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URL : http://journals.openedition.org/signata/1229
DOI : 10.4000/signata.1229
ISSN : 2565-7097
Éditeur
Presses universitaires de Liège (PULg)
Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2016
Pagination : 255-284
ISBN : 978-2-87562-115-3
ISSN : 2032-9806
Référence électronique
Sabrina Baldo De Brébisson, « Formes, sens et pratiques du sous-titrage spécial », Signata [En ligne],
7 | 2016, mis en ligne le 31 décembre 2017, consulté le 09 janvier 2018. URL : http://
journals.openedition.org/signata/1229 ; DOI : 10.4000/signata.1229
Signata - PULg
TRANSPOSITIONS BETWEEN
VERBAL AND NON-VERBAL
SEMIOTICS
1. Introduction
Avec l’explosion du numérique dans les années quatre-vingt-dix, certains logiciels
ont été conçus pour la création de sous-titres dits spéciaux. Ces derniers se dis-
tinguent nettement des sous-titres classiques qui sont contraints de suivre inva-
riablement une série de règles qui peuvent être conçues comme des normes tradi-
tionnelles. En transgressant ces dernières, l’usage du sous-titrage spécial remet en
question la pratique traditionnelle d’autant qu’il propose pléthore de possibilités
plastiques (qui traitent des formes et des couleurs), de modes d’apparition et de
disparition.
Fondé sur un corpus de ilms sous-titrés, notre domaine de recherche a porté
sur les sous-titres intralinguistiques (anglais écrit) et interlinguistiques (de l’anglais
oral ou écrit vers le français écrit), soit sur les signes verbaux (dialogues) ou les
signes visuels (textes à l’écran).
Après avoir tenté de catégoriser le sous-titre classique selon diférents types
de restrictions, nous avons dressé un bilan des possibilités formelles qui sont
aujourd’hui applicables grâce à l’utilisation des logiciels d’efets visuels.
À l’issue de cette première étape essentiellement descriptive, nous avons tenté
de répondre aux questions suivantes : la pratique du sous-titrage spécial est-elle
répandue ? Dans quels types de ilms la rencontre-t-on ? Qu’apporte-t-elle au
domaine professionnel de la traduction audiovisuelle ? Permet-elle d’en améliorer
la qualité formelle et sémantique ? Qui en fait usage ? Quels sont ses efets sur le
spectateur ?
2. Pour plus de détails, cf. Díaz Cintas (2001, pp. 199-211 et 2008, pp. 89-103), Karamitroglou
(1998) et Orero (2008).
3. Le logiciel d’aide au sous-titrage Ayato est présenté comme un « éditeur de sous-titres classiques ».
Cf. http://www.ninsight.fr/w2/index.php?option=com_content&view=article&id=53&
Itemid=71&lang=fr.
Formes, sens et pratiques du sous-titrage spécial 257
Bien installé dans le creux d’un fauteuil chez moi… ou dans le fond de mon
siège dans l’obscurité d’une salle de cinéma, les yeux rivés la plupart du temps
au bas de l’écran, je regarde un ilm étranger ; un ilm étranger présenté en ver-
sion originale sous-titrée. Cela exige de moi un efort considérable pour suivre
le ilm, pour admirer le jeu des interprètes, ou la beauté des images et, en même
temps, essayer de percevoir dans son ensemble l’œuvre d’un grand cinéaste. Les
diicultés sont nombreuses : – sous-titres parfois à moitié lus parce qu’ils sont
projetés trop rapidement à l’écran ; – sous-titres parfois illisibles vu le même
degré d’intensité lumineuse du sous-titre et de l’arrière-plan ; – sous-titres qui
partagent mon attention avec l’image puisqu’il faut bien en même temps suivre
l’action… […] Quoi qu’il en soit, sans s’interroger sur le bien-fondé des sous-
titres, ou leur raison d’être, on les accepte la plupart du temps sans broncher – on
les subit, car ils sont un mal nécessaire.
En comparant les sous-titres classiques à un « crève-cœur », Nicole Brette
(1982, p. 10) exprime également cette idée de mal contre lequel le traducteur est
impuissant : « Il reste que les sous-titres représentent un véritable déchirement
pour les réalisateurs ; le sous-titre, c’est de la perte d’image, de la perte d’attention,
mais aussi l’absolue nécessité de restituer le sens. C’est le choix impossible, le
crève-cœur ».
Dans son ouvrage, Laks établit qu’« un ilm sous-titré constitue sans contredit
un spectacle de “pis-aller”, tant pour le spectateur connaissant parfaitement la
langue parlée que, pour celui qui la connaît peu ou pas du tout » (1957, p. 17).
Selon l’ATAA (Association des Traducteurs / Adaptateurs de l’Audiovisuel), il
s’agit du « seul livre français consacré par un traducteur-adaptateur aux aspects
techniques et esthétiques du sous-titrage » dont « l’importance […] tient dans le
fait que les grands principes décrits par Simon Laks, ainsi que certains détails cru-
ciaux de l’adaptation sous-titrée, restent plus que jamais d’actualité »6.
Les expressions qualiiant le sous-titrage classique de « mal nécessaire », de
« crève-cœur » ou encore de « pis-aller » sont devenues célèbres et continuent d’être
employées à son sujet. Aussi Marleau qualiie-t-il les sous-titres de « compression »
ou encore de « condensation » dans son article où il recense cinq catégories de pro-
blèmes qu’ils posent clairement : problèmes techniques, physiologiques, psycho-
logiques, artistiques et esthétiques, enin, linguistiques (1982, pp. 271-285). Laks
insiste sur l’idée que les sous-titres correspondent à une « compression du texte ini-
tial » (1957, pp. 6, 38 et 39). Becquemont les compare à un « squelette informatif »
(1996, p. 154), Lambert utilise l’expression de « compression textuelle » (1996,
p. 35) et Serban de « naturalisation, normalisation et simpliication » (2008, p. 91).
Ces critiques nous rappellent la fameuse « objection préjudicielle », expression
créée en 1979 par Ladmiral7 au sujet de Mounin et de son ouvrage Les problèmes
théoriques de la traduction (1963). L’objection préjudicielle renvoie aux opposants
6. http://www.ataa.fr/blog/republication-du-livre-de-simon-laks-le-sous-titrage-de-ilms-dans-
l%E2%80%99ecran-traduit/.
7. Ladmiral (1994, pp. 85-114), chapitre 3 : « La problématique de l’objection préjudicielle ».
Formes, sens et pratiques du sous-titrage spécial 259
8. À l’exception des termes « lottant, fenêtre, jaillissant, ghosting, roll-up et pop-on » qui font
partie du vocabulaire courant des sous-titres et des termes « centripète et centrifuge » qui ont
été empruntés à Hamus-Vallée dans son article à paraître en 2016 « Le sous-titrage spécial : le
hors norme comme remise en question de la norme ».
260 Transpositions Between Verbal and Non-verbal Semiotics
Antipode Ce sont les sous-titres qui formellement contrastent avec ce que montre la
bande visuelle ou ce que dit la bande sonore.
Dans Man on Fire, le sous-titre menaçant « Je vais te couper les doigts »
fait apparaître les trois derniers mots en caractères nettement plus gros.
La voix calme et monocorde de l’énonciateur discorde avec l’augmenta-
tion typographique du sous-titre et son contenu sémantique. L’efet de
contraste accentue le caractère impassible de l’énonciateur.
Artistique Ce type de sous-titre est assez rare. Il concerne certains sous-titres
extrêmement travaillés qui relèvent d’un réel travail de conception d’efets
spéciaux. Il utilise tout un éventail de techniques spéciales comme le sous-
titre accroche mais contrairement à ce dernier, le message traduit est
moins central.
Dans Amy, les sous-titres sont très étudiés dans leur variété de couleurs,
de taille, de mode d’apparition, de disparition, de calligraphie et autres.
Leur objectif est de se mêler ainsi au genre artistique du ilm et d’être en
concordance, voire en harmonie avec la personnalité hors du commun
de la chanteuse, Amy Winehouse.
Bulle Le sous-titre est placé près de la bouche du personnage, caractéristique qui
le rapproche de celle d’une bulle (appelée aussi ballon ou phylactère) dans
une vignette de bande dessinée.
Dans Night Watch, un des personnages hurle « Yes! ». L’image s’apparente
à un dessin de bande dessinée. Le personnage est ilmé de proil, le visage
en gros plan. Le sous-titre apparaît en caractère gros et est placé si près
de sa bouche grande ouverte qu’il semble en sortir. Le sous-titre crée un
efet irréel et fantastique.
Cache-cache Le sous-titre est caché partiellement par un élément de l’image qui vient se
superposer. Parfois, il init par être dévoilé.
Dans Night Watch, une sorcière cache avec son bras une partie du sous-
titre « Sit still, witch! » et étant donné qu’il bouge, il laisse apparaître puis
disparaître plusieurs fois le sous-titre, apportant une certaine légèreté
fantaisiste à la scène.
Centripète Le sous-titre est placé à l’endroit du focus de l’image où le regard du
spectateur-lecteur est censé se diriger. Ce focus n’étant pas forcément au
centre bas de l’image, cette spécialité s’oppose à la position centrifuge pra-
tiquée avec le sous-titre classique. Son efet recherché est de permettre une
meilleure lisibilité au spectateur.
Dans Slumdog Millionaire, lorsque Jamal s’adresse à Latika pour la
première fois et l’invite à se joindre à lui par ces mots : « Come over here »,
l’image montre son visage en gros plan et le sous-titre est placé à droite
de sa bouche. Cet emplacement, plus haut et plus à droite que ne le serait
celui d’un sous-titre classique, présente l’avantage de ne pas éloigner le
regard du spectateur du focus de cet extrait particulièrement beau et de
lui laisser plus de temps pour apprécier l’émotion de la scène.
262 Transpositions Between Verbal and Non-verbal Semiotics
Coloré Efet que l’on rencontre de plus en plus dans le sous-titrage interlinguistique
et qui est couramment utilisé dans le sous-titrage intralinguistique pour
sourds et malentendants où les couleurs ont une fonction précise. Par
exemple, le blanc est utilisé lorsqu’un personnage parle à l’écran, le jaune
lorsqu’il parle en étant hors champ, le rouge lorsqu’un bruit est précisé, le
magenta quand une musique est annoncée.
Dans Amy, le réalisateur a su tirer bénéice de la palette de couleurs ininie
utilisable grâce au numérique. Nous avons relevé des sous-titres blancs,
beiges, lilas, mauves, jaune poussin, jaune citron, vert pâle, bleu gris, vert
soutenu, orange clair, orange foncé, rose bonbon, rose fuchsia, rouge
clair, rouge sang, rouge carmin, violets et marrons. Toutes ces couleurs
apportent une certaine fantaisie au documentaire et un certain esthé-
tisme visuel recherché et personnel. Nous avons constaté que le choix des
couleurs ne correspondait pas aux normes généralement appliquées au
sous-titrage pour sourds et malentendants.
Couleur Les couleurs des sous-titres peuvent changer progressivement, lettre après
progressive lettre par exemple.
Dans Night Watch, certains sous-titres changent de couleur. Par exemple,
dans « You know what our Hunger is… », le mot hunger passe du blanc au
rouge vif en passant par un rouge terne et attire le regard du spectateur.
Crescendo À géométrie variable, les lettres des sous-titres varient progressivement en
Decrescendo grossissant ou en diminuant les unes après les autres, en fonction de l’im-
portance des mots. Il s’agit d’un efet emphatique.
Dans Man on Fire, les trois derniers mots du sous-titre « Je vais te couper
les doigts » sont écrits en caractères beaucoup plus gros car là est la véri-
table menace de l’énonciateur à l’énonciataire qui va se transformer en
réalité.
En cadence L’apparition des sous-titres à l’écran est calquée sur le rythme de l’énoncia-
tion ain de permettre un meilleur visionnage au spectateur.
Dans Man on Fire, un premier sous-titre apparaît « Un par un » sur un
premier plan puis un second « s’il le faut » sur le plan suivant. Les deux
plans font apparaître les dix doigts écartés d’un ravisseur kidnappé par
un garde du corps. Ce dernier, joué par Denzel Washington, menace de
lui couper les dix doigts, l’un après l’autre, s’il ne parle pas. Son ton est
étonnamment calme, lent et la phrase prononcée en deux temps bien
distincts. Les sous-titres calquent spatialement la pause temporelle de
l’énonciation et accentuent ainsi l’attente, le suspense.
Évanescent Le sous-titre glisse à l’image et disparaît progressivement. Cet efet visuel
capte le regard du spectateur.
Dans Night Watch, le personnage pris d’une espèce de folie, tombe à la
renverse en criant « No!!! ». En même temps, le sous-titre « No!!! » dispa-
raît avec lui.
Formes, sens et pratiques du sous-titrage spécial 263
Logogramme On désigne ainsi tout signe graphique non alphabétique qui est inclus dans
(idéogramme, un sous-titre utilisé souvent pour exprimer avec originalité certains événe-
émoticône ou ments ou sentiments diicilement traduisibles. Les logogrammes englo-
pictogramme) bent les pictogrammes et les idéogrammes. Les premiers correspondent
à un dessin ou à un signe qui représente une chose ou un objet concret,
les seconds sont une suite de pictogrammes qui représentent une idée
abstraite ou un concept. Ils sont utilisés dans les bandes dessinées. Par
exemple, un cœur comme signe symbolisant l’amour, des petits dessins
pour remplacer une injure ou encore une ampoule pour indiquer que le
personnage vient d’avoir une idée. Les émoticônes graphiques, pouvant
être ixes ou animées, sont une sorte d’idéogramme.
Dans le second volet de Kill Bill, le nom de l’héroïne, tueuse à gages, n’est
jamais dévoilé. Il est parfois remplacé par « he Black Mamba » ou « he
bride ». Au début du ilm, lorsqu’elle se présente, la bande sonore émet
un bip qui couvre la in de la phrase « My name is » et qui empêche le
spectateur-auditeur de saisir l’information. Un sous-titre logogramme
retranscrit cette originalité sonore par une série de signes dont l’associa-
tion aboutit à un message sibyllin — « Je suis ( !?@!!!) ».
Matière Le sous-titre reste tel quel (solide) ou bien se liquéie ou encore se fond
(solide, dans l’image, créant un efet fantastique.
liquide ou Dans Night Watch, alors qu’il nage sous l’eau, un jeune garçon entend
fondue) une voix qui est sous-titrée en rouge par « Come to me ». Ce sous-titre
passe de l’état « solide » à l’état liquide puis fondu. En d’autres termes, les
lettres apparaissent normalement sous l’eau, puis remontent à la surface
et se liquéient si bien que le spectateur n’arrive plus à les distinguer.
Enin, l’espèce de liquide remonte jusqu’au nez du jeune nageur qui vient
de sortir la tête de l’eau alors qu’il saigne du nez. Il existe une espèce
de couplage où tout se mélange : le sous-titre transformé en liquide
rouge rejoint le sang qui coule. Le sous-titre à lire devient un sous-titre
à regarder.
Mobile Le sous-titre bouge à l’écran, en restant sur place comme s’il était secoué,
ou en allant d’un point à un autre. Il apporte une pointe d’humour ou de
fantaisie.
Dans Night Watch, le sous-titre « I’ll just clap my hands, like this » fait
bouger le mot « clap » alors que l’image montre en gros plan la main qui
s’agite.
Formes, sens et pratiques du sous-titrage spécial 265
Pop-on Les sous-titres sont placés à l’endroit de l’écran qui convient le mieux, sans
mordre sur l’élément visuel le plus important de l’image. Cette technique
est de plus en plus utilisée et permet au spectateur-lecteur de ne pas décen-
trer son attention de l’image.
Dans Slumdog Millionaire, certaines images sont absolument magni-
iques. Le réalisateur Danny Boyle a choisi d’intégrer certains sous-titres
au centre du focus de l’image en en faisant des éléments esthétiques à part
entière. Lorsque Jamal présente son frère à Latika, le passage est lent, le
spectateur contemple le visage en contrejour du jeune garçon qui regarde
intensément la jeune ille. En arrière plan et au milieu de l’image se
devine une lueur orangée qui ressemble à un lever de soleil. Le sous-titre
« his is my brother Salim » se trouve à gauche de l’image où il n’y a aucun
élément visible si ce n’est un fond bleu vert qui contraste avec l’obscu-
rité du visage qui se trouve à l’autre extrémité de l’image. L’endroit qui a
été choisi pour placer le sous-titre est idéal car en pleine harmonie avec
l’esthétique de l’image.
Roll-up Ce sont des sous-titres dits déroulants où les mots déilent de manière
continue et synchronisée avec la bande sonore. Au fur et à mesure, les
premiers mots disparaissent pour laisser place aux nouveaux mots. Ces
sous-titres sont parfois utilisés dans les chaines d’information en continu
et n’ont parfois rien à voir avec la bande audiovisuelle située au-dessus qui
porte sur une autre actualité.
Dans Man on Fire, lorsque le kidnappé craque et init par parler, ses
aveux — « On est divisé en groupes » « Une voix appelle » « On conie
l’otage » « aux gardiens » et « Ils ne font que négocier » — déilent les
uns après les autres en sous-titres déroulants. La forme d’apparition et
de disparition des mots n’est pas sans rappeler les émissions qui difusent
des informations en continu sous forme de sous-titres. Le roll-up est donc
bien choisi dans ce passage étant donné sa charge sémantique : grâce aux
informations données, l’interrogateur va remonter la piste d’investiga-
tion. Le spectateur découvre avec intérêt chaque sous-titre comme il lirait
les sous-titres d’un événement marquant de l’actualité dans une émission
d’information.
266 Transpositions Between Verbal and Non-verbal Semiotics
Zoom Il arrive que des sous-titres soient écrits en très gros, démesurément, sou-
vent lorsque le message exprimé est de toute importance ou bien lorsque
l’énoncé est prononcé par un cri ou un hurlement.
Dans Night Watch, le sous-titre « No!!! » dans l’extrait qui montre le
personnage principal en train de tomber à la renverse en criant est si dis-
proportionné qu’il occupe une longueur plus importante que celle de la
tête du personnage placée juste au-dessus.
À l’aide des exemples cités pour chaque type de sous-titre, nous espérons avoir
illustré l’éventail des possibilités formelles ofertes par les nouvelles techniques du
numérique. Ainsi, la typologie que nous avons constituée, sous forme d’inventaire
empirique, révèle à quel point les sous-titres spéciaux se distinguent visuellement
des sous-titres classiques. La critique classique qui consiste à dire qu’« on ne lit pas
un ilm, on le regarde » n’a plus vraiment lieu d’être avec la pratique des sous-titres
spéciaux. La grande nouveauté que nous souhaiterions mettre en exergue est que
le sous-titre spécial ne se lit pas seulement, il se regarde.
publicité, la presse ou la peinture. Certaines images dans Night Watch sont telle-
ment travaillées, avec des sous-titres prenant mille et une formes, qu’elles s’appa-
rentent à des aiches ou des tableaux.
D’un point de vue sémiotique, les sous-titres spéciaux peuvent opérer avec une
fonction emphatique en reprenant diféremment le signiié de la bande auditive et
visuelle et donc en l’accentuant. C’est le cas par exemple des sous-titres graduels,
disproportionnés, crescendo ou decrescendo. Parfois, cette fonction emphatique
peut être commandée par un efet de contraste comme le permet le sous-titre anti-
pode.
Une autre fonction consiste à jouer sur l’état émotionnel du spectateur en
créant des efets que l’on peut trouver dans des ilms aux genres très diférents
allant de la surprise, au suspense, à l’angoisse, au sourire, au rire, à la colère ou
encore au plaisir esthétique voire à l’éblouissement. Les sous-titres lash, roll-up,
en cadence, antipode, tabous ou colorés en sont de bons exemples. L’efet recherché
est naturellement en adéquation avec le genre du ilm : sous-titre anti-ghosting,
lottant jaillissant ou fenêtre pour un ilm en 3D, sous-titre synthé pour un docu-
mentaire, sous-titre saisie pour un ilm contemporain ou futuriste, sous-titre
coloré, mobile, lash, trouble pour un ilm fantastique. Nous pourrions considérer
l’ensemble de ces sous-titres comme étant analogique, en ce sens qu’il existe une
analogie entre la forme textuelle et le genre ilmique.
Aussi, nous pouvons airmer que chaque sous-titre spécial semble porter une
charge symbolique spéciique avec un efet ou plusieurs efets recherchés sur le
spectateur. Cela peut conduire l’emploi du sous-titre spécial à occuper une fonc-
tion exolinguistique, comme dans Avatar où Cameron a voulu marquer une dis-
tinction culturelle entre humains et habitants de Pandora grâce à deux calligra-
phies distinctes.
Autre fonction intéressante, celle que nous avons nommée « marketing ». Le
meilleur exemple qui existe probablement est celui du ilm Night Watch. En le réali-
sant en 2004, Timur Bekmambetov s’était ixé un objectif clair : démarquer son ilm
des autres ilms étrangers ain d’optimiser ses chances de pénétrer le marché ciné-
matographique américain. La Russie sélectionna d’ailleurs ce premier ilm d’une
future trilogie pour la représenter aux Oscars du cinéma de 2005, faisant de lui le
premier grand ilm russe à être exporté à l’étranger. Dans la version internationale
du ilm, le réalisateur russe a tenu à ce que des sous-titres spéciaux écrits en anglais
américain soient créés en tant qu’éléments de la mise en scène. Intégrés explici-
tement à l’image, ils entrent en relation avec les personnages, prennent diférents
types de formes, apparaissent et disparaissent étrangement, comme un personnage
de l’histoire. L’emploi de ce genre de sous-titres permet de cibler un certain public
sensible à un type de pratique particulier : celui des efets visuels, comme c’est le
cas des sous-titres accroche, artistiques ou lottants qui sont appropriés à un ilm
en 3D. De même, Fontanille (2015, pp. 89-90) précise que :
Formes, sens et pratiques du sous-titrage spécial 269
9. Baldo (à paraître).
270 Transpositions Between Verbal and Non-verbal Semiotics
qu’elle s’apparenterait à une image en 3D relief. Ses paroles sont par conséquent
inaccessibles et doivent être sous-titrées comme elles le seraient dans un ilm en
relief. La fonction exolinguistique de ces sous-titres est donc humoristique. Dans
une comédie, tout élément susceptible de faire sourire ou rire est opportun et le
réalisateur a choisi d’utiliser le sous-titrage spécial dans ce sens.
6.4. Amy
Le ilm-documentaire choc, Amy, est un recueil d’images inédites et de témoignages
sur la carrière aussi fulgurante que tragique de la chanteuse Amy Winehouse.
L’apparition de sous-titres synthés dans la version originale n’a rien d’étonnant
puisqu’il s’agit d’un documentaire et que les synthés sont typiquement utilisés dans
276 Transpositions Between Verbal and Non-verbal Semiotics
images, plus il est montré clairement, moins il est gênant. L’énoncé sur lequel
Laks conclut son ouvrage (1957, p. 62) ne tiendrait donc plus avec les nouvelles
pratiques du sous-titrage spécial « Car le sous-titrage n’est en somme qu’un tru-
cage cinématographique comme les autres. Exécuté de main de maître, il doit
rester… invisible ». Il aurait été sans conteste regrettable de ne pas faire bénéicier
les ilms ci-dessus des avancées technologiques, le sous-titrage spécial pouvant
apporter un « bien nécessaire » à l’image. Cela n’aurait-il pas été dommage que
le ilm Amy se contraigne à des sous-titres banals, avec comme unique couleur le
blanc, une seule et même typographie classique de type « Times New Roman » et
placés systématiquement en bas et au centre de l’image ? De même, des sous-titres
classiques n’auraient-ils pas présenté un pis-aller obsolète, suranné, voire anachro-
nique et par conséquent regrettable dans les images ultramodernes de Fity Shades
Of Grey ou de Men, Women and Children ? Sans parler de Night Watch qui aurait
été amputé d’une partie de sa diégèse.
était autrefois assuré par un technicien. Nous pouvons alors nous interroger sur le
fait qu’ils puissent bénéicier d’une formation au sous-titre spécial ou au moins à
certaines formes de plus en plus populaires telles que le pop-on. Aujourd’hui, cette
formation est assurée par les diplômes préparant aux métiers de l’audiovisuel tels
qu’opérateur synthétiseur spécialisé en montage, postproduction, systèmes, com-
munications et médias numériques. Les logiciels de titrage, qui ofrent toutes les
possibilités formelles que nous avons décrites pour créer des sous-titres spéciaux,
sont donc employés par des techniciens opérateurs spécialisés en postproduction.
Les adaptateurs utilisent des logiciels de sous-titrage utilisés conçus pour efectuer
du sous-titrage classique.
Une formation plus large permettrait de changer la pratique du métier et
Gottlieb (Ibid.) n’aurait plus à déplorer que certains adaptateurs se comportent
comme de simples exécutants : « No matter whether we look at technical or literary
translation, ilm subtitling or conference interpreting, most translators see themselves
as common soldiers in the battleield, rather than armchair strategists calmly
considering their next move. » Ceci est d’autant plus étonnant que les fansubbers,
amateurs qui sous-titrent de manière non professionnelle en téléchargeant illégale-
ment sur internet des séries, dessins animés, ilms ou émissions télévisées, utilisent
librement certains efets spéciaux dans leur rendu en utilisant des logiciels gra-
tuits16. Par exemple, le fansubbing appliqué à l’animation japonais n’a pas attendu
que le sous-titre spécial se répande dans les longs métrages pour employer toute
sorte de couleurs, mouvements et tailles. En raison des libertés techniques possi-
bles, rien n’oblige les praticiens professionnels à continuer de se limiter :
Linguistic competence and sociocultural and subject knowledge are no longer
suicient in order to be able to operate efectively in this profession. A reasonably
high technical knowledge, as well as an ability to quickly familiarize with new
programs and speciications is now expected of subtitlers. Subtitlers have to be
conversant with the information and communication technologies. (Díaz Cintas
2005, p. 2)
8. Conclusion
Notre recherche a porté sur la question des nouvelles techniques appliquées au
sous-titrage et des attentes qu’elles font naître. Les mœurs évoluant, nous pensons
qu’il est temps de subsumer la question binaire du « pour ou contre le sous-titrage
spécial ».
De plus en plus répandu, le sous-titre spécial ne doit pas être traité comme
le concurrent du sous-titre classique, il en est la continuité, l’évolution adjuvante
qui trouve des solutions, empreintes de liberté, aux normes contraignantes. Il n’est
pas conçu pour être simplement lu : il est à regarder, apprécier et parfois même à
admirer.
Ses efets sémiotiques qui ont un impact sur le visionnage du spectateur sont
nombreux et variés. Le sous-titrage spécial permet de considérer des sentiers alter-
natifs de traduction, en ofrant parfois un résultat traductionnel meilleur et plus
adapté à l’image. Ainsi, il ofre à l’envi un enrichissement de la dimension sémio-
tique de l’image. Participant à la réception du support ilmique, il peut être par
conséquent considéré comme une igure de rhétorique visuelle à part entière.
Sources cinématographiques
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Bekmambetov, Timur (réal.), Night Watch, Fox Searchlight Pictures, 2005, 1 DVD vidéo,
109 minutes.
Boone, Josh (réal.), he Fault in Our Stars, Temple Hill Entertainment, 2014, 1 DVD
vidéo, 133 minutes.
Boyle, Danny (réal.), Slumdog Millionaire, Celador Films et Film4 Productions, 2008,
1 DVD vidéo, 120 minutes.
Cameron, James (réal.), Avatar, 20th Century Fox, 2010, 1 DVD vidéo, 171 minutes.
Kapadia, Asif (réal.), Amy, Universal Music, Playmaker Films, Krishwerkz, Entertainment,
2015, 128 minutes.
Kubrick, Stanley (réal.), Shining, MGM, 1980, 1 DVD vidéo, 119 minutes.
Luna, Bigas (réal.), Huevos de Oro, United International Pictures, 1993, 1 DVD vidéo,
95 minutes.
Reitman, Jason (réal.), Men, Women & Children, Paramount Pictures, 2014, 1 DVD vidéo,
116 minutes.
Scott, Tony (réal.), Man On Fire, Fox 2000 Pictures et Regency Enterprises, 2005, 1 DVD
vidéo, 146 minutes.
Segal, Peter (réal.), he Longest Yard, Paramount Pictures, 2005, 1 DVD vidéo, 113 minutes.
Tarantino, Quentin (réal.), Kill Bill (vol. II). Miramax Lionsgate, 2011, 1 DVD vidéo,
137 minutes.
Taylor-Johnson, Sam (réal.), Fity Shades Of Grey, Universal Pictures, 2015, 129 minutes.
Références bibliographiques
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Study’, in Chiaro (éd.), Humor International Journal of Humor Research, Special
Issue Humor and Translation, 18(2), pp. 209-225.
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Klincksieck.
Mounin, Georges (1963), Les Problèmes théoriques de la traduction, Paris, Éditions
Gallimard, Bibliothèque des idées.
Nornes, Abé Mark (2007), Cinema Babel: Translating Global Cinema, Minneapolis,
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