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Un art du montage?
Cours du 14.10.21 / C. Damour
[Extrait]
L’Homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929)
« Avec [la photographie], pour la première fois, en ce qui concerne la
reproduction des images, la main se trouva déchargée des tâches
artistiques essentielles, lesquelles dorénavant furent réservées à l’œil fixé
sur l’objectif. »
(Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique,
1935)
– Or, comme le rappelle Jean-Luc Godard dans Le Livre d’image (2018),
« La vraie condition de l’homme, c’est de penser avec ses mains ».
Bibliographie indicative sur le montage
Vincent AMIEL, Esthétique du montage (2001), Paris, Armand Colin, 2017 (4ème
édition).
Sylvie COELLIER (dir.), Le montage dans les arts aux XXème et XXIème siècles, Aix-
Marseille, Publications de l’Université de Provence, 2008.
KESSLER Frank, « Les ciseaux oubliés », in Cinémas, Volume 13, n°1-2, automne
2002, p. 109-127.
Actualité éditoriale
2018
Plan de la séance
• « début 1896, le cinématographe était une attraction dont la durée totale dépassait
rarement trente minutes et n’était constituée que d’une dizaine de ‘plaques
photographiques vivantes’, sans lien narratif entre elles et dont chacune ne durait qu’une
minute. » (p. 53)
• « La nature du spectacle tauromachique a conduit les Lumière à allonger le métrage (à
moins qu’une volonté d’allonger les métrages ne les ait conduits vers la corrida), relier
entre eux les éléments et dès lors engager une narration distribuée sur plusieurs tableaux et
non enclose en une seule vue. » (p. 57)
• « forme de protomontage » (p. 60) – dé-rushage et projection à la suite d’une sélection de
huit vues sur une douzaine tournées : « Le titre général et les sous-titres retranscrivaient
donc le ‘synopsis’ d’une course et confirmaient l’exploitation de ces vues comme autant
de tableaux d’un tout, même si rien n’atteste une diffusion des bobines aboutées les unes
aux autres. Les spectateurs ne découvraient plus huit vues sans lien narratif entre elles
mais bien une vue constituée de huit tableaux. » (p. 62)
• par la suite « aboutage » (indice : sur les programmes, la mise en accolade de deux ou
plusieurs vues)
• Durée
– Plans longs (Andreï Tarkovski, Abbas Kiarostami)
– Plans courts, flashes (Abel Gance, Alain Resnais,
Sidney Lumet)
• Raccords
« Raccorder deux plans oblige à matérialiser entre eux un point de passage,
plus ou moins long et spectaculaire. »
Laurent Jullier, L’analyse de séquences, Paris, Nathan, 2002, p. 53.
Types de raccords
• Cut
• Ouverture/fermeture au noir (ou à l’iris)
• Fondu enchainé (incrustations progressives, volets)
« La script devra veiller à ce qu’en studio comme en extérieurs l’acteur ait la
même cravate, le même désordre dans sa chemise, la même écorchure au front,
les mêmes mèches dépeignées. Ses indications, et mieux encore une
photographie qu’elle fournira, règleront pour le second numéro le travail des
acteurs, des maquilleurs, des coiffeurs, des costumiers. Car il serait choquant
qu’un acteur, franchissant une porte, change brusquement de cravate, ferme
sans y toucher son col entrouvert, ou cicatrise instantanément sans écorchure.
Faute de script, de telles erreurs sont presque inévitables. »
Exemples :
• A bout de souffle (Jean-Paul Belmondo, 1959)
• Psycho (Alfred Hitchcock, 1960)
Lev Koulechov (1926), L’Art du cinéma et autres écrits (1917-1934), Lausanne, L’Age
d’Homme, 1994, p. 128.
Un héritier de Koulechov : Alfred Hitchcock « des gros plans qui étaient
statiques et qui n’exprimaient aucun sentiment du tout – des gros plans neutres »
(Koulechov)
« A mon avis, l’acteur dans un film doit être beaucoup plus souple, et en vérité il
ne doit absolument rien faire. Il doit avoir une attitude calme et naturelle – ce qui
n’est d’ailleurs pas si simple que cela – et il doit accepter d’être utilisé et
souverainement intégré au film par le metteur en scène et la caméra. Il doit
laisser à la caméra le soin de trouver les meilleurs accents et les meilleurs points
culminants. »
Alfred Hitchcock, in Hitchcock/Truffaut, édition définitive, Paris, Gallimard, 1993, p. 92.
« Dans Psycho, le sujet m’importe peu, les personnages m’importent peu ; ce qui
m’importe, c’est que l’assemblage des morceaux de film, la photographie, la bande
sonore et tout ce qui est purement technique pouvaient faire hurler le public. (…) Ce
n’est pas un message qui a intrigué le public, ce n’est pas une grande interprétation
qui a bouleversé le public, ce n’était pas un roman très apprécié qui a captivé le
public. Ce qui a ému le public, c’était le film pur. »
Alfred Hitchcock, in Hitchcock/Truffaut, édition définitive, Paris, Gallimard, 1993, p. 241.
Objectif: prouver que le cinéma « n’a rien à faire » « de la motivation
psychologique de la fable romanesque »
Adrian Piotrovski, « Vers une théorie des ciné-genres » (1927), in Poétique du
film. Textes des formalistes russes sur le cinéma, Lausanne, L’Âge d’Homme,
2008 p. 154
« on peut prouver par le montage qu’un acteur peut parfaitement ignorer
les raisons qui lui font éprouver douleur, joie, etc. et qu’au
cinématographe, l’expression d’un sentiment chez l’acteur ne dépend pas
des causes qui l’ont engendré. »
– Raison de sécurité : éviter qu’un acteur ne se blesse dans une scène de combat – ex. Marlon
Brando et Lee Marvin dans L’Equipée sauvage (Laszlo Benedek, 1953)
Juliette Binoche, entretien avec Yann Tobin, Positif, n°699, mai 2019, p. 32.
« La jouissance que j’essaie d’atteindre, c’est le montage. Je ne suis pas
malheureux quand j’écris, mais ce n’est pas la fête. Tu es tout seul avec un
ordinateur. Le tournage, c’est beaucoup de responsabilités et ça carbure à plein
pot. La vraie jouissance, c’est quand tu fabriques le film au montage. (…) le
vrai réalisateur d’un film, c’est le monteur (…) En vrai, je ne suis pas un
réalisateur. Je suis un auteur, c’est certain. La réalisation, c’est gérer les gens.
Je trouve ça super, j’aime bien les caméras, j’ai cette excitation de faire la
lumière et de découvrir les rushes. Mais c’est le monteur qui fait le film.
Quand je coupe, je sais que c’est bon. Quand je décide de changer de plan,
c’est parce que j’ai déjà imaginé comment ça va s’imbriquer. Mes meilleures
idées viennent des envies de montage. »
« (…) il est des cas où, loin de constituer l’essence du cinéma, le montage en est la
négation. La même scène, selon qu’elle est traitée par le montage ou en plan
d’ensemble, peut n’être que de la mauvaise littérature ou devenir du grand cinéma. »
André Bazin, « Montage interdit » (1953), in Qu’est-ce que le cinéma, p. 59.
– « Je ne peux être d’accord avec ceux qui prétendent que le montage est
l’élément déterminant du film. Autrement dit, que le film serait créé sur
une table de montage, comme l’affirmaient dans les années 20 les
partisans du ‘cinéma de montage’, Koulechov, Eisenstein. » (p. 136)
– « Ma conviction profonde est que l’élément fondateur du cinéma
est le rythme, et non le montage comme on a tendance à le croire. » (p.
142)
– « On peut ainsi facilement s’imaginer un films sans acteurs, sans
musique, sans décors, et même sans montage. Mais il serait impossible
d’envisager une œuvre cinématographique privée de la sensation du
temps qui passe. » (Andreï Tarkovski, Le temps Scellé, Paris, Philippe
Rey, 2014, p. 135)
Le rythme, spécificité de l’art cinématographique
• bibliographie: Sylvie Coëllier (dir.), Le montage dans les arts aux XXème et
XXIème siècles, Publications de l’Université de Provence, 2008
(Luc Vancheri, La Grande illusion. Le musée imaginaire de Jean Renoir, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2015, p. 93)
« Si le montage cinématographique s’est effectivement imposé comme la raison poétique d’une
toute nouvelle économie de l’image, il n’est pourtant pas demeuré limité au domaine
cinématographique. On en retrouve l’idée dans les pratiques compositionnelles des philosophes
(Benjamin), des artistes (Rodtchenko), des écrivains (Burroughs) ou des historiens (Warburg) :
dans tous les cas le montage active l’image sous de nouveaux rapports qui la requalifient
structurellement. »
Luc Vancheri, « L’énergie des images », in Luca Acquarelli (dir.), Au prisme du figural. Le sens des
images entre forme et force, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2015, p.
172.
« Sous des espèces variables, auxiliaires ou cardinales, le montage bouleverse l’ordre poétique des
arts et s’impose dans le champ de la pensée comme une méthode de connaissance par l’image. Le
montage cinématographique n’est plus seul : Schwitters, Picabia ou Picasso pour la peinture et la
sculpture, Hausmann, Heartfield ou Rodtchenko pour la photographie, Meyerhold, Piscator ou
Wangenheim pour le théâtre, tous d’une manière ou d’une autre ont recours à la technique du
montage, qui tient désormais un rôle décisif dans la formation de toute pensée de l’image. »
Luc Vancheri, La Grande illusion. Le musée imaginaire de Jean Renoir, Villeneuve d’Ascq, Presses
universitaires du Septentrion, 2015, p. 93.
« Le montage, en tant que tel, n’engendre pas quelque qualité nouvelle, mais ne
fait que révéler ce qui existait déjà dans les plans à monter. » (Tarkovski, p. 142)
Jacques Rivette, tarkovskien (ou Tarkovski rivettien, puisque les deux
cinéastes sont de la même génération et débutent leur carrière au même
moment au début des années 60)
« - Au montage, est-ce que vous avez déplacé des séquences d’un épisode à
l’autre ?
- Au début, j’ai expérimenté des choses comme ça, mais au final, non, rien
n’a été déplacé. Je crois d’ailleurs que rien n’a été coupé au montage. Tout ce
qui a été tourné est dans la série. C’est très curieux. Tout a trouvé sa place.
Etrangement, j’ai l’impression que c’est comme si tout existait avant. Comme
un puzzle qui avait été complètement assemblé dans une autre pièce, et qu’il
faut maintenant assembler dans cette pièce. Vous recevez des pièces, vous ne
savez pas ce que c’est, et petit à petit tout s’assemble. »
« Mystery Man. Entretien avec David Lynch », Cahiers du cinéma, n°739,
décembre 2017, p. 14
IV. Montage alterné/montage parallèle