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Pratiques et principes
Bernard Martory
2003/6 - no 147
pages 235 à 246
ISSN 0338-4551
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MANAGEMENT
PAR BERNARD MARTORY
Audit social
Pratiques et principes
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C
« essons d’avoir précisément tort et commençons
social sont fortement
à avoir vaguement raison » aurait dit
sollicitées actuellement,
notamment au titre du
J.M. Keynes : voilà une assertion qui s’ap-
développement durable plique parfaitement à l’audit social dont les aspects pro-
et de l’évaluation globale. téiformes nous incitent à la prudence, dans des réponses
Il est pourtant impossible de plus en plus fortement sollicitées face aux besoins
de calquer
d’une connaissance maîtrisée des composantes sociales
systématiquement leurs
pratiques sur celles
des entreprises.
de l’audit financier. En effet, deux entreprises de même nature et d’activité
Aussi, cet article identique, ayant des valeurs patrimoniales voisines, peu-
présente-t-il les processus vent être radicalement différentes du point de vue de leur
et les fondamentaux de valeur réelle et surtout de leur potentiel de développe-
l’audit social en vue d’un
ment, dès lors que l’on tient compte des valeurs ou des
passage à l’action. Il
traduit les démarches
risques représentés par leur personnel et leur inscription
spécifiques dans l’environnement. Ces différences, ces valeurs ou
de l’audit social dans ces risques spécifiques apparaîtront dans le cadre d’un
l’appréciation de la valeur audit social conduit, par exemple, en complément d’un
sociale et la quête de sens
audit financier classique.
dans un univers
profondément dialectique.
L’audit social vise à donner l’opinion professionnelle et
indépendante sur la situation et/ou la gestion sociale
d’une entreprise et, lorsque cela est possible, à mettre en
lumière des écarts par rapport à des normes (Martory,
1996). Il s’appuie sur une démarche inspirée de l’audit
236 Revue française de gestion
classique et surtout sur des concepts et des En constatant que l’existence précède l’es-
définitions tout à fait spécifiques des élé- sence en matière d’audit social, nous avons
ments à auditer. L’absence de normalisation choisi de partir de la réalité de l’audit en un
dans beaucoup de domaines sociaux premier temps, dans le constat de sa variété,
conduit en effet à proposer un cadre de réfé- pour tenter de bâtir en un deuxième temps
rence spécifique permettant de porter une le socle méthodologique des pratiques.
appréciation aussi objective que possible. Nous le ferons en référence et en contre-
Même s’il n’est pas interdit de conduire un point de l’audit financier avec pour objectif
audit lorsque l’entreprise est en régime de d’interroger les deux pratiques sur les fon-
croisière, on constate en réalité que la pro- damentaux.
cédure est généralement déclenchée par des
événements dont les conséquences socio- I – DES PRATIQUES VARIÉES
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groupe ; vérifier que les mêmes règles pré- – celle de l’efficience de la gestion sociale :
sident aux calculs d’effectifs dans chaque les résultats obtenus l’ont-ils été au
unité. Contrôler le respect du calcul de la moindre coût ? Les missions d’audit consis-
masse salariale dans les filiales d’un groupe tent alors à fixer les principes puis à mettre
et suivre les écarts par rapport aux frais de en place des indicateurs de suivi des perfor-
personnel comptables. mances sociales et des performances socio-
économiques.
L’audit de la valeur et des risques La question qui se pose pour ce dernier
Cette démarche vise à apprécier – en termes type d’audit est celle de la légitimité de
financiers le plus souvent – la valeur imma- l’emploi du vocable d’audit alors que l’on
térielle que représentent les hommes d’une ne dispose pas de normes d’efficacité ou
part, les risques associés à leur présence ou d’efficience de la gestion sociale pouvant
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que l’auditeur financier. De surcroît, devant une approche que l’on pourrait qualifier de
l’absence de données (notamment sur les « intelligence holders » ou de « competence
comportements), l’auditeur n’échappe pas à holders ». En remplaçant le vocable de
la réalisation d’enquêtes pour aller chercher « valeur travail » par celle de « valeur com-
les informations auprès des acteurs qui en pétences » qui traduit mieux les réalités
sont les détenteurs. Sa vigilance s’exerce contemporaines, on identifie alors deux
alors dans la séparation des opinions (nom- sources d’évaluation de la valeur : au
breuses et souvent contradictoires) et des niveau individuel, la mise en œuvre des
faits, moins nombreux et plus délicats à compétences, au niveau organisationnel, la
apprécier. création d’une intelligence collective : la
mise en œuvre du « 4e cerveau » concrétise
2. Les champs classiques de l’audit le développement d’une intelligence collec-
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groupe d’acteurs par rapport aux autres – le respect de la non discrimination des
(Doyle, 1994). Neuf groupes d’acteurs sont sexes, des races et des libertés syndicales ;
retenus, chacun poursuivant des objectifs le – les rapports avec les autorités politiques
plaçant en opposition ou en collaboration des pays en bannissant toutes les opérations
provisoire avec les autres : les cadres, les de corruption ou d’interventions politiques.
employés, les minorités, la communauté
d’environnement, les créanciers, les action- Prendre en compte le non marchand
naires, les clients, les fournisseurs, les pou- et les externalités : l’audit sociétal
voirs publics. Le problème de l’auditeur est De plus en plus souvent – pour les grandes
de comprendre les équilibres existant entre unités au moins – les responsables ne peu-
les différents acteurs et leurs finalités et vent négliger l’incidence de leurs décisions
d’en rendre compte avec le maximum d’ob- stratégiques sur l’environnement au sens
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1. Sources : Depoers (2003) et le rapport complet publié sur le site internet du groupe Lafarge.
Audit social. Pratiques et principes 241
1. Économie
Présentation des notes attribuées par les principales agences et gestionnaires de fonds
spécialisés dans le développement durable
2. Hommes et société
Les équipes de l’entreprise
– Évolution du nombre d’accidents avec au moins un jour d’arrêt par métier (par million
d’heures travaillées) de 1995 à 2000.
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confondre une mesure objective et une des pratiques compte tenu des référentiels
mesure subjective ou de tenter de traduire existants. La mesure est essentiellement
un phénomène social complexe comme par financière et factuelle.
exemple, la satisfaction des salariés ou la – Les résultats obtenus : tout effort se tra-
mobilisation d’une équipe de ventes, par un duit à des degrés divers dans les résultats.
seul chiffre. L’appréciation est donc opérée à ce niveau
en termes d’efficacité, c’est-à-dire en fonc-
2. La difficile inscription de l’audit dans tion du degré d’atteinte des objectifs pour-
l’appréciation de la création de valeur suivis. On appréciera par exemple comment
sociale des efforts de montée en compétence se
Comment par ses ressources humaines et sont effectivement traduits par des situa-
son inscription dans l’environnement, une tions de polycompétences sur les postes
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tain dans son déclenchement et dans ses sont ou non favorables au développement
conséquences. de l’entreprise dans la durée ? Faut-il des
Les modalités d’évaluation renvoient systé- salariés plus anciens est donc plus experts
matiquement au cadre de référence précé- ou des collaborateurs plus jeunes et de ce
demment posé : la variété des approches fait supposés plus dynamiques ? Fon-
économiques de la valeur et la multiplicité damentalement, quel est le sens du progrès
des acteurs concernés par la mesure. Elles social pour l’entreprise ? Chaque entreprise
conduisent à une dissociation entre la constitue un cas particulier.
dépense et l’investissement : on connaît la En allant vers la caricature, interrogeons-
difficulté théorique de la séparation entre le nous sur les conclusions de l’audit social
capital et la dépense surtout pour les incor- de la multinationale « Medellin and Co. »
porels. L’auditeur social y est confronté en dont l’activité fructueuse est consacrée au
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2. Nous avons retenu cet exemple particulièrement significatif, mais toutes les propositions d’indicateurs d’audit –
y compris les nôtres – pourraient faire l’objet des mêmes remarques.
Audit social. Pratiques et principes 245
bénéficiaires d’une part du surplus distri- lement aux agents de son environnement ?
bué. Tout ce qui est versé sous forme de L’auditeur social du comité l’entreprise
rétribution élargie ne bénéficie pas aux n’est pas celui du conseil d’administration.
autres stakeholders. La relation dialectique Face à des rapports dialectiques ou les
est évidente : elle concerne principalement avantages acquis par les uns le sont aux
les actionnaires et les consommateurs face détriment d’autres acteurs et à la nécessité
aux salariés. Clairement du point de vue de donner du sens, il ne peut s’esquiver
des salariés, c’est à la fois la rentabilité, dans la neutralité. Il lui est imposé, dès que
facteur de mise à l’écart des risques, la l’audit dépasse les limites de la conforma-
continuité de l’exploitation garante de tion à des normes, de choisir le sens donné
l’avenir, l’absence de risque d’absorption à ces mesures3. La nécessité de l’affichage
ou de fusion qui constituent leurs para- d’une déontologie, d’un bon professionna-
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3. Ceux qui douteraient de l’inscription de l’audit dans un cadre profondément dialectique, sont invités à se rendre
sur le site francophone : « Le bêtisier du développement durable » pour constater que les assertions des entreprises
au titre du développement durable peuvent paraître surréalistes vues avec l’œil du consommateur ou celui du défen-
seur de l’environnement.
246 Revue française de gestion
sont confrontés aux mêmes problèmes fon- modélisation objective, de calculs arithmé-
damentaux dans les entreprises modernes, tiques classiques : c’est le domaine de la
ceux d’une appréciation professionnelle et nécessité.
objective de la création de valeur dans la D’un autre point de vue, nous entrons dans
durée. Simplement, ce qui est plus nouveau la variété du jeu des acteurs, les aléas des
dans le domaine financier a existé dès l’ori- comportements, l’importance de l’intuition
gine dans le domaine social. et du savoir-faire des auditeurs, la quête du
D’un premier point de vue, nous sommes sens et la maîtrise des risques, etc. Le
face à un certain nombre de lois qui s’im- champ de la mesure et de l’analyse dépasse
posent dans toutes les unités. C’est l’appli- alors celui de la quantification objective. On
cation des nombreuses contraintes légales entre dans le domaine de l’informel où la
et conventionnelles qui règlent la détermi- modélisation devient impossible : c’est le
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