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LES FRÈRES MUSULMANS ET L’ « ÉTAT CIVIL DÉMOCRATIQUE À


RÉFÉRENCE ISLAMIQUE »
Dominique Avon

Centre d'études et de recherches sur le Proche-Orient | « Les Cahiers de l'Orient »

2012/4 N° 108 | pages 81 à 95


ISSN 0767-6468
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2012-4-page-81.htm
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__________________________ L’islamisme au pouvoir

Les Frères musulmans


et l’ « État civil démocratique à
référence islamique »
Par Dominique Avon*

«L e peuple est source des pouvoirs ». Par ces mots,


lancés à plusieurs reprises au cours de l’année 2011,
les Frères musulmans égyptiens ont donné un gage
majeur d’adhésion au processus électoral démocratique au
terme duquel ils ont remporté une victoire incontestable.
Dans la parole et le geste inédits, nombre de spécialistes
ont cru pouvoir déceler une conversion à un type de régime
démocratique. Cette conversion apparaissait colorée, certes,
d’un référent identitaire spécifique ancré sur le religieux ; d’où
l’emploi d’expressions telles que « démocrates-musulmans »,
« islamo-conservateurs » etc. Leurs analyses ont mêlé le vœu
pieux et la certitude qu’un mouvement engagé dans une
vie politique pluraliste ne pouvait que s’adapter, de gré ou
de force, aux contraintes internes et externes — notamment
économiques — pour effectuer des transactions avec son
idéologie fondatrice. À l’épreuve des faits, le constat dressé
dans cet article est différent : les Frères musulmans restent, en
2012, un mouvement intégraliste. L’ « État civil démocratique
à référence islamique » tire sa substance d’une conception
englobante de la tradition musulmane : une autorité placée

* Dominique Avon est professeur d’histoire contemporaine à l’Université du Maine (France) et


enseignant à Sciences Po. Membre du CERHIO, spécialisé dans l’étude comparée des religions
(judaïsme, christianisme, islam) au XXe siècle, il est l’auteur d’un ouvrage sur le Hezbollah.

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au dessus du peuple vient « de Dieu » pour verrouiller dans


les champs de la vie publique (politique, juridique, sociale,
morale, scientifique, culturelle) un corpus intouchable par le
commun.

Le ralliement à la geste révolutionnaire


Le 5 février 2011, les Frères musulmans publiaient une
première déclaration relative à l’engagement de « l’extraordi-
naire peuple égyptien » du mardi 25 janvier. Dix jours avaient
passé avant que le mouvement du prenne publiquement posi-
tion en faveur des « 7 millions » [sic] d’Égyptiens ayant mani-
festé pour défendre « droits », « souveraineté » et « choix »
contre ceux qui « traitaient injustement les gens » et les « ter-
roris [ai] ent ». Engagés sur le terrain de la « réforme globale »,
les « Ikhwân » affirmaient que « l’Umma était la source du
pouvoir » et assuraient qu’ils n’entendaient pas présenter un
candidat à la présidence1. La veille, vendredi 4 février, une 1. Bayân min
nouvelle mobilisation sur la place Tahrîr du Caire avait vu al-Ikwân
al-muslimîn hawl
leurs militants, notamment les plus jeunes, rejoindre massi- Ahdâth al-jumu‘a
vement les rangs des manifestants. À Téhéran, l’ayatollah ‘Alî al-‘azîma
(04/02/2011),
Khameney diffusait un prêche en langue arabe dans lequel, publiée le
opposant « le monde occidental » et « l’Umma musulmane », 05/02/2011
sur le site du
il exaltait les mérites de grandes figures égyptiennes (Abdûh, mouvement :
Zaghlûl, al-Bannâ, Nasser…) et des « peuples arabes et musul- www.
mans » face au « mépris » et à l’ « avilissement » dans lesquels ikhwanonline.com
ceux-ci étaient tenus par l’Occident2. L’encouragement ira- 2. Ayatollah
nien en faveur de la « révolution du peuple égyptien » était Khameney,
« Dâm zilh
salué par Kamâl al-Halbâwî, ancien porte-parole des Frères al-wâraf »,
musulmans en Europe, dans une interview donnée à la 04/02/2011,
http://alhureya.
BBC, rejetant les accusations d’ « ingérence » dans les affaires info/vb/
intérieures égyptiennes que venait de lancer le ministre des 3. « Al-Ikwân
Affaires étrangères Abû al-Ghayt3. al-muslimûn
bi-Misr
yashkurûn
Une semaine plus tard, une nouvelle déclaration des Frères mawqaf
musulmans était présentée en conférence de presse. Contre ayat-Allâh
Khâmin’ai »,
un « régime trompeur et provocateur », il s’agissait de justi- http://www.
qawem.org
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fier avec davantage de force l’engagement du peuple égyp-


tien pour défendre « la liberté, l’honneur, la justice, la justice
sociale et la souveraineté nationale », de souligner le rôle posi-
tif joué par l’armée vis-à-vis des manifestants et de mettre en
garde le pouvoir incarné par Hosni Moubarak contre une
« obstination nuisible » face à la « révolution populaire paci-
fique magnifique » et les « calomnies » portant sur l’action
des « islamistes » et des « Frères musulmans ». Répondant à
l’ « accusation fallacieuse » selon laquelle le mouvement enten-
dait établir un « État religieux analogue à celui de l’Iran », les
responsables réaffirmaient qu’ils n’aspiraient ni à la « prise du
pouvoir », ni à la « présidence », ni même à la « majorité au
sein du Parlement ». En revanche, ils continuaient à reven-
diquer une « réforme globale », conforme à la « direction
divine » dans les domaines « politique, économique, social,
scientifique, éducationnel et médiatique ». En ce sens, la
construction étatique la plus appropriée était définie comme
suit : « l’État civil démocratique à référence islamique, dans
lequel le peuple est la source des pouvoirs et le détenteur de
4. « ‘Al-Ikhwân’ la souveraineté »4.
al-misriyyûn : La chute de Moubarak était suivie, le vendredi 18 février,
lâ nurîd dawla
dîniyya wa du retour en Égypte du prédicateur Yusûf al-Qaradâwî,
la ghâlibiyya président de l’Union mondiale des savants musulmans, du
barlamâniyya »,
Al-Nahâr (article Conseil européen de la Fatwa, et pourfendeur des régimes
dans lequel la tunisien et égyptien. Devant une foule immense, rassem-
déclaration datée
du 9 février
blée une nouvelle fois place Tahrîr, celui qui avait accompa-
est publiée gné le mouvement recevait une manifestation d’estime et un
de manière appui logistique remarqué – contraignant au silence l’une des
intégrale),
11/02/2011. figures de la « révolution », Wa’îl Ghunaym. Dans sa prédica-
tion, le cheikh Qaradâwî se félicitait de l’effondrement de la
dictature face à la mobilisation de toutes les catégories sociales
de la population, soulignant avec force l’unité entre musul-
mans et chrétiens égyptiens dans cette lutte contre le « tyran »
assimilé à la figure de l’antique « Pharaon ». Nulle allusion à
la forme envisageable de l’État dans cette prédication, mais
une valorisation de la religion musulmane par référence à
l’ « ère des martyrs [chrétiens] » avant le milieu du viie siècle
puis à l’unité égyptienne contre le « roi croisé » Louis ix et,

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pour conclure, un message d’espérance en faveur des « frères


de Palestine » lié au vœu de pouvoir un jour prêcher dans la
mosquée al-Aqsa à Jérusalem5. 5. « Sh.
Qaradawi’s
Khutbah from
Tahrîr Square
Rappel des constantes et création du Parti Liberté in English »
(traduction par
et Justice Yahia Michot et
Samy Metwally),
publié le
03/03/2011,
L’idéalisation d’un passé musulman et la référence à un http://jannah.org/
« islam » atemporel qu’il faut défendre contre les formes madina/

d’agression explicites ou insidieuses participent des constantes


véhiculées par les Frères musulmans. Parmi les « objectifs »
définis dans le Code général établi en 2009 figurent les points
suivants : « libérer la patrie musulmane — toutes ses parties
— de tous les pouvoirs non islamiques et aider les minorités
musulmanes en tout lieu, œuvrer en vue du rassemblement
des musulmans jusqu’à ce qu’ils deviennent une Umma unie ; 6. Extraits du
mémorandum
édifier unÉtat islamique qui mette effectivement en œuvre les du 30 décembre
préceptes de l’islam et ses enseignements, qui les préserve à 2009 reprenant
les éléments des
l’intérieur et qui se charge de leur promotion et de leur trans- documents du 10
mission à l’extérieur »6. Fin février, les Frères musulmans se mai 1978, du 29
réjouirent de voir figurer un de leurs membres, l’avocat Subhî juillet 1982 et du
28 mars 1994. En
Sâlih, au sein de la Commission de révision de la Constitution ligne sur www.
dirigée par Târiq al-Bishrî7. La révision portant uniquement ikhwanonline.com
sur les modalités et les processus électoraux, ils firent victo- 7. Mûnâlîzâ
Farîha, « ‘Abû
rieusement campagne pour le « oui » lors du référendum qui al-Dustûr’ ‘almânî
suivit, au nom de l’intérêt de l’ « islam »8, dans la mesure où la tahawwal ila
al-islâm fa hal
préséance des élections législatives sur l’élection présidentielle yakûn haqqan
ouvrait la possibilité de peser davantage sur la rédaction de la samâm Amân
Constitution à venir. lil-thawra ? »,
Al-Nahâr,
Cette période post Moubarak était marquée par la cris- 18/2/2011.
tallisation de deux ensembles ayant combattu l’ordre déchu, 8. « Misr : 77 fî
al-miya Ayyadû
d’abord séparément puis de concert. Des tensions intra et al-ta‘dîlât bi da‘m
interconfessionnelles ponctuelles résultèrent d’exactions com- min al-Ikhwân’
mises par des salafistes ou des baltaguiyya (voyous) à l’encontre wa al-Jamâ‘at
al-islâmiyya »,
de tombes vénérées par des groupes soufis et des églises. Dès Al-Nahâr,
le mois de mai, les relectures de l’instant révolutionnaire s’af- 21/03/2011.

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frontèrent. Les Frères musulmans appliquèrent une couleur


confessionnelle sur cette mémoire. Au cours d’un congrès
rassemblant plusieurs milliers de personnes autour de la mos-
quée ‘Amr Ibn al-‘Âs, le murshid (guide) Muhammad Badî‘
affirma : « Le temps de la politique sans la religion et de la
religion sans la politique est terminé […] L’islam est religion,
État, civilisation, culture, sport… ». Dans un même élan, il
engagea ses compatriotes à reconnaître que « les droits de la
citoyenneté ne sont préservés que par Dieu et son Envoyé »,
il répliquait ainsi aux partis qui osaient s’en prendre « aux
Frères » et soulignait que toute affirmation contraire à celle-ci
ne serait que « mensonges », avant de conclure sur le renforce-
9. Cité dans ment des relations égypto-palestiniennes9. Le discours contre
Al-Ahrâm, une « élite » trop sensible aux sirènes extérieures était immé-
19/5/2011.
diatement relayé par celui du précédent murshid, Mahdî
‘Âkif : « La révolution du 25 janvier est l’œuvre de Dieu, pas
10. Ghâda une œuvre humaine »10.
‘Abd al-Hâfiz, En ce début de mois de mai 2011, le mouvement suscita la
« ‘Akif : thawra
25 yanâyir laysat création d’une formation politique : le « Parti de la Liberté et
bashariyya… de la Justice » (PLJ). La direction fut composée de trois per-
wa Allâh
sakkhara al-Jaysh sonnalités, membres du « bureau de guidance » : Muhammad
li-himâyatiha al-Mursî (président), ‘Isâm al-‘Iryân (porte-parole) et
bi-sabab sidq
qulûbina wa
Muhammad Sa‘ad al-Katatnî (secrétaire général). Les obser-
thabâtuna ‘ala vateurs ne manquèrent pas de noter l’attrait ambigu exercé
al-dîn », Al-Misrî par le modèle de l’AKP en Turquie, fort de succès politiques
al-Yawm,
08/05/2011. et économiques continus depuis 2002. Ils perçurent, dans
le même temps, la spécificité de la formule égyptienne, sans
véritable autonomie de la sphère politique, dans la mesure
où un lien direct était maintenu entre les deux instances : « le
groupement des Frères musulmans est une organisation isla-
mique globale et l’activité politique est un des domaines de
11. Ra’fat son action ; le parti politique est un des moyens de l’action
Hassûna, « Mursî politique et il s’efforce de réaliser la mission et les objectifs
ra’îs lil-huriyya
wal ‘adâla wa du mouvement appliqués à la Constitution et au droit ; le
al-‘Aryân nâ’ib parti est considéré comme agissant de manière indépendante
wa al-Katâtanî
Amîn ‘Âm »,
par rapport au mouvement tout en s’accordant avec lui en
Al-Jumhûriyya, vue de réaliser les intérêts de la patrie »11. Dans sa déclara-
01/05/2011. tion de fondation, le parti posait en principe son attachement

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à un « État civil à référence islamique » liant les « demandes


de l’extraordinaire révolution » et la « réalisation de ses buts
vénérables »12. 12. « Al-Bayân
al-ta’sîsî li-hizb
al-huriyya
Cet agencement était cependant perturbé par l’engagement wal-‘adâla »,
d’un homme issu des rangs du mouvement, ‘Abd al-Mun‘im 18/05/2011,
www.
Abû al-Futûh, qui déclarait sans concertation générale sa can- ikhwanonline.com
didature future à la présidence de la République suscitant par
la même occasion l’engouement dans les rangs de la jeunesse.
Il apparaissait clairement que, dans les nouvelles générations,
une partie des militants ayant vécu et manifesté pendant
plusieurs semaines auprès de leurs compatriotes ne se recon-
naissaient plus dans certaines orientations de la direction13 et 13.« Nafy
ce d’autant plus que des cheikhs avaient douté du succès et rasmî lil-‘afw
‘an Mubârak
de la validité de la « révolution ». Dans le bord opposé, un wa al-Istimâ‘
congrès rassembla 50 000 « Frères » et « salafistes ». Il fut à ilâ Muhammad
Hasanayn Haykal
la fois l’occasion d’en appeler — par la voix d’un membre ‘an thawratihi »,
de la Da‘wa islâmiyya —, à l’avènement des « États-Unis Al-Nahâr,
19/05/2011.
islamiques », de condamner les démolitions de tombes et les
menaces à l’encontre de femmes et de rappeler, selon Hilmî
al-Jazzâr, membre du Conseil de la shûrâ des Frères musul-
mans, que « Dieu avait sauvé l’Égypte du régime corrompu
[…], que [l’Égypte] était un carquois de Dieu sur la terre, un
pays d’Islam et que nous vivions désormais en Égypte le jour
de l’Islam »14. 14. Hânî
C’est à Al-Azhar que les Frères musulmans vinrent cher- al-Wazîrî, « 50
alf ‘Ikhwânî’
cher une caution. Au terme de la visite, leur représentant put wa ‘Salafî’
affirmer que le cheikh Ahmad al-Tayyib avait reconnu dans fî mu’tamar
jamâhîrî bil-
le mouvement le « bourgeon de l’islam ». Cette formule était haram… wa
contestée en privé par un conseiller du Cheikh d’Al-Azhar, Hijâzî : ‘Intaziru
al-wilâyât
dénonçant une opération de communication médiatique et al-mutahida
précisant que les « partis libéraux » avaient été reçus beaucoup al-islâmiyya »,
plus longuement. Dans cet entretien, il souligna la nécessité Al-Misrî al-Yawm,
09/05/2011.
pour l’institution azharienne d’être un lieu de rassemblement 15. Entretien de
de « tous les Égyptiens », mais il ajouta que les menaces à mots l’auteur avec M.
couverts des salafistes à l’encontre de l’institution religieuse A., conseiller du
shaykh al-Azhar,
suscitaient son « effroi »15. Al-Azhar préparait alors un docu- Florence, juin
ment de référence. Quant à la forme de l’État, les rédacteurs ne 2011.

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16. « Bayân retinrent ni la formule d’ « État religieux », ni celle d’ « État civil


al-Azhar wa
nukhba min à référence islamique », ils adoptèrent celle d’ « État citoyen et
al-muthaqafîn démocratique »16. L’été fut marqué par une mobilisation des
hawla mustaqbal partis dits libéraux soutenus par le gouvernement de transition
Misr »,
20/06/2011. pour essayer d’encadrer la réforme à venir de la Constitution via
17. « Al-Misrî la publication d’un document intitulé « principes fondamen-
al-Yawm tanshuru
nas wathîqa taux de la Constitution »17. Cette initiative échoua en raison
al-mabâdi’ du rapport des forces dans la rue. La grande manifestation de
al-Assâssiyya « consensus », prévue sur la place Tahrîr, avait été désertée par
lil-dustûr : Misr
dawla madaniyya les mouvements dits « civils » et récupérée par les Frères musul-
taqûmu ‘ala mans et les salafistes au nom de slogans tels que « vous défendez
al-muwâtana…
wa tahtarimu maintenant la loi de Dieu contre les ennemis de l’islam » ; « lève
al-ta‘dudiyya… ta tête bien haut, tu es musulman » ; « [État] islamique, nous ne
wal-takfalu
al-huriyya wa
voulons pas d’État] laïque »18.
al-musâwâ lil-
jamî‘ », Al-Misrî
al-Yawm,
15/08/2011. Victoire électorale aux législatives :
18.
« Al-Islâmiyyun
Frères et salafistes
yastariddûn
quwatahum
fî jum‘at
‘al-tawâfuq’ »,
Al-Islâm huwa al-hall — « L’Islam est la solution ». Le mot
www.al-akhbar. d’ordre lancé par les Frères musulmans durant la campagne
com, 30/07/2011. législative automnale suscita des remous et la réplique de
19. Muhammad
Abû al-‘Aînîyyn, courants en faveur d’un « État civil » tel que le Courant libéral
« Quwa siyasiyya égyptien représenté par Rachâd ‘Abd al-‘Âl. Le Haut Comité
tarfudu ‘al-Islâm pour les élections estima qu’il n’était pas possible d’utiliser
howa al-hal’
wa tutâlibu des slogans « religieux »19, relayant ainsi les critiques venues
bil-Iltizâm des partis politiques qui y voyaient une menace fondamentale
bil-qawanîn »,
Al-Misrî al-Yawm, pour les uns, un abus condamnable pour les autres, tels le
07/10/2011.
20. Munîr Adîb
Parti al-Nûr de ‘Imâd al-Dîn ‘Abd al-Ghufûr ou la Jamâ‘a al-
wa Hamdî islâmiyya de Târiq al-Zumur pour qui les Frères musulmans
Dibsh wa Hânî n’entendaient pas promouvoir un État conforme à la sharî‘a.
al-Wazîrî, « Hizb
al-Ikhwân : La direction du Parti de la Liberté et de la justice défendit sa
sanatasadda ligne, elle affirma que le slogan était « constitutionnel » et qu’il
lil-lijna al-‘uliyâ
lil-Intikhâbât n’impliquait pas l’ignorance des non-musulmans puisqu’elle
fî hâl shatabat accueillait des candidats coptes sur ses listes20. Dans le même
murashahînâ », temps, ayant réuni un « Front de l’alliance démocratique »
Al-Misrî al-Yawm,
07/10/2011. composé de plus d’une trentaine de partis, elle annonçait

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renoncer à tous les slogans « religieux ou idéologiques »21. 21. « 33 hizbân


Mais, les avis contradictoires émis par le dit Comité et le takhûdu
al-intikhâbât ma‘
Haut Tribunal administratif — pour ce dernier, le slogan était al-huriyya wa
« politique » et non religieux —, furent l’occasion de réaffir- al-‘adâla bidûn
shi‘ârât dîniyya »,
mer la possibilité de son utilisation22. al-Ahrâm,
S’il ne désapprouvait pas, sur le fond, la formule « l’ « islam 08/10/2011.
est la solution », Abû al-Futûh s’en démarquait, lui qui, après
avoir affirmé qu’aucun Égyptien ne réclamait la séparation 22. Hamdi
Dibsh, « Mursî :
de « la religion » et de « la politique »23, expliquait qu’il fallait Lan natarâja‘
séparer la « da‘wa et la politique »24, suscitant l’ire de la direc- ‘an ‘al-Islâm
tion du mouvement contre cet électron libre débarqué de huwa al-hal’
wa lâ yastatî‘
ses rangs. Il recueillait, en revanche, l’approbation de Kamâl qâdî al-hukm
al-Hilbâwî considérant que l’intransigeance des responsables did al-shi‘âr »,
Al-Misrî al-Yawm,
en place allait à l’encontre de la pratique mise en œuvre par 10/10/2011.
Hasan al-Bannâ25. L’impression de cacophonie était renforcée 23. Hânî
par l’intervention de Tariq Ramadan, un des petits-fils du fon- al-Wazîrî, « Abû
al-Futûh :
dateur qui, à l’occasion d’un colloque organisé à Abû Dhabî sawfa anfasilu
sur « L’avenir de l’islam politique dans le monde arabe », affir- ‘an al-Jamâ‘a
mait que le seul dénominateur commun des mouvements dits ‘Idâriyyan’ wa
Atarashahu
« islamistes » était leur lutte contre la dictature et contre les lil-ri’âsa
« laïques ». En les mettant en garde contre un risque patent mustaqilan »,
Al-Misrî al-Yawm,
de « décomposition », il les engageait à « rompre avec le dis- 17/05/2011.
cours politico-religieux traditionnel visant au pouvoir d’un
24. Mahmûd
État religieux » et à « renoncer à la violence » pour s’inspirer Ramzî, « Abû
du modèle turc, notamment en matière de développement al-Futûh yutâlib
‘al-Ikhwân’
économique26. bil-Ibti‘âd ‘an
Les trois phases du scrutin législatif (octobre 2011-janvier mumârasat
2012) virent la victoire du Parti de la Liberté et de la justice, al-nashât al-siyasî
wa al-tafarugh
au sein du Front démocratique, (plus de 45 % des sièges), lil-da‘wa », ,
suivi par le Parti salafiste al-Nûr (près de 25 %). Durant cette 23/9/2011 .
période, le Conseil suprême des forces armées fixa le calen-
25. Hânî
drier politique27, réprima par la violence des manifestants et al-Wazîrî, «
chercha à limiter le rôle de l’Assemblée élue en affirmant que le ‘al-Halbâwî’
: ‘al-Ikhwân’
gouvernement remanié ne dépendait pas de celle-ci. Il créa un tukhâlifu fikr
comité d’orientation devant, entre autres, tenter de définir des ‘al-Bannâ’… wa
critères de sélection des membres de la future Constituante. ‘Abû al-Futûh al
afdal’ », Al-Misîi
Ces officiers, comme l’a montré Tewfick Aclimandos, pou- al-Yawm,
vaient être pieux à titre personnel, mais ils ne paraissaient pas 22/09/2011.

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_________ Évolution du discours, continuité du programme

26. Muhammad disposés à voir l’Égypte s’engager dans une voie « islamique »
al-Jadâwî, non définie. Ils ne semblaient pas davantage consentir à une
« Hafîd Hasan
al-Bannâ : Jamâ‘at
limitation de leur puissance économique désormais critiquée
al-Ikhwân ouvertement par une partie de la population. Laisseraient-ils
mu‘arrada lil- l’opinion peser elle-même, ou imposeraient-ils par la force
tafak-
kuk wa ba‘d une direction à suivre comme en 195228 ? La possibilité du
qiyyâ- recours à la violence n’avait pas été tranchée en principe,
dâtiha yufakirûn
bi-‘aqliyya al-arba
comme le montrèrent les engagements des Frères musulmans
‘iyyniyyat », en Syrie ou au Liban — la Jamâ‘a al-islâmiyya libanaise recon-
Al-Misrî al-Yawm, nut, en janvier 2012, qu’elle s’était dotée d’un bras armée :
22/09/2011.
27. Mamduh
les « Forces de l’aube »29 —. Dans les contextes de rapport de
Sha‘bân, ‘Abd forces, subsistait cette référence à l’Épître du Jihâd de Hasan
al-Jawâd Tawfîq, al-Bannâ : « Celui qui accomplit le jihâd n’accède au sublime
« Jadwal zamanî
nihâ’î li naql martyre et aux rétributions des mujâhidîn que s’il tue ou est
al-sulta min tué pour la cause de Dieu »30.
al-majlis al-‘askarî
ilâ hukuma Par la voix d’Ahmad Abû Baraka, conseiller juridique,
madaniyya », le PLJ appela l’ensemble des organisations politiques élues,
Al-Ahrâm, depuis les salafistes jusqu’aux libéraux, à aboutir à un « consen-
02/10/2011.
28. Tewfik sus national »31. Le défi paraissait difficile à relever : si tous les
Aclimandos, représentants s’accordèrent pour combattre « l’injustice », la
« Regard
rétrospectif sur « corruption » et favoriser le « progrès économique » comme
la Révolution la transition rapide du « pouvoir militaire » vers un « pou-
égyptienne, ou le
23 juillet 1952 »,
voir « civil », ils s’opposèrent sur nombre de principes fonda-
dans « L’Égypte mentaux quant à la nature de l’État. Le Parti al-Nûr prépara
dans le siècle son propre projet de Constitution, inspiré de son programme
1901-2000 »,
Égypte-Monde politique fondé sur l’adage « l’islam est religion et État »32
arabe, n°4-5, dans lequel les musulmans et les non-musulmans, comme les
2000-2001, voir
notamment p. hommes et les femmes, n’avaient ni les mêmes droits ni les
21-28. mêmes devoirs. Le parti de la Liberté et de la justice utilisa,
29. « Al-Hawt :
Ihtikâr dans son programme, les concepts de « liberté » et d’ « éga-
al-muqâwamat lité » forgés en Europe, mais il leur fixa des entraves que com-
ghayr masmuh
wa sanakhruju
battirent les libéraux et les laïques : le « peuple » est « la source
silâhana ‘andama des pouvoirs », mais la « liberté » un « don de Dieu » qui est
yatahadudu « sujette à de la contrainte » ; « dans la sharî‘a islamique, le
amn al-watan »,
7 janvier fondement est l’égalité entre la femme et l’homme en matière
2012, http:// de droits et de devoirs en général », ce qui laisse ouvertes
www.elnashra.
com/news/ toutes les dispositions inégalitaires en matière de mariage,
show/424730. de divorce ou d’héritage ; l’État doit être « islamique, natio-

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Les Cahiers de l’Orient________________________________

30. Cité dans


nal, constitutionnel, démocratique et moderne » ayant pour Majmû‘a
référence la « sharî‘a islamique » celle-ci étant fondée à la fois rasâ’il al-imâm
al-shahîd Hasan
sur des « textes aux preuves indiscutables qui sont peu nom- al-Bannâ, Mu’sasa
breux » n’autorisant pas « l’interprétation »33 contrairement al-rasâ’il lil-tibâ‘a
wa al-nashr
aux « règles générales et [aux] principes globaux ». wa al-tawzî‘,
Beyrouth, s.d.,
p. 59.
31. Hamdî Dibsh,
Le « transcendant » à l’épreuve du « réel » Hânî al-Wazîrî
wa Ghâda
Muhammad
En déclarant « nous nous rapprochons du but suprême » al-Sharîf, « Qirâ’at
consistant à « édifier le califat bien dirigé » et à exercer « le fî Barlamân
2012 : al-Ikhwân
magistère sur le monde »34, le « guide » Muhammad Badî‘ yushakkilûn
s’attira la réplique cinglante de Rif‘at al-Sa‘îd (intellectuel et aghlabiyyat wa
homme politique marxiste, du parti Tajammu’qualifiant l’idée al-Salafiyyûn
al-mu‘âradat »,
de « mythique » et « chimérique »35, mais il montra l’attache- Al-Misrî al-Yawm,
ment de la direction des Frères musulmans au patrimoine 07/01/2012.
32. « Barnâmaj
légué par Hasan al-Bannâ. Ce dernier, dans un Mémoire Hizb al-Nûr. Man
adressé au ministre de l’Instruction et au Cheikh d’Al-Azhar, nahnu ? », en
ligne sur le site
affirmait que la promotion d’une « idée civile » comportait http://nour4egypt.
le risque d’annihiler l’« idée islamique » puisque « l’islam com/Vision.aspx.
vient se mêler avec le sang de tout Égyptien. Il a pénétré dans
son cœur, dans son esprit, dans son sang, et dans ses veines. 33. « Barnâmaj
al-intikhâbî
[…] tout essai visant à détruire cet islam dans les âmes des li-Hizb
Égyptiens est une tentative vouée à l’échec »36. Fait significatif, al-Huriyyat wa
al-‘Adâlat », en
l’expression « État civil à référence islamique », qui n’a jamais ligne sur le site
reçu de véritable contenu, eut tendance à disparaître des dis- http://www.
ikhwanonline.com.
cours de la campagne électorale, sinon pour affirmer que les 34. Hânî
Égyptiens ne voulaient pas d’un « État religieux » à l’iranienne al-Wazîrî wa
ou, sur un autre registre, pour opposer les qualificatifs « civil » Ghâda
Muhammad
et « militaire ». La question restait donc ouverte : comment al-Sharîf, « Badi‘ :
reconnaître la validité du pluralisme si la position politique « iqtarabna min
tahqîq al-ghâiyyat
défendue reposait sur la sacralité d’une référence religieuse, al-‘uzma li-al-
éclatée dans les faits — au point que certains observateurs Banna bi-iqâmat
al-khilâfa »,
n’hésitaient plus à parler d’islâmât (« islam-s » au pluriel37) — Al-Misrî al-Yawm,
mais présentée comme absolument unique ? 30/12/2011.
Les acteurs eurent beau insister, à temps et à contretemps, 35. Déclaration
rapportée par
sur le fait que la priorité devait être le règlement des besoins le journaliste
sociaux, la place de la référence religieuse et celle de l’autorité Samîr al-Sayyid
dans Al-Ahrâm,
02/01/2012.
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_________ Évolution du discours, continuité du programme

36. Hasan qui la porte dans le champ politique, économique et moral ne


al-Bannâ, « relevèrent pas uniquement d’une interrogation théorique. Fin
Mustaqbal
al-thaqâfat décembre 2011, un groupe se réclamant du Parti al-Nûr —
fî Misr… mais non reconnu par lui —, instaura un « Comité de l’ordon-
li-l-haqîqat
wa-l târîkh», nance du Bien et de la troque du Mal ». En quelques heures,
Al-Nadhîr, n°6, le réseau social reçut des milliers d’adhésions ; les premières
1939, Le Caire
(www.ikhwanwiki.
initiatives consistèrent, dans la ville de Port-Fuad, à interdire
com). aux coiffeurs de raser les barbes38. L’affaire fut suffisamment
37. Muhammad prise au sérieux pour que le Cheikh d’Al-Azhar, Ahmad al-
Ta‘îma,
« Al-Ikhwân
Tayyib, critique violemment ce comité et que, par la voie d’un
al-muslimûn : communiqué officiel, des savants affirment que « la noble
fiqh Al-Azhar est la référence islamique unique et permanente en
al-talawûn wa
al-zi’ibaqiyya », matière religieuse »39. Au même moment, des citoyens shiites
www.al-akhbar. souhaitant bénéficier de la libération de parole et de mouve-
com, 17/06/2011.
ment dans l’Égypte post-Mubarak tentèrent de célébrer la fête
de Ashura au sein de la mosquée cairote construite autour du
38.« <Al-nahy tombeau de Husayn. Ils en furent refoulés par des salafistes
‘an al-munkar>
tuhaddiddu puis par des « forces de sécurité » à la demande du ministère
sâlûnât al-hilâqat des Waqf-s au prétexte que « l’Égypte est un État sunnite »40.
bi-‘adam halq
al-luhâ bi-Bûr Cette déclaration, dans un contexte de tensions croissantes
Fu’âd », Al-Yawm entre sunnites et chiites (Syrie, Irak, Liban, Bahreïn, Koweït,
al-Sâbi‘, Yémen, sans parler de la rivalité séoudo-iranienne) illustra
30/12/2012.
39. Ahmad
à la fois l’impensé du fait minoritaire musulman — et non
al-Bihîrî, pas seulement de la situation des dhimmi-s — dans l’histoire
« Al-Azhar : des sociétés sous autorité islamique et les enjeux politico-reli-
Inshâ’ al-Amr
bi-l-ma‘rûf gieux afférents pour les États en devenir après le « printemps
wa-l nahy ‘an arabe ».
al-munkar>
khurûj ‘an sultat Les élections au Majlis al-shûra (« Assemblée de la
al-dawla », Consultation », souvent traduit par le terme de « Sénat »),
Al-Misrî al-Yawm,
05/01/2012.
à partir de la fin janvier, confirmèrent les résultats du
40. Déclaration
vote pour les députés au Majlis al-sha‘b (« Assemblée du
de Shawqî peuple ») présidé par le secrétaire général du PLJ, Sa‘ad
‘Abd al-Latîf, al-Katâtnî, le 23 janvier. Ce Parlement, conformément à la
premier wakîl
du ministère feuille de route constitutionnelle approuvée en mars 2011
des Waqf-s, par référendum - fut chargé de désigner une commission
Al-Ahrâm,
07/12/2011. pour rédiger la Constitution. Le mois de mars fut traversé
par les débats relatifs à cette commission censée représenter
toutes les tendances idéologiques et toutes les organisations

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(politiques, sociales, culturelles) du pays et dirigée elle aussi


par Sa‘ad al-Katâtnî41. Un premier contentieux porta sur le 41. « Akkada
al-Duktûr Sa’d
contenu de la Constitution, opposant Frères musulmans al-Katâtni […],
et salafistes : les premiers entendaient maintenir la réfé- anna al-jam’îyya
rence aux « principes (mabâdi‘) de la sharî‘a » tandis que les al-ta’sîsiyya
sataftahu
seconds réclamaient davantage de précision avec l’expression abwâbahâ
« prescriptions (ahkâm) de la sharî‘a ». Le second contentieux, li-kulli al-’arâ’
min al-sha‘b »,
lié à la composition de la commission (50 membres issus du Al-Ahrâm,
Parlement et 50 membres extérieurs) opposa une alliance des 28/03/2012.
Frères et des salafistes aux partis sans référent religieux. Nagîb
Sawîrîs, fondateur du Parti des Égyptiens libres, donna le
42. Son
signal du retrait. D’autres instances suivirent, à commencer représentant était
par la Haute Cour constitutionnelle42, l’Université d’Al- Ali Awad Salih.
Azhar, l’Église copte43 — endeuillée par le décès du pape 43.« Al-Kanisa
Chenouda III — et divers intellectuels tandis que des mino- al-Qibtiyya
tansahibu min
rités (catholiques, protestants, chiites44) revendiquaient une lijnat al-dustûr »,
représentation spécifique45. Le 10 avril, une cour administra- Al-Nahâr,
03/04/2012.
tive du Caire déclara que les procédures de formation de cette
commission étaient invalides. 44. « Al-shî‘a
tatlubu wisâtat
L’armée s’était engagée à remettre le pouvoir aux civils shaykh al-Azhar
après le scrutin présidentiel, prévu entre mai et juin 2012. Fin li-tamthîlihim
fî al-ta’sîsiyya »,
janvier, les négociations allaient bon train entre Frères musul- Al-Misrî al-Yawm,
mans et Conseil suprême des forces armées, sous les auspices 10/04/2012.
du secrétaire d’État adjoint états-unien, William Burns, 45. « Azmat
venu en Égypte pour rencontrer les responsables du PLJ. Le al-ta’sîsiyya
wa al-Ikhwân
« guide », Muhammad Badî‘, dénonça alors les appels à un tatamasaku
nouvel élan révolutionnaire contre les militaires46 à l’occa- bi ‘al-istibdâl
sion du premier anniversaire de la chute de Moubarak, et des huwa al-hâl’ »,
Al-Misrî al-Yawm,
membres du mouvement fondé par Hasan al-Bannâ repous- 03/04/2012.
sèrent des manifestants aux abords de la place Tahrîr. Mais ces 46. « Al-Ikhwân
pourparlers, qui visaient à donner des garanties à l’armée — yantaqidûna
en refusant tout contrôle de son budget par les parlementaires ihtijâjât al-shabâb
fî Misr »,
— et une forme d’impunité politique, échouèrent. Trois mois Al-Nahar,
plus tard, changement de tableau : les Frères et les salafistes 02/02/2012.
rejoignirent les partis sans référent religieux contre l’armée
lors d’une mobilisation au centre du Caire. La candidature
de ‘Umar Sulaymân, ex-chef du Renseignement et ex vice-
Président, avait certes été invalidée, mais celles de Khayrat

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_________ Évolution du discours, continuité du programme

al-Shâtir, numéro 2 des Frères musulmans homme d’affaires


47. « Un ancien
à la tête d’un empire commercial, et du salafiste Hâzim Abû
vice-président Ismâ‘îl avaient connu le même sort47.
et des islamistes Sans parvenir à voiler les divergences internes aboutis-
écartés de la
présidentielle », sant à des départs hors du mouvement48, alors qu’ils s’étaient
France 24, engagés à ne pas présenter de candidat, les Frères musulmans
14/04/2012,
http://www.
rompirent donc un pacte tacite d’équilibre des pouvoirs en
france24. arguant du fait qu’il en allait de la pérennité des acquis de
com/fr/20120414 la « révolution », de la réponse aux défis économiques et de
-egypte-
presidentielle- la sécurité du pays. Sachant que les années de prison effec-
omar-souleimane tuées par al-Shâtir pouvaient être un élément retenu contre
-freres-musul
manssalafistes- lui, ils prirent la précaution de présenter un autre candidat,
islamistes-election. Muhammad Mursî, le président du PLJ dont le mot d’ordre
48. « Sadmat dans la campagne fut : « L’Islam est la solution »49. L’armée,
al-Shâtir bi 1… », quant à elle, fit valoir l’argument selon lequel le « peuple »
Al-Misrî al-Yawm,
02/04/2012.
réclamait la candidature de Omar Sulaymân (ayant pourtant
affirmé qu’il ne se présenterait pas et décédé depuis) contre
49. Déclaration
de Muhammad les « islamistes »50. La tension était à son comble à la mi-avril,
Mursî lors de Sulaymân annonçant qu’il pouvait sortir des « dossiers » de
sa première
conférence de son coffre si les Frères musulmans continuaient à se mon-
presse, Al-Misrî trer menaçants en l’accusant de « voler la révolution ». Mais
al-Yawm, la commission électorale égyptienne trancha, et les cartes
22/04/2012.
furent rebattues en attendant la tenue du scrutin présidentiel.
50. « ‘Umar
Sulaymân Ahmed Shafîq, militaire et dernier Premier ministre de la pré-
yughayyiru ra’îhi sidence Moubarak, pallia le retrait forcé de Sulaymân.
wa qad yakhûdu
al-intikhâbât
», Al-Nahâr,
07/04/2012. Nouvelle donne : l’Armée, les Frères et les préroga-
51. Déclaration tives du pouvoir
reprise dans
Al-Ahrâm,
15/04/2012
52. « Murashah La déclaration d’  «  anathème » lancée par Subhî Sâlih
al-Ikhwân lil- contre le Conseil suprême des forces armées51 et les références
ri’âsa al-misriyya :
al-sharî‘a kânat à la sharî‘a de al-Shâtir52 en négociation avec les salafistes
wala tazâl donnèrent le ton. Ces références furent reprises par Mursî,
mashrû‘hu qui ne manqua pas de faire écho à l’Épître du jihâd de Hasan
al-awal »,
Al-Nahâr, al-Banna : « Le Coran était et reste notre Constitution, le
04/04/2012. Prophète notre guide (za‘îm), le jihâd notre voie, la mort

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dans la voie de Dieu notre aspiration la plus sublime et,


par-dessus tout, Dieu est notre but »53. Au premier tour, les
candidatures de ‘Abd al-Mun‘im Abû al-Futûh (soutenu par
un Parti al-Nûr orphelin) et de Amr Moussa firent illusion,
notamment auprès des observateurs européens. La surprise 53. « Amâm
jâmi‘at al-Qâhira :
vint du côté du courant nasserien socialisant, qui plaça son lâ badîl ‘an
candidat Hamdîn Sabbâhî en 3e position. Fin mai, les partis al-sharî‘a… wa
al-jihâd kâna
sans référent religieux et les représentants de la société civile se wa sayabqa
retrouvèrent pris entre les pôles d’une alternative fixée depuis sabîlana »,
la proclamation de la République : un régime militaire auto- Al-Misrî al-Yawm,
14/05/2012.
ritaire ou un régime intégraliste « au nom de l’islam ». Un
bras de fer s’engagea. D’un côté, Mursî se présenta comme
l’unique candidat de la « révolution » ; il tenta de rassurer les
coptes en leur adressant une lettre publique et fit des pro-
messes d’ouverture aux partis non confessants ; il obtint l’ap-
pel tardif à voter pour lui de Abû al-Futûh. De l’autre, Shafîq
dénonça le recours à l’argumentaire religieux en affirmant que
des mosquées faisaient campagne contre lui54. Le 14 juin, à 54. « Shafîq :
quelques jours du second tour, la Haute Cour constitution- Sa-adfau‘ hayâtî
thaminan li-inqâz
nelle déclara que le Parlement n’avait pas été élu dans des Misr minkum »,
conditions « constitutionnelles ». Le Conseil suprême des Al-Ahrâm,
11/06/2012.
forces armées soutint la mesure d’invalidation, maintint le
calendrier électoral mais fixa les limites des pouvoirs du futur
président de la République égyptienne, en s’octroyant par la
même occasion un droit d’intervention dans le processus de
rédaction de la future Constitution.
La société égyptienne retint son souffle dans l’attente des
résultats du second tour. Mursî fut déclaré « vainqueur »
par le président du Haut Comité pour les élections, et les
Frères musulmans avec leurs partisans mirent une sourdine
à la dénonciation du « coup d’État »55. Avant de prêter ser- 55. « Muhammad
ment devant les membres de la Haute Cour constitutionnelle, Mursî ra’îsan
li-Misr »,
Mursî fit un discours remarqué sur une place Tahrîr bondée, Al-Ahrâm,
le 29 juin, centré sur l’ « État civil, patriotique, constitution- 24/06/2012.
nel, moderne et libre dans ses relations avec l’extérieur ». Ad
intra, il ouvrit sa veste pour montrer qu’il faisait preuve de
courage face aux menaces potentielles car il ne portait pas de
gilet pare-balles ; il adressa des messages à toutes les catégories

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de la population, y compris aux « artistes » et « intellectuels »


oubliés dans sa première déclaration en tant que Président.
Ad extra, situant l’Égypte dans un environnement « arabe »,
« africain » et « musulman », il indiqua son attachement à
« la paix » sous condition de non « agression » ; il appela à
la libération du cheikh ‘Umar ‘Abd al-Rahman, emprisonné
aux États-Unis pour « conspiration séditieuse » en lien avec
l’attentat perpétré en 1993 contre le World Trade Center, ce
qui n’eût pas l’heur de plaire aux membres du Congrès.
Du bras de fer on passa au poker. Le 8 juillet, un décret
présidentiel fut publié afin de réunir l’  «  Assemblée du
peuple ». Une partie des députés refusa de siéger et la séance
présidée par Al-Katatnî fut réduite à sa plus simple expres-
sion. La Haute Cour constitutionnelle suspendit le décret,
une décision que Mursî s’engagea à respecter. Appuyé par
l’Arabie séoudite, et sous le regard d’Al-Sharq al-Awsat qui
saisit cette occasion pour publier la photo de Hasan al-Banna
baisant la main d’Ibn Saoud lors d’une visite au milieu des
années 1930, il se rendit à Djeddah pour y faire une décla-
ration remarquée : loin de promouvoir la révolution dans le
Golfe, il se montrait attaché à « la stabilité […] en particu-
lier en Arabie séoudite » qu’il saluait pour son « parrainage
[en faveur du] projet de l’islam sunnite médian » garanti par
56. « Mursî ajrâ
l’Égypte56. Dans un État essentiellement tenu par les mili-
muhâdathât taires, ce début de l’été 2012 était marqué par une tension
muthmira fî forte entre les « salafistes » souhaitant modifier l’article 2 de la
Jidda », Al-Nahâr,
13/07/2012. Constitution et le cheikh d’Al-Azhar Ahmad al-Tayyib, mais
aussi par la création discutée d’un mouvement des « Frères
chrétiens » en Égypte et l’adresse de Gamâl al-Banna au pré-
sident de la République afin qu’il s’engage clairement en
faveur de quatre éléments fondamentaux : la « liberté de pen-
sée » (y compris la « liberté de conscience »), l’« amélioration
[de la condition] de la femme », la « non intervention dans
les arts et lettres afin qu’ils ne disparaissent pas », l’« [abandon
57. « Al-Usul du] mirage du califat et du magistère sur le monde »57.
al-arba‘ »,
Al-Misrî al-Yawm,
04/07/2012.
D. A.

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