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Langue française

Traduire en français les rythmes de la poésie russe


Hélène Henry, Ève Malleret

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Henry Hélène, Malleret Ève. Traduire en français les rythmes de la poésie russe. In: Langue française, n°51, 1981. La
traduction. pp. 63-76;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1981.5098

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1981_num_51_1_5098

Fichier pdf généré le 04/05/2018


Hélène Henry, Université de Paris-VIII
Eve Malleret, Lycée Évariste Galois, Sartrouville

TRADUIRE EN FRANÇAIS
LES RYTHMES DE LA POÉSIE RUSSE

Notre pratique de la traduction de la poésie russe (Maïakovski, Brodski,


Tsvétaïéva. Mandelstam, et récemment Pasternak) nous a conduites à placer
au centre de notre réflexion le statut spécifique du « langage en vers » (Tynia-
nov).
Partant de cette expérience commune nous proposons deux articles
complémentaires, aux visées différentes :
— Hélène Henry étudie le problème du passage de la poésie russe
contemporaine à la poésie française du point de vue de la métrique (opposition vers
mesuré/vers libre).
Eve Malleret s'interroge sur la tonicité de la poésie russe, les possibilités
de la réaliser en français et les conditions de sa réception dans le domaine
culturel français.

La poésie française saurait-elle devenir « tonique » par l'effet


de la poésie russe traduite?
par Eve Malleret

Les données
Le traducteur français de poésie russe, partant de son insatisfaction
devant les traductions existantes et de ses propres difficultés à trouver des
solutions dans le domaine des rythmes, en vient à se poser, à un moment ou à
un autre, le problème de la pertinence du calque métrique.
Le seul fait de se poser cette question semble a priori absurde au même
titre qu'une traduction littérale ne pourrait tenir lieu de traduction poétique.
La notion même de calque est, par son littéralisme, antinomique du travail de
la traduction poétique qui est relation différentielle, dialectique à la fois de
deux langues, deux cultures, deux individus.
Mais la nécessité coriace de trouver quelque mesure commune aux vers
russes et français conduit à cette question.
On bute au départ sur les données de la différence phonique et accen-
tuelle des deux langues :

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— le russe est une langue à accent tonique variable,
— le français — à accent final de groupe. Claudel parle de ce « défaut du
français qui est de venir d'un mouvement accéléré se précipiter la tête en
avant sur la dernière syllabe1. »
Corrélativement la versification française est basée sur le syllabisme,
tandis qu'il existe en russe une systématique métrique basée sur les
alternances de l'accent tonique.
On se trouve donc devant une impossibilité de départ : « Aller des vers
toniques à des rythmes syllabiques — ceci est apparemment condamné à
jamais : les accents sont plus forts que le nombre des syllabes2. »
Certes, le problème du choix du mètre en français pour traduire tel mètre
russe en est un parmi d'autres — choix prosodiques, syntaxiques,
lexicaux, etc.. et il n'est pas nécessairement déterminant pour ce qui constitue
l'architecture d'ensemble, le « rythme » du poème traduit (« rythme », ici :
« organisation du sens dans le discours3 »).
Il est moins crucial, sans doute, lorsqu'il s'agit de traduire des poètes
du xixe siècle, dans la mesure où versifier actuellement en français renvoie
presque nécessairement au xixe siècle; à ceci près que l'on risque facilement
de tomber dans une stylisation anonyme et que l'on est confronté aux
subtilités de « l'effet de siècles4 ».
Quand il s'agit de poésie russe moderne, qui le plus souvent conserve
une métrique traditionnelle (quitte à livrer un combat intérieur au mètre), le
traducteur français se trouve devant l'alternative suivante :
— faire des vers libres en français,
— tenter un calque métrique qui risque de n'être pas perçu.

Trois traductions du vers tonique de Maïakovski

Deux extraits du Nuage en pantalon (1915)

V ulicax Telo tvojo


ljudi žír prodyryavjat v cetyryeèta- ja budu berec'i ljubit,
znyx zobax, vycunut glazki, как soldat,
potjortyje v sorokgodovoj taske, obrublennyj vojnoju,
perexixivat'cja, njenuznyj,
sto u menja v zubax nicej,
- opjať! - berezot svoju jedinstvjer nuju nogu.
cerctvaja bulka vcerasnjej laski.
Dozď obrydal trotuary, Maria —
luzami szatyj zulik, nje xoces'?
mokryj, lizet ulic zabityj bulyžnikom Nje xoces'!
trup, a ha sedyx resnicax —
da! - Xa!
na rjesnicax moroznyx sosuljek
sljozy iz glaz — Značit — opjať
1. P. Claudel. Réflexions sur la poésie, Paris. Gallimard, coll. Idées. 1963. p. 79.
2. E. Ktkind, Poésie et traduction, Leningrad, 1963. p. 290.
3. H. Meschonnic, L'enjeu de la théorie du rythme, N.R. F., juillet-août 1980. p. 104.
4. J. Roubaud, Les troubadours, Seghers. Paris, 1981, p. 57.

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da! — temno i ponuro
iz opuscennyx glaz vodostocnyx trub. serdce voz'mu,
sljezami okapav,
nésti,
как sobaka.
kotoraja v konuru
nesjot
perjejexannuju poezdom lapu.

La poésie de Maïakovski (comme celle d'ailleurs de Tsvétaïéva) peut être


prise comme exemple de difficulté-limite pour le traducteur français du point
de vue qui nous intéresse : qu'ils conservent ou non les mètres connus (en les
démolissant de l'intérieur — c'est le cas de Tsvétaïéva), on peut dire que
« l'image rythmique » est le fondement de leur poétique.
Dans le genre du « Poème » — longue fresque poétique, très utilisée par
les poètes des années 20 et Le Nuage en pantalon en est un — Maïakovski
essayait de créer une « rumeur rythmique » unique tout au long du poème.
Dans son article Comment faire des vers il explique qu'il n'allait pas du
mètre au vers, mais au contraire du matériau rythmique au mètre. C'est
l'écoute de cette « rumeur rythmique » intérieure qui lui dictait le poème.
1 ) Le caractère subjectif, arbitraire de ce rythme, peut expliquer le choix
que fait C. Frioux dans sa traduction du Nuage en pantalon : il s'en remet
pour la version française à l'intonation, au geste de la voix, à une sorte
d'élan qu'il essaie de donner au français. Voici les deux extraits :
Dans les rues
les gens empilent leur graisse,
les yeux émergent à peine,
usés par un frottement quadragénaire.
Ils ricanent
en voyant entre mes dents
à nouveau
une caresse d'hier comme un morceau de pain rassis.
La pluie a inondé le trottoir en sanglotant,
comme un voleur traqué entre les flaques
elle lèche le cadavre des rues bourré de pavés
et sur les cils gris,
oui —
les cils des stalactites gelés
coulent les larmes,
oui —
les larmes des gouttières aux yeux baissés.

Ton corps
je veux le choyer et l'aimer
comme un soldat
raccourci par la guerre,
inutile,
sans personne,
choie sa jambe unique.
Marie

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veux-tu
non?
Alors,
sombre et morne
je prendrai mon cœur
et l'ayant baigné de larmes
je le porterai
comme un chien
qui traîne vers sa niche
sa patte écrasée par un train.

Cette traduction rend compte de la « rugosité » sonore (terme de Maïa-


kovski) du poème grâce à un jeu de rimes intérieures (graisse/caresse/rassis)
et d'allitérations (trottoirs/sanglotant/traqué) (cadavre/pavés), mais les
syncopes, les heurts du rythme comme tels ne sont pas rendus : pas de rimes,
alors que la rime est chez Maïakovski un facteur essentiel d'organisation du
rythme dans son vers irrégulier, souvent disposé en escalier; la rime
regroupe des « paquets » sonores de tailles inégales et martèle le texte.
Les strophes ou sections ne sont pas non plus ici respectées : est-ce la
volonté de rendre la tension tonique jamais défaillante en russe par un
continuum qui doit assaillir par accumulation?
Les images de Maïakovski « passent » toujours en français (c'est ce qui
a permis à Eisa Triolet de donner une première idée aux Français de
l'ampleur de ce poète), elles sont toujours originales, brutales, puissamment
organisées.
Mais dans la présente traduction la syntaxe est aplatie. Par exemple,
les deux coups d'arrêt visibles « — opjat' — » et « da! — », « da! — » sont
gommés en français :
« en voyant entre mes dents
à nouveau
une caresse »
la disposition sur trois lignes n'empêche pas le lecteur de percevoir une phrase
continue, prosaïque. De même le « oui » ne rend pas l'intonation, ni le rythme
du russe; cela vient sans doute de l'attaque consonantique du « da » russe et
de ce qu'il fait rythme en russe grâce à l'environnement allitératif en « d ».
Ni heurts, ni syncopes, mais accumulation. A vrai dire, C. Frioux part
lui-même du principe que l'on ne peut « restituer l'étonnante qualité de la
manière poétique chez Maïakovski, où chaque mot porte par une conjuration
du son, du sens et de l'accent tonique5 ». Dès le départ il fait son deuil d'un
travail sur le rythme en français, en compensant par une surenchère lexicale
(qui traîne vers sa niche
sa patte écrasée par un train). Cf. en russe « porte », et par une « spontanéité »
d'intonation.
Mais comme la syntaxe est aplatie, prosaïsée, le passage à la ligne est
arbitraire et nous est donné un texte poétique, mais ce ne sont plus des vers.
2) La traduction du Nuage en pantalon de C. Dobzynski (Les Éditeurs
Français Réunis — La petite sirène) est un exemple plus net de déplacement

5. C. Fhioux. Maïakovski par lui-même, Le Seuil, p. 122

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sur le terrain français. Il n'est pas négligeable de noter que Dobzynski est
poète français et qu'il a utilisé la médiation d'un russisant pour sa traduction.
Que les gens dans les rues
percent la graisse
des triples mentons étages.
Qu'ils fassent de petits yeux
usés par quarante ans d'errance,
et ricanent
devant mes dents
où reste encore
le pain rassis des caresses d'hier.
La pluie en pleurs inonde les trottoirs,
un filou, cerné par les flaques,
détrempé lèche le cadavre
des rues que les pavés ont lapidées.
Et sur les cils gris —
Oui!
Sur les cils où le gel accroche
en glaçons
les larmes qui coulent des yeux —
Oui!
Par les yeux baissés des gouttières.

Ton corps,
J'en prendrai soin et l'aimerai
comme un soldat,
mutilé par la guerre,
inutile.
sans liens,
prend soin de son unique jambe.
Maria —
Tu ne veux pas?
Tu ne veux pas?
Ah!
Il me faudra donc encore,
sombrement,
prendre mon cœur
et le porter dégoulinant de larmes,
comme un chien
ramène vers sa niche
sa patte écrasée par un train.

La version française coule bien, Maïakovski est ici élégantifié. Le


caractère discontinu de la syntaxe est tout à fait gommé; il ne s'agit plus de
l'accumulation précédente, mais la fluidité des sonorités aidant, la phrase est
vectorisée vers sa fin sans interruption :
« un filou, cerné par les flaques,
détrempé lèche le cadavre
des rues que les pavés ont lapidées. »

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Le choix du lexique poétise le texte dans un sens anti-Maïakovskien :
« usés par quarante ans d'errance » : ce mot, soutenu par cette nasale longue,
renvoie à un brumeux cliché poétique, alors qu'en russe il se réfère à un
registre plus trivial, comme souvent chez Maïakovski; le mot « taska » évoque
l'idée de « se trimballer ».
C'est encore la recherche d'une élégance lexicale qui donne :
« comme un chien
ramène vers sa niche
sa patte écrasée par un train ».
L'image est donnée, mais aplanie, parce que rien ne dépasse, rien n'est
rugueux; le choix des assonances l'est également (mutilé/inutile/sans
liens/unique), celles-ci bercent plutôt qu'elles ne réveillent.
La traduction de C. Dobzinski, par rapport à la précédente, présente la
qualité d'être un « beau texte » français, très lisse, qui se « lit » bien, mais
où seules, là aussi, les images passent. Le rythme de Maïakovski est
imperceptible en français.
Or justement sa poétique repose sur le travail de la voix; son vers est
avant tout déclamatoire, il détache chaque mot qui prend une valeur sonore
pour lui-même.
C'est cette mise en relief du mot comme matériau-unité qui manque dans
les traductions françaises où la chaîne syntaxique le noie.
3) La traduction de C. David (Éditions Le Champ du possible) semble la
plus intéressante de ce point de vue :
Dans les rues,
les gens percent le gras de goitre à quatre rangs.
Ils font de petits yeux,
usés qu'ils sont par la frottée de quarante ans, —
et eux de ricaner
devant mes dents
où reste encore
le pain rassis des caresses d'hier.
La pluie pleure sur les trottoirs.
Un filou, trempé, coincé par les flaques,
lèche le cadavre des rues lynché par le pavé.
Mais sur ses cils gris —
Oui!
sur ces cils, stalactites de glace
des larmes coulent de ses yeux —
Oui!
des yeux baissés des tuyaux de descente.

Ton corps,
j'en prendrai soin et l'aimerai,
comme un soldat.
émondé par la guerre,
inutile,
solitaire,
prend soin de son unique jambe.

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Maria —
tu ne veux pas?
Tu ne veux pas!
Ah!
Ça veut dire qu'encore,
sombre et morne,
je prendrai mon cœur
inondé de larmes
pour le porter
ainsi qu'un chien
porte à sa niche
sa patte écrasée par un train.

C. David essaie de rimer, de produire, même des rimes composées (quatre


rangs/quarante ans), la prosodie comporte l'énergie et l'aspérité nécessaires
(« Le gras de goitre à quatre rangs »). Les inversions, la variété syntaxique
concourent à créer les saccades voulues (« usés qu'ils sont », « et eux de
ricaner »), et surtout l'intonation est parlée, orale (« ça veut dire qu'encore... »).
On ne peut pas dire que même cette traduction rende compte de cette
formidable orchestration sonore qu'est le poème de Maïakovski, de l'énergie du
rythme, mais elle présente l'intérêt, par sa syntaxe heurtée, ses tournures
parlées, sa ponctuation éloquente (alternance de points d'interrogation et de
points d'exclamation : « tu ne veux pas? », « Tu ne veux pas! », d'inviter à
la diction, à la réalisation orale. Le texte devrait être une « partition » pour
la voix, l'interprétation orale.

Vers une reconquête de Voralité?


La tradition française va de la poésie chantée, à une déclamation non
chantée (entre le xne et le xve siècle), en passant par l'expérience ponctuelle
de Baïf et de la Pléiade qui ont remis à l'honneur la déclamation musicale,
puis de nouveau à la déclamation simple jusqu'à nos jours — on pourrait dire —
à l'absence de déclamation, à la disparition de l'oralité.
Ceci est à moduler, mais la confrontation avec la tradition russe est à
cet égard saisissante : la poésie y est avant tout orale et destinée à la
déclamation collective.
En France les tendances actuelles (par les recherches typographiques,
les effets de rythmes visuels) rendent la poésie avant tout visuelle, la figeant
sur la page. Elle est visuelle et individuelle;
(La « poésie élémentaire », purement sonore, basée sur l'enregistrement
de syllabes modulées et rythmées par la voix humaine, parce qu'elle désé-
mantise par principe la poésie, n'est pas prise ici en compte.)
C'est le statut du poétique qui est en cause dans les deux cultures
différentes : ici visuel est corrélé à individuel, là oral à collectif.
Des tournées futuristes en Russie, aux concerts poétiques des années 60
où des salles gigantesques écoutaient déclamer Evtouchenko, même si
actuellement cette ampleur de rassemblement n'existe pas, la tradition demeure
d'une poésie faite pour être dite et partagée : la radio en diffuse à tout pro-

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pos, les clubs de poésie pullulent, il est rare qu'une soirée amicale ne soit pas
l'occasion de se dire les vers qu'on aime.
Il a existé un phénomène comparable — de lecture publique de masse —
aux Etats-Unis dans les années 60, qui tourne actuellement au « Business ».
J. Roubaud évoque les dangers, les limites de telles manifestations qui peuvent
aboutir à une suppression de la tension requise par l'écoute poétique. Mais
il affirme : « malgré tout j'aime bien! Parce qu'il y a des choses qui finissent
par être complètement privées de toute possibilité d'oreille autre. 6 »
Vues de France, ces manifestations semblent riches de toute façon.
Lors d'une table ronde organisée par la revue Encrages à l'Université
de Paris-vin-Vincennes en mai 1979 sur le thème « Traduction prosaïque ou
traduction prosodique? », le traducteur H. Gobard parle de la « surdité
institutionnelle » des Français, de « la perte d'une sensibilité à une dimension
audio-orale ».
Il n'est pas étranger à ce fait que les poètes actuels aient tendance à
écrire en vers libres qui, par leurs contraintes rythmiques en partie
aléatoires et subjectives, suscitent une réception plutôt visuelle-cérébrale.
(« Puisque la donnée primordiale du vers libre est d'être seulement une
stratégie de coupures, il ne peut pas avoir une existence seulement orale7. »)
Л l'inverse, un poète soviétique de quarante ans, comme Brodski,
continue d'utiliser la métrique classique (en luttant avec elle, bien-sûr, mais en la
conservant); ce qu'on peut lier au fait que la poésie existe pour être dite à
d'autres, devant d'autres, en tout cas réalisée oralement.
Il y a une éthique de la poésie et de son statut dans le contexte culturel
soviétique qui n'a pas d'équivalent en France : il y avait un moralisme
grandiose de Maïakovski pour qui la parole du poète portait une responsabilité
civique, les interventions poétiques publiques de Evtouchenko au moment de
la déstalinisation participaient d'un courage politique, actuellement les
choses se sont déplacées : certains noms — Pasternak, Mandelstam,
Akhmatova sont comme des mots de passe entre amis d'un même cercle, de mêmes
communautés de pensée et qui se reconnaissent dans leurs poèmes, non
seulement parce qu'il y a rencontre d'affinités, goût commun pour la poésie, mais
parce que ces noms représentent des voix singulières qui se sont affirmées
contre une idéologie régnante qui nivelle le langage, et souvent malgré un
pouvoir qui les empêchaient (physiquement) d'écrire ou bien de se faire
publier.
La singularité du talent devient une valeur essentielle dans un contexte
qui l'écrase par principe, et la poésie — comme l'art en général — tient lieu
de signe de ralliement contre un ordre politique, tient lieu même souvent de
religion.
Tout cela constitue des conditions de réception de la poésie très
différentes de ce qui existe en France (où la poésie et l'art ont rarement été l'enjeu
explicite d'un combat politique, la scène est ailleurs — dans les institutions
publiques.)
Ces circonstances expliquent en grande partie pourquoi la voix des poètes
russes se fait mal entendre du public français, même dans les bonnes
traductions.
6. J. RoiiBAtiD, Encrages, printemps-été 1900. Paris-VIII, Rencontre autour des anthologies de poésie
américaine contemporaine, p. 20.
7. J. RoiiBAun. La vieillesse d'Alexandre, Maspéro. 1978, p. 119.

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Pour sortir de ce dilemme, tenter d'échapper à notre « surdité
institutionnelle », on pourrait suggérer — avec le volontarisme que cela peut
comporter puisqu'il s'agit d'aller contre le courant collectif—, non seulement
de multiplier les lectures publiques de poésie, mais aussi de vendre la poésie
à la fois sous forme de livres imprimés et de cassettes magnétiques.
Toute expérience de réalisation sonore donnerait peut-être une chance à
la poésie russe de vivre en milieu français avec son étrangeté.
D'autre part elle permettrait de reculer les limites de notre peu de goût à
dire et à entendre.

Donner un statut à la métrique.


(A propos de quelques tentatives de traduction de la poésie de
Pasternak.)
par Hélène Henry

A traduire, aujourd'hui, en France, les poètes russes du xxe siècle, on se


heurte très vite au problème de la métricité maintenue de la poésie russe
contemporaine. Les poètes majeurs du xxe siècle, Tsvetaïeva, Mandelstam,
Akhmatova, Pasternak (le plus « régulier » d'entre eux sans doute),
Khlebnikov (dans sa pratique du « vers iambique libre »), tous comptent et
riment. A cet égard, Maïakovski, qui pourrait paraître faire exception, est
en fait l'héritier d'un système de versification accentuelle lui aussi solidement
inscrit dans une tradition, puisque, venu d'Allemagne, il coexiste en Russie
avec le système dominant syllabo-tonique dès le début du xixe siècle et tend
à s'affirmer toujours plus. (Tioutchev, Fet, Alexandre Blok1.) Plus près de
nous encore, Brodski, et, à sa suite, toute la jeune « école de Leningrad »,
Kouchner. Bobychev. ne songe pas à remettre en question le statut de la
métrique classique2.
Le maintien de la métrique va de pair avec la marginalité persistante
du poème en prose ou des formes intermédiaires. Le fragment en prose, en
Russie, ne se construit comme poème que par référence à un extérieur de la
poésie : par exemple, pour la poésie de Kharms, la tradition de Г« anecdote »
(« Anecdotes tirées de la vie de Pouchkine ») 3. Quant au vers libre, tel qu'il
se constitue en France au début du siècle sur la débâcle des formes versifiées,
pour devenir forme dominante et bientôt canonique, il n'a pas d'équivalent
en Russie. La poésie « majeure », là-bas, est comptée et rimée, et la métrique
est sentie comme fondatrice de la poésie.
En France, au contraire, la poésie est depuis longtemps hors du vers. En
témoigne une querelle récente dans laquelle prend parti le poète et
traducteur anglais Keith Bosley : a-t-on le droit de traduire en vers libre, en
américain, aujourd'hui, la poésie de Mandelstam? J. Brodski dénonce toute
pratique de ce type comme « décadente ». A cela, Yves Bonnefoy répond que
le mètre régulier peut être senti comme la « métaphore » d'un fonctionnement
social totalitaire coercitif, et que le mètre est un anachronisme 4. Ces deux
points : métrique/contrainte et métrique/anachronisme disent tout sur le
statutt du mètre aujourd'hui en poésie française.
1. Sur ces questions, voir Jihmunsku, Teorija stixa, Leningrad, 1975.
2. Voir The living mirror, Jive young poets from Leningrad. Suzanne Massie, Ne w York. 1972.
3. D. Kharms, Sonner et voler, Gallimard. 1976.
1. Fit only for Barbarians, Encrages 4/5. Poésie/Traduction, 1980. p. 41.
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Il est loin d'être évident, en effet, qu'un poème versifié russe trouve «
naturellement » son équivalent dans un poème français élaboré selon les
principes traditionnels de la métrique et de la prosodie, tant sont divergents les
chemins qu'empruntent les deux cultures. En France, le moment où Gram-
mont édite, pour la première fois, son « Petit Traité de Versification
Française 5 », est aussi celui où éclate la « crise de vers » nommée par Mallarmé.
La norme se reformalise et se reformule au moment même où elle est plus
menacée. Mouvement connu, mais qui prouve du moins qu'en France la
métrique est la norme par excellence, que les contraintes métriques y sont
métonymiques de la contrainte langagière dans son ensemble.
Si, au contraire, la poésie russe maintient sa métrique, c'est peut-être
qu'elle ne la considère pas comme l'obstacle majeur à la libération du
langage poétique. Dans les manifestes du Futurisme russe les plus virulents,
jamais la métrique n'est visée en tout premier lieu. Dans le Vivier des Juges,
l'« affranchissement des rythmes » n'arrive qu'en huitième position, après le
démembrement du lexique et de la syntaxe et après le refus de l'orthographe 6.
Quant à la rime, il n'est question que de la « simplifier » et de la « réformer ».
Singulière mansuétude de la part de révoltés qui clament leur « haine » de la
langue du passé! Un peu plus tard s'inaugure en Russie un travail théorique
solidaire des nouvelles pratiques, et c'est alors que Brik, Jirmunski, Toraa-
chevski, Tynianov, revenant sur la tradition du vers mesuré, en font l'objet
même de leurs investigations.
On risque donc, en traduisant Tsvetaïeva ou Mandelstam en vers
réguliers français, de s'exclure apriori, pour un récepteur contemporain de langue
française, de la modernité. A traduire Pasternak en alexandrins ou en
octosyllabes, on court le risque de l'archaïser d'emblée, la métricité le renvoyant
dans un en-deçà de la crise des formes qui en France comme en Russie signale
le xxe siècle. Nous aurons cru traduire Pasternak, et c'est Fet qu'on lira. Le
vers libre semble donc seul capable de situer le texte traduction dans un
aujourd'hui de la poésie.
En effet, dans les anthologies de ces dernières années, ce que nous
trouvons est bien une sorte de vers libre : redite du « sens » de l'original, fondée
a contrario sur Г « impossibilité » de la métrique (la métrique sentie, on l'a vu,
comme forclose, apanage des « grands poètes » des siècles passés), et qui
compte sur l'« exactitude lexicale » — un mot pour un mot — et sur le calque
syntaxique pour « rendre » quelque chose du texte russe. Une sorte de calque
typographique s'y ajoute, qui va à la ligne là où le russe va à la ligne, sans
que ce passage puisse être sémantisé, faute d'une organisation générale des
signifiants.
« Poésie! Quand sous le robinet
Le truisme reste aussi creux que le zinc du seau,
Même alors jaillissement continu
Sur mon cahier ouvert, répands-toi!7 »
En russe, la strophe se soutient de la rime-calembour : truism/struis', aux
vers deux et quatre : mise en rapport et tension d'un substantif importé,
néologisme spécialisé senti comme agression d'un lexique traditionnel de la poé-
5. La première édition date de 1908.
6. Literaturnye Manifesty, 1923. réédition Slavisrhe Propyláen. Munich. 1969. p. 79.
7. Jacqueline de Phoyakt, Pasternak, Gallimard. 1964. p. 95. Il s'agit de la dernière strophe du poème
de « Thèmes et variations » : « La poésie ».

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sie, au même titre que le « zinc » et le « robinet », et d'un verbe à l'impératif
(coule! jaillis!), déjà présent au vers trois par le substantif « struja » (l'onde),
et qui, pour une oreille russe, connote toute une culture poétique du début
du xixe siècle, tradition de l'élégie, poésie russe aux sources mêmes de son
jaillissement, lyrisme, chant, musique.
« Poesija : kogda pod kranom
Pustoj, как cink vedra, truism,
To i togda struja soxranna,
Tetrad! podstavlena, — struis'!. »

Cette complicité prosodique de l'hétérogène lexical construit ici toute une


conception de la poésie où le concret, le banal et le vulgaire, mis en relation
avec le « poétique » ou « l'élevé » s'entre-déforment pour produire une
parole neuve. Sans une mise en système de ces éléments, en français, il n'y
a pas traduction.
Ce type de traduction démissionnaire, faussement modeste,
uniformisante, dépourvue d'organisation propre, peut, dans certains cas, faire
illusion, car elle supplée à la carence d'un rythme par une poétisation qui
emprunte ses éléments les plus reconnaissables à une tradition figée et non
renouvelée du vers libre. Son critère de réussite est la lisibilité immédiate.
Elle tend à nous donner du déjà familier, où des échos d'Apollinaire, de
Desnos ou d'Éluard composent une sorte de koiné poétique d'où le sujet
est d'abord expulsé.
« Dans la paume agile de ma main venait manger une volée de touches blanches
Qui fouettaient l'air et gazouillaient dans un clapotis d'ailes 8 »... [et noires,

Caractéristique de la francisation-poétisation est ici l'allongement de la


phrase. Le russe dit seulement : « Je nourrissais à la main une volée de
touches ». Le traducteur ajoute trois épithètes. « Blanches et noires » n'est
qu'une redondance visuelle pour « touches », comme si l'accentuation de
la visualisation véhiculait, de façon privilégiée, le poétique. « Agile » est
encore moins justifié, et ne fait que signer une conception ornementale du
style qui veut que l'adjectif ajoute la poésie au substantif. D'autre part, la
phrase ainsi allongée tend à se constituer en unité rythmique et prosodique
autonome. La relative, allongée elle aussi, lestée de deux verbes à un mode
personnel et d'une circonstancielle, là où le russe donne une suite de
substantifs, s'autonomise à son tour : ainsi se déconstruit, en français, le
système strophique qui fondait l'organisation du sens en russe :
« Ja klavisej staju kormil s ruki
Pod xlopanje kryljev, plesk i kljokot. »
En russe, l'énoncé est un, il forme un tout travaillé par le mètre (marquage
du rejet), et par la chaîne prosodique (système des consonnes, paradigme
-kr-). Cette non-prise en considération du système propre au texte russe
constitue un véritable détournement du texte de départ, gommage et
dissolution d'un rythme.
Cas-limite de cette colonisation, la contre-façon pure et simple. A. du
Bouchet, sous le titre « Haute Maladie » et le chapeau « Proses », recompose
en ensemble des fragments découpés à l'emporte-pièce qui dans leur juxta-
8. Yves Bercer, Boris Pasternak, Seghers, 1958. On cite ici les deux premiers vers du poème «
Improvisation » (dans : « Par-dessus les Barrières»), traduction Emmanuel Rais et Jacques Robert, p. 91.

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position ont charge de définir un « art poétique » de Pasternak9. La
pratique universitaire des « citations allant dans le même sens » est ici complice
d'une falsification plus subtile : on contrefait Pasternak en détournant le
titre de son long poème en vers « Haute Maladie », en découpant, çà et là,
dans l'œuvre de Pasternak des morceaux dont la provenance n'est pas dite —
ce qui peut faire attribuer à Pasternak une pratique démonstrative de la
juxtaposition de fragments. Bien plus, on met en équivalence fonctionnelle des
fragments en prose (« Sauf-Conduit ») et des vers tirés de « Haute Maladie »,
typographiquement assimilés au reste, traduits comme prose et annoncés
comme telle :
« J'ai honte, plus honte chaque jour, qu'en une époque que traversent de telles
ombres, un certain haut mal soit encore nommé poésie.

L'homme est muet, c'est l'image qui parle. Car il est évident que l'image seule
peut se maintenir au pas de la nature.

L'image (...) »
Et ainsi de suite.
En France, Char ou Michaux écrivent ainsi. Rien n'est plus étranger à
Pasternak.
Les seules traductions qui parviennent, en poésie russe contemporaine,
à résister à ce type d'annexion, sont celles où l'on repère une tendance à la
prise en compte des schémas rythmiques-prosodiques de l'original russe, avec
ce que cela suppose, en français, de déplacement du vers libre vers une sorte
de metrické. Et c'est bien là ce qui fait problème. Qu'on examine, par exemple,
la traduction que donne G. Arout du poème inaugural de « Ma sœur la Vie » :
« A la Mémoire du Démon » 10 :
« II venait à la nuit
Dans le bleu des glaciers
Loin des bras de Thamar.
De ses ailes il marquait
Où devait commencer et mugir
Où finir
Le cauehemar. »
En russe :
« Prixodil po nočam
V sineve lednika ot Tamary.
Paroj kryl nameČal
Gde gudeť, gde končaťcja kosmaru ».
Le traducteur dédouble les vers, transforme la strophe, mais il la conserve
comme unité d'inscription de la signification. Elle se construit dans le système
prosodique : Thamar/marquait/cauchemar. Il y a calque syntaxique, mais
aussi calque métrique : l'accent de groupe du français mime le pied anapes-
tique russe : vv — . La versification, en français, est loin d'être canonique :
9. Ibid., p. 194.
10. Sept poètes de la Révolution Russe, Paris, 1945. traduction G. Arout. p. 110.

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la cadence est maintenue grâce à l'élision illicite : « De ses ailes il marquait »,
et grâce à l'aniuïssement du -e- de « cauchemar ». Ce qui importe ici, c'est
l'orientation de la traduction sur le rythme, et une certaine prise en compte
de la métricité du poème russe.
On s'aperçoit en effet que le traducteur ne peut se permettre de
méconnaître le statut de la métrique dans l'organisation rythmique de la poésie
russe moderne. Il ne peut ignorer que, chez presque tous, la métrique s'impose
comme dominante, dans la mesure où elle met enjeu de façon privilégiée la
relation à la tradition.
C'est ainsi que pour Mandelstam, le poème n'existe qu'en tant qu'il
« dialogue » avec un autre poème. Chaque nouveau poème replace dans
l'avenir toute la poésie qui l'a précédé, et le vers est « reconnaissance » de
tous les vers déjà dits. Khlebnikov radicalise une position analogue dans
certains textes où les unités de la métrique et de la prosodie deviennent les
acteurs individualisés d'un débat dramatisé sur les enjeux de l'écriture11.
C'est cette remise en système de données anciennes, déjà formalisées, qui
définit la spécificité de la poésie russe au xxe siècle. Franciser un poème russe,
c'est, le plus souvent, avoir ignoré cette spécificité.
On montrera, par exemple, que la poétique des premiers recueils de
Pasternak se définit avec et contre la métrique. Dans « Ma Sœur la Vie »,
l'écriture est rupture, éclatement, explosion des mots en liberté, mais cette rupture
n'est sentie comme telle que parce qu'elle se donne la tradition comme butée,
dans un seul et même mouvement dénonciation. La référence explicite à
Lermontov, le découpage en cycles et en sous-cycles, les citations en exergue,
la rhétorique maintenue, la régularité du vers syllabo-tonique (presque jamais
démentie), tout ce qui connote le xixe siècle — sémantisent le morcellement,
l'accumulation, la prolifération, la fragmentation lexicales et prosodiques
qui organisent le recueil : sons en échos, éclats de mots, généralisation du
pluriel, dynamisation des sonorités : l'organisation des signifiants n'a de
sens que contenue dans et par le mètre, portée et limitée par lui, affrontée au
langage versifié, son adversaire et son complice :
« Secoue mon âme! Qu'à l'instant toute entière elle déborde et qu'elle écume!
« II est midi dans l'univers! Mais tes yeux, où sont-ils?
Vois! nos pensées, là-haut, se sont figées en une blanche écume
Où se mêlent piverts, aiguilles et pommes de pins, et la chaleur et les nuages 12. »
Cette même strophe, traduite en vers mesurés, ici en alexandrins, peut
donner, par exemple :
« Que ton âme s'émeuve! Oh, qu'elle écume toute!
Le monde est au zénith. Que fais-tu de tes yeux?
Vois là-haut nos pensées, bouillonnant en déroute
De nuages, de vents, de faînes et de freux! »
Le premier vers joue sur le verbe « émouvoir ». Le vieux sens de « mettre en
mouvement » y est réactualisé, tandis qu'est promue par ailleurs
l'association : âme, émouvoir, émotion. Le procédé est très loin du russe, qui dit :
« Raskolyš ze dušu! » :
« Fais se remuer ton âme »,
1 1. On se reportera aux analyses faites par J.-C. Lanne dans sa thèse de Doctorat d'État : Le système
poétique de Khlebnikov, t. 2, pp. 351 sq.
12. Boris Pasternak, Seghers, op. cit., p. 105 (« La Montagne aux Moineaux »), traduction E. Rais.

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comme on dit : « Remue-toi! » C'est là l'intonation familière de la voix
vivante, associée à un renouvellement de la phraséologie : l'âme est lambine
comme une femme morose. Or ce glissement lexical, ce décalage des procédés
dans le passage du russe au français a quelque chose à voir avec la métricité
du vers :
« Que ton âme s'émeuve! »
En français, l'hémistiche s'est construit sur l'écho inversé, en miroir : -m-
plus voyelle « longue ». Qu'on compare la version, métriquement et lexica-
lement possible :
« Fais donc bouger ton âme! »
L'alexandrin, ici, a donc vocation de construire quelque chose des schémas
prosodiques qui organisent le sens en russe. L'écueil est qu'il le fasse par
redite, par vitesse acquise et par inertie. On vient de le voir, la construction
de la signification est toujours à reconquérir sur l'automatisation qui est le
propre du vers canonique français : par sa situation au centre de la métrique
française, l'alexandrin favorise la prolifération des archaïsmes, la
neutralisation des vulgarismes, une certaine mécanisation de la « musique » du vers
(par multiplication et non-renouvellement des rimes répertoriées, par
exemple). C'est ainsi qu'au vers trois, forte est la tentation de « pensers »
pour « pensées ». Rien dans le sémantisme du poème ne justifierait cet
archaïsme, ou ce raffinement conceptuel, à supposer qu'il s'agisse de cela.
Non, « pensers » vient appelé par l'inertie de la régularité métrique, et par la
réminiscence Vigny :
« Du haut de nos pensers vois les cités serviles... »
A cet égard, les « premiers jets », en traduction métrique, portent très souvent
la marque de cette inertie : on y trouve pêle-mêle épithètes fixées et vidées,
inversions poétisantes, tours phraséologiques caducs, et surtout
réminiscences, mallarméismes ou même lamartinismes, en quantité.
En quoi ce figement est-il préférable au mutisme quasi-total du vers libre
en matière d'organisation prosodique-rythmique? Comment faire en sorte que
la mesure ne fasse pas revenir la vieille taxinomie du classicisme, la
connivence du métrique et du lexical qu'en Russie Pouchkine battait en brèche dès
les premiers chapitres d'Eugène Onéguine? Il reste que certaines formes-sens
de la poésie russe contemporaine ne peuvent se construire comme telles que
dans un système traditionnel.

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