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ENTRETIEN

CLAUDE MILLER
REALISATEUR DE «LA PETITE VOLEUSE »

LA VERITE
SIMPLEMENT
Pour Claude Miller, la meilleure façon de filmer, c'est donner corps -Autobiographiques, vos films ?
-Ce n'est pas aussi direct. Même si j'ai
et âme aux personnages. Atteindre à leur vérité. Quand caméra et connu l'univers de La Meilleure Façon de
comédiens sont en hannonie, alors naÎt l'émonon, en toute simplicité. marcher et si mes déboires sentimentaux
me rapprochent de l'amoureux passionné
a Petite Voleuse aurait pu s'appeler que jouait Depardieu dans Dites-lui que ie
respecter l'esprit du synopsis de François.

L
La Peau dure :c'est le titre que Fran- C'est comme si son canevas m' avait l'aime. Vous savez, comme tous les
çois Truffaut avait donné à ce scé- donné le lA pour écrire le scénario. Mais j'y
cinéastes, je parle de mes désirs et de mes
nario commencé à l'époque des ai retrouvé aussi l'un de mes thèmes : celui
passions. Je ne raconte pas ma vie.
400 coups. Il l'avait retravaillé tout - Dans Garcle à vue non plus ?
de l'adolescence qui ne fait pas de quartier
au long de sa vie et confié, avant de avec les sentiments. - Le livre de John Wainwright, A table,
mourir, à Claude Berri. En 1985, Berri le -C'est un thème qui vous décide à m'avait bouleversé. Le non-respect du jar-
propose à Claude Miller. Ami fidèle de faire un film ? din secret de l'autre est un sujet qui me
François, il a collaboré à huit de ses films . -Non. C'est une émotion . Elle vient touche beaucoup.
Miller vient alors de terminer L'Effrontée ; ild'un livre, par exemple, ou d'un scénario -D'où le plan-séquence du début où
a envie de tourner à nouveau avec Char- qui réveille un sentiment enfoui en moi.l'on passe à travers une verrière de rex-
lotte Gainsbourg ; il térieur à l'intérieur
accepte. du commissariat ?
- Le scénario de - Non. Ce plan
TruHaut était-il très est né du dispositif
élaboré? scénique. Je voulais
-Non. C'était faire sentir une atmos-
plutôt un canevas de phère d' aq uarium
trente pages, avec avec la pluie, le verre
des personnages bien et le métal. Le déco-
caractérisés, mais rateur a imaginé cette
sans description de cour intérieure com-
situations et sans dia- me un puits, une
logues, à part trois fosse . La caméra
répliques. parcourt tout ce
- Lesquelles ? décor, c'est tout. Bien
-Celle de Janine sûr, après coup, on
au curé : « Deman- peut y voir une méta-
dez-moi tout ce que phore de l'affronte-
vous voudrez, ie dirai ment Serrault-Ven-
oui et vous me laisse- tura . Mais, sur le
rez partir. » Celle de moment, c'était
Janine à Michel : « Si inconscient. Je crois
on se voit cinq fois, la beaucoup à l'incons-
cinquième fois vous cient dans la création
me le demanderez, artistique.
alors demandez-le Par exemple, je me
moi tout de suite. » Et suis aperçu un jour
celle de Michel à que j'étais l'homme
Janine : « Quand on des travellings avant.
n'a pas tout fait pour Les travellings arrière .
quelqu'un, on n'a rien sont très rares dans
fait. » mes films . J'avance
- Est-ce votre sur les choses et vers
amitié pour TruHaut les gens. C est mon
qui vous a convaincu envie inconsciente
d'accepter? d'approcher leur
-L'amitié et la mystère.
fidélité. J'ai cherché à Claude Miller et Charlotte Gainsbourg : cc •••lncroyablementclnéglque. " - De plus, vous

Ttl~RAMA N° 2032- 21 DECEMBRE 1988 25


..,. procédez par révélation successives. cancan . La scène se passe en un seul
-Ça aussi, c'est inconscient. Mais c'est plan ; on ne sait encore rien de l'histoire, ni
la démarche même du scénariste : on des personnages, mais on est touché.
pose un personnage sur la table, on ne le Pourquoi? Parce que l'émotion naît de
connaît pas très bien, on le découvre en !e l'harmonie extraordinaire entre le mouve-
bâtissant. C'est aussi le mouvement de ment des comédiens et celui de la caméra.
l'existence. Seul le cinéma est capable de créer une
-Vous inventez une vie entière à vos telle émotion esthétique. Mais Ophuls,
personnages ? hélas, a tou~né trop peu de films.
-Juste un petit état-civil. Très court. Je - Est-ce le sujet qui impase la mise en
travaille surtout le côté affectif. Je fais des scène?
énumératioins : il aime ; il n'aime pas. Je - Bien sûr. Pour Garde à vue, j'avais
n'ai rien inventé : Balzac ou Proust, je ne peur du sujet et du huis clos. L'œil pouvait
1976. LD fdellleure Façon de marcher.
sais plus lequel des deux, le faisait déjà. s'ennuyer. Alors, il fallait trouver quelque
Pour Janine, la petite voleuse, j'avais écrit chose de magique pour que le film ne soit
six pages. ni aride ni sévère. Des éléments extérieurs,
- Quoi, par exemple ? d'abord : la pluie, la nuit de Noël, les
- Elle aime toucher les objets : elle aime lumières de la ville. Mais aussi les mouve-
le chaud, le tendre, déteste le froid, le ments de caméra, un peu insistants, pour
rugueux ... C'est tou jours très concret ce qu'ils entraînent le spectateur par une sorte
que j'écris. J'avais procédé de même pour d'effet hypnotique.
Charlotte dans L'Effrontée et pour Adjani Mortelle randonnée, je l'avais conçu
dans Mortelle Randonnée... comme une illustration chatoyante. Ça me
- Pour les seconds rôles aussi ? plaisait bien. Mais, quelques mois plus
-Je le fais moins. Ils sont pourtant tard, j'ai eu une période « anti-Mortelle
importants. J'aime la tradition du cinéma randonnée. » J'étais agacé d'avoir trop
français .d'avant-guerre ou de l'immédiate 1977. Dltes-lul,que je l'aime. « fait le beau ». Résultat : pour L'Effrontée,
après-guerre où les seconds rôles ont leur j'ai cherché la plus grande simplicité.
existence propre. Tout le monde er bénéfi- - Pour La Petite voleuse, aussi.
cie. Et s'il y a numéro d'acteur, comme celui -C'est vrai. Les personnages, l'histoire
de Raoul Bille rey dans le salon de thé de La et les émotions devaient prendre le dessus.
Petite Voleuse, c'est pour la dramaturgie. Et la caméra devait se faire oublier. Pour
J'adore ce genre de fausses digressions. revenir à François, il disait souvent : « La
Chez John Ford, elles sont magnifiques : caméra n'estqu'une fourchette qui porte la
les personnages s'arrêtent autour d' une nouniture jusqu'à l'œil. » Je voulais lui être
table, se mettent à parler du passé, du pré- fidèle aussi dans la mise en scène, en res-
sent... On a l'impression que ça ne sert à pectant sa simplicité.
rien. Mais la saveur du film, elle est là. - Le son est également très sobre.
- Le choix des comédiens devient, -Oui. Je n'aime pas les mixages
alors, essentiel ... compliqués. Si on bombarde le spectateur
-Ah oui ! Renoir disait : « Dans la 1981. Garde à vue. par une avalanche de sensations, son
direction d'odeur, le plus important, c'est le affectivité se dilue. La mise en scène oriente
choix.» Et moi, il faut que j'aie le béguin le regard et le son, l'audition. Un seul son à
pour les comédiens que je filme. Regardez la fois, c'est bien . Et pas de son, c'est quel-
Charlotte. Elle est incroyablement « ciné- quefois mieux.
génique ». Impossible de rater un gros Lorsque Janine voit, aux actualités fil-
plan avec elle. Et, lorsqu'elle sourit, l'image mées, Raoul partir pour l'Indochine, le son
éclate. est, d'abord, réaliste. Puis il y a un plan du
- Quel est votre plus grand plaisir de visage de Janine sans son du tout : pas
cinéaste? d'ambiance, pas de musique d'actualités,
- Donner chair et os à des person- pas de commentaire, rien . Je crois que
nages. Réaliser leur incarnation. Et ce plaisir l'émotion est beaucoup plus forte ainsi.
est d'autant plus grand qu'on a écrit soi- Hitchcock l'avait admirablement réussi
même les dialogues et les situations. dans Les Oiseaux. Un personnage arrive
-Le plus impartant, c'est l'écriture? 1983./tfortel/e Randonnée. en voiture dans la maison envahie par les
- Ah, non ! C'est la mise en scène. Et le oiseaux. Il découvre le carnage et s'enfuit
plus drôle, c'est qu'aussi élaborée soit-elle, paniqué. Il monte en voiture, fait demi-tour
elle vous échappe. C'est pourtant elle qui et repart dans un silence total ! C'estforrni-
fait le film . Un grand sujet mal mis en scène dable!
m'intéresse moins qu'un petit sujet bien - Etes-vous souvent guidé par les films
réalisé. que vous avez vus ?
-Qu'est-ce qu'une bonne mise en -Au tournage, non. Mais à l'écriture,
scène? parfois. J'essaie d 'imaginer comment
-C'est une mise en .scène qui atteint à Lubitsch ou Minnelli auraient mis en place
la vérité humaine. Lorsque l'art arrive à une scène avec leur merveilleuse légèreté.
cette vérité, alors l'émotion est profonde. Vous savez, je suis atteint de cinéphilie ga-
- Il y a un plan qui vous vient en lopante depuis plus de trente ans. Le ciné-
mémoire? ma, c'est ma culture, mon patrimoine, ma
-Au début du Plaisir, de Max Ophuls, personnalité. Comment voulez-vous que
un homme masqué descend un escalier et ça n'apparaisse pas dans mes films? •
se met à tourner avec une danseuse de 1985. L'EHrontée. Propos recueillis par
GERARD PANGON
26 TÉLÉRAMA N° 2032- 21 DECEMBRE 1988

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