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Sous les pavés la plage… ou les multiples fonctions du

vocabulaire comptable : l'exemple de la performance


Annick Bourguignon
Dans Comptabilité Contrôle Audit 1997/1 (Tome 3), pages 89 à 101
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 2711734048
DOI 10.3917/cca.031.0089
© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 17/09/2023 sur www.cairn.info par adil BENDOUZANE (IP: 41.92.12.255)

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Annick BouncurcNoN
SOUS LES PAVES LA PLq.GE... OU LES MULIIPLES FONCTIONS DU VOCABUT"AIRE COMPTABLE

plage... ou
Sous les paués la
les multiples fonctions
du vocabulaire comptable 3

I'exemple de la performance
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Annick BouncurcttoN

R6sumê Ahstroct: Ihe varlovs Funûins of Accountlng


Iongutge; on Exenple: Pefiorname
Depuis quelques années, le mot perfor-
mance est au cæur des discours du contrôle For some years, rnan*gement control has been
de gestion. Rarement défini, polysémique, ce asing commonly the word performance, without
mot contient en outre des métaphores qui defining preciseb the rneaning of this po$rernous
suggèrent des représentations additionnelles. word. A further analysis of tlte metaphors asso-
Ce flou sémantique remplit diverses fonctions ciated with the word leads one to conclude thar
this lach ofsemantic precision has ualuablz social
sociales et idéologiques qui servent I'intérêt
des divers acteurs. functions for eu*y body.

.-..,-.il.t_;.l l
- Latte uacr -
PoLysÉutË,-:r

(orrespondonce Groupe ESSEC


BP 105 - 95021Cergy-Pontoise Cedex
Té1.:01 344330 12-Fax.:01 3443 3001 - Secrétariat :01 3443 3207
e-mail : bourguignon@edu.essec.fr

CoMI'TABILITÉ- CoNTRôLE-Auorr /Tome 3 -Volume I -mars 1997 (pp.89 à l0l)


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Depuis environ dix ans, les méthodes traditionnelles du contrôle de gestion et leur capacité à
accompagner les stratégies des firmes sont très largement mises en cause. Ces dernières années, ce
mouvement s'est accompagné d'un changement de vocabulaire : on ne paile plus de n contrôle de
gestion ) mais de u système de pilotage de la performance ) (Lorino, 1991, p.5) ou de ( manage-
menrdelaperformance, (Lebas etal., 1992,p.383;BescosetMendoza, 1994).Ainsi, lemot
perFormance revient très fréquemment dans les discours et les écrits. Il ne s'agit certes pas d'une
brutale intrusion de ce mot dans le vocabulaire du champ comptable : la mesure des performances
esr un outil traditionnel du contrôle de gestion. Ce qui est néanmoins nouveau, c'est le changement
de nombre du mot : alors qu'il était utilisé au pluriel, il est aujourd'hui décliné au singulier.

Pade-t-on toujours de la même chose ? Ce n'est pas sûr. Ainsi, on lit ici que la perFormance peut
être opposée à la productivité (Garibian, 1992) ou là que la producdvité est considérée classique-
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menr comme l'un des attributs de la performance (Richard, 1989). Le doute s'installe. On cherche
alors quelle définition de la performance retiennent ceux qui en pailent... et, très fréquemment, on
n'en trouve pas. I-a perplexité s'accrolt lorsque, au-delà d'un titre d'ouvrage qui affiche la perfor-
mance comme objet d'étude central, on cherche en vain une réflexion introductive sur le concept '.
La performance poussant également dans le pré voisin des gestionnaires de ressources humaines, on
s'y rend... pour y trouver une situation analogue ' et un concept toujours aussi peu rigoureusement
défini, malgré des titres prometteurs 3.
Cette absence de déûnition d'un mot dont le sens varie, semble-t-il, selon les multiples usages
qu'on en fait est paradoxale avec la rigueur a et la précision dont se réclament usuellement les
mondes académique en général et comptable en particulier, dont émanent nombre de ces textes.
Le hasard n'existant pas, il faut bien supposer que cefte absence ponctuelle de rigueur remplit des
fonctions spécifiques.
Une réflexion sur le caractère polysémique du mot nous entralnera vers I'univers des métaphores.
À partir du recensement des fonctions de ces figures rhétoriques, nous proposerons quelques hypo-
thèses pour expliquer le paradoxe ci-dessus.

Une analyse étymologique et sémantique générale du mot performance (Bourguignon, 1995) a


montré que le signifiant performance désigne, dans le champ de la gestion 5, de multiples signifiés 6

qui s'articulent autour des trois sens primaires ci-dessous :

/) la performance est succès, La performance n'existe pas en soi ; elle est fonction des représenta-
tions de la réussite, variables selon les entreprises, selon les acteurs. La performance peut ainsi être
plus large que la productivité qui n en décrit que sa dimension économique ;
2) la performance est résultat dc I'action. À l'opposé du précédent, ce sens ne contient pas de
jugement de valeur. La mesure des performances ( est [...] entendue comme l'éualuation ex post des
résubats obtenus t , (Bouquin, 1986, p.114) ;

3) la performance est d.ction. Dans ce sens, plus rare en français qu'en anglais, la performance est
un processus et < non un résultat qui apparaît à un moment dans le temps D (Baird, 1986) . Comme

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en Psychologie (Cordier et al., L990) et en linguistique générative (ChomsI<y, 1965 et 1971), elle
est la mise en actes d'une compétence qui n'est qu'une potentialité.

Dans la plupan des usages du mot en gestion, performance contient simultanément deux de ces
sens primaires. Lassociation la plus fréquente est celledu résubat positifde l'action. Ainsi, on désigne
Par contre-performance un résultat médiocre, décevant. Il nous semble que le poids du résultat et
du succès est variable selon le nombre du mot : le succès domine sur le résultat, lorsque le mot est
décliné au singulier. Inversement, au pluriel, le succès est moins présent, l'accent est mis sur I'abou-
tissement, quelle qu'en soit sa valeur. Cette perception est cohérente avec les usages du mot :
au singulier, il est plutôt associé à des approches novatrices en gestion, réputées conduire la
firme au succès plus efficacement que les méthodes traditionnelles. Par ailleurs, son imprécision
répond bien à la multidimensionnalité des stratégies d'aujourd'hui, dans lesquelles le succès dépasse
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souvent très largement la traditionnelle dimension économico-financière 8, à un moment oir le
contrôle de gestion réaffirme sa mission d'accompagnement de ces stratégies ;

au pluriel, le mot, plus neutre, est généralement associé à des instruments de gestion clas-
siques (mesure ou appréciation des performances).
La performance peut également se lire comme le processus, comme l'action qui mène au succès.
Le succès ne se mesure pas seulemeît. a ?osteriori, il se construit tout au long d'un processus de
management qui définit, puis communique les résultats attendus, spécifie les activités à accomplir,
contrôle les récompenses et I'information liées au résultat (Baird, 1936). De façon analogue, accom-
pagner la stratégie, ce n'est plus seulement mesurer les réalisations, c'est aussi définir des plans d'ac-
tions à partir d'une analyse des processus, des activités et de leurs enjeux sûatégiques, comme le
suggère I'ABM e (Lorino, 1991). La performance-action contient mais dépasse largement la perfor-
mance-résultat.
D'une façon générale, la performance désigne la réalisation des objectifs organisationnels, quelles
que soient la nature et la variété de ces objectifs. Cette réalisation peut se comprendre au sens stricr
(résultat, aboutissement) ou au sens large du processus qui mène au résultat (action) '0. La perfor-
mance est multidimensionnelle, à l'image des buts organisationnels ; elle est subjective et dépend des
référents choisis (buts, cibles).
À l'évidenc., le mot performance appartient à la famille des termes polysémiques ou polythé-
tiques, parfois appelés n mots-valises D ou <( mots-éponges > rr : toutes ces expressions servent à dési-
gner des mots dont le sens très largement contextuel permet une large gamme d'interprétations.
D'une façon générale, la définition d'un mot de ce type pose un problème. Ceci a donné lieu à
réflexion dans des champs aussi divers que la philosophie, les sciences naturelles ou la sociologie.
'Wittgenstein
constate que certains mots manifestement clairs et concrets sont indéfinissables,
comme par exemple le mot jeu. Il n est en efFet pas possible de trouver une carâctéristique commune
à tous les jeux, même si on peut trouver une caractéristique commune pour un sous-ensemble de
ieux et si un même jeu peut appartenir à des sous-ensembles diftrents 't. S'il ny a rien de commun
entre tous les jeux, il y a néanmoins une ( ressemblance de famille >. Le concept < jeu ) est ( non
délimité r, [...] ( un concept aux limites efhcées, un concept flou o (Wittgenstein, 1945 et 196l,
pp. 149-I5O). Et notre capacité à udliser le mot n'est pas liée à sa capacité à être définie.
\Wittgenstein suggère que ce type de mot que par ailleurs il ne dénomme pas représente la
-
règle et non l'exception dans la langue courante. -

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Dans le champ des sciences de la nature, une des questions centrales est celle de la classification,
qui rejoint largement notre question de la définition. Avec le temps, diverses approches de la classifi-
cation se sont succédé :

selon l'approche traditionnelle de la classification (Tournefort, Linné), une classe regroupe


des individus qui possèdent tous en totalité les traits caractéristiques de cette classe ;
en I763,le botaniste Adanson propose la méthode des familles naturelles qui regroupe les
du plus grand nombre de caractères communs. Pour appartenir à une classe,
espèces selon le critère
iln esr plus nécessaire de posséder tous les caractères de cette classe. Cette méthode, reprise et déve-
loppée par Jussieu, rencontrera jusqu'au milieu du xD(' siècle de solides résistances (Drouin, 1989) ;
en 1859, la théorie darwinienne de l'évolution, qui classe les espèces par ancêtre commun,
condamne de fait les classifications uaditionnelles au profit de la méthode dite naturelle : en effet,
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detx descendants du même ancêtre ne possèdent pas nécessairement de traits communs, mais ils
peuvent se situer aux extrêmes d'une chalne d'espèces qui possèdent des caractères en commun,
ceux-ci n étant pas les mêmes d'un individu à I'autre.
Beckner en 1959, puis Sokal et Sneath en 1963 conceptualisent sous les termes de monoty-
pique/polyrypique puis de monothétique/polythétique les deux modes classificatoires (Needham,
r97) :

un groupe monothétique regroupe des membres qui possèdent tous un unique ensemble de traits ;

un groupe polythétique regroupe des individus qui ont le plus grand nombre possible de
traits communs. Aucun trait n'est nécessaire ni suffisant pour déterminer I'appartenance au groupe.
Les groupes polphétiques, qui peuvenr se recouvrir partiellement, contiennent plus d'informa-
tions que les groupes monothétiques. Cette approche s'adapte mieux à l'inéluctable évolution des
connaissances qu'une classification monothétique rigide. Dès 1959, Beckner note la convergence
entre I'approche polythétique de la classification et les analyses de Wittgenstein.
Boudon, enfin, remarque que o bien des termes apparaissent comme de caractère polythétique,
non seulement dans le langage " ordinaire ", mais aussi dans le langage " scientifique " '3, même si
n on exige généralement des concepts qui reçoivent droit de cité dans le discours scientifique qu ils
soient définis ou définissables o (Boudon, 1990, p. 329).Les termes rationalité et égalité sont cités
en exemple : << on ne peat espérer obtercir un accord sur aacun€ definition dz k rationalité supposant
implicitement b terrne non polythétique ,, '4 (Boudon, 1990, p. 332).lempire du polythétique est
donc très vaste. Le flou n empêche ni l'usage, ni même la mesure " ; il ne pose un problème que
parce qu'on a en tête, de façon souvent inconsciente , tn a priori selon lequel le terme est de carac-
tère non polythétique : u la connaissance ordinaire est donc fondée à vouloir rarnener les mots au
type non polythétique. La connaissance méthodique, de son côté, est souvent fondée à transformer
Lt notions de rype polythétique en concepts de rype non polythétique. Ce type d'épiration '6 est
même caractéristique de la connaissance scientifique u '7 (Boudon, 1990, p. 341).
Comme la rationalité et l'égalité, la performance est à l'évidence un mot polythétique : il ny a
pas de point commun entre ses diverses occurrences de sens, mais il y a bien des n ressemblances de
famille > entre celles-ci, telles que l'on puisse les ranger mentalement de sorte que chaque sens a au
moins un point commun avec un des sens voisins (l'action, son résultat, le succès).
Ne pas préciser, lorsqu on utilise un mot polysémique, le sens qu'on lui donne conduit à multi-
plier les représentations suggérées. Toute définition met I'accent sur certains signifiés et en voile,

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voire en exclut d'autres. En outre, ( [...] ne peut définir [...J q,r. des ob.iets que I'on connaîr.
".r
Définir le mot suppose toujours une connaissance, frt-elle vague, de la chose u (Comte-Sponville,
1989, p. 86) : la définition porte la marque de la connaissance préalable, donc des perceprions, expé-
riences et valeurs spécifiques de celui qui la pose. Lintérêt d'une absence de définition est donc de
laisser ouverte la porte des sens possibles, de ne pas limiter, orienter la lecture du signifiant vers des
signifiés privilégiés.

NW Les mêtaphores de la performance


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Lanalyse étymologique du français performance montre que le mot performance esr également
largement utilisé dans I'univers de la mécanique et dans celui du sport. Nous faisons ici l'hypothèse
que I'existence de ces autres usages a une influence sur les représentations suggérées par le mot
performance lorsqu'il est udlisé dans le domaine du managemenr er que cette perméabilité est d'au-
tant plus forte que le mor n'esr pas explicitement défini.

La métaphore est < une " figure de signification " rB par laquelle un mot se rrouve recevoir dans
une phrase un sens difiérent de celui qu'il possède dans l'usage couranr , (Pouilloux, 1990). Elle
n fait référence à un type particulier de procédé linguistique par lequel des aspects d'un objet sont
transftrés à un autre objet, de telle sorte que le second objet est n parlé n re comme s'il était le
premier o (Hawkes, 1972).

Parler de performance pour désigner la rédisation des objectifs organisationnels revienr à utiliser
une/des métaphore(s), dans la mesure où il nest à l'évidence pas question de résultats sportifs ou
20.
techniques

2,1. La mêtaphore mécaniste


Depuis le début du >x" siècle, on utilise couramment le mot performance pour désigner les indica-
tions chiffrées caractérisanr les possibilités d'une machine.

D'après Morgan, quatre grands paradigmes '' fondent les multiples écoles de pensée en théorie
des organisations, écoles qui udlisent des métaphores qui génèrent des images employées par l'être
humain pour construire sa représentation du monde (Morgan, 1980). Ainsi, le paradigrne fonction-
naliste repose sur I'hypothèse que la société a une existence concrète et tend, dans une perspective
systémique, vers un état ordonné et régulé. Le comportement y est toujours perçu comme fonction
de relations sociales concrètes et tangibles. Lune des écoles de pensée qui relèvent de ce paradigme,
l'école classique de I'organisation (Tâylor, Fayol), à la recherche de I'efficience organisationnelle,
utilise la métaphore de la machine. De même que les machines sont conçues en fonction de buts
spécifiques, l'organisation a des objectifs ; elle mobilise des moyens rationnels par rapport à ceux-ci
et sa ( performance , est exprimée en terme d'efficience, par réftrence aux objectifs. Dans les
modèles de cette école, la structure et la technologie sont des concepts dominants et la valeur des
individus supposés n fonctionnep dans ces srrucrures mécaniques est foncrion de leur compétence
instrumentale.

CouptanttnÉ - CoNrRôLE - Auorr / Tome 3 - Volume I - mars t997 (pp. 89 à l0t)


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2t2, La mêtaphore sportive


Depuis le milieu du xx'siècle, le mot performance désigne les résultats obtenus par un cheval lors
d'une course, puis ceux d'un athlète ou d'une équipe sponive.
Le parallèle enrre les mondes spordf et économique a été largement souligné Par toute une école
de sociologie du sport qui voit dans la compétition, donc dans le sport, une structure mentale impo-
sée par la forme concurrentielle de la société capitaliste, la transposition au niveau de l'activité non
directement productive de la compétition économique (Bernard, 1973 ; Berthaud et al., 1976).
Plus récemment, d'autres analyses de la métaphore sportive (Bourguignon, 1993; Corvellec, 1992)
ont mis en avant les points suivants :

I Si le sport peut être défini comme n la recherche compétitive [...] d.la performance [...] ,
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(Bouet, 1968), la compétition sportive est I'opération de mesure qui crée la valeur, qui ordonne les
individus 22. De même que la performance sportive s'apprécie par rapport au but que s'est fixé
I'athlète, par référence externe (ses concurrents, un record mondial) ou interne (une u performance )
précédente), la performance organisationnelle est fonction des objecdfs de la firme et de ses réfërents
externes ou internes. La performance est donc toujours le produit d'une comparaison, elle-même
produit d'une compétition formalisée ou implicite. Dans tous les cas, la performance induit le
surpassement des autres ou de soi-même (Corvellec , 7992). La performance est un concept
-
dynamique et un état toujours transitoire.
2) Au niveau individuel, le sport peut être vu comme un désir de restauration, de replâtrage
fonctionnel du corps, qui comble les manques, les lacunes, qui convainc de sa propre puissance et
rassure, par la possibilité qu il offre de progresser grâce à un entraînement rationnel (Berthaud et al.,
1976 ; Risse, 192111991). La performance sportive, comme la performance organisationnelle,
témoigne de la capacité de l'individu à progresser, grâce à des efforts patients, constants et
rationnels. Le mot performance est porteur d'une idéologie du progrès, de I'effort, du toujours
plus ou mietx.
De même que la performance sportive entretient la volonté de puissance des individus, dans le
respecr de règles du jeu partagées, la performance organisationnelle, qui fonde souvent I'apprécia-
tion des personnes etlou leur rémunération, accompagne la quête de pouvoir hiérarchique ou
social des membres de l'organisation.
-
-
3) Le sport fait l'expérience de l'égalité a priori des individus : n'importe qui peut entrer dans la
compétition et devenir n quelqu un u sur la base de son seul mérite. La compétition, qui élimine le
poids de la filiation et de I'origine sociale, est le spectacle même de notre idéal égalitaire. n Les
compétitions sporrives rejouent constamment cette illusion réaliste otr la justice est le produit de la
concurrence et I'inégalité, le résultat de I'affrontement des égaux et non du hasard et de la fortune ,
(Ehrenberg, 1991). Elles produisent des classements objectifs, donc irrécusables, sur la base de résul-
tats incontestables.
De même que la performance sportive nourrit une aspiration à I'idéal égalitaire, la performance
individuelle dans l'organisation renvoie à l'équité de traitement des individus. La performance qui
est rémunérée, évaluée ou promue occulte d'autres facteurs de récompense, de jugement ou de
promorion, comme la formation initiale, I'origine socioculturelle ou plus simplement n la tête du
client u (Bourguignon, 1993).

CoMprABrLrrÉ - CoNTRôLE - Auotr / Tome 3 - Volume I- mars 1997 (pp. 89 à l0l)


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Ces deux métaphores suggèrent des représentations de la performance plus élaborées que celles
qui proviennent d'une simple étude sémantique du mol Limage de la machine renforce la dimen-
sion rationnelle et udlitaire de la performance ; l'image du sport suggère des représentations idéolo'
giques, des valeurs comme I'effort, le dépassement, le progrès.

À quoi seryent les mêtaphores ?

Une longue et passionnelle querelle a opposé les philosophes sur le point de I'apport de sens de la
métaphore : apporte-t-elle un supplément de signification par rapport au langage littéral ou n'est-
elle qu un o efFet de manche o " ? Au-delà de cette querelle, de multiples fonctions de la métaphore
ont été proposées, à I'appui de I'abondance des métaphores, en particulier dans le domaine de la
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science administrative qui nous intéresse :

la métaphore enrichit notre compréhension de la réalité ; elle correspond à un mode de


communication, de transmission d'une connaissance théorique (Morgan, 1980) ;
la métaphore crée une intimité entre le locuteur et le récepteur, un sentiment d'appartenance
à une même communauté dans la mesure oir, pour comprendre un message métaphorique, le récep-
teur doit faire le double effort de reconnaître qu il s'agit d'une métaphore et de l'interpréter. Ce
faisant, il accepte l'invitation implicite du locuteur de communiquer sur le mode figuratif er non
littéral, mode de communication qui suppose de u partager une information sur les savoirs, les
croyances, les intentions et les attitudes réciproques , (Cohen, 1978) :

la métaphore embellit le discours et montre le génie de son créateur (Pinder et Bourgeois,


1982) ; elle met de la vie et de la couleur dans une réalité organisationnelle plutôt austère
(Czarniawska-Joerges et Joerges, 1 988) ;

la métaphore, c'est-à-dire l'emprunt d'une image à une autre discipline, est un signe de la
multidisciplinarité du domaine étudié et transfère la légitimité du champ originel de I'image au
champ de l'étude (Pinder et Bourgeois, 7982) ;

la métaphore, qui rassemble des perceptions éparses en un tout cohérent, est au service de la
création de sens nécessaire au contrôle de l'action collective. La métaphore dit plus que le nom : si
celui-ci indique ce qu'est Ia chose, celle-là, en disant comment tn elle est, lui donne vie (Czarniawska-
Joerges et Joerges, 1988). Noms et métaphores construisent la réalité organisationnelle et suggèrent
les actions à entreprendre '5 ;

la métaphore est productrice d'une ambiguité qui peut être positive dans certaines situations.
En tentant d'expliquer n A o par < B >, on laisse n ouverte la question de savoir jusqu'à quel point et
dansquellemesurelemodèlede"B"convientà"A"o(LandryI995).Leprocessusmétapho-
rique, qui affirme et nie simultanément I'identité de deux objets, engendre de I'ambigulté.

NW$l Les bénéfices du flou sêmantique


Retournons à la performance. Ces réflexions générales sur la fonction des métaphores permeftent de
proposer les pistes suivantes.

CouprarntrÉ- CoNIRôLE-Auon /Tome 3 -Volume 1 -mars 1997 (pp.89 à 10i)


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3.1. [,,sflrfosllissement
Lutilisation du mot performance embellit certainement les discours managériaux. Cet embellisse-
ment rejaillit à la fois sur la méthode de management, objet du discours, et le locuteur.
D'une façon générale, I'apparition d'un vocabulaire novateur crée un effet de contraste suscep-
tible de capter ou de maintenir I'amention de I'auditeur. Ce vocabulaire nouveau, positivement
connoté, porteur de la notion de réalisation d'une potentialité, nous semble aussi être associé à la
26,
diffirsion des modes managériales dans leurs premières phases. Ainsi, les titres La cubure de l'en-
neprise, facteur de perforruancr (Lemaitre, 1984) ou encore Productiuité à court terme ou perforynnnce
à long tenne (Garibian, 1992) suggèrent des lendemains qui chantent. Ce dernier exemple montre
bien I'utilisation rhétorique 27 de l'opposition entre I'ancien et le nouveau, inhérente au phénomène
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de mode.

Si I'expression nouvelle peut être la marque d'une nouvelle orientation, elle peut être, au
contraire, celle d'une absence d'imagination pour trouver des solutions nouvelles : à défaut de chan-
ger la réalité, on change le nom de cette réalité. Le changement de nom peur alors être considéré
comme n I'expression d'une pratique incantatoire ,, relevant d'un ( management des apparences )
qui s'appuie sur les mécanismes de la pensée magique (Gilbert et Gillot, 1993).
la métaphore met en valeur, outre la nouvelle méthode de gestion, son promoteur acadé-
mique ou consultant. Dans le même sens, Parker remarque que, dans le domaine comptable, - la créa-
tion de mots a contribué à la mise en valeur de la profession (Parker, 1994). Labsence de définition
cette dernière tuerait la métaphore est le prérequis implicite de cet embellissement.
- -

3.2. Une fonction idéologrque


La métaphore conduit le récepteur à associer de manière plus ou moins consciente I'objet étudié à
I'image qui en est proposée. Ainsi, les valeurs portées par les métaphores mécaniste et sportive, à
savoir la rationalité, le progrès, I'eflort, l'équité, sont-elles implicitemenr proposées comme des
valeurs de référence pour l'organisation et/ou ses membres. Dans cet éventail de valeurs, chacun
peut puiser et percevoir, selon ses propres valeurs et son expérience, celles qui lui conviennent le
mieux. La force de la métaphore, comme celle du symbole, tient à ce qu elle exprime < ce qui ne
peut ou ne doit pas être exprimé autrement , (Dégot, 1986). Masque d'une production idéologique,
elle est plus efficace qu'un exposé explicite, plus long à formuler et plus réfutable, puisque du
domaine de I'argumentation.
Suivant un processus similaire, en littérature, la métaphore s'adresse à la sensibilité et non à la
logique du lecteur : elle tire u sa vigueur de la brièveté sidérante grâce à laquelle elle (parvient) à
rejoindre l'événement d'une sensation qui ne se (sait) pas encore, par la promptitude de I'expression
à la révéler à elle-même et à frayer une voie à la connaissance ,, (Pouilloux, 1990, p. 1291). De la
même façon, la métaphore managériale fait appel à des associations souvent insconcientes et non à
des connaissances conscientes. structurées.

Ici encore, I'absence de définition du mot performance est nécessaire pour que le jeu des associa-
tions se fasse librement, pour que chacun puisse extraire des métaphores des valeurs privilégiées.

CoN{r,lnsrurÉ - CoNrnôI-E - Auotr / Tome 3 - Volume I - mars 1997 (pp. 89 à 101)


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SOUS LES PAVÉS tA PI-A,GE... OU LES MULIIPLES FONCTIONS DU VOCABUIAIRE COMPIABLE
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Du point de vue de l'émetteur cette fois, on peut avancer, en empruntant une hypothèse formu-
lée à propos du concept de participation, que le manque de clané du mot (performance) ( provient
du fait que de multiples courants idéologiques peuvent aboutir à proposer un mode de (la perfor-
mance) comme solution aux problèmes qu'ils s'attachent à résoudre n (Rojot, 1992). Une modalité
de la performance deviendrait alors n enjeu politique de stratégies qui dépassent, sans l'exprimer
ouvertement, ce qui apparaît comme son contenu apparent , (Ro.iot, 1992). Ainsi, la récente abon-
dance du mot performance peut être associée à l'émergence de deux courants idéologiques :
une représentation sociale dominante des années 1980, selon laquelle o I'humain devient une
ressource à exploiter, un capital (à) faire frucdfier u [Aubert et Gauléjac (de), 1991]. Chacun doit se
réaliser, réussir, être un ( gagneur > : << cette." conception enrrepreneuriale " de la société [...] induit
une quête permanente de la performance dont les superwomen,les yuppies etles golden boys sontl'ex-
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pression la plus achevée , [Aubert et Gauléjac (de), i991]. Cette représentation ( entrepreneuriale et
,
athlétique de la vie en société (Ehrenberg,l99I) s'exprime bien par la performance-dépassement
de soi. Dans le même sens, Corvellec et Sotto voient dans o la textualité de la performance [...] une
épopée naissante , : n au-delà de la technicité (revendiquée par) les textes de la performance, ceux-ci
contribuent à la formation d'un gigantesque récit épique, [...J genre littéraire (qui soutient les)
grandes options de civilisation o (Corvellec et Sorro, 1993) ;
un mode de management caractérisé par la recherche permanente de l'améliorarion 28, fondée
sur le sentiment que les acquis sont rendus précaires par la turbulence de I'environnemenr écono-
mique des dernières décennies. La performance, concept dynamique, état transitoire voir supra
accompagne bien ce questionnement permanent du management. Le discours sur-la performance -
est moins réfutable que I'exhortation à I'efFort constant, qui pourrait indisposer cerrains salariés...

3.3. Une fonction de fassemblement


Lorsque I'individu peut intérioriser, par le processus précédent, des valeurs organisationnelles, son
sentiment d'appartenance à I'organisation s'accroît. I-lidentification enrre les valeurs organisation-
nelles perçues et ses propres valeurs est d'autant plus grande qu une grande liberté de
sélection/perception des valeurs organisationnelles a été laissée à l'individu dès lors que des méta-
phores occupent le vide créé par I'absence de précision sémantique formelle. - Linconscient lie plus
sûrement et plus durablement que le raisonnement rationnel.
Ceci rejoint une des fonctions des métaphores citées ci-dessus : entretenir le sentiment d'apparte-
nance à une même communauté, par I'acceptation implicite d'une invite à décrypter un message sur
la base d'une information partagée (Cohen, 1978).
De fait, l'usage non précisé du mot performance cultive les sentiments d'appartenance et déve-
loppe I'intimité entre membres d'une même organisation. Le sens du mot est en effêt toujours loca-
lement défini :
dans telle organisation engagée dans une démarche de qualité totale, le mor qualité est réservé
à cette acceptation large de la qualité ; pour désigner la qualité du produit (qudité au sens strict), on
parle de n performance , du produit ;
dans telle unité de production traditionnellement tournée vers la producdon de masse, la
n performance u d'une ligne de production désigne son rendement, mesuré par le rapport de la

CorvrprarrtnÉ. - CoNTRôLE - Auon / Tome 3 - Volume 1 - mars 1997 (pp. 89 à 10 l)


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producdon réalisée (en volume) par la production maximale déterminée par la capacité des
machines.
On pourrait multiplier à I'infini les exemples. Dans tous les cas, il s'agit d'une création linguis-
tique à l'usage exclusif de la communauté de travail, spontanément inraduisible par un membre
extérieur à certe communauté. En excluant les non-membres, le vocabulaire pose de fait les limites
du groupe et crée I'intimité entre ses membres.
En outre, l'utilisation d'un langage ambigu, en particulier en matière de finalités organisation-
nelles, peut éviter des conflits coûteux, lorsque des groupes significatifs d'acteurs n adhèrent pas à
ces finalités (Landry 1995).
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3,i/.;.,',,',,,,.,' Une fonction de légitimation
Le discours de et sur la gestion s'adresse à I'opinion, en particulier atrx salariés. Une des fonctions de
ce discours est de légitimer les pratiques de gestion, de les rendre socialement acceptables. Il cherche
u à séduire, à convaincre par une manipulation de jeux d'images, t...] à être efficace en suscitant
I'adhésion, [...] .. invitant à I'action... , (Galambaud, 1988).
Plus généralement, tout discours est un signe. La sémiotique, science des signes, a érudié divers
types de manipulation (tentation, séduction, intimidation, provocation "). Le discours sur la perfor-
mance, qui propose des images positives (le succès, la puissance) et invite explicitement à I'action,
est un discours de légitimation qui passe par la séduction.
LJn autre rype de manipulation consiste à gommer la marque de l'énoncialion en remplaçant
par exemple
-
< je pense que > par u il est certain que ,. Ce procédé ( transforme un point de vue
conringent en une image naturelle qui va de soi [...]. Cette stratégie de manipulation [...] définit
une vision naurelle de I'organisation et du monde, et confie (au locuteur) le rôle de simple exé-
curant d'un programme imposé à lui du dehors 1...]. Apparaissant comme I'agent d'une volonté
supérieure, (le locuteur) conÊre à sa parole un fondement objectif et la rend légitime , (Marion,
1993), Parole sans auteur, le discours sur la performance Ia présente comme une contrainte ( natu-
relle , imposée par l'environnement. S'il n'est pas douteux que I'organisation ne survit que par son
adaptation à I'environnement, les moyens de cette adaptation restent largement discrétionnaires. Un
discours qui remplacerait le mot performance par les dimensions spécifiques de la réussite organisa-
tionnelle mettrait en évidence les choix stratégiques des dirigeants. Labsence de précision séman-
tique occulte une subjectivité, dont la légitimité est toujours questionnable.

Conclusion
La performance, concept à géométrie variable, est au cæur du discours acuel du conuôle de
gestion. l,a tentation est grande d'y voir simplement l'expression de la mutidimensionnalité du
phénomène managérial. Néanmoins, une analyse élargie 3o des usages de ce concept métaphorique
aussi abondamment employé que rarement défini en suggère d'autres fonctions : I'embellissement
des méthodes de gestion et de leurs promoteurs, la diffirsion de valeurs organisationnelles, le déve-
loppement du sentiment d'appartenance à une communauté de travail, la légitimation des pratiques
de gestion. Dans I'entreprise r', ces quatre u bénéfices , du flou sont d'abord profitables à l'émetteur,
mais l'intérêt de ce dernier rencontre celui du récepteur : I'embellissement rejaillit sur les membres

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SOUS LES PAVÉ,S LA PIAGE... OU LES MULIIPLES FONCTIONS DU VOCABULAIRE COMPTABLE
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de l'organisation, l'écho organisationnel des valeurs individuelles est souvent bien accueilli, le senti-
ment d'appartenance est positif.
Nous pensons que ces fonctions sociales et idéologiques sont à l'æuvre dans le champ comptable
comme dans d'autres champs de la gestion, et que, sans doute de façon largement inconsciente et
a fortiori involontaire, les professionnels et chercheurs du contrôle de gestion contribuent à I'entre-
tien du flou sémantique préalable à ces fonctions. Nous ne doutons pas que cette idée soit potentiel-
lement dérangeante. Mais elle rappelle que sous le raditionnel n pavé n rationnel-téléologique des
discours et des pratiques du contrôle de gestion, s'étend la o plage , de leurs dimensions sociales
et idéologiques.

gnent tous trois à la fois l'action et son abou-


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Notes
tissement.
1. Voir en particulier Blscos er MENDozA (1994),
I 1. Métaphore d'Albert Jacquaru, citée par GtLseRT
tucHeRl (1989).
et PARLIER (1992). Si l'éponge absorbe toures les
2. À savoir, une utilisation récente, abondante et substances qu'elle rencontre, elle se vide lorsqu on
singulière du mot, associée au développement de la presse : un mot peut s'enrichir de tous les sens
nouvelles approches, comme par exemple la attribués par ses utilisateurs, mais, employé à tout
rémunération de la performance (l-e,Ncretx, propos, il ne restitue plus aucune significadon.
1990), et simultanément, un usage plus tradition-
12. Certains jeux de cartes sont des .ieux de hasard ;
nel, pluriel, associé à un instrument de gestion
certains jeux de hasard se jouent en solitaire, etc.
classique (l'appréciation des performances).
13. Guillemets mis par I'auteur.
3. Par exemple Belnn (1986), EHRrNnEnc (1991),
14. Texte original en italique.
KRrzrNsecH et Surru (1994).
15. Comme dans le cas de l'égalité.
4. Au sens d'exactitude, d'exigence intellectuelle
(dictionnaire Larousse, 1 993). 16. Mom soulignés par I'auteur.

5. Nous utilisons dans ce texte de façon indifféren- 17. Cette propension générale à l'évitement du poly-
ciée les mots management et gestion, au sens de thétique est peut-être l'expression d'une intolé-
rance à I'ambiguïté, iesçà-dire d'une o tendance
J. Gtzuu : n lJne situation de gestion se présente
lorsque des participants soît réunis et doivent à percevoir 1...] les situations ambiguës comme
accomplir, dans un temps déterminé, une action sources de menace o (BuoNnR, 1962) .

collecdve conduisant à un résubat soumis à un 18. Guillemers mis par I'auteur.


jugement externe , (GtRtN, 1990) (mots soulignés 19. C'est nous qui soulignons cette uaduction littérale.
par l'auteur). 20. Lanalyse qui suit vaut pour la langue française.
6. Le signifiant désigne le nom, l'image acoustique En anglais, la métaphore théâtrale est également
et le signifié désigne le concept représenté par le très présente.
signifiant [Seussunr (de), 1949). 21.Au sens de vision du monde implicite ou expli-
7. Souligné par I'auteur. cite (MoncnN, 1980, p.606).
8. Les facteurs o qualitatifs u qualité du produit 22.Même lorsqu il ny a pas de compétition organi-
-
et du service au client, flexibilité de l'outil de sée, le sport reste une activité compétitive, dans
production... y occupent souvent une place laquelle le spordf se compare à lui-même afin de
croissante.
- se dépasser.

9. Activity-Based Management. 23.Pour plus de détails voir CourN (1978), MeN


lO.On notera que réalisation, accomplissement et (oe) (1978).
performance (en français comme en anglais) dési- 24.C'est nous qui soulignons.

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SOUS LES PAVÉS IA P[AGE... OU LES MULTIPLES FONCTIONS DU VOCABUT.AIRE COMPTABLE
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25.Dire que telle chose est un gaspillage suggère Bousr M. (1968), Signifcation du sport, Paris,
qu il serait bon de le réduire (CznnNnrxzsre.- Editions Universitaires.
Jonncrs er JoERGES, 1988). BouqurN H. (1986), Le Connôle de gestion, Paris,
26. Nous employons ici le terme mode sans la Presses Universitaires de France.
connotation péjorative quon lui prête parfois, BouncutcNoN A. (1993), n Lévaluation de la
pour désigner simplement ce phénomène social performance : du rationnel au qymbolique >, in
généralisé que représente le renouvellement Uniuersalité et contingmce dz la gætion dcs
permanent de ce qui est ( convenable à une ressources ltum.Aines, Actes
congrès dedu IV"
époque donnée pour un milieu social donné o. |AGRH, Jouy-en-Josas (France), Groupe HEC,
(THÉvtNm, 1985). vol.2, pp. 19-33.
27.Dans la mesure oir la performance est un concept BouncutcNoN A. (1995), n Peut-on définir la
plus large que la productivité, elle ne s'y oppose performance ? ,, Reuue fançaise dz comptabilité,
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pas vraiment. n" 269, pp.6I-66.
28. Semblable à l'approche n kaizen u (démarche BuoNeR S. (1962), o Intolerance of ambiguity as a
critique, graduelle et continue d'amélioration) du personality variable ,, Journal of Personality,
management japonais (Iuel, 1989).
pp.29-50.
29. Selon que I'on propose des images ou des objets
Csotvlsrv N. (1965/1971), ,4spects dz la théorie
négatifs ou positifs (MaruoN, 1993).
ryntaxiqae, Paris, Seuil (Édition originale :,4spects
30. Outre l'élargissement aux autres champs du of the tlteory of syntax, Cambridge (Mass.), MIT
management qui a été étudié, on pourrait égale- Press).
ment étendre la réflexion à d'autres mots du
Counu T. (1978), o Metaphor and the cultivation of
vocabulaire comptable. On pense en particulier
intimacy o, Critical Inquiry, automne 1978,
au mot valeur.
pP.3-r2.
3l . Dans le milieu académique, I'embellissement
Courr-SpowvtllE A. (1989), Une éducation pbiloso-
paralt le principal bénéfice. Chacun est suscep-
phique, Paris, PUF.
tible d'y recourir à un moment ou à un autre,
pour se mettre à son tour en valeur (GIlrrnr et Corulrn F. et aL (1990), u Connaissances et repré-
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