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plage... ou
Sous les paués la
les multiples fonctions
du vocabulaire comptable 3
I'exemple de la performance
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Annick BouncurcttoN
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- Latte uacr -
PoLysÉutË,-:r
Pade-t-on toujours de la même chose ? Ce n'est pas sûr. Ainsi, on lit ici que la perFormance peut
être opposée à la productivité (Garibian, 1992) ou là que la producdvité est considérée classique-
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menr comme l'un des attributs de la performance (Richard, 1989). Le doute s'installe. On cherche
alors quelle définition de la performance retiennent ceux qui en pailent... et, très fréquemment, on
n'en trouve pas. I-a perplexité s'accrolt lorsque, au-delà d'un titre d'ouvrage qui affiche la perfor-
mance comme objet d'étude central, on cherche en vain une réflexion introductive sur le concept '.
La performance poussant également dans le pré voisin des gestionnaires de ressources humaines, on
s'y rend... pour y trouver une situation analogue ' et un concept toujours aussi peu rigoureusement
défini, malgré des titres prometteurs 3.
Cette absence de déûnition d'un mot dont le sens varie, semble-t-il, selon les multiples usages
qu'on en fait est paradoxale avec la rigueur a et la précision dont se réclament usuellement les
mondes académique en général et comptable en particulier, dont émanent nombre de ces textes.
Le hasard n'existant pas, il faut bien supposer que cefte absence ponctuelle de rigueur remplit des
fonctions spécifiques.
Une réflexion sur le caractère polysémique du mot nous entralnera vers I'univers des métaphores.
À partir du recensement des fonctions de ces figures rhétoriques, nous proposerons quelques hypo-
thèses pour expliquer le paradoxe ci-dessus.
/) la performance est succès, La performance n'existe pas en soi ; elle est fonction des représenta-
tions de la réussite, variables selon les entreprises, selon les acteurs. La performance peut ainsi être
plus large que la productivité qui n en décrit que sa dimension économique ;
2) la performance est résultat dc I'action. À l'opposé du précédent, ce sens ne contient pas de
jugement de valeur. La mesure des performances ( est [...] entendue comme l'éualuation ex post des
résubats obtenus t , (Bouquin, 1986, p.114) ;
3) la performance est d.ction. Dans ce sens, plus rare en français qu'en anglais, la performance est
un processus et < non un résultat qui apparaît à un moment dans le temps D (Baird, 1986) . Comme
Dans la plupan des usages du mot en gestion, performance contient simultanément deux de ces
sens primaires. Lassociation la plus fréquente est celledu résubat positifde l'action. Ainsi, on désigne
Par contre-performance un résultat médiocre, décevant. Il nous semble que le poids du résultat et
du succès est variable selon le nombre du mot : le succès domine sur le résultat, lorsque le mot est
décliné au singulier. Inversement, au pluriel, le succès est moins présent, l'accent est mis sur I'abou-
tissement, quelle qu'en soit sa valeur. Cette perception est cohérente avec les usages du mot :
au singulier, il est plutôt associé à des approches novatrices en gestion, réputées conduire la
firme au succès plus efficacement que les méthodes traditionnelles. Par ailleurs, son imprécision
répond bien à la multidimensionnalité des stratégies d'aujourd'hui, dans lesquelles le succès dépasse
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souvent très largement la traditionnelle dimension économico-financière 8, à un moment oir le
contrôle de gestion réaffirme sa mission d'accompagnement de ces stratégies ;
au pluriel, le mot, plus neutre, est généralement associé à des instruments de gestion clas-
siques (mesure ou appréciation des performances).
La performance peut également se lire comme le processus, comme l'action qui mène au succès.
Le succès ne se mesure pas seulemeît. a ?osteriori, il se construit tout au long d'un processus de
management qui définit, puis communique les résultats attendus, spécifie les activités à accomplir,
contrôle les récompenses et I'information liées au résultat (Baird, 1936). De façon analogue, accom-
pagner la stratégie, ce n'est plus seulement mesurer les réalisations, c'est aussi définir des plans d'ac-
tions à partir d'une analyse des processus, des activités et de leurs enjeux sûatégiques, comme le
suggère I'ABM e (Lorino, 1991). La performance-action contient mais dépasse largement la perfor-
mance-résultat.
D'une façon générale, la performance désigne la réalisation des objectifs organisationnels, quelles
que soient la nature et la variété de ces objectifs. Cette réalisation peut se comprendre au sens stricr
(résultat, aboutissement) ou au sens large du processus qui mène au résultat (action) '0. La perfor-
mance est multidimensionnelle, à l'image des buts organisationnels ; elle est subjective et dépend des
référents choisis (buts, cibles).
À l'évidenc., le mot performance appartient à la famille des termes polysémiques ou polythé-
tiques, parfois appelés n mots-valises D ou <( mots-éponges > rr : toutes ces expressions servent à dési-
gner des mots dont le sens très largement contextuel permet une large gamme d'interprétations.
D'une façon générale, la définition d'un mot de ce type pose un problème. Ceci a donné lieu à
réflexion dans des champs aussi divers que la philosophie, les sciences naturelles ou la sociologie.
'Wittgenstein
constate que certains mots manifestement clairs et concrets sont indéfinissables,
comme par exemple le mot jeu. Il n est en efFet pas possible de trouver une carâctéristique commune
à tous les jeux, même si on peut trouver une caractéristique commune pour un sous-ensemble de
ieux et si un même jeu peut appartenir à des sous-ensembles diftrents 't. S'il ny a rien de commun
entre tous les jeux, il y a néanmoins une ( ressemblance de famille >. Le concept < jeu ) est ( non
délimité r, [...] ( un concept aux limites efhcées, un concept flou o (Wittgenstein, 1945 et 196l,
pp. 149-I5O). Et notre capacité à udliser le mot n'est pas liée à sa capacité à être définie.
\Wittgenstein suggère que ce type de mot que par ailleurs il ne dénomme pas représente la
-
règle et non l'exception dans la langue courante. -
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detx descendants du même ancêtre ne possèdent pas nécessairement de traits communs, mais ils
peuvent se situer aux extrêmes d'une chalne d'espèces qui possèdent des caractères en commun,
ceux-ci n étant pas les mêmes d'un individu à I'autre.
Beckner en 1959, puis Sokal et Sneath en 1963 conceptualisent sous les termes de monoty-
pique/polyrypique puis de monothétique/polythétique les deux modes classificatoires (Needham,
r97) :
un groupe monothétique regroupe des membres qui possèdent tous un unique ensemble de traits ;
un groupe polythétique regroupe des individus qui ont le plus grand nombre possible de
traits communs. Aucun trait n'est nécessaire ni suffisant pour déterminer I'appartenance au groupe.
Les groupes polphétiques, qui peuvenr se recouvrir partiellement, contiennent plus d'informa-
tions que les groupes monothétiques. Cette approche s'adapte mieux à l'inéluctable évolution des
connaissances qu'une classification monothétique rigide. Dès 1959, Beckner note la convergence
entre I'approche polythétique de la classification et les analyses de Wittgenstein.
Boudon, enfin, remarque que o bien des termes apparaissent comme de caractère polythétique,
non seulement dans le langage " ordinaire ", mais aussi dans le langage " scientifique " '3, même si
n on exige généralement des concepts qui reçoivent droit de cité dans le discours scientifique qu ils
soient définis ou définissables o (Boudon, 1990, p. 329).Les termes rationalité et égalité sont cités
en exemple : << on ne peat espérer obtercir un accord sur aacun€ definition dz k rationalité supposant
implicitement b terrne non polythétique ,, '4 (Boudon, 1990, p. 332).lempire du polythétique est
donc très vaste. Le flou n empêche ni l'usage, ni même la mesure " ; il ne pose un problème que
parce qu'on a en tête, de façon souvent inconsciente , tn a priori selon lequel le terme est de carac-
tère non polythétique : u la connaissance ordinaire est donc fondée à vouloir rarnener les mots au
type non polythétique. La connaissance méthodique, de son côté, est souvent fondée à transformer
Lt notions de rype polythétique en concepts de rype non polythétique. Ce type d'épiration '6 est
même caractéristique de la connaissance scientifique u '7 (Boudon, 1990, p. 341).
Comme la rationalité et l'égalité, la performance est à l'évidence un mot polythétique : il ny a
pas de point commun entre ses diverses occurrences de sens, mais il y a bien des n ressemblances de
famille > entre celles-ci, telles que l'on puisse les ranger mentalement de sorte que chaque sens a au
moins un point commun avec un des sens voisins (l'action, son résultat, le succès).
Ne pas préciser, lorsqu on utilise un mot polysémique, le sens qu'on lui donne conduit à multi-
plier les représentations suggérées. Toute définition met I'accent sur certains signifiés et en voile,
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Lanalyse étymologique du français performance montre que le mot performance esr également
largement utilisé dans I'univers de la mécanique et dans celui du sport. Nous faisons ici l'hypothèse
que I'existence de ces autres usages a une influence sur les représentations suggérées par le mot
performance lorsqu'il est udlisé dans le domaine du managemenr er que cette perméabilité est d'au-
tant plus forte que le mor n'esr pas explicitement défini.
La métaphore est < une " figure de signification " rB par laquelle un mot se rrouve recevoir dans
une phrase un sens difiérent de celui qu'il possède dans l'usage couranr , (Pouilloux, 1990). Elle
n fait référence à un type particulier de procédé linguistique par lequel des aspects d'un objet sont
transftrés à un autre objet, de telle sorte que le second objet est n parlé n re comme s'il était le
premier o (Hawkes, 1972).
Parler de performance pour désigner la rédisation des objectifs organisationnels revienr à utiliser
une/des métaphore(s), dans la mesure où il nest à l'évidence pas question de résultats sportifs ou
20.
techniques
D'après Morgan, quatre grands paradigmes '' fondent les multiples écoles de pensée en théorie
des organisations, écoles qui udlisent des métaphores qui génèrent des images employées par l'être
humain pour construire sa représentation du monde (Morgan, 1980). Ainsi, le paradigrne fonction-
naliste repose sur I'hypothèse que la société a une existence concrète et tend, dans une perspective
systémique, vers un état ordonné et régulé. Le comportement y est toujours perçu comme fonction
de relations sociales concrètes et tangibles. Lune des écoles de pensée qui relèvent de ce paradigme,
l'école classique de I'organisation (Tâylor, Fayol), à la recherche de I'efficience organisationnelle,
utilise la métaphore de la machine. De même que les machines sont conçues en fonction de buts
spécifiques, l'organisation a des objectifs ; elle mobilise des moyens rationnels par rapport à ceux-ci
et sa ( performance , est exprimée en terme d'efficience, par réftrence aux objectifs. Dans les
modèles de cette école, la structure et la technologie sont des concepts dominants et la valeur des
individus supposés n fonctionnep dans ces srrucrures mécaniques est foncrion de leur compétence
instrumentale.
I Si le sport peut être défini comme n la recherche compétitive [...] d.la performance [...] ,
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(Bouet, 1968), la compétition sportive est I'opération de mesure qui crée la valeur, qui ordonne les
individus 22. De même que la performance sportive s'apprécie par rapport au but que s'est fixé
I'athlète, par référence externe (ses concurrents, un record mondial) ou interne (une u performance )
précédente), la performance organisationnelle est fonction des objecdfs de la firme et de ses réfërents
externes ou internes. La performance est donc toujours le produit d'une comparaison, elle-même
produit d'une compétition formalisée ou implicite. Dans tous les cas, la performance induit le
surpassement des autres ou de soi-même (Corvellec , 7992). La performance est un concept
-
dynamique et un état toujours transitoire.
2) Au niveau individuel, le sport peut être vu comme un désir de restauration, de replâtrage
fonctionnel du corps, qui comble les manques, les lacunes, qui convainc de sa propre puissance et
rassure, par la possibilité qu il offre de progresser grâce à un entraînement rationnel (Berthaud et al.,
1976 ; Risse, 192111991). La performance sportive, comme la performance organisationnelle,
témoigne de la capacité de l'individu à progresser, grâce à des efforts patients, constants et
rationnels. Le mot performance est porteur d'une idéologie du progrès, de I'effort, du toujours
plus ou mietx.
De même que la performance sportive entretient la volonté de puissance des individus, dans le
respecr de règles du jeu partagées, la performance organisationnelle, qui fonde souvent I'apprécia-
tion des personnes etlou leur rémunération, accompagne la quête de pouvoir hiérarchique ou
social des membres de l'organisation.
-
-
3) Le sport fait l'expérience de l'égalité a priori des individus : n'importe qui peut entrer dans la
compétition et devenir n quelqu un u sur la base de son seul mérite. La compétition, qui élimine le
poids de la filiation et de I'origine sociale, est le spectacle même de notre idéal égalitaire. n Les
compétitions sporrives rejouent constamment cette illusion réaliste otr la justice est le produit de la
concurrence et I'inégalité, le résultat de I'affrontement des égaux et non du hasard et de la fortune ,
(Ehrenberg, 1991). Elles produisent des classements objectifs, donc irrécusables, sur la base de résul-
tats incontestables.
De même que la performance sportive nourrit une aspiration à I'idéal égalitaire, la performance
individuelle dans l'organisation renvoie à l'équité de traitement des individus. La performance qui
est rémunérée, évaluée ou promue occulte d'autres facteurs de récompense, de jugement ou de
promorion, comme la formation initiale, I'origine socioculturelle ou plus simplement n la tête du
client u (Bourguignon, 1993).
Une longue et passionnelle querelle a opposé les philosophes sur le point de I'apport de sens de la
métaphore : apporte-t-elle un supplément de signification par rapport au langage littéral ou n'est-
elle qu un o efFet de manche o " ? Au-delà de cette querelle, de multiples fonctions de la métaphore
ont été proposées, à I'appui de I'abondance des métaphores, en particulier dans le domaine de la
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science administrative qui nous intéresse :
la métaphore, c'est-à-dire l'emprunt d'une image à une autre discipline, est un signe de la
multidisciplinarité du domaine étudié et transfère la légitimité du champ originel de I'image au
champ de l'étude (Pinder et Bourgeois, 7982) ;
la métaphore, qui rassemble des perceptions éparses en un tout cohérent, est au service de la
création de sens nécessaire au contrôle de l'action collective. La métaphore dit plus que le nom : si
celui-ci indique ce qu'est Ia chose, celle-là, en disant comment tn elle est, lui donne vie (Czarniawska-
Joerges et Joerges, 1988). Noms et métaphores construisent la réalité organisationnelle et suggèrent
les actions à entreprendre '5 ;
la métaphore est productrice d'une ambiguité qui peut être positive dans certaines situations.
En tentant d'expliquer n A o par < B >, on laisse n ouverte la question de savoir jusqu'à quel point et
dansquellemesurelemodèlede"B"convientà"A"o(LandryI995).Leprocessusmétapho-
rique, qui affirme et nie simultanément I'identité de deux objets, engendre de I'ambigulté.
3.1. [,,sflrfosllissement
Lutilisation du mot performance embellit certainement les discours managériaux. Cet embellisse-
ment rejaillit à la fois sur la méthode de management, objet du discours, et le locuteur.
D'une façon générale, I'apparition d'un vocabulaire novateur crée un effet de contraste suscep-
tible de capter ou de maintenir I'amention de I'auditeur. Ce vocabulaire nouveau, positivement
connoté, porteur de la notion de réalisation d'une potentialité, nous semble aussi être associé à la
26,
diffirsion des modes managériales dans leurs premières phases. Ainsi, les titres La cubure de l'en-
neprise, facteur de perforruancr (Lemaitre, 1984) ou encore Productiuité à court terme ou perforynnnce
à long tenne (Garibian, 1992) suggèrent des lendemains qui chantent. Ce dernier exemple montre
bien I'utilisation rhétorique 27 de l'opposition entre I'ancien et le nouveau, inhérente au phénomène
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de mode.
Si I'expression nouvelle peut être la marque d'une nouvelle orientation, elle peut être, au
contraire, celle d'une absence d'imagination pour trouver des solutions nouvelles : à défaut de chan-
ger la réalité, on change le nom de cette réalité. Le changement de nom peur alors être considéré
comme n I'expression d'une pratique incantatoire ,, relevant d'un ( management des apparences )
qui s'appuie sur les mécanismes de la pensée magique (Gilbert et Gillot, 1993).
la métaphore met en valeur, outre la nouvelle méthode de gestion, son promoteur acadé-
mique ou consultant. Dans le même sens, Parker remarque que, dans le domaine comptable, - la créa-
tion de mots a contribué à la mise en valeur de la profession (Parker, 1994). Labsence de définition
cette dernière tuerait la métaphore est le prérequis implicite de cet embellissement.
- -
Ici encore, I'absence de définition du mot performance est nécessaire pour que le jeu des associa-
tions se fasse librement, pour que chacun puisse extraire des métaphores des valeurs privilégiées.
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pression la plus achevée , [Aubert et Gauléjac (de), i991]. Cette représentation ( entrepreneuriale et
,
athlétique de la vie en société (Ehrenberg,l99I) s'exprime bien par la performance-dépassement
de soi. Dans le même sens, Corvellec et Sotto voient dans o la textualité de la performance [...] une
épopée naissante , : n au-delà de la technicité (revendiquée par) les textes de la performance, ceux-ci
contribuent à la formation d'un gigantesque récit épique, [...J genre littéraire (qui soutient les)
grandes options de civilisation o (Corvellec et Sorro, 1993) ;
un mode de management caractérisé par la recherche permanente de l'améliorarion 28, fondée
sur le sentiment que les acquis sont rendus précaires par la turbulence de I'environnemenr écono-
mique des dernières décennies. La performance, concept dynamique, état transitoire voir supra
accompagne bien ce questionnement permanent du management. Le discours sur-la performance -
est moins réfutable que I'exhortation à I'efFort constant, qui pourrait indisposer cerrains salariés...
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3,i/.;.,',,',,,,.,' Une fonction de légitimation
Le discours de et sur la gestion s'adresse à I'opinion, en particulier atrx salariés. Une des fonctions de
ce discours est de légitimer les pratiques de gestion, de les rendre socialement acceptables. Il cherche
u à séduire, à convaincre par une manipulation de jeux d'images, t...] à être efficace en suscitant
I'adhésion, [...] .. invitant à I'action... , (Galambaud, 1988).
Plus généralement, tout discours est un signe. La sémiotique, science des signes, a érudié divers
types de manipulation (tentation, séduction, intimidation, provocation "). Le discours sur la perfor-
mance, qui propose des images positives (le succès, la puissance) et invite explicitement à I'action,
est un discours de légitimation qui passe par la séduction.
LJn autre rype de manipulation consiste à gommer la marque de l'énoncialion en remplaçant
par exemple
-
< je pense que > par u il est certain que ,. Ce procédé ( transforme un point de vue
conringent en une image naturelle qui va de soi [...]. Cette stratégie de manipulation [...] définit
une vision naurelle de I'organisation et du monde, et confie (au locuteur) le rôle de simple exé-
curant d'un programme imposé à lui du dehors 1...]. Apparaissant comme I'agent d'une volonté
supérieure, (le locuteur) conÊre à sa parole un fondement objectif et la rend légitime , (Marion,
1993), Parole sans auteur, le discours sur la performance Ia présente comme une contrainte ( natu-
relle , imposée par l'environnement. S'il n'est pas douteux que I'organisation ne survit que par son
adaptation à I'environnement, les moyens de cette adaptation restent largement discrétionnaires. Un
discours qui remplacerait le mot performance par les dimensions spécifiques de la réussite organisa-
tionnelle mettrait en évidence les choix stratégiques des dirigeants. Labsence de précision séman-
tique occulte une subjectivité, dont la légitimité est toujours questionnable.
Conclusion
La performance, concept à géométrie variable, est au cæur du discours acuel du conuôle de
gestion. l,a tentation est grande d'y voir simplement l'expression de la mutidimensionnalité du
phénomène managérial. Néanmoins, une analyse élargie 3o des usages de ce concept métaphorique
aussi abondamment employé que rarement défini en suggère d'autres fonctions : I'embellissement
des méthodes de gestion et de leurs promoteurs, la diffirsion de valeurs organisationnelles, le déve-
loppement du sentiment d'appartenance à une communauté de travail, la légitimation des pratiques
de gestion. Dans I'entreprise r', ces quatre u bénéfices , du flou sont d'abord profitables à l'émetteur,
mais l'intérêt de ce dernier rencontre celui du récepteur : I'embellissement rejaillit sur les membres
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Notes
tissement.
1. Voir en particulier Blscos er MENDozA (1994),
I 1. Métaphore d'Albert Jacquaru, citée par GtLseRT
tucHeRl (1989).
et PARLIER (1992). Si l'éponge absorbe toures les
2. À savoir, une utilisation récente, abondante et substances qu'elle rencontre, elle se vide lorsqu on
singulière du mot, associée au développement de la presse : un mot peut s'enrichir de tous les sens
nouvelles approches, comme par exemple la attribués par ses utilisateurs, mais, employé à tout
rémunération de la performance (l-e,Ncretx, propos, il ne restitue plus aucune significadon.
1990), et simultanément, un usage plus tradition-
12. Certains jeux de cartes sont des .ieux de hasard ;
nel, pluriel, associé à un instrument de gestion
certains jeux de hasard se jouent en solitaire, etc.
classique (l'appréciation des performances).
13. Guillemets mis par I'auteur.
3. Par exemple Belnn (1986), EHRrNnEnc (1991),
14. Texte original en italique.
KRrzrNsecH et Surru (1994).
15. Comme dans le cas de l'égalité.
4. Au sens d'exactitude, d'exigence intellectuelle
(dictionnaire Larousse, 1 993). 16. Mom soulignés par I'auteur.
5. Nous utilisons dans ce texte de façon indifféren- 17. Cette propension générale à l'évitement du poly-
ciée les mots management et gestion, au sens de thétique est peut-être l'expression d'une intolé-
rance à I'ambiguïté, iesçà-dire d'une o tendance
J. Gtzuu : n lJne situation de gestion se présente
lorsque des participants soît réunis et doivent à percevoir 1...] les situations ambiguës comme
accomplir, dans un temps déterminé, une action sources de menace o (BuoNnR, 1962) .
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pas vraiment. n" 269, pp.6I-66.
28. Semblable à l'approche n kaizen u (démarche BuoNeR S. (1962), o Intolerance of ambiguity as a
critique, graduelle et continue d'amélioration) du personality variable ,, Journal of Personality,
management japonais (Iuel, 1989).
pp.29-50.
29. Selon que I'on propose des images ou des objets
Csotvlsrv N. (1965/1971), ,4spects dz la théorie
négatifs ou positifs (MaruoN, 1993).
ryntaxiqae, Paris, Seuil (Édition originale :,4spects
30. Outre l'élargissement aux autres champs du of the tlteory of syntax, Cambridge (Mass.), MIT
management qui a été étudié, on pourrait égale- Press).
ment étendre la réflexion à d'autres mots du
Counu T. (1978), o Metaphor and the cultivation of
vocabulaire comptable. On pense en particulier
intimacy o, Critical Inquiry, automne 1978,
au mot valeur.
pP.3-r2.
3l . Dans le milieu académique, I'embellissement
Courr-SpowvtllE A. (1989), Une éducation pbiloso-
paralt le principal bénéfice. Chacun est suscep-
phique, Paris, PUF.
tible d'y recourir à un moment ou à un autre,
pour se mettre à son tour en valeur (GIlrrnr et Corulrn F. et aL (1990), u Connaissances et repré-
Gtllor, 1993). Le titre métaphorique de cet sentations u, in RtcuAn.l, J.F. et al. (eds), 77aité
article ne fait pas exception à cette règle... dz psychologie cognitiae, YoL 2, Paris, Dunod,
PP.33-102
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