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Un art du montage?
Cours du 14.10.21 / C. Damour
[Extrait]
L’Homme à la caméra (Dziga Vertov, 1929)
« Avec [la photographie], pour la première fois, en ce qui concerne la
reproduction des images, la main se trouva déchargée des tâches
artistiques essentielles, lesquelles dorénavant furent réservées à l’œil fixé
sur l’objectif. »
(Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique,
1935)
– Or, comme le rappelle Jean-Luc Godard dans Le Livre d’image (2018),
« La vraie condition de l’homme, c’est de penser avec ses mains ».
Bibliographie indicative sur le montage

Vincent AMIEL, Esthétique du montage (2001), Paris, Armand Colin, 2017 (4ème
édition).

Jacques AUMONT, Montage, « la seule invention du cinéma », Paris, Vrin, 2015.

Bertrand BACQUE, Lucrezia LIPPI, Serge MARGEL, Olivier ZUCHUAT (dir.),


Montage. Une anthologie (1913-2018), Genève, HEAD-Genève/MAMCO, 2018.

Dominique CHÂTEAU, L’invention du concept de montage. Lev Kouléchov théoricien


du cinéma, Paris, L’Amandier, 2013.

Sylvie COELLIER (dir.), Le montage dans les arts aux XXème et XXIème siècles, Aix-
Marseille, Publications de l’Université de Provence, 2008.

KESSLER Frank, « Les ciseaux oubliés », in Cinémas, Volume 13, n°1-2, automne
2002, p. 109-127.
Actualité éditoriale
2018
Plan de la séance

I. Introduction - Ordre, durée, raccords : définitions et fonctions du montage


II. L’effet Koulechov
III. « Montage interdit » (André Bazin)
IV. Le montage, essence du cinéma ?
V. Montage alterné/montage parallèle [cf. cours cinéma muet]
VI. La théorie du montage selon Eisenstein [cf. cours cinéma muet]
I. Introduction
Ordre, durée, raccords :
définitions et fonctions du montage
Une pratique (une technique), une notion, un concept (Dominique Château)

Dominique CHÂTEAU, L’invention du concept de montage. Lev Kouléchov


théoricien du cinéma, Paris, L’Amandier, 2013.
« Techniquement, monter un film, c’est simplement mettre bout à bout
deux, puis plusieurs plans à l’aide de collures. Au-delà, le montage met en
ordre des fragments visuels et sonores de film (photogrammes, plans,
scènes, séquences, parties) en vue d’un effet esthétique ou sémantique. Le
montage organise le récit et donne le rythme de chaque scène comme de
l’ensemble du film. Il consiste entre autres à sélectionner les prises, mettre
en ordre les plans, fixer les coupes et les raccords dans le domaine de
l’image comme du son. La plupart des avant-gardes ont fait du montage
un moyen d’expression privilégié. »

Joël Magny, Vocabulaires du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 2004, p. 60.


Définition technique :
– « Techniquement, monter un film, c’est simplement mettre bout à
bout deux, puis plusieurs plans à l’aide de collures. » (Joël Magny,
Vocabulaires du cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 2004, p. 60).
– « coller les uns à la suite des autres, dans un ordre déterminé, des
fragments de film, les plans, dont on a préalablement déterminé la
longueur » (Jacques Aumont et Michel Marie, Dictionnaire théorique
et critique du cinéma, Paris, Nathan, 2001, p. 133)
Deux « pentes » principales
« Toute l’histoire des films a consisté à choisir entre deux pentes : ou
bien souligner et exploiter cette vertu de choc et de sensation du
montage, ou bien au contraire tâcher de la maîtriser ou de l’atténuer.
C’est la grande opposition, bien connue, entre le montage ‘productif’
et le montage ‘transparent’. »

Jacques Aumont, Montage, « la seule invention du cinéma », Paris, Vrin,


2015, p. 21-22.
• Ordre
Naissance du montage
source: Thierry Lecointe, « Courses de taureaux Lumière : une vue hors norme en
1898, chaînon essentiel dans la progression narrative du cinéma des premiers temps ? »,
1895, n°80, hiver 2016, p. 51-77

• « début 1896, le cinématographe était une attraction dont la durée totale dépassait
rarement trente minutes et n’était constituée que d’une dizaine de ‘plaques
photographiques vivantes’, sans lien narratif entre elles et dont chacune ne durait qu’une
minute. » (p. 53)
• « La nature du spectacle tauromachique a conduit les Lumière à allonger le métrage (à
moins qu’une volonté d’allonger les métrages ne les ait conduits vers la corrida), relier
entre eux les éléments et dès lors engager une narration distribuée sur plusieurs tableaux et
non enclose en une seule vue. » (p. 57)
• « forme de protomontage » (p. 60) – dé-rushage et projection à la suite d’une sélection de
huit vues sur une douzaine tournées : « Le titre général et les sous-titres retranscrivaient
donc le ‘synopsis’ d’une course et confirmaient l’exploitation de ces vues comme autant
de tableaux d’un tout, même si rien n’atteste une diffusion des bobines aboutées les unes
aux autres. Les spectateurs ne découvraient plus huit vues sans lien narratif entre elles
mais bien une vue constituée de huit tableaux. » (p. 62)
• par la suite « aboutage » (indice : sur les programmes, la mise en accolade de deux ou
plusieurs vues)
• Durée
– Plans longs (Andreï Tarkovski, Abbas Kiarostami)
– Plans courts, flashes (Abel Gance, Alain Resnais,
Sidney Lumet)
• Raccords
« Raccorder deux plans oblige à matérialiser entre eux un point de passage,
plus ou moins long et spectaculaire. »
Laurent Jullier, L’analyse de séquences, Paris, Nathan, 2002, p. 53.

Types de raccords
• Cut
• Ouverture/fermeture au noir (ou à l’iris)
• Fondu enchainé (incrustations progressives, volets)
« La script devra veiller à ce qu’en studio comme en extérieurs l’acteur ait la
même cravate, le même désordre dans sa chemise, la même écorchure au front,
les mêmes mèches dépeignées. Ses indications, et mieux encore une
photographie qu’elle fournira, règleront pour le second numéro le travail des
acteurs, des maquilleurs, des coiffeurs, des costumiers. Car il serait choquant
qu’un acteur, franchissant une porte, change brusquement de cravate, ferme
sans y toucher son col entrouvert, ou cicatrise instantanément sans écorchure.
Faute de script, de telles erreurs sont presque inévitables. »

Georges Sadoul, Le cinéma, son art, sa technique, son économie, Paris, La


Bibliothèque Française, 1948, p. 123.
• Jump cuts

« Jump-cut : en acception restreinte, procédé rythmique de montage qui consiste à


couper à l’intérieur même d’un plan, ce qui crée des effets de saute (jump). Dans
Shadows, Cassavetes l’emploie essentiellement pour valoriser l’invention gestuelle
de ses acteurs, tandis que Godard dans A bout de souffle (1959) l’emploiera
principalement pour figurer des rythmes mentaux. En acception large, jump-cut
renvoie à toutes les sortes de manquements dans la continuité. »
Nicole Brenez, Shadows, Paris, Armand Colin, 2005, p. 118.

Exemples :
• A bout de souffle (Jean-Paul Belmondo, 1959)
• Psycho (Alfred Hitchcock, 1960)

• Equivalent du « jump-cut » à l’heure du numérique : l’effet « glitch »


(saute, « bug », dans l’image)
– Ex. Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, 2017)
• Faux-raccords

Exemples: Marlon Brando dans C’étaient des hommes (Fred Zinnemann,


1950) et dans L’Equipée sauvage (Lazlo Benedek, 1953)
• Trucages (cf. infra – Effet K)
– Les premiers trucages cinématographiques sont
liés au jump cut (Méliès)
Fonctions du montage
• Fonction narrative (conventions du récit)
• Fonction rhétorique (dimension idéologique)
• Fonction plastique (rythme, analogies)
II. « l’effet Kouléchov » : théories du montage et
de l’acteur cinématographique
« Koulechov et moi fîmes une expérience intéressante. Nous prîmes d’un film ou
l’autre plusieurs gros plans de l’acteur russe bien connu Mosjoukine. Nous choisîmes
des gros plans qui étaient statiques et qui n’exprimaient aucun sentiment du tout – des
gros plans neutres. Nous joignîmes ces gros plans, qui étaient semblables, avec
d’autres morceaux de films en trois combinaisons différentes. Dans la première, le
gros plan de Mosjoukine était immédiatement suivi par le plan d’une assiette de
soupe posée sur la table. Il était évident et certain que Mosjoukine était en train de
regarder cette soupe. Dans la seconde combinaison le visage de Mosjoukine était joint
à des plans montrant un cercueil où reposait une femme morte. Dans la troisième le
gros plan était suivi par le plan d’une petite fille jouant avec une peluche. Quand nous
montrâmes les trois combinaisons à un public qui n’avait pas été mis dans le secret, le
résultat fut formidable. Le public raffola du jeu de l’artiste. Ils pointèrent le lourd air
pensif de sa disposition envers la soupe oubliée, furent touchés et émus par le profond
chagrin avec lequel il regardait la femme morte, et admirèrent le léger sourire joyeux
avec lequel il surveillait la fille en train de manger. Mais nous savions que dans les
trois cas le visage était exactement le même. »
Conférence de Vsevolod Poudovkine, le 3 février 1929 à Londres
(cité dans François Albéra, « Koulechov en effet… », in Gérard-Denis Farcy, René Prédal
(dir.), Brûler les Planches, Crever l'écran, la présence de l'acteur, L'Entretemps, Saint-Jean-
de-Védas, 2001, p. 98)
• Précision : Plans de Mosjoukine déjà tournés et réutilisés : expérience de
montage, et non pas de tournage
David Bordwell (L’Art du film, une introduction) : « série de plans qui en
l’absence de plan d’ensemble conduit le spectateur à inférer une totalité
spatiale sur la base d’une vision de portions seulement de cet espace. »
Sueurs froides/Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958)
À aucun moment les deux acteurs ne sont ensemble dans le même cadre
(ni même en amorce, alors qu’il s’agit d’une scène de filature – seulement un
enchainement de champs et de contre-champs)
« Créer quelque chose qui n’a pas lieu /
Fabriquer avec des éléments disjoints »
(entretien avec Bruno Dumont au sujet du tournage
d’une séquence de P’tit Quinquin, 2014)
« Dans la cathédrale tous les acteurs jouent à l’aveugle, sans vis-à-vis. La scène
avec Christophe, on l’a même tournée bien après les autres. On travaillait par
axe, on prenait chaque acteur et on filmait tout son texte, mais en fait ils ne
parlent à personne. Ils doivent regarder un scotch bleu quand ils s’adressent à
Jeanne, et un scotch rouge quand ils s’adressent à un autre. Eux ils s’en
foutent, puisqu’ils ne sont pas acteurs, ils ne sont pas en demande d’un autre
acteur pour faire du ‘acting is reacting’ ou je ne sais quoi. Donc c’est un gain de
temps énorme quand vous avez un plan de travail qui réclame de faire 25 plans
par jour, ce qui est quasi impossible. A l’époque de La Vie de Jésus par
exemple, j’étais tellement collé à la psychologie que je n’aurais jamais pu faire
une chose pareille. Mais aujourd’hui, quand je fais ça sur Jeanne, j’en tire les
fruits au montage, pace qu’en filmant par axe, je casse la psychologie du
plateau. L’acteur n’est plus chargé psychologiquement par celui qui lui donne
la réplique, puisqu’il n’y en a pas. On n’a pas besoin de la vraie psychologie
pour faire de la psychologie représentée. »

« Le cœur de Jeanne. Entretien avec Bruno Dumont », in Cahiers du cinéma, n°758,


septembre 2019, p. 21
Shirin (Abbas Kiarostami, 2008)

Première version : Where is my Romeo (Abbas Kiarostami, 2007)


Collectif: Chacun son cinéma
« la bande image ne montre qu’une suite de plans rapprochés sur des visages de
femmes, regardant légèrement au-dessus de la ligne de notre regard. Elles sont
assises dans une salle de cinéma; derrière elles, on aperçoit d’autres spectateurs,
femmes et hommes. Des émotions variées passent sur leurs visages, tandis qu’on
entend le son du film que ces femmes regardent: une adaptation d’un célèbre
poème épique persan du XIIe siècle. En fait, comme l’a révélé le cinéaste, ces
actrices ne sont pas filmées dans une salle de cinéma, et encore moins, en train de
regarder l’histoire de Shirin. Le studio où a été tourné ce film comportait en tout
et pour tout six fauteuils, un au premier plan, deux derrière, trois plus loin,
suffisant à meubler le champ. Les actrices, au nombre de soixante et quelque,
avaient pour tâche de regarder, six minutes durant, une feuille de papier blanc
placée juste au-dessus de la caméra, en pensant à une histoire personnelle de leur
choix. Ce n’est qu’après coup que le cinéaste eut l’idée de les montrer en
contrepoint d’un récit sonore, qu’il réalisa avec des acteurs et de la musique,
comme s’il s’agissait d’une mise en scène pour le cinéma. Le montage a consisté à
chercher à chaque instant – comme une variante de l’expérience de Koulechov –
une correspondance émotionnelle plausible entre l’image d’une des actrices et ce
qui se passait sur l’écran imaginaire qu’elles sont censées regarder. »

Jacques Aumont, Fictions filmiques, Paris, Vrin, 2018, p. 98-99.


« Le modèle de cinéma est une personne sachant exécuter avec son corps (son
visage, ses bras, son torse, ses jambes) n’importe quel exercice à la demande
du réalisateur. Le réalisateur conçoit pour le travail du modèle des
combinaisons expressives, l’opérateur aide à mettre en valeur leur forme
plastique. C’est ainsi que doit se dérouler le travail sur chaque scène, de façon
organisée, régulière et harmonieuse. »

Lev Koulechov (1926), L’Art du cinéma et autres écrits (1917-1934), Lausanne, L’Age
d’Homme, 1994, p. 128.
Un héritier de Koulechov : Alfred Hitchcock « des gros plans qui étaient
statiques et qui n’exprimaient aucun sentiment du tout – des gros plans neutres »
(Koulechov)

« Paul Newman [dans Le Rideau déchiré/Torn Curtain (Alfred Hitchcock, 1963)]


est un acteur de la 'méthode', aussi ne sait-il pas se contenter de donner des
regards neutres, ces regards qui me permettent de faire le montage d’'une
scène. »
Alfred Hitchcock, Hitchcock/Truffaut, Paris, Gallimard, 1993, p. 266.
« A purely cinematic film » (Alfred Hitchcock)

« A mon avis, l’acteur dans un film doit être beaucoup plus souple, et en vérité il
ne doit absolument rien faire. Il doit avoir une attitude calme et naturelle – ce qui
n’est d’ailleurs pas si simple que cela – et il doit accepter d’être utilisé et
souverainement intégré au film par le metteur en scène et la caméra. Il doit
laisser à la caméra le soin de trouver les meilleurs accents et les meilleurs points
culminants. »
Alfred Hitchcock, in Hitchcock/Truffaut, édition définitive, Paris, Gallimard, 1993, p. 92.

« Dans Psycho, le sujet m’importe peu, les personnages m’importent peu ; ce qui
m’importe, c’est que l’assemblage des morceaux de film, la photographie, la bande
sonore et tout ce qui est purement technique pouvaient faire hurler le public. (…) Ce
n’est pas un message qui a intrigué le public, ce n’est pas une grande interprétation
qui a bouleversé le public, ce n’était pas un roman très apprécié qui a captivé le
public. Ce qui a ému le public, c’était le film pur. »
Alfred Hitchcock, in Hitchcock/Truffaut, édition définitive, Paris, Gallimard, 1993, p. 241.
Objectif: prouver que le cinéma « n’a rien à faire » « de la motivation
psychologique de la fable romanesque »
Adrian Piotrovski, « Vers une théorie des ciné-genres » (1927), in Poétique du
film. Textes des formalistes russes sur le cinéma, Lausanne, L’Âge d’Homme,
2008 p. 154
« on peut prouver par le montage qu’un acteur peut parfaitement ignorer
les raisons qui lui font éprouver douleur, joie, etc. et qu’au
cinématographe, l’expression d’un sentiment chez l’acteur ne dépend pas
des causes qui l’ont engendré. »

Lev Koulechov, L’art du cinéma et autres écrits, Lausanne, La Cité-L’Age


d’Homme, 1994, p. 46.
« Les multiples expériences de Koulechov consistaient essentiellement à
établir systématiquement les automatismes, les réactions réflexes des
spectateurs en présence des solutions de continuité dans le montage des films.
Elles vont toutes dans le sens d’une ‘cicatrisation’ imaginaire de l’espace
fractionné par le montage ; elles tendent toutes à montrer qu’il est impossible
de ne pas supposer un rapport (une contiguïté, un sens) entre deux images,
entre deux corps arbitrairement collés l’un à la suite de l’autre. »

Pascal Bonitzer, Le champ aveugle, Paris, Cahiers du cinéma, 1982, p. 28


• Usages et fonctions de l’effet Koulechov
Continuité temporelle : extérieurs (on location) / intérieurs (studios) – notion de
« géographie imaginaire » (Lev Koulechov, L’Art du cinéma, 1929)

• Hatari (Howard Hawks, 1960) – Hollywood – Tanzanie

• L’Ainé des Ferchaux (Jean-Pierre Melville, 1963) : le réalisateur obligé de


bricoler un film avec le matériel existant, tourné en studio en France avec les
deux vedettes (Belmondo et Vanel) qui interrompent le tournage avant la fin
suite à une brouille avec Melville : résultat, film tronqué, + ajouts de longs
plans des USA tournés sans les vedettes, qui n’ont jamais mis les pieds aux
USA, + voix-off de Belmondo, ajoutée en post-synchro.
Contiguïté spatiale (doublures):

– Raison de sécurité : éviter qu’un acteur ne se blesse dans une scène de combat – ex. Marlon
Brando et Lee Marvin dans L’Equipée sauvage (Laszlo Benedek, 1953)

– Raison de pudeur - Scènes de douche : Psychose (Hitchcock, 1960) / Pulsions (Brian de


Palma, 1980)
• Cf. le fantasme du jeune homme vis-à-vis de sa tante âgée dans Le Fantôme de la
liberté (Luis Buñuel, 1974)
• Une commodité de tournage : le petit garçon et la jeune fille nue dans Cashback (Sean
Ellis, 2006) : forcément tournés séparément.

– Raison de compétence performative :


• Doubler un acteur dont le personnage est censé être un pianiste d’exception : Les Mains
d’Orlac/ Orlacs Hände (Robert Wiene, 1925)
– Un contre-exemple: le pianiste virtuose espagnol José Iturbi dans Escale à
Hollywood (George Sidney, 1945)
• Doubler un acteur dont le personnage censé être un excellent danseur de boogie-
woogie: Vittorio Gassman dans Riz amer (Giuseppe De Santis, 1949) – la raison pour
laquelle un performer comme Fred Astaire imposait d’être filmé en pied et en plan
large, afin de valoriser l’exécution physique réelle d’une virtuosité d’évacuer la
suspicion du trucage
• Doubler un acteur qui joue un peintre : le corps de Michel Piccoli et les mains du
peintre Bernard Dufour La belle noiseuse (Jacques Rivette, 1990)
Les deux corps du peintre
Le tronc de Michel Piccoli et les mains de Bernard Dufour
La belle noiseuse (Jacques Rivette, 1990)
Générique de La belle noiseuse (Jacques Rivette, 1990)
Les cascadeurs ou doublures corps pour les scènes de nus : ex. chez De
Palma : début de Pulsions et procédé dévoilé à la fin de Body Double
(mise en abyme, le film dans le film)
• Dominique Fernandez, Eisenstein, Grasset, 1975, p. 79 : expérience
de Koulechov visant à créer une femme de toutes pièces (mythe de
Frankenstein appliqué au cinéma)
• renvoie à la formule de Dziga Vertov (1923) : « Je suis le ciné-œil.
A l’un je prends les bras, plus forts et plus adroits, à l’autre je
prends les jambes, mieux faites et plus véloces, au troisième la tête,
plus belle et plus expressive, et, par le montage, je crée un homme
nouveau, un homme parfait. » in Dziga Vertov, Articles, journaux,
projets, traduction et notes par Sylviane Mossé et Andrée Robel,
Paris, Cahiers du cinéma, 10/18, 1972, p. 30
Dans la scène de la douche de Psycho « ce n’est pas [Anthony Perkins] qui tire le rideau,
ce n’est pas lui qui assène les coups mortels car, au moment de ce tournage, il travaille à
Broadway sur la préparation d’une comédie musicale, Greenwillow. Cette anecdote
éclaire la logique du double et de la fêlure à l’œuvre dans l’ensemble du film. Cette
substitution amplifie également la logique du sublime puisque c’est en l’absence des deux
acteurs principaux qu’une partie des plans les plus significatifs du cinéma se tournent, le
rôle des doublures prenant ici une importance considérable. C’est la jeune cascadeuse
Margo Epper qui tire le rideau et donne les coups de couteaux. Elle incarne littéralement
Mother, portant vêtements et perruque. Elle est également grimée. Son visage est peint en
noir pour accroître l’inquiétante étrangeté de cette soudaine apparition. La construction
du film, entre tournage et montage, élabore un monde invisible. Les silhouettes ne sont
pas les acteurs, les visages ne sont pas perceptibles e le montage procède par
effondrement des repères. La place des doublures dans cette séquence ne vient pas
seulement alimenter une histoire des conditions de la réalisation. Elle nourrit la logique
du film. Le corps de Norman n’est pas sa personne. Le hasard des conditions du tournage
permet d’approfondir cette structure double et duelle. Il y a également une véritable
opération de montage des corps qui accompagne cette séquence. Trois corps incarnent
Marion Crane (Janet Leigh, Marli Renfro et Myra Davis) et deux corps pour Norma(n)
Bates (Margo Epper et Anthony Perkins qui revient à la fin de la séquence pour tout
nettoyer). De plus, pour porter la voix de Norma, ce sont trois voix qui ont été mixées
ensemble, celle de Paul Jasmin, de Virginia Gregg et de Jeanette Nolan. »
Sébastien Rongier, Alma a adoré. Psychose en héritage, Paris, Marest, 2019, p. 58-59.
Mise en abyme :
Une esthétique de la liaison et de la séparation : Stromboli
(Roberto Rossellini, 1950)
III. Un concept : le « Montage interdit »
« on pourrait poser en loi esthétique le principe suivant : ‘Quand
l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée
de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit.’ Il
reprend ses droits chaque fois que le sens de l’action ne dépend plus
de la contiguïté physique, même si celle-ci est impliquée. (…) Il faut
seulement que l’unité spatiale de l’événement soit respectée au
moment où sa rupture transformerait la réalité en sa simple
représentation imaginaire. » André Bazin, « Montage interdit » (p. 59).
« Albert Lamorisse l’a parfaitement compris dans la séquence de la chasse au
lapin où nous avons toujours simultanément, dans le champ, le cheval,
l’enfant et le gibier (…) mais il n’est pas loin de commettre une faute dans
celle de la capture de Crin Blanc, quand l’enfant se fait traîner par le cheval
au galop. Il n’importe pas alors que l’animal que nous voyons de loin traîner
le petit Folco soit le faux Crin Blanc, pas même que pour cette opération
périlleuse Lamorisse ait lui-même doublé le gamin, mais je suis gêné qu’à la
fin de la séquence quand l’animal ralentit puis s’arrête, la caméra ne montre
pas irréfutablement la proximité physique du cheval et de l’enfant. Un
panoramique ou un travelling arrière le pouvait. Cette simple précaution eut
authentifié rétrospectivement tous les plans antérieurs, tandis que les deux
plans successifs de Folco et du cheval, en escamotant une difficulté devenue
pourtant bénigne à ce moment de l’épisode, viennent rompre la belle fluidité
spatiale de l’action (…) Par exemple, Lamorisse pouvait montrer ainsi qu’il
l’a fait, en gros plan, la tête du cheval se retournant vers l’enfant comme
pour lui faire obédience, mais il aurait dû, dans le plan précédent, lier par le
même cadre les deux protagonistes. »

André Bazin, « Montage interdit », p. 56-59


Crin-Blanc (Albert Lamorisse, 1953)
« Valeur de récit » vs « valeur de réalité » (p. 58)

« De Ballon rouge, au contraire, je constate et vais démontrer qu’il ne doit et


ne peut rien devoir au montage. Ce qui ne laisse pas d’être paradoxal, étant
donné que le zoomorphisme conféré à l’objet est encore plus imaginaire que
l’anthropomorphisme des bêtes. Le ballon rouge de Lamorisse en effet
accomplit réellement devant la caméra les mouvements que nous lui voyons
accomplir. Il s’agit bien entendu d’un truquage, mais qui ne doit rien au
cinéma comme tel. L’illusion naît ici, comme dans la prestidigitation, de la
réalité. Elle est concrète et ne résulte pas des prolongements virtuels du
montage. »

André Bazin, « Montage interdit », p. 53


Nanouk l’esquimau/Nanook of the North (Robert J. Flaherty, 1922) : « il serait
inconcevable que la fameuse scène de la chasse au phoque dans Nanouk ne
nous montre pas, dans le même plan, le chasseur, le trou, puis le phoque. »
(André Bazin, « Montage interdit », p. 59)
Le Cirque (Charles Chaplin, 1928)

« Si le burlesque a triomphé avant Griffith et le montage, c’est que la plupart


des gags relevaient d’un comique de l’espace, de la relation de l’homme aux
objets et au monde extérieur. Chaplin, dans Le Cirque [Chaplin, 1928], est
effectivement dans la cage du lion et tous les deux sont enfermés ensemble
dans le cadre de l’écran. »
André Bazin, « Montage interdit »
« Le mal, pour Bazin, c’est l’effet Koulechov, c’est-à-dire la forme la plus basse
de la croyance réaliste, la réalité au meilleur compte, tant pour le réalisateur que
pour les spectateurs. L’effet Koulechov, c’est le plus petit commun dénominateur
entre la passivité béate du spectateur et la paresse créatrice du réalisateur. C’est le
principe d’inertie du cinéma. L’effet Koulechov viole l’ambiguïté du réel, il lui
injecte de force une causalité unilatérale (...) L’effet Koulechov, c’est moins le
cinéma soviétique que le cinéma américain, c’est le cinéma du découpage, du
champ-contrechamp et du raccord dans l’axe: tout ce qui produit un semblant de
réalité à partir de la pente la plus basse, celle de la synthèse perceptive
automatique. C’est cette croyance naïve, automatique du public moyen en la
réalité continue des événements partiels et discontinus raccordés par le montage
qui semble à Bazin dangereuse, propice à toutes les manipulations mercantiles,
pornographiques ou politiques. »

Pascal Bonitzer, « Les morceaux de réalité », in Le champ aveugle, Essais sur le


cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, Gallimard, 1982, p. 126
IV. Le montage, essence du cinéma ?
– « Le moyen de reproduction du cinéma était la photo qui
bougeait, mais son moyen d’expression, c’est la succession des
plans. » André Malraux, « Esquisse d’une psychologie du
cinéma », in Denis Marion, Le cinéma selon André Malraux,
Paris, Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1996, p. 72.

– « (…) le ‘plan’ isolé n’est même pas un petit morceau de


cinéma ; il n’est que matière première, photographie du monde
réel. On ne dépasse la photo pour le cinéma, le décalque pour
l’art, que par le montage. » Christian Metz, « Le cinéma :
langue ou langage ? », in Communications, n°4, 1964, p. 53.
« Un art ne parvient à maturité que lorsqu’il tire ses effets de ses seules
ressources, en l’occurrence le montage des photogrammes. »
Clélia et Eric Zernik, L’attrait des cafés, Crisnée, Yellow Now, 2017, p. 39

« les lois spécifiques du cinéma, qui sont celles du montage »


Adrian Piotrovski [1927], « Vers une théorie des ciné-genres », in Poétique du
film. Textes des formalistes russes sur le cinéma, Paris, Nathan, 2008, p. 145
« la vraie différence entre le théâtre et le cinéma (…) c’est que, au théâtre, on
est entre les mains des acteurs. La représentation, elle se déroule que je sois là
ou pas, et je ne peux pas intervenir, même si je faisais des grands gestes en
coulisses comme je faisais quand j’étais jeune, ça ne changera rien du tout, ça
ne servira qu’à les déconcentrer. Alors qu’ils sont dans mes mains au montage,
puisque je peux couper, je peux retirer, je peux même allonger les temps qu’ils
prennent, je peux les montrer dans une autre dimension que celle qu’ils
imaginaient, eux. »

Patrice Chéreau, in Frédéric Sojcher, La direction d’acteur, Rocher, 2008, p.


59.
« Si le metteur en scène n’a pas la matière avec l’acteur au départ, il aura du
mal à monter son film. Mais là où il est le plus actif, le plus créateur, c’est
surtout au moment du montage. Il y trouve sa véritable écriture, son rythme.
Kieslowski disait qu’il n’aimait pas le temps du tournage, mais que celui du
montage était son royaume, sa patrie… »

Juliette Binoche, entretien avec Yann Tobin, Positif, n°699, mai 2019, p. 32.
« La jouissance que j’essaie d’atteindre, c’est le montage. Je ne suis pas
malheureux quand j’écris, mais ce n’est pas la fête. Tu es tout seul avec un
ordinateur. Le tournage, c’est beaucoup de responsabilités et ça carbure à plein
pot. La vraie jouissance, c’est quand tu fabriques le film au montage. (…) le
vrai réalisateur d’un film, c’est le monteur (…) En vrai, je ne suis pas un
réalisateur. Je suis un auteur, c’est certain. La réalisation, c’est gérer les gens.
Je trouve ça super, j’aime bien les caméras, j’ai cette excitation de faire la
lumière et de découvrir les rushes. Mais c’est le monteur qui fait le film.
Quand je coupe, je sais que c’est bon. Quand je décide de changer de plan,
c’est parce que j’ai déjà imaginé comment ça va s’imbriquer. Mes meilleures
idées viennent des envies de montage. »

Quentin Dupieux, in Cahiers du cinéma, n°756, juin 2019, p. 53.


Nuances
1/ pour certains théoriciens ou cinéastes, le montage ne serait
pas l’essence du cinéma
André Bazin affirme que l’écran large, « après, et mieux que la profondeur de
champ (…) vient détruire définitivement le montage comme élément majeur du
discours cinématographique (…) montage dans lequel on a voulu voir à tort
l’essence du cinéma est en effet relatif à l’exiguïté de l’image classique
condamnant le metteur en scène au morcellement de la réalité. »
André Bazin, « Fin du montage », Cahiers du Cinéma n°31, janvier 1954.

« L’expression de la durée concrète est évidemment contrariée par le temps abstrait


du montage. »
André Bazin, « Montage interdit » (1953), in Qu’est-ce que le cinéma, p. 61.

« (…) il est des cas où, loin de constituer l’essence du cinéma, le montage en est la
négation. La même scène, selon qu’elle est traitée par le montage ou en plan
d’ensemble, peut n’être que de la mauvaise littérature ou devenir du grand cinéma. »
André Bazin, « Montage interdit » (1953), in Qu’est-ce que le cinéma, p. 59.

« La spécificité cinématographique (…) réside au contraire dans le simple respect


photographique de l’unité de l’espace. »
André Bazin, « Montage interdit » (1953), in Qu’est-ce que le cinéma, p. 55.
Le scénario, essence du cinéma?

•« Beaucoup de gens pensent pouvoir faire un film sur un banc de montage.


Or, le seul ancrage que l’on ait sur une production, c’est le scénario. Si le
scénario est bon, si les acteurs sont avec vous, vous n’avez besoin de rien
d’autre. On peut aider un film au moment du montage mais on ne le sauve pas
de la noyade. » Michael Cimino, in Jean-Baptiste Thoret, Michael Cimino.
Les voix perdues de l’Amérique, Paris, Flammarion, 2013, p. 120.

•L’Atelier d’Alain Resnais (François Thomas, 1997)

•« La valeur d’un film vient à 90% de son script et de son interprétation –


Killer Joe n’existerait pas sans le scénario de Tracy Letts. Les 10% restants
sont à partager entre le directeur de la photo, le monteur, le chef déco. Le
metteur en scène contribue peut-être un peu à tout ça, mais en réalité,
n’importe qui peut réussir un film à partir d’un bon script. » William
Friedkin, in Première, n°427, septembre 2012, p. 104.
Andreï Tarkovski

– « Je ne peux être d’accord avec ceux qui prétendent que le montage est
l’élément déterminant du film. Autrement dit, que le film serait créé sur
une table de montage, comme l’affirmaient dans les années 20 les
partisans du ‘cinéma de montage’, Koulechov, Eisenstein. » (p. 136)
– « Ma conviction profonde est que l’élément fondateur du cinéma
est le rythme, et non le montage comme on a tendance à le croire. » (p.
142)
– « On peut ainsi facilement s’imaginer un films sans acteurs, sans
musique, sans décors, et même sans montage. Mais il serait impossible
d’envisager une œuvre cinématographique privée de la sensation du
temps qui passe. » (Andreï Tarkovski, Le temps Scellé, Paris, Philippe
Rey, 2014, p. 135)
Le rythme, spécificité de l’art cinématographique

• « Ma conviction profonde est que l’élément fondateur du cinéma est le


rythme » (Tarkovski)

• « Le rythme cinématographique va rapidement s’imposer comme le foyer


théorique de l’époque, qui comprend que c’est vers lui que convergent
toutes les réflexions menées sur le mouvement, la vitesse, l’énergie. (…) le
rythme fonctionne bien comme la clause artistique du cinéma – le cinéma
est un art parce qu’il parvient à formuler une esthétique du rythme qui le
rapproche de la poésie ou de la musique – (…) Le rythme affecte aussi bien
la composition des images que leur succession qui demande que soient
prises en compte la valeur plastique de chacune et la mesure de leurs
rapports. » Luc Vancheri, Le cinéma ou le dernier des arts, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2018, p. 17-18.

• Laurent Guido, L’âge du rythme, Lausanne, Payot, 2007.


• Mais nuance chez Tarkovski, où le montage est néanmoins considéré
comme révélateur de l’écriture du réalisateur et de sa conception du monde:

« Pour autant que le sens du temps, chez un auteur, s’intègre réellement à sa


perception de la vie, et que la pression rythmique à l’intérieur des morceaux
montés dicte le choix de ses raccords, le montage révèle l’écriture du
réalisateur. Il exprime son attitude à l’égard de l’idée de base du film, il est la
représentation ultime de sa conception du monde. Je pense qu’un réalisateur
qui monte ses films avec facilité et de façons variées est superficiel. On
reconnaitra toujours le montage d’un Bergman, d’un Bresson, d’un
Kurosawa ou d’un Antonioni. Il est impossible de les confondre, car la
perception que chacun a du temps, et qui s’exprime dans le rythme de ses
films, est toujours la même. Quant aux films hollywoodiens, ils ont tous l’air
d’avoir été montés par le même individu, tant ils sont indistincts du point de
vue de leur montage… » (Tarkovski, p. 146).
2/ le montage se retrouve dans d’autres formes d’art

• « Le montage existe à l’évidence dans n’importe quel art, comme la


conséquence de la sélection et de l’assemblage que doit opérer l’artiste, et sans
lesquels aucun art n’existerait. » (Andreï Tarkovski, Le temps Scellé, Paris,
Philippe Rey, 2014, p. 142)

• bibliographie: Sylvie Coëllier (dir.), Le montage dans les arts aux XXème et
XXIème siècles, Publications de l’Université de Provence, 2008
(Luc Vancheri, La Grande illusion. Le musée imaginaire de Jean Renoir, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2015, p. 93)
« Si le montage cinématographique s’est effectivement imposé comme la raison poétique d’une
toute nouvelle économie de l’image, il n’est pourtant pas demeuré limité au domaine
cinématographique. On en retrouve l’idée dans les pratiques compositionnelles des philosophes
(Benjamin), des artistes (Rodtchenko), des écrivains (Burroughs) ou des historiens (Warburg) :
dans tous les cas le montage active l’image sous de nouveaux rapports qui la requalifient
structurellement. »
Luc Vancheri, « L’énergie des images », in Luca Acquarelli (dir.), Au prisme du figural. Le sens des
images entre forme et force, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2015, p.
172.

« Sous des espèces variables, auxiliaires ou cardinales, le montage bouleverse l’ordre poétique des
arts et s’impose dans le champ de la pensée comme une méthode de connaissance par l’image. Le
montage cinématographique n’est plus seul : Schwitters, Picabia ou Picasso pour la peinture et la
sculpture, Hausmann, Heartfield ou Rodtchenko pour la photographie, Meyerhold, Piscator ou
Wangenheim pour le théâtre, tous d’une manière ou d’une autre ont recours à la technique du
montage, qui tient désormais un rôle décisif dans la formation de toute pensée de l’image. »
Luc Vancheri, La Grande illusion. Le musée imaginaire de Jean Renoir, Villeneuve d’Ascq, Presses
universitaires du Septentrion, 2015, p. 93.

« Des photomontagistes (Hannah Höch, John Heartfield, Alexander Rodtchenko, Raoul


Hausmann), des plasticiens (El Lissitzky, Moholy-Nagy), des écrivains (Döblin et Alexanderplatz),
des dramaturges (Brecht), voire des critiques comme Bataille (et Documents) et bien sûr Warburg
et sa Mnemosyne, partageaient un goût pour le montage comme procédé d’élaboration, dont ils
cultivaient le pouvoir de maintenir dissociés les éléments qu’il rassemble. »
Jacques Aumont, Montage « la seule invention du cinéma », Paris, Vrin, 2015, p. 74.
Andrei Tarkovski, bazinien

Evolution de la conception du montage chez les cinéastes soviétiques contre le


cinéma de montage des cinéastes des années vingt (Koulechov, Eisenstein) qui
« prive le spectateur de la possibilité de ressentir à sa manière ce qu’il voit à
l’écran », et dans la mesure où « l’auteur engage une véritable offensive contre le
spectateur, lui imposant sa propre attitude devant les événements » (Andreï
Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Editions Philippe Rey, 2014, p. 141)

« viol du spectateur » (Tarkovski, p. 145)

« Le montage n’est, au bout du compte, que la variante idéale d’un collage de


plans contenue a priori à l’intérieur du matériel filmé. Monter un film de manière
juste, correcte, signifie ne pas rompre le lien organique entre certains plans et
certaines séquences, comme si le montage y était contenu à l’avance, comme si
une loi intérieure régissait ces liens, et en fonction de laquelle nous avions à
couper et à coller. » (Tarkovski, p. 137-138)

« Le montage, en tant que tel, n’engendre pas quelque qualité nouvelle, mais ne
fait que révéler ce qui existait déjà dans les plans à monter. » (Tarkovski, p. 142)
Jacques Rivette, tarkovskien (ou Tarkovski rivettien, puisque les deux
cinéastes sont de la même génération et débutent leur carrière au même
moment au début des années 60)

« Il y a un paradoxe, et violent, à chercher dans le montage même des films un


sens qu’on n’aura pas maitrisé, ou pas maitrisé absolument (…) Le grand
défenseur de ce montage ‘sans maître’, on le sait fut Jacques Rivette, qui
déclarait par exemple (à propos de L’Amour fou, 1968) : ‘La seule idée que
j’avais pendant le montage, c’est qu’il existait certaines choses qui avaient été
filmées, de la pellicule, et que le montage consistait non pas à savoir ce qu’on
avait voulu dire, mais ce que cette pellicule disait par soi-même, et qui n’avait
peut-être aucun rapport avec ce qu’on avait prévu.’ [Rivette, ‘le temps déborde’,
entretien, Cahiers du cinéma, n°204, septembre 1968, p. 13] »

Jacques Aumont, L’attrait de l’oubli, Crisnée, Yellow Now, 2017, p. 51.


David Lynch, tarkovskien :

« - Au montage, est-ce que vous avez déplacé des séquences d’un épisode à
l’autre ?
- Au début, j’ai expérimenté des choses comme ça, mais au final, non, rien
n’a été déplacé. Je crois d’ailleurs que rien n’a été coupé au montage. Tout ce
qui a été tourné est dans la série. C’est très curieux. Tout a trouvé sa place.
Etrangement, j’ai l’impression que c’est comme si tout existait avant. Comme
un puzzle qui avait été complètement assemblé dans une autre pièce, et qu’il
faut maintenant assembler dans cette pièce. Vous recevez des pièces, vous ne
savez pas ce que c’est, et petit à petit tout s’assemble. »
« Mystery Man. Entretien avec David Lynch », Cahiers du cinéma, n°739,
décembre 2017, p. 14
IV. Montage alterné/montage parallèle

[cf. texte Griffith – ciné-genre films d’aventure]


V. Un concept (2) : La théorie du montage selon
Eisenstein

[cf. texte cinéma muet soviétique]

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