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Achats et marketing
Une asymétrie d’interface
E
n dépit d’un corpus en continuel susceptibles d’être expliquées par le
développement (Emiliani, 2010), la concept d’asymétrie d’interface. Au-delà
discipline des achats demeure d’une impossible assimilation entre achats
encore en quête de fondements conceptuels. et marketing, l’article milite en faveur d’un
Une voie de conceptualisation peut-être rapprochement raisonné des deux activités,
identifiée à travers les efforts d’un certain s’inspirant sans doute du marketing pour
nombre d’auteurs pour rapprocher les rendre compte de certains aspects de son
« situations d’achat » et les « situations développement, mais surtout fondant un
marketing ». Ce rapprochement est semble- futur d’évolution spécifique aux achats.
t-il justifié par le fait que les situations
d’achat trouveraient dans les situations
I – LES ACHATS :
marketing les éléments d’un ancrage théo-
DU MARKETING AMONT ?
rique déjà éprouvé. L’objectif conceptuel
est ici de discuter les limites d’un tel rap- Une partie de la littérature portant sur les
prochement. L’article s’articule pour cela de achats invite à considérer une certaine
la façon suivante. Il identifie dans un pre- symétrie entre les situations « d’achat » et
mier temps les lieux dans la recherche en les situations « de vente » ou « marketing ».
management où un rapprochement entre Cette mise en avant d’une forme d’équiva-
achats et marketing a été opéré et les lence entre des activités aux deux extrémi-
logiques dans lesquelles se sont inscrits ces tés de la chaîne de valeur d’une entreprise
rapprochements. Dans un deuxième temps, est souvent le socle d’une série de préconi-
il propose de revenir sur ce qui fonde ces sations managériales. L’entreprise pourrait
rapprochements – une certaine similarité alors se comporter (ou être encouragée à se
entre les achats et le marketing – pour comporter) de façon similaire vis-à-vis de
mettre en évidence cinq spécificités des ses fournisseurs comme vis-à-vis de ses
interactions d’une entreprise avec les mar- clients. Nous nous intéressons dans cette
chés des fournisseurs. première partie aux différents travaux qui
Les spécificités en question touchent : à la ont mis en avant ce rapprochement entre
fonction de support spécifique des achats achats et marketing, et nous proposons une
dans la chaîne de valeur d’une entreprise ; à analyse des logiques adoptées pour opérer
l’interprétation concurrentielle que font les ce rapprochement.
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position des deux parties à l’échange » fonctions achats qu’ils étudient restent
(Kotler et Levy, 1973, p. 59). Enis et Smith encore très orientées vente plutôt que mar-
(1977) font remonter le rapprochement keting et prévoient comme future évolution
achat/marketing encore plus tôt aux deux des achats un passage à cette orientation
mêmes auteurs. En défendant un concept marketing. Cependant, dans la grande
élargi du marketing, Kotler et Levy (1969) majorité des travaux, la réflexion n’est pas
ont fait de l’orientation marketing une pers- engagée sur le sens à accorder à la dimen-
pective généralisable aux différentes parties sion marketing quand on applique le mar-
prenantes d’une entreprise, dont les fournis- keting aux achats. Les auteurs font souvent
seurs. Malgré cette interprétation séduisante, indifféremment référence, dans leur objec-
il semblerait au contraire que Kotler et Levy tif de rapprochement des deux fonctions, à
(1969) aient pris soin de distinguer dans leur la fonction commerciale ou marketing, aux
article les « suppliers » des « consumers », vendeurs comme aux marketers. Nous
réservant exclusivement aux consommateurs adoptons dans cet article une vision élargie
– qui recouvrent différentes catégories telles du marketing aux fonctions en charge de
que « clients », « trustees », « publics » et l’interface avec les clients, recouvrant les
« general public » – le constat selon lequel fonctions de marketing et de vente.
ils sont concernés par le marketing (Kotler et Ce rapprochement achat/marketing aurait
Levy, 1969). En revanche, si l’on souhaite pu ne jamais poser question si le marketing
poursuivre cette quête d’un point d’origine avait été maintenu dans sa perspective
du rapprochement achat/marketing, on « interactive » originelle. Comme le rappel-
pourra citer Lewis (1932) qui invite l’ache- lent Kotler et Levy (1973), les premiers tra-
teur à sortir de sa passivité pour devenir vaux en marketing ont été menés sur des
« comme le vendeur ». problématiques de distribution, c’est-à-dire
Dès à présent, on retient que ce rapproche- sur une problématique « entre » fournis-
ment maintient dans un flou relatif ce à quoi seurs et clients. Les auteurs insistent sur
les achats sont comparés. S’agit-il d’une l’idée que le marketing était alors vu
comparaison avec le marketing ? Avec la comme s’intéressant à la fois au client et au
vente ? Avec les fonctions d’interface avec fournisseur. Cette position du marketing
le marché des clients ? Davies (1974) insiste « entre » fournisseur et client s’est rapide-
sur la nuance pour fonder l’évolution qu’il ment estompée au profit d’un marketing
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lifiés de plus agressifs, font du marketing confirme cette perspective d’un marketing
dans la mesure où, pour les auteurs, ils agis- amont vu comme un ensemble de tech-
sent plus activement sur le marché des four- niques et démarches empruntées au marke-
nisseurs. Il s’agit, avec cette incitation à la ting client. Barriol (1998) complète cette
proactivité, d’inverser la répartition tradi- perspective en recensant une série de tra-
tionnelle des rôles acheteur/vendeur afin vaux où le marketing achat s’efforce
que l’acheteur « persuade le fournisseur de d’adapter, à l’attention des acheteurs, une
lui proposer exactement ce dont son entre- série d’outils informationnels et organisa-
prise a besoin » (Blenkhorn et Banting, tionnels. Dans cette perspective, le rappro-
1991, p. 187). Blenkhorn et Banting (1991) chement achats/marketing permet de mettre
résument cette perspective autour des deux à disposition des achats une boîte à
termes « initiative » et « persuasion ». méthodes et à outils devenue depuis de
Fenneteau (1992) évoque à ce propos une nombreuse années un des piliers du marke-
perspective tendant à développer un « état ting management.
d’esprit » particulier de l’acheteur prati- La troisième logique permet d’aborder le
quant le marketing (Fenneteau, 1992, rapprochement achats/marketing sous
p. 46). Cova (1992) souligne cette dimen- l’angle de la stabilité des échanges avec les
sion en indiquant que ce marketing permet acteurs du marché. Cette logique n’est pas
de donner une marge de manœuvre au présente dans les travaux de Kotler et Levy
client. En résumé, le rapprochement (1973), Davies (1974), ou même d’Enis et
achats/marketing permet aux achats d’ima- Smith (1977). Il faut attendre les travaux de
giner des modalités de reprise en main de la Leenders et Blenkhorn (1988) pour qu’ap-
relation avec les fournisseurs. paraisse clairement l’idée que le reverse
Une deuxième logique conduit à voir le rap- marketing permet l’instauration de relations
prochement achats/marketing comme une durables avec le fournisseur. La prise en
préconisation faite aux acheteurs à utiliser compte d’objectifs à long terme est alors
des méthodes et/ou outils du marketing. clairement présente dans la définition du
Ainsi, en développant le concept de reverse reverse marketing : les acheteurs adeptes du
marketing, Leenders et Blenkhorn (1988) reverse marketing veulent des relations à
proposent une méthode en onze étapes long terme avec leurs fournisseurs
regroupées en quatre phases, allant de l’éta- (Blenkhorn et Banting, 1991). La prise en
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jour. Celle par laquelle les auteurs invitent Blenkhorn et Banting (1991) parlent de
les achats à imiter le marketing dans la mise relations mutuellement profitables.
en place d’échanges partenariaux avec les Enfin, on peut identifier une dernière
fournisseurs, par opposition à des échanges logique dans laquelle le rapprochement
conflictuels. Au-delà de la dimension tem- achats/marketing constitue une invitation
porelle, l’idée d’une collaboration entre formulée aux acheteurs à développer le
acheteurs et vendeurs renvoie davantage à volet interne de leur activité. Ce qui est mis
la modalité de gouvernance préconisée. en avant, c’est le rôle de vendeur que peut
Pour Biemans et Brand (1995), le marke- jouer l’acheteur au sein de son entreprise :
ting achat affiche cette dimension collabo- « en se positionnant comme un spécialiste,
rative, point de vue également développé l’acheteur peut vendre à son entreprise le
par Hawes et al. (2006). Pour Fenneteau service auquel il appartient » (Barriol, 1998,
(1992), toujours plus nuancé, l’action mar- p. 6). Le rapprochement achats/marketing
keting de l’acheteur se décline en deux sert dès lors à promouvoir une certaine
moyens : l’instauration de partenariats et la transversalisation de la fonction achats dans
mise en concurrence. Deux moyens qui, l’entreprise. À ce titre, l’acheteur permet la
sous certaines conditions, peuvent conduire diffusion d’une information portant sur les
à des échanges mutuellement satisfaisants marchés amonts, mimant en ce sens une
(Fenneteau, 1992), idée similaire dévelop- orientation marketing au sens classique du
pée par Reverdy (2009). Plank et Francis terme. Il s’agit aussi d’inviter les achats à
(2001) mettent, quant à eux, en évidence la prendre plus d’importance dans l’organisa-
dimension réductrice de conflit du reverse tion. Les acheteurs ne seraient plus seule-
marketing. Bref, au-delà même de l’éloge ment des diffuseurs d’information concer-
de la stabilité, on peut lire dans le rappro- nant le marché amont, mais pourraient viser
chement achats/marketing la mise en évi- à une intégration avec d’autres fonctions
dence d’alternatives possibles aux seuls afin de contribuer à accroître la performance
rapports conflictuels avec les fournisseurs. d’un certain nombre de décisions.
Précisons que si stabilité et partenariat peu- L’idée apparaît dès les travaux de Lewis
vent aller de pair, ils ne sont pas pour autant (1932), qui attend des achats une évolution
substituables l’une à l’autre. Ils sont préco- similaire à la vente dans une montée en com-
nisés, comme dans la version marketing pétence et en importance dans l’entreprise.
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2. Ces observations empiriques des pratiques sont le produit d’interventions auprès de nombreuses directions et
services achats d’entreprises internationales ou françaises sous forme de recherches (Chaire Key Supply Manage-
ment, thèses professionnelles), de formations (mastères spécialisés, formations Executive) et de conseil.
104 Revue française de gestion – N° 205/2010
ment, une erreur de sélection des fournis- de clients ou d’affaires) lui ouvrant le choix
seurs ou une rupture d’approvisionnement de saisir ou non l’opportunité que repré-
affectant une de ces ressources, généreront sente un client sans que l’impact de sa déci-
des effets négatifs immédiats sur la produc- sion ne remette en cause sa pérennité à
tion de valeur finale de l’entreprise. court, moyen et long terme.
Inversement, pour le fournisseur, l’objectif Ainsi, compte tenu de leurs positions dans
premier de sa chaîne de valeur, combinai- la chaîne de valeur, les achats et le marke-
son d’activités contribuant à la structure de ting ne sont pas dans une situation symé-
coûts et à la différenciation, est de dégager trique. Les premiers sont soumis à une
une marge profitable grâce à la création contrainte d’obligation d’achat portant sur
d’un avantage concurrentiel durable. Dans l’approvisionnement d’inputs indispen-
ce cadre, les activités principales que sont le sables à la chaîne de valeur ; le second
marketing, défini comme l’identification, le recherche des opportunités de profit valori-
ciblage et la satisfaction des besoins des sant cette même chaîne de valeur en fonc-
clients, et la vente comme activité visant à tion de son ciblage des portefeuilles de mar-
atteindre les clients, développer des rela- chés/clients.
tions avec eux, vendre les produits au détail
et prendre les commandes, constituent des 2. Relation « dans le marché »
moyens de capter des opportunités de profit, vs. relation « hors marché »
et non un but en soi. Ainsi, le marketing La littérature marketing a largement contri-
stratégique désigne la démarche qui, à par- bué à mettre en avant les avantages des rela-
tir de l’analyse du marché, identifie les dif- tions pérennes avec les clients (Lefaix-
férents segments actuels ou potentiels de la Durand et al., 2006). Dans des situations où
demande, repère les positions des concur- les investissements consentis par le fournis-
rents, choisit le ou les segments cibles, et seur pour s’adapter à un client peuvent être
sélectionne la différenciation qui singulari- considérables, le long terme est garant d’un
sera l’offre à travers un positionnement. meilleur retour sur investissement et d’une
Cette séquence vise à mettre au jour la (ou plus grande création de valeur pour les deux
les) meilleure(s) opportunité(s) de marché à organisations en relation. Une partie de la
moyen terme contribuant à la stratégie littérature insiste sur l’intérêt de développer
générale de l’entreprise. Plus largement des relations fondées sur la confiance et
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un portefeuille d’échanges avec ses clients. Weele 2010) : la relation dépend toujours de
Certains de ces échanges ont une dimension la position de l’entreprise face à ses four-
définitivement relationnelle marquée par le nisseurs « dans le marché ». Ainsi, Kraljic
long terme, le développement d’une gou- (1983) distingue trois différents « sous-seg-
vernance basée sur la confiance, une inté- ments » en fonction du rapport de force
gration des chaînes de valeur fournis- entre l’entreprise et ses fournisseurs : les
seur/client, d’autres restent résolument marchés dominés par l’acheteur, dominés
des échanges transactionnels (Spekman et par les fournisseurs et équilibrés, préconi-
Carraway, 2006). sant une stratégie d’exploitation pour les
La littérature et les pratiques achats repren- premiers, de diversification pour les
nent à leur compte les approches relation- seconds et d’équilibre pour les derniers. Le
nelles, en s’inspirant en particulier des « Dutch windmill » de van Weele (2010)
modes de relations fournisseurs développés s’appuie sur quatre positions de l’acheteur
par les constructeurs automobiles japonais vis-à-vis du fournisseur – convergente
(Womack et al., 1990). À la suite d’Ellram (core), dépendante (development), indépen-
et Hendrick (1993), Monczka et al. (1998) dante (exploitation) et divergente (nui-
soulignent les avantages de relations colla- sance) – dont on peut trouver l’origine dans
boratives entre acheteurs et vendeurs, ainsi Dwyer et al. (1987). En point d’orgue, van
que l’intérêt de relations à long terme, tout Weele (2010) ne craint pas d’évoquer le
en reconnaissant ses obstacles. Quant aux mythe du partenariat en rappelant pourquoi
praticiens des achats, la réduction du les fournisseurs ne pensent et n’agissent pas
nombre de fournisseurs constitue un de toujours dans l’intérêt de leurs clients.
leurs objectifs quotidiens, celle-ci devant Ainsi, les différentes modalités de relation,
permettre aux acheteurs de se focaliser sur mobilisées comme autant de leviers per-
l’approfondissement de leurs relations avec mettant d’atteindre les objectifs propres à
un nombre réduit de fournisseurs-parte- chaque situation d’achat, s’inscrivent tou-
naires à travers des dispositifs de Supplier jours dans le marché. Toute relation, y com-
Relationship Management. Toutefois, sous pris partenariale, dépend surtout de la posi-
cette apparente similitude d’une orientation tion de l’acheteur vis-à-vis de ses
relationnelle, ou a minima de la reconnais- fournisseurs : il s’agit soit d’exploiter un
sance d’un intérêt relationnel dans certaines marché acheteur (buyer market), ou de se
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résultant de la dépendance ainsi générée. Si relèvent que l’idéal selon lequel les achats
les achats sont le miroir du marketing, les devraient être le premier lien de communi-
images de l’un et de l’autre sont ici totale- cation avec les fournisseurs n’exclut pas
ment inversées – conformément à toute que, de fait ou en droit, d’autres départe-
image dans un miroir – c’est-à-dire parfai- ments soient directement en contact avec
tement asymétriques. eux, remettant en cause l’efficacité des
achats, jusqu’à souligner la relation critique
3. Intermédiaire contesté entre les achats et l’ingénierie. Leenders
vs. interface reconnue et al. (2006) reconnaissent qu’un des défis
L’orientation client a permis à la fonction auquel est confrontée la gestion des appro-
marketing/vente de se légitimer comme visionnements est d’étendre son influence
porte-parole de l’entreprise envers ses au sein de l’entreprise, jusqu’à ce que soit
clients, et aussi comme porte-parole du reconnue sa contribution au succès de l’en-
client au sein de l’entreprise (Homburg et treprise. Van Weele (2010) reconnaît la
al., 2000). De ce fait, la fonction marke- diversité des processus de décision d’achat
ting/vente joue un rôle important d’intégra- en relevant l’influence différente des
tion et de coordination à l’interne en tant membres du centre d’achat, en fonction des
que garante de la position de l’entreprise complexités techniques ou commerciales
sur ses marchés. Même si l’on observe une de l’achat. De même, Fenneteau (1992)
certaine dissolution de la fonction marke- souligne le double rôle d’intermédiaire de
ting au sein des différentes activités de l’en- l’acheteur : il est à la fois fournisseur face
treprise (Webster et al., 2005 ; Ivens et al., aux autres fonctions au sein de son entre-
2009), nul ne remet en cause la nécessité prise, et client face aux fournisseurs aux-
collective d’une cohérence organisation- quels il a recours pour ses approvisionne-
nelle face à ses différents segments cibles. ments. Reverdy (2009) pointe l’ambiguïté
Plus encore, la nécessité d’amortir les de cette position d’intermédiaire.
investissements spécifiques propres à une En outre, les clients internes étant les pre-
relation client a conduit au développement miers bénéficiaires des investissements rela-
de dispositifs organisationnels tels que le tionnels des fournisseurs, ils ont a priori une
key account management (Pardo, 1997, préférence pour les relations directes et
1999). Le key account management appa- pérennes, ce qui les conduit à chercher à
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gnant, jusqu’à en faire le symbole de son Ainsi, malgré la progression des pratiques
identité professionnelle (Reverdy, 2009), au fur et à mesure de la maturité achats des
tout en cherchant à ne pas se couper des entreprises (Monczka et al., 2005 ; Bruel,
clients internes tout au long du processus. 2007 ; van Weele, 2010), l’asymétrie des
Le fait que l’alignement des acheteurs et investissements dans les coûts de transac-
acteurs internes sur une même stratégie est tion entre orientation-fournisseur et orien-
davantage l’exception que la règle tation-client semble devoir rester structu-
(Reverdy, 2009), résulte d’une asymétrie relle. Les ressources dépensées dans la
majeure dans l’économie des coûts de tran- fonction achats semblent devoir rester par
saction entre l’entreprise et ses marchés nature inférieures à la somme des investis-
amont, relativement aux marchés aval. sements marketing/vente engagés par les
D’un côté, les achats sont placés au centre fournisseurs pour manager les coûts de
de multiples fonctions internes et externes – transaction. Ces coûts de transaction, expri-
ingénierie, marketing, finance, production, més par le ratio entre le chiffre d’affaires
qualité et fournisseurs (Monczka et al., acheté, les tâches à réaliser et les ressources
2005) –, et investis de plusieurs fonctions dépensées dans les achats, demeurent
simultanées – technique, commerciale, encore souvent appréhendés comme un
logistique et administrative (van Weele, poste de coût au service des clients
2010) –, ce dont témoigne l’ampleur des internes. Cette asymétrie des ressources
processus achats. De l’autre, les ressources d’interface serait confirmée par l’émer-
directes affectées à la fonction achats appa- gence problématique du key supplier mana-
raissent comme inférieures à celles inves- ger, sans commune mesure avec la généra-
ties dans la fonction marketing/vente. Mal- lisation du key account management depuis
gré des estimations comparatives les années 1990.
lacunaires, le coût direct de la fonction
achats ressortirait en effet entre 1 et 5 % du 4. Complexité des besoins/fournisseurs
chiffre d’affaires acheté, soit des montants vs. homogénéité des offres/segments
sans commune mesure avec les investisse- L’asymétrie d’interface entre achats et mar-
ments marketing et commerciaux relevés keting en termes de coûts de transaction est
tant dans les entreprises industrielles que a accentuée par l’hétérogénéité subie des por-
fortiori dans celles de grande consomma- tefeuilles de besoins/marchés/fournisseurs,
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vendus peut être très grande, elle demeure férentiel de leurs ressources commerciales
focalisée sur un métier, un secteur industriel au regard des acheteurs, ce qui conduit à des
du fournisseur, ou à des applications aux- surspécifications verrouillant le marché (van
quelles la technologie du fournisseur per- Weele, 2010).
met d’accéder, ceci lui permettant de mettre De fait, les objectifs des achats en phase
en place des systèmes d’information sur amont sont plus externes qu’internes
leurs relations clients plus probants (custo- comme le confirme la recension des leviers
mer relationship management). achats visant à identifier les économies
potentielles (van Weele, 2010). Il s’agit
5. Standardisation/globalisation alors de standardiser les besoins afin de les
vs. différenciation/atomisation globaliser entre sites, mais également de les
Une perspective marketing des plus clas- planifier dans le temps, et ceci même dans
siques supposerait de mieux connaître son une perspective partenariale (Bruel, 2007).
marché avant de définir les actions à y L’objectif est en effet de construire ou ren-
mener. Or, la première étape du processus forcer sa position sur le marché fournis-
achat demeure le plus souvent celle de la seurs en réduisant ses « risques techniques
définition des besoins ou des spécifications. et commerciaux internes et externes »
Les chercheurs et les praticiens se font les (Bruel, 2007, p. 46), tels que la dépendance
témoins d’une grande difficulté pour les à l’égard d’une source fournisseur, le
acheteurs à intervenir en amont des besoins. nombre trop limité de fournisseurs impli-
Cela résulte de la multiplicité des achats qués dans les appels d’offres, l’ouverture
qu’ils ont à prendre en charge au regard des insuffisante à de nouveaux fournisseurs
ressources achats disponibles et de internationaux, des contrats insuffisam-
l’impossibilité d’être des multispécialistes ment remis en cause en termes de perfor-
techniques et commerciaux de catégories mances, des prix trop élevés compte tenu
extrêmement hétérogènes d’achats. La tradi- des coûts des fournisseurs (van Weele,
tionnelle figure montrant la corrélation entre 2010). Dans tous les cas, une parfaite maî-
l’implication au plus tôt dans l’étape de trise des leviers de coûts et de prix est exi-
conception (early involment) et le potentiel gée des achats (Monczka et al., 2005), jus-
d’économies réalisables (Bruel, 2007), ren- qu’à prendre en compte dans la
voie à des outils de définition des besoins détermination des prix, la gestion des coûts,
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ainsi qu’en aval avec les clients. Ces mêmes conjoints – au sein de la chaîne de valeur de
aspects organisationnels sont mis en évi- l’entreprise.
dence par Ivens et al. (2009). C’est la mise
en œuvre de cette intégration qui peut des- 2. Des solutions marketing adaptées
siner un futur aux achats dans l’entreprise. aux problématiques achats ?
Cette préconisation « d’intégration » a déjà Sans préjuger des effets réels sur les pra-
été à plusieurs fois identifiée dans les tiques de ce souhait d’intégration de la
bonnes pratiques de la plupart des modèles chaîne de valeur, une approche pragmatique
de maturité achats. Van Weele (2010) parle des évolutions potentielles des achats per-
ainsi de customer driven activities, global met de formuler quelques pistes d’évolu-
supplier network, center-led et cross-func- tion – sans doute plus réalistes – suscep-
tional focus. Bruel (2007) qualifie les tibles de répondre à la spécificité des enjeux
achats selon les termes de codéveloppe- auxquels est confronté la fonction achats.
ment, innovation et alliances stratégiques. Une première piste d’évolution réside dans
Monczka et al. (2005) expriment claire- la mise en place d’une véritable réflexion
ment cette intégration à travers les termes sur le key supplier management, prenant en
de global supply chains with external focus, compte ses spécificités par rapport au key
de full-service suppliers, insourcing/out- account management (Pardo, 1997, 1999).
sourcing optimization, ou de cross-entre- En effet, la quête de relais de croissance par
prise decision making. des innovations de rupture conduit les
Cette préconisation d’intégration des achats entreprises à rechercher des partenariats
avec diverses parties prenantes est de nature stratégiques pour sécuriser/développer de
à fonder la représentation d’une entreprise nouveaux marchés/produits/process. Les
désormais totalement intégrée. Plus généra- entreprises confrontées à ce type d’enjeux
lement, les modèles de maturité des achats tentent de mettre en place des démarches de
qui décrivent tous une étape ultime, sorte management des fournisseurs-clés à partir
d’optimum de cette fonction, rendent d’une double implication hiérarchique et
compte d’une intégration générale de l’en- transversale. Cependant, face à de tels
treprise dans une chaîne de valeur totale : enjeux stratégique et interfonctionnel, la
c’est la value chain integration chez van question se pose alors de savoir si la fonc-
Weele (2010), l’optimisation de l’entreprise tion achats est la mieux placée pour prendre
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