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DEA de langues et cultures étrangères

mention lexicologie et terminologie multilingues ; traduction.

ANALYSE COMPARATIVE DE DEUX TRADUCTIONS


DU ROMAN DE J.D. SALINGER,
THE CATCHER IN THE RYE

Mémoire présenté par Karen Bruneaud


sous la direction de Monsieur le Professeur Claude Boisson,
Université Lumière Lyon II – année universitaire 2002-2003
Des millions et des millions de jeunes gens ont suivi Holden Caulfield dans
sa fugue new-yorkaise, quelques jours avant les vacances de Noël. Avec lui,
ils se sont révoltés contre l'hypocrisie, l'indifférence, la cruauté des adultes.
Ils ont éclaté de rire en l'écoutant se moquer d'institutions aussi
fondamentales que le navet hollywoodien ou le rituel du flirt. Ils ont rêvé
d'avoir une petite sœur comme la sienne, l'adorable Phoebe. Ils ont retourné
leur casquette de base-ball, la visière sur la nuque. Et, surtout, ils se sont mis
à parler la langue de Holden, ce cocktail d'argot, de préciosités, de
métaphores hilarantes et de blagues tristes.
Didier Sénécal Lire, février 19971.

1
Edition électronique, source : http://www.lire.fr/critique.asp/idC=32318/idR=217/idTC=3/idG=4

2
INTRODUCTION

The Catcher in the Rye, c'est Holden Caulfield, un adolescent un peu perdu dans un monde
qu'il a du mal à comprendre, entre une enfance qui lui échappe et un monde d'adulte qu'il
refuse. Suite à son éviction d'un énième établissement scolaire, et craignant la confrontation
avec ses parents, il fugue et se retrouve à New York. L'histoire de ces deux jours, il la raconte
sur un ton alternant entre innocence et ironie, d'une 'voix' d'adolescent, mélange de lyrisme et
d'argot, où percent la tendresse pour sa sœur Phoebe, son frère disparu, des instants
d'égarement aussi dans un monde où il ne trouve pas sa place. Le langage d'Holden est au
cœur de l'histoire, c'est sur lui que repose le roman: "For, make no mistake, it's the style that
makes the book interesting."2. Ce discours oscille entre un monologue tout à la fois silencieux
et assourdissant, ses bribes de dialogues et des confessions pour exorciser ses
questionnements. Ce discours est la cristallisation du personnage d’Holden Caulfield.

Ce roman a été traduit de l'anglais américain vers le français pour la première fois en 1953 par
Jean-Baptiste Rossi (tout jeune auteur à l'époque, qui deviendra internationalement connu par
la suite) qui apparaîtra sur la couverture sous son pseudonyme anagramme, Sébastien Japrisot
à partir de la réédition de 1996. Le roman a été réédité en 1967 en édition de poche, toujours
avec la même traduction, puis de nombreuses autres réimpressions ont suivi. En 1986, le
roman est retraduit par Annie Saumont, à la demande de l’éditeur qui invoque alors "un refus
de l'agent américain de reprendre la traduction de Jean-Baptiste Rossi", propos qui m'ont été
rapportés par Annie Saumont dans un fax du 2 août 2002. Cette nouvelle traduction, plus de
trente ans après la première soulève le problème de la retraduction et de sa justification.
L’idée est communément admise qu’il existe autant de traductions différentes d’un même
texte que de traducteurs, théorie qui se vérifie dans le cas du Catcher in the Rye, d’où l’intérêt
d’une étude comparative. Dans un premier temps, ces traductions seront rapprochées au texte
source, afin d'effectuer une analyse traductologique du passage de l'anglais au français, puis
nous les comparerons l’une à l’autre afin de mettre en exergue les différents choix qu’ont
opéré les traducteurs. Nous essaierons aussi de comprendre ce qui peut pousser un traducteur
à adopter telle ou telle stratégie.

2
About Salinger's Catcher, David LODGE, The Art of Fiction, 1986, p. 19.

3
Les contraintes stylistiques pèsent très lourd dans la traduction d’œuvres littéraires :

[…] altérer la nature syntaxique d’un texte, […] c’est commettre un contresens de lecture qui
finira par peser plus lourd, […] que n’importe quel banal contresens de vocabulaire, en ce qu'il
transformera radicalement les spécificités d'écriture en dénaturant les visées de l'auteur.
Claude & Jean DEMANUELLI, 1991 : 26.3

C'est une des raisons pour lesquelles nous allons nous concentrer sur l'étude des choix
syntaxiques et stylistiques des traducteurs. Dans ce cadre, le niveau de langue devient une
composante essentielle des contraintes stylistiques : "L'un des problèmes majeurs auxquels est
confronté le traducteur est le respect de la tonalité du texte, des variations de niveaux de
langue."4

Niveau de langue
Relève à la fois de la stylistique et de la sociolinguistique et se trouve directement lié aux
problèmes de tonalité et de registre (Chuquet & Paillard), mais surtout à la connotation de
marqueur : un ensemble de marqueurs […] convergeant dans une même direction contribuera
à imprimer à un texte un certain niveau de langue (populaire / courant / familier / soutenu…).
C. & J. DEMANUELLI, 1991 : 238.

Notons aussi que Delisle parle de "ce qui se surajoute à la fonction purement dénotative du
texte, tout ce qui se superpose à l’information pure et simple." La tonalité, "cette surcharge
connotative" comme Delisle l'appelle aussi, est donc ce qui donne toute sa couleur au texte.5
Nous considérerons aussi les choix lexicaux, même si, selon C. & J. Demanuelli cités plus
haut, ils représentent un facteur d'erreur moindre.

Cette étude contrastive et traductologique devrait conduire à l'illustration de


"tendances déformantes", telles qu'évoquées par Antoine Berman dans La Traduction et la
lettre ou l'auberge du lointain6. Nous utiliserons comme points de départ ces tendances telles
que décrites par Berman, nous les complèterons en fonction des éléments découverts au cours
de l'étude de la traduction du Catcher. Nous serons par extension appelés à nous interroger sur
la frontière entre traduction et interprétation, sur les erreurs de traduction, enfin, sur la
nécessité de la retraduction.

3
Claude et Jean DEMANUELLI, Lire et traduire, 1991.
4
D. GAUVIN & D. SLOTE, Meta, vol. 33, 2, 1988, p.192.
5
Dans le même cadre, nous utiliserons aussi "registre [de langue]" selon la définition qu'en donne Hélène
CHUQUET dans Pratique de la traduction, 1990 : "terme équivalent à niveau de langue, mais moins marqué
par des 'connotations hiérarchiques' et désignant plus particulièrement l'adaptation d'un niveau de langue à une
situation d'énonciation définie."
6
La première édition date de 1985, mais nous utilisons une édition de 1999.

4
REMERCIEMENTS

Je remercie M. Claude Boisson d'avoir bien voulu encadrer ce travail. Je le remercie


de son temps, sa patience, et ses conseils avisés qui ont largement contribué au bon
déroulement de ce mémoire. Je remercie ensuite Madame Demanuelli pour ses suggestions
qui m'ont permis d'élaborer ce projet.

Je remercie Paul pour son soutien inconditionnel, sans lui rien n'était possible. Je tiens
enfin à remercier mes étudiants et mes amis et collègues d'avoir bien voulu répondre à mes
questions.

5
PREMIÈRE PARTIE

ANALYSE DÉTAILLÉE DE TROIS EXTRAITS

6
CHAPITRE 1

THE FIRST THING YOU'LL PROBABLY WANT TO KNOW

1. Mode opératoire

Les passages présentés sont des passages de quelques lignes sélectionnés dans
différents chapitres du roman. Ils feront l'objet d'une comparaison minutieuse intralinguistique
et interlinguistique. Les comparaisons porteront sur l'agencement syntaxique, la grammaire, le
lexique, mais aussi la prosodie et la tonalité7.
Ici nous souhaitons introduire une parenthèse concernant notre utilisation du terme
"prosodie". Pour commencer, nous sommes partis de la définition qu'en donne Hélène
Chuquet :

Prosodie : domaine de la phonétique qui concerne l'intensité, […], le rythme,[…]. Ces


caractères quantitatifs et mélodiques des sons interviennent dans la poésie, mais aussi dans une
étude stylistique d'un texte, quel que soit son registre.
H. Chuquet, La Pratique de la traduction, 1990 : 161.

Vinay et Darbelnet donnent la définition suivante :

Phénomène étalé sur plusieurs segments de l'énoncé. Par exemple, sur le plan phonologique […];
sur le plan du lexique […] ; sur le plan grammatical […] ; sur le plan stylistique […]
J.P. Vinay et J. Darbelnet, Stylistique comparée du français et de l'anglais, 1968.

Notre acception de "prosodie" combine en quelque sorte ces deux définitions. En effet, les
leitmotive du Catcher en particulier nous semblent des éléments prosodiques en ce sens que la
répétition intensive8 de certains mots les porte au rang de ponctuation rythmique du texte, au
même titre qu'une répétition de sons dans un texte poétique a une signification
indépendamment de la sémantique des mots eux-mêmes.

7
Le terme "tonalité" comme introduit page 4, se réfère à la coloration du texte, par extension, au registre/niveau
de langue (voir définitions p.4).
8
Il y a deux grands types de leimotive dans le Catcher : on a, d'une part, les occurrences qui se font écho à
travers le roman, à des fréquences relativement faibles, mais néanmoins repérables (pour des raisons que nous
évoquerons cas par cas), et d'autre part, les occurrences d'un même terme que l'on peut retrouver jusqu'à une
douzaine de fois sur une même page, répétition que nous appelons donc 'intensive'.

7
Chaque passage sera présenté en gras dans sa version originale, puis dans les deux
versions de sa traduction (par ordre de leur parution : celle de Sébastien Japrisot puis celle
d'Annie Saumont). Le découpage se fera selon les différences existant entre les deux énoncés
d'arrivée, en unités de traduction9 (U.T.) au sens large du terme comme défini ci-dessous :

Assimilable au syntagme, mais définissable uniquement en termes sémantiques, l'U.T. est une
entité bâtarde dont la détermination ne peut être qu'arbitraire. Elle n'est utile que dans
l'optique d'une vérification a posteriori du travail effectué sur des phrases complexes, lorsque
le traducteur veut s'assurer que chaque élément du sens-source a été pris en compte lors de la
restitution.
Claude et Jean Demanuelli, 1991 : 241.

Nous effectuerons donc un découpage 'arbitraire' ex post facto, guidé par nos observations
initiales quant aux différences observées entre les deux traductions, ce qui nous permettra de
les étudier dans le détail.
Dans un premier temps, les traductions seront décrites, puis analysées différence par
différence. Les choix imaginables seront explorés ainsi que des solutions proposées par
chaque traducteur. Le but de cette manœuvre est de définir les problèmes posés par la
traduction, d'étudier les stratégies souvent divergentes des traducteurs et enfin de définir les
leitmotive de traduction qui nous conduiront à illustrer nos "tendances déformantes de la
traduction" dans la troisième partie, largement inspirées par la théorie d'Antoine Berman10.
Les extraits étudiés en détail seront présentés dans l'ordre suivant : texte original en
caractères gras suivi des deux traductions (dans l'ordre chronologique de publication) en
caractères maigres. Les abréviations suivantes seront utilisées : AS pour Annie Saumont, SJ
pour Sébastien Japrisot et CITR pour The Catcher in the Rye. Afin de faciliter la lecture et le
repérage des définitions ou traductions de mots et expressions, les entrées de dictionnaires de
langue anglaise seront en caractères gras et celles en langue française en caractères maigres
(le tout en caractère 10). Nous avons décidé de mettre les définitions/traductions des mots,
même courants, dès qu'il y avait la moindre confusion possible (polysémie), des connotations
intéressantes, des indications sur le niveau de langue, etc.

9
On retiendra aussi la définition de J. P. VINAY et J. DARBELNET, Stylistique comparée du français et de
l'anglais, 1972 : "le plus petit segment de l'énoncé dont la cohésion des signes est telle qu'ils ne doivent pas être
traduits séparément".
10
Antoine BERMAN, La Traduction et la lettre ou l'auberge du lointain, 1999.

8
2. Extrait 1

Le passage qui fait l'objet de notre première analyse détaillée est constitué des toutes
premières lignes du roman. Cet extrait présente en quelques lignes tout ce qui va suivre. La
première page du roman pour le lecteur est son premier face-à-face avec l'histoire, celle qui
donne le ton, d'où son importance, d'autant plus qu'ici, on rentre tout de suite dans le vif du
sujet : Holden.

If you really want to hear about it, the first thing you'll probably want to know is where I
was born, and what my lousy childhood was like, and how my parents were occupied and
all before they had me, and all that David Copperfield kind of crap, but I don't feel like
going into it, if you want to know the truth. In the first place, that stuff bores me, and in
the second place, my parents would have two hemorrhages apiece if I told anything
pretty personal about them.
The Catcher in the Rye, p. 111

Si vous avez réellement envie d'entendre cette histoire, la première chose que vous voudrez
sans doute savoir c'est où je suis né, ce que fut mon enfance pourrie, et ce que faisaient mes
parents et tout avant de m'avoir, enfin toute cette salade à la David Copperfield, mais à vous
parler franchement je ne me sens guère disposé à entrer dans tout ça. En premier lieu, ce genre
de truc m'ennuie, et puis mes parents piqueraient une crise de nerfs si je racontais quelque
chose de gentiment personnel à leur sujet.
traduction de Sébastien Japrisot

Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez
demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que
faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais j'ai
pas envie de raconter tout ça et tout. Primo, ce genre de trucs ça me rase et secundo mes
parents ils auraient chacun une attaque, ou même deux chacun, si je me mettais à baratiner sur
leur compte quelque chose d'un peu personnel.
traduction d'Annie Saumont

Cet extrait se découpe en deux phrases seulement, l'une d'elles se déroule sur quatre
lignes. Le découpage reste approximativement le même que celui de départ dans les deux
énoncés d'arrivée. A la première lecture, on remarque un phrasé plus écrit chez Sébastien
Japrisot et une langue plus orale chez Annie Saumont (reprises, dislocations). Voyons le
découpage de cet extrait.

11
J.D. SALINGER, The Catcher in the Rye, 1958 (première edition 1951), Penguin Books, London. Il est
intéressant de noter que le copyright est lui daté de 1945-46, années au cours desquelles Salinger avait déjà
publié deux nouvelles avec Holden pour personnage principal "This Sandwich Has No Mayonnaise" et "I'm
Crazy".

9
If you really want to hear about it,

Si vous avez réellement envie d'entendre cette histoire,


Si vous voulez vraiment que je vous dise,

A la lecture de ce début de phrase, on constate des différences lexicales et de syntaxe.


Tout d'abord, étudions le choix de l'adverbe "réellement" par rapport à "vraiment" :

REELLEMENT adv. Effectivement, véritablement ; en vérité. Il est réellement le meilleur.

VRAIMENT adv. 1. D'une manière réelle, effective, et qui ne peut être mise en doute. Une vie vraiment
extraordinaire. 2. (Soulignant une affirmation, une question). Vraiment, il exagère.
Larousse, 1996.

Il n'y a pas de différence majeure dans la dénotation des deux adverbes, très proches en sens
et interchangeables. Toutefois, si l'on étudie le rôle de l'adverbe dans la phrase, on remarque
qu'il ne s'agit pas de l'affirmation d'une réalité, d'une vérité absolue et indéniable, mais plutôt
d'une marque d'emphase12, le concept de "soulignement" contenu dans l'adverbe "vraiment".

REALLY […] adverb 1. (for emphasis) vraiment, réellement; they really enjoyed the film, le film leur a
vraiment plu; you really ought to have ironed them, tu aurais vraiment dû les repasser; [...] 2. (very)
cheap, hot, badly, well - très, vraiment; really big très grand; really good très bon/bonne; 3. (in actual
fact) en fait, réellement; […]
The Oxford Hachette Dictionary, 1996

REALLY adverb 1. VERY very, synonym extremely: a really good film. It was really cold last night.
2. THE REAL SITUATION - used when you are talking about what actually happened or is true, rather
than what people might wrongly think Why don't you tell us what really happened? Oliver's not really
her brother. […] 3. spoken DEFINITELY - used to emphasize something you are saying We really
need that extra money. […]
Longman Dictionary of Contemporary English, 2003

"Really" a plusieurs traductions possibles, mais son emploi le plus fréquent est une marque
d'emphase ou d'intensification, "really" n'est la traduction de "en réalité, réellement" que dans
certains cas contextuellement très marqués (comme on peut le remarquer à travers les deux
premiers exemples du sens 2 du Longman). Le "réellement" ici, 'sent' le calque de "really". On

12
Suivant l'usage en voie d'etablissement chez les linguistes anglicistes francais, la notion
d'"emphase/emphatique", telle que mentionnée dans cette étude sera prise dans son acception anglaise :
processus 'd'insistance' qui concerne tous les moyens, prosodiques, sémantiques et syntactiques qu'un auteur est
susceptible d'utiliser afin d'augmenter la valeur affective d'un terme, d'une expression ou d'un procès (mise en
relief syntactique, adjonction d'un intensifieur, italiques, etc.).

10
lui préfèrera donc un "vraiment" plus naturel en français13 et qui permet une lecture plus
fluide du texte. On remarque en effet que la lecture de "Si vous avez réellement envie" est
plus ardue que "Si vous voulez vraiment", le rallongement du segment enclenché par ce choix
n'est pas négligeable, on a un phénomène prosodique de dilution.

to hear about it,

d'entendre cette histoire,


que je vous dise,

Dans la suite de la phrase, Japrisot choisit une traduction littérale de "hear about it",
"entendre cette histoire", là où Annie Saumont choisit d'en passer par la transposition et la
modulation14 dans"que je vous dise". L'anglais a cette possibilité d'utiliser son verbe "hear"
au figuré, pour la transmission d'un message quel que soit le moyen utilisé15, alors
qu'"entendre" en français passe par l'ouïe (seul "entendre" au sens de comprendre ne dénote
pas la transmission d'un son). Chez AS, "que je vous dise" transmet le même message global
mais on a un changement de repérage, qui se fait cette fois par rapport à l'énonciateur "je".
Dans le texte d'origine, on ne découvre le narrateur que dans l'énoncé qui suit "where I was
born", qui nous situe d'emblée un narrateur-acteur du roman en introduisant l'idée d'avoir des
détails biographiques. Le délai, comme on le verra plus tard dans cette étude, joue un rôle très
important dans le roman, on peut donc dire qu'Annie Saumont a anticipé l'introduction du
personnage.

the first thing you'll probably want to know

la première chose que vous voudrez sans doute savoir


alors sûrement la première chose que vous allez demander

Pour ce segment, l'agencement syntaxique diffère encore d'un traducteur à l'autre.


Présentation des éléments, la modalité de "probably" est antéposée chez AS "alors sûrement"
là où Japrisot, a choisi "sans doute" et l'a laissé dans l'ordre canonique de la phrase. Avec la

13
On remarquera que si une des traductions proposées de "really" est "réellement", il n'apparaît pas une seule
fois dans les mises en contexte pour les valeurs emphatiques, il en est de même dans le Robert & Collins, non
cité ici.
14
Voir J.P. VINAY et Jean DARBELNET, 1972, pp.46-54.
15
"HEAR a.[…] 2. (learn, find out about) apprendre [news, story, joke, rumour]; […] b. HEAR FROM […] 1.
(get news from) recevoir des nouvelles de" Oxford Hachette Dictionary, 1996.

11
présentation anticipée de l'adverbe chez Annie Saumont, on a un "découpage" supplémentaire
d'une phrase qui est déjà très morcelée. Ce découpage n'est pas lié aux choix lexicaux
puisqu'on pourrait très bien avoir "la première chose que vous allez sûrement demander", ou
"sans doute, la première chose que vous voudrez savoir", il s'agit plutôt de choix délibérés de
la part de chaque traducteur qui reflètent d'ailleurs des schémas de traduction plus profonds.
On verra ci-dessous qu'Annie Saumont 'disloque' volontiers.
Les deux traductions gardent le même repérage que celui du texte d'origine à partir de
"you". Ce dernier est traduit par "vous", choix logique si l'on veut garder la porte ouverte à
tous les destinataires possibles, opter pour un "tu" ici serait un conditionnement trop pesant, le
destinataire dès lors ne pourrait être qu'une connaissance ou un pair de l'énonciateur alors que
le "vous" permet toutes les possibilités. A nouveau AS insiste sur l'oralisation du message
avec un énoncé performatif16, après "dire", on a "demander" pour "know" alors que Japrisot
respecte strictement la lettre originale avec "savoir".

is where I was born, and what my lousy childhood was like,

c'est où je suis né, ce que fut mon enfance pourrie,


c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance,

La proposition : "c'est où je suis né," ne présente pas de surprises, les contraintes


syntaxiques imposaient une topicalisation. Pour "and what my lousy childhood was like" il y
avait plusieurs traductions possibles : "et à quoi mon enfance pourrie a ressemblé ", "et ce
qu'a été ma fichue enfance/enfance pourrie", "et comment c'était, ma saleté d'enfance" ou "et
comment c'était, mon enfance pourrie". En français, conserver l'interrogation indirecte est
possible mais on remarquera que l'énoncé "et à quoi mon enfance pourrie a ressemblé"
manque de naturel et de spontanéité, "et comment ma fichue enfance a été" serait simplement
improbable. Les contraintes stylistiques diffèrent donc en français et requièrent un procédé
d'extraction de l'objet17, ce qui explique les choix des deux traducteurs. Les deux ont donc
extrait le complément d'objet "enfance pourrie/saloperie d'enfance", mais on note une
différence toutefois entre les deux : chez Japrisot, l'objet direct interne est extrait banalement
en "ce" alors qu'Annie Saumont, thématise l'objet indirect en "ça" et disloque la proposition :
"et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance,". Ce procédé de dislocation, courant à l'oral,

16
Martin RIEGEL, Jean-Christophe PELLAT et René RIOUL, Grammaire méthodique du français, 1994, p.584.
17
Ibid. pp.430-432

12
renforce une tendance chez Annie Saumont et opère une mise en relief de "ma saloperie
d'enfance".
Les autres différences de ce passage concernent aussi l'aspecto-temporel. Japrisot
utilise le passé simple "ce que fut mon enfance pourrie", là où Annie Saumont utilise un passé
composé "à quoi ça a ressemblé", pour "what my childhood was like". Comme on l'a vu dans
les propositions ci-dessus, le choix des temps pour la traduction de "was" est multiple:
"comment c'était", "à quoi ça a ressemblé", ou encore "ce que fut". Le choix entre passé
simple, imparfait ou passé composé en français est crucial, il détermine l'aspect (inchoatif,
itératif, terminatif, etc.) du propos. Ce choix est d'autant plus important que, par souci de
congruence, il conditionnera les suivants.

Le prétérit anglais recouvre, on l'a vu, à la fois le passé simple [KB : ici les auteurs rappellent
en note que les choix possibles incluent évidemment le passé composé et le présent] et
l'imparfait français. Si l'opposition entre -ed et was –ing permet dans certains cas de lever
l'ambiguïté, il est fréquemment nécessaire de tenir compte de facteurs autres que la forme
verbale elle-même.
Approche linguistique des problèmes de traduction, 1987 : 9418

Les critères principaux ici sont la valeur d'accompli du procès, Holden parle d'une
enfance révolue au moment d'énonciation, et la tonalité. En effet le texte original est marqué
fortement par des indices socio-culturels de registre familier, on peut dans ce même
paragraphe, noter : "lousy", "and all" répété deux fois, "David Copperfield kind of crap" et
"that stuff bores me". On peut d'ores et déjà remarquer que la stratégie adoptée par chaque
traducteur a une importance capitale sur la perception du texte. Ces implications seront
développées plus en détail dans une partie ultérieure de cette étude.19
Concernant les différences lexicales, chez Annie Saumont, on trouve "ma saloperie
d'enfance," là où Japrisot place "mon enfance pourrie," pour traduire l'idée de "lousy".

LOUSY adj 1 infml very bad, unpleasant, useless, etc.: What lousy weather!
Longman, 1987.

LOUSY […] adjective 1. [!][book, film, holiday] mauvais; [meal, holiday, working conditions]
infect[!]; [salary] nul/nulle[!]; to be lousy at être nul/nulle[!] en [history etc]; to feel lousy être mal
fichu[!], être patraque[!]; a lousy trick un sale tour; […]
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

SALOPERIE n.f. Fam. 1. Saleté, grande malpropreté. 2. Chose de très mauvaise qualité. 3. Action,
propos bas et vils.

18
M. PAILLARD & H. CHUQUET, Approche linguistique des problèmes de traduction (anglais<--> français),
1987.
19
Le traitement du temps et de l'aspect dans la traduction de Sébastien Japrisot est un thème central qui fait donc
l'objet d'une étude en détail dans la troisième partie, chapitre 1 "Les Leitmotive de la traduction".

13
POURRI, E adj 1. Gâté, avarié. Fruit pourri. 2. a. Corrompu moralement. Un monde pourri. […].
Larousse, 1996.

"Lousy" est noté comme grossier par l'Oxford Hachette Dictionary, et fait partie du
registre 'informel' pour le Longman,. Les deux traducteurs y répondent de façon différente,
Japrisot par l'attribut "pourri" et Annie Saumont par la locution d'intensité "saloperie de". Si
l'on en croit les définitions respectives du Larousse, on peut donc considérer que les deux
expressions, "pourri" et "saloperie de" sont relativement interchangeables. On peut tout de
même noter que "saloperie de" sera perçu comme ayant une coloration grossière beaucoup
plus forte que "pourri" et est donc peut-être excessif ici par rapport à "lousy". Etant donné les
nombreuses autres occurrences de "lousy" dans le roman, cette question sera approfondie dans
la deuxième partie de cette étude20.

and how my parents were occupied and all before they had me, and all that David Copperfield kind of crap,

et ce que faisaient mes parents et tout avant de m'avoir, enfin toute cette salade à la David Copperfield,
et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield,

Japrisot reprend fidèlement le "and all" du texte source à travers le "et tout" sans
changement dans l'ordre de présentation des éléments du texte original là où Annie Saumont
l'omet. Une autre différence importante concerne la traduction des "and all". Ce ne sont pas
les mêmes, l'un a une fonction de reprise de "how my parents were occupied", l'autre est la
combinaison d'une conjonction de coordination "and", d'un déterminant "all" qui introduisent
le groupe nominal qui suit, leur effet de répétition est donc plus 'prosodique'21 que
sémantique.
Chez Japrisot, le premier est traduit "et tout" puis "enfin toute cette salade", chez
Annie Saumont, on a "et toutes ces conneries" pour la seconde occurrence de "and all", mais
la première est effacée, on perd l'effet de rhétorique provoqué par cette répétition dans la
phrase, et la démarche adoptée aura encore une fois des répercussions sur les autres
occurrences. Cette question pose encore une fois le problème d'un élément récurrent qui ne

20
Deuxième partie, Chapitre 1.
21
L'expression "and all" (interchangeable avec "and stuff") est composée de deux monosyllabes, ne correspond
pas à un signifié précis, c'est une sorte de terme caméléon, ou encore un 'récipient vide' qui, par 'contamination',
se 'remplit' de sens uniquement en fonction du contexte. Nous entendons donc par 'prosodique' que sa répétition
engendre une ponctuation de la lecture, et que donc, la traduction de la forme est très importante ici et se doit
d'être constante.

14
peut être traité uniquement dans le contexte d'un passage, mais doit recevoir un traitement
systématique global.

Plus loin, on note que les deux traducteurs opèrent des choix lexicaux différents pour
traduire "and all that David Copperfield kind of crap,".

and all that David Copperfield kind of crap,

enfin toute cette salade à la David Copperfield,


et toutes ces conneries à la David Copperfield,

CRAP1 n taboo sl […] 3 [U] something worthless or unwanted that does not require serious attention:
His speech was just a lot of crap. […]
Longman, 1987.22

CRAP1 n Vulgar sl […] 3. Foolish, deceitful, or boastful language. […] 7. Insolent talk or behavior.
The American Heritage Dictionary of the English Language, 2000.

CRAP n […] 2: a ludicrously false statement […]


WordNet, 1997.

Le mot "crap" est donc considéré comme grossier, "taboo" pour le Longman, "vulgar" pour
l'American Heritage Dictionary. Cette tonalité va se retrouver dans le choix de traductions
proposées :

CRAP 1. n […] offensive language (nonsense) conneries fpl, couillonades fpl; (junk) merde, saloperie f,
the film was ~ le film était merdique. […]
Robert & Collins, 1993.

CRAP [!!] […] noun 1. (nonsense) conneries [!!!] fpl; to talk a load of crap débiter des conneries[!!!];
2. (of film, book, food etc) foutaise[!!]f; this film is crap c'est de la foutaise ce film!; […]
Oxford Hachette Dictionary, 1996

Parmi les suggestions, on retrouve le choix d'Annie Saumont "conneries" on pourrait ajouter
"niaiseries/idioties/âneries/bêtises/salades à la David Copperfield" qui, d'un registre plus
familier que grossier, gardent toute de même l'idée péjorative de "crap". Sébastien Japrisot
opte pour "salade" au singulier.

SALADE n.f. […] 4. Fam. Mélange confus hétéroclite. Fam. Vendre sa salade: essayer de convaincre.
Pl. Fam. Mensonges; histoires. Raconter des salades.

CONNERIE n.f. Très fam. Stupidité.

22
On voit l'évolution du registre de langue avec l'entrée du Longman 2003 qui se contente de le signaler comme
"spoken not polite".

15
Larousse, 1996.

Pour ce qui est du sens de "crap", on retrouve fréquemment l'idée de "stupidité(s)"


doublée d'une notion d'insincérité. Annie Saumont, en préférant "conneries" conserve ce
marquage, tout en gardant aussi la tonalité. Dans "cette salade" on retrouve des notions de
tentative de persuasion ainsi que de confusion (Larousse,1996), le choix du singulier à priori
'efface' l'idée du mensonge, mais pour le lecteur moyen, cette permutation singulier/pluriel
n'est probablement pas perceptible. L'expression est peu marquée et on peut arguer que
"salade" représente un enjolivement du propos, on perd la coloration socio-culturelle de
départ tout comme dans les propositions faites ci-dessus: "et toutes ces niaiseries/idioties/
âneries/bêtises/salades à la David Copperfield". On peut s'interroger toutefois sur le choix du
traducteur qui opte pour un singulier vaguement idiosyncrasique.
Si l'on s'attarde sur le modificateur "that […] kind of", qui atténue la dureté du propos
– le jugement est moins définitif et semble plus s'attacher à l'adéquation des propos pour
décrire la vie de l'adolescent qu'à l'œuvre elle-même – on aurait pu avoir en français "enfin ce
genre de conneries/niaiseries/[…] à la David Copperfield". On notera toutefois qu'adopter "ce
genre de + nom" empêche l'utilisation de "et tout", qui semble pourtant essentiel étant donné
son aspect récurrent. De plus, on notera qu'en français, l'expression "à la", automatique pour
ce type de formulation, possède le sens de "à la manière de/dans le style/dans le genre de".
Même si "à la" est ici une contrainte syntaxique et non un choix rhétorique qu'était le "kind
of" de départ, on peut considérer qu'il traduit convenablement la nuance apportée par celui-ci.

but I don't feel like going into it, if you want to know the truth.

mais à vous parler franchement je ne me sens guère disposé à entrer dans tout ça.
mais j'ai pas envie de raconter tout ça et tout.

Attardons nous sur la version de Japrisot: "mais à vous parler franchement je ne me


sens guère disposé à entrer dans tout ça.". En alternative, nous aurions pu avoir "mais j'ai/je
n'ai pas envie de me lancer dans tout ça si vous voulez savoir.", "mais j'ai/je n'ai pas envie
d'en parler si vous voulez vraiment savoir.". On a une suite d'expressions qui, combinées,
produisent un effet très écrit "à vous parler franchement" "guère disposé à". De plus, on peut
se demander pourquoi cette antéposition pour un traducteur qui jusque là suivait l'agencement
original de très près.

16
On peut imaginer ensuite que le choix d'"entrer" est un calque facile de "going into"
qui, de surcroît, fonctionne en français, dans le sens "raconter, entrer dans les détails". On
obtient un effet de préciosité avec ce "je ne me sens guère disposé à", or a priori ce n'est pas
précisément l'effet recherché. A contrario, chez Annie Saumont, on a "mais j'ai pas envie de
raconter tout ça", un parti pris radicalement différent : une oralisation du discours avec la
négation tronquée23, et le vocabulaire est simple, sans tournure littéraire, le rendu est
plus homogène aussi. On remarque aussi que "if you want to know the truth." n'est pas traduit
par "si vous voulez [vraiment] savoir", "si vous voulez que je vous dise", mais a plus ou
moins disparu. On peut raisonnablement supposer que le "et tout." rejeté à la fin de ce
segment remplace "if you want to know the truth.". On aurait pu avancer l'hypothèse que
c'était l'occurrence attendue du "and all" contenu dans "how my parents were occupied and
all", mais rejeté tout à la fin de la phrase, il n'a plus la fonction d'écho ni de reprise de "how
my parents were occupied". Il est donc plus probable que ce soit la traduction de "if you want
to know the truth.". Il est dommage encore une fois qu'il y ait effacement de "if you want to
know the truth", car cet élément est un élément constant du discours d'Holden.

In the first place, that stuff bores me,

En premier lieu, ce genre de truc m'ennuie,


Primo, ce genre de trucs ça me rase

"In the first place" dans ce contexte peut devenir, en français, la locution calque "En premier
lieu", ou encore "Premièrement", "D'abord", "Primo". Toutes ces propositions sont
sémantiquement interchangeables comme on peut le voir ci-dessous:

LIEU 1. n.m. (lat. locus) […] III. […] En premier, en second lieu : premièrement; d'abord;
deuxièmement, ensuite. […]

PRIMO adv. (mot lat.). Premièrement, en premier lieu.


Larousse, 1996.

Le choix de "En premier lieu" plutôt que "Primo" ou vice-versa ne paraît pas a priori lourd de
conséquences. Si l'on s'attache à la prosodie, par contre, on constate tout d'abord une
différence notable dans le rythme de la phrase entre les deux auteurs. Annie Saumont a choisi
un rythme plus simple, plus saccadé aussi, des syllabes courtes contre des associations de

23
Claire BLANCHE-BENVENISTE et al., Le Français parlé, 1991.

17
semi-consonnes24 et voyelles chez Japrisot ([mje] de "premier", [ljø] "lieu", [ųi] de
"m'ennuie"). Si l'on poursuit la phrase, cette différence s'accroît: "ce genre de truc m'ennuie"
opposé à "ce genre de trucs ça me rase", des directions à la fois syntactiquement et
lexicalement opposées.

RASER v.t. […] 5. Fam. Importuner, ennuyer.


Larousse, 1996.

On a une phrase canonique chez Japrisot, avec "ce […] m'ennuie" qui n'est pas marqué
socialement alors qu'Annie Saumont choisit à nouveau la dislocation avec "ça me rase" et
prend le parti d'un terme familier pour traduire "bores me". Les deux auteurs semblent suivre
des voies bien distinctes : l'un a tendance à embellir là où l'autre surenchérit dans la
familiarité.
Pour traduire "That stuff" on aurait aussi pu avoir "ces trucs-là" ou "ces choses-là".
Les deux traducteurs, sans concertation ont opté pour "ce genre de" qui fait écho à "ce genre
de conneries" chez Annie Saumont. Dans le texte source, on a "that" dépréciatif25 qu'il est
donc bienvenu de rendre par "ce genre de" qui apporte une notion d'imprécision, de
dépréciation. On remarquera enfin que Sébastien Japrisot, comme pour "salade[s]" –
mentionné plus haut – a choisi de délaisser le pluriel dépréciatif car imprécis pour le singulier.

and in the second place, my parents would have two hemorrhages apiece

et puis mes parents piqueraient une crise de nerfs


et secundo mes parents ils auraient chacun une attaque, ou même deux chacun,

Dans le texte source, on a une relance de l'expression "in the [first/second] place", que
l'on retrouve chez Annie Saumont dans "secundo" qui reprend "primo". Chez Japrisot, on a
"et puis", le Larousse dit : "Et puis : d'ailleurs, au reste, de plus.". Ce "et puis" traduit donc le
même message mais ne fait pas écho à "En premier lieu". Japrisot aurait pu utiliser "en second
lieu", mais la réitération de l'expression aurait rendu le ton encore plus pompeux, comme
découpé à la façon d'un plan que l'on énonce. Or ici, il s'agit d'un adolescent qui présente les
contraintes qui régissent la narration de son histoire – en d'autres termes, ses parents qui

24
Semi-consonne (ou semi-voyelle, ou encore voyelle-consonne [j], [ų], [w]), d'après M. Grévisse, Le Bon
usage, 1986 et G. Galichet, Physiologie de la langue française, 1964.
25
"[…] THAT est foncièrement dépréciatif ("dénigrant,"négatif"). La proximité dans le temps nous dit-on, est
transposée dans le domaine affectif […] l'éloigné mène facilement à l'idée de répulsion, d'hostilité, de
désintérêt." Linguistique et grammaire de l'anglais, JR LAPAIRE & W. ROTGÉ, 1991, p.67.

18
seraient furieux de voir leur vie ainsi déballée – pas d'une argumentation détaillée en trois
parties.
Dans "mes parents ils", on a une dislocation à gauche, formulation typique du français
parlé26. On notera toutefois qu'ici, Annie Saumont ôte la virgule qui sépare logiquement "mes
parents" et "ils" dans les retranscriptions de ce type d'énoncé. Cette mise en relief insiste sur
"mes parents", une mise en relief qui sert à montrer toute la portée affective – au sens "porteur
de sentiment"27, ici la crainte – de l'énoncé. Japrisot ne modifie pas la syntaxe, qui reste de ce
fait une énonciation assez neutre et factuelle. Pour la suite de l'extrait les différences sont
essentiellement lexicales : "piqueraient une crise de nerfs" chez Japrisot devient "auraient
chacun une attaque, ou même deux chacun" chez Annie Saumont.
En anglais on a "would have two hemorrhages apiece", une métaphore pas tout à fait
figée, et qui est 'doublée', ce qui montre la volonté de l'auteur de la rendre bien vivante28 :
"two hemorrhages apiece". En français, Sébastien Japrisot choisit une métaphore morte
"piquer une crise de nerfs". De plus, cette expression "faire une crise/piquer une crise [de
nerfs]", s'applique plus à de la colère et des cris, alors qu'en anglais l'expression est plutôt
synonyme de surprise intense, sans hystérie, ce n'est pas le style des parents d'Holden, qui
sont catégorisés comme des bourgeois plutôt distingués. On a donc un appauvrissement de la
métaphore, ainsi qu'un glissement de sens. Annie Saumont parle d'"attaque", ce qui est
littéralement le sens de "haemorrage" puisqu'en consultant le Larousse, on a "hémorragie ou
embolie cérébrale". L'intérêt ici est double, tout en conservant une métaphore consacrée en
français "faire/avoir une attaque", on garde la même image. Ensuite, pour rendre l'emphase
donnée en anglais, elle rajoute "ou même deux chacun", on a un phénomène de dilution29, on
aurait pu envisager "auraient deux attaques chacun", mais à cela, Annie Saumont a préféré la
dislocation à droite, qui produit un effet supplémentaire de spontanéité et de mise en relief.

if I told anything pretty personal about them.

si je racontais quelque chose de gentiment personnel à leur sujet.


si je me mettais à baratiner sur leur compte quelque chose d'un peu personnel.

26
Claire BLANCHE-BENVENISTE, 1991, p.64.
27
Voir sens affectif et sens intellectuel, chez J.P VINAY & J. DARBELNET, 1972.
28
"[…] l'auteur […] se préoccupe en principe d'accoucher d'une métaphore 'vivante' ou, pour le moins, de
réactiver la métaphore morte." C. & J. DEMANUELLI, 1991, pp.46-48.
29
"[…] phénomène prosodique" "répartition d'un signifié sur plusieurs signifiants.", définition J.P VINAY & J.
DARBELNET, Stylistique comparée du français et de l'anglais, 1972.

19
Si l'on considère la traduction de "if I told" on n'a pas de marquage de tonalité pour
envisager naturellement de le rendre par "baratiner" qui est fortement connoté.

BARATIN n.m. Fam. Bavardage destiné à séduire ou à tromper. Arrête ton baratin!

BARATINER v.i et t. Fam. Faire du baratin, raconter des boniments.

Dans "baratiner", on a une connotation forte de mensonges, qui n'est pas dans le texte, ici, le
verbe "raconter", plus versatile, convenait tout à fait dans la mesure où il convenait au registre
de "told".
L'élément "about them." est rendu par "sur leur compte" chez Annie Saumont. L'ordre
des éléments a été modifié afin d'associer "sur leur compte" à "baratiner" collocation qui
renforce encore l'impression d'histoires à tout va. On aurait tout à fait pu avoir "baratiner
quelque chose d'un peu personnel sur leur compte.". Japrisot a conservé l'ordre de la phrase,
en n'introduisant "à leur sujet" qu'à la fin, et conserve une tonalité assez neutre.
Pour "anything pretty personal" il est important de s'attarder sur le sens de l'expression
"pretty + adjectif" en anglais.

PRETTY ² adv infml 1. quite, though not completely; rather: It's pretty cold today.[…] 2. very: This
work of yours is a pretty poor effort. […]
Longman, 1987.

Il s'agit donc de la gradation de l'adjectif, que l'on peut interpréter de deux façons "plutôt
personnel" ou "vraiment/très personnel". Annie Saumont module, on passe d'un "plutôt
personnel" à "quelque chose d'un peu personnel", une euphémisation dont la nuance
légèrement ironique renvoie au sens premier de "plutôt". Le contexte qui a été introduit
jusqu'ici laisse peu de place à l'ambiguïté. Chez Japrisot, on trouve une formulation pour le
moins surprenante : "quelque chose de gentiment personnel". A partir d'une expression
banale, il fait une proposition atypique, s'appuyant sur une ironisation de "gentiment"
renforçant ainsi l'idée d'idiotisme.30 On reviendra dans le chapitre "Les Leitmotive du texte"
sur cette utilisation récurrente de "pretty", mais il est important de souligner ici que ce qui en
fait un idiotisme est sa fréquence, non sa valeur intrinsèque, on peut donc s'interroger sur ce
choix de "gentiment", qui apparaît comme une surtraduction.

30
Le Larousse donne la définition suivante : "GENTIMENT adv. De façon gentille, aimable. 2. Suisse. Sans
précipitation, tranquillement.", donc une utilisation dans un autre contexte portera une nuance ironique certaine :
"se faire gentiment éconduire", "je leur ai fait gentiment comprendre".

20
CHAPITRE 2

I'M THE MOST TERRIFIC LIAR

Ce passage est au début du chapitre 3 du Catcher, Holden repense à ses derniers mots
à M. Spencer et parle de sa propension naturelle à mentir. On a une perspective sur sa
psychologie, son environnement direct ainsi que des références sociales.

I'm the most terrific liar you ever saw in your life. It's awful. If I'm on my way to the
store to buy a magazine, even, and somebody asks me where I'm going, I'm liable to say
I'm going to the opera. It's terrible. So when I told old Spencer I had to go to the gym to
get my equipment and stuff, that was a sheer lie. I don't even keep my goddam
equipment in the gym.
CITR, p.14

Je suis le plus épouvantable menteur que vous ayez vu dans votre vie. C'est terrible. Si je pars
acheter un magazine et qu'en route, quelqu'un me demande où je vais, je suis capable de lui
dire que je vais à l'Opéra. C'est effarant. Ainsi, lorsque je racontai au Vieux Spencer que je
devais passer à la salle de gym pour prendre mon équipement et machin-chose, c'était une
drôle de blague. Je ne laisse jamais ma saleté d'équipement dans les salles de gym.
traduction de Sébastien Japrisot

Je suis le plus fieffé menteur que vous ayez jamais rencontré. C'est affreux. Si je sors même
simplement pour acheter un magazine et que quelqu'un me demande où je vais je suis capable
de dire que je vais à l'Opéra. C'est terrible. Ainsi quand j'ai dit au père Spencer qu'il fallait que
j'aille au gymnase chercher mon équipement et tout c'était un foutu mensonge. Parce que mon
foutu équipement, je le laisse même pas au gymnase.
traduction d'Annie Saumont

Quelques remarques préliminaires sur la ponctuation de ce passage : elle diffère d'un


traducteur à l'autre. On remarque que chacun ne traite pas les contraintes de la même façon et
opère des choix distincts sur lesquels nous reviendront ultérieurement, notre préoccupation
première ici étant le passage du texte source au(x) texte(s) d'arrivée, et la ponctuation est un
sujet trop vaste pour être traité au seul titre de ce commentaire de passage.31 On notera ici le
traitement des virgules en particulier "ainsi[,]", "quelqu'un me demande où je vais[,]", "et
machin-chose[,] // et tout[]". Les coupures de phrase ne présentent pas de différence majeure,

31
Voir troisième partie, "Les Leitmotive de la traduction"

21
la structure du paragraphe reste donc identique, les différences étant essentiellement d'ordre
syntaxique, donc internes à la structure de la phrase.

I'm the most terrific liar you ever saw in your life.

Je suis le plus épouvantable menteur que vous ayez vu dans votre vie.
Je suis le plus fieffé menteur que vous ayez jamais rencontré.

La première divergence est lexicale : Annie Saumont traduit "terrific" par "fieffé" là
ou Japrisot emploie "épouvantable".

TERRIFIC adjective […] 1. informal very good, especially in a way that makes you feel happy and
excited; synonym great That's a terrific idea! The actress who played the lawyer was terrific. 2. very
large in size or degree a terrific bang. He drank a terrific amount of beer.
Longman, 2003

On remarque que le sens premier de "terrific" est positif, qu'il exprime avant tout une idée
d'exceptionnel. En français, on se heurte à une forme de lacune cependant, en effet, toute
tentative de traduire cet adjectif se solde par un choix hyponymique :

TERRIFIC […] adjective 1. (huge) [amount, incentive, pleasure, size] énorme; [pain, heat, noise]
épouvantable; [argument] violent; [speed] fou/folle; [accident, problem, shock, worry] terrible;
[struggle] acharné; 2. [!](wonderful) formidable; to feel terrific se sentir en pleine forme[!]; to look
terrific (healthy) avoir l'air en pleine forme[!]; (attractive) être superbe; we had a terrific time on s'est
vraiment bien amusé.
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

Si la valeur affective de "terrific" en anglais est uniquement déterminée par le


contexte, c'est-à-dire le mot qu'il qualifie, en français, il faut faire un choix plus net. Les
solutions possibles sont peu nombreuses, "énorme" ou "sensationnel" s'accordent
difficilement avec "menteur", "exceptionnel" est trop positif, "formidable" est un peu plus
versatile, mais nous transporte dans un autre registre un peu plus littéraire. "Terrible" semble
aussi être un remplaçant honorable : "TERRIBLE […]4. Fam. (Indique un haut degré, une
grande quantité). a. Extraordinaire […] b. Fantastique, formidable […]."32, très proche de la
valeur de "terrific", positif ou négatif, il convoie en plus cette l'idée d'extraordinaire contenue
dans "terrific". En théorie. A l'essai : "le plus terrible menteur/le menteur le plus terrible que
vous ayez jamais vu", cela ne semble plus si évident, l'association manque de naturel et de
spontanéité.

32
Larousse, 1997.

22
On peut alternativement étudier le problème dans son ensemble : "I'm the most terrific
liar you ever saw in your life." peut se traduire par "il n'y a pas plus menteur que moi" qui
aboutit à une économie non négligeable par concentration. On perd ce faisant une certaine
insistance, si l'on considère que l'association "ever" + "in your life" représente un léger
pléonasme et donc une mise en relief plus forte. On a aussi, plus dilué : "des menteurs dans
mon genre, on n'en fait pas beaucoup" qui opère une mise en relief supplémentaire sur les
capacités de menteur d'Holden. L'expression "je mens comme un arracheur de dents" ne peut
être associé au superlatif, de plus, on retombe sur une métaphore totalement éculée en
français, alors que l'anglais ne présentait pas de cliché.
Si l'on en revient au syntagme "the most terrific liar" on pourrait aussi proposer des
intensifieurs, tels que "sacré" ou "drôle de", mais ceux-ci ne sont pas compatibles avec le
superlatif, ce qui réduirait l'aspect 'exceptionnel' de la formule de départ. On peut alors
envisager "incroyable", "le plus incroyable menteur que vous ayez jamais vu". Les deux
auteurs, eux, ont opté pour :

EPOUVANTABLE: adj. 1. Qui cause de l'épouvante, […] atroce, […] 2. Très désagréable […] un
caractère épouvantable.

FIEFFÉ: adj. Fam. qui a atteint le dernier degré d'un défaut, d'un vice: fieffé menteur.
Larousse, 1996.

Appliquer "épouvantable" à "menteur" est ambigu. En effet, la connotation


d'épouvantable peut aussi être "de mauvaise qualité" : on pourrait comprendre qu'Holden ne
sait pas mentir, alors qu'il s'agit de son penchant qui est "épouvantable", "il ne peut
s'empêcher de", même si, dans ce contexte, on peut arguer que l'ambiguïté est vite levée.
"Épouvantable" reste cependant d'un registre plus soutenu que "terrific" qui est qualifié de
familier par les dictionnaires consultés. Concernant "fieffé", on remarquera tout d'abord que
s'il est considéré comme terme familier selon le Larousse, ce n'est pas un terme très courant
dans la langue de tous les jours, on pense spontanément à "fieffé coquin", expression d'un
usage ancien. Il a aussi des contraintes de co-occurrence très forte avec "menteur" en
particulier, ce qui donne à l'expression une coloration forte, et donc un emploi plus spécifique,
or en anglais, "terrific liar" n'est pas un idiotisme. Si l'ambiguïté est absente – Holden éprouve
de toute évidence un certain raffinement dans le vice – la connotation est plus péjorative. Quel
que soit le choix des traducteurs, on a donc un phénomène d'entropie33, limité cependant.

33
"Entropie : Terme emprunté à la cybernétique par certains théoriciens de la traduction (Nida, Mounin, …) au
sens de déperdition (sémantique) au cours du transfert T.S. → T.C. […]", C. & J. DEMANUELLI, 1991, p. 235.

23
"Incroyable", ici semblait une proposition raisonnable, compte-tenu de la combinaison
'connotation-dénotation' du mot et de son registre.

you ever saw in your life.

que vous ayez vu dans votre vie.


que vous ayez jamais rencontré.

La deuxième partie de cet extrait oppose "que vous ayez vu dans votre vie" chez A.S.
à "que vous ayez jamais rencontré" chez Japrisot. Pour la traduction d'Annie Saumont, on
conserve une structure très proche, on ne peut même pas parler de modulation puisqu'ici
"jamais" est dans son application 'positive'34, très proche en sens de "ever" donc. Chez
Japrisot, on a une structure plus atypique avec l'introduction de "dans votre vie" qui, pour le
lecteur averti, appelle immédiatement l'équivalent calque anglais "in your life". En anglais
deux expressions sont possibles pour exprimer cette idée d'extraordinaire, "you've ever
seen/met35" ou "you've seen in your life". Les deux sont figées à jusqu'à un certain degré, mais
en français, le plus naturel serait bien "que vous ayez jamais vu/rencontré". Notons tout de
même qu'ici les différences sont essentiellement stylistiques et ne portent pas à conséquence,
dans le sens où les deux formes sont très proches en sens.

It's awful.

C'est terrible.
C'est affreux.

On a deux adjectifs aux dénotations très similaires, on pourrait même dire qu'ils sont
synonymes dans la mesure où l'un d'entre eux est donné pour définition de l'autre :

AFFREUX adj. 1. Qui provoque la peur, la douleur, le dégoût […] 2. Très laid. 3. Qui cause un vif
désagrément.

TERRIBLE adj. 1. Qui cause, inspire de la terreur, qui a des effets funestes […] 2. Très désagréable,
affreux. […] 3. Qui atteint une violence, une force considérable. […] 4. Fam. (Indique un haut degré,
une grande quantité). a. Extraordinaire […] b. Fantastique, formidable […].

34
"Comme d'autres auxiliaires de la négation, jamais peut encore, dans certaines conditions […], s'employer
avec son ancienne valeur positive ('en un temps quelconque')". GREVISSE, 1986, p. 1481.
35
Notons que si l'anglais britannique privilégie le present perfect dans ce cas, l'anglais américain lui préfèrera le
prétérit "you ever saw/met".

24
Cependant, on remarquera qu'au sens familier de "terrible" s'ajoute une connotation positive
contrairement à "affreux", qui est totalement négatif. Si l'habitude d'Holden est qualifiée
d'affreuse, cela sous-entend une certaine honte, au moins qu'il considère son penchant comme
un problème, alors que, dans la mesure où ses mensonges lui permettent de rendre sa réalité
plus supportable, c'est plutôt une bonne chose pour lui, quand il énonce sa propension au
mensonge, il en semble plutôt fier. En dernier recours, si l'on s'en réfère au texte anglais, on a
"terrific liar", terme qui tend plutôt vers l'aspect extraordinaire de sa capacité à mentir ; on
retrouve donc le "formidable, extraordinaire" contenue dans le terme "terrible".

If I'm on my way to the store to buy a magazine, even,

Si je pars acheter un magazine et qu'en route,


Si je sors même simplement pour acheter un magazine et que

Dans "je pars", "je sors", pas de différence notable de dénotation ou de connotation,
les deux ne traduisent pas tout à fait le même procès que "I'm on my way" qui est duratif alors
que les deux termes choisis par les traducteurs sont inchoatifs. Pourtant, une traduction
littérale comme "être en route/chemin pour" serait difficile en français, cette expression a des
contraintes de co-occurrence "sur la route des vacances", "sur le chemin de l'école", "en route
pour l'aventure", cette expression a perdu de sa qualité générique et n'est pas aussi neutre que
"on my way". On pourrait alors avoir "Si, en allant […]" ou une transposition "Si, en route
pour […]", mais on se heurte à une autre difficulté en français la traduction de "the store".
Aisément hyperonyme en anglais, le français ne peut obtenir le même effet avec "magasin"
par exemple, qu'en le mettant au pluriel "en route pour les magasins", "boutiques" étant trop
fortement connoté et donc hyponyme. Or "Si je suis sur le chemin du/en route pour les
magasins" est très artificiel. "Faire des courses" ici ne correspond absolument pas à la
connotation de départ. La variante, "aller/sortir acheter des trucs" n'est pas compatible non
plus, puisqu'en anglais on a un objet précis "a magazine". "Sortir acheter" est donc la seule
solution qui ne dénature ni le texte anglais ni le texte français.

On a ensuite "même simplement" chez AS et rien chez Japrisot, pour traduire "even".
On a plusieurs possibilités pour traduire "even", "Même si je sors juste [pour] acheter un
magazine", "Si je sors, même juste pour acheter un magazine,". En anglais, il y a une rupture
volontaire dans l'ordre canonique de la phrase, souligné par la mise en incise de "[…], even,".
La rupture rendue par l'antéposition de"même simplement" d'Annie Saumont y répond donc.

25
Japrisot lui, s'il omet "even", ajoute "et qu'en route,", à mi-chemin entre opération de
compensation de l'aspect duratif de "on my way" qui n'a pas été traduit directement, et/ou
explicitation du fait que s'il y a interaction avec autrui, c'est forcément 'en chemin'.

and somebody asks me where I'm going, I'm liable to say I'm going to the opera.

quelqu'un me demande où je vais, je suis capable de lui dire que je vais à l'Opéra.
quelqu'un me demande où je vais je suis capable de dire que je vais à l'Opéra.

On a ici un phénomène de particularisation chez Japrisot "je suis capable de lui dire",
explicitation inutile. La phrase d'AS a la même clarté, l'économie en plus.

It's awful.

C'est effarant.
C'est terrible.

On retrouve ici la même expression analysée plus haut "It's awful." Pourtant, les choix
des deux traducteurs sont nouveaux : "C'est terrible" chez AS et "C'est effarant" chez Japrisot,
selon le Larousse :

EFFARANT adj. 1. Qui effare, plonge dans la stupeur; stupéfiant. 2. Qui atteint un degré extrême,
inouï. Des prix effarants.

On a ici deux termes très proches en sens, puisqu'on retrouve le "degré extrême" chez les
deux, ce sont deux termes à connotations proches, même si l'on note une légère différence de
registre entre les deux. On remarquera toutefois qu'"effarant" apporte un enrichissement
sémantique (aspect de surprise), un gain sur le texte de départ. Il n'y a pas plus neutre
qu'"awful" en anglais, or "effarant" en français est une image très vivante en comparaison, on
lui préfèrera donc "terrible" encore une fois.

So when I told old Spencer

Ainsi, lorsque je racontai au Vieux Spencer


Ainsi quand j'ai dit au père Spencer

26
L'utilisation de "lorsque" chez Japrisot et de "quand" chez Annie Saumont dénotent
leurs deux tendances respectives, une oralisation du discours pour AS contre un récit très écrit
chez Japrisot. On notera aussi une différence dans la ponctuation (qui sera abordée dans une
vision plus globale plus loin dans la troisième partie) que l'on perçoit tout d'abord avec la
virgule suivant "Ainsi," chez Japrisot, début d'une incise qui se termine après "machin-
chose,". La différence se fait sentir aussi une nouvelle fois au niveau des temps employés : le
passé simple "je racontai" pour Japrisot et le passé composé "j'ai dit" pour Annie Saumont. Si
les différences lexicales sont minimes, on remarque tout de même la confirmation de la
tendance 'écrite' de Japrisot à travers l'utilisation de ce passé simple.
Pour la suite du segment, on a affaire à une des occurrences de "old" traitées plus en
détail plus tard dans cette étude36. On se limitera donc ici à souligner l'effet, une nouvelle fois,
atypique du choix de Japrisot de mettre une majuscule à "Vieux".

I had to go to the gym to get my equipment and stuff,

que je devais passer à la salle de gym pour prendre mon équipement et machin-chose,
qu'il fallait que j'aille au gymnase chercher mon équipement et tout

"I had to go" est l'expression de la contrainte d'Holden à retourner chercher (soi-disant
du moins) ses affaires au gymnase. Or l'expression de cette obligation en français dans un
contexte oral se fera naturellement le plus fréquemment par "il fallait".37 Annie Saumont est
donc fidèle à sa ligne de conduite là où Japrisot adopte une traduction plus linéaire "je
devais".
Concernant les choix lexicaux pour la traduction de "gym", on notera que la traduction
de Japrisot vieillit mal dans la mesure ou aujourd'hui, la connotation de "salle de gym" est
essentiellement associée à "salle de musculation/fitness", alors que le sens de "gym" ici est
bien celui de gymnase, au sens le plus scolaire du terme.

Les deux traducteurs n'ont pas tergiversé avec "equipment" et tous les deux en sont
arrivés à la même conclusion : "équipement". Notons que dans le contexte, on aurait pu aussi

36
Deuxième partie, Chapitre 1, section 3.
37
Une recherche dans le corpus oral ELICOP (étude linguistique de la communication parlée), 2001, limitée à
100 résultats sur le corpus d'"Orléans" a mis a jour seulement 7 occurrences de "je devais" (dont 3 exprimant une
modalité de probabilité, non d'obligation) pour 33 occurrences confondues de "il fallait qu'" et "il fallait que".
Voir annexe 6 pour plus de précisions concernant le projet ELICOP.

27
trouver "mes affaires" sous-entendu "mes affaires de gym" sans déperdition de sens. L'unité
"my equipment and stuff" devient "mon équipement et machin-chose" chez Japrisot. Cette
expression familière en français semble surprenante dans cet emploi. A la suite d'un petit
sondage, les résultats suivants ont été obtenus :
sur dix personnes interrogées sur le sens qu'elles donnaient à "machin-chose"
- huit ont répondu que "machin-chose" désignait quelqu'un dont on ne connaissait
pas le nom, dont 4 à l'exclusion de toute autre explication

- 2 personnes seulement ont évoqué 'un objet précis dont on ne connaît pas le nom',
tout en proposant aussi "quelqu'un dont on ne connaît pas le nom". Aucun(e) des 2
n'a fait allusion à un "ensemble de choses" ou n'a proposé d'exemple indéfini ou
pluriel

de plus, dans les exemples proposés, on pouvait remarquer que "machin-chose" pour
un objet était précédé d'un déterminant (le, ce).

On peut donc avancer que l'utilisation de "machin-chose" ici est incongrue. L'expression dans
le texte original est: "my equipment and stuff". Si l'on se concentre sur "and stuff", il y a
plusieurs traductions possibles : "et tout", "et tout ça" "et d'autres trucs", "et d'autres choses",
"d'autres affaires". En anglais, "my equipment" est un terme qui regroupe suffisamment de
choses pour ne pas nécessiter d'ajout, c'est pourquoi le "and stuff" n'est pas une expression qui
doit désigner quelque chose en particulier, le "and stuff" ici n'est pas porteur d'un sens
particulier, mais plutôt un outil d'indétermination, voire de dénigrement. Holden reste vague
sur le type d’affaires qu’il compte soi-disant récupérer au gymnase, situation typique du
mensonge, dans l’urgence, l'adolescent n’a pas le temps de peaufiner les détails. Le "et tout"
chez AS qui reprend "mon équipement", apporte cette idée d'indéfini, en droite ligne avec la
désinvolture affichée d'Holden. Dans la mesure où "and stuff" fait partie d'un leitmotiv qui
englobe aussi "and all", on aurait dû avoir une démarche tenant compte de ce facteur. Par
exemple, si on considère que "and all" doit être traduit par "et tout", alors pour "and stuff", on
aurait pu avoir une légère variante "et tout ça" par exemple.

that was a sheer lie.

c'était une drôle de blague.


c'était un foutu mensonge.

28
SHEER […] 1. the sheer weight/size etc. used to emphasize that something is very heavy, large etc. the
sheer weight/size etc of The sheer size of the country makes communications difficult. 2. sheer
luck/happiness/stupidity etc. luck, happiness etc with no other feeling or quality mixed with it •
synonym pure I'll never forget the look of sheer joy on her face. sheer hypocrisy.
Longman, 2003.

Compte tenu de la definition de "sheer" dans ce contexte, il peut être considéré comme
intensifieur. L'expression "sheer lie", si elle est courante, n'est pas un idiotisme pour autant.
C'est une association naturelle, mais dans aucun des ouvrages de référence consultés
(Longman 1987 & 2003, Robert & Collins 1993, Oxford Hachette Dictionary 1996, American
Heritage Dictionary 2000) n'est citée telle quelle, il n'y a donc pas de co-occurrence forte
entre les deux termes.38 Les deux traductions françaises "drôle de blague" pour SJ et "foutu
mensonge" pour AS ne sont pas très proches. Chez Japrisot, on perd "l'intensité",
("Completely such, without qualification or exception: sheer stupidity; sheer happiness."
American Heritage Dictionary, 2000) alors que chez AS, cette intensité, si elle n'est pas
directement traduite par 'foutu' est tout de même compensée par l'excès que contient cette
expression familière. Il y a déperdition de sens dans la traduction de Japrisot un
amoindrissement certain de l'effet de départ.

I don't even keep my goddam equipment in the gym.

Je ne laisse jamais ma saleté d'équipement dans les salles de gym.


Parce que mon foutu équipement, je le laisse même pas au gymnase.

La difficulté de ce segment réside tout d'abord dans la traduction de "not + even",


utilisé pour intensifier l'écart entre le mensonge d'Holden et la réalité, qu'on peut traduire par
"même pas" en français. Ensuite, le présent simple (à valeur générique) utilisé en anglais fait
de ce procès une règle générale. Aspect que, d'ailleurs, Japrisot traduira par un "jamais", alors
que le présent simple du français n'a pas cette valeur générique marquée et donc devra
compenser cette lacune par une forme de compensation quelconque.
Annie Saumont, toujours pour marquer la couleur adolescente et spontanée des
propos, a opté pour une dislocation à gauche introduite par "Parce que" et une négation
tronquée "je le laisse même pas". On peut arguer que l'idée de 'règle générale' véhiculée par le
présent simple générique en anglais est ici compensée par le "Parce que" qui introduit une

38
Cette combinaison ne figure pas non plus dans le BBI Combinatory Dictionary of English: A Guide to Word
Combinations, M. BENSON, E. BENSON & R. ILSON, 1986.

29
forme d'explicitation que l'on peut aussi gloser par un "De toute façon". Japrisot lui a préféré
l'économie et l'ordre canonique avec "jamais", dans une structure négative complète.
La suite confirme le choix premier de Sébastien Japrisot concernant la traduction de
"the gym". Difficile cependant de comprendre le choix du pluriel ici. On peut imaginer une
tentative maladroite de compensation 'généralisante' (abordée plus haut) à travers le pluriel
"les salles de gym." qui se solde tout de même par un faux-sens. Holden n'apparaît de toute
façon pas comme le genre de personne qui fréquente 'des' salle(s) de gym. A cette époque, et
même chez nos avant-gardistes cousins américains, le sport en salle n'en était qu'à ses
balbutiements et il n'est nulle part fait mention d'une quelconque activité physique en dehors
de la scolarité d'Holden. Annie Saumont reprend le terme de gymnase, plus scolaire, déjà
employé plus haut.

30
CHAPITRE 3

WHERE DO THE DUCKS GO?

I didn't see hardly anybody on the street. Now and then you just saw a man and a girl
crossing a street, with their arms around each other's waists and all, or a bunch of
hoodlumy-looking guys and their dates, all of them laughing like hyenas at something
you could bet wasn't funny.
…..
'The fish don't go no place. They stay right where they are, the fish. Right in the goddam
lake.'
'The fish – that's different. The fish is different. I'm talking about the ducks,' I said.
CITR, p. 74.

Je ne voyais personne dans les rues. De temps en temps vous voyiez juste un homme et une
fille qui traversaient une rue, en se tenant par la taille et tout, ou une bande d'illuminés et leurs
petites amies qui riaient tous comme des hyènes pour quelque chose que vous auriez parié
n'être pas drôle.
…..
"Le poisson ne change pas de place. Ils restent juste où ils sont, le poisson. Au milieu de la
pourriture de lac.
– Le poisson – c'est autre chose. Le poisson c'est différent. Je vous parle de canards, dis-je.
[…]"
traduction de Sébastien Japrisot, pp.103-104.

Je voyais à peu près personne dans les rues. Juste de temps en temps un mec et une fille qui
traversaient au carrefour en se tenant par la taille et un petit groupe de loubards avec leurs
copines, tous se marrant comme des baleines pour des trucs sans doute même pas drôles.
…..
"Les poissons y vont nulle part. Ils restent là où y sont, les poissons. Juste où y sont dans le
foutu lac.
– Les poissons… c'est pas pareil. Les poissons ils sont pas pareils. Je parle des canards."
traduction d'Annie Saumont, pp. 102-103.

Ce passage tiré du chapitre 12 est particulièrement intéressant du point de vue de la


variété des problèmes de lexique et de niveau de langue qu'il pose. Holden se retrouve dans
un taxi et entame une conversation avec le chauffeur, personnage haut en couleurs dont le
vocabulaire n'a d'égal que le tempérament. L'obsession d'Holden sur la disparition des
canards de l'étang de Central Park une fois l'hiver venu va occuper la majeure partie de
l'échange.

31
I didn't see hardly anybody on the street.

Je ne voyais personne dans les rues.


Je voyais à peu près personne dans les rues.

La première question qui doit nous occuper dans cet énoncé est le choix du temps en français,
pour traduire "I didn't see". Cet emploi de "see" est au sens de "percevoir" la présence d'autres
personnes dans les rues.

SEE 1. [transitive not in progressive] to notice or examine someone or something, using your eyes. The
moment we saw the house, we knew we wanted to buy it. He crouched down so he couldn't be seen. Can
I see your ticket, please? I saw the offer advertised in the newspaper.
Longman, 2003.

La traduction du verbe "see" se fera à priori par "voir" s'opposant à "apercevoir", qui, comme
on le voit plus bas, changerait radicalement l'aspect de l'énoncé. Le verbe "see" dans ce sens
particulier est limité aux formes simples en anglais "[…] not in progressive". En français
aussi, le verbe "voir" subit les contraintes de son aspect sémantique : pour Vinay et Darbelnet,
le verbe "voir" est duratif alors qu'"apercevoir" est "toujours inchoatif" (1968 : 76). Il faudra
donc tenir compte de ces contraintes d'aspect lors du choix du temps.

VOIR v.t. I. 1. Percevoir par les yeux. Je l'ai vu de mes propres yeux.
Larousse, 1996

Il y a une série de propositions en français privilégiant divers aspects.

Je ne vis presque/à peu près/pratiquement personne. (0)


Je [ne] voyais presque/à peu près/pratiquement personne. (1)
Je [n']ai vu presque/à peu près/pratiquement personne. (2)
On ne voyait presque/à peu près/pratiquement personne. (3)
Il [n'] y avait presque/à peu près/pratiquement personne. (4)39

Dans la scène, Holden se remémore son parcours en taxi dans les rues de New York, et
se rappelle n'avoir vu personne ou presque dans les rues. Le passé simple est le temps "qui se
rapproche le plus du prétérit" dans la façon d'envisager le procès. C'est le temps des "procès
ponctuels, […] coupés de toute instance énonciative"40, donc l'énoncé (0) semble convenir.
Un double problème se pose pourtant : l'aspect inchoatif en français véhiculé par le passé
39
Entre crochets, la négation lorsqu'elle est troncable. Nous ne nous attarderons pas ici sur le choix de l'adverbe
ou de la locution adverbiale car ils n'ont pas d'incidence particulière sur le choix du temps.
40
H. CHUQUET & M. PAILLARD, 1987, pp.92-93.

32
simple associé à un verbe de perception, qui se rapprocherait de "j'aperçus" et le niveau de
langue, il est en effet difficile d'imaginer Holden dire "Je ne vis", et deuxièmement, l'instance
énonciative est là, bien présente (Holden). On peut ajouter que l'original en anglais présente
une agrammaticalité qui témoigne de la spontanéité de l'énoncé. Le passé simple est donc à
proscrire.
L'énoncé (1) offre un effet de "'vu de l'intérieur'", le point de vue énonciatif étant
translaté au moment du procès, au lieu de l'envisager globalement,"41. L'imparfait est suggéré
par le "contexte descriptif" par opposition au passé simple s'incrivant plutôt dans une
"séquence chronologique" (Chuquet & Paillard, 1987 : 93). De plus, cet imparfait traduit
l'aspect duratif voire itératif du verbe "voir". Malgré la situation ponctuelle, unique même, on
peut considérer qu'il y a itération, car dire qu'Holden ne voit presque personne, c'est dire qu'il
"n'y a presque personne" chaque fois qu'il y a renouvellement de son environnement direct
(on peut considérer que chaque mètre, même chaque seconde est une situation nouvelle). Il
subsiste une légère ambiguïté toutefois avec l'utilisation de l'imparfait : une modalisation
implicite du verbe "voir", sur la ou l'im-possibilité de l'action de percevoir, non sur la
présence ou non de tierces personnes.
L'aspect accompli du passé composé de l'énoncé (2) permet de centrer le propos sur
l'actualisation du procès. Dans le (3), en substituant "on" à "je", on retombe sur un sens plus
générique qui revient à la perception brute "on ne voyait [rien]" (= on ne pouvait [rien] voir).
Si cette proposition efface l'énonciateur sans apporter une solution naturelle en français,
l'énoncé (4) en revanche est plus spontané. Ces deux dernières propositions présentent
néanmoins un défaut majeur : elles occultent le prisme particulier du regard d'Holden.
L'alternative est donc limitée à l'imparfait privilégiant l'aspect duratif/itératif, et le
passé composé privilégiant l'aspect ponctuel et une vision globale. L'utilisation préférable de
l'imparfait se confirme dans la phrase suivante "Now and then you just saw", ce "now and
then" nous renvoie au "procès envisagé de l'intérieur" (Chuquet & Paillard, 1987 : 86)
incompatible avec le passé composé. Cette façon d'envisager le procès se retrouve dans la
suite du paragraphe, avec une succession de propositions juxtaposées qui renvoient aux
visions successives d'Holden et leur interprétation sans organisation prédéfinie, mais donnant
plutôt l'impression d'images qui se bousculent et se superposent les unes aux autres.

Le point suivant concerne l'utilisation de l'adverbe "hardly".

41
Ibid. p.88

33
HARDLY 1. almost not My parents divorced when I was six, and I hardly knew my father. The children
were so excited they could hardly speak. I can hardly believe it. Hardly anyone (=almost no one) writes
to me these days. Dad ate hardly anything (=almost nothing). There was hardly any (=very little)
traffic. She lives in Spain, so we hardly ever (=almost never) see her.
Longman, 2003.

On peut noter l'agrammaticalité de l'extrait original, avec la double négation, signe d'un parler
relâché. Ce n'est pas à proprement parler un idiotisme, l'emploi de "hardly" dans le sens
"presque pas" occasionne assez fréquemment la double négation à l'oral. En français, traduire
cette double négation par "Je [ne] voyais presque pas personne dans les rues." manquerait de
naturel. "Il n'est plus possible aujourd'hui d'employer avec pas les pronoms négatifs personne
et rien"42. L'association "pas" et "personne", même en français parlé relâché, se fait
difficilement43, à la limite, on peut imaginer "J'ai pas vu personne.", la séparation 'physique'
de "pas" et de "personne" dans cet exemple évitant l'allitération directe en [p] dont on peut
penser qu'elle agit comme signal d'alarme de l'erreur pour l'énonciateur. Le glissement le plus
naturel en français parlé est donc la simple troncation de la négation dans ce cas : "J'ai vu
pratiquement personne" ou "Je voyais pratiquement personne". On peut remarquer que
Japrisot a embelli la forme de départ, puisque d'une formule agrammaticale, il est passé à une
formule grammaticalement correcte qui peut parfaitement s'inscrire dans un français rédigé.
Annie Saumont conserve l'aspect oral de la formule en la rendant par "Je voyais à peu près
personne", traduisant du même coup le "hardly" abandonné par Japrisot.
"Hardly" peut se traduire par "pratiquement, quasiment, presque pas" ("quasiment"
n'appartenant pas au même registre ici). L'expression "à peu près" ne s'impose pas à priori car
elle s'utilise généralement dans un sens positif. Son utilisation dans la traduction d'Annie
Saumont accentue donc l'effet de maladresse occasionné par la troncation de la négation, en
réponse à la double négation de l'original.

Now and then you just saw a man and a girl crossing a street,

De temps en temps vous voyiez juste un homme et une fille qui traversaient une rue,
Juste de temps en temps un mec et une fille qui traversaient au carrefour

Cette phrase vient compléter la vision d'Holden, sa description de ce qu'il perçoit du


taxi. L'expression "de temps en temps" en français est un équivalent tout indiqué du "now and

42
RIEGEL, PELLAT & RIOUL, 1994, p. 422.
43
La recherche sur 3 corpus de communication parlée (Orléans, Tours, Auvergne) à travers le programme
ELICOP , n'a pas permis de trouver des occurrences de "pas+personne" (adverbe+pronom), alors que la même
recherche sur "personne" (pronom) a mis en évidence de nombreuses occurrences de négation tronquée.

34
then" de l'original. Cette expression pose un repère de type itératif et appelle donc un
imparfait en français face au prétérit de "you saw". La traduction de Japrisot conserve l'ordre
canonique, à la virgule près. En anglais, on a un "you" d'interpellation, traduisible en français
par "tu, vous, on". Le "tu" doit être rejeté dans ce cas, car incompatible avec un interlocuteur à
priori pluriel et indéterminé : le lecteur.
S'il existe une utilisation de "you" impersonnelle en anglais, il est cependant important
de noter qu'Holden donne l'impression répétée de s'adresser au lecteur à travers ses
interpellations : "If you really want to hear about it" (CITR, p.1), "I'm the most terrific liar you
ever saw in your life" (CITR p.14) ou les constants "if you want to know the truth". Si
certaines instances sont clairement percevables comme interpellation directe du lecteur,
d'autres sont moins personnelles "you could tell he really felt pretty lousy about flunking me."
(CITR, p.11). La solution la plus indiquée ici, sans trahir la pensée de l'auteur, est une
tournure impersonnelle du style "on voyait bien que…", "ça se voyait que…" par opposition à
"vous pouviez voir que…" qui est maladroit. Le cas "you just saw" n'est pas réellement une
prise à témoin du lecteur, c'est une remémoration partagée du type "on voyait", "on pouvait
voir". Le "you" anglais a le double avantage de se prêter facilement au passage du personnel à
l'impersonnel, et de recouvrir le "vous" et le "tu" français sans distinction. La traduction va
nécessiter un choix plus tranché, et le "vous" pose le problème du vouvoiement français.
Même s'il ne peut être confondu avec un "vous" de vouvoiement ici a priori, il porte tout de
même les stigmates de cette forme de distanciation, et le "vous voyiez juste" paraît d'autant
plus artificiel.
Annie Saumont a éludé la traduction de "voir", donc le problème du choix concernant
"you […] saw". La structure de la phrase se trouve fondamentalement modifiée, déverbalisée.
Le renvoi anaphorique à "Je [ne] voyais" est implicite, l'énoncé désactualisé garde le même
repérage, on peut donc considérer qu'éviter le choix entre "vous" et "on" que posait la
traduction de "you just saw" est bienvenu et ne tronque pas l'idée de départ.

a man and a girl crossing a street,

un homme et une fille qui traversaient une rue,


un mec et une fille qui traversaient au carrefour

35
Le début de ce passage est plutôt surprenant : l'association "a man and a girl" est plutôt
incongrue, surtout dans ce contexte où il s'agit de couples. On en a la confirmation en effet
quelques secondes plus tard "with their arms around each other's waists and all,".

MAN 1. MALE PERSON [countable] an adult male human, see also woman […].

GIRL 1. CHILD a female child, see also boy. […] 2. DAUGHTER a daughter, see also boy. They have
two girls and a boy. […] 3. WOMAN a word meaning a woman, especially a young woman, which is
considered offensive by some women. […]
Longman, 2003.

On remarque que "man" est automatiquement associé à "woman" alors que "girl" est associé à
"boy" et réservé principalement à des enfants ou adolescentes. Il est bien précisé qu'utiliser
"girl" dans un contexte représentant une jeune femme peut être considéré comme péjoratif.
Cette maladresse volontaire de Salinger peut être interprétée de deux façons possibles : soit
Holden est méprisant de ces jeunes femmes parce qu'il méconnaît le genre féminin en général
et s'en méfie, soit en l'occurence il perçoit des hommes mûrs sortant avec des jeunes femmes.
On note que plus loin, d'autres couples sont décrits de la manière suivante : "hoodlumy-
looking guys and their dates". Ici aucune différence d'âge n'est suggérée, il est donc probable
que l'opposition "man" et "girl" soit une expression volontaire de la fracture perçue par
Holden, et pas un hasard.
La traduction de "man" la plus fréquemment proposée par les dictionnaires bilingues
est "homme", quant à "girl", on trouve "fille". La gamme des dénotations et connotations pour
ce mot est relativement semblable à celui de "girl" (filiation, enfant ou adolescente du sexe
féminin, péjoratif pour femme célibataire44). Pour "homme", la définition se consacre tout
d'abord à la définition de l'homme en tant qu'être humain, puis à l'"homme" en tant
qu'individu adulte de sexe masculin, etc.. Sébastien Japrisot a donc naturellement employé
"un homme et une fille", alors que le choix d'Annie Saumont n'est pas aussi évident : "un mec
et une fille".

MEC n.m. Fam. 1. Garçon, homme. […]

FILLE n.f. […] II. (Par opp. à garçon) 1. Personne, et partic. Jeune personne, enfant du sexe féminin.
Larousse, 1996.

Il n'y a pas de fracture évidente entre "mec"45 et "fille", les deux peuvent désigner de jeunes
individus de sexes opposés. De plus, on peut considérer que "mec" étant utilisé dans un

44
D'après la définition donnée pour 'fille' dans le Larousse 1997.
45
Notons tout de même que les connotations de "mec" en 1953 (date de parution de la traduction de SJ) n'étaient
pas les mêmes ("mac" ← "maquereau") et que ce n'était donc pas un choix possible pour Japrisot.

36
langage relâché, associé à un vocabulaire adolescent (en tout cas à la date de parution de la
version d'AS et encore plus maintenant) dans le cas présent fait penser primairement à un
"garçon" plutôt qu'à un "homme" (à fortiori en étant associé à "fille"). Il y a donc perte,
appauvrissement du sens dans cette proposition de traduction.

Dans la suite de l'extrait, on a une forme en "-ing" intégrée à la principale "crossing


the street" qui se traduit fréquemment en français par une relative (voir les exemples donnés
par Jacqueline Guillemin-Flescher, pp.341-344 ainsi que les paragraphes consacrés à ce sujet
chez H. Chuquet, 1990, pp.153-154). Les deux traducteurs ont choisi cette solution, mais ils
se différencient par leurs choix lexicaux. Pour Japrisot, les couples traversent "une rue", et
pour Saumont, ils traversent "à un carrefour". L'implication de ce choix n'est pas cruciale en
soi, mais on peut s'interroger sur la raison de cette particularisation46 chez Annie Saumont. On
peut y voir là l'idée que dans une ville comme New York, étant donné le gigantisme de ses
artères, on ne voit les gens traverser que sur des passages délimités à cet effet.

with their arms around each other's waists and all,

en se tenant par la taille et tout,


en se tenant par la taille

L'expression "each other" se traduit principalement en français par des pronoms


réflexifs, comme les deux traductions le confirment ici, donnant lieu à une actualisation du
procès "se tenant". On peut même parler d'équivalence ici, tant les deux situations sont
transposables, et étant donné que tout autre proposition de traduction de "with their arms
around each other's waists" serait maladroite. Ensuite Sébastien Japrisot conserve le leitmotiv
"et tout" alors qu'Annie Saumont l'omet. Ce "and all" pourtant important, on peut ici l'associer
à une sorte d'attraction/répulsion qu'éprouve Holden pour ce qui touche aux relations
amoureuses. Ce "et tout" représente tout ce qui dans leur attitude les 'rapproche', idée sur
laquelle Holden ne souhaite pas s'étendre.

46
Même si 'carrefour' n'est pas à proprement parler un hyponyme de 'rue', on peut considérer qu'en tant que
traduction de l'hyperonyme "street", il ne représente qu'un sous-ensemble, une partie de la "rue" (où on traverse),
et que dans cette acception, il est donc particularisant.

37
or a bunch of hoodlumy-looking guys and their dates,

ou une bande d'illuminés et leurs petites amies


et un groupe de loubards avec leurs copines

La phrase originale commence par "or", indiquant probablement que les couples
mentionnés dans la première proposition et ceux-là ne font pas partie de la même vision, peut-
être ne fréquentent pas les mêmes quartiers et se succèdent donc dans le champ de vision
d'Holden alors que l'utilisation de "et" en français dans la version d'Annie Saumont semble
indiquer qu'ils font partie d'un même 'plan'.
Sur le plan lexical, "a bunch of hoodlumy-looking guys" donne lieu à deux traductions
différentes : "une bande d'illuminés" et "un petit groupe de loubards".

BUNCH […]1.[!](of people) groupe m; pejorative bande f; a bunch of friends un groupe d'amis; a
bunch of idiots une bande d'imbéciles; a mixed bunch un groupe de gens différents; a great bunch des
gens sympas[!];
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

En ce qui concerne "bunch" tout d'abord, on remarque que ce terme appliqué à des personnes
est plutôt péjoratif, ce qui est confirmé par le contexte direct "hoodlumy-looking guys", on
s'attend donc à une traduction par "bande" ("groupe de personnes réunies par affinités ou pour
faire quelque chose ensemble", Larousse, 1996), plutôt que "groupe", qui est un terme plus
défini ("ensemble distinct de choses ou d'êtres de même nature", Larousse, 1996), qui se prête
moins bien à l'aspect péjoratif.

HOODLUM […] a criminal, often a young person, who does violent or illegal things
Longman, 2003.

HOODLUM [!][…] 1. (hooligan) vandale m; (juvenile delinquent) loubard[!] m; 2. US (crook) truand


m, escroc m.
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

HOODLUM […] n. 1. A gangster; a thug. 2. A tough, often aggressive or violent youth.


American Heritage Dictionary, 2000.

Le deuxième élément à étudier est "hoodlumy[-looking]". "Hoodlum" est un terme


familier utilisé pour désigner essentiellement de jeunes "loubards", vandales voire délinquants
juvéniles. On notera que le terme "hoodlumy" n'est recensé par aucun des dictionnaires
consultés, ni en entrée, ni en sous-entrée. La langue anglaise se prête plutôt bien à ces formes
de néologismes, où il suffit en principe d'ajouter un "y" à un substantif pour qu'il se transforme

38
en adverbe, à cela s'ajoute la composition lexicale aisée qui est une autre des qualités de
l'anglais, d'où "hoodlumy-looking" traduisant l'idée qu'il ne s'agit pas tout à fait de "loubards",
mais de jeunes qui sont perçus par Holden comme en ayant les caractéristiques. Annie
Saumont utilise "un petit groupe de" qui associe "petit" qui est par essence réducteur, à
"groupe" non marqué péjorativement, réduisant ainsi l'effet apporté par le terme "loubards".
Cette technique de compensation arrive vraisemblablement en réponse à "hoodlumy-looking",
"qui avaient un air de loubards", la périphrase française étant un peu lourde et manquant de
naturel.
Sébastien Japrisot, s'il choisit "bande" en traduction de "bunch", commet un contresens
en traduisant "illuminés", qui correspondrait plus à "beatniks" (un peu en avance si l'on
considère la période où le roman a été écrit). En traduisant "hoodlumy-looking" par
"illuminés", on perd la notion d'alarme et de délinquance véhiculée par "hoodlum[y]" pour
retomber sur un terme qui fait référence à un groupe de "doux-dingues" inoffensifs. La suite
"et leurs petites amies" accentue cet enjolivement de la situation par un terme politiquement
très correct, en comparaison avec "leurs copines" qui, étant plus vague quant à la relation
entre lesdites "amies/copines" et les "loubards" contribue à un parler plus relâché.

all of them laughing like hyenas at something you could bet wasn't funny.

qui riaient tous comme des hyènes pour quelque chose que vous auriez parié n'être pas drôle.
tous se marrant comme des baleines pour des trucs sans doute même pas drôles.

Le syntagme verbal en "-ing" juxtaposé correspond souvent en français, à une relative


ou à un syntagme nominal juxtaposé. Dans ce cas précis, il paraît recommandé d'utiliser une
relative comme dans la traduction de Japrisot "qui riaient tous" (à confirmer, voir dans
Chuquet, Vinay, Guillemin-Flescher, etc.). Chez Annie Saumont, "tous se marrant comme
des baleines" est en rupture avec le style d'énonciation jusque là adopté. En effet, il ne
correspond pas exactement à un phrasé spontané sans recul aucun, mais plutôt à une syntaxe
écrite (en contraste avec la nature même du verbe "se marrer" qui est fortement connoté
'familier'). Le choix de la métaphore en français pose un autre problème. "Laugh like hyenas"
en anglais ne semble pas être une métaphore usée, son usage en tant qu'expression figée n'est
pas répertorié dans les ouvrages de référence consultés (dictionnaires monolingues et
bilingues déjà cités dans cette étude). On trouve tout de même quelques occurrences de
"laughing like hyenas" en entrant l'expression dans un moteur de recherche tel que Google.

39
L'expression cliché "rire/se marrer comme une baleine" est par contre répertorié dans le
Larousse ainsi que dans les dictionnaires bilingues Oxford Hachette et Robert & Collins. Ce
dernier donne pour traduction l'expression figée "to laugh like a drain" (celle-ci présente dans
les dictionnaires monolingues et bilingues et en nombre lors d'une recherche avec le moteur
Google). Une des rares instances trouvées de "laugh like hyenas" est en référence à la
propension des adultes de critiquer les rires spontanés des enfants et jeunes adolescents en les
qualifiant entre d'autres de "rire de hyènes"47. On peut donc en déduire que l'utilisation de
"laugh like hyenas" va se cantonner à des paroles enfantines ou à un aspect péjoratif. L'image
suggérée par "hyena" comporte cette dénotation négative, ces animaux sont considérés
comme couards et se nourrissent de charognes, on peut donc dire que la métaphore de départ
est une métaphore péjorative et fait ressortir les sentiments d'Holden au sujet des personnes
qu'il (a)perçoit ainsi.
La traduction d'Annie Saumont perd l'aspect dépréciatif contenu dans "hyènes" pour
remplacer l'expression de départ par une métaphore éculée en français, appauvrissant ainsi le
texte. On peut considérer en effet que la restitution de Japrisot est plus appropriée ici, tenant
compte du facteur d'originalité et d'oralité de l'expression de départ, tout en ayant une
expression en français qui est totalement compréhensible (non-répertoriée aussi, et dont
l'imagerie correspond48).

at something you could bet wasn't funny.

pour quelque chose que vous auriez parié n'être pas drôle.
pour des trucs sans doute même pas drôles.

La traduction de "at something" ne laisse pas planer le doute très longtemps, les choix
possibles rayonnent entre "de quelque chose/de choses/de trucs" ou "pour quelque chose/des

47
Mark THIESSEN, "A Fun New Year’s Resolution", Wellness Management, Spring 1997,
http://www.banananose.com/articles.html. Cet extrait porte sur les effets thérapeutiques du rire, extrait : "I know
there are a lot of very confused kids out there wondering where it is appropriate to laugh. Girls have heard that it
is not “lady-like” to laugh. Boys have been told they giggle like girls. Or, we have heard we snort like pigs,
laugh like hyenas, cackle like hens. It’s time to reject those old messages, reclaim our small-kid laugh, and let
the sound of our true laugh ring out!"
48
On notera en illustration les deux citations suivantes, seules instances dénombrées par le moteur de recherche
Google : "ses fans seront toujours la pour se bidonner comme des macaques etpour [sic] hurler de rire comme
des hyènes hystériques" dans le forum http://www.biosstars.com/j/Jamel_Debbouze/message_mai.htm ; "Alors
il a pris la poignée dans sa main et la poignée s’est cassée. Il était là, avec la poignée dans sa main et en ce
moment [sic] Daniel et Carlo sont arrivés et il ont [sic] commencé à rire comme des hyènes." tirée d'une page
perso au sein d'un site scolaire, http://www.restena.lu/primaire/niederanven/home/Stuart/5_live/Nadine/page_
drole.htm.

40
choses/des trucs". Ici la conjonction "pour" semble tout indiquée pour exprimer le motif. On
notera la différence avec l'anglais qui lui s'en tient à "of" qui peut être l'équivalent d'un "de"
français, renvoyant à l'objet de la dérision, alors que le "pour" choisi par les deux traducteurs
renvoie aux raisons, motifs de cette hilarité, d'une façon plus large.
La suite est une relative elliptique en anglais "you could bet wasn't funny", traduite par
Japrisot par une relative "que vous auriez parié n'être pas drôle". Une formulation en français
plutôt recherchée, surtout lorsqu'on la compare à la structure que l'on trouve chez Annie
Saumont : "sans doute même pas drôles". Ce n'est pas la première fois qu'Annie Saumont
préfère la substantivisation à la relative, il semblerait que cela correspond plus au besoin
d'économie qu'elle semble généralement associer au vocabulaire des adolescents (que l'on
retrouve dans son style d'écrivain, voir à ce sujet la troisième partie, chapitre 1). Cette
formulation permet à Annie Saumont d'éviter à nouveau de se prononcer sur le choix du
"vous". Dans la lignée de son style 'disloquant', on aurait aussi pu avoir "des trucs même pas
drôles, je parie" qui conservait tous les éléments de départ.
Une nouvelle fois, Sébastien Japrisot choisit de coller à la formulation de départ "you
could bet" devient "que vous auriez parié […]". Si la formule en français n'a rien de
particulièrement étonnant ou original, il s'agit tout de même d'une expression plutôt familière
qui combinée à "vous" prend des allures ternes, à mi-chemin entre franc-parler et expression
soignée. Pour conserver une proposition verbale, on pouvait formuler l'énoncé ainsi : "qu'on
aurait parié que c'était même pas drôle", qui ressemble plus à un argot d'adolescent émettant
un jugement intempestif. Bien sûr ces derniers énoncés ne collent pas d'aussi près ni à
l'énoncé de départ, ni au ton adopté, puisque "you could bet" n'est ni agrammatical, ni
particulièrement familier.

L'extrait suivant présente une partie du dialogue entre Holden et son chauffeur de taxi,
le 'volubile' M. Horwitz. Holden se pose des questions existentielles sur le sort des canards de
Central Park pendant l'hiver, il tente donc de se renseigner auprès d'Horwitz qui ne veut rien
entendre au sujet des canards et détourne la conversation sur les poissons de l'étang à la place.

'The fish don't go no place.

"Le poisson ne change pas de place.


"Les poissons y vont nulle part.

41
L'analyse du premier syntagme nominal nous offre une perspective intéressante sur la
traduction de "fish".

FISH plural fish or fishes 1. [countable] an animal that lives in water, and uses its fins and tail to swim
Ronny caught three huge fish this afternoon. Over 1,500 different species of fish inhabit the waters
around the reef. The stonefish is the most deadly of all fishes. […]
2. [uncountable] the flesh of a fish used as food […] One usually drinks white wine with fish.
Longman, 2003.

Le substantif "fish" recouvre "le poisson" ou "vertébré aquatique"49, en tant que classe
animale (regroupant aussi la chair que l'on en tire pour s'alimenter), et le pluriel "des
poissons" désignant des individus issus de la classe animale précitée. L'usage courant veut en
effet que "fish", bien que dénombrable conserve au pluriel sa forme simple. Le pluriel
"fishes", s'il existe est néanmoins rarement employé. Son emploi se limite à trois grandes
utilisations : la différenciation de différentes variétés de poisson "The stonefish is the most
deadly of all fishes." (op. cit.), dans l'expression populaire pour accentuer l'aspect familier
voire comique d'un énoncé, et dans les communications enfantines, pour le caractère informel
de cet emploi, ou par ignorance de l'usage50.
Sébastien Japrisot, traduit "The fish" par "Le poisson". Le syntagme original est suivi
de "don't go", l'accord est donc pluriel (le singulier appelant un "doesn't"). Bien sûr, on peut
arguer qu'en anglais américain, et plus particulièrement dans le langage familier d'Holden
l'accord de la troisième personne du singulier est parfois omis, mais on a dans la suite de la
phrase une reprise qui laisse peu de place au doute : "They stay right where they are, the
fish.". De plus on connaît le besoin de congruence de l'anglais qui n'aime pas mélanger les
catégories grammaticales ou le nombre (voir l'utilisation de "they" dans la même phrase ainsi
que "ducks" au pluriel dans le contexte proche). L'emploi du terme générique "le poisson" est
maladroit ici. On parle des poissons de l'étang, de type poissons rouges, carpes, etc., pas de
l'étal d'un poissonnier, il semble donc plus logique de s'exprimer à l'aide du pluriel comme le
fait Annie Saumont : "Les poissons". La traduction de Japrisot semble trahir une lacune de
débutant, confusion entre le générique "le poisson" ("fish" ne portant aucune marque visible
du pluriel) et le groupe d'individus "les poissons".

49
Larousse, 1997.
50
On trouve d'ailleurs dans La Grammaire anglaise de l'étudiant (BERLAN-DELEPINE, 1993 : 305), deux
exemples à propos de cet usage qui touchent de près à notre contexte : "There are lots of fish in the lake. Il y a
beaucoup de poisson(s) dans le lac." Et "I caught three fish. (plutôt que : fishes). J'ai attrapé trois poissons".

42
Le procès qui suit "don't go no place" porte une nouvelle fois la marque de l'idiolecte
d'Holden avec une double négation. Cette expression est un dérivé de "to go someplace"51,
littéralement "aller quelque part" utilisé pour exprimer l'idée de "bouger/changer
d'endroit/sortir" comme l'indiquent les quelques exemples suivants : "I hoped we could go
someplace.", "When the party ends, how'd you like to go someplace for a drink?" (Longman,
2003). A la forme négative, on retombe donc sur l'idée d'"aller nulle part", de "rester au même
endroit". La traduction d'Annie Saumont dans ce cas est adéquate "Les poissons y vont nulle
part.". Pour rendre la double négation anglaise, elle utilise une nouvelle fois le procédé de la
troncation en français ainsi qu'une dislocation à gauche avec comme reprise du sujet "y" pour
"ils", accentuation de l'oralisation du discours. Pour le même segment, Sébastien Japrisot a
opté pour l'ordre canonique classique ainsi qu'une négation complète en "ne … pas".
Cependant la différence ne s'arrête pas là. Sans doute influencé par le syntagme "place" en
anglais, sa transcription est "[Le poisson] ne change pas de place.", expression plus
couramment utilisée pour le déplacement d'objets (par la main de l'homme). Dans cette
acception, une "place" désigne un endroit défini, fragment d'un "endroit", or Horwitz ne veut
pas dire ici que les poissons sont immobiles, il ne parle pas de leurs mouvements dans l'étang
mais il explique qu'ils ne "migrent" pas, qu'ils ne "vont nulle part". On peut considérer qu'il y
a échec de la traduction en ce qui concerne la version de Japrisot, avec deux faux sens dus
semble-t-il à une méconnaissance de la langue.

They stay right where they are the fish.

Ils restent juste où ils sont, le poisson.


Ils restent là où y sont, les poissons.

Ce segment est une "retouche"52 typique de l'oral, que l'on retrouve d'ailleurs en
français parlé. Ces "retouches" revêtent en effet plusieurs formes, dont celle-ci : "procédé
grammatical qui le conduit [KB: le locuteur] à présenter une séquence lexicale dans deux
positions syntaxiques différentes ; dans la construction verbale, puis en dehors de la

51
SOMEPLACE someplace adverb […] [not usually in questions or negatives] spoken especially American
English somewhere I must have left my jacket someplace. Longman, 2003.
52
Voir "Modes de production de l'oral" dans Claire BLANCHE-BENVENISTE, 1991, pp. 20-36.

43
construction verbale"53, qui fait référence à l'extrait précédent. "They stay" est un présent
générique en anglais, se traduisant logiquement par un présent simple en français, identique
chez les deux traducteurs. Puis on a l'adverbe "right" utilisé comme intensifieur, rendu par
"juste" (voir aussi p.105 "They stay right where they are, for Chrissake." traduit par "Ils
restent là où ils sont." dans la version de Sébastien Japrisot qui cette fois élude "right").

RIGHT […] 3 adverb 1. […] exactly in a particular position or place right in/in front of/by etc
something She was standing right in the middle of the room. There's the house, right in front of you.
right here/there I left my bags right here.
Longman, 2003.

La combinaison avec la suite de l'énoncé "où ils sont" ne produit pas tout à fait l'effet
escompté. En effet, "juste" comporte un aspect atténuatif54 alors que "right" a un rôle
d'intensifieur.
La traduction de ce "right" se heurte à une lacune en français. On pourrait utiliser
l'adverbe "exactement" dans "Ils restent exactement [là] où ils sont," ou mieux le terme
familier "pile" : "Ils restent pile [là] où ils sont,". Mais les deux adverbes français parlent
d'une exactitude peu compatible avec le contexte, d'autant que la reprise qui suit va
compliquer les choses (voir paragraphe suivant). Ensuite, si le "là où ils sont" est consensuel
pour les deux traducteurs, on reste dubitatif sur la conclusion de l'énoncé dans la traduction de
Sébastien Japrisot. Il y a rupture entre "ils restent" et "le poisson", tentative marquée du
traducteur (qui semble se confirmer) de conserver le 'pseudo-singulier' du texte original aux
mépris de la grammaire et de la logique du texte surtout. Il reste peu de doute quant à l'erreur
persistante qui fait écho au début de la phrase ("Le poisson…"), la proposition finit de
s'enfoncer dans un choix maladroit qui ne paraît pas justifiable. Dire que la traduction d'Annie
Saumont est littérale n'est pas péjoratif, pour une fois les deux langues se prêtent bien au
calque. Seul le marqueur "right" a été omis dans le texte d'Annie Saumont, et en
rétrotraduction de "Ils restent où ils sont, les poissons." on retrouverait certainement "They
stay where they are the fish.".

Right in the goddam lake.'

Au milieu de la pourriture de lac.


Juste où y sont dans le foutu lac.

53
Ibid. p. 33.
54
Voir les notions d'aspects lexicaux dans J.P. VINAY & J. DARBELNET, pp. 83-86.

44
La proposition, commence par la reprise du "right" de l'énoncé précédent. Toute la
phrase nominale n'est qu'un écho des deux énoncés qui précèdent. On reste donc dans l'oralité
avec une idée unique morcelée, appuyée. La première transcription de "right" posait déjà un
problème auquel ni l'un ni l'autre des traducteurs n'avait apporté de solution satisfaisante, sa
reprise ne manque donc pas de susciter de nouvelles difficultés. Japrisot tente de les
contourner avec "Au milieu" alors qu'Annie Saumont choisit "Juste où y sont". Aucune
traduction ne respecte la répétition volontaire de l'original. La possibilité d'utiliser l'adverbe
"exactement" dans la première proposition ou dans celle-ci s'infirme ici, "Exactement dans le
foutu lac/étang." n'a pas de sens; on pourrait éventuellement envisager "Pile dans le foutu
lac/étang.". Le "Au milieu" de Sébastien Japrisot est rhétorique, il ne s'agit pas du centre du
lac mais d'une insistance pour dire que les poissons restent dans le lac, qu'ils n'ont nulle part
ailleurs où aller. Annie Saumont quant à elle a eu le même réflexe que Japrisot dans l'énoncé
précédent introduisant "Juste [où y sont]". Elle a ainsi recours au procédé de compensation
pour convertir l'absence d'écho sur la traduction de "right" en une répétition de "où y sont".
En ce qui concerne la traduction de "goddam" en tant qu'élément de leitmotiv, nous y
reviendrons plus en détail dans la partie qui suit. Pour ce qui est de cette occurrence, on peut
s'étonner du choix adopté par Sébastien Japrisot de l'expression "pourriture de" en traduction
de "goddam". Cela amène une rupture dans le leitmotiv, étant donné que son équivalent de
prédilection est "saleté de". Cette option se retrouve plus loin "Ils vivent dans la pourriture de
glace.", toujours dans le discours d'Horwitz. Chez Annie Saumont on trouve "dans le foutu
lac.", un terme qu'elle utilise dans un peu plus du tiers des occurrences sur les chapitres
sélectionnés (15% exactement), son choix est donc cohérent avec le reste de sa traduction.

Une petite mention spéciale doit ici être accordée au choix du substantif "lac" en
français qui fait l'unanimité dans ce passage, mais pas dans tout le chapitre. La phrase
suivante n'est pas citée plus haut, mais nous l'utiliserons afin de voir l'introduction dans le
dialogue de l''étendue d'eau' de Central Park qui préoccupe tant Holden.

'Hey Horwitz,' I said. 'You ever pass by the lagoon in Central Park? Down by Central
Park South?'
'The what?'
'The lagoon. That little lake, like there. Where the ducks are. You know.'
CITR, p.74.

LAGOON […] 2. American English a small lake which is not very deep, near a larger lake or river.

45
Longman, 2003.

En réponse à "lagoon", Sébastien Japrisot opte pour "mare" (il faut tout de même noter que le
lac dont il est question fait un peu plus de 7 hectares de superficie, ce qui semble un peu grand
pour une mare aux canards), là où Annie Saumont choisit "lagon" (calque tentant mais dont la
définition en français est : "étendue d'eau à l'intérieur d'un atoll, ou fermée vers le large par un
récif coralien"55). Il est évident que "lagoon" dans ce sens fait face à une lacune en français,
mais les deux traducteurs auraient pu envisager de jouer avec le terme "étang" plus proche en
dénotation et connotation de "lac" (et compatible avec la taille de l'endroit, si l'on songe à
l'Etang de Berre, par exemple, considérable étendue d'eau qui porte pourtant la dénomination
d'"étang")56. Ceci pourrait rester une anecdote mais vient ici corroborer l'hypothèse d'un
certain manque d'approfondissement portant sur des points essentiels et qui nuit aux deux
traductions.

'The fish – that 's different.

– Le poisson – c'est autre chose.


– Les poissons… c'est pas pareil.

Holden ne veut pas entendre parler des poissons, il veut une réponse su sujet des
canards "'The fish – that's different.'". Fidèle à sa première idée, Sébastien Japrisot s'en tient
au "poisson" alors qu'Annie Saumont conserve la pluralité des individus qui peuplent le petit
lac. Suit la question intéressante du tiret simple, qui, s'il est courant en anglais "La
polyvalence des points de suspension […] en français n'a d'égal que celle du tiret anglais."
(DEMANUELLI, 1987 : 67), l'est beaucoup moins en français. Sébastien Japrisot colle à la
ponctuation de départ et conserve ce tiret explicatif, mais Annie Saumont le transforme en
points de suspension. Claude Demanuelli nous dit encore que le français préfèrera d'autres
signes au tiret simple (les points de suspension, la virgule, le point-virgule, ou les deux points).
Ici il s'agit bien d'une amorce d'explication : Holden ne se sent pas concerné par les poissons,
en français, on pourrait donc avoir une virgule "Les poissons, c'est pas pareil.", et marquer
ainsi une dislocation simple.

55
Source Larousse, 1997.
56
Pour avoir un ordre d'idée des différentes "tailles" évoquées par "mare", "étang" et "lac", voici les définitions
respectives qu'en donne le Larousse (1997) : " petite étendue d'eau dormante", "étendue d'eau stagnante,
naturelle ou artificielle, peu profonde, de surface généralement réduite", "grande étendue d'eau intérieure".

46
Pour beaucoup d'anglophones, […] c'est un signe qui 'comme une flèche, […] indique au
lecteur la voie à suivre vers un nouvel élément mis en relief'
…..
La conclusion qu'introduit le tiret peut prendre la forme d'une amplification, d'une explication,
d'une paraphrase […]"
C. DEMANUELLI, Points de repère,1987 : 60.

Mais des dislocations, il y en a d'autres dans le texte, déjà signalées, ou non, par des
virgules. Pour signaler la ponctuation anglaise qui est plus marquée ici, on peut envisager en
français les points de suspension. Comme on l'a vu, l'utilisation du tiret n'est pas vraiment une
option car trop limitée en français et est donc à considérer comme un anglicisme dans ce cas.
Les points de suspension modifient néanmoins légèrement le ton de la phrase, puisque de la
valeur explicative on passe à une connotation hésitante "Ils [KB : les points de suspension]
indiquent des interruptions […] dans la chaîne parlée (monologue ou dialogue)", dues à de la
confusion, de l'hésitation57.
Pour la traduction de "that's different", on peut envisager "c'est autre chose", "c'est pas
pareil" (négation tronquée adaptée à l'enchaînement d'idées spontané qui caractérise ce
dialogue). On notera que "c'est différent" n'a pas été retenu et que par ailleurs dans l'Oxford
Hachette, on trouve l'équivalent "c'est autre chose" pour "that's different".

The fish is different.

Le poisson c'est différent.


Les poissons ils sont pas pareils.

La difficulté réside ici dans la répétition rhétorique de "different" ainsi que le


changement de nombre de "fish" signalé par "is". La répétition de "different" n'est pas une
simple coïncidence en anglais, mais une "retouche" volontaire, la proposition est identique à
la précédente à deux détails près : " – that". Il est aussi important de noter que cette fois,
"fish" est suivi d'un verbe au singulier, donc pris dans son acception de catégorie animale
cette fois. Si l'on s'attarde sur ce brusque – et unique – revirement, on peut imaginer qu'utiliser
le générique "fish" est un moyen d'expliquer que les poissons sont "intrinsèquement"
différents, ne subissent pas les rigueurs hivernales de la même façon, les ramenant aux

57
C. DEMANUELLI, 1987, p. 68.

47
caractéristiques de leur espèce. En effet, les poissons sont parmi les animaux à qui l'être
humain reconnaît le moins de capacité à éprouver des 'émotions' voire de la souffrance58.
Le nombre ne change pas chez Japrisot qui s'en tient à son premier choix, quant à
Annie Saumont, elle conserve le pluriel initial. Pour traduire ensuite "is different", Annie
Saumont écrit "ils sont pas pareils." en écho à "c'est pas pareil." Japrisot introduit "c'est
différent." afin de ne pas répéter mot pour mot la proposition précédente "c'est autre chose".
Dans cette dernière version, l'effet de reprise et le changement syntactique énoncé
canonique/dislocation n'est pas rendu, les deux sont abandonnés. On trouve chez Annie
Saumont un phénomène de compensation par contre avec la reprise de "pareil[s]" pour la
répétition de "différent" et le remplacement du pronom "ce" par "ils" en réponse à la
modification de la syntaxe. Le changement en nombre est lui complètement ignoré par les
deux traducteurs.

I'm talking about the ducks,' I said.

Je vous parle de canards, dis-je.


Je parle des canards."

L'introduction de "vous" dans ce début de phrase change en partie le repérage de la


phrase. Au départ, la focalisation était répartie sur deux éléments : primairement l'objet direct
"the ducks", d'ailleurs italicisé pour montrer l'accentuation, et secondairement le procès "I'm
talking". Dans la version de Japrisot, l'emphase se trouve 'diluée', retardée par l'introduction
de l'objet indirect, d'autant que Japrisot néglige de rendre l'effet apporté par les italiques. Un
deuxième 'glissement' du repérage est amené par l'opérateur "de". En choisissant "de" Japrisot
renvoie à la catégorie "canard", alors qu'Holden emploie bien "the", pour désigner les canards
de l'étang, ce que l'on retrouve dans la traduction d'Annie Saumont avec "Je parle des
canards.". On notera enfin que Japrisot, colle toujours à la syntaxe originale et conserve donc
le "dis-je." alors qu'Annie Saumont 'économise'.

58
On se souviendra entre autres de l'expérience de l'artiste danois Marco Evaristti en 2000 au musée de Trapolt
(Kolding, Danemark) qui avait mis des poissons rouges dans des mixers sous tension que des visiteurs 'curieux'
ont allumés au cours du vernissage de l'exposition, hachant ainsi menu leur contenu.

48
DEUXIÈME PARTIE

L'ANALYSE DU DISCOURS

49
People argue that Caulfield was the first "teenager"; the first, at any rate, to have a genuine
voice of his own - at least in the way J.D. crafted it, which was to make Holden seem like he
was truly alive. Before that, as the writer Susanne Gervay says, "it was all sorority parties and
pigtails".
Mark Mordue, "Still so Goddam Angry", 2003.59

59
Sydney Morning Herald, electronic edition, June 7. Source : http://www.smh.com.au/articles/2003/06/06/1054
700381604.html.

50
CHAPITRE 1

L'IDIOLECTE D'HOLDEN

1. 'The Narrative Voice in J.D Salinger's Catcher'

Dans la première partie, nous nous sommes attachés à l'étude de trois extraits du texte
afin de comparer leurs traductions. De ces micro-études ont émergé des tendances de
traduction qui seront abordées dans la troisième partie de cet ouvrage. L'analyse de ces
extraits courts nous a aussi conduit à identifier des leitmotive du discours qui vont être
présentés ici.
L'analyse littéraire n'est pas l'objet de la présente étude mais nous nous attarderons tout
de même sur certains éléments de décodage nécessaires à l'analyse d'une traduction qui, au-
delà des contraintes stylistiques et linguistiques de la langue d'arrivée, se doit aussi de
répondre aux options stylistiques et syntaxiques du texte source. Nous opposons
volontairement 'contraintes' à 'options' car il est évident que la langue d'arrivée viendra
logiquement superposer ses propres contraintes alors que les options rhétoriques doivent
autant que possible être respectées. Une traduction littérale n'est pas envisageable, mais une
traduction informée qui nécessite avant tout une (re)connaissance des marqueurs principaux
de la langue source. Les choix syntaxiques, lexicaux, la ponctuation, les leitmotive, tous sont
autant d'indices qui servent à appréhender le texte de départ. Nous commencerons cette
approche par les leitmotive du texte, tels que nous avons pu en identifier à travers les études
de différents passages du Catcher in the Rye, que nous avons ensuite étendues à une approche
plus globale du roman.

1. 1 Un trait distinct émerge de l'écriture du texte original. Il s'agit d'une forme


systématique de 'délai' stylistique. Ces délais sont principalement représentés par des
modificateurs au sens large du terme. Ce sont des adverbes, des locutions ou des adjectifs
d'intensification. Ces modificateurs déteignent fortement sur le message, ils sont d'autant plus
importants qu'ils participent à l'identification de l'énonciateur, qui n'est pas un narrateur
'effacé' mais au contraire, un personnage construit, central de l'œuvre. Ces expressions qui

51
jalonnent le texte ne sont pas utilisées pour leur sens intrinsèque mais comme 'marqueurs' du
discours.

Mr. Salinger's rendering of teen-age speech is wonderful: the unconscious humor, the
repetitions, the slang and profanity, the emphasis, all are just right.
Extract from the New Yorker, 1951
quoted in http://mitglied.lycos.de/BerndWahlbrinck/int.htm60

Cette dilution61 est représentative de la dimension spontanée du discours du Catcher,


donc de la narration d'Holden. Certains l'ont rapproché de la technique dite du "skaz" (terme
d'origine russe) technique qui donne l'illusion d'un discours spontané à travers l'emploi de
"cliches, trite figures of speech, emphatic hyperbole, and extensive repetition"62. David Lodge
(1992 : 18) donne la definition suivante du "skaz" : "a type of first-person narration that has
the characteristics of the spoken rather than the written word". Il ajoute que le "skaz" inclut de
l'argot, et des hyperboles à foison, style qui s'illustre parfaitement à travers le discours
d'Holden dans le Catcher. Selon lui, le "skaz" se distingue aussi par "l'attitude" qu'il véhicule :
"condescending, judgmental, disenfranchised adolescent attitude". Cette attitude, on la
retrouve entre autres à travers les emplois répétés de "lousy" et "phony". Ce style suggère
encore :

[…] a selfconscious concern about [KB: one's] ability to communicate successfully. Each of
these characteristics contribute to the sense of spontaneity by adding a degree of imprecision
to the meaning of the speaker's utterances, as if he were struggling as he speaks to understand
what he really wants to say. These same characteristics are also part of Holden's narrative
voice in Catcher.
William F. PURCELL, 1996.

1.2 Nous entendons, par leitmotiv, les répétitions rhétoriques de certaines expressions,
mots ou tics de langage : "Repetitions have vast and various literary functions, depending on
genre, period and writer"63. Toutes les répétitions ne sont pas des leitmotive (à ne pas
confondre avec des répétitions purement fortuites, l'anglais s'en formalisant peu64), il faudra
donc les identifier avec certitude. Ils recevront dans cette partie un traitement systématique
dans les deux sens du terme. Systématique car chacun sera décodé au niveau du sens, des
60
Cette citation ne se veut pas une justification mais une illustration de notre théorie.
61
Tout comme le phénomène prosodique du même nom en traduction ("répartition du signifié sur un plus grand
nombre de signifiants", définition VINAY & DARBELNET, 1968), dans de nombreux cas, on peut considérer
que "and all" est un instrument de dilution.
62
William F. PURCELL, "Narrative Voice in J.D Salinger's […]", Studies in Short Fiction, vol. 33, 2, 1996.
63
Nitsa BEN-ARI, "The Ambivalent Case of Repetitions in Literary Translation […]", Meta, vol. 43, 1, 1998,
p.1.
64
"Il apparaît que l'anglais soit moins sensible au pléonasme et à la redondance […]" C. & J. DEMANUELLI,
1991, p. 239.

52
connotations, de leur rôle, et enfin, leur restitution dans la transcription. Systématique aussi
car ils seront étudiés dans leur valeur répétitive, nous rechercherons donc des leitmotive
correspondants dans les textes d'arrivée. On pourrait objecter que la recherche d'un équivalent
dans le texte d'arrivée relève d'une traduction trop littérale : "la traduction mot pour mot n'a
jamais pu fonctionner de façon satisfaisante : parce que les mots n'ont pas la même surface
conceptuelle dans des langues différentes."65. Cependant, dans les cas sélectionnés, il nous
apparaissait important que ces marqueurs se retrouvent dans le texte français, en ce qu'ils sont
la marque de fabrique du texte.

"Les marqueurs du dialecte-source peuvent être très différents, d'un point de vue formel, de
ceux qu'on adoptera dans le dialecte-cible. […] ceci ne signifie pas pour autant que les
marqueurs lexicaux soient les 'équivalents' des marqueurs phonographologiques de départ,
mais bien plutôt qu'en l'absence d'équivalence formelle […], la langue-cible 'compensera' tel
manque par le recours à des traits ou marqueurs 'jugés' équivalents."
Claude & Jean DEMANUELLI, 1991 : 49.

Nous retiendrons en particulier les occurrences de "and all", "and stuff" que nous
considérerons comme une seule et même catégorie ; "old" suivi d'un nom de personne;
"goddam" suivi d'un nom ou adjectif, "pretty" suivi d'un adjectif. Nous étudierons enfin la
traduction de "phony" et "lousy".

65
Georges MOUNIN, Les Problèmes théoriques de la traduction, 1963, p. 27.

53
CHAPITRE 2

LES LEITMOTIVE DU TEXTE

1. "and all", "and stuff"

Voyons tout d'abord la valeur intrinsèque de ces deux expressions semi-figées.

ALL […] 12. and all a) including the thing or things just mentioned They ate the whole fish – head,
bones, tail, and all. b) spoken informal used to emphasize a remark that you have just added And you
can take that smelly old coat out of here, and all!
Longman, 2003.

STUFF […] 5. ... and stuff spoken informal used to say that there are other things similar to what you
have just mentioned, but you are not going to say what they are There's some very good music there,
CD systems and stuff, and laser discs.
Longman, 2003.

On remarque que ces deux expressions appartiennent au langage familier et ont un sens très
voisin l'une de l'autre. Ces deux locutions sont utilisées comme instruments de reprise,
"including the thing or things just mentioned" ; d'addition, d'élargissement du sens, "used to
say that there are other things similar to what you have just mentioned". Prises seules, elles
n'ont pas de valeur sémantique définie mais sont de simples outils dont le signifié dépend
totalement du contexte direct : l'énoncé qu'ils reprennent.

1.1 Afin d'étudier en détail la portée de ce leitmotiv, nous avons effectué une recherche
systématique des occurrences sur un certain nombre de chapitres du roman. Une recherche
pour tous les leitmotive étudiés portant sur l'ensemble du roman était trop considérable pour
être abordée ici, de plus, elle aurait posé le problème de la reproduction de tous les extraits
concernés : ce qui aurait représenté la reproduction de la quasi-totalité du roman, difficile
pour des raisons de temps et de place, et de plus illégales quand on connaît les (dis)positions
(légales) de Salinger à l'égard des gens qui veulent étudier ses œuvres ou les reproduire. Nous
avons donc sélectionné six chapitres sur les 26 qui composent le roman.
- le chapitre 1 : pages 1 à 5 – présentation de la situation d'Holden et des
circonstances qui accompagnent son dernier jour à Pencey
- le chapitre 2 : pages 6 à13 – visite au "père Spencer"

54
- le chapitre 3 : pages 14 à 22 – interaction d'Holden avec ses camarades d'école
- le chapitre 12 : pages 74 à 79 – Holden à New York, interaction avec le chauffeur
de taxi, question de l'étang et des canards, soirée au piano bar 'Chez Ernie'
- chapitre 22 : pages 150 à 156 – Holden de passage chez lui, interaction avec sa
petite sœur Phoebe
- chapitre 26 : 1 page – où on apprend qu'Holden est dans une institution médicale

Les chapitres ont été choisis car représentatifs du texte global. Ils présentent une vision variée
des situations rencontrées au cours du roman, de longueurs légèrement différentes, leur
position dans le déroulement du texte permet aussi de vérifier qu'il n'y a pas intensification ou
au contraire atténuation du leitmotiv au fil des pages et du développement de l'action.
Le tableau suivant présente donc une synthèse des occurrences de "and all" "and
stuff", d'abord séparément, puis toutes occurrences confondues dans la mesure où nous les
considérons comme faisant partie d'un même leitmotiv.

Tableau 1 : occurrences de "and all" et "and stuff" rencontrées aux cours des chapitres :
nbre
nbre nbre toutes
n° de nbre de d'occurrences
d'occurrences d'occurrences occurrences
chapitre pages en moyenne
de "and all" de "and stuff" confondues
par page
1 5 8 2 10 2
2 8 10 166 11 1,4
3 9 15 2 17 1,9
12 6 11 0 11 1,8
22 7 14 167 15 2,1
26 1 1 0 1 1
1,7
Total 36 59 6 65
(moyenne globale)

Sur un total de 36 pages, on a 65 occurrences de "and all" et "and stuff" confondues. On


remarquera que la fréquence arrive à varier d'un chapitre à l'autre, mais pas de façon graduelle
ou constante. On notera tout de même qu'en moyenne, on a 1,7 occurrences confondues de
"and all" et "and stuff" par page, avec la variable la + faible à 1 et la plus haute à 2,15 par

66
Nous considérons comme une seule occurrence combinée : "and all that stuff" p.11.
67
Id. p.151.

55
page. L'amplitude de la fréquence est donc plutôt limitée. On retrouvera les occurrences en
détail dans l'annexe 1.
Ces occurrences de "and all" et "and stuff" deviennent une forme de ponctuation dans
le langage d'Holden. On remarquera qu'elles sont presque systématiquement postposées, à
part une ou deux occurrences comme "And all that crap." (p. 13). Comme on l'a vu plus haut,
ce sont des expressions familières, typiquement orales. Leur fonction même de reprise est
typique d'une certaine oralisation du discours68. On notera ensuite que sur 65 occurrences, 64
sont le fait d'Holden, que ce soit en discours direct, en narration ou en discours rapporté, c'est
à dire tout ce qui passe par le prisme de la pensée d'Holden.
Toutes les occurrences n'ont pas la même valeur. On peut les classer en trois
catégories correspondant aux connotations spécifiques de chaque cas : tour à tour
d'adjonction, emphatiques, élusives. On a les "and all" ou "and stuff" de reprise dans une
énumération qui se veut écourtée "I read a lot of war books and mysteries and all," (p.16) ou
"I left all the foils and equipment and stuff on the goddam subway.".
L'emphase se retrouve dans "It's a pretty good book and all,", "with my fur-lined
gloves right in the pocket and all." et "at least he always said hello to Ackley and all.". On
remarquera que la fonction syntaxique de "and all" nous éclaire sur sa fonction affective.
Dans les cas précédents, "and all" reprenait le groupe nominal, l'énumération "war books and
mysteries and all,". Dans "It's a pretty good book and all.", la reprise s'effectue sur le procès
"the book is [pretty] good". Affirmation valable aussi pour "at least …", la reprise porte sur le
fait que Stradlater salue toujours les personnes qu'il rencontre "he always said hello". Chaque
"and all" est donc déterminé à la fois par son environnement sémantique direct et par son rôle
syntaxique.
Les "and all" de réticence s'expriment par exemple dans "They each had their own
room and all.", ou "'You mean about my flunking Pencey and all?'". Pour le premier énoncé,
on pourrait parler de la réticence d'Holden à parler de ces deux chambres séparées, cela
touche à des préoccupations d'adultes, détail plutôt intime sur lequel Holden ne souhaite pas
s'attarder, tout cela fait partie d'un monde qu'il n'a pas envie d'aborder. Le deuxième énoncé
est une question rhétorique, une forme de retardement de la part d'Holden qui, une nouvelle
fois, ne souhaite pas aborder le sujet et se donne du temps pour répondre. Cette valeur de "and
all" est presque la valeur 'négative' de l'insistance évoquée plus haut. Négative au sens
d'inversée, en effet, la fonction syntaxique est similaire, c'est le procès qui est repris, mais
cette fois, dans un souci de dilution (processus que nous avons évoqué dans l'introduction de
68
Claire BLANCHE-BENVENISTE, 1991.

56
cette partie), d'atténuation qui marque la réticence d'Holden, comme on le voit aussi dans :
"and there was old James Castle laying right on the stone steps and all.".

1.2
AND ALL adverb phr 1. they moved furniture, books and all ils ont tout déménagé y compris les
meubles et les livres; 2. [!]GB the journey was very tiring what with the heat and all le voyage était très
fatigant avec la chaleur et tout ça; it is and all! mais si!
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

STUFF […] 3. […] he likes painting and drawing and stuff like that[!] il aime la peinture et le dessin et
tout ce genre de trucs[!]; the book's all about music and stuff le livre parle de la musique et tout ça; […]
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

Les propositions de "and all" et "and stuff" ici avancent une reprise un peu formelle "y
compris […]" qui nécessite une position antéposée devant le dernier élément défini d'une
énumération, ou des reprises plus générales et postposées : "et tout", "et tout ça", "et ce genre
de trucs". Pour la dernière proposition on notera une dilution prosodique qui pourrait être
gênante vu son utilisation à caractère répétitif.
En français, l'expression "et tout" n'est pas figée, mais son utilisation, orale, se limite
essentiellement à une fonction additionnelle en fin d'énumération69. Cependant, la fonction
pronominale de reprise de "tout" peut, comme "and all" se colorer des différentes valeurs
affectives que nous avons mentionnées plus haut. C'est la traduction qu'a choisi Sébastien
Japrisot, de manière quasi systématique, à l'exception des occurrences suivantes :

"J'avais oublié les fleurets, l'équipement et machin-chose dans cette saleté de métro." SJ 11
"pour toutes ces saletés de traitement et machin-chose." SJ 13
"Je lui racontai que j'étais un vrai cancre et tout le tremblement." SJ 22
"pour prendre mon équipement et machin-chose," SJ 26
"dans le rostre et tout le bazar," SJ 27
"'J'ai laissé les saletés de fleurets et machin-chose dans le métro.'" SJ 31
"fatigué par la petite randonnée à New York et tout le reste," SJ 32
"Sa femme nous donnait toujours une tasse de chocolat et tout ce machin," SJ 205
"'Même si vous vous occupiez de sauver la vie aux types et tout ça," SJ 210

Ce choix permet d'apporter une réponse satisfaisante à la stratégie du leitmotiv "and


all" tout en gardant un texte français tout à fait acceptable. On peut s'interroger toutefois sur

69
Sur un échantillon de dix personnes à qui on demandait une mise en contexte de "et tout", sans autre précision,
sept l'ont spontanément postposé et utilisé dans ce type de contexte, ex : "Le 23 je suis convoqué au tribunal, il
faut que je leur amène ma carte d'identité, mon permis de conduire et tout.", "J'ai vérifié tout le circuit électrique,
les bougies et tout, et ça ne marche toujours pas!" ; deux l'ont antéposé, mais dans un sens complètement
différent : "et tout ça pour ça" ; enfin une personne l'a utilisé avec une valeur d'insistance : " je lui ai téléphoné et
tout mais il n'a rien voulu savoir", cette personne étant franco-britannique, on peut présager de l'influence de
l'anglais sur sa démarche.

57
certains choix opérés, par exemple dans : "dans le rostre et tout le bazar,", "fatigué par la
petite randonnée à New York et tout le reste," ou "'Même si vous vous occupiez de sauver la
vie aux types et tout ça,". Rien ne justifie le changement de stratégie pour ces trois
occurrences, "et tout" était tout à fait possible ici, Japrisot ajoute une emphase
supplémentaire, une sémantisation particulière avec "tout le reste" (la perte des fleurets et de
l'équipement), "et tout le bazar," (en la présence des officiels de l'école) qui n'était pas
nécessaire ici.
Pour "and stuff", Japrisot utilise "et machin-chose" différenciant ainsi les occurrences
de "and all" et "and stuff. Le problème qui se pose ici, c'est le choix de "machin-chose" qui,
comme il a été montré en première partie, chapitre 2, correspond à une personne ou un objet
défini, mais n'est pas outil de reprise. Il n'est pas assez versatile pour revêtir les valeurs
évoquées ci-dessus et son emploi au contraire provoque une attention incongrue, d'autant qu'il
est utilisé sans article.
Dans les énoncés suivants en anglais on retrouve "and all that stuff" que l'on pourrait
traduire par "et tout ça". On remarque qu'en français le choix est moindre, puisque là où
l'anglais a deux expressions "and all", and stuff" et leur combinaison "and all that stuff", le
français a du mal à varier sans diluer. On risque donc de perdre une certaine variété en ne
choisissant que "et tout" "et tout ça", ce qui explique sans doute le choix de Japrisot de tenter
"et tout le tremblement" et "machin" : "Je lui racontai que j'étais un vrai cancre et tout le
tremblement.", "Sa femme nous donnait toujours une tasse de chocolat et tout ce machin,".
Par contre, si le choix de "et tout le tremblement" semble parfaitement concorder avec le texte
de départ, l'emploi de "machin" dans un tel contexte est plutôt inacceptable. La deuxième
phrase n'a pas de sens. Il aurait été préférable de s'en tenir à "et tout le tremblement".

Annie Saumont a suivi la même direction à quelques exceptions près. On s'attardera


d'abord sur "and stuff" qu'elle a retranscrit dans toutes les occurrences sélectionnées. On
retrouve "et tout", sauf dans la reprise de l'énoncé "'J'ai laissé les foutus fleurets et tout le
barda dans le métro.'" où on a "et tout le barda". Ce revirement est inattendu, vu que la phrase
"I left the equipment and stuff" fait écho à la première occurrence, on pouvait donc s'attendre
à une simple reprise de la formulation déjà utilisée. L'expression "all that stuff" ne semble pas
faire l'objet d'un traitement particulier à l'opposé du texte de Japrisot, le premier est traduit par
"et tout" dans "Je lui ai dit que j'étais un vrai cancre et tout.", le second est omis "sa femme
arrêtait pas de nous offrir des tasses de chocolat".

58
"And all" non plus ne fait pas l'objet d'un traitement systématique chez Annie
Saumont : généralement traduit par "et tout", 16 occurrences sur les 59 de notre sélection ne
sont pas retranscrites ni compensées dans le texte d'arrivée. On peut avancer que n'ayant pas
réservé l'emploi de "et tout" à cette fonction particulière, on a vu précédemment le cas de "j'ai
pas envie de raconter ça et tout.", de peur d'avoir trop de répétitions, le traducteur a préféré
l'omission partielle.
Nous avons étudié d'un peu plus près certaines omissions afin d'en déterminer les
conséquences. Dans "Avec mes gants fourrés qui étaient dans la poche.", "and all" est
emphatique comme on l'a vu en exemple, pour montrer l'ampleur de la perte d'Holden (son
manteau ET ses gants), et dans le texte d'arrivée, on perd cette insistance, le ton est plus froid,
résigné. Plus tard, on a "'Vous parlez de mon renvoi?" pour "'You mean about my flunking
out of Pencey and all?'". Dans le texte source, on a une marque d'hésitation, de réticence de la
part de Holden, ce n'est qu'une question rhétorique, il sait parfaitement de quoi Spencer est en
train de parler, il ne s'agit que de retarder l'inévitable mention de son renvoi, alors que chez
Annie Saumont, on n'a pas de marqueur de réticence, on a même une phrase plutôt abrupte.
De plus, pour conserver le ton, on aurait pu avoir: "Vous voulez dire" ou "Vous voulez parler
de".
On peut presque parler de contresens dans "Tout le monde a des mauvaises passes,
vous savez." pour "Everybody goes through phases and all, don't they?". En anglais, on a
deux marqueurs de réticence : le tag "don't they" et "and all". Le tag en anglais américain est
plus rare qu'en anglais britannique, moins automatique, Holden ici cherche confirmation, il
n'est pas assertif comme on peut le croire dans la traduction d'Annie Saumont : "vous savez.".
Comme si Holden était détenteur du savoir et l'expliquait au père Spencer, c'est un véritable
changement de sens : Holden ne sait pas, c'est là tout le problème.
Dans "après tout, c'est qu'une petite fille.", on retrouve ce ton assertif, Phoebe est
classée dans les enfants, or si l'on regarde le texte original de plus près, le "and all" de "I mean
she's only a little child and all." est réticent, on remarque comme le procès est dilué "I mean",
"and all", l'assertion est enrobée d'atténuation, alors que chez Annie Saumont, il s'agit d'un
fait : "Après tout" la rejette au rang d'enfant, l'éloigne alors que la phrase de départ nous
montrait toute l'ambivalence des sentiments d'Holden qui montre que malgré son jeune âge,
Phoebe est étonnamment lucide et sage.
Notons enfin quelques traductions singulières, pour "It was a very crude thing to do, in
chapel and all," qui devient "spécialement dans la chapelle", un anglicisme – calque de
"especially" bien que non suggéré par l'énoncé de départ – qui reprend toutefois l'idée

59
d'emphase. Pour "'His wife was always giving you hot chocolate and all that stuff,'" on a "sa
femme arrêtait pas de nous offrir des tasses de chocolat", on a un glissement de sens. Si la
modulation est un procédé courant, particulièrement avec ce "always", mais l'idée d'arrivée est
différente ici car "n'arrêtait pas" a une connotation négative, d'autant plus que couplée à
"offrir", l'énoncé donne l'impression que ces offres étaient généralement refusées, or dans
l'original on a bien "give" qui signifie que l'offre est acceptée. Il n'y a pas de connotation
péjorative dans l'original, plutôt une tentative d'Holden pour montrer qu'il y avait quelques
personnes agréables à Pencey. La suppression de "et tout" ajoute à cet effet de froideur,
d'indifférence, voire d'ingratitude adolescente face à la gentillesse de la femme de Spencer.
On retrouve une connotation similaire chez Japrisot avec "et tout ce machin", heureusement
atténuée par la formulation "nous donnait toujours une tasse de chocolat". Il existe d'autres
omissions dans la version d'Annie Saumont aux incidences individuelles plus négligeables,
dont on retrouvera la trace dans l'annexe.
Il apparaît ici qu'Annie Saumont, sans renoncer totalement à l'effet leitmotiv, mais
dans un souci peut-être de plus grande 'fluidité', a cherché à éviter des répétitions trop
nombreuses auquel le français est très sensible70. Ensuite, dans la mesure où ce "et tout" n'est
pas une collocation courante en français, elle a parfois cherché des solution de compensation,
comme pour l'énoncé "spécialement dans la chapelle", et l'a parfois simplement omis lorsque
le message n'en était pas trop modifié, à quelques exceptions près. Cette démarche se justifie,
mais à un certain prix. Comme on l'a remarqué plus haut, certaines occurrrences, de
réticentes, élusives, sont passées à assertives, définitives. Or rien dans le discours d'Holden
n'est définitif, c'est bien cela que l'on perd en omettant "and all", en ne lui donnant pas
d'équivalent. On a déjà pu noter qu'"and all" était fréquemment en position finale d'un énoncé,
qu'il servait de délai avant le point – ou la virgule – qui finalisait le procès, qui le rendait
définitif. On retrouve cette propension à avoir peur des 'fins' dans le discours même du
personnage, "you felt like you were disappearing every time you crossed a road" (CITR, p.4),

70
Par 'fluidité' du texte, nous faisons référence ici à la tendance 'normalisante' du français qui veut que les
répétitions soient absentes des textes 'bien écrits'. Nitsa BEN-ARI : "French normative respect for elegance of
style has resulted in sets of written 'recommendations' for what is 'proper' or 'improper' in writing. Repetitions
[…] usually appear at the head of lists of prohibitions.", Meta, 1998, p. 2.

60
il a peur que les choses s'arrêtent, il surenchérit plus haut dans le texte : il a besoin de savoir
lorsqu'il quitte un endroit pour de bon, il veut avoir le temps de faire ses adieux "I was trying
to feel some kind of a good-by" (id.). Ce serait donc une erreur de survoler ce "et tout" et de
ne pas le compenser convenablement.

2. "Goddam"

Avec ce terme, on touche à une autre caractéristique de l'idiolecte d'Holden : l'usage


d'un langage grossier. Outil de rébellion et d'idiosyncrasie autant pour Holden que pour son
géniteur Salinger : "Language filled with grammatical 'incorrectness', slang words and
expletives becomes a means of rebellion."71 Instrument de rejet par la société aussi pour
l'œuvre de Salinger qui le lui rend bien. Longstreth, cité par Jack Salzman72 déclare que c'est
un roman "that is not fit for children to read.", car Holden est "preposterous, profane, and
pathetic beyond belief.". Le langage du Catcher est souvent décrit comme "rude", "coarse",
"foul", ou encore "vulgar" en anglais (en français, "cru", "grossier", ou "vulgaire" résument
assez bien la situation) ce qui lui a valu d'être à l'époque, et aujourd'hui encore, censuré. Selon
un agent de l'American Library Association, le Catcher est un "perennial No.1 on the
censorship hit list."73. Suivent quelques instances de cette censure.

The Catcher in the Rye, 1951, by J. D. Salinger


This is a perennial favorite of censors and has been banned in the U.S. and Australia. In 1960,
a Tulsa, OK teacher was fired for putting the book on the 11th grade reading list. The teacher
was reinstated, but the book was permanently removed from teaching programs. A Minnesota
high school administration was attacked for allowing the book in the school library.
Source : http://www.banned-books.com/bblista-i.html

The Catcher in the Rye, J.D. Salinger


Considered "dangerous" because of vulgarity, occultism, violence and sexual content.
Banned in Freeport High School, DeFuniak Springs, Florida, 1985.
Removed from
Issaquah, Washington, optional high school reading list, 1978;
required reading list, Middleville, Michigan, 1979.;
Jackson-Milton school libraries, North Jackson, Ohio, 1980;
Anniston, Alabama, high school libraries, 1982.
Challenged by Libby (Montana) High School, 1983.
Source : http://home.nvg.org/~aga/bulletin43.html

71
Antti PAJUNEN, "A Survey of the Language in J. D. Salinger's Catcher in the Rye", 1998.
72
"Introduction", New Essays on The Catcher in the Rye, 1991, pp. 1-2.
73
Cité par Jack Salzman, ibid., p. 2.

61
2.1 "La récurrence d'un même terme, […], joue un rôle primordial, […]. C'est ainsi que
fonctionnent par exemple les goddam / old (précédant chaque nom ou prénom) / you see…
dans l'idiolecte du jeune Holden de The Catcher in the Rye."74.

GODDAM adj expletives used informally as intensifiers; […]"he's a damn (or goddam or goddamned)
fool"; adv : (intensifier) extremely; "you are goddamn right!" (syn: goddamn, goddamned)
WordNet,1997.

GODDAMN […] 1. interj. Used to express extreme displeasure, anger, or surprise. […]
American Heritage Dictionary, 2003

"Goddam" est un des éléments principaux de l'argot d'Holden, leitmotiv de loin le plus
présent du roman. Il est utile de préciser en premier lieu que si "goddam" est aujourd'hui aussi
courant que "hello" dans le langage informel américain – on remarquera que les dictionnaires
américains ne le signalent même pas comme grossier – et qu'il est même utilisé comme
substitut à des expressions plus grossières (comme "f***ing"), dans les années 40-50, époque
de l'apparition du personnage d'Holden, ce mot n'était pas aussi répandu, ni aussi facilement
accepté et a grandement participé à l'interdiction du roman dans les écoles.

Comme on l'a démontré jusqu'ici, il ne suffit pas de compenser la connotation et la


dénotation de"goddam" dans le terme français, mais aussi de lui trouver un équivalent, direct
ou oblique qui le distingue comme marqueur de l'idiolecte d'Holden. Dans ce cadre, on peut
reconnaître deux fonctions à "goddam", la fonction lexicale d'intensificateur, et la fonction
psycho-linguistique d'aliénation qui passe par l'utilisation taboue de ce mot grossier, rejetant
immédiatement Holden – et par extension, le roman – dans une certaine catégorie.

Jerome David Salinger is an extremely skillful writer, and Holden's dead-pan narrative is
quick-moving, absurd, and wholly repellent in its mingled vulgarity, naïveté, and sly
perversion.
Christian Science Monitor, 195175

... formidably excessive use of amateur swearing and coarse language...


Catholic World, 195176

74
C. & J. DEMANUELLI, 1991, p. 49.
75
Source électronique : http://mitglied.lycos.de/BerndWahlbrinck/int.htm.
76
Ibid..

62
Il est nécessaire de préciser que "goddam" est aussi élément de sociolecte, identifiant
le langage relâché des adolescents ainsi que la grossièreté d'un chauffeur de taxi :

Ackley: "'He's got this goddam superior attitude all the time,' […]" p.20

Horwitz: "'You're goddam right they don't,'" p.76


CITR

Ces occurrences étrangères au discours direct d'Holden sont cependant plus rares, et on ne
doit pas perdre de vue qu'il n'y a qu'un seul et unique narrateur/rapporteur de ces faits de
langue.
Holden se définit donc en partie par rapport à ce langage qu'il adopte, par son aspect
grossier et provocant pour l'époque – "goddam" n'étant qu'un des nombreux éléments avec
"lousy", "phony", "moron", etc.. Pour des générations de lecteurs, ce langage a été un vecteur
de rapprochement, il leur a permis de se sentir proche du héros, justement parce qu'il
choquait, parce qu'il témoignait d'une absence de limites.

DAMN […] GODDAMN adj, adv [used only before the noun it describes ] sl. 1. (used for giving force
to an expression, good or bad): a damn fool/You were damn lucky the police didn't catch you!/Don't lie
to me, you knew damn well what was happening. […]
Longman, 1987

GODDAMN 1. adjective […] [only before noun]


spoken a word used to show that you are angry or annoyed, considered offensive by some Christians
Where's the goddamn key? 2. goddamn goddam goddamned adverb I just did something so goddamned
stupid.
Longman, 2003

On distinguera ici les occurrences de "damn" et de "goddam" car si similaires en sens,


les premières n'ont pas le même effet prosodique car plus rares et monosyllabiques. La
référence à "God" disparue, le mot perd de sa force offensive, et sa moindre répétition n'en
fait pas un élément aussi important à notre sens que "goddam".

GODDAMN * […] 1. noun not to give a goddamn about se foutre** royalement de. 2. adjective
sacré*, fichu*. 3. adverb sacrément*. 4. exclamation goddamn (it)! bon sang*!
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

GOD […] 2. comp […] > GODDAM(N)**, GODDAMNED** sacré, fichu*, foutu** (all before noun)
[…]
Robert & Collins, 1993.

Comme on peut le voir dans les définitions et traductions ci-dessus, "goddam[n]" est
utilisé comme intensifieur avec les noms et adjectifs. Les emplois de "goddam" sont variés

63
dans le CITR, et l'intensification ainsi apportée est tantôt négative, tantôt positive. Dans "I left
the goddam foils and stuff on the subway." la coloration est négative, et dans "Goddam
book.", elle est positive. Sur les chapitres préalablement sélectionnés on trouve 47
occurrences de "goddam" détaillées dans l'annexe 2.

2.2 Nous sommes donc parti de l'hypothèse que "goddam" était un élément prosodique77
autant que sémantique et donc devait donc réapparaître de façon relativement systématique
dans le texte d'arrivée. Il est important de lui conserver la caractéristique offensive, "goddam"
est choquant dans le texte original, il doit rester quelque chose de cette impropriété dans le
texte d'arrivée. Les contraintes syntaxiques de cet intensifieur en anglais sont faibles, il
s'utilise indifféremment devant noms ou adjectifs en attribut ou épithète. Les traductions
suggérées par les dictionnaires bilingues donnent: "fichu", "sacré", "foutu", "nase", on
pourrait aussi suggérer "saleté de", "maudit", "putain de", "saloperie de". Première
constatation : ces adjectifs et locutions adjectivales sont tous utilisables comme intensifieurs à
l'exception de "nase" mais subissent des contraintes syntaxiques plus grandes. Ils ne peuvent
intensifier un adjectif, il ne peut donc y avoir de traduction totalement systématique. Ces
diverses propositions sont essentiellement différenciées par le niveau de langue. Voici une
proposition de classement basée sur les définitions des dictionnaires78 :

niveau formel/informel : maudit,


niveau familier: fichu*, saleté de*, foutu*/**, sacré*79, satané*, nase*
niveau grossier: saloperie de**, putain de***

On peut sans doute oublier "maudit", un peu antique en français de métropole, qui fait
penser à une tragédie cornélienne, d'un niveau trop soutenu pour être un équivalent
convenable à "goddam" ici. Compte tenu de la date de parution du roman, "nase" est trop
moderne, et il ne fonctionne pas en tant qu'intensifieur.
Le cas de "sacré" est un peu particulier, de terme formel il peut prendre une tonalité
très familière selon le contexte : "les structures syntaxiques […] peuvent aussi accueillir des
termes qui par définition ne sont pas spécialisés dans l'injure, mais prennent ipso facto une

77
Nous entendons par là que la répétition est parfois si 'intensive' que le lecteur n'est plus tant sensible à la valeur
sémantique de "goddam" (les mots même les plus grossiers, à force de répétition perdent de leur aspect
choquant) qu'à son rôle de 'ponctuation' du discours.
78
Nous avons choisi les astérisques comme moyen de codification à cause de leur fréquente utilisation à cet effet
dans les ouvrages de référence, un astérisque étant le moins grossier, etc.
79
Dans ce contexte.

64
valeur d'injure" (Riegel, Pellat, Rioul 1994 : 588)80. "Sacré" est une traduction quasi littérale
de "god-dam" et, de surcroît, fonctionne avec une connotation négative ou positive, ce qui,
donc, permettrait de ne conserver qu'une traduction pour toutes les occurrences de "goddam".
Malgré le traitement que subit "sacré" lorsqu'il est utilisé comme intensifieur, on n'atteint pas
le degré d'offense contenu dans "goddam". Une possibilité consiste alors à scinder en deux les
occurrences qui constituent une intensification positive et celles qui sont négatives, on peut
garder "sacré" pour les occurrences positives et "foutu", "saleté de" ou "saloperie de" pour les
occurrences négatives. Utilisé seul, l'intensifieur "sacré" n'est pas particulièrement offensant,
mais l'accumulation de familiarités lui déteint dessus, ce qui contribue à le rendre plus
offensant. Dans ce cas, c'est la répétition de termes jugés plus grossiers comme "foutu" ou
"saloperie de" qui coloreront textuellement "sacré".81
Les autres traductions proposées "fichu" ou "satané" sont d'un emploi un peu plus
délicat au sens propre comme au figuré : le premier se perçoit comme une version un peu
adoucie de "foutu", moins efficace, plus enfantin. Le deuxième est aussi une forme
d'évitement. Ce terme qui vient du contexte religieux a été tabouisé par la Bible au même titre
que le nom de Dieu et donc la réticence était grande à l'utiliser, d'où l'utilisation de "satané"
qui semblait moins répréhensible. Ces deux termes témoignent donc d'une retenue qui ne
correspond pas exactement au ton du texte original, qui au contraire joue de ce mot tabou
qu'était "goddam" à l'époque.

2.3 A la lecture des deux traductions, on remarque que ni l'un ni l'autre des traducteurs ne
semble avoir traité "goddam" comme un leitmotiv dans la mesure où les transcriptions en sont
très variées d'un passage à l'autre, et même parfois d'une phrase à l'autre. Il est difficile de
retrouver un systématisme quelconque, que ce soit dans la retranscription ou l'omission de la
traduction de "goddam". Voyons tout d'abord les différents choix recensés au travers des sept
chapitres sélectionnés :

80
Martin RIEGEL, Jean-Christophe PELLAT et René RIOUL, Grammaire méthodique du français, 1994. N.B. :
cette affirmation s'applique ici aux injures, mais elle nous semble être une bonne illustration de la valeur
changeante qu'adoptent les termes selon le traitement que leur fait subir le contexte.
81
Un sondage sur un échantillon de 10 personnes à qui on avait demandé de classer du moins grossier au plus
choquant les expressions utilisées dans les traductions, "sacré" est arrivé 6 fois en première position (le moins
choquant), 2 fois en second, et 2 fois entre la troisième et la quatrième place sur 9 termes.

65
Tableau 2: traductions de "goddam" classées par chapitre
Traduction
Japrisot "saleté "satané "bon Dieu "pourriture "putain
omission "sacrément"
N° de de" " de" de" de"
chapitre
1 3 1
2 2 1
3 2 15 1
12 8 2 1
22 8 3
26 1
TOTAL 2 36 1 1 3 1 3
Traduction omission
"connasses
Saumont / "saleté "foutre-
"foutu" "saloperie "à la con" de saletés
N° de compen- de" ment"
de de"
chapitre sation
1 2 2
2 1 1 1
3 8 10
12 6 1 2 1 1
22 5 1 4 1
26 1
TOTAL 22 4 18 1 1 1 1

On remarque tout de suite le nombre d'omissions très important chez Annie Saumont,
qui vient corroborer l'hypothèse que "goddam" n'a pas été traité comme un leitmotiv. Ces
omissions ne sont pas dues à des contraintes syntaxiques ou stylistiques, puisque pour chaque
cas on pourrait avoir l'insertion de l'un des autres équivalents proposés par les deux
traducteurs sans que la phrase ne perde de son naturel ou se retrouve en difficulté
'grammaticale'. On notera que Japrisot a fait preuve d'une plus grande constance même si
certains de ses choix de ne pas utiliser "saleté de" paraissent surprenants, voire injustifiés. On
a remarqué plus haut que l'on pouvait éventuellement scinder le leitmotiv en deux, mais ici,
on peut arguer que dans le texte d'Annie Saumont, le leitmotiv a été partiellement démonté.
Les absences d'une traduction "visible" de "goddam" ne sont pas des glissements vers d'autres

66
parties de la phrase, mais sont de véritables omissions. Le leitmotiv disparaît: seuls 18
occurrences de "foutu" transcrivent une répétition de 48 occurrences en anglais. A cela
s'ajoutent les autres expressions parsemées ici et là "saleté de" quatre occurrences et d'autres
expressions 'à usage unique', qui ne sont donc point remarquables par leur fréquence et qui
contribuent simplement à donner un effet de grossièreté gratuite, mais non de résonance.
Chez Japrisot, la constance est doublement importante : 36 "saleté de" pour deux
omissions seulement, là aussi quelques expressions isolées, telles que "pourriture de", "putain
de" ou "bon Dieu de". On notera au passage que, réticent d'habitude sur le langage grossier, il
utilise tout de même "putain de", qui contraste grandement avec son premier choix "saleté
de", à trois reprises, sans raison apparente.
Quelques occurrences posent problème pour d'autres raisons : l'emploi de "saleté" dans
"'Saleté de livre.'", où en l'absence de contexte plus marqué "saleté de" donne une impression
nettement péjorative alors qu'Holden relit le livre par plaisir et n'a aucune raison de prétendre
le contraire. Pour "'They live right in the goddam ice." (et autres occurrences de pourriture
de?"Au milieu de la pourriture de lac" p.104, "Right in the goddam lake."), on peut se
demander ce qui a poussé le traducteur à utiliser "pourriture de", là où il aurait pu continuer
avec "saleté de". Peut-être est-ce dans un souci d'intensifier la grossièreté du personnage
d'Horwitz. D'autre cas ont également retenu notre attention :

"'What he did, he carved his goddam stupid sad old initials in one of the can doors about
ninety years ago, […]'" 152
"'Ce qu'il avait fait, il avait gravé quatre-vingt-dix ans auparavant ses saletés de vieilles
initiales, ses stupides et tristes initiales, sur une des portes des chiottes, […]'" SJ 206
"'il avait gravé ses vieilles connasses de saletés d'initiales sur une des portes des chiottes [...]'"
AS 203

Dans le cas de "his goddam stupid sad old initials", on aurait pu envisager une
accumulation d'adjectifs aussi insolite en français qu'elle l'est en anglais, mais se pose alors la
question de leur ordre, de nombreuses combinaisons sont possibles :
ses saletés de vieilles initiales stupides et tristes
ses saletés de stupides et tristes vieilles initiales
ses saletés de tristes et stupides vieilles initiales
ses saletés de stupides vieilles initiales tristes
ses saletés de stupides initiales vieilles et tristes

On remarquera alors que dans le cas de "triste" en particulier, selon la place qui lui est
donnée, avant ou après le nom, le sens varie sensiblement. "Triste" en position antéposée

67
acquiert une valeur de "pathétique" plus que de "tristesse", il est porteur d'un jugement
appréciatif.

TRISTE adj. 1. Qui éprouve du chagrin. Il est triste de la mort de son ami. 2. (Avant le nom).
Méprisable, vil. C'est un triste personnage. […] 6. Dont la médiocrité, la mauvaise qualié a quelque
chose d'affligeant, de méprisable. Une triste réputation. […].
Larousse, 1996.
Si l'on considère qu'utiliser "triste" en position antéposée est possible ici, le sens glisse de la
tristesse vers cette idée de "pathétique, navrant". Il existe un emploi de "sad" dans ce sens en
anglais parlé : "informal boring or not deserving any respect"82. Observons un instant le sens
de "sad" dans la phrase de départ. On a une accumulation d'adjectifs "his goddam stupid sad
old initials" qui apporte une emphase exagérée sur l'aspect stupide et pathétique de l'action de
cet ancien élève quinquagénaire dont la seule préoccupation est de retrouver la trace d'un
comportement infantile et ridicule. On ne peut pas exactement qualifier les initiales ou/ni le
comportement lui-même de "triste(s)" au titre d'un quelconque chagrin, mais plutôt pour
Holden de le qualifier de "pathétique", voire d'"insensé". L'emploi de "sad" est donc bien
affectif, il ne s'agit pas de la constatation d'un état de malheur, mais bien d'un jugement porté.
Si l'on tient compte de ce raisonnement, alors le choix de Sébastien Japrisot paraît intéressant
"ses saletés de vieilles initiales, ses stupides et tristes initiales,", l'antéposition de triste
permettant de porter un jugement. La phrase d'Annie Saumont est très violente par contraste,
"'il avait gravé ses vieilles connasses de saletés d'initiales sur une des portes des chiottes'", le
choix de vocabulaire est un peu surprenant, "connasses" n'est pas un terme anodin, classé
"vulgaire" par le Larousse, son emploi paraît un peu fort ici, étant donné son association à un
terme tel que "chiottes" en particulier qui par contamination produit une phrase
considérablement plus vulgaire qu'en anglais.

"'I mean if I had my goddam choice?'" 155


"'Je veux dire si j'avais mon putain de choix?'" SJ 210
"'Tu sais ce que je voudrais être si on me laissait choisir, bordel?'" AS 208

Cet extrait aussi présente chez les deux traducteurs une surenchère dans
l'intensification apportée à l'origine par "goddam". Chez Japrisot, la gradation se fait à travers
"putain de", et chez Annie Saumont, l'effet de style est compensé par l'ajout de "bordel" en fin

82
Longman, 2003.

68
de proposition. Les deux termes sont grossiers, voire vulgaires83. Même si le "goddam" du
texte original est lui aussi présenté comme un terme grossier, il devient néanmoins familier au
lecteur, et comme tous les mots employés (trop) souvent, perd de sa force, de sa violence ici.
On peut donc questionner le choix des deux auteurs qui ont choisi de mettre un accent tout
particulier dans la traduction de cette occurrence.
Dans l'extrait suivant Sébastien Japrisot introduit "bon Dieu de" dans une phrase qui,
au départ, n'est pourtant pas particulièrement chargée en émotion.

"'He told me he thinks you're a goddam prince,' […]" 20


"'Il me dit toujours que tu es un bon Dieu de prince.'" SJ 35
"'Il m'a dit que t'es un foutu prince.'" AS 35

Holden explique à Ackley que son mépris pour Stradlater n'a nul lieu d'être puisque celui-ci le
considère (toujours selon Holden) comme un "bon Dieu de prince.". Si l'on tient compte des
choix précédents de l'auteur qui utilise en majorité "saleté de" (cette traduction représente
74% des occurrences de "goddam" sur les chapitres sélectionnés), on peut penser qu'associer
"saleté de" à "prince", étant donné la connotation positive de l'expression ici, lui a semblé peu
approprié.

"'Right in the goddam lake." 75


"'Au milieu de la pourriture de lac.'" SJ 104
"'Juste où y sont dans le foutu lac.'" AS 103

Dans cet extrait cependant, comme mentionné dans la première partie, chapitre 3,
l'utilisation abrupte de "pourriture de" à la place du 'traditionnel' "saleté de" est incongrue84.
On peut avancer l'hypothèse qu'il s'agit d'une insistance sur l'impression peu sympathique que
dégage le personnage d'Horwitz (taxi à la propreté douteuse, réactions plutôt agressives, etc.).
Cette décision modifie l'affect de la séquence, accentue encore la répulsion qu'inspire déjà
assez naturellement le chauffeur, une accentuation que ne reprend pas Annie Saumont qui s'en
tient au plus près du texte ici.

"I think I even miss that goddam Maurice." 192


"Je crois même que cette pourriture de Maurice me manque." SJ 259
"Et même je crois bien, ce foutu Maurice." AS 252

83
Pour 'bordel' le Larousse note : "vulgaire" à "très familier" selon l'emploi qui en est fait, l'Oxford Hachette
Dictionary lui donne deux astérisques, tout comme le Robert et Collins. On notera aussi que l'équivalent donné
dans l'OHD dans ce contexte est "damn!", et dans le Robert et Collins, "for Christ's sake".
84
D'autant que l'utilisation de "la" pour "the" qui aurait pu se traduire par "cette" ajoute à l'incongruité de
l'expression.

69
Dans cet autre extrait, Japrisot amplifie une nouvelle fois délibérément la charge
d'affect sans autre justification qu'un choix du traducteur d'accentuer là aussi le mépris que
peut engendrer le personnage de Maurice avec "pourriture de".

"'I'm getting goddam sick of it." 155


"'Ca me donne un putain de mal au cœur.'" SJ 210
"'Ca commence à me faire chier.'" AS 207

Là où on aurait éventuellement pu avoir "Je commence à en avoir


fichtrement/foutrement marre.", ou "J'en ai sacrément ras-le-bol.", les deux traducteurs
proposent "un putain de mal au cœur" et "Ca commence à me faire chier.". Si la dénotation de
cette dernière proposition est très similaire à l'original, la connotation, par contre ne fait pas
référence à la même fonction. On peut considérer qu'ici la traduction de Sébastien Japrisot est
celle qui colle le plus au doublé connotation-dénotation d'origine.

Pour conclure cette section, on remarque une tendance nette des deux traducteurs à
'enrichir' le langage source. Ils introduisent une variété de termes là où au départ il y avait un
leitmotiv marqué. On dénombre six traductions différentes de l'intensifieur "goddam" chez
chacun des traducteurs, et ce ne pas sont les contraintes de la langue d'arrivée qui les ont
poussés à opter pour la variété, mais bien des démarches délibérées. Nous reviendrons sur ce
problème que pose la traduction des répétitions dans la troisième partie "Les Tendances
déformantes de la traduction".

3. "old" + nom

OLD adj. […] 13. often ol' […] a. Used as an intensive: Come back any old time. Don't give me any ol'
excuse. b. Used to express affection or familiarity: Good ol' Sam.
American Heritage Dictionary, 2000.

Les occurrences de "old" + nom sont nombreuses dans le roman. Toutes font partie de
la narration ou du discours d'Holden. En anglais, utiliser cette formulation est familier et
plutôt affectif. On pense particulièrement à "old sport", tic de langage récurrent dans The
Great Gatsby85, roman que, d'ailleurs, Holden adore. Les nombreuses occurrences et surtout
la variété de personnages qui sont désignés ainsi par Holden laissent entrevoir que cette

85
F. SCOTT FITZGERALD, 1926.

70
connotation affective n'est pas applicable à toutes les occurrences. S'il parle de sa petite sœur
de huit ans qu'il adore en ces termes : "old Phoebe", il l'utilise aussi pour "old Thurmer" qui
est le directeur de l'école qu'Holden déteste, on ne peut donc pas réduire l'utilisation de "old
[+nom]" à une formule affectueuse. Il ne s'agit pas non plus d'une question d'âge puisque les
occurrences recouvrent des personnes qui vont de l'enfance à l'âge de la retraite. Pourtant,
dans "old", il y a "vieux", en utilisant "old" devant les noms ou les prénoms des gens, il y a
une distanciation certaine, un recul.
Sa répétition intensive ici, nous mène sur une autre voie que la voie sémantique, celle
de l'idiolecte dont nous avons déjà donné plusieurs exemples. Une hypothèse avancée de
l'explication de cette utilisation de "old" est qu'Holden est en train de raconter une histoire qui
remonte à loin dans ses souvenirs, avant que quelque chose d'irrémédiable le sépare de cette
période. Ces personnages là font partie d'une ancienne vie, se sont des réminiscences de
quelque chose qui 'était'. Ce "old" pourrait donc être envisagé comme outil rhétorique utilisé
par l'auteur pour poser cette frontière entre passé et présent.

The careful reader cannot fail to notice that almost every person's name which Holden
references is prefixed by the word "Old," as in "Old Stradlater" or "Old Phoebe." This is a
particularly ingenious device of Salinger's which reminds us that Holden is not living out the
narrative, but retelling it. In the telling, everyone has become a distant, old memory.
http://www.homework-online.com/tcitr/symbols-motifs_old.asp
Copyright © 1998-2003. Homework Online, Inc. All Rights Reserved.86

Si l'on accepte cette hypothèse, cela complique encore la tâche du traducteur. Bien sûr,
en français, on a 'vieux' ou 'vieille'.

VIEUX ou VIEIL, VIEILLE adj. et n. […] 1. avancé en âge. […] 2. Fam. Mon vieux, ma vieille
(termes d'amitié) ; pop., mon père, ma mère. […]
Larousse, 1996.

On se heurte cependant à deux problèmes majeurs : premièrement, l'utilisation de


'vieux + nom' en français fait en général référence à l'âge, et deuxièmement, c'est une
expression à connotation péjorative. C'est pourtant le choix que fait Sébastien Japrisot, à cela
près qu'il y met une majuscule : "au Vieux Spencer", "Vieux Thurmer", "Vieux Stradlater",
"Vieille Jane", "Vieux Maurice", "Vieille Sunny", "Vieille Phoebé", "Vieille Mme Antolini".
Dans l’original, on a "old Spencer", pas de majuscule, rien d’exceptionnel en ce qui concerne
l’emploi de cette expression. Les raisons qui ont motivé l’emploi de la majuscule restent donc

86
Si cette citation reprend les occurrences de "Old" avec une majuscule, on notera que dans le texte original
"old" est écrit en minuscules.

71
obscures. On peut penser qu'il a mis une majuscule pour singulariser cet usage de 'vieux', pour
montrer au lecteur qu'il s'agit d'un idiotisme, et peut-être pour atténuer le sens premier du mot
'vieux' ou 'vieille'. On remarque aussi qu'il n'utilise pas d'article à l'exception de la contraction
'au' devant 'Vieux Spencer' page 26. Mais ces majuscules au milieu du texte, tout comme la
simple sonorité de l'association "Vieille Phoebé" choquent nos regards (on verra plus bas la
parade imaginée par Annie Saumont pour éviter cette association douteuse). Cette décision a
pour effet d’attirer l’attention sur une expression qui est en anglais très banale, alors qu’en
français on se retrouve avec un choix stratégique qui est loin d’être anodin et qui de plus
conditionne le reste de la traduction, puisque chaque fois, on retrouvera l’association le 'Vieux
+ nom propre'.
Un autre choix consistait en l'utilisation de 'le père + nom propre' ou 'la mère + nom
propre'.

PÈRE n.m. […] III. 3. Fam. (Suivi du nom propre, pour désigner un homme d'un certain âge ou
s'adresser à lui, avec une nuance de bonhomie ou de condescendance). Le père Mathurin.
Larousse, 1996.

Cette expression semble assez naturelle dans le cas du 'père Spencer' ou de 'la mère Spencer',
les critères correspondent, ce sont deux personnes d'un certain âge qu'Holden considère avec
une légère condescendance affectueuse. Ensuite, pour éviter que 'vieux/vieille' ou 'le père/la
mère' ne soient placés inopportunément devant le prénom de Phoebe qui a 8 ans, Ackley ("old
Ackley" p.19) qui a approximativement le même âge qu'Holden, ou encore James Castle, AS
alterne les 'le père [+ nom]' avec 'le/la môme [+ nom]', le 'gars [+ nom]', 'le mec [+ nom]'. Si
l'idée paraît bonne, car on garde une forme de leitmotive, le phénomène dilatoire imposé par
l'utilisation de "old", on remarque toutefois que l'idée de "la vie d'avant" n'est plus respectée.
On conclura donc qu'aucune des traductions de ce leitmotiv n'est vraiment satisfaisante
et que quelle que soit la solution adoptée il y aura une perte. Nous ne prétendons pas apporter
de solution parfaite, car il est évident que le texte ne se porterait pas mieux avec des
périphrases lourdes telles que 'la Phoebe/le Spencer d'avant'. En reprenant une partie de la
'stratégie Japrisot' cependant, on aurait pu envisager de systématiser l'emploi de l'article 'le'
devant 'vieux' lorsque la connotation affective est faible ou nulle, et 'ce' devant 'vieux' lorsque
la connotation affective est plus forte, par exemple : 'le vieux Thurmer' 'cette vieille Phoebe',
cela oblige à faire un choix un peu arbitraire pour décider qui bénéficie ou non de l'un ou de
l'autre – mais c'est bien la question du choix raisonné qui nous occupe ici – et cela aurait

72
donné 'ce [bon] vieux D.B.' ou 'cette [bonne] vieille Phoebe', 'le vieux Spencer', 'le vieux
Thurmer'.

4. "pretty" intensifieur

Nous allons d'abord nous attacher à définir le rôle de "pretty" dans le roman, puis nous
présenterons statistiquement, et qualitativement ses occurrences. Nous étudierons leurs
traductions possibles, et enfin commenterons les choix des traducteurs plus en détail à travers
un certain nombre d'occurrences.

4.1 Nous présentons ici un tableau reprenant les occurrences de "pretty" et de "goddam"
dans les chapitres précédemment étudiés auxquels nous avons rajouté les 'statistiques'
chapitres 4, 5, 6, 7, 11, 13 et 14 afin de vérifier l'évolution en nombre du leitmotiv "pretty".

Tableau 3 : occurrences de "pretty [+ adjectif]" et "goddam" par chapitre


nbre fréquence nbre fréquence
N° de nbre de
d'occurrences moyenne d'occurrences moyenne
chapitre pages
de "pretty" /page de "goddam" /page
1 5 8 1,6 4 2
2 8 10 1,2 3 1,4
3 9 15 1,6 18 1,9
4 8 3 0,4 8 1
5 4 0 0 5 1,2
6 6 4 0,7 23 3,8
7 6 4 0,7 10 1,6
11 5 3 0,6 5 1
12 6 11 1,8 11 1,8
13 9 7 0,7 12 1,3
14 6 2 0,3 5 0,887
22 7 1 0,1 11 2,1
26 1 1 1 1 1

87
On notera ici que les 5 occurrences de "goddam" sont nettement regroupées sur les deux pages que dure
l'altercation avec Maurice et la prostituée, le reste de la scène présentant Holden seul avec ses pensées.

73
L'usage de "pretty" dans le roman se rapproche de l'usage de "goddam". Tous les deux
sont utilisés comme "modifieurs", tous les deux opèrent une forme de dilution du propos.
Pourtant, ils divergent dans leur utilisation : si "goddam" peut être qualifié d'intensifieur,
"pretty", lui, apporte des nuances très variables qui vont de "un peu" à "très"88, pour ne garder
que deux interprétations significatives. Il peut donc revêtir un aspect "modérateur" (atténuatif)
ou "intensif"89 selon la situation, et souvent les deux à la fois, aussi contradictoire que cela
puisse paraître, comme nous allons le voir.
"Pretty" véhicule une ambivalence (atténuatif/intensif) mêlant distance volontaire vis-
à-vis du propos en même temps qu'une certaine émotion refoulée, une sorte de recul instinctif
de la part d'Holden. Cette réticence est sensible même dans les cas ou "pretty" revêt une
valeur d'insistance, en principe dans les cas ou Holden porte un jugement non définitif, envers
ses camarades et les Spencer en particulier, ou même envers Horwitz. Dans "He had a pretty
heavy beard." (p.22), nul doute que "pretty" est emphatique (qu'on peut gloser par
"vraiment"), mise en relief du caractère exceptionnel de l'épaisseur de la barbe de Stradlater,
cette insistance se confirme juste après : "He really did.". Pourtant, ce même "pretty" introduit
à la fois sa dose d'incertitude intrinsèque.
L'utilisation du modérateur/intensifieur "pretty" incarne ainsi un autre trait
caractéristique du personnage d'Holden : la réticence devant tout ce qui est définitif. Holden
se refuse à envisager que les choses, quelles qu'elles soient, puissent avoir une fin. Il a peur de
la sexualité, qui signifie la fin de l'enfance, de l'innocence, et plus largement, peur de la mort.
Ce refus devant ce qui est définitif, comme décider une fois pour toutes de sa version des
choses ("degree of imprecision to the meaning of the speaker's utterances" mentionné par
William F. Purcell [1996] déjà cité plus haut) se traduit dans son discours par une dilution de
nombre d'affirmations. Par exemple, au lieu de couper au plus court "It was depressing.", on a
"It was pretty depressing." (p.6), comme si de cette façon, il avait un chemin de retour, après
tout, si c'est "plutôt déprimant", ça ne l'est pas complètement. L'expression définitive "It was
depressing." aurait eu ici une force d'assertion plus grande. Paradoxalement, le choix de
Salinger d'utiliser "pretty", informel et familier, au lieu de "rather" ou "quite", plus froids, plus
neutres, dénote l'implication émotive d'Holden dans les propos tenus. On peut dire que si les
affirmations sont amoindries 'sémantiquement', leur charge d'affect, elle, est augmentée.

88
"Le plus courant des modérateurs est RATHER. […] PRETTY s'emploie comme adverbe dans la langue
parlée courante, avec le même sens que RATHER. […] RATHER et PRETTY peuvent être employés comme
intensifs.", Grammaire anglaise, Jacques ROGGERO, 1985, p. 167.
89
Aspects affectifs, J.P. VINAY & J. DARBELNET, 1972, pp. 83-86.

74
En s'attachant à la fréquence variable de "pretty" au cours des chapitres, on remarque
que son emploi est associé à trois grandes catégories de sentiments chez Holden.
Premièrement, comme on le voit dans ses premières descriptions de son environnement
(chapitres 1, 2, 3), "pretty" introduit la distance nécessaire par rapport à un milieu auquel il ne
se sent pas vraiment appartenir, cette distance évoque le double sentiment d'aliénation vis-à-
vis de Pencey et sa population (description des ses camarades "He was at least a pretty
friendly guy." p.22, et de son environnement matériel "they were pretty comfortable chairs."
p.15), qu'il déteste tout d'abord, et dont il vient de se faire expulser de surcroît. On le retrouve
aussi dans les scènes où Holden n'arrive pas à gérer la dualité de ses émotions (rejet/affection
ou dégoût/attirance), comme face au père Spencer, dans les moments d'embarras : "You're
back pretty goddam late" p. 36, "[it] was a pretty childish thing to say", p.39 au cours de son
'entretien' avec Stradlater où il ne sait comment aborder le sujet de Jane Gallagher avec lui ;
particulièrement lorsque ceux-ci ont trait à sa sexualité (quand il repense à ce qui a pu se
passer entre Jane Gallagher son amie d'enfance et Stradlater "I was pretty damn sure old
Stradlater hadn't given her the time" p. 69, en attendant la prostituée "I was starting to feel
pretty sexy and all," p.83, ou encore "I was feeling pretty horny." p. 56, et "I wouldn't mind
being pretty good at that stuff [sex]." p. 84) et d'une façon générale, dans ses interactions ou
ses opinions à propos de la gent féminine : "The whole three of them were pretty ugly," p. 62,
"She was a pretty spooky kid." p.88, "She was pretty affected," p. 192. On peut dire que dans
chacune des occurrences de "pretty" Holden tente de retarder le moment fatidique ou il va
exprimer son opinion, prendre un risque, mettre le mot 'fin' au cheminement de sa pensée, ce
qui contribue encore à l'image d'adolescent perturbé qu'incarne Holden.
On notera par contraste que dans les scènes où Holden revit, se retrouve dans une
situation agréable, confortable, "pretty" est quasiment absent. Dans la scène où il retrouve sa
sœur Phoebe, par exemple, qui se répartit sur les chapitres 21 et 22, "pretty" n'est présent que
deux fois, une fois appliqué à la description de la bonne, une fois à la description des
Spencer. Lorsque le personnage d'Holden est en contact plus étroit avec la réalité, avec ses
sentiments, qu'il est en confiance, serein, presque heureux "The best break I had in years," p.
142, "I felt swell, for a change.", "I just felt good, for a change." p. 144 avec ses émotions, en
paix avec lui-même, il n'a plus recours à cet artifice de recul. Il faudra donc, dans l'étude du
leitmotiv, se consacrer plus particulièrement aux occurrences de "pretty" qui se réfèrent à
l'une ou l'autre des situations citées ci-dessus.

75
4.2
PRETTY ² adv infml 1. quite, though not completely; rather: It's pretty cold today.[…] 2. very: This
work of yours is a pretty poor effort. […]
Longman, 1987.
PRETTY ¹ [+ adjective/adverb] spoken 1. fairly or more than a little I'm pretty sure he'll say yes. She
still looks pretty miserable. see usage note rather 2. very Dinner at Luigi's sounds pretty good to me. 3.
pretty well/much almost completely He hit the ball pretty well exactly where he wanted it. The guard
left us pretty much alone. They're all pretty much the same.
Longman, 2003.

PRETTY ² adv. 1. To a fair degree; moderately: a pretty good student. 2. In a pretty manner; prettily or
pleasingly.
American Heritage Dictionary, 2000.

On notera tout d'abord que la place de "pretty" adverbe a évolué dans la langue
puisque d'entrée secondaire, il est passé au rang d'entrée primaire. On peut donc penser que
son usage (au figuré) en tant qu'intensifieur a évolué de même dans la langue et a pris le pas
sur son usage (au sens propre) en tant qu'adjectif.
Voyons maintenant les équivalents proposés par deux dictionnaires bilingues pour
l'adverbe "pretty" :

PRETTY ² […] 3. [!](considerable) [sum] coquet/-ette (before n). II [!]adverb (very) vraiment; (fairly)
assez; (almost) pratiquement; pretty certain, pretty sure pratiquement sûr; pretty good pas mal du tout;
pretty well all, pretty much all pratiquement tout; ‘how are you?’—‘pretty well’ ‘comment ça va?’—
‘très bien’.
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

PRETTY ² adv. assez. it's ~ cold il fait assez froid, il ne fait pas chaud ; […] presque or pratiquement ;
[…] à peu près […]
Robert & Collins, 1993.

La définition de "pretty", comme le montre l'Oxford Hachette dans la variété


d'équivalents proposés, se prête à une grande latitude d'interprétation selon le contexte (à ce
propos, on relèvera d'ailleurs que le Robert &Collins, certes plus ancien, est beaucoup plus
succinct sur cet emploi de "pretty", ce qui tend à confirmer notre observation sur l'évolution
sémantique de "pretty"). De 'tentatif' ("fairly or more than a little"), il peut devenir
emphatique ("very", "considerable"). On ne retrouvera donc probablement pas un leitmotiv
'prosodique' systématique (retrouvé avec une même fréquence de répétition à travers le texte),
mais plusieurs expressions avec des degrés d'intensité variables.

On peut donc en déduire la liste plus exhaustive suivante (inclus les équivalents
suggérés dans l'Oxford Hachette Dictionary) de traductions possibles pour "pretty [+
adjectif]" :

76
pratiquement, presque, à peu près
un peu, assez, plutôt, pas mal, raisonnablement
bougrement, salement (connotation négative)
les dérivés de foutre : foutrement*, foutument*90 (et ses euphémismes,
fichtrement, fichument)
vraiment, très, sacrément, vachement, carrément, tout à fait

Nous avons volontairement exclu "gentiment"91 à cause de sa rareté dans cet emploi
ainsi que la nuance ironique qu'il véhicule, contrairement aux autres termes présentés ci-
dessus. Le Robert & Collins cite d'ailleurs en exemple : "(iro) on m'a ~ fait comprendre que…
they told me in the nicest or kindest possible way that…". "Joliment" aussi nous paraît devoir
rester à part car nous considérons qu'ils est d'un emploi plus rare et délimité.

JOLIMENT adv. 1. Bien, de façon agréable, plaisante. 2. Iron. Très mal, sévèrement. Se faire joliment
recevoir. 3. Fam. Beaucoup, très. Être joliment content.
Larousse, 1996.

Les choix que les auteurs ont fait sont les suivants :

Tableau 3 : traductions de "pretty [+ adjectif]"


Traduction omission
"genti- "bougre-
Japrisot / "joliment "assez "plutôt
ment [+ ment autres
N° de compen- [+ adj.]" [+ adj.]" [+ adj.]"
adj.]" [+ adj.]"
chapitre sation
1 1 1 1 1 1 1
2 1 1 2 3 tout à fait (1)
3 3 2 très (1)
12 1 1
22 vraiment (1)
26 1
TOTAL 3 1 6 5 2 4 3

90
Le Larousse ne mentionne pas cette dérivation de foutre, mais on en trouve mention dans le Bulletin Célinien,
n° 201, Pierre BOURDAT : "Variations céliniennes sur le verbe foutre et ses dérivés". Texte électronique,
source: http://louisferdinandceline.free.fr/indexthe/etudes/bourdat.htm.
91
Voir définition du Larousse p.21.

77
Traduction
omission
Saumont "un peu [+ "plutôt [+ "pas mal [+ "assez [+ "vraiment
/ compen-
N° de adj.]" adj.]" adj.]" adj.]" [+ adj.]"
sation
chapitre
1 2 1 2 1
2 5 2 1
3 1 3 2
12 1 1
22 1
26 1
TOTAL 9 1 8 4 1 1

"Pretty" apparaît donc 24 fois au total dans le texte original, pour 36 pages étudiées.
La première chose que l'on remarque, c'est qu'une fois encore, sur le leitmotiv, les deux
traducteurs ne se 'rencontrent' pas sur nombre de choix. Annie Saumont omet ou compense
dans 9 des cas étudiés là où Japrisot ne le fait que 3 fois, et 1 seule fois ils opèrent ce choix
pour le même segment. Annie Saumont n'utilise pas une seule fois "joliment" et "bougrement"
alors que chez Japrisot, ces deux termes représentent quasiment la moitié des occurrences (11
exactement).
Quantitativement, on peut dire que le leitmotiv est abandonné par Japrisot qui n'utilise
pas le même terme plus de 6 fois (soit un quart seulement des occurrences). Pourtant
'qualitativement', l'utilisation combinée de "joliment" et de "bougrement" peut avoir l'effet de
répétition sémantique négligé par l'absence de répétition intensive.

BOUGREMENT Adv. Fam. Très.


Larousse, 1996.

Ce sont en effet deux adverbes sémantiquement proches, dont les trois syllabes et terminaison
en "–ment", ne passent pas inaperçues dans le texte (consonance globale donc similaire qui
peut apporter un effet d'écho). Il sont de surcroît chargés affectivement (fortement connotés).
Chez Annie Saumont, on retrouve une fraction du leitmotiv avec "plutôt", employé 8
fois (soit un tiers des occurrences). Pour compléter cette remarque préliminaire, on peut
ajouter que Sébastien Japrisot introduit du relief dans le texte en utilisant les adverbes que
nous avons vus plus haut alors qu'Annie Saumont s'en tient à des solutions plus 'plates' telles

78
que "assez", '"plutôt", "pas mal" (Japrisot n'utilise "assez", "plutôt", tout à fait", "vraiment",
ou "très" que 9 fois au total).

4.3 Cas particuliers :

"and it was getting pretty dark out, but we kept chucking the ball around anyway." 4
"et il faisait plutôt sombre dehors," SJ 13
"Ca devenait de plus en plus noir" AS 13

Cette occurrence tient une place importante dans le texte, car elle est très symbolique des
frayeurs d'Holden. Il ne dit à aucun moment qu'il fait nuit, mais "it was getting pretty dark"
(inchoatif), ou "it was pretty dark" (p. 41), ou encore, "it was still pretty early [at night]" (p.
60). D'ailleurs, l'extrait qui nous occupe ici relate une scène où Holden et ses camarades
refusent d'accepter que la tombée nuit arrête leur jeu :

It kept getting darker and darker, and we could hardly see the ball anymore, but we didn't want
to stop doing what we were doing.
CITR, p. 4.

Cette réticence est tout à fait représentative de son appréhension devant la fin des
choses, la nuit représente la fin du jour, donc une petite mort. On retrouve cette frayeur
exprimée dans sa peur irrationnelle de disparaître en traversant la rue "After I got across the
road, I felt like I was sort of disappearing."(p. 4). Cette impression vague est explicitée plus
loin :

Every time I came to the end of a block and stepped off the goddam curb, I had this feeling
that I'd never get to the other side of the street. I thought I'd just go down, down, down, and
nobody'd ever see me again.
…..
Allie don't let me disappear.
…..
I was sort of afraid to stop I think – […]
CITR, p. 178.

Les deux traducteurs dans ce contexte ont effectué des démarches différentes. Sébastien
Japrisot a abandonné l'aspect graduel qui en français n'était pas compatible avec un
modifieur/adverbe tel que "plutôt/sacrément/etc.", alors qu'Annie Saumont conserve l'aspect
avec un verbe inchoatif "Ca devenait" associé à "de plus en plus [noir]", qui, en répétant
l'aspect graduel le met en relief et insiste donc sur le côté 'processus en cours'. Les deux
propositions apportent donc une solution satisfaisante, maintenant l'aspect indéfini/non-fini.

"I'm pretty healthy, though." 4


"Je me porte joliment bien pourtant." SJ 13

79
"Mais je suis plutôt costaud, remarquez." AS 13

Pour cet extrait, Holden vient d'expliquer deux lignes plus haut qu'il avait le souffle
court, "I have no wind", puis il fait allusion à la tuberculose qu'il dit avoir 'presque' attrapé
"That's how I practically got t.b.". Plus loin dans le roman, d'autres allusions seront faites à sa
peur de la maladie "I thought probably I'd get pneumonia and die." p. l3992, "I looked like the
guy with lousy hormones. So I started getting worried about my hormones.", "[I] figured I
was getting cancer." (p. 176). On peut donc dire que ce "pretty" ici marque un peu
ironiquement une contre-vérité. La santé d'Holden, mentale aussi bien que physique, n'est pas
si bonne que ça à ses yeux, il ne faut pas oublier qu'il raconte son histoire depuis un
établissement hospitalier. Il s'agit d'une petite phrase-défi qu'il se lance à lui-même plus qu'au
lecteur "à part ça, tout va plutôt bien.". On retrouve cette nuance de défi dans l'énoncé d'Annie
Saumont "Mais je suis plutôt costaud, remarquez.", marquée par "costaud" qui est plutôt
synonyme de "résistance" que d'évaluation 'médicale'. Par contre, dans l'énoncé de Sébatien
Japrisot "Je me porte joliment bien pourtant." n'est plus du domaine de la bravade, mais de
l'assertion pure. Il n'y a pas d'antinomie entre "joliment" et "bien", ce "joliment bien" n'a donc
pas de valeur ironique, mais ne porte donc plus que la valeur "très".

"He said it pretty tough, too, for him." 9


"Ca lui était bougrement difficile, à lui aussi, de parler de ça." SJ 19
"Et il l'a dit d'un ton vache, du moins pour lui." AS 20

Si l'on observe le contexte direct de cette phrase on a "'What's the matter with you,
boy?' old Spencer said. He said it pretty tough, too, for him.", Holden réagit immédiatement à
la question de Spencer reprenant "he [old Spencer] said". L'important pour traduire cette
phrase était d'abord d'appréhender le rôle de "pretty tough".

TOUGH ¹ Adj. 1. DIFFICULT difficult to do or deal with […] She' s had a tough life. […] 4.
STRICT/FIRM very strict or firm tough on/with My mother was very tough on my sister. It's time to get
tough with drunk drivers.[…]

TOUGH 4 Adv. in a way that shows you are very determined Washington played tough in the second
half of the game. You're talking tough now but you wait until you get into the interview.
Longman, 2003.

TOUGH Adj. […] 2. (severe) [policy, stance, measure, law] strict, sévère; […]; you were a bit tough on
him tu as été un peu dur envers or avec lui; to get tough with sb se montrer dur avec qn; tough talk
propos mpl inflexibles (about au sujet de; on sur); 3. […][problem, task, match, decision] difficile;
[challenge] redoutable; […].
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

92
Voir aussi p. 140 "After a while, just to get my mind off getting pneumonia and all,", "I started to think how
Phoebe would feel if I got pneumonia and died.", et p.192 "how I got sick and all,".

80
On remarque que "tough" n'est mentionné comme adverbe dans le Longman qu'à partir de
l'édition de 2003. La fonction adjectivale a donc été détournée ici pour remplir une fonction
d'adverbe, car "tough" s'applique à "said" ici, mais garde le sens premier de l'adjectif, qui,
dans ce contexte, peut se gloser par "dur, sévère, rude". Ensuite, on remarque l'emploi
particulier de "too", en position finale :

TOO […] 3. (not at the beginning of a clause) also; in addition; as well […] It snowed yesterday; in
October too! (= this is surprising) […].
Longman, 1993.

A travers cet emploi particulier de l'adverbe, Holden montre sa surprise face au ton
adopté par Spencer. Holden s'arrête sur la dureté du ton de Spencer, le caractère inhabituel de
son ton est exprimé dans "for him." que l'on retrouve dans la traduction d'Annie Saumont :
"du moins pour lui.". Comme on vient de le démontrer, tout indique que "tough" s'applique au
ton exceptionnellement 'dur' que Spencer a pris, or Japrisot interprète "tough" au sens de
"difficile", "ça lui était difficile de" (pour exprimer cette idée, on aurait pu avoir une phrase
dans le genre : "It was pretty tough for him…"). Japrisot introduit une réticence de la part du
père Spencer, ce qui est une extrapolation, voire un faux sens qui trahit l'idée de départ. La
traduction d'Annie Saumont par contraste, respecte le propos et la valeur de "surprise" : "Et il
l'a dit d'un ton vache, du moins pour lui.".

"I'm pretty sure he yelled 'Good luck!' at me." 13


"Je suis joliment sûr qu'il me criait : "Bonne chance!" SJ 25
"Je me demande si c'était pas 'Bonne chance!'." AS 26

Holden s'en va de chez le père Spencer et croit entendre celui-ci lui crier "Bonne
chance!". Nous noterons simplement que l'utilisation de "joliment" dans ce cas est une
nouvelle fois trop forte, elle apporte une conviction qu'il n'y a pas dans les propos. A cela
s'ajoute l'utilisation singulière de l'imparfait "criait" dans cette même traduction de Sébastien
Japrisot qui modifie l'aspect terminatif de "yelled" en aspect "duratif"93 (a priori, c'est le genre
de remarque faite 'après', non 'pendant' le propos). On retrouve ce même aspect 'intensif' dans
l'extrait suivant, chez Japrisot :

"It was pretty quiet, though," 76


"C'était joliment calme, pourtant," SJ 106
"Mais ça faisait assez tranquille" AS 105
93
Aspects intellectuels, J.P. VINAY & J. DARBELNET, 1972, pp.76-79

81
On aurait préféré "plutôt", ici, qui transmet une ambivalence plus satisfaisante, à un "assez"
peut-être trop plat et 'atténuatif' et un "joliment" qui attire inutilement l'attention sur une
remarque somme toute assez banale (c'est 'charger' la dose d'affect à outrance).

"and they were really pretty nice." 151


"et ils étaient vraiment très gentils." SJ 205
"et tous les deux ils étaient vraiment pas désagréables." AS 203

L'énoncé original est extrait d'un dialogue entre Holden et sa sœur Phoebe, où il lui
parle de sa vie à Pencey et mentionne les Spencer. Son opinion, comme en de nombreuses
occasions n'est pas tranchée. Si elle paraît l'être avec "really", ce sentiment est vite atténué par
l'utilisation de "pretty" qui est presque en 'surnombre' (en effet, les deux associés, selon leur
interprétation sont au mieux contradictoires, au pire, pléonastiques). Le choix de japrisot va
vers cette dernière solution "vraiment très" qui, en français, ne sonne pas mal du out, et Annie
Saumont choisit de conserver l'ambivalence avec une modulation lexicale "vraiment pas
désagréables.". On aurait aussi pu avoir "vraiment, ils étaient plutôt sympas.".

5. Les traductions de "lousy" et "phony"

Cette section ne sera pas tant dévolue au leitmotiv 'prosodique' contrairement aux
précédentes, mais plutôt aux traductions de ces deux termes (restitution essentiellement
sémantique du leitmotiv), pour deux raisons : pour une, ils ne sont pas présents en nombre
aussi significatif que les instances étudiées précédemment ; et deuxièmement, raison qui
découle partiellement de la première, ils sont intéressants pour leur sémantisme fort plus que
leur utilisation rhétorique.
"Lousy" et "phony" sont récurrents dans le roman, mais à une fréquence bien moindre
que "goddam" ou "pretty" par exemple. Ils sont une part importante de l'idiolecte d'Holden,
richement connotés, ils font partie de son argot adolescent, ils ne sont pas neutres sur le plan
du registre mais familiers, voire grossiers. Pour "lousy", cette grossièreté est d'ailleurs
signalée dans le roman lui-même :

'[…] How was your dinner?'


'Lousy,' Phoebe said.
'You heard what you father said about using that word.'

82
CITR, 160.

5. 1 Comme on peut le voir dans la définition suivante, l'extension sémantique de "lousy"


est importante.

LOUSY […] 1. especially spoken of very bad quality •synonym awful, terrible. What lousy weather!
The food was lousy. a lousy film 2. spoken feel lousy if you feel lousy, you feel ill 3. spoken not very
good at doing something • synonym hopeless, terrible lousy at/with I'm lousy at tennis. […] 4. spoken
small, useless, or unimportant He left me a lousy fifty cent tip. 5. be lousy with something American
English old-fashioned a) a place that is lousy with people of a particular kind is too full of them The
town was lousy with tourists. b) someone who is lousy with money has a lot more of it than they need.
Longman, 2003.

LOUSY […] I. Adjective 1. [!][book, film, holiday] mauvais; [meal, holiday, working conditions]
infect[!]; [salary] nul/nulle[!]; to be lousy at être nul/nulle[!] en [history etc]; to feel lousy être mal
fichu[!], être patraque[!]; a lousy trick un sale tour; […] 3. [!]lousy with bourré[!] de [tourists etc]. […]
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

La difficulté principale ici va donc être de trouver, non pas un, mais des équivalents,
car en français, aucun terme n'existe qui peut se superposer totalement à ce champ
sémantique, d'autant que "lousy" apparaît dans à peu près toutes les acceptions données ci-
dessus94. Il est donc intéressant d'étudier comment les deux traducteurs ont paré à cette
'lacune'.
Toutes les occurrences de "lousy" sont présentées dans l'Annexe 5, nous ne
présenterons donc ici que les instances qui diffèrent sémantiquement et leur(s) traduction(s).
Les occurrences ci-dessous correspondent à la définition suivante : "1. especially
spoken of very bad quality •synonym awful, terrible. What lousy weather! The food was
lousy. a lousy film" (op. cit.).

"Partly because I have a lousy vocabulary" 8


"D'abord parce que j'ai un vocabulaire pourri," SJ 18
"En partie parce que j'ai un vocabulaire à la noix" AS 19

"he was about six-four – with lousy teeth." 16


"il faisait à peu près six pieds quatre – aux épaules rondes et aux dents pourries." SJ 29
"il mesurait pas loin de deux mètres – et avec les dents pourries." AS 30

"'She had a lousy childhood. I'm not kidding.'" 28


" – Elle a eu une enfance pourrie. Je blague pas." SJ 44
"'Elle a eu une enfance pourrie. Sans blague'" AS 45

94
La seule utilisation qui n'en est pas faite, non mentionnée ici, est au sens propre : "infesté de poux" (OHD : "2.
(louse-infested) couvert de poux"), qui si elle est présente dans le Longman 1993 ("3. covered with lice") est
étonnamment absente de la version 2003, ce qui montre une fois de plus l'évolution de la langue et de certains
termes anglais qui glissent complètement vers leurs acceptions au figuré au détriment de leurs sens propre
originel.

83
"If you take her to a lousy movie, for instance, she'll know it's a lousy movie." 61
"Si vous l'emmenez voir un navet au cinema, par exemple, elle sait que c'est un navet." SJ 87
"Par exemple, si vous l'emmenez voir un film dégueulasse elle saura que le film est
dégueulasse." AS 86

"they gave me a lousy table anyway" 62


"mais ça ne les empêcha pas de me donner une mauvaise table" SJ 89
"mais ils m'ont quand même salement mal placé," AS 88

On remarque que sur les cinq exemples sélectionnés, on a trois choix différents chez Japrisot,
et quatre chez Annie Saumont. Il y a quand même récurrence de "pourri", notamment dans la
traduction de Japrisot (même dans d'autres acceptions du mot, comme on le verra plus bas).
On peut considérer que dans les cinq cas cités, on aurait pu garder le terme "pourri" qui porte
les mêmes connotations que "lousy" (on trouve d'ailleurs dans le Roget's Interactive
Thesaurus95, comme synonyme : "rotten"). "Mauvaise" est un exemple de sous-traduction, ce
mot ne transmet ni la coloration nettement péjorative, ni le registre grossier de "lousy". Annie
Saumont a transposé "lousy table" en "salement mal placé", peut-être pour éviter la confusion
"table = meuble" avec "table = emplacement".
Concentrer "lousy movie" en "navet", par contre, est acceptable en cela que "navet"
correspond à la dénotation de "lousy movie" et qu'il est un terme suffisamment connoté
affectivement et familier en français pour traduire de façon satisfaisante le syntagme original.
La traduction d'Annie Saumont introduit une possible mésinterprétation, "film dégueulasse"
(DEGUEULASSE […] "Très fam. Dégoûtant.", Larousse, 1996), peut être assimilé à un film
à caractère obscène, ce qui n'est certainement pas le cas ici, si la dénotation de "lousy" est
respectée ici, la connotation, en revanche ne l'est pas, l'adjectif "dégueulasse" par contre
s'appliquerait bien dans le cas cité plus haut : '[…] How was your dinner?' 'Lousy,' Phoebe
said.".

"He wanted you to think the only reason he was lousy at writing compositions […]" 24
"Il voulait vous faire croire que la seule raison pour laquelle il était lamentable en narration,"
SJ 40
"Il voulait qu'on se figure qu'il était nul en dissert' pour la seule et unique raison […]" AS 41

Cet exemple présente une instance de la définition : "3. spoken not very good at doing
something • synonym hopeless, terrible lousy at/with I'm lousy at tennis." (op. cit.). Les deux
traducteurs ont employé des termes chargés affectivement "lamentable" et "nul", mais la
restitution de Japrisot reste encore une fois un peu aseptisée avec un terme qui appartient à un
registre courant, voire formel.

95
Roget's Interactive Thesaurus, First Edition (v 1.0.0), 2003.

84
"I'm not kidding, that hotel was lousy with perverts." 55
"Sans blague, cet hôtel était pourri de pervers." SJ 80
"Sans blague, c'était un hôtel qui grouillait de pervers." AS 79

"The goddam table was lousy with glasses." 66


"La saleté de table était pourrie de verres." SJ 95
"Y avait des verres plein la table." AS 94

On note que Salinger exploite à fond le filon "lousy" puisqu'on a ici un troisième
emploi de "lousy" complètement different : "5. be lousy with something American English
old-fashioned a) a place that is lousy with people of a particular kind is too full of them" (op.
cit.). L'ennui est que Sébastien Japrisot aussi exploite le filon "pourri" qui semble ici souligner
une nouvelle lacune de sa part concernant la langue anglaise. Si le terme "pourri" peut être
détourné au figuré dans les situations vues ci-dessus, cet emploi-là relève plutôt d'un
entêtement insolite. Bien sûr, la phrase est compréhensible, mais l'expression est une forme de
néologisme qui n'existe pas dans le texte de départ. Annie Saumont a trouvé une solution
intéressante" grouillait de" (on aurait pu aussi avoir "bourré de" comme suggéré dans l'entrée
de l'OHD), péjoratif à souhait, et familier. Malheureusement, cette traduction ne peut
s'appliquer à la "table", et avec "plein de", on a une perte considérable : l'affect "sale, pourri"
de "lousy" est effacé, ainsi que le registre qui devient complètement neutre.

"did you ever get scared that everything was going to go lousy unless you did something?"
117
"Je veux dire, ça ne t'arrive jamais d'avoir peur que tout devienne moche si tu ne fais pas
quelque chose?" SJ 160
"t'as jamais peur que tout devienne dégueulasse si tu fais rien pour l'empêcher?" AS 159

Dans l'extrait ci-dessus, on a une extension du sens de "lousy" dans une


adverbialisation de l'adjectif qui est absent des dictionnaires monolingues (Longman, 1993 &
2003 ; American Heritage Dictionary, 2000). Le traducteur peut en déduire assez facilement
le sens, voisin de "tourner mal". Pour conserver les connotations de "lousy", les deux
traducteurs "ont respectivement trouvé "que tout devienne moche" et "que tout devienne
dégueulasse". Ils ont tous les deux tenu à l'aspect inchoatif de "go" plus qu'au naturel de
l'expression : les deux énoncés n'évoquent rien au premier abord. On ajoutera que
"dégueulasse", charge trop fortement la connotation de "saleté", voire d'"obscénité", et que
"moche" nous semble plus indiqué ici, plus conforme à l'attitude d'Holden. Il existe cependant
au moins une mention de "lousy" adverbe "II [!!]adverb US to do lousy foirer[!] […]" (OHD,

85
1996) qui peut nous éclairer. "To do" et "to go", mis à part l'aspect inchoatif du second, sont
interchangeables et donc une solution aurait pu être en français "que tout se mette à foirer".

"'[…] I'm in bad shape. I'm in lousy shape.'" 118


"'[…] Je suis en mauvais état. Je suis dans un état pourri." SJ 162
"'[…] Je suis coincé. Je suis vraiment coincé." AS 161

Nous terminerons sur cet exemple qui présente une traduction quelque peu maladroite
de Sébastien Japrisot : "Je suis dans un état pourri.". Ce segment reprend mot pour mot
l'énoncé précédent, hormis "bad/lousy", il était donc nécessaire de retrouver ce crescendo
(encore intensifié par l'usage des italiques) dans la traduction. La servitude inhérente à
l'épithète "pourri" empêche Japrisot de l'utiliser devant le substantif "état". L'énoncé français
offre ainsi une mise en relief involontaire (compensatoire des italiques) en postposant
"pourri", mais cela a pour effet secondaire de rendre l'expression maladroite, alors qu'on
aurait pu avoir "Je suis dans un sale état.", conservant ainsi une des connotations de "lousy" et
un ton familier. Annie Saumont choisit d'appuyer "coincé" d'un intensifieur dans le second
énoncé, mais si "coincé" peut effectivement s'appliquer à la situation d'Holden, il n'en reste
pas moins que le sens n'est pas le même dans le texte-cible que dans l'original.
En conclusion, pour l'adjectif "lousy", on note que le leitmotiv en français était
quasiment impossible à respecter. L'anglais a cette tendance qui lui permet d''effacer' la
dénotation originelle d'un terme pour ne garder qu'un usage essentiellement 'figuratif' basé sur
ses nombreuses connotations (nous l'avons indiqué plus haut, le sens propre n'est même plus
indiqué dans le Longman 2003) alors que le français, fidèle à sa tradition 'expressioniste' ne
s'y prête pas aussi facilement.

5.2 "Phony" présente une différence majeure par rapport à l'exemple précédent de
"lousy", il n'est pas aussi polysémique. S'il a plusieurs emplois, une même dénotation de base
les régit : la fausseté.

PHONEY also phony American English […] informal 1. false or not real, and intended to deceive
someone • synonym fake a phoney American accent 2. someone who is phoney is insincere and
pretends to be something they are not • PHONEY noun [countable] He's a complete phoney! •
phoniness noun [uncountable]
Longman, 2003.

La notion de "phoniness" est centrale à l'œuvre de Salinger : "these critical


perspectives expose seemingly negative values, such as phoniness, as essential to the process

86
of "catching," or salvation,"96. Le monde d'Holden est duel, blanc ou noir, bon ou mauvais,
"real" ou "phony". Dans son monde, les "phonies" sont tous ces gens qui ont oublié d'exister
en dehors des règles tacites que la société leur impose. Essentiellement adultes, appartenant à
un monde corrompu à ses yeux qu'il se refuse à intégrer(Christopher Lasch, cité par
Christopher Brookeman97 accuse Salinger et ses successeurs de ridiculiser "authority in
general, while depicting the 'latent' father-figures as sinister, aggressive, and utterly
unprincipled"). Dans le roman, Holden ne rencontrera que très peu d'adultes qui ne sont pas
"phony": M. Antolini et les deux religieuses qu'il rencontre dans la gare, pour n'en citer que
trois. Les "phonies" sont parfois de son âge : Sally Hayes en particulier ("She was quite a little
phony." p.95, "old Sally, the queen of the phonies" p.105), une connaissance de Sally
qu'Holden et elle rencontrent lors de leur rendez-vous à New-York ("the jerk had one of those
very phony, Ivy League voices," p. 115, "and being introduced to phony guys" p. 117).

PHONEY [!] […] pejorative I. noun (affected person) poseur/-euse m/f; (impostor) charlatan m;
(forgery, fake) faux m; he's not a real scientist, he's a phoney ce n'est pas un vrai scientifique, c'est un
charlatan. II adjective [name, address, accent] faux/fausse (before n); [company, firm] bidon[!]; [story,
excuse] inventé, bidon[!]; [emotion] faux/fausse (before n), simulé; [jewel] faux/fausse (before n), en
toc[!]; […] there's something phoney about her il y a quelque chose de pas franc chez elle.
Oxford Hachette Dictionary, 1996.

Nous avons ici quelques propositions de traductions possibles pour l'adjectif ou le substantif
"phony" (concernant des objets animés ou inanimés) :
bidon, toc, factice
fourbe, hypocrite, menteur, surfait, soi-disant [adj.]
inventé, faux, simulé, pas franc, affecté
poseur, fourbe, menteur, pseudo-[nom], simulateur, frimeur

Voici les traductions proposées par Japrisot d'abord. Sur les chapitres 17 et 18 (qui
présentent la concentration d'occurrences [11] la plus forte), on recense 8 traductions
différentes :

96
Yasuhiro TAKEUCHI, "The Burning Carousel and the Carnivalesque: Subversion and Transcendance of The
Catcher in the Rye", 2002.
97
"Pencey Preppy : Cultural Codes in The Catcher in the Rye", Jack SALZMAN ed., 1991, p.58.

87
Tableau 6a : traductions de "phony" par Sébastien Japrisot
Original Traduction Japrisot
"You never saw so many phonies in all your life," "Vous n'avez jamais vu autant d'imbéciles de
114 votre vie." 156
"they probably met each other just once, at some "à quelque stupide partouze" 157
phony party." 114
"It was the phoniest conversation you ever heard "la plus imbécile" 157
in your life." 115
"the jerk had one of those very phony, Ivy League "le cornichon avait une de ces stupides voix" 158
voices," 115
"he had to meet a bunch of phonies for cocktails," "il devait aller retrouver une bande d'abrutis pour
115 prendre un verre" 158
"and being introduced to phony guys" 117 "et puis d'être présenté à des cornichons" 161
"'It's full of phonies.[…]'" 118 "c'est plein d'abrutis" 161
"The phonier it got, the more she cried." 126 "Plus c'était idiot" 171
"You take somebody that cries their goddam eyes "sur quelque machin à la noix" 171
out over phony stuff in the movies," 126
"and still like a phony like that." 127 "une idiotie comme ça" 173
"how he could like a phony book like that" 127 "ce livre idiot" 173

Chez Annie Saumont, pour les mêmes occurrences, on trouve également 8


propositions, dont 6 différentes de celles de Japrisot.

Tableau 6b : traductions de "phony" par Annie Saumont


Original Annie Saumont
"You never saw so many phonies in all your life," "mecs à la gomme" 155
114
"they probably met each other just once, at some "à une de ces conneries de surprises-parties" 156
phony party." 114
"It was the phoniest conversation you ever heard "la plus débile" 156
in your life." 115
"the jerk had one of those very phony, Ivy League "une de ces voix à la con" 157
voices," 115
"he had to meet a bunch of phonies for cocktails," "Mais il devait retrouver d'autres abrutis," 157
115
"and being introduced to phony guys" 117 "rencontrer des types à la con" 159
"'It's full of phonies.[…]'" 118 "Y a que des types foireux," 160
"The phonier it got, the more she cried." 126 "plus c'était bidon" 170
"You take somebody that cries their goddam eyes "un film à la guimauve" 170
out over phony stuff in the movies," 126
"and still like a phony like that." 127 "un livre aussi bidon" 172
"how he could like a phony book like that" 127 "comment il peut aimer un livre aussi bidon" 172

A ces propositions s'ajoutent ça et là, d'autres choix : "Vieille Sally, la reine des
cloches," p.144, "Epatant. S'il y a un mot que je déteste, c'est épatant. C'est si cloche." p. 132,
"Elle était un peu fofolle." p. 132 (traduction Japrisot) ; "très modeste petit salut bidon." p.
105, "Ca faisait vraiment charlot," p. 106, "Du flan." p. 108, "Une question plutôt conne." p.

88
131, "Epatant. S'il y a un mot que je déteste, c'est celui-là. Ca fait nouille." p. 131, "la reine
des cruches," p. 143, "Comment ils peuvent dire que c'est pas de la frime?" 208 (traduction
Annie Saumont).
Les différentes solutions proposées ne sont pas toutes égales en qualité de restitution
"cruche" ou "cloche" par exemple ne s'apparentent que de très loin aux connotations de
"phony", et forment avec "cornichon" des instances plutôt mièvres par rapport au vocabulaire
habituel d'Holden. Dans ce cas, non seulement le leitmotiv rhétorique a disparu, mais il a
entraîné avec lui la perte du leitmotiv sémantique de la "fausseté". Seules les quelques
occurrences de "bidon" chez Annie Saumont reprennent cette notion (avec aussi "frime" p.
208). "Charlot" véhicule une notion de "pas sérieux" "pitre" (Larousse 1996), légèrement
péjoratif, évoque donc une certaine nuance de mépris envers la personne qualifiée ainsi,
l'hypocrisie en moins. C'est néanmoins un mot qui vieillit mal, tout comme "cornichon" qui
fait partie d'un argot de Capitaine Haddock par trop enfantin.
Selon les occurrences (repérées grâce au numéro de la page où elles figurent), on
aurait pu imaginer "Vous avez jamais vu autant de poseurs/frimeurs/flagorneur [à la fois]."
155, "une de ces voix de frimeurs/une de ces voix bidon" 157 "Mais il devait retrouver
d'autres frimeurs/flagorneurs de son espèce/d'autres mecs bidon" 157, "être présenté à des
types bidon" 159, " il y a que des types bidon" 160, etc. Les instances de "débile",
"idiot/idiotie", "à la con", "abruti" sont trop réductrices, certaines sont de plus trop grossières
pour correspondre au niveau de langue de "phony" qui n'est qu'un terme familier/très familier.
On peut aussi s'interroger sur le choix plus ou moins judicieux de "surprises-parties"
("fête" aurait été un équivalent satisfaisant et moins désuet) ou encore mieux "stupides
partouzes" (les deux propositions ensemble ont l'air d'un mauvais calembour), alors qu'on
aurait pu dire "à une de ces [stupides] soirées/fêtes bidon/de frimeur/affectées".

En optant pour des traductions trop diverses, les traducteurs ont fait éclater le
leitmotiv, et ont fait disparaître le sentiment d'hypocrisie latente dans lequel Holden a peur de
se voir piégé/er. En français, le texte donne l'impression d'un adolescent très critique,
gratuitement, et qui se disperse dans ses jugements hâtifs. S'il est vrai qu'Holden juge mal son
entourage, il s'agit chez lui d'une phobie de l'hypocrisie, qui n'est pas du tout représentée ici.
De plus l'utilisation de "phony" marque l'évolution d'Holden dans le roman. D'abord utilisé
pour marquer sa différence, son refus de l'hypocrisie ambiante, vers la fin, au fur et à mesure
que la frontière entre la réalité et sa perception des choses se brouille, "phony" disparaît pour
être complètement absent des chapitres 22 à 26. Même l'infirmière de la dernière page n'est

89
pas "phony" mais "affected" (p.192), ce qui contribue à montrer l'évolution d'Holden. Tout
d'abord s'enfonçant dans les réminiscences de sa rebellion, il commence à être capable, vers la
fin, d'entrevoir une amélioration, une acceptation de son passage à l'âge adulte.

90
TROISIÈME PARTIE

LES TENDANCES DÉFORMANTES DE LA


TRADUCTION

91
CHAPITRE 1
RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES

1. Traduction littéraire et qualité : qu'est-ce qu'un bon traducteur ?

A cette question cruciale, Pierre Tisseyre donne la réponse suivante : "c'est avant tout
un écrivain qui devrait posséder un talent au moins égal à celui de l'auteur étranger qu'il
traduit. Quand il a plus de talent que lui, c'est encore mieux"98. On voit donc toute la
prépondérance de l'activité littéraire mentionnée par les théoriciens avant la question de la
connaissance des langues et cultures mises en présence. Denis Gauvin et Daniel Slote,
préoccupés de la "pédagogie"99 de la traduction littéraire, avancent deux types de traducteurs
littéraires les "littéraires actifs" et les "littéraires passifs". Ces deux catégories sont
essentiellement différenciées par la production littéraire. Le postulat posé d'entrée est que les
deux catégories possèdent un "même bagage culturel et intellectuel", "un bagage littéraire
suffisant" et bénéficient d'une certaine préparation "autodidacte" ou "officielle" à la
traduction. L'accent est donc mis d'entrée sur les qualités littéraires du traducteur avant
d'autres critères.

1.1 Se pose alors la question de l'écrivain-traducteur et de la traduction 'égocentrique'


(pour faire un parallèle avec "la traduction ethnocentrique" de Berman). Les deux traducteurs
qui nous occupent dans cette étude, comme une grande majorité des acteurs de ce secteur,
sont avant tout des écrivains, sorte de passeport à la traduction littéraire qui semble plus
important que les autres critères. La place/le rôle du "sujet traduisant, le 'traducteur'" est
fondamental, les "tendances déformantes font partie de [KB : l'] être de traducteur et
déterminent a priori son désir de traduire."100. Comment, dès lors, ne pas s'attarder sur
l'influence du style de l'écrivain sur sa traduction? On parle de théorie de la traduction, de
normalisation, mais peu des influences littéraires qui font pression sur le résultat des
traductions. On ne peut pourtant ignorer cette influence. Même si le traducteur a de l'éthique,
à la lecture de son texte source, il évoque forcément une idée de ce que pourrait être le texte

98
"Le Point de vue de l'éditeur, Meta, vol.14, 1, 1969, p. 33.
99
D. GAUVIN & D. SLOTE, "Aspects pédagogiques de la traduction littéraire", revue Meta vol. 33, 2, 1988,
p.184.
100
A. BERMAN, 1999 , p. 49.

92
d'arrivée, un reflet dans le miroir déformé par le prisme de son style. L'évocation de cette
image ne sera pas la même chez un écrivain que chez un autre. D'où souvent le besoin d'une
certaine 'correspondance' entre les styles, d'ailleurs, pour permettre une approche plus
sereine :

Si Salinger m'a paru me convenir, d'autres écrivains – John Fowles, V.S. Naipaul – par
exemple sont très loin de moi par leur style.
Propos d'Annie Saumont, fax du 2 août 2002101.

Voici un extrait d'une critique littéraire à l'occasion de la sortie de son recueil de


nouvelles Les voilà quel bonheur :

Souvent, c'est un enfant qui parle - et l'écriture d'Annie Saumont restitue si bien la
spontanéité, la brutalité de cette parole - ou un enfant qui a vieilli, mais qui n'a pas forcément
"grandi".
Christophe Kantcheff dans Politis 4.3.1993
http://perso.wanadoo.fr/mediath.romo/html/saumont.html

On ne peut s'empêcher de noter la similitude avec le thème de L'Attrape-cœurs, ce qui peut


expliquer en partie le choix de le traduire d'ailleurs.
Si l'on peut donc se féliciter que les écrivains sélectionnent ainsi les œuvres qu'ils se
sentent capable de traduire par rapprochement avec leur propre style, d'un autre côté, cela tend
aussi à prouver qu'au processus de la traduction se mêlent des mécanismes complexes
d'écriture ou de ré-écriture. Si l'on confronte les qualités de l'écrivain aux qualités du
traducteur, n'y a-t-il pas conflit ? L'écrivain pour la première fois confronté au texte forme une
image mentale de ce que le texte sera une fois traduit. Ramener l'influence du style de
l'écrivain sur sa traduction à des ressemblances de style ou de sujet est bien sûr trop simpliste,
mais cela mérite néanmoins réflexion. Nous y reviendrons donc plus loin.

1.2 Cette réflexion nous amène alors vers un deuxième sujet épineux : le contexte dans
lequel les écrivains se lancent dans une traduction. Il y a les traductions dites 'alimentaires' :
"des producteurs d'œuvres littéraires à part entière qui se sont adonnés à la traduction à un
moment de leur carrière"102. C'est le cas d'Annie Saumont, par exemple :

C'était un travail "alimentaire" mais qui a un intérêt certain pour l'écrivain. Il oblige à
s'adapter au style de l'auteur pris en charge et c'est, je crois, un bon exercice.
101
Ces propos ont été reçus suite à la question : "Vous êtes principalement écrivain, diriez-vous que cela
influence le style de vos traductions ?"
102
D. GAUVIN & D. SLOTE, Meta vol. 33, 2, 1988, p.185.

93
Propos d'Annie Saumont, fax du 2 août 2002.

Alimentaire ou pas, on peut le noter ici, l'écrivain est tout à fait conscient de sa responsabilité,
cela ne laisse donc pas présager de la qualité du résultat à priori.
Il y a ceux à qui leur passion pour une œuvre donne la conviction qu'ils se doivent de la
traduire et qu'ils en sont capables.

J'ai beaucoup de traductions d'Alice. Un jour, très probablement, je ferai la mienne. Je n'aurai
pas besoin de dictionnaire. Avec elle, je comprends l'anglais. "
Sébastien JAPRISOT, préface à La Dame dans l'auto, 1972.103

Pour replacer les deux traducteurs dans leur contexte et leur "bagage littéraire et culturel"104,
Sébastien Japrisot (ou Jean-Baptiste Rossi, écrivain précoce qui publie son premier roman à
18 ans, roman qui reçoit plus tard, en 1966, le Prix de l'Unanimité) a traduit le Catcher à 20
ans, Annie Saumont l'a fait à la demande de l'éditeur à l'âge de 59 ans, riche d'une expérience
de la traduction importante (plusieurs romans de V.S. Naipaul et John Fowles), elle a
d'ailleurs reçu le prix Baudelaire de la Traduction pour Mantissa (John Fowles), en 1984.

Il n'est pas question de faire ici le procès du traducteur-écrivain ou plutôt de l'écrivain-


traducteur, mais plutôt de repérer ces mécanismes par lesquels passe l'écrivain, en plus du "jeu
des forces déformantes" auquel est exposé tout traducteur105. Antoine Berman ajoute que ces
mécanismes plus ou moins conscients sont inévitables, et que "seule une mise en analyse de
son activité permet de les neutraliser." Et ici il s'empresse d'ajouter en note : "Cette
neutralisation n'étant jamais que relative".

2. Reflexions sur la traduction littéraire : acte contre activité

Nous venons d'évoquer l'importance de la 'mise en en analyse' de l'activité traduisante


par le sujet traduisant. Pourtant, la nature même du travail ne permet pas toujours de s'étendre
longuement sur cet 'interstice' (voir Berman 1999 : 22).
On ne peut étudier les théories qui sous-tendent la traduction littéraire sans étudier son
milieu d'existence. La traduction littéraire est un acte, mais c'est aussi une activité

103
Propos reproduits sur le site Figures de Style, adresse : http://www.figuresdestyle.com/japrisot/biblio/
curiosite.htm, copyright France Loisirs.
104
Voir GAUVIN & SLOTE, Meta vol. 33, 2, 1988.
105
Ibid., p. 49.

94
professionnelle. Pour preuve on se reportera aux travaux toujours plus nombreux sur la
traduction dans le cadre de la "profession traducteur"106. Si les réflexions portant sur la
traduction s'intéressent aussi – et de plus en plus – au processus au lieu de se focaliser
uniquement sur la traduction en tant que résultat, dans la traduction littéraire, paradoxalement,
la place laissée à l'analyse du texte même semble réduite.
On séparera volontairement l'acte de traduction gratuit de l'activité professionnelle ici.
Ces deux mondes sont régis hélas par des règles qui souvent se contrarient. La traduction
littéraire en tant qu'activité est souvent commandée par un éditeur, dont l'intérêt, si l'on met de
côté l'aspect artistique et culturel de la profession, est tout de même motivé par certaines
aspirations commerciales auxquelles s'ajoutent souvent des contraintes de temps. Dans le cas
d'une commande, donc, on a un écrivain – désigné – volontaire qui va devoir s'adapter et
produire une œuvre depuis une langue donnée vers sa langue maternelle. Sans gager de leur
sérieux ni de leurs capacités, on peut tout de même s'interroger sur la place qui est consacrée à
l'analyse.
Le monde de la traduction littéraire s'organise autour d'une charte éthique107, de
colloques, d'études toujours plus nombreuses, d'une forme de normalisation – comme on l'a
vu plus haut et comme on le reverra plus loin – mais qu'en est-il de l'application de ces grands
principes? Qui corrige l'épreuve? Les traducteurs se jugent entre eux, lors de ces mêmes
colloques évoqués plus haut, il existe aussi des prix de la traduction, organisés par diverses
instances (prix Baudelaire de la traduction, Prix européen de la traduction, pour n'en citer que
deux), mais pour les autres romans, échappant aux mailles du filet, en général, la révision est
laissée aux bons soins de l'éditeur, ce qui laisse présager des intérêts en jeu.
Bien, sûr, comme le font remarquer Gauvin et Slote (Meta, 1988 : 183), le résultat
peut être si probant que l'auteur comprenant la langue cible peut en arriver à préférer la
traduction à l'original (remarque de Garcia Marquez à l'encontre de son traducteur en anglais
Gregory Rabassa citée dans la revue Meta, 1988 : 187). Ce cas demeure pourtant, il faut le
souligner, anecdotique, on se souviendra de la colère de Nabokov à l'encontre d'Erik Kahane

106
Quelque exemples parmi d'autres : Jean Guiloineau, Françoise Cartano et al. (table ronde) "Le Nouveau code
des usages de la traduction littéraire", 1993, p. 139 et sqq., François Cartano, Antoine Berman et al. (table ronde)
"L'Informatique : un nouvel outil pour les traducteurs littéraires", 1988 : 115 et sqq.
107
Code de Déontologie du Traducteur littéraire (reproduite en annexe 7), Association des traducteurs littéraires
de France, http://www.atlf.org/association/deontologie.html.

95
en particulier au sujet de sa traduction en français de Lolita puis plus tard de sa
correspondance avec Gilles Chahine au sujet d'Ada.108
Ces questions de l'évaluation de la traduction littéraire nous semblent appropriées ici
car la démarche professionnelle est souvent délimitée par des objectifs pas forcément
compatibles avec une analyse approfondie : traduction sur commande, par un écrivain donné,
dans un souci de concordance entre son style, son époque et celui/celle de l'œuvre traduite,
délais, etc. Malgré toute la bonne volonté de l'écrivain traducteur, son talent, son éthique, il
n'en reste pas moins qu'à l'arrivée, il sera jugé ultimement sur l'authenticité du texte109. Mais
cette authenticité concerne principalement l'adéquation avec la langue cible par opposition au
langage du roman. L'utilisation normalisée et convenue de la langue d'arrivée (dans le cas qui
nous occupe par exemple, la langue française) devient la mesure étalon, et on ne peut oublier,
derrière cette volonté, les éditeurs, dont le souci est de vendre.

[…] aussi longtemps que l'édition sera confiée à l'entreprise privée, sa rentabilité est une
condition essentielle de son existence.
Pierre Tisseyre, 1969 : 32.

Nous aimerions ouvrir une parenthèse ici. Dans les questions soulevées par la place de
l'éditeur dans la traduction littéraire, nous aimerions apporter des éléments concernant les
deux traductions successives du roman The Catcher in the Rye. La traduction de Sébastien
Japrisot, parue en 1953 dans la collection Pavillons, a fait l'objet d'éditions de poche entre
1967 et en 1989. Elle a désormais disparu de ce format malgré les ré-éditions et ré-
impressions qui ont suivi (dernière en date, 1996) toutes dans la collection Pavillons au prix
moyen de 18.69€ (prix constaté dans la majorité des sites de ventes en ligne). La traduction
d'Annie Saumont est d'abord parue dans cette même collection, en 1986, et y a été rééditée en
1998. Force est pourtant de constater qu'en recherchant cette édition, il est quasi impossible de
se la procurer. Elle continue d'apparaître dans le catalogue en ligne des éditions Laffont
(http://www.laffont.fr/cgi-bin/reponse.asp), le même catalogue en ligne propose une réservation
en librairie, mais lorsque la requête est lancée, la réponse est : "Aucun magasin de notre
réseau n'a votre sélection", une deuxième requête lancée puisque la même édition est
mentionnée deux fois (même ISBN) découvre La Librairie Kléber à Strasbourg. Un appel à
cette librairie confirme qu'ils n'ont pas ce livre en stock, et que la référence est annotée :
108
Ce sujet a été abordé dans de nombreuses études, voir en particulier une conférence de Maurice Couturier au
musée Nabokov de St. Petersbourg retranscrite sur http://www.libraries.psu.edu/iasweb/nabokov/coutlol1.htm
ou une anecdote dans Actes des neuvièmes assises de la traduction littéraire, 1993 : 24-25.
109
Cette "authenticité" qui passe par des tendances normalisantes ethnocentriques préséant à tout autre critère,
voir BERMAN, 1999, ainsi que le prochain chapitre de cette étude.

96
"manquant chez l'éditeur" (entretien téléphonique avec une employée de la librairie le 19 juin
2003). La même requête pour l'édition de 1996 traduite par Japrisot toujours dans la collection
Pavillons fait apparaître quatre librairies dans ce même réseau (inutile d'ajouter que tous les
sites de ventes en ligne consultés l'avaient aussi).
Ces paramètres doivent entrer en ligne de compte dans notre approche, car ici la
question de la retraduction a été soulevée, retraduction pour qui, pourquoi? La question reste
en suspens. Nous n'essayons pas de prouver que la traduction d'Annie Saumont est vendu à un
certain public (format Poche omniprésent) alors que celle de Japrisot est réservée à un format
plus 'luxueux', mais force est de constater que des paramètres commerciaux entrent en scène
dans l'accueil de ces deux traductions, et ce, suite à la décision, apparemment des éditeurs.
Après avoir contacté les Editions Laffont à ce sujet (nous remercions d'ailleurs
particulièrement Béatrice Soulard, Isabelle Votier et Maggy Doyle pour leur accueil et leur
aide), il s'avère qu'aucune réimpression du texte de Japrisot n'était censé suivre la traduction
d'Annie Saumont en 1986, puisque celle-ci était censée remplacer la première version. Cette
retraduction a été effectuée à la demande de l'auteur lui-même, pour des "questions
d'inexactitude" d'après Maggy Doyle (entretien téléphonique 28 aôut 2003). Cette même
personne a été fort surprise d'apprendre que la traduction de Sébastien Japrisot n'avait jamais
cessé d'être ré-imprimée, et n'a pas d'explication à cela.

97
CHAPITRE 2

LES TENDANCES DÉFORMANTES DE LA TRADUCTION

Pour élaborer la liste ainsi que les définitions de ces tendances déformantes, nous
sommes parti de l'idée développée par Antoine Berman dans son ouvrage La Traduction et la
lettre ou l'auberge du lointain.

1. La théorie ou la traduction "ethnocentrique"110

La "systématique de la déformation", comme la nomme Berman, provient pour grande


partie des tendances normalisantes prescrites par les théories évoquées plus haut. Il est un
passage obligatoire et quasi instinctif chez le traducteur : détruire la lettre première, dans un
travail d'appropriation, afin de la matérialiser 'autre' ensuite.

[…] on doit traduire l'œuvre étrangère de façon que l'on ne "sente" pas la traduction, […]
Ici, la traduction doit se faire oublier. Elle n'est pas inscrite comme opération dans l'écriture du
texte traduit. Cela signifie que toute trace de la langue d'origine doit avoir disparu, ou être
soigneusement délimitée ;
Berman, 1999 : 35.

Toutes les 'écoles' de traduction 'prescrivent' des structures normalisantes, dans le


fameux souci d'esthétique, 'd'authenticité' du texte traduit. La "captation"111 du sens entraîne
le rejet de la lettre étrangère, au profit de la langue-cible.

Nos théories, même les meilleures, partent d'un faux principe ; elles prétendent germaniser le
sanscrit, le grec, l'anglais, au lieu de sancritiser l'allemand, de l'helléniser, de l'angliciser. Elles
ont bien plus de respect pour l'usage de leur propre langue que pour l'esprit de l'œuvre
étrangère… L'erreur fondamentale du traducteur est de figer l'état où se trouve par hasard sa
propre langue, au lieu de soumettre à l'impulsion violente d'un langage étranger.
Louis Truffaut, 1980 : 435.

110
A. BERMAN, 1999, pp. 34-35.
111
Ibid., p. 34.

98
Le texte littéraire traduit se trouve pris en sandwich entre les critères de l'édition et ceux de la
bonne traduction, qui sont compatibles jusqu'à un certain point. Dans l'optique du résultat, le
danger paraît être justement une recherche de ce résultat 'attendu' aux dépens peut-être d'une
analyse approfondie du texte avec ses idiosyncrasies, une 'linéarisation' du texte. Le traducteur
s'oblige à respecter des 'lois' dans ce souci d'obtenir le texte le plus parfait possible, contraint
en cela à produire, comme on l'a déjà évoqué, un texte publiable, la tentation est donc grande
de tendre vers une normalisation à l'extrême qu'évoque Antoine Berman ici :

[…] la traduction doit être écrite dans une langue normative – plus normative que celle d'une
œuvre écrite dans la langue traduisante ; qu'elle ne doit pas heurter par des étrangetés lexicales
ou syntactiques.
Berman 1999 : 35.

La traduction "ethnocentrique" est donc 'mère' des tendances déformantes.

2. L'ennoblissement

L'ennoblissement est la conséquence première de cette normalisation ethnocentrique.


Dans cible, il y a visée : le traducteur sait où il va, ou du moins, où il doit aller. La langue ici
devient une langue "idéale" et "rationnelle", au confluent des courants littéraires.

Ces deux principes ont une conséquence majeure : ils font de la traduction une opération où
intervient massivement la littérature, et même la “littérarisation”, la sur-littérature.
Berman, 1999 : 35.

Cette tendance de "littérarisation" découle principalement des attentes du traducteur et de ses


connaissances, elle peut ensuite revêtir plusieurs formes : une appropriation du texte de départ
dans un souci de "faire la même 'impression' sur le lecteur d'arrivée que celui d'origine"112
aboutissant en réalité en une complète ré-écriture du texte. Une idéalisation à outrance de ce
que doit être la langue d'arrivée entraînant l'embellissement de la langue de départ.

On aboutit à ceci, que la traduction est "plus belle" (formellement) que l'original. […]
L'esthétique vient ici compléter la logique de la rationalisation : tout discours doit être un beau
discours.
…..

112
Ibid, 35. On pense en particulier à Baudelaire recréant l'esprit de l'œuvre de Poe dans une langue différente,
'transfusion' plus que traduction. GAUVIN & SLOTE, Meta 33, 2, 1988.

99
La rhétorisation embellisante consiste à produire des phrases "élégantes" en utilisant pour ainsi
dire l´original comme matière première. L'ennoblissement n'est donc qu´une ré-écriture, un
"exercice de style" à partir (et aux dépens) de l´original.
Berman, 1999 : 57.

Cet ennoblissement peut revêtir différentes formes. Dans la majorité des cas, ce n'est pas toute
l'œuvre qui est transformée, mais de petits détails qui échappent au lecteur bien souvent – et
pour cause, rares sont ceux qui lisent dans la langue originale et la traduction – qui par
contamination, cependant débouchent sur une déformation importante de l'œuvre.
Dans le cas du CITR qui nous occupe ici, nous nous sommes attachés à des segments
réduits des traductions afin d'explorer les possibilités et les choix qui ont été faits. Dans le
cadre des tendances ennoblissantes, nous nous sommes arrêtés sur des illustrations
intéressantes de notre propos.

2.1 Le phénomène de rationalisation, pour Berman "re-compose les phrases et séquences


de phrases de manière à les arranger selon une certaine idée de l'ordre d'un discours." (1999 :
53). Dans le traitement du Catcher, cette ré-organisation n'est pas particulièrement sensible
chez Japrisot au sens large (refonte syntactique ou ponctuationnelle), comme on l'a vu
précédemment, il suit souvent l'ordre de la phrase de départ, ainsi que la ponctuation. Si
réorganisation il y a, il s'agit plutôt de la dislocation fréquente chez Annie Saumont. Pourtant
ce n'est pas à proprement parler une tendance normalisante (dans le sens ou ce n'est pas une
technique normalisante d'écriture, mais plutôt l'inverse), nous y reviendrons.
Pourtant, un élément de la 'stratégie' Japrisot est rationalisant : le traitement de la
négation. Dans sa traduction, toutes les négations sont complètes en "ne… pas/jamais". On a
déjà vu le cas de la double négation (première partie, chapitre 2) en anglais, où Japrisot
introduit des structures correctes en français "Je ne voyais personne dans les rues.", "'Le
poisson ne change pas de place.'" (pp. 103 & 104), délaissant ainsi le ton relâché du texte
anglais. Un cas connexe concerne "'You ever pass by the lagoon in Central Park?'" (p. 74)
(traitée dans ce paragraphe car transposée en français en structure négative). Cette phrase
interrogative en anglais, nous offre un autre exemple d'ennoblissement. La phrase anglaise,
bien qu'interrogative, est elliptique de l'auxiliaire, ellipse qui évoque immédiatement le
discours parlé. L'interrogation est marquée deux fois, tout d'abord par l'emploi de "ever", puis
à travers le signe de ponctuation "?" qui termine la proposition. Or Sébastien Japrisot traduit
cette phrase par "'Vous ne passez jamais du côté de la mare dans Central Park.'", 'fabriquant'
ainsi une proposition négative assertive grammaticalement correcte. Deux aspects sont ainsi

100
trahis : l'interrogation et le ton oral du discours. Cet embellissement tient plus de l'erreur que
de l'embellissement volontaire cependant, car on voit mal dans quel but la question aurait été
transformée en tournure purement affirmative.
On retrouve cette même tendance dans un autre passage déjà traité dans la première
partie : "je ne me sens guère disposé à entrer dans tout ça." (SJ, p.9). L'association de "ne…
guère", un peu antique, accentue une nouvelle fois le côté formel de la phrase chez Japrisot, à
contre-courant de l'original. Nous avons déjà parlé de l'importance des indices d'oralité, de
spontanéité, dans le texte de Salinger au cours de la partie précédente, un de ces marqueurs
étant la négation souvent doublée en anglais (tronquée en français). Japrisot, en rationalisant
cet aspect du texte réduit donc la spontanéité (qu'elle soit artificielle ou non) des propos.

2.2 Une autre tendance ennoblissante se traduit par l'utilisation du passé simple chez
Japrisot. Pour Chuquet et Paillard (1987 : 93), "c'est le temps du récit chronologique écrit […]
où la source narrative est effacée.". Pour ce qui est de la source effacée, nous avons déjà vu
que ce n'était pas exactement le cas d'Holden. Et si le passé simple n'est pas un temps
nécessairement absent du discours oral, il s'emploie alors plutôt pour narrer des histoires, des
contes, ce qui n'est pas le cas de la forme de narration adoptée par Salinger dans le Catcher.
Suivent quelques exemples de cet emploi du passé simple, particulièrement
'remarquables' par leur incongruité (nous les avons soulignés) dans le texte :

Mon vieux, ce qu'il était furax. Il ne dit rien, sur le moment, mais le soir même, on nous fit
tous ressembler dans le hall […]. Nous essayâmes, pendant que Vieux Thurmer faisait son
petit discours, de décider Vieux Marsalla à recommencer, mais il n'était pas en forme. SJ 27.

Je me renversai dans mon fauteuil et attendis que Vieil Ackley rentrât chez lui. SJ 32.

Mais finalement, après avoir roulé quelques minutes, le chauffeur et moi, nous taillâmes
comme qui dirait la bavette. SJ 103.

[…]elle me tourna le dos quand je revins vers elle. SJ 251.

Dans la continuité de cette tendance, on trouve l'emploi du subjonctif imparfait. Il est à


propos de rappeler ici que Salinger n'emploie même pas de passé antérieur dans les phrases
qui le réclament, mais s'en tient invariablement à un même 'plan temporel' de narration.

Je me renversai dans mon fauteuil et attendis que Vieil Ackley rentrât chez lui. SJ 32.
De cette manière, il n'y avait pas une saleté de chose que je pusse voir. SJ 32.
Je ne suis pas très sûr que Vieille Phoebé comprît de quoi diable je parlais. SJ 210.

101
Il se fichait même de ce que sa veste fût toute tachée de sang. SJ 213.

L'introduction de subjonctifs imparfaits (qui, même dans les années 50, faisaient partie d'une
langue très recherchée) dans le texte français est une faute qui se répercute sur l'ensemble du
roman, le style de narration est profondément altéré. Le flou efface les frontières entre les
différents souvenirs d'Holden, d'où la volonté de Salinger de les 'aligner' sur un seul axe
temporel, avec une unique notion 'd'avant' (tout ce qui s'est produit avant son 'internement').
Les flash-backs sont des parenthèses qui assaillent Holden et qu'il n'a pas le temps d'organiser
sur deux plans distincts.

2.3 Antoine Berman parle aussi de la "destruction ou l'exotisation des réseaux langagiers
vernaculaires", une tendance déformante qui s'illustre de façon ambivalente dans le Catcher.
Tout d'abord, si nous considérons l'idiolecte d'Holden comme s'inscrivant dans un sociolecte
(spécificités anglo-américaines, et au-delà, du langage 'adolescent'), on peut parler de "langue
vernaculaire" (voire "oralité vernaculaire" pour le cas présent). L'erreur à ne pas commettre
était donc de transformer cette 'oralité vernaculaire' en "langue cultivée",113 or ce qui s'est
produit, c'est à la fois la "destruction", l'"exotisation" et la "vulgarisation" de ces 'réseaux
vernaculaires' (Berman, 1999 : 64).
Nous introduirons ici le traitement des italiques, autre leitmotiv représentatif de
l'oralité du discours du Catcher. On le retrouve dans la traduction d'Annie Saumont, mais
traité de façon 'a-systématique'. Elle l'a partiellement restitué en français, par des italiques
notamment, parfois par d'autres techniques de mise en relief, parfois simplement omis.
La 'destruction des réseaux langagiers' s'illustre par contre dans l'omission totale des
italiques chez Japrisot (marqueurs fondamentaux de l'approche 'orale' du texte de Salinger) et
d'autres modifieurs et intensifieurs sur lesquels nous reviendrons. L'exotisation qui "isole dans
l'original ce qui ne l'est pas"114, s'illustre à travers l'exemple de "Vieux/Vieil/Vieille" isolés
non pas classiquement par des italiques, mais par une majuscule aveuglante. La vulgarisation,
ensuite, concerne les tentatives de 'remplacer' un "vernaculaire étranger" par un "vernaculaire
local", ici Berman donne l'exemple de "l'argot de Paris" ou du "'parler normand'", on peut dire
que c'est un peu ce qui s'est passé encore une fois dans la traduction de Sébastien Japrisot
avec des tendances plus "lyonnaises" cependant.
En effet, on remarque essentiellement chez Sébastien Japrisot ce remplacement d'un
vernaculaire par un autre, cette régionalisation ainsi qu'un "vieillissement" de l'argot : noter
113
A. BERMAN, 1999, p. 64.
114
Ibid..

102
l'emploi de "cornichon" (SJ, chap 17) pour "jerk", qui aujourd'hui serait parfait en "bouffon",
mais qui à l'époque pouvait être "rigolo", "abruti", "crétin". S'il n'est pas particulièrement
"local", c'est un terme (même pour l'époque) caricatural, un terme de remplacement, d'auto-
censure pour éviter des termes plus directs mentionnés plus hauts. On retrouve ensuite dans
des expressions comme "que le diable me patafiole" et "je lui donnai une pince au derrière"
(p. 204), ce style suranné et ce remplacement d'un réseau vernaculaire par un autre.
"Patafioler" est un terme de la région de Lyon et du Dauphinois (revendiqué d'ailleurs par des
sites consacrés à ces régions, lexique Dauphinois sur www.electriccafe.org/dauphinois/
list.php?char=P, et "le lexique de l'équirandin" sur www.equirando.com/2003/edito.html, site
de Lyon-Miribel), "gnôle" (p. 229) aussi est identifié par le Larousse comme un mot d'origine
lyonnaise (même s'il est employé dans d'autres régions). Nous avons trouvé un autre exemple
qui semble converger dans la même direction : "Tu t'es fait entôler." (SJ, p.33) pour "'You got
robbed.'" (CITR, p. 19), expression que nous avons retrouvée dans un autre lexique, lyonnais
aussi115. Cette régionalisation du lexique contribue à l'aspect 'argotico-précieux' du texte de
Sébastien Japrisot.
En corrélation avec cette vulgarisation du réseau vernaculaire original, on peut
mentionner l'hétérogénéisation du texte : d'un niveau de langue oscillant entre "les niveaux
familier, populaire, et argotique"116, la traduction de Sébastien Japrisot est devenu le "mélange
d'argot et de préciosités" mentionné par Didier Sénécal dans Lire (1997, voir citation p. 2 de
cette étude). On note d'autres préciosités qui rentrent dans le cadre de cette tendance : "aussi
tais-toi" (SJ, pp. 250 & 252) pour "So shut up." (CITR, pp. 185 & 187). A la place de ce
"aussi" qui fait un peu vieille France, on aurait pu avoir "alors [tais-toi]".

Nous aimerions à ce propos revenir sur la traduction 'égocentrique'. Comme l'avancent


Gauvin et Slote (1988), un traducteur possède une somme de "bagage culturel et intellectuel",
ce bagage est fait d'éducation (aux sens social et académique du terme), de son expérience (en
tant qu'écrivain et traducteur) et de ses recherches quant à l'œuvre qu'il traduit. Cette tendance
à fleurir le langage d'argot et à patiner le texte se retrouve chez Japrisot écrivain (Un Long
dimanche de fiançailles, 1991117).

115
"L'argot des voleurs au XIXe siècle" : "ENTÔLER v. n. Pénétrer dans une maison dans le dessein d'y voler."
Source électronique : http://www.alyon.org/litterature/argot_voleurs/index.html.
116
A propos du Catcher de J.D. Salinger, D. GAUVIN & D. SLOTE, 1988, p.192.
117
Nous tenons à préciser que nous avons relevé nous-mêmes cette tendance après lecture attentive de l'œuvre
mentionnée, et nous avons appliqué la même méthode aux nouvelles d'Annie Saumont que nous mentionnerons
plus loin.

103
Les expressions toutes faites m’ennuient au plus haut point. Débanaliser une vieille formule,
la dépoussiérer, retourner un cliché, voilà ce que j’appelle des bonheurs d’écriture. J’aime
l’insolite, je décris des couleurs qui n’existent pas.
Extrait du dossier de l'édition France Loisirs, Un long dimanche de fiançailles, 1992118.

Le texte du roman mentionné ci-dessus regorge d'ailleurs de nombreuses expressions


originales et de termes à contre-emploi : "s'y étaient secoué le fêtard" (épisode de guerre où
les deux parties se tirent dessus sans discontinuer, p. 18), "drôlement bien bousculée" (pour
une fille bien faite, p.82), etc. Cette remarque appelle l'illustration de la section 3.3 de ce
chapitre : la "destruction des locutions".

2.4
L'envers (et le complément) de l'ennoblissement c'est, pour les passages de l'original jugés
"populaires", le recours aveugle à un pseudo-argot qui vulgarise le texte, ou à un langage
"parlé" qui atteste seulement que l'on confond l'oral et le parlé.
Berman, 1999 : 58

Reproduire ce langage "skaz" déjà mentionné sans tomber dans un excès d'ardeur ou
au contraire, montrer trop de retenue et tuer le 'ressort' du texte n'est pas tâche aisée. On vient
de voir le cas Japrisot qui illustre cette retenue, et les tentatives d'un argot un peu précieux et
régional, on peut maintenant se pencher sur le virage à 360° abordé par Annie Saumont.
Annie Saumont a su jouer la carte de l'oralité du discours, à travers les temps employés
(pas de passé simple ou de subjonctif imparfait ici), les négations systématiquement
tronquées, et de nombreuses dislocations notamment. Ces dislocations (même si le français
"disloque volontiers"119) sont le signe d'une tentative d'oralisation du discours marquée,
marquent sa spontéité. Pourtant, dans cette volonté de reproduire l'argot d'Holden, elle a
malencontreusement forcé le trait. Dans l'extrait suivant, on observe une concentration de
cette tendance : "Y avait déjà pas mal de trucs dans mes valoches." (AS, p. 67) pour "I
already had quite a few things packed." (p. 45). On a une écriture phonétique de "il y [+
'avoir']" que l'on retrouve en de nombreuses occasions, une dislocation, et le terme "valoche",

118
Source électronique : http://www.figuresdestyle.com/japrisot/jardin/confidences.htm.
119
Jean ROUSSEAU, "Le Français, ça se disloque", 31e stage du BELC, source électronique :
http://www.ciep.fr/stagebelc/musee/francais.htm

104
inutilement argotique pour une expression anglaise neutre "a few things packed." (on ne peut
ici comparer avec la version de Japrisot, la phrase en question a disparu de sa traduction). Les
caractéristiques orales du texte anglais passent par la syntaxe, l'organisation, ou plutôt la
désorganisation du discours, mais dans le texte d'Annie Saumont, ces caractéristiques sont
plus 'grossières' parce que plus 'voyantes'. Cette tendance de vulgarisation extrême s'illustre
particulièrement à travers le lexique. Quelques exemples, outre ceux déjà cités au cours des
deux premières parties de cette étude : "pageot" pour "bed", "nodding routine" qui devient
"branler du chef" alors qu'"opiner" aurait été suffisant, (CITR, p. 7, AS, p. 18), "un peu
sourdingue" pour "sort of deaf" (AS p.14; CITR, p.5). On remarque que l'option choisie,
même lorsque le terme ou la phrase d'origine ne le réclame pas est une déviante familière.

2.5 Pour terminer au sujet de ces tendances ennoblissantes/vulgarisantes, nous nous


sommes attaché à un extrait intéressant non seulement pour la dimension embellissante des
choix lexicaux et syntactiques, mais aussi sur la dimension 'phonique' résultant de certains
choix : "sans conteste l'une de celles dont on fait le plus souvent abstraction" croyant "qu'elle
ne joue un rôle que dans le cas d'une œuvre poétique. En réalité, nombre d'écrivains
l'exploitent dans des œuvres rentrant dans toute la gamme des genres littéraires."120. Nous
avons déjà parlé de la dimension prosodique des répétitions, entre autres, du texte de Salinger
(portant sur des mots entiers, non des syllabes). Dans cet extrait que nous allons maintenant
explorer un peu plus en détail, la dimension phonique ajoute cependant une coloration
indéniable au texte français.
Le segment suivant a déjà été commenté dans la première partie, chapitre 1, de cette
étude :
[…] and all that David Copperfield kind of crap, but I don't feel like going into it, if you
want to know the truth. In the first place, that stuff bores me, […]
CITR, p.1

[…] enfin toute cette salade à la David Copperfield, mais à vous parler franchement je ne me
sens guère disposé à entrer dans tout ça. En premier lieu, ce genre de truc m'ennuie, […]
traduction Sébastien Japrisot

[…] mais j'ai pas envie de raconter tout ça et tout. Primo, ce genre de trucs ça me rase […]
traduction Annie Saumont

120
GAUVIN & SLOTE, 1988.

105
Nous avons abordé dans la première partie la combinaison de "à vous parler
franchement" et "je ne me sens guère disposé à entrer dans tout ça", qui donnait un effet très
écrit. Si l'on s'attache à l'original "if you want to know the truth" et "I don't feel like going into
it", on a un ton relativement neutre qui s'intègre parfaitement à l'expression orale d'un
adolescent (nous avons démontré l'intention de l'auteur à ce sujet dans la partie précédente)
qui oscille souvent entre neutre et familier. L'effet rendu en français ne s'inscrit pas du tout
dans cette tonalité. On imagine difficilement Holden tenir ce genre de propos. L'effet est
accentué avec "En premier lieu, ce genre de truc m'ennuie" pour "In the first place, that stuff
bores me", en anglais, le lexique est toujours neutre et on a une succession de monosyllabes,
le rythme est donc rapide, rythmé, le français de Japrisot casse ce rythme en introduisant des
mots un peu plus longs, ainsi que des associations semi-consonnes/voyelles : [mje] de
"premier", [ljø] ("lieu") [ųi] de "m'ennuie"121 ainsi que trois occurrences de la nasale labialisée
[ã] (on arrive à neuf en comptabilisant le début de l'extrait, à partir de "enfin," pour trois chez
AS). "En premier lieu" ou "m'ennuie" ne sont pas à proprement parler des expressions qui se
distinguent par leur tonalité noble, mais leur assemblage dans ce contexte, entraîne une plus
grande articulation du discours, ce n'est pas la solution de facilité vers laquelle se dirige un
discours oral, il s'agit donc d'une forme d'ennoblissement, même d'embourgeoisement du
discours. On le remarque d'autant plus par opposition à "ce genre de trucs ça me rase", le
début de la phrase est le même (mis à part le "s" qui est muet), mais la fin "ça me rase" –
structure disloquée et vocabulaire familier – modifie totalement la tonalité de l'ensemble, de
plus, on retrouve deux [a] plus gouailleurs que l'accumulation de voyelles fermées [ø], [y] et
[i] de l'exemple précédent.122

3. "La destruction des réseaux signifiants sous-jacents"123

Toute œuvre comporte un texte "sous-jacent", où certains signifiants clefs se répondent et


s'enchaînent, forment des réseaux sous la "surface" du texte […] manifeste donné à la simple
lecture.

121
Voir aussi p.18 de cette étude.
122
On remarquera que dans le corpus parlé de Claire BLANCHE-BENVENISTE (1991), on rencontre le même
type de tendance dans l'extrait "Dame snobs"122. Deux enfants font semblant d'être des dames snobs, de bien
parler. On note dans cet extrait une récurrence de sonorités fermées (soulignées ici) et de nasales labialisées [õ]
qui font la bouche en 'cul-de-poule' à leur apogée dans la phrase "les œufs d'esturgeon c'est c'est très bon, bien,
alors, euh, trois œufs d'esturgeon".
123
Antoine BERMAN, 1985, 61.

106
Ainsi reviennent de loin en loin certains mots qui forment, ne fût-ce que par leur ressemblance
ou leur mode de visée, un réseau spécifique.
Berman, 1999 : 61.

Nous mettrons dans cette section les 'sous-tendances' qui nous semblent corrélaires :
l'"appauvrissement qualitatif", la "destruction des systématismes" et la "destruction des
locutions"124.

3.1 L'appauvrissement qualitatif "renvoie au remplacement des termes, expressions,


tournures, etc., de l'original par des termes n'ayant ni leur richesse sonore, ni leur richesse
signifiante ou – mieux – iconique."125 Cela revient à 'traduire ce que les mots disent, pas ce
qu'ils font'126. Cette tendance s'illustre particulièrement bien dans le cas des leitmotive du
Catcher, la traduction de "old" en particulier devant les prénoms ou les noms a représenté un
casse-tête quasi-insoluble pour les deux traducteurs. Chez Japrisot, "Vieux [+ nom]" le texte a
perdu de son naturel, l'effet est devenu très voyant, "exotisé" comme nous l'avons vu
précédemment, le lecteur a ainsi perdu de vue l'utilisation familière de "old" (référence à "old
sport" dans The Great Gatsby, un des romans préférés d'Holden), la majuscule et l'absence
d'article détourne aussi l'attention de la référence aux "old times", au "temps avant". Annie
Saumont, en remplaçant "old" par "père", "môme", ou "mec", a cassé la répétition rhétorique,
et a 'effacé' cette référence aux temps anciens. Comme on peut le voir, la déformation ici
relève de contraintes relatives au passage de l'anglais au français, la valeur 'iconique' de
"vieux" en français ne recouvrait pas celle de l'anglais "old". Les traducteurs ont tenté de
contourner cette difficulté sans succès.
On peut aussi évoquer le cas de "phony", qualificatif central du roman, puisqu'il
exprime toute la défiance d'Holden face à certains de ses pairs et des adultes. La notion de
"phoniness" emblématique du roman est devenue 'la' référence au Catcher pour les
générations suivantes, les termes "phony/phoniness" resteront toujours liés au roman de
Salinger, ils ont été élevés au rang d'icônes, or que dire des équivalents suggérés, auxquels les
traducteurs ne devaient pas croire tant que ça d'ailleurs, à en juger par l'inconstance de la
traduction. On retrouve pêle-mêle : "idiot", "abruti", "foireux", "cornichons", "imbéciles",
etc.; que dire de la dimension iconique de ces termes judicieusement choisis? Il va sans dire
que trouver un équivalent convaincant dans la langue française était encore une fois chose

124
A. BERMAN, 1985, pp. 58-67.
125
Ibid., p.58.
126
D'après Henri MESCHONNIC, "Traduire ce que les mots ne disent pas, mais ce qu'ils font", Meta, vol. 40, 3,
1995.

107
malaisée, mais comme nous l'avons étudié au chapitre 2 de la partie précédente, il y avait
peut-être des choix plus opportuns, qui sans être iconiques, étaient plus proches
sémantiquement au moins : "hypocrite", "poseur", "bidon", etc..

3.2 Cette relation au leitmotiv nous amène à la question plus large du traitement des
répétitions en traduction. "Bien que la répétition joue un rôle majeur dans les textes littéraires,
éviter les répétitions est l'une des normes les plus fréquentes en traduction."127. Dans le cas du
Catcher, nous avons déjà longuement traité de la question de l''éclatement' des leitmotive.
Nous nous contenterons donc ici de présenter les conséquences de ce traitement. La trame du
Catcher, au delà d'une histoire qui n'en est pas une, repose sur l'idiolecte d'Holden et les
répétitions qui le composent. Nous avons évoqué le rôle prosodique de certaines répétitions,
qui, comme "goddam" ont un intérêt plus grand au niveau prosodique que sémantique, ou
encore, pour leur valeur 'iconique' (terme choquant, qui évoque le sacré tout en étant
blasphématoire). Trouver en français un terme sémantiquement équivalent était difficile tout
en conservant l'aspect 'choquant' du terme anglais. De plus, on a pu voir que les traducteurs
avaient globalement 'refusé' d'apporter un traitement systématique au texte, que l'on retrouve
dans le nombre d'omissions particulièrement important chez Annie Saumont notamment, ou
dans le nombre d'équivalents proposés pour "phony", entre autres chez les deux auteurs. Cette
tendance a pour effet secondaire un 'enrichissement quantitatif' du texte, un plus grand
nombre de signifiants dans le texte d'arrivée, affaiblissant ainsi la caractéristique
l'iodiolectale.
Cette 'phobie' de la répétition est d'autant plus 'visible' dans la traduction de l'anglais au
français, que le français 'normatif' – "among European languages, French is of the most
normative type"128 – s'accommode mal des répétitions contrairement à l'anglais qui en
comparaison s'en soucie peu. L'extrait suivant nous donne un autre exemple du refus de la
répétition :

So I went back to the room and turned on the light, to start packing and all. I already had quite
a few things packed. Old Stradlater didn't even wake up. I lit a cigarette and got all dressed
and then I packed these two Gladstones I have. It only took me about two minutes. I'm a very
rapid packer.
One thing about packing depressed me a little. I had to pack these brand new ice-
skates […].
CITR, p. 45.

127
Nitsa BEN-ARI, Meta, 1998, p.1.
128
Ibid.

108
Nous avons souligné les six occurrences en quatre lignes de "pack" et ses déclinaisons. Dans
la traduction de Japrisot, on trouve : "pour faire mes valises", phrase omise, "je remplis mes
deux Gladstones", "je suis un empaqueteur très rapide", "en faisant mes valises", "il me fallait
y mettre" (p. 68). Chez Annie Saumont : "faire mes bagages", "Y avait déjà pas mal de choses
dans mes valoches.", "j'ai fini de remplir mes deux valises.", "les bagages avec moi,",
omission, "Fallait que je remballe" (p. 67). Dans chaque traduction, on ne trouve que deux
répétitions ("faire ses valises chez Japrisot, "bagages" chez Saumont). Si le français se
formalise plus des répétitions n'est pas une raison suffisante pour gommer la 'résonance'
contenue dans le terme anglais, qui peut être interprétée comme partiellement involontaire.
Même si l'anglais pour exprimer l'idée de "faire ses bagages" est moins bien doté que le
français, la répétition intensive sur ces quelques lignes aurait dû alerter les traducteurs comme
une volonté de marquer le caractère définitif du départ d'Holden et de souligner la charge
affective de cet acte. On notera aussi le calque incongru de Sébastien Japrisot "je suis un
empaqueteur très rapide" qui ne fait écho à aucun "paquet", ni n'a de valeur 'iconique' en
français. La 'déviation' du "textème" au "répertorème"129 montre à quel point la tendance
normative 'anti-répétitions' peut se superposer à la rhétorique du texte original, quelle que soit
la perte ainsi provoquée.

3.3 Nous avons choisi d'intégrer la "destruction des locutions" à cette section car nous
pensons qu'au-delà de leur sémantisme, ces locutions se font écho de loin en loin à travers le
texte, tout à tour clichés invétérés, parfois réactivées, sorte de reddition d'Holden à la "culture
de masse", puisque ce sont, pour la plupart, sinon des classiques, au moins des dérivés
d'expressions figées dans la conscience générale. Nous avons donc sélectionné cinq
expressions du texte de départ : "cold as a witch's teat", "give you a lot of horse manure",
"tossed his cookies" et "didn't know his ass from his elbow", et "feel like a prize horse's ass".
La première métaphore est une expression qui, bien que 'colorée', est consacrée par l'usage en
anglais américain. L'origine de cette expression vient d'ailleurs d'une légende qui veut que
pour reconnaître une sorcière, les chasseurs partissent à la recherche de grains de beauté ou
autres marques qui pouvaient ressembler à un téton (traces de dents ou griffes de Satan). Ces
marques étant parfois invisibles, on piquait le présumé suppôt de Satan à l'aide d'une aiguille
émoussée jusqu'à ce que l'on trouve un endroit de la peau insensible à la douleur et qui ne
saignait pas, d'où l'expression "cold as a witch's teat" (en anglais britannique "tit").

129
Ibid. Ici nous pensons au 'répertoire' "faire ses bagages/valises/valoches/paquets/etc." employé pour un
textème unique "pack" en anglais.

109
Sébastien Japrisot la traduit par "froid comme un téton de sorcière" (p. 12), vivide
image qui ne fait référence à rien de connu dans la culture française. Annie Saumont a traduit
l'expression par "un jour drôlement frisquet, à cailler sur place" (p. 12). Le cliché utilisé par
Holden fait partie de son idiolecte, un peu imagé à l'occasion. "Un jour drôlement frisquet" est
à la limite de l'euphémisme, et ce n'est pas un idiotisme. Elle renchérit donc avec "à cailler sur
place", qui se rapproche un peu plus d'une expression figée familière ("geler sur place") donc
de la forme de départ.
Le cas de "she didn't give you a lot of horse manure about what a great guy her father
was." (p. 2) est légèrement différent dans le sens où Salinger a "réactivé"130 la métaphore en
remplaçant "crap" par "horse manure". On a donc affaire à une sorte de semi-cliché qu'en
français les deux traducteurs se sont accordés à remplacer par une métaphore morte "en faire
tout un plat". L'OHD suggère "débiter des conneries/foutaises" qui est plus proche du niveau
de langue de départ, et qui, contrairement à "faire tout un plat", contient l'idée de "faux".
Envisager quelque chose comme "en faire tout un gratin" ou "en faire toute une daube", ou
encore, en référence à "en faire tout un fromage", "en faire tout un camembert" (et autres
variantes qu'on peut imaginer) n'est pas exactement une solution appropriée, dans la mesure
où on tombe sur des expressions qui perdent ainsi leur évocation première et donc leur valeur
de cliché. La transposition interlinguistique est très difficile puisque la métaphore d'origine ne
passe pas par la même idée "concrète" que les possibles équivalents en français, et inventer un
jeu de mot en français ne rendrait pas service au texte puisqu'on aurait disparition complète de
la valeur iconique de l'expression.
Le traitement de la métaphore suivante est encore plus détonnant chez Japrisot : "qui
ne reconnaissait pas son coude de ses fesses" (p. 17) pour "[a nice old guy] that didn't know
his ass from his elbow." (CITR, p. 7). Japrisot créée une nouvelle métaphore en français, en
réponse à ce cliché qu'il ne semble pas connaître : "not know one's arse from one's elbow =
Vrb phrs. To be ignorant, naive or plain stupid."131. La réponse d'Annie Saumont est plus
appropriée, elle ne tombe pas dans le piège de 'l'exotisation' et traduit par "qui commençait à
perdre les pédales" (p. 19), ce qui en contexte est une transposition intéressante,
puisqu'Holden fait référence à l'habitude qu'a le père Spencer de hocher la tête, interprétable
comme un signe de profonde réflexion ou un signe de sénilité.

130
Voir C. & J. DEMANUELLI, 1991, p. 46.
131
Ted DUCKWORTH, "A Dictionary of Slang", 1996-2003, source électronique : http://www.peevish.co.uk/
slang/n.htm.

110
L'expression suivante est extraite de la phrase "The cab I had was a real old one that
smelled like someone'd just tossed his cookies in it."(p. 74). Encore une fois, c'est une
expression figée d'anglais américain haute en couleur (le Merriam-Webster Flappers 2
Rappers, American Youth Slang, donne d'autres synonymes intéressants du type "blow one's
cookies", "lose one's groceries", etc.132). Annie Saumont a là opté pour "dégueulé (p. 102) et
Sébastien Japrisot pour "rejeter sa bouffetance" (p. 103). Si le Larousse mentionne
"bouffetance" en sous-entrée de "bouffe", ce n'est pas un terme dont l'usage est très courant,
c'est un terme qui comme d'autres choix de Japrisot a vieilli. De plus, l'expression "rejeter sa
bouffetance" reste introuvable sur Google alors que "toss one's cookies" fait apparaître de
nombreuses réponses. On pouvait penser en français à "vomir son quatre-heures" qui renvoie
à une image similaire (l'expression paraissait à priori réservée aux enfants, principaux
consommateurs de "quatre-heures", mais L'Express l'utilise sans états d'âme à l'intention de
l'acteur du film The Matrix : "l'acteur a commencé son entraînement avec une minerve. Avant
de vomir son quatre heures face à la caméra"133), quant à l'expression "poser une pizza" elle
est très familière et probablement trop récente et pas encore suffisamment rentrée dans les
mœurs134.
Enfin, pour la denière métaphore "feel like a prize horse's ass" (CITR, p. 78), les deux
traducteurs semblent être restés 'coi' face à l'expression. Sébastien Japrisot opte pour une
traduction littérale "un cul de cheval de prix" (SJ, p. 108) alors qu'Annie Saumont tente une
adaptation plus parlante : "un veau primé au concours" (AS, p. 107). Devant la perplexité des
deux auteurs, on peut imaginer que l'expression "a horse's ass" leur était inconnue. Il s'agit
pourtant, une nouvelle fois, d'une simple réactivation d'une métaphore figée "[feel/act like] a
horse's ass" (réactivée par l'introduction de "prize [horse]") qui signifie "idiot, crétin", et par
extension "faire l'idiot"135. L'image du "veau" choisie par Annie Saumont inspire plus la
solitude, l'apitoiement, voire la tristesse ("pleurer comme un veau"). On voit mal ce qu'inspire
l'image de Japrisot, si ce n'est de la surprise. On aurait pu avoir "le roi des crétins/idiots" qui,
évidemment, n'a pas la même valeur iconique que la métaphore de départ, mais reste une
traduction plus fidèle du sens de "a prize horse's ass".

132
Source électronique : http://www.m-w.com/lighter/flap/flaphome.htm#Barf, 2003. Notons que ces
expressions étaient particulièrement en vogue dans les années 70 comme le précisent les auteurs de cette entrée.
133
Christophe CARRIÈRE, "La déferlante Matrix", L'Express édition électronique, 8 mai 2003. Source :
http://www.lexpress.fr/Express/Info/Culture/Dossier/matrix/dossier.asp
134
Une recherche Google sur les deux expressions affiche 5 résultats dans les dix premiers pour "vomir son
quatre heures" (ainsi que d'autres dans les pages d'intérêt secondaire), et pour "poser une pizza", une seule
occurrence est apparue dans un contexte d'alcoolémie aigüe.
135
Wayne MAGNUSON, English Idioms: Sayings and Slang, 1995-2003 : "a horse's ass [bad language] fool,
jerk; After three drinks, he was acting like a horse's ass." Source électronique : http://home.t-
online.de/home/toni.goeller/idiom_ wm/id19.htm#a%20horse%27s%20ass%20%5bB%5d

111
On remarque que pour l'essentiel, les erreurs d'interprétation commises sur les
métaphores relèvent principalement du fait que bien souvent, ces expressions ne sont pas
répertoriées dans les ouvrages de référence dit 'classiques'.

Le problème essentiel vient de ce que bon nombre de ces expressions [KB: les métaphores
anglaises], générées par le quotidien qui les renouvelle sans cesse, échappent à l'inventaire et
ne figurent pas toujours dans les dictionnaires.
C. & J. Demanuelli, 1990 : 46.

Les deux traducteurs du Catcher ne bénéficiaient pas des outils dont on dispose aujourd'hui et
qui permettent de retrouver la trace de ces expressions non répertoriées dans les dictionnaires
classiques. Aujourd'hui, outre les outils traditionnels (dictionnaires monolingues ou
bilingues), Internet permet de retracer l'existence ou la création de ces expressions populaires,
de les partager, quasiment en temps réel, ce qui est un avantage non négligeable. On peut
d'ailleurs souligner le rôle de l'intuition du traducteur qui tente de dériver le sens d'une
expression à partir de ses connaissances du fonctionnement de la langue, plutôt que de se
lancer dans le calque facile et absurde.
De ces quelques observations, on peut déduire que Japrisot fait preuve de beaucoup
d'imagination pour fleurir le texte et re-créer des expressions imagées dans la langue-source,
alors qu'Annie Saumont s'en tient en général à quelques expressions consacrées par l'usage,
plus ou moins familières. Il en résulte que le texte de Japrisot est plus varié, dans le sens où il
fait intervenir des modes d'expression très divers – mélange "d'argot" et de "préciosités" que
Dider Sénécal mentionne d'ailleurs dans son article136. Si celui d'Annie Saumont est plus
homogène quant au ton adopté, on peut cependant remarquer qu'il s'éloigne parfois du niveau
de langue original (un ton plus grossier en général), le résultat dans les deux cas est à la limite
du caricatural lorsqu'on compare l'original et les deux traductions : rejetant Holden soit dans
le camp des originaux patentés soit dans celui des 'délinquants verbaux juvéniles'. Holden a
fédéré des générations de lecteurs, justement parce qu'il était représentatif de millions d'autres
adolescents, ni complet original au langage qui sent bon le terroir, ni jeune loubard de
banlieue caricatural, mais adolescent pris dans son attitude paradoxale entre 'aliénation' et
'appartenance' à la norme.

136
Voir citation page 2 de cette étude.

112
4. Les erreurs d'interprétation

Dans cette dernière 'grande' tendance déformante, nous 'jetterons' pêle-mêle les
diverses erreurs d'interprétation que nous avons remarquées à la lecture du roman dans les
deux traductions. Du léger faux sens au contresens, nous n'avons gardé que les exemples les
plus évidents afin de mettre en avant une tendance déformante essentiellement due au manque
d'attention ou à une méconnaissance partielle de la langue.

4.1 Afin d'effectuer une transition en douceur avec la partie précédente qui s'attachait à la
traduction des figures métaphoriques, nous commencerons par l'exemple suivant : "I was
plastered" (CITR, p. 147). Holden explique à Phoebe dans quelles circonstances il a
malencontreusement cassé le 45 tours qu'il lui avait acheté. En anglais, le sens figuré de
"plastered" est "bourré, beurré" (on peut difficilement confondre dans ce contexte avec le
participe passé de "plaster" : "plâtré"), Holden était effectivement complètement ivre après
avoir quitté le "Wicker Bar" (128) et c'est là qu'il a mis en miettes le cadeau de Phoebe.
Sébastien Japrisot traduit " – Je me suis fait des nœuds." (p. 200). De toute évidence, le sens
de l'expression lui est resté inaccessible, car "je me suis fait des nœuds", non seulement
ressemble à une expression fabriquée de toutes pièce, mais en plus, renvoie a priori à "se faire
du souci" (par association d'idée avec "avoir des nœuds à l'estomac" par exemple).

4.2 Vient ensuite une série de traductions très littérales qui trahissent un manque
d'expérience de la langue anglaise, pour le moins. "I could feel a terrific lecture coming on."
et "I didn't feel like being lectured" (CITR, p. 9) sont traduit par Japrisot en : "Je voyais venir
une terrible lecture." et "je ne me sentais pas le courage de subir cette lecture." (SJ, p.19),
qu'Annie Saumont a heureusement transcrit en "sermon" (AS, p. 20). On a ensuite, dans la
même lignée, l'utilisation d'"ignorer" (SJ, p. 105) dans la traduction de Japrisot pour "They
can't just ignore the ice." (CITR, p. 75). C'est un calque facile mais malvenu ici, la traduction
d'Annie Saumont est plus appropriée "Ils peuvent pas faire comme si la glace était pas là."
(AS, p. 104). On remarque d'autant plus l'erreur que "ignore" est répété plusieurs fois et est
systématiquement traduit chez Japrisot par "ignorer". On a encore, page 199, toujours chez
Japrisot, "les éléphants la mettaient knock out" pour "elephants knock her out" (CITR, p. 147).
Annie Saumont l'a interprété de la façon suivante : "les éléphants, ça lui allait vachement

113
bien." (AS, p. 198). L'expression signifie normalement : "émerveiller"137 ("if something
knocks you out, it is very impressive and surprises you because it is so good", Longman,
2003), on aurait donc pu avoir "elle était dingue des éléphants", qui correspond à la tonalité
familière de "knock out". On a aussi "so they wouldn't have to worry about trains" (CITR, p.
147) qui devient "qu'ils ne se fassent pas de souci pour les trains" (SJ, p. 199) au lieu de "se
casser la tête avec les trains" (AS, p. 199), mais on aurait aussi pu avoir "qu'ils [n']aient pas à
s'inquiéter/se préoccuper [des horaires] des trains/du métro.". On notera encore "Vous êtes
seul, bébé?" (SJ, p. 109) et "Vous êtes seul, baby?" (AS, p. 108) pour "Don't you have a date,
baby?" (où Annie Saumont, mal à l'aise avec un "bébé" un peu artificiel en français, choisit
'd'emprunter' l'anglais), et enfin le "Tendresses, Holden." vieillot (SJ, p. 243) pour le "Love,
Holden" (CITR, p. 180), auquel Annie Saumont a préféré un "Je t'embrasse, Holden" (AS, p.
239), choix qui, bien que classique, fait moins 'daté' dans les mots d'un adolescent. Enfin, la
'valeur iconique' de "Six pieds quatre" (SJ, p. 29) aurait plus de signification en français, si
Japrisot l'avait adapté au système métrique, puisque la conversion aboutit à "un mètre quatre-
vingt-treize" hors normes, qu'Annie Saumont a su rendre par "pas loin de deux mètres". Pour
qui n'est pas familier avec le système impérial, la mention de ces "six pieds quatre" perd de
son caractère 'hors normes' et peut paraître gratuite et superflue.

4.3 On a aussi les incongruités qui ne sont pas a priori dues à des calques malheureux : par
exemple "Où est ta fille?" (SJ, p. 37) "Et ta fille, elle est où?" (AS, p. 38) pour "Where's your
date?" (CITR, p. 22) où il aurait été plus logique d'avoir "Et ton rendez-vous, il est où?" ou
"Où est ta copine/ton rendez-vous?" ("ton rencard" étant trop connoté ici par rapport à
l'original). Encore une fois, les différences culturelles creusent un fossé, puisque la notion de
"date", courante aux Etats-Unis ne peut pas dans ce cas se superposer à celle de "petit(e)-
ami(e)" française, ce qui n'est pas une justification à 'l'innovation' des deux traducteurs qui
consiste à utiliser "fille" (qui, de surcroît, associé à "ta" fait plus penser à un rapport de
filiation). On a aussi, chez Japrisot "une milliasse de cheveux blancs" (SJ, p. 18) pour
"millions of grey hair" (CITR, p. 8), alors que les "millions de cheveux blancs" chez Annie
Saumont paraissent remplir leur rôle de manière satisfaisante. On a encore un "support-
couilles" plus qu'incongru (SJ, P. 33) pour "jock strap" (CITR, p. 19) tout à fait neutre en
anglais qu'Annie Saumont traduit par un "suspensoir" (AS, p. 33) également neutre.

137
"KNOCK OUT […] 7. [!] (overwhelm) émerveiller", Oxford Hachette Dictionary, 1996. Voir aussi :
"KNOCK OUT v.[…] 4: overwhelm with admiration; All the guys were knocked out by her charm.", WordNet ®
1.6, 1997.

114
4.4 Nous citerons quelques dernières instances simplement à titre d'exemple afin de ne pas
rendre cette 'liste' d'erreurs trop fastideuse : "en été" (SJ, p. 104) pour "in the springtime"
(CITR, p. 74) ; "for some reason (CITR, p. 162) devient "c'est compréhensible" (SJ, p.220) ;
nous avons déjà cité la 'perle' : "stupide partouze" (SJ, p. 157) pour "some phony party" ;
(CITR, p. 114) ; un faux sens "conseiller juridique" (AS, p. 207) pour "lawyer" (CITR, p.
155), alors que dans la suite du paragraphe, on se rend vite compte qu'il s'agit de "l'avocat"
dans le sens le plus courant du terme ; et une omission d'un paragraphe de quatre lignes chez
Annie Saumont, page 35 (CITR, p. 20).

5. Ré-écriture et re-traduction.

En conclusion, nous souhaitons revenir sur le critère primordial, il nous semble, pour
faire un bon traducteur littéraire :

1. Quiconque exerce la profession de Traducteur affirme par là posséder une connaissance très
sûre de la langue à partir de laquelle il traduit (dite : langue de départ) et de la langue dans
laquelle il s'exprime (dite : langue d'arrivée). Cette dernière doit être sa langue maternelle, ou
une langue qu'il possède au même degré que sa langue maternelle, comme tout écrivain
possède la langue dans laquelle il écrit.

2. Le traducteur se doit de connaître l'étendue de sa compétence et s'abstient de traduire un


texte dont il ne pourrait maîtriser l'écriture ou le champ de connaissances qu'il implique.
Extrait du Code déontologie du traducteur littéraire.138

Nous avons, au moins partiellement, démontré combien la traduction de Sébastien était une
ré-écriture du texte dans son propre style d'auteur, mais aussi une trahison du texte d'origine à
travers les nombreuses erreurs et interprétations erronées. On peut sans risque avancer que sa
connaissance de l'anglais était 'partielle' :

Je ne parle aucune langue sauf, évidemment, le français, bien que le sens de certains mots
m'échappe encore quand j'écoute les autres, mais cela peut aussi vouloir dire que ce sont les
autres qui ne parlent pas le français. Une fois, j'ai traduit un livre de Salinger, L'Attrape-
Cœurs et une autre fois j'ai traduit les Nouvelles. Cela ne signifie nullement que je comprends
l'anglais, cela signifie que j'avais un bon dictionnaire et que l'entêtement est le trait de mon
caractère le plus remarquable.
Propos recueillis par Isabelle Sieur, extrait du dossier de l'édition France Loisirs,
Un Long dimanche de fiançailles, 1992.139

138
Association des traducteurs littéraires de France, source électronique : http://www.atlf.org/association/
deontologie.html, voir aussi l'annexe 6 de cette étude pour le texte complet.

115
On trouve aussi, dans un autre portrait de l'auteur :

Pour gagner sa vie, alors que ses connaissances en langue anglaise ne vont pas plus loin que
celles acquises à l’école, il se met à traduire librement plusieurs romans westerns de Clarence
E. Mulford (l’auteur de la série Hopalong Cassidy) pour la nouvelle collection "Arizona" de
Robert Laffont. On lui confie par la suite en 1953 la traduction de L’Attrape-cœurs de J.D.
Salinger, l’histoire d’un adolescent fragile. Mais L’Attrape-cœurs ne rencontre pas la faveur
immédiate du public (100 exemplaires vendus) et cela a pour effet de dégoûter le jeune Rossi
de la littérature.

Il traduit les Nouvelles de J.D. Salinger en 1961. Et là, belle revanche, Salinger plaît aux
Français qui redécouvrent L’Attrape-cœurs.
Extrait du portrait de Sébastien Japrisot, par Jean-Marie David,
source électronique : http://www.mauvaisgenres.com/portrait_de_sebastien_japrisot.htm

Si l'approche pour le moins 'partiale' de Sébastien Japrisot constitue une trahison certaine de
l'original (d'où d'ailleurs, la demande de retraduction par l'auteur en 1985), on ne peut
pourtant pas négliger le fait que sa traduction reste la plus vendue, et, par déduction, la plus
lue. Elle est appréciée des lecteurs, ravis d'avoir une belle œuvre de fiction (dans tous les sens
du terme) à lire, dans le style inimitable de Japrisot, mais ce n'est pas tout à fait du Salinger.

A plusieurs reprises déjà, la question de la retraduction a été soulevée. Question "liée à


la notion de réactualisation des textes, déterminée par l'évolution des récepteurs, de leurs
goûts, de leurs besoins, de leurs compétences…"140 (on peut rappeler ici combien le texte de
Japrisot a vielli, contrairement, paradoxalement, à l'original). Il est vrai que la nouvelle
traduction d'Annie Saumont, au-delà du mécontentement de l'auteur, se positionne bien dans
ce cadre, 30 ans après la première version. La retraduction pose comme condition essentielle
une connaissance de la première version, afin de la réviser. Cette "relation" avec les
"premières versions mériterait une double analyse, fondée sur les écrits eux-mêmes et sur les
opinions des traducteurs, des éditeurs, des lecteurs"141. Si la retraduction présuppose que le
second traducteur ait pris connaissance de la première afin d'en rectifier les erreurs, de tirer
parti des découvertes ou études (ap)parues entre-temps pour surmonter les écueils visiblement
rencontrés par son confrère afin d'en tirer les leçons qui s'imposent, alors dans le cas qui nous
occupe, on ne peut parler de 'retraduction' : la condition première n'étant pas remplie : Annie

139
Source électronique : http://www.figuresdestyle.com/japrisot/jardin/inter.htm.

140
Yves GAMBIER, "La Retraduction, retour et détour", Meta, vol.39, 3, 1994, p. 413.
141
Ibid.

116
Saumont avoue ne pas avoir pris connaissance de la première version. Il s'agit donc ici d'une
'nouvelle traduction', par opposition à 'retraduction'.
Nous ajouterons aussi que la traduction d'Annie Saumont, malgré la qualité indéniable
de sa 'réflexion de traducteur', semble avoir reçu un accueil plus 'tiède' auprès des lecteurs. Si
la version de Japrisot est un succès d'édition à en juger par les nombreuses rééditions et
réimpressions qui se succèdent toujours dans un format 'luxueux', la version d'Annie Saumont
ne semble pas avoir connu le même succès commercial, et l'on trouve aussi des critiques de
lecteurs assez négatives sur les divers sites marchands en ligne concernant cette 'nouvelle
traduction' (alors que, parallèlement, les critiques sont globalement favorables en ce qui
concerne la traduction de Japrisot) :

L'attrape-coeurs n'a certainement pas mérité cette "nouvelle traduction" française. Annie
Saumont a en effet voulu remettre au goût du jour la version de Sébastien Japrisot mais c'est
raté.
Conseil : Préferez la traduction de S.Japrisot , qui date un peu, mais qui a le mérite de rester
fidèle à Salinger et Holden bien sûr...
Propos d'un lecteur publiés sur le site Amazon.fr, source électronique :
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/2266125354/ref=pd_rhf_p_2/402-4575183-9181761

le style devient rapidement agaçant avec ses tics langagiers : "la mome", "bicause" et "... et
tout!" qu’on retrouve par dizaine sur chaque page... Sans compter le vocabulaire des plus
relâchés : "putain", "salaud" à longueur de page… [sic]
Propos d'un lecteur publiés sur le site Ciao.fr à l'encontre de L'Attrape-cœurs (trad. Annie
Saumont), source électronique : http://www.ciao.fr/Attrape_coeurs_L__Avis_413982.

Nous conclurons donc que ces deux traductions sont des échecs partiels, mais à des
degrés différents : l'une parce qu'elle faillit à son devoir premier de fidélité 'à la lettre', l'autre
parce qu'elle pêche par excès de zèle (problèmes de tonalité notamment). Le texte de Salinger
mérite donc sans doute une troisième traduction, une 'retraduction' cette fois, qui éviterait les
écueils des deux premières.

117
ANNEXE 1
occurrences de "and all" et "and stuff"
suivies de leurs traductions

Les extraits sont classés par chapitre et suivis du numéro de page, lorsqu'ils sont suivis
de leur(s) traduction(s) – en italiques – les initiales de l'auteur sont utilisées pour les
différencier. Les traductions qui apparaissent ici sont toutes celles où "and all" n'a pas été
traduit par "et tout", ainsi que les traductions de "and stuff" et "and all that stuff".

Chapitre 1
"and how my parents were occupied and all" 1
"et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir," AS 1
"They're nice and all." 1
"he's my brother and all." 1
"I didn't know anybody that was splendid and clear-thinking and all." 2
"right next to that crazy cannon that was in the Revolutionary War and all." 2
"I left all the foils and equipment and stuff on the goddam subway." 3
"J'avais oublié les fleurets, l'équipement et machin-chose dans cette saleté de métro." SJ 11
"j'avais laissé l'équipement, les fleurets et tout dans le métro." AS 11
"[…]I was flunking four subjects and not applying myself and all." 3
"Anyway, it was December and all," 3
"with my fur-lined gloves right in the pocket and all." 3
"Avec mes gants fourrés qui étaient dans la poche." AS 12
"and came out here for all these goddam checkups and stuff." 4
"pour toutes ces saletés de traitement et machin-chose." SJ 13
"pour ces foutus contrôles et radios et tout." AS 13
10

Chapitre 2
"They each had their own room and all." 6
"just to be polite and all." 6
"he was nodding a lot because he was thinking and all." 7
"'Oh . . . well, about Life's being a game and all.[…]'" 7
"'He just kept talking about Life's being a game and all.'" 7
"'Il répétait simplement des choses sur la Vie qui était un jeu, vous voyez.'" AS 18
"You wouldn't think an old guy would be so sarcastic and all." 10
"I told him I was a real moron, and all that stuff." 11
"Je lui racontai que j'étais un vrai cancre et tout le tremblement." SJ 22
"Je lui ai dit que j'étais un vrai cancre et tout." AS 23
"'You mean about my flunking Pencey and all?'" 11
"'Vous parlez de mon renvoi?'" AS 23
"He'd be charming as hell and all." 12
"Super-aimable." AS 24
"'[…]Everybody goes through phases and all, don't they?'" 13
"'Tout le monde a des mauvaises passes vous savez." AS 25
"And all that crap." 13
"Et toute cette salade." SJ 25
"Toutes ces conneries." AS 26
11

118
Chapitre 3
"I had to go to the gym to get my equipment and stuff," 14
"pour prendre mon équipement et machin-chose," SJ 26
"chercher mon équipement et tout" AS 27
"we should always pray to God – talk to him and all – […]." 14
"think of Jesus as our buddy and all" 14
"He was telling us all about what a swell guy he was, what a hot-shot and all," 14
"It was a very crude thing to do, in chapel and all," 15
"C'était vraiment grossier, spécialement dans la chapelle," AS 28
"was sitting right next to him, on the rostrum and all," 15
"dans le rostre et tout le bazar," SJ 27
"le père Thurmer, le dirlo, était assis juste à côté, dans les stalles," AS 28
"I read a lot of classical books, like The Return of the Native and all," 16
"I read a lot of war books and mysteries and all," 16
"It's a pretty good book and all," 16
"he'd been at Pencey the whole four years and all," 16
"Un senior, et il avait passé quatre ans à Pencey, mais jamais personne ne l'appelait autrement que
'Ackley'." AS 30
"He started walking around the room, very slow and all," 17
"Il s'est mis à tourner en rond tranquillos', comme à son habitude en tripotant mes affaires sur le
bureau et la commode." AS
"'I left the goddam foils and stuff on the subway.'" 17
"'J'ai laissé les saletés de fleurets et machin-chose dans le métro.'" SJ 31
"'J'ai laissé les foutus fleurets et tout le barda dans le métro.'" AS 32
"I was feeling sort of tired from the trip to New York and all," 18
"fatigué par la petite randonnée à New York et tout le reste," SJ 32
"Je sentais la fatigue de ce voyage à New York" AS 33
"Stradlater's tennis racket – in its wooden press and all – […]." 20
"'No, but I don't want you to stretch it with your goddam shoulders and all,' I said." 22
"at least he always said hello to Ackley and all." 22
"Old Stradlater started taking off his coat and tie and all." 22
17

Chapitre 12
"Now and then you just saw a man and a girl crossing a street, with their arms around each other's
waists and all," 74
"Juste de temps en temps un mec et une fille qui traversaient au carrefour en se tenant par la taille"
AS 102
"In the springtime and all?" 74
"It's tougher for the fish, the winter and all," 75
"What do they do, the fish and all," 75
"when that whole little lake's a solid block of ice, people skating on it and all?" 75
"He got so damn excited and all," 75
"they can't swim around, looking for food and all." 75
"'Their bodies take in nutrition and all,'" 75
"Quite amusing and all." 76
"It was really phony – I mean him being such a big snob and all." 77
"Ca faisait vraiment charlot, vu qu'il est tellement snob." AS
"the place was so dark and all," 77
11

Chapitre 22
"she still wouldn't look at me, even though she was lying on her back and all." 150

119
"elle était couchée sur le dos mais quand même elle voulait toujours pas me regarder." AS 201
"'[…] His wife was always giving you hot chocolate and all that stuff,[…]'" 151
"Sa femme nous donnait toujours une tasse de chocolat et tout ce machin," SJ 205
"sa femme arrêtait pas de nous offrir des tasses de chocolat" AS 203
"'Old Spencer'd practically kill himself chuckling and smiling and all,'" 151
"'So my roommate and I walked him down to the bathroom and all,'" 152
"'Donc, mon copain de chambre et moi, on est allés avec lui aux lavabos,'" AS 203
"'[…] giving us a lot of advice for the future and all.'" 152
"I was in the shower and all," 153
"and there was old James Castle laying right on the stone steps and all." 153
"I was so surprised and all." 154
"He said his cousin was coming to take him for a drive and all." 154
"Il m'a dit que son cousin venait le chercher pour l'emmener faire un tour en voiture." AS 206
"'[…] especially if they're a thousand times nicer than the people you know that're alive and all.'" 154
"'Well, a lawyer – like Daddy and all.'" 155
"'[…]Even if you did go around saving guys' lives and all, […]'" 155
"'Même si vous vous occupiez de sauver la vie aux types et tout ça," SJ 210
"I mean she's only a little child and all." 155
"après tout, c'est qu'une petite fille." AS
"'[…]little kids playing in this big field of rye and all.'" 156
"'I'd just be the catcher in the rye and all." 156
15

Chapitre 26
"I could probably tell you what I did after I went home, and how I got sick and all,"
1

120
ANNEXE 2
occurrences de "goddam"

Les extraits sont classés par chapitre et suivis du numéro de page, systématiquement suivis de leurs
traductions, les initiales des auteurs sont utilisées pour les différencier.

Chapter 1

"I'm not going to tell you my whole goddam autobiography or anything." (1)
"D'ailleurs, je ne vais pas vous faire entièrement ma saleté d'autobiographie ni rien." SJ 9
"Et puis, je ne vais pas vous défiler ma complète autobiographie." AS 9

"I was the goddam manager of the fencing team." 3


"J'étais le satané manager de l'équipe d'escrime." SJ 11
"Le foutu manager de l'équipe d'escrime, ben c'était moi." AS 11

"I left all the foils and equipment and stuff on the goddam subway." 3
"J'avais oublié les fleurets, l'équipement et machin-chose dans cette saleté de métro." SJ 11
"j'avais laissé l'équipement, les fleurets et tout dans le métro." AS 11

"[…] came out here for all these goddam checkups and stuff." 4
"et qu'on m'a envoyé ici pour toutes ces saletés de traitements et machin-chose." SJ 13
"et qu'on m'a envoyé ici pour ces foutus contrôles et radios et tout." AS 13
4

Chapter 2

"He put my goddam paper down" 10


"Il abaissa ma saleté de copie" SJ 21
"Il a posé ma saloperie de copie" AS 22

"They were coming in the goddam window." 12


"Ils se mettaient en un bon dieu d'étalage." SJ 23
"Là-bas, c'est tout pour l'apparence." AS 24

"I hated that goddam Ekton Hills. 12


"Je détestais cette saleté d'Ekton Hills." SJ 23
"Ce foutu collège, je le détestais." AS 24
3

Chapter 3

"I don't even keep my goddam equipment in the gym." 14


"Je ne laisse jamais ma saleté d'équipement dans les salles de gym." SJ 26
"Parce que mon foutu équipement, je le laisse même pas au gymnase." AS 27

"[…]he came up to school in this big goddam Cadillac, […]" 14


"Au premier match de football de l'année, il était venu à l'école dans cette grande saleté de Cadillac…"
JS 26
"Il venait toujours au collège dans sa foutue Cadillac pour le premier match de l'année…" AS 27

"[…] just after I noticed I'd lost the goddam foils." 15

121
"juste après m'être aperçu de la perte de toutes les saletés de fleurets." JS 28
"juste après avoir découvert que j'y avais laissé les foutus fleurets." AS 29

"he must've picked up that goddam picture and looked at it at least five thousand times since I got it."
17

"Il avait dû regarder au moins cinq mille fois cette saleté de photo, depuis que je l'avais." JS 31
"Il avait bien dû la regarder au moins cinq mille fois depuis que je l'avais, cette photo." AS 32

"'I left the goddam foils and stuff on the subway.'" 17


"'J'ai laissé les saletés de fleurets et machin-chose dans le métro.'" JS 31
"'J'ai laissé les foutus fleurets et tout le barda dans le métro.'" AS 32

"'I had to keep getting up to look at a goddam map on the wall.'" 18


"'Il fallait que je garde les yeux sur cette saleté de carte.'" SJ 31
"'Fallait sans arrêt que je me lève pour vérifier ce foutu plan.'" AS 32

"Anybody else except Ackley would've taken the goddam hint." 18


"N'importe qui aurait compris la saleté d'insinuation. Pas lui pourtant. JS 31
"N'importe qui aurait compris l'allusion. Mais pas lui. Pas Ackley." AS 32

"'You're right in my goddam light.'" 18


"'Tu me caches la lumière.'" SJ 31
"'T'es juste dans ma lumière.'" AS 32

"He was always telling me I was a goddam kid, because I was sixteen and he was eighteen." 18
"Il était toujours à me dire que j'étais une saleté de môme parce que j'avais seize ans et lui dix-huit." SJ
31

"Il était toujours à me dire que j'étais un foutu môme, parce que j'avais seize ans." AS 32

"'Goddam book.'" 18
"'Saleté de livre.'" SJ 31
"'Un foutu bouquin.'" AS 32

"That way, I couldn't see a goddam thing." 18


"il n'y avait pas une saleté de chose que je pusse voir." SJ 32
"Comme ça je voyais plus rien." AS 33

"He started cleaning his goddam fingernails with the end of a match." 19
"Il se mit à curer ses ongles avec le bout d'une allumette." SJ 33
"Il s'est mis à se curer les ongles avec le bout d'une allumette." AS 34

"'I'll get you on the goddam radio.'" 20


"'Je te lancerai dans la saleté de radio.'" SJ 34
"'Je te ferai engager à la radio.'" AS 35

"'He told me he thinks you're a goddam prince,' […]" 20


"'Il me dit toujours que tu es un bon Dieu de prince.'" SJ 35
"'Il m'a dit que t'es un foutu prince.'" AS 35

"'He's got this goddam superior attitude all the time,' Ackley said." 21
"'Il a toujours cette saleté d'attitude supérieure, dit Ackley.'" JS
omission du passage AS 35

122
"'But he'd give you the goddam tie.'" 21
"'Mais il te donnerait la saleté de cravate.'" SJ 36
"… il va te la donner , la foutue cravate. AS 36

"'In the first place, I wouldn't let you in my goddam family,' I said." 21
"'Et puis, d'abord, je ne voudrais pas de toi dans ma saleté de famille, dis-je.'" SJ 36
"'D'abord, je voudrais pas de toi dans ma famille.'" AS 37

"' No, but I don't want you to stretch it with your goddam shoulders and all,' I said." 22
"'Non, dis-je, mais je ne veux pas que tu l'élargisses avec tes saletés d'épaules et tout.'" SJ 37
"J'ai dit 'Non, mais je tiens pas à ce que tu me la déformes avec tes foutues épaules et tout.'" AS 37
18

Chapter 12

"'Right in the goddam lake." 75


"'Au milieu de la pourriture de lac.'" SJ 104
"'Juste où y sont dans le foutu lac.'" AS 103

"'They live right in the goddam ice." 75


"'Ils vivent dans la pourriture de glace.'" SJ 105
"'La foutue glace, ils vivent dedans.'" AS 104

"'[…] right throught the goddam seaweed and crap that's in the ice.'"
"'Leur corps prend sa nutrition et tout dans les saletés d'algues et les machins qui sont dans la glace.'"
SJ
"'Leur corps aspire sa nutrition et tout dans les algues et les cochonneries qui sont dans la glace.'" AS
104

"'You're goddam right they don't,'" 76


"'Vous avez sacrément raison qu'ils ne meurent pas, dit Horwitz, …'" SJ 107
"'T'as foutrement raison', a dit Horwitz,…" AS 104

"If I were a piano player, I'd play it in the goddam closet." 77


"Si j'étais pianiste je jouerais dans une saleté de placard." SJ 107
"Si j'étais pianiste je jouerais enfermé dans un placard." AS 105

"[…] right up against a wall and behind a goddam post," 77


"entre un mur et une saleté de pilier, d'où vous ne pouviez rien voir." SJ 107
"Finalement on m'a donné cette table pliante juste contre le mur et derrière cette saleté de pilier qui
m'empêchait de voir." AS 106

"He gave her every single goddam play in the whole game – I'm not kidding." 77
"Il lui raconta en detail toute la saleté de match." SJ 108
"Il lui racontait l'action dans les moindres details – sans blague." AS 106

"And you could tell his date wasn't even interested in the goddam game, […]" 77
"Et vous pouviez dire que la saleté de match n'intéressait pas sa petite amie," SJ 108
"Et ça se voyait que la fille était pas intéressée …" AS 106

"[…] some dopey guy that's telling them all about a goddam football game." 78
"avec quelque cinglé qui leur raconte toute une saleté de match de football."SJ 108
"quand elles sont avec un abruti qui leur raconte un match de football à la con." AS 107

"She was blocking up the whole goddam traffic in the aisle." 78

123
"Elle était en train de bloquer toute la saleté de passage." SJ 109
"Elle bloquait tout le passage." AS 108

"[…], I didn't have any goddam choice except to leave." 79


"je n'avais pas d'autre saleté d'alternative que de m'en aller." SJ 110
"…j'avais pas le choix, fallait que je parte." AS 109
11

Chapter 22

"Just like the fencing team at Pencey when I left all the goddam foils on the subway." 150
"Juste comme l'équipe d'escrime à Pency, quand j'avais oublié toutes les saletés de fleurets dans le
métro." SJ 203
"Juste comme l'équipe d'escrime à Pencey, quand j'avais laissé les foutus fleurets dans le métro." AS
201

"'he'll send me to that goddam military school.'" 150


"'et puis de m'envoyer dans cette saleté d'école militaire.'" SJ 20..
"'et puis il m'enverra dans cette foutue école militaire.'" AS 201

"She sounds like a goddam school teacher sometimes, and she's only a little child." 150
"Elle parle comme une saleté de prof, quelquefois, et ce n'est qu'une enfant." SJ 204
"Quelquefois elle parle comme une saleté de prof et elle est seulement une petite fille." AS 202

"'And they had this goddam secret fraternity I was too yellow not to join.'" 151
"'Et ils avaient cette saleté de confrérie secrète et j'étais trop froussard pour ne pas y entrer.'" SJ 204
"'Et il y avait cette foutue société secrète et j'étais trop trouillard pour pas m'en mettre.'" AS 202

"'[…] like as if Thurmer was a goddam prince or something.'" 151


"'comme si Thurmer était un putain de prince ou je ne sais quoi." SJ 205
"'comme si ce corniaud de Thurmer était un foutu prince en visite.'" AS 203

"'What he did, he carved his goddam stupid sad old initials in one of the can doors about ninety years
ago, […]'" 152
"'Ce qu'il avait fait, il avait gravé quatre-vingt dix ans auparavant ses saletés de vieilles initiales, ses
stupides et tristes initiales, …'" SJ 206
"'il avait gravé ses vieilles connasses de saletés d'initiales sur une des portes des chiottes ..'" AS 203

"'[…] went in and locked the goddam door and tried to make him take back something he said […]'"
153
"'ils ont verrouillé la saleté de porte, et ils ont essayé de lui faire retirer ce qu'il avait dit, …'" SJ 208
"'et ils ont fermé la porte à clé et ils ont essayé de lui faire retirer ce qu'il avait dit mais il a pas voulu.'"
AS 205

"When she can't think of anything to say, she doesn't say a goddam word." 154
"Quand elle n'a rien à dire, elle ne dit pas une saleté de mot." SJ 209
"Quand elle trouve rien à répondre, elle dit rien. Pas un mot." AS 207

"'I'm getting goddam sick of it." 155


"'Ca me donne un putain de mal au Coeur.'" SJ 210
"'Ca commence à me faire chier.'" AS 207

"'[…] when the goddam trial was over,[…]'" 155


"'quand la saleté de procès est fini,…'" SJ 210

124
"'quand le jugement est rendu,'" AS 208

"'I mean if I had my goddam choice?'" 155


"'Je veux dire si j'avais mon putain de choix?'" SJ 210
"'Tu sais ce que je voudrais être si on me laissait choisir, bordel?'" AS 208
11

Chapter 26

"I think I even miss that goddam Maurice." 192


"Je crois même que cette pourriture de Maurice me manque." SJ 259
"Et même je crois bien, ce foutu Maurice." AS 252
1

125
ANNEXE 3
occurrences de "pretty"

Chapitre 1
"if I told anything pretty personal about them." 1
"si je racontais quelque chose de gentiment personnel à leur sujet." SJ 9
"si je me mettais à baratiner sur leur compte quelque chose d'un peu personnel." AS 9

"just before I got pretty run-down" 1


"juste avant que je tombe malade" SJ 9
"avant que je sois pas mal esquinté" AS 9

"She was a pretty nice girl, though." 2


"Elle était bougrement gentille pourtant." SJ 11
"Une brave fille, remarquez." AS 11

"It was pretty funny, in a way." 3


"C'était assez drôle, en un sens." SJ 12
"En un sens, c'était plutôt marrant." AS 12

"and it was getting pretty dark out," 4


"et il faisait plutôt sombre dehors," SJ 13
"Ca devenait de plus en plus noir" AS 13

"I'm pretty healthy, though." 4


"Je me porte joliment bien pourtant." SJ 13
"Mais je suis plutôt costaud, remarquez." AS 13
6

Chapitre 2
"It was pretty depressing." 6
"C'était plutôt cafardeux." SJ 16
"De quoi vous donner la déprime." AS 17

"He was pretty nice about it." 7


"Il a été tout à fait gentil." SJ 17
"Il a été plutôt gentil," AS 18

"'Well . . . they'll be pretty irritated about it,' I said." 8


"– Ben… ils vont être plutôt furieux, dis-je." SJ 18
"'Ben… Ils vont être pas mal furieux." AS 19

"it's pretty disgusting to watch somebody pick their nose." 8


"c'est plutôt dégoûtant de regarder quelqu'un se curer le nez." SJ 18
"sauf qu'un type qui se décrotte le nez, quand on le regarde ça vous dégoûte." AS 19

"He said it pretty tough, too, for him." 9


"Ca lui était bougrement difficile, à lui aussi, de parler de ça." SJ 19
"Et il l'a dit d'un ton vache, du moins pour lui." AS 20

"Well, you could see he felt pretty lousy about flunking me." 11
"Ben, vous parlez, il était pas fier de m'avoir sabré." SJ 22
"C'était visible qu'il se sentait pas à l'aise de m'avoir saqué." AS 23

126
"'I mean it's pretty complicated.'" 12
"C'est joliment compliqué, je veux dire." SJ 23
"Je veux dire que c'est plutôt compliqué." AS 23

"I'm pretty sure he yelled 'Good luck!' at me." 13


"Je suis joliment sûr qu'il me criait : "Bonne chance!" SJ 25
"Je me demande si c'était pas 'Bonne chance!'." AS 26
8

Chapitre 3
"It was pretty nice to get back to my room, after I left old Spencer," 15
"Ce fut bougrement agréable de regagner ma chambre après avoir quitté Vieux Spencer," SJ 27
"J'ai été content de me retrouver dans ma chambre, après la visite au père Spencer," AS 28

"but they were pretty comfortable chairs." 15


"mais c'était des fauteuils joliment confortables." SJ 28
"mais ça restait quand même des fauteuils pas mal confortables." AS 29

"It's a pretty good book and all," 16


"C'est un livre très bien et tout," SJ 29
"C'est pas mal et tout," AS 30

"I was pretty sadistic with him quite often." 19


"J'étais bougrement sadique avec lui en général." SJ 32
"Souvent avec lui je suis plutôt sadique." AS 33

"He was at least a pretty friendly guy," 22


"C'était un type bougrement aimable, Stradlater. SJ 37
"Au moins, Stradlater, voilà un gars qu'était plutôt sympa. AS 37

"He had a pretty heavy beard." 22


"Vrai, il avait une barbe joliment fournie." SJ 37
"Il avait une barbe plutôt drue." AS 38
6

Chapitre 12
"He was a pretty good guy." 76
"C'était un brave type." SJ 105
"C'était plutôt un bon type." AS 104

"It was pretty quiet, though," 76


"C'était joliment calme, pourtant," SJ 106
"Mais ça faisait assez tranquille" AS 105
2

Chapitre 22
"and they were really pretty nice." 151
"et ils étaient vraiment très gentils." SJ 205
"et tous les deux ils étaient vraiment pas désagréables." AS 203
1

Chapitre 26
"She was pretty affected, but very good-looking." 192

127
"Elle était assez affectée, mais très jolie." SJ 258
"Elle était plutôt maniérée mais elle avait une sacrée allure." AS 252
1

128
ANNEXE 4
occurrences de "lousy"

Chapitre 1
"and my lousy childhood was like," 1

Chapitre 2
"Partly because I have a lousy vocabulary" 8
"Well, you could see he felt pretty lousy about flunking me." 11

Chapitre 3
"he was about six four – with lousy teeth." 16
"What lousy manners." 20
"I'm old enough to be your lousy father." 21

Chapitre 4
"He wanted you to think that the only reason he was lousy at writing compositions was because he
stuck all the commas in the wrong place." 24
"She was worried that it might make her legs lousy – all thick and all." 27
"'She had a lousy childhood. I'm not kidding.'" 28

Chapitre 5
"'Get your lousy knees off my chest." 38

Chapitre 7
"Stradlater said you had a lousy personality." 42

Chapitre 9
"I'm not kidding, that hotel was lousy with perverts." 55

Chapitre 10
"If you take her to a lousy movie, for instance, she'll know it's a lousy movie." 61
"It wasn't very crowded, but they gave me a lousy table anyway" 62
"or else she's such a lousy dancer," 63
"The goddam table was lousy with glasses." 66

Chapitre 13
"It was a lousy book, but this Blanchard guy was pretty good." 84
"She was a lousy conversationalist." 87

Chapitre 14
"I sat up in be, and smoked another cigarette. It tasted lousy." 90

Chapitre 16
"even though it was so damp and lousy out," 108

Chapitre 17
"did you ever get scared that everything was going to go lousy unless you did something?" 117
"'[…] I'm in bad shape. I'm in lousy shape.'" 118

Chapitre 22
"and one of Stabile's lousy friends" 153

129
Chapitre 24
"I was being a lousy conversationalist," 171

130
ANNEXE 5
occurences de "phony"

Chapitre 1
"She probably knew what a phony slob he was." 3

Chapitre 2
"Grand. There's a word I really hate. It's a phony." 8
"One of the biggest reasons I left Ekton Hills was because I was surrounded by phonies." 12
"they had this headmaster, Mr Haas, that was the phoniest bastard I ever met in my life." 12
"old Haas would just shake hands with them and give them a phony smile" 12

Chapitre 3
"I can just see the phony bastard shifting into first gear" 14

Chapitre 7
"and gave him a big phony handshake." 45

Chapitre 9
"I should've given her a phony name, but I didn't think of it." 58

Chapitre 12
"old Ernie […] gave this very phony, humble bow." 77
"It was very phony" 77
"Strictly a phony." 78

Chapitre 14
"All he had on underneath was a phony shirt collar," 91

Chapitre 15
"She was quite a little phony." 95
"Grand. If there's one word I hate, it's grand." It's so phony." 96

Chapitre 16
"I knew old Sally, the queen of the phonies," 105

Chapitre 17
"You never saw so many phonies in all your life," 114
"they probably met each other just once, at some phony party." 114
"It was the phoniest conversation you ever heard in your life." 115
"the jerk had one of those very phony, Ivy League voices," 115
"he had to meet a bunch of phonies for cocktails," 115
"and being introduced to phony guys" 117
"'It's full of phonies.[…]'" 118

Chapitre 18
"The phonier it got, the more she cried." 126
"You take somebody that cries their goddam eyes out over phony stuff in the movies," 126
"and still like a phony like that." 127
"how he could like a phony book like that" 127

131
Chapitre 19
"Then I watched the phonies for a while." 128

Chapitre 22
"It was full of phonies." 151
"All you have to do to depress somebody is give them a lot of phony advice" 152
"How would you know you weren't being a phony?" 155

132
ANNEXE 6
présentation du site ELICOP : Etude LInguistique de la COmmunication Parlée

Le site ELICOP donne un aperçu de tout ce qui a été entrepris ces dernières années au
Département de Linguistique de la K.U.Leuven142 dans le domaine de l’analyse linguistique du
français parlé, en particulier par la constitution d’un corpus automatisé mis à la disposition des
chercheurs. Traditionnellement plutôt délaissée par les linguistes qui attachent plus d’importance au
code écrit et qui reculent devant le travail onéreux de la transcription de l’oral, la langue parlée est
relativement peu ou mal connue. Les corpus de français parlé existent, mais ils ne sont souvent que de
l’écrit oralisé (discours, pièces de théâtre).
Ce n’est que récemment que les corpus de français parlé ont retenu l'attention des chercheurs.
Comme le souligne Claire Blanche-Benveniste (1996, p. 25), les corpus de langue parlée "au travers
des ‘fautes’ de performance aident à voir ce qui est central et typique dans une langue". C’est dans cet
esprit que les responsables du projet qui a finalement reçu le nom ELICOP, se sont proposé de
constituer un grand corpus informatisé de la langue parlée. Un important travail de constitution de
corpus avait déjà été réalisé dans le cadre de deux projets de recherche dans les années 80 (le projet
ELILAP) et au début des années 90 (le projet LANCOM). En 1997, les promoteurs du projet ELICOP
ont commencé par rassembler systématiquement en les automatisant tous les matériaux disponibles.
Par la suite, ils ont établi les principes selon lesquels les corpus seraient formellement uniformisés.
Grâce à cette homogénéité formelle, l’ensemble des corpus, accessible sur Internet, peut être consulté
pour tout type de recherches et d’applications linguistiques. Par ses possibilités extraordinaires,
l'informatique donne une nouvelle dimension aux recherches linguistiques. Toujours dans le contexte
d’ELICOP, plusieurs logiciels ont été élaborés et mis au point.
Les résultats des recherches montrent comment la production orale peut s'écarter, sans pour
autant être incorrecte, de ce que prescrit la grammaire traditionnelle. Ceci s’explique par le fait que la
description du français a toujours été basée sur l’écrit. Or, c’est précisément l’oral qui reflète le
français tel qu’il est parlé par les francophones dans la vie courante. L'instrument nouveau que
constitue ELICOP facilite la prise en considération du code oral en tant que composante essentielle de
la langue. Regroupant plusieurs corpus d’origine et de nature différentes, il met à la disposition des
chercheurs un échantillon représentatif de la langue parlée dans toute sa diversité. Ces matériaux
permettent des recherches spécialisées dans tous les domaines de la linguistique. Par rapport à d’autres
corpus existants, ELICOP a l’originalité de présenter, en plus de la dimension linguistique, une
dimension didactique. En permettant d'étudier la réalité du discours oral, le projet répond aux besoins
de tous ceux qui, tant en FLM qu'en FLE, s'interrogent sur les différents aspects de la communication
orale.
Dans les premières rubriques, nous présentons la chronologie de la constitution des corpus au
sein des différents projets, en évoquant les spécificités de chaque corpus, ainsi que les objectifs
poursuivis par les responsables des projets. Dans les rubriques suivantes, nous parcourons les
différentes étapes dans la préparation et l’exploitation des corpus. Il s’agit successivement de la
transcription, de l’annotation, de la consultation et de l’exploitation des corpus. Nous montrons plus
particulièrement comment l’ordinateur peut aider le chercheur à effectuer des analyses linguistiques
sur un corpus. Le tour d’horizon permet de voir la richesse et la diversification du corpus global quant
au contenu, tout comme son uniformité et son accès remarquablement simple quant à la forme.143

142
Katholieke Universiteit Leuven (Pays-Bas).
143
Source : site du projet ELICOP, adresse électronique http://bach.arts.kuleuven.ac.be/lancom/.

133
ANNEXE 7

Code déontologie du traducteur littéraire


Source: Association des traducteurs littéraires de France

Code de Déontologie
du Traducteur littéraire

Considérant que le droit à l'exactitude de l'information, quelle qu'elle soit,


est un des droits fondamentaux de l'Homme, et que la transmission des
oeuvres de l'esprit au-delà des frontières linguistiques est une condition
indispensable de l'harmonie entre les peuples et du respect des cultures ;
conscients, par conséquent, du rôle que joue le traducteur dans ce
domaine ainsi que des responsabilités qui lui incombent et des obligations
morales qui en découlent, les traducteurs réunis au sein de l'ATLF ont
adopté au cours de leur Assemblée générale du 12 Mars 1988 le présent
Code de Déontologie qui définit les normes éthiques de leur profession.

1. Quiconque exerce la profession de Traducteur affirme par là posséder une


connaissance très sûre de la langue à partir de laquelle il traduit (dite : langue
de départ) et de la langue dans laquelle il s'exprime (dite : langue d'arrivée).
Cette dernière doit être sa langue maternelle, ou une langue qu'il possède au
même degré que sa langue maternelle, comme tout écrivain possède la langue
dans laquelle il écrit.

2. Le traducteur se doit de connaître l'étendue de sa compétence et s'abstient de


traduire un texte dont il ne pourrait maîtriser l'écriture ou le champ de
connaissances qu'il implique.

3. Le traducteur s'abstient de traduire une oeuvre à partir d'une autre traduction


en langue étrangère, dite traduction-relais, à moins que l'auteur ne l'y autorise
expressément.

4. Le traducteur s'interdit d'apporter au texte toute modification ou déformation


de nature à altérer la pensée ou le style de l'auteur. Il ne pourra effectuer les
coupures ou remaniements du texte qu'avec l'assentiment ou la volonté
clairement exprimée de l'auteur. Si l'oeuvre appartient au domaine public, il
devra, dans la mesure du possible, signaler au lecteur les coupures qu'il aura
été amené à faire.

5. Le traducteur entend jouir de l'entière liberté d'accepter ou de refuser de


traduire un texte.

6. Le traducteur exigera que soient mis à sa disposition les moyens nécessaires


à l'exercice correct de sa profession et au respect de ses engagements,
notamment : _ que lui soient communiqués, le cas échéant, les documents
indispensables à la bonne compréhension du texte. _ que les épreuves
d'imprimerie lui soient soumises pour correction en temps voulu. _ Il refusera
que lui soient imposés des délais trop courts, ou toute autre forme d'astreinte
susceptible de nuire à la qualité de son travail.

134
7. Le traducteur s'engage à respecter le secret professionnel lorsqu'il est amené
à utiliser pour son travail des documents confidentiels.

8. Le traducteur s'engage à traduire personnellement l'oeuvre qu'on lui confie


et doit exiger que, conformément à la loi, sa signature figure en bonne place.

9. S'il est amené à faire appel à des collaborateurs, le traducteur doit veiller à
ce que ceux-ci, d'une part aient les compétences nécessaires, d'autre part soient
rémunérés correctement et co-signent la traduction publiée.

10. Si la collaboration est sollicitée par un autre traducteur, il exigera les


mêmes conditions.

11. Le traducteur s'interdit d'accepter tout travail pouvant nuire à un confrère.

12. Le traducteur s'interdit de même de porter préjudice à la profession par


toute action, notamment en acceptant des conditions de travail incompatibles
avec les exigences du présent code de déontologie.

Le Conseil

Source électronique : http://www.atlf.org/association/deontologie.html

135
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES144

Actes des quatrièmes assises de la traduction littéraire, Arles 1987, Actes Sud, Arles, 1988.

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DUGAS André, Le Guide de la prononciation, 1997, Les Editions logiques, Québec.


144
Les 'références bibliographiques' regroupent les articles, ouvrages et sites consultés et cités directement dans
cette étude, la 'bibliographie sélective' propose la liste des ouvrages consultés qui ont été utiles pour trouver des
pistes, pour orienter la recherche, etc. mais ne sont pas cités dans cette étude.

136
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http://bach.arts.kuleuven.ac.be/pmertens/corpus/search/tsearch.html.

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and Portuguese translations of J.D. Salinger's The Catcher in the Rye", Meta, vol.43, 2, 1998.
12 p.

139
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION p. 3

REMERCIEMENTS p. 5

PREMIÈRE PARTIE : ANALYSE DÉTAILLÉE DE TROIS


EXTRAITS p. 6

CHAPITRE 1 : THE FIRST THING YOU'LL PROBABLY WANT


TO KNOW p. 7

1. Mode opératoire p. 7

2. Extrait p. 9

CHAPITRE 2 : I'M THE MOST TERRIFIC LIAR p. 21

CHAPITRE 3 : WHERE DO THE DUCKS GO? p. 31

DEUXIÈME PARTIE : L'ANALYSE DU DISCOURS p. 49

CHAPITRE 1 : L'IDIOLECTE D'HOLDEN p. 51

1. 'The Narrative Voice in J.D. Salinger's Catcher' p. 51


1.1 Le délai stylistique p. 51
1.2 Répétitions et leitmotiv p. 52

CHAPITRE 2 : LES LEITMOTIVE DU TEXTE p. 54

1. "And all", "and stuff" p. 54


1.1 Recherche des occurrences p. 54
1.2 Traductions des occurrences p. 57

140
2. "Goddam" p. 61
2.1 Élément d'idiolecte p. 62
2.2 Traductions possibles de "goddam" p. 64
2.3 Étude d'occurrences p. 65
3. "old" + nom p. 70

4. "pretty" intensifieur p. 73
4.1 Statistiques de "pretty" p. 73
4.2 Traductions de "pretty" p. 76
4.3 Cas particuliers p. 79
5. Les Traductions de "lousy" et"phony" p. 82
5.1 Étude des occurrences de "lousy" et de leurs traductions p. 83
5.2 La notion de "phoniness" p. 86

TROISIÈME PARTIE : LES TENDANCES DÉFORMANTES DE


LA TRADUCTION p. 91

CHAPITRE 1 : RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES p. 92

1. Traduction littéraire et qualité : qu'est-ce-qu'un bon traducteur? p. 92


1.1 L'Écrivain-traducteur p. 92
1.2 Le Contexte p. 93
2. Réflexions sur la traduction littéraire: acte contre activité p. 94

CHAPITRE 2 : LES TENDANCES DÉFORMANTES DE LA


TRADUCTION p. 98

1. La Théorie ou la traduction "ethnocentrique" p. 98

2. L'ennoblissement p. 99
2.1 Rationalisation p. 100
2.2 Le Passé simple p. 101
2.3 'Destruction des réseaux langagiers vernaculaires' p. 102
2.4 Vulgarisation p. 104
2.5 La Dimension phonique p. 105

141
3. 'La Destruction des réseaux signifiants sous-jacents' p. 106
3.1 L'Appauvrissement qualitatif p. 107
3.2 Le Traitement des répétitions p. 108
3.3 La destruction des locutions p. 109
4. Les Erreurs d'interprétation p. 113
4.1 Les Figures métaphoriques p. 113
4.2 Traductions littérales p. 113
4.3 Incongruités et surtraductions p. 114
4.4 Perles p. 115
5. Ré-écriture et re-traduction p. 116

ANNEXES p. 118
ANNEXE 1 – occurrences de "and all", "and stuff" p. 118
ANNEXE 2 – occurrences de "goddam" p. 121
ANNEXE 3 – occurrences de "pretty" p. 126
ANNEXE 4 – occurrences de "lousy" p. 129
ANNEXE 5 – occurrences de "phony" p. 131
ANNEXE 6 – présentation du projet ELICOP p. 133
ANNEXE 7 – Code de déontologie du traducteur littéraire p. 134

BIBLIOGRAPHIE p. 136

TABLE DES MATIERES p. 140

142

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