DU même auteur :
Saint-John Perse : l’être et le nom, éditions du Champ Vallon, 1985.
La Versification, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1990.
Dictionnaire de poétique, Hachette, Livre de Poche, 1993.
L’Autre Versant du langage, Librairie Corti, 1997.
ISBN : 978-2-200-60255-0
Sommaire
Introduction
Alphabet phonétique international
Les phonèmes et leurs points d’articulation
1. Vers et décompte des syllabes
1. La notion de vers. La syllabe
2. L’e caduc
3. Diérèse et synérèse
4. L’hiatus
5. L’identification des vers
6. Le vers libre
7. Le verset
2. La rime
1. La notion d’homophonie finale
2. La rime classique
3. L’assonance et la contre-assonance
4. L’alternance
5. La rime approximative
6. Les jeux avec la rime
3. Les éléments du rythme
1. La division du vers par la césure
2. Les accents, les coupes, les mesures
3. Concordance et discordance
4. Rythme et sonorités
5. Rythme et rhétorique
6. Rythme et typographie
4. Formes fixes
1. La notion de strophe
2. La strophe et le poème
3. La terza rima
4. Triolet, rondeau, rondel
5. La ballade
6. Le sonnet
Conclusion générale
Glossaire
Bibliographie
Index des notions
Index des auteurs cités
Introduction
Voyelles orales :
[i] (nid, épître, naïf, Égypte)
[e] (né, user, mes, nez, chantai, aîné)
[ε] (grec, muet, près, prêt, Noël, laid, paître, tramway,
neige, reître, poney)
[ɑ] (patte, femme, paonne)
[α] (pas, pâte)
[ɔ] (sotte, Paul, minimum)
[o] (sot, rôti, Paule, beau)
[u] (mou, où, goût)
[y] (nu, dû, il eut, qu’il eût)
[œ] (beurre, bœuf, œil)
[ø] (peu)
[ə] (cheval, maintenant, le)
Voyelles nasales :
Semi-consonnes :
Consonnes :
ANTÉRIEURES POSTÉRIEURES
Labialisation – + + +
Les semi-consonnes :
1 Les mots immédiatement suivis d’un astérisque (*) sont définis dans le glossaire, en fin de volume.
2 Voir Mallarmé, Œuvres complètes, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1945, p. 360 sq
e
3 Voir Michèle Aquien et Jean-Paul Honoré, Le Renouvellement des formes poétiques au XIX siècle,
Nathan, coll. 128, 1997.
1
Vers et décompte des syllabes
LE POÈTE
Ces quatre lignes qui ouvrent La Nuit d’octobre sont des vers. À quoi
reconnaît-on que l’on a affaire à des vers ?
Une première remarque s’impose, et elle est de nature typographique : la
présentation n’est pas la même que celle de la prose. En effet :
1) les lignes ne sont pas remplies entièrement, même lorsque la phrase
n’est pas achevée : les v. 2, 3 et 4 forment une seule phrase ;
2) bien que ces lignes d’écriture ne soient pas toutes de la même longueur,
elles ont des limites bien marquées : au début, l’alinéa, la majuscule et
l’alignement vertical, à la fin l’espace de blanc qui est laissé de toute façon.
En quelque sorte, chaque vers est traité typographiquement comme s’il
constituait à lui seul un paragraphe.
Y a-t-il une justification formelle pour régler l’existence des limites qui
définissent l’unité de chaque vers ? Il existe en effet, dans la versification
française traditionnelle, un certain nombre de paramètres qui contribuent à
soutenir l’existence et la perception du vers.
1. C’est d’abord le nombre des syllabes. Chacun de ces vers comporte
12 syllabes, ainsi transcrites en phonèmes :
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
[lɔ̃ mal dɔ̃ ʒe su - fεr sε tɑ̃ - fɥi kɔ mœ̃ rεv]
[ʒə nɑ̃ pɥi kɔ̃ - pɑ - re lə lwɛ̃ - tɛ su - ve - nir]
[kɑ se bru - jɑr le - ʒe kə lo - rɔ - re su - lεv]
[e kɑ vεk lɑ ro - ze ɔ̃ vwɑ se - vɑ - nu - ir]
Rappel
Nous verrons dans les chapitres sur l’e caduc, la diérèse, la synérèse et
l’hiatus, les règles qui déterminent le décompte de ces syllabes. Retenons
pour l’instant que le vers français s’organise autour d’un nombre fixe de
syllabes.
2. Le décompte des syllabes a pu faire apparaître la place particulière de la
limite entre la sixième et la septième qui marque une certaine pause
rythmique et syntaxique. C’est la césure.
On peut constater que, dans ces vers, elle correspond bien à des groupes
grammaticaux :
Rappel historique
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
v. 6 Ton ef- fi- gie au vif tant res- sem- blant(e)
Rappel
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
v. 9 Et sur la nuit ta- ci- t(e) et som- meil- lant(e)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
v. 2 Du pre- mier jour qu’el- le m’en- tra au cœur
v. 5 Y dé- pei- gnit par sa vi- ve li- queur
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
De jour l’ad- mi- r(e), et la pri- e sans cess(e)
Rappel
PHÉNIX
À LA DÉSESPÉRADE
René Char, « La sieste blanche » issu de Les Matinaux, © éd. Gallimard, 1950.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
v. 1 Et que l’eau gre- lot- tant sous ta fa- ce pro- fond(e)
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
v. 3 [mə pɑr- vjε- ne ʒwɑ- jø- ze dus tu- fy e sɔ̃br]
On voit que l’-e de douce ne compte pas bien qu’il soit placé devant le t de
touffue. Avec cette apocope à la coupe, les deux groupes d’adjectifs
coordonnés deux à deux, joyeuse et douce et touffue et sombre, sont d’un
parfait parallélisme, même pour le nombre des syllabes.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
v. 7 lε- sə dɔr- mir tɔ̃ nɑ̃ kr tu to fɔ̃ de mɔ̃ sɑbl]
3. Diérèse et synérèse
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma
pauvre âme,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-
champ;
Une tentation des pires. Fuis l’infâme.
3.3 Commentaire stylistique
Les règles étymologiques guidaient seules les poètes : ils n’avaient pas le
choix, et il existait des listes en cas d’hésitation. Cependant, on peut parfois
noter, à partir du XIXe siècle, une utilisation stylistique de cette articulation.
C’est, en général, un mode de soulignement, et cela est net pour tentation
qui, par la diérèse, est articulé en quatre syllabes et qui, avec son article,
occupe tout le premier hémistiche du vers ; c’est de plus le premier mot-clé
du texte. On peut aussi parler de soulignement pour la diérèse de furieux, et
même d’une amplification qui va dans le sens superlatif du vers, avec le
voisinage de suprême : ajoutons que cette prononciation, archaïsante, permet
de faire mieux émerger le sens classique du mot, qui est « fou », or deux vers
auparavant, il est question de la vieille folie.
La prononciation en diérèse, en ajoutant une syllabe, peut équilibrer des
mots les uns par rapport aux autres : hiers, avec deux syllabes, occupe le
même volume que demains ; l’antithèse* est ainsi plus frappante.
Les verbes retuer et prier sont tous deux prononcés comme dans la langue
ordinaire, mais on remarquera qu’ils sont tous les deux affectés d’une
répétition : pour retuer, elle est lexicale grâce au préfixe, pour prier, elle est
formelle puisque le mot est dit deux fois dans le vers.
Enfin, dernière remarque, on peut noter que tous ces mots en diérèse sont
connotés négativement dans le poème, à part prier, qui est répété dans le
dernier vers, et qui marque au contraire un élan vers le sublime.
Les faits de synérèse sont plus rarement remarquables, dans la mesure où
la synérèse est plus proche du langage courant. Cependant, certains doivent
être notés, pour leur audace, leur étrangeté, ou souvent leur tonalité
archaïque, comme c’est le cas pour semblions dans ce quintil de la « Chanson
du Mal-Aimé » :
4. L’hiatus
PHÈDRE
Rappel
Cette fable de La Fontaine comporte trois sortes de vers : quels sont ces
vers ?
Comme beaucoup de fables de La Fontaine , celle-ci est hétérométrique
(du grec heteros, « autre, différent », et metron, « mètre »), c’est-à-dire qu’elle
comporte plusieurs mètres ou types de vers différents (par opposition à
isométrique, du grec isos, « égal en nombre », qui qualifie un poème utilisant
un seul type de vers).
Le vers français est caractérisé par le nombre de syllabes qu’il comporte.
Rappel
Les noms des vers, à part pour ce qui concerne l’alexandrin, sont
fondés sur le nombre de syllabes qu’ils comportent :
dissyllabe (2), trisyllabe (3), tétrasyllabe (4), pentasyllabe (5),
hexasyllabe (6), heptasyllabe (7), octosyllabe (8), ennéasyllabe (9),
décasyllabe (10), hendécasyllabe (11).
Nous avons ici un poème composé au XVIIe siècle, et qui suit donc les règles
classiques du décompte. Deux remarques accompagnent l’étude des vers
dans cette fable :
1) Les trois types de vers sont fondés sur trois nombres différents de
syllabes : 12, 10 et 8.
2) La typographie du texte elle-même indique la distinction entre eux,
puisque les vers débutent selon trois retraits différents, ce que marque bien
la fin de la fable.
5.1 L’alexandrin
C’est le vers de douze syllabes. À l’époque de La Fontaine , il n’a trouvé son
assise dans la poésie française que depuis un siècle environ. En effet, s’il est
présent dans certains textes du Moyen Âge à partir du début du XIIe siècle (il
tient son nom d’un poème sur Alexandre le Grand qui avait connu un certain
succès à la fin du XIIe siècle), il en est pratiquement absent aux XIVe et
e
XV siècles ; ce sont les poètes de la Pléiade qui le mettent à l’honneur au
milieu du XVIe siècle, et depuis ce moment, il est le type de vers le plus
employé.
Il y en a sept dans ce poème de quatorze vers (v. 3, 4, 7, 8, 9, 11 et 12), c’est
dire qu’il y est majoritaire. Comme c’est le vers le plus long, le retrait qui le
précède est plus court que pour les autres.
Comme tous les alexandrins classiques, ceux-ci sont divisés en deux
groupes de six syllabes (les hémistiches) séparés par la césure (//).
5.2 Le décasyllabe
Le vers de dix syllabes (grec déka = « dix ») a connu un succès à peu près
constant de son apparition (datée du milieu du XIe siècle) à la première
moitié du XVIe siècle : à la fin de la période médiévale, il est le vers lyrique par
excellence, avant d’être définitivement remplacé par l’alexandrin. Il reste
cependant le troisième vers le plus fréquent de la poésie française.
Dans cette fable, il n’est présent que par deux fois, aux v. 5 et 13, marqué
par un retrait légèrement plus prononcé que celui des alexandrins.
Il a ici sa forme classique, qui est aussi la plus répandue, avec césure après
la quatrième syllabe, et donc deux hémistiches asymétriques, l’un de quatre,
l’autre de six syllabes :
Notons que ces deux vers, sans rimer strictement ensemble (voir la règle
de la liaison supposée p. 47) se terminent sur les mêmes sonorités.
5.3 L’octosyllabe
Le vers de huit syllabes (grec oktô = « huit ») est le plus ancien des vers
français : sa première apparition dans notre poésie date du Xe siècle. Il est très
employé au Moyen Âge, en particulier dans les poèmes narratifs, les fabliaux
et le théâtre, puis sa vogue baisse à partir du XVIe siècle, mais il reste le
deuxième vers français le plus employé après l’alexandrin.
On en relève cinq occurrences dans cette fable : v. 1, 2, 6, 10 et 14. Le retrait
à gauche est encore plus nettement marqué que pour le décasyllabe.
Contrairement aux deux autres sortes de vers, qui sont plus longs,
l’octosyllabe n’est pas obligatoirement césuré, et la césure n’est pas fixe.
On en trouve ici des exemples variés :
– octosyllabes avec césure médiane :
Ces trois types de vers sont les plus fréquents dans la poésie française : on
remarquera que ce sont des vers pairs, et les statistiques ont montré la très
nette préférence des poètes pour les vers pairs, même chez Verlaine qui a
conseillé le vers impair dans Jadis et naguère (1884) :
6.1 Typographie
Si les vers commencent tous par une majuscule, il n’y a aucun retrait pour
isoler le début par un espace de blanc.
Ils sont regroupés en séquences, ensembles librement constitués, sans
structure fixe ou récurrente : ici, trois fois quatre vers, puis cinq vers, puis un
vers final isolé.
7. Le verset
(pour flûtes et balafong)
Absente absente, ô doublement absente sur la sécheresse glacée
Sur l’éphémère glacis du papier, sur l’or blanc des sables où seul pousse
l’élyme.
Absents absents et tes yeux sagittaires traversant les horizons de mica
Les verts horizons des mirages, et tes yeux migrateurs de tes aïeux
lointains.
Déjà le pan de laine sur l’épaule aiguë, comme la lance qui défie le fauve
Déjà le cimier bleu sur quoi se brisent les javelines de mon amour.
Écoute ton sang qui bat son tam-tam dans tes tempes rythmiques
lancinantes
Oh ! écoute – et tu es très loin par-delà les dunes vineuses
Écoute les jeux qui frémissent, quand bondit rouge ta panthère
Mais écoute les mains sonores, comme les vagues sur la plage.
Ne te retient plus l’aimant de mes yeux plus fort que le chant des
Sirènes ?
Ah ! plus le chant de l’Élancé ? dis comme un feu de brousse la voix de
l’Amant ?
Absent absent, ô doublement absent ton profil qui ombre les
Pyramides.
Léopold Sédar Senghor, Éthiopiques in Œuvres Poétiques, © éd. du Seuil, 1990.
On définira, en s’appuyant sur l’exemple de ce poème de Senghor, ce qui
caractérise le verset.
Le mot verset, dérivé de vers, sert à désigner chacune des divisions, en
forme de paragraphe, que présentent la Bible et certains autres textes
sacrés. C’est seulement depuis le début du XXe siècle que l’on parle de
verset en littérature pour nommer une forme poétique particulière. À quoi
reconnaît-on le verset ?
7.1 La typographie
Il trouve sa place entre la notion de vers libre et celle de paragraphe.
Comme les vers, tous ces versets commencent par une majuscule, sans
pour autant correspondre à des phrases ; il suffit pour s’en convaincre de
considérer les deux premiers :
Absente absente, ô doublement absente sur la sécheresse glacée
Sur l’éphémère glacis du papier, sur l’or blanc des sables où seul pousse
l’élyme.
À eux deux ces versets forment une seule phrase, phrase nominale
fondée sur absente, à quoi se greffent trois compléments introduits par sur,
dont les deux derniers sont rassemblés dans le second verset.
Certains de ces versets excèdent la ligne, et leur prolongement ne se fait
pas, comme pour les vers très longs, par un décrochement en retrait tout à
fait à droite, indiquant qu’avec une place suffisante, le vers coïnciderait
avec la ligne ; Aragon par exemple a composé des vers de vingt syllabes, tel
celui-ci :
Voilà déjà que mes paroles sèchent comme une feuille à ma lèvre
humide.
Ce n’est pas le cas avec les versets qui, ici, peuvent occuper deux lignes
(un verset peut comporter plus d’une dizaine de lignes) : elles sont le pur
prolongement l’une de l’autre. Dans ce poème de Senghor, le début se fait
tout contre la marge gauche, et la deuxième ligne marque un léger retrait.
Tous les versets ne se présentent pas ainsi ; il arrive fréquemment que,
comme un paragraphe, ils commencent par un blanc alinéaire et se
poursuivent contre la marge, comme dans cet extrait des Cinq Grandes
Odes :
Et je fais l’eau avec ma voix, telle l’eau qui est l’eau pure, et parce qu’elle
nourrit toutes choses, toutes choses se peignent en elle.
Ainsi la voix avec qui de vous je fais des mots éternels ! je ne puis rien
nommer que d’éternel.
La feuille jaunit et le fruit tombe, mais la feuille dans mes vers ne périt
pas,
Ni le fruit mûr, ni la rose entre les roses !
Paul Claudel, Cinq Grandes Odes, éd. du Mercure de France, 1910.
Ainsi, nous pouvons dire que ce poème de Senghor est composé de deux
séquences de six versets, suivies d’un verset isolé.
7.2 Le rythme
Tous ces versets comptent un nombre de syllabes variable, mais si
l’on considère leur rythme propre, on peut constater qu’ils sont
composés de schémas métriques parfaitement reconnaissables, et
qui tous relèvent des trois mètres principaux : l’octosyllabe, le
décasyllabe et l’alexandrin, avec des décomptes de syllabes qui
relèvent plutôt du vers libre.
Ainsi, le verset 2 comporte un décasyllabe : Sur l’éphémère glacis du
papier ; et un alexandrin dont l’e de sixième syllabe, non élidable, est
compté : sur l’or blanc des sablEs où seul pousse l’élyme.
Signalons aussi les cas d’apocope d’un e. Toutes les syllabes en e
qui sont finales de mètres sont systématiquement apocopées, et il
arrive qu’il y ait apocope en milieu de cellule métrique, comme dans
le dernier verset de la première séquence, qui peut s’articuler de la
manière suivante :
7.3 Les sonorités
Aucun système d’homophonies finales entre les versets. Le jeu des
sonorités relève plutôt de la poétique que de la stricte versification, et
tient essentiellement à la pratique de la répétition :
• répétition de mots, selon différents procédés :
– l’épizeuxe* (Absente absente, dans le premier verset, puis Absents
absents dans le troisième, à quoi répond Absent absent, dans le
dernier, selon une figure qui de plus relève du polyptote* ; à cela
s’ajoute la reprise du mot sous la même forme dans le premier et le
dernier verset, avec un effet de parallélisme* qui assure la nature
cyclique du poème) ;
– l’anaphore*, qui rassemble, outre les versets qui débutent par
Absente / Absents / Absent, les versets 5 et 6 (anaphore de Déjà), et les
versets 7, 8, 9 et 10 (anaphore de écoute, avec de légères variations :
Écoute / Oh ! écoute / Écoute / Mais écoute) ;
– la paronomase* (mica / mirages / migrateurs, de 3 à 4, lance /
lancinantes de 5 à 7, pour ne citer que les principaux cas) ;
– la dérivation* (glacée / glacis qui lie les versets 1 et 2, aimant /
Amant de 11 à 12) ;
• répétition de sonorités : on peut prendre comme exemple le
verset 7, qui ouvre la deuxième séquence avec l’évocation du tam-
tam et le martèlement de la dentale sourde [t] accompagné de la
voyelle nasale [ã].
ÉcouTe Ton sANg, qui bat son Tam-Tam dANs Tes TEMpes
ryTHmiques lANcinANTes.
Si aucune liaison ne se fait par un système d’homophonies finales,
en revanche les répétitions forment une structure cohérente qui joue
dans tout le poème, aussi bien de verset à verset qu’à l’intérieur du
verset.
Les versets de Senghor, dans ce poème, relèvent de ce que l’on
appelle le « verset métrique », à cause des cellules métriques qui s’y
font reconnaître. On distingue aussi traditionnellement deux autres
sortes de versets :
– le verset dit « cadencé », parce que la division métrique n’y est
pas aussi nette, et qu’il s’établit plutôt sur des progressions
rythmiques ou syntaxiques, des ensembles croissants, décroissants
ou parallèles, très sensibles dans ce début de la quatrième des Cinq
Grandes Odes de Paul Claudel :
Encore ! encore la mer qui revient me rechercher comme une
barque,
La mer encore qui retourne vers moi à la marée de syzygie et qui
me lève et remue de mon ber comme une galère allégée,
Comme une barque qui ne tient plus qu’à sa corde, et qui danse
furieusement, et qui tape, et qui saque, et qui fonce, et qui encense,
et qui culbute, le nez à son piquet,
Comme le grand pur sang que l’on tient aux naseaux et qui
tangue sous le poids de l’amazone qui bondit sur lui de côté et qui
saisit brutalement les rênes avec un rire éclatant !
Paul Claudel, Cinq Grandes Odes, éd. du Mercure de France, 1910.
– le verset dit « amorphe », parce qu’il n’est pas fondé sur des
cellules métriques ni sur de vastes progressions, mais se reconnaît
comme verset par la fréquence des alinéas et par une certaine
absence de discursivité, ce qui apparaît nettement dans cet extrait de
« Poëmes » de Léon-Paul Fargue qui correspond à la fin de « Aeternae
memoriae patris » :
Dans les faubourgs et les impasses où meuglent les sirènes, où les
scieries se plaignent, où les pompiers sont surpris par un retour de
flamme, à l’heure où les riches dorment…
Un soir, dans un bois, sous la foule attentive des feuilles qui
regardent là-haut filtrer les étoiles,
Dans l’odeur des premiers matins et des cimetières,
Dans l’ombre où sont éteints les déjeuners sur l’herbe,
Où les insectes ont déserté les métiers…
Partout où je cherchais à surprendre la vie
Dans le signe d’intelligence du mystère
J’ai cherché, j’ai cherché l’Introuvable…
Ô Vie, laisse-moi retomber, lâche mes mains !
Tu vois bien que ce n’est plus toi ! C’est ton souvenir qui me
soutient !
Léon-Paul Fargue, « Poëmes » in Poésies, © éd. Gallimard, 1905.
On constate que, dans les poèmes en versets ou en vers libres
(comme en général pour les poèmes qui ne s’inscrivent pas dans la
tradition du mètre réglé), les notions de versification sont utilisées
dans l’analyse comme un outil de référence indispensable. Mais
l’analyse elle-même trouve alors son prolongement dans des
considérations de poétique qui débordent le domaine strict
ordinairement dévolu à la versification.
1 La présence d’une césure enjambante dans un vers classique pose problème : on parlera
plutôt de coupe dans ce vers.
2 1. Le Rythme du vers libre symboliste, t. 1, Genève, Presses académiques, 1943.
3 Voir J.-C. Milner et F. Regnault, Dire le vers, éd. du Seuil, 1987, p. 50 et suivantes.
2
La rime
LA SOLITUDE
[…]
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon vert et sauvage !
Puis, glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l’herbe,
Se changent en plaisants ruisseaux,
Où quelque Naïade superbe
Règne comme en son lit natal,
Dessus un trône de cristal !…
… Que j’aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence !
Les sorciers y font leur sabbat ;
Les démons follets s’y retirent,
Qui d’un malicieux ébat
Trompent nos sens et nous martyrent ;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
[…]
Dizain I Dizain II
[ravɑʒ] [dekadɑ̃ s]
[vagabɔ̃] [ryine]
[bɔ̃] [mytine]
[sovɑʒ] [ε̃solɑ̃ s]
[arbriso] [saba]
[εrb] [retir]
[rɥiso] [eba]
[sypεrb] [mɑrtir]
[nɑtɑl] [tru]
[kristɑl] [ibu]
LE SOIR
La rime repose sur l’identité entre les mots de fin de vers de la voyelle
finale accentuée – qui peut à elle seule constituer la rime (cf. [o], v. 10 et 11) –,
des phonèmes consonantiques qui peuvent la suivre (cf. [ɔ̃br], v. 9 et 12), et
éventuellement aussi la précéder (cf. [le], v. 21 et 24).
2.1 La disposition
Tous ces quatrains sont à rimes embrassées c’est-à-dire abba :
Rappel
2.2 La richesse
Elle dépend du nombre de phonèmes communs.
• Rime pauvre. Un seul phonème commun, qui est logiquement la dernière
voyelle accentuée :
[o] dans rameaux / tombeaux (v. 10 et 11).
• Rime suffisante. Deux homophonies ; ici, soit voyelle + consonne :
[ɑ̃ s] dans silence / s’avance (v. 1 et 4)
[øz] dans amoureuse / mystérieuse (v. 6 et 7)
[ɑm] dans flamme / âme (v. 17 et 20)
[εr] dans mystère / sphère (v. 22 et 23) ; soit consonne + voyelle :
[zɔ̃] dans horizon / gazon (v. 5 et 8)
[jø] dans cieux / yeux (v. 13 et 16)
[ty] dans me veux-tu / abattu (v. 18 et 19)
[le] dans révéler / rappeler (v. 21 et 24).
• Rime riche. Trois homophonies ; dans le texte, on en trouve un seul
exemple :
[ɔ̃br] dans sombre / ombre (v. 9 et 12).
Certaines des rimes de l’extrait comportent plus de trois homophonies. On
dit qu’elles sont plus que riches :
[dezεr] dans déserts / des airs (v. 2 et 3)
[tyrn] dans nocturne / taciturne (v. 14 et 15).
La première de ces deux rimes n’est pas tout à fait classique, dans la
mesure où elle porte sur deux mots du v. 3 ; c’est une rime que pratiquaient
volontiers les Grands Rhétoriqueurs, on l’appelle rime équivoquée.
3. L’assonance et la contre-assonance
L’ÉTERNITÉ
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Mai 1872
Arthur Rimbaud, Vers nouveaux et chansons
• Les contre-assonances
• Les assonances
L’assonance repose, en prosodie, sur l’homophonie de la dernière voyelle
non caduque du vers, quels que soient les phonèmes consonantiques qui
éventuellement la suivent : on dira par exemple qu’il y a entre vitre et épris
un rapport d’assonance en [i].
Dans ce poème de Rimbaud, on peut parler d’une assonance en [e] entre
retrouvée, Éternité et allée (v. 1-2-3 et 21-22-23), sans aucune hétérophonie
consonantique ensuite ; il n’y a qu’un problème d’orthographe qui empêche
de considérer cette association comme rime véritable puisque retrouvée /
allée forme rime féminine et Éternité rime masculine : la règle classique
interdit de les faire rimer ensemble.
Rappel
4. L’alternance
RODRIGUE
Féminines : Masculines :
mortelle / querelle (v. 2-3) cœur / rigueur (v. 1-4)
abattue / tue (v. 5-6) récompensé / offensé (v. 7-9)
peine / Chimène (v. 8-10 et 18-20)
s’intéresse / maîtresse (v. 12-13) combats / mon bras (v. 11-14)
flamme / infâme (v. 15-16) infini / impuni (v. 17-19)
I II
a M cœur combats
b F mortelle s’intéresse
b F querelle maîtresse
a M rigueur mon bras
c F abattue flamme
c F tue infâme
d M récompensé infini
e F peine peine
d M offensé impuni
e F Chimène Chimène
Le schéma de l’alternance est le même dans chacune des stances : elle
commence par une rime masculine et se termine par une rime féminine.
Comment se fait cette alternance ?
Ce n’est pas, comme on pourrait s’y attendre aM bF cM dF eM ;
l’alternance est à prendre véritablement au pied de la lettre : puisque les
quatre premiers vers forment un quatrain à rimes embrassées, la rime
masculine du premier vers revient au quatrième (aM), et pour réaliser
l’alternance, il faut par conséquent que la rime suivante soit féminine, d’où
cF ; ensuite l’alternance est plus facile à suivre, grâce à la régularité distique /
quatrain à rimes croisées. D’une manière générale, la nature même de la
disposition embrassée impose un renversement de l’ordre dans l’alternance
(cf. le poème de Lamartine , « Le soir », cité p. 40) : si le premier quatrain
avait été à rimes croisées et le second à rimes embrassées, le distique aurait
changé de genre (aM bF aM bF cM cM dF eM eM dF), et il y aurait eu une
majorité de rimes masculines, alors que les stances de Corneille comportent
une majorité de rimes féminines.
Rappel historique
MAI
En quoi peut-on dire que les autres rimes ne sont pas classiques ?
Les unes ne répondent pas aux règles orthographiques :
• règle de la liaison supposée non respectée :
– entre le Rhin (v. 1) et riverains (v. 4), puisque n et s ne font pas leur
liaison par le même son. C’est phoniquement une rime riche en [ərɛ̃], mais
qui présente cet autre caractère non classique de s’étendre au-delà d’un seul
mot (« le Rhin ») ;
– entre arrière (v. 5) et paupières (v. 8), puisque le premier se termine en e
et le second en s. Sur le plan phonique, c’est une rime riche en [jεr] ;
– entre tziganes / rhénanes (v. 10-12) et âne (v. 11), pour la même raison. La
rime existe cependant phoniquement, en [an] entre les trois mots, et même
elle s’enrichit en [nan] entre un âne et rhénanes ;
• distinction entre terminaisons féminines et terminaisons masculines : en
principe, on ne peut pas les faire rimer ensemble. C’est ici le cas entre mai
(v. 6) et aimée (v. 7), puisque le premier a une terminaison masculine et le
second une terminaison féminine. De plus la rime n’est pas pure
phoniquement puisque dans mai la voyelle est ouverte en [ε] et dans aimée
elle est fermée. L’homophonie est donc à entendre au sens large, elle est
suffisante en [mε/e].
Une autre n’est pas classique pour des raisons phoniques : c’est la rime
entre ruines (v. 14) et vignes (v. 17). À strictement parler, il y a simplement
entre les deux mots une assonance en [i], mais on peut ajouter à ce phonème
commun le fait que dans chacun des cas, la consonne qui suit est une nasale,
dentale pour ruines, palatale pour vignes (qui fait contre-assonance avec
montagne / s’éloigne), réalisant ainsi une sorte de rime en [i + nasale].
Ce sont ces rimes non classiques, qui ne tiennent pas ou peu compte des
critères graphiques et se contentent éventuellement de parentés phoniques,
qu’on nomme rimes approximatives.
5.2 Disposition et alternance
Une fois analysées ces homophonies, on peut constater que leur
disposition est relativement régulière : embrassée dans les trois quatrains :
a lentement
b tziganes
b un âne
b rhénanes
a régiment
le Rhin [ərɛ̃] V
montagne [ɑɲ] C
s’éloigne [ɑɲ] C
riverains [erɛ̃] V
arrière [jεr] C
mai [mε] V
aimée [me] V
paupières [jεr] C
lentement [mɑ̃ ] V
tziganes [ɑ̃ n] C
un âne [nɑn] C
rhénanes [nɑn] C
régiment [mɑ̃ ] V
ruines [in] C
rosiers [ozje] V
osiers [ozje] V
vignes [iɲ] C
1519.
Clément Marot, Épîtres.
Quels sont les procédés formels d’enrichissement de la rime qui sont ici
mis en œuvre ?
Les poètes médiévaux avaient déjà considérablement travaillé sur les
différentes formes de rimes, sur leur disposition, leur richesse, etc. ; à la fin du
Moyen Âge, les Grands Rhétoriqueurs portent la technique de la rime à un
point de virtuosité qui a pu leur être reproché ensuite par les poètes de la
Pléiade : ceux-ci trouvaient que, dans leurs productions, l’esprit poétique
était sacrifié. Clément Marot est l’héritier direct de ces maîtres rimeurs,
puisque son père, Jean Marot, faisait partie des Grands Rhétoriqueurs. Cette
épître (lettre en vers qui s’adresse à un personnage qui peut être réel ou
fictif) en rimes plates, qu’il présenta très jeune au roi François 1er, est
entièrement construite sur un jeu de rimes autour du mot rime lui-même.
Les thèmes sont ceux qui reviennent très fréquemment dans ses épîtres :
le besoin d’argent, la nécessité de se nourrir, la maladie, mais aussi la gaieté
et la poésie.
– la rime batelée, qui fait rimer la fin de vers avec le mot de césure du vers
suivant :
Rime batelée et vers léonin se conjuguent ici pour répéter trois fois le
phonème vocalique [e].
– la rime brisée, dans laquelle les vers riment ensemble non seulement par
la fin de vers, mais aussi par la césure :
Grande virtuosité dans ces six vers qui présentent ainsi trois fois de suite le
cas de la rime brisée.
Bien que cette épître concentre de nombreux procédés d’enrichissement
de la rime, elle n’épuise pas toutes les possibilités qu’ont pu mettre en œuvre
les Grands Rhétoriqueurs. On citera encore la rime dérivative qui associe des
mots de même racine (laisser / délaisser), la rime couronnée qui redouble la
ou les syllabe(s) de rime (à sa corde s’accorde), la rime annexée qui reprend
la syllabe de rime au début du vers suivant, la rime fratrisée qui est à la fois
annexée et équivoquée :
(Cl. Marot.)
Automne 1939.
Louis Aragon, Le Crève-Cœur, © éd. Gallimard.
On relève dans ces deux sizains qui ouvrent le poème des exemples de :
– rime équivoquée (ses cris / on s’écrit ; l’on / long), avec de plus une
ambiguïté phonique sur on s’écrit (s’écrire) qui renvoie par homonymie à on
s’écrie (s’écrier), et les deux vers suivants seraient alors le contenu de ce cri ;
– rime batelée :
– rime dite enjambée parce que les phonèmes de rime se répartissent sur
la fin de vers et le début du suivant :
v. 1 : ondes
v. 3-4 : […] où l’on
Doute […]
v. 5-6 : […] que c’est long
De ce bled […]
Ce ne sont que quelques exemples de ces jeux avec la rime. La série est
ouverte : citons, chez d’autres auteurs et dans d’autres textes d’Aragon, la
rime inversée où les consonnes qui entourent la voyelle de rime s’inversent
d’un vers à l’autre (chère / rêche), la rime augmentée qui, d’un vers de rime à
l’autre, ajoute des sons à ceux qui portent l’homophonie (coup / couple), les
rimes ou vers biocatz qui, dans un même poème, présentent un double
système de rimes permettant de superposer deux schémas métriques
possibles, la rime semi-équivoquée qui se fonde sur une paronomase*
(branche / blanche).
1 Voir à ce propos les réflexions de Pierre G UIRAUD ( Essais de stylistique, Paris, Klincksieck, 1969) et de
Nicole C ELEYRETTE -P IETRI ( Les Dictionnaires des poètes, Presses universitaires de Lille, 1985).
3
Les éléments du rythme
Notion très discutée, le rythme, fondé sur le retour plus ou moins régulier d’un repère
constant, englobe en matière poétique une grande variété de faits, dont le premier est le
mètre avec le nombre des syllabes. Mais il faut aussi compter avec la structuration interne du
vers, avec l’organisation syntaxique du poème, avec la répartition éventuelle des sonorités,
avec le rythme qu’engendrent des structures qui ne sont pas obligatoirement versifiées, mais
que la poésie moderne exploite volontiers.
L’HORLOGE
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
v. 1 Hor- lo- ge ! dieu si- nis- // tr(e) fra- yant im- pa- ssibl(e)
ef-
sinistre appartient bien en entier au premier hémistiche, mais du fait de l’élision de l’e
caduc, le groupement de consonnes qui suit la syllabe accentuée ouvre phoniquement la
septième syllabe du vers ; néanmoins on présente conventionnellement un tel vers avec la
double barre en gardant tout le mot avant la césure :
Horloge ! dieu sinistr(e), // effrayant, impassibl(e).
Le même phénomène se répète pour tous les vers concernés : v. 2 (« nous menac(e) // et
nous dit »), v. 6 (« une sylphid(e) // au fond de »), v. 7 (« te dévor(e) // un morceau »), v. 21
(« l’heur(e) // où »), v. 23 (« mêm(e) // oh ! »).
La cosyllabation effective de la consonne qui précède l’e et de la voyelle qui commence le
second hémistiche confère beaucoup de fluidité à ce type de vers, alors que dans le premier
cas, la césure correspond plus nettement à une certaine suspension du vers.
Le v. 12 (« ta vi(e) // avec ») est un cas particulier puisque vie est monosyllabique et que l’e
n’est pas une syllabe : il empêche l’hiatus entre i et a.
On voit par conséquent que ni la sixième ni la septième syllabes de l’alexandrin traditionnel
ne peuvent comporter un e caduc : soit il est exclu (6e syllabe), soit il est élidé (7e syllabe). On
peut observer le même phénomène pour les syllabes qui entourent la césure du décasyllabe,
c’est-à-dire la quatrième et la cinquième.
Rappel
Le statut d’un e à la césure n’a pas toujours été l’exclusion. Dans la poésie médiévale,
on peut trouver un e de césure, soit apocopé comme celui de la fin du vers, soit
compté dans la syllabe qui précède la césure, soit compté dans celle qui la suit ;
depuis le Symbolisme, la poésie réutilise la possibilité de telles césures. Elles sont au
nombre de trois.
• Césure dite épique : elle traite la fin du premier hémistiche comme une fin de vers
en apocopant un e non élidable. Relativement fréquente dans la poésie épique du
Moyen Âge (d’où son nom), elle est assez souvent utilisée par les poètes modernes.
On a vu (p. 17) l’emploi qu’en faisait René Char, on peut citer également l’exemple de
ce décasyllabe particulier, à rythme 5//5, de Jules Supervielle, qui ouvre le poème
« Descente de géants » :
On a appelé « lyrique » une telle césure parce qu’on la trouve plus souvent dans la
poésie lyrique médiévale.
• Césure dite enjambante : la césure est suivie d’une syllabe finale en e non élidable,
et donc elle passe entre la syllabe accentuée du mot et cette syllabe finale en e
prosodiquement comptée. On en trouve un exemple dans le second de ces deux vers
de Francis Jammes extraits de « Il va neiger… » :
Les minutes (4), mortel folâtre (5), sont des gangues (3)
Le jour décroît (4) ; la nuit augmente (5), souviens-toi ! (3)
le v. 15 est semi-ternaire ; pour le v. 19, on peut soit le dire semi-ternaire, soit, en cosyllabant
le -te final de augmente avec souviens-toi (coupe enjambante), en faire un trimètre, c’est-à-
dire un alexandrin fait de trois mesures égales 4 / 4 / 4.
Le vers ternaire a été particulièrement mis à profit par l’esthétique romantique.
VERS DORÉS
2.2 Coupes et mesures
La syllabe qui précède la césure, comme la syllabe non caduque de fin de vers, portent
toujours, du moins dans la prosodie classique, un accent tonique. Comme ces positions sont
fixes, cet accent est lui-même fixe :
v. 1 Homme, libre penSEUR ! //te crois-tu seul penSANT.
On voit l’apport de la position et de l’accentuation pour soutenir l’effet de la dérivation*.
Aux deux autres accents, mobiles, de l’alexandrin, correspond ce qu’on appelle la coupe,
indiquée conventionnellement par une barre simple (/), et qui passe en principe juste après
la syllabe accentuée à l’intérieur de chaque hémistiche :
v. 6 Chaque FLEUR / est une Âm(e) // à la naTUr(e) / éCLOs(e).
La présence d’un e non élidable définit pour la coupe des phénomènes analogues à ceux
qu’elle engendre pour la césure.
On parlera donc de :
• coupe enjambante pour une coupe placée juste avant une syllabe finale en e
prosodiquement compté :
C’est une coupe relativement courante et appréciée pour la fluidité qu’elle confère à
l’hémistiche. On remarquera que, dans « Vers dorés », la place de ces coupes n’est pas
indifférente : dans le corps du poème, on ne la trouve que dans le premier hémistiche, et c’est
dans le seul dernier vers qu’elle figure au second, manière peut-être de renforcer un effet de
clausule*.
• coupe ditelyrique pour une coupe placée après une syllabe finale en e prosodiquement
compté, et donc en décalage avec la syllabe accentuée. Il y a souvent un choix de lecture
entre l’option pour une coupe enjambante et l’option pour une coupe lyrique2, mais à cet
égard, la ponctuation, la présence d’un accent d’intensité sont des indications non
négligeables pour la coupe lyrique.
Dans le poème, un seul exemple :
v. 1 HOMme, / libre penseur ! […]
Le choix de la coupe lyrique ne fait aucun doute : elle souligne la force de l’apostrophe qui
ouvre le poème, et de plus équilibre les mesures du vers dans un chiasme* : 2 / 4 // 4 / 2.
• coupe diteépique, qui se place après un e non élidable apocopé ; elle n’est pas tolérée par
la prosodie classique, mais on la trouve assez souvent dans la poésie moderne, comme dans
ce vers de René Char (voir p. 16-17) :
Me parVIEN/ne joYEUs(e) // et DOUC(e), / touffue et SOMbr(e).
À l’intérieur de chaque hémistiche, les coupes définissent des groupements de syllabes
appelés mesures. Un hémistiche de six syllabes compte en principe deux mesures de une à
cinq syllabes mais pas toujours.
3. Concordance et discordance
Ces globes, qu’en prisons, Seigneur, vous transformâtes,
Ces planètes pontons, ces mondes casemates,
Flottes noires du châtiment,
Errent, et sur les flots tortueux et funèbres,
Leurs mâts de nuit, portant des voiles de ténèbres,
Frissonnent éternellement.
3.1 Syntaxe et vers
On appelle concordance le fait que la phrase se moule dans le vers de telle sorte que les
accents correspondant aux principales articulations grammaticales coïncident avec les deux
accents fixes du vers : la césure et la fin de vers. Il en va ainsi dans le v. 2 de cet extrait, où
chaque hémistiche est occupé par un groupe cohérent :
Ces planètes ponTONS, // ces mondes caseMAt(e)s.
À l’inverse, il y a discordance lorsque cette coïncidence ne se fait pas.
Si le décalage se fait par rapport à la césure, la discordance est dite interne, s’il concerne la
fin de vers, elle est dite externe.
On distingue trois phénomènes distincts de discordances :
• l’enjambement, qui se répartit de manière à peu près égale de part et d’autre de la limite
métrique, et qui ne prétend pas à un effet autre que celui de ce dépassement :
– enjambement interne : |– – – // – – –|
v. 19 Là Caïn pleure, Achab // frémit, Commode rêve,
– enjambement externe : // |– – – – –
– – – – – | //
• le rejet, qui place un groupe bref (généralement un mot) au-delà de la limite métrique
alors qu’il est lié syntaxiquement à ce qui précède, et le met ainsi en valeur :
– rejet interne : – – –– – – – – – // – – –
Trois mille six cents fois // par heure, la Seconde
– rejet externe : – – – – – – – – – // – – – – – – – – –
– – –
• le contre-rejet, qui, à l’inverse, met en avant de la limite métrique un élément verbal bref,
lié syntaxiquement à ce qui suit, et a par conséquent un effet de soulignement :
– contre-rejet interne : – – – // – – – – – – – – –
v. 5 Leurs mâts de nuit, portant // des voiles de ténèbres
– contre-rejet externe : // – – –
– – – – – – – – – // – – – – – – – – –
• Décalages externes
Les plus nets sont tous des rejets, dont voici le relevé :
– v. 4 Errent (« Ces globes… Errent ») : rejet très fort, puisque la phrase commence au v. 1 et
qu’il faut attendre le v. 4 (c’est-à-dire après la césure strophique qui, dans ces sizains en
12 12 6 12 12 6, passe entre le troisième et le quatrième vers) pour trouver le verbe, lui-même
monosyllabique et dernier mot de la proposition ;
– v. 8 Les poursuivent (« Des tourbillons… Les poursuivent ») : ici également, le verbe en
position de rejet est aussi le dernier mot de la proposition ;
– v. 16 Criant (« tous les punis et tous les misérables… criant ») : il y a rejet dans la mesure
où criant est suivi d’une ponctuation forte ( :) et il est de plus placé juste après la césure
strophique, mais on pourrait dans ce cas parler éventuellement de concordance différée (cas
où le développement grammatical dépasse la limite métrique, mais se poursuit jusqu’à la
suivante) puisque la proposition où sommes-nous ? est analysable comme complément
d’objet de criant et que d’une voix éperdue, qui termine le vers, est son complément de
manière ;
– v. 20 Borgia rit : on peut à peine parler de rejet dans ce cas, puisque Borgia rit forme une
proposition indépendante juxtaposée avec les précédentes. Il y a rejet dans la mesure où l’on
se trouve ainsi devant une énumération de quatre propositions indépendantes juxtaposées
de même composition (nom propre de personne + verbe employé absolument) qui
détermine un ensemble cohérent, et que celle-ci est la dernière de toutes et suivie d’une
ponctuation forte (;). Le rejet sur Borgia rit est à la même place, au début du second vers du
sizain, que Les poursuivent ;
– v. 22 Sont là (« les vers de terre… Les roseaux… sont là ») : le terme en position de rejet est
là encore le dernier de la proposition et il se trouve juste après la césure strophique ;
– v. 23 S’y courbent : là encore, il s’agit d’un verbe qui est le dernier mot de la proposition.
Sur six cas de rejet, les quatre les plus frappants portent sur un verbe qui termine la
proposition : c’est donc entre le sujet et son prolongement par l’action que passe la coupure,
et l’action elle-même est sans prolongement dans un objet.
On peut remarquer également que tous ces sizains se terminent sur ce qui pourrait être un
rejet ou un enjambement externe, et qui se révèle être de l’ordre de la concordance différée
(en se poursuivant jusqu’à la limite métrique suivante, elle ne fait pas ressortir un effet de
décalage) :
Leurs mâts de nuit, portant des voiles de ténèbres,
Frissonnent éternellement.
• Décalages internes
Ces enjambements sont très proches, pour les deux premiers et le dernier (qui succèdent à
des rejets externes), de cas de contre-rejets.
Sémantiquement, ils se divisent en deux séries : les deux premiers sont des indications de
lieu introduites par sur et, comme pour les v. 5 et 7, c’est le deuxième hémistiche qui
caractérise le fantastique (tortueux, funèbres, monstrueux, abîme) ; ceux des vers 19 et 20 sont
des noms désignant des personnages puissants de l’Histoire ancienne.
Aux v. 19 et 20, la discordance interne correspond à un rythme ternaire de l’alexandrin :
Ce poème présente donc de très nombreux cas de discordance, avec néanmoins une
dominante dans leur distribution : rejets externes, contre-rejets internes. Cette distribution
de la syntaxe par rapport aux limites du vers entraîne un contrepoint et même un
déséquilibre entre les deux rythmes, celui de la phrase et celui du mètre, qui imprime le
dynamisme de la spirale à cet extrait. À ces décalages s’ajoutent les inversions, les ellipses*,
les phrases hachées.
Les effets de discordance ont souvent été utilisés dans des textes à la thématique elle-
même tourmentée : ici, souffrance, désespoir, errance, damnation, humiliation sont soulignés
par ces mises en relief, à quoi s’ajoutent le vertige et le mouvement tourbillonnant.
4. Rythme et sonorités
[…]
Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous un voile de flamme,
Ô mon silence !… Édifice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !
et dans le vers final, d’abord dans le second hémistiche du v. 6 (« aux mille tuiles, Toit »),
puis dans le premier hémistiche du v. 12 (« Sur l’altitude »), où il est relayé par la sonore
correspondante [d] (« altitude »), (« dédain »).
• Le [m] est distribué à l’intérieur de chaque sizain de sorte qu’il contribue à
l’individualiser. Il y en a 9 dans le premier, 10 dans le second, une répartition à peu près égale.
Mais leur place varie d’une strophe à l’autre :
– premier sizain : on le trouve de part et d’autre de la césure. 5 occurrences dans le premier
hémistiche, dont un rôle d’encadrement au v. 2 (« Masse de calme »), et 4 dans le second,
dont 2 à la rime en finale absolue ;
– deuxième sizain : il ne figure pratiquement que dans le second hémistiche. Une seule
occurrence dans le premier, contre 9 dans le second, dont 4 à la rime en finale absolue.
• Le [s] est largement représenté, puisqu’il se trouve pratiquement dans chaque vers, mais
sa place la plus remarquable est celle qu’il occupe au v. 11, qui est le seul décasyllabe 6 // 4 de
cet extrait, et où l’allitération réalise le phénomène de la rime senée (tous les mots du vers, à
part le déterminant intial, commencent par la même consonne) :
La scintillation // sereine sème.
4.3 Combinaisons phoniques
On peut citer nombre de combinaisons de phonèmes vocaliques et consonantiques :
– [ɔr] rime à la césure entre les v. 1 (trésor) et 6 (comble d’or) ;
– [tɑ̃ ] qui se trouve cinq fois :
Décalage par rapport au rythme métrique ; mise en valeur du nom propre qui ne comprend
aucune des sonorités répétées.
v. 2 Masse de calm(e), // et visible réserv(e),
[mɑ ə ə ɑ m] [e vizi ə ez v]
Les deux hémistiches sont fortement individualisés l’un par rapport à l’autre. Le premier
avec un chiasme à 6 éléments.
Ce vers est lié au v. 2 pour calme / l’âme et et visible / édifice et au v. 3 pour l’attaque [o…si]
(Eau sourcilleuse / Ô mon silence).
La bilabiale sourde qui marque le premier hémistiche devient nasale dans le second, où
elle alterne avec [t].
5. Rythme et rhétorique
5.1 Structure de la prière
Ce poème n’est structuré ni en séquences ni en strophes, mais par grands ensembles
oratoires :
• Exorde* très bref : Et voici… (v. 1).
• Propositions fondées sur l’idée de souhait, avec par conséquent des subjonctifs et surtout
des impératifs. Plusieurs groupements sont ainsi définis par :
– Que je n’entende… (v. 2 et 3)
– Donnez… (v. 4 à 6)
– une phrase de transition, puis
– Faites… (v. 7 à 16).
Ces groupements sont de plus en plus amples : on peut à ce propos parler de cadence
majeure*.
• Série de corrections introduites par la conjonction Mais :
– Mais faites… (v. 17 à 19)
– Mais les faisant… (v. 20 à 24)
La cadence est là encore majeure, mais les groupements sont moins importants et moins
nombreux.
• Conclusion fondée sur Vous savez… que… (v. 25 à 32) et sur un effet de clausule* ménagé
par le soudain rétrécissement des vers à partir de Que ce que je veux (v. 27).
un père / le père
un frère / le frère
un fils / le fils.
Cette structure est reprise une quatrième fois en un ensemble solidaire : Ni un mari mais
l’amant (v. 10).
Les répétitions de type rhétorique confèrent à ce texte un rythme très présent, de nature
ternaire mais avec de nombreuses variations et ouvertures, et qui s’intensifie du v. 4 au v. 26,
puis décroît progressivement sur la fin, avec un effet de clausule fortement marqué. La liberté
des mètres est puissamment encadrée et conduite par la force de ce rythme.
6. Rythme et typographie
6.1. Description typographique
On notera la mise en relation dans l’espace entre les groupements de mots et les mots
isolés qui forment ce poème. Le mouvement d’ensemble de la page écrite est de nature
oblique, une oblique qui part du bord supérieur gauche pour aboutir globalement au coin
inférieur droit.
La définition même de la notion de rythme parle du retour plus ou moins régulier d’un
repère constant. Peut-on parler ici d’un ou de plusieurs repère(s) ? Il y en a deux, l’un vertical,
l’autre horizontal :
• Trois blocs verticaux de mots, en décalage 1° horizontal puisqu’ils sont de plus en plus
éloignés vers la droite, 2° vertical, puisqu’ils ne sont pas à la suite les uns des autres. Seul le
premier mot commence par une majuscule ; tous les autres éléments des blocs sont en
minuscules.
• Ils sont séparés et suivis par trois éléments linéaires, tous soulignés par une graphie
spécifique :
– le premier élément est formé de deux masses séparées par un blanc : une phrase
nominale entre parenthèses centrées, puis un groupe nominal dont le noyau est en caractères
espacés et commence par une majuscule ;
– le second est inscrit en milieu de page : c’est un groupe nominal dont le noyau et le nom
déterminatif sont en petites capitales ;
– le troisième et dernier ferme le poème contre la marge gauche. C’est un groupe nominal
de facture analogue au second élément, mais le noyau est caractérisé par un adjectif et le
déterminatif est un nom propre. La ligne entière est en caractères espacés.
S’il y a rythme marqué par ces repères, c’est d’un rythme à trois temps qu’il s’agit, avec
alternance entre disposition verticale et disposition horizontale.
SUPPLICE de la LAPIDATION
[s p lis d] [l pid s]
t o m b e a u x r o s e s d e P é t r a.
[t b r] [p t r]
sonore sourde
LA MAISON DU BERGER
[…]
La Nature t’attend dans un silence austère ;
L’herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,
Et le soupir d’adieu du soleil à la terre
Balance les beaux lis comme des encensoirs.
La forêt a voilé ses colonnes profondes,
La montagne se cache, et sur les pâles ondes
Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.
1844
Alfred de Vigny, Les Destinées, extrait.
1.1 La typographie
Ces trois strophes sont toutes composées de sept vers, et elles sont
séparées l’une de l’autre par un blanc typographique. Ce blanc typographique
pourrait permettre d’identifier la strophe s’il était utilisé de manière
systématique et unique à cet effet. Or ce n’est pas le cas.
D’une part, pendant très longtemps, il n’y a pas eu de blanc typographique
pour séparer ce qui pourtant fonctionnait comme strophe : par exemple les
quatrains des sonnets du XVIe siècle n’étaient pas marqués par un blanc, le
poème se présentait imprimé d’un bloc, avec simplement un petit retrait de
ligne qui indiquait le début d’une nouvelle strophe.
D’autre part, il arrive qu’un poète utilise le blanc typographique pour
séparer des groupements de vers sans aucun principe de régularité, pour de
simples raisons d’unité de sens, comme on le fait en prose pour les
paragraphes : c’est ce que fait Vigny lui-même dans un autre poème des
Destinées, « La colère de Samson », où il sépare par des blancs
typographiques des ensembles à rimes plates successivement de 10, 9, 7, 8, 4,
14, 8, 20, 12, 16, 16, 8 et enfin 4 vers. On voit qu’il n’y a là aucun principe de
récurrence.
Rappel
Tous les noms des strophes sont liés au nombre de vers qu’elles
comportent. Bien qu’ils ne soient pas considérés comme des strophes
à proprement parler, on citera le distique (deux vers qui riment
ensemble) et le tercet (groupement de trois vers). Les strophes les
plus courantes sont le quatrain (quatre vers), le quintil (cinq vers), le
sizain (six vers), le septain (sept vers), le huitain (huit vers) et le
dizain (dix vers). Moins fréquemment utilisés sont le neuvain (neuf
vers), le onzain (onze vers) et le douzain (douze vers). Les strophes
de plus de douze vers sont rares.
• La disposition des rimes : dans chacun de ces septains, elle est la même,
un quatrain à rimes croisées sur le dernier vers duquel se greffe un quatrain à
rimes embrassées (ababccb).
• Le système des mètres : nous sommes ici en isométrie, et donc le
problème ne se pose pas. Mais en cas d’hétérométrie, la disposition des
mètres elle aussi joue son rôle dans le principe de récurrence, puisqu’elle doit
se répéter selon la même structure.
C’est le cas dans ces sizains extraits de la « Paraphrase du psaume CXLV »
de François de Malherbe, qui sont formés d’une série de quatre alexandrins
suivis de deux hexasyllabes, et dont les rimes sont disposées en contrepoint
par rapport au système des mètres (un distique, un quatrain à rimes
embrassées ou encore, plus simplement, un rythme tripartite : aabccb) ; cela
donne 12a 12a 12b 12c 6c 6b :
N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre ;
C’est Dieu qui nous fait vivre,
C’est Dieu qu’il faut aimer.
En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
À souffrir des mépris et ployer les genoux.
Ce qu’ils peuvent n’est rien ; ils sont comme nous sommes,
Véritablement hommes,
Et meurent comme nous.
1.3 L’autonomie de la strophe
La strophe doit également être une structure complète. Ces septains de
Vigny le sont de deux points de vue.
• Syntaxiquement, chacun est indépendant des autres et se termine par un
point. Il peut arriver néanmoins qu’il y ait prolongation syntaxique d’une
strophe sur l’autre : c’est le cas de tout le début de « La Maison du Berger »
puisque les trois premières strophes forment une longue litanie de
propositions conditionnelles introduites par Si dont la proposition principale
est double, située dans le premier vers de la quatrième strophe :
Pars courageusement, laisse toutes les villes.
Il y a alors, de ces strophes sur la quatrième, un effet de rejet, analysable
dans les mêmes termes que ceux qui concernent les vers.
• Le système des rimes est complet, chaque fin de vers a son répondant à
l’intérieur de la strophe :
I II III
a austère vallée bruyère
b soirs gazon se plonger
a terre isolée altière
b encensoirs horizon étranger
c profondes sauvages faute
c ondes rivages haute
b reposoirs prison Berger
On appelle rime dominante une rime, comme ici la rime b, qui est répétée
encore une fois pour assurer l’unité de la strophe : elle permet de faire le lien
et même le pivot entre un quatrain à rimes croisées et un quatrain à rimes
embrassées.
1 2 7
a villes primitifs villes
b machinals usines s’orner
b idéal gésine dîner
a idylle massif débiles
a facile à vif imbécile
1 2 3 4 5 6 7
F M F F F F F
M F M M M M M
M F F F F F M
F M M M M M F
F M M M M M F
Les deux strophes extrêmes ont une même organisation (FMMFF), les
strophes 3, 4, 5, 6 une autre, identique pour chacune (FMFMM). Seule la
deuxième strophe est fondée sur l’alternance MFFMM.
1 2 3 4 5 6 7
C C V V C C C
C C V V V V V
C C V V C C V
C C V V V V C
C C V V V V C
TENTATION
Blessé…
jusqu’à jouir du froid de l’âme.
a (basse)
b ( faux)
a (surpasse) rime a [as]
b (bourreaux)
c (bouche)
b (haut) rime b [o]
c ( farouche) rime c [uʃ]
d (affadissement)
c (touches)
d (raffinement) rime d [mã]
e (lame) rime e [lam]
d (l’amant)
e (l’âme)
3.2 S’agit-il de strophes ?
La définition de la strophe comporte deux volets : autonomie et
récurrence.
On ne peut ici parler d’autonomie, puisque tous les vers du tercet n’ont
pas leur répondant dans le tercet lui-même (à cet égard, un tercet monorime,
lui, répond à ce critère). Mais ce suspens trouve sa résolution dès le tercet
suivant, et la rime est alors résolue : on appelle ce phénomène rime disjointe.
Il y a en revanche une récurrence systématique, et qui s’établit tercet à
tercet avec un lien très fort par la rime commune, comme une guirlande : en
quelque sorte, l’autonomie n’est pas à l’intérieur de chaque division du
poème, mais elle est retardée par un effet de suspension vite résolu.
Pour ces raisons, les métriciens parlent de strophe pour les tercets de la
terza rima, qui ont un statut particulier.
La formule de la terza rima a connu un succès modéré mais constant
auprès des poètes à toutes les époques sans doute grâce à sa très grande
souplesse. Elle se prête bien par nature à un poème fondé sur le
retournement comme celui-ci, qui commence par La volupté et se termine
sur l’évocation du froid de l’âme, objet paradoxal de jouissance.
Dans les trois poèmes, un refrain composé d’un hémistiche ou d’un vers ou
même de deux, toujours pris au début du poème, est répété en tout trois fois.
On le trouve toujours au commencement du poème, à la fin du deuxième
groupement de vers, et en fin de poème. Tout l’art du poète consiste à varier
son insertion syntaxique et sémantique dans un contexte à chaque fois
nouveau. Si l’on écrit en majuscule la rime des vers entiers répétés comme
cela se passe pour le triolet et le rondel, on obtient les formules suivantes :
– pour le triolet : AB aA abAB,
– pour le rondel : ABab abAB abbaA(B).
Ces deux schémas ont des points de parenté assez importants, et l’on voit
très nettement que le rondel est une simple extension du triolet.
5. La ballade
5.1 Le vers
Comme dans la très grande majorité des cas, cette ballade est isométrique.
François Villon utilise le décasyllabe, vers qui caractérise la grande ballade,
et que l’on trouve souvent, ainsi que l’octosyllabe, dans cette forme fixe.
5.3 Les rimes
Les trente-cinq vers ne sont liés que par quatre rimes différentes : [εn],
[dã], [war] et [œ].
Dans les dizains, elles s’organisent de la manière suivante, toujours avec
les mêmes rimes dans les mêmes positions :
I II III
a [εn] fontaine incertaine peine
b [dɑ̃ ] dent évident prétendant
a [εn] lointaine certaine m’ataine
b [dɑ̃ ] ardent accident bourdant
b [dɑ̃ ] président perdant entendant
c [wɑr] espoir bon soir noir
c [wɑr] désespoir choir povoir
d [œ̃ ] aucun un un
c [wɑr] povoir hoir concevoir
d [œ̃ ] chacun chacun chacun
c [wɑr] savoir
c [wɑr] savoir
d [œ̃ ] commun
c [wɑr] ravoir
d [œ̃ ] chacun
5.4 Le refrain
Les trois strophes ainsi que l’envoi se terminent par un même vers,
rattaché grammaticalement à ce qui précède (ici il est toujours apposé à un je
explicite ou sous-entendu) et intégré au système des rimes. Ce vers est le
refrain de la ballade.
Cette ballade de Villon correspond, avec ses dizains de décasyllabes et son
envoi en forme de quintil, à la formule dite de la grande ballade. La petite
ballade est composée de trois huitains d’octosyllabes, et son envoi est un
quatrain.
La ballade a connu une très grande vogue du XIVe au milieu du XVIe siècle.
Les poètes de la Pléiade l’ont négligée au profit de genres à l’antique comme
l’ode ou d’une forme empruntée à l’Italie comme le sonnet. Elle n’a jamais
retrouvé une place véritable, malgré les essais des Parnassiens. Elle n’est plus
du tout pratiquée comme une forme fixe, mais comme un genre par des
poètes comme Victor Hugo(Odes et ballades) ou, plus près de nous, Paul Fort
(Ballades françaises).
6. Le sonnet
Comme on voit sur la branche au mois de mai
la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’aube de ses pleurs au point du jour
l’arrose ;
• Le vers
• L’organisation strophique
Rappel
a [laroz] la rose
b [lœr] fleur
b [lœr] couleur
a [laroz] l’arrose
a [oz] se repose
b [dœr] odeur
b [dœr] ardeur
a [oz] déclose
c [ote] nouveauté
c [ote] beauté
d [oz] reposes
e [lœr] pleurs
e [lœr] fleurs
d [oz] roses
• La rime a et la rime d d’une part, la rime b et la rime e d’autre part, sont
identiques sur le plan phonique ([oz] et [œr]) ; elles correspondent pourtant
à des vers qui ne pourraient rimer ensemble pour des raisons
orthographiques : la présence du -s en fin de mot dans les quatre derniers
vers. Une telle correspondance phonique permet d’instaurer, sur la structure
typographique du sonnet, une autre structure, avec trois quatrains à rimes
embrassées sur deux rimes (presque) à chaque fois identiques, le troisième
étant séparé des deux premiers par un distique :
quatrain
quatrain
distique
quatrain.
Le distique contient les deux compléments de temps qui soulignent l’éclat
de Marie au moment où la mort l’a fauchée (première et jeune nouveauté, ta
beauté). En revanche, le quatrain final est entièrement consacré au deuil
(tuée, obsèques, mort) et aux offrandes d’hommage.
• Les deux premiers quatrains ont chacun une certaine autonomie par
enrichissement des homophonies finales :
– dans le premier quatrain, ce sont d’une part une rime équivoquée (la
rose / l’arrose), d’autre part la consonne [l] qui s’ajoute à [œr], bien qu’elle
soit consonne combinée au v. 2 et consonne d’appui au v. 3 ;
– dans le second quatrain, c’est la rime b qui est enrichie en [d] devant
[œr].
• Certaines sonorités se retrouvent d’une rime à l’autre :
– [l] dans tout le premier quatrain et dans le dernier tercet ;
– [r] dans tout le premier quatrain également, ainsi qu’aux v. 6-7 et dans le
dernier tercet ;
– [o] dans les rimes a, c et d.
• Bien que Ronsard ait vivement critiqué les Grands Rhétoriqueurs pour
l’excessive virtuosité de leurs rimes, il met en usage ici certains de leurs
procédés – on l’a vu avec la rime équivoquée – au service de l’harmonie de
l’ensemble. On trouve également ici des cas de rimes batelées :
Enfin, on remarquera que le troisième quatrain est lié aux deux autres non
seulement par une rime phoniquement identique, mais aussi par des reprises
de mots :
– mots de rimes (affectés d’un -s final ; il y a donc jeu de polyptotes*) :
On peut donc récrire le dernier quatrain en soulignant les termes qui font
l’objet d’une reprise :
Le caractère récurrent des mots de rime dans ce poème fait penser à une
autre forme fixe ancienne qui fut relativement prisée à la Renaissance : la
sextine. C’est un long poème de six sizains avec un envoi de trois vers, sur
deux rimes seulement. Les mêmes mots figurent à la rime dans toutes les
strophes, mais dans un ordre qui tourne à chaque fois (1 2 3 4 5 6 devient 6 1 5
2 4 3), et tous ces mots sont repris à la fin de chaque hémistiche de l’envoi.
La grâce de ce sonnet réside pour une bonne part dans le fait que son
extrême simplicité apparente (vocabulaire, images) est soutenue par un jeu
de structures multiples qui tient à l’organisation même du poème et à la
souplesse des rimes.
Conclusion générale
• La rime :
• Le rythme :
GAUTHIER (M.), Système euphonique et rythmique du vers français, Paris,
Klincksieck, 1974.
MESCHONNIC (H.), Critique du rythme. Anthropologie historique du langage,
Paris, Verdier, 1982.
• Accents et diction :
• Formes nouvelles :
MORIER (H.), Le Rythme du vers libre symboliste et ses relations avec le sens,
t. I, Genève, Presses académiques, 1943.
SANDRAS (M.), Lire le poème en prose, Paris, Dunod, 1995.
4. Dictionnaires
DUPRIEZ (B.), Gradus. Les procédés littéraires, Paris, U.G.E., coll. « 10/18 »,
1984. Ce dictionnaire porte sur l’ensemble des procédés qui concernent la
littérature (versification, mais aussi rhétorique, stylistique, poétique, etc.).
MORIER (H.), Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, PUF, 4e éd.
1989. La versification est largement représentée dans ce dictionnaire, avec la
rhétorique.
MAZALEYRAT (J.) et MOLINIÉ (G.), Vocabulaire de la stylistique, Paris, PUF, 1989.
Ce dictionnaire est consacré à la versification et à la rhétorique.
AQUIEN (M.), Dictionnaire de poétique, Paris, Hachette, coll. « Les Usuels de
poche », 1993. Ce dictionnaire est entièrement consacré à la versification et à
la poétique.
Index des notions
N.B : L’index renvoie à la page où la notion indiquée est définie
accent 1, 2, 3
alexandrin 1
alternance 1
alternées (rimes) 1
anapeste 1
annexée (rime) 1
apocope 1
approximative (rime) 1
assonance 1, 2, 3
augmentée (rime) 1
ballade 1
batelée (rime) 1
biocatz (vers) 1
blanc (vers) 1
brisée (rime) 1
carrée (strophe) 1
césure 1, 2, 3, 4, 5, 6
composée (strophe) 1
concordance 1
consonantique 1
contre-assonance 1
contre-rejet 1
coupe 1
couronnée (rime) 1
croisées (rimes) 1
dactyle 1
décasyllabe 1, 2
dérivative (rime) 1
diérèse 1
différée (concordance) 1
discordance 1
disjointe (rime) 1
dissyllabe 1
distique 1, 2
dizain 1
dominante (rime) 1
douzain 1
e caduc 1
élision 1
embrassées (rimes) 1
enchaînée (rime) 1
enjambante (césure, coupe) 1, 2, 3
enjambée (rime) 1
enjambement 1
ennéasyllabe 1
envoi 1
épique (césure, coupe) 1, 2
équivoquée (rime) 1, 2
féminine (rime) 1, 2, 3
fratrisée (rime) 1
hémistiche 1
hendécasyllabe 1
heptasyllabe 1
hétérométrique 1
hexasyllabe 1
hiatus 1
homophonie 1
huitain 1
iambe 1
inversée (rime) 1
isométrique 1
laisse 1
layé 1
léonin (vers) 1
léonine (rime) 1
liaison supposée 1
libre (vers) 1
lyrique (césure, coupe) 1, 2
masculine (rime) 1
mesure 1
mètre 1
mêlés (vers)
monorime 1
neuvain 1
octosyllabe 1, 2
onzain 1
orpheline (rime) 1
pauvre (rime) 1
pentasyllabe 1
pied 1
plates (rimes) 1
prolongée (strophe) 1
quadripartite (rythme) 1
quatrain 1
quintil 1
refrain 1
rejet 1
rentrement 1
riche (rime) 1
rime 1, 2
rondeau 1
rondel 1
rythme 1
semi-équivoquée (rime) 1
semi-ternaire (vers) 1
senée (rime) 1
septain 1, 2
séquence 1
sextine 1
simple (strophe) 1
sizain 1
sonnet 1
spondée 1
strophe 1
suffisante (rime) 1
suivies (rimes) 1
surnuméraire 1
syllabe 1
syncope 1
synérèse 1
tercet 1
ternaire (vers) 1
terza rima 1
tétrasyllabe 1
trimètre 1
triolet 1
tripartite (rythme) 1
trisyllabe 1
trochée 1
vers 1
verset 1
vocalique 1
Index des auteurs cités
Apollinaire (Guillaume) 1, 2, 3
ARAGON (Louis) 1, 2, 3, 4
BAUDELAIRE (Charles) 1, 2, 3, 4, 5
BONNEFOY (Yves) 1, 2
CÉSAIRE (Aimé) 1
CHAR (René) 1, 2, 3, 4, 5
CLAUDEL (Paul) 1, 2, 3
CORNEILLE (Pierre) 1, 2, 3
DESCHAMPS (Eustache) 1
DESNOS (Robert) 1
ELUARD (Paul) 1, 2
FARGUE (Léon-Paul) 1, 2
FRÉNAUD (André) 1, 2
GASPAR (Lorand) 1
HUGO (Victor) 1, 2, 3, 4
JAMMES (Francis) 1
LABÉ (Louise) 1
LA FONTAINE (Jean de)
LAFORGUE (Jules) 1, 2, 3
LAMARTINE (Alphonse de) 1, 2, 3, 4
LA TOUR DU PIN (Patrice de) 1, 2, 3
MACHAUT (Guillaume de) 1, 2, 3
MALHERBE (François de) 1
MALLARMÉ (Stéphane) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
MAROT (Clément) 1, 2, 3, 4, 5, 6
MUSSET (Alfred de) 1, 2
NERVAL (Gérard de) 1
RACINE (Jean) 1
RIMBAUD (Arthur) 1, 2, 3, 4
RONSARD (Pierre de)
SAINT-AMAND (Marc-Antoine de)
SCÈVE (Maurice) 1, 2, 3
SENGHOR (Léopold Sédar)
SUPERVIELLE (Jules) 1
VALÉRY (Paul) 1
VERLAINE (Paul) 1, 2, 3
VIGNY (Alfred de) 1, 2, 3, 4
VILLON (François) 1, 2, 3, 4, 5
VOITURE (Vincent) 1, 2, 3, 4
Collection 128 • Lettres