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Cunha Dóris A.C., Arabyan Marc. La ponctuation du discours direct des origines à nos jours. In: L'Information
Grammaticale, N. 102, 2004. pp. 35-45.
doi : 10.3406/igram.2004.2562
http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_2004_num_102_1_2562
Pour Frédéric François mot d'autrui bakhtinien qui, fondu dans le discursus (le flux
du langage), débouche sur une intertextualité sans limite (4).
INTRODUCTION Ses origines se perdent dans l'absence de témoignages
d'époque - inscriptions lapidaires exceptées. Par exemple,
Proposant une synthèse, le présent article ne prétend pas
à l'originalité. Il ne prétend pas non plus à Texhaustivité tant la préface de la traduction d'Isaïe par saint Jérôme, qui
contient de rares considérations sur la ponctuation de
la masse de documents susceptibles d'entrer dans le corpus Démosthène et de Cicéron, nous est parvenue dans des
est importante. Il cherche surtout à signaler l'absence du
livre que mériterait l'histoire du discours rapporté - livre qui copies qui n'en ont pas reproduit la mise en page. Les textes
fondateurs ayant disparu, nous n'avons sur les premières
n'existe pas encore parce que sans doute difficile à faire. formes que des notions transmises par la tradition ou qu'« une
Les textes qui abordent frontalement la ponctuation du poignée de fragments » (5) retrouvés en démontant des
discours rapporté sont rares C). Pourtant les colloques de cartonnages de momie ou des plats de reliures (figures 1 et 2).
Bruxelles en 2001 (« Le Discours rapporté dans tous ses
états : Questions de frontières ») et celui de Cadix en 2004 3. Emile Zola, Au Bonheur des Dames (nous soulignons) :
(« Dans la jungle des discours : Genres de discours et Vous avez lu, cet homme qui a guillotiné sa maîtresse d'un coup de
discours rapporté ») en font ressentir la nécessité : à quelques rasoir?
exceptions près, les 1 1 0 à 1 20 communications Dame, fit remarquer une petite lingère, de visage doux et délicat, il
l'avait trouvée avec un autre. C'est bien fait.
correspondantes (Bruxelles + Cadix) multiplient les références à Mais Pauline se récria. Comment! parce qu'on n'aimerait plus un monsieur,
l'écriture : point d'exclamation (d'interrogation, de suspension), il lui sera permis de vous trancher la gorge ! Ah ! non, par exemple ! Et, s'inter-
séquence (de) virgule(s), deux-points, tiret(s), guillemet(s) rompant, se tournant vers le garçon de service :
(très souvent allégués), italique(s), capitales, alinéa(s), Pierre, je ne puis avaler ce buf, vous savez...
Cf. aussi L. Rosier, déjà cité : 362 :«[...] ce que je ne comprenais pas,
paragraphe^), mise en page(s) ou forme(s) textuelle(s)... -cette c'est qu'à son tour elle s'en soit offert six, et sans allocations madame » (Annie
liste suffit à montrer qu'une certaine part du discours Emaux, La Femme gelée, p. 12).
rapporté, à commencer par le discours direct, tient à la scrip- L'étiquette DDL est cependant discutable et discutée (cf. M. Wilmet,
Grammaire critique du français, Paris, Hachette et Duculot, 2e éd., 1 998, § 565,
turation (2). C'est donc tout naturellement qu'on y trouve des p. 453-454) dans la mesure où déjà pour Bakhtine, tous les schémas de
classes d'emplois catégorisées par la configuration verbum discours rapporté peuvent ne pas être marqués, qu'il s'agisse non seulement
dicendi et/ou ponctuant(s) spécifique(s). Par exemple, on de Dl et de DN (ce qui va presque de soi) mais aussi de DIL et de DD. Sophie
appelle discours direct libre (3) un discours direct dépourvu Marnette (Narrateur et points de vue dans la littérature française médiévale,
Berne, Peter Lang, 1998, p. 1 1), va dans le même sens, pour qui « [dans le
de guillemets et/ou de tirets et/ou, dans une moindre mesure, schéma DD] le discours citant et les discours cités constituent deux actes
d'italiques. d'énonciation différents, possédant chacun un repérage distinct pour les
embrayeurs », ce qui signifie qu'à défaut d'être marqué, le DD est sensible (cf.
Le discours direct n'est pourtant pas sans soulever des infra, figures 9 et 11). J. Authier-Revuz définit elle aussi le discours direct
problèmes de définition, allant du dialogue marqué jusqu'au comme un événement textuel local : « Lun parle de l'autre en l'affichant,
localement, comme autre : c'est la zone du discours direct, caractérisé par
l'exhibition, sur la linéarité qu'elle découpe en parts de l'un/de l'autre, d'un segment
1 L. Rosier, « Discours grammatical et ponctuation : l'exemple du discours complètement hétérogène aux plans sémiotique, syntaxique, énonciatif, placé
rapporté », In J.-M. Defays, L. Rosier et F. Tilkin (éds), A qui appartient la sous la dépendance du dire de l'un, effectuant la prise en charge de la mons-
.
ponctuation ? (colloque de Liège, 13-15 mars 1 997), Bruxelles, Duculot, 1 998 tration de l'autre, c'est-à-dire «faisant parler l'autre» » (« La Représentation
353-364, n'aborde l'« arsenal graphique » du discours rapporté qu'à travers du discours autre : un champ multiplement hétérogène », in J. M. Lopez Munoz,
:
la littérature française contemporaine. S. Marnette et L. Rosier (éds), Le Discours rapporté dans tous ses états (Actes
2. La scripturation regroupe tous les composants non alphanumériques du colloque de Bruxelles, 2001), Paris, LHarmattan, 2004, p. 35-53).
de l'écrit, ponctuations « noire » et « blanche », y compris la MEP (Mise En 4. Cf. D.A.C. Cunha, Discours rapporté et circulation de la parole, Louvain,
Page) ; cf. R. Laufer, « Du ponctuel au scriptural, signes d'énoncé et marques Peeters, 1992 [BCILL n° 62] ; D.A.C. Cunha et M. Valois, « La Mise en
d'énonciation », in N. Catach (éd.), La Ponctuation, Langue française, 45, paragraphes du discours rapporté dans les récits de fiction brésiliens», in
février 1 980 : 77 sv. Cf. aussi « Lalinéa typographique du xvie au xvme siècle », M. Arabyan (éd.), Le Paragraphe, Modèles linguistiques, 48, XXIV-2, juin 2003
in R. Laufer (éd.), La Notion de paragraphe, Paris, CNRS, 1985 : 53-64; 27-42 ; D.A.C. Cunha, « Interactions discursives dans la fiction brésilienne »,
:
« L Espace visuel du livre ancien », in R. Chartier et H.-J. Martin (éds), Histoire in J.M. Lopez Munoz, S. Marnette et L. Rosier (éds), Le Discours rapporté
de l'édition française I, Le Livre conquérant, 2e éd. Paris, Fayard, 1989 : dans tous ses états, déjà cité : 1 39-146 ; D.A.C. Cunha, « Quelques formes
578-601 ; « Les Espaces du livre », in R. Chartier et H.-J. Martin (éds), Histoire de circulation de la parole dans les genres littéraires et de presse écrite », in
de l'édition française II, Le livre triomphant, 2e éd. Paris, Fayard, 1990 : J.M. Lopez Munoz, S. Marnette et L. Rosier (éds), Genres de discours et
156-172. discours rapporté (Actes du colloque de Cadix, 2004), à paraître.
Beaucoup plus proche de nous mais non moins de ponctuation y sont présentés par ordre d'importance
handicapante, la réédition des classiques français des xvie, xvne et supposée, de sorte que pour se faire une idée d'ensemble
xvme siècles par la Librairie Hachette dans la collection des du système ponctuationnel de la citation, du dialogue ou de
Grands écrivains de la France a fixé les textes dans une la réplique, des paroles, pensées ou états mentaux
ponctuation anachronique datée de la fin du xixe et du début rapportés, il faut lire plusieurs douzaines de pages réparties çà et
du xxe siècle. À l'exception de quelques travaux critiques là à travers les ouvrages. C'est donc aussi un problème que
et de rares, coûteuses et mal lisibles éditions diplomatiques, de décider ce qu'il faut considérer comme la ponctuation
cette ponctuation aberrante est celle des éditions actuelles. pertinente pour répondre à la demande de qui cherche à
L'écriture des auteurs en est profondément altérée, et savoir quelles sont les ressources typographiques
constamment faussé le jugement des lecteurs, parmi disponibles pour faire entendre - et voir! - la circulation de la
lesquels les chercheurs en grammaire, stylistique ou parole, la sienne ou celle d'autrui, réelle ou imaginaire.
linguistique qui, en toute bonne foi, sans savoir à quel point les
impressions modernes les égarent, prennent pour argent 1. LES PLUS ANCIENS MANUSCRITS
comptant les marques qu'ils y trouvent. Les éditeurs de Les ponctuants sont attestés dès l'Egypte pharaonique,
l'ancien et du moyen français ne sont pas en reste qui, pour dont un signe de pose en forme d'avant-bras à main
améliorer la compréhension des uvres et en faciliter la étendue pour séparer les péricopes, ancêtres de nos para-
5. P. Saenger, « La Naissance de la coupure et de la séparation des mots », 6. Cf. N. Catach, Les Délires de l'orthographe, Paris, Pion, 1 989, et « Retour
in H.-J. Martin et J. Vezin, Mise en texte et mise en page du livre manuscrit, aux sources », in P. Lepape (éd.), Le Génie de la ponctuation, Traverses, 43,
Paris, Promodis et Le Cercle de la librairie, 1990 : 447-449. Cf. aussi J. Vezin, février 1 988 ; M. Arabyan, « Bornes de phrase et de paragraphe chez Joinville
« La Ponctuation du vine au xn® siècle », ibidem 438-441 et « La Ponctuation et Foissart», Modèles linguistiques, 49, XXV-1, janvier 2004 (à paraître).
aux xme, xive et xve siècles », ibidem 442-445. 7. E. Ornato et al., La Face cachée du livre médiéval, Rome, Viella, 1 997.
:
:
:
était un acte de lecture et non d'écriture, à la charge du
lecteur et non de l'auteur. On peut penser que la
communauté des lettrés (partiellement assimilable à l'agora, au On a affaire à une onciale (gr. oncos, « crochet ») en scriptio
forum) entretenait des relations beaucoup plus étroites que (ou scriptura) continua, « écriture continue », c'est-à-dire sans
de nos jours, d'où un accord verbal non pas tacite mais séparation entre les mots. Les quelques points que Ton
explicite sur le sens des signes en usage au sein de petits distingue figure 3 ont été placés par un lecteur. On note
groupes de connaissances. l'absence de ponctuation : alors même que Matthieu attribue au
La figure 1 reproduit le plus ancien témoignage Christ une interrogation rhétorique (quanto magis...), nul
archéologique qui nous soit parvenu concernant la littérature grecque. signe ne borne la question. Puis vient une série de questions
Il présente un signe de ponctuation du discours direct. directes attribuées par le Christ à ceux qui Técoutent - un
discours direct au deuxième degré, donc. Ces questions ne
Dans les uvres dramatiques grecques, les didascalies sont sont sensibles que par le passage de la seconde à la première
prises en ligne dans le texte courant. Seules les grandes personne du pluriel (nolite esse dicentes... -+ manducabi-
divisions (cf. figure 2, XOPOY, en capitales centrées, « Le mus... bibemus... operiemur...) et par les répétitions de Tin-
Chur») et les changements de personnages font l'objet terrogatif quid, puis quod, les deux dernières séparées par
d'une notation explicite, le paragraphos (napa, « en dehors », aut (« ou bien »). Le passage du discours enchâssant au
et ypatyoç, «tracé»), tiret placé sous la première lettre de discours enchâssé et le retour du discours enchâssé au
chaque réplique, signalant l'alternance des voix et donc discours enchâssant sont purement morphologiques.
souvent celui des vers, par stichomythie.
Ce phénomène est à rapprocher d'une discussion qui a
Ce trait souscrit a été transmis par la tradition, avec peu de beaucoup intéressé les clercs concernant la façon de noter
modifications, jusqu'au xve siècle. On le retrouve au ixe siècle l'intention du locuteur à l'écrit - un double problème de choix
(figure 6) sous forme adscrite pour mettre en page les des mots à l'émission et de repérage de ces mêmes mots
dialogues platoniciens. à la réception. En l'absence de ponctuants, tout le contenu
Passons au Moyen Âge : la figure 3 reproduit un des plus illocutoire doit en effet être pris en charge par l'expression
anciens évangéliaires connus. [Si... DEVS SIC VES] /TlT linguistique de l'énoncé. Ce que saint Augustin probléma-
QVANTO MAGIS / VOS MINIME FIDEI / NOLITE ERGO SOLLI / tise ainsi (9) :
CITI ESSE DICENTES / QVID MANDVCA/BIMVS AVT QVID / . . . Hie sane quod dictum est, Et nunc non deficiunt ex illis omnia
BIBEMVS AVT QVO [D] / OPERIEMVR HE [C] / ENIM OMNIA quae conati fuerint facere, non dictum est confirmando sed
GENTES [...]: « [si dieu ainsi vêt (l'herbe des champs)] ne le tamquam interrogando sicut a comminantibus did quemadmo-
dum ait quidam, Non arma expedient totaque ex urbe sequen-
fera-t-il pas bien plus pour vous gens de peu de foi ne vous tur. Si ergo accipiendum est tamquam dixerit Nonne omnia
mettez donc point en peine disant que mangerons-nous ou deficient ex illis quae conati tuèrent facere, sed si ita dicatur non
que boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous c'est de exprimit comminantem. Verum propter tardiusculos addidimus
tout cela en effet que les païens [sont en quête] », etc. particulam id est, ne, ut diciremus, nonne, quoniam uocem
pronuntiantis non possumus scribere...
8. J. Winand, « La Ponctuation avant la ponctuation : LOrganisation du
message écrit dans l'Egypte pharaonique », in J.-M. Defays, L. Rosier et
F. Tilkin (éds), A qui appartient la ponctuation ? déjà cité : 1 68-1 69. 9. De Civitate Dei, XVI, vi, 2.
H es oof screws
pxzrnfmet qtlwnaudxf
Figure
Paris,(document
BNF,
5. Extrait
lat. publié
266,
d'évangéliaire
f°par
168,J. col.
Stiennon,
(saint
a, milieu
Jean,
ibid.du:Prologue),
ix" siècle
253).
est(,) ipse intrabit in regnum : « ce n'est pas celui qui m'aura comme Le Monde (cf. infra).
dit seigneur seigneur qui entrera dans le royaume des deux 12. Cf. sur ces discussions M. Arabyan, « Note sur la construction du
mais celui qui a fait la volonté de mon père qui est dans les mythe des origines de la lecture silencieuse à partir d'une fausse
cieux lui il entrera dans le royaume », etc. interprétation de saint Augustin et d'Isidore de Seville », in P. Berthier et D.-R. Dufour,
Philosophie du langage, esthétique et éducation, Paris, L'Harmattan, 1996,
p. 107 sv. et « Du nouveau sur le mythe des origines de la lecture silencieuse »,
in M. De Mattia et A. Joly (éds), De la syntaxe à la narratologie énonciative,
10. De Ecclesiae Officiis, in Opera omnia, Londres, Lindsay, 191 1 Paris, Ophrys, 2001 213 sv.
.
équivalente à la hauteur de la ligne imprimée ; cette mesure est égale à la force de Genève, Droz, 1968.
corps, soit, en système métrique, un tiret de 3,51 mm de long pour 10 pt. On 16. Le redoublement des traits est fréquent dans les usages médiévaux
notera que le retrait d'alinéa ouvrant standard vaut lui-même un cadratin, pour distinguer les ponctuants du texte courant, d'où l'usage de doubles
cf. M. Arabyan, Le Paragraphe narratif, Paris, L'Harmattan, 1994 23. virgules pour former les guillemets « en anglais » et en allemand «.
:
Figure
de Jean
9.- de
Histoire
Léry, d'un
Genève,
voyage
Antoine
fait enChuppin,
la terre du
1580Brésil...,
: 20.
Figure 1 1 Mme de La Fayette (ou Lafayette),
.
Dans la figure 10 extraite du même ouvrage, on voit le récit La Princesse de Clèves, imprimé chez Barbin, 1678,
Tome III : 82-83, début de la scène dite « de l'aveu »
courant s'interrompre au profit d'un type de texte marqué (cliché BNF).
comme tel, le colloque, c'est-à-dire le dialogue :
imprimeur à Venise, pour éditer Pétrarque. C'est en effet un
dessin de caractères moins large que le romain et qui permet
de faire tenir plus facilement les vers dans la largeur de la
CHAP. XX. page. De proche en proche, l'italique a pris le sens d'extrait
Colloque de tentree ou orriuee en ta terre du de poème, de pièce antique, y compris des deux Testaments :
Brefil, entre les gens dit pays nommez. Touou- d'où le sens final de citation de discours pris en ligne ou en
pinambaoulrs , & Toupinenkins en langage paragraphe détaché : par exemple, dans la Princesse de
ftmage & François. Clèves, la « lettre au vidame » se distingue du récit courant
par les italiques (2°).
ToHoupmambaoklt* La figure 1 1 donne une image de la ponctuation classique
du discours direct. Elle ne se distingue en rien des usages
médiévaux (cf. figure 7). On notera que cette image du texte
URB-ioubêî Es-tu venu* remet en cause l'expression du roman français de l'époque
François. classique : le discours direct y est fondu dans le rapport
P a-ai out, Ouy ic fuis veau» d'actions avec un statut d'acte de parole aujourd'hui
T complètement oblitéré par la séparation des répliques de dialogue
Teh! auge-ny-po, Voila bien dit, par des alinéas guillemetés ou plus souvent (et plus anachro-
T niquement encore) tiretés.
%îJucZ M ***"¥* Aéréréî Comment te nommes-tuî
4. DE MARMONTEL À SIMENON
**£*, Leryoitjfitt, Vnc groïïl huitre.
Racontons maintenant la redécouverte française, vers 1760,
Figure 10. Ibid. : 306. sous l'égide de Sterne, du paragraphos des Grecs devenu
paragraphus chez les Romains, simplex ductus chez Isidore.
La figure 12 illustre le célèbre «shandean dash», ce long
La mise en page est celle du théâtre, avec une distinction tiret d'insertion-signalisation du discours direct dont on dit
de la version tupi-guarani du dialogue par l'italique, signe que Sterne en commanda spécialement la fonte à son
généralement employé à l'impression des mots d'autrui. Les
locuteurs sont désignés in extenso puis par leurs initiales 19. Le gothique allemand, le russe, le chinois, le japonais et autres
centrées dans une forme qui reprend la mise en page du écritures semblables ont jusqu'à tout récemment exprimé l'italique non pas par
théâtre grec (supra figure 2). Quant aux italiques, la pente mais par l'interlittération (espacement de chaque caractère par une
techniquement impossibles dans les litterae formatae (les « lettres fine, ou douzième de cadratin typographique) ou par une diminution de corps.
20. Cf. M. Arabyan, « La Lettre de roman : fragment ou simple segment? »,
de forme », autrement dit d'édition 09)) des scriptoria, elles in M. Erman (éd.), Sémiologie du fragment, Modèles linguistiques, 44, XXII-2,
ont été inventées comme on sait vers 1500 par Aide Manuce, juin 2001 : 23-32.
!
Il les agita, sans rien changer au thermomètre.
être ouvrant et fermant, à la différence du code français, C'est froid, décidément.
mais que cet emploi par paire a été adopté par l'espagnol Je n'ai pas chaud non plus, reprit Pécuchet, saisi lui-même
et le portugais (ce qui mériterait une étude spécifique). par un frisson. Mais agite tes membres pelviens, agite-les ![...]
Je n'y comprends rien ! Je me remue pourtant
En 1 754, soit cinq ans avant le tome I de Tristram Shandy, Pas assez !
!
Jean-François Marmontel (1723-1799) propose dans Et il reprenait sa gymnastique. Elle avait duré trois heures
l'article Direct de l'Encyclopédie la création d'un signe qui sera quand une fois encore il empoigna le tube.
décisif pour la scripturation française contemporaine : Comment ! Douze degrés Ah Bonsoir ! Je me retire !
!
!
[...] Il n'est aucun genre de narration où le discours direct ne soit
en usage, et il y répand une grace et une force qui On voit par cet exemple que le paragraphe classique mêlant
n'ap artiennent qu'à lui. Mais dans le dialogue pressé, il y a un action, description, explication, évaluation, discours rapport?
inconvénient auquel il seroit aussi avantageux que facile de remédier. direct et indirect cède la place :
C'est la répétition fatigante de ces façons de parler, lui dis-je, - d'un côté au paragraphe de réplique à alinéa guillemeté
reprit-il, me répondit-elle, interruptions qui ralentissent la et/ou tireté ;
vivacité du dialogue, et rendent le style languissant où il devrait être
le plus animé [...] Le moyen le plus court et le plus sûr d'éviter - de l'autre au paragraphe de régie à alinéa simple
en même temps les longueurs et l'équivoque, serait de intercalé entre deux répliques, mis en exergue en tête ou rejeté
convenir d'un caractère qui marquerait le changement d'interlocuteur en fin de dialogue, qui dit qui parle à qui, sur quel ton, en
et qui ne serait jamais employé qu'à cet usage [...] faisant quels gestes, etc.
Après avoir proposé un deux-points moyens juxtaposés [..], Dans la seconde moitié du xixe siècle, tous les romanciers,
il se rallie au tiret long [ ] dans ses Contes moraux de 1761 , historiens, journalistes et autres conteurs mettent à profit
soit deux ans après la sortie du tome I du roman de Sterne, cette possibilité de fragmentation pour créer des effets
peut-être sur le conseil de Diderot qui était tout à la fois très jusqu'alors inconnus ou mal affirmés - parmi lesquels l'ironie.
attentif à ces questions et fasciné par le texte de Sterne (21). Dans le même temps, les guillemets disparaissent
progressivement des dialogues à haute voix puis des répliques isolées
Commentaire de Roger Laufer : pour se spécialiser dans le marquage de la voix basse, de
L'énoncé romanesque à plusieurs voix du xixe siècle n'aurait l'aparté, du chuchotement, de la pensée rapportée :
jamais pu s'écrire sans le nouveau système typographique, basé Catherine se pinça les lèvres pour cacher sa satisfaction.
sur l'alinéa, le tiret et les guillemets. Alors, dit-elle vivement, vous renoncez à la régence ?
De fait, l'arrivée du tiret long (ou tiret cadratin, cf. n. 14 supra) « Le roi est mort, pensa Henri, et c'est elle qui me tend un piège. »
a eu pour effet de redynamiser les guillemets tombés en Puis tout haut :
Il faut d'abord que j'entende le roi de France, répondit-il.
déshérence au cours des trois siècles antérieurs, le couple
(Alexandre Dumas, La Reine Margot)
21. Cf. R. Laufer, « Les espaces du livre», déjà cité : 171, et 22. 1823, cité par J.-P. Colignon, La Ponctuation, Bruxelles, Duculot, 1981
J.-F. Marmontel, Éléments de littérature (1787), in uvres complètes, Paris, Nous suivons ici M. Arabyan, Le Paragraphe narratif, déjà cité 24-33, 65-
.
Verdière, 1818-1819, cité par J.-M. Adam, Les Textes : types et prototypes, 86, 252-257 et passim.
:
Paris, Nathan, 1992 152-153. 23. uvres complètes, Paris, Seuil, 1964 222.
:
:
n'est pas officiellement rattaché, explique M. ge. Il faut également, poursuit le président de la
Collonge. De même que lorsqu'un doctorant travaille, CjC, « diversifier les sources definancement des
avec notamment des charges d'enseignement, au thèses» et « étendre les conventions entre les
sein d'une institution qui n'est pas habilitée à universités et les industriels, aux collectivités tenitoriales ou
délivrer des doctorats. » aux établissements publics pour mieux financer les
sciences humaines et sociales ».
SANS COTISATIONS SOCIALES Outre les questions statutaires, le montant des
Le rapport s'en prend, plus généralement, au allocations de recherche devrait également, selon
statut des étudiants de troisième cycle qui la CjC, être largement revalorisé : selon les jeunes
CjC,
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rémunérés au moyen de bourses, sans le bénéfice 150 % du SMIC «n 1976, contre 103 % du salaire
des cotisations sociales. Il n'est en effet pas rare minimum actuel Pour M. Collonge, les récentes
qu'à l'issue d'une thèse de doctorat achevée à propositions du gouvernement (Le Monde du
l'âge de 30 ans, un jeune chercheur n'ait cotisé à 28 février) sont: « scandaleuses ». « Elles ne
aucun régime de retraite. « Nous demandons la prennent pas la mesure du mouvement, ni son ampleur
définition d'un cadre juridique commun aux historique », juge-t-il.
doctorants et auxpost-dociorants qui oblige à un
recrutement avec contrat de travail », ajoute M. Stéphane Foucart
avant de disparaître totalement, y compris des citations !, au mais non plus leur fin, et le lecteur en est réduit à des
profit des tirets : hypothèses. Lécrivain n'a plus la certitude d'être exactement compris,
Un grand personnage de la police a écrit un jour : car, dès lors que la fin des paroles ne coïncide pas avec celle
Sans le hasard, la police n'arrêterait aucun criminel. du paragraphe, c'est au lecteur de deviner. Et si l'auteur mêle
On pourrait ajouter : dans une même phrase ses interventions ou ses commentaires
Sans les dénonciations, elle n'en arrêterait pas cinquante aux paroles rapportées, le lecteur risque de s'égarer.
pour cent. (b) Les guillemets constituent la solution parfaite du problème
C'est la lecture la plus écurante qui soit. posé, et nous les voyons reprendre, même dans la presse, la
place que le tiret avait usurpée.
(Georges Simenon, Police judiciaire (24))
Les figures 1 3 et 1 4 montrent le balisage qui en résulte dans
5. XXe SIECLE CODE DE LA PRESSE ET JEUX Le Monde. On notera la disparition des tirets au profit de
deux autres dispositifs.
DE STYLE
La figure 13 montre la mise entre guillemets et en italiques
Cette dernière configuration étant jugée abusive, elle va être systématique de tous les propos rapportés, accompagnés
remise en cause dans les années cinquante dans le code le plus souvent de verba dicendi qui donnent au lecteur des
typographique de la presse. Principalement destiné aux orientations illocutoires explicites (cf. dénoncer dans le titre
journalistes, ce code met l'accent sur la citation. Placée au centre puis dans le texte, suivis d'expliquer, ajouter, poursuivre et
de la déontologie, celle-ci doit être protégée contre toute juger). Citations de citations, les segments guillemetés des
équivoque (25) : titres sont les seuls à venir en romain. Le corps des articles
Deux procédés typographiques se partagent actuellement les alterne régulièrement les segments argumentatifs, narratifs
préférences. ou en discours indirect, voire narrativisé, et les citations en
(a) Le tiret. Ce signe de ponctuation forte, dont le rôle est de discours direct. Les quantités des uns et des autres sont
séparer, fut d'abord utilisé pour signaler le changement fréquemment analogues, comme par souci d'équilibrer la
d'interlocuteur dans les dialogues, puis on en vint à lui confier le rôle
d'« introducteur des paroles » en toutes circonstances, et, à cause part de chacun, journaliste et informateur(s).
de la facilité de son emploi, il a, un temps, joui de la préférence À côté de ce format sur-marqué du discours direct, Le Monde
des imprimeurs, notamment dans la presse. Mais sa facilité met en uvre un format sous-marqué où les ponctuants
d'emploi tient en fait à son insuffisance ou mieux, à son imprécision. spécifiques laissent la place à des formes archaïques de
[. . . En effet] le tiret marque bien le commencement des paroles, mise en page (figure 14).
Contrastant avec les articles rédactionnels, les
24. G. Caraman [Simenon], in Police et reportage, 22 juin 1933; repris transcriptions d'interviews n'utilisent ni verba dicendi ni régies. C'est
dans A la découverte de la France, F. Lacassin (éd.), Paris, UGE, 1976 :
77-101. au lecteur de déduire du format employé : (a) que les tout
25. Ch. Gouriou, Mémento typographique, Paris, Le Cercle de la premiers et derniers noms (en l'occurrence René Amalberti
librairie, 1 973 [1 re éd. 1 961 ] : 61 -71 . Sans parler du Code typographique du et Laure Belot) rencontrés dans la maquette de l'article sont
syndicat CGC de la Presse qui fait référence en la matière, on retrouve ces termes ceux de l'interviewé et de l'intervieweuse, celle-ci « signant »
dans la plupart des instructions à l'usage de la presse, Lexique des règles
typographiques en usage à l'imprimerie nationale, 1990 ou L. Guéry, son travail en fin d'article ; (b) que le titre en romain guille-
Dictionnaire des règles typographiques, Paris, CFPJ, 1996.
meté est un extrait du texte qui fait entendre la voix de codes ne sont pas équivalents. Leur comparaison dans les
l'interviewé ; (c) que les questions de la journaliste sont en gras exemples ci-dessous montrera que les ambiguïtés du tiret,
et les réponses de l'interviewé en maigre. L'expression loin de devoir être évitées, peuvent être recherchées.
« propos recueillis » est la seule marque explicite du Exemple n° 1 (26) :
dispositif. Le gras est attribué à la parole minoritaire ; il fait
fonction de rubrication (cf. figure 7). Nous nous levons. Le caporal demande d'une voix essouffl ? e :
« Où est Tjaden ? »
Le Monde n'est ni le premier ni le seul périodique à employer Il regarde autour de lui [...] après quoi il se retire, avec
ce format pour les interviews. Linterview de presse peut être Himmelstoss dans son sillage.
considérée comme un genre à part entière du fait même de « J'ai l'impression qu'à nos prochains travaux de
ses formats de paragraphes. Une variante plus « légère », retranchement un rouleau de barbelé tombera sur les jambes
fréquente dans les magazines, est l'alternance du romain d'Himmelstoss, fait Kropp.
Nous n'avons pas encore fini de nous amuser avec lui »,
(à la place du gras) et de l'italique (à la place du maigre) - dit Muller.
ou vice versa -, le lecteur sachant pertinemment que deux Telle est maintenant notre ambition...
locuteurs font alterner leurs voix et que si ce n'est pas l'un
qui parle, c'est l'autre : il suffit d'attribuer les énoncés Dans ce dialogue selon le code moderne, l'énoncé direct
interrogans au journaliste et les autres à la personne interrogée. fermé par un point d'interrogation, « Où est Tjaden ? », est
Mais on est aussi dans la situation où le lecteur qui entre guillemeté sans problème mais l'incise qui suit, fait Kropp,
dans le texte sans commencer par le commencement doit vient sans guillemets fermants. Ces guillemets viendront
déduire qui parle à qui de la forme locale des propos, de avant le point final de la réplique de Muller, point absorbé (27)
leur longueur et de leur contenu, c'est-à-dire de la place et par la virgule qui introduit une seconde incise, dit Muller.
de la posture de chacun, du niveau encyclopédique L'emploi de guillemets fermants apparaît ainsi comme quasi
(générique vs spécifique) de son lexique, etc. Bref, le balisage du redondant lorsqu'une réplique vient sans incise de régie ou
discours direct dans la presse écrite française devrait donner s'achève par un point (notamment expressif), et il est sans
lieu à des recherches : il est en effet permis de penser que autre effet que formel (il faut bien fermer les guillemets
l'opposition guillemets + italiques et gras vs maigre ne sont quelque part) dans le cas contraire, à moins d'admettre des
pas les seules ressources disponibles pour mettre en uvre séquences sans tiret ni absorption de ponctuant :
les propos d'autrui.
Si maintenant on sort du contexte de la presse pour aller voir
ce qui se passe en librairie, on constate que le jeu des
guillemets et du tiret dégage une opposition entre un code moderne 26. E.-M. Remarque, A l'Ouest lien de nouveau, Le Livre de Poche n° 187
90-91.
:
h grosso modo celui de Flaubert à ses débuts - et un code 27. La notion est de C. Tournier, « Histoire des idées sur la ponctuation »,
contemporain -mettons celui de Flaubert à sa maturité. Ces in N. Catach (éd.), La Ponctuation, déjà cité : 39.