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LECTURE ANALYTIQUE N°3

« Harmonie du soir », Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire

I. Inspiration romantique

- Forme du pantoum (introduite par V. Hugo dans les Orientales)


- Thème du soleil couchant ; alliance de la beauté et de la tristesse (« Le ciel est triste et beau »
-> pureté (ou simplicité) de ce ciel qui suscite la mélancolie traduite par l’emploi de
monosyllabes dans ce vers (vers 8) – fait exception le mot à la rime, sur lequel nous
reviendrons bientôt)
- Une description où nature et religion s’entremêlent (cf. « Voici venus les temps » -> pluriel
donne une dimension religieuse ; les comparaisons « ainsi qu’un encensoir »,
« comme un grand reposoir ». Le coucher de soleil devient une cérémonie où les
vapeurs naturelles rappellent celles de l’encens ; où le ciel devient un monument
fleuri propice au recueillement, à la méditation. Paysage empreint de solennité =>
non seulement sujet caractéristique de la poésie romantique, mais encore traitement
proche.
Transition : description du paysage insiste sur l’aspect cérémoniel de l’arrivée du crépuscule.
Évidemment, paysage symbolique : concordance entre la nature et l’état d’âme du
poète.

II) Un paysage intérieur : le thème de la rupture et du deuil

* Une atmosphère bien sombre


cf. champ lexical de la mort et du souvenir
A ce titre, la mort du soleil est éminemment symbolique : la lumière disparaît pour l’ombre
(« passé lumineux » vs « néant vaste et noir ») (mort du soleil dramatisée par l’allitération « Le
soleil s’est noyé dans son sang qui se fige » : idée de mort et action paralysante du temps qui
enlève toute vie : cf. emploi du présent de l’indicatif, aspect inaccompli ; insistance sur
l’action elle-même)

En fait, le paysage est à la fois un écran sur lequel le poète projette son état d’âme, et un
masque…

* Un lyrisme bien discret, qui se veut presque … impersonnel


En effet, seule marque du lyrisme : le déterminant « ton » et le pronom « moi » dans le tout
dernier vers. Pourtant, tout au long du poème, présence discrète
- comparaison renversée : « Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige » : ordre
normal : comparant concret / comparé abstrait. Ici, ordre inverse : un certain voile recouvre les
sentiments, qui n’apparaissent qu’en transparence / en projection
- 2e masque du poète pour cacher sa douleur : l’usage de l’article indéfini un dans « un
cœur » -> donne l’impression que le cœur, en tant que comparant, est absolument
indéterminé… Reprise du groupe nominal en apposition et particularisation par la relative :
« un cœur tendre qui hait le néant vaste et noir » => le lecteur sait que le poète cache ses
sentiments derrière le masque de l’impersonnel, de l’indéfini. Or, l’étude du rythme, montre
que pourtant la douleur et la frayeur sont si intenses qu’elles finissent par percer la toile de ce
paysage harmonieux
Un cœur tendre, / qui hait // le néant / vaste et noir
=> proposition subordonnée relative isolée au sein des coupes rythmiques ; isolement mis en
valeur par la virgule qui précède, qui oblige à marquer une pause => l’hiatus n’en ressort que
mieux : discordance au sein de cette harmonie, cri du cœur comme une fausse note

Transition : un paysage intérieur destiné à masquer les sentiments douloureux et intenses du


poète. En somme, ce poème est une cérémonie poétique qui va permettre d’apaiser la peur du
gouffre et de surmonter la mort.

III) La poésie comme source d’harmonie suprême

* L’harmonie musicale qui couvre la dissonance intérieure


- Communion de toutes les sensations pour noyer la souffrance : les synesthésies sont une sorte
de danse destinée à étourdir la douleur : « Les sons et les parfums tournent »
- Musicalité du poème exacerbée : cf. champ lexical de la musique « vibrant » « air » (jeu sur la
polysémie) « violon », de la danse « tournent » « valse ». Mais surtout retour des sonorités qui
bercent littéralement le poète et le lecteur : reprise des vers due au pantoum ; deux rimes
seulement pour tout le poème (ij et oir) ; plus allitérations notamment dans le 1er vers : « Voici
venir les temps où vibrant » mais surtout dans le 4e
« Valse mélancolique et langoureux vertige » : sonorités douces des constrictives +
reprise impression du vertige de la danse (cf. jeu sur le retour des sonorités vocaliques aussi)
En somme, tourbillon de la musique pour étourdir la douleur -> Vers une sublimation par
le détour de la musicalité du poème

* Un poème ostensoir
Temps dominant : le présent -> insiste sur la permanence du souvenir : « luit » => un poème
vainqueur du passé qui, grâce à l’aspect cérémoniel de la poésie, parvient à vaincre la mort pour
accéder à la vie éternelle. En somme, tout le poème est comme un ostensoir (une pièce
d’orfèvrerie -> voir le cisellement des vers) qui contient le corps spirituel de la personne perdue
(l’hostie, c’est le signe de la résurrection du souvenir, de la perpétuation de la mémoire du
disparu). Seul moyen de vaincre le travail du temps : composer un poème - ostensoir qui façonne
le souvenir en écrin dont la lumière (luit) lutte contre les ténèbres du néant.

La synesthésie (du grec syn, « avec » (union), et aesthesis, « sensation ») est un phénomène


par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Cf. Rimbaud dans Voyelles.

Hiatus : Rencontre de deux voyelles à l’intérieur d’un mot ou entre deux mots.


Dans la phrase suivante, il y a des hiatus par la rencontre de voyelles sonores qui ne peuvent
s'élider : Les hiboux hululent.

Encensoir / ostensoir : vocabulaire religieux.

La diérèse est un effet de prononciation spécifique au langage poétique qui consiste


à dissocier deux voyelles à l’intérieur d’une même syllabe.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;


Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal, « Élévation ».

→ On prononce en deux syllabes deux voyelles consécutives (« pu-ri-fi-er » et « su-pé-ri-


eur »).

En poésie, une synérèse consiste à prononcer en une seule syllabe deux voyelles contiguës
dans un même mot.
[…] Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.

Ronsard, Sonnets pour Hélène, « Quand vous serez bien vieille »

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