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La question

de l’auteur
Cours du 21.10.21
C. Damour
Bibliographie indicative

• De BAECQUE Antoine, Les Cahiers du cinéma. Histoire d’une revue,


tome 1, Paris, Cahiers du cinéma, 1991.
• DELORME Stéphane, « Le style et le geste », Cahiers du cinéma, n°687,
mars 2013, p. 5.
• GAUTHIER Christophe, VEZYROGLOU Dimitri (dir.), L’auteur de
cinéma, histoire, généalogie, archéologie, Paris, AFRHC, 2014.
• TRUFFAUT François, « Ali Baba et la Politique des auteurs », Cahiers du
cinéma, n°44, février 1955.
• Table ronde avec Olivier Assayas, Claire Denis, Bruno Dumont et Daniel
Deshays - « L’auteur, le cinéaste, le collectif : qui fait œuvre? » (Centre
Pompidou, 4 décembre 2008)
http://ouvalecinema.centrepompidou.fr/?p=47
La question de l’auteur – définitions et approches

• Juridique : droits d’auteur ; propriété intellectuelle


• Théorique, ontologique :
– Artiste contre commerçant
– Artiste contre artisan, exécutant, « tâcheron »
– Critères du statut voire de la qualité artistique, de l’expression personnelle, de la liberté
créatrice
– Une notion au service d’un concept : la « politique des auteurs »
– Auteur individuel vs auteur collectif
– Europe vs Hollywood
• Esthétique : l’auteur a un style
• Catégorie socio-culturelle : le film d’auteur
– Question du genre
– Question de réception et de valorisation : festivals, etc.
La métaphore de l’artisan

« L’industrie au service de l’artisanat, tel devrait être au fond le paradoxe du


cinéma. Quand des hommes comme Bresson, comme Giraudoux, comme le
musicien Grünenwald et comme l’opérateur Agostini travaillaient à la
réalisation des Anges du péché, ils l’ont fait avec amour, comme des ébénistes
qui construisent un beau meuble. J’attends avec impatience la prochaine
planche qu’il plaira à Bresson de raboter. »

Anonyme, « Enquête sur le cinéma français », Je suis partout, 10 septembre


1943, in Bresson par Bresson. Entretiens 1943-1983, Paris, Flammarion, 2013,
p. 27
• Actualités
« le gommage des cinéastes sur les fiches signalétiques invite à se demander ce
qu’est au juste un auteur dans l’esprit des nababs du streaming » (p. 32)

Yal Sadat, « Y a-t-il des auteurs dans l’avion? », Cahiers du cinéma, n°774,
mars 2021, p. 32-34.
Actualité 2019

« une œuvre d’une grande


rigueur », « la politique
d’un auteur » : René Clair

https://www.cinematheque.fr/
cycle/rene-clair-507.html
-
• «
Actualités scientifiques

• Colloque : « A History of Cinema without Names », University of Udine


(Italy), March 18-20, 2015.

• Journée d’études : « DE LA POLITIQUE DES AUTEURS (CINÉMA) À


LA MISE EN QUESTION DE L’AUTEUR (CINÉMA &
AUDIOVISUEL) » / Université Paul-Valéry – EA 4209 : RIRRA 21 -
Programme de recherche : actualité esthétique du cinéma et de
l’audiovisuel / Jeudi 21 avril 2016
Actualité critique
Politique du film, « génie du système » (Bazin) vs politique des
auteurs (Truffaut) et « génie de Hawks » (Rivette)
« En recevant la Palme d’or des mains des frères Coen, Jacques Audiard, tout
en jouant l’humilité, savait que nul ne lui contesterait le droit d’être là tant son
triomphe dépassait le simple goût du jury pour son nouveau film, Dheepan.
(…) Pourtant Dheepan avait été reçu sans vibration particulière sur la
Croisette, comme une sorte de film mineur, ne jouant pas au chef-d’œuvre :
aussi, gagner avec un film présumé secondaire dans l’œuvre ne fait
qu’asseoir la sature de son auteur, récompensé pour lui-même au moins
autant que pour son nouveau long métrage. (…) La Palme à Dheepan (…)
laisse l’impression que le film n’a pas été vu pour ce qu’il est (…) mais
qu’il a été mangé par l’ombre de la puissance de l’auteur Audiard, et des
super-auteurs du cinéma contemporain en général, qui, de Haneke à
Audiard, de Nuri Bilge Ceylan à Sorrentino, semblent faire la queue au
guichet de la gloire, attendant chacun leur tour et plus ou moins
patiemment la consécration – et qu’importe le film. » Jean-Philippe Tessé,
« Audiard, la Palme c’est son genre », Cahiers du cinéma, n°712, juin 2015, p.
9.
Alain Cavalier (Jean-Pierre Limosin, 1995)
Le rapprochement du cinéaste avec le musicien, le peintre, le romancier, le
sculpteur et le philosophe

« Il y a plusieurs façons de faire des films. Comme Jean Renoir et Robert


Bresson qui font de la musique. Comme Serge Eisenstein qui faisait de la
peinture. Comme Stroheim qui écrivait des romans parlants à l’époque du
muet. Comme Alain Resnais qui fait de la sculpture. Et comme Socrate, je
veux dire Rossellini, qui fait tout simplement de la philosophie. (…) Les
malentendus viennent souvent de cette vérité qu’on oublie. On reprochera par
exemple à Renoir d’être mauvais peintre alors que personne n’irait dire ça de
Mozart. On reprochera à Resnais d’être mauvais romancier alors que
personne ne songerait à le dire de Giacometti. »
Jean-Luc Godard, Cahiers du cinéma, n°159, octobre 1964, p. 13-14.
-
-
« Je choisis moi-même le figurant le moins important, même le visage de ces
figurants qui se tiennent au milieu d’une foule et qui ne seront pas visibles
à la projection. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Pardonnez-
moi, mais demanderiez-vous à un peintre si quelqu’un d’autre que lui
choisit la couleur de son tableau ? Demanderiez-vous à un écrivain qui a
choisi les adjectifs et les adverbes de sa dernière œuvre ? »
Federico Fellini, in Tay Garnett, Portraits de cinéastes – Un siècle de cinéma
raconté par 42 metteurs en scène du monde entier, présenté et traduit par
Thierry de Navacelle, Paris, 5 Continents, Hatier, 1981, p. 109.
La légitimité de la peinture: vers une équivalence cinéaste-peintre

- exemple : le générique du Train/The Train (John Frankenheimer, 1964)


La légitimité de la littérature:
vers une équivalence cinéaste-poète

Alexandre Astruc
et la Caméra-stylo (1948)

« Le cinéma est en train tout simplement de devenir un moyen d’expression, ce


qu’ont été tous les autres arts avant lui, ce qu’ont été en particulier la peinture
et le roman. Après avoir été successivement une attraction foraine, un
divertissement analogue au théâtre de boulevard, ou un moyen de conserver les
images de l’époque, il devient peu à peu un langage. Un langage, c’est-à-dire
une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée,
aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est
aujourd’hui de l’essai ou du roman. C’est pourquoi j’appelle ce nouvel âge du
cinéma celui de la Caméra-stylo. »
« (…) les douanes ont saisi tout mon journal filmé de New York et mon
journal filmé européen que j’avais avec moi pour travailler. Cela revient
exactement à saisir les carnets de voyage d’un écrivain – mes films sont des
carnets de voyage. » Jonas Mekas, « La police de New York saisit mon journal
filmé » (29 juin 1967), in Ciné-Journal, un nouveau cinéma américain (1959-
1971), Paris, Paris Expérimental, 1992, p. 254.

Ulysse (« cinécrit » par Agnès Varda, 1982)

Les carnets filmés de Gérard Courant

Un « poème cinégraphique » : Brumes d’automne (Dimitri Kirsanoff, 1928)


• Un film doit être « aussi personnel qu’une empreinte digitale » François
Truffaut, « Vous êtes tous témoins dans ce procès. Le cinéma français
crève sous les fausses légendes », Arts, 15 mai 1957.
– Formule reprise à propos de l’écrivain dans L’Homme qui aimait les
femmes (François Truffaut, 1977) : « Chaque livre est différent et
exprime la personnalité de son auteur. Chaque page, chaque phrase de
n’importe quel écrivain lui appartient en propre. Son écriture lui est
aussi personnelle que ses empreintes digitales. »

• « On reconnait parfois les cinéastes qui bâtissent une œuvre à leur


propension à traiter des sujets fort éloignés les uns des autres, à investir des
lieux dissemblables, et à s’approprier les codes de genres préétablis tout en
installant, d’un film à l’autre, des passerelles, des concordances de style et
de figures. » Grégory Valens, « Un homme très recherché. Mélancolie de
l’espionnage », Positif, n° 643, septembre 2014, p. 42.
• « Bien que nombre de critiques jugent un film de façon isolée, comme si le
réalisateur n’avait jamais rien fait avant, aujourd’hui, d’autres plus sérieux
s’efforcent de considérer un film comme le véhicule de la pensée de son
auteur, comme une nouvelle variation sur des thèmes qui lui sont chers. »
Pauline Kael (1967), in Chroniques américaines, Sonatine, 2010, p. 25.
• Texte fondateur : François Truffaut, « Ali Baba et la Politique des
auteurs », Cahiers du cinéma, n°44, février 1955.
– Tuffaut se base sur la phrase de Giraudoux : « Il n’y a pas d’œuvre, il
n’y a que des auteurs ».
– Un « volontarisme appliqué à l’amour d’un cinéaste » (Antoine de
Baecque, Les Cahiers du cinéma. Histoire d’une revue, tome 1, Paris,
Cahiers du cinéma, 1991, p. 148) : « Il faut aimer Fritz Lang » (Cahiers
du cinéma, n°31, janvier 1954, p. 52)
• Renoir, Hitchcock, Lang, Hawks, Rossellini, Welles, Bunuel (mais pas Wellmann,
ni Zinnemann, ni Autant-Lara).
Politique des auteurs vs politique des films

« Je ne crois pas aux bons et aux mauvais films je crois aux bons et aux
mauvais metteurs en scène. Il est possible qu’un cinéaste médiocre ou très
moyen réussisse un film de temps à autre, mais cette réussite ne compte pas
(…) Un metteur en scène possède un style que l’on retrouve dans tous ses
films, et ceci vaut pour les pires cinéastes et leurs pires films. Les différences
d’un film à l’autre, un scénario plus ingénieux, une meilleure photo, je ne sais
quoi, n’ont pas d’importance, car ces différences tiennent justement à cet
apport de l’extérieur, plus ou moins d’argent, un plus ou moins long temps de
tournage. L’essentiel est qu’un cinéaste intelligent et doué demeure intelligent
et doué quel que soit le film qu’il tourne. Je suis donc partisan de juger,
lorsqu’il s’agit de juger, non des films mais des cinéastes. Je n’aimerai jamais
un film de Delannoy, j’aimerai toujours un film de Renoir. »
François Truffaut, « Vous êtes tous témoins dans ce procès. Le cinéma français
crève sous les fausses légendes », Arts, 15 mai 1957.
« Welles est décidément l’un des cinq ou six auteurs de l’écran mondial dignes
de ce nom – l’un des cinq ou six qui portent en eux une vision du monde. Il
arrive le plus souvent qu’ils soient intégralement auteurs : auteurs du scénario,
auteurs de la mise en scène. Il arrive aussi – comme pour John Ford – qu’ils
parviennent, à travers le scénario des autres, à exprimer leur propre
univers. »
André Bazin, cité par Jean-Charles Tacchella, Roger Thérond, Les Années
éblouissantes, 1945-1952, Paris, Filipacchi, 1988, p. 30, cité dans Antoine De
Baecque, Cahiers du cinéma, histoire d’une revue, tome 1 – A l’assaut du
cinéma, 1951-1959, 1991, p. 148
• Andrew Sarris, critique à Village Voice et Film Culture
(textes fondateurs : « Notes on the auteur theory in
1962 », Film Culture, 21, hiver 1962 et The American
Cinema: Directors And Directions 1929-1968, New
York, Dutton – panthéon de 14 cinéastes, parmi lesquels
John Ford, Griffith, Hawks, Buster Keaton, Orson
Welles, Fritz Lang, Lubitsch, Murnau, Ophuls,
Sternberg, Chaplin, Hitchcock et Renoir)
– 3 critères de l’autorité : technique, stylistique et artistique
– Une expérience auteuriste extrême en France : les “Macmahoniens” :
groupe de jeunes critiques parisiens se réunissant au cinéma “Mac
Mahon”, emmenés par Michel Mourlet, autour de la revue Présence du
cinéma, et qui ont établi un “carré d’as” très strict pratiquant une mise
en scène pure : Raoul Walsh, Otto Preminger, Joseph Losey et Fritz
Lang (uniquement période américaine); et rejetaient vigoureusement
Rossellini ou Welles, pourtant défendus par la politique des auteurs.
• Biblio : Michel Mourlet, Sur un art ignoré. La Mise en scène
comme langage, Henri Veyrier, 1987.
Le cinéaste, un artiste
Le chef-d’œuvre « ressortira de l’exaltation de l’auteur. Cet auteur, dans le
cinéma, peut être l’acteur, l’écrivain ou le metteur en scène. Personnellement,
je crois que ce devrait être le metteur en scène. Il est le seul qui puisse modeler
le film en en pétrissant tous les éléments, comme un sculpteur pétrit la terre
glaise. »
Jean Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 75
Années 20 : une querelle terminologique pour nommer le nouvel artiste de
l’écran
• Delluc (cinéaste) vs Canudo (écraniste)

– « cinégraphie », « cinéologue », « cinéphilie » (Germaine Dulac,


L’Echo de Paris, 15 avril 1922, in Germaine Dulac, « Chez D.W.
Griffith », Cinéa, juin 1921, in Germaine Dulac, Ecrits sur le cinéma
(1919-1937), Paris, Editions Paris Expérimental, 1994, p. 26) ;
remplace « metteurs en scène » par « auteurs cinégraphiques » Dulac,
Mon ciné, 25 octobre 1923, in Germaine Dulac, Ecrits sur le cinéma
(1919-1937), Paris, Editions Paris Expérimental, 1994, p. 28
Bresson, Bach, Vinci et Tolstoï
Tempo di Viaggio (Andrei Tarkovski, Tonino Guerra, 1983)
« (…) le cinéma, comme tout autre art, reste un art d’auteur. Le réalisateur,
certes, peut s’enrichir immensément au contact de ses collaborateurs, mais
seule sa pensée donne au film son unité finale. Il n’y a que ce qui filtre à
travers le prisme de la vision subjective de l’auteur qui devient le matériau de
création et qui peut former un monde complexe, unique, un reflet de la vie
réelle. Tout remettre ainsi entre les mains d’une seule personne n’enlève rien à
la contribution de ceux qui ont participé à la création du film. Mais même dans
ce rapport de dépendance, l’enrichissement véritable n’est possible que si le
réalisateur fait une sélection dans l’apport des participants. Sinon, c’est
l’intégrité du film qui est atteinte. »
Andreï Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Editions Philippe Rey, 2014, p. 42-
43.
« Les mauvais cinéastes (c’est triste pour eux) n’ont pas d’idées. Les bons
cinéastes (c’est leur limite) en ont plutôt trop. Les grands cinéastes
(surtout les inventeurs) n’en ont qu’une. Fixe, elle leur permet de tenir la
route et de la faire passer au milieu d’un paysage toujours nouveau et
intéressant. »
Serge Daney, Ciné journal. 1981-1986, Paris, Editions Cahiers du cinéma,
1986, p. 172.
Auteurs complets

Richard Wagner, Opéra et drame (1852), tome


2, Paris, Editions d’aujourd’hui, 1982:
– L’auteur de l’opéra ne peut être qu’une seule
personne, le compositeur (ni le musicien, ni le
librettiste)
• Ricciotto Canudo espère l’avènement d’un
« Wagner de l’écran capable d’être tout à la
fois » (« L’esthétique du septième art », Le
Film, n°180, avril 1921)
« Le maître des maîtres, l’auteur des auteurs reste pour moi Charlie
Chaplin. Dans ses films, il a tout fait, scénario, mise en scène, production,
interprétation et même la musique. Nous sommes loin du melon découpé
en tranches. Ses films sont non seulement de parfaits exemples d’unité,
mais toute son œuvre est une. Paradoxalement, on peut dire que Chaplin
n’a fait qu’un seul film et que chaque facette de ce film unique n’est qu’un
acte différent de la même profession de foi. »
Jean Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 187.
Le montage comme révélateur de l’écriture du réalisateur et de sa conception
du monde:

« Pour autant que le sens du temps, chez un auteur, s’intègre réellement à sa


perception de la vie, et que la pression rythmique à l’intérieur des morceaux
montés dicte le choix de ses raccords, le montage révèle l’écriture du
réalisateur. Il exprime son attitude à l’égard de l’idée de base du film, il est la
représentation ultime de sa conception du monde. Je pense qu’un réalisateur
qui monte ses films avec facilité et de façons variées est superficiel. On
reconnaitra toujours le montage d’un Bergman, d’un Bresson, d’un
Kurosawa ou d’un Antonioni. Il est impossible de les confondre, car la
perception que chacun a du temps, et qui s’exprime dans le rythme de ses
films, est toujours la même. Quant aux films hollywoodiens, ils ont tous l’air
d’avoir été montés par le même individu, tant ils sont indistincts du point de
vue de leur montage… » (Andreï Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Editions
Philippe Rey, 2014, p. 146).
Rappels

• « [les acteurs] sont dans mes mains au montage, puisque je peux couper, je peux retirer,
je peux même allonger les temps qu’ils prennent, je peux les montrer dans une autre
dimension que celle qu’ils imaginaient, eux. » Patrice Chéreau, in Frédéric Sojcher, La
direction d’acteur, Rocher, 2008, p. 59.
• « Si le metteur en scène n’a pas la matière avec l’acteur au départ, il aura du mal à
monter son film. Mais là où il est le plus actif, le plus créateur, c’est surtout au moment
du montage. Il y trouve sa véritable écriture, son rythme. Kieslowski disait qu’il
n’aimait pas le temps du tournage, mais que celui du montage était son royaume, sa
patrie… » Juliette Binoche, entretien avec Yann Tobin, Positif, n°699, mai 2019, p. 32.
• « La jouissance que j’essaie d’atteindre, c’est le montage. Je ne suis pas malheureux
quand j’écris, mais ce n’est pas la fête. Tu es tout seul avec un ordinateur. Le tournage,
c’est beaucoup de responsabilités et ça carbure à plein pot. La vraie jouissance, c’est
quand tu fabriques le film au montage. (…) le vrai réalisateur d’un film, c’est le
monteur (…) En vrai, je ne suis pas un réalisateur. Je suis un auteur, c’est certain. La
réalisation, c’est gérer les gens. Je trouve ça super, j’aime bien les caméras, j’ai cette
excitation de faire la lumière et de découvrir les rushes. Mais c’est le monteur qui fait le
film. Quand je coupe, je sais que c’est bon. Quand je décide de changer de plan, c’est
parce que j’ai déjà imaginé comment ça va s’imbriquer. Mes meilleures idées viennent
des envies de montage. » Quentin Dupieux, in Cahiers du cinéma, n°756, juin 2019, p.
53.
Le monteur auteur?
• George Tomasini et Hitchcock
• Henri Colpi et Alain Resnais (Colpi par
ailleurs scénariste, parolier et cinéaste – palme
d’or en 1961 pour Une aussi longue absence)
• Thelma Schoomacker et Martin Scorsese
• Marcia Lucas et George Lucas
• Sally Menke et Quentin Tarantino
Transition : « (…) la définition de l’auteur de films (…) n’a guère provoqué de
débats à propos des metteurs en scène européens, Gance ou Eisenstein, Clair
ou Dreyer, que l’on a toujours tenus pour seuls responsables de leurs films. A
Hollywood par contre – à quelques notables exceptions près, comme Chaplin
ou Welles – on a souvent nié au réalisateur la paternité de son œuvre.
L’organisation très hiérarchisée des grandes compagnies, l’étanchéité des
différentes fonctions, les visées ostensiblement commerciales de la production
encourageaient la critique à ne voir dans l’ ‘usine des rêves’ qu’une chaine à
produire des œuvres en série, où le cinéaste n’était qu’un maillon. » Michel
Ciment, Les conquérants d’un nouveau monde. Essais sur le cinéma
hollywoodien (1981), Paris, Gallimard, 2015, p. 24-25.
Qui est l’auteur dans un art collectif ?
« Qu’un bébé n’ait qu’un seul père est une exigence de la nature ; la nécessité
d’un engendrement collectif est la malédiction singulière de l’art
cinématographique. »
Truman Capote, « Charlie Chaplin » (1959), Portraits et impressions de
voyage, Gallimard, 1995.
Jean Renoir
« En réalité, nous sommes dans un métier où l’on ne fait rien tout seul. Chaque
pas est une collaboration avec quelqu’un. Je conçois donc un découpage que je
crois parfait et je m’aperçois que ce découpage ne correspond pas à la réalité
vivante et que la réalité vivante ne peut être abordée que par ma
collaboration, peut-être mes discussions, peut-être mes querelles, peut-être
mes disputes effroyables, avec les acteurs, avec le caméraman, avec
l’opérateur, avec tout le monde ! C’est de cette espèce de discussion que
naît la matière vivante du film. » Jean Renoir, Le Passé vivant, Paris,
Cahiers du cinéma, 1989, p. 58.
« Je n’ai pas la prétention de comparer mon métier à celui de peintre ou de
bûcheron. Nos caméras, systèmes sonores, notre magnifique technique nous
éloignent plus du sujet que ne peut le faire le pinceau ou une hache. Nous
avons aussi contre nous notre nombre. Que de monde pour faire un film :
acteurs, techniciens, ouvriers, administrateurs, banquiers, vendeurs, que de
montagnes pour accoucher d’une souris! »
Jean Renoir, « Le retour de l’Indien » (1/10/1960), in Positif, n°535, septembre
2005, p. 51
La métaphore du cinéma comme « casse »

« on ne peut s’aventurer dans le monde du cinématographe que si l’on se sent


entouré de complices. Un film ressemble beaucoup à un mauvais coup. C’est
aussi une exploration. Il ne viendrait pas à l’idée d’un professionnel de
cambrioler la Banque de France ni à un explorateur de s’aventurer tout seul
dans la jungle… » Jean Renoir, in Laurence Schifano, Visconti. Une vie
exposée, Paris, Gallimard, 2009, p. 211.

« Un bon film, ça s’accomplit comme un mauvais coup. Pour mener à bien le


cambriolage d’une banque, il faut de bons spécialistes, manieurs adroits du
chalumeau, triporteurs expérimentés de la fausse clef, enfonceurs de portes
fermées. Il faut surtout de bons complices. »
Jean Renoir, en exergue de Pierre Braunberger, producteur. Cinémamémoire,
Paris, Editions du Centre Pompidou, 1987
Une mise en abyme : Ocean’s Twelve (Steven Soderbergh, 2004)

L’équipe de film comme « commando » (Olivier Assayas)


Table ronde avec Olivier Assayas, Claire Denis, Bruno Dumont et Daniel
Deshays - « L’auteur, le cinéaste, le collectif : qui fait œuvre? » (Centre
Pompidou, 4 décembre 2008)
http://ouvalecinema.centrepompidou.fr/?p=47
« [Terrence Malick] instaure une ambiance familiale entre tous ses
collaborateurs : chacun sur le plateau peut se faire entendre, du stagiaire au
chauffeur jusqu’à Jack Fisk et Emmanuel Lubezki. Si quelqu’un a une idée
valable, il a l’occasion de l’exprimer. Par conséquent, chaque membre de
l’équipe se sent utile et sait qu’on attend de lui qu’il contribue au processus de
création. » (Nicolas Gonda [producteur de Tree of Life, 2011, A la merveille,
2012 et Knight of Cups, 2015], in Positif n°658, décembre 2015, p. 12)
« qui est l’auteur de Rebecca ? (…) faut-il s’en tenir à ce schéma somme toute
classique d’une auteure au sens traditionnel, en amont du film, Daphné du
Maurier, et de deux auteurs au sens des Cahiers qui se partageraient le crédit
proprement cinématographique ? Il est évident que, même s’ils sont
subordonnés à la supervision de Selznick et/ou de Hitchcock, un grand nombre
de collaborateurs artistiques et/ou techniques peuvent avoir exercé une
influence déterminante sur tel ou tel aspect du film : les scénaristes, les
responsables de la photo, des décors, des costumes et du maquillage, de la
musique, du montage et du mixage, et surtout bien sûr les interprètes, qui sont
souvent ceux qui, ralliant ou non les suffrages du public, sont directement
responsables du succès ou de l’échec d’un film. Tous, à des degrés divers, ont
participé à l’entreprise commune et peuvent être considérés comme les co-
auteurs au moins partiels de Rebecca. »
(Jean-Loup Bourget, Rebecca, Paris, Vendémiaire, 2017, p. 12-13).
La métaphore de la cathédrale
– Actualité (Cahiers du cinéma, n° 715, octobre 2015, p. 16) :
• Paul Verhoeven : « Je ne suis pas du genre Woody Allen. Je suis
quelqu’un qui travaille avec d’autres personnes, comme ceux qui
ont construit la cathédrale Notre-Dame et dont on ignore le nom.
Faire un film, pour moi, relève plus de la coopération avec d’autres
que du travail solitaire d’un peintre ou d’un écrivain qui n’a besoin
que de lui-même. J’ai toujours besoin d’un groupe pour exprimer
mes visions.
• Les Cahiers du cinéma : « Vous êtes un auteur, mais davantage
dans le sens hollywoodien que dans le sens européen. »
« On pourrait soutenir qu’un film, qui ne voit le jour que grâce à un effort
collectif dont toutes les contributions possèdent le même degré de permanence,
est l’équivalent moderne le plus proche de la cathédrale gothique ; le rôle du
producteur correspond, plus ou moins, à celui de l’évêque ou de l’archevêque ;
celui du metteur en scène à celui de l’architecte en chef ; celui du scénariste à
celui des conseillers scolastiques qui établissaient le programme
iconographique ; et celui des acteurs, des cameramen, des monteurs, des
techniciens du son, des maquilleuses et des divers autres techniciens à celui
des hommes dont le travail produisait les diverses entités physiques du produit
fini, des sculpteurs et des maîtres verriers jusqu’aux carriers et aux
charpentiers, en passant par les bronzeurs, les menuisiers et les maçons. Parlez
à chacun de ces collaborateurs, il vous dira, avec une parfaite bonne foi, que
son ouvrage est, en fait, le plus important : ce qui n’est pas faux, dans la
mesure où il est indispensable. » Erwin Panofsky, « Style et matière du
septième art » (1947), Trois essais sur le style, Paris, le Promeneur, Editions
Gallimard, 1996, p. 137-138.
« Une cathédrale est le produit d’un travail collectif, mais ce n’est pas une
œuvre collective. Elle n’a qu’un seul auteur, celui qui l’a conçue, pensée,
ordonnée : l’architecte. Les autres, quel qu’ait été leur talent ou leur degré de
collaboration, ne furent que des exécutants. Sans doute le peintre qui a dessiné
les vitraux, le sculpteur qui a taillé les statues sont-ils les seuls auteurs de ces
vitraux et de ces statues, mais, n’étant jamais qu’un ornement dont la situation,
les dimensions et les exigences ont été prévues par l’architecte, ces parties
s’ajoutent à l’œuvre et ne la constituent pas – du moins pas en tant que
structure fondamentale. Elles s’y intègrent, c’est tout. Bien qu’il ait fallu le
secours de quelques maçons, le palais de Versailles n’en est pas moins l’œuvre
du seul Hardouin-Mansard. Le film a donc bien un auteur. Reste à savoir
lequel. » Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma (1965), Paris, Les
éditions du Cerf, 2001, p. 18-19.
« La trajectoire d’un film, depuis la naissance de son idée jusqu’à sa finition en studio
de mixage, est en effet truffée de difficultés. Il n’y a pas que la complexité
technologique, mais le fait aussi que la réalisation de l’idée du film dépend du grand
nombre de personnes impliquées dans le processus de création. Si, dans son travail
avec les acteurs, le réalisateur ne parvient pas à faire passer la vision qu’il a du
caractère des personnages et de leur jeu, il y aura déjà, sur ce point, divergence par
rapport à la conception initiale. Si le chef opérateur saisit mal la tâche que le
réalisateur lui assigne, le film, si brillamment tourné soit-il, déviera là aussi de son
axe et manquera à la fin de cohésion. Les décors peuvent être superbes, la fierté
légitime du décorateur, s’ils ne sont pas inspirés par la conception initiale du
réalisateur, ils ne feront que gêner le film et constitueront son échec. Si le
compositeur échappe à son tour au contrôle du réalisateur et, emporté par son propre
souffle, offre une musique sensationnelle mais trop éloignée des besoins du film,
l’idée une fois encore risque de ne pas aboutir. Dire que le réalisateur risque à tout
moment de se retrouver comme un simple témoin qui observe le scénariste en train
d’écrire, le décorateur de construire, l’acteur de jouer, le chef opérateur en train de
filmer, le monteur de couper et de coller, n’est pas une exagération. C’est ce qui
arrive souvent dans la production commerciale, où le réalisateur est chargé avant tout
de coordonner entre elles les tâches des différents membres de l’équipe de tournage. »
(Andreï Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Editions Philippe Rey, 2014, p. 148-149)
Pour autant, Tarkovski ne méprise toutefois pas ses collaborateurs de
création qu’il ne maintient pas dans l’anonymat ; au contraire, il leur rend
un vibrant hommage, en les nommant ; ainsi pour L’Enfance d’Ivan :

« Notre succès revint pour une large part aux acteurs, et tout
particulièrement à Nikolaï Bourliaev, Valentina Maliavina, Evgueni
Jarikov et Valentin Zoubkov. (…) Il n’est pas exagéré de dire que [ma
rencontre avec Nikolaï Bourliaev, futur interprète du rôle d’Ivan] fut
déterminante dans ma décision de réaliser L’Enfance d’Ivan. (…) je
n’aurais jamais accepté de poursuivre ce film sans sa présence ni celles,
d’ailleurs, du chef opérateur Vadim Youssov, du compositeur Viatcheslav
Ovtchinnikov et du décorateur Evgueni Tcherniaev (…) »

(Andreï Tarkovski, Le Temps scellé, Paris, Editions Philippe Rey, 2014, p.


43)
4 types d’autorité :
– individual authorship (auteur individuel - Woody Allen,
Alfred Hitchcock, Josef von Sternberg, Quentin Tarantino)
– multiple authorship (auteur multiple - Alain Resnais, Luis
Buñuel – « troupe » d’auteurs, scénaristes et vedettes
récurrentes)
– collective authorship (auteur collectif - Jean Renoir)
– corporate authorship (auteur institutionnel - le cinéma
hollywoodien ; un studio en particulier – la Warner, Disney ;
le cinéma stalinien ; une période: le cinéma « reaganien » )

(Source: Richard Dyer, in Stars (1979), Londres, BFI, 1998)


La notion d’auteur se fixe « tantôt sur un
individu, réalisateur, scénariste ou producteur,
tantôt sur un groupe, une usine, un studio, tantôt
encore sur un genre ou un mode du cinéma
(l’underground fut un grand auteur). » (Jacques
Aumont, « Migrations », in Cinémathèque, n°7,
printemps 1995)
Extraits:
L’Atelier d’Alain Resnais (François Thomas, 1997)
La Splendeur des Amberson/The Magnificent Ambersons (Orson Welles, 1942)
« La baisse de qualité des films d’Hitchcock au cours de cette période peut être
attribuée à l’érosion rapide de l’équipe extrêmement soudée qu’il a constituée
au cours des années 1950. Hitchcock accorde une telle confiance au chef
opérateur Robert Burks qu’il ne regarde même pas à travers la caméra pendant
le tournage. Hormis Psychose, Burks a participé à tous les films d’Hitchcock
depuis L’Inconnu du Nord-Express. Hélas, il meurt tragiquement dans
l’incendie de sa maison après avoir terminé Pas de printemps pour Marnie.
Pour Hitchcock, c’est une perte à la fois personnelle et professionnelle. Pas de
printemps pour Marnie marque également la fin de sa collaboration avec le
monteur George Tomasini et le compositeur Bernard Herrmann. » Paul
Duncan, Alfred Hitchcock, Cologne, Taschen, 2003, p. 170.
« Un grand film, à Hollywood, est servi comme un melon en tranches
séparées. Nous sommes à l’opposé de ma croyance en l’unité. Il s’agit de
diviser le travail et d’accumuler les noms importants. La catégorie
‘vedette’ n’embrasse pas que les acteurs: il y a des écrivains-vedette, des
cameramen-vedette, des décorateurs-vedette. Chacune de ces vedettes
travaille sans liaison réelle avec les autres. Isolées dans leurs forteresses,
ces vedettes doivent se défendre contre l’intrusion de l’ennemi commun, le
producteur. »
Jean Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 187.
Conflits d’autorité
Indication bibliographique :

Christian Viviani, « Hollywood à l’âge classique, l’auteur en trois


personnes: le producteur, le scénariste et le réalisateur », in Christophe
Gauthier, Dimitri Vezyroglou (dir.), L’auteur de cinéma, histoire, généalogie,
archéologie, Paris, AFRHC, 2014, p. 247-260.
Les exemples de conflits d’autorité à propos de la paternité d’une œuvre
cinématographiques sont nombreux dans l’histoire du cinéma:
• Leni Riefenstahl et Bela Balazs (La Lumière bleue, 1932) ou Willy Zielke
(Olympia, 1936) – cf. documentaire Leni Riefenstahl – la fin d’un mythe
(Michael Kloft, 2020)
• Hitchcock et Saul Bass (Psychose, 1960)
• Quentin Tarantino et Roger Avary (Pulp Fiction, 1994)
• Le scénariste auteur
La Duchesse de Langeais, 1942 (Giraudoux/Baroncelli) – cf. Jean A. Gili,
« Jean Giraudoux entre Honoré de Balzac et Jacques de Baroncelli. La
Duchesse de Langeais et la question de l’auteur », in Christophe Gauthier,
Dimitri Vezyroglou (dir.), L’auteur de cinéma, histoire, généalogie,
archéologie, Paris, AFRHC, 2014, p. 239-246 :

• Sur l’affiche : « un film de Jacques de Baroncelli, adaptation et


dialogue de Jean Giraudoux, d’après la célèbre nouvelle de
Honoré de Balzac »
• Mais dans le générique : « Un film de Jean Giraudoux d’après
la nouvelle de Honoré de Balzac », puis « Réalisation de
Jacques de Baroncelli »
« La valeur d’un film vient à 90% de son script et de son interprétation – Killer
Joe n’existerait pas sans le scénario de Tracy Letts. Les 10% restants sont à
partager entre le directeur de la photo, le monteur, le chef déco. Le metteur en
scène contribue peut-être un peu à tout ça, mais en réalité, n’importe qui peut
réussir un film à partir d’un bon script. Ce n’est pas une question de magie ou
de science. Tout ce que fait le réalisateur, après avoir constitué son équipe,
c’est de créer une atmosphère qui permette aux acteurs et aux techniciens de
donner le meilleur d’eux-mêmes. La ‘vision’, le ‘style’, c’est du pipeau ! »
William Friedkin, in Première, n°427, septembre 2012, p. 104.
« Je trouve que les réalisateurs sont nettement surestimés. Avec un mauvais
scénario, un metteur en scène ne peut rien faire. Quand on parle d’ ‘un film
de…’, on devrait se référer à l’auteur du scénario. »
Michael Haneke (Haneke par Haneke, p. 270)
• Le producteur auteur
Les grands producteurs du passé :
Erich Pommer, Irvin Thalberg, David
O’Selznick, Howard Hugues, Louis B.
Mayer, Daryl Zanuck, Val Lewton, Sam
Spiegel, Robert Evans, Carlo Ponti, Dino
de Laurentiis, Georges de Beauregard, …
« Zanuck, dans son genre, est une sorte de génie. Il a trouvé un moyen
d’utiliser des méthodes industrielles tout en donnant à ses produits
une qualité indéniable. Certains des films qu’il a produits resteront
des étapes essentielles de notre profession. Il est un des rares magnats
du cinéma à avoir mis la main à la pâte. Bien souvent, il a sauvé des
films médiocres par sa connaissance du montage. »
Jean Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 186.
À propos de Pascale Dauman (1938-2007), productrice notamment de
Wim Wenders et de Raymond Depardon:

« Les artistes ne se trouvent pas uniquement devant ou


immédiatement derrière la caméra. Il y a aussi des créateurs du côté
de l’industrie et du commerce, des gens dont l’acte poétique prend des
atours différents pour faire exister les œuvres, gestes souvent
invisibles, peu spectaculaires, mais fondamentaux. »
Thierry Frémaux, Sélection officielle, Paris, Grasset, 2017, p. 151.
« [Howard Hugues] assume la véritable responsabilité artistique du film en
cours de production, c’est sa personnalité qu’il insuffle à l’œuvre. En un mot,
il est le producteur en tant qu’auteur. »
Michael Temple, « Project the legend : la représentation du producteur comme
personnage dans l’histoire du cinéma », in Laurent Creton, Yannick Déhée,
Sébastien Layerle et Caroline Moine (dir.), Les Producteurs, Paris, Nouveau
Monde Editions, Paris, 2011.
• Le showrunner? (producteur + cinéaste?)

Nécessité de « redéfinir la notion d’auteur en prenant en compte la dimension


collective du showrunning »
Yal Sadat, « Y a-t-il des auteurs dans l’avion? », Cahiers du cinéma, n°774,
mars 2021, p. 33.
• Le directeur de la photographie auteur
Cinémathèque française, 28/2-5/3/2018
– Raoul Coutard, le chef-opérateur de la Nouvelle Vague (mort en novembre 2016) : A
bout de souffle (Godard, 1959) ; Tirez sur le pianiste (Truffaut, 1960) ; Lola (Demy,
1960) ; etc.
– Darius Khondji (Jean-Pierre Jeunet, David Fincher)
• Christian Viviani, « Darius Khondji ou la lumière qui se mérite », Positif, n°673,
mars 2017, p. 14-15.
• Jordan Mintzer, Conversations avec Darius Khondji, Synecdoque, 2018.
– Vilmos Zsigmond (mort en 2016):
• « Au début il y a la lumière, puis le cadre, puis les acteurs, puis l’histoire… »
Cahiers du cinéma, n°702, dossier : De la lumière ! À la rencontre des chefs
opérateurs, Juillet/Août 2014, p. 5.
• Délivrance, Le Privé, L’Epouvantail, Obsession, Voyage au bout de l’enfer, la
porte du Paradis
– Vittorio Storaro : Apocalypse Now, Le Dernier tango à Paris
– Gordon Willis : Le Parrain, Annie Hall, Les Hommes du président, Klute
– Jack Cardiff (Michael Powell, Hitchcock)
– José Luis Alcain (La Piel que Habito , Pedro Almodovar, 2011 ; Passion, Brian De
Palma, 2012).
– Mark Lee Ping-bin (Hou Hsiao Hsien, Wong Kar Wai, Gilles Bourdos, …)
– Jeff Cronenweth (David Fincher)
Deux exemples de conflits d’autorité

Conflits répétitifs et violents en Robert Bresson et Ghislain Cloquet (directeur


de la photo de Alain Resnais, Claude Sautet, Jacques Demy, Louis Malle,
Arthur Penn, Woody Allen, futur oscar de la meilleure photo pour Tess,
Polanski, 1979) sur le tournage de Au hasard Balthazar (cf. Anne Wiazemsky,
Jeune fille, Paris, Gallimard, 2007), ex. p. 103 : « Chaque scène avait été
refaite un très grand nombre de fois, épuisant interprètes et techniciens.
Ghislain Cloquet excédé s’était heurté à lui avec des phrases très dures, Robert
Bresson avait répondu de même et il avait fallu l’intervention du directeur de
production pour que le tournage reprenne. »

Michael Haneke vs son chef-opérateur (Jürgen Jürges, directeur de la lumière


allemand, de Fassbinder et de Wenders, mais aussi de Haneke ; Funny Games
et Code inconnu) sur le tournage du Temps du loup (2003) – réétalonne au
montage afin d’obtenir encore plus d’obscurité.
Pour

« des fragmentations créées avec un Emmanuel


Lubezki de plus en plus coauteur des images (…) les
deux derniers films de Lubezki, Gravity et Birdman,
exaltaient déjà la valeur ‘virtuosité’ (et son
prolongement dangereux : la ‘maitrise’), à la limite
du trop-plein chez Cuaron, et jusqu’à
l’abrutissement franc et massif chez Inarritu. »
Gaspard Nectoux, « Marche forcée. Knight of Cups de
Terrence Malick », in Cahiers du cinéma, n°716,
novembre 2015, p. 36.
Contre

« Je n’ai rien contre les chefs opérateurs, mais je suis de moins en moins
convaincu de leur utilité. Ce n’est pas eux qui font l’image d’un film, même
s’ils en assurent la responsabilité. Ils discutent avec le metteur en scène, et
ensuite ils disent quoi faire à leur assistant. J’exagère à peine. Un chef op’ a
beau avoir un tempérament artistique, il ne sera jamais un artiste
(They’re artistic, they’re not artists). L’artiste c’est moi. »
Quentin Tarantino, Cahiers du cinéma, n°624, juin 2007, p. 14.
• Conclusion : une remise en cause de « la politique des auteurs »
« Nous avions l’habitude, dans les années cinquante, d’être très contents, et
très laudatifs, lorsque nous trouvions des points communs entre plusieurs films
du même réalisateur. Cela prouvait que le cinéaste avait vaincu la machine
hollywoodienne, et cela nous permettait de nous faire remarquer par nos dons
d’observation et de synthèse. Aujourd’hui, comme plus personne ne songe à
nier le statut d’auteur des grands cinéastes américains, je me demande s’il ne
faut pas faire marche arrière, et considérer comme paresse et rabâchage, dictés
par les producteurs et le box-office, ces leitmotives dans l’œuvre d’un
réalisateur ou d’un acteur. »
Luc Moullet, Politique des acteurs, Paris, Nathan, 1993, p. 119.
Jacques Rivette et la politique des auteurs

« qu’est-ce qui fait le point commun entre La Chienne et Le Carrosse d’or, on peut dire bien
sûr le théâtre, mais c’est un peu rapide ! Et entre Le Fleuve et La Nuit du carrefour… il y a
dix-sept ans et pas mal de kilomètres !... » Jacques Rivette, « le secret et la loi », Cahiers du
cinéma, n°720, mars 2016, p. 42.

« (…) la politique des auteurs, ça a été très vite une fuite en avant, parce que c’était dire :
effectivement, ils sont très différents, mais ils ont ça en commun d’être des ‘auteurs’. Bon,
mais à partir de ce moment-là, du coup, tout le monde devient un auteur ! Alors, c’est vrai
quand c’est Rossellini et Hitchcock, c’est toujours vrai quand il s’agit de Ford et de Renoir,
c’est encore vrai quand il s’agit de Hawks, c’est toujours vrai, bien entendu, quand il s’agit de
Lubitsch ou de Dreyer, mais est-ce encore vrai quand il s’agit de Minnelli, à plus forte raison
quand il s’agit de Richard Fleischer ? Et puis après, on arrive à Positif, qui se met à parler de
Pollack ou de je ne sais qui, ou de n’importe qui, parce quand on dit Pollack on n’est pas loin
de n’importe qui ! » Jacques Rivette, « Le secret et la loi » (1998), in Cahiers du cinéma,
n°720, mars 2016, p. 41.

« des ‘auteurs’ indiscutables, tels René Clair ou Mankiewicz, qui ne sont pas pour autant de
grands cinéastes… » Jacques Rivette, « le secret et la loi », Cahiers du cinéma, n°720, mars
2016, p. 42.

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