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Marina Calvo
Sommaire :
Page :
1. Introduction………………………………………………………………………………3
3. Conclusions………………………………………………………………………………9
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1. INTRODUCTION
Lorsqu’on parle de la catégorie de cinéma documentaire, il s’agit d’un rapport et d’une
vision du réalisateur vers le réel. Les décisions à l’heure de filmer déterminent une
construction de la réalité et une direction idéologique du cinéaste. Pour mieux comprendre
les mécanismes de fabrication du réel, on va réaliser une analyse filmique d’une scène
concrète appartenant à un documentaire, pour essayer de comprendre les conséquences
obtenues des méthodes employées dans le travail audiovisuel.
La séquence commence avec le gros plan de la tête d’un chat. Ensuite on voit ce chat
sur un ordinateur sur lequel s’affiche de manière rudimentaire le nom de la maison de
production, Cine Tamaris. Ces éléments sont entourés par des classeurs. On saura après
que c’est le chat d’Agnès Varda.
On pourrait interpréter que cet animal incarne une partie de l’univers personnel de la
réalisatrice, comme une espèce de projection de celle-ci. Avec ce recours, elle souligne le
fait que le spectateur se trouve face à un film qui se veut être une vision particulière, et
donc, que le documentaire sera imprégné de sa subjectivité. Varda filme le chat sur le nom
de sa maison de production, en mettant en évidence un lien étroit entre sa personne (si on
fait l’équivalence entre le chat et la documentariste) et la production propre. L’ordinateur
commun démontre aussi cette idée d’une production modeste, presque artisanale et
individuelle. Les classeurs font penser à un travail préalable de documentation nécessaire à
la réalisation du film et à l’obtention du résultat final qu’on voit à l’écran. C’est donc un
mélange entre subjectivité (vue à travers le chat et l’ordinateur, qui signale un travail de
construction du réel) et objectivité (les classeurs qui renvoient à l’information sur la
réalité).
La présence de ce fond prend tout son sens grâce au plan suivant, où l’on constate qu’il
appartient aux tomes du Nouveau Larousse Illustré. Celui qui contient la lettre « G » est
bien éclairé, interpellant l’attention du spectateur. Agnès Varda a placé le titre de son
documentaire sur l’extérieur d’un dictionnaire encyclopédique, où paradoxalement elle va
chercher la définition de ce titre : « les glaneurs et la glaneuse ».
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- Le tableau dans le musée : référence picturale
De nouveau, on entend la même musique que dans les premiers plans du film.
L’utilisation de cette musique comme un motif récurrent, pourrait se mettre en rapport
avec l’emploi parallèle des plans visuels et artistiques. Le film continue par un plan moyen
des nombreux visiteurs autour du tableau. On voit une femme de dos s’approchant du
tableau avec une petite caméra vidéo. On ne peut pas bien la distinguer, mais elle se
ressemble à Agnès Varda. Si c’était elle, la réalisatrice nous montre un dispositif méta-
cinématographique par lequel elle devient une partie de l’objet filmé, car elle se ferait
visible dans le discours grâce au filmage d’une autre personne. La femme se mêle aux
touristes pour découvrir le tableau dans son environnement quotidien (car Varda aurait pu
choisir de le filmer tout seul, avec le musée fermé).
Ensuite nous voyons le même type de plan que celui qui cadrait le tableau.
Maintenant beaucoup de visiteurs passent entre la caméra et le tableau pour l’admirer.
Varda accélère les images avec la postproduction pour montrer une longue durée de temps
où le tableau, statique, ne cesse d’être regardé, condensant ainsi le temps réel dans un
métrage plus court. Il s’agit donc d’une variation de la durée de la réalité, car si elle avait
été montrée entièrement, elle aurait été trop ennuyante pour le spectateur.
La séquence continue par un plan rapproché épaules d’une femme âgée habillée en
paysanne qui affirme que « glaner, c’est l’esprit d’antan ». Cette idée sera soutenue grâce
au choix des plans suivants. À mon avis, le plan précédent du détail du tableau sur les
glaneuses pourrait se mettre en relation avec celui de la paysanne ancienne, comme si elle
avait été représentée dans l’œuvre à une époque antérieure.
Ensuite on passe à un plan moyen de la femme, qui la replace dans son contexte,
dévoilant les champs qui l’entourent. La caméra suit le mouvement de la paysanne, qui
reproduit les gestes du glanage dans le passé. Le paysage a une teinture au ton sépia, ce qui
nous rappelle « l’esprit d’antan ». Ce ton évoquant le passé se met en rapport avec le plan
suivant : une image d’archive en noir et blanc de glaneuses en train de travailler.
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Cette image sera suivie par deux plans de détails de tableaux, le premier en noir et
blanc montrant une glaneuse baissée travaillant (esthétique du passé qui continue celle du
plan précédent) et le deuxième en couleur sur un petit groupe de glaneuses. L’image
d’archive et celles que je viens de citer, sont accompagnées de la voie off de la femme.
Elle raconte les difficultés de son travail, sorte de narratrice des images qui défilent,
comme s’il s’agissait d’un flashback personnel à travers le matériel historique et pictural.
Le plan suivant montre un mas qui, par le cadrage frontal, pourrait ressembler à un
tableau, dû à sa relation avec les plans antécédents et l’information racontée par la femme.
L’image précède le plan moyen de la paysanne qui explique que le mas lui appartient. De
cette manière se fait évident le mécanisme du montage par lequel Varda place d’abord un
plan filmé après la conversation. Ainsi la continuité du réel se construit en ordonnant les
images.
Agnès Varda poursuit selon le même mécanisme : elle montre d’abord le plan
rapproché de la personne qui parle avant de passer à un plan moyen pour la replacer dans
son contexte. Il me semble que, avec ce recours, la documentariste donne plus
d’importance aux premiers mots de l’interlocuteur qu’au besoin du spectateur d’identifier
la personne qui parle.
Cependant, il est aussi évident que la réalisatrice n’hésite pas à filmer les gens dans
l’endroit qui les caractérise. C’est le cas des plans de la serveuse et de ses clients dans le
bar (tout comme l’ancienne glaneuse dans son champ). À travers le témoignage de ces
personnes, nous avons un aperçu des différentes raisons de se dédier au glanage. La
serveuse raconte qu’elle glanait en famille, tandis que l’ancien le faisait pour manger
pendant la guerre. Elle affirme que maintenant on ne glane plus pour manger : une thèse
que Varda va contester avec les images suivantes.
L’idée antérieure sera renforcée par le commentaire de la voix off d’Agnès Varda.
Cette fois-ci, la réalisatrice se montre plus subjective dans son discours pour introduire un
message de dénonciation sociale. « Si le glanage est d’un autre âge, le geste est inchangé
dans notre société qui mange à satiété ». Cette rime, sorte de poésie ou de rap (comme un
constatera par la musique quelques plans plus tard), accompagne l’image du tableau ainsi
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que deux plans de glaneurs contemporains. Le commentaire off attire l’attention sur l’idée
que, bien que le glanage vienne du passé, il persiste, transformé, dans le présent. Ainsi on
va interpréter que le glanage actuel se justifie par l’existence d’une société de plus en plus
gaspilleuse.
Varda introduit une nouvelle idée : « Glaneurs agricoles ou urbains, ils se baissent
pour ramasser ». Elle va placer deux plans brefs de glaneurs agricoles et ensuite un
montage de plusieurs plans de courte durée montrant des « glaneurs urbains ». Avec cette
quantité de plans, elle insiste sur l’image de la pauvreté et du gaspillage, laissant de côté
les glaneurs de la campagne pour se concentrer sur les inégalités de la ville. Elle poursuit :
« Y’a pas de honte, y’a du tracas, du désarroi ». Après ces mots, le rappeur commence « le
rap de récup’ ». Les paroles dénoncent le sujet traité, avec un discours qu’on pourrait bien
attribuer à la réalisatrice. Elle mixe des plans de différentes échelles (aussi bien les gens en
train de ramasser que les détails des restes de nourriture) pour obtenir un rythme de
montage semblable à celui du rap. Les images concordent avec ce que racontent les
paroles. Le message est ainsi clair : il se transmet au même temps par les images et par le
son, en dirigeant l’interprétation des spectateurs.
Le montage décrit dans la section antérieure finit par le plan d’une perspective
d’une avenue pleine d’ordure que ramassent les balayeurs. Ce plan d’ensemble permet de
nous faire une idée du gaspillage et de la quantité de déchets qui sont produits. La
perspective de cette image va se répéter dans le plan suivant, mais cette fois elle
correspond à un champ cultivé. Il s’agit donc d’un parallèle entre la ville et la campagne,
qui permet de revenir sur le sujet de glanage original. De plus, cette idée sera soutenue par
la voix off de la documentariste : « À la ville comme à la campagne, hier comme
aujourd’hui, c’est toujours le même geste modeste de glaner ». Les mots s’accompagnent
d’un panoramique allant des champs à une glaneuse en train de travailler. Ce mouvement
de la caméra souligne aussi le retour à la question de la campagne.
Dans le plan qui suit, on voit une glaneuse, détail d’un tableau du Musée d’Orsay,
mise par la suite dans un contexte de groupe. Les images sont soutenues par la voix off :
« (…) contrairement aux peintures où on voyait toujours des groupes, rarement une
glaneuse ». Le détail de la glaneuse, équivalence de la personne réelle qu’on avait vu, est
rapidement lié au groupe, pour montrer le contraste entre le passé social et la solitude du
présent.
Ces réflexions vont permettre à Agnès Varda de s’arrêter sur un tableau d’une seule
glaneuse (d’après Jules Breton), montré dans un plan du dictionnaire. Cet intérêt pour la
figure solitaire va servir de prétexte pour voyager au Musée d’Arras où se trouve l’œuvre
(comme on le verra après, pour s’identifier à la glaneuse). La réalisatrice filme la route, ce
qui normalement ne se serait pas montré. Le voyage fait en général l’objet d’une ellipse car
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il est sous-entendu, mais Varda décide de l’insérer dans le film pour rendre évident le
procès de création du documentaire.
La réalisatrice parle des camions qu’elle voit sur la route pour indiquer qu’elle
reviendra plus tard sur ce sujet. Varda crée une attente autour de ce qui va se passer par la
suite (par un jeu de caméra, elle va les « attraper » avec la main). La connaissance la suite
du documentaire par la voix off concède à celle-ci un pouvoir de narratrice
« omnisciente », confirmant son contrôle sur la construction du réel.
La réalisatrice utilise le « je » pour définir son rôle dans l’œuvre, celui de glaneuse
de plans du réel et d’expériences de vies. Le démiurge qui construit la réalité se fait
explicite, pour que les spectateurs n’oublient pas que le documentaire est une vision du
monde appartenant à l’auteure seule. Le plan transforme Varda en partie du sujet traité, car
elle se fait filmer pour une autre caméra. Bien qu’il s’agisse d’un documentaire, nous
voyons la mise en scène préparée pour tourner une des idées du film. Dans ce plan, on
assiste à une création de la réalité de caractère artistique.
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3. CONCLUSIONS
Après avoir analysé la première séquence de Les glaneurs et la glaneuse, on peut
réfléchir sur quelques traits de la réalisation de ce documentaire. D’abord, Agnès Varda
réussit à créer un film très personnel grâce à la liberté qu’elle a en travaillant pour sa
propre maison de production. De plus, l’emploi technique d’une caméra numérique lui
permet d’obtenir plus d’autonomie et de rendre plus facile l’approche à la personne ou à
l’objet filmé. La cinéaste conçoit ainsi un style propre, grâce à un rythme de montage
maîtrisé et au lyrisme produit par l’assemblage son-images, ainsi que grâce au mélange des
interviews, du filmage de glaneurs, des peintures et, surtout, d’images autoportrait, tout
cela commenté par sa voix off, qui nous oriente dans sa vision.
La réalisatrice devient un autre « personnage » du documentaire, elle se fait visible
d’une manière active, en essayant de montrer son honnêteté dans son approchement
subjectif à la réalité sujet de son film. Varda construit sa propre représentation et sa propre
identité autour de la figure d’une cinéaste/glaneuse. Le résultat de ce glanage et de la
recherche d’histoires de vie est une vision contemporaine du capitalisme et de la vie
urbaine. La documentariste montre une partie de la réalité souvent cachée, celle des exclus
qui n’ont pas d’image ni de voix.
En conclusion, Agnès Varda assume un regard sensible qui signe son œuvre. Dans
la catégorie du documentaire, « une image n’a rien d’objectif »1. Comme on a pu le
constater tout au long de cette analyse, les images dépendent « d’un ensemble de
contraintes techniques et de choix de représentation »2. Ainsi, Varda choisit de filmer un
voyage didactique et personnel autour de plusieurs sujets, dans un acte de dénonciation
sociale, toujours dans le champ de l’expérimentation et de l’autoportrait.
1
Breschand, Jean, 2002. Page 9.
2
Ídem. Page 9.
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4. BIBLIOGRAPHIE, FILMOGRAPHIE ET RESSOURCES ÉLECTRONIQUES
- CARTER, Helen. « Discovering Agnès Varda » [en ligne]. Senses of cinema. Septembre
2002 (Issue 22 : Great Directors).
http://archive.sensesofcinema.com/contents/directors/02/varda.html (consulté 10 avril
2009).
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