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La vente : le nécessaire aggiornamento

Isabelle Barth
Dans Management & Avenir 2008/2 (n° 16), pages 88 à 103
Éditions Management Prospective Editions
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.016.0088
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La Vente : le nécessaire aggiornamento

par Isabelle Barth

La Vente est certainement un des plus vieux métiers du monde comme en


attestent de nombreuses traces dès l’époque archaïque d’Ourouk, au IVè
millénaire av JC, quand apparaît le signe sham qui désigne les notions de « prix »
et « d’achat ». D’après certains historiens, comme Braudel (1979), le commerce
est né de façon concomitante à la production et l’idée d’un commerce « rejeton »
des excédents de la production fait partie des « mythes » économiques, porteurs
de représentations sclérosantes, qui se transmettent à travers les siècles sans
autre justification que l’auto-référence.
Nous pouvons en effet observer que le Commerce et la Vente sont chargés de
représentations étonnamment stables à travers les siècles dans nos cultures
indo-européennes, et des incursions rapides dans des cultures réputées très
éloignées montrent des points de convergence qui amènent à mettre en cause
certainement raisonnements purement comparatifs (Barth, 2003).
Il nous semble nécessaire de réfléchir à un aggiornamento de la Vente.

1. La Vente : une discipline qui n’existe pas

Admettons que la Vente est un champ de recherche peu labouré dans les
Sciences de Gestion (comme d’ailleurs dans les autres sciences sociales).
Faire de la recherche en vente, c’est s’inscrire dans un champ disciplinaire « qui
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n’existe pas » (Barth, 2006).
L’article de Christophe Fournier et Stéphane Ganassali nous aide à tracer
les contours du problème et à poser un regard objectif sur la question. Pour
la première fois, ces deux chercheurs nous proposent un « état des thèses »
identifiées comme centrées sur une problématique commerciale. Les résultats
sont édifiants : une trentaine de thèses soutenues en 15 ans, dévoilant ainsi
une recherche erratique, plus soumise à l’engagement de quelques directeurs
de recherche, ou aux enjeux propres à des doctorants, qu’à une volonté de
développement d’une façon construite et cumulative de ce qui pourrait être
envisagé, au premier chef, comme une sous-discipline.
La question des frontières interpelle aussi ce qui dessine ce thème de recherche
et souligne la disparité, l’hétérogénéité, voire l’hétéroclisme, tant des sujets
étudiés que des approches méthodologiques. Grâce aux cartographies que
nous proposent ces auteurs, on perçoit les « trous » béants dans la trame.
Force est de constater que ce sont dans ces vides que se situent les plus
grandes préoccupations des entreprises, pour n’en citer qu’une : le pilotage de

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La Vente : le nécessaire aggiornamento

la performance commerciale, thème seulement émergent dans la recherche


(Cappelletti, 2008 ; Besson et al., 2004) et qui se traduit depuis déjà plusieurs
années par une fonction de contrôle de gestion commercial en entreprise. Le
quasi abandon de la négociation commerciale au profit de thèmes considérés
comme plus nobles et à plus fort enjeu, à savoir la négociation diplomatique, ou
la négociation de crise, participe du même phénomène (Bobot, 2008).
Pourtant, comme les auteurs le soulignent, les caractéristiques de cette recherche
posent plus largement la question de la recherche en sciences de gestion :
utilité de cette recherche et « utilisabilité » ? origine de la demande ? implication
des entreprises dans le processus ? profil du doctorant ? sont les questions
classiques auxquelles la recherche en Vente donnent un relief tout particulier et,
peut être quelques pistes de réflexion. Ainsi, la proximité, avec les entreprises,
semblent de mise dans la quasi-totalité des recherches doctorales en Vente, de
façon bien plus systématique et intime que les recherches sur d’autres thèmes
plus richement dotés, comme le ‘comportement du consommateur’. L’origine des
doctorants, pouvant massivement faire valoir une expérience professionnelle
avant leur recherche doctorale a un fort pouvoir explicatif du choix des thématiques
de recherche, et démontre, s’il le fallait, les enjeux pour une discipline scientifique
à diversifier les profils de ses chercheurs, le management de la diversité n’est
pas bon seulement pour les entreprises !
Nous espérons voir dans cet article autre chose qu’un propos d’étape, mais bien
le premier pilier de la fondation d’un champ de recherche dont la structuration est
en devenir.
Si nous cherchons à interpréter le bilan ainsi dressé par Christophe Fournier et
Stéphane Ganassali, deux explications semblent envisageables :
La première, classique, et pourtant valide, revient sur les ressorts des explications
sociologiques : la mauvaise « image » de la Vente et des vendeurs perdure,
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sans évolutions bien notables, comme nous pouvions l’affirmer en 2002 (Barth,
Biardeau, 2002) en montrant les étonnantes stabilités des représentations entre la
France et les Etats-Unis à 50 années de distance. La seconde relève d’une vision
rétrécie de la fonction, occultant son potentiel épistémologique. En la limitant à
une metis, une techne, on ne peut susciter de nombreuses recherches doctorales
dignes de ce nom, avec les enjeux de carrière que l’on sait. La circularité du
raisonnement est à la fois évidente et problématique pour qui veut ambitionner la
structuration d’une recherche en Vente.

Les recommandations d’une plus grande fréquentation des entreprises sonnent


comme de « bonnes pratiques » d’une recherche dans une science qui se définit
comme une science de l’action, et semble être une condition nécessaire mais
absolument pas suffisante quand on regarde de plus près le jeu de miroir entre le
monde de la recherche et le monde des organisations. La Vente est une fonction
vitale des entreprises comme pour de plus en plus d’organisations, puisque le
modèle marchand porté par le contrat semble s’imposer maintenant quelque soit
le secteur d’activité. Par contre, elle est quasi-absente du monde de la recherche

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et les thèmes que les chercheurs privilégient ne sont pas les plus attendus par
les entreprises.
La Vente pose les questions classiques mais avec une acuité toute particulière :
de l’accès au terrain, de l’asymétrie d’information entre la recherche et l’entreprise,
et du rôle social de la recherche. Derrière la question de la gestion de la demande
des entreprises, se dessine l’enjeu de l’origine de la connaissance, comme de
sa validation. Même si Poincaré (comme bien d’autre) a pu affirmer qu’ « il n’y
a rien de plus pratique qu’une bonne théorie », l’obligation de résultats, ou le
simple souci des « implications managériales » semblent trop souvent, plus
perçues comme des contraintes mettant en danger la scientificité des travaux
des chercheurs, qu’une source d’opportunité de développement du savoir.

La Vente interpelle également l’institutionnalisation toute disciplinaire du monde


de la recherche en Gestion : à une heure où les injonctions de transversalité, de
travail en mode projet, de management de la diversité, guident les entreprises,
la difficulté de positionnement des chercheurs en Vente est patente, les aller
retour entre GRH et Marketing, pour les deux disciplines les plus couramment
mobilisées, sont plutôt sources de malaise que de créativité.

Si l’on jette un coup d’œil en arrière, on peut rapidement faire le constat que la
Vente a connu une éclipse depuis une cinquantaine d’année, occultée par l’astre
Marketing, qui, par un renversement complet de perspective, et l’adoption d’une
posture morale vis-à-vis du marché - « l’entreprise ne vend plus, c’est le client qui
achète » - , a préempté le lien avec le marché. Il est évident que l’emprise de la
méthodologie dans une activité doutant de sa scientificité a favorisé la mobilisation
d’outils de plus en plus mathématisants et structurés, plus en phase avec les
pratiques de marketing qu’avec les pratiques de vente. En effet, les dérives entre
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le continent des faits et celui des idées sont bien souvent le fruit d’une « intention
scientifique ». En ce qui concerne le thème de la relation marchande, on peut
ainsi identifier plusieurs choix lourds, relevant du projet de scientificité. Ainsi le
marketing n’a eu de cesse de sublimer les personnes, leurs faiblesses ou leurs
incertitudes car celles-ci ne s’accommodaient guère des exigences de rationalité,
le vendeur, le marchand, ont été radiés de son discours (Cochoy, 1999). On peut
aussi citer le privilège exorbitant accordé aux méthodes quantitatives, au détriment
de toutes propositions qualitatives. Le traitement de la donnée chiffrée, en vente
comme ailleurs, semble être le summum de la scientificité (avec le risque de
l’oubli de la qualité de l’information de départ). Le traitement statistique est ainsi
devenu hégémonique en marketing comme la « charlatanerie mathématique »
(Allais, 1989) a longtemps pris le pas en économie. A ces conditions, la vente,
perçue comme un art de l’entredeux ne peut être légitime. Elle reste reléguée
tant dans les enseignements que dans la recherche (Bergadaà, 1997) alors qu’il
est clair qu’elle détient tous les ingrédients propres à une réflexion d’intention
scientifique (Barth, 2000).

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La Vente : le nécessaire aggiornamento

La Vente, perçue comme moins « scientifique », moins valorisante, moins


porteuse de potentiel, avec un accès à l’objet de recherche moins aisé, a donc
perdu peu à peu de sa vélocité et de sa crédibilité, s’effaçant peu à peu du champ
de la recherche en Sciences de Gestion.
Pourtant, des signaux, même faibles, montrent que la tendance peut s’inverser.
Outre la permanence d’un « noyau dur » de recherches en Vente autour de
quelques individus passionnés (ce qui est important si l’on accepte une vision
sociologique de la recherche), le marketing semble avoir réinvesti la notion de
client. Avec le marketing one to one, des thèmes de recherches comme la GRC,
les réflexions sur un marketing « relationnel » raffermissent les convictions que
l’être humain, et tout particulièrement le commercial, peut être un maillon fort de
la chaîne de la valeur qui s’installe entre l’entreprise et ses clients. De même,
les « angles morts » du marketing semblent être autant de places à prendre ou
à reprendre par la recherche en Vente : que l’on songe à la mise en plage du
pilotage de la performance commerciale et au besoin de métriques « dures »
cruellement absentes des réflexions sur la gestion de la relation client (Perrien,
2007).
L’injection de l’humain dans les analyses du marché, comme celle d’une
connaissance du marché dans la connaissance du management des hommes
et des femmes, regards croisés longtemps perçus comme un handicap (cf le
cloisonnement disciplinaire) deviennent clairement des relais de valeur ajoutée
pour la recherche comme pour la stratégie managériale.
Bien évidemment, des secteurs d’activité comme le B to B sont pionniers dans ces
évolutions, des entreprises sont plus matures que d’autres dans ces réflexions,
mais la mise en mouvement générale semble bien être établie. Il s’agit d’ailleurs
d’un double mouvement : la Vente perçoit l’enjeu de se structurer, de se réfléchir,
de sortir de sa culture (du culte !) du résultat immédiat, quand, dans le même
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temps, le marketing quitte sa posture de « prise de recul », de modélisation, pour
reprendre le contact avec la « vraie vie » et ses dimensions d’incertitude, de
fragilité et d’une certaine dose d’irrationalité.
Les opportunités de rencontre sont évidemment plus nombreuses puisque la
réalité de la vente multi canal rattrape la recherche (Notebaert et al., 2008), qui
n’avait peut être pas suffisamment su l’anticiper.
Parions que ce « tricotage fin » qui se met en place dans les entreprises, avec
les difficultés et les résistances que l’on connait, constitue une incitation forte à
l’émergence de thèmes de recherche nouveaux, sinon innovants.
Les recherches proposées dans ce cahier spécial sont autant de témoignages
de ces évolutions.

La réflexion proposée par Fanny Poujol illustre le regard assumé que la Vente
peut porter sur un sujet jusque là traité en marketing : la gestion de la relation
client. A partir d’une très classique revue de la littérature, elle pointe le rôle
essentiel que tient le vendeur dans la satisfaction et la fidélisation client. Elle
nous rappelle des « basiques » peut être un peu trop oubliés, comme nous le

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montre quasi quotidiennement notre fréquentation assidue des entreprises en


tant que simple consommateur : le vendeur est « un acteur stratégique de la
qualité de la relation, au cœur même de la confiance que le client peut accorder à
l’entreprise ». Parmi les comportements clés des commerciaux mis en évidence
par cet état de l’art, l’orientation client apparaît comme un déterminant majeur
de la qualité et de la continuité de la relation client. L’analyse de la littérature fait
émerger trois antécédents : la personnalité du vendeur, son attitude à l’égard de
son travail et le climat de service. Ce qui est remarquable, c’est que les articles
qui constituent la base de références sont loin d’être récents, la majorité date du
début des années 90 soit une demi-génération ! Il ne faudrait pas en conclure trop
hâtivement que la recherche marche à son pas, ce qui fait sa force et sa marque
de fabrique ! Peut être faut-il aussi du temps pour qu’elle entre en résonnance
avec son « marché », ou plutôt son objet de recherche, à savoir les entreprises,
et puisse ainsi prospérer. Une analyse en termes de « modes managériales »
(Abrahamson, 1996) peut également être éclairante : le changement tant
recherché par les entreprises permettrait de remettre au goût du jour de vieux
classiques comme l’importance d’être aimable avec son client ou d’avoir le
souci du conseil, sachant que cela est plus simple avec des vendeurs formés,
compétents et satisfaits de leurs conditions de travail. On dit que la pédagogie
se niche dans la répétition, la recherche, ou du moins sa dissémination, se
retrouve peut être dans la façon de renouveler sinon les concepts, du moins
leur formalisation, trouvant là une nième illustration du cycle « savoir, savoir faire
et faire savoir ». Le travail initié par Fanny Poujol, même s’il n’en est pas fait
mention de façon explicite, s’inscrit dans les profondes mutations que connaît la
fonction Achat dans les entreprises et, plus généralement, du comportement du
consommateur, contrainte maximale et essentielle pour le renouvellement de la
stratégie de la relation client.
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De la même façon, la recherche de Pascal Brassier part de l’hypothèse que
les réseaux sociaux sont « un outil intuitivement employé depuis longtemps par
ces professionnels ». L’objectif de la recherche est de « déterminer comment
des négociateurs commerciaux constituent et utilisent leurs réseaux sociaux,
comment ils formalisent cette démarche au sein d’un groupe constitué de leurs
pairs, et quels bénéfices ils en tirent pour leur activité quotidienne ».
Pascal Brassier mobilise le cadre du marketing relationnel afin de mieux analyser
l’action commerciale en tant que processus social dynamique (Jönsson, 2005).
Les questions opérationnelles arrivent très vite : comment cet « acteur frontière »
construit-il et exploite-t-il son « carnet d’adresses » ? Cherche-t-il à formaliser
son approche relationnelle des affaires ? Comment se positionne-t-il entre
relations personnelles, professionnelles et organisationnelles ? En bref, comment
développe-t-il son « portefeuille relationnel » ?

L’article de Laurent Cappelletti est emblématique de ces évolutions que nous


cherchons à décrire, et ceci selon trois modalités : la question de recherche, à

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La Vente : le nécessaire aggiornamento

savoir le pilotage de la performance commerciale, pour le moment très peu traitée


en sciences de gestion, l’origine disciplinaire du chercheur, affilié à l’Association
Française de Comptabilité, et, enfin, la méthodologie de recherche puisque le
travail s’appuie sur une recherche-intervention.
La question de recherche porte sur les apports possibles d’un contrôle de gestion
intégré à la fonction commerciale d’une entreprise, et cherche à identifier et
expliquer les freins existants à son implantation.
La recherche de Laurent Cappelletti s’intéresse en effet aux systèmes de
contrôle de gestion stratégiques et managériaux et, à travers le cas du contrôle
de gestion socio-économique, aux systèmes de contrôle articulant outils de
règles et de mesure avec des outils agissant sur les comportements. L’article
définit la fonction commerciale comme l’ensemble des activités qui contribuent à
la performance commerciale d’une entreprise (Barth, 1994), ne se limitant pas à
l’observation de la seule force de vente. Cette recherche rencontre les attentes
actuelles des entreprises et des organisations qui sont en recherche permanente
d’outils de contrôle de gestion pour mieux mesurer et piloter leur performance
commerciale (Ambler, Kokkinaki, 2002 ; Davila, Foster, 2007). L’auteur insiste sur
l’enjeu de l’appropriation de ces outils de mesure et de pilotage de la performance
commerciale, par les acteurs commerciaux.
La recherche-intervention décrite dans l’article repose sur des observations de
l’implantation du contrôle de gestion socio-économique dans une entreprise de
surveillance et sécurité de 800 personnes entre 2002 et 2005. Le modèle de
contrôle de gestion présenté conduit les managers commerciaux à devenir tous
un peu contrôleur de gestion et amène à se demander « si les contrôleurs de
gestion ne devraient pas eux aussi devenir un peu plus commerciaux ».

Dans le droit fil de ces réflexions sur le contrôle et la relation client, Jean François
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Notebaert, Djamchid Assadi et Laurence Attuel Mendes évaluent le degré de
personnalisation du service client des banques françaises sur Internet. Leur
objectif est de comprendre comment le Web est utilisé par les banques dans le
cadre de la relation client. L’analyse de différents sites bancaires, à l’aide d’une
grille d’observation, montre deux « modèles » : celui des banques universelles
conventionnelles qui le voit comme un moyen d’externaliser des services à
faible valeur ajoutée en faisant participer le client au processus de servuction,
et celui des banques en ligne qui utilisent Internet à la fois comme un canal
de communication et comme un canal de distribution. L’analyse dépasse la
simple émergence d’un nouveau canal de distribution et/ou de communication,
elle permet de comprendre que « les lignes bougent » entre l’offreur et le(s)
acheteur(s) et laisse entrevoir, là comme ailleurs, les perspectives de réingénierie
de la relation commerciale, fondée sur la co-construction comme le proposent
Michelle Bergadaà et Gregory Coraux.

En effet, l’article de Michelle Bergadaà et Gregory Coraux revisite un concept


central à la relation commerciale : le risque d’achat perçu par le client car « le

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métier central du vendeur s’exerce toujours face au client ». Michelle Bergadaà


et Gregory Coraux rappellent que l’alternative d’un marketing relationnel est
proposée depuis le début des années 90 « car il répond de façon ciblée et
personnalisée aux attentes des consommateurs ». L’intérêt de l’entreprise qui
s’inscrit dans cette perspective promeut le dialogue et l’échange permettant ainsi
une co-création de valeur entre le vendeur et le client. La question qui anime la
recherche de Michelle Bergadaà et Gregory Coraux est : qu’en est-il dans les
entreprises ? L’étude s’est déroulée sur deux années, auprès de consommateurs,
de commerciaux et de responsables d’entreprises, au sein de quatre activités
fort différentes : le commerce d’ordinateurs personnels, de montres de luxe, de
produits alimentaires et de médicaments génériques. Les auteurs cherchent à
comprendre comment in fine, clients et commerciaux sont en mesure de cogérer
le risque d’achat dans une optique de marketing relationnel. Ils mettent au jour la
difficulté à appréhender l’altérité, à voir l’« autre » comme une personne pensante
et autonome, à savoir, pour le vendeur, de cesser de considérer le client comme un
simple « destructeur des biens créée par les entreprises », mais bien le considérer
comme « créateur de valeur ». Ce nouveau regard est essentiel car, comme
nous le rappellent Michelle Bergadaà et Gregory Coraux, le client est « un acteur
social qui a appris à vivre avec de nouveaux paradigmes communicationnels
et qui sait définir de véritables stratégies d’action quotidienne ». Il sait se servir
d’Internet, s’y renseigner, puis venir vers le vendeur pour échanger avec lui. « Si
le vendeur ne voit pas ce que peut lui apporter ce client éclairé, il y perdra plus
qu’un client ». Cette nouvelle mise en perspective de la dyade vendeur acheteur
est éclairante pour une pratique commerciale renouvelée, elle est également
profondément structurante pour une recherche en Vente qui peut proposer de
nouvelles modalités de recherche (l’ethnométhodologie par exemple), comme
une relecture des concepts centraux du marketing (l’échange et le risque par
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exemple).
Nous pouvons voir dans ces propositions une co-construction de valeur entre
Marketing et Vente, et faire l’hypothèse d’un enrichissement mutuel tant sur le plan
de la recherche que des implications managériales. Nous pouvons également
repérer les premières lignes directrices d’un programme de recherche en Vente.

2. La Vente : une discipline scientifique à inventer

Quels pourraient être les contours de cette recherche en Vente, si l’on part de
l’hypothèse de l’existence d’un champ autonome, légitime et de « plein droit » au
sein des Sciences de Gestion ? Le concept même d’invention étant à prendre
dans sa dimension de découverte, d’inventaire d’un trésor englouti, ce qui
métaphoriquement, nous semble « sonner » juste.

A ce stade de la réflexion, trois préalables doivent être formulés :

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La Vente : le nécessaire aggiornamento

L’importance de l’institutionnalisation d’une discipline de recherche


On ne peut faire sans institutionnalisation : à savoir une association savante, un
congrès annuel, une revue thématique… D’autres sous-champs s’y sont risqués :
on peut citer en gestion l’entrepreneuriat, considéré comme sous discipline de
la stratégie, ou encore le tourisme, carrefour disciplinaire dont les intersections
avec la géographie reste fortes, ou encore l’infocom. Tous ces « champs » ont
en commun, une absence de reconnaissance « officielle » via l’académie. Les
chercheurs ont beaucoup de mal à faire reconnaître leurs travaux auprès de
leurs académies et, quand ils y parviennent, ces travaux ont été réorientés pour
être admis dans la discipline d’origine du chercheur : géographie, économie,
sociologie... et non dans un corpus scientifique spécifique. Les chercheurs sont
organisés en « sections universitaires », permettant de gérer les ressources, qu’ils
s’agissent de moyens matériels, de flux financiers ou, bien sûr de ressources
humaines. Dans ce dernier cas, l’identification est incontournable que ce soit
pour le recrutement ou l’évolution de carrière. Ne pas être « répertoriable » peut
fragiliser significativement. Il n’existe pas, pour cette raison (entre autres), les
réelles équipes pluri-disciplinaires dont ces champs ont besoin ; on ne trouve
que des travaux de juxtaposition de plusieurs disciplines, liées à des rencontres
occasionnelles de chercheurs. Ce phénomène renforce la difficulté à collaborer
avec les entreprises, faute d’interlocuteurs bien identifiés.

L’enjeu de la légitimité
La légitimité ne se décrète pas, elle se démontre. D’autant plus qu’il peut paraître
provocateur de vouloir reconstituer un nouveau « pré carré», devant les méfaits
que provoquent de telles pratiques. Nous acceptons cette ambiguïté du projet en
arguant de l’épaisseur du phénomène à observer : en effet, quelle entreprise ne
détient pas un service commercial ?
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Nous pouvons identifier les dimensions suivantes :
- La Vente est une entité organisationnelle au sein de beaucoup
d’entreprises avec des appellations et des situations dans l’organigramme
multiples et variées. On recense ainsi des « direction commerciale »,
« direction des ventes », « direction commerciale et marketing » ; les
salariés exerçant la vente sont des « commerciaux », « ingénieurs
d’affaire », « grands comptes », « comptes clés », « chefs des ventes »,
« directeurs des ventes » … Nous observons donc une pratique qualifiée
et organisée de la vente même si les précautions sémantiques sont
d’usage.
- La Vente recouvre également des discours, c’est à dire des procédures,
des politiques, des contrats, des règles formalisées portant sur les
relations avec « le » client autour du transfert de propriété d’un produit
ou d’un service, mais aussi sur les règles du jeu de l’équipe de vente.
- La Vente, c’est une vaste littérature d’entreprise. Les livres se
bousculent pour rendre leurs lecteurs plus efficaces, les aider à devenir
des « super vendeurs », des « vendeurs d’élite ». Chaque auteur puise

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dans son expérience pour dispenser ses (bons) conseils à des lecteurs
avides de connaissances et de soutien, qui, espèrent-ils, pallieront
l’insuffisance ressentie de formation ou d’expertise.
- La Vente, c’est aussi un ensemble de formations. Elles abondent :
stages, « trainings », formations inter et intra entreprises sont légion, en un
jour, deux, trois, dix vingt… des cabinets, des instituts se sont spécialisés
dans le transfert de ces savoir faire validant l’idée communément admise
que la vente est un art ou une somme de techniques. L’université a
conçu des formations diplômantes jusqu’à Bac + 5, mais la Vente reste
souvent la dernière discipline dans la hiérarchie des enseignements (un
des 4 P du marketing mix).
Cet inventaire nous paraît suffisamment convaincant pour l’identification du
potentiel d’une discipline à part entière.

Les risques de fragmentation d’un domaine scientifique encore jeune et


fragile
Ceci posé, la Vente est un objet de recherche complexe qui cumule les handicaps,
à savoir qu’il se concrétise dans les interfaces, et qu’il incorpore beaucoup de
comportemental, relevant ainsi plus de la metis que de la praxis et encore moins
de la theoria. La recherche en Vente dominante s’est donc employée, pour combler
ses manques, à découper, disjoindre, classer, se focalisant essentiellement sur
la gestion de la force de vente et plus particulièrement encore, sur les politique
de rémunération ou de territorialisation, où il est possible de manier les Francs,
les Euros ou les kilomètres. La recherche en Vente a bien d’autres choses à
apporter. C’est le sens que nous donnons à cette réflexion.

Comment définir l’objet de recherche « Vente » ?


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La recherche en Vente amène à étudier les populations et les flux commerciaux
qui sont à l’œuvre aussi bien de façon intra qu’inter organisationnelles. Nous
constatons, au fur et à mesure de nos enquêtes, études, ou interventions, la
récurrence de certains phénomènes qui nous amènent à identifier les contours
de ce que certains auteurs nomment la « sphère marchande » (Hirschman,
1970) ou le « monde marchand ». Le monde marchand est « peuplé d’individus
cherchant à satisfaire des désirs, tour à tour clients, concurrents, acheteurs ou
vendeurs, entrant les uns avec les autres dans des relations d’affaire » (Boltanski
et Thévenot, 1991).
Les définitions du monde marchand sont multiples. Nous proposons de revenir
à celle d’Adam Smith, qui définit ainsi le lien marchand : « Ce lien réalisé par
le dispositif d’un marché où des individus en sympathie, mais soumis à leurs
intérêts personnels, entrent en concurrence pour l’appropriation de biens rares,
de sorte que leur richesse leur confère une grandeur puisqu’elle est l’expression
des désirs inassouvis des autres » (Smith, 1776). Tout est dit.
La Vente se définit comme un processus, qui se construit dans le temps entre un
(ou des) offreur (s) et un (ou des) demandeur (s), marqué par des épisodes qui

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La Vente : le nécessaire aggiornamento

sont autant d’actes de vente (Barth, 2001). C’est cette construction dialectique
entre relation et transaction qui fonde une vision renouvelée de la Vente.

Quelles sont les spécificités de cet objet de recherche ?


Nous en avons retenu 4 qui nous semblent fondatrices du caractère original et
originel de la Vente :
1/ Le vendeur est un acteur frontière (Brassier, 2008) de l’organisation, détenteur
d’un capital informationnel et relationnel très spécifique, quand on le compare
aux autres acteurs de l’organisation. Il est « l’ambassadeur de l’entreprise chez le
client » comme l’ « ambassadeur du client dans l’entreprise », il est bien souvent
l’ultime point de repère pour le client dans son processus d’achat, comme le
relais des messages de l’entreprise en direction du client,
2/ La Vente est La fonction de l’entreprise placée sous l’obligation de résultat,
alors que la plupart des autres activités sont dans une optique de moyens,
ceci se traduisant par des modalités de reconnaissance très spécifiques de la
performance commerciale : à savoir une variabilité de la rétribution en fonction
des résultats obtenus,
3/ Ceci nous amène à la troisième spécificité de la Vente, qui est son rapport intime
et immédiat à l’argent, le marketing s’est écarté de cette liaison dangereuse, en se
tenant à distance de la transaction. La Vente « fait avec » et cette affinité élective
est certainement pour beaucoup dans la méfiance que provoque la fonction et
ses métiers (Henochberg, 2000),
4/ Enfin, la vente, comme acte, est la validation du projet global de l’organisation
(Bergadaà, 1997), pas d’activité sans ventes, pas d’entreprise sans chiffre
d’affaire… Elle fait partie de la chaîne de la valeur de l’organisation, mais elle
est au bout de cette chaîne, présentant donc des enjeux tout à fait particuliers, et
jouant alternativement le rôle de « caisse de résonnance », comme d’ « air bag »
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des heurts et des malheurs de l’entreprise dans le contact avec ses clients.

Quels enjeux présentent la Vente en termes de création de valeur pour les


organisations ?
Le vendeur comme la fonction Vente, doivent être repérés comme des maillons
essentiels de la chaîne de la valeur de l’organisation. On peut citer quelques
leviers de cette création de valeur :
- une fonction de différenciation sur un marché souvent concurrencé, si l’on forme
les vendeurs à leur dimension de conseil, d’accompagnement, d’expertise,
- le pouvoir de gérer l’apparente dialectique transaction/relation pour en faire un
« cocktail dynamique» de « booster de performance », car la vente transactionnelle
ne s’oppose pas à la vente relationnelle, toutes les ventes sont un tricotage fin
de leur capacité de relation et de transaction, avec des dosages différents selon
le secteur d’activité,
- la capacité à piloter le multi-canal, c’est-à-dire à être le « hub » des contacts
multiples, variés, hétérogènes entre l’entreprise et les clients,
- une dimension d’innovation dans les propositions produit-service à faire au

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16

client et également dans les modalités de négociations (face à face, téléphone,


via Internet …),
- un savoir faire réflexif en termes de pilotage de la performance à partir de
l’exploitation du capital informationnel et relationnel.

Quelles pistes de développement peut-on envisager ?


- Penser l’« indirectement commercial »
La première est de quitter une vision de la Vente réduite au « management
des forces de vente » pour aller vers une recherche de « pilotage du système
commercial » qui inclut toutes les interfaces commerciales, qu’elles soient
internes, externes, portées par des hommes, ou des outils…
Cet élargissement du champ de la recherche permet de penser la Vente comme
une fonction partagée par tous les membres de l’organisation, tous « indirectement
commerciaux », c’est-à-dire tous en capacité d’avoir un impact sur le marché et
le client.
Nous soulignons l’enjeu de la prise de conscience de la « micro fonction »
commerciale de chacun dans l’entreprise. Nous proposons le concept de charge
commerciale : toute information, décision ou acte de chacun des membres
de l’organisation contient une «charge commerciale», c’est-à-dire la capacité
à générer un différentiel (positif ou négatif) dans l’environnement pertinent
sur l’image, les opportunités, le CA de l’organisation soit directement, soit
indirectement. La performance commerciale est alors portée par tous dans
l’organisation et ne se confond plus avec la performance des commerciaux. Nous
y voyons là un levier de développement fort, et souvent négligé.
Des salariés, parfois très éloignés en termes de fonction, du service commercial,
découvrent ou redécouvrent le client et par là même, leur vocation commerciale
même si elle n’est pas formalisée dans leur activité quotidienne. Ce «
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réinvestissement » par tous de la « chose commerciale » est une clé de succès
de la qualité de la prestation. La relation avec le marché et avec le client, vitale
pour toute organisation n’est plus l’affaire de quelques uns, mais bien de tous.
Le client est abordé dans toute son intégralité et non plus uniquement via l’acte
de vente, élément important de la chaîne certes, mais pas unique maillon de la
relation comme on semble trop souvent le croire.

- Adopter l’ascenseur du chercheur en pensant la Vente en micro, méso et


macro
En termes de champ de recherche, il est important de s’affranchir des classifications
usuelles liées aux secteurs d’activités ou aux types de vente (BtoB, grande
consommation et services), qui paraissaient peu porteuses de sens, car ce n’est
jamais dans la contingence et la spécificité que la connaissance se développe
(Savall, Zardet, 2004). L’observation participante pendant 8 années d’un cursus de
formation à la Vente a permis de montrer qu’il existait dans la vente un ensemble
de savoirs décontextualisables constituant un véritable corpus théorique. Le
champ de la recherche est donc vaste, il est l’activité marchande dans son sens

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La Vente : le nécessaire aggiornamento

le plus macro, les échanges marchands entre organisations (niveau meso), les
services commerciaux dans les entreprises, l’activité commerciale des individus
(micro), dans leur réalité. Il est aussi l’ « infra » dans la quête de l’implicite et des
signaux cachés, quand il touche aux représentations.

- Ouvrir la réflexion à des champs peu matures ou encore éloignés des pratiques
commerciales : comme les services publics, l’école, l’hôpital …
Nous évoluons dans un monde où l’attente de la performance commerciale est
de plus en plus forte et générale, et qui s’étend maintenant aux activités dites non
marchandes (Barth, 2003b).
Il s’agit également d’accompagner, ou, mieux, d’anticiper les grands
bouleversements de la relation vendeur/demandeur, producteur/consommateur
où l’on admet que le consommateur est créateur de valeur au même titre que
l’offreur. L’objectif est d’amener l’activité commerciale à plus de performance
économique dans le respect de ceux qui la portent.
Il semble donc essentiel de créer des passerelles, d’exporter en l’adaptant, le
modèle théorique, au monde non marchand, c’est-à-dire renouveler le modèle
d’efficacité économique sans perdre de vue ses enjeux spécifiques.

- Sortir la Vente de son statut de metis pour construire une theoria.


Le projet de recherche en Vente est alors de mieux définir et comprendre cette
activité à la fois si commune (tout le monde a été un jour ou l’autre vendeur) et si
complexe, de lui rendre une légitimité.
Cette ambition va de pair avec l’enjeu de combler le « grand fossé » (Baddoura
et Dussart, 1991) entre monde académique et monde des entreprises. Même
si Aron a pu affirmer que : « L’autonomie du champ scientifique est au cœur du
principe de sa constitution », la Vente peut œuvrer utilement pour les Sciences de
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Gestion en s’installant résolument comme une Science de l’action, c’est-à-dire une
science où il n’y a pas de rupture épistémique entre l’action et la réflexion, entre
‘ceux qui font’, et ‘ceux qui savent’. Une discipline fondée sur l’hypothèse que la
connaissance scientifique nait de l’interaction entre les gestionnaires-praticiens
et les gestionnaires-chercheurs. Ceci amène à repenser les lieux de production
de la connaissance, comme ceux de la transmission de cette connaissance : il
est urgent de ne plus voir la Vente uniquement comme un ensemble d’outils, de
techniques, de savoir faire se transmettant de façon « folklorique » (c’est à dire
par voie orale) ou par mimétisme. L’enjeu de construire un corpus théorique est
également celui de proposer des enseignements, des formations, des diplômes
dans ce champ, et d’oublier une fois pour toute la chimère d’un « chromosome
vendeur » qui entretient celle que l’on est ou que l’on naît vendeur, interdisant
tous les possibles de la formation ou de la connaissance dans ces domaines.
Nous proposons donc une exploration de la vente en trois dimensions (Barth,
2004), comme schématisée dans la Figure n°1 :

- une dimension praxéologique, qui renvoie à l’acte même de vente, à la

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16

transaction dans son acception la plus étroite, ce qui nous permettra d’étudier
la négociation commerciale, les problématiques de motivation et d’engagement
ainsi que les outils de gestion,
- une dimension cognitive sur laquelle peut se construire la relation, c’est-à-dire un
processus. Les notions d’éthiques, d’apprentissage, de stratégie appartiennent
alors à cette exploration,
- enfin, la dimension structurale (au sens de Bourdieu, 1987) qui interpelle le
contexte de l’entreprise et qui s’appuie sur le management, les représentations.
C’est là que la dimension de pilotage est la plus présente, même si elle apparaît
en filigrane dans les deux autres dimensions.
Le double projet est donc de faire passer la Vente de la metis à la theoria, et de
lui rendre sa capacité à créer de la performance, de la valeur, tant économique
qu’humaine. Le programme est ambitieux et si les recherches déjà existantes
remplissent quelques lignes de ce « contrat » de recherche, le chemin à parcourir
est encore long.
Il faut oser la rupture avec le Marketing et la Gestion des Ressources Humaines,
comme champs institutionnalisés de la recherche, pour quitter l’entre-deux. Il
reste à parer cette recherche de tous les attributs institutionnalisants d’un champ
disciplinaire, en intégrant les recommandations aux pratiques, afin de vendre de
façon qualitative et porteuse de valeur cette recherche, bref, pour le dire vite :
savoir faire la vente de la recherche aussi bien que la recherche sur la Vente.
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Construction du modèle

VENTE
THEORIA
action contexte
construction

Dimension Dimension Dimension


praxéologique cognitive structurale

PRAXIS négociation motivation stratégie éthique


management représentations
artefacts apprentissage

Acte/transaction Relation Pilotage

contrat
mandat
METIS
Création de valeur/performance commerciale
Observation des phénomènes
Théories normatives
(obligations morales) Théories téléologiques Théories des parties prenantes
Théories instrumentales (évaluent les actes sur la base Théories de l’agence
(les résultats sont contingents de leurs conséquences)
aux comportements)

Figure n°1 : Proposition d’une modélisation de la v ente* 1


La Vente : le nécessaire aggiornamento

* Construction inspirée de Verstraete, 2001

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