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INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE ET INNOVATION AU SEIN DES

ENTREPRISES FAMILIALES

Olivier Meier, Guillaume Schier

VA Éditions | « Revue internationale d'intelligence économique »

2016/1 Vol. 8 | pages 96 à 110


ISSN 2101-647X
ISBN 9791093240183
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-d-intelligence-
economique-2016-1-page-96.htm
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Olivier Meier, Guillaume Schier / R2IE Vol.8 (1/2016)

Intelligence économique et innovation


au sein des entreprises familiales

Olivier Meier, Directeur de Recherche, IRG, Université Paris Est


olmeier@yahoo.fr
Guillaume Schier, Professeur de Finance, ESSCA Ecole de Management
guillaume.schier@essca.fr

Résumé

Cet article propose un modèle conceptuel, associant entreprise familiale,


processus d’intelligence économique et processus d’innovation. En proposant un
nouveau concept appelé « Family Business Intelligence », cet article débouche sur
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l’idée d’une différenciation des processus d’intelligence économique (IE), en
fonction de la nature des firmes. Le capital social familial est ainsi mis en exergue
comme facteur déterminant non seulement de la forme du processus d’IE au sein
des entreprises familiales mais aussi de sa finalité, à savoir la possibilité pour les
sociétés familiales de générer de l’innovation maîtrisée, tout en minimisant les
risques d’opportunisme.
Mots clés : Entreprise familiale, Intelligence économique, Capital social.

Abstract

We propose a new conceptual model linking family business, competitive


intelligence and innovation. This conceptual model is based on the concept of
"Family Business Intelligence" and postulate the existence of differentiated
competitive intelligence processes according to the nature of the firm. The family
social capital is thus highlighted as a key factor not only in shaping competitive
intelligence processes in family firms but also in focusing their purposes ie the
possibility for family firms to generate innovation and to minimize the risk of
opportunism through renewed and specific competitive intelligence processes.
Keywords: Family firms, Competitive intelligence, Social capital.

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Introduction

L’intelligence économique place l’information au cœur de la stratégie des


firmes et vise notamment à doter les entreprises de capacité de protection,
d’adaptation, de réaction et d’anticipation. Au-delà des problèmes de mesures, de
nombreux travaux mettent ainsi en exergue l’existence de relations entre la mise en
œuvre de démarches d’intelligence économique et la performance des firmes
(Martre, 1994 ; Bournois et Romani, 2000 ; Cohen, 2007). En particulier, de
nombreux auteurs soulignent les relations potentielles entre l’intelligence
économique et la compétitivité des firmes définies comme leur capacité à produire
des décisions stratégiques pertinentes et à innover (Lesca, 2003 ; Habhab-Rave,
2007). Alors que la diffusion de l’intelligence économique constitue un enjeu de
compétitivité économique majeur, peu d’études sortent du cadre des grandes
entreprises et abordent la question de l’intelligence économique au sein des petites
et moyennes entreprises (Larivet, 2002). Plus étonnant encore, aucune étude, à
notre connaissance, aborde la question des pratiques d’intelligence économique au
sein des entreprises familiales, alors même que ces dernières représentent plus de
80% des entreprises existantes en France.
Cet article s’intéresse aux relations potentielles entre intelligence
économique et innovation au sein des entreprises familiales (Schier, 2014). En
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particulier, il vise à répondre aux questions suivantes. Dans quelle mesure les
spécificités organisationnelles des entreprises familiales peuvent avoir une
influence sur la mise en œuvre d’une démarche d’intelligence économique ? Dans
quelle mesure les spécificités propres aux processus d’innovation des entreprises
familiales sont compatibles avec une démarche d’intelligence économique ? Notre
recherche s’appuie sur une étude croisée de la littérature dans les champs de
l’intelligence économique et des entreprises familiales. Nous suggérons ainsi
plusieurs pistes de recherche nouvelles. En particulier, nous suggérons d’une part
l’existence d’une « family business intelligence », c’est-à-dire l’existence d’une
démarche d’intelligence économique distinctive et propre aux entreprises familiales
et d’autre part l’existence d’une relation positive entre la « family business
intelligence » et la capacité d’innovation des firmes familiales.
Cet article est structuré comme suit. La première section présente les
principaux concepts étudiés à savoir les notions « d’entreprises familiales »,
« d’intelligence économique » et « d’innovation ». La deuxième section présente les
principaux résultats existants au sein de la littérature et propose d’un point de vue
conceptuel des articulations possibles entre entreprises familiales, intelligence
économique et innovation. La troisième section propose plusieurs pistes de
recherche.

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Les concepts mobilisés

L’articulation entre « intelligence économique » et


« innovation »

Il existe de nombreuses définitions de l’intelligence économique. L’une des


définitions parmi les plus communément admises est celle proposée au sein du
rapport Martre (1994), où l’intelligence économique est comprise comme
l’ensemble « des actions coordonnés de recherche, de traitement et de distribution,
en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques ». Cette
démarche peut aussi être appréhendée comme un ensemble de dispositifs
coordonnés, permettant de gérer de manière dynamique le cycle complet de
production-diffusion de l’information stratégique. Selon Cohen (2007), dans une
approche processuelle, un système d’intelligence économique efficace doit
comprendre les composantes suivantes : détermination des besoins / collecte &
traitement de l’information (et stockage) / diffusion & utilisation de l’information /
feed-back du flux d’information / évaluation permanente du système d’intelligence
économique (amélioration continue). L’intelligence économique peut aussi
s’analyser comme un ensemble articulé de systèmes de veille stratégique et de
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systèmes de protection de l’information. Au final, l’intelligence économique se
conçoit de plus en plus comme un système complet, permettant de produire de
l’information et des connaissances stratégiques, en vue de renforcer les capacités de
protection, d’adaptation, de réaction et d’anticipation des firmes.
Dans cette perspective, l’intelligence économique est une composante
essentielle du processus d’innovation des firmes, dans la mesure, où elle permet de
mettre à disposition des acteurs de la firme, les informations et connaissances
nécessaires à la décision puis à la mise en œuvre des transformations jugées comme
nécessaires (Choo, 1995). Elle doit ainsi permettre aux firmes d’anticiper les
changements / ruptures clés de son environnement et de ce fait d’identifier des
risques futurs et/ou de nouvelles opportunités (Lesca et Castagnos, 2000).
L’intelligence économique peut ainsi être entendue comme une activité de soutien
aux processus d’innovation des firmes. L’intelligence économique peut ainsi
accélérer le développement de nouveaux produits (Alaoui, 2005), contribuer à
l’identification des nouvelles technologies susceptibles de modifier la donne
concurrentielle et de renforcer créativité et la durabilité des avantages compétitifs
(Julien et al., 1997).

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L’articulation entre « entreprise familiale » et


« innovation »

La prise en compte des spécificités propres aux entreprises familiales au


sein de la recherche en sciences de gestion est un phénomène relativement récent
(Sharma, Chrisman et Gersick, 2012). La définition de l’entreprise familiale
constitue un enjeu à part entière (Allouche et Amann, 2000). L’approche la plus
commune consiste à concevoir l’entreprise familiale comme le lieu d’interactions
entre trois sous-systèmes : la famille, l’actionnariat et l’entreprise (Tagiuiri et Davis,
1982). Trois approches principales sont le plus souvent retenues. La première
approche est relative à la propriété du capital ; l’entreprise est considérée comme
familiale, si une partie significative du capital est détenue par une ou plusieurs
familles. La deuxième approche est associée à la direction et au contrôle effectif de
la firme ; l’entreprise est considérée comme familiale, si les fonctions de direction
(directeur général, cadres dirigeants, etc.) et de contrôle (administrateurs, membres
du conseil de surveillance, etc.) sont détenues par plusieurs membres de la famille.
Enfin, la dernière approche repose sur une vision plus holistique : l’entreprise est
considérée comme familiale si les membres de la famille se sentent
« émotionnellement » impliqués dans l’entreprise. De manière plus prosaïque, la
commission européenne1 définit comme familiale une entreprise dont la majorité
des droits de vote ou assimilés sont, directement ou indirectement, dans les mains
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du fondateur ou de ses descendants, avec l’un des membres de la famille toujours
formellement investi dans le système de gouvernance.
Selon Thompson (1965), l’innovation peut être définie « comme la capacité
à générer, accepter et mettre en œuvre de nouvelles idées, de nouveaux process, ou
des nouveaux produits/services afin de mieux répondre aux attentes du marché ».
On distingue habituellement deux types principaux d’innovation, les innovations
incrémentales et les innovations radicales (Meier, 2015). Les recherches récentes
ont produit des résultats contradictoires concernant la relation entre les entreprises
familiales et l’innovation au sens large. Certaines études montrent en effet un lien
positif entre le contrôle familial et l’innovation, tandis que d’autres études montrent
à l’inverse une relation neutre ou négative. Des recherches récentes suggèrent que
certaines spécificités communes aux entreprises familiales devraient influencer
(positivement et négativement) leurs capacités à innover (Naldi, Nordqvist, Sjöberg
et Wiklund, 2007). Les arguments suivants plaident pour une influence négative du
caractère familial de l’entreprise sur la propension à innover : l’existence de
stratégies conservatrices, le simplisme stratégique (Kets de Vries, 1993), une plus
grande résistance au changement (Hall, Melin et Nordqvist, 2001), la primauté du
contrôle au détriment des alliances hors du cercle familial, etc. D’autres arguments
ont été mobilisés pour suggérer une influence positive sur l’innovation : une
proposition à investir dans des capacités entrepreneuriales (Steier, 2003),
l’existence de mécanismes de contrôle plus informels (Fama et Jensen, 1983), la

1 Rapport d’expert de la commission européenne (2009) “Overview of Family-Business-Relevant


Issues: Research, Networks, Policy Measures and Existing Studies”

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capacité à intégrer et développer des valeurs collectives en vue de la préservation


et de la croissance de la firme (Zahra, 2003), l’implication des membres de la famille
dans le management de l’entreprise (Habbershon et Williams, 1999) et la mise à
disposition de l’entreprise du capital social des membres de la famille(Sirmon et
Hitt, 2003). En particulier, le capital social familial peut permettre de créer des liens
uniques avec des acteurs externes et donc générer une acquisition plus rapide et
plus efficace d’informations nouvelles utiles pour l’innovation. Selon Schier (2014),
« ce mécanisme est d’autant plus efficace qu’il est assuré par des membres de la
famille qui peuvent mettre en œuvre plus rapidement les décisions stratégiques qui
en découlent. Selon cette perspective, la capacité des membres de la famille à
entretenir des relations de long terme et de qualité avec leur environnement
couplée au désir de préserver ou d’accroitre la réputation de la famille, constituent
des incitations fortes à générer de l’innovation au travers de projets collaboratifs
externes ». Les travaux de Lichtenthaler et Muethel (2012) portent explicitement
sur les capacités d’innovation au sein des entreprises familiales. Les auteurs
démontrent ainsi que l’implication des membres de la famille dans la firme est
positivement associée à la capacité d’identification des opportunités nouvelles.

Dans quelle mesure peut-on parler de « Family


Business Intelligence »
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Les travaux relatifs à l’intelligence économique se sont souvent concentrés
sur les pratiques des Etats, des grands groupes et des collectivités territoriales
(Martre, 1994). Certains travaux se sont spécifiquement intéressés aux pratiques
d’intelligence économique au sein des PME (Larivet, 2002 ; Guilhon, 2004). Cette
différence se retrouve aussi dans les pratiques observées. Ainsi, selon Larivet
(2002), seules 20% des PME pratiquent l’intelligence économique. Au sein de ces
20%, pour 40% des entreprises, la veille économique représenterait de manière
exclusive la seule pratique relative à l’intelligence économique. A notre
connaissance, aucun travail de recherche ne porte explicitement sur l’articulation
entre Entreprises Familiales et Intelligence Economique, alors même que ces
dernières représentent la majorité des entreprises dans le monde et que leurs
caractéristiques propres (contrôle informel et social des acteurs de la firme,
implications émotionnelles de long terme, présence d’un capital social familial au
service de la firme...) peuvent influencer la manière de gérer le cycle de production-
diffusion de l’information stratégique. Les développements suivants suggèrent des
rapprochements conceptuels premièrement entre « entreprise familiale » et
« intelligence économique » et posent ainsi la question d’une approche spécifique de
l’intelligence économique, la « family business intelligence », et deuxièmement entre
« innovation » et le concept de « Family Business Intelligence ».

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Relations potentielles entre « entreprise familiale »


et « intelligence économique » ?

Le processus d’intelligence stratégique peut être découpé en phases type


(cohen, 2007). En reprenant les phases de production/diffusion, le tableau 1 met en
exergue les relations potentielles entre « entreprise familiale » et « intelligence
économique ». Plus précisément, certaines spécificités propres aux entreprises
familiales ont été identifiées (voir ci-dessus) et mises en relation avec les différentes
phases type d’un processus d’intelligence économique. Les relations ont ensuite été
réparties en fonction de leur influence potentielle positive ou négative sur la qualité
d’un processus d’intelligence économique (IE). Ces relations, issues de l’étude
croisée de la littérature sur l’intelligence économique et les entreprises familiales,
constituent autant d’hypothèses sur l’influence positive ou négative du caractère
familial d’une firme sur la qualité du processus d’IE.

Phase type d’un Spécificités relatives aux entreprises familiales ayant une
processus influence…
d’intelligence … positive sur la qualité … négative sur la qualité du
économique (IE) du processus d’IE processus d’IE.
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 Alignement des intérêts
entre actionnaires et  Conflits d’intérêt potentiels
Détermination des
dirigeants. entre les générations.
besoins
 Capacité à développer  Conservatisme stratégique.
des valeurs collectives.
Recherche &  Présence et  Réticence aux alliances en
collecte développement du dehors du cercle familial.
capital social familial
 Implication des
Traitement membres de la famille  Simplisme stratégique.
dans la firme.
 Minimisation des risques
Stockage  Culture du secret. au sein du cercle familial.
 Réticence au partage de
 Partage horizontal de l’information stratégique
Diffusion l’information entre les en dehors du cercle
membres de la famille. familial.
 Flexibilité de la prise de
décision stratégique  Risque de discrimination
Utilisation  Accès facilité des entre membres familiaux et
membres de la famille à non familiaux.
la direction
Tableau 1 : Relations entre Entreprises Familiales et Intelligence Economique

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L’analyse de ce tableau amène à développer une hypothèse centrale à notre


argumentation relative à l’existence d’une « Family Business Intelligence », c’est-à-
dire à l’existence d’une approche de l’intelligence économique spécifique aux
entreprises familiales. Nous suggérons en effet que la mise à disposition au sein des
entreprises familiales du capital social familial constitue une spécificité
fondamentale qui permet de distinguer l’intelligence économique « classique » de la
« Family Business Intelligence ». La théorie du capital social « familial »
(Habbershon et Williams, 1999) s’inscrit dans la perspective de la théorie des
ressources. Le capital social familial constitue l’ensemble des ressources actuelles et
potentielles, incluses, disponibles et provenant des réseaux de relations possédées
par les membres d’une même famille. Le capital social familial est une ressource
unique, tacite et difficilement imitable (Arregle, Hitt, Sirmon et Very, 2007). Le
capital social familial constitue ainsi l’ensemble des relations directes et indirectes
des membres de la famille qui est mis à disposition de la firme familiale. Ce capital
social permet l’accès privilégié à des informations stratégiques, il permet une
meilleure gestion des risques d’opportunisme et constitue un levier stratégique
essentiel pour l’acquisition de ressources et/ou de connaissances stratégiques pour
l’entreprise.

Relations potentielles entre « innovation » et


« Family Business Intelligence »
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Dans la mesure où le capital social joue un rôle déterminant dans l’existence
d’une approche spécifique de l’intelligence économique au sein des entreprises
familiales, ce dernier devrait dès lors jouer un rôle déterminant dans la capacité à
produire des décisions stratégiques et des innovations. Le capital social familial peut
ainsi jouer un rôle en matière d’innovation dans la mesure, où il favorise les relations
de long terme et de confiance avec les partenaires de l’entreprise. Il joue ainsi un
rôle clé à la fois dans la capacité de l’entreprise à percevoir (via les réseaux d’acteurs
familiaux au sens large) et à traiter/décoder l’information stratégique (via les
réseaux d’affaires familiaux). En outre, le capital social joue un rôle complémentaire
dans la prise de décision associée voire dans la mise en œuvre des décisions du fait
de l’interdépendance entre la réputation familiale et la confiance des acteurs
externes envers la firme. La figure 1 synthétise nos propositions. Quatre spécificités
associées aux entreprises familiales ont été identifiées comme pouvant jouer un rôle
sur le processus d’intelligence économique. L’alignement des intérêts des acteurs
familiaux (théorie de l’agence), la capacité à promouvoir des valeurs collectives
(théorie du « stewardship »), l’implication émotionnelle des membres de la famille
dans la firme (théorie de la « socioemotional wealth) et le capital social familial
(théorie du capital social). Si l’ensemble de ces quatre spécificités peuvent avoir une
influence (positive ou négative) potentielle sur le processus d’intelligence
économique, nous postulons que l’existence d’un capital social familial modifie la
nature même du processus d’intelligence économique, créant une forme ad hoc,
appelée « Family Business Intelligence ».

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Figure 1 : « Family Business Intelligence » et « Innovation »

La figure 1 constitue une proposition de modèle conceptuel associant


« Family Business Intelligence » et « Innovation ». L’argument central consiste à
identifier le capital social familial comme un facteur clé modifiant la nature même
du processus d’intelligence économique au sein des entreprises familiales. La
relation positive postulée dans ce modèle va au-delà d’une influence positive sur la
qualité du processus d’intelligence économique en modifiant les conditions et les
modalités de mise en œuvre du processus.

Discussions et pistes de recherche

L’existence d’une forme spécifique d’intelligence économique associée aux


entreprises familiale constitue notre hypothèse centrale. Plusieurs pistes de
recherche complémentaires peuvent cependant être identifiées. En particulier, nous
suggérons d’étudier la place de l’intelligence économique au sein des entreprises
familiales ainsi que d’approfondir le rôle potentiel de l’intelligence économique dans
le processus d’innovation des entreprises.

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La place de l’intelligence économique au sein


l’entreprise familiale

Comme nous l’avons déjà souligné, il n’existe pas d’études, à notre


connaissance, traitant spécifiquement des processus d’intelligence économique au
sein des entreprises familiales. Nous suggérons de développer des projets de
recherche dans ce sens, afin de mieux cerner d’une part l’importance (ou l’absence
d’importance) des dispositifs d’intelligence économique au sein des entreprises
familiales. La prise en compte de dimensions propres à l’entreprise familiale comme
le nombre de membres familiaux présents dans l’entreprise, le nombre de
générations, la présence ou pas du fondateur, l’existence de plusieurs branches
familiales, l’existence de mécanismes de gouvernance spécifiques (conseil de
famille, chartes familiales, family office, etc.) doit ainsi pouvoir enrichir la
compréhension du système d’intelligence économique mis en place et le rôle
spécifique du capital social familial dans celui-ci. Plusieurs questions de recherche
peuvent ainsi être formulées. Le tableau 2 formalise ainsi différentes pistes de
recherche complémentaires.
La place de l’IE au sein des Le rôle de l’IE ans le processus
entreprises familiales d’innovation des firmes familiales
 Les entreprises  Dans quelle mesure et à
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familiales investissent-elles quel stade du processus
plus ou moins que les d’intelligence économique les
entreprises non familiales dans différentes composantes du
des dispositifs d’intelligence capital social familial influencent-
économique ? elles le processus d’innovation
 Quelles sont les des firmes familiales ?
pratiques d’intelligence  Dans quelle mesure le
économique privilégiées au sein capital social familial peut-il
des entreprises familiales ? générer des biais cognitifs et/ou
 Quels facteurs comportementaux au sein du
familiaux spécifiques processus d’intelligence
influencent les investissements économique ?
en intelligence économique ?  Comment s’articule
 Les investissements en l’activation/gestion du capital
intelligence économique des social familial avec les autres
entreprises familiales sont-elles modalités de gouvernance de la
plus ou moins efficientes que firme, de la famille et des projets
ceux des entreprises non d’innovation ?
familiales ?  Quel est le degré de
 Comment et dans formalisation/ planification dans
quelle mesure le capital social la gestion du capital social familial
familial est mis au service de au service de l’intelligence
l’intelligence économique des économique et de l’innovation ?
firmes familiales ?
Tableau 2 : Pistes de recherche associées au concept de « Family Busines Intelligence »

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Le rôle de l’IE sur le processus d’innovation des


firmes familiales

Le rôle de l’intelligence économique dans le processus d’innovation des entreprises


familiales est une question fondamentale, dans la mesure où elle permet d’aborder
différemment cette fonction, compte tenu des spécificités des entreprises familiales.
En effet, traditionnellement, l’intelligence économique se conçoit comme une
combinaison de techniques et de technologies d’informations et de traitements de
données, autour d’une démarche rationnelle et objective (analyse des réseaux
sociaux, identification des points aberrants, triangulation des données…). Le
contexte de l’entreprise familiale conduit ici à repositionner différemment le
concept d’intelligence économique, en l’abordant comme une combinaison de
facteurs historiques, culturels, sociaux et personnels, en vue d’en tirer des signaux
ayant valeur de sens et d’efficacité. La conséquence directe de ce changement de
paradigme passe dès lors par un changement d’unité d’analyse. Alors que
généralement dans l’approche classique, l’unité d’analyse repose sur l’étude des
liens (forts et faibles) entre les différents acteurs de l’environnement, le point clé ici
tourne autour du dirigeant et de son parcours personnel et professionnel. Ceci a
pour effet de donner un sens et une priorité différente aux informations collectées
et traitées. Alors que dans le système d’intelligence économique classique,
l’approche macro et institutionnelle sont primordiales, le modèle IE dans un
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contexte d’entreprises familiales est de nature beaucoup expérientiel et
interpersonnel, avec une mobilisation de compétences souvent différentes fondées
par exemple sur l’intuition, le ressenti et l’expérimentation, avec des disciplines
jusqu’à présent, rarement mobilisées pour ce type d’activités comme par la
psychologie, la sociologie, voire parfois la psychanalyse. L’étude du lien entre IE et
entreprise familiale tend par conséquent à profondément renouveler le champ
d’études sur les questions de stratégie et d’intelligence concurrentielle. Le tableau 2
synthétise ainsi différentes pistes de recherche complémentaires associées à la
relation entre IE et innovation.

Conclusion

Cet article introduit l’idée d’une différenciation des processus d’intelligence


économique en fonction de la nature des firmes. Plus spécifiquement, il introduit
l’idée d’une démarche spécifique propre aux entreprises familiales (« Family
Business Intelligence »). L’argument principal s’appuie sur l’existence d’une
ressource spécifique, propre aux entreprises familiales, à savoir le capital social
familial. Cet article propose ainsi un modèle conceptuel nouveau (figure 1) qui
suggère l’existence d’une différenciation non seulement dans la nature du processus
d’intelligence économique, mais aussi dans sa finalité première à savoir la possibilité
pour les entreprises familiales de générer de l’innovation de manière maîtrisée (tout
en minimisant les risques d’opportunisme). Nous suggérons plusieurs pistes de

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recherche complémentaires portant à la fois sur la place de l’IE dans les entreprises
familiales et sur le rôle de l’IE dans les processus d’innovation des entreprises
familiales. Nous espérons ainsi contribuer à la littérature, en proposant un agenda
de recherche innovant, croisant deux champs jusqu’ici disjoints, le management des
processus d’intelligence économique et le management de l’innovation au sein des
entreprises familiales.
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Bibliographie

Allouche, J., Amann, B. (2000). L’Entreprise Familiale : un Etat de l’Art. Finance,


Contrôle, Stratégie, 3 (1), 33-79.
Arregle, J.-L., Hitt, M.A., Sirmon, D.G., & Very, P. (2007). The development of
organizational social capital: Attributes of family firms. Journal of
Management Studies, 44(1), 73–95.
Bournois, F. Romani, P-J. (2000). L'intelligence économique et stratégique dans les
entreprises françaises, Economica.
Choo, C.W. (1995) Information management for the intelligent organization: the art
of scanning the environment, Editions Information Today.
Cohen, C. (2007). Intelligence et performance : mesurer l’efficacité de l’intelligence
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