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Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Institut du Monde Anglophone

Spécialité : Études Britanniques, Nord-Américaines et Post Coloniales

)mpressions d authenticité : étude comparative d une


œuvre australienne et sa traduction en français

The Slap, de Christos Tsiolkas

Mémoire de Master 1 Recherche

Présenté par Tiffane LEVICK

Directeur de recherche : Madame la Professeure Christine RAGUET

juin 2013
TABLE DES MATIÈRES :

INTRODUCTION 1
PREMIÈRE PARTIE : CRUDITÉ DU LANGAGE 4
1.1. REGISTRE 5
1.1.1. TRADUCTIONS LIBRES ET LITTÉRALES 6
1.2. LE MOT FUCK(ING) 9
1.3. LES MOTS COCK ET CUNT 15
1.4. RÉPÉTITION DE FUCK/CUNT/COCK DANS UN ÉNONCÉ 20
1.5. BLASPHÈMES 21
1.6. COMPENSATION 24
1.7. CONSÉQUENCES DE LA FLUIDITÉ 30
DEUXIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES GRECQUES 33
2.1. L ANGLAIS ÉCORCHÉ DE MANOLIS 33
2.2. TRAITEMENT DU LEXIQUE GREC 38
2.3. ENNOBLISSEMENT ET CLARIFICATION 40
TROISIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES AUSTRALIENNES 42
3.1. SAVEUR DE L ÉTRANGER 42
3.2. TOPONYMES 43
3.3. GÉNÉRALISATION 44
3.4. NOTES EXPLICATIVES 45
3.5. EXPLICATION PAR ÉQUIVALENCE 46
3.6. RÉFÉRENCES DE CULTURE POPULAIRE 47
3.7. ÉTRANGETÉ ET ADAPTATION 50
CONCLUSION 51
ANNEXE 52
BIBLIOGRAPHIE 53

ii
DÉCLARATION :

Je, soussignée, Tiffane Levick, déclare avoir rédigé ce travail sans aides extérieures
ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes
préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées
comme telles. Ce travail n a été soumis à aucun autre jury d examen sous une

forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l étranger, à l université ou


dans une autre institution, par moi-même ou par autrui.

iii
INTRODUCTION

The Slap est un roman qui pose des questions sans en donner les réponses. Écrit
en 2008 par Christos Tsiolkas, auteur australien d origine grecque, l histoire du livre se
déroule à Melbourne sur environ 500 pages. Ces pages sont divisées en huit chapitres,

racontés du point de vue de huit personnages différents présents à un barbecue


d anniversaire lors duquel un homme gifle un enfant qui n est pas le sien. Selon ce style
narratif, Tsiolkas se faufile entre des moyens de parler divergents, représentatifs de la
personnalité respective de ses personnages qui sont de divers âges (adolescent à grand-

père), origines (grecque, juive, britannique, indienne, australienne blanche) et classes


sociales (ouvrière et bourgeoise). Chacun des personnages a une philosophie et des
opinions propres à lui, ce qui permet un remaniement continuel des points de vue

présentés sans que le lecteur puisse s y rattacher. Cette stratégie force le lecteur à
reconsidérer les conclusions qu il aurait tirées par rapport à des personnages, des
situations et des événements particuliers car la perspective ne cesse ne se déplacer

tandis qu une différente face de l histoire se manifeste.

Ayant connu un succès important en Australie ainsi qu à l étranger, The Slap a été
récompensé de plusieurs prix, dont l Australian Literature Society Gold Medal en 2008 et
le Commonwealth Writers Prize en 2009. Il a également été nominé pour plusieurs autres

prix, notamment le Miles Franklin Literary Award en 2009 et le Man Booker Prize en
2010. Le livre a été jugé provocateur, non seulement à cause des thèmes abordés, alors
que les répercussions d un incident unique traitent de la tension sociale et politique

entre des personnages que l on a décrits comme étant superficiels et imparfaits, voire
haïssables, mais également à cause du style d écriture et du langage cru employés par
Tsiolkas. L auteur a écrit un livre avec l intention de choquer et d interpeller ses lecteurs,
ce qu il a réussi à faire au point d inspirer la chaîne publique de télévision australienne
ABC1 à en faire en 2011 un feuilleton en huit épisodes.

1
The Slap a été traduit en français par Jean-Luc Pinningre sous le titre La Gifle,

publié en France en 2012 par Belfond, presque quatre ans après la première publication
du livre en Australie. Cette traduction française a été publiée avec le soutien du
gouvernement australien et l Australian Council for the Arts. L édition française consultée

pour cette étude fait presque 600 pages1 et suit la même structure que le texte original,
mis à part l ajout de notes de bas de pages écrites par le traducteur. Le texte français ne
contient malheureusement pas de préface du traducteur ni ses renseignements

bibliographiques. Ailleurs, peu d informations sont disponibles sur le traducteur, à part


sa nationalité française et le nom des œuvres qu il a traduites depuis le début des
années 1990. Piningre a traduit une grande variété d auteurs et œuvres relativement

réussis et s est spécialisé dans la traduction de romans contemporains dont Under the
Tuscan Sun de Frances Mayes, Mohawk et Bridge of Sighs de Richard Russo, ainsi qu One
Thousand White Women: The Journals of May Dodd, Marie Blanche et The Wild Girl de Jim
Fergus. Le fait qu il ait traduit plusieurs romans d un même auteur semblerait indiquer

que ses traductions ont été bien reçues en France.

La forme ainsi que le fond de ce livre posent de nombreuses difficultés pour le


traducteur qui se trouve face à un texte fortement ancré dans son cadre australien. La

vaste gamme de registres présentée au lecteur par Tsiolkas, variant entre le vocabulaire
très grossier d (arry et jusqu à un certain point celui d (ector , l anglais écorché de
Manolis, les expressions franches d Anouk, les énoncés d Aisha qui se veulent

universitaires, les déclarations passionnées de Rosie et l argot de Connie et Richie,


représente un défi pour le traducteur qui doit s adapter et se montrer dynamique dans
le respect de l expression individuelle de chaque personnage. Autrement, le traducteur a
pour défi de trouver un moyen de communiquer la violence provoquée par l emploi

incessant du langage très vulgaire tout au long du roman par tous les personnages,
souvent pour discuter de sexe, de drogue et d alcool. Outre les choix relatifs au respect
du style d écriture de Tsiolkas, il est intéressant de considérer les diverses techniques

1
La différence entre le nombre de pages est plus représentative d’une différence entre la mise en page de chaque
texte et non forcément la longueur.

2
employées dans la traduction pour aborder l abondance de références particulières à la

culture, la société et la politique australiennes, un pays anglophone et multiculturel.

S appuyant sur ces deux questions principales, on tentera dans cette étude de
déterminer si le texte français parvient à faire sentir l essence du cadre de ce roman à un

public étranger tout en restant accessible à un lecteur non-anglophone et non-


australien, qui ne connait ni la langue ni la culture du texte de départ. En considérant
cette idée de l accessibilité du livre, on explorera la question du choix fait pour clarifier

certains aspects ou diluer certaines nuances du texte original, non seulement en termes
du style d écriture et mais également du contenu. Pour répondre à cette problématique,
la première partie de cette étude s attachera aux différentes façons dont la traduction
rend le langage cru du texte original dans le texte français. La deuxième partie

examinera les questions relatives à la traduction des renvois aux origines grecques de
certains personnages du livre à travers l anglais bancal du personnage âgé de Manolis et
le lexique grec qui occupe une place importante dans la narration et dans le dialogue.

Finalement, la troisième partie analysera le traitement du contenu du texte original qui


pourrait déstabiliser le lecteur français, y compris dans un premier temps les références
géographiques et culturelles spécifiques à Melbourne ou à la société australienne, ainsi

que les références de culture populaire anglophone.

3
PREMIÈRE PARTIE : CRUDITÉ DU LANGAGE

Dans l ensemble du livre, l une des caractéristiques la plus marquante du style


d écriture est la forte présence d un vocabulaire cru, o‘ dès la première page, la
narration est saturée de jurons. La présence de ces mots est rendue encore plus

choquante par le fait qu ils soient fréquemment intégrés dans des énoncés o‘ l on
pourrait autrement employer un lexique standard, voire ajoutés à un énoncé qui serait
autrement complet, semblant donc ne pas avoir de fonction particulière à part celle
d imposer une sorte de violence sur le lecteur. Bien que l emploi flagrant d un tel

vocabulaire risque de paraître arbitraire pour certains lecteurs, le style d écriture vu


dans The Slap forge une connexion entre le fond et la forme de l œuvre et renvoie à la
manière franche et honnête dont les questions du livre sont présentées : Tsiolkas ne

prend en compte les sensibilités de personne. Dans cette lignée, la façon brusque dont
les mots cock, cunt et fuck apparaissent et réapparaissent sans cesse dans le livre choque
et heurte le lecteur, agissant comme un reflet du titre : l outrance du langage qui est

employé gifle presque le lecteur. Dans la traduction, un seul équivalent de chacun de ces
trois mots n est pas proposé. Ceci est sans doute dû en grande partie à l impossibilité
linguistique d identifier une traduction unique pour ces hyponymes quand les mots sont
employés de manières différentes. Ceci dit, la façon dont ces mots sont traités dans la

traduction a pour conséquence que le texte français diffère du texte original dans sa
force et sa familiarité.

4
1.1. REGISTRE

Pour essayer de définir ce que c est, précisément, que le langage cru, on peut se
référer aux concepts du registre établis par certains linguistes. En général, l idée la plus
acceptée du registre est celle des variations linguistiques, proposée par le sociolinguiste

William Labov dans les années 1970s. La variation linguistique peut être définie comme
le changement dans la langue d une même personne, et Labov a identifié plusieurs types
de variation qui élaborent les questions à propos des locuteurs, la situation, l époque, le

sujet et la raison pour une discussion : diachronique (historique), diatopique


(géographique), diastratique (sociale ou démographique), diaphasique (stylistique ou
situationnelle), diamésique (écrit ou oral) (Labov 1972 : 120-121). Cette notion de la

variation linguistique reste cependant un sujet dont on continue à débattre, notamment


à cause de la rigidité de chacune des catégories et c est pour cette raison que le terme
diglossie est attribué aux situations dans lesquelles plusieurs variations se confondent.
Bien qu une reconnaissance de l existence de ces différentes variétés linguistiques

puisse nous aider à mieux comprendre la façon dont une personne s exprime, pour
apprécier la manière dont les différents niveaux de langue se manifestent dans le
discours, il est nécessaire de considérer dans plus de détail les caractéristiques de ces

catégories.

Sur une échelle, il semble logique de distinguer trois niveaux de langue


principaux : familier, courant et soutenu. Cependant, on peut distinguer des degrés plus

précis dans les limites de chacun de ces niveaux, ce qui rend difficile la tâche de
déterminer le niveau exact de la formalité d un énoncé. En considérant la gamme de
sous-catégories pour le niveau « familier, » par exemple, il est ardu de préciser si un mot
ou un énoncé est familier, très familier, vulgaire ou insultant. Force est de constater que
cette question est également fortement subjective car cette détermination peut être
également une question de point de vue ; ce qui est courant pour une personne sera

5
peut-être familier pour une autre. Face à ces difficultés, plusieurs théoriciens ont essayé

de fournir des exemples concrets de ce qui est suggéré par telle ou telle catégorie, et
l échelle de formalité du théoricien anglais Peter Newmark est un exemple notable de
cet effort (Newmark 1988 : 14) :

Officialese The consumption of any nutriments whatsoever is categorically


prohibited in this establishment.
Official The consumption of nutriments is prohibited.
Formal You are requested not to consume food in this establishment.
Neutral Eating is not allowed here.
Informal Please don't eat here.
Colloquial You can't feed your face here.
Slang Lay off the nosh.
Taboo Lay off the fucking nosh.

Tenant en compte ces notions du registre, on comprend que la manifestation


linguistique d un certain niveau de langue peut se produire de manières différentes,
dans le lexique, la syntaxe, la morphologie et la phonétique d un énoncé. Pour trouver la
solution appropriée en traduisant un énoncé dit familier, il est souvent difficile de le

traduire en employant la même unité (lexicale, syntactique, morphologique ou


phonétique), à cause des innombrables différences entre le français et l anglais.
Visiblement, donc, la traduction littérale n est pas toujours possible. D ailleurs, même

quand un équivalent de l énoncé existe dans la langue d arrivée, une traduction littérale
n est pas forcément la meilleure solution si le traducteur vise à créer dans la traduction
un effet similaire à celui du texte original.

1.1.1. TRADUCTIONS LIBRES ET LITTÉRALES

Dans leur ouvrage Stylistique comparée de l anglais et du français, publié pour la


première fois en 1958, Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet identifient deux méthodes de
traduction, directe et oblique, qui comprennent sept stratégies : emprunt, calque,

6
traduction littérale, transposition, modulation, équivalence et adaptation (Vinay et

Darbelnet 1977 : 46-55). Ces catégories opèrent sur trois niveaux : le lexique, les
structures syntactiques et le message. Pour ce qui est des décisions prises par un
traducteur en traduisant un texte, pour choisir la bonne stratégie et le bon processus,

Vinay et Darbelnet proposent deux paramètres : servitude, où le traducteur se trouve


obligé de changer la forme d une phrase à cause de différences qui existent entre les
deux langues, et option, o‘ le traducteur est amené à faire des changements d après son

style et ses préférences (Vinay et Darbelnet 1977 : 31). Comme on le verra dans cette
étude, le traducteur de The Slap s est principalement appuyé sur des techniques
obliques, pour des raisons à la fois linguistiques et stylistiques.

Suivant les plusieurs méthodes de traduction proposées par des théoriciens tels

que Vinay et Darbelnet, il est valable de considérer les théories développées dans le
domaine de la traductologie la possibilité ou l impossibilité de produire le même effet
sur le lecteur du texte d arrivé que sur celui du texte de départ. Bien que fortement
subjectives, les théories de Eugene Nida, en particulier, sur l équivalence a eu une

considérable influence sur la façon dont on aborde la traduction d un texte étranger.


Nida propose deux sortes d équivalence: une équivalence formelle, qui met l important
sur le message transmis, en termes de la forme et du fond, et indique que le message du

texte cible devrait correspondre au plus près de celui du texte source, et une équivalence
dynamique, qui met l important sur l effet équivalent créé pour le lecteur du texte cible
dans la traduction du texte source (Nida dans Venuti 2004 : 161-162).

Dans le même esprit que Nida, Peter Newmark tente de fournir dans les années

un guide pratique pour le traducteur, mais s éloigne des idées de l équivalence, en


affirmant que le succès qu a eu la notion de l effet équivalent est trompeur. Newmark
considère qu il est impossible de reproduire dans une traduction le même effet que celui

de l original, et propose de remplacer les termes d équivalence par celles de traductions


communicatives et sémantiques :

7
Communicative translation attempts to produce on its readers the effect as close as
possible to that obtained on the readers of the original. Semantic translation
attempts to render, as closely as the semantic and syntactic structures of the second
language allow, the exact contextual meaning of the original. (Newmark dans
Munday 2008 : 44)

L idée de l équivalence dans la traduction peut être liée au débat éternel entre la
traduction mot pour mot et la traduction sens pour sens, qui s est vu complexifié dans le

20ème siècle pour permettre une considération plus profonde de la relation entre la lettre
et l esprit d un texte. La distinction rigide entre les deux choix étant assez restrictive à la
base, Antoine Berman propose dans son livre La Traduction et la lettre ou l Auberge du

lointain qu il faut élargir la définition de la traduction littérale en la dissociant de la


démarche de traduction mot à mot et l associant à un travail sur la lettre :

Tel me paraît être le travail sur la lettre : ni calque, ni (problématique)


reproduction, mais attention portée au jeu des signifiants. (Berman 1999 : 14)
Berman rejette la tendance dominante dans la traduction de traduire un texte de

manière ethnocentrique, c est-à-dire de l embellir et l approprier aux normes


hypertextuelles de la culture d arrivée pour faire sortir la signifiance d un texte. Il refuse
donc les idées proposées par Nida sur l équivalence, en affirmant que le traducteur a

besoin de et a tout intérêt à suivre une démarche plus littérale pour trouver un moyen
de faire de la langue traduisante « l auberge du lointain » (Berman 1999 : 15).

Comme on le verra en étudiant plusieurs exemples de la traduction du langage


cru ou blasphématoire dans The Slap, le conflit entre la manière dont le sens est
manifesté par la forme d un énoncé et la possibilité de s éloigner de cette forme du texte

original pour tenter de produire le même effet sur le lecteur étranger, a posé de
nombreux problèmes dans la traduction. On pourrait éventuellement en déduire qu il
n y a pas eu suffisamment de distinction entre ce qu un mot peut communiquer en

termes de son sens et en termes de sa force ou ses connotations.

8
1.2. LE MOT FUCK(ING)

Parmi les trois mots vulgaires systématiquement repris dans The Slap, le plus
employé est sans doute fuck et ses variations. Le mot apparait sans cesse dans tous les
chapitres du livre et il est employé par tous les personnages, quel que soit leur âge ou

leur milieu, comme nom et comme verbe, et comme adjectif dans sa forme gérondive
fucking. Le caractère foncièrement dynamique du mot fuck(ing) pose un certain nombre
de difficultés dans sa traduction et Julie Adam en discute dans un article sur la

traduction de la nouvelle A Summer Girl de John McKenna de l anglais vers le français,


car le mot est fréquemment répété dans le texte de départ :

Comme il est impossible de proposer un équivalent unique pour ces nombreux fuck
et fucking, nous avons traité chacun des cas selon le contexte. La reprise
systématique d'un même mot aurait en effet semblé lourde en français, tandis que
l'anglais tolère très bien ces répétitions. L'essentiel étant de reproduire un effet
similaire à celui qu'exerce le texte original sur le lecteur anglophone, il fallait donc
étudier les diverses valeurs que prennent les mots fuck et fucking dans la phrase et,
plus largement, dans l'économie du texte. (Julie Adam, 1996 : 187)

Ces deux difficultés principales rencontrées dans la traduction du mot fuck dans

la nouvelle de McKenna peuvent être également appliquées à la traduction de The Slap,


car le traducteur s est sans doute posé les mêmes sortes de questions sur l impossibilité
de proposer un seul équivalent pour cet hyponyme et la lourdeur de la répétition en

français. Pour essayer de surmonter les difficultés posées, Adam a eu recours au


contexte de chaque emploi de fuck(ing) dans le texte de McKenna et a identifié
quatre valeurs du mot : sens littéral, injure, expressions de colère, mépris ou amertume

et expressions d insistance. Si ce même procédé d identification des valeurs du mot fuck


a été poursuivi par le traducteur pour son usage dans The Slap, la traduction du livre ne
propose pas une possibilité unique selon la valeur identifiée pour chaque cas, à

l exception du sens littéral du mot, pour lequel baiser est en général proposé. Cette
tendance peut être notée dans les choix pour fucking quand le mot est employé comme
un adjectif dans une expression insultante. Dans ces cas, l adjectif est souvent traduit par
une formule qui comprend un nom familier ou grossier suivi par « de » et ensuite par le
9
nom approprié, tels que « sale … de, » « connard de » ou « espèce de, » qui sont

employées dans les cas suivants :

« Fucking poofter soapie wanker. » (p. 52) « Connard de pédé de feuilleton de


merde. » (p. 73)

« You fucking animal! » (p. 41) « Espèce de bête sauvage ! » (p. 58)

« Fucking liar. Fucking wog cunt liar. » (p. « Sale con de menteur. Sale con de
280) métèque. » (p. 349)

Bien que ces choix représentent une tendance assez large à employer une structure
similaire dans la traduction de ce type de fucking, les trois solutions principales
proposées élargissent considérablement le champ lexical du texte. Quand on considère

que le texte français contient de nombreux exemples similaires pour la traduction de


fuck(ing), il semblerait que le traducteur n ait pas accordé une grande importance à la
valeur du mot pour sélectionner une option unique de traduction pour chaque cas, et il

serait donc plus valable d étudier les possibilités proposées pour la traduction de
fuck(ing) dans The Slap de manière plus générale.

Une première tendance que l on remarque dans la traduction de fuck(ing) est

l emploi d un équivalent approximatif, c est-è-dire d un juron ou une expression


grossière. Ce type de choix peut être observé dans des exemples comme celui où Gary
justifie à Rosie pourquoi il veut continuer à louer une maison au lieu d en acheter une.

« I m not having a fucking mortgage « Je me fous pas un emprunt au cul. » (p.


round my neck. » (p. 241) 301)

Cette traduction étoffe l adjectif fucking en proposant l expression grossière « foutre au

cul, » et le verbe « foutre » est également employé ailleurs dans le texte français pour
traduire fuck quand le mot est utilisé comme un verbe, mais ainsi que pour traduire
d autres unités lexicales du texte original. Autrement, des expressions telles que « ta

gueule, » « au cul » ou « fait chier » sont employées plusieurs fois pour traduire les

10
formules impératives du texte original comme « fuck you, » « fuck off, » ou « shut the fuck

up, » comme dans les exemples suivants tirés du chapitre d (arry2 :

Fuck you, losers. (p. 83) « Au cul, les blaireaux. » (p. 11)

Fuck. You. (p. 86) « Fais chier. » (p. 115)

« Fuck off, Hector. » (p. 122) « Ta gueule, Hector. » (p. 160)

Pour les cas où fuck est employé dans des interjections ou exclamations isolées,

« merde » ou « putain » sont habituellement proposé. Quand Hector dit fuck après avoir
tâché sa chemise, par exemple, le texte français traduit le mot par « merde » :

« Fuck! » (p. 15) « Merde ! » (p. 26)

Ces plusieurs tendances font partie d une sélection plus large d un vocabulaire grossier

pour traduire les nombreux fuck(ing) du texte original, une sélection qui maintient dans
une certaine mesure le ton cru du texte original, quoiqu en proposant un champ de

termes et expressions plus étendu.

Si un lexique grossier est parfois adopté pour la traduction de fuck(ing), il y a


également des cas où aucun équivalent n est proposé. L ordre qu Harry adresse à son

employée est un exemple de cette sorte de suppression :

« And no more fucking junk food. » (p. 90) « Arrête les hamburgers. » (p. 119)

Sans doute le traducteur a-t-il décidé que l adjectif fucking était superflu dans cette
phrase, comme elle se trouve dans le chapitre d (arry qui est déjà imbibé de langage cru,

mais l enlèvement du langage grossier ici a pour résultat d apaiser l ordre qu (arry
donne à Alex, la rendant moins insistante. On peut prendre un autre exemple de

2
L’absence de guillemets dans les deux premiers exemples donnés en anglais est due au choix de la part du
traducteur de différencier les pensées des personnages de la narration.

11
l absence d une traduction du mot fuck(ing) dans le texte français du chapitre d Anouk,

quand lors d une conversation avec Aisha, cette dernière parle de son mari :

« He s so fucking Greek at times. » (p. 58) « C est son côté grec qui ressort. » (p. 78)

Encore une fois, l adjectif fucking n est pas gardé dans la traduction, qui module la

phrase pour en communiquer le sens. Bien que ce sens soit rendu dans le texte français,
la frustration que ressent Aisha à propos de l attitude de son mari n est pas aussi
marquée à cause de l absence d une traduction du mot fucking qui accentue ses

sentiments. Le choix de ne pas toujours traduire le mot fuck(ing) quand son emploi n est
pas crucial dans le sens principal de l énoncé n a pas forcément d effet négatif sur la
communication de ce sens, mais modifie toutefois la manière dont il est communiqué.

Ailleurs dans le texte français, un lexique qui est plus familier que grossier est
parfois employé pour traduire fuck ou une expression qui contient ce mot. Dans le

premier chapitre du livre, Hector rentre dans la maison en entendant les enfants se
disputer :

« I came in to see what the fuck « Je suis venu voir ce qui se passait
happened. » (p. 28) encore. » (p. 42)

Dans cette réponse qu il donne à la question de sa femme, l expression « what the fuck »
est traduite par « encore » et la phrase perd tout aspect de crudité.

Une stratégie plus courante de traduction employée dans le texte français qui
rend l expression originale plus familière consiste à ne pas proposer d équivalent de
fuck(ing) au niveau lexical, mais de rendre l ensemble de l énoncé traduit plus familier
que celui du départ. Ce phénomène se fait surtout remarquer quand le mot fuck(ing) est

employé dans le dialogue du livre. Pour un exemple de ce type de compensation dans la


traduction, on peut considérer ces phrases, prononcées par l adolescente Jenna, tirées
du chapitre de Connie :

12
« Have you got a cigarette? … I need a « T’as pas une cigarette ? … J ai besoin
fucking cigarette. How much money have d une cigarette. Combien on a de fric ? » (p.
we got? » (p. 150) 193)

Dans cet exemple, on constate une omission de l adjectif fucking, mais l énoncé français
est rendu familier à travers une modification syntactique et un vocabulaire argotique.
Pour ce qui est de la syntaxe, on voit deux questions posées de manière informelle, sans

inversion ou l emploi de la formule « est-ce que. » Cette familiarité est accentuée dans la
première question par une contraction phonétique (« tu as » qui devient « t as ») et
l absence du « ne » dans la négation, et dans la deuxième par la traduction du mot money

par « fric. ». Dans la traduction, il semblerait que le traducteur ait décidé que l élément le
plus important à respecter était l oralité de l énoncé, selon sa variation diaphasique. Bien
que le texte français perde l insistance qui est installée dans l énoncé original par

l adjectif fucking, la traduction trouve des moyens pour donner un fort caractère oral à
ces phrases prononcées par une adolescente, adressées à une autre adolescente.

Pour un deuxième exemple, on peut considérer cette déclaration de nature


impérative que Gary adresse à sa femme :

« I work for that money, that s my « Je travaille pour le gagner, ce fric. C est
money – you do shit-all. Give me my à moi. Tu fous que dalle, toi. Donne-moi
fucking money. » (p. 315) ma thune. » (p. 282)

Dans cet exemple, une traduction directe de l adjectif fucking n est pas proposée, mais on

voit une sorte de compensation dans l emploi du verbe « foutre » pour traduire to do
(suivi par « que dalle » pour shit-all), ainsi que les deux noms familiers « fric » et
« thune » pour traduire money. On remarque également une modification de la syntaxe

pour permettre des phrases plus familières et typiques du langage parlé, notamment
dans le dédoublement du sujet dans la première et la troisième phrase (« ce fric » et
« toi » ajoutés en apposition).

13
Un dernier exemple de ce genre de modification syntactique dans la traduction

de fucking employé dans le dialogue du livre peut être constaté dans la traduction d une
phrase prononcée par Rosie, adressée à sa mère :

« Yeah, Mother, I am fucking working. I m « Ouais, un peu que je bosse. J élève un


raising my child. » (p. 235) enfant. » (p. 294)

L adverbe fucking n est pas traduit directement, mais l énoncé devient plus familier en

français à cause de la structure syntactique adoptée avec l addition de la formule orale


« ouais, un peu que, » et l emploi du verbe « bosser » pour traduire work. En général, des
choix comme ceux-ci ont pour effet de baisser le registre des énoncés, leur attribuant un

aspect d oralité qui est plus accentué que dans les énoncés du texte original.

En constatant l abondance de possibilités proposées pour la traduction du mot


fuck(ing), on arrive à la conclusion qu il n y a pas de véritable tendance fixe dans les

choix pris. Le traducteur ne s est donc pas forcément référé à la valeur du mot pour
établir une démarche systématique, et il semblerait plus logique de supposer qu il a
considéré l ensemble du contexte de l énoncé comme il apparait dans le texte original et
a cherché à trouver la traduction qui serait la plus naturelle, identifiant pour chaque cas

isolé une expression équivalente approximative et non littérale. La considération de ces


exemples dans la traduction du mot fuck(ing) confirme les difficultés linguistiques et
stylistiques dans la traduction évoquées par Julie Adam que pose sa présence dans un

texte anglais. Cependant, bien qu aucun mot en français n ait le même réseau signifiant
que ce mot anglais, et bien que la répétition systématique d expressions ou de mots
particuliers en français ne soit pas aussi bien tolérée qu en anglais, ce raisonnement ne

prend pas en compte la réalité qu en anglais cette sorte de répétition est en fait peu
conventionnelle et très lourde. La reprise d un vocabulaire cru, en particulier du mot
fuck, a justement contribué au choc qu a provoqué ce livre pour ses lecteurs
anglophones. Si on cherchait à développer l hypothèse qui est proposée par Adam, selon
laquelle la même répétition d un seul mot dans un texte français serait stylistiquement
lourde, on pourrait également essayer de comprendre les choix pris dans la traduction

14
de The Slap en se demandant si la langue française ne possède pas un réseau de langage

familier plus vaste que l anglais. Suivant cette idée, on pourrait attribuer cette absence
de la même répétition au fait qu il serait éventuellement plus naturel dans les mêmes
circonstances en français d employer une plus grande variété de termes, puisqu un mot

unique n est pas employé autant que fuck. Cela serait donc pour des raisons
d authenticité, et non seulement de style, que le traducteur a décidé de ne pas modérer
ses choix lexicaux. Cependant, que ce soit pour des contraintes stylistiques ou

linguistiques, le fait reste que la version française de The Slap n est pas aussi choquante
en termes de la crudité du langage employé que la version originale.

1.3. LES MOTS COCK ET CUNT

Outre la présence flagrante du mot fuck dans The Slap, les mots cunt et cock sont

très fréquemment employés, utilisés pour désigner le sexe féminin ou masculin ainsi
qu en tant qu insulte.3 La répétition de ces deux mots renforce la gravité des problèmes
que pose le désir sexuel pour les personnages dans l histoire et rend le sujet des
relations sexuelles entre les différents personnages plus érotique, vulgaire et cru. Dans

le texte français, on remarque plusieurs propositions différentes pour traduire ces deux
mots. Comme on peut noter dans les exemples suivants, quand les mots cunt et cock sont
employés pour désigner l organe sexuel, un terme neutre est souvent proposé,

notamment « vagin » et « sexe. » Le premier exemple est tiré du chapitre d (ector, le


deuxième de celui de Connie et le dernier est une description fournie par Richie de
l anatomie de l ami dont il est amoureux :

Sweet young cunt. (p. 1) Jeunes et doux vagins. (p. 9)

He touched her face, her lips, her nipples, Il effleura son visage, ses lèvres, ses tétons,

3
Le mot cock est moins fréquemment employé en tant qu’insulte que cunt, et dans ces cas il est ajouté à un autre
mot pour former un mot composé, par exemple cocksucker.

15
her cunt. (p. 371) son sexe. (p. 462)

He did take peeks, he couldn t help it. He Quoique, incapable de se retenir, Rich
could describe every part of Nick s l observait en douce, volant chaque fois
anatomy, a composite body he had quelque détail de son anatomie qu il
snatched in illicit glances. The light wave savait aujourd hui ordonner comme un
of golden hair underneath Nick s balls, puzzle. Une vague légère de poils blonds
the almost scarlet blotch of the sous les testicules ; la tache de vin au-
birthmark above his friend s right nipple, dessus du sein droit, d un rouge presque
the boy s stubby, hooded cock, so much vif ; le pénis boudiné de son ami, bien
smaller than his own. (p. 449) plus petit que le sien. (p. 554)

… the feel of his mouth against hers when … la sensation de sa bouche contre la
they kissed, his cock filling her cunt as they sienne, son sexe dans le sien. (p. 462)
fucked. (p. 372)

Le dernier exemple est particulièrement frappant, puisque la puissance des trois mots

vulgaires employés dans le texte original est fortement diluée dans le texte français et le
passage devient tout de suite moins érotique. Dans tous les cas, l emploi d un terme plus
clinique a pour effet de retirer de l émotion du livre, dans lequel les problèmes que

provoquent l amour et les relations sexuelles pour les personnages sont d une grande
importance. La différence entre la grossièreté des termes proposés dans les deux textes
modifie également la manifestation de l attitude des personnages du livre envers ce

sujet. Ce même effet est produit quand la phrase est parfois remaniée pour permettre la
suppression du mot :

I wanted to scream but he had his hand over Elle avait voulu crier mais il avait mis sa
my mouth. His hands were on her legs, then main sur sa bouche. Puis sur ses jambes,
up her cunt. (p. 181) dans sa culotte.4 (p. 230)

With his eyes closed, he was recalling the Les yeux toujours fermés, il repensait aux
soft, sparse bristles of Connie s cunt. (p. 48) poils pubiens de Connie, rares et légers.
(p. 68)

4
Le changement de perspective dans le texte de départ n’est pas maintenu dans le texte d’arrivée.

16
Richie s cock was hard. (p. 436) Il bandait. (p. 538)

Malgré la fréquence de ce type de choix dans la traduction qui apaise la


grossièreté du texte original, un lexique plus chargé est parfois proposé. Dans ces cas, les

choix oscillent entre l emploi de « queue » et « bite » pour cock, et, deux fois, le mot
« con » est proposé pour cunt pp. et , dans les chapitres d (ector et de Richie .
Les exemples ci-dessous, tirés des chapitres d (ector, de Connie et de Richie

(respectivement), illustrent cette tendance :

… their bodies, their cunts, their skins both … leur corps, leur con, leur peau à la fois
one and distinct for him. (p. 49) distincts et uniques. (p. 69)

« Its all about cock. » (p. 158) « Afer de bite. » (p. 202) 5

His cock looked too big, grotesque, on his Sa queue était grotesque, trop grosse pour
too-thin body. (p. 436) ce corps trop maigre. (p. 539)

Quoique rares, des traductions comme celles-ci réussissent à maintenir dans le texte

français la crudité du langage du texte original. Cependant, il faut reconnaître que cette
crudité n est maintenue que dans ces cas isolés puisque la non-reprise systématique de

ces mots ailleurs dans le texte réduit globalement leur force.

Quand cunt est employé en tant qu insulte, adressée à des hommes comme à des

femmes, la traduction propose en général le mot « con » ou « connard, » ou ses formes


féminines. Quand Gary s adresse à son avocate, par exemple, le mon « conne » est
employée dans le texte français :

« You re a cunt. » (p. 280) « Vous êtes une conne. » (p. 350)

5
Erreurs reproduites telles qu’elles apparaissent dans les deux textes.

17
Bien que le mot « con » puisse être employé en français pour désigner le sexe féminin et

qu il ait ainsi une connotation sexuelle, son emploi familier courant rend la présence du
terme moins frappante dans le texte français que le mot cunt en anglais. Le mot « con »
est également employé ailleurs dans le texte français pour traduire une variété d autres

jurons du texte anglais, tels que (mother)fucker, bitch et bastard et son usage n est donc
pas limité à la traduction du mot cunt. De plus, même si c est le choix le plus habituel
pour la traduction de cunt, ce n est pas le seul mot proposé ; d autres jurons insultants,

tels que « pétasse » et « salope, » sont également employés, ainsi que plusieurs cas où
aucun équivalent grossier n est fourni :

Gary was on his feet, staggering, looking Gary avait quitté son siège et, titubant,
in confusion from his wife to Harry. Harry regardait alternativement son épouse et
did not take his eyes off the cunt. (p. 131) Harry, qui avait les yeux rivés sur elle. (p.
170)

L absence d une traduction unique pour le mot cunt employé comme insulte ainsi que

l écart entre la grossièreté du mot et celle des plusieurs traductions proposées ont pour
effet d apaiser le caractère choquant de sa présence dans le texte original.

Le traducteur semble être conscient de la différence entre la force du mot cunt et


les traductions proposées. Pour contrebalancer cette différence, il a recours à des
stratégies de compensation lexicales et syntactiques, employées à plusieurs reprises

dans le texte français. Un premier exemple de compensation peut être tiré d une
conversation entre Rosie et son coiffeur qui réagit à la nouvelle qu un homme a giflé
Hugo :

« That s right, we should kill the cunt. Mind « Mais ouais, faut le zigouiller, ce connard.
my language. But we should kill him. » (p. Pardon si je suis grossier. Mais bon, c est
263) ça, quoi. » (p. 328)

Dans cet exemple, l énoncé français est plus caractérisé par une oralité que l anglais

pour essayer de pallier la différence de force entre cunt et « connard. » Dans la syntaxe,
on remarque l absence du pronom « il » avant le verbe « falloir » qui est conjugué au
présent, un dédoublement du sujet dans l ajout de « ce connard » en apposition et les

18
formules typiquement orales « Mais ouais, » « Mais bon, » et « quoi. » Cette syntaxe

populaire est complémentée par l emploi d un lexique familier avec « ouais » et


« zigouiller. » Un deuxième exemple peut être tiré du chapitre d (arry :

« What s it to you, cunt? » (p. 99) « C que ça peut te foutre, pétasse ? » (p.
131)

Ici, le verbe « foutre » est employé dans une expression grossière pour traduire

l expression familière du texte original, et couplé à la contraction du début de l énoncé,


où on voit « C que » à la place de « Qu est-ce que, » ce choix rend la question en entier
plus familière pour compenser la différence de niveau de langue entre cunt et

« pétasse. » Dans l exemple ci-dessous, Aisha et Rosie se disputent autour d un café dans
Victoria Parade et Rosie insulte le mari d Aisha en le traitant de cunt. Elle dit :

« Hector s always been a cunt. » (p. 424) « Il a toujours été con, celui-là ! » (p. 524)

Cette réplique est suivie par une réflexion de la part d Aisha : « It was such an ugly, brutal

word. The word struck her hard as a blow. » Pour souligner la puissance du mot comme il
est employé dans ce contexte, le texte français a recours aux éléments extralinguistiques

de la ponctuation et de la typographie, ainsi qu une forme syntactique qui permet une


accentuation à la fin de l exclamation celui-là rajouté en apposition). Dans la traduction,
au lieu que ce soit le mot lui-même qui frappe Aisha, c est la façon dont Rosie le dit, sa
passion exagérée par l emploi des italiques et du point d exclamation. Cette addition

d un point d exclamation après un énoncé particulièrement énergique dans le texte


français n est pas un cas isolé et sert à insister sur le ton de ce qui est dit. Cette
insistance est peut-être fait qu indépendamment, le vocabulaire employé dans la

traduction ne réussisse pas toujours à avoir le même effet que celui du texte original.

)l n est visiblement pas possible de choisir un seul équivalent pour les


hyponymes cunt et cock dans l ensemble du texte, pour les raisons évoquées plus haut

concernant la traduction de fuck. Toutefois, dans les traductions proposées pour les cas
où le vocabulaire est employé pour référer aux sexes masculin ou féminin, il s agit

19
vraisemblablement d une incohérence, faisant perdre l insistance sur la grossièreté de

l acte de faire l amour qui est présente dans le texte de départ.

1.4. LA RÉPÉTITION DE FUCK/CUNT/COCK DANS UN SEUL ÉNONCÉ

Complémentant l usage fréquent de ces trois mots dans le texte en général, le


livre présente des cas où fuck, cunt et cock sont répétés dans un seul énoncé. Souvent, la

traduction ne maintient pas cette répétition et les énoncés finissent par perdre une
partie importante de leur force, comme on peut observer dans les exemples suivants. Ce
premier exemple apparait dans le roman quand Harry confronte sa femme à propos
d une conversation qu elle a eue avec son cousin :

« What fucking story, Sandi, what fucking « Mais putain, quelle affaire, Sandi ? » (p.
story? » (p. 110) 144)

La répétition du mot fucking dans cette question renforce la nature menaçante de


l interrogation, de manière à ce que l on sente dans le ton employé la brutalité d un

homme qui a déjà maltraité physiquement sa femme. L insistance évoquée dans la


répétition de fucking n est pas manifestée en français comme en anglais, ce qui fait en
sorte que le lecteur du texte français ne soit pas amené à comprendre la peur de Sandi
de la même manière que celui du texte original. Le deuxième exemple est encore un

énoncé tiré du chapitre d (arry, cette fois-ci quand il pense à (ugo, l enfant qu il a giflé
au barbecue :

That fucking cunt of a child, that fucking Ce sale con de gamin, cet animal. (p. 160)
animal of a child. (p. 122)

La reprise de la même structure dans la deuxième proposition avec l unique changement

dans la syntaxe étant celui du remplacement du nom cunt par animal, n est pas
maintenue dans la traduction. Cette contraction de la deuxième proposition et l absence
du même rythme dans la traduction dissimule la manière obsessive dont Harry pense à

l enfant et au fait de l avoir giflé, estompant l importance de cette question dans le texte
20
plus largement. Le troisième exemple, peut-être le plus frappant, est tiré du chapitre de

Rosie. C est son mari, Gary, qui parle à leur avocate :

« You’re a cunt. [… ] You know why « Vous êtes une conne. [… ] Et vous
you’re a cunt? [… ] You’re not a cunt savez pourquoi ? [… ] Je ne vous reproche
because you re free, you’re not a cunt pas de ne rien coûter, ni d avoir mal fait
because you didn t do your work. You’re votre boulot. Vous êtes une conne parce
a cunt because you didn t stop her, que vous n avez pas arrêté Rosie, parce
you’re a cunt because you let her go que vous l avez laissée poursuivre avec
ahead with it. » (p. 280) ses conneries. » (pp. 349-350)

La traduction ne maintient pas la répétition de la structure « You re/you re not a cunt, »

employée cinq fois dans le texte original, et le texte français perd donc le ton menaçant
du discours. De plus, les deux fois où le mot cunt est traduit, la traduction propose le mot
« conne, » un mot qui est considérablement moins fort que cunt en anglais. Un effort

pour compenser ce manque de force peut être noté dans la traduction du mot it par
« conneries ».

Que ce soit pour des raisons stylistiques ou à cause d une impossibilité


linguistique, le non-respect de la répétition des mots fuck, cunt et cock dans la
traduction, dans des énoncés isolés ainsi que dans le texte plus largement, contribue à la
suppression d un élément significatif du texte original. L emploi incessant d un lexique

très cru dans The Slap a choqué de nombreux lecteurs et le fait que le texte français ne
reproduise pas ce même effet stylistique prive le lecteur francophone du droit de réagir
au texte de la même manière que celui du texte original.

1.5. BLASPHÈMES

Outre l emploi d un vocabulaire particulièrement vulgaire, The Slap contient une

forte présence de blasphèmes, les personnages se permettant de supplémenter à leur


gré leurs énoncés des jurons Christ, God et Jesus, ainsi que des expressions comprenant
ces trois mots. Ce vocabulaire est employé de plusieurs manières, notamment dans des

21
interjections qui communiquent du choc, de la surprise et de l incrédulité, et sa présence

dans le texte renforce l importance des désaccords entre plusieurs personnages


engendrés par la religion. Dans le texte français, la présence de ces mots est beaucoup
moins fréquente et les jurons sont principalement traduits par un langage familier ou

cru, ou sinon omis, plutôt que par des équivalents formels.

Pour les cas o‘ l interjection originale est traduite en utilisant un lexique grossier,
il n est pas rare de voir des traductions avec « merde » ou « putain », par exemple dans

les énoncés suivants :

« Jesus, Harry. Are you going to fire me? » « Merde, Harry, tu vas pas me virer ? » (p.
(p. 94) 124)

« Jesus Christ, I m so fucking tired. » (p. 58) « Putain, ce que je suis crevé ! » (p. 144)

Ailleurs dans la traduction, on voit « enfin » ou « waouh » souvent employé pour


traduire la surprise communiquée dans des exclamations telles que For God s sake ou

(Oh) my God, et des variations de « aller savoir » à l impératif pour traduire l incrédulité
exprimée dans des expressions comme God knows, comme dans les exemples suivants :

« Calm down, for God s sake. » (p. 131) « Mais enfin, calme-toi, » (p. 170)

« God knows. They looked like hookers but « Va savoir. On aurait dit des putes. Seize
they could have been sixteen. They were ans, peut-être. Probablement douze. » (p.
probably twelve, » (p. 67) 91)

Autrement, le lexique blasphématoire est souvent remplacé par une autre exclamation

familière, comme pour :

« Jesus F Christ. She really watched that « Sans déconner, elle regarde vraiment
shit? » (p. 32) cette merde ? » (p. 48)

Dans certains cas, la traduction ne propose pas d équivalence pour l interjection


blasphématoire du texte original, l omettant entièrement ou modifiant légèrement la

22
syntaxe originale pour essayer de rendre les mêmes intentions de l énoncé original. Un

effort de compensation peut être constatée dans un exemple comme :

« Christ, the man was a whiner. » (p. 129) « C était vraiment une couille molle, ce
type. » (p. 168)

Bien que le mot Christ ne soit pas reproduit dans la traduction, un lexique plus familier
est employé pour traduire a whiner par « une couille molle, » et the man par « ce type »,

et ceci est combiné avec le changement dans la syntaxe dans la phrase française où on
voit un dédoublement du sujet (« ce type » ajouté à la fin de l énoncé .

Malgré ces trois choix principaux de traduction qui favorisent à la place de

l interjection blasphématoire du texte original une interjection en français qui est


familière ou grossière, ou à omettre l interjection entièrement en proposant un énoncé
exprimé dans un français globalement plus familier, on voit à plusieurs reprises une

traduction qui maintient le lexique blasphématoire du texte original. De temps à autre


dans la traduction, des phrases qui contiennent un blasphème sont traduites en
employant l équivalent formel du lexique en français ou sinon un autre mot ou une autre
expression contenant une référence religieuse. Cette tendance peut se faire remarquer

dans les exemples suivants :

« God, thought Anouk, let s not have this « Bon Dieu, pensa Anouk, on ne pourrait
conversation. » (p. 74) pas changer de sujet ? » (p. 99)

« Oh for God’s sake, Kiki. » (p. 348) « Pour l’amour du ciel, Kiki. » (p. 411)

Tenant en compte les exemples cités ci-dessus, il semblerait que la traduction ait

visé à proposer dans le texte français des équivalents dynamiques du langage


blasphématoire employé dans le texte anglais. Le résultat de ces choix de traduction se
manifeste dans la réduction du nombre de jurons blasphématoires dans le texte français.

On pourrait éventuellement supposer que cette différence entre les deux textes est à

23
cause du fait que ce type de langage soit jugé comme étant moins courant en français

qu en anglais, et cette hypothèse expliquerait pourquoi la traduction a sans doute


cherché à fournir des équivalents et non des traductions littérales des jurons employés
par les personnages, s inspirant du contexte pour trouver la solution la plus appropriée

et naturelle pour chaque cas, puisqu il aurait semblé étrange d inclure autant de
blasphèmes dans le texte français que dans le texte original. Cependant, dans un livre où
la question de la religion joue un rôle aussi important, on peut se demander si cette

méthode de traduction ayant pour conséquence la réduction d un nombre de


blasphèmes dans le texte d arrivée que dans celui de départ ne fait pas perdre le point
focale sur les tensions que provoque la religion entre les différents personnages du

texte.

1.6. COMPENSATION

En étudiant les exemples ci-dessus de la traduction du langage cru et

blasphématoire du texte original, on remarque ce qui ressemble à des efforts pour


pallier la différence entre le niveau de langue des tournures originales et celles
proposées dans le texte d arrivée. Cette compensation qui se fait à l intérieur d énonces
individuels est complémentée dans l ensemble du texte français par une tendance plus

large à moduler les énoncés du texte original pour finir avec un texte qui est
globalement plus familier. La familiarisation du lexique et de la syntaxe du texte original
se fait dans la traduction sur plusieurs niveaux.

L emploi continu d un vocabulaire plus familier que celui du texte original est
l une des stratégies principales de compensation employée dans la traduction.
Conformément à cette stratégie, la traduction recourt souvent à l emploi d un lexique
français familier en traduisant des mots anglais standards, probablement pour essayer
de pallier les occasions où une option aussi familière n existe pas en français. Le mot le

24
plus souvent familiarisé dans la traduction est child(ren) qui est rarement traduit par

« enfant ; » c est surtout les mots « môme, » « gosse » ou « gamin » qui sont proposés,
comme dans les exemples ci-dessous :

He was fucking sick of children. (p. 23) Il en avait plein le cul, des mômes. (p. 51)

« No! No no no no no! » It was as if the child « Non ! Non non non non non… » Comme si
had become lost in the very word… (p. 39) le gamin se fondait dans ce seul mot… p.
57)

A child, she was a child. (p. 44) Une gosse, c était une gosse. (p. 63)

D autres exemples notables de cet emploi d un vocabulaire familier pour traduire le


lexique standard du texte de départ sont le choix du mot « clope » pour traduire

cigarette, « fric » ou « thune » pour money, « bosser » pour les verbes work ou study, et
« bouffer » ou « bouffe » pour eat ou food.

« There s heaps of food. » (p. 37) « Il y a des tonnes de trucs à bouffer ! » (p.
54)

« All they were, all they screamed of was « Tout simplement, ils puaient le fric par
money. » (p. 275) tous les pores. » (p. 344)

Le lexique du texte français se voit également popularisé dans l inclusion de diminutifs,

tels que « champi, » « ado, » « mécano, » « scénar » et « intello, » comme dans les
exemples suivants :

« I m thinking of quitting the job. » (p. 79) « J envisage de donner ma dém. » (p. 106)

« She slipped them into her mouth and took « Elle les glissa dans sa bouche et les avala
a quick sip of champagne. » (p. 362) avec une gorgée de champ’. » (p. 451)

« Can t find a leak in the radiator so I m just « Je ne vois pas de fuite au radiateur, alors
checking out the fan. » (p. 90) je vérifie le ventilo. » (p. 120)

25
Ailleurs, le texte français propose des mots argotiques ou de verlan pour certains

personnages qui s expriment de manière particulièrement familière ou grossière , en


particulier Harry, et les adolescents Connie et Richie.

The cunt cop didn t return the laugh. (p. Le keuf n avait pas envie de rire. (p. 139)
106)

« I dunno, » Jenna looked like she wanted to « Chaipas, dit Jenna d un air meurtrier. Fais
hit Tina. « Don t be such a wog, bitch. [His pas ta salope, métèque. Elle devait dormir,
mum] was probably asleep. » (p. 153) sa reum. » (p. 196)

She and Jenna and Tina dressed up for a Connie, Jenna et Tina super sapées avant
party. (p. 147) une teuf. (p. 189)

Maybe he was stoned. (p. 146) Peut-être avait-il fumé un oinj ? (p. 188)

« No logo. Boss. I like that. » (p. 185) « No logo. Enorme. Je kiffe. » (p. 234)

Ces exemples comprennent également des modifications syntactiques et phonétiques


(dislocation, contraction de la négation, transcriptions phonétiques), non forcément

employées comme formes de compensation, mais dans un effort de reproduire le ton


familier des énoncés des personnages du texte original, puisque des formules
syntactiques et un vocabulaire familier et souvent argotique, et dans le cas de Connie,

Richie et leurs amis, typique des adolescents anglophones (et parfois australiens), sont
déjà employés dans le texte de départ. Bien que l on puisse proposer que le texte
français a globalement plus tendance à employer un langage familier que le texte
original, l emploi d un nombre plus important de diminutifs, de structures syntactiques

oralisées et de vocabulaire argotique ou familier qui figure dans ces chapitres qu ailleurs
dans le texte sert à accentuer les énoncés d (arry et des adolescents, les différenciant
des manières de s exprimer des autres personnages du livre, représentatif donc du style
du texte original.

26
Une stratégie complémentaire de compensation peut être observée dans la

modification plus générale du vocabulaire et de la syntaxe d un énoncé, o‘ la phrase est


remaniée pour qu elle soit plus familière que celle du texte original. En termes du
vocabulaire, des mots comme ceux cités ci-dessus sont souvent employés à la place du

lexique standard dans le texte original, et pour ce qui est de la syntaxe, on voit souvent
des traductions étoffées dont les phrases contiennent un dédoublement du sujet, la
suppression du « ne » dans la négation ou des contractions phonétiques de mots ou

expressions. Un exemple de ce genre de remaniement syntactique apparait dans le texte


quand Anouk repense à la conversation qu elle a eue avec son employeur :

« Bravery would have meant walking out, « Il aurait été plus courageux de dire à ce
telling him what she really thought of con ce qu elle pensait au fond d elle, de
him, of his laziness and rudeness and lui jeter à la gueule sa paresse, sa
incompetence. » (p. 55) grossièreté et son incompétence. » (p. 76)

Le texte français propose pour cet énoncé une traduction qui étoffe le verbe to tell en

deux tournures familières comprenant un lexique familier. Cette décision d ajouter au


texte français un aspect de grossièreté absent dans le passage original pourrait être

attribuée à la volonté de profiter de la gamme de langage familier disponible en français


en insérant dans le texte des tournures familières qui semblent être appropriées sans
que le traducteur se limite à une insertion de ces tournures dans une phrase qui contient
du langage familier dans le texte de départ. De plus, cette décision semble représenter

une approche plus libre de la traduction du langage cru et familier selon laquelle le
traducteur esquive les difficultés posées par le texte original au niveau de chaque
énoncé. S il n est pas envisageable, par exemple, qu un énoncé qui contient un juron en

anglais soit prononcé naturellement en français par un personnage, le traducteur


n essaie pas de respecter les contraintes du contexte immédiat du texte original. Il tente
plutôt de considérer le contexte global du passage et de déplacer la présence du langage

familier ou grossier ailleurs dans le texte où il ne serait pas anormal dans la langue
d arrivée.

27
La confirmation de ce raisonnement peut se faire remarquer dans le même

passage que celui où Anouk pense à son employeur. Suivant sa réflexion personnelle,
elle prend part à une discussion avec Aisha :

« It s not his fucking mother, it s you… » (p. « Mais non, ce n est pas sa mère, c est
58) toi… » (p. 80)

Si, en n adoptant pas le raisonnement du traducteur à savoir que le langage cru employé

dans la phrase originale serait mieux intégré ailleurs en français, comme par exemple
dans l emploi des expressions familières « dire à ce con » et « lui jeter à la gueule » de la
phrase citée ci-dessus, la suppression de l adjectif fucking ici n est pas facile à expliquer.

L approche libre de la traduction du langage familier qui est reflétée dans la suppression
ou l assouplissement de la crudité de certaines parties du texte original réussit peut-être
à produire un texte d arrivée qui est crédible dans son ensemble, mais on ne peut pas

être sûr que cette démarche parvienne à rendre les nuances de chaque énoncé du texte
original dans le texte français.

Une autre conséquence de l emploi de stratégies de compensation dans la


traduction du texte de départ peut être observée lors des occasions où le langage

familier prononcé par un personnage est traduit dans les énoncés d un autre personnage
et c est donc une personne différente qui adopte une manière familière de s exprimer
dans la même conversation. On peut s interroger sur l efficacité de cette approche de la

compensation car même si le texte retient une certaine grossièreté, la réattribution du


registre modifie la façon dont le lecteur interprète le dialogue de chacun des
personnages. Un exemple de ce type de redistribution de langage familier apparait dans

une conversation entre Richie et son père à propos du copain de Connie qui est arabe. La
première phrase est prononcée par Richie et c est son père, Craig, qui répond dans la
deuxième :

« What s wrong with that? » (p. 432) « Qu est-ce que ça peut te foutre, qu il soit
arabe ? » (p. 533)

28
« Jesus Fucking Christ, Rick. » (p. 432) « Eh, relax ! » (p. 533)

On voit ici que la réponse de Craig qui comprend une interjection blasphématoire et

grossière est traduite dans un français familier mais non grossier, et que, inversement,
l anglais standard de Richie se voit traduit dans un français grossier. Pour cette question
posée par Richie, on pourrait dire ici que la traduction essaie de rendre plus explicite le

ton de l énoncé original à travers l expression grossière employée. La réponse de son


père traduit également ce qui est implicite dans la réaction originale en transformant
l interjection grossière en un impératif oral. Bien que le texte français parvienne à

communiquer les intentions des énoncés originaux, les choix de traduction semblent
accentuer le ton pris par les deux personnages et donc la nature délicate de leur relation
précaire suggérée dans le langage qu ils emploient.

La présence proéminente du langage familier qui traduit le langage standard ou


cru du texte original a souvent pour résultat d abaisser le niveau de langue de chaque

personnage et de faire en sorte que les énoncés du texte français soient plus oralisés que
ceux du texte anglais. Cette baisse dans le registre peut être associée à une confusion
entre l oralité et la crudité, puisque le texte français semble avoir recours à des éléments
du langage parlé du français pour essayer de pallier le manque de force des possibilités

sélectionnées dans la traduction. Si à certaines occasions le texte original est ennobli par
la suppression de termes ou de tournures vulgaires dans le texte français, le registre est
souvent popularisé par des choix pris d employer un langage qui est plus familier dans

l ensemble que celui du texte de départ. Ces deux extrêmes sont identifiés par Antoine
comme des tendances déformantes dans son livre La Traduction et la lettre ou l auberge
du lointain :

L ennoblissement […] produit des textes « lisibles », « brillants », « enlevés »,


débarrassés de leur « lourdeurs » d origine au profit de leur « sens ». […] L envers et
le complément) de l ennoblissement c est, pour les passages de l original jugés
populaires , le recours aveugle à un pseudo-argot qui vulgarise le texte, ou à un
langage parlé qui atteste seulement que l on confond l oral et le parlé. (Berman,
1999 : 57-58)

29
De plus, en raison de la façon dont est abordée la compensation de cette différence entre

les niveaux de langue qui caractérisent le texte de départ et le texte d arrivée, certaines
nuances du texte original sont apaisées ou perdues.

1.7. CONSÉQUENCES DE LA FLUIDITÉ

Dans sa dissertation de 1923 intitulée « La Tâche du traducteur, » le traducteur


allemand de Proust et de Baudelaire Walter Benjamin regrette le fait que le traducteur
ait tendance à veiller à ce que l état accepté de sa langue soit préservé. Benjamin

préconise une approche qui laisserait à cette langue le droit de se faire influencer ou
sculpter à l aide de la langue étrangère (Benjamin dans Venuti 2004 : 75-95). Dans la
traduction de The Slap, le traducteur semble avoir adopté une approche qui évite de

choquer le lecteur francophone en termes du style du texte d arrivée, sachant qu une


œuvre qui s éloigne trop des normes stylistiques françaises risque de ne pas plaire aux
lecteurs. )l va de soi qu en général le traducteur a intérêt à suivre les normes littéraires

de la langue d arrivée s il veut que sa traduction soit bien reçue, et par le lecteur et par la
maison d édition pour laquelle il traduit, sachant qu un style d écriture qui s éloigne trop
de ces normes littéraires et sociétales risque d ennuyer le lecteur et de compromettre le
plaisir de la lecture.

Bien que la démarche plutôt pragmatique suivie dans la traduction de The Slap

diffère des idées proposées et recommandées par Benjamin, et plus tard par Berman et
Lawrence Venuti, en particulier, elle est justifiée par de nombreux théoriciens, tels que
Clifford Landers :

If the author appears to the TL public as inaccessible or esoteric, the end product may
be merely a succès d estime. Further, while SL readers may be forgiving of, or even
oblivious to, small idiosyncrasies in the author s style, TL readers are less tolerant.
Worse, any deviation from normal usage is likely to be chalked up as a shortcoming of
the author, poor work by the translator, or both, when in reality it is an artefact of the
structure of the SL culture. (Landers 2001 : 52-53)

30
Dans leur collection d articles intitulée The Translator as Writer, Susan Bassnett

et Peter Bush présentent une conversation entre un éditeur et Alberto Mira, traducteur
d une œuvre d Oscar Wilde. En traduisant Wilde, Mira s est trouvé face à un texte qui
repoussait les limites stylistiques de la langue anglaise et il a essayé de reproduire ces

mêmes anormalités en espagnol, au grand dam de son éditeur qui met en avant les
attentes du lecteur :

In translation you have to ensure the reader s trust, to a greater extent than in original
writing. The moment artificiality becomes excessive, the reader will stop trusting the
translator. [… ] In a way the reader is expecting the spirit of the original to be there and
is happy to ignore the intervention of the translator as long as he or she is not too
visible. (Mira dans Bassnett et Bush 2006: 202)
Cette discussion confirme l existence de diverses contraintes qui sont imposées sur le
traducteur par des forces extralinguistiques.

Il semblerait qu en prenant en compte ces contraintes, le traducteur ait suivi un


processus de compromis et de négociation qui a voulu que certains aspects du texte
soient favorisés dans la traduction. De toute évidence, il a suivi des méthodes de

traduction « obliques » et non « directes » pour essayer de produire un texte lisible et


croyable qui n heurte pas le lecteur francophone. Par conséquence, la couche extérieure
du sens du livre est bien reproduite dans un style fluide, mais ceci fait aux dépens de la
force de la crudité du langage du texte original ainsi que plusieurs thèmes sous-jacents

proposés par Tsiolkas. )l est discutable qu il y a eu suffisamment de considération de


l effet global qu a la forte présence de langage cru, et surtout de la reprise systématique
d une sélection de mots vulgaires ou blasphématoires, dans le texte de départ sur le

lecteur. Les plusieurs traductions différentes qui sont proposées pour une même
expression ou un même mot systématiquement repris dans le texte original introduisent
une plus grande variété lexicale dans le texte traduit, qui risque d effacer la force et

l insistance qui sont insufflées dans le texte original par la répétition de ces mots ou
expressions. Cette conséquence peut être liée à une des tendances déformantes de
Berman, « la destruction des réseaux signifiants sous-jacents » :

Toute œuvre comporte un texte « sous-jacent », où certains signifiants clefs se


répondent et s enchaînent, forment des réseaux sous la « surface » du texte, je veux

31
dire : du texte manifeste, donné à la simple lecture. C est le sous-texte, qui constitue
l une des faces de la rythmique et de la signifiance de l œuvre. Berman : 61)

Si le contexte s avère utile dans l identification de la valeur du langage cru ou


blasphématoire, en considérant les tendances principales dans la traduction de ce type
du langage dans The Slap, il est incontestable que les équivalents proposés dans le texte

français n égalent pas la force des termes et tournures du texte original. Ce manque de
richesse est identifié par Berman dans une autre de ses tendances déformantes comme
un appauvrissement qualitatif :

[L appauvrissement qualitatif] renvoie au remplacement des termes, expressions,


tournures, etc., de l original par des termes, expressions, tournures, n ayant ni leur
richesse sonore, ni leur richesse signifiante ou - mieux - iconique. (Berman 1999 :
58)

Une exploration des choix principaux pris dans la traduction de The Slap a permis

de constater que pour essayer de pallier cet écart entre la richesse des mots proposés
dans les deux textes, des techniques de compensation sont mises en place, soit dans le
même énoncé, soit ailleurs dans le texte. Le succès de ces techniques de compensation

est discutable, car, en s appuyant sur ces stratégies de traduction, le traducteur risque de
finir avec une traduction qui n a pas le même niveau de familiarité que le texte original,
qui est, par exemple, plus ou moins familière que l original ou qui est familière et non
vulgaire, à cause d un ennoblissement ou une popularisation du texte et du manque de la
violence du texte original provoqué par une absence de la même répétition présente
dans le texte de départ. Ces techniques de compensation qui ont été employées par le
traducteur font en sorte que le texte finisse par perdre une partie importante de son

côté choquant, provoqué par l emploi excessif du langage vulgaire, devenant un texte qui
est très oral et globalement assez familier, mais qui ne propose pas les mêmes nuances
dans les diverses manières de s exprimer des personnages du texte original.

32
DEUXIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES GRECQUES

Trois des huit personnages dont on entend directement la voix dans la narration
des huit chapitres de The Slap sont soit grecs, soit d origine grecque. La manière dont

Manolis, son fils Hector et son neveu Harry s expriment sert à renforcer l importance de
leurs racines, et de ce fait, les chapitres du livre sont parsemés de mots grecs ou, dans le
cas de Manolis, d énoncés prononcés dans un anglais maladroit, fortement influencé par
sa langue maternelle. Comme l histoire se déroule dans une société qui est de plus en

plus multiculturelle, les origines grecques de ces (et autres) personnages et la tension
qu elles provoquent entre les différents groupes de personnes est une question
persistante dans le livre, et la communication de ces thématiques sous-jacents du texte à

travers des aspects stylistiques du lexique et de l expression du texte original s avère


être une question importante dans la traduction du livre.

2.1. L’ANGLAIS ÉCORCHÉ DE MANOLIS

Le portrait que dessine Tsiolkas d un immigré grec âgé, fortement rattaché à son

pays natal et pas tout à fait à l aise dans son pays d adoption, est accentué par la manière
dont ce personnage s exprime dans le dialogue du livre où il parle en anglais. Manolis
déclare avoir du mal à s exprimer de façon libre et précise en anglais, son langage étant

caractérisé par des énoncés paratactiques qui comprennent un vocabulaire simpliste et


relativement homogène.

Cet anglais bancal de Manolis peut être distingué de son grec conventionnel, et à
divers moments dans le texte, on les voit juxtaposés quand Manolis emploie les deux
langues dans une même conversation. Un exemple notable de cette juxtaposition figure

33
dans le premier chapitre du livre, celui d (ector, lors du fameux barbecue, o‘ l on voit

Manolis parler grec avec ses fils et anglais avec les autres invités. En arrivant chez
Hector et Aisha, Manolis pose un plateau de viande sur la table et annonce à Aisha, sa
belle-fille : « I go bring the rest of food from car » (p. 16). Quelques pages plus tard, il

entame une conversation avec un des invités, Gary, qui fait comprendre qu il a soif. En
utilisant la même sorte de structure que celle qu il a employée avec Aisha, Manolis lui
dit : « I go bring… You want beer? » (p. 21). Dans ces deux exemples, il est évident que

l anglais n est pas la langue maternelle de Manolis ; dans ses phrases courtes et
simplistes, Il utilise le présent simple du verbe to bring au lieu du futur, qui serait plus
naturel, et néglige de rajouter des articles (il dit food au lieu de the food et beer au lieu de

a beer). Ces paroles sont mises en relation avec les moments où Manolis parle en grec,
s exprimant par des phrases plus longues et complexes sans faire le même genre de
fautes linguistiques. En demandant à Hector de commencer à faire à manger, Manolis est
direct et précis : « Go get the chops. / It s time. That Australian hasn t stopped drinking

since he got here. He needs food » (p. 30). Dans le texte français, les énoncés maladroits
de Manolis en anglais sont en général traduits par un français standard. Manolis semble
donc capable de manipuler son langage selon ses besoins et ses intentions, ce qui n est

pas le cas en anglais. Pour les deux exemples cités ci-dessus, la traduction française
propose:

« I go bring the rest of food from car. » (p. « Je vais chercher le reste dans la voiture »
16) (p. 27)

« I go bring… You want beer? » (p. 21) « Je m en occupe… Tu veux une bière ? » (p.
33)

Les maladresses et les fautes sont corrigées dans la traduction, et contrairement aux

phrases du texte de départ, ces deux phrases ne heurtent pas l oreille et on n aurait pas
de mal à se dire qu elles auraient pu être prononcées par une personne parlant sa langue

maternelle.

34
Plus tard dans le livre, les répercussions sociales de la manière maladroite dont

Manolis parle sont exemplifiées lors d une conversation qu il entreprend avec sa belle-
fille, Aisha. Pendant cette discussion, Manolis essaie de la convaincre d assister à la fête
d anniversaire de son neveu, Rocco le neveu d Aisha , le fils du neveu de Manolis, (arry,

l homme qui a giflé (ugo, le fils de Rosie, une amie d Aisha, et la frustration qu il ressent
à cause de son incapacité de se montrer aussi convaincant en anglais que ce qu il
pourrait être en grecque est claire, illustrée dans ses paroles peu naturelles mais

également dans certains aspects de la narration. Avant de passer au dialogue de leur


conversation, Tsiolkas souligne les difficultés linguistiques qui empêchent un échange
libre entre les deux interlocuteurs :

« …Aisha knew no Greek and he, even « Elle ne connaissait pas le grec, il parlait
after all this time, could not always make encore un anglais approximatif. » (p.
his meaning clear in English. » (p. 336) 419)

La traduction légèrement paraphrasée de cette phrase introductive a pour effet

d estomper l importance de l immense peine éprouvée par Manolis par rapport à sa


capacité à s exprimer en anglais. La contraction de « even after all this time » en
« encore, » et « could not always make his meaning clear in English » en « parlait… un
anglais approximatif » sert à réprimer cet aspect de leur échange avant même qu ils se

mettent à parler, puisque cette phrase établit le contexte de leur discussion, prévenant le
lecteur que Manolis devra faire face à divers obstacles pour réussir à persuader sa belle-
fille de faire quelque chose qu elle n a pas envie de faire.

Quant à leur conversation, on voit le même phénomène de traduction que celui


du chapitre d (ector, o‘ les paroles maladroites de Manolis en anglais sont traduites
dans un français plus ou moins standard. On peut se référer à quelques exemples pour

élucider cette tendance de traduction. Dans ce premier exemple, Manolis parle du regret
d (arry après avoir giflé l enfant, et il utilise des phrases courtes et un vocabulaire
rudimentaire.

« What he did was bad, terrible, very « C est très mal, ce qu il a fait, un geste

35
terrible, but it was a mistake. He is very déplacé, une erreur vraiment. Mais il est
sorry. Please, Aisha, it is no good for désolé. Je t en prie, Aisha, ce n est pas bon
Adam and Melissa. » (p. 337) pour Adam et Melissa. » (p. 419)

Quand il essaie de développer sa description de l acte commis par Harry, Manolis

commence par utiliser l adjectif banal bad, puis rajoute l adjectif un peu plus fort terrible
et ensuite l adverbe very. Ce développement est assez faible linguistiquement, les mots
tout simplement rajoutés de façon cumulative, l un après l autre sans mots de liaison,

montrant une désespérance qui est provoquée par cette recherche de mots. En français,
Manolis se montre plus assuré et à l aise dans son argumentation, qui est
linguistiquement plus complexe.

Un deuxième exemple dans la même discussion réitère les limites de son champ
lexical :

« Harry is very sorry… He is very very « Harry est désolé… )l répète qu il est
sorry. He told me again and again. He is vraiment navré que tu sois fâché contre
very sad that you are angry with him. » lui. » (p. 419)
(p. 337)

Manolis répète les deux mots very et sorry, encore une fois dans effort de développer son

argumentation, mais de manière assez faible. La reprise de ces deux mots n est pas
maintenue dans la traduction française, o‘ l expression est rendue plus complexe par

l addition d une variété lexicale à travers l adverbe « vraiment » qui remplace very very
et le synonyme « navré » qui remplace le deuxième emploi de sorry. La structure
enfantine again and again est également transposée dans une proposition plus concise,
traduite par le verbe « répéter. » Finalement, pour les deux dernières phrases de

l original, on constate une complexification de la syntaxe dans la traduction, o‘ les deux


propositions sont contractées en une seule, avec un vocabulaire précis (« navré, »
« répéter » et l emploi du subjonctif. Les quatre phrases courtes et élémentaires de cet

exemple en anglais sont traduites et embellies en deux phrases plus fluides, et ces choix
de traduction font disparaitre l importance des difficultés linguistiques rencontrées par
Manolis dans ses efforts de persuasion.

36
Une amélioration du style du texte original peut également être remarquée dans

une phrase o‘ Manolis parle de Rosie, la mère de l enfant giflée par son neveu :

« She is terrible, a terrible mother. » (p. « C est une mère épouvantable,


339) complètement à côté de la plaque. » (p.
422)

Ici, on voit encore Manolis qui emploie un vocabulaire limité et argumente en se

répétant. Dans la traduction, la répétition de terrible est supprimée, le niveau du


vocabulaire est amplifié par l emploi de l adjectif plus précis « épouvantable, » et on voit

l introduction d une expression idiomatique dans « complètement à côté de la plaque, »


ce qui suggère une maîtrise de sa deuxième langue qui n est pas présente dans le livre en
anglais. En général, ce type de choix traductifs a pour résultat de faire couler plus

facilement le dialogue du texte français que du texte original.

Juxtaposé avec la traduction de l anglais de Manolis, il est également intéressant


de considérer le traitement de l anglais non-standard dans l ensemble de la traduction

du livre. En général, les énoncés des personnages secondaires du livre qui s expriment
dans un anglais écorché sont traduits dans un français tout aussi écorché. Cette tendance
peut être illustrée dans la traduction des propos du propriétaire chinois de l épicerie o‘
Hector achète ses cigarettes dans le premier chapitre :

« I smoke three a day only. One in morning, « Moi fume trois par jour. Une matin, une
one after dinner and one when I finish in après diner, une quand fermer boutique. »
shop. » (p. 4) (p. 13)

Plus tard dans le livre, lors des vacances d (ector et Aisha à Bali, les énoncés des

plusieurs personnages balinais qui parlent un anglais simpliste sont également rendus
dans un français simpliste, notamment le conducteur de taxi qui propose d accompagner
Hector et Aisha à Ubud :

« You go Kuta? … I go Ubud. I take you. » (p. « Vous aller Kuta ? … Moi aller Ubud. Moi
374) vous prendre. » (pp. 465-466)

37
Dans ces deux cas, le texte français propose une traduction qui reproduit les

maladresses présentes dans les énoncés de départ en y intégrant des erreurs


typiquement faites en français par des étrangers. Les raisons motivant cette
différenciation entre le traitement du langage maladroit des personnages secondaires et

de celui de Manolis restent floues et les stratégies employées représentent une


incohérence dans la traduction.

Les nombreux exemples cités ci-dessus de la traduction des énoncés de Manolis

ne sont pas des cas isolés dans les deux passages mentionnés, ni dans le livre plus
largement. La tendance générale dans la traduction est d embellir son langage en
corrigeant ses fautes, élargissant son champ lexical et rendant plus fluide son
expression, et cette tendance contribue à réprimer la façon dont le lecteur perçoit

l attachement du personnage à son pays natal et le malaise qu il ressent en habitant en


Australie. Plus largement, cet effet peut être considéré comme une dilution globale dans
la traduction de plusieurs réseaux sous-jacents installés dans le texte original par

l auteur, à comparer notamment avec ce que l on a vu dans la non-reproduction de la


répétition lexicale.

2.2. TRAITEMENT DU LEXIQUE GREC

Pour surligner l importance des origines grecques des personnages de The Slap,
Tsiolkas saupoudre son texte de mots grecs employés dans le dialogue ainsi que dans la
narration. Ce vocabulaire est identifié comme étant étranger par l emploi des italiques
mais est inclus dans le texte sans que la définition de chaque mot soit directement

fournie.

Souvent, le sens des mots grecs utilisés devient évident grâce au contexte ou à
une structure syntactique qui permet une explication. Dans ces cas où le sens est
38
implicite, la traduction française maintient la façon de présenter le vocabulaire du le

texte original, laissant les mots en grec et en italiques, sans fournir d explications
supplémentaires.

Why are you friends with that mavraki, Pourquoi faut-il que tu traînes avec ce
that blackie, all he knows to do is drink. p. mavraki, ce négro, qui ne sait rien faire
18) d autre que boire ? p.

Le sens du mot mavraki est déjà fourni dans le mot anglais blackie qui est mis en
apposition. Conformément à cette tendance de ne pas inclure une note de bas de page

que si le sens n est pas clair dans l original, la traduction reproduit la structure de la
phrase originale. Pour les cas où le sens est déduit du contexte, on peut prendre
l exemple du mot Panagia qui est employé dans le chapitre d (arry. Comme il venait de

regarder les icônes de la Vierge et du Fils au-dessus du lit de son fils et de se signer, il est
évident que quand il dit « Thank you, Panagia, » c est la Vierge Marie qu il remercie.
Encore une fois, aucune explication n est fournie dans la traduction qui utilise la même

structure que l original p. .

Cependant, le texte original présente des cas où le sens du vocabulaire grec reste
vague et une explication ou une définition ne sont pas fournies dans le texte original.
Dans ces cas, la traduction française propose une note de bas de page lors du premier

usage du mot pour clarifier son sens pour le lecteur. Quand (arry s adresse à Koula dans
le premier chapitre du livre en l appelant thea, la traduction française donne la note de
bas de page suivante :

Theo, thea (grec) : littéralement oncle et tante : nom générique utilisé par les
enfants pour désigner les grandes personnes.
Cette même technique est également utilisée pour l emploi des mots giagia (grand-mère,
p.50), pousti (pédé, p.121) et malaka (branleur, p. 131). Ailleurs, dans le premier
chapitre du livre, une note de bas de page est aussi fournie pour le mot pasticcio. Bien

que le sens exact du mot n est pas disponible aux lecteurs du texte original, on peut
déduire que pasticcio désigne une sorte de nourriture grecque car le mot apparait dans
une description des plats présents au barbecue : « His mother had brought pasticcio » (p.

39
36). Ce mot est intégré dans le texte original sans être différencié du vocabulaire anglais

du texte à l aide d italiques. Les italiques ne sont pas non plus utilisées dans la traduction
française, mais l hyponyme de cet hyperonyme est proposé dans la note de bas de page à
la page 53: lasagnes grecques.

Pour des lecteurs anglophones en Australie, il est vrai que le grand nombre

d immigrés grecs y habitant implique une familiarité probable avec la langue. Ceci dit, ce
fait ne garantit pas qu ils connaissent le sens de chacun des mots employés. Sans doute
Tsiolkas a-t-il décidé d inclure le lexique grec sans fournir de traduction pour renforcer

la normalité de sa présence dans le dialogue des personnages attirant davantage


d attention sur la prégnance du rôle que joue leurs origines dans leur vie quotidienne.
Bien que les mots soient marqués comme étranger dans l emploi des italiques, la
manière fluide dont Tsiolkas les incorpore dans le texte leur attribue un air naturel. Le

fait que le lexique soit clarifié pour les lecteurs de la traduction française signifie que les
mots ne sont plus acceptés comme étant ordinaires, puisque leur présence est soulignée.
De plus, l accès au sens qui est fourni pour les lecteurs risque d estomper l importance

des origines grecques des personnages, puisque la traduction prend une approche plus
inclusive et le fossé entre le monde des personnages, dans lequel ils partagent une
connexion avec les autres personnes qui comprennent les termes employés, et celui des
lecteurs est donc comblé. Cette tendance de clarification peut être également aperçue
dans l emploi de notes de bas de page pour déchiffrer plusieurs références culturelles
qui ne seraient peut-être pas inhérentes pour les lecteurs du texte original, rendues
explicites pour les lecteurs francophones.

2.3. ENNOBLISSEMENT ET CLARIFICATION

L ennoblissement, concept déjà évoqué dans la première partie de cette étude,


des énoncés maladroits de Manolis et la clarification des références grecques du texte de

40
départ dans la traduction de ce livre font partie des tendances déformantes identifiés

par Antoine Berman.

Pour ce qui est de la clarification, Berman la décrit en termes du niveau de clarté

perceptible dans les mots et leurs sens et suggère que la clarification a tendance à
imposer le défini, où l original emploie l indéfini. Bien qu il concède que toute traduction
comprend un certain degré d explication, Berman déclare que cette clarification peut

signifier deux choses très différentes. Selon lui, la clarification peut être la manifestation
de quelque chose qui est caché ou réprimé dans le texte original, qui peut être utile
puisque la traduction pourrait ensuite illuminer un autre aspect de la question.

Inversement, la clarification peut rendre clair quelque chose par la traduction qui est
intentionnellement laissé ambigu dans l original, par exemple dans un mouvement de
polysémie à monosémie, ou à travers une traduction paraphrastique ou explicative. Il
serait raisonnable de suggérer que les décisions prises dans le traitement du lexique

grec dans la traduction française de The Slap peuvent être alignées avec cette deuxième
conséquence élaborée par Berman.

Dans l ensemble, les choix pris dans la traduction de ces renvois aux origines
grecques de certains personnages ont pour effet de diluer l influence qu ont ces origines
sur les tensions qui s élèvent entre les personnages du livre, vivant dans la société

fortement multiculturelle de l Australie contemporaine.

41
TROISIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES AUSTRALIENNES/ANGLOPHONES

Ayant pour cadre la ville de Melbourne, The Slap est un roman saupoudré

d allusions à la culture et à la société australiennes. De plus que les références


spécifiques au cadre du roman, il y a également des références représentatives des
racines grecques de certains personnages à prendre en compte, ainsi que des références

de culture populaire anglophone. Pour un public non-familier avec le monde du livre, ces
références sont susceptibles de produire plusieurs effets. Elles pourraient, par exemple,
plonger le lecteur dans un environnement fondamentalement australien, lui donnant

ainsi une meilleure impression de la vie dans ce pays. Autrement, elles pourraient
déstabiliser le lecteur qui risque de se sentir exclu par les renvois à une culture qu il ne
connait pas. La traduction française du livre veille à ce que ce soit cette première

possibilité et non la deuxième qui se manifeste pour le lecteur francophone, à travers


plusieurs techniques qui visent soit à maintenir soit à clarifier les références selon leur
transparence.

3.1. LA SAVEUR DE L’ÉTRANGER

Dans sa conférence de 1813, « Des différentes méthodes du traduire, » Friedrich


Schleiermacher suggère qu une traduction devrait rapprocher l auteur et son lecteur :
Mais alors, quels chemins peut prendre le véritable traducteur qui veut rapprocher
réellement ces deux hommes si séparés: l'écrivain d'origine et son lecteur, et faciliter
à celui-ci, sans l'obliger à sortir du cercle de sa langue maternelle, la compréhension
et la jouissance les plus exactes et complètes du premier? À mon avis, il n'y en a que
deux. Ou bien le traducteur laisse l'écrivain le plus tranquille possible et fait que le
lecteur aille à sa rencontre, ou bien il laisse le lecteur le plus tranquille possible et
fait que l'écrivain aille à sa rencontre. (Schleiermacher 1813/1999 : 49)
Antoine Berman, qui a traduit cette conférence, développe les idées de Schleiermacher
en déclarant que la visée éthique de la traduction « consiste à reconnaître et à recevoir
l Autre en tant que l Autre » (Berman 1999 : 74). Pour inviter le lecteur à faire ainsi, le
traducteur dispose de méthodes de traduction décrites par Lawrence Venuti comme
42
« foreignizing, » accentuant le caractère étranger du texte, différenciées des méthodes

« domesticating » (Venuti dans Baker 2004, 240-244). En étudiant des exemples de la


traduction des références culturelles de The Slap, on verra que les choix pris tentent de
rapprocher l auteur et le lecteur du texte d arrivée par l inclusion de la majorité des

références socio-culturelles du texte de départ, les transférant inchangés. Cependant, le


lecteur est largement « laissé tranquille » car le traducteur emploie souvent des
stratégies de traduction qui approprient le texte à travers des stratégies qui expliquent,

clarifient ou généralisent les références du texte de départ. Il y a donc une approche de


la traduction de ce livre qui mélange les deux méthodes élaborées par Venuti.

3.2. TOPONYMES

Le texte original est parsemé de noms de rues ou de quartiers de Melbourne. Il


semble y avoir dans la traduction une volonté de la part du traducteur de produire un

texte français aussi authentique que possible, de telle sorte qu il laisse en grande
majorité les toponymes intacts, les transférant inchangés au texte français. Le lecteur
francophone est donc plongé dans le monde d un pays étranger et il sent que l histoire se
déroule dans un lieu anglophone particulier. Souvent, un mot comme « quartier » ou

« ville » est ajouté à la phrase pour faciliter la compréhension. Un exemple de


l intégration de ce vocabulaire géographique australien peut être tiré du chapitre de
Manolis :

He got off the train at North Richmond. He Il descendit à North Richmond, sans idée
had no plan; all he knew was that he did not préconçue. Tout simplement, il ne voulait
wish to be at home. He walked down pas rentrer. Pratiquement tous les
Victoria Street. Every shopfront seemed to restaurants de Victoria Street avaient des
be an Asian restaurant; they owned this enseignes orientales – le quartier était
strip of Richmond. Once it had been the tombé dans les mains des Chinois, qui
Greeks. (p.342) avaient remplacé les Grecs. p. 426

Cette même technique, de maintenir le vocabulaire du texte original, parfois en ajoutant

un mot qui catégorise le type de référence (ex. « le quartier », « le ruisseau ») est


employées tout au long du roman pour permettre le lecteur francophone de suivre, par

exemple, Rosie dans ses promenades parmi les rues de la banlieue nord ou le long de la
43
Yarra (River) (pp. 311- , (arry alors qu il traverse le Westgate Bridge p. qui

sépare les deux côtés de la ville pour aller de Brighton à Altona, et Anouk et Aisha quand
elles se demandent où se retrouver pour prendre un verre, à Southbank ou à Docklands,
à Federation Square ou à St Kilda, (p. 87, p. 76, p. 330). L authenticité et l exactitude des

éléments du cadre qui sont fournis pour le lecteur francophone semble être d une telle
préoccupation pour le traducteur qu à un moment dans le texte français, il va même
jusqu à fournir le nom d un ruisseau qui ne figure nulle part dans le texte original :

The creek and the river were close by – Darrebin Creek, le ruisseau, n était pas
weren t they scared of rats, mice, tiger loin, de même que le fleuve – enfin, ils
snakes for God s sake? (p. 135) n avaient pas peur des rats, des sourires,
des vipères ? (p. 175)

L histoire est fortement ancrée dans la ville de Melbourne et le fait que ces nombreuses

allusions géographiques soient pour la plupart maintenues dans la traduction sans


l addition d explications, soit dans le corps du texte entre parenthèses ou en apposition,

soit en forme de note de bas de page, constitue une légère forme de décentrement,
employée sans doute pour exoticiser le texte et fournir les lecteurs avec de la couleur
locale ou une sorte de saveur de l étranger.

3.3. GÉNÉRALISATION

Si une référence n est pas jugée suffisamment importante pour la garder le


vocabulaire australien dans la traduction, ce vocabulaire n est pas transféré et l allusion

est généralisée. Dans le même passage que celui de la description du parcours


universitaire d (ector, il y a une autre référence au système éducatif australien :

But they had always been good friends, Bons amis depuis les bancs du lycée…
since sitting together in Year Eight in (p. 30)
school... (p. 18)

Year Eight signifiant la deuxième année de l école secondaire, soit l équivalent de la


quatrième en France où les élèves ont entre et ans, l année exacte du début de leur
amitié est considérée comme un détail négligeable dans la traduction contractée de la

44
phrase originale.6 Pour un dernier exemple de ce type de généralisation dans le

traitement de références culturelles, on peut considérer les propos d (arry par rapport
aux deux partis politiques australiens :

« It s a different time – no government, « Les temps ont changé et qu’il soit de


Liberal or Labor, cares a flying fuck about droite ou de gauche, le gouvernement se
education. There s drugs, there s not fiche pas mal de l éducation. On vend de la
enough teachers. » (p. 22) came aux mômes. » (p. 35)

Au lieu d inclure le nom des deux partis dans le texte français, la traduction prend l idée

de l opposition entre les deux côtés du gouvernement. Ce genre de généralisation met


l important sur la communication du sens de l énoncé de départ.

3.4. NOTES EXPLICATIVES

La manière la plus marquante d accentuer la visibilité du traducteur dans le texte

français de The Slap est peut-être à travers l inclusion de notes de bas de page, qui
attirent l attention sur le caractère étranger du texte. La traduction a recours à des notes
de bas de page pour éviter de choquer le lecteur quand une référence culturelle risque

de trop le confondre. Une note de bas de page est proposée, par exemple à la page 20 de
la traduction pour le toponyme Lalor, laquelle explique la référence à un endroit « dans
la banlieue de Melbourne. » Autrement, la traduction propose une note de bas de page
pour des allusions géographiques considérées comme ayant besoin d explication, par

exemple pour King Street à la page 29, où il est jugé important de mentionner que cette
rue de Melbourne est « connue pour ses night-clubs. » Comme pour les toponymes, la
traduction garde souvent le vocabulaire original australien et le déchiffre dans une note

de bas de page pour les allusions aux institutions et médias australiens, parmi lesquels
des magazines, des émissions télévisées et des magasins. Quand Gary cherche son
exemplaire du Good Weekend, par exemple, la traduction laisse le nom propre en

italiques et incorpore la note explicative :

6
Cette traduction représente en fait un léger écart du sens du texte original ; c’est plutôt depuis le collège que les
personnages sont amis, puisque le lycée commence deux années après Year Eight.

45
Magazine inclus dans l édition du samedi des quotidiens The Age et The Sydney
Morning Herald. (p. 315)

3.5. EXPLICATION PAR ÉQUIVALENCE

Au-delà des notes de nature explicative, la traduction fournit également des notes

de bas de page comprenant des équivalents français, ou alors des équivalents qui
seraient facilement reconnus par un lecteur francophone. Si on a déjà exploré des
questions d équivalence dans la première partie de cette étude en termes du style, on
peut également considérer dans cette deuxième partie le recours à des équivalents pour

rendre accessible des renvois culturels, sans doute pour assurer que le lecteur
francophone parvienne à visualiser ce qui est décrit. Par exemple, quand Rosie décrit sa
tenue en spécifiant qu elle avait acheté sa jupe chez David Jones, la note de bas de page

identifie le grand magasin australien comme « les Galeries Lafayette australiennes » (p.
329). Ailleurs dans le livre, Gary fait découvrir des magazines à Richie, dont Ralph et
Drive, et les deux titres sont supplémentés par un équivalent dans la note de bas de page,

respectivement Playboy et L Argus (p. 538). Dans le corps du texte lui-même, des
équivalents sont également utilisés, notamment pour des passages liés à la nourriture ou
au système éducatif australien. L emploi d un vocabulaire typiquement français peut se
faire remarquer dans la traduction du mot kinder, diminutif de kindergarten, qui est

traduit le long du texte par « la maternelle. » Le kindergarten en Australie, dans l état de


Victoria, signifie deux ans d éducation préscolaire pour les enfants de à ans, avant le
début de l école primaire, ce qui n est pas tout à fait le même concept que celui de l école

maternelle. Pour continuer, toujours dans le domaine du système éducatif, on peut


prendre l exemple o‘ l on évoque le début des études universitaires d (ector :

Hector went off to uni to do his commerce Hector intégrait, lui, une école de
degree. (p. 18) commerce. (p. 30)

L idée du commerce degree fait à l université se transforme en un diplôme suivi dans une
école. Cette traduction est encore un écart du texte original, puisque la plupart des

études universitaires en Australie se font à l université, en particulier des études en

46
commerce, des écoles étant très rares. Pour ce qui est de la nourriture, lors du fameux

barbecue qui a lieu dans le premier chapitre du livre et qui constitue le point de départ
du roman, on prépare pour les enfants un plateau d hors-d œuvre :

Aisha placed a tray of party pies and Aisha posa sur la table basse un plateau de
sausage rolls on the coffee table. (p. 17) mini-quiches et d amuse-gueule. (p. 29)

La party pie est une sorte de mini tourte, composée de bœuf haché et sauce au jus de
viande, et le sausage roll une tranche de chair à saucisse entourée de pâte feuilletée, et

ces deux aliments sont des incontournables des fêtes australiennes, en général servis
accompagnés par une sauce tomate. La traduction de cet énoncé généralise et approprie
le texte original en même temps, puisque la mini-quiche est un hors-d œuvre français et

l amuse-gueule un hyperonyme des deux aliments. Ce genre d explications peut être


considéré comme une domestication du texte car elles adaptent les informations
présentées aux besoins du lecteur étranger, en facilitant la compréhension de renvois

étrangers.

3.6. INEXACTITUDES

Malgré l effort concerté de la part du traducteur pour fournir des informations


correctes et détaillées sur le monde du livre de manière accessible pour le lecteur
francophone, on peut remarquer quelques inexactitudes dans la présentation de ces

informations. Dans le chapitre de Richie, celui-ci anticipe la publication des résultats de


sa dernière année à l école secondaire :

Everyone was waiting for Tuesday, which Les copains attendaient tous le mardi,
was when they d all get their ENTER jour de réception des résultats
scores. (p. 439) d’ENTER. (p. 542)

Même si la traduction maintient le vocabulaire original, laissant l acronyme ENTER

(Equivalent National Tertiary Entrance Rank) et proposant l expansion dans une note de
bas de page, la définition qui accompagne cette expansion, « test d entrée à l université, »
est inexacte. En fait, le terme ENTER ne signifie pas un test unique, mais le nom de la

note sur 100 attribuée aux élèves à la fin de leur VCE. Le VCE ou le Victorian Certificate of
47
Education, (acronyme également laissé dans la traduction à la page 583 avec la note de

bas de page « certificat d éducation ») est le nom donné aux deux dernières années de
l école secondaire dans l Etat de Victoria, chaque état et territoire en Australie ayant un
système légèrement différent. La note que reçoivent les élèves dans la forme du score

ENTER est calculée à partir de leur performance dans l ensemble des cinq ou six
matières qu ils étudient durant la deuxième année, Year 12. Une autre erreur de
traduction pour une référence politique apparait à la page 432 du texte français dans

une conversation qu entreprend Richie avec son père :

« I bet you voted for John Howard. » (p. « Je parie que tu as voté John Edward. » (p.
432) 534)

)l n est pas clair pourquoi la traduction ne contient pas dans ce cas une note de bas de
page pour expliquer la référence au premier ministre de l Australie au moment de la

publication du livre,7 mais le fait que son nom soit incorrectement transcrit dans le texte
français prive le lecteur du droit de se renseigner sur cette référence. Bien que cette
erreur ait l air négligeable, pour un lecteur non-australien, la raison pour laquelle Richie
serait contrarié de savoir que son père soutient cet homme politique n est pas évidente

et cette erreur devient particulièrement importante si on considère que Richie voit la


politique de cet homme comme représentative de la mentalité des habitants de la
banlieue où habite son père. Les quelques inexactitudes dans la traduction comme les

deux citées ci-dessus8 s opposent à la recherche d authenticité qui persiste ailleurs dans
le texte français.

Pour les cas où la traduction fournit des informations additionnelles sur ces
références, informations qui ne seraient pas forcément innées pour le lecteur du texte

7
Il y a une autre référence à John Howard à la page 202 du texte original quand Connie dit « Who wants to be
normal in John Howard’s Australia? » Dans ce cas aussi, l’identité et l’importance de cet homme ne sont pas
claires dans le texte original pour le lecteur non-australien et aucune explication n’est fournie dans la traduction,
« Qui a envie d’être normal dans l’Australie de John Howard ? » (p. 255). Cependant, le nom est cette fois-ce
correctement transcrit dans le texte français.
8
Il y a également quelques fautes ailleurs dans la traduction, notamment pour les plusieurs références aux Op
Shops (magasins d’occasions gérés par des associations caritatives) et dans l’explication fournie pour l’émission
télévisée A Current Affair.

48
original, le texte est approprié pour le lecteur francophone, rendu plus explicite, et ces

choix traductifs constituent donc une légère forme de domestication.

3.7. RÉFÉRENCES DE CULTURE POPULAIRE

Les notes de bas de page sont également employées dans un but de clarification
pour plusieurs références de culture populaire. Elles servent à déchiffrer des références

qui ne seraient pas forcément inhérentes pour tout lecteur du texte original, rendues
donc explicites pour le lecteur francophone. Au barbecue, Gary fait une blague en
décrivant l apparence de Rhys, le conjoint d Anouk :

« You shot a man in Vermont, eh? Just to « Eh, tu as tué un mec à Vermont ? Juste
watch him die. » (p. 33) pour le regarder crever ? » (p. 49)

Suivant cette blague prononcée par Gary et adressée à Rhys, Hector explique la

référence à Sandi, qui ne comprend pas :

« It s a line from a Johnny Cash song. » (p. « Ça sort d une chanson de Johnny Cash. »
33) (p. 49)

La phrase d (ector est complémentée dans le texte français par une note de bas de page

qui fournit pour le lecteur francophone une information supplémentaire qui n est pas
donnée dans le texte original :
Folsom Prison Blues I shot a man in Vermont, just to watch him die. : J ai tué un
mec à Vermont, juste pour le regarder crever. )
Bien que l on puisse reconnaître que le lecteur anglophone serait éventuellement plus
capable d identifier cette référence intertextuelle, puisque les paroles de la chanson sont

en anglais et la réplique originale les reproduit exactement tandis que le français ne


présente que la traduction, l identification de l artiste qui est faite après la blague est
sans doute suffisante pour un lecteur francophone qui connaît la chanson en question de

comprendre la référence. D ailleurs, on pourrait douter que tout lecteur du texte original
connaisse la chanson, et le fait que Tsiolkas choisisse de ne pas fournir le titre suggère
donc que cette information n est pas d une grande importance. Plus tard dans le livre
dans le chapitre de Connie, une clarification encore plus explicite d une référence

49
intertextuelle est proposée dans la traduction. Alors que Connie défend des amis avec

lesquels Richie ne s entend pas, il en parle à Nick en disant que Connie est « normale » :

« See, I told you she was a replicant. She s « Tu vois, je t avais dit qu elle faisait
one of the normal ones. » (p. 204) partie des réplicants. Ceux qui
ressemblent aux normaux. » (p. 257)

La traduction est accompagnée par la note de bas de page : « Référence au film Blade

Runner. » Aucune indication de la source de cette référence n est donnée dans le texte
original et cette traduction explicative la rend donc évidente pour le lecteur du texte
français, ajoutant un aspect au texte qui n est pas présent dans l original.

3.8. ÉTRANGETÉ ET ADAPTATION

Il y a dans cette traduction une envie évidente de la part du traducteur de fournir


pour le lecteur francophone des informations précises sur la géographie et la culture

australiennes. Cependant, cette envie est en partie contrecarrée par les plusieurs petites
erreurs dans la transcription ou dans les explications fournies pour déchiffrer les
diverses références. De surcroit, même si la traduction incorpore un grand nombre de

noms propres intacts dans leur forme originale en anglais et donne donc au lecteur
français un accès au monde du livre, faisant en sorte que la traduction ait l air
authentique, le texte français fournit des informations supplémentaires pour faciliter la

compréhension de certaines références, les expliquant, clarifiant ou généralisant. Le


mélange de stratégies employées représente une approche qui est à la fois
« domesticating » et « foreignizing » et en conséquence le texte français fait sentir son
étrangeté mais tout en restant adapté au lecteur francophone.

50
CONCLUSION

La « fidélité » manifeste des traductions n est pas le critère qui garantit l acceptabilité de la
traduction. […] La fidélité est plutôt la conviction que la traduction est toujours possible si le
texte source a été interprété avec une complicité passionnée, c est l engagement à identifier
ce qu est pour nous le sens profond du texte, de l aptitude de négocier à chaque instant la
solution qui nous semble la plus juste. (Eco 2006 : 466)

Ayant étudié de nombreux exemples des tendances dominantes de la traduction


de The Slap, il semble approprié de déclarer que l objectif, le skopos, de la traduction

était de fournir au lecteur francophone un texte qui fait sentir les complexités du livre
original mais qui reste accessible et fluide, qui n heurte pas l oreille. En traduisant The
Slap, le traducteur s est trouvé face à des difficultés concernant à la fois la forme et le
fond de ce livre. Notamment, la présence flagrante d un vocabulaire très cru avec la
reprise systématique d un certain nombre de termes dont il n existe pas d équivalent
direct en français a posé des problèmes linguistiques ainsi que stylistiques. Face à ces

difficultés, le traducteur s est visiblement appuyé sur des méthodes qui dépendent
largement d un travail d interprétation et de jugement personnels. Ces stratégies de
nature subjective entraînent une modification dans le registre global du texte traduit,
qui ne trouve pas de moyens pour communiquer la même impression de violence et de

force que le texte original. Dans la traduction du contenu du livre, on constate un effort
concerté pour communiquer l essence de l endroit dans lequel l histoire se déroule.
Cependant, la généralisation, la clarification ou l explication de certains aspects du texte

ont pour résultat de produire un texte qui semble authentique mais qui est en quelque
sorte trompeur. Dans l ensemble, bien que le lecteur francophone soit plongé dans le
monde du livre, le texte français reste accessible en termes du style d écriture ainsi que

du contenu, et cette appropriation aux normes françaises est faite aux dépens de
certains réseaux sous-jacents installés dans le texte original par Tsiolkas. Bien que les
solutions trouvées pour chaque énoncé du texte paraissent à certains égards justes, le

lecteur francophone est privé dans une certaine mesure de l occasion d identifier ce
qu Umberto Eco appelle « le sens profond » du livre, à cause du processus de négociation
qui a été suivi par le traducteur.

51
ANNEXE : DRAMATIS PERSONAE

Hector* : homme d origine grec qui a la quarantaine

Aisha* : femme d (ector, vétérinaire

Adam : fils d (ector et Aisha

Melissa : fille d (ector et Aisha

Harry* : cousin d (ector, d origine grec, homme qui a giflé l enfant au barbecue

Sandi : femme d (arry, serbe

Rocco : fils d (arry et Sandi

Manolis* : père d (ector, oncle d (arry

Koula : femme de Manolis

Connie* : adolescente d origine anglaise qui travaille à la clinique vétérinaire


d Aisha

Richie* : meilleur ami de Connie, homosexuel

Rosie* : meilleure amie d Aisha, australienne blanche, mère de l enfant giflé

Gary : mari de Rosie, australien blanc

Hugo : fils de 4 ans de Rosie et Gary qui s est fait gifler au barbecue

Anouk* : amie d Aisha et Rosie, écrivaine

Rhys : conjoint d Anouk, comédien

Van : ami vietnamien d (arry et Sandi

* les huit personnages que l on entend parler directement dans un chapitre

52
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