Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
françaises
Valentin Gazagne-Jammes, Florent Tap
Dans Revue française de droit constitutionnel 2022/1 (N° 129), pages 127 à 141
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1151-2385
ISBN 9782130835257
DOI 10.3917/rfdc.129.0127
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
VALENTIN GAZAGNE-JAMMES
FLORENT TAP
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
tutionnaliste, tant en matière de fonctionnement institutionnel de la
Ve République que de protection des droits et libertés fondamentaux ou
de fonctionnement de la démocratie dans le cadre d’un état d’urgence
sanitaire prolongé. Cette chronique abordera trois thématiques princi-
pales de l’actualité politique et constitutionnelle pour l’année qui vient
de s’écouler : le fonctionnement et les pouvoirs du Parlement dans un
contexte de crise sanitaire et d’affaiblissement du rôle politique de ce
dernier (I) ; la gestion et les conséquences de la crise sanitaire sur les
institutions, au prisme notamment des droits et libertés fondamentaux
et de la responsabilité pénale des ministres (II) ; les évolutions récentes
de la « démocratie participative » à l’épreuve du fonctionnement clas-
sique de la démocratie représentative (III).
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
celui de l’Assemblée nationale. Un premier rapport particulièrement
remarqué a été publié au début du mois de juin 2021 et s’intéressait
aux outils numériques dans la gestion de la crise sanitaire et à la protec-
tion des libertés. Quelques semaines plus tard, au début de l’été 2021,
trois rapports d’information ont également été publiés par le Sénat, qui
apportent de précieuses informations sur l’évaluation de la gestion de
la crise sanitaire par le gouvernement et les possibilités de solutions
alternatives. Le premier a été publié le 1er juillet 2021 et concerne « La
stratégie vaccinale à mettre en œuvre pour limiter la quatrième vague
de la pandémie ». Le deuxième, du 5 juillet 2021, fait un état des
« Réponses juridiques et opérationnelles apportées à la crise sanitaire
dans différents États, dont la France ». Le troisième date du 6 juillet
2021 et traite des « aspects scientifiques et techniques de la lutte contre
la pandémie de Covid-19 ». Ainsi le palais du Luxembourg a-t-il rempli
pleinement son rôle de contrôleur de l’exécutif dans ce cadre si particu-
lier de la crise sanitaire. Difficile de dresser le même constat au palais
Bourbon.
2. Voir la lettre jointe à l’article de P. Januel, « Loi séparatisme : l’hécatombe des cava-
liers », Dalloz actualité, 20 janvier 2021.
3. CC, décis. no 2020-807 DC du 3 décembre 2020, Loi d’accélération et de simplification
de l’action publique.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 129 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
Dans cette perspective, l’Assemblée nationale et le Sénat ont affiché
une volonté de développer un contrôle parlementaire a priori des amen-
dements potentiellement cavaliers, en vue de prévenir d’éventuelles cen-
sures importantes par le juge constitutionnel. Ce contrôle se fonde sur
l’article 45 alinéa 1er de la Constitution, qui dispose que « tout amende-
ment est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien,
même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Tirant les consé-
quences de cette nouvelle rédaction issue de la révision de 2008, les
règlements des assemblées ont concrétisé cette disposition pour l’adapter
à leur pratique. Ainsi, l’article 98 alinéa 6 du règlement de l’Assemblée
nationale prévoit qu’« en commission, la recevabilité est appréciée lors
du dépôt de l’amendement par le président de la commission saisie au
fond. En séance publique, la recevabilité est appréciée lors du dépôt par
le Président, après consultation éventuelle du président de la commission
saisie au fond ». De même, l’article 44 bis alinéa 8 du règlement du
Sénat prévoit que, en cette matière, « la commission saisie au fond est
compétente pour se prononcer sur la recevabilité des amendements et
des sous-amendements ».
Il convient néanmoins de relever que ce contrôle a priori n’a pas
empêché la censure de nombreux cavaliers dans les lois PACTE et ASAP.
Ce contrôle pose en outre le problème de l’interprétation potentiellement
variable de l’article 45 alinéa 1er de la Constitution et de la jurisprudence
du Conseil constitutionnel en matière de cavaliers. En ce sens, il se peut
que les parlementaires retiennent une conception divergente de celle du
4. Voir not. : J. Maïa, « Le contrôle des cavaliers législatifs, entre continuité et innova-
tion », Titre VII, no 4, avril 2020 ; Ph. Bachschmidt, « Réaffirmation pédagogique et argu-
mentée par le Conseil constitutionnel de sa jurisprudence constante en matière de “cavaliers
législatifs” », Constitutions, 2019, p. 482.
5. CC, décis. no 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité
des chances économiques.
6. CC, décis. no 2016-741 du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte
contre la corruption et la modernisation de la vie économique.
7. CC, décis. no 2019-781 DC du 16 mai 2019, Loi relative à la croissance et la transforma-
tion des entreprises.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 130 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
limite d’une façon assez importante la marge de manœuvre ultérieure
des parlementaires dans leur capacité d’amendement, puisque le sens et
l’orientation du projet, à partir duquel on pourra éventuellement déter-
miner le « lien, même indirect », sont fixés par le gouvernement et habi-
tuellement approuvés par la majorité parlementaire. Ce contrôle a priori
peut en réalité permettre au gouvernement, par le truchement du
contrôle assuré par la majorité en commission ou en séance, de s’assurer
de l’orientation exacte à donner au texte en discussion. Les débats parle-
mentaires du début de l’année 2021 en ont fourni de très intéressantes
illustrations. Ainsi, lors de la discussion de ce qui était encore en
janvier 2021 le projet de loi « séparatisme », les amendements des
députés Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau, pourtant de la majorité,
visant en substance à interdire le port du voile pour les petites filles, ont
été déclarés irrecevables 9. Il était cependant assez évident que l’amende-
ment proposé présentait un lien tout à fait direct avec la question du
séparatisme en discussion, et c’est bien pour un motif politique et sur
volonté gouvernementale que ce dernier a été rejeté. Dans le même sens,
de nombreux amendements au projet de loi Climat ont été déclarés irre-
cevables, alors même qu’ils reprenaient en substance des propositions
issues de la Convention citoyenne pour le climat 10. Les réactions des
parlementaires sur ce sujet ont d’ailleurs été assez vives 11.
8. Art. 98 alinéa 6 du règlement de l’Assemblée nationale ; art. 44 bis alinéa 8 du règle-
ment du Sénat.
9. « Séparatisme : les amendements de Bergé contre le port du voile pour les petites filles
jugés “irrecevable” », Le Figaro, 15 janvier 2021.
10. Parmi ces amendements rejetés, il y avait notamment ceux relatif à l’éco-responsabi-
lité des entreprises ou à l’adoption d’un objectif européen de réduction de 55 % des émis-
sions de gaz à effet de serre pour 2030. Difficile, ici aussi, de soutenir que de telles
dispositions n’ont aucun lien, même indirect, avec un projet de loi visant à renforcer la
lutte contre le dérèglement climatique et ses effets.
11. Voir not. : « Loi Climat : “La majorité utilise-t-elle, oui ou non, le motif d’irrecevabi-
lité des amendements pour museler les oppositions” ? », Le Monde, 31 mars 2021 ; Entretien
de Delphine Batho dans Paris Match, 9 mars 2021 : « Le gouvernement et la majorité se
cachent derrière le paravent de l’article 45 de la Constitution pour empêcher que des propo-
sitions de la Convention citoyenne soient soumises au débat ».
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 131 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
qui doit composer avec la nécessité d’éviter les pratiques d’obstruction
parlementaire et d’engorgement de la procédure législative. Il reste néan-
moins que, de l’autre côté de la balance, se trouve l’exigence de clarté
et de sincérité du débat parlementaire. À cet égard, d’un point de vue
plus strictement politique, « il est difficilement imaginable, pour une
autorité parlementaire, de déclarer irrecevable un amendement sans avoir
à fournir à son auteur la moindre justification » 13. Une exigence de
motivation, même succincte, des irrecevabilités pourrait limiter les
hypothèses de rejet pour motif politique d’amendement présentant un
lien évident avec le texte, comme ceux évoqués précédemment.
Il conviendrait, en outre, que la majorité n’ait pas la maîtrise des
déclarations d’irrecevabilité, à l’instar des irrecevabilités financières de
l’article 40 de la Constitution. Cela pourrait renforcer le Parlement dans
son rôle de contre-pouvoir de l’exécutif et, surtout, dans son rôle de
législateur. Sans des modifications de cet ordre, la dynamique de la
Ve République tendra toujours à renforcer la présence du fait majoritaire
et de l’exécutif dans la procédure législative, et le rôle politique des
parlementaires n’en sera que de plus en plus restreint.
F. T.
12. CC, décis. no 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de
réforme de la justice.
13. Ph. Bachschmidt, « Le contrôle des “cavaliers législatifs”, entre exigence constitution-
nelle et pratique politique », Constitutions, 2019, p. 40.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 132 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
de son article 24, ensuite devenu article 52 et, in fine, censuré par le
Conseil constitutionnel.
L’article litigieux, voire qualifié de scélérat, est à mettre au crédit des
députés LRM Jean-Michel Fouvergue et Alice Thourot, respectivement
ancien directeur de la force d’intervention de la police, le RAID, et
avocate. L’article 24 est issu d’un rapport, « D’un continuum de sécurité
vers une sécurité globale », commandé aux deux députés par l’ancien
Premier ministre Édouard Philippe. La genèse de l’article a d’ailleurs
fait l’objet d’un papier, pour le moins original, sous la plume du Pr.
Nicolas Molfessis, adoptant le ton d’un journal de naissance, du point
de vue de l’énoncé, doté pour l’occasion d’une conscience 14.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
L’article 24 vise initialement à renforcer l’arsenal pénal existant, afin
d’assurer une meilleure protection aux forces de l’ordre lorsqu’elles sont
en opération – « il faut protéger ceux qui nous protègent ». Pour ce
faire, voici la rédaction initiale du texte issu de la proposition de loi :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le
fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le
support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou
psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un
fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie
nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». Ainsi
rédigé, l’article présente un certain nombre de risques, à commencer par
une atteinte disproportionnée à la liberté d’information et de communi-
cation, laissant ainsi planer un doute quant à sa constitutionnalité et sa
conventionnalité.
Toutefois, ce n’est pas tant sur le contenu de l’article que l’on souhaite
revenir, ni d’ailleurs sur les déboires de la proposition de loi, qui fit
l’objet – fait assez rare pour un texte pénal pour que ce soit souligné –
de plusieurs manifestations partout en France, mais sur la réaction que
ces évènements suscitèrent au sein de l’exécutif. Rapidement il fut ques-
tion de réécrire l’énoncé, le gouvernement proposa cependant que cette
réécriture soit confiée, non pas au Parlement, mais à une commission ad
hoc indépendante, composée d’experts venus d’horizons divers. La com-
mission devait alors être dirigée par Jean-Michel Burguburu, président
de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dont un
avis rendu public étrille le texte et plus particulièrement son article 24.
Aussi, ce choix, bien qu’il puisse paraître louable puisqu’il laisse la
parole à l’opposition qui s’est formée contre le texte, y compris au sein
de la société civile, confirme indubitablement une désaffection du Parle-
ment voire un abaissement de la fonction de légiférer. De surcroît, cette
proposition de modification du texte, que l’on doit au ministre de l’Inté-
14. N. Molfessis, « Quelques jours dans la vie de l’article 24 », Blog – Le club des juristes,
6 décembre 2020 [accessible en ligne].
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 133 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
spécifiques sur un sujet leur permettant de se prévaloir d’une neutralité
axiologique quasi parfaite. Ce phénomène fait écho, dans une moindre
mesure, à celui du « gouvernement des experts 16 » que l’on peut obser-
ver en Italie et en Grèce, qui déplace l’origine de la légitimité : cette
dernière ne provient plus de l’élection mais de compétences objectives
qui sont à mettre au crédit de ceux qui gouvernent. Dans le cas français,
cette évolution ne peut manquer d’étonner puisque la majorité présiden-
tielle avait fait campagne, lors des élections législatives de 2017, sur
l’idée d’appartenir à la société civile et non à la classe politique tradition-
nelle, permettant ainsi l’élection de représentants d’un nouveau type –
le nouveau monde contre l’ancien monde. Le député Jean-Michel Fou-
vergue, à l’initiative de l’article 24, en est un bon exemple : en tant
qu’ancien patron des forces d’intervention de la police, il semblait bien
placé pour porter ce texte et en apprécier le contenu. Pour finir, les
représentants issus de la société civile, élus en 2017, sont écartés au
profit de personnalités issues de la société civile ayant, prétendument,
un degré d’expertise supplémentaire. Un esprit taquin pourrait affirmer
que le problème de légitimité ne provient plus désormais du fait de ne
pas avoir été élu mais, précisément, de l’avoir été.
Inévitablement, la volonté de réunir une commission d’experts pour
réécrire l’article 24 en lieu et place du Parlement donne lieu à de mul-
tiples interprétations. Selon l’une des lectures possibles, les parlemen-
taires ne seraient pas aptes à réécrire seuls l’énoncé de manière efficiente,
dans le respect des droits et libertés protégés par l’ordre juridique natio-
nal et européen. L’incurie de la majorité parlementaire est ainsi actée et
le dessaisissement au profit d’experts, préféré par l’exécutif. Une autre
interprétation est toutefois possible, qui interroge la responsabilité poli-
tique des élus. Une fois la décision prise par des experts, si la société
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
publique pour ne pas qu’elle s’abatte à nouveau sur la majorité.
Toujours est-il que cette proposition d’externalisation de la rédaction
de l’article 24 a créé un certain nombre de remous dans la majorité
parlementaire. Dans une interview accordée au journal Le Monde, Yaëlle
Braun-Pivet, Présidente de la commission des lois à l’Assemblée et affi-
liée à LRM, a fermement rappelé que cette tache devait revenir en
dernier lieu au Parlement. De manière plus inédite encore, le Président
de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, a adressé une lettre ouverte
au Premier ministre, Jean Castex, pour lui dire son désaccord de principe
et, dans laquelle, il rappelle que s’il est « loisible au gouvernement de
s’entourer des éclairages qu’il souhaite recueillir, il n’appartient pas au
gouvernement de substituer aux prérogatives parlementaires les travaux
d’une commission extérieure 17 ». Par retour de courrier, Jean Castex
précise que la commission indépendante n’aura pour seule fonction que
de proposer son expertise aux parlementaires pour les aiguiller dans la
réécriture de l’article controversé : « Il n’entrera pas dans le périmètre
de cette commission le soin de proposer une réécriture d’une disposition
législative, mission qui ne saurait relever que du Parlement ».
Cette instance devra « nourrir la réflexion du gouvernement », pour
« élaborer des propositions sur la meilleure manière de concilier le
respect absolu du droit fondamental à l’information et la protection des
forces de sécurité 18 ». Gageons toutefois que cet épisode démontre à la
fois la tentation de l’épistocratie qui touche nos gouvernants, ainsi que
les dégâts causés aux prérogatives de l’Assemblée nationale par le fait
majoritaire. Cette dernière précision a son importance, car le Sénat –
dont on sait qu’il n’est pas acquis à la majorité présidentielle –, a entière-
ment réécrit l’article 24 en commission des lois, pour en proposer une
nouvelle mouture – expurgée de toute référence à la loi de 1881 et
inscrivant la nouvelle infraction dans le Code pénal. À la suite d’une
17. Extrait d’un entretien accord paru au journal Le Monde par Yaël Braun-Pivet.
18. « Réécriture de l’article 24 : le recul de Castex, la lettre de Darmanin », Les Échos,
27 novembre 2020.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 135 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
II – GESTION ET CONSÉQUENCES DE LA CRISE DU CORONAVIRUS
SUR LES INSTITUTIONS
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
administratives que légales. Après qu’il eut fallu présenter une attesta-
tion de déplacement – y compris dans un rayon limité par voie régle-
mentaire –, qu’il faille y porter le masque et y respecter la distanciation
sociale, le passe sanitaire semble en être le point culminant. Cette restric-
tion des conditions d’accès à l’espace public ne saurait être tolérée dans
un régime libéral. C’est pourquoi, la disproportion de la mesure par
rapport à l’objectif poursuivi est invoquée. C’est ici que le bât blesse :
l’objectif poursuivi par les pouvoirs publics est la vaccination d’une part
substantielle de la population – environ 70 %. La mesure prise peut
sembler attentatoire aux libertés et le bien-fondé de tel ou tel point
mérite certainement d’être discuté, mais quelle aurait été la mesure alter-
native permettant d’atteindre l’objectif de manière similaire, tout en
étant moins restrictive pour les droits et libertés ? Aussi, est-ce la mesure
qui est liberticide, ou l’objectif qui porte en lui une atteinte substantielle
aux libertés ? Rendre la vaccination obligatoire pour l’ensemble de la
population n’aurait pas été moins liberticide, bien que cela puisse être
déclaré nécessaire dans une société démocratique par la Cour européenne
des droits de l’homme 20, dès lors que la vaccination obligatoire pour les
seules professions de santé a déjà été dénoncée comme problématique.
Évidemment, il eût été préférable de pouvoir compter sur le civisme
de chacun, la claire évidence de devoir se protéger pour protéger autrui,
la confiance dans la science – sans verser dans le scientisme, qui empêche
le doute raisonnable – et un élan général vers ce qui apparaît comme un
bien commun. Cela n’est pas plus réaliste que le passe sanitaire n’est
souhaitable dans un régime de libertés. Toujours est-il que cet épisode
positionne encore un peu plus le Défenseur des droits en contre-pouvoir
– l’un des rares – aux mesures adoptées par l’exécutif durant la crise
sanitaire. À ce titre, l’institution a produit un dernier signal d’alarme
fin octobre 2021, pour pointer du doigt les risques de prolongation de
l’état d’urgence sanitaire jusqu’en juillet 2022, et, concomitamment,
20. Voir en ce sens : Cour européenne des droits de l’homme, 8 avril 2021, Vavøièka et
autres c. République tchèque, req. no 47621/13 et cinq autres requêtes.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 137 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
contournement des deux chambres alerte encore une fois sur le déséqui-
libre institutionnel que cette crise sanitaire met en lumière et renforce.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
Procureur général près la Cour de cassation, mais aussi « toute personne
qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre
du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions », peut déposer une
plainte auprès de la commission des requêtes. Cette dernière doit ensuite
décider de classer sans suite les requêtes présentées devant elle, ou de les
transmettre à la Commission d’instruction. En l’occurrence, la Commis-
sion d’instruction a été saisie et elle a décidé, à son tour, de donner suite
aux plaintes qui ont été déposées.
Après quoi plusieurs ministres ont vu leur domicile perquisitionné,
au nombre desquels : Mme Buzyn, Mme Ndiaye, et M. Véran. En paral-
lèle, les locaux du ministère du Travail ont aussi été perquisitionnés.
Depuis lors, il a été annoncé qu’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités
et de la Santé au commencement de l’épidémie, ayant quitté ses fonc-
tions pour se prêter candidate LREM à la mairie de Paris, allait être
mise en examen par la CJR. Les trois juges qui intentent les poursuites
reprochent, selon le journal Le Monde, à l’ancienne ministre du Gouver-
nement Philippe, sa gestion de la crise liée au Covid-19 et notamment
l’absence d’anticipation de son administration. Elle serait donc poursui-
vie pour « abstention volontaire de combattre un sinistre » et « mise en
danger d’autrui ». Comme le notent Olivier Beaud et Cécile Guérin-
Bargues 23, cette mise en examen signifie que la prétendue mauvaise
gestion de la crise sanitaire, voire l’incompétence d’une ministre à agir,
relèvent de la responsabilité pénale et non de sa responsabilité politique.
Plus encore, Olivier Beaud, dans un autre article, souligne une différence
majeure entre ce cas d’espèce et celui de l’affaire du sang contaminé.
Alors que dans le scandale du sang contaminé les plaintes ont été traitées
avec le recul nécessaire pour ce faire, cette fois-ci elles le sont alors même
22. E. Lemaire, « Carence du contrôle parlementaire et contrôle politique par les experts.
À propos de la mission d’évaluation de l’exécutif sur la gestion de la crise due au Covid-
19 », JP Blog, 9 novembre 2021.
23. O. Beaud, C. Guérin-Bargues, « Mise en examen d’Agnès Buzyn : “l’image de la
justice et des politiques ne pourra que sortir écornée de cette triste affaire” », Le Monde, 13
septembre 2021.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 139 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
que la crise sanitaire est encore en cours. Aussi les poursuites sont-elles
assurées en « temps réel », conduisant le professeur de droit à parler d’un
« populisme pénal » dont le but serait d’instrumentaliser la justice
pénale d’exception, qui se substitue alors à la responsabilité politique
des ministres – dont on est en droit de penser qu’elle est lacunaire.
Il y aurait fort à faire pour soigner la défiance que nourrissent nombre
de citoyens à l’égard des institutions et de ceux qui les dirigent. Il y
aurait certainement tout autant à proposer pour soigner la Ve Répu-
blique du mal qui l’étouffe et empêche la responsabilité politique des
ministres de fonctionner comme il se doit dans un régime parlemen-
taire : à savoir, le fait majoritaire. Malgré tout, il n’est pas souhaitable
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
de voir une justice pénale d’exception être instrumentalisée à des fins
politiques. Hormis à voir un complot dans la gestion de la crise et donc
une volonté délibérée de nuire à la population, gouverner comme on le
peut pour faire face à une crise protéiforme et incertaine ne doit pas être
considéré comme une faute pénale, mais comme une faute politique,
sous peine d’assister « au crépuscule du constitutionnalisme 24 ».
V. G.-J.
24. O. Beaud, « Le glissement d’une responsabilité pénale des ministres : regard critique
un certain exceptionnalisme français, révélé par le cas de l’épidémie du coronavirus », Revue
de droit d’Assas, no 21, 2021, p. 155.
Pixellence - 10-02-22 14:44:03 - (c) Humensis
RE0241 U000 - Oasys 19.00x - Page 140 - BAT
RFDC - 129 - Dynamic layout 0 × 0
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
En tout état de cause, cette réforme s’inscrit dans un mouvement
plus général de « sympathie » à l’égard de ce qu’il convient d’appeler
commodément la « démocratie participative », qui ne correspond pour-
tant guère à la longue tradition politique française 26. L’idée étant fina-
lement d’associer les citoyens à la prise de décision politique, ou du
moins de feindre que l’on met tous les moyens en place pour ce faire et
que les décisions prises par les véritables gouvernants le seront en ayant
écouté et compris les citoyens, suivant un panel arithmétiquement repré-
sentatif. L’idée n’est certes pas neuve, mais elle fait suite à l’expérience
très récente de la Convention citoyenne pour le Climat et de ses suites
fort intéressantes pour le constitutionnaliste.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 10/10/2023 sur www.cairn.info via Institut Catholique de Paris (IP: 154.59.125.43)
en ce sens que la volonté de concilier une expérience de démocratie
participative avec la démocratie représentative constitue une véritable
aporie. Ainsi dans le cadre du projet de loi Climat et résilience, les
sénateurs ont souhaité supprimer le délit d’écocide, qui fut finalement
réintégré, et ont modifié la rédaction du projet de révision constitution-
nelle pour préciser que la France ne « garantit » pas mais « préserve »
l’environnement. En définitive, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et
résilience » reprend seulement une partie des 146 propositions retenues
par le président Macron à l’issue des travaux de la Convention, et dont
certaines ont été adaptées au gré de la discussion parlementaire. À
l’arrivée, nous sommes assez loin de la démocratie participative « pure »
mais bien plus proche de ce que le professeur Saint-Bonnet a qualifié de
« démocratie par petit conseil » afin de « pallier les mécomptes de la
démocratie représentative » 28.
F. T.