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Henri Bouasse
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NOTE DE L’ÉDITEUR
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SCIENCE ET PROFESSORAT
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besognes l’intelligence n’a que faire. Les étrangers demandent
aux Français d’être français avec leurs qualités et leurs défauts ;
nous demandons aux étrangers d’être eux-mêmes : ce qui par
définition exclut toute coopération intellectuelle, autrement que
dans ce sens général que chacun s’efforcera, à sa manière et de
son mieux, de pousser le Char de la Science.
Mes chers compatriotes me reprochent in petto (ce ne sont pas
choses à proclamer) d’essayer, suivant mes moyens, un tableau
général de la Science acquise. Je suis un gâcheur, un empêcheur
de danser en rond parce que le tableau, pour mal brossé qu’il
soit, ne laisse pas de servir de repoussoir aux œuvres géniales
qui grandissent autour de nous comme champignons en forêt
après l’orage. S’il faut en croire les interviews que publient les
journaux, les littérateurs modernes ne lisent rien, les peintres
seraient joyeux que le Louvre flambât, les musiciens supprime‐
raient allègrement les œuvres de Bach ou de Beethoven.
Les savants ne demandent pas encore qu’on relègue Newton et
Fresnel dans le placard aux vieilles lunes : mais cela viendra.
Il est clair que si l’on annulait à mesure tout le passé, les
vivants nous paraîtraient beaucoup plus grands, faute d’un étalon
de mesure ; ils sont dans la logique de leur vanité en demandant
qu’on déblaie : « Enlevez les vieux, car ils sentent ! »
Tout élève du Conservatoire à qui l’on apprend à prononcer
les mots, pense qu’on éteint son génie, qu’on brise ses ailes,
qu’on atrophie son idéal artistique. Jusqu’à présent les savants ne
tombaient que par exception dans ces godants ridicules ; mais
voici qu’ils élèvent à la hauteur d’un
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principe le mépris de toute instruction. Je vous laisse à penser
de quel œil ils voient le monsieur qui rend accessible la Science
acquise, et qui, bon gré mal gré, les oblige à se mettre au
courant pour que leur ignorance foncière n’apparaisse pas trop
grotesque.
Les conséquences de cet état d’âme méritent qu’on les tire :
mes savants compatriotes m’en voudront un peu plus ; mais ils ne
peuvent ignorer à quel point leurs sentiments à mon égard me sont
indifférents.
Et quum in alto jacet, despicit.
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quelques autres signes caractéristiques ; vous déterminez sans
peine si le nouveau-né est manchot ou cul-de-jatte, aveugle ou
bossu. Malheureusement le génie se distingue plus malaisément :
c’est à l’œuvre qu’il apparaît.
Par malchance, pour les sciences expérimentales, les enfants
prodiges n’existent pas : comment faire la sélection ?
Ne dites pas qu’elle résultera d’un examen, puisque l’examen
porte nécessairement sur la science acquise, science que vous
méprisez cordialement (retournez-vous de grâce et l’on vous
répondra !).
La sélection résultera-t-elle d’un premier mémoire ? Bon
prince, je vous l’accorde. Vous avez donc accouché d’un travail
pas trop insignifiant ; vous donnez de grandes espérances ; on
vous sacre génie en herbe, on vous paie pour travailler dans un
laboratoire. Soit ! mais à une condition : on vous coupera les
vivres si vous ne produisez pas régulièrement du bon travail et si
vos mémoires ne montrent pas un progrès systématique vers la
perfection, toute relative, exigible, d’un monsieur renté par les
contribuables ad majorem gloriam patriæ.
Eh bien ! souffrez que moi, contribuable français, je repousse
ce système, parce que je connais notre administration.
On vous nommera génie en herbe parce que fils à papa ; on
vous conservera votre sinécure même si vous ne faites rien qui
vaille, primo parce que fils à papa, secundo parce qu’en France
dès qu’on tient une place, il n’y a pas d’exemple qu’on la perde
par incapacité.
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Votre système nous le connaissons. Lorsque Liard reconstitua
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les facultés (c’est une manière de parler), on décréta que les
maîtres de conférences qui ne publieraient rien ne seraient pas
renommés (leur nomination était annuelle). Je connais deux
exemples de cette rigueur ; ils datent de trente-cinq ans. Ai-je
besoin de vous apprendre qu’aujourd’hui vous pouvez, s’il vous
plaît, dormir sur vos deux oreilles : non seulement personne n’y
trouve rien à reprendre, mais vous êtes le chouchou d’une
administration imbécile ?
Votre système est, dit-on, pratiqué en Amérique : outre-océan
on paie pour « travailler » ; si vous ne rendez pas, on vous
dégomme. Mais nous ne sommes pas en Amérique ; le mot
efficiency n’est pas français.
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Le scandale est tel que naguères une circulaire interdisait aux
professeurs de faculté d’administrer une exploitation industrielle.
Mais si l’État est tout à coup pris de scrupules, comment souffre-
t-il les cumuls dont il me serait trop facile d’allonger le
catalogue. Au surplus dire que la science doit aider l’industrie,
ne signifie pas qu’un professeur, payé par l’État pour travailler
dans son laboratoire, peut, sans voler le contribuable,
administrer une mine, un chemin de fer, un office de brevets, une
fabrique de produits chimiques.
Qu’on les paie davantage, dites-vous ; ils ne compléteront pas
ailleurs leur matérielle ! Certes il y a matérielle et matérielle ;
mais je crains que payés le double, ils ne trouvent pas davantage
la matérielle suffisante pour ne faire que leur métier.
Un professeur me disait : « On ne peut vivre à moins de
cinquante mille francs. » De fait il est professeur ici, professeur
là, expert ailleurs, chargé de missions, que sais-je encore ! Il
gagne largement les 50 000 balles. Voulez-vous qu’on le paie
50 000 francs pour s’occuper au laboratoire de la science qu’il
professe ? Tel que je le connais, il trouverait bien moyen de
cumuler autre chose !
Mais les règlements s’y opposeront ?
Vous êtes candide ! Nous payons des gens dans les facultés de
médecine pour travailler à l’avancement de la science : dans
leurs laboratoires ils
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ne fichent pas les pieds. À Toulouse je pourrais vous nommer
tel préparateur, payé 15 000 balles, qui ne paraît à la Faculté que
pour toucher ses appointements !
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Encore si ces cumuls se justifiaient !
Mais ils sont ordinairement d’une évidente absurdité.
Vous prétendez donner aux enseignements de la Sorbonne, de
l'École Polytechnique, de l’École Centrale… des caractères
différents… ; et ce sont les mêmes individus qui viennent y
débiter les mêmes cours !
À moins de supposer que ces messieurs s’adaptent au milieu
comme des caméléons, leurs cours ne peuvent simultanément
satisfaire aux besoins différents de leurs élèves : un cours
acceptable à la Sorbonne devient stupide à l’École Centrale.
Que dire d’un professeur à la Sorbonne qui enseigne à Sèvres
ou à Saint-Cloud, ou d’un mathématicien au Collège de France
qui dirige une école pratique de physique et de chimie.
Un fait entre mille pour fixer les idées.
Un professeur à la Sorbonne, mort aujourd’hui, fut nommé
directeur d’un laboratoire d’essai aux Arts et Métiers.
Naturellement il n’y mettait jamais les pieds. Malheureusement
pour lui, il n’était pas l’ami du ministre des Travaux publics qui,
sans tambour ni trompette, vint un beau jour visiter son
laboratoire. Ledit professeur naturellement absent perdit sa
place. Inutile d’établir pour tous ces laboratoires une feuille de
présence : le garçon aurait la main, comme on disait au grand
siècle.
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Voyons ce qu’on exige de nos génies et si vraiment ils ont le
droit de se plaindre.
Dans les facultés de province nous devons 3 cours par
semaine, plus exactement 2 cours et une conférence. L’année
scolaire étant de sept mois, chaque mois contenant environ 13
cours ou conférences, on nous demande une centaine de leçons au
maximum. Les professeurs de la Sorbonne ne faisant que 2 cours
par semaine, le nombre des leçons se réduit à une soixantaine ;
enfin certains d’entre eux, ayant des cours semestriels, donnent
environ 30 leçons par an.
Si ces messieurs arguent la fatigue que nécessite la préparation
de leurs cours, j’en conclus leur ignorance, les cours portant
toujours sur le même programme, celui de licence, qui n’a rien de
particulièrement relevé. J’imagine qu’on ne doit pas beaucoup se
fouler les méninges pour enseigner l’électricité ou l’optique
élémentaires, sujets de deux cours semestriels à la Sorbonne.
Quant aux expériences de cours, outre que je pourrais citer
nombre de cours (voire de chimie) où l’on n’en fait pas, nous
avons des aides pour les préparer. Alors même que nous serions
obligés de les mettre au point de nos propres mains (tel Nadar
qui opérait lui-même !), si nous
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savons notre métier il ne faut pas grand temps pour cela : au
surplus je vous montrerai que c’est tout bénéfice pour nous-
mêmes.
En définitive une heure de cours à la Sorbonne est payée 500
ou 1 000 francs, suivant qu’il est annuel ou semestriel ; un cours
en province est payé 200 francs. À ce prix on peut légitimement
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exiger du professeur qu’il fasse quelque chose entre ses cours
que généralement un phonographe réciterait aussi bien que lui.
J’en sais qui débitent mot à mot leurs cours imprimés, y compris
le numérotage des paragraphes et des équations.
Mes chers collègues l’oublient trop facilement : le public, qui
les paie, trouvera qu’il n’en a pas pour son argent quand il saura
comment on le gagne.
Qu’on ne se méprenne pas sur ce que je dis : il faut des
professeurs, il faut qu’ils vivent décemment. Mais il ne faut pas
que le professeur de faculté se croie quitte envers le contribuable
quand il a fait ses cours : ils seraient alors ridiculement trop
payés.
Et l’on voit maintenant la sottise de distinguer deux ordres de
savants : ceux qui enseignent, ceux qui découvrent.
Ceux qui enseignent sans vivre dans leur laboratoire,
enseignent en dépit du sens commun ; il me reste à vous montrer
que la nécessité d’enseigner ne peut qu’être utile pour la
découverte. Certes je suis avec les professeurs de faculté qui
demandent qu’on les débarrasse de l’odieux bachot. Leur
imposer cette corvée n’a d’autre excuse que la peur inavouée
d’abandonner le bachot aux professeurs de lycée ou le désir
d’une économie de bouts de chandelles. Les professeurs de lycée
déclarent que nous y sommes ridicules et n’ont pas tort ; qu’ils le
gardent pour eux seuls puisqu’ils le croient nécessaire ! Quant à
l’argument que messieurs X, Y, Z, illustres savants, ne jugeaient
pas au-dessous de leur génie de le faire passer, je conseille de ne
pas trop le faire sonner ; la vérité est que les illustres X, Y, Z, y
étaient honteusement malhonnêtes, corrigeant les copies par-
dessous la jambe, expédiant 20 oraux entre 9 h. et demie et 11
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heures !
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Nous avons une théorie classique de la Capillarité, sujet pour
lequel la bibliographie compte au moins deux mille numéros ;
j’en ai bien lu 500. Des gens très habiles ont peiné pour nous dire
quand elle vaut et quand elle ne vaut pas : nos chimico-
physiciens n’en connaissent pas le premier mol.
Pourquoi cet effroyable gâchis ? Tout simplement par ce qu’on
veut aujourd’hui découvrir sans fatigue quelque loi bien générale,
ce qui est beaucoup plus avantageux et plus facile que de faire en
conscience un bon travail expérimental. Certes la loi générale
sera reconnue fausse dans quelques années ; qu’importe, si d’ici
là nous avons récolté des honneurs et de profitables
récompenses !
Il est clair que si nos physico-chimistes connaissaient un peu
mieux la nature et la complexité des problèmes qu’ils résolvent
si allègrement, ils auraient honte de leurs approximations
insoutenables et de leurs généralisations précipitées. Aussi
voient-ils sans enthousiasme des ouvrages comme les miens qui
les forcent à réfléchir sur l’ensemble de la question et mettent en
garde le lecteur contre leurs élucubrations hâtives.
J’avais dans le temps un collègue qui disait : « Seule
m’intéresse la constitution de la matière. » Comme sur ce point,
assurément fondamental, des expériences bien faites ne
fournissent des lumières qu’à la longue et après beaucoup de
travail, il se contentait de ne rien faire.
Nos physico-chimistes n’en font pas davantage mais
découvrent une loi générale tous les matins : une idée par jour !
Et les idiots les trouvent très forts.
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situent tout de travers. Sous prétexte qu’on ne connaît la forme
d'une loi que depuis peu, ils s'imaginent les expériences
antérieures bonnes à jeter au panier. Ils ignorent, les malheureux,
que la meilleure méthode pour découvrir, je ne dis pas un fait
nouveau (c’est affaire de chance le plus souvent) mais une loi
capitale, est de PRENDRE LA FILE. Toute la théorie de l'émission
repose sur la loi de Stefan ; qu’ils apprennent dans le mémoire de
Stefan de quelles expériences sort la loi.
Vous objectez que nos jeunes savants sont bien trop malins
pour s'occuper d’autre chose que des phénomènes les plus
récemment découverts ; on se met alors très vite à la page.
Malheureusement tout est dans tout ; ils sont nécessairement
conduits à parler des phénomènes connus depuis longtemps et
déraisonnent à qui mieux mieux.
Il y a quelque vingt ans, comme j’avouais mon intention
d'écrire un traité de physique, un physicien s’étonnait de
l’énormité de la tâche entreprise ; je lui répondis qu'il n'y a
d’autre manière d’exposer raisonnablement un point que
d’exposer l’ensemble. La démonstration de cet aphorisme est
fournie par les multiples encyclopédies où de nombreux auteurs
se partagent la besogne : l’incohérence y règne souverainement.
Autant qu’il est permis à l’esprit humain de juger l’ensemble
par le peu que nous en connaissons, les questions sont
d’importances très diverses ; entre elles existe une hiérarchie.
Comment l’étroit spécialiste peut-il la respecter ? Comment ne
fera-t-il pas sa part trop belle au petit problème qui l’occupe et
dont son intérêt est de gonfler le rôle ?
Après tout n’est-il pas excusable et ne suis-je pas naïf ? Quand
on a beaucoup travaillé malgré l’hostilité générale, on est
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tellement habitué à être volé comme dans un bois qu’on finit par
trouver cela tout naturel ; on se console en travaillant de plus
belle. Mais le jeune savant est excusable d’avoir moins de
philosophie : il voit les nullités prétentieuses entourées d’égards,
comblées d’honneurs ; il lui faudrait une force de caractère peu
commune, une honnêteté aujourd’hui bien rare, pour ne pas suivre
d’aussi pernicieux exemples. Puisque la fortune scientifique
s’acquiert par des procédés de charlatan, seuls Don Quichotte et
Alceste, conseillent le travail honnête. Il n’en sera ni plus ni
moins ; mais le rôle des Don Quichotte et des Alceste est de
conserver l’idéal, comme à Rome les Vestales entretenaient le
feu sacré !
Ni Don Quichotte ni Alceste n’empêcheront nos jeunes savants
de
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couvrir quelque nullité d’un manteau de gloire, manteau si
vaste, aux plis si larges, qu’ils abritent dessous leur impatient
arrivisme. C’est un spectacle bouffon, attendrissant, du soin
qu'ils prennent de raccommoder les trous du pallium pour y
trouver un abri commode ; ils poussent la Nullité pour avancer
avec elle, ils l’étaient contre les cabots, écartent de leur mieux
les pommes cuites, finalement l’abandonnent quand décidément
la Nullité ne tient plus : tels les rats quittent le navire qui sombre.
S’ils ne sont pas trop vieux, ils cherchent une autre Nullité auprès
de laquelle la comédie recommence : la bande se reconstitue
autour de la nouvelle idole. Naturellement les étrangers adoptent
ces idoles successives, heureux de nous juger sur des
échantillons de pacotille. La comédie va plus loin : s’ils ont un
fils à caser, les arrivés décatis adoptent pour leur progéniture un
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chef de file parmi de plus jeunes, sans souci de sa valeur,
uniquement pour ses chances d’arriver à son tour.
Jadis le père choisissait une bru pour son fils, maintenant c’est
un chef de bande, dont il devient le comparse.
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bonnes histoires) ; que m’importe puisque mes livres sont sur
toutes les tables ?
Rien n’est amusant comme le soin que prennent nos
professeurs de Faculté (l’École normale donne le branle) de
détourner leurs élèves de la lecture de mes livres. « Gardez-
vous, disent-ils, d’en apprendre autant ! Votre crâne éclaterait !
Tâtez le nôtre : il est vide. Ce qui prouve qu’on arrive sans rien
savoir. Ménagez-vous, bachotez. Ayez pourtant le soin
d’apprendre un historique et de mettre des renvois
bibliographiques au bas des pages : c’est facile et donne
l’illusion de la Science. »
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Hélas ! ces conseils désintéressés ne sont pas suivis, au moins
hors de nos frontières : en file mes livres font le tour du monde.
Quoi qu’il en soit, nos amateurs de théories générales et
transcendantes en arriveraient bientôt à la conviction que les
grandes synthèses ne servent ni pour renseignement, ni pour la
découverte. Pour renseignement, c’est évident : pour la
découverte, c’est un fait d’expérience.
D’une découverte quelconque, même parmi les plus
importantes, étudiez la genèse. Vous trouverez toujours une
hypothèse directrice réalisée sous forme concrète dans l'esprit
du savant qui découvre ; vous serez surpris du peu de précision
mathématique qu’avait ordinairement ce postulat.
L’erreur fondamentale des mathématiciens est de croire qu’on
découvre grâce à des formules : ON DÉCOUVRE AVEC DES
IMAGES, ON ORGANISE AVEC DES FORMULES.
Les découvertes sont toujours dues à des hypothèses
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particulières, se traduisant par des mécanismes grossiers mais
facilement imaginables ; souvent à l’origine d’une découverte est
un raisonnement erroné, mais conduisant à une représentation
concrète.
Cette règle s’applique même aux parties de la science assez
avancées pour que rien n’eût empêché de tirer le fait des
formules. Témoin la fameuse expérience du pendule de Foucault.
Foucault part de l’hypothèse que le plan d’oscillation tourne le
moins possible ; un raisonnement faux le conduit fi la loi du sinus
de la latitude. Ensuite viennent les mathématiciens qui, dans les
équations du mouvement relatif, retrouvent la loi vérifiée par
l’expérience.
Depuis un demi-siècle ils connaissaient les équations ; ils
n’avaient pas été capables d’y voir le phénomène.
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mes moutons.
Parlons un peu de la théorie d’Einstein.
Je n’y comprends rien et ne suis pas le seul dans mon cas
puisque quelques centaines, pour ne pas dire quelques milliers de
personnes nous expliquent ce qu’elle signifie. Apparemment s’ils
comprenaient eux-mêmes, tant de gens n’éprouveraient pas le
besoin de nous expliquer comment ils comprennent. C’est la
première fois depuis que la physique existe, qu’une théorie a
besoin de tant de commentateurs qui du reste ne
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s’entendent pas. Nous avons eu la joie d’assister à un procès
(première instance et appel) où le demandeur montrait des lettres
olographes d’Einstein déclarant que nul n’avait aussi bien saisi
le fonds de sa pensée, alors que le défendeur s’efforçait de
prouver que nul n’avait aussi complètement déraisonné.
Je n’ai pas à prendre parti. Ces messieurs ont trouvé une
nouvelle définition du sens commun qui devient naturellement
leur propre manière de penser : aujourd’hui les mots perdent leur
sens vulgaire.
Dans une brochure qui les mit hors de leurs gonds, je me suis
borné à leur demander comment ils voulaient qu’on enseignât
l’optique, tout disposé à les suivre si leur méthode était plus
courte et plus facile que la méthode traditionnelle. On ne saurait
croire les sottises qui m’ont été répondues : ces messieurs
auraient bien mieux fait d’avouer, ce qui se trouve imprimé dans
la thèse de l'un d'eux, que l’optique des interférences, de la
diffraction, de la polarisation elliptique et rotatoire est une
vieille rengaine dont ils n’ont cure ; qu’il s’agit de l'émission ;
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que le reste s’arrangera comme il pourra, ayant perdu toute
actualité, par suite tout intérêt scientifique (toute chance de valoir
des prix académiques et des places au Dépôt).
L’un a bien voulu m’apprendre qu’aux dernières nouvelles
Einstein retrouvait l’éther au bout de sa théorie ; l’autre que cete
théorie conservait l’éther comme première approximation, mais
par rapport à un système particulier de référence ; un troisième
que grâce à cette théorie on peut faire presque complètement
abstraction de l’éther ; un quatrième qu’il existe un milieu
transmettant les perturbations, mais qu’il faut le considérer
comme un pur espace géométrique.
À quoi je réponds en toute humilité que je ne tiens pas
spécialement au mot éther, mais qu’indépendamment de toute
existence réelle de l’éther, existence dont je me soucie comme
d’une noisette, il n’est peut-être pas inutile de se rappeler le sens
des mots.
Il est entendu, dans ce qui suit, que l’existence est pour moi
une existence fictive, un postulat que nous mettons à la base d’un
système d’explications, une manière commode de grouper les
résultats pour les mieux retenir et pour en découvrir de nouveaux.
Il est d’abord évident que cette existence, toute fictive, toute
pragmatique qu’elle soit, est ou n’est pas : jusqu’à présent on a
toujours admis que l’existence n’a pas de degré. On n’existe pas
en première approximation ou presque complètement ; on existe
ou l’on n’existe pas : je vous laisse l’alternative. Je ne défends à
personne de reléguer dans le placard aux accessoires inutiles
l’existence d’un milieu qui transmet l’énergie, de remettre en
honneur les théories d'émission. Je demande simplement qu’on
dise si l’on maintient les théories ondulatoires ou si l’on est
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décidé à les abandonner.
Dans la seconde hypothèse je demande à nouveau comment
enseigner l’optique classique qui implique essentiellement
l’existence d’un milieu.
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Au cas où l’on maintient, le milieu, force est bien de lui
supposer des propriétés : c’est un non-sens de le considérer
comme un espace purement géométrique. Mais, insiste-t-on,
qu’est-ce que cela peut vous faire puisqu'en tout état de cause
vous ne soutenez pas l’existence réelle de ce milieu.
Moi, ça m’est bien égal ; cela ne m'empêchera ni de dîner ni
de dormir ; seulement je trouve que vous raisonnez comme des
pantoufles. Quand on admet un système d’explications, la règle
du jeu est de faire comme si son existence était réelle.
Partons-nous du postulat d’un milieu (par opposition aux
actions à distance) : nous devons lui prêter les propriétés qui
conviennent ; ce n’est donc pas un pur et simple espace
géométrique.
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arbitraires les unes que les autres. Nous passons notre temps à
donner aux atomes, aux molécules, aux ions, aux électrons des
propriétés qui n’ont rien de nécessaire et qui ne sont là que pour
amener certains résultats expérimentaux.
C’est ce que nous appelons expliquer les phénomènes.
Alors même que vous admettriez la multiplicité des temps,
vous n’en serez pas moins forcés d’introduire le fait expérimental
(par exemple) que certaines radiations, repérées comme il vous
plaira, sont les unes absorbées, les autres transmises par un
certain milieu matériel.
On dirait à vous entendre que la physique est dans un état si
avancé qu’il suffit maintenant d’en coordonner les diverses
parties. Ignorez-vous que les phénomènes qui consentent à rentrer
dans nos théories particulières, constituent pour l’heure une
honorable exception ? Ignorez-vous que l’on ne retrouve au bout
d’un sorite que ce qu’on a mis dans les prémisses ? Comment
avez-vous l’impudence de dire au public qu’une formule simple
contient l’armée des hypothèses particulières que nous avons été
forcés d’introduire le long du chemin ?
Sinon, à quoi rime votre soi-disant unité ?
Mais il est moins pénible d’écrire des équations que de faire
des expériences ; à les résoudre on remplit beaucoup plus de
pages en un temps donné ; qu’importe le contenu puisque
personne ne le lira ! Il y a 30 ans on se plaignait en France de ce
que les expérimentateurs ignoraient les théories. La roue a
tourné : il n’y a plus d’expérimentateurs parmi les jeunes ; on ne
voit que des mathématiciens ignorant les phénomènes.
Leurs thèses soi-disant expérimentales sont d’une pauvreté
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navrante.
[XVI]
Qu'ils enseignent la physique : ils seront forcés de
l’apprendre. Peut-être alors finiront-ils par comprendre l'inutilité
foncière des vastes synthèses !
Peut-être éviteront-ils le ridicule de tonnes de papier noircies
à propos d’une théorie qui, aux dernières nouvelles, s’effondre
piteusement par la base. L'éminent savant Lorentz assistait à cette
expérience cruciale : on nous raconte qu’il en fut vivement
impressionné.
Je n’ai pas de peine à le croire.
Une seule chose m’étonne : qu’on ait tant tardé à réaliser sur
une montagne l’expérience fondamentale Michelson-Morley,
alors que tout le monde savait que, vu l’énorme volume de. la
Terre, un entraînement de l’éther à sa surface était vraisemblable.
Je suis loin de regretter toute cette histoire, d’abord parce
qu'elle est amusante, ensuite parce que peut-être elle amènera nos
jeunes savants à plus de respect pour la science traditionnelle.
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volèrent, des mariages furent rompus, des neveux déshérités, des
familles désunies.
Le désir de se distinguer créa bientôt des sous-partis. Ceux qui
soutenaient l’existence, se disputèrent sur les modalités. L’un
prétendait que la dent ne pouvait être qu’à droite, l’autre à
gauche… ; toute la rose des vents y passa. Certains démontrèrent
que l’or de la dent était, non de l’or minéral, mais bien un or
animal de poids spécifique moindre ; la théorie des isotopes
(alors connue sous le nom de grand œuvre) fut invoquée. Un
autre admettait l’existence, mais pourvu qu’on accordât qu’il
s’agissait d’un lusus naturæ, qualificatif sous lequel il désertait
dans le camp adverse : on y consentit pour ne pas perdre une
voix.
La tranquillité publique était compromise, la discorde
descendait dans les masses qui, sans y rien entendre, prenaient
violemment parti : on était dentiste ou anti-dentiste. Ce fut une
plateforme pour les élections législatives. Un dentiste ayant été
malmené par un antidentiste, on craignit des émeutes. Le
gouvernement dut renforcer la police : mais on se battit dans les
corps de garde.
La situation devenait critique quand un sage fit observer qu’il
était prudent de vérifier le fait.
On nomma des experts ; mais onques ne retrouva-t-on l’enfant
ni la dent.
Les sages s’en firent une pinte de bon sang ; les autres
faillirent en crever de dépit.
[XVII]
24
⁂
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Ce texte est effrayant ! Je pensais qu’on ne pouvait
comprendre sans savoir appliquer ; que le critérium de la réelle
compréhension résultait de l’usage. Je croyais qu’un très bon
ouvrier ne connaissait l’usage d’un outil que parce qu’il était
capable de s’en servir ; avant de décrire un rabot, j’ai pris la
peine de raboter des hectomètres de planches. Je m’imaginais
qu’à vingt ans on n’est pas encore « ingénieur » et qu’on ne peut
exiger une « personnalité » d’un blanc-bec à peine sorti de page.
Mais laissons ces incohérences !
Contentons-nous de noter l’opinion de ces braves gens sur les
professeurs. Souvenez-vous de la Guerre, ô professeurs
mobilisés dans les poudreries et arsenaux ; rappelez-vous avec
quelle stupeur vous entendiez les techniciens patentés dégoiscr
leurs sottises, perpétrer leurs âneries.
Rappelez-vous comment ces hommes éminents, ignorants
comme des carpes, nous démontrèrent d’abord l’impossibilité
théorique de la Grande Bertha, quittes, trois jours après, à la
retrouver dans leurs formules.
Certes pour être un bon ingénieur il ne suffit pas de savoir, il
faut savoir appliquer. Mais dans mon humble bon sens je croyais
qu’on appliquait seulement des choses connues, par suite qu’on
avait apprises. Ces messieurs n’ont pas besoin d’apprendre ; ils
ont tous le flair de l'ar-
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tilleur. Il leur suffit d’être anciens élèves de l’X pour tout
savoir sans avoir rien appris, en conséquence, pour devenir la
risée universelle.
Le malheur est, ô polytechniciens, que vous êtes en train de
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déteindre sur ces professeurs que vous méprisez tant. La Science
française ne se maintenait que grâce à leurs efforts ; s’ils vous
imitent, c’est la fin de tout.
Et c’est précisément ce que je désire empêcher.
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il opine alors du bonnet.
Si par hasard ces messieurs ont retenu quelques bribes,
l’exemple suivant vous montrera ce qu’ils en font. Dans une
poudrerie quee je sais bien, on voulait refroidir de l’eau. L’X en
question se rappelait vaguement qu’en faisant couler l’eau sur
des fagots, on obtenait ce résultat. Il applique donc le procédé
dans un espace entièrement clos : il n’oubliait qu’une moitié de
la méthode, au surplus l’essentiel.
Peut-être aurait-il évité la gaffe et qu’on se fichât de lui, s’il
avait un peu mieux appris sa physique… élémentaire.
« La preuve que nous sommes très forts est qu’on nous prend
dans les usines ! »
On vous prend pour profiter de la bonne camaraderie et sans
illusions sur vos moyens. On vous prend pour avoir des
commandes qui seront reçues sans examen. On vous prend
comme assurance contre les inspections. On vous prend pour
votre titre et malgré votre nullité.
Si je puis vous servir aussi brutalement ces vérités, c’est que
je ne suis pas industriel, que je me fiche, refiche et contrefiche de
votre colère. Que pouvez-vous contre moi ? dire du mal de mes
livres ? C’est, vous
[XIX]
qui seriez ridicules. On vous conseillerait, avant d’en parler,
de savoir ce qu’ils renferment ; et dès que vous auriez fait le
nécessaire pour rapprendre, vous seriez si honteux de votre
ignorance passée que vous auriez grand soin de vous taire !
Ne comprenez-vous pas que j’ai derrière moi la masse des
gens qui vous connaissent à l’user, vous détestent et dont j’ai reçu
28
les confidences ? que nous, contribuables, avons plein le dos de
vos loups ruineux qu’en lin de compte nous acquittons de nos
sous ? Dans votre intérêt tenez compte de mes critiques ; les
mobilisés dans les poudreries ou dans les arsenaux, les officiers
de complément vous ont trop vu pendant la Guerre. Pour prendre
un peu de modestie allez à la Joliette voir pourrir la Hotte d’État
dont nous ont gratifiés vos ingénieurs des constructions navales !
Nous avions encore un cuirassé ; grâce à vos ingénieurs
hydrographes il est au fond de l’eau.
Que vous importe ? vous avez de l’avancement et c’est la
princesse qui paie ! Rappelez-vous que la princesse, c’est nous
tous, et qu’elle peut à la fin se lasser.
29
est nécessaire d’avoir des idées : ils en sont totalement
dépourvus ; ils les remplacent par des formules algébriques.
Mais qu’on ne s’y trompe pas. Avoir des élèves ne signifie pas
qu’à des heures déterminées on se place derrière une table et
qu’on récite un cours. On peut envisager le professorat sous un
autre aspect : le directeur scientifique d'un laboratoire n'est
qu'un professeur.
De même que dans un hôpital on professe au lit des malades,
de même on professe en expliquant le mâniment d’un appareil. En
ce sens le chef de travaux pratiques est le plus complet des
professeurs ; c’est une aberration que dans nos facultés, dans nos
écoles techniques, on considère comme inférieur le métier de
chef de travaux, réservant les gros traitements à des gens qui
arrivent tout suants deux minutes avant l’heure officielle,
rassemblent hâtivement des notes mal classées et ânonnent un
cours fait à la hâte. Pressés de courir à d’autres occupations, ils
ne pensent en parlant qu’à leur réunion électorale ou à
l’assemblée de leurs
[XX]
actionnaires. Ils ont débité leur cours à la Sorbonne, vite ils
prennent le métro pour le dégoiser à l’École centrale ; un second
métro les mène à Sèvres ou à Saint-Cloud faire une troisième
ressucée.
Des professeurs ça ! vous plaisantez : de mauvais
phonographes !
Et je finis par comprendre pourquoi, dans certaines écoles, on
affiche un si beau mépris pour le professorat !
30
⁂
Résumons.
On n’enseigne bien que si l’on vit dans un laboratoire ;
inversement on n’a chance d’aider à l’avancement de la science
que si l’on ne se borne pas à en connaître un petit coin ; on doit
posséder le minimum d’érudition qu’exige le professorat.
Diviser le personnel scientifique en deux catégories, les
découvreurs, les professeurs, est absurde en théorie, irréalisable
en pratique.
La France n’est pas assez riche pour doubler le personnel. Il
serait impossible de ne pas donner des laboratoires aux
professeurs ; impossible de les payer convenablement sans alors
exiger un nombre de cours tel qu’ils iraient à l’abrutissement par
les voies les plus rapides ; impossible de payer les découvreurs
sans exiger des découvertes, et les découvertes ne se
commandent pas.
Le système actuel est le meilleur, à la condition que les
professeurs d'enseignement supérieur ne se croient pas quittes
envers le public pour 3 cours par semaine pendant 7 mois de
l’année.
Inversement on ne s’improvise pas professeur. Un ingénieur
éminent peut être absurde parce que trop spécialisé. Les
ouvrages écrits par les ingénieurs peuvent être excellents comme
aide-mémoires ; ils sont généralement ridicules au point de vue
scientifique, faute d’une vue d’ensemble de la question traitée.
31
C’est une erreur néfaste de croire que le flair suffit à
l’ingénieur : POUR APPLIQUER, IL FAUT SAVOIR. Que pour le futur
ingénieur on choisisse les parties de la science les plus
immédiatement applicables, je me tue à le répéter ; mais il faut
être polytechnicien pour mépriser la science acquise. Comme au
jeune homme de 18 ans on ne peut demander une expérience
technique qu’aussi bien il n’acquiert jamais comme Ingénieur
des Ponts ou des Mines, force est d’exiger de lui un minimum de
connaissances théoriques et expérimentales. Son mépris pour ses
professeurs est la preuve que ses professeurs sont mauvais.
Il n’existe pas de plus parfaite jouissance intellectuelle que de
former des cerveaux, d’imposer ses idées, d’amener les autres à
penser comme l’on pense. Le professeur d’enseignement
supérieur qui fait son métier comme un chien qu’on fouette,
devrait avoir la pudeur de ne pas s’en vanter.
[XXI]
Tout savant digne de ce nom demanderait des élèves si ses étu‐
diants réguliers disparaissaient. Certes la science en train de se
faire n’est pas matière à enseignement officiel ; mais le
professeur doit y préparer ses élèves. Et puisque aujourd’hui la
science se mêle à tout, les savants peuvent avoir sur la manière
de penser de leurs contemporains l’action jadis réservée aux
philosophes.
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