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L'Information Grammaticale

La ponctuation du discours direct des origines à nos jours


Dóris A.C. Cunha, Marc Arabyan

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Cunha Dóris A.C., Arabyan Marc. La ponctuation du discours direct des origines à nos jours. In: L'Information
Grammaticale, N. 102, 2004. pp. 35-45.

doi : 10.3406/igram.2004.2562

http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_2004_num_102_1_2562

Document généré le 16/10/2015


LA PONCTUATION DU DISCOURS DIRECT
DES ORIGINES À NOS JOURS

Dôris A.C. CUNHA et Marc ARABYAN

Pour Frédéric François mot d'autrui bakhtinien qui, fondu dans le discursus (le flux
du langage), débouche sur une intertextualité sans limite (4).
INTRODUCTION Ses origines se perdent dans l'absence de témoignages
d'époque - inscriptions lapidaires exceptées. Par exemple,
Proposant une synthèse, le présent article ne prétend pas
à l'originalité. Il ne prétend pas non plus à Texhaustivité tant la préface de la traduction d'Isaïe par saint Jérôme, qui
contient de rares considérations sur la ponctuation de
la masse de documents susceptibles d'entrer dans le corpus Démosthène et de Cicéron, nous est parvenue dans des
est importante. Il cherche surtout à signaler l'absence du
livre que mériterait l'histoire du discours rapporté - livre qui copies qui n'en ont pas reproduit la mise en page. Les textes
fondateurs ayant disparu, nous n'avons sur les premières
n'existe pas encore parce que sans doute difficile à faire. formes que des notions transmises par la tradition ou qu'« une
Les textes qui abordent frontalement la ponctuation du poignée de fragments » (5) retrouvés en démontant des
discours rapporté sont rares C). Pourtant les colloques de cartonnages de momie ou des plats de reliures (figures 1 et 2).
Bruxelles en 2001 (« Le Discours rapporté dans tous ses
états : Questions de frontières ») et celui de Cadix en 2004 3. Emile Zola, Au Bonheur des Dames (nous soulignons) :
(« Dans la jungle des discours : Genres de discours et Vous avez lu, cet homme qui a guillotiné sa maîtresse d'un coup de
discours rapporté ») en font ressentir la nécessité : à quelques rasoir?
exceptions près, les 1 1 0 à 1 20 communications Dame, fit remarquer une petite lingère, de visage doux et délicat, il
l'avait trouvée avec un autre. C'est bien fait.
correspondantes (Bruxelles + Cadix) multiplient les références à Mais Pauline se récria. Comment! parce qu'on n'aimerait plus un monsieur,
l'écriture : point d'exclamation (d'interrogation, de suspension), il lui sera permis de vous trancher la gorge ! Ah ! non, par exemple ! Et, s'inter-
séquence (de) virgule(s), deux-points, tiret(s), guillemet(s) rompant, se tournant vers le garçon de service :
(très souvent allégués), italique(s), capitales, alinéa(s), Pierre, je ne puis avaler ce buf, vous savez...
Cf. aussi L. Rosier, déjà cité : 362 :«[...] ce que je ne comprenais pas,
paragraphe^), mise en page(s) ou forme(s) textuelle(s)... -cette c'est qu'à son tour elle s'en soit offert six, et sans allocations madame » (Annie
liste suffit à montrer qu'une certaine part du discours Emaux, La Femme gelée, p. 12).
rapporté, à commencer par le discours direct, tient à la scrip- L'étiquette DDL est cependant discutable et discutée (cf. M. Wilmet,
Grammaire critique du français, Paris, Hachette et Duculot, 2e éd., 1 998, § 565,
turation (2). C'est donc tout naturellement qu'on y trouve des p. 453-454) dans la mesure où déjà pour Bakhtine, tous les schémas de
classes d'emplois catégorisées par la configuration verbum discours rapporté peuvent ne pas être marqués, qu'il s'agisse non seulement
dicendi et/ou ponctuant(s) spécifique(s). Par exemple, on de Dl et de DN (ce qui va presque de soi) mais aussi de DIL et de DD. Sophie
appelle discours direct libre (3) un discours direct dépourvu Marnette (Narrateur et points de vue dans la littérature française médiévale,
Berne, Peter Lang, 1998, p. 1 1), va dans le même sens, pour qui « [dans le
de guillemets et/ou de tirets et/ou, dans une moindre mesure, schéma DD] le discours citant et les discours cités constituent deux actes
d'italiques. d'énonciation différents, possédant chacun un repérage distinct pour les
embrayeurs », ce qui signifie qu'à défaut d'être marqué, le DD est sensible (cf.
Le discours direct n'est pourtant pas sans soulever des infra, figures 9 et 11). J. Authier-Revuz définit elle aussi le discours direct
problèmes de définition, allant du dialogue marqué jusqu'au comme un événement textuel local : « Lun parle de l'autre en l'affichant,
localement, comme autre : c'est la zone du discours direct, caractérisé par
l'exhibition, sur la linéarité qu'elle découpe en parts de l'un/de l'autre, d'un segment
1 L. Rosier, « Discours grammatical et ponctuation : l'exemple du discours complètement hétérogène aux plans sémiotique, syntaxique, énonciatif, placé
rapporté », In J.-M. Defays, L. Rosier et F. Tilkin (éds), A qui appartient la sous la dépendance du dire de l'un, effectuant la prise en charge de la mons-
.

ponctuation ? (colloque de Liège, 13-15 mars 1 997), Bruxelles, Duculot, 1 998 tration de l'autre, c'est-à-dire «faisant parler l'autre» » (« La Représentation
353-364, n'aborde l'« arsenal graphique » du discours rapporté qu'à travers du discours autre : un champ multiplement hétérogène », in J. M. Lopez Munoz,
:

la littérature française contemporaine. S. Marnette et L. Rosier (éds), Le Discours rapporté dans tous ses états (Actes
2. La scripturation regroupe tous les composants non alphanumériques du colloque de Bruxelles, 2001), Paris, LHarmattan, 2004, p. 35-53).
de l'écrit, ponctuations « noire » et « blanche », y compris la MEP (Mise En 4. Cf. D.A.C. Cunha, Discours rapporté et circulation de la parole, Louvain,
Page) ; cf. R. Laufer, « Du ponctuel au scriptural, signes d'énoncé et marques Peeters, 1992 [BCILL n° 62] ; D.A.C. Cunha et M. Valois, « La Mise en
d'énonciation », in N. Catach (éd.), La Ponctuation, Langue française, 45, paragraphes du discours rapporté dans les récits de fiction brésiliens», in
février 1 980 : 77 sv. Cf. aussi « Lalinéa typographique du xvie au xvme siècle », M. Arabyan (éd.), Le Paragraphe, Modèles linguistiques, 48, XXIV-2, juin 2003
in R. Laufer (éd.), La Notion de paragraphe, Paris, CNRS, 1985 : 53-64; 27-42 ; D.A.C. Cunha, « Interactions discursives dans la fiction brésilienne »,
:

« L Espace visuel du livre ancien », in R. Chartier et H.-J. Martin (éds), Histoire in J.M. Lopez Munoz, S. Marnette et L. Rosier (éds), Le Discours rapporté
de l'édition française I, Le Livre conquérant, 2e éd. Paris, Fayard, 1989 : dans tous ses états, déjà cité : 1 39-146 ; D.A.C. Cunha, « Quelques formes
578-601 ; « Les Espaces du livre », in R. Chartier et H.-J. Martin (éds), Histoire de circulation de la parole dans les genres littéraires et de presse écrite », in
de l'édition française II, Le livre triomphant, 2e éd. Paris, Fayard, 1990 : J.M. Lopez Munoz, S. Marnette et L. Rosier (éds), Genres de discours et
156-172. discours rapporté (Actes du colloque de Cadix, 2004), à paraître.

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Figure 2. Ménandre, Les Sicyoniens, ibid. : 32.

lecture, n'hésitent pas - tout en maintenant


scrupuleusement l'orthographe de leurs sources, ce qui contribue à
égarer les lecteurs sur le statut de la ponctuation présente
dans ce qu'ils lisent - à plaquer une ponctuation moderne,
avec alinéas, guillemets de réplique ou de pensée
rapportées, tirets de dialogue et italiques de citation, sans craindre
dix siècles d'anachronisme (6).
Reste que le discours direct a une histoire, et que cette
histoire, on ne peut vraiment bien la suivre qu'à travers des
uvres à ambition esthétique (ou sacrée, s'agissant de la
Bible) généralement mises en forme d'édition et donc
soumises au contrôle de professionnels de la préparation
de copie, que ce soit en vue d'une publication manuscrite
(jusqu'à Gutenberg) ou imprimée. Brouillons, manuscrits
d'auteur ou correspondances privées mis à part, on a affaire
à l'application plus ou moins rigoureuse de normes
d'ateliers (7) : scribes et imprimeurs définissent ce que c'est que
Figure 1 . Ménandre, Les Sicyoniens, le discours rapporté dans ses différentes espèces beaucoup
copie du dernier tiers du me s. avant J.-C. plus fortement qu'on ne le soupçonne généralement.
(fragment retrouvé dans un cartonnage de momie) Rappelons en troisième lieu que les chapitres consacrés à
Institut de Papyrologie de la Sorbonne,
Inv. 2272b et 2272c, cliché R. Noël publié par J. Irigoin la ponctuation dans les grammaires, les guides et manuels
in H.-J. Martin et J. Vezin, déjà cité 31 . de bon usage ou les codes typographiques n'ont pas de
section spécifique consacrée au discours direct : les signes
:

Beaucoup plus proche de nous mais non moins de ponctuation y sont présentés par ordre d'importance
handicapante, la réédition des classiques français des xvie, xvne et supposée, de sorte que pour se faire une idée d'ensemble
xvme siècles par la Librairie Hachette dans la collection des du système ponctuationnel de la citation, du dialogue ou de
Grands écrivains de la France a fixé les textes dans une la réplique, des paroles, pensées ou états mentaux
ponctuation anachronique datée de la fin du xixe et du début rapportés, il faut lire plusieurs douzaines de pages réparties çà et
du xxe siècle. À l'exception de quelques travaux critiques là à travers les ouvrages. C'est donc aussi un problème que
et de rares, coûteuses et mal lisibles éditions diplomatiques, de décider ce qu'il faut considérer comme la ponctuation
cette ponctuation aberrante est celle des éditions actuelles. pertinente pour répondre à la demande de qui cherche à
L'écriture des auteurs en est profondément altérée, et savoir quelles sont les ressources typographiques
constamment faussé le jugement des lecteurs, parmi disponibles pour faire entendre - et voir! - la circulation de la
lesquels les chercheurs en grammaire, stylistique ou parole, la sienne ou celle d'autrui, réelle ou imaginaire.
linguistique qui, en toute bonne foi, sans savoir à quel point les
impressions modernes les égarent, prennent pour argent 1. LES PLUS ANCIENS MANUSCRITS
comptant les marques qu'ils y trouvent. Les éditeurs de Les ponctuants sont attestés dès l'Egypte pharaonique,
l'ancien et du moyen français ne sont pas en reste qui, pour dont un signe de pose en forme d'avant-bras à main
améliorer la compréhension des uvres et en faciliter la étendue pour séparer les péricopes, ancêtres de nos para-

5. P. Saenger, « La Naissance de la coupure et de la séparation des mots », 6. Cf. N. Catach, Les Délires de l'orthographe, Paris, Pion, 1 989, et « Retour
in H.-J. Martin et J. Vezin, Mise en texte et mise en page du livre manuscrit, aux sources », in P. Lepape (éd.), Le Génie de la ponctuation, Traverses, 43,
Paris, Promodis et Le Cercle de la librairie, 1990 : 447-449. Cf. aussi J. Vezin, février 1 988 ; M. Arabyan, « Bornes de phrase et de paragraphe chez Joinville
« La Ponctuation du vine au xn® siècle », ibidem 438-441 et « La Ponctuation et Foissart», Modèles linguistiques, 49, XXV-1, janvier 2004 (à paraître).
aux xme, xive et xve siècles », ibidem 442-445. 7. E. Ornato et al., La Face cachée du livre médiéval, Rome, Viella, 1 997.
:
:

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graphes (8). Ils seront repris par les bibliothécaires ¦***->
m* qu^fVrocoAÇjîS
d'Alexandrie au ive siècle avant J.-C. Sur ces origines, nous
renvoyons le lecteur à nos sources, la plupart récentes et uoscniNK^pOa
d'accès aisé. Les ponctuants antiques, signes spéciaux,
lettres, pictogrammes, mots en toutes lettres - distinctiones,
codices distinct!, notae librarium, etc. - sont nombreux et NoLireeRçosolii
variés en formes et significations mais leur polysémie est anesseoicaslës
trop importante et les documents qui nous les ont
conservés ne sont pas assez nombreux pour permettre autre chose
que des conjectures sur la régularité ou l'universalité de qaiOcoANOacA
leur emploi et sur leurs valeurs. 51CDCJS WJTqutO
On peut y distinguer des signes critiques, à valeur édito-
riale, destinés à l'établissement et à l'interprétation du texte, Bie>ecr>us Aurqc
et des signes diacritiques - séparateurs, marques d'into-
nèmes suscrites, les « accents », ou adscrites - ponctuants opeiueaxm b£
stricto sensu plus directement destinés à guider la lecture CNiu^oaiNiACe
à haute voix. Il est intéressant de noter à ce sujet que la
copie livrée par le scribe à son commanditaire a longtemps
été dépourvue de ponctuation diacritique : c'est ce dernier
qui l'ajoutait en fonction de ses besoins et de ses habitudes Paléographie
Figure
col. 3.b, Matthieu
vuedusiècle
Moyen
VI,(document
30-32,Paris,
Âge, Paris,
publié
Colin,
BNF,
par2elat.
J.éd.,
Stiennon,
17226,
1991 f° 229).
26,
au cours de sa « préparation de lecture ». La ponctuation

:
était un acte de lecture et non d'écriture, à la charge du
lecteur et non de l'auteur. On peut penser que la
communauté des lettrés (partiellement assimilable à l'agora, au On a affaire à une onciale (gr. oncos, « crochet ») en scriptio
forum) entretenait des relations beaucoup plus étroites que (ou scriptura) continua, « écriture continue », c'est-à-dire sans
de nos jours, d'où un accord verbal non pas tacite mais séparation entre les mots. Les quelques points que Ton
explicite sur le sens des signes en usage au sein de petits distingue figure 3 ont été placés par un lecteur. On note
groupes de connaissances. l'absence de ponctuation : alors même que Matthieu attribue au
La figure 1 reproduit le plus ancien témoignage Christ une interrogation rhétorique (quanto magis...), nul
archéologique qui nous soit parvenu concernant la littérature grecque. signe ne borne la question. Puis vient une série de questions
Il présente un signe de ponctuation du discours direct. directes attribuées par le Christ à ceux qui Técoutent - un
discours direct au deuxième degré, donc. Ces questions ne
Dans les uvres dramatiques grecques, les didascalies sont sont sensibles que par le passage de la seconde à la première
prises en ligne dans le texte courant. Seules les grandes personne du pluriel (nolite esse dicentes... -+ manducabi-
divisions (cf. figure 2, XOPOY, en capitales centrées, « Le mus... bibemus... operiemur...) et par les répétitions de Tin-
Chur») et les changements de personnages font l'objet terrogatif quid, puis quod, les deux dernières séparées par
d'une notation explicite, le paragraphos (napa, « en dehors », aut (« ou bien »). Le passage du discours enchâssant au
et ypatyoç, «tracé»), tiret placé sous la première lettre de discours enchâssé et le retour du discours enchâssé au
chaque réplique, signalant l'alternance des voix et donc discours enchâssant sont purement morphologiques.
souvent celui des vers, par stichomythie.
Ce phénomène est à rapprocher d'une discussion qui a
Ce trait souscrit a été transmis par la tradition, avec peu de beaucoup intéressé les clercs concernant la façon de noter
modifications, jusqu'au xve siècle. On le retrouve au ixe siècle l'intention du locuteur à l'écrit - un double problème de choix
(figure 6) sous forme adscrite pour mettre en page les des mots à l'émission et de repérage de ces mêmes mots
dialogues platoniciens. à la réception. En l'absence de ponctuants, tout le contenu
Passons au Moyen Âge : la figure 3 reproduit un des plus illocutoire doit en effet être pris en charge par l'expression
anciens évangéliaires connus. [Si... DEVS SIC VES] /TlT linguistique de l'énoncé. Ce que saint Augustin probléma-
QVANTO MAGIS / VOS MINIME FIDEI / NOLITE ERGO SOLLI / tise ainsi (9) :
CITI ESSE DICENTES / QVID MANDVCA/BIMVS AVT QVID / . . . Hie sane quod dictum est, Et nunc non deficiunt ex illis omnia
BIBEMVS AVT QVO [D] / OPERIEMVR HE [C] / ENIM OMNIA quae conati fuerint facere, non dictum est confirmando sed
GENTES [...]: « [si dieu ainsi vêt (l'herbe des champs)] ne le tamquam interrogando sicut a comminantibus did quemadmo-
dum ait quidam, Non arma expedient totaque ex urbe sequen-
fera-t-il pas bien plus pour vous gens de peu de foi ne vous tur. Si ergo accipiendum est tamquam dixerit Nonne omnia
mettez donc point en peine disant que mangerons-nous ou deficient ex illis quae conati tuèrent facere, sed si ita dicatur non
que boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous c'est de exprimit comminantem. Verum propter tardiusculos addidimus
tout cela en effet que les païens [sont en quête] », etc. particulam id est, ne, ut diciremus, nonne, quoniam uocem
pronuntiantis non possumus scribere...
8. J. Winand, « La Ponctuation avant la ponctuation : LOrganisation du
message écrit dans l'Egypte pharaonique », in J.-M. Defays, L. Rosier et
F. Tilkin (éds), A qui appartient la ponctuation ? déjà cité : 1 68-1 69. 9. De Civitate Dei, XVI, vi, 2.

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Figure
Paris,(document
BNF,
5. Extrait
lat. publié
266,
d'évangéliaire
f°par
168,J. col.
Stiennon,
(saint
a, milieu
Jean,
ibid.du:Prologue),
ix" siècle
253).

Figure 4. Extrait d'évangéliaire (Matthieu VII, 20-21),


Paris, BNF, lat. 266, f° 32, col. b, milieu du ixe siècle
(document publié par J. Stiennon, ibid. : 251).
L'invocation répétée, Domine, Domine, «Seigneur!
Seigneur! », adressée au Christ par le pécheur est réduite
«... et quand cela a été dit, Ils cesseront ce qu'ils ont entrepris, à son abréviation, d'où la séquence dnedne (11).
ce qui est dit n'est pas une affirmation mais une interrogation
tout comme a été dite par certain cette menace dans l'Enéide, Ce désintérêt pour les formes du discours direct a pu être
Non arma expedient totaque ex urbe sequentur. S'il faut mis en relation par certains chercheurs avec le caractère
l'interpréter c'est comme si l'assertion était Ne vont-ils pas bientôt de «notation», d'« aide-mémoire» de l'écriture, le texte
cesser ce qu'ils ont entrepris, mais si on parle ainsi on n'exprime biblique étant su par cur par tous ceux qui savaient lire,
pas la menace. C'est pour ceux qui ont du mal à comprendre ou encore avec la réduction de la lecture à une performance
que nous avons ajouté la particule ne, comme nous dirions « purement vocale » due à l'ignorance de la « lecture
nonne, parce que l'intonation de la voix, elle ne peut pas s'écrire. »
silencieuse», ou encore avec le souci des lettrés de protéger
On retrouve un écho de cette discussion dans le De leur statut social en compliquant à plaisir l'exercice de la
Lectoribus, d'Isidore de Seville, rédigé vers Tan 600 00) : lecture, tandis que d'autres historiens y voient l'indice d'une
Multi enim sunt in scripturis quae nisi proprio modo pronuntien- habileté supérieure (12).
tur contrariam reddunt sententiam. Sic est, Quis accusabit aduer- Inversement, la figure 5 montre que la mise en page per cola
sus electos dei, Deus qui justificat, quod si confirmatiue non
seruato génère pronuntiationis suae dicatur magna peruersitas eteommata de la prose biblique a pu permettre de résoudre
oritur. Sic ergo pronuntiandum est ac si diceret, Deus ne qui la question des frontières du discours direct : DICENTE XTO/
iustificat, ut subaudiatur non. EGO SUM A ET Q / ET HIS EST JOHAN / NES QUI SCIENS / :
« Elles sont nombreuses en effet dans les Ecritures [les phrases] « le Christ disant je suis l'alpha et l'oméga et voici Jean qui
qui si on ne les prononce pas bien donnent naissance à un sens sachant», etc.
contraire. Si par exemple, Qui se fera l'accusateur de ceux que L'expression per cola et commata est traduisible en « par
Dieu a élus, Dieu qui justifie, n'est pas dit avec la prononciation groupes de sens » ou « par groupes fonctionnels » (et
affirmative qui convient il en résulte une grande perversion.
Prononcer comme s'il était écrit, Est-ce Dieu qui justifie, suffit littéralement ensuite « par le point (colon) et par la virgule
pour laisser sous-entendre que non. » (comma) »). Cette technique permet l'extraction d'une parole
directe, « Je suis l'alpha et l'oméga » entre deux retours à
La différence entre les deux tons de voix (ici non plus d'après
Virgile mais d'après l'Epître aux Corinthiens) tient 11.11 conviendrait à ce propos de s'interroger sur les niveaux de
uniquement à l'opposition entre le morphème interrogatif ne (si notation du dictum. Certes, il existe des conventions paléographiques destinées
diceret deus ne qui iustificat) et son absence. à la copie diplomatique des manuscrits qui rendent compte (tout comme les
conventions de notation de l'oral, cf. la préface de J. Monfrin in C. Blanche-
Cette question de la notation de la dimension illocutoire de Benveniste et C. Jeanjean, Le Français parlé : transcription et édition, Paris,
la parole traversera tout le Moyen Âge avant de trouver un Didier, 1987) de la substance de la forme de l'expression. En effet, en raison
commencement de réponse au xve siècle (figure 8). de révolution des codes graphiques, les transcripteurs sont souvent obligés
de choisir entre la fidélité à la source et la commodité de leurs lecteurs. Ceci
La figure 4 illustre jusqu'à quel point la prose médiévale a même alors qu'on ne possède plus les originaux olographes : on n'a aucune
idée de la façon dont les auteurs eux-mêmes - ou leurs tout premiers copistes
pu être indifférente au repérage du discours direct : NON - ont écrit ce qu'ils ont écrit, d'où à la fois la nécessité et la possibilité d'écrire
OMNIS QUI Dl / cit mihi domine domine intra / bit in regnum successivement le même énoncé de cinq façons différentes : a) dnedne ;
caelorum / sed qui facit voluntatem/patris mei qui in caelis / b) domine domine c) Domine, Domine ; d) « Domine Domine !» ou encore
e) «Domine! Domine!», pour suivre l'usage typographique d'un journal
;

est(,) ipse intrabit in regnum : « ce n'est pas celui qui m'aura comme Le Monde (cf. infra).
dit seigneur seigneur qui entrera dans le royaume des deux 12. Cf. sur ces discussions M. Arabyan, « Note sur la construction du
mais celui qui a fait la volonté de mon père qui est dans les mythe des origines de la lecture silencieuse à partir d'une fausse
cieux lui il entrera dans le royaume », etc. interprétation de saint Augustin et d'Isidore de Seville », in P. Berthier et D.-R. Dufour,
Philosophie du langage, esthétique et éducation, Paris, L'Harmattan, 1996,
p. 107 sv. et « Du nouveau sur le mythe des origines de la lecture silencieuse »,
in M. De Mattia et A. Joly (éds), De la syntaxe à la narratologie énonciative,
10. De Ecclesiae Officiis, in Opera omnia, Londres, Lindsay, 191 1 Paris, Ophrys, 2001 213 sv.
.

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Né à Carthagène vers 560 et mort à Seville en 636, Isidore
de Seville opère la transition entre l'Antiquité et le Moyen
Âge. Son témoignage est d'autant plus intéressant qu'il fait
autorité. Ses Etymologiae ventilent la paragraphie entre
plusieurs signes, parmi lesquels le simplex ductus, « simple
trait » [ ], dont l'invention est attribuée à Isocrate pour servir
de séparateur aux répliques dans les dialogues de Platon
dont on vient de parler. Puis sont définis le gamma, signe
ouvrant placé en marge ou en ligne, et la positura, signe
%f «W*-.» v^f ^V ft*«f******* fermant :
T paragraphus ponitur ad separandas res a rebus quae in
connexu concurrunt, quaemadmodum in Catalogo loca a locis
et [regiones a] regionibus, in Agone praemia a praemiis, certa-
mina a diversus certaminibus separantur.
Positura est figura paragrapho contraria et ideo sic formatai,
quia sicut ille principia notât, ita ista fines a principiis séparât.
« On met un paragraphus X pour séparer les unes des autres
tfc»vMYw4H^o?'X*£ les choses qui se succèdent immédiatement, de la même façon
que dans le Catalogue on sépare les lieux et les régions [ou]
Figure 6. Début du Timée de Platon (détail), dans la controverse ecclésiastique, les citations [litt. en lat.
troisième quart du ixe siècle, BNF ms. grec 1807, f° 1 14, classique, les dépouilles, le butin], les différents arguments les uns
reproduit par J. Irigoin, déjà cité : 142. des autres.
« La positura est une figure contraire à celle du paragraphus
la ligne : il y a là une « alinéation » au sens où l'entend Ivân et donc dessinée de cette façon J , parce que là où la première
Fonagy 03). indique un commencement, la seconde sépare une fin d'un
La figure 6 est extraite du plus ancien manuscrit connu des début. »
uvres de Platon. On notera son époque tardive - fin du À ce point de départ de la tradition médiévale, le
ixe siècle, soit douze bons siècles après le Ménandre de la paragraphos grec est devenu simplex ductus (« simple trait ») pour
figure 1 . On y retrouve au début des lignes 4, 8 et 1 1 le séparer les répliques tandis que le paragraphus (en latin cette
paragraphos, ce trait long voisin de l'obéi ou obèle, de I' hyphen fois) vient séparer les citations, ce qui est nouveau. Gamma
ou du simplex ductus de la paléographie médiévale, tous et positura constituent à la fois un encadrement et un
peu ou prou équivalents pour le dessin (mais pas signalement. Ils sont aussi l'origine probable des guillemets
nécessairement pour le sens) de notre tiret cadratin [ ]04). français. Certes, une petite verge, virgula, ou un antilambda de
Toujours destiné à marquer l'alternance des locuteurs, il forme voisine selon Nina Catach 05), indique un passage
n'est plus souscrit mais adscrit en marge. Mais il n'est plus fautif à supprimer, interpoler ou amender. . . mais deux gamma
seul à séparer les répliques, car telle est aussi la fonction et deux positurae O6), soient T T et J J , sont déjà très proches
du deux-points en ligne ou en fin de ligne (lignes 4, 8, fin de de [«] et [»] avec un signifié quasi identique.
la ligne 1 0), ce qui permet de penser que le tiret de dialogue
est associé à la paragraphie stricto sensu, c'est-à-dire à la Hugues de Saint-Victor reprend les définitions d'Isidore au
marge. Le nom de Timée est abrégé à gauche du premier xiie siècle, ce qui montre une grande stabilité de la doctrine :
paragraphos. Le nom de chaque interlocuteur étant repris Paragraphus X hec apponitur sententiis ad discernenda
principia et separandas res [a rebus] que in connexu concurrunt.

au vocatif dans la réplique qui lui est adressée (c'est la prise


en charge morphologique de l'alternance des voix déjà Positura J est figura paragrapho contraria, quia sicut ille
décrite plus haut), le lecteur peut en inférer qui parle : Timée principia notât, ita ista fines a principiis séparât.
parlant ligne 4, il répond à Socrate qui a parlé le premier « f paragraphe : il est placé dans les sentences pour en
(lignes 1 à 3). distinguer les entrées et pour séparer les unes des autres les choses
qui se succèdent immédiatement. La positura J est une figure
2. LA TRADITION MÉDIÉVALE contraire au paragraphe pour cette raison que si celui-là note un
commencement, celle-ci s ? pare une fin d'un début. »
Quittons les documents pour la tradition, autrement dit pour
la transmission linguistique des formes non linguistiques de Ces valeurs s'appliquent davantage aux textes techniques,
mise en page. scolastiques et universitaires, qu'à la littérature profane (latine
ou vernaculaire) ou sacrée. Par exemple, figure 7, les discours
13. Cf. I. Fonagy, « La Structure sémantique des guillemets », in P. Lepape directs viennent sans balises initiales ni finales spécifiques.
(éd.), Le Génie de la ponctuation, déjà cité 90 sv.
14. On appelle « cadratin » la mesure typographique horizontale 15. N. Catach, L'Orthographe française à l'époque de la Renaissance,
:

équivalente à la hauteur de la ligne imprimée ; cette mesure est égale à la force de Genève, Droz, 1968.
corps, soit, en système métrique, un tiret de 3,51 mm de long pour 10 pt. On 16. Le redoublement des traits est fréquent dans les usages médiévaux
notera que le retrait d'alinéa ouvrant standard vaut lui-même un cadratin, pour distinguer les ponctuants du texte courant, d'où l'usage de doubles
cf. M. Arabyan, Le Paragraphe narratif, Paris, L'Harmattan, 1994 23. virgules pour former les guillemets « en anglais » et en allemand «.
:

L'Information grammaticale n° 102, juin 2004 39


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ÎUMdroft <Btt cos fcnips eft nc £o - ttytfh/ tvnfttïir emAeirt Çatfihe-'*- CttS-
Aûjgicltmt pnliutliï/ fAli*i\f} <rv qtufafc-'
Aêftt-rtr'
runUuà .tyf"*<oo\ttmtr\o£iu*ci\»îtC
Figure 7. Le Miroir historial de Vincent de Beauvais, nvnnetiA ¦** jpzétttw ( Lan&t em ¦mtmt-
Paris, BNF, fr. 312, f° 141, col. a, 1396.
yYArr/GnHÎ) cÀtomtf/ nnyrtwuf/ fcAturaf
YftAtredleft (htiuUf/ crAfToff m*t*4taf/
çnliof' pht(b*tff< hzutofs nutrtafift- ottetf.
... Tulles U livre des offices. Si / comme perides et n* tmh*z- £-' LuftH.'&'t beiitf ç$»ntA
sophocles se asseissent/ensemble a parler de conseil des
cho / ses du commun proffit et un très bel / enfant trespas-
Figure 8. In Consolationem Parisiensis luctus (détail)
sast deuant eulz de / auenture, Dist sophocles a de Guillaume Fichet (manuscrit olographe),
perides/comme uez ci bel enfant. Perides res / pondi. Juge > Paris, BNF, lat. 16685, f° 30, 1466.
ne doit pas tant seule / ment auoir les mains et la langue /
continans mais les yex aueques. L'aucteur. En ces temps
est ne So / [crate, etc.] : « Cicéron dans le De Officiis constituent le point de départ de la norme scripturationnelle
[raconte qu'Jainsi, comme Périclès et Sophocle étaient assis française) 08) :
ensemble à deviser de sujets d'intérêt commun et qu'un très « Vers le milieu de la page, une grande initiale peinte indique le
bel enfant vint à passer devant eux par hasard, Sophocle début de la troisième partie de l'ouvrage. Le commencement de
dit à Périclès : « Que cet enfant est beau ! ». [À quoi] Périclès chaque paragraphe est marqué par un pied de mouche. Les
répondit : « Un juge ne doit pas seulement savoir contenir phrases s'ouvrent par une majuscule et se terminent par un
ses mains et sa langue, mais aussi ses yeux. » L'auteur. En point. Le signe marquant la fin des paragraphes est le point et
ce temps-là naquit Socrate », etc. virgule. [...] À l'intérieur des phrases, les différentes pauses sont
signalées par un simple point ou par un point et virgule renversé.
Ce passage montre comment la parole directe d'une On reconnaît là les signes de ponctuation utilisés depuis le
autorité est mise en page au sein d'un florilège de sentences O7) : vine siècle.
les entrées sont rubriquées, c'est-à-dire tracées à l'encre « Mais la ponctuation faible est aussi indiquée par le mince
rouge. Tel est le cas de Tulles U livre des offices, puis de trait oblique qui sépare notamment les termes d'une
L'aucteur, que nous avons fait figurer en gras pour rendre enumeration. Il s'agit de la virgula, ancêtre de notre virgule, décrite pour
cette opposition visible en l'absence de couleur. Il s'agit de la première fois, à notre connaissance, au xme siècle par le
ponctuation de texte. La ponctuation de phrase se limite à dominicain Humbert de Romans. Dans les milieux humanistes italiens
deux séquences, point + minuscule et point + majuscule, [...] furent créés deux autres signes, la parenthèse et le point
d'exclamation [...]»
avec un point à mi-hauteur de ligne (dit « point moyen », c'est
la distinctio media des grammairiens latins). Elle ne présente Ce système met fin pour trois siècles à toute ponctuation
ni le deux-points, ni les guillemets, ni les points de spécifique du discours direct.
modalisation (exclamation, interrogation, suspension) que le
traducteur restitue dans la version moderne du texte. 3. LES IMPRESSIONS CLASSIQUES
C'est entre le xme et le xve siècles que se mettent en place Les figures suivantes présentent l'état d'un imprimé de la fin
les ponctuants modernes que l'imprimerie fixera de façon du xvie siècle. On y voit les deux modes de représentation
définitive. Voici la description qu'en donne Jean Vezin d'après de la voix (qu'il s'agisse de la parole d'autrui ou de la sienne
une page célèbre (figure 8) de Guillaume Fichet (qui fut par propre) en usage à l'époque, tels qu'ils se maintiendront
ailleurs le premier imprimeur français avec des imprimés qui jusqu'au milieu du xvme siècle. Les répliques de discours
direct dans le récit sont séparées par le point et la virgule,
17. M.-A. et R.H. Rouse, « La naissance des index», dans R. Chartier et
H.-J. Martin (éds), Histoire de l'édition française I, Le Livre conquérant, déjà 18. J. Vezin, «La ponctuation aux xme, xive et xve siècles», déjà cité
cité 95 sv. 445.
:

40 L'Information grammaticale n° 102, juin 2004


ou par une paire de virgules (ou par sa variante apostrophe
et virgule), plus simplement encore par la majuscule et la U La Princess* ©B CtBVES. $$
virgule - en d'autres termes, leur enchâssement s'opère sans que j'en «ye eu plusieurs ne me dites rien »
signaler qu'il y a là une voix à entendre : ce sont des COD fois !« deflein.Songc3t reprit-il , & c eft me dire
feulement que k prudence que je ne me trompe
de verba dicendi. Figure 9, on a ainsi Voile, voile, là où Ton ne veut pas qu'une pas; VU bien* Moniteur ,
pourrait avoir aujourd'hui «Voile! Voile! », un peu plus loin femme de mon âge , & Mai. lui repondiceUe ea fe
ftreflêde&conduktejde- jettant à fes genoux , je
qu'où est-ce, là où nous imprimerions qu'«Où est-ce?» : meure expofecau milieu vais vous faire an aveu
dekCour.Queme faites que l'on n'a jamais fait
à fon mari $ mais
vousenvifàger,
secru MoniteurMadame,
de l'innocence de ma conduite ie
L e dimanche fuyuant, aptes que celuy <gtti Clèves, je noferois vous le de mes intentions m'en
cftoir au guet; dans 1a grande hune de nofhc aa dire de peur de vous offen- donne k force, t! eft
ttirejeutjCelcm 1a C0uftume,cric Voile»voiîe* & cm Madame de Cievcs vray que fay des raifons
ne repondit point , & fon de m'éioigner de k Cour,
que nous cufmcs dcfeouucrtcinq Carauelles» filcnce achevant de <8e que je veux éviter les
confirmer fon mari , dans ce FnUiictrouvcntquc]-
ou grands vaitïcaux (car nous ue les pctifmef qu'il avoit penfé -, Vous quefois les perfonnes de
bien difcerner)no$ wmrtelots^Iefquelspoffibio

Figure
de Jean
9.- de
Histoire
Léry, d'un
Genève,
voyage
Antoine
fait enChuppin,
la terre du
1580Brésil...,
: 20.
Figure 1 1 Mme de La Fayette (ou Lafayette),

.
Dans la figure 10 extraite du même ouvrage, on voit le récit La Princesse de Clèves, imprimé chez Barbin, 1678,
Tome III : 82-83, début de la scène dite « de l'aveu »
courant s'interrompre au profit d'un type de texte marqué (cliché BNF).
comme tel, le colloque, c'est-à-dire le dialogue :
imprimeur à Venise, pour éditer Pétrarque. C'est en effet un
dessin de caractères moins large que le romain et qui permet
de faire tenir plus facilement les vers dans la largeur de la
CHAP. XX. page. De proche en proche, l'italique a pris le sens d'extrait
Colloque de tentree ou orriuee en ta terre du de poème, de pièce antique, y compris des deux Testaments :
Brefil, entre les gens dit pays nommez. Touou- d'où le sens final de citation de discours pris en ligne ou en
pinambaoulrs , & Toupinenkins en langage paragraphe détaché : par exemple, dans la Princesse de
ftmage & François. Clèves, la « lettre au vidame » se distingue du récit courant
par les italiques (2°).
ToHoupmambaoklt* La figure 1 1 donne une image de la ponctuation classique
du discours direct. Elle ne se distingue en rien des usages
médiévaux (cf. figure 7). On notera que cette image du texte
URB-ioubêî Es-tu venu* remet en cause l'expression du roman français de l'époque
François. classique : le discours direct y est fondu dans le rapport
P a-ai out, Ouy ic fuis veau» d'actions avec un statut d'acte de parole aujourd'hui
T complètement oblitéré par la séparation des répliques de dialogue
Teh! auge-ny-po, Voila bien dit, par des alinéas guillemetés ou plus souvent (et plus anachro-
T niquement encore) tiretés.
%îJucZ M ***"¥* Aéréréî Comment te nommes-tuî
4. DE MARMONTEL À SIMENON
**£*, Leryoitjfitt, Vnc groïïl huitre.
Racontons maintenant la redécouverte française, vers 1760,
Figure 10. Ibid. : 306. sous l'égide de Sterne, du paragraphos des Grecs devenu
paragraphus chez les Romains, simplex ductus chez Isidore.
La figure 12 illustre le célèbre «shandean dash», ce long
La mise en page est celle du théâtre, avec une distinction tiret d'insertion-signalisation du discours direct dont on dit
de la version tupi-guarani du dialogue par l'italique, signe que Sterne en commanda spécialement la fonte à son
généralement employé à l'impression des mots d'autrui. Les
locuteurs sont désignés in extenso puis par leurs initiales 19. Le gothique allemand, le russe, le chinois, le japonais et autres
centrées dans une forme qui reprend la mise en page du écritures semblables ont jusqu'à tout récemment exprimé l'italique non pas par
théâtre grec (supra figure 2). Quant aux italiques, la pente mais par l'interlittération (espacement de chaque caractère par une
techniquement impossibles dans les litterae formatae (les « lettres fine, ou douzième de cadratin typographique) ou par une diminution de corps.
20. Cf. M. Arabyan, « La Lettre de roman : fragment ou simple segment? »,
de forme », autrement dit d'édition 09)) des scriptoria, elles in M. Erman (éd.), Sémiologie du fragment, Modèles linguistiques, 44, XXII-2,
ont été inventées comme on sait vers 1500 par Aide Manuce, juin 2001 : 23-32.

L'Information grammaticale n° 102, juin 2004 41


AS Susannah was informed by an express from Mrs. Bridget, of my guillemets et tiret cadratin étant adopté d'emblée par la
» uncle Toby's falling in love «nth her mistress, fifteen days before it génération de 1 820, par exemple dans Han d'Islande de Victor
happened, the contents of which express, Susannah communicated to Hugo (22), dont les premières éditions font se succéder en
my mother the next day, it has just given me an opportunity of entering ligne les guillemets de discours direct et le tiret de réplique
upon my uncle Tory's amours a fortnight before their existence. qui sépare les voix des uns et des autres personnages.
I have an article of news to tell you, Mr. Shandy, quoth my mother,
which will surprise you greatly. Les années qui suivent voient les répliques se détacher du
Now my father was then holding one of his second beds of justice, and récit enchâssant pour former chacune un paragraphe distinct.
was musing within himself aboutthe hardships of matrimony, as my mother Tel est donc le standard lorsque Flaubert écrit Madame
broke silence. Bovary dont l'édition princeps (1857) combine guillemet
« My brother Tohy, quoth she, is going to be married to Mrs.
IVadman." ouvrant et tiret cadratin pour introduire chaque réplique isolée
Then he will never, quoth my father, be able to He diagonally in ou chacune des répliques d'un dialogue. Cependant, Flaubert
his bed again as long as he lives. abandonne progressivement les guillemets de sorte que
It was a consuming vexation to my father, that my mother never asked dans Bouvard et Pécuchet (posthume, 1881) le discours
the meaning of a thing she did not understand. direct n'est plus signalé que par l'alinéa tireté tandis que les
régies et autres incises dicendi tendent à disparaître (23) :
Figure 12. The Life and Opinions of Tristram Shandy, gent. Les ruines de la distillerie, balayées vers le fond de
(1759-1767) de Lawrence Sterne, début du chap, xxxix du livre VI, l'appartement, dessinaient dans l'ombre un vague monticule. On
d'après l'édition critique de M. et J. New, Penguin Classics. entendait par intervalles le grignotement des souris ; une vieille odeur
de plantes aromatiques s'exhalait, et se trouvant là fort bien, ils
causaient avec sérénité.
imprimeur pour être débité à la longueur qu'indiquait son Cependant Bouvard sentait un peu de fraîcheur.
Agite tes membres dit Pécuchet.
trait de plume dans le manuscrit. On notera que le tiret peut

!
Il les agita, sans rien changer au thermomètre.
être ouvrant et fermant, à la différence du code français, C'est froid, décidément.
mais que cet emploi par paire a été adopté par l'espagnol Je n'ai pas chaud non plus, reprit Pécuchet, saisi lui-même
et le portugais (ce qui mériterait une étude spécifique). par un frisson. Mais agite tes membres pelviens, agite-les ![...]
Je n'y comprends rien ! Je me remue pourtant
En 1 754, soit cinq ans avant le tome I de Tristram Shandy, Pas assez !

!
Jean-François Marmontel (1723-1799) propose dans Et il reprenait sa gymnastique. Elle avait duré trois heures
l'article Direct de l'Encyclopédie la création d'un signe qui sera quand une fois encore il empoigna le tube.
décisif pour la scripturation française contemporaine : Comment ! Douze degrés Ah Bonsoir ! Je me retire !
!
!
[...] Il n'est aucun genre de narration où le discours direct ne soit
en usage, et il y répand une grace et une force qui On voit par cet exemple que le paragraphe classique mêlant
n'ap artiennent qu'à lui. Mais dans le dialogue pressé, il y a un action, description, explication, évaluation, discours rapport?
inconvénient auquel il seroit aussi avantageux que facile de remédier. direct et indirect cède la place :
C'est la répétition fatigante de ces façons de parler, lui dis-je, - d'un côté au paragraphe de réplique à alinéa guillemeté
reprit-il, me répondit-elle, interruptions qui ralentissent la et/ou tireté ;
vivacité du dialogue, et rendent le style languissant où il devrait être
le plus animé [...] Le moyen le plus court et le plus sûr d'éviter - de l'autre au paragraphe de régie à alinéa simple
en même temps les longueurs et l'équivoque, serait de intercalé entre deux répliques, mis en exergue en tête ou rejeté
convenir d'un caractère qui marquerait le changement d'interlocuteur en fin de dialogue, qui dit qui parle à qui, sur quel ton, en
et qui ne serait jamais employé qu'à cet usage [...] faisant quels gestes, etc.
Après avoir proposé un deux-points moyens juxtaposés [..], Dans la seconde moitié du xixe siècle, tous les romanciers,
il se rallie au tiret long [ ] dans ses Contes moraux de 1761 , historiens, journalistes et autres conteurs mettent à profit
soit deux ans après la sortie du tome I du roman de Sterne, cette possibilité de fragmentation pour créer des effets
peut-être sur le conseil de Diderot qui était tout à la fois très jusqu'alors inconnus ou mal affirmés - parmi lesquels l'ironie.
attentif à ces questions et fasciné par le texte de Sterne (21). Dans le même temps, les guillemets disparaissent
progressivement des dialogues à haute voix puis des répliques isolées
Commentaire de Roger Laufer : pour se spécialiser dans le marquage de la voix basse, de
L'énoncé romanesque à plusieurs voix du xixe siècle n'aurait l'aparté, du chuchotement, de la pensée rapportée :
jamais pu s'écrire sans le nouveau système typographique, basé Catherine se pinça les lèvres pour cacher sa satisfaction.
sur l'alinéa, le tiret et les guillemets. Alors, dit-elle vivement, vous renoncez à la régence ?
De fait, l'arrivée du tiret long (ou tiret cadratin, cf. n. 14 supra) « Le roi est mort, pensa Henri, et c'est elle qui me tend un piège. »
a eu pour effet de redynamiser les guillemets tombés en Puis tout haut :
Il faut d'abord que j'entende le roi de France, répondit-il.
déshérence au cours des trois siècles antérieurs, le couple
(Alexandre Dumas, La Reine Margot)
21. Cf. R. Laufer, « Les espaces du livre», déjà cité : 171, et 22. 1823, cité par J.-P. Colignon, La Ponctuation, Bruxelles, Duculot, 1981
J.-F. Marmontel, Éléments de littérature (1787), in uvres complètes, Paris, Nous suivons ici M. Arabyan, Le Paragraphe narratif, déjà cité 24-33, 65-
.

Verdière, 1818-1819, cité par J.-M. Adam, Les Textes : types et prototypes, 86, 252-257 et passim.
:

Paris, Nathan, 1992 152-153. 23. uvres complètes, Paris, Seuil, 1964 222.
:
:

42 L'Information grammaticale n° 102, juin 2004


Les jeunes scientifiques dénoncent « le recours banalisé au travail illégal »

n'est pas officiellement rattaché, explique M. ge. Il faut également, poursuit le président de la
Collonge. De même que lorsqu'un doctorant travaille, CjC, « diversifier les sources definancement des
avec notamment des charges d'enseignement, au thèses» et « étendre les conventions entre les
sein d'une institution qui n'est pas habilitée à universités et les industriels, aux collectivités tenitoriales ou
délivrer des doctorats. » aux établissements publics pour mieux financer les
sciences humaines et sociales ».
SANS COTISATIONS SOCIALES Outre les questions statutaires, le montant des
Le rapport s'en prend, plus généralement, au allocations de recherche devrait également, selon
statut des étudiants de troisième cycle qui la CjC, être largement revalorisé : selon les jeunes
CjC,
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(CJC)
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scientifiques.
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l'esprit
d'une
de«un
la»,il assurent une charge d'enseignement mais demeurent chercheurs, celles-ci représentaient en moyenne
rémunérés au moyen de bourses, sans le bénéfice 150 % du SMIC «n 1976, contre 103 % du salaire
des cotisations sociales. Il n'est en effet pas rare minimum actuel Pour M. Collonge, les récentes
qu'à l'issue d'une thèse de doctorat achevée à propositions du gouvernement (Le Monde du
l'âge de 30 ans, un jeune chercheur n'ait cotisé à 28 février) sont: « scandaleuses ». « Elles ne
aucun régime de retraite. « Nous demandons la prennent pas la mesure du mouvement, ni son ampleur
définition d'un cadre juridique commun aux historique », juge-t-il.
doctorants et auxpost-dociorants qui oblige à un
recrutement avec contrat de travail », ajoute M. Stéphane Foucart

Figure 13. Un discours direct de presse : Le Monde du 3 mars 2004 : 1 1 .

avant de disparaître totalement, y compris des citations !, au mais non plus leur fin, et le lecteur en est réduit à des
profit des tirets : hypothèses. Lécrivain n'a plus la certitude d'être exactement compris,
Un grand personnage de la police a écrit un jour : car, dès lors que la fin des paroles ne coïncide pas avec celle
Sans le hasard, la police n'arrêterait aucun criminel. du paragraphe, c'est au lecteur de deviner. Et si l'auteur mêle
On pourrait ajouter : dans une même phrase ses interventions ou ses commentaires
Sans les dénonciations, elle n'en arrêterait pas cinquante aux paroles rapportées, le lecteur risque de s'égarer.
pour cent. (b) Les guillemets constituent la solution parfaite du problème
C'est la lecture la plus écurante qui soit. posé, et nous les voyons reprendre, même dans la presse, la
place que le tiret avait usurpée.
(Georges Simenon, Police judiciaire (24))
Les figures 1 3 et 1 4 montrent le balisage qui en résulte dans
5. XXe SIECLE CODE DE LA PRESSE ET JEUX Le Monde. On notera la disparition des tirets au profit de
deux autres dispositifs.
DE STYLE
La figure 13 montre la mise entre guillemets et en italiques
Cette dernière configuration étant jugée abusive, elle va être systématique de tous les propos rapportés, accompagnés
remise en cause dans les années cinquante dans le code le plus souvent de verba dicendi qui donnent au lecteur des
typographique de la presse. Principalement destiné aux orientations illocutoires explicites (cf. dénoncer dans le titre
journalistes, ce code met l'accent sur la citation. Placée au centre puis dans le texte, suivis d'expliquer, ajouter, poursuivre et
de la déontologie, celle-ci doit être protégée contre toute juger). Citations de citations, les segments guillemetés des
équivoque (25) : titres sont les seuls à venir en romain. Le corps des articles
Deux procédés typographiques se partagent actuellement les alterne régulièrement les segments argumentatifs, narratifs
préférences. ou en discours indirect, voire narrativisé, et les citations en
(a) Le tiret. Ce signe de ponctuation forte, dont le rôle est de discours direct. Les quantités des uns et des autres sont
séparer, fut d'abord utilisé pour signaler le changement fréquemment analogues, comme par souci d'équilibrer la
d'interlocuteur dans les dialogues, puis on en vint à lui confier le rôle
d'« introducteur des paroles » en toutes circonstances, et, à cause part de chacun, journaliste et informateur(s).
de la facilité de son emploi, il a, un temps, joui de la préférence À côté de ce format sur-marqué du discours direct, Le Monde
des imprimeurs, notamment dans la presse. Mais sa facilité met en uvre un format sous-marqué où les ponctuants
d'emploi tient en fait à son insuffisance ou mieux, à son imprécision. spécifiques laissent la place à des formes archaïques de
[. . . En effet] le tiret marque bien le commencement des paroles, mise en page (figure 14).
Contrastant avec les articles rédactionnels, les
24. G. Caraman [Simenon], in Police et reportage, 22 juin 1933; repris transcriptions d'interviews n'utilisent ni verba dicendi ni régies. C'est
dans A la découverte de la France, F. Lacassin (éd.), Paris, UGE, 1976 :
77-101. au lecteur de déduire du format employé : (a) que les tout
25. Ch. Gouriou, Mémento typographique, Paris, Le Cercle de la premiers et derniers noms (en l'occurrence René Amalberti
librairie, 1 973 [1 re éd. 1 961 ] : 61 -71 . Sans parler du Code typographique du et Laure Belot) rencontrés dans la maquette de l'article sont
syndicat CGC de la Presse qui fait référence en la matière, on retrouve ces termes ceux de l'interviewé et de l'intervieweuse, celle-ci « signant »
dans la plupart des instructions à l'usage de la presse, Lexique des règles
typographiques en usage à l'imprimerie nationale, 1990 ou L. Guéry, son travail en fin d'article ; (b) que le titre en romain guille-
Dictionnaire des règles typographiques, Paris, CFPJ, 1996.

L'Information grammaticale n° 102, juin 2004 43


René Amalberti, médecin militaire, spécialiste du risque

« Un crash par semaine dans le monde en 2020 »


de vol esNi plus risqué qu'une tron moins structurée, une
ligne régulière ? utilisation des appareils intense et
Oui, mais ceci est très relatif. Les saisonnière. De plus, par définition, ces
charters ont une plus grande avions ne font pas de lignes
fréquence d'accidents, environ deux régulières, et sont potentiellement r
fois plus qu'une *" ^mpagnie régu* posés à des situations moins f*
Hère, mais elle re* iftijoursextrê- Itères pour les équipages.
mement faible. >yenne, les Comment va évolu*-
20 plus grand mies du qmt aérien dans le*
monde repréf '* trafic décennies?
maisseutenv -nts. Le risque d V .-ans.
Ce sont dor ;av* que est tre-* *ie l'avia-
compagnie ttt-OI* . *ant qu' .nécanique-
ters.quis arters soie, <t r tation du nom-
direction
i*ar
France,
d'accidents
récentes
de
mer
militaire,
et
Ilcivile
systèmes
égyptienne
minutes
l'appareil...
exposé
Environ
d'avion
d'une
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L'appareil
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réalisé
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aériennes,
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plus, presque toujours sous-traitée par la surmédiatisation qui
à de grandes compagnies aériennes. accompagnera chacun de ces accidents,
La surexposition provient plutôt comme elle accompagne le drame
Figure 14. de la petite taille de la compagnie d'aujourd'hui.
qui engendre moins de flexibilité,
Un autre discours direct de presse : des rotations de personnel parfois Propos recueillis par
Le Monde du 6 janvier 2004 : 1 1 . plus importantes, une organisa- taure Belot

meté est un extrait du texte qui fait entendre la voix de codes ne sont pas équivalents. Leur comparaison dans les
l'interviewé ; (c) que les questions de la journaliste sont en gras exemples ci-dessous montrera que les ambiguïtés du tiret,
et les réponses de l'interviewé en maigre. L'expression loin de devoir être évitées, peuvent être recherchées.
« propos recueillis » est la seule marque explicite du Exemple n° 1 (26) :
dispositif. Le gras est attribué à la parole minoritaire ; il fait
fonction de rubrication (cf. figure 7). Nous nous levons. Le caporal demande d'une voix essouffl ? e :
« Où est Tjaden ? »
Le Monde n'est ni le premier ni le seul périodique à employer Il regarde autour de lui [...] après quoi il se retire, avec
ce format pour les interviews. Linterview de presse peut être Himmelstoss dans son sillage.
considérée comme un genre à part entière du fait même de « J'ai l'impression qu'à nos prochains travaux de
ses formats de paragraphes. Une variante plus « légère », retranchement un rouleau de barbelé tombera sur les jambes
fréquente dans les magazines, est l'alternance du romain d'Himmelstoss, fait Kropp.
Nous n'avons pas encore fini de nous amuser avec lui »,
(à la place du gras) et de l'italique (à la place du maigre) - dit Muller.
ou vice versa -, le lecteur sachant pertinemment que deux Telle est maintenant notre ambition...
locuteurs font alterner leurs voix et que si ce n'est pas l'un
qui parle, c'est l'autre : il suffit d'attribuer les énoncés Dans ce dialogue selon le code moderne, l'énoncé direct
interrogans au journaliste et les autres à la personne interrogée. fermé par un point d'interrogation, « Où est Tjaden ? », est
Mais on est aussi dans la situation où le lecteur qui entre guillemeté sans problème mais l'incise qui suit, fait Kropp,
dans le texte sans commencer par le commencement doit vient sans guillemets fermants. Ces guillemets viendront
déduire qui parle à qui de la forme locale des propos, de avant le point final de la réplique de Muller, point absorbé (27)
leur longueur et de leur contenu, c'est-à-dire de la place et par la virgule qui introduit une seconde incise, dit Muller.
de la posture de chacun, du niveau encyclopédique L'emploi de guillemets fermants apparaît ainsi comme quasi
(générique vs spécifique) de son lexique, etc. Bref, le balisage du redondant lorsqu'une réplique vient sans incise de régie ou
discours direct dans la presse écrite française devrait donner s'achève par un point (notamment expressif), et il est sans
lieu à des recherches : il est en effet permis de penser que autre effet que formel (il faut bien fermer les guillemets
l'opposition guillemets + italiques et gras vs maigre ne sont quelque part) dans le cas contraire, à moins d'admettre des
pas les seules ressources disponibles pour mettre en uvre séquences sans tiret ni absorption de ponctuant :
les propos d'autrui.
Si maintenant on sort du contexte de la presse pour aller voir
ce qui se passe en librairie, on constate que le jeu des
guillemets et du tiret dégage une opposition entre un code moderne 26. E.-M. Remarque, A l'Ouest lien de nouveau, Le Livre de Poche n° 187
90-91.
:

h grosso modo celui de Flaubert à ses débuts - et un code 27. La notion est de C. Tournier, « Histoire des idées sur la ponctuation »,
contemporain -mettons celui de Flaubert à sa maturité. Ces in N. Catach (éd.), La Ponctuation, déjà cité : 39.

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« J'ai l'impression qu'à nos prochains travaux de retranchement d'imposer une « machinerie textuelle » littéralement
un rouleau de barbelé tombera sur les jambes d'Himmelstoss ! », extraordinaire à son éditeur et, partant, à son imprimeur. Cette
fait Kropp. machinerie est largement dépendante du système
« Nous n'avons pas encore fini de nous amuser avec lui. . . », ponctuationnel mis en place dans l'uvre prise en particulier
dit Muller. comme un élément de son « horizon de réception » et du
Une telle formule, à cette différence près que chaque réplique « contrat de lecture » correspondant ; elle peut passer pour
commence par un alinéa, ferait retomber dans le système un style.
immédiatement antérieur à Flaubert où tous les dialogues De nombreux romanciers ont exploré et explorent encore
étaient hachés de guillemets ouvrants et fermants et où les artifices de l'ambiguïté en supprimant toute frontière entre
chaque propos direct était traité comme une réplique isolée. narration et discours direct, au delà de l'opposition décrite
A l'inverse, le recours au code contemporain à alinéa tireté par Bakhtine entre « style linéaire » - a priori direct - et « style
sans guillemets fait de chaque réplique isolée l'émergence pittoresque » - a priori narrativisé : ce format de discours
d'un dialogue sous-jacent ; il laisse les incises libres de direct qui est indécidablement l'un ou l'autre style, où il devient
constituer des paragraphes de régie ; la question de la de plus en plus difficile de distinguer la voix du (des)
fermeture des guillemets ne se pose plus. (Précisons que dans personnage^) et celle du narrateur, marque apparemment les
ce cas, les guillemets peuvent toujours être employés pour limites du discours rapporté.
encadrer une pensée rapportée.)
Exemple n° 2 (28) : CONCLUSION
Le chef répartiteur consulte le tableau :
Turine, tu as un malade, alors vous êtes vingt-trois à sortir. Pratiquement toutes les formes historiquement attestées du
Vingt-trois, qu'il fait, le brigadier. discours direct sont aujourd'hui actives. Ces formes ne se
Qui c'est qui manque? Pantéléiev n'est pas là. Mais il n'est sont pas éliminées les unes les autres au profit des moins
pas malade ! ambiguës ou des plus récentes mais se sont en quelque
Ça chuchote ferme, sur les rangs... sorte « partagé la tâche ». Cependant, tout en étant
simultanément présentes en synchronie actuelle, elles ne se
Tout le système ponctuationnel du discours direct est ici rencontrent pas dans les mêmes genres de textes. Avec le
décalé d'un rang, ce qui, contrairement à ce que pense temps, le matériel ponctuationnel est devenu de plus en plus
Charles Gouriou, loin de l'appauvrir, l'enrichit : il est en effet complexe. Non seulement les signes se sont multipliés et
possible ne pas reprendre immédiatement le récit et de placer ont diversifié leurs sens, mais comme les genres eux-mêmes
entre dialogue et récit un paragraphe de transition à alinéa se sont multipliés, les occasions de les employer se sont
blanc (29). Ainsi, là où le texte d'E.-M. Remarque passe
diversifiées.
directement du dialogue au récit en faisant entendre la voix d'un
narrateur-personnage : La seconde conclusion que l'on peut tirer de ces
Telle est maintenant notre ambition... observations, c'est que la « machinerie textuelle » est de toute
première importance pour la mise en mots. La configuration
celui de Soljénitsyne joue de la confusion des voix du matérielle d'un texte a une influence indéniable sur sa
narrateur et des personnages : composition syntaxique et stylistique. Par exemple, selon que
Qui c'est qui manque ? Pantéléiev n'est pas là. Mais il est pas l'auteur place les frontières du discours rapporté en début, milieu
malade... ou fin de paragraphe, ou selon - c'est encore plus évident
Cette séquence Question -» Réponse -* Objection peut être - qu'il favorise ou non l'alinéa, et choisit le tiret, les
«chuchotée sur les rangs», elle peut refléter un dialogue guillemets ou ne le marque pas autrement, le contenu
intérieur du narrateur, elle peut aussi se comprendre comme morphosyntaxique du texte devra prendre plus ou moins en charge
la coïncidence d'un dialogue extérieur et intérieur, voire la délimitation et la signalisation du discours enchâssé au
comme l'entremêlement des voix extérieures et intérieures sein du discours enchâssant : d'où la multiplicité des
- ou encore comme l'amalgame de ces quatre formes (3°). exemples, parfois en contradiction apparente, qu'on peut
relever dans les communications sur le sujet qu'on a citées
Cependant, en raison même de son « ambiguïté en commençant.
constitutive » un tel format de rapport n'est pas admis par les
grammaires, guides, manuels scolaires et autres codes. Il relève Dôris A.C. CUNHA
de la volonté d'un auteur de la littérature la plus savante UFPE-CNPQ (Brésil)
Marc ARABYAN
28. A. Soljénitsyne, Une journée d'Ivan Denissovitch, Paris, Juillard, Ircom-CeReS, UMR 6615 CNRS, Limoges
1975:48.
29. Dès la fin du xvme siècle, rappelle R. Laufer dans « Les Espaces du
livre », déjà cité : 171 (souligné par nous), « un système dépourvu de toute
ambiguïté aurait pu se mettre en place, où tiret, signe égal et guillemets 30. Soljénitsyne n'ignore pas les guillemets de pensée rapportée (ibid. :
auraient opéré dans le texte une disjonction discursive entre narration, dialogue 51) : [...] Or, quand c'est une cigarette, il ne l'a pas sitôt allumée que ça se
et monologue. Mais un tel système ne répondait précisément pas au statut lit dans une douzaine d'yeux : «Tu me laisseras le mégot?» [...] mais il y a
ambigu de l'auteur dans le genre romanesque et donc au statut incertain du peu recours - cette rareté s'expliquant par la narration subjective propre à
monologue intérieur. Cette imprécision est indispensable au fonctionnement Une journée..., où tout propos est documenté, comme ici même par une
pragmatique du texte écrit. » « lecture » de la pensée des comparses à travers une douzaine d'yeux.

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