous avons vu que Lewis (1975), Kamp (1981) et Heim (1982) font l’hypothèse
que les adverbes de quantification explicites ou implicite (c’est-à-dire l’opérateur GEN)
sont des quantifieurs non sélectifs. Par conséquent, ils lient toutes les variables libres se
trouvant sous leur portée. Les représentations qu’ils proposent reposent toutes sur une
quantification générique sur les individus, que le prédicat soit i-level ou caractérisant
habituel. Dans cette optique, les phrases (51) sont représentées au moyen des formes
logiques (désormais FL) associées à chacune d’elles ci-dessous :
(51) a. Un âne est têtu.
GENx [âne(x)] [têtu(x)]
b. Un oiseau vole.
GENx [oiseau(x)] [vole(x)]
c. Un lion rugit quand il est affamé.
GENx [lion(x) ∧ affamé(x)] [rugit(x)]
d. Parfois, quand un chat tombe du cinquième étage, il survit.
PARFOISx [chat(x) ∧ tombe.du.cinquième.étage(x)] [survit(x)]
Les phrases (51a), (51b) et (51c) ne contenant pas d’adverbe de quantification mais
véhiculant cependant des assertions génériques, les formes logiques qui leur sont asso-
ciées exhibent l’opérateur GEN. En (51d) en revanche, c’est l’adverbe de quantification
32
parfois qui sert d’opérateur. La variable individuelle x fournie par le SN indéfini sujet
est liée par GEN en (51a), (51b) et (51c) et par l’adverbe de quantification PARFOIS en
(51d).
Etant donné que les contextes tels que (51) ne fournissent que des variables d’indivi-
dus, les adverbes de quantification quantifient donc sur des individus.
Toutefois, de nombreux auteurs ont observé que l’hypothèse du liage non sélectif
posait des problèmes empiriques et conceptuels 12 (Rooth, 1985, 1995; Berman, 1987;
Schubert et Pelletier, 1987; de Swart, 1991, 1996; Krifka et al., 1995; Dobrovie-Sorin,
2002a entre autres). C’est pourquoi, le point de vue adopté depuis consiste à analy-
ser les adverbes de quantification comme des quantifieurs sélectifs dont la propriété
est de lier exclusivement une variable situationnelle (ou événementielle) (cf. Rooth,
1995; Schubert et Pelletier, 1987; de Swart, 1991, 1996) 13 . L’effet de quantification
générique sur les individus serait obtenu indirectement par le biais de la quantification
générique sur les situations (notées s) ou les événements (notés e). de Swart (1991,
1996) parle dans ce cas de pseudo liage (‘pseudo-binding’). Une analyse plus souple
est celle de Chierchia (1995) et Krifka et al. (1995) qui supposent que les adverbes de
quantification autorisent le liage multiple. Cela signifie que l’adverbe de quantification
peut lier une ou plusieurs variables individuelles, en plus de la variable événementielle
ou situationnelle.
(54) For every quantifier Q, there must be a variable x such that Q binds an occur-
rence of x in both its restrictive clause and its nuclear scope." (Kratzer, 1989,
p.7)
Pour tout quantifieur Q, il doit y avoir une variable x telle que Q lie une oc-
currence de x à la fois dans son restricteur et dans sa portée nucléaire.
Les phrases (55) s’opposent à (56) en ce que les premières contiennent un prédicat
i-level, alors qu’un prédicat caractérisant habituel (et donc initialement s-level) figure
14. Krifka et al. (1995) adoptent l’analyse de Kratzer (1989, 1995).
34
dans les secondes. L’occurrence d’un nom propre référant à un individu spécifique en
position sujet produit une agrammaticalité si le prédicat est i-level, ce qui n’est pas le
cas si le prédicat est caractérisant habituel. En revanche, les phrases sont grammati-
cales dans les deux cas si le SN sujet est un SN indéfini.
Du fait de la présence d’un prédicat i-level en (55), aucune variable situationnelle n’est
présente en forme logique. Le SN sujet en (55a) étant un SN indéfini, il introduit en FL
une variable individuelle x que l’opérateur GEN peut lier. La phrase exprime donc une
quantification générique sur les individus. En revanche, le SN sujet en (55b) étant un
nom propre, il apparaît en FL sous la forme de la constante m, et non d’une variable.
La FL est mal formée car elle ne contient aucune variable que GEN pourrait lier. La
contrainte interdisant la quantification à vide est donc violée.
Inversement en (56), la structure argumentale du prédicat parler contient un argument
situationnel car ce prédicat est s-level à l’origine. La variable x apparaît également
dans la FL associée à la phrase (56a) du fait du SN indéfini sujet. L’opérateur GEN lie à
la fois la variable situationnelle s et la variable d’individus x. On a donc affaire à une
quantification générique multiple sur les événements et les individus.
Enfin en (56b), la seule variable disponible est la variable s, le SN sujet étant repré-
senté au moyen de la constante m. La contrainte de Kratzer n’est pas violée ici dans la
mesure où GEN peut lier la variable s.
La raison pour laquelle de Hoop et de Swart (1989) et de Swart (1991, 1996) pos-
tulent la présence d’un argument davidsonien quelle que soit la nature du prédicat
émane des contrastes tels que (57), qui sont parallèles à ceux mis en évidence par
Kratzer au type de prédicat près.
(57) a. When an Indian died, his wife usually killed herself.
‘Généralement, quand un indien mourait, sa femme se suicidait.’
b. * When Anil died, his wife usually killed herself.
‘* Généralement, quand Anil mourait, sa femme se suicidait.’
Les phrases en (57) contiennent le prédicat caractérisant habituel die (‘mourir’).
Ces auteurs observent que la phrase devient agrammaticale dès que le SN sujet dénote
un individu spécifique (57b), comme Kratzer (1989) l’a montré pour les prédicats i-
level. La grammaticalité de la phrase est rétablie si le sujet est un SN indéfini (57a).
35
La particularité des prédicats s-level tels que mourir est qu’ils décrivent des actions qui
ne peuvent se répéter (cf. exploser, naître par exemple). C’est pourquoi, ces auteurs les
appellent des prédicats "once-only" (prédicats qui ne s’appliquent qu’une fois). Sur la
base de ce parallélisme entre les prédicats i-level d’une part, et les prédicats "once-
only" d’autre part, de Hoop et de Swart (1989) et de Swart (1991, 1996) proposent que
la structure argumentale des prédicats contiennent un argument davidsonien supplé-
mentaire, indépendamment de leur caractère i-level ou s-level.
De même, Chierchia (1995) fait l’hypothèse que les phrases caractérisantes géné-
riques expriment des généralisations sur les situations. Il a donc lui aussi une approche
situationnelle des adverbes de quantification, quelle que soit la nature du prédicat prin-
cipal de la phrase (i-level vs s-level). Les représentations qu’il dérive ont la structure
abstraite suivante :
(58) GEN s [P(x) ∧ C(x,s)] [Q(x,s)]
Les prédicats i-level étant nécessairement statifs et décrivant des propriétés perma-
nentes, il définit le contenu de la variable contextuelle C comme renvoyant à la rela-
tion locative très générale "être dans" (notée in). En vertu de ces hypothèses, il repré-
sente les phrases en (52) (reprises en (59)) par le biais des formes logiques données
ci-dessous :
Ainsi, (59a) signifie que quel que soit le lieu où est situé un âne, il est têtu. De même,
(59b) exprime qu’un marseillais adore le pastis quel que soit l’endroit où il se trouve.
Dans ce cas, ces phrases expriment une généralisation sur les situations et sur les indi-
vidus. Ceci est mis en évidence par les formes logiques correspondantes en (65) :
En ce qui concerne les représentations (65b) et (65c), les phrases dont elles sont dé-
rivées contiennent une proposition subordonnée restrictive introduite par quand ou si.
Depuis Kratzer (1989), il est admis que ces propositions restreignent le domaine de
quantification des adverbes de quantification. Par conséquent, elles apparaissent dans
le restricteur.
A ce niveau, il nous faut souligner que l’analyse des phrases caractérisantes propo-
sée dans Krifka et al. (1995) présente une incohérence. Nous rappelons que ces auteurs
font l’hypothèse que ces phrases expriment des généralisations sur les situations 16 . En
vertu de cette analyse, on devrait s’attendre à ce que la phrase (64a) soit analysée
comme une phrase exprimant une généralisation sur les situations, étant donné que le
prédicat voler peut être interprété habituellement (emploi non épisodique).
Or, Krifka et al. signalent explicitement que (64a) exprime une quantification géné-
rique sur les individus, c’est-à-dire une généralisation à propos des oiseaux auxquels
est attribuée la propriété de voler 17 .
Dans cette optique, la représentation associée à (64a) est (66). Elle est semblable à
16. "There are characterizing sentences in which the generic quantifier quantifies not over individuals,
but over that might be called situations or occasions or cases [. . . ]" (Krifka et al., 1995, p. 30)
"A sentence is habitual if and only if its semantic representation is of the form
GEN [. . . s . . . ; . . . ] (Restrictor[. . . s . . . ]; Matrix[. . . s . . . ]) where s is a situation variable." (Krifka et al.,
p. 32)
17. "In sentences like A dog barks or Lions have manes, the generic quantifier GEN [. . . ] quantifies
over individuals (dogs, lions, etc.)." (Krifka et al., p. 30)
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L’incohérence détectée dans l’analyse de Krifka et al. (1995) est le signe que les
phrases telles que (64a) expriment non seulement une généralisation sur les individus,
mais attribuent aussi une propriété habituelle à cette classe virtuelle d’individus. Cette
généralisation sur les individus n’opère pas dans le cas des phrases habituelles telles
que Fred fume, où la propriété habituelle de fumer est attribuée à un individu unique
et spécifique.
Ce double aspect caractéristique des phrases telles que (64a) est rendu explicite
par l’analyse proposée dans Dobrovie-Sorin (2001). Tout en se fondant sur l’hypo-
thèse que l’opérateur GEN est un quantifieur sélectif, elle se distingue de l’approche
situationnelle des adverbes de quantification présentée ci-dessus en supposant que ces
adverbes peuvent également lier directement une variable d’individu. Pour analyser
la phrase (64a), elle propose que deux adverbes distincts soient présents en forme lo-
gique : un adverbe de quantification relationnel explicite ou implicite et un adverbe de
fréquence unaire, noté HAB, qui lie une variable temporelle t. La représentation qu’elle
dérive est donnée en (67).
Par conséquent, les phrases telles que (64a) expriment, dans son analyse, des générali-
sations sur les individus auxquels est attribuée une propriété habituelle, plutôt qu’une
généralisation sur les événements ou les situations, combinée à un liage indirect ou
multiple des variables individuelles.
Il en découle que seuls les articles le, les et un sont susceptibles d’emplois géné-
riques, c’est-à-dire que leur combinaison avec un nom (et éventuellement une expan-
sion de ce nom) peut produire un SN générique.
Galmiche (1985) rappelle que les déterminants, et en particulier les articles, ont pour
fonction d’actualiser le nom dans le discours, c’est-à-dire de lui donner une référence.
Le SN résultant de la combinaison minimale d’un déterminant et d’un nom acquiert
ainsi une référence actuelle 18 (Milner, 1978). Galmiche constate que certaines formes
de l’article semblent perdre leur fonction essentielle quand elles apparaissent dans des
SN susceptibles d’une lecture générique. Ces articles ne remplissent plus leur fonction
référentielle 19 .
Ainsi en (71a), le SN défini les lions renvoie à la classe des lions en général, alors qu’en
(71b), il réfère à des lions particuliers, spécifiques, circonscrits dans le temps et dans
l’espace.
Le caractère non spécifique d’un SN, paramètre nécessaire à une lecture générique,
peut être déterminé au moyen d’un test proposé par Kleiber et Lazzaro. Ce test consiste
à formuler une question avec le pronom interrogatif lequel. Si la question se révèle
hors de propos, le SN a une référence virtuelle, non spécifique (72a). Au contraire, si
la question s’avère légitime, le SN a une lecture actuelle, spécifique (72b).
Cependant, Kleiber et Lazzaro remarquent que ce test est insuffisant pour circons-
crire les SN génériques. En effet, ils rappellent l’existence de SN non spécifiques qui
n’accèdent pas à une lecture générique. C’est le cas notamment des SN en un figu-
rant dans les contextes dits intensionnels ou opaques, au sens de Quine (1956). Diffé-
rents éléments peuvent créer des contextes intensionnels, notamment les verbes d’atti-
tude propositionnelle tels que vouloir, croire, espérer. Les SN en un figurant dans les
contextes de ce type (cf. (73) par exemple) sont ambigus entre (i) une lecture spéci-
fique (ou extensionnelle ou de re), (ii) une lecture non spécifique (ou intensionnelle
ou de dicto) et (iii) une lecture où le SN réfère à une sous-classe (c’est-à-dire une lec-
ture taxinomique pour reprendre les termes de Carlson, 1991). Ces trois lectures sont
illustrées en (74a), (74b) et (74c) respectivement.
En (74a), Paul veut épouser une tahitienne particulière, spécifique, à savoir Maeva. Ici,
le test de questionnement par le pronom laquelle est pertinent (75a).
En (74b), Paul veut épouser une tahitienne, peu importe laquelle du moment que c’est
une tahitienne. Dans ce cas, le questionnement par laquelle se révèle incongru (75b).
En (74c), Paul veut épouser une tahitienne d’un type particulier, à savoir une tahitienne
aux yeux bleus. Le type de tahitienne qu’il veut épouser est donc spécifique. Ceci
explique pourquoi la question peut porter explicitement sur le type de tahitienne qu’il
souhaite épouser. En revanche, Paul n’a à l’esprit aucune tahitienne aux yeux bleus
spécifique. Peu importe la tahitienne qu’il épousera, la seule condition est qu’elle ait
les yeux bleus. De ce point de vue, le SN est non spécifique. Le SN taxinomique en
(74c) est donc à la fois spécifique et non spécifique. Nous reviendrons sur ce problème
quand nous définirons le critère identificatoire.
Bien que non spécifique, le SN une tahitienne en (74b) n’est cependant pas générique.
En effet, Paul ne veut épouser en somme qu’une seule tahitienne, et non toute tahi-
tienne. Ce SN diffère donc du SN indéfini un dauphin en (72a), dans la mesure où la
phrase (72a) énonce une propriété des dauphins en général, et non une propriété carac-
téristique d’un seul dauphin. Le cas du SN taxinomique en (74c) est plus problématique
car il est à la fois spécifique et non spécifique.
Le caractère non spécifique d’un SN ne suffit donc pas à lui seul à circonscrire les
SN génériques puisqu’il existe des SN non spécifiques qui ne sont pas des SN géné-
riques.
Crucialement, les SN génériques sont non seulement non spécifiques, mais ils ren-
voient aussi à une classe. Pour reprendre les termes de Kleiber et Lazzaro, ce sont
des SN qui réfèrent à une classe virtuelle 21 . Une classe virtuelle ou ouverte est une
classe qui concerne non seulement les membres réels passés et présents, mais aussi
les membres futurs et contrefactuels. Autrement dit, il s’agit d’une classe comprise
comme existant en dehors de l’existence particulière de ses membres (Kleiber et Laz-
zaro, 1987, p.93). Considérons par exemple les phrases (76) et (77).
Les SN sujets en (76) sont génériques car ils réfèrent à une classe qui peut exister en
dehors de l’existence réelle d’un (dans le cas de le et un) ou de plusieurs (dans le cas
de les) castors au moment de l’énonciation. Il en est de même en (77) où les SN sujets
renvoient à la classe des baleines à bosse (qui correspond à une sous-classe de la classe
des baleines).
En résumé, pour qu’il y ait généricité, il faut nécessairement un détachement par rap-
port à l’existence hic et nunc des membres de la classe en question.
Un dernier aspect du critère référentiel mis en avant par Kleiber et Lazzaro (1987)
est lié à l’idée de totalité. Un SN est générique s’il porte sur une (quasi-)totalité, c’est-
à-dire s’il concerne la (quasi-)totalité de la classe dénotée par le nom-tête du SN, et
non une partie seulement des individus appartenant à la classe en question.
Toutefois, Kleiber (2001) conteste que ce facteur de totalité, érigé comme trait défi-
nitoire d’un SN générique dans Kleiber et Lazzaro (1987), soit un facteur nécessaire
à l’émergence d’une lecture générique du SN. A la suite de Bosveld-de Smet (1994,
1998), Tasmowski-de Ryck (1998), Anscombre (1999), il souligne que certains indé-
finis en emploi partitif peuvent accéder à une lecture générique. Des exemples carac-
téristiques de ce type d’emplois sont donnés en (78).
Les SN indéfinis sujets en (78) seraient des SN génériques dans la mesure où les oc-
currences individuelles mises en jeu ne sont pas des occurrences particulières, spatio-
temporellement déterminées. L’ensemble de départ est constitué par la classe virtuelle
les étudiants / les chats dans laquelle se trouve prélevée la partie des étudiants et des
chats qui vérifient le prédicat (Kleiber, 2001, p.66). Kleiber parle dans ce cas de gé-
néricité partitive. Nous reviendrons sur cet aspect de la généricité dans le chapitre 3,
section 3.3.
Notons cependant, à la suite de Kleiber, que la généricité partitive porte sur des indivi-
dus et doit être distinguée de la lecture taxinomique qui concerne les sous-classes. Les
SN sujets des phrases (78) peuvent également accéder à une lecture de ce type. Ceci
est illustré en (79).
(79) a. Beaucoup d’étudiants, à savoir ceux qui sont issus d’un milieu social aisé,
possèdent un ordinateur personnel.
b. Certains chats, à savoir les angoras et les siamois, aiment la musique reli-
gieuse.
43
Le critère référentiel permet donc de définir les SN génériques comme des SN qui
réfèrent à une classe virtuelle. Un tel SN peut renvoyer à tout (généricité "standard") ou
partie (généricité partitive) de la classe dénotée par le nom-tête du SN. Cette définition
est suffisante pour expliquer l’impossibilité d’une lecture générique du SN sujet en
(80).
(80) Les castors que j’ai achetés hier construisent des barrages.
Du fait de la relative événementielle, appelée aussi relative spécifiante (cf. Kleiber,
1981b), l’ensemble constitué par les castors que j’ai achetés hier ne peut être vu comme
une classe virtuelle. Cet ensemble étant fixé à un moment précis du temps, il corres-
pond à une classe contingente (Kleiber et Lazzaro, 1987) ou fermée (Mehlig, 1983).
les contextes intensionnels (cf. 74c). Nous avons vu que ces SN étaient à la fois spé-
cifiques et non spécifiques : en vertu du critère référentiel, ils sont effectivement non
spécifiques car ils ne renvoient pas à une entité particulière. Cependant, ils sont spéci-
fiques en vertu du critère identificatoire. La reconnaissance qu’il s’agit d’un individu
d’un type particulier ne peut se faire que par le recours à la situation spécifique qu’est
la situation d’énonciation. C’est pourquoi Kleiber et Lazzaro refusent la généricité aux
SN de ce type. Bien que le critère référentiel, indispensable à la généricité, se trouve
satisfait, l’identification du référent de ces SN est de nature spécifique, ce qui bloque
toute lecture générique de ceux-ci.
Pour rendre compte de ces exemples, Kleiber et Lazzaro aboutissent à une nouvelle
définition des SN génériques :
"Pour qu’un SN soit générique, il faut donc, quelle que soit sa composition,
qu’il puisse permettre le renvoi direct à une classe ouverte, c’est-à-dire une
classe répondant au double critère de constitution suivant : le détachement
par rapport à l’existence hic et nunc de ses membres et la récurrence dans
le temps." (p.94)
En d’autres termes, un SN générique peut comporter des éléments déictiques, mais ces
éléments ne doivent pas imposer un ancrage temporel interdisant toute interprétation
virtuelle à la classe décrite par le SN.
45
Pour rendre compte des exemples de ces deux paradigmes, Galmiche établit une
distinction entre phrase générique et jugement générique. Un jugement est générique si
le prédicat décrit une propriété "inhérente" ou "essentielle" du nom qu’il prédique, en
d’autres termes une propriété caractéristique de "l’espèce". Inversement, un jugement
est non générique si la propriété énoncée par le prédicat est une propriété "accidentelle"
ou "contingente" du nom, c’est-à-dire une propriété non caractéristique de "l’espèce".
Galmiche propose donc d’établir une distinction parmi l’ensemble des phrases géné-
riques. Les phrases en (86) exprimeraient un jugement générique, celles de (87) expri-
meraient au contraire un jugement non générique.
Pour finir, notons que la présence d’un SN générique dans une autre position que
la position sujet ne rend pas la phrase générique pour autant. Comme le souligne Gal-
miche (1985), n’importe quelle phrase peut comporter un ou plusieurs SN génériques.
Toutefois, la phrase (88a) n’est pas sentie comme générique, en dépit de la généricité
du SN le panda. En revanche, la phrase (88b) qui se caractérise par la présence des
deux SN génériques les chiens et les chats est considérée comme une phrase générique
du fait de la généricité de son sujet, mais aussi de par la nature atemporelle du prédicat.
Le premier facteur commun qui caractérise toutes ces phrases est qu’elles ex-
priment une itération (ou fréquence), c’est-à-dire une répétition d’événements (89)
ou d’états (90) qui n’est pas accidentelle, contingente. Plus précisément, l’itération ex-
primée dans ces phrases se présente comme un ensemble d’occurrences virtuelles, elle
devient une sorte de règle générale. Elle acquiert, pour reprendre les termes de Dahl
(1975), un caractère "law-like", autrement dit elle ressemble à une loi. Le jugement
qu’elle exprime concerne non pas des événements ou des états spécifiques, mais un
certain état de choses général, habituel ou courant (Kuroda, 1973).
La nomicité des phrases habituelles les rapproche des phrases génériques telles que
(91).
En tant que phrases nomiques, les phrases habituelles et génériques disposent d’un po-
tentiel inférentiel. Plus précisément, elles ne concernent pas seulement les situations
actuelles, contingentes, mais portent aussi sur les situations potentielles et contrefac-
tuelles possibles. Cela signifie qu’elles permettent de faire des prédictions sur ce qui
se serait passé si . . . ou sur ce qui se passera si . . . Elles semblent donc autoriser les
inférences logiques telles que (92).
(92) a. Paul va à l’école à pied. Si hier avait été un jour de classe, il serait allé à
l’école à pied.
Paul va à l’école à pied. Si demain est un jour de classe, il ira à l’école à
pied.
b. Les lions sont carnivores. Si j’avais été un lion, j’aurais été carnivore.
Les lions sont carnivores. Si je suis un lion un jour, je serai carnivore.
Toutefois, ces inférences logiques se révèlent trop fortes car l’existence d’au moins un
contre-exemple les rend non valides. Or, une caractéristique des phrases habituelles
et génériques est qu’elles restent vraies en dépit de contre-exemples. Si Paul ne va à
l’école à pied que quatre jours sur cinq par semaine, cela ne remet pas en cause la vérité
de (89a). De même, si Félix est un chat qui déteste le poisson, la phrase générique (91c)
reste vraie en dépit du caractère déviant de Félix. Cet aspect qui caractérise les phrases
48
Dans ce cas, l’existence d’un chat non carnivore rend la phrase (93) fausse.
Les phrases habituelles se caractérisent ainsi par le fait qu’elles expriment une
itération. Cette itération a un caractère nomique et elles se comportent de ce point de
vue comme les phrases génériques.
L’intervalle de référence est le SN l’année dernière et la fréquence est fournie par l’ad-
verbe de fréquence souvent. Le SN l’année dernière indique la durée de la situation
aller à l’école à pied pour Paul et s’interprète de ce fait comme un élément duratif.
Les occurrences événementielles doivent se distribuer régulièrement sur tout l’inter-
valle pour que la lecture habituelle émerge. Envisageons par exemple une situation où
Paul est allé à l’école à pied au mois de janvier de l’année dernière, mais qu’il a en
revanche été à l’école en voiture le restant de l’année. Dans ce cas, l’assertion énoncée
en (94) serait non valide, car elle laisserait faussement croire que la fréquence énoncée
s’étend sur toute l’année en question.
Cet aspect de distribution régulière des occurrences événementielles sur tout l’in-
tervalle temporel de référence, caractéristique des phrases fréquentatives, les distingue
des phrases simplement itératives telles que (95).
(95) Le mois dernier, Paul est allé {deux fois / plusieurs fois} à l’école à pied.
Ici, l’intervalle temporel pour lequel vaut la situation est fourni par le SN le mois der-
nier et l’itération est explicitée par les SN deux fois, plusieurs fois. La pluralité oc-
currentielle véhiculée en (95) est donnée, non pas comme une fréquence, mais comme
une simple itération. La phrase ne fournit aucune indication quant à la manière dont ces
occurrences structurent l’intervalle de référence. Celles-ci peuvent par exemple être re-
groupées au début ou à la fin de l’intervalle. Il suffit en fait que l’itération exhibée soit
vérifiée et qu’elle ait lieu dans l’intervalle du mois dernier. L’intervalle de référence
49
n’est donc pas duratif comme dans le cas des phrases fréquentatives, mais simplement
inclusif. Les phrases itératives sont donc des phrases vraies dans un intervalle, et non
pour un intervalle.
En dépit du parallélisme qui réunit les phrases (89a,89f), Kleiber observe qu’elles
n’induisent pas le même type d’effet quantificationnel. En (89a), la phrase véhicule une
quantification quasi universelle et son sens est proche de celui de (89b). En revanche,
la phrase (89f) n’exhibe pas un effet de quantification quasi universelle, mais traduit
plutôt l’idée d’une haute fréquence. Une paraphrase de (89f) serait d’après Kleiber
(97a), et non (97b).
(97) a. Pierre fume {fréquemment / souvent}
b. {Généralement / Habituellement / Normalement}, Pierre fume.
Notons, à la suite de Kleiber, que (97b) véhicule l’idée qu’à certaines occasions où
Pierre pourrait fumer, il ne fume pas. Cet effet est absent dans la simple assertion (89f)
et justifie selon lui une analyse de (89f) semblable à celle de (97a), plutôt qu’à celle de
(97b).
Sur la base de ces observations, Kleiber propose de distinguer deux types de pré-
dicats permettant de construire un sens habituel. Dans un cas, le prédicat renvoie à une
situation connue par avance comme survenant à certaines périodes déterminées. C’est
le cas en (89a), où nos connaissances du monde nous permettent de savoir que Paul ne
va pas à pied à l’école à tout moment du temps, mais seulement à certaines occasions.
Le prédicat désigne une situation qui est par avance structurante et donc susceptible
de fournir la division régulière nécessaire à une interprétation habituelle. En l’absence
d’un adverbe de quantification explicite, l’effet quantificationnel induit est quasi uni-
versel.
Le second type de prédicats permettant l’émergence d’un sens habituel dénote une si-
tuation déjà considérée comme une habitude, c’est-à-dire comme une manière de se
comporter, fréquemment répétée. C’est le cas en (89f). Ce sont des prédicats recon-
nus dès le départ, c’est-à-dire lexicalement, comme des dispositions habituelles, des
tendances. Ils peuvent donc servir directement de fondement à une phrase habituelle,
sans que soit présent un marqueur explicite de régularité. Dans ce cas, l’effet quantifi-
cationnel véhiculé est celui d’une haute fréquence ou d’une habitude.
Considérons à présent les autres phrases de notre corpus. Elles contiennent toutes
un modifieur qui fait émerger l’idée d’une régularité. Une caractéristique commune
à toutes ces phrases est qu’elles ne sont pas ambiguës entre une interprétation évé-
nementielle et une autre, non événementielle. La présence du modifieur fait émerger
51
(98) Paul va généralement à l’école à pied {le lundi / quand il fait beau}.
Les phrases en (99) énoncent simplement une propriété caractéristique de Max et d’un
homme particulier.
En conclusion, les phrases habituelles ne décrivent pas une simple itération fré-
quentielle, accidentelle, contingente (comme c’est le cas pour les phrases simplement
fréquentatives), mais une fréquence à laquelle s’ajoute l’idée de nomicité, de loi qui
les rapproche des phrases génériques.
La phrase (101a) est analysée comme une phrase habituelle par les auteurs français
consultés. Sur ce point, les anglo-saxons les rejoignent d’une certaine manière dans la
53
mesure où ils reconnaissent que cette phrase exhibe une généricité d’un type particu-
lier : il s’agit d’une phrase caractérisante habituelle.
Selon Galmiche (1985), seules les phrases dont le SN sujet réfère à une entité par-
ticulière et dont le prédicat ne renvoie pas à un événement spécifique, ancré spatio-
temporellement, sont des phrases habituelles. En revanche, si le SN est interprété gé-
nériquement, la phrase est alors considérée comme générique (102). Sur ce point, il se
distingue de Kleiber (1987) qui parle dans ce cas de phrase habituelle à SN générique.
La terminologie de Kleiber rejoint une observation faite par Krifka et al. Les
phrases en (102) illustrent les deux types de généricité mises en avant par ces auteurs :
elles contiennent non seulement un SN générique (c’est-à-dire un SN qui dénote une
espèce au sens de Krifka et al.), mais elles sont aussi construites à partir de prédicats
exprimant des régularités, c’est-à-dire des prédicats caractérisants habituels.
Krifka et al. (p.18) soulignent que les phrases telles que (103a) dont le SN sujet ne
dénote pas une espèce ne semblent pas avoir de base pour induire une généralisation.
Autrement dit, ces phrases ne seraient pas des phrases génériques. Toutefois, l’inser-
tion d’un adverbe de quantification transforme le prédicat i-level avoir les cheveux
roses en un prédicat s-level, ce qui produit une lecture habituelle par coercion.
Certes, nous observons que certains prédicats i-level ne peuvent que très difficilement
devenir caractérisant habituel. C’est le cas en (104). La coercion est difficilement en-
visageable ici, comme le montre l’anomalie pragmatique générée par l’ajout d’un mo-
difieur qui devrait forcer l’interprétation caractérisante habituelle (105).
Toutefois, comme nous l’avons déjà noté, les prédicats originellement i-level peuvent
avoir des emplois transitoires sous l’influence du contexte. Nous donnons en (106) des
exemples saillants de ce point de vue :
Ainsi, la phrase (106a) par exemple permet d’inférer que la propriété d’être capricieux
n’est pas une propriété permanente et caractéristique de Tom. Généralement, Tom n’est
pas un enfant capricieux.
Pour Krifka et al., la situation est moins claire, mais il semblerait que ces phrases
ne soit pas non plus analysées comme des phrases génériques. Dans ce cas, on pourrait
en conclure que les phrases caractérisantes construites à partir d’un prédicat i-level ne
sont pas toutes des phrases génériques. Ne seraient génériques que celles dont le SN
sujet réfère à une espèce dans leur approche.
A l’opposé, la position de Chierchia (1995) pour ce type d’exemples est très claire.
Nous avons vu qu’il considère les phrases du type (103a) et (104) comme génériques.
Dans son analyse, les prédicats i-level sont intrinsèquement génériques et cette géné-
ricité est présente dans leur entrée lexicale.
L’hypothèse de Chierchia nous semble contre-intuitive, et cela pour deux raisons es-
sentielles. Premièrement, elle implique que les phrases telles que (107) construites à
partir d’un prédicat i-level, mais dont le SN sujet réfère à un individu spécifique, sont
des phrases caractérisantes génériques.
Nous nous rangerons ici à l’approche française qui refuse la généricité aux phrases de
ce type.
55
Aussi, nous distinguerons dans la suite de ce travail deux types de phrases carac-
térisantes contenant un prédicat i-level : les phrases génériques, qui se caractérisent
par un SN sujet générique et les phrases non génériques dont le SN sujet réfère à un
individu spécifique.
Les SN sujets de ces phrases peuvent renvoyer à la classe virtuelle (au sens de
Kleiber et Lazzaro) des tigres et des castors (109) ou à une sous-classe de celles-ci
(110).
En (109), les SN sont analysés comme génériques dans le courant français, ce qui
n’est pas le cas chez les anglo-saxons. Ils les caractérisent comme non spécifiques.
Inversement, les SN en (110) sont des SN génériques pour les anglo-saxons dans la
mesure où ils sont interprétés taxinomiquement. En revanche, Kleiber et Lazzaro re-
fusent la généricité à ces SN, car l’identification de leurs référents nécessite le recours
à la situation d’énonciation.
2.1 Introduction
Nous examinons dans ce chapitre les possibilités d’interprétation existentielle et
partitive des SN en des en position sujet. Nous partirons de quelques oppositions
bien connues telles que les distinctions prédicats spécifiants / non spécifiants (Kleiber,
1981a), prédicats statifs / non statifs (Verkuyl, 1993), prédicats i-level / s-level (Carl-
son, 1977). Nous introduirons également l’hypothèse localiste postulée pour rendre
compte de la lecture existentielle des noms "nus" en anglais et dans les langues ro-
manes (Kiss, 1995; Dobrovie-Sorin, 1997). Son examen fera l’objet de la section 2.2.
Puis, nous évaluerons comment ces "outils" rendent compte de la distribution des lec-
tures existentielles et partitives des SN en des (section 2.3). Nous mettrons notamment
en évidence une lecture partitive d’un type particulier, que nous appellerons la lecture
générique partitive. Nous conclurons ce chapitre par le constat que l’hypothèse loca-
liste est adéquate pour rendre compte de la lecture existentielle des SN en des quand
ils fonctionnent comme sujet d’un prédicat statif. En revanche, elle s’avère trop forte
si le SN en des est combiné à un prédicat événementiel (section 2.4).
d’accepter ces SN comme sujets. Elle reprend la distinction introduite initialement dans
Kleiber (1981a) qui oppose les prédicats spécifiants et non spécifiants. Kleiber se sert
de cette distinction pour expliquer la distribution des SN indéfinis en emploi existentiel
(c’est-à-dire les indéfinis faibles au sens de Milsark, 1974).
Les prédicats spécifiants comportent des indices référentiels concernant le temps et/ou
le lieu qui permettent de porter discursivement à l’existence le référent de leur sujet.
Ce dernier n’existe pas discursivement avant et il n’a d’autre existence que celle que
lui confère le prédicat avec lequel il s’associe.
Les prédicats spécifiants sont essentiellement les prédicats événementiels (1), mais
aussi certains prédicats statifs, à savoir ceux qui localisent leurs référents (2).
(1) a. Un avion s’est écrasé hier dans les Vosges. (Kleiber, 2001, p.49)
b. Des inconnus ont cambriolé la maison de Léa. (ibid., p.49)
(2) a. Une voiture est garée dans la cour.
b. Des montagnes cernent la ville. (Bosveld-de Smet, 2000, p.39)
En (1) et (2), le contexte linguistique permet de localiser dans le temps et dans l’espace
la ou les entités dénotée(s) par les SN sujets. Par exemple, c’est parce que la phrase (1a)
comporte des expressions telles que le temps verbal, le syntagme temporel hier soir
et le syntagme locatif dans les Vosges que le SN un avion acquiert une interprétation
existentielle.
A l’inverse, les prédicats non spécifiants décrivent des propriétés des référents et
n’impliquent aucun point de référence spatio-temporel. Ces propriétés peuvent être
permanentes (3a) ou épisodiques (3b).
(3) a. ?? Un avion est gris.
b. ?? Des hommes sont saouls.
Les phrases (3) sont difficilement interprétables parce que les SN indéfinis un avion et
des hommes ne reçoivent pas des prédicats être gris et être saoul les points de référence
nécessaires à un ancrage spécifique. La lecture existentielle ne peut donc s’établir.
dynamiques) (5).
De plus, ils induisent un aspect duratif, ce qui signifie qu’ils ont une durée dans le
temps. De même, la plupart des prédicats non statifs sont duratifs. Il s’agit des acti-
vités et des accomplissements. Les activités sont des événements qui n’ont pas de fin
naturelle (cf. 5a), à l’inverse des accomplissements (cf. 5b). D’autres prédicats non
statifs sont ponctuels, c’est-à-dire qu’ils correspondent à un point dans le temps, mais
n’ont pas de durée dans le temps. Il s’agit des achèvements (cf. 5c).
Il est clair que l’opposition prédicats statifs / non statifs n’est pas parallèle à celle
qui distingue les prédicats spécifiants et non spécifiants. En effet, si les prédicats non
statifs, c’est-à-dire événementiels, sont tous spécifiants, les prédicats statifs peuvent
être spécifiants s’ils présentent un ancrage spatio-temporel (6,7a) ou non spécifiants
en l’absence d’un tel ancrage (7b).
En revanche, Bosveld-de Smet avance qu’un prédicat spécifiant est toujours s-level,
mais jamais i-level. Les prédicats i-level ne devraient donc pas permettre l’occurrence
des SN indéfinis et, en particulier des SN en des, en position sujet. Cependant, cette
généralisation semble critiquable au vu des exemples (9).
Il nous reste à évaluer le parallèle entre les oppositions prédicats statifs / non statifs
et prédicats s-level / i-level. Tous les prédicats non statifs sont des prédicats s-level,
dans la mesure où ils dénotent toujours des états temporaires 1 . Parmi les prédicats
statifs, certains sont s-level s’ils renvoient à un état temporaire (10a), les autres sont
i-level s’ils décrivent un état permanent (10b).
La répartition de ces prédicats et les connexions entre les trois terminologies sont
résumées dans le tableau ci-dessous (Bosveld-de Smet, 1998, p.13):
De plus, il a souvent été souligné que cette variation dans l’interprétation des noms
"nus" en anglais se manifeste en français par la nature du déterminant figurant dans le
SN (Bosveld-de Smet, 1994; de Swart, 1991, 1996, entre autres). Si la lecture est gé-
nérique, le nom "nu" se traduit normalement sous la forme d’un SN défini (cf. 12b). Si
en revanche la lecture est existentielle, le nom "nu" apparaît en français sous la forme
d’un SN en des (cf. 13b).
Toutefois, de nombreux auteurs ont signalé que l’opposition i-level / s-level ne per-
mettait pas de prédire correctement les lectures des noms "nus" en anglais (Kiss, 1995;
Dobrovie-Sorin, 1997; McNally, 1998b). En effet, les prédicats s-level n’induisent pas
nécessairement l’interprétation existentielle de leur SN sujet (14a). Inversement, les SN
sujets de prédicats i-level peuvent accéder à une interprétation existentielle (14b).
Parallèlement, ces auteurs ont montré que certains prédicats statifs autorisent la lec-
ture existentielle des noms "nus" en position sujet (15a), propriété qu’ils partagent
d’ailleurs avec les prédicats non statifs (15b).
introduite dans Kleiber (1981a). En effet, les phrases (14a), (16b) et (16c) contiennent
un prédicat non spécifiant, ce qui explique que la lecture existentielle des noms "nus"
est bloquée. Inversement, les phrases (14b), (15a) et (15b) sont construites à partir
d’un prédicat spécifiant, ce qui permet la lecture existentielle des noms "nus" figurant
en position sujet dans ces phrases.
Dans la section suivante, nous allons voir comment l’interaction des trois classifi-
cations proposées permet de rendre compte de la distribution des lectures existentielles
et partitives des SN en des. L’ancrage spatio-temporel des prédicats étant crucial pour
la lecture existentielle des SN indéfinis faibles, nous tenterons d’éclaircir cette notion
d’ancrage. Nous évaluerons également l’hypothèse localiste qui consiste à voir dans la
localisation spatiale des entitées dénotées par un nom "nu" le facteur déclencheur de
la lecture existentielle de celui-ci. Cette contrainte est-elle valide, trop faible ou trop
forte dans le cas des SN en des?
Une généralisation suggérée par ces observations est que la structure argumentale
des prédicats en (18) ne contient pas d’argument locatif. Ces prédicats étant nécessai-
rement statifs, ils ne permettent donc jamais la lecture existentielle des SN indéfinis
faibles, et en particulier des SN en des.
Toutefois, nous voulons souligner qu’il existe des circonstances spéciales qui légi-
timent l’association d’un SN sujet en des avec un prédicat i-level.
On observe en effet que des facteurs contextuels peuvent rendre les phrases (18) bien
plus acceptables. Notamment, si la phrase contient un modifieur locatif, l’occurrence
des SN en des comme sujet d’un prédicat i-level devient possible 3 . Ceci est illustré en
(19).
(19) a. Dans cette classe, des enfants sont turbulents.
b. Dans cette cage, des singes ont les yeux noirs.
c. Dans cette entreprise, des employés détestent les réunions interminables.
Ces phrases étant acceptables, il découle de ce que nous avons vu ci-dessus que les
entités dénotées par les SN existent indépendamment du prédicat et que le domaine
des individus dénotés par le nom-tête du SN en des est présupposé ici. Autrement dit,
l’existence de ces entités n’est pas acquise par le biais des prédicats i-level en présence.
Si l’ajout d’un modifieur locatif suffit à rendre ces phrases acceptables, c’est donc qu’il
existe un lien entre la présupposition d’existence des référents des SN impliqués et la
présence d’un tel modifieur dans la phrase.
En fait, il a souvent été noté que les SN en (19) n’ont pas une lecture existentielle,
mais une lecture partitive. Ces phrases s’interprètent respectivement comme (20a),
(20b) et (20c) 4 .
3. Une observation analogue est faite dans Bosveld-de Smet (1998, 2000).
4. Nous voulons souligner que les phrases (19), bien qu’acceptables et interprétables, sont toutefois
peu naturelles. Dans une situation de communication, le locuteur n’utiliserait vraisemblablement pas ce
type d’énoncés, mais emploierait plutôt des énoncés tels ceux proposés en (20).
65
La lecture partitive du SN n’est possible que si une relation s’établit entre les entités
dénotées par le SN en des et le modifieur locatif. L’idée souvent avancée est que le mo-
difieur locatif restreint l’extension du SN en des, ce qui permet de définir un ensemble
maximal d’entités à partir duquel est prélevé le sous-ensemble des entités qui satisfont
le prédicat. Ceci est confirmé par la possibilité de transformer le modifieur locatif en
un syntagme prépositionnel sans modifier le sens de la phrase initiale (21) :
Nous verrons à la fin de cette section que l’interaction entre le modifieur locatif et le
SN en des n’induit pas nécessairement la lecture partitive du SN et que des facteurs
sémantico-pragmatiques interviennent également dans l’émergence de cette lecture.
En résumé, un SN en des peut donc figurer comme sujet d’un prédicat i-level s’il
est susceptible d’une lecture partitive. Au vu des exemples des paradigmes (18) et (19),
la présence d’un modifieur de localisation spatiale semble déterminante pour l’émer-
gence d’une telle lecture. Cette propriété des SN en des les distinguent des noms "nus"
de l’anglais. Comme le montrent les exemples (22) qui sont les traductions anglaises
des exemples (19), les noms "nus" ne sont pas susceptibles d’une lecture partitive, en
dépit de la présence d’un modifieur de localisation spatiale.
En anglais, seule la présence d’un déterminant explicite tel que some est à même de
faire émerger la lecture partitive du SN. Ceci est mis en évidence en (23).
Crucialement, les SN en des qui accèdent à une lecture partitive de ce type peuvent
avoir une référence actuelle ou spécifique. Ils sont donc à même de référer à des in-
dividus particuliers, potentiellement "nommables" ou du moins "désignables". Cette
observation est corroborée par les exemples donnés en (24), (25) et (26).
(24) a. Dans cette classe, des enfants sont turbulents : le fils de ma voisine et le
neveu du boucher.
b. Parmi les enfants de cette classe, il y en a qui sont turbulents : le fils de ma
voisine et le neveu du boucher.
(25) a. Dans cette cage, des singes ont les yeux noirs, à savoir Cheeta et King-
Kong.
b. Parmi les singes de cette cage, il y en a qui ont les yeux noirs, à savoir
Cheeta et King-Kong.
(26) a. Dans cette entreprise, des employés détestent les réunions interminables.
Il s’agit de Max, Léa et Tom.
b. Parmi les employés de cette entreprise, il y en a qui détestent les réunions
interminables. Il s’agit de Max, Léa et Tom.
(28) ?? De nos jours, des prêtres sont mariés : le père Jean et le père Mathieu.
(29) Dans ce diocèse, des prêtres sont mariés : le père Jean et le père Mathieu.
En dépit de la présence du modifieur locatif en France, il est difficile d’établir une liste
exhaustive des prêtres ayant la propriété d’être marié.
Sur la base de ces observations, nous proposons de distinguer deux types de phé-
nomènes en relation avec la partitivité : la partitivité non générique ou "standard"
(31a,31b) et la généricité partitive (cf. Anscombre, 1999, 2002; Kleiber, 2001) (31c,31d).
(31) a. Dans ce CP, des élèves sont précoces : Pierre, Marie et Jeanne.
b. Dans cette forêt, des arbres ont plus de cent ans. Ce sont ceux qui se
trouvent à ta droite.
c. En Afrique, des enfants meurent du sida.
d. Des enfants ont une ou deux petites dents à la naissance.
Nous parlerons de partitivité non générique quand l’ensemble dénoté par le SN en des
est un ensemble contingent, c’est-à-dire un ensemble fini. Dès lors, il devient possible
d’énumérer (31a) ou de désigner (31b) de manière exhaustive tous les individus qui
vérifient la propriété. Parallèlement, nous parlerons de généricité partitive quand l’en-
semble dénoté par le SN en des est un ensemble virtuel, et donc un ensemble vaste
et mal délimité qui empêche toute énumération exhaustive des individus vérifiant la
propriété assertée.
Quant à la notion de saillance pragmatique qui repose sur la non occurrence d’un
modifieur locatif, elle ne semble compatible qu’avec la généricité partitive (cf. (32a)
vs (32b)):
lecture existentielle s’ils sont combinés à des prédicats de ce type. Ceci est illustré en
(33) et (34).
Notons que ces exemples ne vont pas à l’encontre de la contrainte introduite dans
Dobrovie-Sorin (1997). Les prédicats en présence étant statifs, la lecture existentielle
des SN sujets est bloquée car la structure argumentale de ces prédicats ne contient pas
d’argument locatif.
Tout comme pour les prédicats i-level, l’ajout d’un modifieur de localisation spa-
tiale rend légitime l’occurrence de ces SN en position sujet (35,36) et leur confère une
lecture partitive, mise en évidence en (37,38).
(39) a. Aujourd’hui, des enfants ont encore des difficultés à l’école. (slogan figu-
rant sur une affiche à l’université de Nancy 2 en septembre 2002)
b. De nos jours, des électeurs modérés votent à l’extrême gauche.
Ces exemples contiennent un modifieur temporel. Ils semblent analogues à ceux don-
nés dans la section précédente en (27), (30a), (31c) et (31d). Il s’agit clairement ici
de généricité partitive, car ces phrases expriment des assertions générales à propos de
certains individus, et non de tous les individus de la classe dénotée par le nom-tête du
SN. Nous reviendrons sur cette notion fondamentale et nouvelle au chapitre 3.
70
(40) a. Dans cette rue, des voitures étaient garées sur le trottoir ce matin.
b. Dans cet hôpital, des malades ont joué aux cartes hier après-midi.
Certes, la lecture existentielle est accessible ici du fait du caractère spécifiant du pré-
dicat. Dans ce cas, les phrases en (40) ont le sens des phrases (41) ci-dessous :
(41) a. Il y avait ce matin des voitures garées sur le trottoir dans cette rue.
Dans cette rue, il y avait ce matin des voitures garées sur le trottoir.
b. Il y avait hier après-midi des malades qui jouaient aux cartes dans cet hô-
pital.
Dans cet hôpital, il y avait hier après-midi des malades qui jouaient aux
cartes.
Cependant, la lecture partitive n’est pas exclue et semble même être la lecture la plus
saillante ici, comme en témoigne la possibilité d’introduire un contexte contrastif par
le biais de la forme d’autres (42) :
(42) a. Dans cette rue, des voitures étaient garées sur le trottoir ce matin, d’autres
se trouvaient sur les passages piétons.
b. Dans cet hôpital, des malades ont joué aux cartes hier après-midi, d’autres
se sont promenés dans le parc.
Dans ce cas, les phrases (40) sont équivalentes aux phrases (43) :
(43) a. Parmi les voitures qui étaient dans cette rue ce matin, il y en a qui étaient
mal garées.
b. Parmi les malades de cet hôpital, il y en a qui jouaient aux cartes hier
après-midi.
Cette observation est confirmée par Kleiber (2001) qui avance que les prédicats spéci-
fiants autorisent la lecture partitive des SN indéfinis, et en particulier des SN en des.
Ils sont également légitimes comme sujets dans les phrases non événementielles qui
contiennent un prédicat statif, spécifiant, s-level (catégorie B) (45).
Dans les deux cas cités ci-dessus, les SN en des accèdent à une lecture existen-
tielle. Notons que (44) est une phrase épisodique dynamique et (45) est une phrase
épisodique stative. On observe que le caractère statif / non statif du prédicat se révèle
non pertinent pour la lecture existentielle des SN en des. Il suffit que le prédicat soit
spécifiant et s-level.
En d’autres termes, la lecture existentielle des SN sujets en des n’est pas accessible
dans les phrases épisodiques statives dont le prédicat est non spécifiant (46a), ainsi
que dans les phrases habituelles (46b) et celles contenant un prédicat i-level (47). Par
conséquent, le caractère s-level / i-level du prédicat n’est pas pertinent pour expliquer
l’impossibilité d’une lecture existentielle des SN en des. Cette lecture est bloquée si le
prédicat est non spécifiant et statif.
(ii) Les SN en des peuvent également accéder à des lectures partitives sous l’influence
du contexte ou par le biais de facteurs sémantico-pragmatiques (notion de pertinence
et connaissances encyclopédiques). Il faut distinguer les lectures partitives "standard"
(48) et les lectures génériques partitives (49).
(48) a. Dans ce zoo, des tigres sont malades. (prédicat non spécifiant, statif, s-level)
b. Dans cet hôpital, des malades ont joué aux cartes hier après-midi. (prédicat
spécifiant, non statif, s-level)
c. Dans cette rue, des voitures étaient mal garées cette nuit. (prédicat spécifiant,
statif, s-level)
d. Dans mon village, des enfants vont à l’école en bus. (prédicat caractérisant
habituel)
e. Dans cette promotion, des étudiants apprécient les cours de syntaxe. (pré-
dicat caractérisant i-level)
72
Ce qui distingue le paradigme (48) de (49) est que les modifieurs locatifs en (48) per-
mettent de définir un ensemble contingent d’individus. Par exemple en (48d), la prédi-
cation concerne non par une partie des enfants en général, mais bien un sous-ensemble
des enfants de mon village, ceux-ci formant un ensemble fini et délimité d’enfants au
moment de l’énonciation. A l’inverse, le modifieur locatif en (49a) ne crée par un en-
semble contingent d’enfants, mais l’ensemble virtuel des enfants d’Afrique.
Si la partitivité "standard" semble dépendre de la présence d’un modifieur locatif quelle
que soit la nature du prédicat, la généricité partitive n’est visiblement pas soumise aux
mêmes contraintes. Un modifieur temporel peut engendrer cette lecture (49b), mais
celle-ci semble pouvoir émerger même en l’absence de modifieur (49c).
(iii) Le caractère spécifiant du prédicat se révèle crucial pour la lecture existentielle des
SN en des. Nous rappelons que selon Kleiber (1981a), un prédicat spécifiant dispose
d’un ancrage spatio-temporel. Cette notion d’ancrage est toutefois assez floue et doit
être précisée.
La contrainte de Dobrovie-Sorin (1997) s’avère donc justifiée dans le cas des prédicats
spécifiants statifs. On en déduit qu’un prédicat statif est spécifiant s’il sélectionne un
complément locatif.
(51) Des malfaiteurs ont pénétré dans une bijouterie et ont menacé les employés
avec un pistolet.
(52) a. A Paris, des malfaiteurs ont pénétré ce matin dans une bijouterie et ont
menacé les employés avec un pistolet.
b. Hier, des étudiants ont envahi le rectorat.
73
c. Des chiens ont attaqué une vieille dame dans le parc de la Pépinière.
Dans ces phrases, les SN en des accèdent à une lecture existentielle. La contrainte de
Dobrovie-Sorin semble donc valide, étant donné qu’elle impose que l’interprétation
existentielle du sujet ici dépend de sa localisation par un argument du verbe ou un
modifieur.
Toutefois, les exemples ci-dessous jettent un doute sur la présence obligatoire d’un
complément ou d’un modifieur de ce type :
(53) a. Hier, des étudiants ont manifesté contre l’expulsion des sans-papiers.
b. Des bébés vont sauter en parachute.
c. Des oiseaux ont chanté toute la nuit.
Nous résumons dans le tableau ci-dessous les conclusions auxquelles nous sommes
parvenu :
3.1 Introduction
Ce chapitre examine en détail les conditions dans lesquelles les SN en des en posi-
tion sujet ont une lecture générique. Nous constaterons que ces SN accèdent plus large-
ment qu’on ne le soupçonnait à des lectures de ce type. Certes, il a souvent été noté que
ces SN sont interprétés génériquement dans les contextes déontiques tels que ‘des pom-
piers doivent être courageux’ et dans les contextes contenant le pronom ça comme ‘des
chats, ça miaule’, mais nous mettrons en évidence un autre type de contexte permettant
une interprétation générique quasi universelle des SN en des. Nous verrons qu’il s’agit
des environnements dans lesquels le SN en des contient un modifieur, c’est-à-dire un
élément restrictif. Ceci fera l’objet de la section 3.2.
Chemin faisant, nous évaluerons l’impact d’un concept apparu récemment dans la
littérature sur la généricité, à savoir la notion de généricité partitive, initialement dé-
crite dans Anscombre (1999, 2002). Un examen critique des hypothèses et des conclu-
sions formulées par Anscombre nous conduira à proposer une caractérisation plus fine
du phénomène de généricité partitive, en l’opposant à ce que nous appellerons la gé-
néricité quasi universelle et la généricité taxinomique. Nous montrerons en particulier
que les SN en des peuvent accéder à ces trois types de lectures génériques et nous
étudierons les conditions nécessaires à l’émergence de chacune d’entre elles. Nous
aborderons ces aspects dans la section 3.3.
Pour finir, nous tenterons, dans la section 3.4, de proposer une analyse formelle per-
mettant de rendre compte des différentes interprétations auxquelles les SN en des sont
susceptibles d’accéder. Pour ce faire, nous prendrons comme point de départ quelques
75
L’interprétation générique est bloquée pour chacun de ces énoncés. Les phrases en (1)
sont toutefois interprétables génériquement si les SN en des ont une lecture taxino-
mique (2).
Quelques auteurs ont toutefois observé que les SN en des de la forme [des N], com-
binés à des prédicats i-level, peuvent avoir des interprétations génériques dans certains
contextes syntaxiques. Premièrement, la dislocation à gauche du SN et sa reprise par
le pronom ça ou c’ permet d’aboutir à une phrase acceptable qui s’interprète généri-
quement (3) (Wilmet, 1986; Galmiche, 1986; Kleiber, 1998; Attal, 1976). Cette obser-
vation est valable également si le SN figure dans une phrase caractérisante habituelle
(4) :
Deuxièmement, les SN en des de la forme [des N] sont légitimes comme sujet dans
les phrases caractérisantes, si la phrase contient un verbe modal à valeur déontique
(Corblin, 1987; Carlier, 1989) (5).
Comme nous allons le voir dans la section suivante, un troisième type de contextes
permet aux phrases contenant un SN en des en position sujet d’accéder à une interpré-
tation générique.
Notons que des exemples attestés de ce type d’emploi existent. Nous en donnons
quelques-uns en (7) :
(7) a. Des hommes groupés ne se manoeuvrent pas comme des hommes disper-
sés. (E. Faral, 1942, La vie quotidienne au temps de St Louis, p.57)
b. Des hommes qui meurent de faim dans un bois peuvent accuser la nature.
(Ouvrage collectif dirigé par M. Daumas, 1957, Histoire de la science, p. 1606)
c. Des arbres plantés le long des autoroutes rendent le voyage moins fasti-
dieux et servent aussi à raffermir les accotements. (F. Greenoak & P. Buisse-
ret, 1980, Les arbres, p.32) 3
Notons que les relatives non restrictives (dites aussi "relatives apposées") ne sont pas
à même de faire émerger une interprétation générique (8) :
(8) a. * Des arbres, qui par ailleurs ont un feuillage épais, se caractérisent par
leur écorce lisse.
b. * Des tigres, dont on sait par ailleurs qu’ils peuvent dévorer une proie en
quelques minutes, sont dangereux.
Comme en (1) page 75, l’interprétation générique de ces phrases n’est accessible que
si les SN ont une lecture taxinomique (9) :
(9) a. Des arbres, qui par ailleurs ont un feuillage épais, se caractérisent par leur
écorce lisse. Ce sont les platanes.
b. Des tigres, dont on sait par ailleurs qu’ils peuvent dévorer une proie en
quelques minutes, sont dangereux. Il s’agit des tigres du Bengale.
Le fait que les relatives non restrictives ne soient pas à même de permettre une inter-
prétation générique de la phrase constitue un argument qui va dans le sens de notre
observation : seul un élément restrictif, interne au SN, est à même de faire émerger
l’interprétation générique de la phrase.
b. Des éléphants d’Afrique ont de grandes oreilles, à savoir ceux qui vivent
dans le sud du continent.
Or, nous observons en (12) que les syntagmes cardiaques et d’Afrique ne peuvent pas
fonctionner comme prédicats phrastiques.
Toutefois, il nous faut préciser que la possibilité pour un adjectif de fonctionner comme
prédicat phrastique dépend crucialement de la relation lexicale qu’il entretient avec le
nom-tête du SN sujet de la phrase. En effet, on sait depuis longtemps qu’un même
adjectif peut avoir des emplois prédicatifs avec certains noms, mais des emplois non
prédicatifs avec d’autres noms 4 . C’est le cas par exemple de l’adjectif national.
En (13a), national est susceptible d’un emploi prédicatif car il est en relation avec le
nom recrutement. Un tel emploi est source d’agrammaticalité si cet adjectif est en re-
lation avec le nom police, comme le montre (13b).
4. On retrouve ici l’opposition traditionnelle entre adjectif relationnel (vs) adjectif non relationnel
(Bolinger, 1967; Tamba, 1980; Monceaux, 1987; Riegel, 1985; Riegel et al., 1994; Noailly, 1999;
Schnedecker et al., 2002; Knittel, 2003). Les adjectifs relationnels se caractérisent notamment par deux
propriétés remarquables. D’une part, ils ne peuvent fonctionner comme attribut :
(i) un discours présidentiel
* Ce discours est présidentiel.
(ii) un palais princier.
* Marie trouve ce palais princier.
D’autre part, ils n’acceptent pas la modification par un adverbe d’intensité tel que très, vraiment, abso-
lument :
(iii) * une ampoule très électrique
(iv) * une viande très bovine
79
L’adjectif peut (i) produire une sous-classe de la classe des films (15a) ou (ii) dénoter
une propriété partagée par certains films, à savoir la propriété d’être extraordinaire
(15b). C’est le contexte qui privilégie l’une ou l’autre des deux interprétations 5 .
(15) a. Ce cinéma diffuse toutes sortes de films, notamment des films d’horreur,
des films fantastiques et des films policiers.
b. La semaine dernière, Max a eu l’occasion de voir des films vraiment fan-
tastiques.
Tout comme nous l’avons vu pour l’adjectif national, fantastique ne peut pas être em-
ployé prédicativement quand il permet de construire une sous-classe de la classe des
films (15a). Au contraire, un tel emploi est possible s’il décrit une propriété partagée
par certains films (cf. certains films sont fantastiques / extraordinaires).
En résumé, les possibilités d’emploi prédicatif (vs) non prédicatif d’un élément
restrictif dépendent de la relation lexicale qui s’établit entre cet élément et le nom
qu’il modifie. Seuls les éléments restrictifs susceptibles d’un emploi prédicatif sont
en mesure de faire émerger l’interprétation générique des phrases dans lesquelles ils
fonctionnent comme modifieurs au sein d’un SN en des en position sujet.
Les phrases telles que (6) et (7) ont les caractéristiques suivantes :
(2) La lecture générique est bloquée si l’un au moins des deux prédicats impliqués
décrit une situation accidentelle ancrée à un temps et en un lieu spécifiques. En d’autres
termes, et pour reprendre la distinction de Kleiber (1981a), la lecture générique n’est
pas accessible si l’un au moins des deux prédicats est spécifiant.
(17) a. Des lions blessés hier dans ce zoo sont vulnérables. (* générique)
5. Notons que le test d’insertion d’un adverbe d’intensité permet de distinguer les deux interpré-
tations. Si le SN dénote une sous-classe, cette insertion produit une agrammaticalité. Si au contraire
l’adjectif décrit une propriété des entités dénotées par le nom, cette insertion n’altère pas la grammati-
calité de la phrase.
80
Cette observation est valable également pour les phrases génériques du paradigme (5)
de la page 76. Nous rappelons que ces phrases contiennent un verbe modal à valeur
déontique qui légitime l’occurrence, en position d’argument externe, des SN en des de
forme canonique [des N] (cf. section 3.2.1).
Il s’agit là d’une propriété remarquable de des qui, d’après Corblin (1987, 1989),
le distingue des numéraux cardinaux. Corblin (1989) constate en effet que "les énon-
cés comportant des nombres pluriel en lieu et place de un ne disent rien d’autres que
l’énoncé initial" et sont jugés inacceptables si l’interprétation du SN est distributive. Il
illustre cette observation en confrontant les exemples (23a) et (23b), le premier étant
similaire à ceux de notre paradigme (20).
Ces faits montrent que, dans les contextes considérés (restrictifs ou modaux), les
SN en des peuvent avoir une lecture distributive, bien que les phrases génériques dans
lesquelles ils figurent ont les mêmes conditions de vérité que celles contenant un SN
en un. Un indice qui semble valider cette hypothèse est fourni par les phrases (25).
Dans ces exemples, les SN en des ne peuvent avoir qu’une interprétation distributive,
dans la mesure où les prédicats s’appliquent à un individu unique, et non à un groupe.
Cette caractéristique des prédicats est induite par l’adjectif seuls en (25a) et le SN le
simple de Wimbledon en (25b).
Par ailleurs, l’interprétation non distributive des SN des carrés et deux carrés n’est pas
accessible ici, en raison de la nature du prédicat. Corblin (1989) souligne en effet que
le choix d’une propriété définitoire de la classe engage sur la voie de l’interprétation
distributive du pluriel. Cela signifie que si le verbe principal dénote une propriété qui
caractérise de façon notoire chaque membre de la classe, l’interprétation du SN est dis-
tributive.
On observe que l’insertion d’un élément restrictif ou d’un modal permet à nou-
veau l’émergence d’une lecture distributive du SN en des en (26b). L’interprétation
générique des phrases (28b,29b) est acceptable et ceux-ci ne disent rien d’autre que
les énoncés (28a,29a) respectivement. Notons qu’une interprétation non distributive
de ces SN n’est pas acceptable, du fait du caractère distributif du prédicat avoir quatre
côtés égaux.
Le second cas où les SN en des ne sont pas ouverts à une interprétation distribu-
tive est le cas où ils sont combinés à des prédicats collectifs. Ces derniers sont en
effet incompatibles avec un SN référant à un individu atomique (cf. 30a). Seule les SN
dénotant un ensemble d’individus sont légitimes avec ces prédicats (cf. 30b).
Dans ce cas, la présence explicite d’un élément restrictif ou d’un modal ne permet
pas non plus l’interprétation distributive du SN en des. L’élément restrictif peut même
être le facteur déclencheur de l’interprétation non distributive de ces SN (cf. 32,33).
Dans les autres cas, c’est le prédicat principal qui impose la lecture collective du SN
(cf. 31,34,35).
(31) a. Des lions affamés se rassemblent souvent les soirs de pleine lune.
b. * Un lion affamé se rassemble souvent les soirs de pleine lune.
(32) a. Des droites convergentes ont un point en commun. (Dobrovie-Sorin, 2001)
b. * Une droite convergente a un point en commun.
(33) a. Des pays voisins finissent par se fédérer. (Corblin, 1987)
b. * Un pays voisin finit par se fédérer.
(34) a. Des ministres doivent être solidaires. (Corblin, 1989)
b. * Un ministre doit être solidaire.
(35) a. Des locataires peuvent se constituer en association. (Corblin, 1989)
b. * Un locataire peut se constituer en association.
Nous avons montré que les phrases génériques du paradigme (19), ainsi que les
phrases (20) permettent une lecture distributive des SN en des. Cette lecture est même
la seule possible si le prédicat principal est un prédicat distributif. De plus, elle engage
les mêmes conditions de vérité que l’interprétation générique des phrases équivalentes
avec un SN en un, sans que ces phrases soient jugées inacceptables pour autant. De ce
point de vue, des se distingue des numéraux cardinaux.
Une analyse formelle unifiée de ces SN indéfinis distributifs devrait donc traiter de
manière analogue les phrases contenant un SN en des et celles contenant un SN en un,
dans la mesure où leur interprétation générique engage les mêmes conditions de vérité.
Mais encore faut-il expliquer pourquoi deux formes distinctes, l’une en un, l’autre en
des sont disponibles et pertinentes, alors que les phrases dans lesquelles elles figurent
sont sémantiquement équivalentes.
Nous avançons que le choix de l’une ou l’autre de ces formes relève, non pas d’une
contrainte sémantique, mais d’une contrainte d’ordre pragmatico-discursive. Comme
le souligne Corblin (1989, p.29), le recours à un énoncé impliquant des "est justifié par
l’application de l’énoncé général à un exemple impliquant plusieurs individus, bien
que l’énoncé général s’applique à chaque individu considéré isolément". Imaginons
par exemple une situation où deux individus se trouvent face à une horde de lions
affamés. Un énoncé potentiel serait (36a), plutôt que (36b).
Anscombre (1999, 2002) est le premier à avoir tenté de démontrer que les phrases
telles que (40a) dont le SN sujet contient le déterminant certains sont des phrases gé-
nériques d’un type particulier. C’est à lui qu’on doit le terme de généricité partitive.
Soulignons dès à présent que ce phénomène n’est pas une spécificité du français. Co-
hen (2001) l’aborde pour l’anglais par le biais des exemples (41).
Il qualifie la lecture des noms nus mammals en (41a) et indians en (41b) de lecture
générique existentielle.
Il nous semble enfin que l’exemple (42), très largement discuté dans la littérature
anglo-saxonne, relève du même phénomène pour l’une de ses interprétations : celle
où la phrase n’énonce pas une propriété caractéristique des typhons en général, mais
seulement d’une partie d’entre-eux (cf. 43b).
(42) Typhoons arise in this part of the Pacific.
(43) a. En général, les typhons naissent dans cette partie du Pacifique.
b. {Des / Certains} typhons naissent dans cette partie du Pacifique.
Avant d’aborder le cas des SN en des, examinons dans un premier temps l’analyse
de ce phénomène proposée par Anscombre.
b. Fido est un chien, mais il n’a pas quatre pattes. (suite à un accident, on l’a
amputé d’une patte)
c. Fido est un chien, mais il n’est pas fidèle. (la fidélité est une propriété
accidentelle des chiens)
La seconde caractéristique est liée à la possibilité d’occurrence d’un SN défini spé-
cifique de forme [Det N] en position sujet. Seules les phrases typifiantes locales ad-
mettent un SN sujet de ce type, comme le corroborent les exemples (47).
(47) a. ?? Mon chien est un mammifère.
b. ?? Mon chien a quatre pattes.
c. Mon chien est fidèle.
Anscombre observe que les phrases du paradigme (44) satisfont à beaucoup des
critères de la généricité. D’une part, il souligne qu’elles permettent au moins une in-
terprétation non événementielle. Nous reviendrons plus en détail sur cet aspect dans
la section 3.3.3. D’autre part, il remarque qu’il est possible d’établir une dichotomie
entre ces phrases, selon qu’elles autorisent les exceptions ou pas. A ce sujet, il fait le
constat suivant :
"Remarquons que le problème n’est pas de montrer que dans la classe des
entités x dont on prédit que Certains x sont P, il y a des x qui ne sont pas
P, car il s’agit là d’un pur truisme. Ce qu’il faut en fait montrer, c’est que,
dans le cas où ces certains x qui sont P renvoient à une classe par ailleurs
identifiable, l’existence d’éventuelles exceptions n’invalide pas la phrase
en Certains . . . Il en est ainsi en particulier chaque fois qu’à ces certains
est associée une dénomination." (Anscombre, 2002, p.19)
Pour illustrer ceci, il introduit les exemples (48).
(48) a. Certains entiers n’ont pas d’autres diviseurs qu’eux-mêmes et l’unité.
b. Certaines voitures de cette série ont la direction assistée.
c. Certaines voitures de cette gamme consomment beaucoup.
Les entiers concernés par la prédication en (48a) correspondent à une classe d’entiers
bien connue, à savoir les nombres premiers. Par conséquent, cette phrase est associée
à la phrase générique "standard" (49). Celle-ci étant analytique, elle n’admet aucune
exception.
(49) Les nombres premiers n’ont pas d’autres diviseurs qu’eux-mêmes et l’unité.
Du fait de ce parallélisme, Anscombre en déduit que (48a) est également une phrase
générique analytique.
En ce qui concerne les phrases (48b) et (48c), elles peuvent également être associées à
des phrases génériques "standard", ce qu’il illustre par le biais des exemples (50).
(50) a. Les voitures X de cette série ont la direction assistée.
88
Or, ces phrases admettent des exceptions qui, fait remarquable d’après lui, sont poten-
tiellement les mêmes que celles admises par les versions associées en certains. Ceci
est mis en évidence en (51) et (52) :
(51) a. Les voitures X de cette série ont la direction assistée, sauf celles achetées
à crédit.
b. Certaines voitures de cette série ont la direction assistée, sauf celles ache-
tées à crédit.
(52) a. Les voitures Y de cette gamme consomment beaucoup, sauf celles qui
marchent au fuel.
b. Certaines voitures de cette gamme consomment beaucoup, sauf celles qui
marchent au fuel.
Anscombre en déduit que (48b) et (48c) sont des phrases génériques typifiantes 9 . Il
observe cependant que ces deux phrases autorisent l’occurrence d’un SN défini spé-
cifique, ce qui induit une caractérisation de celles-ci en termes de phrases génériques
typifiantes locales (53).
Néanmoins, Anscombre avance qu’il existe des phrases génériques partitives qui
sont des phrases typifiantes a priori. Il donne l’exemple (54) :
Le critère qu’il utilise pour justifier cette hypothèse est un critère introduit initialement
dans Kleiber (1978) et permettant également de distinguer les phrases typifiantes a
priori des phrases typifiantes locales. Le critère est le suivant : seules les phrases typi-
fiantes locales supportent l’interrogation en est-ce que. Appliqué aux phrases (53) et
(54), ce critère conduit aux phrases interrogatives données en (55).
En résumé, Anscombre (2002) tente d’établir un parallélisme entre les phrases gé-
nériques "standard" d’une part, et les phrases génériques partitives d’autre part. Selon
lui, trois types de phrases génériques partitives pourraient être dégagés : les génériques
partitives (i) analytiques (56a), (ii) typifiantes a priori (56b) et (iii) typifiantes locales
(56c).
Comme le souligne à juste titre cet auteur, les nombres entiers dont il est question en
(57) sont "les fameux nombres premiers". Cela revient à dire que les entiers dont la
propriété est d’être exclusivement divisibles par eux-mêmes ou par l’unité forment la
classe des nombres premiers, celle-ci correspondant précisément à une (sous-)classe
bien établie dans nos connaissances encyclopédiques. Il est clair ici que le SN accède
à une interprétation taxinomique, ce que corrobore l’exemple (58).
(58) Certains entiers, à savoir les nombres premiers, n’ont pas d’autres diviseurs
qu’eux-mêmes et l’unité.
90
Il n’est donc pas surprenant que (57) soit en relation étroite avec la phrase générique
(59).
(59) Les nombres premiers n’ont pas d’autres diviseurs qu’eux-mêmes et l’unité.
En effet, ce type de relation s’établit dès que le SN est interprété taxinomiquement.
Considérons par exemple la phrase (60) qui contient un SN indéfini singulier, combiné
à un prédicat d’espèce. Nous rappelons que dans ces contextes, les SN indéfinis ne sont
susceptibles que d’une lecture taxinomique (cf. (61a) et (61b)).
(60) Un lapin est en voie d’extinction en Lorraine.
(61) a. * Un lapin est en voie d’extinction en Lorraine : Jeannot, le lapin de mon
voisin.
b. Un lapin est en voie d’extinction en Lorraine : le lapin de garenne.
c. Le lapin de garenne est en voie d’extinction en Lorraine.
A la phrase (61b) contenant un SN sujet interprété taxinomiquement correspond la
phrase générique (61c) qui associe la propriété être en voie d’extinction au SN géné-
rique le lapin de garenne.
La phrase générique (59) étant analytique, elle n’autorise aucune exception. Par
conséquent, nous suivons Anscombre en reconnaissant que la phrase associée (57)
est également une phrase générique analytique qui ne tolère aucune exception 11 . Les
exemples de ce type de phrases abondent. Nous en donnons quelques-uns en (62).
(62) a. Certains triangles ont trois côtés égaux : les triangles équilatéraux.
= Les triangles équilatéraux ont trois côtés égaux.
b. Certaines droites, à savoir les droites parallèles, n’ont aucun point en com-
mun.
= Les droites parallèles n’ont aucun point en commun.
c. Certains mammifères pondent des oeufs. Ce sont {l’ / les} ornithorynque(s)
et {l’ / les} échidné(s).
= {L’ / Les} ornithorinque(s) et {l’ / les} échidné(s) pondent des oeufs.
11. Remarquons toutefois que l’analycité de (57), reprise ci-dessous en (i), n’est pas tout à fait simi-
laire à celle de (59), rappelée en (ii).
(i) Certains entiers n’ont pas d’autres diviseurs qu’eux-mêmes et l’unité.
(ii) Les nombres premiers n’ont pas d’autres diviseurs qu’eux-mêmes et l’unité.
Dans les phrases génériques "standard" telles que (ii), le prédicat énonce une propriété définitoire de la
classe dénotée par le nom-tête du SN sujet. Ce n’est pas le cas en (i) : le prédicat définit ici un sous-
ensemble d’entiers, et non l’ensemble des entiers, lequel sera caractérisé par la phrase analytique (iii) :
(iii) Les entiers ont un développement décimal sans virgule.
Il s’agit donc bien dans les deux cas de phrases analytiques. Elles se distinguent simplement par le fait
que, si la phrase est générique "standard", le prédicat caractérise directement la classe dénotée par le
nom-tête du SN. Au contraire, si la phrase est générique partitive, le prédicat définit non pas la classe
dénotée par le nom-tête du SN, mais un sous-ensemble de celle-ci.
91
Tout comme (64b), la généricité de (63a) n’est pas remise en cause par l’existence
d’un requin déviant appartenant à l’une des trois sous-classes explicitées en (64a) et
qui n’aurait plus la propriété d’être extrêmement dangereux pour l’homme, du fait
de la perte de ses mâchoires acérées par exemple. De même, et comme le souligne
Anscombre à propos de la phrase (i) (cf. note 13), la phrase générique (65b) accepte
les exceptions, tout comme la phrase (63b), ce qui est mis en évidence en (66a) et
(66b) respectivement. Il ajoute que les mêmes exceptions sont possibles dans ces deux
phrases.
(66) a. Les (voitures) berlines de chez Peugeot ont la direction assistée, sauf celles
achetées à crédit.
b. Certaines voitures de chez Peugeot ont la direction assistée, sauf celles
achetées à crédit.
12. Anscombre montre bien que les exceptions sont possibles avec une partie de ses phrases en cer-
tains, sans toutefois lier ces exceptions avec le fait que la lecture des SN est taxinomique.
13. Afin de mettre clairement en évidence la lecture taxinomique en (64b), nous avons introduit une
caractérisation explicite de la classe des voitures concernées par la prédication. Les exemples d’Ans-
combre se limitent à une caractérisation vague de cette classe. Ce sont les suivants :
(i) Certaines voitures de cette série ont la direction assistée : les voitures X.
(ii) Les voitures X de cette série ont la direction assistée.
92
Signalons que (63a) se distingue de (63b) en ce que l’exception est un individu déviant
en (63a), alors qu’il s’agit en (63b) d’un ensemble d’individus identifiables au moyen
d’une sous-classe (non naturelle ici et qui est fournie par le contexte linguistique) 14.
Crucialement, nous défendons l’idée que la généricité partitive doit être distinguée
de la taxinomie 15 . Nous avançons que la généricité partitive met en jeu des individus
non spécifiques (au sens où ces individus ne sont pas ancrés spatio-temporellement),
et non des classes qui sont l’apanage de la taxinomie. Nous développerons cette hypo-
thèse dans la section 3.3.3.
La seconde remarque que nous souhaitons faire est en relation avec la première.
Nous prendrons comme point de départ pour l’argumentation les phrases que Ans-
combre analyse comme typifiantes, en vertu du fait qu’elles autorisent les exceptions.
Nous avons montré ci-dessus que son argumentation est valide, mais repose sur une
lecture taxinomique du SN en certains. Or, les faits se révèlent tout autre si on envisage
la phrase comme assertant une propriété caractéristique d’individus non spécifiques, et
non d’une sous-classe. Des exemples révélateurs de ce point de vue sont les suivants :
Ces exemples sont éclairants dans la mesure où il est difficile d’envisager une lecture
taxinomique du SN sujet. Il n’existe en effet pas de classes connues qui pourraient être
identifiées respectivement au moyen des propriétés prédiquées en (67).
Crucialement, les phrases génériques partitives partagent avec les phrases géné-
riques "standard" le caractère virtuel de la classe dénotée par le nom-tête du SN sujet.
Nous rappelons que Kleiber et Lazzaro (1987) définissent une classe virtuelle comme
une classe qui concerne non seulement les membres réels passés et présents, mais
16. Cet aspect a également été souligné dans Bosveld-de Smet (1994) et Kleiber (2001) à propos des
SN en beaucoup de, peu de et certains dans des phrases telles que (i), (ii) et (iii) :
(i) Peu de gens savent être vieux. (Bosveld-de Smet, 1994)
(ii) Beaucoup d’étudiants ont un ordinateur personnel. (Kleiber, 2001)
(iii) Certains chats aiment la musique religieuse. (ibid.)
94
aussi les membres futurs et contrefactuels. Autrement dit, il s’agit d’une classe com-
prise comme existant en dehors de l’existence particulière de ses membres (Kleiber et
Lazzaro, 1987, p.93). Ainsi, le SN sujet en (70) est générique car il réfère à une classe
qui peut exister en dehors de l’existence réelle d’un (dans le cas de le et un) ou de
plusieurs (dans le cas de les) castors au moment de l’énonciation.
Cette propriété est valable également pour les phrases génériques partitives telles que
(71) :
Certes, elle ne vaut pas pour l’ensemble de la classe dénotée par le nom-tête du SN en
des, mais seulement pour un sous-ensemble de celle-ci. Toutefois, ce sous-ensemble
est virtuel dans la mesure où il concerne non seulement les enfants nés aveugles passés
et présents, mais aussi les enfants qui naîtront aveugles.
17. On notera que les phrases génériques partitives semblent pouvoir être précédées de la tournure
"existentielle" il y a, sans perdre leur sens générique.
(i) Il y a des enfants qui naissent aveugles.
18. Le diacritique # signale l’impossibilité d’une lecture générique partitive des SN en un en (76).
19. Nous ne tenons pas compte ici des lectures taxinomiques.
96
Si on reprend à présent en (80) les exemples (76) avec un qui contiennent une
prédication caractérisante :
on observe que l’interprétation de (80a) ne peut être que générique "standard". Toute-
fois, nos connaissances du monde nous font considérer cette phrase comme dénotant
une proposition fausse. Quant à l’interprétation existentielle, elle est difficile dans la
mesure où le prédicat est non spécifiant. En (80b), les interprétations générique et exis-
tentielle sont exclues pour les mêmes raisons que (80a).
En effet, les propriétés prédiquées en (81) ne concernent pas la quasi totalité des
nouveaux-nés et des électeurs modérés, mais seulement une partie d’entre-eux.
Le second argument qui pourrait justifier une distinction entre la généricité partitive
et la généricité taxinomique est que la lecture taxinomique des SN sujets n’est pas
toujours accessible. C’est le cas en (81), ainsi que dans les exemples ci-dessous :
Si la présence d’un élément restrictif susceptible d’un emploi prédicatif est une
condition nécessaire à l’émergence de l’interprétation générique "standard", ce n’est
toutefois pas une condition suffisante. En effet, le modifieur mariées en (84a) fonc-
tionne bien comme prédicat, sans qu’on observe une lecture générique "standard". La
phrase (84a) n’est pas équivalente à (84b) et (84c). Ces dernières étant équivalentes à
(85), on en déduit que (84a) n’a pas le même sens que (85).
Le participe mariées n’est pas employé en (84a) comme prédicat dans une propo-
sition conditionnelle, mais comme un modifieur participial qui restreint directement
l’extension du nom-tête du SN. La prédication principale porte sur un sous-ensemble
de femmes mariées, et non sur un sous-ensemble de femmes, à savoir celui des femmes
mariées.
De plus, l’interprétation générique "standard" de (84a) est bloquée par des facteurs
sémantico-pragmatiques (connaissances du monde) qui nous font considérer que cette
phrase dénote une proposition fausse. En effet, il est faux d’asserter qu’en général, les
femmes mariées ont un amant.
(84a) est donc un cas typique de généricité partitive car elle concerne un sous-
ensemble virtuel de l’ensemble des femmes mariées.
La disponibilité des deux interprétations est soulignée par le fait qu’il existe des
phrases ambiguës (86) entre une lecture générique "standard" (87a) et une lecture gé-
nérique partitive (87b) 21 .
Si les rapports entre la généricité partitive et les SN en des en position sujet n’ont
pas, à notre connaissance, été mis en évidence dans la littérature, les quelques au-
teurs qui se sont intéressés à ce concept récent de généricité partitive l’ont illustré au
21. Nous ne tenons pas compte ici de l’interprétation taxinomique qui est pragmatiquement peu plau-
sible, dans la mesure où il n’existe pas de classe bien établie de femmes délaissées.
99
Une étude plus approfondie, que nous n’engagerons pas ici, permettrait de vérifier
cette hypothèse.
De ce point de vue, ils se comportent comme les SN indéfinis faibles qui accèdent à
des lectures existentielles :
Le contraste entre (90) et (92) pourrait mettre en doute l’hypothèse selon laquelle
les phrases génériques partitives ont un lien avec la généricité. Inversement, le paral-
lèle entre (90) et (91) tendrait à montrer que les phrases génériques partitives ne sont
qu’un cas particulier de phrases existentielles. Or, ce qui distingue fondamentalement
les paradigmes (90) de (91) est la dénotation du SN sujet et la nature de la prédication
principale. Si les phrases en (91) assertent l’existence d’individus spécifiques du fait
des prédicats spécifiants, ce n’est pas le cas en (90). Il semble que les phrases (90) as-
sertent l’existence d’une classe générique. Cette intuition est d’ailleurs explicite dans
Cohen (2001) qui parle de génériques existentiels (‘existential generics’). Elle l’est
également dans Picabia (1987) qui suppose que les SN en des dans les phrases existen-
tielles (93) sont génériques :
Avant de clore ce chapitre, nous allons tenter en 3.4 d’intégrer les phrases géné-
riques en des à l’analyse formelle de la généricité proposée par les anglo-saxons (cf.
chapitre 1, section 1.2.4).
e. {Des / Un} étudiant(s) qui ne {suivent / suit} pas les cours régulièrement
{prennent / prend} le risque d’échouer aux examens.
f. {Des / Une} thèse(s) bien écrites {sont / est} agréable(s) à lire.
g. Des droites convergentes ont un point en commun.
* Une droite convergente a un point en commun.
Enfin, ces phrases sont sémantiquement équivalentes à des phrases contenant une pro-
position restrictive introduite par quand ou si (95) :
(95) a. {Quand / Si} des enfantsi sont malades, ilsi sont grincheux.
b. {Quand / Si} des droitesi sont convergentes, ellesi ont un point en com-
mun.
c. {Quand / Si} un lioni est blessé, ili est vulnérable.
d. {Quand / Si} un enfanti marche avant l’âge de 10 mois, ili est précoce.
Carlson (1977, 1979) est le premier à avoir fait une tentative d’analyse des phrases
telles que (95). Il fait l’hypothèse que les propositions en quand sont sémantiquement
équivalentes à des relatives restrictives 22. Ainsi, (96a) serait une paraphrase de (96b)
dans son analyse :
(96) a. Wolves are intelligent when they have blue eyes. (Carlson, 1979, p.66)
‘Les loups sont intelligents quand ils ont les yeux bleus.’
b. Wolves that have blue eyes are intelligent. (ibid., p.66)
‘Les loups {qui ont les yeux bleus / aux yeux bleus} sont intelligents.’
Farkas et Sugioka (1983), puis Declerck (1988) apportent toutefois des arguments
qui vont à l’encontre d’une telle hypothèse. Ce qui différencie selon eux les proposi-
tions en quand / si et les relatives restrictives est la nature de l’élément restreint par
ces propositions. Declerck montre qu’en interprétation générique, une relative restric-
tive restreint directement le SN relativé en créant une sous-classe de la classe générale
dénotée par le nom-tête de ce SN. La phrase indique alors quels types de N sont concer-
nés par l’assertion énoncée (cf. 97). En revanche, une proposition en when restreint les
cas 23 pour lesquels l’assertion énoncée dans la principale est vraie, mais ne restreint
pas le SN en lui-même. En d’autres termes, ces propositions précisent les conditions
pour lesquelles l’assertion faite dans la principale est vérifiée (cf. 98). Le recours à une
question explicative met en évidence ces deux modes de restriction.
Si notre intuition relative à l’équivalence sémantique entre les énoncés (94) et (95)
est avérée, l’analyse de Declerck tendrait à montrer que les adjectifs et les relatives
qui légitiment l’interprétation générique des SN en des en position sujet ne doivent pas
être analysés comme des relatives restrictives. Effectivement, l’adjectif et la relative en
(94) ne restreignent pas directement la classe dénotée par le nom-tête du SN, comme
le font les relatives restrictives 24.
(99) a. * Des arbres, qui par ailleurs ont un feuillage épais, se caractérisent par
leur écorce lisse. Ce sont les platanes.
b. * Des lions, dont on sait par ailleurs qu’ils dévorent une proie en quelques
minutes, sont dangereux.
Deuxièmement, nous avons montré que l’occurrence d’un adjectif ou d’une relative
est une condition nécessaire à l’émergence d’une lecture générique des phrases conte-
nant un SN en des en position sujet. Ce sont donc des constituants obligatoires. Or,
l’élimination d’une relative apposée n’influe ni sur la grammaticalité de la phrase, ni
sur son interprétation en termes de valeur de vérité (100). Ces propositions sont des
constituants optionnels.
(100) a. La démocratie, qui est fragile par nature, doit être défendue. (Riegel et al.,
1994)
b. La démocratie doit être défendue.
24. C’est le cas en revanche dans les phrases génériques partitives.
103
Pour résumé, les adjectifs et les relatives des exemples (94) ne sont sémantique-
ment ni des relatives restrictives, ni des relatives apposées. Ces constituants ont ce-
pendant une fonction restrictive dans la mesure où ils précisent les conditions dans
lesquelles l’assertion énoncée est vraie. Aussi, nous admettrons l’hypothèse défendue
initialement dans Kratzer (1986) selon laquelle les propositions en quand / si servent à
restreindre le domaine de quantification des opérateurs. Les phrases du paradigme (94)
contenant des SN indéfinis et véhiculant des assertions génériques, nous admettrons
qu’elles peuvent être représentées sous la forme d’une structure tripartite composée de
l’opérateur de généricité GEN, d’une restriction et d’une matrice (cf. chapitre 1, sec-
tion 1.2.4). Les éléments qui restreignent le domaine de quantification des opérateurs
apparaissant dans la restriction, le SN indéfini et le prédicat de la proposition condi-
tionnelle figureront donc dans la restriction.
Partant de cette hypothèse initiale, nous proposons une analyse qui rend compte
des possibilités d’interprétation générique des phrases contenant un SN en des ou en
un en position sujet. Nous distinguerons deux cas de figure. Le premier fait l’objet de
la section 3.4.1.2 et concerne les SN contenant une restriction explicite. Le second,
abordé dans la section 3.4.1.3, traite des SN non modifiés, c’est-à-dire des SN en un et
des de forme canonique [Det N].
Nous supposons également que les SN en des introduisent une variable d’individus
pluriels en forme logique, notée xp , de type e. Au contraire, les SN en un introduisent
une variable d’individus atomiques, notée xa , également de type e. En conséquence,
GEN peut lier trois variables sortées de type e, à savoir x a , xp et s.
Sur la base de ces hypothèses, nous dérivons les formes logiques ci-dessous :
Cette analyse est parallèle à celle proposée pour les SN indéfinis singuliers en anglais.
(cf. par exemple Wilkinson, 1991).
(103) a. Un lion blessé est vulnérable.
b. GEN xa ,s [lion(xa ∧ blessé(xa ,s)] [vulnérable(xa ,s)]
(104) a. Un enfant malade est grincheux.
b. GEN xa ,s [enfant(xp ∧ malade(xa ,s)] [grincheux(xa ,s)]
C étant présente dans l’entrée lexicale du prédicat i-level être un mammifère, x est
une variable d’individus atomiques (xa ). Or, le SN des lions introduit une variable
d’individus pluriels (xp ). Par conséquent, la FL (101’) n’est pas bien formée car la
variable xa n’apparaît pas dans la matrice.
Le prédicat s-level être fatigué ne peut induire une interprétation habituelle de la phrase
en l’absence d’un marqueur explicite d’habitualité (cf. Max est souvent fatigué, Max
est fatigué le lundi matin). Par conséquent, la variable contextuelle C n’apparaît pas
dans la restriction de l’opérateur GEN. La FL (106’) est mal formée car la variable s ne
figure pas dans le restricteur.
Tout comme en (106’), le prédicat être fatigué n’induit pas une interprétation habituelle
de la phrase. La variable s figurant seulement dans la matrice, la FL (109’) est mal
formée.
D’autre part, elle rend compte de la possibilité d’une interprétation générique des
phrases dont le SN sujet est un SN en un, qu’il y ait ou non une restriction interne
au SN :
Or, cette forme logique est parfaitement bien formée : l’opérateur GEN lient les va-
riables xp et s qui apparaissent à la fois dans le restricteur et dans la matrice. Elle
prédit donc que (113b) est une phrase qui exprime une quantification générique quasi
universelle. Ce n’est évidemment pas l’interprétation souhaitée.
Si l’hypothèse de Chierchia nous permet de faire les prédictions attendues, elle n’en
demeure pas moins contre-intuitive. Comme nous l’avons souligné précédemment (cf.
chapitre 1, section 1.4), elle implique que les phrases telles que (115) construites à
partir d’un prédicat i-level, mais dont le SN sujet réfère à un individu spécifique, sont
des phrases caractérisantes génériques.
Le second problème déjà évoqué de cette analyse est que la coercion permet aux pré-
dicats i-level d’avoir non seulement des emplois habituels (116), mais aussi, et c’est le
point important ici, des emplois transitoires (117).
(116) a. Pierre est sévère quand il est avec ses collègues, mais très indulgent quand
il est avec ses enfants.
107
Notre position est que la prise en compte de ces cas de coercion nécessiterait de dou-
bler le nombre d’entrées lexicales dans le cas des prédicats i-level, ce qui serait très
coûteux en termes de lexique.
Le constat est donc que l’approche traditionnelle qui consiste à ériger le facteur de
quasi totalité comme trait définitoire de la généricité ne permet pas de rendre compte
des phrases génériques partitives. Il devient nécessaire de déterminer un critère de
généricité compatible avec la généricité partitive. C’est pourquoi, nous allons tenter
en 3.4.3 d’esquisser une analyse qui intègre la généricité partitive.
A l’exemple anglais (119) de Kratzer (1995) fait écho l’exemple français (120) :
L’intuition que (119) et (120) sont effectivement des phrases génériques repose sur
plusieurs indices : (i) la nature caractérisante du prédicat, (ii) le caractère virtuel du SN
sujet, (iii) le fait que ces phrases peuvent être vraies indépendamment de l’existence
108
où l’opérateur GEN lie une variable locative l qui apparaît dans la restriction, ainsi que
comme argument du prédicat verbal.
Cette représentation est parallèle aux représentations classiques des phrases génériques
caractérisantes en ce qu’elle repose sur une structure tripartite composée de l’opérateur
GEN mettant en relation deux ensembles, en l’occurrence la restriction et la matrice.
Elle pose cependant, au plan sémantique, un problème non négligeable. (121) signifie
que des typhons naissent dans la plupart des endroits situés dans cette partie du Paci-
fique. Or, (119) signifie plutôt que des typhons ont (certainement) pris naissance dans
le passé, naissent (peut-être) en ce moment, et naîtront (vraisemblablement) dans cette
partie du Pacifique. Intuitivement, il semble bien que la généralisation en (119) porte
plutôt sur le temps, et non sur la localisation spatiale.
Est-il possible de rendre compte des phrases génériques partitives à l’aide des hy-
pothèses et des outils existants ? On a vu que les indéfinis introduisent une variable
qui doit être liée par un adverbe de quantification explicite (toujours, parfois, etc.) ou
implicite (GEN) ayant portée sur l’ensemble de la phrase. L’analyse de Kratzer repose
crucialement sur la présence d’une variable locative dans la restriction. Par conséquent,
elle ne permet pas de rendre compte de phrases comme (122) qui ne contiennent aucun
élément restrictif de type locatif.
On pourrait songer à traiter ces SN indéfinis en des comme des SN quantifiés. Tou-
tefois, comme nous le verrons au chapitre 4, Bosveld-de Smet (1998, 2000) a montré
de manière convaincante, nous semble-t-il, que les SN en des et du ne se comportent
pas comme les quantifieurs dans les contextes non génériques. Retenir cette solution
impliquerait l’absence d’une représentation unifiée des SN en des génériques et non
génériques.
Une troisième solution consisterait à supposer que ces SN en des acquièrent leur force
quantificationnelle d’un adverbe de quantification explicite en français, mais impli-
cite dans la plupart des autres langues indo-européennes, et sémantiquement distinct
de l’opérateur GEN classique. La difficulté serait ici de déterminer ce que dénoterait
25. Nous rejoignons Cohen (2002) dans sa critique d’une vision intensionnelle classique des SN sujets
concernés : l’intensionnalité ou virtualité se limite à l’aspect temporel, sans faire intervenir la notion de
mondes possibles.
109
Des travaux récents (Chierchia, 1995; de Swart, 1991, 1996) suggèrent que la géné-
ricité des phrases caractérisantes contenant un SN sujet indéfini découle du liage d’une
variable situationnelle de type davidsonien par l’opérateur GEN, indépendamment de la
nature s-level ou i-level du prédicat. L’analyse que nous allons présenter s’inscrit dans
ce cadre et tentera de rendre compte de manière unifiée des lectures existentielles, gé-
nériques quasi universelles et génériques partitives 26.
Les hypothèses essentielles sont que (i) chaque prédicat verbal contient une va-
riable temporelle et une variable locative, de type davidsonien, (ii) le temps marqué
sur le prédicat verbal est représenté au moyen d’un prédicat (ou opérateur) temporel
spécifique à chaque temps, (iii) le liage nécessaire de ces variables provient soit d’une
clôture existentielle dans le cas de l’interprétation non générique, soit d’une clôture
universelle dans le cas des emplois génériques 27 .
Soit ||xt,l ||, la dénotation d’un ensemble d’individus atomiques x dans un certain inter-
valle de temps t et dans un lieu l.
Soit ||xst,l ||, la dénotation d’un ensemble de sommes d’individus constituées de deux
individus atomiques x ou plus (excluant donc les individus atomiques) dans un certain
intervalle de temps t et dans un lieu l.
En omettant pour l’instant les aspects liés au temps verbal, supposons que la forme
logique de la phrase générique (124) contenant un SN sujet en un soit (125) :
(125) signifie que pour tous les découpages possibles en cellule d’espace-temps qui
contiennent au moins un lion, il existe au moins un lion qui a une crinière. Ceci sup-
pose que (i) un nombre infini de découpages spatio-temporels sont disponibles et (ii) il
en existe au moins un qui comporte au moins un lion dans chaque cellule 28 . On notera,
26. Nous ne tenons pas compte des lectures taxinomiques génériques comme en (i) :
(i) Des mammifères pondent des oeufs : les échidnés et les ornythorinques.
27. De ce point de vue, certains prédicats temporels, comme ceux qui marquent les formes progres-
sives de l’anglais, n’autorisent qu’une clôture existentielle, éliminant de ce fait les lectures génériques.
28. Cette propriété est liée au fait qu’un même individu ne peut être présent physiquement à deux
endroits différents à un même instant du temps. Réciproquement, elle implique également que deux
individus distincts ne peuvent se trouver dans le même lieu en même temps.
110
La forme logique (125) est donc équivalente sémantiquement à ‘tous les lions ont
une crinière’. Il est bien connu que cette lecture est trop forte. Cette difficulté pourrait
être levée en remplaçant les quantifieurs universels provenant de la clôture universelle
en (125) par l’opérateur GEN. On aurait alors la forme logique (126) à interprétation
plus faible :
La forme logique pour les phrases génériques en les (127) (c’est-à-dire les pluriels
"nus" génériques de l’anglais) est quasiment identique (128) :
(128) signifie que pour toutes les cellules d’espaces-temps qui contiennent au moins
une somme d’individus minimale (c’est-à-dire constituée de deux lions), il existe au
moins un couple de lions qui ont une crinière. Comme il existe un découpage de
l’espace-temps où chaque cellule contient exactement deux lions, la forme logique
(128) est donc équivalente à ‘tous les lions ont une crinière’.
Pour dériver une forme logique pour les phrases génériques partitives en des, consi-
dérons dans un premier temps une phrase non générique telle que (129) :
(129) Dans cet atelier, des ouvriers sont en grève (mais pas tous).
Crucialement, le SN en des accède ici à une lecture partitive qui permet d’établir
un contraste entre les employés en grève et les autres. Cet aspect est intégré dans les
formes logiques associées aux phrases de ce type 29 .
29. En ce qui concerne les phrases dans lesquelles le SN en des est interprété existentiellement (i), la
forme logique est simplement (ii) :
(i) Des enfants jouent dans la rue.
(ii) ∃t ∃xp [enfantst(xp ) ∧ jouent.dans(xp,la-rue,t) ]
111
Enfin, examinons le cas des phrases génériques partitives en des. Jusqu’à présent,
nous n’avons pas tenu compte du prédicat temporel qui joue un rôle essentiel dans la
forme logique que nous proposons. Une variable T liée par un opérateur existentiel
est requis comme variable pertinente pour le prédicat temporel (Musan, 1997). Le
présent par exemple est représenté par le prédicat Present(T,maintenant) qui est vrai si
et seulement si ‘maintenant’ ⊆ T.
(131) Des nouveaux-nés naissent aveugles.
(132) ∃T ∀t ∀l [ (||nouveaux-nést,l || ⊆ ||nouveaux-nésT || ∧ CARD(||nouveaux-nést,l ||)
> 0 )] ∃xp ∃yp ∃za [ nouveaux-nésT (xp ) ∧ yp ∈ xp ∧ naître.aveugles(yp,T) ∧
za ⊆ xp ∧ ¬ naître.aveugles(yp,T) ]
(132) signifie qu’il existe un intervalle temporel T qui contient toutes les sommes indi-
viduelles de nouveaux-nés et il y a au moins une somme individuelle de nouveaux-nés
contenue dans T qui contient au moins une somme individuelle de nouveaux-nés nés
aveugles dans T et au moins un nouveau-né qui n’est pas né aveugle dans T.
Il faut souligner que T intervient également pour les phrases (124) et (127) comme
variable pertinente pour le prédicat temporel.
Cette tentative d’analyse a pour intérêt de rendre compte des phrases tant géné-
riques que non génériques au moyen d’un opérateur existentiel apparaissant devant
la matrice. La distinction repose sur la présence d’opérateurs universels qui ont donc
portée sur l’ensemble de la phrase et d’une restriction dans le cas des phrases géné-
riques. Si la phrase est non générique, ce sont au contraire des opérateurs existentiels
qui émergent.
3.5 Conclusion
Dans cette première partie, nous nous sommes penchée sur les facteurs à l’origine
des lectures génériques et non génériques des SN en des en position sujet. Cet examen
30. (129) est vraie s’il existe au moins trois ouvriers dont deux sont en grève, et un ne l’est pas.
112
En ce qui concerne la lecture partitive, elle apparaît, quelle que soit la nature du
prédicat, si la phrase contient un modifieur locatif permettant de définir un ensemble
contingent d’individus. La prédication concerne alors un sous-ensemble de celui-ci,
contextuellement délimité.
Quant aux lectures génériques, nous avons mis en évidence que la présence d’un
élément restrictif, interne au SN, est un facteur qui peut faire émerger la lecture quasi
universelle de celui-ci. Dans ce cas, cet élément doit être susceptible d’un emploi pré-
dicatif et la phrase est équivalente à une subordonnée restrictive introduite par quand
ou si :
(139) {Quand / Si} des lions sont blessés, ils sont vulnérables.
Si la présence de cet élément restrictif n’est pas une condition nécessaire aux inter-
prétations génériques taxinomiques et partitives (cf. (136) et (137a)), son occurrence
ne bloque cependant pas ces lectures (cf. (137b)). Dans ce cas, il n’est pas employé
comme prédicat dans une proposition conditionnelle, mais comme un modifieur qui
restreint directement l’extension du nom-tête du SN. Plus généralement, les phrases
génériques taxinomiques et partitives sont équivalentes à des phrases introduites par la
forme existentielle il y a :
(140) a. Il y a des mammifères qui pondent des oeufs : les ornithorinques et les
échidnés.
b. Il y a des enfants qui naissent aveugles.
c. Il y a des femmes mariées qui ont un amant.
113
Enfin, nous avons posé les prémisses d’une analyse formelle dont l’intérêt est de
rendre compte des phrases tant génériques que non génériques au moyen d’un opé-
rateur existentiel apparaissant devant la matrice. La distinction repose sur la présence
d’opérateurs universels qui ont portée sur l’ensemble de la phrase et d’une restriction
dans le cas des phrases génériques. Si la phrase est non générique, des opérateurs exis-
tentiels se substituent aux opérateurs universels.
Deuxième partie
Cette deuxième partie a pour objet la forme de qui apparaît dans les phrases néga-
tives telles que (1) dont le verbe sélectionne un argument nominal interne :
Ces phrases sont en étroite relation avec les phrases affirmatives dont l’objet direct est
réalisé sous la forme d’un SN en un, des ou du :
Le chapitre 5 a un double objectif. D’une part, il est destiné à éclaircir les rapports
entre de négatif et les expressions à polarité négative. Un fait fréquemment souligné
est que l’occurrence de de en contexte affirmatif produit des agrammaticalités :
Ceci nous amènera au chapitre 6 à évaluer une autre hypothèse, plus prometteuse
pour l’analyse des SN en de : l’hypothèse de l’incorporation sémantique. Nous tente-
rons de montrer qu’il existe une corrélation entre deux éléments que tout distingue a
priori : les SN en de d’une part et les éléments nominaux incorporés d’autre part. Nous
proposerons que les SN en de dans les phrases négatives sont la manifestation de ce
phénomène en français.
Chapitre 4
4.1 Introduction
Ce chapitre présente une base descriptive pour l’étude de de négatif en français.
Comme nous l’avons déjà souligné, la distribution des structures [de N] dans les phrases
négatives est étroitement liée à celles des SN en des et du en position objet. En nous
appuyant sur les travaux de Bosveld-de Smet (1998, 2000), nous commencerons par
les conditions d’occurrence des SN en des et du dans cette position syntaxique (sec-
tion 4.2). Nous verrons qu’ils connaissent moins de restrictions en tant qu’objet qu’en
tant que sujet. Cet examen des propriétés distributionnelles des SN en des et du nous
servira de référence pour l’étude des structures [de N] dans les phrases négatives. Après
un bref examen des aspects diachroniques de la négation et, en particulier, des origines
de de négatif (section 4.3), nous étudierons ses conditions d’occurrence (section 4.4).
Ceci nous amènera à isoler deux contraintes, l’une syntaxique, l’autre sémantique, dont
l’interaction permet de rendre compte de la distribution de cet item.
(2) a. Du linge séchait dans la salle de bains. (Bosveld-de Smet, 2000, p.39)
b. Du sang suintait de sa blessure. (ibid., p.40)
Examinons plus en détail les phrases des paradigmes (7) et (8). (7a) et (8a) sont des
phrases impersonnelles. La première est construite à partir d’une forme verbale pas-
sive, alors que la seconde contient un verbe inaccusatif 1 . Une particularité commune
à ces deux types de phrases impersonnelles est la présence du pronom explétif il. Ce
pronom n’est doté d’aucune référence extra-linguistique. Sa présence n’a d’autre fonc-
tion que celle de "remplir" la position sujet, obligatoire en français. Parallèlement, les
verbes impliqués dans ces phrases sélectionnent un objet réalisé sous la forme d’un SN,
à savoir les SN indéfinis des crimes affreux en (7a) et de la neige en (8a). En l’absence
du pronom explétif, ces SN occupent la position sujet, comme illustré en (9).
(9) a. Des crimes affreux ont été commis dans cette ville.
b. De la neige est tombée cette nuit.
1. Les verbes inaccusatifs sont des verbes intransitifs d’un type particulier (cf. entre autres Perlmut-
ter, 1978, Burzio, 1986). Leur singularité vient du fait qu’ils sélectionnent un argument nominal interne
(c’est-à-dire un objet direct), mais pas d’argument externe (c’est-à-dire un sujet). Celui-ci prend alors
la forme du pronom explétif il (dit "il impersonnel" en grammaire traditionnelle), comme en (i) :
(i) Il est arrivé une catastrophe.
Il est né plusieurs bébés cette nuit.
Il s’est produit quelques incidents pendant la manifestation.
L’objet direct peut également occuper la position sujet, ce qui permet de dériver l’emploi intransitif de
ces verbes (ii) :
(ii) Une catastrophe est arrivée.
Plusieurs bébés sont nés cette nuit.
Quelques incidents se sont produits pendant la manifestation.
Les approches syntaxiques qui s’inscrivent dans le cadre théorique de la grammaire générative postulent
un mouvement de la position objet vers la position sujet. Ce mouvement permet de dériver les structures
(ii) à partir des structures (i).
120
Enfin, les phrases (7d) et (8d) sont également des exemples de constructions existen-
tielles. Elles ont pour caractéristique de contenir le verbe avoir suivi d’un SN indéfini
dont la tête est un nom relationnel.
Nous avons également répertorié nombre d’exemples dans lesquels le verbe avoir
prend un sens possessif (10) ou fait partie d’une construction à verbe support (11).
(10) a. Mais la reine l’excuse en pensant qu’il a du sang oriental. (A. Maurois, La
vie de Disraeli, p.269)
b. On entre, et on demande au vieux bonhomme qui nous a ouvert [. . . ] s’il a
du vin à vendre. (H. Barbusse, Le feu, 1916, p.210)
(11) J’avais du mal à dissimuler mon émotion. (P. Roze, Le chasseur zéro, 1996, p.157)
(12) a. Ils ont des vestes grises raflées aux Autrichiens. (P. Rambaud, La bataille,
1997, p.22)
b. Les cheveux de l’Autrichienne coulent sur ses épaules, ils ont des reflets
mordorés comme de la soie indienne, très lisses, brillants. (ibid., p.58)
c. Je crois qu’elles ont des poux. (G. Brisac, Week-end de chasse à la mère, 1996,
p.168)
(13) a. Le prince Eugène a des difficultés dans son royaume d’Italie et le pape
devient indocile. (P. Rambaud, La bataille, 1997, p.41)
b. Ses dents claquaient, il avait des frissons de froid malgré la douceur de ce
mois de mai. (ibid., p.66)
Notons toutefois que les emplois de avoir illustrés en (10), (11), (12) et (13) ne créent
pas de contextes existentiels. L’effet de définitude classique que l’on observe avec ces
contextes (cf. (5) et (6)) ne se manifeste pas ici. Le verbe avoir peut aussi sélectionner
comme objet un SN défini ou un SN quantifié fort, comme en témoignent les exemples
(14).
Etant donné que les SN en des et du sont acceptables dans de nombreuses construc-
tions existentielles et impersonnelles, Bosveld-de Smet propose d’analyser ces SN
comme des SN indéfinis. Nous suivons Bosveld-de Smet sur ce point en précisant qu’il
s’agit de SN indéfinis faibles.
Dans chacune de ces phrases, le prédicat verbal sélectionne comme argument interne
une proposition infinitive, mise en évidence en italique. Cette proposition étant non
finie, elle n’a pas de sujet explicite, c’est-à-dire morphologiquement réalisé. Dans le
cadre théorique de la grammaire générative, le sujet de l’infinitive est représenté au
moyen d’un pronom implicite, noté PRO. Il tire sa référence du sujet (16a), de l’ob-
jet direct (16b) ou de l’objet indirect (16c) de la principale. On parle dans ce cas de
contrôle. Lorque PRO n’est pas contrôlé, il est alors qualifié d’arbitraire (16d).
(16) a. Pierrei a réussi [PROi à atteindre les objectifs qu’il s’était fixés].
b. Les enseignants ont persuadé Mariei [PROi de soumettre son article à ce
colloque].
c. Je proposerai [à Pierre]i [PROi d’assister à la prochaine réunion].
d. Il est interdit [PROarb de fumer].
Si on se tourne à présent vers les SN en des et du, on observe qu’ils sont parfaite-
ment licites comme objets du verbe d’une proposition infinitive, quel que soit le type
de contrôle. Ceci est corroboré par les exemples (17) :
(17) a. Ji ’ai voulu [PROi acheter du chocolat noir pour le goûter], mais il n’y en
avait plus.
b. Il a convaincu Pierrei [PROi d’offrir du champagne à ses collaborateurs].
c. Max a demandé [à Marie]i [PROi d’apporter des cerises pour le dessert].
122
En (17a), le verbe vouloir est un verbe à contrôle sujet : le sujet implicite de la pro-
position infinitive est lié référentiellement au SN sujet de la proposition principale.
Au contraire, les verbes convaincre et demander en (17b) et (17c) sont des verbes à
contrôle objet : le sujet implicite de la proposition infinitive est lié anaphoriquement au
SN objet direct Pierre en (17b) et au SN objet indirect à Marie en (17c).
Une caractéristique des phrases identificatoires telles que (19) est de permettre l’inver-
sion des SN définis, sans induire de changement de sens (20) :
Bosveld-de Smet souligne que les SN en des et du sont les seuls à permettre l’ex-
pression d’un rapport d’inclusion quand ils apparaissent après la copule. L’occurrence
des autres SN indéfinis faibles dans cette position syntaxique produit des agrammati-
calités ou des changements de sens significatifs.
On observe également que les SN en des sont illicites dans les phrases attributives
analytiques (21a), c’est-à-dire les phrases définitoires qui n’admettent aucune excep-
tion (21b) 2 :
En (21a), l’occurrence du SN en des n’est pas fameuse car la phrase prédit faussement
que les veaux ne sont pas les seuls petits des vaches. Inversement, son occurrence
en (22a) ne provoque pas d’anomalie, dans la mesure où les triangles ne sont pas les
2. Pour une description plus détaillée des phrases analytiques, le lecteur se référera au chapitre 3,
section 3.3.
123
seules figures géométriques. Le caractère non analytique de cette phrase est confirmé
par l’impossibilité de substituer un SN défini au SN en des (22b) :
Les phrases analytiques telles que (21b) expriment nécessairement un rapport d’équi-
valence entre les deux ensembles en présence. Les SN en des permettant d’induire
uniquement un rapport d’inclusion, leur occurrence dans ce type de contextes pro-
voque, non pas des agrammaticalités, mais des anomalies pragmatiques, liées à nos
connaissances du monde.
Il convient donc d’examiner plus en détail les contraintes qui régissent la distribution
de ces SN quand ils sont associés à des prédicats caractérisants.
Si cette contrainte semble valide dans le cas des phrases génériques, on observe
qu’elle n’opère pas si la phrase n’est pas générique. Les exemples attestés fournis en
(26) montrent qu’un SN en des peut figurer comme objet d’un verbe tel que aimer, haïr,
respecter, etc. . . si la phrase n’exprime pas une assertion générique :
(26) a. Ils aiment des déesses, et ne rencontrent que des mortelles. (L. Reybaud,
Jérôme Paturot, 1842, p.61)
b. Malheureusement, ce portrait ne corrigera personne de la manie d’aimer
des anges au doux sourire, à l’air rêveur, à figure candide, dont le coeur est
un coffre-fort. (E. About, Le roi des montagnes, 1857, p.140)
c. Je conçus le mépris le plus absolu pour ces misérables gens qui aiment des
femmes plus jeunes ou aussi jeunes qu’eux-mêmes. (P. Loti, Le mariage de
Loti, 1882, p.44)
d. Tu aimes des choses, tu en détestes d’autres, tu t’indignes, tu admires : ça
implique que tu reconnais les valeurs de la vie. (S. de Beauvoir, Les manda-
rins, 1954, p.337)
e. . . . On ne peut à la fois aimer des chats et ses enfants . . . (I. Monesi, Nature
morte devant la fenêtre, 1966, p.17)
f. Il découvrait que seuls ceux qui ont été comme lui orphelins peuvent aimer
les animaux comme on aime des enfants. (ibid., p.147)
g. Chandelier allait jusqu’à haïr des particules qu’il savait postiches, comme
celles de châtelains voisins, dont il était de notoriété publique que le grand-
père était bonnetier. (H. de Balzac, La femme de trente ans, 1842, p. 183)
h. On prétend qu’il faut respecter des opinions sur lesquelles reposent l’espé-
rance de beaucoup d’hommes, et toute la morale de plusieurs. (L. Reybaud,
Jérôme Paturot, 1842, p.181)
i. . . . Jules trouvait qu’insensiblement il venait à respecter des choses peu
respectables et à admirer des hommes médiocres. (ibid., p. 267)
j. Elle n’avait pas tort de penser qu’être mère, c’est en grande partie respecter
des conventions. (I. Monesi, Nature morte devant la fenêtre, 1966, p. 113)
k. . . . On ne peut supporter des fautes qui font rire le parterre. (E. About, le roi
des montagnes, 1857, p.114)
Le SN en des peut alors accéder à une lecture spécifique. C’est le cas par exemple en
(26g), comme en témoigne la reprise anaphorique de ce SN par le pronom celles. Il
peut également avoir une lecture taxinomique dans les contextes tels que (27) :
Cette observation ne concerne pas les SN en du. Nous n’avons en effet répertorié aucun
exemple dans lequel ils fonctionneraient comme objet d’un verbe de ce type. Si le nom-
tête du SN objet est un nom de masse, seules deux formes de l’article sont possibles :
le défini le ou l’indéfini un, comme l’illustrent les exemples (28).
4.2.2.2 Incompatibilité avec les phrases habituelles contenant un sujet non agen-
tif
Considérons les contrastes (30) et (31) :
Pour rendre compte de ces contrastes, Bosveld-de Smet avance que le caractère
agentif (vs) non agentif du sujet est le facteur qui conditionne cette distribution. Elle
s’appuie sur les conclusions de Laca (1990) qui montre qu’en espagnol, l’objet figurant
dans un phrase habituelle à sujet non agentif doit nécessairement être introduit par
l’article défini (32a). Si au contraire la phrase habituelle inclut un sujet agentif, l’objet
est réalisé sous la forme d’un nom "nu" (32b) :
(32) a. El óxido (se) come al / el hierro.
la rouille mange le fer.
‘La rouille attaque le fer.’
b. * El óxido (se) come hierro.
la rouille mange du fer.
‘* La rouille attaque du fer.’
Cette contrainte relative à l’agentivité du sujet ne nous paraît pas valide. D’une part,
tous les exemples fournis par Bosveld-de Smet contiennent un sujet défini. Dès qu’il
est possible de substituer un SN indéfini au SN sujet défini, nous observons que l’objet
peut à nouveau être indéfini (33,34).
(33) a. {L’ / Les} éponge(s) absorbe(nt) {l’ / * de l’} eau.
b. Une éponge absorbe {? l’ / de l’} eau.
(34) a. {Le / Les} buvard(s) absorbe(nt) {l’ / * de l’} encre.
b. Un buvard absorbe {? l’ / de l’} encre.
Par conséquent, le caractère défini / indéfini du sujet semble avoir une influence sur le
type de SN pouvant fonctionner comme objet dans les phrases habituelles à sujet non
agentif.
D’autre part, nous avons trouvé des exemples de phrases habituelles dans lesquelles
le sujet est non agentif, sans que l’occurrence des SN en des et du produisent des
agrammaticalités. Ajoutons que tous les SN sujets de ces phrases sont définis. Nous en
donnons quelques exemples en (35).
(35) a. La jalousie crée {des / *les} tensions.
b. L’argent génère {des / *les} rivalités.
c. L’abus d’alcool provoque {des / *les} comportements étranges.
Les données illustrées en (33), (34) et (35) constituent des objections à la thèse de la
non-agentivité du sujet, défendue par Laca et Bosveld-de Smet. Les agrammaticalités
observées en (31) et (32b) n’incomberaient donc pas au caractère non agentif de leurs
sujets respectifs.
Nous nous limiterons à ces quelques remarques qui devraient être prises en compte
dans une étude plus approfondie de l’interprétation des SN en position objet. Une étude
127
mots, on trouve notamment les substantifs pas, point, mie, goute qui expriment des
quantités infimes quasi nulles. Dès l’ancien français, ces mots commencent à être sen-
tis comme composants de la négation. Pas est sans doute le premier à perdre son statut
de substantif et à se vider de son sens primitif (du latin passus : "un pas"). Son nouveau
rôle est de prolonger le sens négatif de ne en le renforçant. C’est le cas, dans l’exemple
(38), cité dans Bonnard et Régnier (1995). On constate ici que la valeur négative de
pas a complètement éclipsé son sens lexical.
(38) Pas ne vous esmaiez. (Pélerinage de Charlemagne, 681, XII ème s.)
‘Ne vous troublez pas.’
En revanche, mie, goute et point expriment encore souvent une quantité quasi nulle
et fonctionnent dans la plupart des cas comme substantifs (cf. section 4.3.2). On trouve
cependant des signes d’un changement naissant de leur statut originel de nom, comme
en témoignent les exemples en (39), cités dans Foulet (1919) ou Bonnard et Régnier
(1995). Ces mots, combinés à ne, fonctionnent ici comme des négations verbales.
(39) a. Il ne vont mie a piet. (Pélerinage de Charlemagne, 286, XII ème s.)
‘Ils ne vont pas à pied.’
b. Li cose a chou point ne tient. (F.,46, XIII ème s.)
‘La chose ne tient pas à cela.’
c. La poudre fu si grant que l’on n’i veoit goute. (Mém., Ph. de Novare,II,LVII,
XIIIème s.)
‘La poussière fut si abondante qu’on n’y voyait goutte.’
On notera que dès le XIII ème siècle, goute, qui est un synonyme de mie à cette
époque, voit son emploi disparaître. Mais comme le souligne Foulet, ce mot délaissé
au moyen-âge a en quelque sorte trouvé une revanche sur mie : ce dernier a complè-
tement disparu en français moderne, alors que goute s’est au moins conservé dans
quelques expressions telles que n’y voir goutte, n’entendre goutte à quelque chose.
Brunot, reformulant les remarques de Maupas, explique que le propos dont il est ques-
tion est alors senti comme plutôt affirmatif, car c’est "proprement la négation adhérente
au verbe" (c’est-à-dire le mot ne) "qui fait le sens négatif".
Il faut attendre le XVIIème siècle pour que les emplois absolus de ne ne soient
plus limités qu’à quelques constructions. La négation est désormais ne . . . pas ou ne
. . . point, et non plus ne seul. L’émergence de cette interdépendance a pour consé-
quence le rapprochement des formes pas et point du terme ne. Ceci est visible dans
les contextes où la négation porte sur un verbe à l’infinitif. Jusqu’au XVII ème siècle, ne
précède le verbe et peut éventuellement en être séparé par un pronom clitique (40b).
Pas et point sont quant à eux postposés au verbe (40).
(40) a. Quand elle m’a accusé de ne sçavoir pas le latin (Fur., Rom. bourg.,II,77)
‘Quand elle m’a accusé de ne pas savoir le latin.’
b. Peut-on, en le voyant, ne le connoître pas? (Rac.,III,521,Esth.,938)
‘Peut-on en le voyant ne pas le connaître?’
A partir de la seconde moitié du XVII ème siècle, pas et point précèdent directement
le verbe (41) et sont éventuellement séparés de ne par un clitique (41b,41c).
(41) a. J’ai trop d’obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin. (Rac.,III,143,
Iph.)
‘ ‘J’ai trop d’obligation à l’égard d’Euripide pour ne pas prendre quelque
soin.’
b. Elle avait paru étonnée de ne la pas avoir. (Princ. de Cl.,64)
‘Elle avait paru étonnée de ne pas l’avoir.’
c. M. d’Ormesson m’a priée de ne le plus voir. (Sév.,I,462)
‘M. d’Ormesson m’a priée de ne plus le voir.’
130
Brunot (1924) note que l’ordre moderne qui veut que le clitique précède directe-
ment le verbe comme illustré dans ne pas le voir ne se généralisera que plus tardive-
ment. Au XVIIIème siècle, l’usage est encore hésitant et la séparation par un pronom
personnel est fréquente. Brunot (1939) fournit néanmoins quelques exemples qui re-
flètent l’ordre moderne. Ceux-ci sont donnés en (42).
(43) a. Tant de mechief i ot que d’escu point avoir ne pot. (P.,5853-54, XIIè s.)
‘. . . il ne put avoir une parcelle d’écu.’
b. Ai je bien mis a point
cel aweule la qui n’a point
d’argent ne de houce ausi? (Av., 232-4)
‘Ai-je traité comme il faut cet aveugle-là, à qui il ne reste ni un atome
d’argent, ni une parcelle de robe?’
c. Mes diverse ert la parteüre,
d’une part clere, d’autre obscure ;
n’a point d’obscur en la clarté,
131
On notera que l’ancien français n’exprime pas l’article indéfini dans les phrases
négatives, alors que celui-ci apparaît dans les traductions littérales de nos exemples.
Selon Foulet, ces exemples sont très caractéristiques du rôle que joue point en ancien
français. En effet, point suivi de de est un partitif. Il signifie un atome, une parcelle très
petite d’une certaine quantité, et cette quantité est exprimée par le substantif qui suit le
terme de. Cette construction est presque exclusive à point. Foulet n’a relevé qu’un seul
exemple parallèle avec mie, deux avec goute et aucun avec pas. Certains sont données
en (44).
Tous les exemples cités jusqu’à présent ont pour caractéristique d’inclure un nom
qui n’est pas précédé d’un déterminant. Les structures sont du type : [ne . . . {point /
mie / goute} de ∅ N]. Toutefois, il est des cas où le nom est déterminé par un article
défini ou un possessif, comme illustré en (45).
Foulet s’appuie sur des constructions de ce type pour avancer que les mots mie
et point, et par association pas, fonctionnaient à l’origine comme argument direct de
verbes transitifs. En effet, il insiste sur le caractère extrêmement curieux de la signifi-
cation littérale des exemples ci-dessus et voit dans ces traductions la preuve que mie,
tout comme pas, a débuté comme étant le régime direct du verbe. D’ailleurs, il émet
l’hypothèse que les origines de pas sont peut-être à rechercher dans des phrases telles
132
que (46), où pas est la tête d’un syntagme nominal complément d’un verbe de mouve-
ment. Perdant peu à peu son sens originel, son emploi se serait étendu à toutes sortes
de verbes.
Un fait intéressant est que, déjà au XIII ème siècle, pas et mie sont très rarement
employés avec un verbe négatif transitif direct. En général, ils accompagnent le verbe
être ou un verbe qui n’a pas d’argument direct. De même, Foulet ne recense qu’un
seul exemple où point est associé à un verbe transitif direct. Il en propose l’analyse
suivante :
". . . quand il y a un régime direct dans une phrase négative où entre point,
ce régime devient le complément déterminatif de point ; et c’est point qui
prend son rôle auprès du verbe." (p.265)
En d’autres termes, point est senti comme le complément nominal du verbe tran-
sitif en phrase négative et le mot de est syntaxiquement dépendant de point. Ce n’est
qu’après le XIIIème siècle que point va se charger d’une valeur négative et être rattaché
à ne, au même titre que pas. Dès lors, il ne sera plus considéré comme l’argument
direct d’un verbe transitif. La relation de dépendance observée entre point et de va
s’affaiblir, de sorte que la séquence [de N] va devenir le véritable argument direct des
verbes transitifs en contexte négatif. Il n’y aura plus aucune raison de ne pas associer
[de N] à pas. Telle est, selon Foulet, l’origine de ce qu’il nomme le de partitif dans les
phrases négatives.
Cette variation formelle liée à la négation n’est toutefois pas systématique et les déter-
minants des et du peuvent être maintenus en contexte négatif. C’est le cas par exemple
dans les contextes négatifs contrastifs tels que ceux donnés en (49) 5 :
(49) a. Marie n’a pas acheté des cerises, mais des groseilles.
b. Je n’ai pas bu du whisky, mais du cognac.
Il est important de souligner que cette variation formelle ne se manifeste pas dans le
cas des autres SN, qu’ils soient définis ou indéfinis. La forme du déterminant ou du
quantificateur est maintenue lors du passage en contexte négatif. Ceci est illustré en
(50) et (51) :
(50) a. Max a vérifié {la validité de son hypothèse / cette analyse / son analyse}
b. Max n’a pas vérifié {la validité de cette hypothèse / cette analyse / son
analyse}
c. * Max n’a pas vérifié de {validité de cette hypothèse / analyse}
(51) a. J’ai rencontré {beaucoup de / énormément de} linguistes à ce colloque.
b. Je n’ai pas rencontré {beaucoup de / énormément de} linguistes à ce col-
loque.
4. Nous n’intégrons pas à notre étude le cas des SN indéfinis en un qui semblent également être
soumis à cette variation formelle liée au passage de la phrase positive à la phrase négative :
(i) a. Marie a une fille.
b. Marie n’a pas de fille.
5. Ici, la négation porte sur le caractère qualitatif, intrinsèque au nom, et non sur l’aspect quantitatif,
propre au déterminant.
134
Cependant, les variations formelles observées en (47) et (48) par exemple ne se pro-
duisent pas, même si les contextes positifs associés acceptent les SN en des et du en
position sujet. Ceci est illustré en (54) et (55).
Nous verrons dans la section 4.4.3.1 (p. 137) que ce type de restrictions dans la dis-
tribution de de négatif est d’ordre syntaxique, et non le fait de facteurs sémantico-
pragmatiques.
Cette mise au point étant faite, considérons le cas de la position objet. Comme nous
l’avons annoncé ci-dessus, de négatif est proscrit dans tous les contextes qui excluent
des et du 8 . Ainsi, l’occurrence de de négatif est source d’agrammaticalités (i) dans les
phrases caractérisantes dont le prédicat, de type i-level, est un verbe psychologique
(56) et (ii) dans les phrases habituelles qui n’admettent pas un SN objet en des et du
(57) :
7. On se reportera au chapitre 2 pour une étude détaillée des facteurs sémantico-pragmatiques qui
interviennent dans la distribution des SN en des en position sujet, ainsi qu’à Bosveld-de Smet (2000)
pour les conditions d’occurrence des SN en du dans cette position syntaxique.
8. On se reportera au chapitre 3 pour une description détaillée des contextes en question.
135
En résumé, seuls les déterminants des et du sont susceptibles de subir une varia-
tion formelle lors du passage d’un contexte positif à un contexte négatif. De plus, une
condition nécessaire à l’émergence de de négatif est la présence, dans le contexte po-
sitif associé, d’un SN en des ou du.
Plus généralement, les paires d’exemples de (60) à (63) montrent que la réalisation de
de peut également être liée à la présence d’autres mots, dont une propriété commune
semble être de véhiculer un sens négatif. Il a en effet souvent été noté dans la littérature
que la caractéristique la plus saillante de de négatif est son association obligatoire avec
l’un des mots de la série suivante : pas, point, plus, guère, jamais, aucunement, nulle-
ment, rien, personne, aucun, nul, pas un, sans (que), avant que, avant de, ni . . . ni, ne
. . . que, ne (non explétif) (cf. par exemple Martin, 1966; Gaatone, 1971, 1992; Muller,
1987) :
On notera la présence des déterminants des et du dans les phrases positives de (60b) à
(63b).
Il nous faut ici faire une remarque relative à la valeur négative des expressions
ne . . . que et ne . . . guère. A l’inverse des autres expressions négatives de la série ci-
dessus, ne . . . que et ne . . . guère ne véhiculent pas un sens négatif. Les phrases (64)
par exemple ne signifient pas que Boulard ne fait aucun compliment et que Jules ne se
pose aucune question.
(64) a. Boulard ne fait de compliment que par personne interposée. (J. Dutourd,
Pluche ou l’amour de l’art, 1967, p.265)
b. Sur le moment, Jules ne s’était guère posé de questions. (M. Droit, Le retour,
1964, p.99)
Gaatone (1992) souligne ce point dans une note à propos de l’emploi de de négatif
dans les contextes contenant ne seul (c’est-à-dire ne non explétif) :
"Il s’agit ici non seulement des emplois, dans quelques contextes limités
appartenant à un niveau de langue littéraire, de ne comme négation unique,
mais également de ne, partie de ne . . . que, qui peut lui aussi entraîner de
négatif. Ceci revient à dire que si ne . . . que est, sans doute à juste titre,
considéré comme non négatif en bloc, son premier élément n’en fonc-
tionne pas moins, du point de vue de de, comme un terme négatif (je n’ai
d’amis que vous)." (Gaatone, 1992, p.93)
Comme l’induit le sens de la phrase (64b), il nous semble que la remarque de Gaatone
vaut également pour la forme ne . . . guère. Ne serait donc porteur à lui seul du sens
négatif dans les phrases contenant ces expressions.
En résumé, nous avons montré que deux facteurs au moins sont nécessaires à
l’émergence de de négatif en français : (i) l’occurrence des déterminants des ou du
dans les contextes positifs et (ii) la présence d’une négation explicite dans les contextes
négatifs apparentés, sachant que ne peut créer à lui seul l’ambiance négative.
On pourrait faire l’hypothèse que de est la variante négative des déterminants des et
du. Cependant, cette hypothèse semble discutable. On devrait en effet s’attendre à ce
que la distribution de de négatif soit parallèle à celle des déterminants des et du, aux
morphèmes de négation près. Or, nous allons voir qu’il existe plusieurs contextes dans
lesquels l’occurrence de de est source d’agrammaticalités et cela, malgré la présence
d’un SN en des ou du dans la phrase positive associée.
Nous allons dans un premier temps examiner les contextes qui ne rendent pas légitime
l’occurrence de de négatif. Ceci fera l’objet de la section 4.4.3. Nous étudierons ensuite
dans la section 4.4.4 les contextes qui bloquent son occurrence. Nous conclurons ce
chapitre en introduisant une contrainte syntaxique, ainsi qu’une contrainte sémantique,
nécessaires pour rendre compte de la distribution de de négatif.
137
Considérons tout d’abord le cas des phrases attributives, c’est-à-dire les phrases telles
que (65) dans lesquelles les SN en des et du occupent une position prédicative.
Soulignons ici que les SN des amanites phalloïdes et de la bave d’escargot ne sont pas
les arguments nominaux internes de la copule, mais bien les prédicats principaux des
phrases en (65).
On observe en (66) que de négatif est illégitime. La variation formelle liée à la négation
n’opère pas et les déterminants des et du sont maintenus en dépit du contexte négatif.
Examinons à présent le cas des SN en des et du qui occupent une position argumentale.
Nous avons vu en 4.4.1 que l’occurrence des structures [de N] en position sujet produit
des agrammaticalités, alors que les SN en des et du sont acceptables dans cette position
(67) (cf. Gaatone, 1971, 1992; Muller, 1987, 1997; Hulk, 1996 entre autres).
Les observations sont les mêmes si de négatif apparaît dans un syntagme temporel (69)
ou locatif (70).
b. Les médecins n’ont pas examiné Max pendant {*d’ / des} heures, mais
seulement pendant 30 minutes.
= Ce n’est pas pendant des heures que les médecins ont examiné Max,
mais seulement pendant 30 minutes.
(70) a. Hier, elle a aperçu Yann dans des bars branchés de Nancy.
b. Hier, elle n’a pas aperçu Yann dans {*de / des} bars branchés de Nancy,
mais dans des endroits plus insolites.
= Ce n’est pas dans des bars branchés de Nancy qu’elle a aperçu Yann hier,
mais dans des endroits plus insolites.
En résumé, l’unique position dans laquelle l’occurrence de de négatif est accep-
table est celle où il figure dans un syntagme qui est l’argument nominal interne d’un
prédicat verbal. Nous donnons en (71) des exemples attestés qui illustrent cette obser-
vation.
(71) a. On ne distingue pas de signe de vie. (M. Bataille, L’arbre de Noël, 1967, p.
29)
b. Et elles ne portaient plus de gants noirs. (R. Sabatier, Le chinois d’Afrique,
1966, p. 80)
c. C’est une grande dame qui ne veut point de rivale. (M. Du Camp, Mémoire
d’un suicide, 1853, p. 225)
d. Ce personnage [...] ne m’inspirait guère de sympathie [...] (J. Dutourd,
Pluche ou l’amour de l’art, 1967, p. 160)
e. Ecoutez, je n’ai jamais rencontré de garçon comme vous. (C. Etcherelli,
Elise ou la vraie vie, 1967, p. 37)
f. Boulard ne fait de compliment que par personne interposée. (J. Dutourd,
Pluche ou l’amour de l’art, 1967, p. 265)
g. Il ne se paie ni de mots ni de théories à la mode. (C. Paysan, Les feux de la
chandeleur, 1966, p.86)
h. Une fois tout cela en place, personne n’y verrait de différence. (P. Moinot,
Le sable vif, 1963, p. 130)
i. Puisque rien n’avait de sens, je ne sais pas pourquoi je m’étonnais encore.
(S. Japrisot, La dame dans l’auto, 1966, p. 158)
j. Jusqu’ici, j’avais écrit sans me poser de questions ni souffrir de vrais tour-
ments. (Y. Berger, Le sud, 1962, p.168)
k. Mon demi-frère n’a, en aucune façon, apporté de réponse satisfaisante au
problème [. . . ] (R.-V. Pilhes, La rhubarbe, 1965, p. 195)
(75) a. La plupart de ses affaires s’étaient conclues sur parole, et il avait rarement
eu des difficultés. (H. de Balzac, Histoire . . . de César Birotteau, 1837, p. 124)
b. Nous avons rarement des lettres de Paris. (L. Reybaud, Jérôme Paturot, 1842,
p.452)
c. On voit rarement dans notre monde civilisé des scènes aussi saisissantes.
(P. Loti, Le mariage de Loti, 1882, p. 105)
d. Les brigands, comme les autres classes du peuple, allument rarement du
feu pour leur repas. (E. About, Le roi des montagnes, p. 76)
e. Je ne lui donne plus que rarement du chocolat cru et des corps de papillons
[. . . ] (G. Colette, Claudine à l’école, 1900, p. 306)
(77) a. Elle prit le livre, l’ouvrit et se mit à le parcourir avec un petit air étonné
prouvant qu’elle ne lisait pas souvent de vers. (G. de Maupassant, Contes et
nouvelles, 1885, p.1000)
b. La mort [. . . ] ne faisait pas souvent de distinction quand elle frappait. (M.
Droit, Le retour, 1964, p.287)
Ces SN sont introduits par l’article indéfini des. De plus, ils occupent la position
d’argument interne des prédicats lire et manger. On pourrait donc s’attendre à ce que
l’introduction de la négation dans les phrases (79) provoque l’émergence de de. Or, ce
n’est pas le cas et l’article indéfini est maintenu, ce que mettent en évidence (80) et
(81).
(80) a. * Max n’a pas lu de tonnes de romans policiers.
b. Max n’a pas lu des tonnes de romans policiers.
(81) a. * Aucun enfant n’a mangé de quantités de gâteaux.
b. Aucun enfant n’a mangé des quantités de gâteaux.
De même, les séquences [de N] sont largement présentes dans les phrases imper-
sonnelles, que celles-ci soient construites à partir d’une forme verbale passive (84) ou
d’un verbe inaccusatif (85).
(84) a. Dans cette ville, il n’a pas été commis de crimes affreux.
142
Comme le souligne Gaatone (1992), ces phrases sont très proches des constructions
impersonnelles. Il est d’ailleurs possible d’introduire le pronom impersonnel il.
Notons toutefois que si on rétablit l’ordre canonique de ces phrases, de négatif s’efface
au profit de l’article indéfini.
Cette observation confirme les faits observés précédemment : de négatif n’est pas
légitime dans la position canonique de sujet préverbal.
(89) a. Je ne veux pas entendre de choses désagréables sur Albert. (J. Dutourd,
Pluche ou l’amour de l’art, 1967, p. 44)
b. Maintenant, elle avait changé d’humeur et ne semblait plus remuer d’idées
sombres. (ibid.)
143
(90) a. Jean-Paul n’est pas accrédité à juger {des / *d’} adultes sans doute impar-
faits, mais honorables. (C. Paysan, Les feux de la chandeleur, 1966, p. 229)
b. Elle n’arrêtait pas de haleter {des / *de} commentaires invraisemblables
[. . . ] (S. Japrisot, La dame dans l’auto, 1966, p. 110)
c. Je ne savais pas que vous connaissiez {des / *de} journalistes [. . . ] (S. de
Beauvoir, Les Mandarins, 1954, p. 165)
Nous verrons dans la section suivante que de est illicite dans ces contextes car il ne se
trouve pas sous la portée sémantique de la négation.
Définition c-commande :
Un noeud A c-commande un noeud B si le premier noeud branchant qui domine A
domine également B.’
144
Définition Gouvernement :
Un noeud A gouverne un noeud B si et seulement si
i. A est un gouverneur
ii. A m-commande B
iii. aucune barrière n’intervient entre A et B
Les projections maximales sont des barrières au gouvernement.
Les gouverneurs sont des têtes.
Définition m-Commande :
Un noeud A m-commande un noeud B si et seulement si
i. A ne domine pas B et B ne domine pas A
ii. toute projection maximale qui domine A domine également B
Max
I NegP
n’a
Neg’
Neg VP
pas
V’
V XP
acheté
de cerises
figure 1
externe. De plus, le sujet n’est pas c-commandé par ne. Ces observations sont illustrées
par l’arborescence suivante :
IP
*XP I’
de bateau
I NegP
n’est
Neg’
Neg VP
pas
V’
V PP
rentré
au port
figure 2
IP
DP I’
Max
I NegP
n’a
Neg’
Neg VP
pas
V’
V PP
parlé
P’
P *XP
à
de filles
figure 3
les médecins
I NegP
n’ont
Neg’
Neg VP1
pas
VP2 PP
V’ P’
V DP P *XP
examiné pendant
Pierre d’heures
figure 4
Cette contrainte syntaxique permet également d’expliquer pourquoi de n’est géné-
ralement pas légitime dans les contextes contenant des verbes à sens négatif ou l’ad-
verbe rarement. Ces contextes ne contenant aucune négation formelle, et a fortiori ne,
la contrainte syntaxique est violée.
b. ∃ x [médecin(x) ∧ ¬faire.venir(on,x)]
La seule interprétation disponible est celle où ce syntagme a portée étroite par rapport
à la négation (93) :
(93) a. = Ce n’est pas le cas qu’il y a un médecin qu’on ait fait venir.
b. ¬ ∃ x [médecin(x) ∧ faire.venir(on,x)]
Inversement, dans la phrase (91b) qui exclut de, le SN en des n’est pas sous la
portée de la négation. Ce SN a une interprétation spécifique :
En résumé, les syntagmes de forme [de N] ont une distribution limitée à la po-
sition d’objet direct. Cette distribution peut s’expliquer syntaxiquement en postulant
que ces syntagmes doivent être c-commandés par ne, mais également gouvernés par
le verbe dont ils sont arguments. Au plan sémantique, une condition nécessaire à leur
occurrence est qu’ils se trouvent sous la portée de la négation.
Chapitre 5
5.1 Introduction
Ce chapitre a un double objectif. D’une part, il s’agit d’examiner les rapports entre
de négatif et les expressions à polarité négative. Etant donné le lien étroit entre l’occur-
rence de de et la négation, il semble légitime et nécessaire d’envisager la possibilité que
de soit un item à polarité négative (‘Negative Polarity Item’, désormais NPI). Nous re-
joindrons sur ce point la position de Fauconnier (1976), Gaatone (1971, 1992) et Mul-
ler (1987, 1991, 1997) qui refusent de voir en de un NPI. Nous apporterons quelques
arguments supplémentaires qui vont dans le sens de cette hypothèse en nous fondant
sur les travaux de Giannakidou (1997, 1998) qui s’inscrivent dans une approche plus
générale de la polarité.
D’autre part, nous tenterons de déterminer le statut exact de de. Notre hypothèse sera
de voir en de, non pas la variante négative des déterminants un, des et du comme pour-
rait le laisser croire l’alternance formelle observée entre phrase affirmative / phrase
négative, mais plutôt un déterminant déficient. Sur la base de cette hypothèse, les struc-
tures [de N] seront analysées comme des SN indéfinis.
négatifs, mais de ne pouvoir apparaître dans les mêmes contextes sans négation (cf.
entre autres Baker, 1970; Gaatone, 1971, 1992; Fauconnier, 1976; Muller, 1987, 1991,
1997). A titre d’exemple, l’expression grand-chose en (1a) est analysée comme un NPI
dans Fauconnier (1976), car son occurrence dans la phrase positive associée (1b) est
source d’agrammaticalité.
(1) a. François Ier n’a pas fait grand-chose pour aider les Turcs.
b. * François Ier a fait grand-chose pour aider les Turcs. (Fauconnier, 1976,
p.75)
5.2.2.1 Définitions
Un concept récurrent dans les définitions des NPI est la notion de portée de la
négation. Elle est présente par exemple dans la définition qu’en donne Muller (1987,
1991) et que nous rappelons en (3) 2 :
1. Nous essaierons évidemment dans la mesure du possible de vérifier les propriétés caractéristiques
des NPI dans ces langues en appliquant les tests au français sur des exemples équivalents.
2. Muller (1987, 1991) utilise le vocable "TPN" (‘terme à polarité négative’) pour référer aux items à
polarité négative. Nous conserverons ici l’abréviation "NPI", y compris quand nous citerons ses travaux.
150
(3) "Un terme est à polarité négative s’il peut être construit dans la portée de la
négation (ne) . . . pas, et s’il ne peut être construit dans la phrase correspondante
sans négation. Ainsi, en démordre est un NPI parce qu’on a une différence
d’acceptabilité selon qu’il y a ou non ne . . . pas dans la phrase :
Une propriété des NPI, que nous examinerons plus en détail dans la section 5.2.2.2,
est leur aptitude à apparaître également dans des contextes non négatifs, que Muller
appelle les contextes à polarité négative 3. Pour ne citer qu’un exemple, un verbe tel que
douter crée un contexte à polarité négative dans la mesure où il permet l’occurrence
des NPI (4) :
Toutefois, si les occurrences de certains NPI tels que en démordre sont sources
d’agrammaticalité quand ils apparaissent dans des contextes autres que les contextes à
polarité négative, ce n’est pas le cas de tous les NPI. C’est pourquoi Fauconnier (1976)
fait référence à un phénomène plus général qu’il nomme la "polarité sémantique". Il
considère que la polarité négative telle qu’elle est décrite en (3) et (4) n’est qu’un cas
particulier de polarité sémantique, à savoir un cas de "polarité syntaxique" pour re-
prendre ses termes. A l’inverse des items à polarité syntaxique, les items à polarité
sémantique peuvent figurer tant dans les contextes négatifs que dans les contextes af-
firmatifs, mais avec une interprétation différente. C’est le cas par exemple du superlatif
les plus éloignés en (5) (Fauconnier, 1976, p.83-84) :
(5) a. Cette lunette permet de voir les astres les plus éloignés.
= Cette lunette permet de voir tous les astres.
b. Les astres les plus éloignés sont inaccessibles.
6= Tous les astres sont inaccessibles.
c. Cette lunette ne permet pas de voir les astres les plus éloignés.
6= Cette lunette ne permet de voir aucun astre.
Selon Fauconnier, le SN les astres les plus éloignés en (5a) aurait une interprétation
quantifiée universellement, comme le montrerait l’équivalence avec le quantifieur uni-
versel tous les. En revanche, ce SN n’accèderait pas à une telle interprétation en (5b)
et (5c) qui signifient respectivement :
Les items à polarité seraient donc des expressions sensibles, c’est-à-dire dépendantes
de traits sémantiques présents dans le contexte d’occurrence et nécessaires pour la
grammaticalité. Parallèlement, elle introduit une condition de licéité (‘licensing condi-
tion’) que nous donnons en (7) :
(7) (i) A polarity item a is said to be "licensed" by a property b iff a’s proper in-
terpretation in a context c requires that R(a, b) hold in c, for some relation
R.
‘Un item à polarité a est rendu licite par une propriété b si et seulement
si l’interprétation appropriée de a dans un context c nécessite qu’une cer-
taine relation R entre a et b s’établisse dans le contexte c.’
(ii) b is the licensing semantic property or the expression carrying this pro-
perty.’ (ibid., p.14)
‘b est la propriété sémantique qui rend licite a ou l’expression qui contient
cette propriété.’
Giannakidou avance que la propriété sémantique dont dépendent les NPI est la
propriété d’antivéridicité (‘antiveridical property’). Seuls les contextes négatifs ou ap-
parentés à la négation (c’est-à-dire les propositions introduites par sans (que), avant
4. Le jugement de Fauconnier à propos de la phrase (5a) nous semble discutable. Le SN les astres les
plus éloignés n’a pas nécessairement une interprétation quantifiée universellement, comme en témoigne
la possibilité d’introduire un énoncé contrastif :
(i) Cette lunette permet de voir les astres les plus éloignés, mais pas les plus proches.
5. Sa définition intègre également une condition supplémentaire relative au caractère non polaire de
la propriété sémantique qui rend licite certains items à polarité.
152
(8) Negative polarity items are grammatical iff they are found in antiveridical
contexts.
‘Les items à polarité négative sont grammaticaux si et seulement s’ils appa-
raissent dans des contextes antivéridiques.’
Enfin, elle introduit une condition supplémentaire relative à l’expression qui rend licite
l’occurrence des NPI dans ces contextes (9). Cette condition fait intervenir la notion de
portée sémantique (10).
(9) (i) A negative polarity item a is licensed directly in a sentence S iff (a) S
provides some expression z which is antiveridical, and (b) a is in scope of
z.
‘Un NPI a est rendu directement licite dans une phrase S si et seulement
si (a) S fournit une expression z qui est antivéridique et (b) a est sous la
portée sémantique de z.’
6. La négation phrastique est un cas typique de contexte contenant un opérateur antivéridique,
conformément à la définition que rappelle Giannakidou (1997, p.78) :
Soit Op, un opérateur phrastique monoadique.
Op est antivéridique dans le cas où Op p → ¬ p est logiquement valide.
La négation phrastique correspond en effet à l’opérateur monoadique ¬, dont la fonction est d’inverser
la valeur de vérité de toute proposition (i) :
(i) Soit p ="Max a acheté des fleurs" et ||p|| = 1
alors ¬p = "Max n’a pas acheté de fleurs"
= Ce n’est pas le cas que Max a acheté des fleurs.
et ||¬p|| = 0
Parallèlement, les conjonctions avant de, avant que (‘before’) et sans (que) (‘without’) correspondent
pour certains emplois au moins à la définition des connecteurs diadiques antivéridiques de Giannakidou
(1997, p.78) par rapport à leur second argument :
Soit C, un connecteur vériconditionnel diadique
C est antivéridique par rapport à q dans le cas où pCq → ¬ q est logiquement valide.
Ceci est illustré dans les exemples (ii) et (iii) :
(ii) Max a parlé sans ouvrir les yeux.
p = "Max a parlé" et ||p|| = 1
q= "Max a ouvert les yeux" et ||q|| = 0
(iii) Marie est morte avant d’avoir vu ses petits-enfants.
p = "Marie est morte" et ||p|| = 1
q= "Marie a vu ses petits-enfants" et ||q|| = 0
153
(14) a. Il ne veut pas rencontrer qui que ce soit. (G. Dormann, La petite main, 1993,
p. 296)
b. * Il veut rencontrer qui que ce soit.
Les formes qui/ quoi que ce soit font écho aux indéfinis anybody et anything en anglais,
lesquels sont deux exemples prototypiques de NPI dans cette langue (15).
(iv) interrogatifs directs (16f) ou indirects (16g), (v) contenant un superlatif (16h), (vi)
comparatifs (16i), (vii) contenant un verbe à sens négatif (16j).
Finalement, les contextes contenant une proposition introduite par sans (que) (17a),
avant que ou avant de (17b), ainsi que ceux incluant les expressions du type faute de,
à défaut de, hors de question (17c) admettent naturellement la présence des NPI.
En résumé, les NPI se caractérisent par leur aptitude à figurer dans les environ-
nements négatifs ou apparentés à la négation, ainsi que dans de nombreux autres
contextes non négatifs. En dehors de ces contextes, leur occurrence génère des agram-
maticalités.
9. Jamais en (16e) n’est pas employé comme semi-négation pour reprendre les termes de Muller
(1987) par exemple, mais avec un sens positif (i) :
(i) Quiconque a un jour été en Géorgie garde un souvenir ému de Tbilissi.
156
(i) C-commande :
La c-commande est une relation binaire entre les noeuds qui forment l’arborescence.
Cette notion est définie formellement en (18) :
De ce point de vue, les NPI imposent que la négation (ou tout autre contexte qui les rend
licites) les précède en structure de surface. Cette propriété est illustrée par le contraste
(19).
En (19a), le NPI anyone est interne à l’argument prépositionnel du verbe to talk (‘par-
ler’) et la négation précède ce constituant. On observe que la phrase est grammaticale.
Inversement, la phrase (19b) est agrammaticale, étant donné que le NPI, qui apparaît en
position sujet, se trouve dans une position où il n’est pas c-commandé par la négation.
10. En guise d’illustration, considérons la phrase (i) :
(i) [CP Où [IP as-tu dormi ]]?
La structure de surface doit refléter l’ordre des mots de (i). La structure profonde correspond à (ii) :
(ii) [CP [IP Tu as dormi où ]]?
Pour rendre compte de l’ordre de surface, on postule donc (entre autre) un mouvement du pronom
interrogatif où en tête de phrase, ainsi qu’un mouvement de l’auxiliaire. Ces mouvements sont repré-
sentés par des indices. On introduit une trace, notée t, coindicée au constituant déplacé, pour marquer
la position d’origine de celui-ci (iii) :
(iii) [CP Oùi [IP asj -tu dormi tj ti ]]
157
(20) * Whoi did you hear [DP the rumor [CP that Mary kissed ti ]]
qui PRETERIT tu entendre la rumeur que Marie a.embrassé
Examinons tout d’abord le cas des îlots créés par les syntagmes nominaux com-
plexes. Un exemple est le SN the rumor that Mary kissed x (‘la rumeur que Marie a
embrassé x’) en (20), qui contient une proposition relative. On observe qu’il est im-
possible d’extraire le pronom who (‘qui’) de la relative.
Le second cas d’îlots examiné brièvement ici concerne les structures coordonnées
telles que (21). La condition de Ross (1967) indique que, dans une structure coordon-
née, aucun des constituants coordonnés ne peut être déplacé, de même que tout élément
interne à l’un de ces constituants. Cette contrainte rend compte de l’agrammaticalité
générée par l’extraction du SN interrogatif quel professeur et son déplacement en tête
de phrase.
Haegeman et Zanuttini, 1991; Laka, 1990; Progovac, 1988, 1994; Déprez, 1997; Ma-
thieu, 2001; de Swart, 2001). De ce point de vue, une langue comme l’anglais est
intéressante 12 car elle dispose à la fois d’un paradigme de NPI (anyone, anything) et
d’un paradigme de quantifieurs négatifs (no one, nothing) 13 . Crucialement, les NPI ne
sont pas sensibles aux îlots. Cela signifie que l’occurrence des NPI dans les contextes
de ce type n’engendre aucune agrammaticalité. Ceci est illustré en (22) et (23) :
(22) a. I didn’t hear the rumor that Mary kissed anyone. (SN complexes)
‘Je n’ai pas entendu la rumeur selon laquelle Marie {a / ait} embrassé qui
que ce soit.’
b. Je n’ai pas entendu la rumeur selon laquelle Marie ait fait le moindre geste
pour aider Paul.
c. Je n’ai pas entendu la rumeur selon laquelle Marie ait jamais embrassé
Paul.
(23) a. I didn’t buy this newspaper or any magazine. (structures coordonnées)
‘Je n’ai pas acheté ce journal ou quelque magazine que ce soit.’
b. Je n’ai pas lu ce roman ou le moindre livre policier.
c. Ca m’étonnerait que Pierre et la moindre fille un tant soit peu sensée puisse
cohabiter.
12. L’anglais n’est pas une langue à concordance négative car la négation phrastique est exprimée par
un seul mot négatif (i). La co-occurrence de deux expressions négatives dans une même phrase implique
nécessairement une double négation (ii) :
(i) John saw no one.
‘Jean n’a vu personne.’
(ii) John didn’t see no one.
‘Jean n’a pas vu personne.’
= Jean a vu au moins quelqu’un.
13. Ladusaw (1992) a observé que les NPI sont interprétés existentiellement sous la portée de la néga-
tion (i), à l’inverse des quantifieurs négatifs qui sont interprétés universellement et ont donc portée large
par rapport à la négation (ii).
(i) a. I didn’t see anyone.
‘Je n’ai vu personne.’
b. ¬ ∃x [person(x) ∧ saw(I,x)]
(ii) a. I saw no one.
‘Je n’ai vu personne.’
b. ∀x [person(x) → ¬ saw(I,x)]
159
(24) a. I met John last night and he didn’t mention [that he had seen anyone].
(Mathieu, 2001)
‘J’ai rencontré Jean hier soir et il n’a pas mentionné qu’il avait vu qui que
ce soit.’
b. Elle n’a pas l’intention [de lever le petit doigt pour m’aider].
(30) a. Je n’ai pas regardé quoi que ce soit à la télé ces derniers jours.
b. * J’ai regardé quoi que ce soit à la télé ces derniers jours.
(31) a. Je n’ai pas planté de fleur(s) dans mon jardin.
b. * J’ai planté de fleur(s) dans mon jardin.
(32) a. Max ne compte pas [faire le moindre effort pour aider Marie].
b. Je n’ai pas dit [que tu devais de l’argent à qui que ce soit].
(33) a. Je ne veux pas [qu’on fasse de mal à nos enfants]. (R459, p.66)
b. Le nom la gênait mais il ne fallait pas [qu’on pose de questions à Antoine],
il ne fallait pas qu’on lui parle. (R464, p.54)
Cette propriété le distingue des NPI, qui ne sont en aucune façon légitimes dans les
environnements de ce type (39) :
Ces formes ne sont pas intrinsèquement négatives. Pour ne prendre que l’exemple
(38a), le fait que le comité n’ait guère accepté de réclamations n’induit pas qu’il n’en a
accepté aucune, mais au contraire qu’il en a accepté quelques-unes. En conséquence, il
faut admettre que les contextes négatifs ne sont pas les seuls environnements à même
de permettre l’émergence de de. Nous reviendrons plus en détail sur ces environne-
ments dans la section 5.2.4.
en général. Ceux-ci, on l’a vu, apparaissent fréquemment dans certains contextes mo-
dalisés, conditionnels, interrogatifs, etc. Comme l’ont déjà noté Gaatone (1971, 1992),
Fauconnier (1976), Muller (1987, 1997), l’émergence de de négatif dans les contextes
de ce type est généralement source d’agrammaticalité. Les exemples ci-dessous le
confirment : l’occurrence de de négatif entraîne une agrammaticalité dans les contextes
modalisés en (40), conditionnels en (41), interrogatifs en (42), mais également dans les
contextes contenant une expression quantifiée universellement (43), un superlatif (44)
ou un verbe à sens négatif (45).
Il semble donc que l’émergence de de n’est légitime que dans les contextes conte-
nant une négation syntaxique avec l’un des termes négatifs de la série pas, point, plus,
aucun, aucunement, jamais, ni . . . ni, nul, nullement, nulle part, personne, rien ou dans
les contextes contenant les expressions non négatives ne . . . guère et ne . . . que 17 . Tou-
tefois, cette conclusion doit être nuancée. Il a en effet été noté dans la littérature que de
peut apparaître marginalement dans quelques contextes à polarité où aucune négation
syntaxique n’est réalisée, à savoir (i) les contextes contenant l’adverbe rarement, (ii)
certains environnements contenant une semi-négation fonctionnant comme NPI, et non
comme mot négatif, (iii) les phrases interrogatives en français classique, (iv) certains
contextes comparatifs. De plus, de négatif est parfaitement légitime, on l’a vu, dans
les phrases contenant une subordonnée introduite par les conjonctions sans (que) ou
avant que.
Examinons tout d’abord les contextes dans lesquels apparaît l’adverbe rarement,
tels que (46) :
17. Soulignons le fait que l’ajout d’une négation syntaxique en (41), (42a), (43) et (45) rétablit la
grammaticalité de ces phrases :
(i) Si Pierre ne portait pas de cravate, ça se saurait.
(ii) Quel magazine féminin n’a pas de rubrique consacrée aux courriers des lectrices?
(iii) Quiconque n’a pas d’amis est malheureux.
(iv) Pierre n’a pas refusé d’offrir de cadeau à Marie.
163
On pourrait penser que cet adverbe crée un contexte à polarité dans la mesure où il
permet l’occurrence de l’expression idiomatique lever le petit doigt analysée comme
un NPI dans Fauconnier (1976) :
(47) Max lève rarement le petit doigt pour moi.
Cependant, les exemples (48) mettent en doute la validité de cette hypothèse :
(48) a. ?? Pierre a rarement fait grand-chose pour aider ses amis.
b. ?? Elle dit rarement quoi que ce soit.
c. ?? Elle mange rarement le moindre fromage.
Nous apporterons un élément de réponse à cet état de fait dans la section 5.2.4.
Comme nous l’avons déjà souligné dans le chapitre précédent consacré aux propriétés
distributionnelles de de négatif, la co-occurrence de ce terme et de l’adverbe rarement
n’est pas très répandue. Les formes des et du de l’article sont préférentiellement em-
ployées. Nous en rappelons quelques exemples en (49).
(49) a. La plupart de ses affaires s’étaient conclues sur parole, et il avait rarement
eu des difficultés. (H. de Balzac, Histoire . . . de César Birotteau, 1837, p.124)
b. On voit rarement dans notre monde civilisé des scènes aussi saisissantes.
(M. Rheims, Les greniers de Sienne, 1987, p.105)
c. Arken donnait rarement des explications. (R. Vrigny, La nuit de Mougins,
1963, p.113)
d. Les brigands, comme les autres classes du peuple, allument rarement du
feu pour leur repas. (E. About, Le roi des montagnes, 1857, p.76)
Fauconnier, Gaatone et Muller ont également observé que de négatif peut appa-
raître dans d’autres contextes à polarité, en l’occurrence les contextes contenant les
semi-négations jamais et aucun employées positivement, c’est-à-dire comme NPI 18
(50).
18. Cet emploi n’est toutefois pas systématique comme en témoigne l’exemple de Gaatone (1971,
p. 112) ci-dessous dans lequel la semi-négation jamais est un NPI dans le champ d’un contexte à polarité
(douter si). Ici, la substitution de l’indéfini un par de produit une agrammaticalité.
(i) Je doute si j’aimerai jamais (un + *d’) homme . . .
164
(50) a. L’abbé Chapron disputait avec sa servante sur sa dépense avec plus de
rigueur que Gobseck la sienne, si toutefois ce fameux juif a jamais eu de
servante. (Muller, 1987)
b. Après dix-huit mois de soins, elle en reste encore ébranlée, au point que
nous devons peut-être renoncer à l’espoir de jamais avoir d’enfants. (ibid.)
c. Il est trop désagréable pour qu’aucun d’entre nous lui fasse de cadeau.
(Muller, 1997, p.256)
d. Il est impossible qu’aucun d’eux boive d’alcool. (ibid., p.256)
Parallèlement, Muller (1987) souligne que l’emploi de de négatif est parfaitement at-
testé dans les interrogatives du français classique, c’est-à-dire à une période où le sys-
tème actuel du partitif commence tout juste à fonctionner (51) :
(51) a. Comment y aurait-il d’éternité pour la fragilité des peintures?
b. Où aurais-je de retraite assurée?
c. L’enfant connaît-il de jouet plus merveilleux qu’un bateau?
Actuellement, il semble exclu de trouver de dans les interrogatives de ce type, à moins
qu’il n’y ait une semi-négation interprétée positivement dans la phrase, comme c’est
le cas en (52) :
(52) Y a-t-il jamais eu de pardon pour les vaincus?
Muller (1997) donne aussi un exemple d’occurrence licite de de dans un contexte
comparatif :
(53) Plus d’eau a été bue que de vin n’a été vendu.
Enfin, de négatif est parfaitement légitime dans l’environnement des conjonctions
sans ou sans que (54) et avant que, avant de (55) :
(54) a. Jusqu’ici j’avais écrit sans me poser de questions . . . (R434, p.168)
b. En toute hypothèse, il est extraordinairement difficile d’excercer le "droit
de légitime défense" justement invoqué sans léser d’innocents ni provo-
quer de dérapage, au coeur de l’imbroglio libanais. (cité dans Muller, 1997,
p.256).
c. Il n’y a eu que la mise en cause des autorités iraniennes par M. Reagan,
sans que le président n’apporte de preuve de la collusion des autorités
iraniennes avec les terroristes. (ibid.,p.256)
(55) . . . On contraste la langue que l’on suppose affectée par des contacts, avec des
segments ou des périodes juxtaposés de cette même langue avant qu’elle ait
subi d’altération. (Gaatone, 1971)
En résumé, de négatif n’est généralement légitime que dans les contextes négatifs
ou apparentés à la négation, ainsi que dans les contextes contenant les expressions
ne . . . guère et ne . . . que. Les contextes non négatifs permettant l’occurrence de NPI
n’autorisent généralement pas l’émergence de de.
165
(56) a. * Je n’ai pas entendu la rumeur selon laquelle Marie a embrassé de lin-
guistes. (SN complexe)
b. * Je n’ai pas acheté ce journal ou de magazine. (structure coordonnée)
Mais le parallélisme se limite à ces propriétés. Nous avons en effet relevé cinq dis-
tinctions entre de négatif et les NPI. La première concerne les contextes qui autorisent
l’occurrence de de. Ceux-ci, on l’a vu, sont restreints quasiment aux contextes négatifs
ou apparentés à la négation, ainsi qu’aux contextes contenant les formes ne . . . guère et
ne . . . que. La distribution des NPI est en revanche plus libre, ces termes pouvant figu-
rer non seulement dans les contextes négatifs ou apparentés à la négation, mais aussi
dans de nombreux contextes non négatifs. Fauconnier (1976), Muller (1987, 1997) et
Gaatone (1971, 1992) ont relevé quelques emplois de de dans les contextes à polarité
de ce type, mais ils restent marginaux.
Une seconde distinction entre les NPI et de est liée à la position syntaxique que ces
termes peuvent occuper. Si aucune contrainte positionnelle (hormis la position sujet)
ne régit l’occurrence des NPI, de négatif n’est grammatical qu’en position d’objet di-
rect.
Troisièmement, de négatif est sensible aux îlots syntaxiques, ce qui n’est pas le cas
des NPI. Quatrièmement, l’émergence de l’adverbe presque comme modifieur du mot
négatif est grammatical et productif dans le cas de de, mais impossible dans le cas des
NPI. Enfin, de négatif peut figurer dans les environnements qui contiennent les expres-
sions ne . . . guère et ne . . . que.
Etant donné ces propriétés, peut-on en conclure que de négatif est un NPI ? Faucon-
nier (1976) et Gaatone (1992) donnent une réponse claire à cette question. Selon eux,
de n’est pas un NPI :
"On doit faire à propos de la négation une distinction entre les élements
polarisés [. . . ] qui, parce que la négation renverse les échelles, sont ap-
propriés dans les contextes négatifs, et certains éléments apparemment
conditionnés, dans leur occurrence, par des éléments grammaticaux parti-
culiers." (Fauconnier, 1976, p.196)
tifs autorisant pourtant l’occurrence des NPI en général. De plus, comme le souligne
Muller (1987), le fait que la position d’objet direct du verbe soit l’unique position syn-
taxique appropriée pour de est un argument supplémentaire qui justifie qu’on ne le
confonde pas avec les NPI 19 . La position des auteurs français est donc que de négatif
n’est pas à analyser comme un NPI.
Toutefois, nous rappelons que de négatif est licite également dans les contextes qui
contiennent les formes ne . . . guère et ne . . . que. Or, si on reprend les exemples (38),
on observe que ces termes ne sont pas caractérisés par la propriété d’antivéridicité
(63) :
Il n’est donc pas surprenant que les contextes véridiques tels que (63), (64) et (65)
bloquent l’occurrence des NPI (dans l’acception traditionnelle de ce terme), dans la
mesure où ceux-ci sont sensibles à la propriété de non véridicité.
De négatif ne peut donc être analysé comme un NPI, au sens de Giannakidou dans
la mesure où les NPI ne sont grammaticaux que dans les contextes antivéridiques (cf.
définition (8), p. 152). De plus, il n’est pas envisageable de l’analyser comme un terme
à polarité sensible à la propriété de non véridicité (i.e. un NPI au sens traditionnel) pour
deux raisons essentielles évoquées ci-dessus. La première est que de n’est pas légitime
dans les contextes modaux, interrogatifs, conditionnels, etc., que Giannakidou qualifie
de non véridiques. La seconde est que l’occurrence de de est possible dans certains
contextes véridiques.
En résumé, de est légitime dans les contextes antivéridiques et dans certains contextes
véridiques, intrinsèquement positifs. Dès lors, l’hypothèse selon laquelle de serait un
NPI tombe, quelle que soit la définition qu’on adopte de ce terme.
5.3 Statut de de
5.3.1 De négatif n’est pas une préposition
Si on se réfère à l’origine historique des déterminants des et du, ceux-ci sont nés
de la préposition de, suivie des articles définis pluriel et singulier respectivement. No-
tons toutefois qu’en ancien français, ces formes sont rares et les SN sont généralement
réalisés sous la forme d’un nom nu. Ce n’est qu’à partir du XIVème siècle que leur
emploi commence à se répandre.
Parallèlement, nous avons rappelé dans le chapitre 4 (section 4.3), que pas et point
étaient à l’origine des substantifs qui sélectionnaient comme compléments des syn-
tagmes prépositionnels de la forme [de N].
Si on fait l’hypothèse que de négatif est une préposition, cela implique que la structure
argumentale des verbes dont l’argument interne est un SN est modifiée sous l’influence
de la négation. En termes plus classiques, les verbes transitifs directs deviendraient
des verbes transitifs indirects en contexte négatif. Cette hypothèse est difficilement
soutenable. De plus, elle ne permet pas d’expliquer pourquoi la variation formelle liée
à la négation ne se manifeste pas avec les déterminants et les quantifieurs autres que
un, des et du, comme illustré en (67) par exemple (cf. chapitre 4) :
(67) a. Max a offert {des / beaucoup de / des tonnes de / tes} roses à sa fiancée.
b. Max n’a pas offert {de / beaucoup de / des tonnes de / tes} roses à sa
fiancée.
Il faut donc abandonner l’idée que de négatif est une préposition et, par extension,
que les séquences [de N] sont des syntagmes prépositionnels.
21. Les prédicats des phrases en (66) sélectionnent un argument prépositionnel, et non un argument
nominal. Ceci est mis en évidence par les agrammaticalités générées par la suppression de de en (i).
(i) a. * Je reviens les Etats-Unis.
b. * J’ai parlé la pluie et le beau temps pendant deux heures.
Ceci confirme que de est une préposition en (66).
170
Alors qu’en (70), les quantifieurs adverbiaux peuvent précéder directement les struc-
tures [de N], cette configuration est source d’agrammaticalité en (71).
Obenauer (1983) considère que les structures [QAdv de N] en (70) sont des unités
syntaxiques et il les analyse comme des SN quantificationnels. Il parle dans ce cas
de quantification canonique. L’agrammaticalité des phrases (71) constitue donc un
premier argument en faveur de l’hypothèse que les structures [de N] dans les phrases
telles que (68) ne forment pas un constituant.
171
D’autres données viennent étayer cette hypothèse. Nous avons vu que l’occurrence de
de négatif peut se faire à distance du mot négatif qui le rend licite (72) :
Il faut donc abandonner l’idée que les structures à de négatif forment un constituant
avec l’expression qui les rend licites 22 .
Pour finir, signalons que Obenauer a observé que les adverbes beaucoup, trop,
peu, énormément, etc. peuvent apparaître également à distance du constituant [de N],
et non plus à l’intérieur du SN quantifié (75). Il introduit le terme de quantification non
canonique ou quantification à distance pour référer à ce type de configurations.
e. Il a énormément vu de monde.
Crucialement, les configurations faisant intervenir une négation de phrase (76) sont
également considérées par Obenauer comme un cas similaire de quantification à dis-
tance.
Nous n’examinerons pas pour l’instant les implications de ce parallélisme, sur le-
quel nous reviendrons au chapitre 6.
Des neutralise le genre et s’associe aux noms comptables pluriels, ainsi qu’aux noms
massifs pluralisés induisant dans ce cas une quantification, non plus sur des individus,
mais sur des types d’individus (cf. (80)). Quant à du et de la, ils sont réservés aux noms
de masse concrets ou abstraits.
A l’opposé, de négatif ne contraint ni le nombre 24 (82a), ni le genre (82b), ni le carac-
tère massif ou comptable du nom avec lequel il s’associe (82c).
Une première distinction entre de négatif et les déterminants des et du repose donc
sur l’incapacité de de à contrainte le nombre, le genre et la nature sémantique du nom.
En revanche, les séquences [de N], tout comme les SN en des et du, sont parfaite-
ment licites dans les dislocations à droite (85) où seul le pronom en peut apparaître. Si
le pronom est défini, la phrase est agrammaticale (86).
Le fait que seul un pronom indéfini soit acceptable en (85) 25 et que les structures
[de N] apparaissent dans les contextes existentiels constituent deux arguments qui jus-
tifient selon nous d’analyser ces structures comme des SN indéfinis.
5.4 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons tout d’abord évalué l’hypothèse selon laquelle de
serait un NPI. L’examen contrastif des propriétés syntaxiques et sémantiques des NPI
et de de négatif nous a conduit à rejoindre la position de Fauconnier (1976), Gaatone
(1971, 1992) et Muller (1987, 1991, 1997) pour qui de n’est pas un NPI. Cette conclu-
sion a également été confirmée par un examen plus formel des contextes permettant
l’émergence de de négatif, fondé sur les travaux en lien avec la polarité de Gianna-
kidou (1997, 1998). Nous sommes arrivée à la conclusion que de négatif est légitime
dans les contextes négatifs antivéridiques, ainsi que dans certains contextes véridiques
qui, crucialement, sont incompatibles avec les NPI.
Les SN en de et l’incorporation
sémantique
6.1 Introduction
La conclusion à laquelle nous avons abouti au chapitre 5 constitue le point de départ
de ce dernier chapitre. Nous admettrons donc le postulat suivant : les structures [de N]
sont des SN indéfinis dont la particularité est de contenir le déterminant déficient de. De
se distingue des autres déterminants en ce qu’il est inapte à contraindre de quelle que
manière que ce soit le nombre, le genre et la nature sémantique du nom avec lequel il se
combine. Son caractère déviant se manifeste également dans son incapacité à former
un SN susceptible d’occuper toutes les positions argumentales généralement autorisées
aux autres SN, ainsi que l’impossibilité pour le SN ainsi formé de fonctionner comme
modifieur. Seule la position d’objet direct lui est accessible. Outre ces propriétés mor-
phosyntaxiques distinctives, une caractéristique sémantique saillante des SN en de est
leur portée nécessairement étroite. Pour être interprétables, ils doivent se trouver dans
le champ de la négation. Cette propriété ne justifie cependant pas qu’on les confonde
avec les NPI, ce qu’a montré l’examen comparatif mené au chapitre 5.
Le but de ce chapitre n’est pas de proposer une analyse formelle et aboutie qui ren-
drait compte de toutes les propriétés morphosyntaxiques, sémantiques et discursives
des SN en de. Plus modestement, notre objectif est de montrer qu’il existe une corré-
lation entre deux éléments que tout distingue a priori : les SN en de négatif d’une part,
et les noms incorporés d’autre part.
Le constraste entre (3a) et (3b) révèle plusieurs différences pertinentes entre les
deux types de constructions. En (3a), le sujet et l’objet sont porteurs d’une marque ca-
suelle (l’ergatif et l’absolutif respectivement). De plus, deux marques d’accord, l’une
relative au sujet, l’autre à l’objet, apparaissent suffixées à la base verbale. La construc-
tion est marquée comme transitive au moyen d’un infixe (-a-) figurant entre la base
verbale et la marque d’accord sujet. Crucialement, l’objet réfère nécessairement ici à
un poisson spécifique. Nous reviendrons sur cette question dans la section 6.2.2.
Si l’on examine à présent la configuration donnée en (3b), seul le sujet porte une
marque de cas, en l’occurrence la marque d’absolutif. De plus, le verbe n’exhibe au-
cune marque d’accord objet et l’infixe -p- signale que le verbe est réalisé sous sa forme
intransitive. Il en découle que le nombre du nom incorporé est indéterminé, ce que
van Geenhoven rend explicite dans sa traduction puisqu’elle fait correspondre le nom
incorporé en groenlandais à un nom de masse ou à un nom comptable, singulier ou
pluriel, en anglais.
Outre l’absence de marques de cas et de nombre relatives à l’objet, le nom gâteau
(‘kaage’) ne fonctionne pas comme un morphème indépendant : il précède directe-
ment la base verbale et l’ensemble forme une unité morphologique, caractéristique de
1. Les traductions françaises que nous donnons pour chaque exemple reflètent celles que propose
van Geenhoven pour l’anglais.
2. Le groenlandais de l’ouest est une langue à morphologie ERGATIVE-ABSOLUTIVE. Cela signifie
que le sujet d’une construction intransitive (notée [-tr]) porte la même marque casuelle que l’objet
d’une configuration transitive (notée [+tr]), à savoir le cas ABSOLUTIF (noté ABS). Parallèlement, le
sujet d’une construction transitive est au cas ERGATIF (noté ERG).
179
3. De ce point de vue, van Geenhoven se distingue de Baker (1988) qui limite le terme d’incorpora-
tion aux cas où l’entité incorporée est un nom, sans modifieur ni déterminant. Massam (2001) emploie
le terme de pseudo incorporation nominale (‘pseudo nominal incorporation’) pour faire référence aux
cas où le nom incorporé est modifié par un adjectif ou un syntagme prépositionnel.
180
4. L’argument avancé par Farkas et de Swart en faveur de cette conclusion est que ces DP sont
incompatibles avec les prédicats qui imposent une lecture non atomique à l’un de leurs arguments,
comme c’est le cas en (i) :
(i) * Mari gyűjt egy bélyeget.
M. collectionner.3SG un timbre.
‘Mari collects a stamp.’ (Farkas et de Swart, 2003, p.13)
‘Marie collectionne un timbre.’
Cette observation ne concerne évidemment pas le cas où le SN un timbre (‘egy bélyeget’) a une lecture
taxinomique.
5. Nous rappelons que l’occurrence des DP dans ce type de contexte est source d’agrammaticalité si
le référent de celui-ci est un individu unique, et non pluriel (cf. note 4 ci-dessus).
181
Il faut cependant souligner qu’en (8), le caractère atomique ou non atomique du réfé-
rent du nom incorporé est influencé par des facteurs d’ordre sémantico-pragmatique.
En (8b), l’interprétation la plus plausible de l’objet incorporé est l’interprétation non
atomique, car le verbe collectionner est un prédicat qui induit la lecture collective
de son objet. L’exemple (8a) nous semble moins discrimant de ce point de vue. En
revanche, la phrase (9) 6 , analogue à (8a), nous paraît plus explicite, car le prédicat
épouser induit pragmatiquement une lecture non atomique du nom incorporé.
On retrouve donc ici l’interaction déjà observée pour le groenlandais entre l’in-
corporation nominale et le phénomène de neutralisation du nombre. Toutefois, à la
différence du groenlandais, le hongrois, comme le hindi d’ailleurs (cf. Dayal, 1999),
incorpore également les noms "nus" morphologiquement pluriels. Dans ce cas, le phé-
nomène de neutralisation du nombre ne se manifeste plus et le référent du nom in-
corporé correspond nécessairement à un individu non atomique. Ceci est illustré en
(10) :
(10) implique que Feri recherche plusieurs femmes, et non une seule, ce qui est le cas
en (8a) où le nom incorporé est morphologiquement singulier.
nominal peut être considéré comme étant incorporé s’il s’agit d’un NP (c’est-à-dire
d’un nom, et éventuellement une expansion de celui-ci, sans déterminant). De plus,
cet élément nominal doit manifester, outre des propriétés sémantiques et discursives
particulières que nous verrons en 6.2.2, une morphosyntaxe réduite, contrastant avec
les caractéristiques morphosyntaxiques des SN maximaux (c’est-à-dire des DP) non in-
corporés dans la langue en question.
Plusieurs éléments sont le signe d’une morphosyntaxe réduite : (i) l’absence de déter-
minant ou la présence d’un déterminant spécial, morphologiquement déficient, (ii) un
marquage morphologique réduit du cas et/ou du nombre, (iii) l’occurrence de cet élé-
ment nominal limitée à une position syntaxique particulière, adjacente au verbe. Les
critères (i), (ii) et (iii) peuvent être combinés.
Ajoutons enfin qu’une propriété commune aux langues qui manifestent un phénomène
d’incorporation nominale est le lien grammatical étroit qui unit le prédicat incorporant
et l’élément nominal incorporé. En groenlandais par exemple, seuls les objets directs
sont susceptibles d’être incorporés. Le hongrois semble une langue plus permissive
de ce point de vue, dans la mesure où certains sujets seraient également incorporés
d’après Farkas et de Swart.
Comme le rendent explicite les paraphrases données en (11b), (12b) et (13b), les noms
incorporés en (11a), (12a) et (13a) ne peuvent référer à des entités spécifiques. En
d’autres termes, ils ne peuvent échapper à la portée de l’opérateur en présence, c’est-
à-dire avoir une portée large relativement à celui-ci 7 .
Un aspect important que soulignent Farkas et de Swart est que la portée étroite, ca-
ractéristique des noms incorporés, est également une propriété que partagent d’autres
types de constituants, tels que les NPI par exemple. Comme nous l’avons vu dans le
chapitre précédent, les NPI sont des constituants dépendants au sens où leur occurrence
repose crucialement sur la présence d’un opérateur qui les rend licites. Nous rappelons
en (14a) un exemple qui contient le DP any book, dont l’occurrence est rendue légitime
par la négation ici. En l’absence de celle-ci ou de tout autre opérateur non véridique
(cf. Giannakidou, 1997, 1998), la phrase est agrammaticale (14b).
Pour être interprétables, les NPI doivent se trouver sous la portée de l’opérateur dont
ils dépendent. De ce point de vue, il s’agit donc de constituants dont la portée est res-
treinte.
Les noms incorporés en revanche sont interprétables indépendamment de la présence
de quelque opérateur que ce soit. Leur portée étroite s’explique par le fait qu’ils sont
intrinsèquement liés au prédicat verbal qui les incorpore. Il en découle que tout opéra-
teur qui a sous sa portée le prédicat a également sous sa portée le nom incorporé.
7. Cette propriété distingue les noms incorporés des DP objets, non incorporés. Ainsi en hongrois
par exemple, Farkas et de Swart soulignent que ces DP sont généralement ambigus entre une interpré-
tation à portée large et une interprétation à portée étroite relativement à un opérateur. C’est le cas par
exemple dans le contexte modalisé (i) où le DP objet un poème (‘egy verset’) accède à une interprétation
spécifique ou non spécifique (ii) :
(i) Mari kell olvasson egy verset.
M. devoir lire.SUBJONCTIF.3SG un poème.
‘Mary must read a poem.’ (Farkas et de Swart, 2003, p.7)
‘Marie doit lire un poème.’
(ii) = Il y a un poème particulier que Marie doit lire.
= Marie doit lire un poème (quel qu’il soit).
184
(15a) et (15b) mettent en évidence qu’une relation anaphorique s’établit entre le ré-
férent du nom incorporé chien (‘qimmi’) et un pronom. Ce pronom est réalisé sous
la forme d’un morphème d’accord, suffixé à la base verbale. En (15a), le suffixe -q-
marque l’accord sujet de troisième personne du singulier. L’antécédent du pronom ré-
fère donc à un individu atomique. En (15b) au contraire, le suffixe -t- est un morphème
de pluriel. Par conséquent, le nom incorporé a pour référent un individu non atomique 8 .
Farkas et de Swart soulignent qu’en (18), il ne s’agit pas de n’importent quels poèmes,
mais bien du ou des poèmes lus par Marie. Il en est de même pour (19). Elles ajoutent
9. Il est des cas où les noms incorporés "singuliers" sont transparents discursivement, à savoir quand
ils fonctionnent comme antécédent d’un pronom implicite (cf. Farkas et de Swart, p.19-20)
186
que la phrase (18) a les mêmes conditions de vérité que (20) dans laquelle l’objet du
verbe lire est réalisé sous la forme d’un DP.
Cela signifie d’après ces auteurs que l’existence d’un poème que Marie lit rend vraies
les propositions en (18) et (20).
Elle montre que le nom incorporé vélo (‘cykili’) en (21a) ne peut référer à un ou plu-
sieurs vélos spécifiques (cf. les paraphrases (21b)) en introduisant un exemple parallèle
187
à (21a), mais dont le nom incorporé est modifié par une relative qui impose que l’objet
décrit par ce nom soit un objet familier. Elle observe que cette transformation engendre
un non-sens (22) :
(23a) est une construction transitive dans laquelle l’objet est non incorporé, marqué
pour le cas et dont le nombre est fixé grâce au morphème d’accord -a- suffixé à la base
verbale. Dans ce cas, l’objet ne peut référer qu’à un poisson particulier, spécifique.
En conséquence, il semblerait que les contructions transitives en groenlandais sont la
manifestation morphosyntaxique de la référence spécifique des objets.
Il serait prématuré d’en conclure que les noms incorporés dénotent nécessairement
des individus non spécifiques. La question reste donc ouverte. Pour y répondre, il fau-
drait déterminer si, dans les contextes extentionnels, les noms incorporés admettent la
modification par une relative qui contraint le référent du nom à désigner un individu
spécifique 10 .
10. Le seul autre exemple que donne van Geenhoven de nom incorporé modifié par une relative est le
suivant :
(i) Arne qatanngute-qar-p-u-q Canada-mi najuga-lim-mik.
A.ABS soeur-avoir-IND-[-tr]-3SG C.LOC lieu.de.résidence-avoir.REL.[-tr]-INSTR . SG
‘Arne has a sister who lives in Canada.’
‘Arne a une soeur qui vit au Canada.’
Cet exemple ne permet toutefois pas de déterminer si la relative force l’interprétation spécifique du nom
incorporé, dans la mesure où cette relative peut modifier un SN non spécifique, comme illustré en (ii) :
(ii) Pierre veut épouser une fille qui vit au Canada (n’importe laquelle, à condition qu’elle vive au
Canada)
cf. Kleiber et Lazzaro (1987) et la discussion au chapitre 1, section 1.3.1.
188
Notons ici que la distribution des SN en de, limitée à la position d’objet direct, rappelle
celle des noms incorporés en groenlandais et constitue de ce point de vue une seconde
similitude entre ces deux types de constituants.
Sur la base de ces observations, nous sommes arrivée à la conclusion que de est
un déterminant déficient. Il n’aurait d’autre rôle que celui de satisfaire la contrainte
syntaxique relative à la présence d’un déterminant en français. Les SN en de sont donc
en quelque sorte semblables à des noms "nus".
Par ailleurs, ces SN sont susceptibles de contenir un modifieur du nom qui peut prendre
diverses formes syntaxiques, telles que par exemple un adjectif en (27) ou un syntagme
prépositionnel en (28).
b. Mon buraliste n’a pas vendu de {journal / journaux} aujourd’hui, car il n’a
pas été livré.
c. Le flash étant interdit dans ce zoo, je n’ai pas pu photographié d’{animal /
animaux}.
(30) Max ne boit plus de {vin /?? vins} depuis son opération.
Il semble en effet peu plausible d’envisager que Max ne mange qu’une seule lentille.
Des noms tels que lentilles, épinards, pâtes pourraient être analysés comme des plu-
riels en emploi massif. Nos connaissances du monde semblent également être la cause
de l’emploi du singulier en (32) :
Si le contexte est tel qu’une seule convocation est envoyée par candidat, la forme du
singulier est privilégiée.
En résumé, le nombre des SN en de n’est pas contraint (34), à moins que des fac-
teurs liés à la sémantique lexicale, à nos connaissances du monde ou au contexte ex-
tralinguistique favorisent l’émergence de l’une ou l’autre des deux formes du nombre.
La paraphrase (35b) met en évidence que le SN de café en (35a) est équivalent séman-
tiquement au SN massif du café ou au SN comptable singulier un café à condition que
ces SN soient interprétés dans le champ de la négation, c’est-à-dire quand leur portée
est étroite.
(36) a. Ma grand-mère n’a pas fait de tarte(s) aux cerises pour le goûter.
b. = Ce n’est pas le cas que ma grand-mère a fait {de la / une / des} tarte(s)
aux cerises pour le goûter.
(37) Kaage-liur-p-u-t.
gâteau-faire-IND-[-tr]-3PL
‘Ils ont fait {du / un / des} gâteau(x).’
D’autre part, Farkas et de Swart avancent qu’en hongrois, il y aurait une équivalence
sémantique entre les phrases contenant un nom incorporé et celles dont le SN objet est
réalisé sous la forme d’un DP dans son interprétation à portée étroite exclusivement.
Or, les observations faites ci-dessus à propos des SN en de sont en parfaite adéquation
avec l’observation de Farkas et de Swart. Au regard des paraphrases (34b), (35b) et
(36b), nous pouvons en conclure que les SN en de sont semblables aux SN en un, des et
192
du (en l’occurrence des DP) dans leur interprétation à portée étroite, c’est-à-dire quand
ils dénotent des individus non spécifiques. Ceci constitue un argument en faveur d’une
analyse des SN en de comme des indéfinis incorporés en français.
Notons que la seule manière d’induire une interprétation spécifique du SN objet est
l’emploi du déterminant indéfini des, dont le sens est à rapprocher de celui de certains
dans ce cas :
Crucialement, les SN en de ont également une portée étroite par rapport à tout autre
opérateur. Considérons tout d’abord les cas où la phrase contient un SN quantifié uni-
versellement comme en (40) :
Des trois paraphrases données en (41), seule la première décrit le sens de (40), c’est-à-
dire celle où le SN en de a une portée étroite non seulement par rapport à la négation,
mais également par rapport au SN quantifié (41a).
(41) a. = Ce n’est pas le cas que tous les étudiants lisent des romans policiers.
(¬>∀>∃)
b. 6= Il y a des romans policiers que tous les étudiants ne lisent pas. (*∃>∀>¬)
c. 6= Ce n’est pas le cas qu’il y a des romans policiers que tous les étudiants
lisent. (*¬>∃>∀)
11. Cette observation ne concerne pas la lecture contrastive induite par ce type d’énoncés et qui permet
le maintien des déterminants des et du en contexte négatif, comme en (i) et (ii) :
(i) A : ‘As-tu acheté des cerises?’
B : ‘Non, je n’ai pas acheté des cerises, mais des groseilles.’
(ii) Marie n’a pas bu du whisky, mais du cognac.
193
L’impossibilité de paraphraser (40) par (41b) s’explique par le fait que le SN en de est
interprété avec une portée large par rapport à la négation, ce qui est proscrit, comme
rappelé ci-dessus.
Quant à (41c), et c’est le point important ici, elle est inadéquate pour décrire le sens de
(40), en dépit du fait que le SN en de est sous la portée de la négation. On observe que
ce SN se trouve hors du champ du quantifieur universel. Nous en déduisons qu’il doit
donc se trouver nécessairement sous la portée de la négation, mais également sous la
portée du SN quantifié universellement.
Les observations sont les mêmes si on introduit un opérateur modal dans la phrase,
comme en (42) :
Heldner avance que les SN quantifiés en aucun, à l’inverse des SN en de, sont
susceptibles d’emplois référentiels. Cela signifie qu’en dépit de la négation, ils peuvent
dénoter des individus spécifiques dont l’existence est présupposée. Les deux arguments
qu’elles utilisent pour justifier son hypothèse est que les SN en aucun peuvent servir
d’antécédent à un pronom anaphorique et être substitués par un SN partitif. Elle illustre
ces observations par le biais des exemples donnés en (45).
(45) a. La tourmente n’épargne [aucun secteur de l’industrie]i . Ilsi sont tous éga-
lement frappés.
b. La tourmente n’épargne aucun des secteurs de l’industrie.
La reprise anaphorique étant licite en (45a), Heldner (p.84) en conclut que le SN objet
en aucun "établit l’existence d’un ensemble de référents spécifiques auxquels on peut
ensuite référer", ce que confirme la paraphrase (45b). Soulignons toutefois que l’exis-
tence des secteurs de l’industrie n’est assertée ni par le SN en aucun comme l’affirme
Heldner, ni par le prédicat. Ils existent indépendamment et c’est la raison pour laquelle
il y a présupposition d’existence.
En effet, (46) nie l’existence de quelque bruit que ce soit fait par Cora. La reprise par
un pronom anaphorique engendre une incohérence textuelle.
Néanmoins, l’hypothèse de Heldner se révèle trop forte. Il existe en effet des cas
où les prédicats n’induisent pas l’existence de leur objet. Celui-ci peut exister indépen-
damment. Considérons les exemples en (49) :
Le fait de nier les phrases en (49) ne remet pas en question l’existence des cerises et du
vin, mais simplement celle des événements "cueillir des cerises" et "boire du vin". En
d’autres termes, ce qui est nié est l’existence de cerises cueillies par Marie et de vin bu
par Max, mais non l’existence de cerises et de vin dans le contexte extralinguistique.
Dans ce cas, des phénomènes anaphoriques d’un type particulier peuvent émerger,
contrairement aux prédictions de Heldner :
(50) a. Max n’a pas bu de vin. Ses amis l’avaient prévenu qu’il était trop âpre.
b. Marie n’a pas cueilli de cerises car elles n’étaient pas mûres.
Les pronoms définis en (50) ne sont pas liés anaphoriquement aux SN en de. Leur sens
est à rapprocher des expressions définies en (51) :
(51) a. Max n’a pas bu de vin. Ses amis l’avaient prévenu que le vin qu’il aurait
pu boire était trop âpre.
b. Marie n’a pas cueilli de cerises. Les cerises qu’elle aurait pu cueillir n’étaient
pas mûres.
196
De ce point de vue, les pronoms en (50) semblent se comporter comme les pronoms "e-
type" (‘e-type pronouns’), initialement décrits dans Evans (1980) et qui ont depuis fait
couler beaucoup d’encre. Nous rappelons en (52) quelques exemples caractéristiques :
(52) a. Most books contain a table of contents. In some, it (= the table of content)
is at the end.
‘Beaucoup de livres ont une table des matières. Dans certains, elle (= la
table des matières) se trouve à la fin’.
b. John thinks that he will catch a fish, and hopes I will grill it (= the fish)
tonight.
‘Jean pense qu’il attrapera un poisson et espère que je le (= le poisson)
ferai griller ce soir.’
c. Every man that owns a donkey beats it (= the donkey)
‘Tout homme qui possède un âne le (= l’âne) bat.’
Dans ces exemples, les SN indéfinis objet sont non spécifiques et se trouvent sous la
portée d’un quantifieur ou d’un verbe modal. Il en est de même on l’a vu pour les
contextes contenant un SN en de : ceux-ci sont non spécifiques et inclus dans le champ
de la négation.
(53) a. * Max n’a pas bu de vin. Ses amis l’avaient prévenu qu’ils étaient trop
âpre.
b. * Marie n’a pas cueilli de cerises car elle n’était pas mûre.
Dans le cas des SN comptables morphologiquement singuliers, les faits sont dif-
férents. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que le pronom soit morphologiquement
marqué pour le singulier, on observe au contraire que cela engendre une anomalie
(54a). L’occurrence d’un pronom pluriel est acceptable (54b).
(54) a. ?? Max n’a finalement pas acheté de voiture car elle était trop chère 15 .
b. Max n’a finalement pas acheté de voiture car elles sont trop chères.
15. La phrase devient acceptable si le pronom s’accompagne d’une relative spécifiante (i) :
(i) Max n’a finalement pas acheté de voiture car celle qu’il convoitait était trop chère.
197
par rapport à la négation. Les noms incorporés au contraire n’ont pas besoin d’un opé-
rateur pour être licites. Ils peuvent donc apparaître en contexte non négatif.
Toutefois, nous avons montré que si un second opérateur est présent, les SN en de se
trouvent non seulement sous la portée de la négation, mais également sous la portée
de ce second opérateur. Ces SN ne peuvent donc accéder ni à des lectures spécifiques
(c’est-à-dire ici des lectures où ils ont portée large par rapport aux deux opérateurs), ni
à des lectures intermédiaires (c’est-à-dire des lectures où ils sont sous la portée de la
négation, mais hors du champ du second opérateur). Seule la lecture non spécifique est
disponible. De ce point de vue, les SN en de se rapprochent donc des noms incorporés
en ce qu’ils ont toujours la portée la plus étroite.
Sur la base de ces parallélismes, nous avançons que les SN en de négatif sont un cas
d’incorporation nominale en français. La négation aurait donc pour effet d’établir une
relation particulière entre le verbe et son objet en de. Une observation largement ré-
pandue dans les travaux récents sur l’incorporation est que les noms incorporés ne sont
pas de véritables arguments du verbe. Ils forment avec celui-ci une unité sémantique et
16. Rappelons que des facteurs linguistiques ou extralinguistiques peuvent néanmoins favoriser
l’émergence de la marque du singulier ou du pluriel.
199
le nom incorporé n’introduit pas une variable comme le font les indéfinis en général,
mais seulement un prédicat. Dans cet esprit, van Geenhoven (1998) fait l’hypothèse
que les noms incorporés sont des indéfinis prédicatifs, c’est-à-dire des indéfinis qui
dénotent une propriété (type <e,t>), et non un individu (type e). Ce type de dénotation
n’est pas une caractéristique propre aux noms incorporés, mais vaut également pour
les SN indéfinis en général dans certains contextes. Ainsi, McNally (1998a) et Mc-
Nally et van Geenhoven (1997) ont montré que les SN indéfinis faibles figurant dans
les contextes existentiels dénotent une propriété. Si on considère les SN en de négatif,
nous avons vu qu’ils sont parfaitement licites dans ce type de contexte :
Outre le fait que les noms incorporés sont des indéfinis prédicatifs, van Geenhoven
propose que le prédicat correspondant à l’indéfini prédicatif est absorbé par un verbe en
tant que prédicat qui restreint la variable correspondant à l’argument nominal interne
de ce verbe. Cette absorption définit ce que van Geenhoven appelle "incorporation
sémantique". Le sens lexical d’un verbe incorporant est décrit en (57) :
(57) met en évidence le fait que (i) l’interprétation existentielle d’un indéfini prédicatif
vient du verbe, (ii) les indéfinis sémantiquement incorporés sont interprétés comme
des expressions nominales qui n’ont pas de force quantificationnelle en elles-mêmes.
De ce point de vue, van Geenhoven adopte l’hypothèse défendue depuis les travaux de
Heim (1982) et Kamp et Reyle (1993). Toutefois, elle suppose qu’un indéfini prédi-
catif n’introduit pas une variable nouvelle, ce que font tous les indéfinis dans Heim et
Kamp et Reyle) mais introduit seulement un prédicat.
17. Le verbe incorporant, noté V, a deux arguments : le sujet, représenté par la variable d’individu x
et l’objet, représenté par la variable y. Cette variable est liée par l’opérateur existentiel ∃. Une propriété
P restreint le champ de la variable y. Le rôle des opérateurs Lambda, notés λ, qui apparaissent préfixés
aux variables x et P est de sélectionner les valeurs de ces deux variables pour lesquelles la formule est
vraie.
200
Sur la base de ces deux hypothèses, van Geenhoven explique (i) la portée nécessai-
rement étroite des noms incorporés, (ii) la transparence discursive de ceux-ci en groen-
landais, en postulant que le quantifieur existentiel fourni par le verbe est un quantifieur
dynamique 18 .
(58) Jean n’a pas acheté de voiture car {elles / *elle / *cette dernière / *ces der-
nières} est / sont trop chère(s).
Il s’avère donc que l’analyse de van Geenhoven doit être adaptée pour rendre
compte de toutes les propriétés caractéristiques des SN en de négatif.
18. Dans les représentations sémantiques classiques de l’anaphore, le référent de l’expression ana-
phorique est strictement identique au référent introduit par un SN indéfini dans un énoncé antérieur. Les
quantifieurs dynamiques implémentent cette identité stricte.
201
6.5 Conclusion
L’examen contrastif des propriétés morphosyntaxiques, sémantiques et discursives
des noms incorporés d’une part, et des SN en de d’autre part, a révélé un certain nombre
de parallélismes entre ces deux types de constituants. Nous avons vu que (i) les SN in-
définis en de sont des NP, et non des DP, (ii) ils peuvent être modifiés par des syntagmes
adjectivaux ou prépositionnels, (iii) leur occurrence se limite à la position d’objet di-
rect, (iv) en l’absence de facteurs liés à la sémantique lexicale, à la pragmatique ou
au contexte extralinguistique, le marquage en nombre n’est pas contraint et un phé-
nomène de neutralisation de l’opposition massif / comptable se manifeste, (v) ils ont
nécessairement une portée étroite par rapport à tout opérateur, (vi) ils peuvent, sous
certaines conditions, entretenir une relation anaphorique avec un pronom "e-type".
Ces similarités ouvrent des pistes intéressantes quant à une analyse des SN en de
comme un cas d’incorporation sémantique en français. Mais les phrases négatives ne
semblent pas être le seul cas où un phénomène d’incorporation nominale est à l’oeuvre
en français. Mathieu (2002a) fait une hypothèse analogue pour les phrases du type
(59) :
(59) illustre ce que Obenauer (1983) a appelé un cas de quantification non canonique.
D’autres constructions exhibent le même type de quantification, comme celles décrites
en (60) 19 :
Nous ne donnerons ici que deux propriétés significatives qui pourraient justifier
selon nous d’envisager une analyse des structures [de N] en (59) et (60) comme des
éléments incorporés au verbe dont ils dépendent. La première relève du parallélisme
structurel souvent noté entre ces phrases et les phrases négatives qui ont fait l’objet
de notre étude (Milner, 1978; Obenauer, 1983; Azoulay-Vicente, 1989; Battye, 1991;
Rowlett, 1993; Hirschbühler et Labelle, 1993; Bonnard, 1994; Muller, 1997). Si l’ana-
lyse en termes d’incorporation nominale est plausible pour les SN en de négatif, ce
parallélisme structurel mérite qu’on s’interroge sur la validité de cett hypothèse pour
19. La quantification est dite non canonique en (59) et (60) car le quantifieur de type adverbial apparaît
à distance du constituant [de N]. Obenauer parle de quantification canonique pour décrire les cas où ces
quantifieurs forment une unité syntaxique avec les structures [de N], comme en (i) :
(i) Anatole a mangé beaucoup d’escalopes.
Max a bu peu de vin au cours de la soirée.
Tu as lu combien de livres cet été?
Dans ce cas, il analyse les structures [QAdv de N] comme des SN quantifiés.
202
Dans cette thèse, nous avons étudié certains aspects interprétatifs des formes des
et de. Nous nous sommes tout d’abord interrogée sur l’interprétation des SN en des en
position sujet et ses rapports avec la généricité. Cette étude nous a amenée à établir
une distinction ternaire au sein des phrases génériques en opposant les phrases géné-
riques quasi universelles (1), les phrases génériques taxinomiques (2) et les phrases
génériques partitives (3) :
De ce point de vue, notre travail se distingue des études traditionnelles à deux ni-
veaux. D’une part, il met en évidence les propriétés d’un contexte particulier qui per-
met les interprétations génériques quasi universelles des phrases dont le SN sujet est un
SN en des. Il s’agit des contextes tels que (1c) dans lesquels le SN contient un élément
restrictif. Fondamentalement, cet élément doit pouvoir fonctionner comme prédicat au
niveau de la représentation sémantico-logique de la phrase. Le SN en des s’interprète
alors comme une subordonnée restrictive introduite par quand ou SI.
D’autre part, notre travail propose une caractérisation plus fine du concept récent de
généricité partitive en soulignant les propriétés qu’il partage avec la généricité quasi
universelle et celles qui le rapprochent de la partitivité. Crucialement, notre position
est que la généricité partitive est un phénomène dont il convient de rendre compte dans
une théorie plus globale de la généricité. Il en découle que le critère de quasi totalité,
très souvent érigé comme trait définitoire de la généricité, doit être révisé. Dans cet
esprit, nous avons posé les prémisses d’une analyse formelle, incluant la généricité
partitive, et destinée à rendre compte des interprétations génériques et non génériques
des phrases. Cette analyse reste bien sûr incomplète dans la mesure où elle ne prend
pas en compte le problème de l’habitualité par exemple.
204
Dans la seconde partie de cette thèse, nous avons tenté de résoudre la question
relative au statut et à la contribution sémantique de de dans les phrases négatives, où
il apparaît, combiné à un nom, en position d’objet direct. La question de la caractéri-
sation de de comme NPI a été envisagée. Nous rejoignons la position de Fauconnier
(1976), Gaatone (1971, 1992) et Muller (1987, 1991, 1997) en refusant de voir en de
un NPI. Les travaux de Giannakidou (1997, 1998) qui s’inscrivent dans une approche
plus générale et théorique de la polarité nous ont toutefois permis d’apporter de nou-
veaux arguments qui vont dans le sens de cette conclusion.
Indépendamment, les propriétés morphologiques, syntaxiques et sémantiques de de
ont révélé qu’il ne disposait pas de la plupart des propriétés caractéristiques des dé-
terminants en général, et des déterminants des et du en particulier. Sur la base de ces
observations, nous avons proposé d’analyser de comme un déterminant déficient et,
par conséquent, les structures [de N] comme des SN indéfinis semblables à des noms
"nus".
Notre apport à ce niveau est la reconnaissance d’un parallélisme entre les propriétés
des SN en de et celles qui caractérisent les noms incorporés. Les principaux arguments
que nous avons mis en avant pour justifier l’hypothèse que ces SN sont la manifestation
en français du phénomène d’incorporation sémantique concernent (i) le caractère dé-
ficient du déterminant de associé à des phénomènes de neutralisation du nombre et de
l’opposition massif / comptable, (ii) les restrictions d’occurrence de ces SN en position
objet et (iii) leur portée qui est toujours la plus étroite possible.
Notre travail se limite toutefois à la mise en évidence de ces parallélismes, sans que
soit proposée une analyse formelle des données descriptives. Une évaluation rapide du
traitement formel de l’incorporation sémantique proposée dans van Geenhoven (1998)
a révélé que cette analyse demanderait des ajustements pour rendre compte des don-
nées du français.
Le hongrois utilise précisément une construction incorporante pour décrire des acti-
vités régulières, c’est-à-dire habituelles. Typiquement, ce type de configuration induit
une non-individuation de l’objet incorporé, ce qui correspond plutôt à un emploi massif
du nom (cf. Mithun, 1984). Dans ce cas, le nom incorporé ne peut dénoter un individu
spécifique. De même, les SN indéfinis en (4) sont non spécifiques. Un processus de
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L’interprétation des syntagmes nominaux en des et de
en position sujet et objet
Généricité, habitualité et incorporation sémantique
Sophie Heyd
Université Strasbourg 2 - Marc Bloch
Département de linguistique
Résumé : Cette thèse est une contribution à l’étude de différents aspects de la sémantique
des syntagmes nominaux (ou SN) en des et en de. Elle s’articule autour de deux axes. La
première partie est consacrée au problème de la généricité et de l’habitualité des phrases
contenant un SN en des en position sujet. Nous proposons de distinguer trois types de
généricité : la généricité quasi universelle, la généricité taxinomique et la généricité partitive.
L’hypothèse défendue est que les SN en des peuvent accéder à ces différentes interprétations
génériques. La structure interne du SN s’avère être un facteur déterminant dans le choix du
type d’interprétation. Nous montrons notamment que la présence d’une restriction de nature
prédicative au niveau de la représentation sémantico-logique de la phrase est une condition
nécessaire à l’interprétation générique quasi universelle des phrases contenant un SN en des
en position sujet. La seconde partie est consacrée à la position objet et aborde la question
du rôle et de l’analyse sémantique de l’élément de dans les phrases négatives. Notre position
est d’analyser de comme un déterminant déficient, au sens où son rôle se limite à satisfaire
la contrainte syntaxique relative à la présence obligatoire d’un déterminant en français. Nous
montrons aussi que de n’est pas un item à polarité négative. L’hypothèse que nous défendons
est que les SN en de négatif sont la manifestation en français du phénomène d’incorporation
sémantique.
Abstract: This doctoral thesis focuses on two main topics in the semantics of French no-
minal phrases headed by des and de. The first part is devoted to the generic and habitual
reading of sentences with ‘des NPs’ phrases in subject position. We argue that three types
of genericity must be distinguished: (i) quasi-universal genericity, (ii) taxonomic genericity,
(iii) partitive genericity, and that all three interpretations are available with des DPs. The
internal structure of des DPs plays a crucial role in the selection of one of these three readings.
For example, the occurrence of a predicative semantic restrictive phrase in the logical form is
a necessary condition for the availability of the quasi-universal generic reading. The second
part deals with de phrases in object position within negative sentences. We suggest that de
is a deficient determiner, whose only function is to satisfy a formal constraint banning bare
NPs in French. We argue that de phrases in negative sentences cannot be considered as Nega-
tive Polarity Items, and exhibit most of the characteristics of semantically incorporated items.
Discipline : Linguistique
Mots clés : sémantique, syntagmes nominaux en des, syntagmes nominaux en de, généricité,
habitualité, négation, incorporation sémantique