Vous êtes sur la page 1sur 19

PENSER L’INDISSOCIABILITÉ DE L’ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE, DE

L’INTÉGRITÉ SCIENTIFIQUE ET DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES


SCIENCES
Clarification conceptuelle, propositions épistémologiques

Léo Coutellec

S.A.C. | « Revue d'anthropologie des connaissances »

2019/2 Vol. 13, N°2 | pages 381 à 398


DOI 10.3917/rac.043.0381
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2019-2-page-381.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour S.A.C..


© S.A.C.. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Dossier : « Éthique de la recherche »

Penser l’indissociabilité de
l’éthique de la recherche,
de l’intégrité scientifique
et de la responsabilité
sociale des sciences

Clarification conceptuelle,
propositions épistémologiques

Léo COUTELLEC

RÉSUMÉ
Dans un contexte d’institutionnalisation croissante des questionnements
éthiques à propos de la recherche scientifique, nous postulons la nécessité
d’une clarification conceptuelle, qu’expose cet article, entre éthique de la
recherche, intégrité scientifique et responsabilité sociale. L’enjeu est à la fois de
qualifier chacun de ces trois domaines et de proposer un mode de composition
entre eux, composition qui doit aussi faire œuvre de discernement entre les
enjeux éthiques, normatifs et politiques. L’hypothèse que nous défendons dans
cette contribution est de positionner l’éthique de la recherche comme un pivot
réflexif entre intégrité scientifique (démarche orientée vers la communauté) et
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


responsabilité sociale (démarche orientée vers la société). Un positionnement
auquel nous donnons une dimension épistémologique en qualifiant l’éthique de
la recherche d’éthique épistémologiquement générique.
Mots clés : éthique de la recherche, intégrité scientifique, responsabilité sociale,
pluralisme, pertinence, qualité, générique

Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 381


382 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

INTRODUCTION
Dans un contexte d’institutionnalisation croissante des questionnements
éthiques à propos de la recherche scientifique, nous postulons la nécessité
d’une clarification conceptuelle entre éthique de la recherche, intégrité scien-
tifique et responsabilité sociale. L’enjeu est à la fois de qualifier chacun de ces
trois domaines et de proposer un mode de composition entre eux, composi-
tion qui doit aussi faire œuvre de discernement entre les enjeux éthiques, nor-
matifs et politiques. De façon minimale, il est possible de qualifier l’éthique de
la recherche (ER) comme démarche réflexive sur les valeurs et les finalités de
la recherche scientifique ; l’intégrité scientifique (IS) comme démarche norma-
tive qui vise à encadrer les (bonnes) pratiques d’une communauté 1, en établis-
sant normes et principes ; la responsabilité sociale des sciences (RSS) comme
démarche politique 2 qui vise à appréhender le contexte et anticiper les consé-
quences de la science dans une prise de conscience du caractère impliqué de
celle-ci 3. Ces définitions ne sont pas définitives et elles ont vocation à passer
l’épreuve de la critique. Nous savons aussi qu’elles ne font pas consensus,
mais la thèse que nous défendons dans cette contribution ne se réduit pas
à une approche définitionnelle ; nous cherchons un principe d’articulation

1 Nous utilisons dans cet article le terme « communauté » pour désigner la « communauté
scientifique », non pas comme une entité ayant une réalité matérielle et une cohésion – ceci nous
en doutons – mais comme convention pour désigner l’ensemble des praticiens qui se reconnaissent
sous la bannière des sciences et techniques. Les contours d’une telle communauté sont évidemment
flous ; l’enjeu n’est pas d’en faire une description mais de postuler son existence au sein de la
société. Une existence qui se justifie par des mots, des pratiques, des métiers et des institutions,
certes traversés par une grande hétérogénéité.
2 Nous ne réduisons donc pas la responsabilité sociale à sa dimension gestionnaire comme cela
est souvent le cas dans les démarches RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises).
3 Toute approche définitionnelle a ses limites mais connaît aussi le grand intérêt de la clarté et
donc de la possibilité de son dépassement par la critique. Ainsi, donnons une courte définition à
chacun des termes utilisés ici, en précisant que ces définitions sont celles habituellement admises
dans le champ de l’éthique mais qu’elles n’ont évidemment pas vocation à résumer toute la
littérature autour de ces concepts. Nous appelons « valeur » ce qui permet de donner un sens
particulier à une action, une signification ; la valeur est une forme de filtre interprétatif que nous
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


nous donnons pour appréhender une situation (les valeurs sont multiples et toujours situées :
confort, efficacité, libre arbitre…). Nous appelons « finalité » ce qui nous permet de donner une
direction à une action, une orientation. La finalité est ce qui émerge lorsque l’on pose la question
du « pour quoi fais-je ceci » ? Nous appelons « principe » une catégorie générale et relativement
abstraite qui agit comme un repère, une boussole au sein d’une communauté ou d’une société (ex.
principe de justice, principe d’autonomie, principe d’impartialité, etc.) qui souhaite se donner un
horizon commun. Nous appelons « norme » ce qui relève de l’encadrement normatif des pratiques,
ce qui s’impose à un individu ou un collectif et qui permet de définir les contours moralement
acceptables ou juridiquement possibles de son action. La norme peut être explicite (elle est alors
inscrite dans un texte, réglementaire par exemple) ou implicite (elle agit alors comme arrière-
plan normatif). Nous appelons « conséquence », l’événement qui vient après une action et dont
on peut dire, a priori ou a posteriori, qu’il a un lien avec l’action. Les conséquences peuvent être
prévisibles ou imprévisibles, ce qui en fait des entités complexes à appréhender. Nous appelons
« contexte » le milieu dans lequel une action se déroule. L’étude de ce milieu est multidimensionnel
(économique, politique, social, historique, culturel, etc.).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 383

en positionnant l’éthique de la recherche comme pivot réflexif entre intégrité


scientifique (démarche orientée vers la communauté) et responsabilité sociale
(démarche orientée vers la société) 4.
Pour cet article, nous procédons à une analyse des textes « officiels » qui
font référence pour déterminer les critères et les instances d’évaluation de la
science en matière d’éthique de la recherche. En adoptant une posture épisté-
mique ancrée dans la philosophie des sciences, nous proposons une critique des
concepts et des critères utilisés par certains de ces textes officiels, pour resi-
tuer la question éthique dans une compréhension des relations entre sciences
et politique.
Ce principe d’articulation, nous le soumettons à l’épreuve de deux proposi-
tions qui visent à élaborer un cadre conceptuel pour l’éthique de la recherche
à la fois pour analyser ce qui se passe actuellement et pour penser l’action dans
ce domaine. Le travail d’analyse conceptuelle vise à mettre à l’épreuve ces deux
assertions hypothétiques :
1. Première proposition : l’éthique de la recherche comme socle réflexif
sur lequel construire les politiques ou dispositifs visant à traiter
des enjeux d’intégrité scientifique. En ce sens, nous cherchons à
qualifier l’indissociabilité d’une réflexion épistémologique et éthique
pour le traitement des manquements à l’intégrité scientifique et à
montrer l’importance de croiser des approches procédurales et
réflexives pour le traitement éthique de situations de recherche
jugées problématiques.
2. Deuxième proposition : l’éthique de la recherche comme tremplin
pour élargir le spectre de notre considération éthique à propos des
sciences et l’étendue de son champ de responsabilité. Ici, l’éthique
de la recherche serait alors à considérer comme le moyen d’une
réflexion approfondie sur les sciences en société, sur le concept de
science lui-même et sur le type de responsabilité politique que cela
implique.
Nous proposons dans un second temps d’accompagner ce positionne-
ment conceptuel d’une réflexion épistémologique là où l’enjeu est celui de la
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

4 Nous n’abordons pas dans cette contribution le domaine de la déontologie qui relève des
règles et des obligations ; et nous partons de l’hypothèse que déontologie et intégrité scientifique
ne se recouvrent pas, notamment en s’appuyant sur la difficulté à considérer la communauté
scientifique comme un ordre juridique (Munagorri, 1998). Le champ d’application de la déontologie
est habituellement encadré par des codes s’appliquant à des ordres ou par la loi. Par exemple, les
médecins sont soumis à la déontologie de leur ordre, les fonctionnaires sont soumis à la loi sur la
déontologie des fonctionnaires d’avril 2016. Les chercheurs fonctionnaires sont donc concernés
par cette loi mais celle-ci ne recouvre pas l’ensemble des pratiques scientifiques. Il existe une
charte nationale de déontologie des métiers de la recherche mais qui s’apparente davantage à une
charte d’intégrité scientifique notamment lorsque l’objectif est « d’expliciter les critères d’une
démarche scientifique rigoureuse et intègre ». Il nous semble que nous gagnerons en clarté à
réserver la déontologie à l’encadrement réglementaire et aux obligations attachés à l’exercice d’un
métier.
384 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

composition cohérente entre éléments hétérogènes. Nous proposons une


épistémologie de l’éthique qui puisse accueillir la complexité de l’épistémè de
l’éthique de la recherche. In fine, notre contribution vise à fournir quelques élé-
ments de positionnements (conceptuel et épistémologique) pour renforcer la
pertinence d’une éthique de la recherche comprise comme éthique générique
composant avec les dimensions axiologiques, épistémologiques, normatives et poli-
tiques de la science.

CLARIFICATION CONCEPTUELLE SUR


L’ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE

Penser l’indissociabilité de l’éthique de la


recherche et de l’intégrité scientifique
Dès ses premières pages, le texte du rapport Corvol tient à établir une dis-
tinction claire entre éthique de la recherche (ER) et intégrité scientifique (IS) :
« Il faut bien distinguer l’intégrité scientifique, c’est-à-dire les règles qui
gouvernent la pratique de la recherche, de l’éthique de la recherche qui
aborde de façon plus large les grandes questions que posent les progrès
de la science et leurs répercutions sociétales. »

et de poursuivre
« Autant les questions d’éthique font débat, autant l’intégrité scientifique
ne se discute pas. Elle se respecte, c’est un code de conduite profession-
nelle qui ne doit pas être enfreint. Elle s’impose en science, comme s’im-
posent les codes professionnels de déontologie pour les médecins et les
avocats » (Corvol, 2016, p. 8).

Si la distinction est importante, nous pensons qu’elle se situe à un autre


niveau que celui proposé dans ce rapport, car il y a deux problèmes à dis-
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

tinguer ainsi IS et ER. Si l’ER ne s’intéresse qu’aux « grandes questions » et © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

l’IS au cadrage déontologique des pratiques alors nous risquons de cristalliser


entre eux une forme de hiérarchie épistémique, dans le sens où une sélection
des savoirs à mobiliser pourrait s’opérer : des savoirs de synthèse, théoriques,
généraux pour l’ER, et des savoirs plus situés, plus opérationnels, plus pra-
tiques, plus restreints pour l’IS. Une hiérarchie qui peut s’incarner par la mise
en place de comités d’éthique à visée spéculative et de comités d’éthique opé-
rationnelle, les premiers étant censés « guider » ou « orienter » les seconds,
en tout cas servir d’arrière-plan réflexif. Une hiérarchie qui empêche donc de
reconnaître le caractère fondamentalement réflexif d’un encadrement normatif
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 385

des pratiques 5 et qui rabat l’intégrité sur la déontologie. Penser l’intégrité


dans ses relations conceptuelles et pratiques avec l’éthique de la recherche,
c’est prendre de la distance par rapport à la conception protectrice de l’inté-
grité que suggère son étymologie latine, in teger, qui veut dire « non touché »
(Debru, 2019, p. 16). Dans une telle conception, une communauté scientifique
intègre sera une communauté scientifique non atteinte ou non atteignable. On
comprend alors le caractère ambivalent de cette protection qui pourrait ren-
forcer une conception fermée et positiviste de la science. Se questionnent donc
ici l’opportunité et la nature d’une régulation de l’activité scientifique. Comme
le soulignait R.E. de Munagorri, « si l’orthodoxie et la rigueur peuvent avoir
du bon pour éviter les errements et garantir l’intégrité des pratiques scienti-
fiques, elles peuvent aussi conduire à encourager la rigidité et le conformisme,
à appauvrir l’activité de recherche, à inhiber toute initiative originale et créa-
tive » (Munagorri, 1998).
Aussi, cette distinction ne nous donne pas de clés pour penser l’articula-
tion entre IS et ER. Ainsi posée, elle prend plutôt la forme d’une dichotomie
qui organise deux magistères. Pourtant, si l’on s’en tient aux déclarations inter-
nationales, cette distinction n’est pas si dichotomique. Dans la « Déclaration
de Singapour sur l’intégrité en recherche » 6, dont le titre même évoque une
volonté d’hybridation entre IS et ER, nous observons que la question de l’in-
tégrité est intimement liée à des questions d’éthique de la recherche et cela
se caractérise notamment par l’affirmation de principes mais aussi de respon-
sabilités, par exemple de responsabilités vis-à-vis de la société. Cette volonté
de mettre en lumière la complémentarité d’une éthique des principes et d’une
éthique de la responsabilité en recherche est l’une des façons de penser l’ar-
ticulation entre IS et ER, celle qui est globalement admise dans la plupart des
textes internationaux de portée générale. Elle reste cependant insatisfaisante
de notre point de vue lorsque le rôle de l’ER n’y est pas caractérisé précisé-
ment car, si l’ER ne se réduit pas à l’IS, elle ne peut se réduire à une éthique de
la responsabilité. Nous préciserons ce point dans la seconde partie. Restons-en
à ce stade aux rapports que peuvent entretenir IS et ER.
Pour comprendre ce rapport, autrement dit pour comprendre les articula-
tions possibles entre d’un côté des normes et des principes (IS) et, de l’autre,
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

des valeurs et des finalités (ER), prenons l’exemple du jugement sur la qua- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

lité d’une connaissance scientifique. Celle-ci peut se comprendre selon une

5 Nous pensons particulièrement ici aux normes de scientificité. S’il est très utile de définir les
contours d’un contrat méthodologique dans les sciences, il est tout aussi important de mettre cette
normativité sous la condition d’une réflexivité de la communauté scientifique sur elle-même, afin
de ne pas figer ou surdéterminer une conception des sciences particulière. Avec l’établissement
de normes, il s’agit bien plus de régler, au sens fort du terme, des situations pratiques que de faire
triompher une position théorique sur une autre (Ferry, 2002, p. 71).
6 Consultée le 20 mars 2018 sur www.hceres.fr/content/download/31539/484108/file/
declaration-singapour.pdf.
386 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

perspective minimaliste, parfois appelée « positiviste » en épistémologie 7, selon


laquelle la qualité d’une connaissance tient à sa seule robustesse méthodolo-
gique. Dans une telle conception, une connaissance sera considérée comme
de « bonne qualité » si le processus qui en est à l’origine répond à un cer-
tain nombre de principes méthodologiques admis par la communauté scien-
tifique. Cela peut prendre la forme d’un contrat méthodologique comme le
suggèrent certains auteurs s’inscrivant dans le champ de la philosophie des
sciences (Lecointre, 2012) ou de préconisations normatives comme nous pou-
vons en trouver dans la Déclaration de Singapour qui indique que
« Les chercheurs doivent utiliser des méthodes appropriées, baser leurs
conclusions sur une analyse critique de leurs résultats et les communiquer
objectivement et de manière complète. »

Dans le même ordre d’idées, selon le guide du CNRS pour une recherche
intègre et responsable
« L’intégrité scientifique signifie le refus de laisser les valeurs de la science
se plier à des pressions financières, sociales ou politiques. Elle s’entend au
regard d’obligations d’ordre épistémologique, qui diffèrent selon les disci-
plines scientifiques concernées » (COMEST, 2017).

Objectivité, neutralité, non-interférence entre valeurs épistémiques et


valeurs non épistémiques, etc., sont autant de préconisations qui viendraient
renforcer la robustesse d’une connaissance. Dans un tel cadre, on comprend
la possibilité de penser une IS autosuffisante, il suffirait de faire respecter ces
principes, sans discussion comme semble le suggérer le rapport Corvol.
Il est toutefois possible de concevoir la qualité d’une connaissance scien-
tifique ou la qualité d’une recherche selon une perspective non positiviste
qui ajoute à la notion de robustesse celle de pertinence car la faiblesse de la
conception minimaliste de la qualité en recherche est qu’elle rend impossible
la perspective d’évaluer celle-ci à l’aune de ses conséquences ou en fonction
de valeurs ou de finalités particulières. Associer l’IS à la notion de robustesse
épistémique, c’est défendre une représentation étroite de la science qui consi-
dère que seuls les moyens de la connaissance (faits, théories et méthodes) ont
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

7 Nous appelons « positiviste » une certaine conception de la science qui consiste à défendre
l’idée que l’unité de la science est le reflet de l’unité de la nature (conception métaphysique) et que,
pour atteindre une complète compréhension de cette unité, il n’y a qu’une seule voie (conception
méthodologique). Le positivisme se structure aussi autour de la revendication d’une neutralité
de la science qui fut notamment la cible de cette critique de Henri Poincaré en 1905 : « Ce que
vous gagnez en rigueur, vous le perdez en objectivité. Vous ne pouvez vous élever vers votre idéal
logique qu’en coupant les liens qui vous rattachent à la réalité. Votre Science est impeccable, mais
elle ne peut le rester qu’en s’enfermant dans une tour d’ivoire et en s’interdisant tout rapport
avec le monde extérieur. Il faudra bien qu’elle en sorte dès qu’elle voudra tenter la moindre
explication » (Poincaré, 1970, pp. 34-35).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 387

une légitimité dans le jugement sur les sciences, abandonnant ainsi à la méta-
physique l’étude des finalités (Bouleau, 2017) 8 ou les réduisant à des objectifs 9.
Nous retrouvons peu de traces de cette notion de pertinence dans les
grands textes ou déclarations sur l’IS. Elle est toutefois reconnaissable dans le
Manifeste de Leiden pour la mesure de la recherche lorsqu’il préconise de « fonder
les évaluations des chercheurs sur un jugement qualitatif de leurs travaux » ou
lorsqu’il appelle à ce que l’évaluation soit « davantage basée sur la pertinence
des recherches pour les politiques publiques, l’industrie ou la société que sur
une notion d’excellence académique » (Hicks, Wouters, Waltman, de Rijcke et
Rafols, 2015). Des travaux commencent à démontrer la faible corrélation entre
l’impact factor d’une revue et la pertinence pour l’action des publications qui en
sont issues. C’est ce qui a été fait dans le contexte des études sur la conserva-
tion des abeilles sauvages au Royaume-Uni où un « score de pertinence » des
connaissances produites a été comparé à l’impact factor des revues ayant publié
ces connaissances (Sutherland, 2011) 10.

8 L’absence de discussion en science sur les finalités tient pour Nicolas Bouleau à cette « confiance
tranquille » dans « une approche du monde où ce que l’on ignore est en premier lieu supposé
aussi simple que ce que l’on connaît ». Selon lui, « le tournant de conscience décisif est de ne plus
considérer que le monde soit bienveillant, que l’inconnu nous soit favorable ». Sans s’inscrire dans
le sillon considéré comme trop métaphysique du catastrophisme, l’auteur appelle à une « nouvelle
lucidité fondée sur la légitimité des interprétations même inquiétantes » (Bouleau, 2017, pp. 84-85),
donc à réintroduire une discussion sur les finalités dans les sciences.
9 Les finalités sont de l’ordre du « pour quoi fais-je ceci ? », donc de l’ordre d’une « raison
d’être ». L’objectif est une cible à atteindre. Un ensemble d’objectifs peut permettre de donner
un corps à une finalité. L’éthique réintroduit une discussion sur les finalités au-delà des objectifs
particuliers.
10 Les chercheurs ont identifié 54 actions qui pourraient bénéficier à la conservation des abeilles
sauvages (ex. : protéger l’habitat naturel ou semi-naturel existant pour empêcher la conversion
à l’agriculture ; créer des parcelles de terrain nues pour les abeilles nichant au sol, etc.). Ils ont
repéré dans la littérature des publications qui testent et apportent des preuves de l’efficacité de
ces actions. Au total, 159 publications ont été incluses dans cette liste. L’impact factor sur cinq ans
des revues ayant accueilli ces publications a été relevé. La liste des actions ou interventions a été
soumise à un groupe de 113 praticiens de la conservation des abeilles qui utilisent ces recherches et
qui représentent les principaux groupes d’intérêt dans la politique et la pratique de la conservation
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


des abeilles (décideurs nationaux et locaux, ONG, agriculteurs, conseillers agricoles, consultants,
chercheurs). Chacune des personnes a été invitée à évaluer les différentes actions en allouant des
points en fonction de la manière dont elle considère que chaque action devrait être priorisée, sans
connaître préalablement leur efficacité jugée par les publications scientifiques. Cette priorisation
se fait ainsi selon les besoins et les contraintes spécifiques de chaque partie prenante. Pour chaque
intervention, un score de priorité a ainsi été généré en prenant le score moyen de tous les
praticiens. Les actions ont également été notées par des experts. Une agrégation a ensuite été
faite pour obtenir un score de pertinence de chacune des actions qui vise à mesurer « l’impact des
publications de recherche sur un objectif politique clairement défini, la conservation des abeilles
sauvages ». Cette démarche change notre regard sur la façon de mesurer l’impact d’une recherche,
comme le relèvent les auteurs : « Plutôt que de partir d’un programme de recherche, d’un projet ou
d’une publication, puis de se demander quelle a été sa contribution pour la société, notre approche
prend comme point de départ les questions auxquelles la société souhaite répondre et évalue la
façon dont chaque recherche contribue à y répondre » (Sutherland, 2011). La comparaison entre
les impact factors et les « scores de pertinence » a ensuite été réalisée.
388 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

L’idée de juger la qualité d’une recherche par sa pertinence, plutôt que


par sa seule robustesse épistémique, nous engage à user des matériaux de
l’éthique de la recherche (valeurs et finalités) et de la responsabilité sociale
(conséquences et contexte), et non plus seulement de l’IS (normes et prin-
cipes). Garantir la pertinence d’une recherche, c’est ajouter à l’idée de robus-
tesse les notions d’adéquation à un contexte et d’évaluation des conséquences.
La pertinence est associée à un processus de production de savoir qui assume
son implication (dans un contexte, avec des valeurs et pour des finalités) là où
la robustesse est associée à un processus de production de savoirs qui pré-
tend à la neutralité dans le cadre d’« approches méthodologiques décontextua-
lisantes » (Lacey, 2015, p. 31). Aborder la qualité d’une recherche par sa perti-
nence permet aussi de défaire certaines hiérarchies épistémiques construites
sur la base d’un exclusivisme méthodologique (souvent issu des mathématiques
ou de la physique).
Cette volonté de concevoir des connaissances à la fois robustes et perti-
nentes est significative dans les démarches de coproduction de savoirs dans
le domaine de la santé. C’est par exemple celle de ces collectifs d’usagers qui
cherchent à coproduire des savoirs pertinents sur leur maladie, à l’instar du
collectif Dingdingdong pour la maladie de Huntington qui
« vise à cultiver activement peu à peu un milieu qui serait propice à l’ar-
ticulation pragmatiste de savoirs scientifiques et profanes, c’est-à-dire un
milieu dont l’exigence première serait de prêter attention aux effets d’un
savoir, autrement dit à sa pertinence » (Hermant et Solhdju, 2015, p. 78).

L’hypothèse que l’on peut alors faire est qu’une des façons d’augmenter
la pertinence d’un savoir est d’accueillir la plus grande diversité dans le pro-
cessus qui en est à l’origine. La robustesse n’est donc plus ce qui s’obtient par
un mouvement de réduction de l’objet ou de spécialisation du champ scienti-
fique pour l’appréhender mais, a contrario, par un mouvement d’extension et
de pluralisation. C’est une position en épistémologie défendue par les philo-
sophes Miriam Solomon et Helen Longino qui considèrent que la diversité n’est
pas seulement souhaitable, elle est nécessaire pour augmenter la pertinence
d’un savoir et faire de la « bonne science » (Longino, 2002 ; Solomon, 2006).
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

La diversité renforce la fécondité de la démarche scientifique (via le question- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
nement permis par des regards décalés ou dissidents), étend le réel auquel
nous avons à nous confronter (qui n’est plus le seul réel du laboratoire ou du
plan expérimental), élargit la base observationnelle et la surface d’affection de
la démarche de production de savoirs (c’est-à-dire ce que l’on juge digne d’être
considéré ou questionné) (Stengers, 2013). C’est en cela que le pluralisme épis-
témique se présente comme un facteur de pertinence. Ici, il est important de
souligner qu’aucun des textes officiels sur l’IS ne fait explicitement référence à
la question du pluralisme, que l’on peut pourtant considérer comme centrale
en éthique de la recherche, comme nous l’avons déjà démontré par ailleurs
(Coutellec, 2015).
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 389

Ces quelques développements nous montrent l’intérêt de penser l’indis-


sociabilité de l’IS et de l’ER, et permettent d’établir un premier constat : les
approches procédurales et réflexives sont à articuler pour le traitement éthique
de situations de recherche jugées problématiques. De la composition entre
principes, normes, valeurs et finalités émerge le questionnement éthique et
c’est dans la rencontre entre dispositifs opérationnels (référent, comité, code,
etc.) et dispositifs réflexifs (échanges, conférences, formations, lectures, etc.)
que pourra se créer une culture partagée de l’éthique en recherche qui, sans
fuir devant la nécessité d’un encadrement normatif, n’en occulte pas la dimen-
sion socio-épistémologique. Culture qui pourrait alors permettre d’aller au-
delà du respect de l’intégrité scientifique pour investir le champ plus politique
de la responsabilité sociale.

Penser l’indissociabilité de l’éthique de la recherche


et de la responsabilité sociale des sciences
Si l’éthique de la recherche accompagne l’intégrité scientifique en cela qu’elle
permet d’inscrire les questionnements éthiques sur les pratiques de recherche
dans un milieu plus complexe que le seul paysage normatif, elle est aussi un
tremplin pour élargir le spectre de notre considération éthique vers la ques-
tion de la responsabilité sociale des sciences (RSS), appelée RRI (Responsible
Research and Innovation) au niveau des institutions européennes. Ici se joue la
question de la sensibilisation et de l’appropriation par tous les acteurs de la
recherche d’une culture partagée de la responsabilité. La démarche RRI préco-
nisée par la commission européenne, notamment dans le cadre de la politique
de projet Horizon 2020 :
« est une approche qui anticipe et évalue les implications potentielles et
les attentes sociétales en matière de recherche et d’innovation, dans le
but de favoriser la conception d’une recherche et d’une innovation inclu-
sives et durables » (Commission européenne, 2018).

Un aspect important est à souligner concernant cette démarche, il s’agit de


© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

l’emploi du terme d’« implication » plutôt que de celui plus classique d’« applica- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
tion ». Il ne s’agit pas pour nous d’une simple nuance sémantique mais d’un enjeu
épistémologique et éthique majeur qui concerne le sujet et l’objet de la res-
ponsabilité dont il est question. L’idée d’une responsabilité sociale des sciences
nous engage à caractériser et à évaluer la façon dont toute science est impli-
quée (Coutellec, 2015) ; impliquée dans un contexte en fonction de finalités 11.
L’implication, en tant qu’objet de la responsabilité sociale, est bien différente de
l’idée d’application qui a longtemps dominé les discussions sur l’étude de l’im-
pact des sciences et des techniques. Là où la logique de l’application établit une

11 Le concept de « science impliquée » s’inspire des travaux de la philosophie des sciences


féministe anglo-saxonne (Grasswick, 2011).
390 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

distinction claire entre des sciences neutres et désintéressées d’un côté et des
sciences appliquées et finalisées de l’autre, la logique de l’implication cherche à
mettre en lumière l’idée que toutes les sciences sont inscrites dans un contexte
particulier qu’il convient d’étudier et qu’elles sont toutes animées par des fins
particulières qu’il convient d’identifier. Ainsi, notre attention éthique ne se
porte plus seulement sur les « produits de la science » ou ses parties les plus
visibles (innovations, dispositifs, etc.) mais sur la façon de faire la science, sur
ses contenus, sur ses déterminations et sur la nature des connaissances pro-
duites. Parler de responsabilité sociale des sciences, c’est donc investir tout un
pan de l’éthique de la recherche qui cherche à comprendre le contexte de pro-
duction des connaissances et à anticiper ses conséquences. C’est aussi com-
prendre que la RSS ouvre alors l’ER à une visée plus politique ou sociétale dans
la mesure où il s’agit d’investir la question des finalités de la science, finalités
qui font inévitablement l’objet de conflits. Là où l’ER décrit, analyse et cherche
à construire des clés de compréhension, la RSS ouvre un espace de discus-
sion sur les futurs possibles et souhaitables. Dans ce cadre, pour un philosophe
comme François Valleys :
« une responsabilité sociale qui ne serait pas transformatrice se trompe-
rait de responsabilité, elle prendrait pour de la responsabilité rétrospec-
tive (ne rien avoir à se reprocher) ce qui est en réalité de la responsabilité
prospective (faire advenir une économie juste et soutenable) »

et de poursuivre en affirmant que la responsabilité sociale devrait être


« une coresponsabilité qui vise à créer des communautés d’apprentissage
pour des innovations sociales justes et soutenables » (Valleys, 2013).

Ce n’est pas très différent des intentions des programmes RRI de l’Union
européenne qui parlent de « recherches inclusives et durables ». Ainsi, si l’IS
ramène l’ER au sein de la communauté de recherche, la RSS étend son champ
de considération au niveau de la société. Et c’est précisément sur cette articu-
lation que nous identifions un lien fondamental entre IS et RSS. Ce lien tient à
l’emploi du terme de « responsabilité sociale » qui attire notre attention sur le
sujet de la responsabilité en question. Une conception autosuffisante de l’IS, qui
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

n’en fait qu’un espace de normativité et d’encadrement réglementaire, implique © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)
une conception trop restreinte de la responsabilité, une responsabilité com-
prise comme imputation pour des faits passés commis par un individu. Sans
nier que ce type de responsabilité existe et que son encadrement législatif a
un sens (Vergès, 2009), l’enjeu d’une RSS est d’appréhender la responsabilité
selon une conception plus large, plus collective et de façon prospective. Le trai-
tement des problèmes d’IS peut alors être très différent. Nous l’avons montré
avec l’exemple du tremblement de terre de l’Aquila (Coutellec, 2015) lorsqu’à
côté d’une responsabilité juridique imputée aux scientifiques membres de la
commission italienne des grands risques pour leur « imprudence », nous avons
identifié une responsabilité sociale de la communauté scientifique quant au type
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 391

de science que nous sommes capables de produire à un moment donné, et qui


s’est caractérisée dans ce cas précis par le niveau de pluralisme épistémique 12
que la communauté est capable de tolérer et de traiter. Plus généralement, le
fait marquant de ces dernières années dans les études sur les sciences et les
techniques est que le champ de la responsabilité s’étend au fur à mesure que l’on
prend conscience de l’épaisseur du processus de production des connaissances. Ceci
se révèle d’autant plus clairement à un moment où de nouveaux ingrédients
prennent une place importante dans les recherches, ainsi en est-il par exemple
des « êtres calculants » et de leur responsabilité dans un environnement de tra-
vail sous l’emprise croissante du numérique et des données (Grinbaum, 2017).
Autrement dit, le caractère social ou collectif de la responsabilité tient à la plu-
ralisation des acteurs et des objets de la science contemporaine.
La prise de conscience de la coresponsabilité de tous les acteurs de la com-
munauté scientifique vis-à-vis des conséquences sur la société, sur l’environ-
nement et sur les générations futures des connaissances et innovations pro-
duites doit ainsi devenir l’objet d’une éthique de la recherche. Dans ce cadre,
la réflexion éthique portera sur le contexte et les conséquences (prévisibles
et non prévisibles) de la recherche pour en évaluer la portée dans la société,
et non plus seulement sur la caractérisation des pratiques d’une communauté
selon des normes et des principes. Finalement, nous pouvons dire qu’il y a une
indissociabilité de l’ER et de la RSS qui ouvre à un traitement renouvelé et plus ouvert
des questions d’IS.
Tableau 1. Synthèse des caractéristiques respectives de l’IS, de l’ER et de la RSS
Éthique de la Responsabilité
Intégrité scientifique
recherche sociale
Matériaux Principes Valeurs Conséquences
Normes Finalités Contexte
Lien entre pratiques et
Objet Pratiques Implications
implications
Démocratisation
Communautaire Sociétale
Visée politique conflictuelle des liens
(micro-politique) (macro-politique)
entre science et société

Ces deux clarifications conceptuelles sur la façon dont on peut penser l’ar-
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

ticulation entre IS, ER et RSS ont montré l’importance de penser ensemble ces © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

trois domaines sans pour autant effacer leur particularité et leur intérêt propre.
Dans une seconde partie, nous montrons maintenant comment cette articu-
lation peut prendre forme au niveau épistémologique ; là il convient de com-
poser avec des matériaux (principes, normes, valeurs, finalités, conséquences
et contexte), des objets (pratiques, lien entre pratiques et implications, implica-
tions) et des visées hétérogènes (communautaire, démocratisation, sociétale).

12 Dans la littérature de philosophie des sciences, le pluralisme épistémique ne se réduit pas


à la pluralité disciplinaire. Il s’exprime aussi selon les styles de raisonnement (Ruphy, 2013), les
ingrédients de la démarche scientifique, les valeurs épistémiques, les temporalités (Coutellec,
2015).
392 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

PROPOSITIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES
POUR L’ÉTHIQUE DE LA RECHERCHE
Nous venons de positionner l’éthique de la recherche comme pivot réflexif
entre intégrité scientifique et responsabilité sociale. Un positionnement
conceptuel qui nous oblige maintenant à investir le champ de l’épistémologie de
l’éthique. Nous faisons ici l’hypothèse que l’éthique de la recherche est épistémo-
logiquement une éthique générique.

Composer avec des matériaux


hétérogènes, la voie du générique
Placer ainsi l’ER entre IS et RSS, et non plus seulement comme réflexion
autonome sur les valeurs et les finalités de la science, nous oblige à faire face
à un défi épistémologique classique de composition entre éléments hétéro-
gènes. 13 Dans notre cas, nous avons affaire à ce que nous proposons d’appeler
des matériaux 14 permettant de caractériser chaque élément en tant que tel
indépendamment de ses déterminations disciplinaires ou théoriques. Ainsi en
est-il des normes, principes, valeurs, finalités, conséquences et contexte, des
matériaux qui forment l’épistémè 15 de l’éthique de la recherche et qui, conju-
gués ensemble, en donnent la profondeur d’analyse. L’éthique est rarement
comprise comme composition entre tous ces matériaux. Nous identifions des
éthiques dont l’objet principal est l’analyse des normes et des valeurs (Ferry,
2002), des éthiques qui cherchent à composer entre principes (Beauchamp et
Childress, 2013), des éthiques qui cherchent à analyser les situations selon un
principe particulier, par exemple les éthiques conséquentialistes ou les éthiques

13 Cette difficulté épistémologique de composition entre éléments hétérogènes s’est posée de


nombreuses fois dans l’histoire des sciences. Comment retrouver une cohérence au sein d’un
pluralisme était par exemple une question que Gaston Bachelard se posait au sujet de la chimie
moderne : « Si l’élimination du divers par le général, la règle, la loi, le genre s’opère à partir du
donné grâce à l’activité de la réflexion, on peut constater aussi que la variété se reforme derrière
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


même ces premières conquêtes de l’unification théorique et que la réflexion est également fort
propre à multiplier les points de vue et à faire surgir d’un donné, qui semblait uniforme, les aspects
particuliers, l’exception, le détail. Nous ne pouvons penser le normal sans imaginer l’anormal. [...]
S’il n’y a de science primitive que du général, il n’y a de science en progrès que dans la conquête des
spécifications. [...] On voit la pensée philosophique et scientifique s’animer dans une dialectique qui
va du divers à l’uniforme pour retourner de l’uniforme au divers » (Bachelard, 1932, p. 11). Cette
dialectique du pluralisme forme progressivement une cohérence qui permet de « remplacer peu
à peu l’harmonie considérée comme un fait par l’harmonie considérée comme un raisonnement »
(Bachelard, 1932, p. 226).
14 Nous utilisons ici la notion de « matériau » non pas dans son acception issue des sciences
sociales (équivalent des données empiriques) mais depuis la philosophie contemporaine comme
bases élémentaires de l’analyse conceptuelle. Voir G. Deleuze, en particulier « Qu’est-ce que la
philosophie ? » (1991).
15 Une épistémè qui ne se laisse donc pas prendre par l’ontologie classique qui sépare de façon
dichotomique faits et valeurs.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 393

minimalistes (Ogien, 2007) ou encore des éthiques du futur qui prennent au


sérieux les finalités de nos actions (Jonas, 1979) 16. Nous défendons dans cette
contribution l’idée que l’éthique de la recherche gagne en pertinence à conju-
guer tous ces matériaux, notamment à la suite du positionnement conceptuel
que nous avons réalisé en première partie où l’ER apparaît comme articula-
tion entre IS et RSS ; et en cela nous faisons l’hypothèse qu’elle est une éthique
générique. Générique dans le sens où l’éthique que nous essayons de dessiner
ne peut être comprise par le prisme d’une discipline, d’une tradition morale ou
d’une théorie particulière. Elle est générique en cela qu’elle ouvre un espace
nouveau d’inventivité dans le questionnement, l’analyse et la pratique. Elle est
générique en cela que son mode d’existence cherche à composer un commun
avec des matériaux hétérogènes plutôt qu’à appliquer des principes sur des cas
(Schmid, 2016). Les matériaux de l’encadrement normatif que sont les normes
et les principes, les matériaux de l’analyse réflexive que sont les valeurs et les
finalités, et les matériaux de l’analyse sociopolitique que sont les conséquences
et le contexte forment une matrice épistémique à partir de laquelle peuvent se
formuler des problèmes éthiques pertinents 17.

Penser la composition concrètement


Prenons un exemple, celui de l’attention que l’éthique de la recherche doit
porter à la problématique de l’utilisation d’animaux pour l’expérimentation.
Formuler de façon pertinente un problème nécessite de composer avec tous
les matériaux à notre disposition pour ne réduire l’éthique de l’expérimenta-
tion animale ni à une éthique normative qui s’en tient aux procédures admises
d’un point de vue réglementaire (p. ex. : remplir un questionnaire de façon un
peu automatique afin d’obtenir un agrément) ou qui cherche à appliquer méca-
niquement des principes généraux à tous les cas (p. ex. : le principe des 3R,
pour Réduction Raffinement Remplacement) oubliant les ingrédients qui ont
fait émerger ces principes (dans le cas des 3R, tout le débat sur le statut moral
de l’animal) et le contexte dans lequel cette problématique se pose aujourd’hui ;
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


16 Notons toutefois la démarche du « cohérentisme dynamique » de Joseph DeMarco, philosophe
de l’Université de Cleveland. La conception de l’éthique de ce philosophe vise à penser les relations
entre les principaux aspects de l’expérience morale, en respectant à la fois les contextes locaux et
les principes universaux. Il s’agit de composer avec tous les ingrédients ou catégories de la pensée
éthique qui en caractérisent sa complexité : « Les théories éthiques qui négligent les données de
l’expérience sont insuffisantes, mais une théorie qui tient compte de la complexité morale court
le risque de conflit et d’incohérence. La théorie de la cohérence dynamique doit s’attaquer à ce
problème : composer avec la complexité, tout en conservant de la pertinence, de l’ordre et une
direction » (DeMarco, 1994, p. 32).
17 L’identification ou la formulation de la question pertinente étant l’objectif premier d’une éthique
de la recherche, en ce sens elle se rapproche de la finalité qu’un philosophe comme G. Deleuze
attribuait à la philosophie elle-même : « Faire de la philosophie, c’est constituer des problèmes qui
ont un sens et créer les concepts qui nous font avancer dans la compréhension et la solution de
ces problèmes » (Deleuze et Guattari, 1991).
394 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

ni à une éthique conséquentialiste qui nous enjoint à peser les bénéfices et les
risques de nos actions pour en évaluer la pertinence éthique (p. ex. : risque
pour l’animal / bénéfice pour l’homme) en évitant les débats rugueux sur les
hiérarchies implicites de valeurs et de finalités qui organisent nos considéra-
tions morales sur un tel sujet.
Instruire la question de l’usage de l’animal du point de vue de l’éthique de la
recherche comprise comme éthique générique nous engage à trouver un mode
de composition entre toutes ces perspectives, allant de l’intégrité scientifique
jusqu’à la responsabilité sociale des sciences. L’identification et la qualification
précise des matériaux en jeu, avec un souci de non-exclusion, devraient ainsi
être une première étape nécessaire. Qu’avons-nous à notre disposition pour
« constituer le problème » ? Nous avons des textes de loi, des règlements, des
standards de qualité, des principes généraux. Nous avons des comités éthiques
en expérimentation animale obligatoires et représentant une certaine concep-
tion – pas toujours réflexive – de l’éthique de la recherche. Nous avons aussi
les valeurs des différents acteurs concernés (les chercheurs, les citoyens, etc.)
et les finalités qu’ils assignent à leur action, nous avons des évaluations sur les
multiples conséquences de l’usage de l’animal en recherche, nous avons enfin
un milieu dans lequel cette problématique se pose, un contexte économique,
sociopolitique et culturel. Tout cela est aujourd’hui bien documenté, et tous
ces matériaux sont à notre disposition 18. Il est ainsi nécessaire de penser une
seconde étape qui vise à réfléchir à la façon dont ces matériaux peuvent s’ar-
ticuler si l’on comprend la limite de chacune des perspectives éthiques. Ce
que nous appelons la voie générique ici est l’une des façons de penser cette
articulation. Ôtant la suffisance de chacun de ces matériaux, et par le même
geste la suffisance de chacune des éthiques privilégiant tels ou tels matériaux,
la voie générique exige d’encastrer la question de l’animal dans un espace où
la construction démocratique d’un commun est possible. Or ce n’est pas vrai-
ment ce que font les Comités éthiques, surchargés par les autres points, régle-
mentaires, à évaluer.
Cela amène à poser la question de comment instituer cette éthique géné-
rique dans la recherche. C’est ici que la clarification de l’objet et de la visée
de l’éthique de la recherche devient importante. Nous avons postulé que les
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

pratiques étaient l’objet de l’IS dans une visée communautaire et que les diffé- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

rentes implications de la science étaient l’objet de la RSS dans une visée socié-
tale. Alors, en cohérence avec notre hypothèse d’une ER comme pivot réflexif
entre IS et RSS, l’objet de l’éthique de la recherche est l’analyse des liens entre
pratiques et implications dans une visée de démocratisation des relations entre
sciences et sociétés. Le mode de composition entre matériaux hétérogènes
se fera donc en prenant en compte cette dimension démocratique qui peut se

18 La littérature est généreuse sur le sujet et des revues se sont spécialisées sur la question. Sur la
perspective juridique, voir par exemple la Revue semestrielle de droit animalier. Pour une perspective
contextuelle, voir par exemple Journal of Agricultural and Environmental Ethics qui laisse une place
importante aux questionnements sur l’animal.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 395

traduire par la mise en place de dispositifs de débats et de discussions visant à la


création d’un commun. Traiter de la question de l’usage de l’animal en recherche
dans une perspective d’éthique de la recherche reviendra alors à construire les
conditions d’un débat démocratique entre les différents acteurs, en prenant
en compte non seulement tous les matériaux à notre disposition mais aussi la
visée de démocratisation des relations entre sciences et sociétés. Selon cette
perspective, la science est donc largement ouverte aux questionnements sur
ses pratiques, par les acteurs de la communauté scientifique comme par les
acteurs de la société, questionnements aussi sur ses finalités dans le contexte
qui est le nôtre aujourd’hui. L’éthique de la recherche comprise comme éthique
générique doit certes permettre d’engager une démarche inclusive et respon-
sable comme le recommandent différentes instances européennes, mais aussi
favoriser une démarche d’intelligence collective rendant possible la composi-
tion des savoirs et des perspectives, au-delà des privilèges épistémiques que
s’accordent parfois certaines disciplines ou certains acteurs pour l’étude d’un
objet (Sousa Santos, 2016). L’éthique de la recherche est alors ce lieu où se
croisent des approches, des disciplines, des échelles de pertinence, des tem-
poralités multiples, dans un aller-retour continu entre universel et particulier,
entre théorie et pratique. L’acquisition d’une culture de la réflexion éthique qui
se situe dans le décloisonnement des approches plutôt que dans la reproduc-
tion des clivages est probablement l’étape nécessaire pour une appropriation
des enjeux d’éthique de la recherche par tous les citoyens.

CONCLUSION
Positionner ainsi l’éthique de la recherche a au moins deux conséquences
sur la façon de concevoir les politiques structurelles dans ce domaine. Déjà, en
matière de politique de formation, en particulier concernant la formation des
jeunes chercheurs que sont les doctorants, comme nous y oblige désormais
la loi 19. La démarche souhaitable d’appropriation du questionnement éthique
par les jeunes chercheurs ne peut se résumer à une alternance entre étude de
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

cas sur leur pratique et transmission verticale d’un catalogue de recommanda- © S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

tions issues de codes, de chartes ou de guides de bonnes pratiques. L’enjeu est


plutôt l’acquisition d’une culture du questionnement éthique permettant d’in-
tégrer cette dimension au cœur du travail de recherche, quelle que soit la dis-
cipline. Selon nous, cette culture se forme dans la prise de conscience de l’in-
dissociabilité des enjeux d’intégrité scientifique, d’éthique de la recherche et
de responsabilité sociale des sciences. Indissociabilité que le contenu et les
approches pédagogiques des formations devraient révéler, en particulier au

19 Arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la
délivrance du diplôme national de doctorat.
396 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

sein des modules obligatoires que toutes les écoles doctorales doivent dis-
penser aux jeunes chercheurs. De telles formations pourraient ainsi être des
occasions d’une prise de recul sur la recherche et les sciences, sur la nature des
connaissances produites et sur la portée de celle-ci en société. Nous assumons
une deuxième conséquence directe de nos propositions de positionnement
conceptuel et épistémologique sur l’éthique de la recherche, concernant cette
fois-ci les dispositifs de dialogue à mettre en place au sein de l’université sur un
tel sujet. Considérer que la formulation d’un problème éthique en recherche
émerge de la composition entre démarches normatives, réflexives et poli-
tiques, c’est se donner comme perspective la démocratisation de nos réflexions
sur les sciences, et des relations entre sciences et sociétés. Une démocratisation
inévitablement conflictuelle, sans visée première de pacification, lorsque l’on
prend au sérieux le pluralisme scientifique dans toutes ses dimensions. C’est
donc faire de l’éthique de la recherche l’un des piliers d’une transformation de
notre rapport à la science et, plus généralement, de notre rapport au savoir
comme l’argumentent et le revendiquent avec conviction les épistémologies non
standards depuis de nombreuses années (Fricker, 2009 ; Ruphy, 2015 ; Sousa
Santos, 2016).

RÉFÉRENCES
Bachelard, G. (1973). Le pluralisme cohérent de la chimie moderne. Paris : Vrin.
Beauchamp, T. L., Childress, J. F. (2013). Principles of Biomedical Ethics. Oxford: Oxford
University Press
Bouleau, N. (2017). Introduction à la philosophie des sciences. Paris : Spartacus.
COMEST (2017). Pratiquer une recherche intègre et responsable. Guide. Paris : CNRS.
Commission européenne (2018). Responsible Research and Innovation [article], https://
ec.europa.eu/programmes/horizon2020/en/h2020-section/responsible-research-
innovation (consulté le 20 mars 2018).
Coutellec, L. (2015). La science au pluriel. Essai d’épistémologie pour des sciences impliquées.
Versailles : Quae.
Corvol, P. (2016). Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d’intégrité
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)


scientifique. Paris : Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Debru, A. (2019). Intégrité. Le sens du mot, Le journal de POLETHIS, 1, 16.
Deleuze, G., Guattari, F. (1991). Qu’est-ce que la philosophie ? Paris : Les Éditions de Minuit.
DeMarco, J. (1994). A coherence theory in ethics. Amsterdam: Rodopi BV.
Ferry, J.-M. (2002). Valeurs et normes. La question de l’éthique. Bruxelles : Éditions de
l’Université de Bruxelles.
Fricker, M. (2009). Epistemic Injustice: Power and the Ethics of Knowing. Oxford: Oxford
University Press.
Grasswick, H. (ed.) (2011). Feminist Epistemology and Philosophy of Science. Berlin: Springer.
Grinbaum, A. (2017). Responsabilité des êtres calculants. Revue française d’éthique appliquée,
3, 117-123.
Hermant, E., Solhdju, K. (2015). Le pari Dingdingdong. Coproduire de nouvelles histoires
naturelles de la maladie de Huntington avec et pour ses usagers, Écologie & Politique, 51,
65-79.
Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2 397

Hicks, D., Wouters, P., Waltman L., Rijcke S., Rafols I. (2015). Bibliometrics: The Leiden
Manifesto for research metrics, Nature, 520(7548), 429-431.
Jonas H. (1998). Pour une éthique du futur. Paris : Rivages.
Lacey H. (2015). Agroécologie : la science et les valeurs de la justice sociale, de la
démocratie et de la durabilité. Écologie & politique, 2(59), 27-40.
Lecointre G. (2012). Les Sciences face aux créationnismes. Réexpliciter le contrat méthodologique
des chercheurs, Versailles : Quae.
Longino, H. (2002). The Fate of Knowledge. Princeton: Princeton University Press.
Munagorri, R. E. de (1998). La communauté scientifique est-elle un ordre juridique ?, Revue
trimestrielle de droit civil, 2, 247-283.
Ogien R. (2007). L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes. Paris : Gallimard.
Poincaré, H. (1970). La Valeur de la science. Paris : Flammarion.
Ruphy, S. (2013). Le pluralisme scientifique. Enjeux épistémiques et métaphysiques. Paris :
Hermann.
Ruphy, S. (2015). Rôle des valeurs dans les sciences. Contributions de la philosophie
féministe des sciences. Écologie & Politique, 51, 41-54.
Solomon, M. (2006). Norms of Epistemic Diversity. Episteme, 23-36.
Schmid, A.-F. (2016). Les ambiguïtés de l’éthique appliquée, Revue française d’éthique
appliquée, 1, 92-106.
Stengers, I. (2013). Une autre science est possible. Paris : La Découverte.
Sousa Santos, B. D. (2016). Épistémologie du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur les
sciences. Paris : Desclée de Brouwer.
Sutherland, W. J., Goulson, D., Potts, S. G., Dicks, L. V. (2011). Quantifying the Impact and
Relevance of Scientific Research, PLoS One, 6(11).
Valleys, F. (2013). Pour une vraie responsabilité sociale. Clarifications, propositions. Paris : PUF.
Vergès, E. (2009). Éthique et déontologie de la recherche scientifique, un système normatif
communautaire. In J. Larrieu (dir.). Qu’en est-il du droit de la recherche ? Paris : LGDJ,
131-149.

Léo Coutellec est maître de conférences en épistémologie et éthique


des sciences contemporaines, il travaille au renouvellement de la pensée
épistémologique dans ses liens avec l’éthique.
Adresse : EA16010 « Études sur les sciences et les techniques ».
Université Paris-Sud, Espace éthique Île-de-France, Labex
DistAlz. 1 av. Claude Vellefaux. F-75010 Paris (France)
Courriel : leo.coutellec@u-psud.fr
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

ABSTRACT: THINKING ABOUT THE INSEPARABILITY


OF RESEARCH ETHICS, SCIENTIFIC INTEGRITY, AND
THE SOCIAL RESPONSIBILITY OF SCIENCE
With ethical questions about scientific research becoming increasingly institu-
tionalized, we posit the need for a conceptual clarification of research ethics,
scientific integrity, and social responsibility. The challenge is to qualify each of
these three domains and suggest how they are positioned in relation to each
other, a positioning that must also distinguish between ethical, normative, and
political issues. The hypothesis we defend in this article is that research eth-
ics acts as a reflexive pivot between scientific integrity (community-oriented
approach) and social responsibility (socially-oriented approach). We give an
398 Revue d’anthropologie des connaissances – 2019/2

epistemological dimension to this positioning by qualifying research ethics as an


epistemologically generic ethics.
Keywords: research ethics, scientific integrity, social responsibility, pluralism,
relevance, quality, generic

RESUMEN: REFLEXIONAR SOBRE LA INSEPARABILIDAD DE LA


ÉTICA DE LA INVESTIGACIÓN, LA INTEGRIDAD CIENTÍFICA Y
LA RESPONSABILIDAD SOCIAL DE LAS CIENCIAS. ACLARACIÓN
CONCEPTUAL, PROPUESTAS EPISTEMOLÓGICAS
En un contexto de creciente institucionalización de las cuestiones éticas en la
investigación científica, postulamos la necesidad de una clarificación concep-
tual entre la ética de la investigación, la integridad científica y la responsabili-
dad social. El desafío consiste tanto en calificar cada uno de estos tres ámbitos
como en proponer un método de composición entre ellos, una composición
que también debe discernir entre cuestiones éticas, normativas y políticas. La
hipótesis que defendemos en esta contribución es la de posicionar la ética de
la investigación como un eje reflexivo entre la integridad científica (enfoque
comunitario) y la responsabilidad social (enfoque de orientación social). Damos
una dimensión epistemológica a este posicionamiento, calificando la ética de la
investigación como epistemológicamente genérica.
Palabras clave: ética de la investigación, integridad científica, responsabilidad
social, pluralismo, pertinencia, calidad, ética genérica
© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

© S.A.C. | Téléchargé le 26/12/2022 sur www.cairn.info (IP: 160.179.43.37)

Vous aimerez peut-être aussi