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ACHATS ET MARKETING

Une asymétrie d'interface

Philippe Portier, Catherine Pardo, Robert Salle

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2010/6 n° 205 | pages 97 à 117


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746231634
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2010-6-page-97.htm
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DOSSIER
PHILIPPE PORTIER
CATHERINE PARDO
ROBERT SALLE
EMLyon Business School

Achats et marketing
Une asymétrie d’interface

La discipline des achats reste encore en quête de ses


fondements conceptuels. Au rebours de multiples travaux
rapprochant « achat » et « marketing », l’article fait émerger
le concept d’asymétrie d’interface entre achats et marketing :
la fonction achats doit satisfaire les besoins propres à
l’entreprise, et ce plus dans le marché qu’hors marché ;
l’hétérogénéité des besoins fait des achats un intermédiaire
contesté entre le centre d’achat de l’entreprise et ses
fournisseurs, intermédiation jouant sur la variable prix du fait
de volumes d’achats contraints. Après avoir dessiné des
tendances prospectives adressant ces spécificités, les auteurs
proposent une future évolution spécifique des achats prenant
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en compte la nature propre des situations d’achats.

DOI:10.3166/RFG.205.97-117 © 2010 Lavoisier, Paris


98 Revue française de gestion – N° 205/2010

E
n dépit d’un corpus en continuel susceptibles d’être expliquées par le
développement (Emiliani, 2010), la concept d’asymétrie d’interface. Au-delà
discipline des achats demeure d’une impossible assimilation entre achats
encore en quête de fondements conceptuels. et marketing, l’article milite en faveur d’un
Une voie de conceptualisation peut-être rapprochement raisonné des deux activités,
identifiée à travers les efforts d’un certain s’inspirant sans doute du marketing pour
nombre d’auteurs pour rapprocher les rendre compte de certains aspects de son
« situations d’achat » et les « situations développement, mais surtout fondant un
marketing ». Ce rapprochement est semble- futur d’évolution spécifique aux achats.
t-il justifié par le fait que les situations
d’achat trouveraient dans les situations
I – LES ACHATS :
marketing les éléments d’un ancrage théo-
DU MARKETING AMONT ?
rique déjà éprouvé. L’objectif conceptuel
est ici de discuter les limites d’un tel rap- Une partie de la littérature portant sur les
prochement. L’article s’articule pour cela de achats invite à considérer une certaine
la façon suivante. Il identifie dans un pre- symétrie entre les situations « d’achat » et
mier temps les lieux dans la recherche en les situations « de vente » ou « marketing ».
management où un rapprochement entre Cette mise en avant d’une forme d’équiva-
achats et marketing a été opéré et les lence entre des activités aux deux extrémi-
logiques dans lesquelles se sont inscrits ces tés de la chaîne de valeur d’une entreprise
rapprochements. Dans un deuxième temps, est souvent le socle d’une série de préconi-
il propose de revenir sur ce qui fonde ces sations managériales. L’entreprise pourrait
rapprochements – une certaine similarité alors se comporter (ou être encouragée à se
entre les achats et le marketing – pour comporter) de façon similaire vis-à-vis de
mettre en évidence cinq spécificités des ses fournisseurs comme vis-à-vis de ses
interactions d’une entreprise avec les mar- clients. Nous nous intéressons dans cette
chés des fournisseurs. première partie aux différents travaux qui
Les spécificités en question touchent : à la ont mis en avant ce rapprochement entre
fonction de support spécifique des achats achats et marketing, et nous proposons une
dans la chaîne de valeur d’une entreprise ; à analyse des logiques adoptées pour opérer
l’interprétation concurrentielle que font les ce rapprochement.
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achats de la notion d’échange relationnel ; à
la position contestée des achats au sein de 1. Rapprocher achats et marketing :
l’entreprise comme fonction d’interface une idée ancienne
avec les fournisseurs ; à la complexité des L’idée d’un rapprochement entre marketing
marchés amont induite par la variété des et achat n’est pas nouvelle. Plusieurs auteurs
produits ou services achetés, des situations s’accordent pour la faire remonter aux tra-
d’achat et des fournisseurs ; enfin, à un vaux de Kotler et Levy (1973). Les auteurs
usage des leviers de standardisation et de développent l’idée que l’acheteur se trouve
globalisation comme source de pouvoir sur face à des questions similaires à celles du
les fournisseurs. Ces spécificités conduisent vendeur et qu’il peut recourir aux outils de
à proposer quelques tendances prospectives ce dernier : « le marketing est un outil à dis-
Achats et marketing 99

position des deux parties à l’échange » fonctions achats qu’ils étudient restent
(Kotler et Levy, 1973, p. 59). Enis et Smith encore très orientées vente plutôt que mar-
(1977) font remonter le rapprochement keting et prévoient comme future évolution
achat/marketing encore plus tôt aux deux des achats un passage à cette orientation
mêmes auteurs. En défendant un concept marketing. Cependant, dans la grande
élargi du marketing, Kotler et Levy (1969) majorité des travaux, la réflexion n’est pas
ont fait de l’orientation marketing une pers- engagée sur le sens à accorder à la dimen-
pective généralisable aux différentes parties sion marketing quand on applique le mar-
prenantes d’une entreprise, dont les fournis- keting aux achats. Les auteurs font souvent
seurs. Malgré cette interprétation séduisante, indifféremment référence, dans leur objec-
il semblerait au contraire que Kotler et Levy tif de rapprochement des deux fonctions, à
(1969) aient pris soin de distinguer dans leur la fonction commerciale ou marketing, aux
article les « suppliers » des « consumers », vendeurs comme aux marketers. Nous
réservant exclusivement aux consommateurs adoptons dans cet article une vision élargie
– qui recouvrent différentes catégories telles du marketing aux fonctions en charge de
que « clients », « trustees », « publics » et l’interface avec les clients, recouvrant les
« general public » – le constat selon lequel fonctions de marketing et de vente.
ils sont concernés par le marketing (Kotler et Ce rapprochement achat/marketing aurait
Levy, 1969). En revanche, si l’on souhaite pu ne jamais poser question si le marketing
poursuivre cette quête d’un point d’origine avait été maintenu dans sa perspective
du rapprochement achat/marketing, on « interactive » originelle. Comme le rappel-
pourra citer Lewis (1932) qui invite l’ache- lent Kotler et Levy (1973), les premiers tra-
teur à sortir de sa passivité pour devenir vaux en marketing ont été menés sur des
« comme le vendeur ». problématiques de distribution, c’est-à-dire
Dès à présent, on retient que ce rapproche- sur une problématique « entre » fournis-
ment maintient dans un flou relatif ce à quoi seurs et clients. Les auteurs insistent sur
les achats sont comparés. S’agit-il d’une l’idée que le marketing était alors vu
comparaison avec le marketing ? Avec la comme s’intéressant à la fois au client et au
vente ? Avec les fonctions d’interface avec fournisseur. Cette position du marketing
le marché des clients ? Davies (1974) insiste « entre » fournisseur et client s’est rapide-
sur la nuance pour fonder l’évolution qu’il ment estompée au profit d’un marketing
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décrit : le « buying » est au « purchasing » appréhendé du point de vue du fournisseur.
ce que la vente est au marketing. Les pre- Dans cette distanciation entre achat et mar-
miers (buying et vente) concernent une acti- keting, une exception notable est celle du
vité opérationnelle ; les seconds (purcha- marketing business to business tel qu’ap-
sing et marketing) se préoccupent de préhendé en particulier par le groupe IMP1.
dimensions stratégiques. Enis et Smith Ces tenants d’une approche « interaction-
(1977) abordent eux aussi la question en niste » entre fournisseurs et clients insistent
montrant, au moment de leur étude, que les sur « la similarité des tâches marketing et

1. International Marketing and Purchasing Group.


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achats » qui caractérisent les marchés « d’images miroir l’une de l’autre »


industriels (Hakansson, 1982, p. 1). Toute- (Williams et al., 1994, p. 30). Fenneteau
fois, en dépit de cette position de principe (1992), de façon beaucoup plus nuancée,
affirmée dès les origines du groupe, force rappelle que plusieurs travaux ont montré
est de constater que la plupart des travaux des similitudes entre achats et marketing ;
du groupe privilégie une approche de l’in- néanmoins, des « particularités de l’acte
teraction appréhendée de fait du point de d’achat confèrent certaines spécificités au
vue de l’entreprise fournisseur. marketing de l’acheteur » (Fenneteau, 1992,
Ces réorientations ont contribué par des p. 45). Si l’on retrouve régulièrement ce rap-
effets induits à éloigner le marketing des prochement achats/marketing dans la littéra-
achats, mais en même temps, à ouvrir la ture achats depuis le début des années 1970,
voie à un rapprochement des achats et du il n’en demeure pas moins, comme le signa-
marketing. À titre d’illustration, le dévelop- lent Plank et Francis (2001), et plus récem-
pement de ce qui a été retenu comme un ment Hawes et al. (2006), que les cher-
nouveau paradigme relationnel (Dwyer et cheurs sont loin d’avoir produit une analyse
al., 1987), a favorisé une réactualisation du complète du phénomène. De la même façon,
rapprochement achat/vente, ou a minima, d’un point de vue managérial, et comme le
d’une certaine proximité des activités achats soulignait déjà Barriol (1998), la mise en
et marketing. Cette perspective relationnelle œuvre du marketing achat dans les entre-
a en effet amené à une prise en compte plus prises est encore considérée comme peu
systématique des deux parties dans un répandue.
échange collaboratif (Hawes et al., 2006).
On peut enfin s’interroger sur une possible 2. Un rapprochement achats/marketing :
réactivation du rapprochement entre achats quelles logiques?
et marketing du fait de l’ampleur prise par Que l’on s’intéresse à la question du rap-
la SDL (service dominant logic) (Vargo et prochement achats/marketing sous la ban-
Lusch, 2004). En effet, la SDL invite à une nière du marketing achat, du reverse marke-
observation fine des processus de cocréa- ting (Leenders et Blenkhorn, 1988), du
tion de valeur, dans lesquels le fournisseur marketing amont (Fenneteau, 1992), ou du
et le client ont un comportement actif. Cette proactive procurement (Burt, 1984), un tel
logique pourrait amener à un regain d’inté- rapprochement peut être appréhendé à tra-
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rêt pour ces activités de co-création au vers plusieurs logiques. Une première
niveau de la fonction achats. logique amène à considérer le rapproche-
Dans le champ spécifique de la littérature ment achats/marketing comme une injonc-
achats, l’idée de ce rapprochement tion adressée aux achats à avoir une atti-
achats/marketing sera reprise par différents tude, non plus réactive, mais proactive
auteurs. Pour Davies (1974), achats et mar- envers leurs fournisseurs. La notion de
keting sont définitivement des activités ana- reverse marketing amenée par Leenders et
logues. Ce rapprochement sous le terme de Blenkhorn (1988) est d’abord utilisée pour
« reverse marketing » prend de l’ampleur décrire un type d’achats tel que les auteurs
avec les travaux de Leenders et Blenkhorn l’ont observé au Japon et aux États-Unis
(1988). Achats et marketing sont qualifiés (Biemans et Brand, 1995). Ces achats, qua-
Achats et marketing 101

lifiés de plus agressifs, font du marketing confirme cette perspective d’un marketing
dans la mesure où, pour les auteurs, ils agis- amont vu comme un ensemble de tech-
sent plus activement sur le marché des four- niques et démarches empruntées au marke-
nisseurs. Il s’agit, avec cette incitation à la ting client. Barriol (1998) complète cette
proactivité, d’inverser la répartition tradi- perspective en recensant une série de tra-
tionnelle des rôles acheteur/vendeur afin vaux où le marketing achat s’efforce
que l’acheteur « persuade le fournisseur de d’adapter, à l’attention des acheteurs, une
lui proposer exactement ce dont son entre- série d’outils informationnels et organisa-
prise a besoin » (Blenkhorn et Banting, tionnels. Dans cette perspective, le rappro-
1991, p. 187). Blenkhorn et Banting (1991) chement achats/marketing permet de mettre
résument cette perspective autour des deux à disposition des achats une boîte à
termes « initiative » et « persuasion ». méthodes et à outils devenue depuis de
Fenneteau (1992) évoque à ce propos une nombreuse années un des piliers du marke-
perspective tendant à développer un « état ting management.
d’esprit » particulier de l’acheteur prati- La troisième logique permet d’aborder le
quant le marketing (Fenneteau, 1992, rapprochement achats/marketing sous
p. 46). Cova (1992) souligne cette dimen- l’angle de la stabilité des échanges avec les
sion en indiquant que ce marketing permet acteurs du marché. Cette logique n’est pas
de donner une marge de manœuvre au présente dans les travaux de Kotler et Levy
client. En résumé, le rapprochement (1973), Davies (1974), ou même d’Enis et
achats/marketing permet aux achats d’ima- Smith (1977). Il faut attendre les travaux de
giner des modalités de reprise en main de la Leenders et Blenkhorn (1988) pour qu’ap-
relation avec les fournisseurs. paraisse clairement l’idée que le reverse
Une deuxième logique conduit à voir le rap- marketing permet l’instauration de relations
prochement achats/marketing comme une durables avec le fournisseur. La prise en
préconisation faite aux acheteurs à utiliser compte d’objectifs à long terme est alors
des méthodes et/ou outils du marketing. clairement présente dans la définition du
Ainsi, en développant le concept de reverse reverse marketing : les acheteurs adeptes du
marketing, Leenders et Blenkhorn (1988) reverse marketing veulent des relations à
proposent une méthode en onze étapes long terme avec leurs fournisseurs
regroupées en quatre phases, allant de l’éta- (Blenkhorn et Banting, 1991). La prise en
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blissement d’un SWOT à l’évaluation des compte d’une perspective long terme est
résultats (Biemans et Brand, 1995 ; par ailleurs l’une des caractéristiques fortes
Blenkhorn et Banting, 1991 ; Leenders et de l’approche IMP (Ford, 1980 ; Hakans-
Blenkhorn, 1988). Kotler et Levy (1973) son, 1982), approche dont on a noté précé-
indiquent que les acheteurs, tout comme les demment le rôle dans un rapprochement
vendeurs, utilisent les outils du prix, pro- achats/marketing. Ainsi, les achats sont
duit, promotion et distribution. Un « pur- amenés à prendre en considération l’intérêt
chasing mix » est présenté comme une de la stabilité des échanges avec les four-
adaptation du concept de Borden (1964) nisseurs.
(Enis et Smith, 1977, p. 30), concept régu- Derrière ce rapprochement achats/marke-
lièrement repris. Fenneteau (1992) ting, une autre logique peut être mise au
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jour. Celle par laquelle les auteurs invitent Blenkhorn et Banting (1991) parlent de
les achats à imiter le marketing dans la mise relations mutuellement profitables.
en place d’échanges partenariaux avec les Enfin, on peut identifier une dernière
fournisseurs, par opposition à des échanges logique dans laquelle le rapprochement
conflictuels. Au-delà de la dimension tem- achats/marketing constitue une invitation
porelle, l’idée d’une collaboration entre formulée aux acheteurs à développer le
acheteurs et vendeurs renvoie davantage à volet interne de leur activité. Ce qui est mis
la modalité de gouvernance préconisée. en avant, c’est le rôle de vendeur que peut
Pour Biemans et Brand (1995), le marke- jouer l’acheteur au sein de son entreprise :
ting achat affiche cette dimension collabo- « en se positionnant comme un spécialiste,
rative, point de vue également développé l’acheteur peut vendre à son entreprise le
par Hawes et al. (2006). Pour Fenneteau service auquel il appartient » (Barriol, 1998,
(1992), toujours plus nuancé, l’action mar- p. 6). Le rapprochement achats/marketing
keting de l’acheteur se décline en deux sert dès lors à promouvoir une certaine
moyens : l’instauration de partenariats et la transversalisation de la fonction achats dans
mise en concurrence. Deux moyens qui, l’entreprise. À ce titre, l’acheteur permet la
sous certaines conditions, peuvent conduire diffusion d’une information portant sur les
à des échanges mutuellement satisfaisants marchés amonts, mimant en ce sens une
(Fenneteau, 1992), idée similaire dévelop- orientation marketing au sens classique du
pée par Reverdy (2009). Plank et Francis terme. Il s’agit aussi d’inviter les achats à
(2001) mettent, quant à eux, en évidence la prendre plus d’importance dans l’organisa-
dimension réductrice de conflit du reverse tion. Les acheteurs ne seraient plus seule-
marketing. Bref, au-delà même de l’éloge ment des diffuseurs d’information concer-
de la stabilité, on peut lire dans le rappro- nant le marché amont, mais pourraient viser
chement achats/marketing la mise en évi- à une intégration avec d’autres fonctions
dence d’alternatives possibles aux seuls afin de contribuer à accroître la performance
rapports conflictuels avec les fournisseurs. d’un certain nombre de décisions.
Précisons que si stabilité et partenariat peu- L’idée apparaît dès les travaux de Lewis
vent aller de pair, ils ne sont pas pour autant (1932), qui attend des achats une évolution
substituables l’une à l’autre. Ils sont préco- similaire à la vente dans une montée en com-
nisés, comme dans la version marketing pétence et en importance dans l’entreprise.
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client, parce que synonymes d’une plus L’auteur y fait la promotion d’une intégration
grande performance de la relation instituée de la fonction, non seulement avec la pro-
par l’acheteur avec ses fournisseurs. Cette duction mais aussi avec les ventes, idée régu-
performance peut être évaluée de l’unique lièrement reprise dans les travaux du reverse
point de vue de l’acheteur, par exemple en marketing. Récemment, Reverdy (2009) a
termes d’accroissement de l’efficacité et de montré toute l’importance des relations que
l’efficience des acheteurs (Hawes et al., les acheteurs entretiennent avec les clients
2006). Cependant, cette performance est internes de l’entreprise. Ivens et al. (2009),
plus rarement évoquée du point de vue de la Piercy (2009) et Sheth et al. (2009) ont très
relation, c’est-à-dire du point de vue de récemment discuté de l’intégration des
l’acheteur et du fournisseur ; à ce titre, achats avec un de ces clients internes bien
Achats et marketing 103

particulier : le marketing ! En résumé, le rap- managériales, conduisent à interroger la


prochement achats/marketing se comprend symétrie entre achats et marketing. Ainsi,
comme une invitation faite aux achats à l’observation des pratiques au sein des
prendre du pouvoir, ou tout au moins de l’in- entreprises2 nous amène à formuler le
fluence, mais cette fois-ci en interne, dans constat selon lequel les structures achats
leur propre organisation. restent distinctes, tant par leurs activités
Les paragraphes précédents ont mis en évi- que par leur organisation, des structures
dence la réalité d’un rapprochement – peut- marketing… alors qu’une proximité de
on parler d’une confusion ? – entre achats et situation aurait pu a contrario les rappro-
marketing dans la littérature. Cinq logiques cher. Ainsi, les pratiques quotidiennes des
complémentaires ont été repérées qui peu- achats demeurent fortement marquées par
vent être interprétées comme cinq invita- une orientation interne plutôt qu’externe,
tions faites aux achats d’imiter le marketing, par des modalités d’interaction avec les
c’est-à-dire : 1) être proactifs vis-à-vis du fournisseurs à forte dimension commer-
marché des fournisseurs ; 2) utiliser les ciale, par une focalisation sur les prix
méthodes et outils du marketing ; 3) consi- d’achat, etc. Plus largement, la profession-
dérer l’intérêt de relations stables avec les nalisation des métiers achats et marketing
fournisseurs ; 4) développer des formes s’est développée de manière autonome,
d’échanges collaboratifs ; enfin, 5) se autour d’institutions distinctes de
construire en tant que fonction véritable- recherche, de formation, de conseil et d’ap-
ment transversale de l’entreprise. Or, il nous partenance professionnelle, sans réel pont
semble que dans leur interface avec le mar- entre elles, y compris en termes de compé-
ché amont, les achats présentent des spécifi- tences et de parcours professionnels. Quant
cités – par rapport à l’interface du marketing à la littérature qui confronte achats et mar-
avec le marché aval – qui questionnent ces keting, comme nous l’avons mis en évi-
invitations, sinon le présupposé mimétique dence dans la première partie de cet article,
qui les inspirent. Prenant appui sur les situa- elle fait aussi émerger des réserves quant à
tions d’achats rencontrées dans les entre- l’absolue symétrie des situations marketing
prises, la partie suivante s’attache à décrire et achats. C’est sur cette base que nous pro-
cinq grandes spécificités de la situation posons de questionner dans les points sui-
d’achat face aux marchés amont. vants la notion de symétrie des situations
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d’achats et marketing.
II – LA SITUATION D’ACHAT FACE 1. Contrainte d’acheter
AU MARCHÉ DES FOURNISSEURS : vs. opportunités de vendre
UNE ASYMÉTRIE D’INTERFACE
Si l’on s’appuie sur une lecture de la chaîne
Plusieurs éléments, issus des travaux acadé- de valeur de l’entreprise (Porter, 1985), les
miques et de l’observation des pratiques fonctions achats et marketing occupent, par

2. Ces observations empiriques des pratiques sont le produit d’interventions auprès de nombreuses directions et
services achats d’entreprises internationales ou françaises sous forme de recherches (Chaire Key Supply Manage-
ment, thèses professionnelles), de formations (mastères spécialisés, formations Executive) et de conseil.
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nature, une position différente. Porter sources externes de l’entreprise de telle


(1985) positionne la fonction « procure- manière que l’approvisionnement (supply)
ment » au sein de la chaîne de valeur de de tous les biens, services, compétences et
l’entreprise parmi les quatre fonctions de savoirs nécessaires au fonctionnement,
support de l’entreprise. Son objet est de maintien et management des activités pri-
fournir les inputs achetés, la technologie, maires et secondaires de l’entreprise soit
les ressources humaines et les autres fonc- sécurisé dans les conditions les plus favo-
tions d’infrastructures pour soutenir les rables » (van Weele, 2010, p. 3).
activités de l’entreprise. Ce positionnement Comme le soulignent ces définitions, l’ache-
dans la chaîne de valeur inspire la plupart teur « souhaite trouver des produits et des
des définitions de la fonction achats. Bruel services permettant la satisfaction des
(2007) définit les achats comme la fonction besoins qui sont à l’origine de sa demande »
responsable de l’acquisition des biens et (Fenneteau, 1992, p. 54). Plus exactement,
services nécessaires au fonctionnement de l’acheteur doit trouver ces produits et ser-
toute entreprise, ou de manière plus déve- vices, dans la mesure où il est confronté à la
loppée, « la fonction de toute entreprise res- contrainte de satisfaire les demandes
ponsable de sourcer (rechercher) et acquérir internes formulées par chacune des activités
produits, services et prestations demandées de la chaîne de valeur de l’entreprise. Plus
par les clients internes, dans les meilleures profondément, l’acheteur n’achète pas pour
conditions de coûts, de qualité, de service et acheter mais pour vendre, autrement dit
d’innovation, tout en maîtrisant les divers « les critères de performance stratégique des
risques encourus à court et moyen terme » achats doivent être entièrement déduits de
(Bruel, 2007, p. 15). ce qui constitue la valeur de l’offre de l’en-
Selon Monczka et al. (2005), le purchasing treprise aux yeux du client final, et donc
(équivalent au terme procurement) se réfère aussi des attentes de leurs clients internes
à une activité fonctionnelle conduite dans (représentants du client dans l’entreprise) »
toutes les organisations, le plus souvent (Bruel, 2007, p. 23). Indépendamment des
définie comme le management quotidien questions stratégiques et opérationnelles
des flux de produits et d’informations. Elle soulevées par les relations entre achats et
inclut des activités allant de la définition prescripteurs internes, force est de recon-
des besoins à l’analyse des prix/coûts, en naître que l’acheteur est contraint d’acheter
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passant par les études de marché, la négo- les consommations intermédiaires néces-
ciation et contractualisation, ainsi que le saires au processus de création de valeur de
passage et suivi des commandes, stocks et son entreprise. Il doit le faire en tenant
livraisons. Les termes achat, gestion des compte de spécifications en matière de qua-
approvisionnements et approvisionnements lité, de quantités, coûts et délais et risques
sont utilisés indifféremment pour désigner répondant aux besoins des autres fonctions.
« l’intégration des fonctions dont les tâches Être dans l’incapacité d’acheter signifie ne
consistent à fournir des biens et services pas pouvoir assurer la continuité ou le déve-
efficaces et efficients » (Leenders et al., loppement de l’activité totale ou partielle de
2006, p. 4). La fonction « purchasing » est l’entreprise. Qu’il s’agisse d’achats d’inves-
définie comme « le management des res- tissement, de production ou de fonctionne-
Achats et marketing 105

ment, une erreur de sélection des fournis- de clients ou d’affaires) lui ouvrant le choix
seurs ou une rupture d’approvisionnement de saisir ou non l’opportunité que repré-
affectant une de ces ressources, généreront sente un client sans que l’impact de sa déci-
des effets négatifs immédiats sur la produc- sion ne remette en cause sa pérennité à
tion de valeur finale de l’entreprise. court, moyen et long terme.
Inversement, pour le fournisseur, l’objectif Ainsi, compte tenu de leurs positions dans
premier de sa chaîne de valeur, combinai- la chaîne de valeur, les achats et le marke-
son d’activités contribuant à la structure de ting ne sont pas dans une situation symé-
coûts et à la différenciation, est de dégager trique. Les premiers sont soumis à une
une marge profitable grâce à la création contrainte d’obligation d’achat portant sur
d’un avantage concurrentiel durable. Dans l’approvisionnement d’inputs indispen-
ce cadre, les activités principales que sont le sables à la chaîne de valeur ; le second
marketing, défini comme l’identification, le recherche des opportunités de profit valori-
ciblage et la satisfaction des besoins des sant cette même chaîne de valeur en fonc-
clients, et la vente comme activité visant à tion de son ciblage des portefeuilles de mar-
atteindre les clients, développer des rela- chés/clients.
tions avec eux, vendre les produits au détail
et prendre les commandes, constituent des 2. Relation « dans le marché »
moyens de capter des opportunités de profit, vs. relation « hors marché »
et non un but en soi. Ainsi, le marketing La littérature marketing a largement contri-
stratégique désigne la démarche qui, à par- bué à mettre en avant les avantages des rela-
tir de l’analyse du marché, identifie les dif- tions pérennes avec les clients (Lefaix-
férents segments actuels ou potentiels de la Durand et al., 2006). Dans des situations où
demande, repère les positions des concur- les investissements consentis par le fournis-
rents, choisit le ou les segments cibles, et seur pour s’adapter à un client peuvent être
sélectionne la différenciation qui singulari- considérables, le long terme est garant d’un
sera l’offre à travers un positionnement. meilleur retour sur investissement et d’une
Cette séquence vise à mettre au jour la (ou plus grande création de valeur pour les deux
les) meilleure(s) opportunité(s) de marché à organisations en relation. Une partie de la
moyen terme contribuant à la stratégie littérature insiste sur l’intérêt de développer
générale de l’entreprise. Plus largement des relations fondées sur la confiance et
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encore, le processus stratégique d’un four- l’engagement mutuel, des travaux fonda-
nisseur consiste à choisir des segments stra- teurs de l’IMP mettant l’accent sur la rela-
tégiques afin d’optimiser son portefeuille tion (Ford, 1980), aux multiples travaux
d’activités, mais aussi de technologies et de portant sur le développement de relations
produits, de marchés et de pays, de seg- partenariales entre fournisseurs et clients
ments, de clients ou d’affaires, en fonction (Dwyer et al., 1987). Cependant, plus
d’un profil profit/risques visé par ses récemment, la littérature marketing a pointé
actionnaires. L’enjeu pour l’entreprise est du doigt les limites, voire les méfaits de la
de préserver sa liberté de manœuvre grâce à « relation à tout prix » (Ploetner et Erhet,
la pertinence de ses portefeuilles (de pro- 2006), au profit d’une vision plus nuancée
duits, de marchés et de pays, de segments, amenant à considérer que l’entreprise gère
106 Revue française de gestion – N° 205/2010

un portefeuille d’échanges avec ses clients. Weele 2010) : la relation dépend toujours de
Certains de ces échanges ont une dimension la position de l’entreprise face à ses four-
définitivement relationnelle marquée par le nisseurs « dans le marché ». Ainsi, Kraljic
long terme, le développement d’une gou- (1983) distingue trois différents « sous-seg-
vernance basée sur la confiance, une inté- ments » en fonction du rapport de force
gration des chaînes de valeur fournis- entre l’entreprise et ses fournisseurs : les
seur/client, d’autres restent résolument marchés dominés par l’acheteur, dominés
des échanges transactionnels (Spekman et par les fournisseurs et équilibrés, préconi-
Carraway, 2006). sant une stratégie d’exploitation pour les
La littérature et les pratiques achats repren- premiers, de diversification pour les
nent à leur compte les approches relation- seconds et d’équilibre pour les derniers. Le
nelles, en s’inspirant en particulier des « Dutch windmill » de van Weele (2010)
modes de relations fournisseurs développés s’appuie sur quatre positions de l’acheteur
par les constructeurs automobiles japonais vis-à-vis du fournisseur – convergente
(Womack et al., 1990). À la suite d’Ellram (core), dépendante (development), indépen-
et Hendrick (1993), Monczka et al. (1998) dante (exploitation) et divergente (nui-
soulignent les avantages de relations colla- sance) – dont on peut trouver l’origine dans
boratives entre acheteurs et vendeurs, ainsi Dwyer et al. (1987). En point d’orgue, van
que l’intérêt de relations à long terme, tout Weele (2010) ne craint pas d’évoquer le
en reconnaissant ses obstacles. Quant aux mythe du partenariat en rappelant pourquoi
praticiens des achats, la réduction du les fournisseurs ne pensent et n’agissent pas
nombre de fournisseurs constitue un de toujours dans l’intérêt de leurs clients.
leurs objectifs quotidiens, celle-ci devant Ainsi, les différentes modalités de relation,
permettre aux acheteurs de se focaliser sur mobilisées comme autant de leviers per-
l’approfondissement de leurs relations avec mettant d’atteindre les objectifs propres à
un nombre réduit de fournisseurs-parte- chaque situation d’achat, s’inscrivent tou-
naires à travers des dispositifs de Supplier jours dans le marché. Toute relation, y com-
Relationship Management. Toutefois, sous pris partenariale, dépend surtout de la posi-
cette apparente similitude d’une orientation tion de l’acheteur vis-à-vis de ses
relationnelle, ou a minima de la reconnais- fournisseurs : il s’agit soit d’exploiter un
sance d’un intérêt relationnel dans certaines marché acheteur (buyer market), ou de se
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situations, c’est la perspective même de défendre par la diversification face à un
l’échange relationnel qui semble varier marché fournisseurs (supplier market).
entre les situations achats et marketing. L’acheteur, d’abord soucieux de réduire une
De manière évidente, les relations entre dépendance intrinsèque vis-à-vis de ses
l’acheteur et ses fournisseurs ne semblent fournisseurs, tente d’inscrire toute relation,
pas déterminées par un modèle fondé sur un y compris partenariale, dans le marché.
a priori d’engagement partenarial à long Inversement, la relation partenariale prônée
terme qui se positionnerait « hors marché ». par les fournisseurs constitue un moyen de
Cette obsession du marché pour les ache- se positionner hors marché, pour reprendre
teurs est présente dans les travaux sur les l’expression des relations « non marché »
portefeuilles achats (Kraljic, 1983 ; Van de Heide (1994), afin de maximiser la rente
Achats et marketing 107

résultant de la dépendance ainsi générée. Si relèvent que l’idéal selon lequel les achats
les achats sont le miroir du marketing, les devraient être le premier lien de communi-
images de l’un et de l’autre sont ici totale- cation avec les fournisseurs n’exclut pas
ment inversées – conformément à toute que, de fait ou en droit, d’autres départe-
image dans un miroir – c’est-à-dire parfai- ments soient directement en contact avec
tement asymétriques. eux, remettant en cause l’efficacité des
achats, jusqu’à souligner la relation critique
3. Intermédiaire contesté entre les achats et l’ingénierie. Leenders
vs. interface reconnue et al. (2006) reconnaissent qu’un des défis
L’orientation client a permis à la fonction auquel est confrontée la gestion des appro-
marketing/vente de se légitimer comme visionnements est d’étendre son influence
porte-parole de l’entreprise envers ses au sein de l’entreprise, jusqu’à ce que soit
clients, et aussi comme porte-parole du reconnue sa contribution au succès de l’en-
client au sein de l’entreprise (Homburg et treprise. Van Weele (2010) reconnaît la
al., 2000). De ce fait, la fonction marke- diversité des processus de décision d’achat
ting/vente joue un rôle important d’intégra- en relevant l’influence différente des
tion et de coordination à l’interne en tant membres du centre d’achat, en fonction des
que garante de la position de l’entreprise complexités techniques ou commerciales
sur ses marchés. Même si l’on observe une de l’achat. De même, Fenneteau (1992)
certaine dissolution de la fonction marke- souligne le double rôle d’intermédiaire de
ting au sein des différentes activités de l’en- l’acheteur : il est à la fois fournisseur face
treprise (Webster et al., 2005 ; Ivens et al., aux autres fonctions au sein de son entre-
2009), nul ne remet en cause la nécessité prise, et client face aux fournisseurs aux-
collective d’une cohérence organisation- quels il a recours pour ses approvisionne-
nelle face à ses différents segments cibles. ments. Reverdy (2009) pointe l’ambiguïté
Plus encore, la nécessité d’amortir les de cette position d’intermédiaire.
investissements spécifiques propres à une En outre, les clients internes étant les pre-
relation client a conduit au développement miers bénéficiaires des investissements rela-
de dispositifs organisationnels tels que le tionnels des fournisseurs, ils ont a priori une
key account management (Pardo, 1997, préférence pour les relations directes et
1999). Le key account management appa- pérennes, ce qui les conduit à chercher à
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raît comme une forme achevée de focalisa- maintenir les relations avec les mêmes four-
tion des ressources de l’entreprise vers ses nisseurs en écartant les acheteurs. D’autre
clients cibles, jusqu’à faire du key account part, les acheteurs sont dépendants des
manager un « entrepreneur politique » entre clients internes dans la mesure où ce sont
l’entreprise et ses comptes-clés (Milman et eux qui apprécient la qualité technique de
Wilson, 2003). l’offre. De ce fait, en tant qu’intermédiaire
Monczka et al. (2005) définissent la fonc- occasionnel plus qu’interface reconnue,
tion achats comme une boundary-spanning l’acheteur va être en tension : il va chercher
function entre les fournisseurs et les mul- à contrôler a minima une étape-clé du pro-
tiples fonctions internes (production, R&D, cessus d’achat en se focalisant sur la négo-
qualité, finance, marketing). Cependant, ils ciation des prix en tant qu’indicateur pré-
108 Revue française de gestion – N° 205/2010

gnant, jusqu’à en faire le symbole de son Ainsi, malgré la progression des pratiques
identité professionnelle (Reverdy, 2009), au fur et à mesure de la maturité achats des
tout en cherchant à ne pas se couper des entreprises (Monczka et al., 2005 ; Bruel,
clients internes tout au long du processus. 2007 ; van Weele, 2010), l’asymétrie des
Le fait que l’alignement des acheteurs et investissements dans les coûts de transac-
acteurs internes sur une même stratégie est tion entre orientation-fournisseur et orien-
davantage l’exception que la règle tation-client semble devoir rester structu-
(Reverdy, 2009), résulte d’une asymétrie relle. Les ressources dépensées dans la
majeure dans l’économie des coûts de tran- fonction achats semblent devoir rester par
saction entre l’entreprise et ses marchés nature inférieures à la somme des investis-
amont, relativement aux marchés aval. sements marketing/vente engagés par les
D’un côté, les achats sont placés au centre fournisseurs pour manager les coûts de
de multiples fonctions internes et externes – transaction. Ces coûts de transaction, expri-
ingénierie, marketing, finance, production, més par le ratio entre le chiffre d’affaires
qualité et fournisseurs (Monczka et al., acheté, les tâches à réaliser et les ressources
2005) –, et investis de plusieurs fonctions dépensées dans les achats, demeurent
simultanées – technique, commerciale, encore souvent appréhendés comme un
logistique et administrative (van Weele, poste de coût au service des clients
2010) –, ce dont témoigne l’ampleur des internes. Cette asymétrie des ressources
processus achats. De l’autre, les ressources d’interface serait confirmée par l’émer-
directes affectées à la fonction achats appa- gence problématique du key supplier mana-
raissent comme inférieures à celles inves- ger, sans commune mesure avec la généra-
ties dans la fonction marketing/vente. Mal- lisation du key account management depuis
gré des estimations comparatives les années 1990.
lacunaires, le coût direct de la fonction
achats ressortirait en effet entre 1 et 5 % du 4. Complexité des besoins/fournisseurs
chiffre d’affaires acheté, soit des montants vs. homogénéité des offres/segments
sans commune mesure avec les investisse- L’asymétrie d’interface entre achats et mar-
ments marketing et commerciaux relevés keting en termes de coûts de transaction est
tant dans les entreprises industrielles que a accentuée par l’hétérogénéité subie des por-
fortiori dans celles de grande consomma- tefeuilles de besoins/marchés/fournisseurs,
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tion. À ces dépenses directes, s’ajoute la en contraste avec l’homogénéité construite
focalisation des ressources de l’entreprise des couples d’offres/marchés/clients de
et des fournisseurs vers leurs marchés et l’entreprise. Plusieurs facteurs expliquent
clients aval sous la bannière customer- cette complexité des portefeuilles de
orientation. Malgré les affirmations répé- besoins/marchés/fournisseurs. Le premier
tées selon lesquelles les achats constituent réside dans l’hétérogénéité des produits et
une fonction stratégique de l’entreprise, le services achetés par l’entreprise tant en
plus souvent encore assimilée à la réduction matière d’achats dits de production (ou
des coûts (Spekman et Carraway, 2006), il directs), que d’achats hors production (ou
n’apparaît pas possible à ce jour de parler indirects). Les achats de production peu-
d’une supplier-orientation de l’entreprise. vent comprendre des matières premières,
Achats et marketing 109

des composants, des sous-ensembles, des de démarches de supply market research


consommables (Bruel, 2007). Ces achats envisagées de manière approfondie par le
directs, outre qu’ils sont souvent plus spéci- seul van Weele (2010). Le plus souvent, les
fiques que standard afin d’apporter un avan- acheteurs appréhendent leur marché four-
tage de coûts et/ou de différenciation, ont nisseur à travers la recherche et la sélection
un impact direct sur les performances, la des fournisseurs (Monczka et al., 2005 ;
qualité, la disponibilité et la marge des pro- Leenders et al., 2006 ; Bruel, 2007). Les
duits mis en marché. La probabilité d’un difficultés associées à cette démarche se
incident est d’autant plus élevée qu’à sont en outre considérablement accrues
chaque produit vendu correspond de très avec les stratégies de global sourcing
nombreux produits achetés. Quant aux (Monczka et al., 2005 ; Bruel, 2007).
achats hors production, leur plus grande Globalement, les achats doivent gérer un
complexité résulte du croisement entre une nombre de demandes d’achats, de fournis-
hétérogénéité accrue et de multiples lieux seurs et de marchés dont l’hétérogénéité est
de prescription, d’achats et d’utilisation. sans commune mesure avec la standardisa-
Van Weele (2010) identifie 86 catégories de tion des offres par segment, qu’elle prenne
non-product related purchasing, parmi les- la forme de différenciation retardée ou cus-
quels une majeure partie de services plus tomisation, résultant de la séquence seg-
difficiles à acheter, sans que cette liste soit mentation - ciblage - positionnement mise
exhaustive, comme le montre des nomen- en place par le marketing. Certes, les straté-
clatures achats accessibles au public (admi- gies d’achats s’efforcent de réduire la com-
nistration française, SNCF) : TI, prestations plexité des interfaces avec les fournisseurs
intellectuelles, marketing et communica- par leur réduction constante et l’informati-
tion, ressources humaines, immobilier, faci- sation de leurs interactions (e-sourcing,
lity services, fournitures de bureau, mais e-procurement). Les entreprises reconfigu-
aussi les produits de négoce (OEM), les uti- rent également leurs besoins, par exemple
lités, la sous-traitance, le MRO, le transport par l’achat de modules plutôt que de com-
et logistique, sans compter les achats d’in- posants. Cependant, ces reconfigurations
vestissements de process, de R&D et de qui se traduisent souvent par des décisions
licences, les achats de compensation… d’externalisation, parfois provisoires,
En second lieu, à cette complexité des accentuent encore la complexité des rela-
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besoins correspond une complexité des tions avec les fournisseurs, tant au moment
marchés fournisseurs. Quoi de commun de leur mise en place que de leur gestion
entre des marchés monopolistiques tels que (Leenders et al., 2006 ; Bruel, 2007 ;
celui de l’électricité, oligopolistiques tels van Weele, 2010).
que l’acier ou l’aluminium, différenciés Si l’on prend le point de vue du fournisseur,
comme ceux des prestations de marketing on peut s’accorder sur le fait que les rela-
ou de communication, ou encore atomisés tions avec les clients peuvent être d’un
comme ceux de la formation (van Weele, contenu tout autant hétérogène que celles
2010) ? Cette multiplicité des marchés four- qu’entretiennent les clients avec leurs four-
nisseurs à couvrir explique sans doute les nisseurs selon leurs situations marketing.
difficultés de mise en œuvre systématique Par contre, même si la variété des produits
110 Revue française de gestion – N° 205/2010

vendus peut être très grande, elle demeure férentiel de leurs ressources commerciales
focalisée sur un métier, un secteur industriel au regard des acheteurs, ce qui conduit à des
du fournisseur, ou à des applications aux- surspécifications verrouillant le marché (van
quelles la technologie du fournisseur per- Weele, 2010).
met d’accéder, ceci lui permettant de mettre De fait, les objectifs des achats en phase
en place des systèmes d’information sur amont sont plus externes qu’internes
leurs relations clients plus probants (custo- comme le confirme la recension des leviers
mer relationship management). achats visant à identifier les économies
potentielles (van Weele, 2010). Il s’agit
5. Standardisation/globalisation alors de standardiser les besoins afin de les
vs. différenciation/atomisation globaliser entre sites, mais également de les
Une perspective marketing des plus clas- planifier dans le temps, et ceci même dans
siques supposerait de mieux connaître son une perspective partenariale (Bruel, 2007).
marché avant de définir les actions à y L’objectif est en effet de construire ou ren-
mener. Or, la première étape du processus forcer sa position sur le marché fournis-
achat demeure le plus souvent celle de la seurs en réduisant ses « risques techniques
définition des besoins ou des spécifications. et commerciaux internes et externes »
Les chercheurs et les praticiens se font les (Bruel, 2007, p. 46), tels que la dépendance
témoins d’une grande difficulté pour les à l’égard d’une source fournisseur, le
acheteurs à intervenir en amont des besoins. nombre trop limité de fournisseurs impli-
Cela résulte de la multiplicité des achats qués dans les appels d’offres, l’ouverture
qu’ils ont à prendre en charge au regard des insuffisante à de nouveaux fournisseurs
ressources achats disponibles et de internationaux, des contrats insuffisam-
l’impossibilité d’être des multispécialistes ment remis en cause en termes de perfor-
techniques et commerciaux de catégories mances, des prix trop élevés compte tenu
extrêmement hétérogènes d’achats. La tradi- des coûts des fournisseurs (van Weele,
tionnelle figure montrant la corrélation entre 2010). Dans tous les cas, une parfaite maî-
l’implication au plus tôt dans l’étape de trise des leviers de coûts et de prix est exi-
conception (early involment) et le potentiel gée des achats (Monczka et al., 2005), jus-
d’économies réalisables (Bruel, 2007), ren- qu’à prendre en compte dans la
voie à des outils de définition des besoins détermination des prix, la gestion des coûts,
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qui ne sont, ni en théorie ni en pratique, des rabais et leur négociation (Leenders
l’apanage des acheteurs (conception à coûts et al., 2006).
objectifs, analyse fonctionnelle, analyse de Quant à la seconde étape du processus
la valeur). Leur utilisation semble de fait des achats, le sourcing et l’évaluation des four-
plus réduites, et ce, indépendamment de la nisseurs potentiels, ses leviers s’inscrivent
difficulté intrinsèque d’élaboration d’un également dans la perspective d’augmenter
cahier des charges fonctionnel plutôt que le pouvoir de négociation des achats : déve-
technique (Bruel, 2007 ; van Weele, 2010). lopper la base fournisseurs au niveau inter-
Quant à l’implication du fournisseur au plus national, rechercher des fournisseurs dans
tôt, elle semble plus souvent mieux maîtri- les leading competitive countries (LCC),
sée par les fournisseurs compte tenu du dif- mettre en place des consultations interna-
Achats et marketing 111

tionales, réduire éventuellement le nombre Sachant qu’en toute occurrence, l’acheteur


de fournisseurs lorsque cette action a un ne peut acheter plus que ce qui est néces-
effet sur les prix (Bruel, 2007). Inutile d’in- saire à la production de son entreprise, ce
sister sur la troisième étape du processus qui limite de fait son pouvoir de marché.
achats portant sur les appels d’offres, la L’asymétrie de leviers entre achats et mar-
négociation et la contractualisation dont keting s’enracine dans cette spécificité de
l’objet est clairement de maximiser la la situation d’achat. L’acheteur, contraire-
concurrence (competitive bidding), certes ment au fournisseur, ne peut se fixer pour
sur l’ensemble des termes du contrat objectif par nature (sauf rares exceptions)
(Leenders et al., 2006 ; van Weele, 2010), de devenir market maker sur la majeure
mais surtout sur les prix – une fois assuré partie de ses marchés fournisseurs. En toute
des offres fournisseurs toutes choses égales rigueur, le marketing a pour objectif
par ailleurs – comme le montre la diffusion d’accroître les volumes vendus en visant
des techniques d’e-purchasing et de reverse une position de market maker, grâce à un
auctions (van Weele, 2010). foisonnement au sein des marchés/seg-
Ainsi, l’ensemble des méthodes et outils ments/clients actuels et une prospection de
achats mobilisés à chaque étape du proces- marchés/segments/clients nouveaux. Outre
sus achat montre que le principal levier cet indicateur de part de marché (souvent
de création de valeur pour les achats l’indicateur exclusif de la performance
réside dans l’optimisation du rapport vente/marketing), il cherche à maximiser
volumes/prix par la mise en concurrence. son prix de vente par la différenciation qui,
Les auteurs et les praticiens s’attachent sans rapportée à des coûts bas, maximise la
doute à affirmer que la focalisation sur les contribution marketing. L’asymétrie de
prix est aujourd’hui insuffisante pour situation entre achats et marketing est donc
décrire les missions de l’achat, qu’il maximale, malgré la similarité des leviers
s’agisse d’accroître la différenciation par le mobilisés. L’acheteur, partant d’une posi-
codéveloppement avec les fournisseurs, de tion fréquente de market taker, tente de
maîtriser les risques liés aux marchés four- mobiliser des volumes contraints afin de
nisseurs (risk management) ou d’optimiser réduire ses prix d’achat en maximisant ses
le coût total de possession en passant des leviers de négociation. Le fournisseur
savings au cost avoidance (van Weele, visant par définition une position de market
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2010). Pour autant, dans toutes les situa- maker, maximise ses volumes et sa position
tions achats, y compris les plus partena- de price maker par des arbitrages dans son
riales, la logique de coûts par rapport aux portefeuille marketing de marchés/seg-
volumes demeure essentielle. Le partenariat ments/clients.
lui-même ne constitue qu’un moyen de sol- À l’issue de cette analyse, les développe-
vabiliser les actifs spécifiques développés ments précédents nous conduisent à
par un fournisseur, malgré tout souvent mis conclure que l’idée selon laquelle les achats
en concurrence en amont du processus de constitueraient une fonction miroir du mar-
développement produits ou en aval une fois keting ne rend pas compte de cinq spécifici-
les investissements réalisés. tés de la situation d’achat : 1) les achats sont
contraints de fournir à l’entreprise les biens
112 Revue française de gestion – N° 205/2010

et services indispensables à son fonctionne- approche miroir du marketing. Ainsi, plutôt


ment ; 2) les achats conçoivent toute rela- que postuler que les achats devraient fran-
tion avec les fournisseurs en l’inscrivant chir les mêmes étapes que le marketing
dans le marché ; 3) les achats sont en charge avec quelques années de décalage, pourquoi
de satisfaire une immense complexité de ne pas faire l’hypothèse que les évolutions
besoins hétérogènes face à des fournisseurs de la fonction achats sont plutôt détermi-
multiples ; 4) les achats, compte tenu de la nées par les spécificités de la situation
multiplicité des interactions entre les d’achat ? Nous proposons de discuter diffé-
membres des centres d’achat et les fournis- rentes hypothèses d’évolution dessinant un
seurs et leur influence relative au sein des futur spécifique aux achats.
centres d’achat ne peut que demeurer un
intermédiaire contesté entre l’entreprise et 1. Vers une intégration totale
ses fournisseurs ; 5) les achats jouent sur les « dans » ou « de » la chaîne de valeur ?
leviers standardisation/globalisation afin Le marketing est aujourd’hui appréhendé
d’agir sur la seule variable actionnable que comme un processus intégré de co-
constitue le prix d’achats par rapport aux construction/déconstruction de la chaîne de
volumes dans la mesure où ces volumes valeur de l’entreprise en relation avec l’en-
sont contraints par la demande de l’entre- semble des parties prenantes (clients, four-
prise. Le marketing, inversement, recherche nisseurs, ressources humaines, actionnaires
des opportunités de marché en tentant de se et financiers, pouvoirs publics, associa-
placer hors marché par la différenciation et tions, etc.), interagissant au sein de réseaux
les coûts. Il y parvient grâce à une homogé- de valeur (Marion et Portier, 2006). Une
néisation de ses offres par segments-cibles logique d’évolution des achats qui mènerait
en agissant en tant qu’interface reconnue à une définition assez comparable à celle de
entre l’entreprise et ses marchés aval lui la fonction marketing semble tout à fait
permettant de construire une position de envisageable. De nombreux auteurs ont en
price maker. Cette asymétrie infrastructu- effet plaidé, et plaident encore, pour une
relle de situation entre les achats et le mar- évolution de la fonction achats de simple
keting permet de rendre compte des diffé- fonction administrative d’approvisionne-
rences super-structurelles de méthodes et ment à une fonction stratégique au sein de
d’outils mobilisés par ces fonctions, sinon l’entreprise, du cost killing à la création de
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de culture, d’identité professionnelle et de valeur par la maîtrise des risques et l’inno-
compétences. vation fournisseurs (Monczka et al., 2005 ;
Leenders et al., 2006 ; Bruel, 2007 ; van
Weele, 2010).
III – TROIS HYPOTHÈSES En termes organisationnels, pour Slaight
POUR DESSINER UN FUTUR (2009), cette évolution doit s’accompagner
SPÉCIFIQUE AUX ACHATS d’une plus grande collaboration de la fonc-
Les caractéristiques des interfaces entre les tion achats à trois niveaux : avec les four-
achats et le marché fournisseurs nous amè- nisseurs, au sein de l’entreprise avec les
nent à imaginer un futur spécifique aux fonctions de conception des produits, la
achats qui se départirait d’une simple fonction marketing/vente et les opérations,
Achats et marketing 113

ainsi qu’en aval avec les clients. Ces mêmes conjoints – au sein de la chaîne de valeur de
aspects organisationnels sont mis en évi- l’entreprise.
dence par Ivens et al. (2009). C’est la mise
en œuvre de cette intégration qui peut des- 2. Des solutions marketing adaptées
siner un futur aux achats dans l’entreprise. aux problématiques achats ?
Cette préconisation « d’intégration » a déjà Sans préjuger des effets réels sur les pra-
été à plusieurs fois identifiée dans les tiques de ce souhait d’intégration de la
bonnes pratiques de la plupart des modèles chaîne de valeur, une approche pragmatique
de maturité achats. Van Weele (2010) parle des évolutions potentielles des achats per-
ainsi de customer driven activities, global met de formuler quelques pistes d’évolu-
supplier network, center-led et cross-func- tion – sans doute plus réalistes – suscep-
tional focus. Bruel (2007) qualifie les tibles de répondre à la spécificité des enjeux
achats selon les termes de codéveloppe- auxquels est confronté la fonction achats.
ment, innovation et alliances stratégiques. Une première piste d’évolution réside dans
Monczka et al. (2005) expriment claire- la mise en place d’une véritable réflexion
ment cette intégration à travers les termes sur le key supplier management, prenant en
de global supply chains with external focus, compte ses spécificités par rapport au key
de full-service suppliers, insourcing/out- account management (Pardo, 1997, 1999).
sourcing optimization, ou de cross-entre- En effet, la quête de relais de croissance par
prise decision making. des innovations de rupture conduit les
Cette préconisation d’intégration des achats entreprises à rechercher des partenariats
avec diverses parties prenantes est de nature stratégiques pour sécuriser/développer de
à fonder la représentation d’une entreprise nouveaux marchés/produits/process. Les
désormais totalement intégrée. Plus généra- entreprises confrontées à ce type d’enjeux
lement, les modèles de maturité des achats tentent de mettre en place des démarches de
qui décrivent tous une étape ultime, sorte management des fournisseurs-clés à partir
d’optimum de cette fonction, rendent d’une double implication hiérarchique et
compte d’une intégration générale de l’en- transversale. Cependant, face à de tels
treprise dans une chaîne de valeur totale : enjeux stratégique et interfonctionnel, la
c’est la value chain integration chez van question se pose alors de savoir si la fonc-
Weele (2010), l’optimisation de l’entreprise tion achats est la mieux placée pour prendre
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acheteuse à travers tous ses leviers internes en charge ce dispositif organisationnel
et externes chez Bruel (2007), ou bien émergent, à la fois compte tenu de sa cul-
encore la fully integrated supply chain ture concurrentielle et de compétences rela-
(Monczka et al., 2005). À terme donc, stra- tionnelles perfectibles. De plus, compte
tégie, marketing et achats pourraient tenu des spécificités de la situation d’achat
fusionner dans un même paradigme total, identifiés précédemment, l’autre question
hybride de Kotler et Lévy (1973), en ce qui est celle de la solvabilisation de cette nou-
touche la prise en compte des parties pre- velle fonction au regard des moyens aujour-
nantes, et de Porter (1985), pour ce qui d’hui mobilisés dans les achats.
concerne l’intégration de toutes les fonc- La seconde piste d’évolution pour les
tions – dont les achats et le marketing enfin achats s’articule autour de l’élargissement
114 Revue française de gestion – N° 205/2010

de leur champ d’action, de l’extérieur vers formes internet. De même, l’externalisation


l’intérieur de l’entreprise dans ce cas. Il des achats dits de classe C est déjà prati-
s’agit de réfléchir à l’intégration de toutes quée par nombre d’entreprises, du sourcing
les complexités liées à un produit ou un ser- au paiement, en passant par la négociation
vice acheté, tant interne qu’externe, à tra- et la prise de commande. Cette évolution
vers une fonction transversale inspirée du confirme la difficulté pour l’entreprise
category management. Les risques externes d’amortir les coûts de transaction liés au
commerciaux et techniques liés aux mar- déroulement d’un processus achat complet
chés fournisseurs ne seraient plus dissociés lorsque leurs montants sont réduits. Cette
des risques internes de mêmes types. Plutôt contrainte d’efficience des coûts de transac-
que de dissocier, dans des structures en silo, tion touche une grande partie des achats
les acheteurs des autres membres du centre caractérisés par leur hétérogénéité, leur
d’achat, une fonction partagée et reconnue faible complexité, leur difficulté de planifi-
intégrerait les perspectives des prescrip- cation et leur enjeu stratégique limité.
teurs, décideurs, payeurs, utilisateurs, sinon
clients finaux. Cette évolution soulève éga- 3. Imitation dangereuse ou spécificité
lement la question de savoir si la fonction du futur de l’achat ?
achats, telle qu’elle s’exerce aujourd’hui Homburg et al. (2000) ont mis en évidence
dans nombre d’entreprises, sera en mesure les changements de l’organisation marke-
de prendre la responsabilité de ressources ting et commerciale des entreprises. Ces
amont à fort enjeu et complexité dans changements se traduisent par une plus
laquelle les achats ne sont qu’une des par- grande dispersion des activités marketing
ties prenantes. La volatilité des prix de mar- allant largement au-delà de ce que recouvre
ché et les ruptures d’approvisionnement traditionnellement le marketing. Les évolu-
ayant affecté nombre d’achats ont conduit tions identifiées précédemment ne confir-
certaines entreprises à mettre en place ce ment-elles pas un semblable éclatement de
type de fonction transversale, sans qu’il soit la fonction achats, vers la stratégie pour le
possible à ce jour d’évaluer son impact sur key supplier management, l’intégration
le positionnement de la fonction achats. transfonctionnelle pour le category mana-
La troisième piste d’évolution renvoie à un gement et la sortie du cœur de métier pour
éclatement de la fonction achats vers les les achats non critiques ? D’où une disper-
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différentes unités de l’entreprise, sinon vers sion de la fonction achats – et ce indépen-
des fournisseurs externes. Cette diffusion damment de la globalisation de l’entreprise
de la fonction porte sur des achats à faibles – qui pose à nouveau la question de la légi-
enjeux, mais à fort volume de commandes. timité de la fonction. En ce sens, l’imitation
Ces achats « non critiques », ou « de rou- du marketing par les achats peut aussi
tine » (Kraljic, 1983), se caractérisent par conduire cette fonction à se retrouver
des coûts de transaction qui excèdent large- confrontée aux mêmes problèmes que ceux
ment la valeur achetée. Cet éclatement de toute activité diffuse telle que l’est
fonctionnel peut prendre plusieurs formes, devenu le marketing. Les difficultés déjà
des cartes de paiement achats à l’automati- récurrentes à évaluer la performance des
sation des process à travers des plates- achats seraient alors aggravées par l’impos-
Achats et marketing 115

sibilité déjà relevée pour le marketing de productif d’approfondir l’intérêt et la faisa-


pouvoir quantifier sa contribution à la per- bilité des méthodes et outils propres aux
formance de l’entreprise (Webster et al., achats, que de s’en tenir à un « copier-col-
2005). Les critiques répétées portant sur les ler » entre marketing et achats. Ou de
effets pervers du plus utilisé (parce que le manière plus audacieuse, d’imaginer donner
plus mesurable) des indicateurs de perfor- enfin une reconnaissance conceptuelle à la
mances achats, les savings, peuvent-elles situation d’achat, au même titre et avec la
conduire à bénéficier des erreurs et erre- même valeur que la situation marketing. Ne
ments du marketing pour dessiner une his- serait-ce pas là une reconnaissance (tardive)
toire autonome du futur des achats fondée du marketing envers les achats, au nom
sur son asymétrie d’interface ? même de l’esprit du marketing ancré dans la
compréhension des clients. Mais ne vau-
drait-il pas mieux dire des « situations
CONCLUSION
d’achats ». Ainsi, sans dénier l’intérêt d’un
Nous avons montré comment la recherche questionnement réciproque entre les achats
en management a assimilé achats et marke- et le marketing, une assimilation trop hâtive
ting. Nous avons ensuite mis en évidence entre les deux fonctions fait courir trois
plusieurs spécificités des achats qui nous risques majeurs : celui de transformer la
semblent questionner toute tentative de fonction achats en suiveur du marketing
« symétrisation » des deux fonctions. Nous incapable d’imaginer son propre futur ; celui
avons enfin proposé des hypothèses d’évolu- d’appauvrir par là même la fonction marke-
tion pour un futur spécifique aux achats. À ting ; et le tout au détriment de la création de
l’issue de cette réflexion, il apparaît plus valeur entre fournisseurs et acheteurs.

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