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juin 2013
TABLE DES MATIÈRES :
INTRODUCTION 1
PREMIÈRE PARTIE : CRUDITÉ DU LANGAGE 4
1.1. REGISTRE 5
1.1.1. TRADUCTIONS LIBRES ET LITTÉRALES 6
1.2. LE MOT FUCK(ING) 9
1.3. LES MOTS COCK ET CUNT 15
1.4. RÉPÉTITION DE FUCK/CUNT/COCK DANS UN ÉNONCÉ 20
1.5. BLASPHÈMES 21
1.6. COMPENSATION 24
1.7. CONSÉQUENCES DE LA FLUIDITÉ 30
DEUXIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES GRECQUES 33
2.1. L ANGLAIS ÉCORCHÉ DE MANOLIS 33
2.2. TRAITEMENT DU LEXIQUE GREC 38
2.3. ENNOBLISSEMENT ET CLARIFICATION 40
TROISIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES AUSTRALIENNES 42
3.1. SAVEUR DE L ÉTRANGER 42
3.2. TOPONYMES 43
3.3. GÉNÉRALISATION 44
3.4. NOTES EXPLICATIVES 45
3.5. EXPLICATION PAR ÉQUIVALENCE 46
3.6. RÉFÉRENCES DE CULTURE POPULAIRE 47
3.7. ÉTRANGETÉ ET ADAPTATION 50
CONCLUSION 51
ANNEXE 52
BIBLIOGRAPHIE 53
ii
DÉCLARATION :
Je, soussignée, Tiffane Levick, déclare avoir rédigé ce travail sans aides extérieures
ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes
préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées
comme telles. Ce travail n a été soumis à aucun autre jury d examen sous une
iii
INTRODUCTION
The Slap est un roman qui pose des questions sans en donner les réponses. Écrit
en 2008 par Christos Tsiolkas, auteur australien d origine grecque, l histoire du livre se
déroule à Melbourne sur environ 500 pages. Ces pages sont divisées en huit chapitres,
présentés sans que le lecteur puisse s y rattacher. Cette stratégie force le lecteur à
reconsidérer les conclusions qu il aurait tirées par rapport à des personnages, des
situations et des événements particuliers car la perspective ne cesse ne se déplacer
Ayant connu un succès important en Australie ainsi qu à l étranger, The Slap a été
récompensé de plusieurs prix, dont l Australian Literature Society Gold Medal en 2008 et
le Commonwealth Writers Prize en 2009. Il a également été nominé pour plusieurs autres
prix, notamment le Miles Franklin Literary Award en 2009 et le Man Booker Prize en
2010. Le livre a été jugé provocateur, non seulement à cause des thèmes abordés, alors
que les répercussions d un incident unique traitent de la tension sociale et politique
entre des personnages que l on a décrits comme étant superficiels et imparfaits, voire
haïssables, mais également à cause du style d écriture et du langage cru employés par
Tsiolkas. L auteur a écrit un livre avec l intention de choquer et d interpeller ses lecteurs,
ce qu il a réussi à faire au point d inspirer la chaîne publique de télévision australienne
ABC1 à en faire en 2011 un feuilleton en huit épisodes.
1
The Slap a été traduit en français par Jean-Luc Pinningre sous le titre La Gifle,
publié en France en 2012 par Belfond, presque quatre ans après la première publication
du livre en Australie. Cette traduction française a été publiée avec le soutien du
gouvernement australien et l Australian Council for the Arts. L édition française consultée
pour cette étude fait presque 600 pages1 et suit la même structure que le texte original,
mis à part l ajout de notes de bas de pages écrites par le traducteur. Le texte français ne
contient malheureusement pas de préface du traducteur ni ses renseignements
réussis et s est spécialisé dans la traduction de romans contemporains dont Under the
Tuscan Sun de Frances Mayes, Mohawk et Bridge of Sighs de Richard Russo, ainsi qu One
Thousand White Women: The Journals of May Dodd, Marie Blanche et The Wild Girl de Jim
Fergus. Le fait qu il ait traduit plusieurs romans d un même auteur semblerait indiquer
vaste gamme de registres présentée au lecteur par Tsiolkas, variant entre le vocabulaire
très grossier d (arry et jusqu à un certain point celui d (ector , l anglais écorché de
Manolis, les expressions franches d Anouk, les énoncés d Aisha qui se veulent
incessant du langage très vulgaire tout au long du roman par tous les personnages,
souvent pour discuter de sexe, de drogue et d alcool. Outre les choix relatifs au respect
du style d écriture de Tsiolkas, il est intéressant de considérer les diverses techniques
1
La différence entre le nombre de pages est plus représentative d’une différence entre la mise en page de chaque
texte et non forcément la longueur.
2
employées dans la traduction pour aborder l abondance de références particulières à la
S appuyant sur ces deux questions principales, on tentera dans cette étude de
déterminer si le texte français parvient à faire sentir l essence du cadre de ce roman à un
certains aspects ou diluer certaines nuances du texte original, non seulement en termes
du style d écriture et mais également du contenu. Pour répondre à cette problématique,
la première partie de cette étude s attachera aux différentes façons dont la traduction
rend le langage cru du texte original dans le texte français. La deuxième partie
examinera les questions relatives à la traduction des renvois aux origines grecques de
certains personnages du livre à travers l anglais bancal du personnage âgé de Manolis et
le lexique grec qui occupe une place importante dans la narration et dans le dialogue.
3
PREMIÈRE PARTIE : CRUDITÉ DU LANGAGE
choquante par le fait qu ils soient fréquemment intégrés dans des énoncés o‘ l on
pourrait autrement employer un lexique standard, voire ajoutés à un énoncé qui serait
autrement complet, semblant donc ne pas avoir de fonction particulière à part celle
d imposer une sorte de violence sur le lecteur. Bien que l emploi flagrant d un tel
prend en compte les sensibilités de personne. Dans cette lignée, la façon brusque dont
les mots cock, cunt et fuck apparaissent et réapparaissent sans cesse dans le livre choque
et heurte le lecteur, agissant comme un reflet du titre : l outrance du langage qui est
employé gifle presque le lecteur. Dans la traduction, un seul équivalent de chacun de ces
trois mots n est pas proposé. Ceci est sans doute dû en grande partie à l impossibilité
linguistique d identifier une traduction unique pour ces hyponymes quand les mots sont
employés de manières différentes. Ceci dit, la façon dont ces mots sont traités dans la
traduction a pour conséquence que le texte français diffère du texte original dans sa
force et sa familiarité.
4
1.1. REGISTRE
Pour essayer de définir ce que c est, précisément, que le langage cru, on peut se
référer aux concepts du registre établis par certains linguistes. En général, l idée la plus
acceptée du registre est celle des variations linguistiques, proposée par le sociolinguiste
William Labov dans les années 1970s. La variation linguistique peut être définie comme
le changement dans la langue d une même personne, et Labov a identifié plusieurs types
de variation qui élaborent les questions à propos des locuteurs, la situation, l époque, le
puisse nous aider à mieux comprendre la façon dont une personne s exprime, pour
apprécier la manière dont les différents niveaux de langue se manifestent dans le
discours, il est nécessaire de considérer dans plus de détail les caractéristiques de ces
catégories.
précis dans les limites de chacun de ces niveaux, ce qui rend difficile la tâche de
déterminer le niveau exact de la formalité d un énoncé. En considérant la gamme de
sous-catégories pour le niveau « familier, » par exemple, il est ardu de préciser si un mot
ou un énoncé est familier, très familier, vulgaire ou insultant. Force est de constater que
cette question est également fortement subjective car cette détermination peut être
également une question de point de vue ; ce qui est courant pour une personne sera
5
peut-être familier pour une autre. Face à ces difficultés, plusieurs théoriciens ont essayé
de fournir des exemples concrets de ce qui est suggéré par telle ou telle catégorie, et
l échelle de formalité du théoricien anglais Peter Newmark est un exemple notable de
cet effort (Newmark 1988 : 14) :
quand un équivalent de l énoncé existe dans la langue d arrivée, une traduction littérale
n est pas forcément la meilleure solution si le traducteur vise à créer dans la traduction
un effet similaire à celui du texte original.
6
traduction littérale, transposition, modulation, équivalence et adaptation (Vinay et
Darbelnet 1977 : 46-55). Ces catégories opèrent sur trois niveaux : le lexique, les
structures syntactiques et le message. Pour ce qui est des décisions prises par un
traducteur en traduisant un texte, pour choisir la bonne stratégie et le bon processus,
style et ses préférences (Vinay et Darbelnet 1977 : 31). Comme on le verra dans cette
étude, le traducteur de The Slap s est principalement appuyé sur des techniques
obliques, pour des raisons à la fois linguistiques et stylistiques.
Suivant les plusieurs méthodes de traduction proposées par des théoriciens tels
que Vinay et Darbelnet, il est valable de considérer les théories développées dans le
domaine de la traductologie la possibilité ou l impossibilité de produire le même effet
sur le lecteur du texte d arrivé que sur celui du texte de départ. Bien que fortement
subjectives, les théories de Eugene Nida, en particulier, sur l équivalence a eu une
texte cible devrait correspondre au plus près de celui du texte source, et une équivalence
dynamique, qui met l important sur l effet équivalent créé pour le lecteur du texte cible
dans la traduction du texte source (Nida dans Venuti 2004 : 161-162).
Dans le même esprit que Nida, Peter Newmark tente de fournir dans les années
7
Communicative translation attempts to produce on its readers the effect as close as
possible to that obtained on the readers of the original. Semantic translation
attempts to render, as closely as the semantic and syntactic structures of the second
language allow, the exact contextual meaning of the original. (Newmark dans
Munday 2008 : 44)
L idée de l équivalence dans la traduction peut être liée au débat éternel entre la
traduction mot pour mot et la traduction sens pour sens, qui s est vu complexifié dans le
20ème siècle pour permettre une considération plus profonde de la relation entre la lettre
et l esprit d un texte. La distinction rigide entre les deux choix étant assez restrictive à la
base, Antoine Berman propose dans son livre La Traduction et la lettre ou l Auberge du
besoin de et a tout intérêt à suivre une démarche plus littérale pour trouver un moyen
de faire de la langue traduisante « l auberge du lointain » (Berman 1999 : 15).
original pour tenter de produire le même effet sur le lecteur étranger, a posé de
nombreux problèmes dans la traduction. On pourrait éventuellement en déduire qu il
n y a pas eu suffisamment de distinction entre ce qu un mot peut communiquer en
8
1.2. LE MOT FUCK(ING)
Parmi les trois mots vulgaires systématiquement repris dans The Slap, le plus
employé est sans doute fuck et ses variations. Le mot apparait sans cesse dans tous les
chapitres du livre et il est employé par tous les personnages, quel que soit leur âge ou
leur milieu, comme nom et comme verbe, et comme adjectif dans sa forme gérondive
fucking. Le caractère foncièrement dynamique du mot fuck(ing) pose un certain nombre
de difficultés dans sa traduction et Julie Adam en discute dans un article sur la
Comme il est impossible de proposer un équivalent unique pour ces nombreux fuck
et fucking, nous avons traité chacun des cas selon le contexte. La reprise
systématique d'un même mot aurait en effet semblé lourde en français, tandis que
l'anglais tolère très bien ces répétitions. L'essentiel étant de reproduire un effet
similaire à celui qu'exerce le texte original sur le lecteur anglophone, il fallait donc
étudier les diverses valeurs que prennent les mots fuck et fucking dans la phrase et,
plus largement, dans l'économie du texte. (Julie Adam, 1996 : 187)
Ces deux difficultés principales rencontrées dans la traduction du mot fuck dans
l exception du sens littéral du mot, pour lequel baiser est en général proposé. Cette
tendance peut être notée dans les choix pour fucking quand le mot est employé comme
un adjectif dans une expression insultante. Dans ces cas, l adjectif est souvent traduit par
une formule qui comprend un nom familier ou grossier suivi par « de » et ensuite par le
9
nom approprié, tels que « sale … de, » « connard de » ou « espèce de, » qui sont
« You fucking animal! » (p. 41) « Espèce de bête sauvage ! » (p. 58)
« Fucking liar. Fucking wog cunt liar. » (p. « Sale con de menteur. Sale con de
280) métèque. » (p. 349)
Bien que ces choix représentent une tendance assez large à employer une structure
similaire dans la traduction de ce type de fucking, les trois solutions principales
proposées élargissent considérablement le champ lexical du texte. Quand on considère
serait donc plus valable d étudier les possibilités proposées pour la traduction de
fuck(ing) dans The Slap de manière plus générale.
cul, » et le verbe « foutre » est également employé ailleurs dans le texte français pour
traduire fuck quand le mot est utilisé comme un verbe, mais ainsi que pour traduire
d autres unités lexicales du texte original. Autrement, des expressions telles que « ta
gueule, » « au cul » ou « fait chier » sont employées plusieurs fois pour traduire les
10
formules impératives du texte original comme « fuck you, » « fuck off, » ou « shut the fuck
Fuck you, losers. (p. 83) « Au cul, les blaireaux. » (p. 11)
Pour les cas où fuck est employé dans des interjections ou exclamations isolées,
« merde » ou « putain » sont habituellement proposé. Quand Hector dit fuck après avoir
tâché sa chemise, par exemple, le texte français traduit le mot par « merde » :
Ces plusieurs tendances font partie d une sélection plus large d un vocabulaire grossier
pour traduire les nombreux fuck(ing) du texte original, une sélection qui maintient dans
une certaine mesure le ton cru du texte original, quoiqu en proposant un champ de
« And no more fucking junk food. » (p. 90) « Arrête les hamburgers. » (p. 119)
Sans doute le traducteur a-t-il décidé que l adjectif fucking était superflu dans cette
phrase, comme elle se trouve dans le chapitre d (arry qui est déjà imbibé de langage cru,
mais l enlèvement du langage grossier ici a pour résultat d apaiser l ordre qu (arry
donne à Alex, la rendant moins insistante. On peut prendre un autre exemple de
2
L’absence de guillemets dans les deux premiers exemples donnés en anglais est due au choix de la part du
traducteur de différencier les pensées des personnages de la narration.
11
l absence d une traduction du mot fuck(ing) dans le texte français du chapitre d Anouk,
quand lors d une conversation avec Aisha, cette dernière parle de son mari :
« He s so fucking Greek at times. » (p. 58) « C est son côté grec qui ressort. » (p. 78)
Encore une fois, l adjectif fucking n est pas gardé dans la traduction, qui module la
phrase pour en communiquer le sens. Bien que ce sens soit rendu dans le texte français,
la frustration que ressent Aisha à propos de l attitude de son mari n est pas aussi
marquée à cause de l absence d une traduction du mot fucking qui accentue ses
sentiments. Le choix de ne pas toujours traduire le mot fuck(ing) quand son emploi n est
pas crucial dans le sens principal de l énoncé n a pas forcément d effet négatif sur la
communication de ce sens, mais modifie toutefois la manière dont il est communiqué.
Ailleurs dans le texte français, un lexique qui est plus familier que grossier est
parfois employé pour traduire fuck ou une expression qui contient ce mot. Dans le
premier chapitre du livre, Hector rentre dans la maison en entendant les enfants se
disputer :
« I came in to see what the fuck « Je suis venu voir ce qui se passait
happened. » (p. 28) encore. » (p. 42)
Dans cette réponse qu il donne à la question de sa femme, l expression « what the fuck »
est traduite par « encore » et la phrase perd tout aspect de crudité.
Une stratégie plus courante de traduction employée dans le texte français qui
rend l expression originale plus familière consiste à ne pas proposer d équivalent de
fuck(ing) au niveau lexical, mais de rendre l ensemble de l énoncé traduit plus familier
que celui du départ. Ce phénomène se fait surtout remarquer quand le mot fuck(ing) est
12
« Have you got a cigarette? … I need a « T’as pas une cigarette ? … J ai besoin
fucking cigarette. How much money have d une cigarette. Combien on a de fric ? » (p.
we got? » (p. 150) 193)
Dans cet exemple, on constate une omission de l adjectif fucking, mais l énoncé français
est rendu familier à travers une modification syntactique et un vocabulaire argotique.
Pour ce qui est de la syntaxe, on voit deux questions posées de manière informelle, sans
inversion ou l emploi de la formule « est-ce que. » Cette familiarité est accentuée dans la
première question par une contraction phonétique (« tu as » qui devient « t as ») et
l absence du « ne » dans la négation, et dans la deuxième par la traduction du mot money
par « fric. ». Dans la traduction, il semblerait que le traducteur ait décidé que l élément le
plus important à respecter était l oralité de l énoncé, selon sa variation diaphasique. Bien
que le texte français perde l insistance qui est installée dans l énoncé original par
l adjectif fucking, la traduction trouve des moyens pour donner un fort caractère oral à
ces phrases prononcées par une adolescente, adressées à une autre adolescente.
« I work for that money, that s my « Je travaille pour le gagner, ce fric. C est
money – you do shit-all. Give me my à moi. Tu fous que dalle, toi. Donne-moi
fucking money. » (p. 315) ma thune. » (p. 282)
Dans cet exemple, une traduction directe de l adjectif fucking n est pas proposée, mais on
voit une sorte de compensation dans l emploi du verbe « foutre » pour traduire to do
(suivi par « que dalle » pour shit-all), ainsi que les deux noms familiers « fric » et
« thune » pour traduire money. On remarque également une modification de la syntaxe
pour permettre des phrases plus familières et typiques du langage parlé, notamment
dans le dédoublement du sujet dans la première et la troisième phrase (« ce fric » et
« toi » ajoutés en apposition).
13
Un dernier exemple de ce genre de modification syntactique dans la traduction
de fucking employé dans le dialogue du livre peut être constaté dans la traduction d une
phrase prononcée par Rosie, adressée à sa mère :
L adverbe fucking n est pas traduit directement, mais l énoncé devient plus familier en
aspect d oralité qui est plus accentué que dans les énoncés du texte original.
choix pris. Le traducteur ne s est donc pas forcément référé à la valeur du mot pour
établir une démarche systématique, et il semblerait plus logique de supposer qu il a
considéré l ensemble du contexte de l énoncé comme il apparait dans le texte original et
a cherché à trouver la traduction qui serait la plus naturelle, identifiant pour chaque cas
texte anglais. Cependant, bien qu aucun mot en français n ait le même réseau signifiant
que ce mot anglais, et bien que la répétition systématique d expressions ou de mots
particuliers en français ne soit pas aussi bien tolérée qu en anglais, ce raisonnement ne
prend pas en compte la réalité qu en anglais cette sorte de répétition est en fait peu
conventionnelle et très lourde. La reprise d un vocabulaire cru, en particulier du mot
fuck, a justement contribué au choc qu a provoqué ce livre pour ses lecteurs
anglophones. Si on cherchait à développer l hypothèse qui est proposée par Adam, selon
laquelle la même répétition d un seul mot dans un texte français serait stylistiquement
lourde, on pourrait également essayer de comprendre les choix pris dans la traduction
14
de The Slap en se demandant si la langue française ne possède pas un réseau de langage
familier plus vaste que l anglais. Suivant cette idée, on pourrait attribuer cette absence
de la même répétition au fait qu il serait éventuellement plus naturel dans les mêmes
circonstances en français d employer une plus grande variété de termes, puisqu un mot
unique n est pas employé autant que fuck. Cela serait donc pour des raisons
d authenticité, et non seulement de style, que le traducteur a décidé de ne pas modérer
ses choix lexicaux. Cependant, que ce soit pour des contraintes stylistiques ou
linguistiques, le fait reste que la version française de The Slap n est pas aussi choquante
en termes de la crudité du langage employé que la version originale.
Outre la présence flagrante du mot fuck dans The Slap, les mots cunt et cock sont
très fréquemment employés, utilisés pour désigner le sexe féminin ou masculin ainsi
qu en tant qu insulte.3 La répétition de ces deux mots renforce la gravité des problèmes
que pose le désir sexuel pour les personnages dans l histoire et rend le sujet des
relations sexuelles entre les différents personnages plus érotique, vulgaire et cru. Dans
le texte français, on remarque plusieurs propositions différentes pour traduire ces deux
mots. Comme on peut noter dans les exemples suivants, quand les mots cunt et cock sont
employés pour désigner l organe sexuel, un terme neutre est souvent proposé,
He touched her face, her lips, her nipples, Il effleura son visage, ses lèvres, ses tétons,
3
Le mot cock est moins fréquemment employé en tant qu’insulte que cunt, et dans ces cas il est ajouté à un autre
mot pour former un mot composé, par exemple cocksucker.
15
her cunt. (p. 371) son sexe. (p. 462)
He did take peeks, he couldn t help it. He Quoique, incapable de se retenir, Rich
could describe every part of Nick s l observait en douce, volant chaque fois
anatomy, a composite body he had quelque détail de son anatomie qu il
snatched in illicit glances. The light wave savait aujourd hui ordonner comme un
of golden hair underneath Nick s balls, puzzle. Une vague légère de poils blonds
the almost scarlet blotch of the sous les testicules ; la tache de vin au-
birthmark above his friend s right nipple, dessus du sein droit, d un rouge presque
the boy s stubby, hooded cock, so much vif ; le pénis boudiné de son ami, bien
smaller than his own. (p. 449) plus petit que le sien. (p. 554)
… the feel of his mouth against hers when … la sensation de sa bouche contre la
they kissed, his cock filling her cunt as they sienne, son sexe dans le sien. (p. 462)
fucked. (p. 372)
Le dernier exemple est particulièrement frappant, puisque la puissance des trois mots
vulgaires employés dans le texte original est fortement diluée dans le texte français et le
passage devient tout de suite moins érotique. Dans tous les cas, l emploi d un terme plus
clinique a pour effet de retirer de l émotion du livre, dans lequel les problèmes que
provoquent l amour et les relations sexuelles pour les personnages sont d une grande
importance. La différence entre la grossièreté des termes proposés dans les deux textes
modifie également la manifestation de l attitude des personnages du livre envers ce
sujet. Ce même effet est produit quand la phrase est parfois remaniée pour permettre la
suppression du mot :
I wanted to scream but he had his hand over Elle avait voulu crier mais il avait mis sa
my mouth. His hands were on her legs, then main sur sa bouche. Puis sur ses jambes,
up her cunt. (p. 181) dans sa culotte.4 (p. 230)
With his eyes closed, he was recalling the Les yeux toujours fermés, il repensait aux
soft, sparse bristles of Connie s cunt. (p. 48) poils pubiens de Connie, rares et légers.
(p. 68)
4
Le changement de perspective dans le texte de départ n’est pas maintenu dans le texte d’arrivée.
16
Richie s cock was hard. (p. 436) Il bandait. (p. 538)
choix oscillent entre l emploi de « queue » et « bite » pour cock, et, deux fois, le mot
« con » est proposé pour cunt pp. et , dans les chapitres d (ector et de Richie .
Les exemples ci-dessous, tirés des chapitres d (ector, de Connie et de Richie
… their bodies, their cunts, their skins both … leur corps, leur con, leur peau à la fois
one and distinct for him. (p. 49) distincts et uniques. (p. 69)
« Its all about cock. » (p. 158) « Afer de bite. » (p. 202) 5
His cock looked too big, grotesque, on his Sa queue était grotesque, trop grosse pour
too-thin body. (p. 436) ce corps trop maigre. (p. 539)
Quoique rares, des traductions comme celles-ci réussissent à maintenir dans le texte
français la crudité du langage du texte original. Cependant, il faut reconnaître que cette
crudité n est maintenue que dans ces cas isolés puisque la non-reprise systématique de
Quand cunt est employé en tant qu insulte, adressée à des hommes comme à des
« You re a cunt. » (p. 280) « Vous êtes une conne. » (p. 350)
5
Erreurs reproduites telles qu’elles apparaissent dans les deux textes.
17
Bien que le mot « con » puisse être employé en français pour désigner le sexe féminin et
qu il ait ainsi une connotation sexuelle, son emploi familier courant rend la présence du
terme moins frappante dans le texte français que le mot cunt en anglais. Le mot « con »
est également employé ailleurs dans le texte français pour traduire une variété d autres
jurons du texte anglais, tels que (mother)fucker, bitch et bastard et son usage n est donc
pas limité à la traduction du mot cunt. De plus, même si c est le choix le plus habituel
pour la traduction de cunt, ce n est pas le seul mot proposé ; d autres jurons insultants,
tels que « pétasse » et « salope, » sont également employés, ainsi que plusieurs cas où
aucun équivalent grossier n est fourni :
Gary was on his feet, staggering, looking Gary avait quitté son siège et, titubant,
in confusion from his wife to Harry. Harry regardait alternativement son épouse et
did not take his eyes off the cunt. (p. 131) Harry, qui avait les yeux rivés sur elle. (p.
170)
L absence d une traduction unique pour le mot cunt employé comme insulte ainsi que
l écart entre la grossièreté du mot et celle des plusieurs traductions proposées ont pour
effet d apaiser le caractère choquant de sa présence dans le texte original.
dans le texte français. Un premier exemple de compensation peut être tiré d une
conversation entre Rosie et son coiffeur qui réagit à la nouvelle qu un homme a giflé
Hugo :
« That s right, we should kill the cunt. Mind « Mais ouais, faut le zigouiller, ce connard.
my language. But we should kill him. » (p. Pardon si je suis grossier. Mais bon, c est
263) ça, quoi. » (p. 328)
Dans cet exemple, l énoncé français est plus caractérisé par une oralité que l anglais
pour essayer de pallier la différence de force entre cunt et « connard. » Dans la syntaxe,
on remarque l absence du pronom « il » avant le verbe « falloir » qui est conjugué au
présent, un dédoublement du sujet dans l ajout de « ce connard » en apposition et les
18
formules typiquement orales « Mais ouais, » « Mais bon, » et « quoi. » Cette syntaxe
« What s it to you, cunt? » (p. 99) « C que ça peut te foutre, pétasse ? » (p.
131)
Ici, le verbe « foutre » est employé dans une expression grossière pour traduire
« pétasse. » Dans l exemple ci-dessous, Aisha et Rosie se disputent autour d un café dans
Victoria Parade et Rosie insulte le mari d Aisha en le traitant de cunt. Elle dit :
« Hector s always been a cunt. » (p. 424) « Il a toujours été con, celui-là ! » (p. 524)
Cette réplique est suivie par une réflexion de la part d Aisha : « It was such an ugly, brutal
word. The word struck her hard as a blow. » Pour souligner la puissance du mot comme il
est employé dans ce contexte, le texte français a recours aux éléments extralinguistiques
traduction ne réussisse pas toujours à avoir le même effet que celui du texte original.
concernant la traduction de fuck. Toutefois, dans les traductions proposées pour les cas
où le vocabulaire est employé pour référer aux sexes masculin ou féminin, il s agit
19
vraisemblablement d une incohérence, faisant perdre l insistance sur la grossièreté de
traduction ne maintient pas cette répétition et les énoncés finissent par perdre une
partie importante de leur force, comme on peut observer dans les exemples suivants. Ce
premier exemple apparait dans le roman quand Harry confronte sa femme à propos
d une conversation qu elle a eue avec son cousin :
« What fucking story, Sandi, what fucking « Mais putain, quelle affaire, Sandi ? » (p.
story? » (p. 110) 144)
énoncé tiré du chapitre d (arry, cette fois-ci quand il pense à (ugo, l enfant qu il a giflé
au barbecue :
That fucking cunt of a child, that fucking Ce sale con de gamin, cet animal. (p. 160)
animal of a child. (p. 122)
dans la syntaxe étant celui du remplacement du nom cunt par animal, n est pas
maintenue dans la traduction. Cette contraction de la deuxième proposition et l absence
du même rythme dans la traduction dissimule la manière obsessive dont Harry pense à
l enfant et au fait de l avoir giflé, estompant l importance de cette question dans le texte
20
plus largement. Le troisième exemple, peut-être le plus frappant, est tiré du chapitre de
« You’re a cunt. [… ] You know why « Vous êtes une conne. [… ] Et vous
you’re a cunt? [… ] You’re not a cunt savez pourquoi ? [… ] Je ne vous reproche
because you re free, you’re not a cunt pas de ne rien coûter, ni d avoir mal fait
because you didn t do your work. You’re votre boulot. Vous êtes une conne parce
a cunt because you didn t stop her, que vous n avez pas arrêté Rosie, parce
you’re a cunt because you let her go que vous l avez laissée poursuivre avec
ahead with it. » (p. 280) ses conneries. » (pp. 349-350)
employée cinq fois dans le texte original, et le texte français perd donc le ton menaçant
du discours. De plus, les deux fois où le mot cunt est traduit, la traduction propose le mot
« conne, » un mot qui est considérablement moins fort que cunt en anglais. Un effort
pour compenser ce manque de force peut être noté dans la traduction du mot it par
« conneries ».
très cru dans The Slap a choqué de nombreux lecteurs et le fait que le texte français ne
reproduise pas ce même effet stylistique prive le lecteur francophone du droit de réagir
au texte de la même manière que celui du texte original.
1.5. BLASPHÈMES
21
interjections qui communiquent du choc, de la surprise et de l incrédulité, et sa présence
Pour les cas o‘ l interjection originale est traduite en utilisant un lexique grossier,
il n est pas rare de voir des traductions avec « merde » ou « putain », par exemple dans
« Jesus, Harry. Are you going to fire me? » « Merde, Harry, tu vas pas me virer ? » (p.
(p. 94) 124)
« Jesus Christ, I m so fucking tired. » (p. 58) « Putain, ce que je suis crevé ! » (p. 144)
(Oh) my God, et des variations de « aller savoir » à l impératif pour traduire l incrédulité
exprimée dans des expressions comme God knows, comme dans les exemples suivants :
« Calm down, for God s sake. » (p. 131) « Mais enfin, calme-toi, » (p. 170)
« God knows. They looked like hookers but « Va savoir. On aurait dit des putes. Seize
they could have been sixteen. They were ans, peut-être. Probablement douze. » (p.
probably twelve, » (p. 67) 91)
Autrement, le lexique blasphématoire est souvent remplacé par une autre exclamation
« Jesus F Christ. She really watched that « Sans déconner, elle regarde vraiment
shit? » (p. 32) cette merde ? » (p. 48)
22
syntaxe originale pour essayer de rendre les mêmes intentions de l énoncé original. Un
« Christ, the man was a whiner. » (p. 129) « C était vraiment une couille molle, ce
type. » (p. 168)
Bien que le mot Christ ne soit pas reproduit dans la traduction, un lexique plus familier
est employé pour traduire a whiner par « une couille molle, » et the man par « ce type »,
et ceci est combiné avec le changement dans la syntaxe dans la phrase française où on
voit un dédoublement du sujet (« ce type » ajouté à la fin de l énoncé .
« God, thought Anouk, let s not have this « Bon Dieu, pensa Anouk, on ne pourrait
conversation. » (p. 74) pas changer de sujet ? » (p. 99)
« Oh for God’s sake, Kiki. » (p. 348) « Pour l’amour du ciel, Kiki. » (p. 411)
Tenant en compte les exemples cités ci-dessus, il semblerait que la traduction ait
On pourrait éventuellement supposer que cette différence entre les deux textes est à
23
cause du fait que ce type de langage soit jugé comme étant moins courant en français
et naturelle pour chaque cas, puisqu il aurait semblé étrange d inclure autant de
blasphèmes dans le texte français que dans le texte original. Cependant, dans un livre où
la question de la religion joue un rôle aussi important, on peut se demander si cette
texte.
1.6. COMPENSATION
large à moduler les énoncés du texte original pour finir avec un texte qui est
globalement plus familier. La familiarisation du lexique et de la syntaxe du texte original
se fait dans la traduction sur plusieurs niveaux.
L emploi continu d un vocabulaire plus familier que celui du texte original est
l une des stratégies principales de compensation employée dans la traduction.
Conformément à cette stratégie, la traduction recourt souvent à l emploi d un lexique
français familier en traduisant des mots anglais standards, probablement pour essayer
de pallier les occasions où une option aussi familière n existe pas en français. Le mot le
24
plus souvent familiarisé dans la traduction est child(ren) qui est rarement traduit par
« enfant ; » c est surtout les mots « môme, » « gosse » ou « gamin » qui sont proposés,
comme dans les exemples ci-dessous :
He was fucking sick of children. (p. 23) Il en avait plein le cul, des mômes. (p. 51)
« No! No no no no no! » It was as if the child « Non ! Non non non non non… » Comme si
had become lost in the very word… (p. 39) le gamin se fondait dans ce seul mot… p.
57)
A child, she was a child. (p. 44) Une gosse, c était une gosse. (p. 63)
cigarette, « fric » ou « thune » pour money, « bosser » pour les verbes work ou study, et
« bouffer » ou « bouffe » pour eat ou food.
« There s heaps of food. » (p. 37) « Il y a des tonnes de trucs à bouffer ! » (p.
54)
« All they were, all they screamed of was « Tout simplement, ils puaient le fric par
money. » (p. 275) tous les pores. » (p. 344)
tels que « champi, » « ado, » « mécano, » « scénar » et « intello, » comme dans les
exemples suivants :
« I m thinking of quitting the job. » (p. 79) « J envisage de donner ma dém. » (p. 106)
« She slipped them into her mouth and took « Elle les glissa dans sa bouche et les avala
a quick sip of champagne. » (p. 362) avec une gorgée de champ’. » (p. 451)
« Can t find a leak in the radiator so I m just « Je ne vois pas de fuite au radiateur, alors
checking out the fan. » (p. 90) je vérifie le ventilo. » (p. 120)
25
Ailleurs, le texte français propose des mots argotiques ou de verlan pour certains
The cunt cop didn t return the laugh. (p. Le keuf n avait pas envie de rire. (p. 139)
106)
« I dunno, » Jenna looked like she wanted to « Chaipas, dit Jenna d un air meurtrier. Fais
hit Tina. « Don t be such a wog, bitch. [His pas ta salope, métèque. Elle devait dormir,
mum] was probably asleep. » (p. 153) sa reum. » (p. 196)
She and Jenna and Tina dressed up for a Connie, Jenna et Tina super sapées avant
party. (p. 147) une teuf. (p. 189)
Maybe he was stoned. (p. 146) Peut-être avait-il fumé un oinj ? (p. 188)
« No logo. Boss. I like that. » (p. 185) « No logo. Enorme. Je kiffe. » (p. 234)
Richie et leurs amis, typique des adolescents anglophones (et parfois australiens), sont
déjà employés dans le texte de départ. Bien que l on puisse proposer que le texte
français a globalement plus tendance à employer un langage familier que le texte
original, l emploi d un nombre plus important de diminutifs, de structures syntactiques
oralisées et de vocabulaire argotique ou familier qui figure dans ces chapitres qu ailleurs
dans le texte sert à accentuer les énoncés d (arry et des adolescents, les différenciant
des manières de s exprimer des autres personnages du livre, représentatif donc du style
du texte original.
26
Une stratégie complémentaire de compensation peut être observée dans la
lexique standard dans le texte original, et pour ce qui est de la syntaxe, on voit souvent
des traductions étoffées dont les phrases contiennent un dédoublement du sujet, la
suppression du « ne » dans la négation ou des contractions phonétiques de mots ou
« Bravery would have meant walking out, « Il aurait été plus courageux de dire à ce
telling him what she really thought of con ce qu elle pensait au fond d elle, de
him, of his laziness and rudeness and lui jeter à la gueule sa paresse, sa
incompetence. » (p. 55) grossièreté et son incompétence. » (p. 76)
Le texte français propose pour cet énoncé une traduction qui étoffe le verbe to tell en
une approche plus libre de la traduction du langage cru et familier selon laquelle le
traducteur esquive les difficultés posées par le texte original au niveau de chaque
énoncé. S il n est pas envisageable, par exemple, qu un énoncé qui contient un juron en
familier ou grossier ailleurs dans le texte où il ne serait pas anormal dans la langue
d arrivée.
27
La confirmation de ce raisonnement peut se faire remarquer dans le même
passage que celui où Anouk pense à son employeur. Suivant sa réflexion personnelle,
elle prend part à une discussion avec Aisha :
« It s not his fucking mother, it s you… » (p. « Mais non, ce n est pas sa mère, c est
58) toi… » (p. 80)
Si, en n adoptant pas le raisonnement du traducteur à savoir que le langage cru employé
dans la phrase originale serait mieux intégré ailleurs en français, comme par exemple
dans l emploi des expressions familières « dire à ce con » et « lui jeter à la gueule » de la
phrase citée ci-dessus, la suppression de l adjectif fucking ici n est pas facile à expliquer.
L approche libre de la traduction du langage familier qui est reflétée dans la suppression
ou l assouplissement de la crudité de certaines parties du texte original réussit peut-être
à produire un texte d arrivée qui est crédible dans son ensemble, mais on ne peut pas
être sûr que cette démarche parvienne à rendre les nuances de chaque énoncé du texte
original dans le texte français.
familier prononcé par un personnage est traduit dans les énoncés d un autre personnage
et c est donc une personne différente qui adopte une manière familière de s exprimer
dans la même conversation. On peut s interroger sur l efficacité de cette approche de la
une conversation entre Richie et son père à propos du copain de Connie qui est arabe. La
première phrase est prononcée par Richie et c est son père, Craig, qui répond dans la
deuxième :
« What s wrong with that? » (p. 432) « Qu est-ce que ça peut te foutre, qu il soit
arabe ? » (p. 533)
28
« Jesus Fucking Christ, Rick. » (p. 432) « Eh, relax ! » (p. 533)
On voit ici que la réponse de Craig qui comprend une interjection blasphématoire et
grossière est traduite dans un français familier mais non grossier, et que, inversement,
l anglais standard de Richie se voit traduit dans un français grossier. Pour cette question
posée par Richie, on pourrait dire ici que la traduction essaie de rendre plus explicite le
communiquer les intentions des énoncés originaux, les choix de traduction semblent
accentuer le ton pris par les deux personnages et donc la nature délicate de leur relation
précaire suggérée dans le langage qu ils emploient.
personnage et de faire en sorte que les énoncés du texte français soient plus oralisés que
ceux du texte anglais. Cette baisse dans le registre peut être associée à une confusion
entre l oralité et la crudité, puisque le texte français semble avoir recours à des éléments
du langage parlé du français pour essayer de pallier le manque de force des possibilités
sélectionnées dans la traduction. Si à certaines occasions le texte original est ennobli par
la suppression de termes ou de tournures vulgaires dans le texte français, le registre est
souvent popularisé par des choix pris d employer un langage qui est plus familier dans
l ensemble que celui du texte de départ. Ces deux extrêmes sont identifiés par Antoine
comme des tendances déformantes dans son livre La Traduction et la lettre ou l auberge
du lointain :
29
De plus, en raison de la façon dont est abordée la compensation de cette différence entre
les niveaux de langue qui caractérisent le texte de départ et le texte d arrivée, certaines
nuances du texte original sont apaisées ou perdues.
préconise une approche qui laisserait à cette langue le droit de se faire influencer ou
sculpter à l aide de la langue étrangère (Benjamin dans Venuti 2004 : 75-95). Dans la
traduction de The Slap, le traducteur semble avoir adopté une approche qui évite de
de la langue d arrivée s il veut que sa traduction soit bien reçue, et par le lecteur et par la
maison d édition pour laquelle il traduit, sachant qu un style d écriture qui s éloigne trop
de ces normes littéraires et sociétales risque d ennuyer le lecteur et de compromettre le
plaisir de la lecture.
Bien que la démarche plutôt pragmatique suivie dans la traduction de The Slap
diffère des idées proposées et recommandées par Benjamin, et plus tard par Berman et
Lawrence Venuti, en particulier, elle est justifiée par de nombreux théoriciens, tels que
Clifford Landers :
If the author appears to the TL public as inaccessible or esoteric, the end product may
be merely a succès d estime. Further, while SL readers may be forgiving of, or even
oblivious to, small idiosyncrasies in the author s style, TL readers are less tolerant.
Worse, any deviation from normal usage is likely to be chalked up as a shortcoming of
the author, poor work by the translator, or both, when in reality it is an artefact of the
structure of the SL culture. (Landers 2001 : 52-53)
30
Dans leur collection d articles intitulée The Translator as Writer, Susan Bassnett
et Peter Bush présentent une conversation entre un éditeur et Alberto Mira, traducteur
d une œuvre d Oscar Wilde. En traduisant Wilde, Mira s est trouvé face à un texte qui
repoussait les limites stylistiques de la langue anglaise et il a essayé de reproduire ces
mêmes anormalités en espagnol, au grand dam de son éditeur qui met en avant les
attentes du lecteur :
In translation you have to ensure the reader s trust, to a greater extent than in original
writing. The moment artificiality becomes excessive, the reader will stop trusting the
translator. [… ] In a way the reader is expecting the spirit of the original to be there and
is happy to ignore the intervention of the translator as long as he or she is not too
visible. (Mira dans Bassnett et Bush 2006: 202)
Cette discussion confirme l existence de diverses contraintes qui sont imposées sur le
traducteur par des forces extralinguistiques.
lecteur. Les plusieurs traductions différentes qui sont proposées pour une même
expression ou un même mot systématiquement repris dans le texte original introduisent
une plus grande variété lexicale dans le texte traduit, qui risque d effacer la force et
l insistance qui sont insufflées dans le texte original par la répétition de ces mots ou
expressions. Cette conséquence peut être liée à une des tendances déformantes de
Berman, « la destruction des réseaux signifiants sous-jacents » :
31
dire : du texte manifeste, donné à la simple lecture. C est le sous-texte, qui constitue
l une des faces de la rythmique et de la signifiance de l œuvre. Berman : 61)
français n égalent pas la force des termes et tournures du texte original. Ce manque de
richesse est identifié par Berman dans une autre de ses tendances déformantes comme
un appauvrissement qualitatif :
Une exploration des choix principaux pris dans la traduction de The Slap a permis
de constater que pour essayer de pallier cet écart entre la richesse des mots proposés
dans les deux textes, des techniques de compensation sont mises en place, soit dans le
même énoncé, soit ailleurs dans le texte. Le succès de ces techniques de compensation
est discutable, car, en s appuyant sur ces stratégies de traduction, le traducteur risque de
finir avec une traduction qui n a pas le même niveau de familiarité que le texte original,
qui est, par exemple, plus ou moins familière que l original ou qui est familière et non
vulgaire, à cause d un ennoblissement ou une popularisation du texte et du manque de la
violence du texte original provoqué par une absence de la même répétition présente
dans le texte de départ. Ces techniques de compensation qui ont été employées par le
traducteur font en sorte que le texte finisse par perdre une partie importante de son
côté choquant, provoqué par l emploi excessif du langage vulgaire, devenant un texte qui
est très oral et globalement assez familier, mais qui ne propose pas les mêmes nuances
dans les diverses manières de s exprimer des personnages du texte original.
32
DEUXIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES GRECQUES
Trois des huit personnages dont on entend directement la voix dans la narration
des huit chapitres de The Slap sont soit grecs, soit d origine grecque. La manière dont
Manolis, son fils Hector et son neveu Harry s expriment sert à renforcer l importance de
leurs racines, et de ce fait, les chapitres du livre sont parsemés de mots grecs ou, dans le
cas de Manolis, d énoncés prononcés dans un anglais maladroit, fortement influencé par
sa langue maternelle. Comme l histoire se déroule dans une société qui est de plus en
plus multiculturelle, les origines grecques de ces (et autres) personnages et la tension
qu elles provoquent entre les différents groupes de personnes est une question
persistante dans le livre, et la communication de ces thématiques sous-jacents du texte à
Le portrait que dessine Tsiolkas d un immigré grec âgé, fortement rattaché à son
pays natal et pas tout à fait à l aise dans son pays d adoption, est accentué par la manière
dont ce personnage s exprime dans le dialogue du livre où il parle en anglais. Manolis
déclare avoir du mal à s exprimer de façon libre et précise en anglais, son langage étant
Cet anglais bancal de Manolis peut être distingué de son grec conventionnel, et à
divers moments dans le texte, on les voit juxtaposés quand Manolis emploie les deux
langues dans une même conversation. Un exemple notable de cette juxtaposition figure
33
dans le premier chapitre du livre, celui d (ector, lors du fameux barbecue, o‘ l on voit
Manolis parler grec avec ses fils et anglais avec les autres invités. En arrivant chez
Hector et Aisha, Manolis pose un plateau de viande sur la table et annonce à Aisha, sa
belle-fille : « I go bring the rest of food from car » (p. 16). Quelques pages plus tard, il
entame une conversation avec un des invités, Gary, qui fait comprendre qu il a soif. En
utilisant la même sorte de structure que celle qu il a employée avec Aisha, Manolis lui
dit : « I go bring… You want beer? » (p. 21). Dans ces deux exemples, il est évident que
l anglais n est pas la langue maternelle de Manolis ; dans ses phrases courtes et
simplistes, Il utilise le présent simple du verbe to bring au lieu du futur, qui serait plus
naturel, et néglige de rajouter des articles (il dit food au lieu de the food et beer au lieu de
a beer). Ces paroles sont mises en relation avec les moments où Manolis parle en grec,
s exprimant par des phrases plus longues et complexes sans faire le même genre de
fautes linguistiques. En demandant à Hector de commencer à faire à manger, Manolis est
direct et précis : « Go get the chops. / It s time. That Australian hasn t stopped drinking
since he got here. He needs food » (p. 30). Dans le texte français, les énoncés maladroits
de Manolis en anglais sont en général traduits par un français standard. Manolis semble
donc capable de manipuler son langage selon ses besoins et ses intentions, ce qui n est
pas le cas en anglais. Pour les deux exemples cités ci-dessus, la traduction française
propose:
« I go bring the rest of food from car. » (p. « Je vais chercher le reste dans la voiture »
16) (p. 27)
« I go bring… You want beer? » (p. 21) « Je m en occupe… Tu veux une bière ? » (p.
33)
Les maladresses et les fautes sont corrigées dans la traduction, et contrairement aux
phrases du texte de départ, ces deux phrases ne heurtent pas l oreille et on n aurait pas
de mal à se dire qu elles auraient pu être prononcées par une personne parlant sa langue
maternelle.
34
Plus tard dans le livre, les répercussions sociales de la manière maladroite dont
Manolis parle sont exemplifiées lors d une conversation qu il entreprend avec sa belle-
fille, Aisha. Pendant cette discussion, Manolis essaie de la convaincre d assister à la fête
d anniversaire de son neveu, Rocco le neveu d Aisha , le fils du neveu de Manolis, (arry,
l homme qui a giflé (ugo, le fils de Rosie, une amie d Aisha, et la frustration qu il ressent
à cause de son incapacité de se montrer aussi convaincant en anglais que ce qu il
pourrait être en grecque est claire, illustrée dans ses paroles peu naturelles mais
« …Aisha knew no Greek and he, even « Elle ne connaissait pas le grec, il parlait
after all this time, could not always make encore un anglais approximatif. » (p.
his meaning clear in English. » (p. 336) 419)
mettent à parler, puisque cette phrase établit le contexte de leur discussion, prévenant le
lecteur que Manolis devra faire face à divers obstacles pour réussir à persuader sa belle-
fille de faire quelque chose qu elle n a pas envie de faire.
élucider cette tendance de traduction. Dans ce premier exemple, Manolis parle du regret
d (arry après avoir giflé l enfant, et il utilise des phrases courtes et un vocabulaire
rudimentaire.
« What he did was bad, terrible, very « C est très mal, ce qu il a fait, un geste
35
terrible, but it was a mistake. He is very déplacé, une erreur vraiment. Mais il est
sorry. Please, Aisha, it is no good for désolé. Je t en prie, Aisha, ce n est pas bon
Adam and Melissa. » (p. 337) pour Adam et Melissa. » (p. 419)
commence par utiliser l adjectif banal bad, puis rajoute l adjectif un peu plus fort terrible
et ensuite l adverbe very. Ce développement est assez faible linguistiquement, les mots
tout simplement rajoutés de façon cumulative, l un après l autre sans mots de liaison,
montrant une désespérance qui est provoquée par cette recherche de mots. En français,
Manolis se montre plus assuré et à l aise dans son argumentation, qui est
linguistiquement plus complexe.
Un deuxième exemple dans la même discussion réitère les limites de son champ
lexical :
« Harry is very sorry… He is very very « Harry est désolé… )l répète qu il est
sorry. He told me again and again. He is vraiment navré que tu sois fâché contre
very sad that you are angry with him. » lui. » (p. 419)
(p. 337)
Manolis répète les deux mots very et sorry, encore une fois dans effort de développer son
argumentation, mais de manière assez faible. La reprise de ces deux mots n est pas
maintenue dans la traduction française, o‘ l expression est rendue plus complexe par
l addition d une variété lexicale à travers l adverbe « vraiment » qui remplace very very
et le synonyme « navré » qui remplace le deuxième emploi de sorry. La structure
enfantine again and again est également transposée dans une proposition plus concise,
traduite par le verbe « répéter. » Finalement, pour les deux dernières phrases de
exemple en anglais sont traduites et embellies en deux phrases plus fluides, et ces choix
de traduction font disparaitre l importance des difficultés linguistiques rencontrées par
Manolis dans ses efforts de persuasion.
36
Une amélioration du style du texte original peut également être remarquée dans
une phrase o‘ Manolis parle de Rosie, la mère de l enfant giflée par son neveu :
du livre. En général, les énoncés des personnages secondaires du livre qui s expriment
dans un anglais écorché sont traduits dans un français tout aussi écorché. Cette tendance
peut être illustrée dans la traduction des propos du propriétaire chinois de l épicerie o‘
Hector achète ses cigarettes dans le premier chapitre :
« I smoke three a day only. One in morning, « Moi fume trois par jour. Une matin, une
one after dinner and one when I finish in après diner, une quand fermer boutique. »
shop. » (p. 4) (p. 13)
Plus tard dans le livre, lors des vacances d (ector et Aisha à Bali, les énoncés des
plusieurs personnages balinais qui parlent un anglais simpliste sont également rendus
dans un français simpliste, notamment le conducteur de taxi qui propose d accompagner
Hector et Aisha à Ubud :
« You go Kuta? … I go Ubud. I take you. » (p. « Vous aller Kuta ? … Moi aller Ubud. Moi
374) vous prendre. » (pp. 465-466)
37
Dans ces deux cas, le texte français propose une traduction qui reproduit les
ne sont pas des cas isolés dans les deux passages mentionnés, ni dans le livre plus
largement. La tendance générale dans la traduction est d embellir son langage en
corrigeant ses fautes, élargissant son champ lexical et rendant plus fluide son
expression, et cette tendance contribue à réprimer la façon dont le lecteur perçoit
Pour surligner l importance des origines grecques des personnages de The Slap,
Tsiolkas saupoudre son texte de mots grecs employés dans le dialogue ainsi que dans la
narration. Ce vocabulaire est identifié comme étant étranger par l emploi des italiques
mais est inclus dans le texte sans que la définition de chaque mot soit directement
fournie.
Souvent, le sens des mots grecs utilisés devient évident grâce au contexte ou à
une structure syntactique qui permet une explication. Dans ces cas où le sens est
38
implicite, la traduction française maintient la façon de présenter le vocabulaire du le
texte original, laissant les mots en grec et en italiques, sans fournir d explications
supplémentaires.
Why are you friends with that mavraki, Pourquoi faut-il que tu traînes avec ce
that blackie, all he knows to do is drink. p. mavraki, ce négro, qui ne sait rien faire
18) d autre que boire ? p.
Le sens du mot mavraki est déjà fourni dans le mot anglais blackie qui est mis en
apposition. Conformément à cette tendance de ne pas inclure une note de bas de page
que si le sens n est pas clair dans l original, la traduction reproduit la structure de la
phrase originale. Pour les cas où le sens est déduit du contexte, on peut prendre
l exemple du mot Panagia qui est employé dans le chapitre d (arry. Comme il venait de
regarder les icônes de la Vierge et du Fils au-dessus du lit de son fils et de se signer, il est
évident que quand il dit « Thank you, Panagia, » c est la Vierge Marie qu il remercie.
Encore une fois, aucune explication n est fournie dans la traduction qui utilise la même
Cependant, le texte original présente des cas où le sens du vocabulaire grec reste
vague et une explication ou une définition ne sont pas fournies dans le texte original.
Dans ces cas, la traduction française propose une note de bas de page lors du premier
usage du mot pour clarifier son sens pour le lecteur. Quand (arry s adresse à Koula dans
le premier chapitre du livre en l appelant thea, la traduction française donne la note de
bas de page suivante :
Theo, thea (grec) : littéralement oncle et tante : nom générique utilisé par les
enfants pour désigner les grandes personnes.
Cette même technique est également utilisée pour l emploi des mots giagia (grand-mère,
p.50), pousti (pédé, p.121) et malaka (branleur, p. 131). Ailleurs, dans le premier
chapitre du livre, une note de bas de page est aussi fournie pour le mot pasticcio. Bien
que le sens exact du mot n est pas disponible aux lecteurs du texte original, on peut
déduire que pasticcio désigne une sorte de nourriture grecque car le mot apparait dans
une description des plats présents au barbecue : « His mother had brought pasticcio » (p.
39
36). Ce mot est intégré dans le texte original sans être différencié du vocabulaire anglais
du texte à l aide d italiques. Les italiques ne sont pas non plus utilisées dans la traduction
française, mais l hyponyme de cet hyperonyme est proposé dans la note de bas de page à
la page 53: lasagnes grecques.
Pour des lecteurs anglophones en Australie, il est vrai que le grand nombre
d immigrés grecs y habitant implique une familiarité probable avec la langue. Ceci dit, ce
fait ne garantit pas qu ils connaissent le sens de chacun des mots employés. Sans doute
Tsiolkas a-t-il décidé d inclure le lexique grec sans fournir de traduction pour renforcer
fait que le lexique soit clarifié pour les lecteurs de la traduction française signifie que les
mots ne sont plus acceptés comme étant ordinaires, puisque leur présence est soulignée.
De plus, l accès au sens qui est fourni pour les lecteurs risque d estomper l importance
des origines grecques des personnages, puisque la traduction prend une approche plus
inclusive et le fossé entre le monde des personnages, dans lequel ils partagent une
connexion avec les autres personnes qui comprennent les termes employés, et celui des
lecteurs est donc comblé. Cette tendance de clarification peut être également aperçue
dans l emploi de notes de bas de page pour déchiffrer plusieurs références culturelles
qui ne seraient peut-être pas inhérentes pour les lecteurs du texte original, rendues
explicites pour les lecteurs francophones.
40
départ dans la traduction de ce livre font partie des tendances déformantes identifiés
perceptible dans les mots et leurs sens et suggère que la clarification a tendance à
imposer le défini, où l original emploie l indéfini. Bien qu il concède que toute traduction
comprend un certain degré d explication, Berman déclare que cette clarification peut
signifier deux choses très différentes. Selon lui, la clarification peut être la manifestation
de quelque chose qui est caché ou réprimé dans le texte original, qui peut être utile
puisque la traduction pourrait ensuite illuminer un autre aspect de la question.
Inversement, la clarification peut rendre clair quelque chose par la traduction qui est
intentionnellement laissé ambigu dans l original, par exemple dans un mouvement de
polysémie à monosémie, ou à travers une traduction paraphrastique ou explicative. Il
serait raisonnable de suggérer que les décisions prises dans le traitement du lexique
grec dans la traduction française de The Slap peuvent être alignées avec cette deuxième
conséquence élaborée par Berman.
Dans l ensemble, les choix pris dans la traduction de ces renvois aux origines
grecques de certains personnages ont pour effet de diluer l influence qu ont ces origines
sur les tensions qui s élèvent entre les personnages du livre, vivant dans la société
41
TROISIÈME PARTIE : RÉFÉRENCES AUSTRALIENNES/ANGLOPHONES
Ayant pour cadre la ville de Melbourne, The Slap est un roman saupoudré
de culture populaire anglophone. Pour un public non-familier avec le monde du livre, ces
références sont susceptibles de produire plusieurs effets. Elles pourraient, par exemple,
plonger le lecteur dans un environnement fondamentalement australien, lui donnant
ainsi une meilleure impression de la vie dans ce pays. Autrement, elles pourraient
déstabiliser le lecteur qui risque de se sentir exclu par les renvois à une culture qu il ne
connait pas. La traduction française du livre veille à ce que ce soit cette première
3.2. TOPONYMES
texte français aussi authentique que possible, de telle sorte qu il laisse en grande
majorité les toponymes intacts, les transférant inchangés au texte français. Le lecteur
francophone est donc plongé dans le monde d un pays étranger et il sent que l histoire se
déroule dans un lieu anglophone particulier. Souvent, un mot comme « quartier » ou
He got off the train at North Richmond. He Il descendit à North Richmond, sans idée
had no plan; all he knew was that he did not préconçue. Tout simplement, il ne voulait
wish to be at home. He walked down pas rentrer. Pratiquement tous les
Victoria Street. Every shopfront seemed to restaurants de Victoria Street avaient des
be an Asian restaurant; they owned this enseignes orientales – le quartier était
strip of Richmond. Once it had been the tombé dans les mains des Chinois, qui
Greeks. (p.342) avaient remplacé les Grecs. p. 426
exemple, Rosie dans ses promenades parmi les rues de la banlieue nord ou le long de la
43
Yarra (River) (pp. 311- , (arry alors qu il traverse le Westgate Bridge p. qui
sépare les deux côtés de la ville pour aller de Brighton à Altona, et Anouk et Aisha quand
elles se demandent où se retrouver pour prendre un verre, à Southbank ou à Docklands,
à Federation Square ou à St Kilda, (p. 87, p. 76, p. 330). L authenticité et l exactitude des
éléments du cadre qui sont fournis pour le lecteur francophone semble être d une telle
préoccupation pour le traducteur qu à un moment dans le texte français, il va même
jusqu à fournir le nom d un ruisseau qui ne figure nulle part dans le texte original :
The creek and the river were close by – Darrebin Creek, le ruisseau, n était pas
weren t they scared of rats, mice, tiger loin, de même que le fleuve – enfin, ils
snakes for God s sake? (p. 135) n avaient pas peur des rats, des sourires,
des vipères ? (p. 175)
L histoire est fortement ancrée dans la ville de Melbourne et le fait que ces nombreuses
soit en forme de note de bas de page, constitue une légère forme de décentrement,
employée sans doute pour exoticiser le texte et fournir les lecteurs avec de la couleur
locale ou une sorte de saveur de l étranger.
3.3. GÉNÉRALISATION
But they had always been good friends, Bons amis depuis les bancs du lycée…
since sitting together in Year Eight in (p. 30)
school... (p. 18)
44
phrase originale.6 Pour un dernier exemple de ce type de généralisation dans le
traitement de références culturelles, on peut considérer les propos d (arry par rapport
aux deux partis politiques australiens :
Au lieu d inclure le nom des deux partis dans le texte français, la traduction prend l idée
français de The Slap est peut-être à travers l inclusion de notes de bas de page, qui
attirent l attention sur le caractère étranger du texte. La traduction a recours à des notes
de bas de page pour éviter de choquer le lecteur quand une référence culturelle risque
de trop le confondre. Une note de bas de page est proposée, par exemple à la page 20 de
la traduction pour le toponyme Lalor, laquelle explique la référence à un endroit « dans
la banlieue de Melbourne. » Autrement, la traduction propose une note de bas de page
pour des allusions géographiques considérées comme ayant besoin d explication, par
exemple pour King Street à la page 29, où il est jugé important de mentionner que cette
rue de Melbourne est « connue pour ses night-clubs. » Comme pour les toponymes, la
traduction garde souvent le vocabulaire original australien et le déchiffre dans une note
de bas de page pour les allusions aux institutions et médias australiens, parmi lesquels
des magazines, des émissions télévisées et des magasins. Quand Gary cherche son
exemplaire du Good Weekend, par exemple, la traduction laisse le nom propre en
6
Cette traduction représente en fait un léger écart du sens du texte original ; c’est plutôt depuis le collège que les
personnages sont amis, puisque le lycée commence deux années après Year Eight.
45
Magazine inclus dans l édition du samedi des quotidiens The Age et The Sydney
Morning Herald. (p. 315)
Au-delà des notes de nature explicative, la traduction fournit également des notes
de bas de page comprenant des équivalents français, ou alors des équivalents qui
seraient facilement reconnus par un lecteur francophone. Si on a déjà exploré des
questions d équivalence dans la première partie de cette étude en termes du style, on
peut également considérer dans cette deuxième partie le recours à des équivalents pour
rendre accessible des renvois culturels, sans doute pour assurer que le lecteur
francophone parvienne à visualiser ce qui est décrit. Par exemple, quand Rosie décrit sa
tenue en spécifiant qu elle avait acheté sa jupe chez David Jones, la note de bas de page
identifie le grand magasin australien comme « les Galeries Lafayette australiennes » (p.
329). Ailleurs dans le livre, Gary fait découvrir des magazines à Richie, dont Ralph et
Drive, et les deux titres sont supplémentés par un équivalent dans la note de bas de page,
respectivement Playboy et L Argus (p. 538). Dans le corps du texte lui-même, des
équivalents sont également utilisés, notamment pour des passages liés à la nourriture ou
au système éducatif australien. L emploi d un vocabulaire typiquement français peut se
faire remarquer dans la traduction du mot kinder, diminutif de kindergarten, qui est
Hector went off to uni to do his commerce Hector intégrait, lui, une école de
degree. (p. 18) commerce. (p. 30)
L idée du commerce degree fait à l université se transforme en un diplôme suivi dans une
école. Cette traduction est encore un écart du texte original, puisque la plupart des
46
commerce, des écoles étant très rares. Pour ce qui est de la nourriture, lors du fameux
barbecue qui a lieu dans le premier chapitre du livre et qui constitue le point de départ
du roman, on prépare pour les enfants un plateau d hors-d œuvre :
Aisha placed a tray of party pies and Aisha posa sur la table basse un plateau de
sausage rolls on the coffee table. (p. 17) mini-quiches et d amuse-gueule. (p. 29)
La party pie est une sorte de mini tourte, composée de bœuf haché et sauce au jus de
viande, et le sausage roll une tranche de chair à saucisse entourée de pâte feuilletée, et
ces deux aliments sont des incontournables des fêtes australiennes, en général servis
accompagnés par une sauce tomate. La traduction de cet énoncé généralise et approprie
le texte original en même temps, puisque la mini-quiche est un hors-d œuvre français et
étrangers.
3.6. INEXACTITUDES
Everyone was waiting for Tuesday, which Les copains attendaient tous le mardi,
was when they d all get their ENTER jour de réception des résultats
scores. (p. 439) d’ENTER. (p. 542)
(Equivalent National Tertiary Entrance Rank) et proposant l expansion dans une note de
bas de page, la définition qui accompagne cette expansion, « test d entrée à l université, »
est inexacte. En fait, le terme ENTER ne signifie pas un test unique, mais le nom de la
note sur 100 attribuée aux élèves à la fin de leur VCE. Le VCE ou le Victorian Certificate of
47
Education, (acronyme également laissé dans la traduction à la page 583 avec la note de
bas de page « certificat d éducation ») est le nom donné aux deux dernières années de
l école secondaire dans l Etat de Victoria, chaque état et territoire en Australie ayant un
système légèrement différent. La note que reçoivent les élèves dans la forme du score
ENTER est calculée à partir de leur performance dans l ensemble des cinq ou six
matières qu ils étudient durant la deuxième année, Year 12. Une autre erreur de
traduction pour une référence politique apparait à la page 432 du texte français dans
« I bet you voted for John Howard. » (p. « Je parie que tu as voté John Edward. » (p.
432) 534)
)l n est pas clair pourquoi la traduction ne contient pas dans ce cas une note de bas de
page pour expliquer la référence au premier ministre de l Australie au moment de la
publication du livre,7 mais le fait que son nom soit incorrectement transcrit dans le texte
français prive le lecteur du droit de se renseigner sur cette référence. Bien que cette
erreur ait l air négligeable, pour un lecteur non-australien, la raison pour laquelle Richie
serait contrarié de savoir que son père soutient cet homme politique n est pas évidente
deux citées ci-dessus8 s opposent à la recherche d authenticité qui persiste ailleurs dans
le texte français.
Pour les cas où la traduction fournit des informations additionnelles sur ces
références, informations qui ne seraient pas forcément innées pour le lecteur du texte
7
Il y a une autre référence à John Howard à la page 202 du texte original quand Connie dit « Who wants to be
normal in John Howard’s Australia? » Dans ce cas aussi, l’identité et l’importance de cet homme ne sont pas
claires dans le texte original pour le lecteur non-australien et aucune explication n’est fournie dans la traduction,
« Qui a envie d’être normal dans l’Australie de John Howard ? » (p. 255). Cependant, le nom est cette fois-ce
correctement transcrit dans le texte français.
8
Il y a également quelques fautes ailleurs dans la traduction, notamment pour les plusieurs références aux Op
Shops (magasins d’occasions gérés par des associations caritatives) et dans l’explication fournie pour l’émission
télévisée A Current Affair.
48
original, le texte est approprié pour le lecteur francophone, rendu plus explicite, et ces
Les notes de bas de page sont également employées dans un but de clarification
pour plusieurs références de culture populaire. Elles servent à déchiffrer des références
qui ne seraient pas forcément inhérentes pour tout lecteur du texte original, rendues
donc explicites pour le lecteur francophone. Au barbecue, Gary fait une blague en
décrivant l apparence de Rhys, le conjoint d Anouk :
« You shot a man in Vermont, eh? Just to « Eh, tu as tué un mec à Vermont ? Juste
watch him die. » (p. 33) pour le regarder crever ? » (p. 49)
Suivant cette blague prononcée par Gary et adressée à Rhys, Hector explique la
« It s a line from a Johnny Cash song. » (p. « Ça sort d une chanson de Johnny Cash. »
33) (p. 49)
La phrase d (ector est complémentée dans le texte français par une note de bas de page
qui fournit pour le lecteur francophone une information supplémentaire qui n est pas
donnée dans le texte original :
Folsom Prison Blues I shot a man in Vermont, just to watch him die. : J ai tué un
mec à Vermont, juste pour le regarder crever. )
Bien que l on puisse reconnaître que le lecteur anglophone serait éventuellement plus
capable d identifier cette référence intertextuelle, puisque les paroles de la chanson sont
comprendre la référence. D ailleurs, on pourrait douter que tout lecteur du texte original
connaisse la chanson, et le fait que Tsiolkas choisisse de ne pas fournir le titre suggère
donc que cette information n est pas d une grande importance. Plus tard dans le livre
dans le chapitre de Connie, une clarification encore plus explicite d une référence
49
intertextuelle est proposée dans la traduction. Alors que Connie défend des amis avec
lesquels Richie ne s entend pas, il en parle à Nick en disant que Connie est « normale » :
« See, I told you she was a replicant. She s « Tu vois, je t avais dit qu elle faisait
one of the normal ones. » (p. 204) partie des réplicants. Ceux qui
ressemblent aux normaux. » (p. 257)
La traduction est accompagnée par la note de bas de page : « Référence au film Blade
Runner. » Aucune indication de la source de cette référence n est donnée dans le texte
original et cette traduction explicative la rend donc évidente pour le lecteur du texte
français, ajoutant un aspect au texte qui n est pas présent dans l original.
australiennes. Cependant, cette envie est en partie contrecarrée par les plusieurs petites
erreurs dans la transcription ou dans les explications fournies pour déchiffrer les
diverses références. De surcroit, même si la traduction incorpore un grand nombre de
noms propres intacts dans leur forme originale en anglais et donne donc au lecteur
français un accès au monde du livre, faisant en sorte que la traduction ait l air
authentique, le texte français fournit des informations supplémentaires pour faciliter la
50
CONCLUSION
La « fidélité » manifeste des traductions n est pas le critère qui garantit l acceptabilité de la
traduction. […] La fidélité est plutôt la conviction que la traduction est toujours possible si le
texte source a été interprété avec une complicité passionnée, c est l engagement à identifier
ce qu est pour nous le sens profond du texte, de l aptitude de négocier à chaque instant la
solution qui nous semble la plus juste. (Eco 2006 : 466)
était de fournir au lecteur francophone un texte qui fait sentir les complexités du livre
original mais qui reste accessible et fluide, qui n heurte pas l oreille. En traduisant The
Slap, le traducteur s est trouvé face à des difficultés concernant à la fois la forme et le
fond de ce livre. Notamment, la présence flagrante d un vocabulaire très cru avec la
reprise systématique d un certain nombre de termes dont il n existe pas d équivalent
direct en français a posé des problèmes linguistiques ainsi que stylistiques. Face à ces
difficultés, le traducteur s est visiblement appuyé sur des méthodes qui dépendent
largement d un travail d interprétation et de jugement personnels. Ces stratégies de
nature subjective entraînent une modification dans le registre global du texte traduit,
qui ne trouve pas de moyens pour communiquer la même impression de violence et de
force que le texte original. Dans la traduction du contenu du livre, on constate un effort
concerté pour communiquer l essence de l endroit dans lequel l histoire se déroule.
Cependant, la généralisation, la clarification ou l explication de certains aspects du texte
ont pour résultat de produire un texte qui semble authentique mais qui est en quelque
sorte trompeur. Dans l ensemble, bien que le lecteur francophone soit plongé dans le
monde du livre, le texte français reste accessible en termes du style d écriture ainsi que
du contenu, et cette appropriation aux normes françaises est faite aux dépens de
certains réseaux sous-jacents installés dans le texte original par Tsiolkas. Bien que les
solutions trouvées pour chaque énoncé du texte paraissent à certains égards justes, le
lecteur francophone est privé dans une certaine mesure de l occasion d identifier ce
qu Umberto Eco appelle « le sens profond » du livre, à cause du processus de négociation
qui a été suivi par le traducteur.
51
ANNEXE : DRAMATIS PERSONAE
Harry* : cousin d (ector, d origine grec, homme qui a giflé l enfant au barbecue
Hugo : fils de 4 ans de Rosie et Gary qui s est fait gifler au barbecue
52
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