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Ces chroniques philosophiques ont été préalablement publiées dans le

magazine science-techno-société pour ados Curium.


SOMMAIRE

J’aime mieux être seul qu’avec des amis. Suis-je bizarre??


Face à l’urgence climatique, peut-on être alarmiste sans être pessimiste?
À partir de quand on cesse d’être ignorant?
Pourquoi est-on incapable de réagir face aux changements climatiques?
Est-ce qu’on peut arrêter le progrès?
À quoi ça sert de connaître des choses?
L’argent fait-il le bonheur?
Pourquoi a-t-on peur de faire des erreurs?
Siri, heu… l’intelligence peut-elle être artificielle?
Pourquoi les adultes n’écoutent pas les jeunes?
Pourquoi suis-je jalouse?
Est-on obligé d’aimer sa famille?
À quoi servent les humains?
À quoi ça sert de réussir à l’école?
Comment faire les bons choix dans la vie?
La vraie démocratie, ça existe?
Est-ce que le travail rend heureux?
Est-ce que c’est responsable d’avoir des enfants dans le monde actuel?
Pourquoi le temps existe?
Doit-on sauver l’environnement?
Est-on libre de faire ce qu’on veut dans notre vie privée?
De quoi doit-on douter?
Pourquoi la sexualité existe-t-elle?
Est-ce que je peux être en désaccord avec quelqu’un qui pense comme moi?
Faut-il espérer que les choses aillent mieux?
Le civisme, est-ce que ça s’enseigne?
Peut-on détester toutes les fêtes et refuser de les célébrer?
La mort, est-ce que c’est grave?
Est-ce qu’il vaut mieux être content ou être conscient?
Comment distinguer les vrais des faux amis?
Qu’est-ce qu’il faut désirer pour être heureux?
Peut-on lutter contre la tristesse?
Pourquoi est-ce qu’il y a des gens méchants?
Quelle est mon importance, considérant que je ne suis qu’un grain de sable dans l’univers?
Est-ce qu’on est proche de la fin du monde?
Philosopher, c’est aimer (philein) la sagesse (sophia).

C’est donc aussi aimer:


- les débats debout dans le bus;
- les objections demi-molles;
- les analogies lendemain de veille;
- les spéculations folk-métal;
- les syllogismes cochons;
- les conclusions avec pas de punch;
- et – bien sûr – les blagues de papa.

Plongez sans modération.


Aristote (384-322 av. J.-C.)
Fils de médecin, Aristote s’installe à Athènes pour étudier à
l’Académie, l’école de Platon. Il fonde sa propre école, le Lycée,
après avoir été tuteur d’Alexandre le Grand. Il y enseigne
12 ans, avant que les Athéniens ne le condamnent à l’exil.
À VOIR:
Déni cosmique, d’Adam McKay, parce que, sérieux, est-ce
qu’on peut agir avant qu’il ne soit trop tard?

À LIRE:
La peste, d’Albert Camus, parce que c’est quand les choses
sont sans espoir qu’on a le plus besoin les uns des autres.
Socrate (470-399 av. J.-C.)
Socrate a passé l’essentiel de sa vie sur la place publique
d’Athènes à interroger ses concitoyens sur leur sagesse – et
trop souvent à montrer ainsi qu’ils n’en avaient pas beaucoup.
L’exercice lui a évidemment valu plusieurs ennemis. Ceux-ci
l’ont fait condamner à mort. À 70 ans, Socrate a bu la ciguë (le
poison) avec sérénité, certain qu’il restait plus sage qu’eux. Le
fait qu’il soit passé à l’histoire comme le père de la philosophie
lui a un peu donné raison.
POURQUOI EST-ON INCAPABLE DE
RÉAGIR FACE AUX CHANGEMENTS
CLIMATIQUES?

— Je ne veux pas te répondre.


— BEN… QU’EST-CE QUE TU VEUX?

— Rien.
— RIEN?

— Rien. Et c’est ça, ta réponse?


— RIEN? LA RÉPONSE AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES? C’EST EXACTEMENT ÇA
QU’ON FAIT ET C’EST LA CATASTROPHE. MOI, JE VEUX QU…

— Arrête de vouloir.
— TU M’ENRAGES!

— Je sais, c’est ça qui arrive quand on veut trop.


— JE TE DIRAI MÊME PAS CE QUE JE VOUDRAIS TE FAIRE EN CE MOMENT…

— Et moi, je vais te répondre (même si je ne veux pas), par compassion


pour ton état misérable.
— ARGH!

— Donne une chance à Schopenhauer, d’accord? Si on est incapables de


ralentir l’économie, c’est qu’elle carbure à notre volonté.
— C’EST QUOI, LE PROBLÈME?

— La volonté est cannibale.


— CANNIBALE?

— À force de vouloir toujours plus, on se bouffe les uns les autres.


— MAIS ON VEUT TOUS S’EN SORTIR, NON?

— Oui… en voulant plus d’autos électriques, de café équitable et de crédits


carbone. Et plus la situation empire, plus les écologistes…
— … VEULENT UNE SOLUTION. MAIS C’EST QUOI LA SOLUTION, POUR TON
SHCHOPINOU?

— Schopenhauer prône la Nolonté. Ne pas vouloir.


— MAIS COMMENT ON PEUT NE PAS VOULOIR?

— En renonçant à soi.
— SACRÉ SACRIFICE!

— Tant qu’on veut sauver ses propres fesses, c’est-à-dire son confort, son
crédit, son image, son cellulaire, ses rêves, ses valeurs, ses privilèges et tout
ce à quoi on s’accroche pour se sentir exister, on joue le jeu de la Volonté.
— MAIS QU’EST-CE QUI NOUS RESTE ALORS?

— L’empathie. Se libérer de soi, c’est aussi pour Schopenhauer se rendre


sensible aux autres.
— ON SERA JAMAIS CAPABLES.

— Vraiment? Veux-tu au moins essayer?


— BON… D’ACCORD.

— Ha, ha, je t’ai eu! Arrête de vouloir.


— ARGH!
Arthur Schopenhauer (1788-1860)
Ce philosophe renonce à une carrière commerciale pour se
consacrer à la philosophie. Comme il s’oppose au rationalisme
dominant à son époque, il ne connaît la reconnaissance que
tard dans sa vie, notamment à travers son élève le plus célèbre:
Friedrich Nietzsche.
George Steiner (1929-2020)
La famille de George Steiner a rapidement déménagé de
l’Autriche vers la France puis vers les États-Unis pour fuir la
vague nazie. Il s’intéresse à ce que nous apprend la culture
(poésie, musique, philosophie, science, etc.) sur nous-mêmes.

À LIRE:
Dans le château de Barbe-Bleue, de George Steiner, parce que
ça prend beaucoup de culture pour bien critiquer la science.
À QUOI ÇA SERT DE CONNAÎTRE
DES CHOSES?

– Attends, je vais vérifier le mot «connaître» dans le dictionnaire.


— VOYONS, TOUT LE MONDE SAIT CE QUE ÇA VEUT DIRE.

– Ah oui? Googlons: «pourcentage de la population qui connaît connaître».


— ARRÊTE DE NIAISER. TOI, LE PHILOSOPHE, TU DEVRAIS SAVOIR ÇA.

– Oh! Dans ce cas, la réponse doit être sur mon Wiki, section «Choses que
je devrais connaître».
— ARGH.

– Tu te plains? Pourtant, tu as ta réponse. Connaître, ça sert à penser. Avant


de pouvoir utiliser une information, il faut l’avoir intégrée: l’avoir apprise,
testée et entreposée.
— BAH, J’AI TOUJOURS MON CELL POUR RÉGLER LES QUESTIONS POINTUES.

– Tu surestimes ta RAM.
— HEIN?
– Ta mémoire de travail. Selon les neurosciences, on ne peut pas travailler
avec beaucoup plus que sept informations à la fois.
— C’EST PAS BEAUCOUP.

– Effectivement. S’il faut que tu réapprennes des nouvelles infos à chaque


problème, ton processeur va surchauffer.
— DONC PLUS ON SAIT DE CHOSES, MOINS ON A BESOIN DE FAIRE D’EFFORTS
POUR PENSER.

— Oui, heureusement – mais aussi dangereusement.


– HEIN? C’EST DANGEREUX DE SAVOIR DES AFFAIRES?

— Si ta mémoire pense à ta place, tu ne penses pas vraiment. Il faut être


capable de remettre en question ce qu’on a appris pour continuer à
apprendre.
– C’EST CONTRADICTOIRE.

— C’est paradoxal. De toute façon, on a tendance à apprendre trop de


choses.
– C’EST POSSIBLE DE TROP CONNAÎTRE?

— Comme disait Hegel: «L’érudition commence dans les idées, mais finit
dans les poubelles.»
– EUH…

— Notre mémoire a une fâcheuse tendance à retenir des informations


insignifiantes, comme le nom de tous les Pokémon…
– LES PAROLES DE SHANIA TWAIN…

— Ou combien de consonnes il y a dans Georg Wilhelm Friedrich Hegel


(17 consonnes).
– DONC… QU’EST-CE QUE JE DOIS APPRENDRE?

— C’est l’école qui doit répondre à cette question. Que faut-il savoir pour
fonctionner ensemble, comme société?
– EUH…

— Déterminer les «connaissances communes», ce n’est pas une mince


tâche, mais c’est une tâche nécessaire. Sans une solide banque de bonnes
connaissances, pas de pensée.
– IL FAUT DONC APPRENDRE DES CHOSES POUR POUVOIR RÉFLÉCHIR…

— Yep. Le flamant rose gonflable de ta réflexion vogue sur la mare de tes


apprentissages.
À VOIR:
Slumdog Millionnaire, de Danny Boyle, parce qu’au final, c’est
plus important de vivre des choses que de savoir des choses.
À LIRE:
La simplicité volontaire, de Serge Mongeau, parce que juste
assez, c’est assez.

À ÉCOUTER:
«La bohême», de Charles Aznavour, parce que vivre d’amour et
d’eau fraîche, ce n’est pas pour tout le monde.
René Descartes (1596-1650)
Destiné à une carrière de notaire, René Descartes, décide
plutôt de tout quitter pour explorer l’Europe. Il mène en solitaire
ses recherches en médecine, en mathématiques et en
philosophie. Il meurt dans de circonstances louches.

À VOIR:
Chernobyl, de Johan Renck, parce que la pire manière de gérer
une erreur, c’est de prétendre qu’on n’en a pas fait.

À ÉCOUTER:
«Failing in a cool way», de Louis Cole, parce que tant qu’à
échouer, aussi bien échouer avec style et énergie.
POURQUOI LES ADULTES
N’ÉCOUTENT PAS LES JEUNES?

– Parce qu’ils n’aiment pas se faire castrer.


— WOAH! ÇA A DÉGÉNÉRÉ VITE.

— C’est toi qui es un dégénéré, selon tes parents.


— QUOI?

— C’est normal, et plutôt sain. Devenir adulte, c’est aussi se couper du


désir de ses parents.
— LES CASTRER?

— Oui. Freud a volé l’idée à la mythologie grecque.


— LES FAMILLES ÉTAIENT DÉJÀ DYSFONCTIONNELLES EN GRÈCE ANTIQUE?

— Surtout celles des dieux. Par exemple, Papa Ouranos voulait rester collé-
collé à Maman Gaïa et lui faire plein de petits bébés…
— ARKEU…

— Mais il ne leur laissait pas l’espace pour sortir de son ventre. Si bien que
le petit dernier, Cronos, s’est tanné et SCOUIC! Coupé, le machin de Papa.
— ÇA ME DONNE DES FRISSONS DANS LES BAHAMAS.

— Mais Cronos, à son tour, a eu peur de ses propres enfants. Il les a


mangés, par précaution.
— QUOI?
— Ado, ça rime avec Chaos. Et le chaos, ça ne fait pas toujours très bon
ménage avec la libido.
— C’EST-À-DIRE?

— Une famille naît du désir des parents, tu vois?


— C’EST BEAU, JE COMPRENDS, OUI.

— Mais vient un moment où on a besoin de place pour vivre nos propres


désirs. C’est le temps de couper le cordon.
— CONCRÈTEMENT?

— Moi, mes parents ont fait la révolution tranquille, c’est-à-dire qu’ils ont
foxé la messe pour écouter les Baronets en mini-jupe et créer le ministère
de l’Éducation. Je ne te dirai pas qui ils ont dû émasculer pour y arriver.
— ON PEUT VISER UNE AUTRE RÉVOLUTION, NON?

— J’espère bien! Mais sache que nos parents ont fait tout ça par amour…
— C’EST LE CAS DE LE DIRE.;)

— Et tes propres désirs? Est-ce qu’ils tranchent vraiment avec ceux de tes
parents?
— QU’EST-CE QUE TU VEUX DIRE?

— Est-ce que tes désirs vont bouffer les désirs de tes enfants?
— Ben… je…

— Quelle raison vas-tu donner à tes enfants pour ne pas qu’ils t’amputent la
bizoune à leur tour?
— ARRÊTE! TU ME CRISPES LES BERMUDES.
À ÉCOUTER:
«Dégénérations», de Mes Aïeux, parce qu’on est tous le
dégénéré de quelqu’un d’autre.

À LIRE:
Apprendre à vivre – volume 2, la sagesse des mythes, de Luc
Ferry, parce que dans les mythes grecs, il y a cinquante
nuances de pas d’allure, mais aussi de la philosophie.
À ÉCOUTER:
«Sarah», de Charles Aznavour, parce que notre famille aussi,
elle peut trouver ça difficile de nous aimer… même quand elle
nous aime inconditionnellement.

À LIRE:
Le tricot, de Jacques Goldstyn, parce qu’une famille est tissée
de toutes sortes d’histoires (et que c’est un sacré bon livre).
À QUOI SERVENT LES HUMAINS?

— À jeter des cœurs de pommes.


— HEIN? À PRODUIRE DES DÉCHETS?

— À produire du CO2 aussi.


— HEIN? À POLLUER?

— À digérer.
— HEIN? À… QUOI?

— Enlève le «o»: à qui!


— À QUI QUOI?

— À qui sert-on?
— ET… À QUI SERVENT NOS DÉCHETS ORGANIQUES, GENRE?

— À des rats, des arbres et des bactéries intestinales, respectivement.


— TU ME MÊLES. MOI JE VOULAIS SAVOIR À QUOI ON SERT DANS L’UNIVERS!

— L’univers, il a une personnalité?


— EUH… NON.

— Des sensations?
— NON PLUS.
— Un compte Spotify?
— PROBABLEMENT PAS.

— Donc, on ne sert à rien pour l’univers. Il n’a pas de besoins.


— MAIS NOUS, ON A DES BESOINS! À QUOI SERT L’HUMANITÉ POUR… NOUS?

— À rien, j’espère!
— COMMENT ÇA, J’ESPÈRE?

— Si tu sers à quelqu’un, c’est que quelqu’un se sert de toi.


— MAIS JE VEUX QU’ON SE SERVE DE MOI! JE VEUX ME RENDRE UTILE.
— Ah, ça c’est mieux.
— MIEUX COMMENT?

— Dans le vide intersidéral, on ne sert à rien. Sinon à quelques formes de


vie qui nous utilisent sans scrupules (et sans être capables de reconnaître
elles-mêmes qu’elles ne servent à rien, visiblement).
— T’AS LE DON D’ÊTRE DÉPRIMANT, TOI…

— Et toi, tu as le don de me remonter le moral.


— AH OUI?

— Tu veux tellement te rendre utile.


— ET ÇA TE REMONTE LE MORAL?
— En cherchant ta place dans l’univers, tu te la crées. Et tu t’assures qu’elle
soit utile aux autres.
— ET QU’EST-CE QUE ÇA FAIT COMME DIFFÉRENCE?

— Te rendre utile à l’humanité, c’est rendre l’humanité un peu plus utile.


— FINALEMENT, L’HUMANITÉ SERT… À SE RENDRE SERVIABLE. WOW.

— Mange un peu de choucroute: c’est bon pour l’économie locale, pour ta


flore intestinale et pour les gaz à effet de serre.
À VOIR:
Le destin de Will Hunting, de Gus Van Sant, parce que parfois
l’école nous rééquilibre autrement que sur le plan académique.
EST-CE QUE C’EST RESPONSABLE
D’AVOIR DES ENFANTS DANS LE
MONDE ACTUEL?

— LE MONDE C’EST DE LA M…

— Musique à mes oreilles!


— MAIS TOUT CH…

— Chante la mélodie du bonheur?


— NON!

— Parle-moi plutôt de ton petit cousin.


— GABI? C’EST UN SACRÉ PHÉNOMÈNE. L’AUTRE JOUR ON EST ALLÉS AU ZOO,
PIS IL Y AVAIT DES LOUTRES, TU SAIS, AVEC LA GLISSOIRE, PIS…

— Arkeuuu!
— T’AIMES PAS LES LOUTRES?

— Bien sûr que j’aime les loutres.


— T’AIMES PAS LES GLISSOIRES?

— Je n’ai rien contre les glissoires non plus. Mais écoute.


[silence]
— J’ÉCOUTE QUOI?

— Le son du boum de natalité dans tes culottes.


— ARKEUUU!

— C’est pas de ma faute si tu es sexué·e.


— JE VEUX PAS D’ENFANTS, PAS DANS NOTRE MONDE DE M…

— … même malgré la catastrophe environnementalo-économique qui se


prépare, le monde dans lequel on vit regorge de trésors.
— ADMETTONS…

— Et des richesses, ça demande à fructifier.


— C’EST ÇA, NOURRISSONS LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE. QUAND ELLE PÈTE,
ÇA FAIT DES GAZ À EFFET DE SERRE.
— Je ne parle pas d’économie ici, je parle de culture. Pour multiplier la
richesse culturelle, il suffit de la…
— COPIER?

— Tu gèles.
— DE LA… METTRE SUR WIKIPÉDIA!

— Tu réchauffes…
— DE LA PARTAGER.

— Oui! La philosophe Hannah Arendt disait qu’éduquer des jeunes, c’est


leur passer le monde – en tout cas, ce qu’il a de meilleur.
— COMME LES GLISSOIRES À LOUTRES.

— Entre autres. Tant qu’il y aura quelque chose, quelque part, à donner en
héritage, il y aura aussi une bonne raison de donner naissance à quelqu’un
qui saura l’apprécier.
Hannah Arendt (1906-1975)
La philosophe fuit le nazisme pour s’installer aux États-Unis, où
elle travaille comme journaliste et conférencière. Elle est la
première femme à être nommée professeure à l’Université de
Princeton.
Emmanuel Kant (1724-1804)
Passionné d’astrophysique, Emmanuel Kant est aussi routinier
que les étoiles. Seul l’achat d’un ouvrage de Rousseau et les
nouvelles de la Révolution française l’auraient fait dévier de sa
promenade quotidienne.
POURQUOI LA SEXUALITÉ EXISTE-
T-ELLE?

– Marche ou crève.
— BEN LÀ TU VOIS BIEN QUE JE SUIS EN PLEIN CALL OF DUTY.

— Donc, crève.
— ARGH. TUÉ. C’EST ÉMILIE QUI M’A TUÉ EN LIGNE. TU ME PORTES
MALHEUR.

— Tu te portes malheur. Tu restes assis. Donc, tu vas disparaître.


— QUOI? DISPARAÎTRE? ARGH. MORT. ENCORE.

— Je te comprends: personne ne veut mourir.


— PREMIÈRE RÈGLE DE CALL OF DUTY.

— Première règle de la vie. Et en plus, c’est ta réponse. La sexualité, ça


existe parce que ça nous permet de vaincre la mort.
— IMPOSSIBLE.

— Ah non? Le seul fait qu’on soit là pour en parler témoigne que nos
ancêtres ont réussi.
— MAIS ILS SONT MORTS, NON?

— Peut-être, mais avant ils se sont bougé le beigne, ensemble, et ils ont fait
des enfants.
— MAIS LÀ, LA SEXUALITÉ ÇA SERT PAS JUSTE À AVOIR DES ENFANTS,
J’ESPÈRE!

— Non, mais la sensualité nourrit la postérité.


— HEIN?

— Le ouiii-ouiii nourrit la démographie.


— HEIN?

— S’il y a huit milliards d’êtres humains sexués aujourd’hui, ce n’est pas


parce que la sexualité est plaisante, c’est parce qu’elle est efficace.
— EFFICACE, VRAIMENT?

— S’il n’avait pas mené à plein plein d’enfants, le plaisir n’aurait pas été
renouvelé, de génération en génération. La jouissance, ce n’est que le prix
de présence.
— OH, LA PROCHAINE RONDE RECOMMENCE. ÉMILIE S’EST RECONNECTÉE!
LAISSE-MOI JOUER.

— Si tu veux arrêter de mourir, lève-toi et marche.


— MAIS…

— Bouge! Va voir Émilie en chair et en os et demande-lui…


— … SI ELLE VEUT VAINCRE LA MORT AVEC MOI?

— Commence par lui demander si elle peut arrêter de te tuer.


À VOIR:
Une révision, de Catherine Therrien, parce qu’on peut partager
beaucoup plus avec ceux qui nous critiquent qu’avec ceux qui
veulent notre bien.
Nietzsche (1844-1900)

Affaibli par la maladie contractée alors qu’il était infirmier


militaire, Friedrich Nietzsche quitte son poste d’enseignant dans
la mi-trentaine. Il erre en Europe jusqu’à ce que le génie, puis la
folie, le frappent tour à tour. Il écrit l’essentiel de son œuvre en
quelques années à peine avant d’être interné.
À VOIR:
The Walking Dead, de Frank Darabont, parce que ce n’est pas
évident de réinventer du sens civique quand les lois ont disparu.

À LIRE::
De la désobéissance civile, de Henry David Thoreau, parce que
savoir bien désobéir aux lois fait aussi partie du sens civique.

À ÉCOUTER:
«Another Brick in the Wall», de Pink Floyd, parce que si on la
met au service des pouvoirs en place, l’école peut emmurer
plutôt qu’émanciper.
Platon (428-347 av. J.-C.)
Platon abandonne tout, au début de sa vingtaine, pour suivre
Socrate. Il a 30 ans quand son maître est condamné à mort.
Platon cherchera toute sa vie à venger cette injustice en mettant
Socrate en scène dans des dialogues d’où il sort presque
toujours gagnant.
EST-CE QU’IL VAUT MIEUX ÊTRE
CONTENT OU ÊTRE CONSCIENT?

— Comme disait mon vieil ami John Stuart Mill, mieux vaut être Socrate
insatisfait qu’un imbécile satisfait.
— ES-TU EN TRAIN DE ME TRAITER D’IMBÉCILE?

— Tu crois que le père Noël existe?


— BEN NON…

— Et trouves-tu ça plate, Noël, depuis que tu sais?


— UN PEU.

— Pourtant, t’ennuies-tu de te faire berner par tes parents?


— C’EST SÛR QUE NON!

— En plus, il n’y avait même pas de cheminée dans ton salon!


— JE M’EN ÉTAIS JAMAIS RENDU COMPTE…

— Mais tu étais tellement plus content dans le temps! J’ai vu les photos.
— LÂCHE-MOI AVEC LE PÈRE NOËL, VEUX-TU?

— Avec plaisir. Il est mort et enterré avec le petit renne au nez rouge et
treize lutins sacrificiels. Et pourtant, tu ne le ressusciterais pas, même si tu
pouvais.
— C’EST CLAIR. MAIS C’EST DÉPRIMANT.

— Plus qu’un adulte qui croit au père Noël?


— OUIN. ET MON PETIT COUSIN, QUI Y CROIT DUR COMME FER?

— Il ne sait pas ce qu’il manque. Nous, oui. Tu l’envies?


— OUI ET NON.

— Tu retournerais en arrière?
— JAMAIS!

— Alors on s’entend: la lucidité est préférable à l’innocence.


— C’EST SÛR… PERSONNE VEUT ÊTRE UN IMBÉCILE HEUREUX.
— Un Noël brun vaut mieux qu’un Noël faussement blanc. Un grincheux
lucide vaut deux lutins candides. Un père Noël décédé vaut mieux qu…
— OK, C’EST BEAU. T’AS PEUT-ÊTRE RAISON, MAIS ON T’INVITERA PAS À
NOTRE PARTY DE NOËL.
John Stuart Mill (1806-1873)
John Stuart Mill suit les traces de son père et professeur James
Mill. Il s’implique politiquement, entre autres, en faveur du droit
de vote pour les femmes.
À ÉCOUTER:
«Here Comes the Sun», des Beatles, parce que cette chanson-
là sonne effectivement comme un lever de soleil printanier.

À VOIR:
Pinocchio, de Robert Zemeckis, parce qu’il faut toujours faire
attention à ce que l’on désire.

Diogène de Sinope (413-327 av. J.-C.)


Diogène se spécialise en mauvais coups publics: casser des
partys chez Platon, se promener avec un poisson mort au bout
d’une laisse, se masturber sur l’agora. Ses bêtises forcent ses
concitoyens à réévaluer leurs opinions et leurs valeurs. Il serait
mort en s’étouffant avec une trop grosse bouchée de poulpe
cru.
PEUT-ON LUTTER CONTRE LA
TRISTESSE?

– Il va d’abord falloir que tu apprennes à lutter contre le bonheur.


– HEIN?

– Finis, les beach parties.


– OH!

– Finie, la peau pas de boutons.


– AH?

– Finies, les passes de skate parfaites sans renverser ton kombucha.


– MAIS LÀ, C’EST PLATE.

– Le bonheur aussi, c’est plate. Si tu t’attends à des autobus toujours à


l’heure et des cacas toujours parfaits, tu risques d’être déçu·e.
– DONC, IL FAUT AVOIR UNE VIE DÉPRIMANTE POUR LUTTER CONTRE LA
TRISTESSE?

– Tu trouves la lutte gréco-romaine déprimante?


– EUH…

— La tristesse et le bonheur sont comme des lutteurs, tellement emmêlés


qu’il est difficile de les séparer. Leurs grognements et leur sueur se
mélangent et…
– ARKEU.
– Mais non! Comme disait Héraclite: «Ce qui lutte forme la plus belle
harmonie.»
– UNE HARMONIE QUI PUE LE SWING.

– Disons plutôt un accord aigre-doux…


– JE VAIS ALLER CHERCHER MON AXE.

– Couvrir la mauvaise odeur ne la fait pas partir. Tu ferais mieux de soigner


ton hygiène spirituelle.
– ET COMMENT JE FAIS ÇA?

– Débarbouille-toi l’âme avec une toast au beurre de pinotte, prends une


petite douche de frisbee au parc ou encore un bain de discussion avec tes
amis.
– J’AI L’IMPRESSION QU’APRÈS TOUT ÇA, MON T’SOUR DE BRAS VA ENCORE
SENTIR UN PEU DRÔLE.

– La lutte contre la tristesse, c’est un travail de longue haleine.


– DE LONGUE MAUVAISE HALEINE, OUI.
Héraclite (544/541-480 av. J.-C.)
On ne sait presque rien d’Héraclite. 129 fragments de l’ouvrage
qu’il aurait écrit nous sont parvenus à travers les citations
d’autres philosophes.
À VOIR
«Du soleil plein la tête», de Michel Gondry, parce qu’à force de
vouloir se débarrasser de sa tristesse, on risque d’oublier ce qui
nous tient le plus à cœur.
À ÉCOUTER:
«L’hymne à l’amour», d’Édith Piaf, parce que sans grain de
sable à aimer, rien n’a d’importance.
EST-CE QU’ON EST PROCHE DE LA
FIN DU MONDE?

– Si l’on en croit Francis Fukuyama, on est peut-être plus proche de la fin


de l’Histoire.
— LA FIN DES COURS D’HISTOIRE? YÉ!

– Désolé de te décevoir, mais tout ce que tu vois dans tes cours d’histoire –
des guerres, des hommes barbus, des découvertes, des chartes, d’autres
hommes barbus – va continuer à arriver.
— DONC, IL VA Y AVOIR D’AUTRES HOMMES BARBUS?

– Oui, et ils vont encore faire plein de choses – et pas juste de la bière de
microbrasserie.
— MAIS COMMENT L’HISTOIRE PEUT ÊTRE FINIE SI PLEIN DE CHOSES SE
PASSENT ENCORE?

– C’est que, selon Fukuyama, l’histoire s’est réalisée.


— ILS VÉCURENT HEUREUX ET ILS EURENT BEAUCOUP D’ENFANTS?

– Disons plutôt: Ils s’enrichirent et votèrent pour le parti le moins pire. Le


capitalisme et la démocratie sont là pour rester.
— OH, WOW. C’EST ÇA, LA FIN DE L’HISTOIRE?

– Ouin, je sais, c’est décevant. Mais ça vaut la peine d’écouter son


raisonnement (et ton prof d’histoire).
— J’ÉCOUTE.

– Des Grecs et des Romains jusqu’au monde moderne, en passant par le


Moyen-Âge, on s’est toujours dirigé vers plus d’égalité et plus de
prospérité.
— AAAH! DONC C’EST ÇA QUI EST FINI, L’ÉGALITÉ ET LA PROSPÉRITÉ? ON
NE LES VEUT PLUS?

– Au contraire! On n’en a jamais voulu autant.


— ET ON VA TOUJOURS EN VOULOIR PLUS.

– Oui, mais maintenant, on n’a pas besoin de faire la révolution pour


devenir plus égaux et plus riches. Le jeu n’est pas fini, mais les règles ne
changeront plus. Capitalisme et démocratie, BFF.
— ES-TU MALADE? TRUMP, POUTINE, LA POLLUTION, LE GASPILLAGE…
C’EST LA FAUTE DE LA DÉMOCRATIE ET DU CAPITALISME!

– Peut-être, mais je ne t’ai pas vu à la manifestation hier.


— J’AVAIS UN COURS D’HISTOIRE.

– Et pourquoi as-tu assisté à ton cours d’histoire?


— PARCE QUE JE VEUX UN DIPLÔME, PUIS UNE JOB, PUIS UNE CHANCE
D’AMÉLIORER LE SYSTÈME.

– Ah. Donc tu ne fais pas partie d’un groupe anarchiste?


— EUH… NON.

– Communiste?
— ILS SONT PAS MORTS, EUX AUTRES?

– Calinoursiste?
— NON, ÇA C’EST MA PETITE SŒUR.

– Et voilà. Pas de révolution en vue.


— DONC, TON FUKUYAMA, IL PENSE QU’ÉLIRE UN AUTRE ZOUAVE ET
CONSOMMER DU RED BULL BIO VA SAUVER LE MONDE?

– On lui a beaucoup reproché son optimisme, oui. Son pari, c’est que la
démocratie et le capitalisme peuvent venir à bout de n’importe quelle
menace.
— ET S’IL PERD SON PARI?

– Ça va être la fin du monde (démocratique et capitaliste).


Francis Fukuyama (1952-)
Né d’une famille japonaise immigrée aux États-Unis au début du
XXe siècle, Francis Fukuyama est un analyste et philosophe
politique néoconservateur.
CRÉDITS PHOTOS

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10, 14, 18, 21, 24, 25, 28, 29, 33, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 45, 48, 52, 54, 55, 58, 62, 66, 67, 70, 71, 72,
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129, 132, 136, 140, 141

It (2017) Warner Bros Picture - Roy Lee / Dan Lin / Seth Grahame-Smith / David Katzenberg /
Barbara Muschietti
86
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et
Archives Canada
Titre: Réfléchir pour mourir moins cave: 35 questions philosophiques à se mettre sous la dent / Louis
Dugal.
Noms: Dugal, Louis, auteur.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230074782| Canadiana (livre numérique) 20230074790|
ISBN 9782897148669| ISBN 9782897148676 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Philosophie—Miscellanées—Ouvrages pour la jeunesse.| RVM: Morale—
Miscellanées—Ouvrages pour la jeunesse.| RVMGF: Dialogues (Littérature)| RVMGF: Documents
pour la jeunesse.
Classification: LCC B77.D84 2024| CDD j100—dc23

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