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Léo Coutellec
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Penser l’indissociabilité de
l’éthique de la recherche,
de l’intégrité scientifique
et de la responsabilité
sociale des sciences
Clarification conceptuelle,
propositions épistémologiques
Léo COUTELLEC
RÉSUMÉ
Dans un contexte d’institutionnalisation croissante des questionnements
éthiques à propos de la recherche scientifique, nous postulons la nécessité
d’une clarification conceptuelle, qu’expose cet article, entre éthique de la
recherche, intégrité scientifique et responsabilité sociale. L’enjeu est à la fois de
qualifier chacun de ces trois domaines et de proposer un mode de composition
entre eux, composition qui doit aussi faire œuvre de discernement entre les
enjeux éthiques, normatifs et politiques. L’hypothèse que nous défendons dans
cette contribution est de positionner l’éthique de la recherche comme un pivot
réflexif entre intégrité scientifique (démarche orientée vers la communauté) et
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INTRODUCTION
Dans un contexte d’institutionnalisation croissante des questionnements
éthiques à propos de la recherche scientifique, nous postulons la nécessité
d’une clarification conceptuelle entre éthique de la recherche, intégrité scien-
tifique et responsabilité sociale. L’enjeu est à la fois de qualifier chacun de ces
trois domaines et de proposer un mode de composition entre eux, composi-
tion qui doit aussi faire œuvre de discernement entre les enjeux éthiques, nor-
matifs et politiques. De façon minimale, il est possible de qualifier l’éthique de
la recherche (ER) comme démarche réflexive sur les valeurs et les finalités de
la recherche scientifique ; l’intégrité scientifique (IS) comme démarche norma-
tive qui vise à encadrer les (bonnes) pratiques d’une communauté 1, en établis-
sant normes et principes ; la responsabilité sociale des sciences (RSS) comme
démarche politique 2 qui vise à appréhender le contexte et anticiper les consé-
quences de la science dans une prise de conscience du caractère impliqué de
celle-ci 3. Ces définitions ne sont pas définitives et elles ont vocation à passer
l’épreuve de la critique. Nous savons aussi qu’elles ne font pas consensus,
mais la thèse que nous défendons dans cette contribution ne se réduit pas
à une approche définitionnelle ; nous cherchons un principe d’articulation
1 Nous utilisons dans cet article le terme « communauté » pour désigner la « communauté
scientifique », non pas comme une entité ayant une réalité matérielle et une cohésion – ceci nous
en doutons – mais comme convention pour désigner l’ensemble des praticiens qui se reconnaissent
sous la bannière des sciences et techniques. Les contours d’une telle communauté sont évidemment
flous ; l’enjeu n’est pas d’en faire une description mais de postuler son existence au sein de la
société. Une existence qui se justifie par des mots, des pratiques, des métiers et des institutions,
certes traversés par une grande hétérogénéité.
2 Nous ne réduisons donc pas la responsabilité sociale à sa dimension gestionnaire comme cela
est souvent le cas dans les démarches RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises).
3 Toute approche définitionnelle a ses limites mais connaît aussi le grand intérêt de la clarté et
donc de la possibilité de son dépassement par la critique. Ainsi, donnons une courte définition à
chacun des termes utilisés ici, en précisant que ces définitions sont celles habituellement admises
dans le champ de l’éthique mais qu’elles n’ont évidemment pas vocation à résumer toute la
littérature autour de ces concepts. Nous appelons « valeur » ce qui permet de donner un sens
particulier à une action, une signification ; la valeur est une forme de filtre interprétatif que nous
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4 Nous n’abordons pas dans cette contribution le domaine de la déontologie qui relève des
règles et des obligations ; et nous partons de l’hypothèse que déontologie et intégrité scientifique
ne se recouvrent pas, notamment en s’appuyant sur la difficulté à considérer la communauté
scientifique comme un ordre juridique (Munagorri, 1998). Le champ d’application de la déontologie
est habituellement encadré par des codes s’appliquant à des ordres ou par la loi. Par exemple, les
médecins sont soumis à la déontologie de leur ordre, les fonctionnaires sont soumis à la loi sur la
déontologie des fonctionnaires d’avril 2016. Les chercheurs fonctionnaires sont donc concernés
par cette loi mais celle-ci ne recouvre pas l’ensemble des pratiques scientifiques. Il existe une
charte nationale de déontologie des métiers de la recherche mais qui s’apparente davantage à une
charte d’intégrité scientifique notamment lorsque l’objectif est « d’expliciter les critères d’une
démarche scientifique rigoureuse et intègre ». Il nous semble que nous gagnerons en clarté à
réserver la déontologie à l’encadrement réglementaire et aux obligations attachés à l’exercice d’un
métier.
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et de poursuivre
« Autant les questions d’éthique font débat, autant l’intégrité scientifique
ne se discute pas. Elle se respecte, c’est un code de conduite profession-
nelle qui ne doit pas être enfreint. Elle s’impose en science, comme s’im-
posent les codes professionnels de déontologie pour les médecins et les
avocats » (Corvol, 2016, p. 8).
tinguer ainsi IS et ER. Si l’ER ne s’intéresse qu’aux « grandes questions » et © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
des valeurs et des finalités (ER), prenons l’exemple du jugement sur la qua- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
5 Nous pensons particulièrement ici aux normes de scientificité. S’il est très utile de définir les
contours d’un contrat méthodologique dans les sciences, il est tout aussi important de mettre cette
normativité sous la condition d’une réflexivité de la communauté scientifique sur elle-même, afin
de ne pas figer ou surdéterminer une conception des sciences particulière. Avec l’établissement
de normes, il s’agit bien plus de régler, au sens fort du terme, des situations pratiques que de faire
triompher une position théorique sur une autre (Ferry, 2002, p. 71).
6 Consultée le 20 mars 2018 sur www.hceres.fr/content/download/31539/484108/file/
declaration-singapour.pdf.
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Dans le même ordre d’idées, selon le guide du CNRS pour une recherche
intègre et responsable
« L’intégrité scientifique signifie le refus de laisser les valeurs de la science
se plier à des pressions financières, sociales ou politiques. Elle s’entend au
regard d’obligations d’ordre épistémologique, qui diffèrent selon les disci-
plines scientifiques concernées » (COMEST, 2017).
7 Nous appelons « positiviste » une certaine conception de la science qui consiste à défendre
l’idée que l’unité de la science est le reflet de l’unité de la nature (conception métaphysique) et que,
pour atteindre une complète compréhension de cette unité, il n’y a qu’une seule voie (conception
méthodologique). Le positivisme se structure aussi autour de la revendication d’une neutralité
de la science qui fut notamment la cible de cette critique de Henri Poincaré en 1905 : « Ce que
vous gagnez en rigueur, vous le perdez en objectivité. Vous ne pouvez vous élever vers votre idéal
logique qu’en coupant les liens qui vous rattachent à la réalité. Votre Science est impeccable, mais
elle ne peut le rester qu’en s’enfermant dans une tour d’ivoire et en s’interdisant tout rapport
avec le monde extérieur. Il faudra bien qu’elle en sorte dès qu’elle voudra tenter la moindre
explication » (Poincaré, 1970, pp. 34-35).
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une légitimité dans le jugement sur les sciences, abandonnant ainsi à la méta-
physique l’étude des finalités (Bouleau, 2017) 8 ou les réduisant à des objectifs 9.
Nous retrouvons peu de traces de cette notion de pertinence dans les
grands textes ou déclarations sur l’IS. Elle est toutefois reconnaissable dans le
Manifeste de Leiden pour la mesure de la recherche lorsqu’il préconise de « fonder
les évaluations des chercheurs sur un jugement qualitatif de leurs travaux » ou
lorsqu’il appelle à ce que l’évaluation soit « davantage basée sur la pertinence
des recherches pour les politiques publiques, l’industrie ou la société que sur
une notion d’excellence académique » (Hicks, Wouters, Waltman, de Rijcke et
Rafols, 2015). Des travaux commencent à démontrer la faible corrélation entre
l’impact factor d’une revue et la pertinence pour l’action des publications qui en
sont issues. C’est ce qui a été fait dans le contexte des études sur la conserva-
tion des abeilles sauvages au Royaume-Uni où un « score de pertinence » des
connaissances produites a été comparé à l’impact factor des revues ayant publié
ces connaissances (Sutherland, 2011) 10.
8 L’absence de discussion en science sur les finalités tient pour Nicolas Bouleau à cette « confiance
tranquille » dans « une approche du monde où ce que l’on ignore est en premier lieu supposé
aussi simple que ce que l’on connaît ». Selon lui, « le tournant de conscience décisif est de ne plus
considérer que le monde soit bienveillant, que l’inconnu nous soit favorable ». Sans s’inscrire dans
le sillon considéré comme trop métaphysique du catastrophisme, l’auteur appelle à une « nouvelle
lucidité fondée sur la légitimité des interprétations même inquiétantes » (Bouleau, 2017, pp. 84-85),
donc à réintroduire une discussion sur les finalités dans les sciences.
9 Les finalités sont de l’ordre du « pour quoi fais-je ceci ? », donc de l’ordre d’une « raison
d’être ». L’objectif est une cible à atteindre. Un ensemble d’objectifs peut permettre de donner
un corps à une finalité. L’éthique réintroduit une discussion sur les finalités au-delà des objectifs
particuliers.
10 Les chercheurs ont identifié 54 actions qui pourraient bénéficier à la conservation des abeilles
sauvages (ex. : protéger l’habitat naturel ou semi-naturel existant pour empêcher la conversion
à l’agriculture ; créer des parcelles de terrain nues pour les abeilles nichant au sol, etc.). Ils ont
repéré dans la littérature des publications qui testent et apportent des preuves de l’efficacité de
ces actions. Au total, 159 publications ont été incluses dans cette liste. L’impact factor sur cinq ans
des revues ayant accueilli ces publications a été relevé. La liste des actions ou interventions a été
soumise à un groupe de 113 praticiens de la conservation des abeilles qui utilisent ces recherches et
qui représentent les principaux groupes d’intérêt dans la politique et la pratique de la conservation
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L’hypothèse que l’on peut alors faire est qu’une des façons d’augmenter
la pertinence d’un savoir est d’accueillir la plus grande diversité dans le pro-
cessus qui en est à l’origine. La robustesse n’est donc plus ce qui s’obtient par
un mouvement de réduction de l’objet ou de spécialisation du champ scienti-
fique pour l’appréhender mais, a contrario, par un mouvement d’extension et
de pluralisation. C’est une position en épistémologie défendue par les philo-
sophes Miriam Solomon et Helen Longino qui considèrent que la diversité n’est
pas seulement souhaitable, elle est nécessaire pour augmenter la pertinence
d’un savoir et faire de la « bonne science » (Longino, 2002 ; Solomon, 2006).
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La diversité renforce la fécondité de la démarche scientifique (via le question- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
nement permis par des regards décalés ou dissidents), étend le réel auquel
nous avons à nous confronter (qui n’est plus le seul réel du laboratoire ou du
plan expérimental), élargit la base observationnelle et la surface d’affection de
la démarche de production de savoirs (c’est-à-dire ce que l’on juge digne d’être
considéré ou questionné) (Stengers, 2013). C’est en cela que le pluralisme épis-
témique se présente comme un facteur de pertinence. Ici, il est important de
souligner qu’aucun des textes officiels sur l’IS ne fait explicitement référence à
la question du pluralisme, que l’on peut pourtant considérer comme centrale
en éthique de la recherche, comme nous l’avons déjà démontré par ailleurs
(Coutellec, 2015).
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l’emploi du terme d’« implication » plutôt que de celui plus classique d’« applica- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
tion ». Il ne s’agit pas pour nous d’une simple nuance sémantique mais d’un enjeu
épistémologique et éthique majeur qui concerne le sujet et l’objet de la res-
ponsabilité dont il est question. L’idée d’une responsabilité sociale des sciences
nous engage à caractériser et à évaluer la façon dont toute science est impli-
quée (Coutellec, 2015) ; impliquée dans un contexte en fonction de finalités 11.
L’implication, en tant qu’objet de la responsabilité sociale, est bien différente de
l’idée d’application qui a longtemps dominé les discussions sur l’étude de l’im-
pact des sciences et des techniques. Là où la logique de l’application établit une
distinction claire entre des sciences neutres et désintéressées d’un côté et des
sciences appliquées et finalisées de l’autre, la logique de l’implication cherche à
mettre en lumière l’idée que toutes les sciences sont inscrites dans un contexte
particulier qu’il convient d’étudier et qu’elles sont toutes animées par des fins
particulières qu’il convient d’identifier. Ainsi, notre attention éthique ne se
porte plus seulement sur les « produits de la science » ou ses parties les plus
visibles (innovations, dispositifs, etc.) mais sur la façon de faire la science, sur
ses contenus, sur ses déterminations et sur la nature des connaissances pro-
duites. Parler de responsabilité sociale des sciences, c’est donc investir tout un
pan de l’éthique de la recherche qui cherche à comprendre le contexte de pro-
duction des connaissances et à anticiper ses conséquences. C’est aussi com-
prendre que la RSS ouvre alors l’ER à une visée plus politique ou sociétale dans
la mesure où il s’agit d’investir la question des finalités de la science, finalités
qui font inévitablement l’objet de conflits. Là où l’ER décrit, analyse et cherche
à construire des clés de compréhension, la RSS ouvre un espace de discus-
sion sur les futurs possibles et souhaitables. Dans ce cadre, pour un philosophe
comme François Valleys :
« une responsabilité sociale qui ne serait pas transformatrice se trompe-
rait de responsabilité, elle prendrait pour de la responsabilité rétrospec-
tive (ne rien avoir à se reprocher) ce qui est en réalité de la responsabilité
prospective (faire advenir une économie juste et soutenable) »
Ce n’est pas très différent des intentions des programmes RRI de l’Union
européenne qui parlent de « recherches inclusives et durables ». Ainsi, si l’IS
ramène l’ER au sein de la communauté de recherche, la RSS étend son champ
de considération au niveau de la société. Et c’est précisément sur cette articu-
lation que nous identifions un lien fondamental entre IS et RSS. Ce lien tient à
l’emploi du terme de « responsabilité sociale » qui attire notre attention sur le
sujet de la responsabilité en question. Une conception autosuffisante de l’IS, qui
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n’en fait qu’un espace de normativité et d’encadrement réglementaire, implique © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
une conception trop restreinte de la responsabilité, une responsabilité com-
prise comme imputation pour des faits passés commis par un individu. Sans
nier que ce type de responsabilité existe et que son encadrement législatif a
un sens (Vergès, 2009), l’enjeu d’une RSS est d’appréhender la responsabilité
selon une conception plus large, plus collective et de façon prospective. Le trai-
tement des problèmes d’IS peut alors être très différent. Nous l’avons montré
avec l’exemple du tremblement de terre de l’Aquila (Coutellec, 2015) lorsqu’à
côté d’une responsabilité juridique imputée aux scientifiques membres de la
commission italienne des grands risques pour leur « imprudence », nous avons
identifié une responsabilité sociale de la communauté scientifique quant au type
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Ces deux clarifications conceptuelles sur la façon dont on peut penser l’ar-
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ticulation entre IS, ER et RSS ont montré l’importance de penser ensemble ces © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
trois domaines sans pour autant effacer leur particularité et leur intérêt propre.
Dans une seconde partie, nous montrons maintenant comment cette articu-
lation peut prendre forme au niveau épistémologique ; là il convient de com-
poser avec des matériaux (principes, normes, valeurs, finalités, conséquences
et contexte), des objets (pratiques, lien entre pratiques et implications, implica-
tions) et des visées hétérogènes (communautaire, démocratisation, sociétale).
PROPOSITIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES
POUR L’ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE
Nous venons de positionner l’éthique de la recherche comme pivot réflexif
entre intégrité scientifique et responsabilité sociale. Un positionnement
conceptuel qui nous oblige maintenant à investir le champ de l’épistémologie de
l’éthique. Nous faisons ici l’hypothèse que l’éthique de la recherche est épistémo-
logiquement une éthique générique.
ni à une éthique conséquentialiste qui nous enjoint à peser les bénéfices et les
risques de nos actions pour en évaluer la pertinence éthique (p. ex. : risque
pour l’animal / bénéfice pour l’homme) en évitant les débats rugueux sur les
hiérarchies implicites de valeurs et de finalités qui organisent nos considéra-
tions morales sur un tel sujet.
Instruire la question de l’usage de l’animal du point de vue de l’éthique de la
recherche comprise comme éthique générique nous engage à trouver un mode
de composition entre toutes ces perspectives, allant de l’intégrité scientifique
jusqu’à la responsabilité sociale des sciences. L’identification et la qualification
précise des matériaux en jeu, avec un souci de non-exclusion, devraient ainsi
être une première étape nécessaire. Qu’avons-nous à notre disposition pour
« constituer le problème » ? Nous avons des textes de loi, des règlements, des
standards de qualité, des principes généraux. Nous avons des comités éthiques
en expérimentation animale obligatoires et représentant une certaine concep-
tion – pas toujours réflexive – de l’éthique de la recherche. Nous avons aussi
les valeurs des différents acteurs concernés (les chercheurs, les citoyens, etc.)
et les finalités qu’ils assignent à leur action, nous avons des évaluations sur les
multiples conséquences de l’usage de l’animal en recherche, nous avons enfin
un milieu dans lequel cette problématique se pose, un contexte économique,
sociopolitique et culturel. Tout cela est aujourd’hui bien documenté, et tous
ces matériaux sont à notre disposition 18. Il est ainsi nécessaire de penser une
seconde étape qui vise à réfléchir à la façon dont ces matériaux peuvent s’ar-
ticuler si l’on comprend la limite de chacune des perspectives éthiques. Ce
que nous appelons la voie générique ici est l’une des façons de penser cette
articulation. Ôtant la suffisance de chacun de ces matériaux, et par le même
geste la suffisance de chacune des éthiques privilégiant tels ou tels matériaux,
la voie générique exige d’encastrer la question de l’animal dans un espace où
la construction démocratique d’un commun est possible. Or ce n’est pas vrai-
ment ce que font les Comités éthiques, surchargés par les autres points, régle-
mentaires, à évaluer.
Cela amène à poser la question de comment instituer cette éthique géné-
rique dans la recherche. C’est ici que la clarification de l’objet et de la visée
de l’éthique de la recherche devient importante. Nous avons postulé que les
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pratiques étaient l’objet de l’IS dans une visée communautaire et que les diffé- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
rentes implications de la science étaient l’objet de la RSS dans une visée socié-
tale. Alors, en cohérence avec notre hypothèse d’une ER comme pivot réflexif
entre IS et RSS, l’objet de l’éthique de la recherche est l’analyse des liens entre
pratiques et implications dans une visée de démocratisation des relations entre
sciences et sociétés. Le mode de composition entre matériaux hétérogènes
se fera donc en prenant en compte cette dimension démocratique qui peut se
18 La littérature est généreuse sur le sujet et des revues se sont spécialisées sur la question. Sur la
perspective juridique, voir par exemple la Revue semestrielle de droit animalier. Pour une perspective
contextuelle, voir par exemple Journal of Agricultural and Environmental Ethics qui laisse une place
importante aux questionnements sur l’animal.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 395
CONCLUSION
Positionner ainsi l’éthique de la recherche a au moins deux conséquences
sur la façon de concevoir les politiques structurelles dans ce domaine. Déjà, en
matière de politique de formation, en particulier concernant la formation des
jeunes chercheurs que sont les doctorants, comme nous y oblige désormais
la loi 19. La démarche souhaitable d’appropriation du questionnement éthique
par les jeunes chercheurs ne peut se résumer à une alternance entre étude de
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cas sur leur pratique et transmission verticale d’un catalogue de recommanda- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
19 Arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la
délivrance du diplôme national de doctorat.
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sein des modules obligatoires que toutes les écoles doctorales doivent dis-
penser aux jeunes chercheurs. De telles formations pourraient ainsi être des
occasions d’une prise de recul sur la recherche et les sciences, sur la nature des
connaissances produites et sur la portée de celle-ci en société. Nous assumons
une deuxième conséquence directe de nos propositions de positionnement
conceptuel et épistémologique sur l’éthique de la recherche, concernant cette
fois-ci les dispositifs de dialogue à mettre en place au sein de l’université sur un
tel sujet. Considérer que la formulation d’un problème éthique en recherche
émerge de la composition entre démarches normatives, réflexives et poli-
tiques, c’est se donner comme perspective la démocratisation de nos réflexions
sur les sciences, et des relations entre sciences et sociétés. Une démocratisation
inévitablement conflictuelle, sans visée première de pacification, lorsque l’on
prend au sérieux le pluralisme scientifique dans toutes ses dimensions. C’est
donc faire de l’éthique de la recherche l’un des piliers d’une transformation de
notre rapport à la science et, plus généralement, de notre rapport au savoir
comme l’argumentent et le revendiquent avec conviction les épistémologies non
standards depuis de nombreuses années (Fricker, 2009 ; Ruphy, 2015 ; Sousa
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