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La Revue des livres

Henri Zimnovitch
Dans Comptabilité Contrôle Audit 2012/3 (Tome 18), pages 185 à 192
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 9782311009095
DOI 10.3917/cca.183.0185
© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 13/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 154.66.162.142)

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La Revue des livres


Rubrique dirigée par Henri Zimnovitch

The Routledge Companion to Accounting History, Sous la direction de John Richard Edwards et Stephen P. Walker,
Routledge, 2012, 212,20$, ISBN 10:0-415-41094-0, xvii + 619 pages

Depuis une vingtaine d’années, la recherche historique en comptabilité a produit un très grand nombre de travaux,
mais les conditions de valorisation de la recherche universitaire ont favorisé jusqu’à maintenant la création d’un savoir
morcelé en dizaines d’articles épars. Ces derniers ont été publiés dans des revues académiques spécialisées en compta-
bilité ou même en histoire de la comptabilité : The Accounting Historians Journal, créée en 1977, Accounting, Business
and Financial History, créée en 1990 et Accounting History, créée en 1995.
Deux anciens rédacteurs en chef de ces revues tentent ici une synthèse particulièrement bienvenue dans ce volumineux
ouvrage (619 pages). Alors qu’il y a vingt ans, dans l’introduction de « A History of Financial Accounting » J.R. Edwards
avait ressenti le besoin de justifier sa démarche en répondant longuement à la question « Why bother with accounting
history ? », il lui a semblé superflu aujourd’hui de se poser une telle question. Serait-ce que l’intérêt de la connaissance
de l’histoire de la comptabilité n’est plus à démontrer pour aucun chercheur ? Il est assurément beaucoup trop tôt pour
l’affirmer. Mais un pas a été franchi, assurément, et la qualité des travaux présentés dans cette synthèse ne manquera
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pas d’en amplifier les effets.
Ce livre marque donc l’aboutissement d’une longue période de recherches universitaires ; la production d’un grand
nombre d’articles a permis qu’un nombre significatif de collègues se familiarisent avec les techniques de la recherche
historique. Parce que les historiens « professionnels » ne s’y intéressaient pas, ou insuffisamment, on a vu dans de
nombreux pays se développer des groupes de chercheurs issus des facultés ou départements de comptabilité, devenir
progressivement des historiens de la comptabilité, de la même façon qu’il y a des historiens du droit, des historiens
des entreprises ou de la diplomatie. Ce n’est donc pas uniquement la quantité des travaux de recherche qui est remar-
quable, mais aussi l’augmentation sensible de la qualité de ces travaux. De nombreux historiens amateurs ou simples
curieux du passé sont devenus progressivement des chercheurs rigoureux, rompus aux méthodes du métier d’historien
et capables de donner du sens aux faits qu’ils allaient extraire des archives. Si la synthèse était rendue nécessaire en
raison de l’éparpillement des travaux individuels, elle était devenue possible en raison de l’augmentation de la quali-
fication des auteurs en tant qu’historiens. Comme Christopher Napier l’indique page 39 : « At the beginning of the
twenty-first century, historical accounting research has certainly reached a stage of maturity… ». L’ouvrage arrive donc
à point nommé pour consolider les acquis de cette « free standing international community ».
Ce livre a donc l’ambition d’être une synthèse de nos connaissances sur l’histoire de la comptabilité, écrite en 28 articles
(37 coauteurs1) et coordonnée par deux collègues chevronnés et particulièrement bien placés pour observer ce qui s’est
produit dans le domaine de l’histoire de la comptabilité depuis 30 ans. Ils sont en outre membres d’un des centres de
recherche les plus actifs en histoire des entreprises : la « Business History Research Unit » de l’Université de Cardiff.
La qualité littéraire des textes est telle que la lecture en est facile, et le plus souvent agréable ; en outre, la mention de
quelques « key works » (des articles ou des ouvrages particulièrement importants) au début de chaque article ajoute
encore au confort d’utilisation de cet ouvrage. Ce n’est cependant pas une histoire linéaire, des origines à nos jours,
mais une histoire thématique, dans laquelle le lecteur peut entrer là où il le souhaite, en fonction de ses propres centres
d’intérêt. Autre avantage pour les chercheurs : il est question plus particulièrement des « emerging subjects » (p. 4).
Chacun des 28 articles, regroupés dans l’une des sept sections2, traite de l’histoire de la comptabilité vue sous un angle
particulier ; on peut citer, pêle-mêle : taxation, railroads, education, professionalisation, financial accounting theory,
management accounting theory and practice, capitalism, national accounting, religion, the State, etc. Cette structure

1. Dont deux seulement hors du monde anglophone.


2. The discipline, Technologies, Theory and practice, Institutions, Economy, Society and culture, Polity.

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de l’ouvrage est particulièrement bien adaptée au travail des chercheurs en comptabilité, qui pourront y trouver rapi-
dement de quoi alimenter leurs réflexions. Cette structure permet également d’éviter le double piège du holisme et de
l’émiettement : D’un côté, « The Routledge Companion does not aspire to the latter lofty form of holism » (p. 3) et de
l’autre il commence la tâche consistant à relier les parties en un tout.
La première partie, intitulée « The discipline », plante le décor de l’histoire de la comptabilité, considérée comme
une sous discipline, organisée autour d’une communauté scientifique particulière, possédant ses associations et ses
propres lieux de rencontre. Les non spécialistes ne s’attarderont pas dans ces trois chapitres, mais en revanche tous les
acteurs de l’histoire de la comptabilité se délecteront des analyses très fines et très pertinentes qui y sont présentées,
concernant l’évolution d’un territoire scientifique et des tribus qui l’habitent. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les
deux coordinateurs de l’ouvrage y réalisent deux des trois contributions. L’article de Christopher Napier présente l’his-
toriographie de la discipline, mettant l’accent sur les courants de pensée qui se sont développés en son sein. Il montre
la séparation progressive entre deux visions de l’histoire de la comptabilité. La première, qu’il appelle « history of
accounting » s’intéresse particulièrement à la technique comptable : « Here, the researcher’s objective is to understand
accounting as a set of procedures or practices » (p. 31). La seconde vision est qualifiée de « socio-historical accounting
research » dans laquelle les chercheurs s’intéressent à la façon dont les individus et les organisations interagissent au
travers de la comptabilité.
Un des points les plus préoccupants pour la communauté des historiens de la comptabilité, est la difficulté à donner
une dimension réellement internationale aux recherches : la plupart des chercheurs s’intéressent essentiellement à
l’histoire de leur pays. D’autre part, ce qui est visible par les autres est ce qui est publié en anglais. Les coordinateurs
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de l’ouvrage sont parfaitement conscients de cette faiblesse : « There are concerns about the Anglo-Saxon dominance
of the discipline. Most authors in English-speaking journals tend to focus on the accounting histories of their own
countries post-1900 » (p. 65). En outre, les appels à développer une histoire internationale et comparative ne sont
pas vraiment entendus et force est de constater (p. 63) « … that collaboration, particularly international alliances, is
less common in accounting history research (than in the general accounting literature). » Dans ces conditions, il est
très difficile d’éviter que l’historiographie qu’on nous présente ne soit, comme des historiens l’ont souvent remarqué,
que « l’historiographie des vainqueurs », c’est-à-dire l’historiographie de ceux dont la langue maternelle s’est imposée
comme langue de communication internationale pour les chercheurs. Il n’est bien sûr pas question de revenir là-des-
sus : les coûts de traduction élevés ne permettent pas que toute la documentation soit disponible, même dans une seule
langue, et l’on ne peut demander aux chercheurs de parler quatre ou cinq langues différentes. Il reste néanmoins que
la principale faiblesse de ce Routlege companion to accounting history est de nous apprendre peu au sujet de l’histoire
des systèmes comptables de l’Europe continentale ou du Japon.
La seconde partie s’intitule « technologies » et rassemble en réalité des travaux très divers, puisque l’on traite successive-
ment de « Ancient accounting » (principalement la Mésopotamie et l’ancienne Égypte), « Bookkeeping » (De la Grèce
antique jusqu’à la fin du xixe siècle) et de « Mechanisation and computerisation » au xxe siècle.
La 3e partie traite de « Theory and practice ». Quatre chapitres sont nécessaires pour balayer tout le champ de ce que
l’on appelle la comptabilité : « Financial accounting theory », « Financial accounting practice », « Management accoun-
ting theory and practice » et « Auditing ». Le premier chapitre présente une histoire de la comptabilité financière dans
le monde anglophone ; le second et le quatrième adoptent une démarche similaire. On peut bien sûr regretter que ces
chapitres se concentrent sur la période postérieure à 1870 et sur le monde anglo-saxon. Les difficultés récentes rencon-
trées dans l’harmonisation comptable internationale témoignent de l’existence de plusieurs points de vue (allemand,
japonais, latin en particulier) difficiles à concilier et à harmoniser. Ces points de vue et leur harmonisation auraient
mérités que des scientifiques s’intéressent à leur existence, d’autant plus que la littérature existe sur ces sujets et que
des chercheurs auraient pu être sollicités. En revanche, le chapitre concernant la comptabilité de gestion est rédigé par
un des plus éminents spécialistes de la discipline, et il adopte une démarche beaucoup plus internationale. Il aborde
aussi bien les « Iberian roots » que la « French cost accounting theory » ou les « recent costing developments in Asia ».
La très riche bibliographie qui est présentée à la fin de cet article témoigne de l’érudition de l’auteur et de sa volonté
de s’ouvrir au monde.
La quatrième partie est consacrée aux « Institutions ». L’histoire de la professionnalisation des comptables est présen-
tée en premier, avec le souci d’aborder la formation des professions comptables dans différents pays. Des pistes de

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réflexion très intéressantes sont suggérées, quand l’auteur mentionne les différences très importantes entre « the Anglo-
phone model of professionalism » d’une part, et ce qui s’est passé en France, en Belgique, en Espagne, au Portugal ou
dans les anciennes économies planifiées d’autre part. Un second chapitre est consacré à l’histoire des « multinational
professional service firms (the Big Four) » dans les trente dernières années, un troisième s’intéresse à l’histoire de la
formation des comptables et un quatrième à la normalisation. Dans ce dernier chapitre, on trouvera d’intéressantes
réflexions sur « the interplay between general theories of regulation and histories of accounting regulation » (p. 317).
L’accent est néanmoins mis sur l’impact de l’US Securities Act de 1933-1934 et les processus de régulation extérieurs
au monde anglo-saxon ne sont pas abordés.
La cinquième partie est intitulée « Economy » et comprend cinq chapitres : « Capitalism », « National accounting »,
« Finance and financial institutions », « Railroads » and « Scandals ». Ceux qui souhaitent se familiariser avec le débat
concernant les liens entre la comptabilité en parties doubles et le capitalisme trouveront dans le premier article une
synthèse des débats qui se sont poursuivis tout au long du xxe siècle. Le thème de la « National accounting » est peu
abordé par les historiens de la comptabilité, dans la mesure où il s’agit plus d’économie et de statistique que véritable-
ment de comptabilité dans le sens le plus courant du terme. Cependant, la richesse et la variété de la documentation
rassemblée pour cet article lui donnent un intérêt particulier. On apprend en particulier que la comptabilité nationale
est un système de comptes dont la normalisation a été confiée aux Nations unies. Les trois autres articles abordent des
thèmes déjà largement traités en dehors des cercles des historiens de la comptabilité.
La sixième partie est dédiée à ce qui peut paraître relativement extérieur à la comptabilité : « Society and culture ». Elle
traite de préoccupations apparues très récemment dans le domaine de l’histoire de la comptabilité. Des ponts sont
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créés entre l’histoire de la comptabilité d’une part, et des thèmes qui pourraient en paraître éloignés d’autre part : Gen-
der, Race and ethnicity, Indigenous people and colonialism, Emancipation, Religion and Creative arts. On y étudie
la place des femmes et des « non-blancs » dans la profession comptable, la place de la comptabilité dans le processus
de colonisation ou dans les organisations religieuses, l’influence de la pensée religieuse sur les pratiques comptables, la
place de la comptabilité dans les arts.
La dernière partie traite de « Polity » (l’État) et aborde trois thèmes : « The State », « Military » and « Taxation ». Dans
le premier d’entre eux, on nous raconte la comptabilité en tant que moyen pour l’état de « rendre des comptes »
(p. 543), depuis la plus haute Antiquité jusqu’à nos jours. Le second examine les thèmes militaires dans l’histoire de
la comptabilité, ainsi que l’utilisation de la comptabilité pour mesurer les performances des institutions militaires.
Le 3e aborde les problèmes de fiscalité, et montre en quoi l’histoire de la fiscalité, déjà bien documentée, peut éclairer
celle de la comptabilité.
Pour la rédaction de chaque chapitre, les 37 auteurs s’étaient vus assigner l’objectif de : « provide a balanced overview
of current knowledge, identify issues, discuss relevant debates and reflect on research opportunities ». On peut consi-
dérer, après la lecture de l’ensemble de l’ouvrage, qu’ils ont largement rempli leur mission. Quant aux coordinateurs
ils ont réussi à organiser la publication d’un ouvrage cohérent et passionnant, là où la dispersion et le désordre ren-
daient une telle entreprise indispensable. Enfin, nous n’oublions pas que les lacunes concernant l’histoire « non anglo-
saxonne » relèvent également de notre responsabilité. Pour les francophones, ce livre est donc aussi une invitation…

■ Marc Nikitin,
Professeur à l’Université d’Orléans

Comptabilité, Société, Politique ; Mélanges en l’honneur du Professeur Bernard Colasse, Sous la direction de
Marc Nikitin et Chrystelle Richard, Economica, collection Gestion, Paris, 2012, 372 pages, 39 €,
ISBN 978-2-7178-6454-0

Cet ouvrage constitue l’hommage et les remerciements de la communauté scientifique francophone en comptabilité
au Professeur Bernard Colasse pour son départ en retraite. S’il est besoin de rappeler l’action de ce grand universitaire,
celle-ci est présentée de façon originale, à la fois dans la préface rédigée par le Professeur Dominique Roux et dans une

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postface, sous forme du compte rendu d’une interview de Bernard Colasse réalisée en 2002 à HEC par Eve Chiapello.
On en retiendra, qu’il fut en 1979, l’un des fondateurs de l’Association Française de Comptabilité, dont il sera le
président de 1983 à 1985, qu’il créera le premier diplôme d’Etudes Approfondies en comptabilité en France en 1990
et qu’il a été le rédacteur en chef-fondateur de la revue Comptabilité – Contrôle – Audit en 1995. Parallèlement,
Professseur à l’Université Paris-Dauphine pendant quasiment toute sa carrière, il a été un des chercheurs français le
plus influent en comptabilité financière de sa génération. Ces activités ne l’auront pas empêché d’occuper de hautes
responsabilités : membre du Conseil National de la Comptabilité pendant 17 ans, présidence des jurys nationaux du
diplôme d’expertise comptable pendant 8 ans…
Ce Mélanges est rédigé de façon classique sous forme de 19 communications réalisées par 35 auteurs français et étran-
gers, universitaires ou enseignants dans des écoles de commerce. Il a la volonté et il y réussit, d’être un état de l’art de la
recherche comptable actuelle avec l’ambition, conforme à celle de Bernard Colasse, de dépasser une vision strictement
technique de la comptabilité et de la regarder sous les trois angles de l’économie, de la société et du politique. L’objectif
de chacune des contributions est de présenter pour leurs thématiques les termes des enjeux et débats actuels. Marc
Nikitin et Chrystelle Richard qui ont coordonné cet ouvrage, ont adroitement articulé les différentes contributions
en quatre parties : esquisse d’une épistémologie de la comptabilité, l’encastrement économique de la comptabilité, les
processus de régulation comptable et les communautés en comptabilité.
Il n’est malheureusement pas possible de rendre compte ici, de façon détaillée, de la totalité des contributions malgré
leur intérêt certain. Nous en retiendrons cependant les principaux résultats.
Dans la première partie traitant de l’épistémologie de la comptabilité, Thomas Jeanjean et Charles Piot nous offrent
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un bilan de la recherche en comptabilité positive. Marie-Astrid Le Theule et Anne Pezet, de manière très originale,
nous présentent un parallèle entre la comptabilité et les arts créatifs, plus précisément le théâtre. Elles nous montrent
le théâtre que peut être la comptabilité et la comptabilité du théâtre. De manière ambivalente, la comptabilité, comme
convention sociale, peut être à la fois un outil de manipulations, complice des dérives financières, mais aussi l’ins-
trument qui les révèle. Les deux rédacteurs concluent qu’il serait peut-être utile de faire appel aux auteurs de romans
et de pièces de théâtre afin de comprendre et d’utiliser leurs façons d’écrire. Yannick Lemarchand et Marc Nikitin
s’interrogent, à la suite de Bernard Colasse, sur deux types de problèmes auxquels sont confrontés les chercheurs
utilisant la méthode historique en management : y a-t-il une méthode en histoire et l’histoire a-t-elle une utilité en
gestion ? Quant à Yves Dupuy et Robert Teller, ils reviennent, pour conclure cette première partie épistémologique,
sur ce qu’est un chercheur en comptabilité et à quoi sert la recherche en comptabilité.
La deuxième partie montre l’encastrement économique de la comptabilité qui est un puissant outil de traduction des
enjeux économiques et financiers d’une entité. Céline Michaïlesco et Véronique Rougès mettent en évidence l’impor-
tance de l’information comptable sur l’action managériale et donc sur le choix de référentiel comptable. Jean-François
Casta et Hervé Stolowy s’interrogent, quant à eux, sur ce qu’est une bonne information comptable. Ils dressent une
typologie de la recherche sur la qualité comptable qui reste une notion floue et proposent de nouvelles pistes pour
la recherche. Tiphaine Comperolle et Christelle Richard étudient les enjeux sociaux de l’audit qui est en crise. Elles
s’interrogent sur les perspectives du marché de l’audit et de l’audit lui-même, ainsi que sur le rôle du chercheur dans
la crise de l’audit. La posture de l’auditeur devrait, pour les auteurs, être en interaction avec les acteurs du monde de
l’entreprise. Eve Chiapello nous propose une vision inverse, en montrant que la comptabilité contribue au désencas-
trement de l’économie dans les sociétés contemporaines en détachant l’économie confinée aux chiffres aux aspects
sociaux et politiques. Au-delà, la comptabilité joue un rôle important en performant les notions nouvelles inventées
par la science économique.
La troisième partie traite du processus de régulation comptable qui reste une des principales problématiques de
recherche du champ de la comptabilité financière. Rouba Chantiri-Chaudemanche et Christine Pochet nous rappel-
lent que la production de normes comptables est un processus politique avec des acteurs aux intérêts divergents, mais
qui est aujourd’hui tournée vers les investisseurs. Michel Capron et Françoise Quairel-Lanoizelée ainsi que Florence
Depoers et Jacques Richard se sont penchés sur l’intégration d’indicateurs sociaux et environnementaux, prenant en
compte la dimension développement durable, dans le reporting et les documents sociaux. Frédérique Dejean et Bruno
Oxibar s’intéressent à l’investissement socialement responsable (ISR) sur les marchés financiers. En particulier, ils mon-
trent que l’obligation de diffusion d’informations environnementales a renforcé l’importance des agences de notation

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environnementale en créant un véritable marché en ce domaine. Nathalie Gonthier et Cédric Lesage, quant à eux,
débattent sur le délicat équilibre entre compétence et indépendance dans la relation auditeur/audité en audit légal.
La quatrième et dernière partie traite de l’histoire et de la vie de la communauté comptable dans sa diversité et ses
espérances. Alain Burlaud et Roland Perez s’interrogent sur le caractère de bien commun de la comptabilité. En fait,
pour les auteurs il y aurait plutôt une large appropriation de cette dernière par des acteurs plaçant une barrière à
l’entrée subtilement fondée sur sa complexité technique. Geneviève Causse prône une nécessité pour les banques isla-
miques, non seulement d’utiliser les meilleures techniques de comptabilité, mais également d’élaborer un référentiel
afin de conserver leur identité. Pierre Labardin et Carlos Ramirez nous proposent une histoire des comptables et des
cabinets d’audit et donnent des pistes sur l’avenir de la profession comptable. Claire Dambrin et Caroline Lambert
posent le problème de la rareté des femmes aux plus hauts niveaux de la profession comptable et sur leur propre
expérience en tant que chercheur en comptabilité dans le domaine du genre. Nicolas Berland et Benjamin Dreveton
débattent d’un sujet sensible pour les enseignants-chercheurs : leur évaluation. Selon eux, s’il est légitime qu’ils fassent
l’objet d’une évaluation, celle-ci devrait pouvoir se faire de manière apaisée. C’est dans cette optique qu’ils nous livrent
quelques pistes. Enfin, Jean-Louis Malo, revient sur le thème de l’évaluation avec l’histoire et le devenir de la revue
Comptabilité Contrôle Audit (CCA).
En conclusion, nous ne saurions que recommander à tous la lecture de cet ouvrage. En effet, en dehors de nous rap-
peler l’action d’un des fondateurs de la comptabilité financière en tant que discipline universitaire, il peut prétendre
à se positionner comme le livre de référence sur l’état de l’art de la recherche en ce domaine et nous donner des pistes
de réflexion pour l’avenir de notre communauté.
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■ Yves Levant
Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et Skema Business School.

La subsistance de l’homme. La place de l’économie dans l’histoire et la société, Karl Polanyi,


Flammarion, 1977, 26,40 €, éd. 2011 en France

Grâce au soutien financier du Columbia Council for Research in the Social Sciences, Karl Polanyi put travailler pen-
dant cinq années, de 1948 à 1952, à La subsistance de l’homme sans parvenir y mettre un terme avant sa mort en 1964.
C’est grâce à Harry Pearson, l’un de ses anciens étudiants, que l’ouvrage prit forme en 1977. Il est traduit et publié
en France pour la première fois en 2011.
À l’image de son parcours personnel, Karl Polanyi n’était pas un chercheur ordinaire au sens où l’auteur de La grande
transformation, ouvrage qui lui donna sa renommée mondiale, a toujours cherché à comprendre comment l’économie
s’articulait – nous dirions aujourd’hui s’encastrait – avec les questions plus larges de la vie sociale. Alors que La grande
transformation s’intéressait à la façon dont la révolution industrielle et le capitalisme ont transformé la société par le
biais d’une marchandisation de la terre, du travail et de la monnaie et ont conduit à un désencastrement de l’écono-
mie, La subsistance de l’homme revient aux prémices du développement économique.
Pour cela, Polanyi commence par expliquer comment l’idée d’un marché dominateur s’est imposée à tort dans l’his-
toire de la pensée économique. Il bat ensuite en brèche l’argument d’une intégration progressive du commerce, de la
monnaie et du marché, constitutifs de l’économie moderne ; au contraire, il plaide pour une approche fondée tant sur
les continuités et les discontinuités de l’histoire économique que sur la multiplicité des modèles de développement :
le marché, en tant que forme dominante des relations sociales et mode d’intégration de l’économie dans la société,
serait alors non pas l’issue actuelle d’un long processus historique, mais une rupture avec les économies antérieures.
Cette remise en cause d’un marché tout-puissant, régulateur et atemporel, lui permet de distinguer deux formes d’éco-
nomie. La première est celle d’une économie « substantielle » où celle-ci a pour fonction de fournir à l’homme et au
corps social sa « subsistance » et où elle constitue un élément parmi d’autres de l’organisation de la société. La seconde,
« formelle », se caractérise non pas par sa formalisation mathématique actuelle, mais par un processus de réduction du
réel au principe de rareté économique, où l’individu serait contraint au choix rationnel utilitariste, fondé à la fois sur la

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maximisation de ses satisfactions matérielles et sur l’ajustement de ses moyens à ses fins ; il en résulterait une forme de
tropisme épistémologique où la recherche en économie – et pourquoi pas, en gestion – se désencastrerait de la société
et négligerait les apports des autres disciplines des sciences sociales. Pour Polanyi, la solution passe alors par une forme
d’épistémologie de la complexité – telle que peut l’énoncer E. Morin – où l’histoire, plus particulièrement, serait à
même de mettre à jour les nombreuses ramifications et entrelacements de l’économie et de la sphère sociale.
Puis, Polanyi s’attache à montrer comment l’économie a d’abord – voire toujours – été insérée dans un système de
relations complexes où un système d’« équivalences », « moyens grâce auxquels on établit des rapports quantitatifs entre
des biens de types différents » (p. 114) et substitut actif de la monnaie, qui permet la réciprocité et la redistribution
entre les différentes strates de la société. Ainsi, la société antique développa des institutions alternatives, à même de
réguler les échanges, à l’instar du tankarum (p. 216), dont le rôle, dépassant celui d’un marchand privé, est d’orga-
niser les échanges.
Polanyi achève la première partie de l’ouvrage sur la distinction entre deux types de marchés ; l’un, local, interne et
tourné vers « la répartition locale de la nourriture » (p. 201) ; l’autre, orienté vers le commerce extérieur, organisé par la
Cité-État, et se focalisant sur « l’acquisition de biens à l’extérieur » (p. 201).
En s’intéressant particulièrement au rôle des marchés dans la Grèce antique, Polanyi reprend dans la seconde partie de
l’ouvrage la trame de la thèse défendue dans la première partie. Au travers de l’exemple du marché local de l’agora, il
montre que celui-ci est au service de la Polis et a pour fonction principale la subsistance des citoyens alors que le com-
merce extérieur joue le rôle d’une sécurisation des approvisionnements en céréales. Ces deux systèmes, l’un dominé
par le marché, l’autre par l’économie administrée, peuvent être occasionnellement et incidemment en contact mais
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les autorités ne leur assignent aucun but autre que de soutenir l’organisation politique interne de la Cité-État ou les
relations avec les pays voisins. Autrement dit, le marché constitue le prolongement économique de la vie publique et
n’est pas, comme aujourd’hui, un élément central de l’organisation sociale. Le but poursuivi n’est pas le profit mais le
maintien de l’ordre politique.
Si l’introduction à l’ouvrage de Bernard Chevance, économiste à Paris VII, synthétise et contextualise très bien La sub-
sistance de l’homme, la lecture de l’ouvrage lui-même n’est pas aisée. Comme pour tout chercheur – mais pour Polanyi,
le terme de penseur serait sans doute plus approprié – intéressé par la complexité des phénomènes sociaux, c’est-à-dire
visant à mettre à l’épreuve leur capacité à relier des objets d’études – ici, l’économie – à la globalité dans laquelle ils
s’inscrivent, le travail de Polanyi ouvre à la fois des voies fécondes de réflexion et prête le flanc à la critique. Nous
commencerons par celle-ci.
En premier lieu, l’ouvrage souffre d’un défaut, largement accentué par son caractère de document de travail inachevé,
mais néanmoins déjà perceptible dans La grande transformation ; dans sa volonté de comprendre et d’expliquer le
fonctionnement économique du monde, Polanyi a fréquemment recours à de nombreuses digressions qui éloignent le
lecteur du propos central du livre. Il en résulte, principalement dans la seconde partie de l’ouvrage, une argumentation
parfois mal structurée et une difficulté à distinguer ce qui explique – c’est-à-dire la mise en perspective de liens de
causalité – de ce qui contextualise – ou autrement dit, la nécessité pédagogique de donner à comprendre l’argumen-
tation défendue. En deuxième lieu, et bien que Polanyi se présente comme un chercheur en histoire économique, son
ouvrage manque considérablement de repères chronologiques. L’argumentation n’est alors plus ancrée dans une réalité
tangible, historiquement datée et donc identifiable, mais devient une sorte de syllogisme visant non pas à produire
des – et non pas la – vérités contextualisées mais à servir essentiellement la thèse de l’auteur. En ce sens, la démarche
de Polanyi s’apparente plus à la façon dont l’histoire peut être mobilisée comme source de réflexion, à la façon dont
Arendt, Foucault ou Marx y recouraient, qu’à produire une connaissance historique falsifiable – nous y reviendrons
plus loin. Cet écueil, qui peut également être analysé comme un choix épistémologique, et également présent dans
La grande transformation, est accentué par le peu de sources historiques dont les chercheurs disposent sur le fonction-
nement de l’économie pendant l’Antiquité.
Malgré ces défauts, l’ouvrage de Polanyi se révèle instructif à deux égards. Tout d’abord, il permet au lecteur de com-
prendre que le modèle économique dans lequel nous vivons est récent et probablement éphémère. Le marché antique
n’était pas construit pour le profit, voire même l’échange, il constituait un élément parmi d’autres de la vie sociale où
les questions de prestige, de rang social ou de parenté primaient sur celle de l’enrichissement personnel. Polanyi nous
fait découvrir une autre façon d’organiser la sphère sociale et économique, c’est-à-dire de penser le rapport entre les

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choses et les hommes, et, de ce fait, nous invite à revisiter les mots pour le dire ; à ce titre, il convient de souligner
combien il est difficile pour le lecteur de se départir du sens de mots courants – marché, monnaie, etc. – pour intégrer
dans sa propre compréhension celui que leur donne Polanyi ; lire cet ouvrage s’apparente à s’engager dans une véritable
archéologie de la pensée sociale et économique.
Ensuite, ce livre constitue une source précieuse de questionnement pour les chercheurs en sciences sociales, et notam-
ment en sciences de gestion. En effet, l’un de ses principaux apports tient au fait qu’au travers de sa démarche et de
ses choix épistémologiques, Polanyi nous interroge sur la fonction du chercheur en sciences sociales. Comme il l’écrit
lui-même et tout en ayant conscience de son rôle « marginal » (p. 16), « l’historien ne peut plus rester à l’écart des besoins
de son époque » (p. 15) ; le chercheur se doit d’« être un esprit libre […] en quête inlassable de vérité » (p. XXV). Pour Pola-
nyi, il s’agit ici de défaire l’idée reçue du « dogme de la continuité organique » (p. 30) où « la séquence “économie naturelle,
économie monétaire, économie de crédit” » deviendrait « comme une prétendue loi du développement » (p. 29) et d’éviter
de « Restreindre exclusivement le domaine du genre économique aux phénomènes de marché » (p. 38). Au travers de ses
objets de recherche, le chercheur en sciences sociales a pour fonction d’interroger le fonctionnement du monde et de
proposer, souvent en marge des courants dominants, d’autres compréhensions possibles de celui-ci. À une époque où
la recherche tend à s’uniformiser au travers de standards académiques fortement discutables, le livre de Polanyi est
un appel à penser celle-ci autrement, c’est-à-dire à être capable – et donc à avoir le courage – de prendre des risques,
notamment en s’engageant sur des recherches longues et aux issues incertaines. Critiqués à leur époque, les apports
d’un Polanyi, d’une Arendt ou d’un Foucault à notre façon de penser l’histoire, mais aussi la gestion pour ce dernier,
sont aujourd’hui incontestables. Si leur façon de recourir à l’histoire peut – et doit – encore et toujours être discutée,
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l’étendue du champ de leur réflexion dépasse la question historique et continue tant à nous interroger sur nos propres
pratiques qu’à nous proposer de nouvelles façons de penser nos objets de recherche. Rien que pour cela, le livre de
Polanyi mérite d’être lu.

■ Nicolas Praquin
Professeur à l’Université Paris-Sud, Laboratoire du Pesor

Crise dans la gouvernance. Éthique des affaires et recherche du profit, François Valérian,
ESKA, 2011, 271 pages, 26 €, ISBN 978-2-7472-1780-4.

François Valérian, X-Mines, docteur en histoire, ancien banquier d’affaires, dans le livre qu’il vient de publier, pose
en 9 chapitres un diagnostic sur la crise mondiale que nous traversons et propose une réforme de la gouvernance des
grandes entreprises pour éviter qu’elle ne se reproduise.
Dans les deux premiers chapitres, l’auteur s’interroge sur le rapport entre éthique et entreprise. Selon lui, « loin d’être
une loi morale, la responsabilité sociale de l’entreprise est une pratique visant à atténuer les tensions entre entreprise et
société » (p. 25) ; sur la base des Principes des Nations unies pour l’investissement, il constate que les résultats auxquels
sont parvenues les organisations restent difficiles à évaluer car « la responsabilité sociale se déclare davantage qu’elle
ne se mesure, et il n’existe pas pour l’étalonner de mètre universel » (p. 32). D’ailleurs, « une entreprise peut-elle être
éthique ? » (p. 35), après avoir exposé les vues optimistes de Porter, il se montre réservé sur une réponse par l’affirma-
tive. Une analyse du cas Siemens lui fournit matière à croire que l’on ne peut pas compter sur la seule bonne volonté
des entreprises à satisfaire l’intérêt général et qu’il convient de réfléchir à des mesures réglementaires. Son opinion
profonde apparaîtra aux dernières lignes du livre : « les entreprises doivent rechercher le profit, telle est leur responsa-
bilité principale, peut-être même leur seule responsabilité » (p. 215).
Auparavant, François Valérian va revenir sur les crises passées pour chercher à comprendre dans quel sens il faudrait
agir. Il commence par rendre compte dans son chapitre 3 de la spécificité de la crise de 2007-2009 ; il démonte le
mécanisme de la titrisation par pooling et tranching, explique les CDO, MBS et CDS, la transmutation de prêt
subprime avec le concours des agences de notation, il présente le rôle des principales banques d’affaires (Bear Sterns,
Lehman Brothers, Merril Lynch…) et de l’assureur AIG. Dans un chapitre suivant, il remonte à la précédente crise

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qui suivit la bulle dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication avec les affaires Worldcom,
Enron et Vivendi et leur trouve un point commun : « personne ne semble avoir mis en cause les stratégies très risquées
d’investissements massifs à très fort effet de levier » (p. 111) ce qui le conduit à une réflexion, au chapitre 5, sur l’ins-
tabilité des marchés. Dans celui-ci, il revisite la théorie de marchés efficients qui reviendraient toujours à l’équilibre,
dont l’instabilité passagère pourrait se corriger par des réformes techniques. À la place de cette vision, il considère
« que les marchés, dans les périodes d’équilibre instable, recherchent en permanence la prochaine croyance partagée, la
prochaine vague d’investissement frénétique et de gros profits » (p. 130). Dans cette perspective, l’affaire Madoff n’est
pas une aberration, certes elle est l’œuvre malhonnête d’un individu, mais au-delà elle est le symptôme de l’aveugle-
ment d’investisseurs qui se laissent illusionner, elle révèle une dynamique spéculative qui s’empare des organisations
et à laquelle rien ne semble pouvoir s’opposer. Quand bien même « quelques-uns (sic) à l’intérieur des entreprises
expriment leur inquiétude [ils] ne sont généralement pas entendus car leur vérité est trop inconfortable et nuirait aux
rémunérations aussi bien qu’au profit de l’entreprise » (p. 131). Dans les derniers chapitres du livre, l’auteur va s’atta-
cher à proposer des pistes pour surmonter cet obstacle dans la gouvernance des organisations.
Dans le chapitre 6, les principes du gouvernement de la grande entreprise moderne et l’importance prise par leurs
managers sont exposés, l’auteur rappelle les dérives auxquelles ont mené les mécanismes d’incitation pécuniaire pour
aligner l’intérêt des dirigeants de la firme sur celui de leurs actionnaires. Pour prévenir les risques d’emballement,
François Valérian insiste sur la nécessité d’un contre-pouvoir au sein de l’organisation, capable de poser les ques-
tions qui dérangent, de mener des audits internes indépendants. Le rôle et les limites du contrôle externe à la firme
(exercé par les agences de notation, les analystes financiers, les commissaires aux comptes) font l’objet du chapitre 7.
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Le chapitre 8 présente l’arsenal législatif qui, après la dérégulation financière des années 1990, est apparu au cours de
la dernière décennie avec la loi de Sarbanes-Oxley, en 2002, et Dodd-Franck, en 2010. Si cette réglementation est
nécessaire, n’est-elle pas excessive, s’interroge l’auteur ? En tout cas il lui paraît qu’elle « ne peut se concevoir sur la
seule base nationale » comme il le défend dans son dernier chapitre. Reprenant les déclarations auxquelles ont abouti
les sommets des G 20 sur les réformes financières, il y voit surtout « une fabrique de mots ». Selon lui, ce devrait être
aux principales places boursières de mettre en place une réglementation commune sur la gouvernance d’entreprise.
Il propose, pour conclure, un projet de convention internationale, pour renforcer la confiance du public envers les
marchés d’action, qui stipulerait certaines mesures permettant de mieux contrôler le gouvernement de l’entreprise,
notamment en la rendant plus transparente globalement mais aussi au niveau de chaque pays.
Si l’on a bien compris la structure du livre, l’auteur s’est d’abord interrogé sur la nature éthique de la firme, l’ana-
lyse de la crise qu’il mène ensuite est là pour convaincre que l’on ne peut s’en remettre à sa responsabilité sociale de
l’entreprise et une dernière partie examine les régulations appropriées. Mais cette articulation en trois parties n’est
pas annoncée ; dès lors la réflexion sur l’éthique semble disjointe du reste du propos, c’est aussi celle qui est la moins
fouillée, la moins réussie. Sur l’analyse de la crise, le lecteur qui s’en est tenu informé n’apprendra pas grand-chose de
nouveau mais il trouvera une présentation très pédagogique des événements et, au final, il en tirera une compréhen-
sion augmentée. Le moment le plus riche est dans les propositions qu’avance François Valérian, elles ont le mérite de
l’originalité, de la clarté et de la possibilité de les mettre en application. Pour ceux qui voudraient aller plus loin sur le
thème de la gouvernance, signalons l’ouvrage de Sun, W., Stewart, J. and Pollard, D. (eds) (2011), Corporate Gover-
nance and the Global Financial Crisis : International Perspectives, Cambridge : Cambridge University Press. Mais déjà,
avec Crise dans la gouvernance. Éthique des affaires et recherche du profit, on dispose d’une documentation solide faite
de nombreux ouvrages, d’articles tirés de la presse managériale et scientifique, de différents rapports de commissions
officielles… Au-delà de ces sources, judicieusement mobilisées, l’auteur exploite opportunément les ressources de la
philosophie (Platon) et de la littérature (Dos Pasos). L’historien comptable y trouvera même matière à découvrir que
le terme window-dressing avait déjà été utilisé pour dénoncer l’habillage des comptes dans le rapport Pecora de 1934
sur les causes de la crise de 1929 aux États-Unis !

■ Henri Zimnovitch
Professeur à l’Université Paris-Sud, Laboratoire du Pesor

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