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FDL Article p71
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développements récents
Alain Peyraube*
INTRODUCTION
1.1. Analogie
Le processus d’analogie (lèituī 类推), souvent cité dans les travaux des
linguistes chinois, n’a pas été pour autant l’objet de recherches approfondies au
cours des dernières années. Un certain nombre d’entre eux ont d’ailleurs
considéré qu’il s’agissait plus d’un facteur motivant que d’un mécanisme pur et
simple. La définition qu’ils en donnent est souvent reprise de celle de McMahon
(1994 : 71) : «generalization of a morpheme or relation which already exists in
the language into new situations or forms». Plus récemment, cependant, les
nouvelles recherches de Kiparsky (2012), qui distingue une «examplar-based
analogy» et une «non-examplar-based analogy» ont retenu l’attention des
diachroniciens chinois pour rendre compte des nombreux cas de fusion en bas-
archaïque (chinois classique par excellence, 5ème - 2ème siècles avant notre ère),
ou des cas de séparation quelques siècles plus tard, sous la dynastie des Han (1er
siècle avant notre ère).
Exemples de fusion en bas-archaïque : zhī 之 ‘pronom personnel de la
troisième personne’ + yú 于 ‘à’ > zhū 诸 ; bù 不 ‘négation’ + zhī 之 ‘pronom
personnel de la troisième personne’ > fú 弗 ; yú 于 ‘à, de’ + zhī 之 ‘pronom
personnel de la troisième personne’ > yān 焉 ; etc. Exemples de séparation en
pré-médiéval, sous les Han : zhū 诸 > zhī 之+ yú于; fú 弗 > bù 不 + zhī 之; yān
焉 > yú 于 + zhī 之.
1.3. Exaptation
notre ère) yě 也 comme un adverbe signifiant ‘aussi’, sept ou huit siècles plus
tard, en chinois médiéval. Un autre cas, identifié par Cao Guangshun
(communication personnelle), pourrait être l’emploi nouveau de nà 那, qui était
une préposition locative (avec le sens de ‘à’) dans les textes bouddhiques des
2ème-5ème siècles de notre ère, comme un pronom démonstratif lointain (sens de
‘cela’) dès la dynastie des Tang (7ème - 10ème siècles).
4 Par exemple le principe qui veut qu’une langue emprunte des structures auprès d’une
langue qui est plus prestigieuse. Il y a, en effet, de nombreux exemples d’emprunts en
chinois qui ont été faits auprès de langues altaïques qui étaient loin d’avoir le prestige de
la langue chinoise. L’opposition entre zánmen 咱们 'nous, pluriel inclusif' vs wǒmen 我们
'nous, pluriel exclusif’, qui est apparue dans la langue chinoise au 12ème siècle a été
emprunté à la langue djourchète, ancêtre direct du mandchou.
2.1. R. Djamouri
L’auteur montre dans cette contribution que l’ordre basique des mots de la
langue chinoise est et a toujours été un ordre SVO, et cela dès les plus anciens
documents découverts à ce jour, à savoir les inscriptions sur os et carapaces de
tortue de l’époque Shang (13ème - 11ème siècles avant notre ère). Il n’y a donc
aucune raison de penser que cet ordre ait pu être SOV en proto-chinois, sous le
seul prétexte que les langues tibéto-birmanes (qui forment l’autre branche du
sino-tibétain) manifestent, à quelques exceptions près, un ordre régulier SOV, et
qu’on pourrait ainsi recontruire un ordre SOV en sino-tibétain.
L’auteur s’intéresse plus particulièrement à cette structure particulière du
chinois ancien qui est la position préverbale du pronom objet dans des phrases
négatives, phénomène qui est observable sur plusieurs siècles, des plus anciennes
inscriptions des Shang (13ème siècle avant notre ère) jusqu’aux textes de la fin de
la dynastie des Han (2ème siècle de notre ère). Il montre bien que cette position
préverbale ne peut pas être analysée comme un reliquat d’un ordre plus ancien.
Cet emploi préverbal de l’objet direct dans les phrases négatives répond en
effet à une contrainte syntaxique précise et stricte qui a eu cours dès l’époque des
Shang, où seul l’usage de la négation bù est alors attesté. Ce marqueur de
négation ayant aussi une fonction de copule verbale, il permet d’extraire le
pronom objet et de former ainsi une phrase clivée. On a alors affaire à une
structure bù PRON.OBJ, qui correspond de fait à un ordre VO et non pas à un
ordre OV.
Djamouri remarque enfin que dans les documents ultérieurs de l’époque
archaïque qui représentent le chinois classique par excellence (5ème - 2ème siècles
avant notre ère), il y a finalement presque autant de phrases négatives où le
pronom objet apparaît en position préverbale que de phrases négatives où il
apparaît en position postverbale.
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