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Henri Zimnovitch
Dans Comptabilité Contrôle Audit 2012/3 (Tome 18), pages 185 à 192
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 9782311009095
DOI 10.3917/cca.183.0185
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The Routledge Companion to Accounting History, Sous la direction de John Richard Edwards et Stephen P. Walker,
Routledge, 2012, 212,20$, ISBN 10:0-415-41094-0, xvii + 619 pages
Depuis une vingtaine d’années, la recherche historique en comptabilité a produit un très grand nombre de travaux,
mais les conditions de valorisation de la recherche universitaire ont favorisé jusqu’à maintenant la création d’un savoir
morcelé en dizaines d’articles épars. Ces derniers ont été publiés dans des revues académiques spécialisées en compta-
bilité ou même en histoire de la comptabilité : The Accounting Historians Journal, créée en 1977, Accounting, Business
and Financial History, créée en 1990 et Accounting History, créée en 1995.
Deux anciens rédacteurs en chef de ces revues tentent ici une synthèse particulièrement bienvenue dans ce volumineux
ouvrage (619 pages). Alors qu’il y a vingt ans, dans l’introduction de « A History of Financial Accounting » J.R. Edwards
avait ressenti le besoin de justifier sa démarche en répondant longuement à la question « Why bother with accounting
history ? », il lui a semblé superflu aujourd’hui de se poser une telle question. Serait-ce que l’intérêt de la connaissance
de l’histoire de la comptabilité n’est plus à démontrer pour aucun chercheur ? Il est assurément beaucoup trop tôt pour
l’affirmer. Mais un pas a été franchi, assurément, et la qualité des travaux présentés dans cette synthèse ne manquera
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de l’ouvrage est particulièrement bien adaptée au travail des chercheurs en comptabilité, qui pourront y trouver rapi-
dement de quoi alimenter leurs réflexions. Cette structure permet également d’éviter le double piège du holisme et de
l’émiettement : D’un côté, « The Routledge Companion does not aspire to the latter lofty form of holism » (p. 3) et de
l’autre il commence la tâche consistant à relier les parties en un tout.
La première partie, intitulée « The discipline », plante le décor de l’histoire de la comptabilité, considérée comme
une sous discipline, organisée autour d’une communauté scientifique particulière, possédant ses associations et ses
propres lieux de rencontre. Les non spécialistes ne s’attarderont pas dans ces trois chapitres, mais en revanche tous les
acteurs de l’histoire de la comptabilité se délecteront des analyses très fines et très pertinentes qui y sont présentées,
concernant l’évolution d’un territoire scientifique et des tribus qui l’habitent. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les
deux coordinateurs de l’ouvrage y réalisent deux des trois contributions. L’article de Christopher Napier présente l’his-
toriographie de la discipline, mettant l’accent sur les courants de pensée qui se sont développés en son sein. Il montre
la séparation progressive entre deux visions de l’histoire de la comptabilité. La première, qu’il appelle « history of
accounting » s’intéresse particulièrement à la technique comptable : « Here, the researcher’s objective is to understand
accounting as a set of procedures or practices » (p. 31). La seconde vision est qualifiée de « socio-historical accounting
research » dans laquelle les chercheurs s’intéressent à la façon dont les individus et les organisations interagissent au
travers de la comptabilité.
Un des points les plus préoccupants pour la communauté des historiens de la comptabilité, est la difficulté à donner
une dimension réellement internationale aux recherches : la plupart des chercheurs s’intéressent essentiellement à
l’histoire de leur pays. D’autre part, ce qui est visible par les autres est ce qui est publié en anglais. Les coordinateurs
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réflexion très intéressantes sont suggérées, quand l’auteur mentionne les différences très importantes entre « the Anglo-
phone model of professionalism » d’une part, et ce qui s’est passé en France, en Belgique, en Espagne, au Portugal ou
dans les anciennes économies planifiées d’autre part. Un second chapitre est consacré à l’histoire des « multinational
professional service firms (the Big Four) » dans les trente dernières années, un troisième s’intéresse à l’histoire de la
formation des comptables et un quatrième à la normalisation. Dans ce dernier chapitre, on trouvera d’intéressantes
réflexions sur « the interplay between general theories of regulation and histories of accounting regulation » (p. 317).
L’accent est néanmoins mis sur l’impact de l’US Securities Act de 1933-1934 et les processus de régulation extérieurs
au monde anglo-saxon ne sont pas abordés.
La cinquième partie est intitulée « Economy » et comprend cinq chapitres : « Capitalism », « National accounting »,
« Finance and financial institutions », « Railroads » and « Scandals ». Ceux qui souhaitent se familiariser avec le débat
concernant les liens entre la comptabilité en parties doubles et le capitalisme trouveront dans le premier article une
synthèse des débats qui se sont poursuivis tout au long du xxe siècle. Le thème de la « National accounting » est peu
abordé par les historiens de la comptabilité, dans la mesure où il s’agit plus d’économie et de statistique que véritable-
ment de comptabilité dans le sens le plus courant du terme. Cependant, la richesse et la variété de la documentation
rassemblée pour cet article lui donnent un intérêt particulier. On apprend en particulier que la comptabilité nationale
est un système de comptes dont la normalisation a été confiée aux Nations unies. Les trois autres articles abordent des
thèmes déjà largement traités en dehors des cercles des historiens de la comptabilité.
La sixième partie est dédiée à ce qui peut paraître relativement extérieur à la comptabilité : « Society and culture ». Elle
traite de préoccupations apparues très récemment dans le domaine de l’histoire de la comptabilité. Des ponts sont
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■ Marc Nikitin,
Professeur à l’Université d’Orléans
Comptabilité, Société, Politique ; Mélanges en l’honneur du Professeur Bernard Colasse, Sous la direction de
Marc Nikitin et Chrystelle Richard, Economica, collection Gestion, Paris, 2012, 372 pages, 39 €,
ISBN 978-2-7178-6454-0
Cet ouvrage constitue l’hommage et les remerciements de la communauté scientifique francophone en comptabilité
au Professeur Bernard Colasse pour son départ en retraite. S’il est besoin de rappeler l’action de ce grand universitaire,
celle-ci est présentée de façon originale, à la fois dans la préface rédigée par le Professeur Dominique Roux et dans une
postface, sous forme du compte rendu d’une interview de Bernard Colasse réalisée en 2002 à HEC par Eve Chiapello.
On en retiendra, qu’il fut en 1979, l’un des fondateurs de l’Association Française de Comptabilité, dont il sera le
président de 1983 à 1985, qu’il créera le premier diplôme d’Etudes Approfondies en comptabilité en France en 1990
et qu’il a été le rédacteur en chef-fondateur de la revue Comptabilité – Contrôle – Audit en 1995. Parallèlement,
Professseur à l’Université Paris-Dauphine pendant quasiment toute sa carrière, il a été un des chercheurs français le
plus influent en comptabilité financière de sa génération. Ces activités ne l’auront pas empêché d’occuper de hautes
responsabilités : membre du Conseil National de la Comptabilité pendant 17 ans, présidence des jurys nationaux du
diplôme d’expertise comptable pendant 8 ans…
Ce Mélanges est rédigé de façon classique sous forme de 19 communications réalisées par 35 auteurs français et étran-
gers, universitaires ou enseignants dans des écoles de commerce. Il a la volonté et il y réussit, d’être un état de l’art de la
recherche comptable actuelle avec l’ambition, conforme à celle de Bernard Colasse, de dépasser une vision strictement
technique de la comptabilité et de la regarder sous les trois angles de l’économie, de la société et du politique. L’objectif
de chacune des contributions est de présenter pour leurs thématiques les termes des enjeux et débats actuels. Marc
Nikitin et Chrystelle Richard qui ont coordonné cet ouvrage, ont adroitement articulé les différentes contributions
en quatre parties : esquisse d’une épistémologie de la comptabilité, l’encastrement économique de la comptabilité, les
processus de régulation comptable et les communautés en comptabilité.
Il n’est malheureusement pas possible de rendre compte ici, de façon détaillée, de la totalité des contributions malgré
leur intérêt certain. Nous en retiendrons cependant les principaux résultats.
Dans la première partie traitant de l’épistémologie de la comptabilité, Thomas Jeanjean et Charles Piot nous offrent
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environnementale en créant un véritable marché en ce domaine. Nathalie Gonthier et Cédric Lesage, quant à eux,
débattent sur le délicat équilibre entre compétence et indépendance dans la relation auditeur/audité en audit légal.
La quatrième et dernière partie traite de l’histoire et de la vie de la communauté comptable dans sa diversité et ses
espérances. Alain Burlaud et Roland Perez s’interrogent sur le caractère de bien commun de la comptabilité. En fait,
pour les auteurs il y aurait plutôt une large appropriation de cette dernière par des acteurs plaçant une barrière à
l’entrée subtilement fondée sur sa complexité technique. Geneviève Causse prône une nécessité pour les banques isla-
miques, non seulement d’utiliser les meilleures techniques de comptabilité, mais également d’élaborer un référentiel
afin de conserver leur identité. Pierre Labardin et Carlos Ramirez nous proposent une histoire des comptables et des
cabinets d’audit et donnent des pistes sur l’avenir de la profession comptable. Claire Dambrin et Caroline Lambert
posent le problème de la rareté des femmes aux plus hauts niveaux de la profession comptable et sur leur propre
expérience en tant que chercheur en comptabilité dans le domaine du genre. Nicolas Berland et Benjamin Dreveton
débattent d’un sujet sensible pour les enseignants-chercheurs : leur évaluation. Selon eux, s’il est légitime qu’ils fassent
l’objet d’une évaluation, celle-ci devrait pouvoir se faire de manière apaisée. C’est dans cette optique qu’ils nous livrent
quelques pistes. Enfin, Jean-Louis Malo, revient sur le thème de l’évaluation avec l’histoire et le devenir de la revue
Comptabilité Contrôle Audit (CCA).
En conclusion, nous ne saurions que recommander à tous la lecture de cet ouvrage. En effet, en dehors de nous rap-
peler l’action d’un des fondateurs de la comptabilité financière en tant que discipline universitaire, il peut prétendre
à se positionner comme le livre de référence sur l’état de l’art de la recherche en ce domaine et nous donner des pistes
de réflexion pour l’avenir de notre communauté.
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Grâce au soutien financier du Columbia Council for Research in the Social Sciences, Karl Polanyi put travailler pen-
dant cinq années, de 1948 à 1952, à La subsistance de l’homme sans parvenir y mettre un terme avant sa mort en 1964.
C’est grâce à Harry Pearson, l’un de ses anciens étudiants, que l’ouvrage prit forme en 1977. Il est traduit et publié
en France pour la première fois en 2011.
À l’image de son parcours personnel, Karl Polanyi n’était pas un chercheur ordinaire au sens où l’auteur de La grande
transformation, ouvrage qui lui donna sa renommée mondiale, a toujours cherché à comprendre comment l’économie
s’articulait – nous dirions aujourd’hui s’encastrait – avec les questions plus larges de la vie sociale. Alors que La grande
transformation s’intéressait à la façon dont la révolution industrielle et le capitalisme ont transformé la société par le
biais d’une marchandisation de la terre, du travail et de la monnaie et ont conduit à un désencastrement de l’écono-
mie, La subsistance de l’homme revient aux prémices du développement économique.
Pour cela, Polanyi commence par expliquer comment l’idée d’un marché dominateur s’est imposée à tort dans l’his-
toire de la pensée économique. Il bat ensuite en brèche l’argument d’une intégration progressive du commerce, de la
monnaie et du marché, constitutifs de l’économie moderne ; au contraire, il plaide pour une approche fondée tant sur
les continuités et les discontinuités de l’histoire économique que sur la multiplicité des modèles de développement :
le marché, en tant que forme dominante des relations sociales et mode d’intégration de l’économie dans la société,
serait alors non pas l’issue actuelle d’un long processus historique, mais une rupture avec les économies antérieures.
Cette remise en cause d’un marché tout-puissant, régulateur et atemporel, lui permet de distinguer deux formes d’éco-
nomie. La première est celle d’une économie « substantielle » où celle-ci a pour fonction de fournir à l’homme et au
corps social sa « subsistance » et où elle constitue un élément parmi d’autres de l’organisation de la société. La seconde,
« formelle », se caractérise non pas par sa formalisation mathématique actuelle, mais par un processus de réduction du
réel au principe de rareté économique, où l’individu serait contraint au choix rationnel utilitariste, fondé à la fois sur la
maximisation de ses satisfactions matérielles et sur l’ajustement de ses moyens à ses fins ; il en résulterait une forme de
tropisme épistémologique où la recherche en économie – et pourquoi pas, en gestion – se désencastrerait de la société
et négligerait les apports des autres disciplines des sciences sociales. Pour Polanyi, la solution passe alors par une forme
d’épistémologie de la complexité – telle que peut l’énoncer E. Morin – où l’histoire, plus particulièrement, serait à
même de mettre à jour les nombreuses ramifications et entrelacements de l’économie et de la sphère sociale.
Puis, Polanyi s’attache à montrer comment l’économie a d’abord – voire toujours – été insérée dans un système de
relations complexes où un système d’« équivalences », « moyens grâce auxquels on établit des rapports quantitatifs entre
des biens de types différents » (p. 114) et substitut actif de la monnaie, qui permet la réciprocité et la redistribution
entre les différentes strates de la société. Ainsi, la société antique développa des institutions alternatives, à même de
réguler les échanges, à l’instar du tankarum (p. 216), dont le rôle, dépassant celui d’un marchand privé, est d’orga-
niser les échanges.
Polanyi achève la première partie de l’ouvrage sur la distinction entre deux types de marchés ; l’un, local, interne et
tourné vers « la répartition locale de la nourriture » (p. 201) ; l’autre, orienté vers le commerce extérieur, organisé par la
Cité-État, et se focalisant sur « l’acquisition de biens à l’extérieur » (p. 201).
En s’intéressant particulièrement au rôle des marchés dans la Grèce antique, Polanyi reprend dans la seconde partie de
l’ouvrage la trame de la thèse défendue dans la première partie. Au travers de l’exemple du marché local de l’agora, il
montre que celui-ci est au service de la Polis et a pour fonction principale la subsistance des citoyens alors que le com-
merce extérieur joue le rôle d’une sécurisation des approvisionnements en céréales. Ces deux systèmes, l’un dominé
par le marché, l’autre par l’économie administrée, peuvent être occasionnellement et incidemment en contact mais
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choses et les hommes, et, de ce fait, nous invite à revisiter les mots pour le dire ; à ce titre, il convient de souligner
combien il est difficile pour le lecteur de se départir du sens de mots courants – marché, monnaie, etc. – pour intégrer
dans sa propre compréhension celui que leur donne Polanyi ; lire cet ouvrage s’apparente à s’engager dans une véritable
archéologie de la pensée sociale et économique.
Ensuite, ce livre constitue une source précieuse de questionnement pour les chercheurs en sciences sociales, et notam-
ment en sciences de gestion. En effet, l’un de ses principaux apports tient au fait qu’au travers de sa démarche et de
ses choix épistémologiques, Polanyi nous interroge sur la fonction du chercheur en sciences sociales. Comme il l’écrit
lui-même et tout en ayant conscience de son rôle « marginal » (p. 16), « l’historien ne peut plus rester à l’écart des besoins
de son époque » (p. 15) ; le chercheur se doit d’« être un esprit libre […] en quête inlassable de vérité » (p. XXV). Pour Pola-
nyi, il s’agit ici de défaire l’idée reçue du « dogme de la continuité organique » (p. 30) où « la séquence “économie naturelle,
économie monétaire, économie de crédit” » deviendrait « comme une prétendue loi du développement » (p. 29) et d’éviter
de « Restreindre exclusivement le domaine du genre économique aux phénomènes de marché » (p. 38). Au travers de ses
objets de recherche, le chercheur en sciences sociales a pour fonction d’interroger le fonctionnement du monde et de
proposer, souvent en marge des courants dominants, d’autres compréhensions possibles de celui-ci. À une époque où
la recherche tend à s’uniformiser au travers de standards académiques fortement discutables, le livre de Polanyi est
un appel à penser celle-ci autrement, c’est-à-dire à être capable – et donc à avoir le courage – de prendre des risques,
notamment en s’engageant sur des recherches longues et aux issues incertaines. Critiqués à leur époque, les apports
d’un Polanyi, d’une Arendt ou d’un Foucault à notre façon de penser l’histoire, mais aussi la gestion pour ce dernier,
sont aujourd’hui incontestables. Si leur façon de recourir à l’histoire peut – et doit – encore et toujours être discutée,
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■ Nicolas Praquin
Professeur à l’Université Paris-Sud, Laboratoire du Pesor
Crise dans la gouvernance. Éthique des affaires et recherche du profit, François Valérian,
ESKA, 2011, 271 pages, 26 €, ISBN 978-2-7472-1780-4.
François Valérian, X-Mines, docteur en histoire, ancien banquier d’affaires, dans le livre qu’il vient de publier, pose
en 9 chapitres un diagnostic sur la crise mondiale que nous traversons et propose une réforme de la gouvernance des
grandes entreprises pour éviter qu’elle ne se reproduise.
Dans les deux premiers chapitres, l’auteur s’interroge sur le rapport entre éthique et entreprise. Selon lui, « loin d’être
une loi morale, la responsabilité sociale de l’entreprise est une pratique visant à atténuer les tensions entre entreprise et
société » (p. 25) ; sur la base des Principes des Nations unies pour l’investissement, il constate que les résultats auxquels
sont parvenues les organisations restent difficiles à évaluer car « la responsabilité sociale se déclare davantage qu’elle
ne se mesure, et il n’existe pas pour l’étalonner de mètre universel » (p. 32). D’ailleurs, « une entreprise peut-elle être
éthique ? » (p. 35), après avoir exposé les vues optimistes de Porter, il se montre réservé sur une réponse par l’affirma-
tive. Une analyse du cas Siemens lui fournit matière à croire que l’on ne peut pas compter sur la seule bonne volonté
des entreprises à satisfaire l’intérêt général et qu’il convient de réfléchir à des mesures réglementaires. Son opinion
profonde apparaîtra aux dernières lignes du livre : « les entreprises doivent rechercher le profit, telle est leur responsa-
bilité principale, peut-être même leur seule responsabilité » (p. 215).
Auparavant, François Valérian va revenir sur les crises passées pour chercher à comprendre dans quel sens il faudrait
agir. Il commence par rendre compte dans son chapitre 3 de la spécificité de la crise de 2007-2009 ; il démonte le
mécanisme de la titrisation par pooling et tranching, explique les CDO, MBS et CDS, la transmutation de prêt
subprime avec le concours des agences de notation, il présente le rôle des principales banques d’affaires (Bear Sterns,
Lehman Brothers, Merril Lynch…) et de l’assureur AIG. Dans un chapitre suivant, il remonte à la précédente crise
qui suivit la bulle dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication avec les affaires Worldcom,
Enron et Vivendi et leur trouve un point commun : « personne ne semble avoir mis en cause les stratégies très risquées
d’investissements massifs à très fort effet de levier » (p. 111) ce qui le conduit à une réflexion, au chapitre 5, sur l’ins-
tabilité des marchés. Dans celui-ci, il revisite la théorie de marchés efficients qui reviendraient toujours à l’équilibre,
dont l’instabilité passagère pourrait se corriger par des réformes techniques. À la place de cette vision, il considère
« que les marchés, dans les périodes d’équilibre instable, recherchent en permanence la prochaine croyance partagée, la
prochaine vague d’investissement frénétique et de gros profits » (p. 130). Dans cette perspective, l’affaire Madoff n’est
pas une aberration, certes elle est l’œuvre malhonnête d’un individu, mais au-delà elle est le symptôme de l’aveugle-
ment d’investisseurs qui se laissent illusionner, elle révèle une dynamique spéculative qui s’empare des organisations
et à laquelle rien ne semble pouvoir s’opposer. Quand bien même « quelques-uns (sic) à l’intérieur des entreprises
expriment leur inquiétude [ils] ne sont généralement pas entendus car leur vérité est trop inconfortable et nuirait aux
rémunérations aussi bien qu’au profit de l’entreprise » (p. 131). Dans les derniers chapitres du livre, l’auteur va s’atta-
cher à proposer des pistes pour surmonter cet obstacle dans la gouvernance des organisations.
Dans le chapitre 6, les principes du gouvernement de la grande entreprise moderne et l’importance prise par leurs
managers sont exposés, l’auteur rappelle les dérives auxquelles ont mené les mécanismes d’incitation pécuniaire pour
aligner l’intérêt des dirigeants de la firme sur celui de leurs actionnaires. Pour prévenir les risques d’emballement,
François Valérian insiste sur la nécessité d’un contre-pouvoir au sein de l’organisation, capable de poser les ques-
tions qui dérangent, de mener des audits internes indépendants. Le rôle et les limites du contrôle externe à la firme
(exercé par les agences de notation, les analystes financiers, les commissaires aux comptes) font l’objet du chapitre 7.
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■ Henri Zimnovitch
Professeur à l’Université Paris-Sud, Laboratoire du Pesor