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Les grandes étapes

techniques
de la pré-histoire du
cinéma
C. Damour / 16.9.21
Avant-propos
Prémonitions cinématographiques
technologie et science-fiction

L’Inhumaine (Marcel L’Herbier, 1924)


Metropolis (Fritz Lang, 1927)
Introduction
« Machines, usages et concepts sont en constante interaction et doivent
être appréhendés dans la dynamique même de leur jeu. »

Benoît Turquety, « Le numérique, technologie et techniques. Problèmes de la


couleur », in André Gaudreault et Martin Lefebvre (dir.), Techniques et
technologies du cinéma. Modalités, usages et pratiques des dispositifs
cinématographiques à travers l’histoire, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2015, p. 176.
« L’histoire de la peinture est donc, aussi, celle de la résolution de questions
techniques afin d’obtenir une surface peinte unifiée. »

Daniel Schlier, « Grünewald et Otto Dix, une filiation technique », in


Frédérique Goerig-Hergott (dir.), Otto Dix – le Retable d’Issenheim, catalogue
d’exposition, Musée Unterlinden, Paris, Hazan, 2016, p. 83.
« On ne se trouve pas, avec le cinéma, dans le cas où un besoin artistique mène à
la découverte et au perfectionnement progressif d’une nouvelle technique mais
dans celui où une invention technique mène à la découverte et au
perfectionnement progressif d’une nouvelle forme d’art. »

Erwin Panofsky, « Style et matière du septième art » (1947), Trois essais sur le
style, Paris, le Promeneur, Editions Gallimard, 1996.
« Les découvertes artistiques sont pratiquement le résultat direct de découvertes
techniques. L’exemple de ce phénomène qui me frappe le plus est en peinture
la révolution impressionniste. Avant l’impressionnisme, les peintres utilisaient
des couleurs contenues dans de petits godets. Ces récipients étaient
difficilement transportables. Les couleurs s’en échappaient, ce qui rendait le
travail en dehors de l’atelier peu pratique. Lorsqu’on eut l’idée de mettre les
couleurs dans des tubes facilement fermés par des bouchons à vis, les peintres
de la jeune école purent transporter leurs couleurs et travailler directement sur
nature. Bien sûr, la révolution impressionniste existait d’abord dans l’esprit des
peintres, mais elle ne se serait pas manifestée de la même façon si ces artistes
n’avaient pu transporter leurs couleurs dans la forêt de Fontainebleau. Sans
avoir les répercussions des couleurs en tube pour la peinture, l’emploi de la
panchromatique constituait pour le cinéma une étape d’une richesse
incomparable. La plupart des chefs-d’œuvre de l’écran ont été tournés en noir
et blanc sur panchromatique. »
Jean Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 55-56.
« Le cinéma naissant et la peinture avaient en commun une
représentation du monde en deux dimensions, une préoccupation
pour le cadre et le point de vue, un jeu avec l’ombre et la lumière,
et l’utilisation de la profondeur de champ. Ce qui les séparait était
le rendu du mouvement, suggéré parfois de brillante façon par les
peintres, mais apanage du cinéma. Les Lumière, en tournant dans
des lieux réels, prolongeaient la révolution des impressionnistes
sortant le chevalet de l’atelier et allant peindre en plein air. »

Michel Ciment, « Un nouvel éclairage sur les Lumière –


Impressionnisme et naissance du cinématographe », in Positif, n°
532, juin 2005, p. 60 (à propos de l’exposition « Impressionnisme
et naissance du cinématographe », musée des Beaux-Arts de Lyon
(15 avril – 18 juillet 2005)
« Le cinématographe, à ses débuts, soumettait ses utilisateurs à diverses contraintes
techniques : le défilement de la pellicule imposait une vitesse d’obturation rapide de
l’ordre du 1/50e de seconde ; les objectifs possédaient une faible ouverture, gage
d’une très grande profondeur de champ nécessaire à la captation d’un mouvement
en rapprochement ou éloignement sans risque de flou ; les pellicules
monochromatiques avaient une sensibilité moyenne et une courbe de réponse
limitée aux plus grandes longueurs d’onde (du vert au rouge). La combinaison de
ces paramètres obligeait les opérateurs à tourner sous une forte luminosité à la
lumière du jour, ce qui explique la quasi-inexistence des scènes d’intérieur et la
création des premiers studios ressemblant à des serres vitrées permettant des
modalités optimales de tournages. Enfin, pour des raisons industrielles et
commerciales, les bobines étaient conditionnées en segment de vingt mètres (17
mètres chez Lumière), format qui imposa, d’une certaine manière, une norme dans
la construction scénique des premières vues. »

Thierry Lecointe, « Courses de taureaux Lumière : une vue hors norme en 1898,
chaînon essentiel dans la progression narrative du cinéma des premiers temps ? »,
1895, n°80, hiver 2016, p. 52
« La grande révolution de cette période [la fin des années 50], c’est
l’apparition de la pellicule Kodak 400 ASA, une pellicule
ultrasensible, noir et blanc, qui permet de sortir le cinéma des studios.
D’un seul coup, on peut tourner sans lumière. Plus besoin de
projecteurs. Les budgets de tournage chutent de moitié. C’est ça la
Nouvelle Vague : l’équivalent de l’impressionnisme en peinture. Les
peintres peignaient dans les ateliers, puisqu’ils ne pouvaient pas
transporter leurs pots de pigments. Jusqu’au jour où l’on a mis la
peinture dans des tubes. Les peintres ont pu peindre en plein air Le
Déjeuner sur l’herbe, les Canotiers… La 400 ASA, c’est l’équivalent
de ces tubes de peinture. On peut désormais se déplacer avec sa
caméra, tourner en extérieurs sans lumière artificielle. »

Claude Lelouch, Ces années-là, Paris, Fayard, 2008, p. 99.


Généalogie d’un art
De la peinture
à la photographie
au cinéma
• Indications bibliographiques
– Laurent Mannoni, Le Grand Art de la lumière et de
l’ombre: archéologie du cinéma, Paris, Nathan,
1995.
– Françoise Frontisi-Ducroux, « ‘La fille de
Dibutade’, ou l’inventrice inventée », Cahiers du
Genre, 2007/2 (n° 43), p. 133-151
https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-
2007-2-page-133.htm
Films cités

• Une histoire de l’art à rebours : La Dame de pique (Jakov Protazanov,


1916) – avec Ivan Mosjoukine
• Trois état du corps : La belle noiseuse (Jacques Rivette, 1990)
• Puissance nostalgique du cinéma : Marcello Mastroianni et Anita Ekberg
dans Intervista (Federico Fellini, 1987)
• En regardant le film (Zhang Yimou, 2007)
Œuvres picturales citées

• L’origine de la peinture (David Allan, 1775)


• L’origine de la peinture (Jean-Baptiste Regnault, 1786)
• L’invention du dessin (Joseph Benoît Suvée, 1791)
Le « complexe de la momie » (André Bazin)

• « un besoin fondamental de la psychologie humaine : la défense contre le


temps. La mort n’est que la victoire du temps. Fixer artificiellement les
apparences charnelles de l’être c’est l’arracher au fleuve de la durée :
l’arrimer à la vie. » (Bazin, « Ontologie de l’image photographique », in
Qu’est-ce que le cinéma?, p. 9).

• « ‘Quelle vanité que la peinture’ si l’on ne décèle pas sous notre admiration
absurde le besoin primitif d’avoir raison du temps par la pérennité de la
forme ! » (Bazin, « Ontologie de l’image photographique », p. 10).

• Objectif: « sauver l’être par l’apparence » (Bazin, p. 9)

• « le cadavre en sursis qui est en chacun de nous »


André Bazin, « Mort d’Humphrey Bogart », Cahiers du cinéma, nº 68, février
1957.
« Regardez donc. Un homme qui marche, cet homme quelconque,
un passant : la réalité d’aujourd’hui fardée pour une éternité
d’art. Embaumement mobile. »
Jean Epstein, « Le sens 1bis », Bonjour cinéma (1921), p. 41-42.

« En ces jours-là, nous allions au ciné-club voir des films du muet


parce que moi, n’est-ce pas, pour ma culture, et toi, pauvre gosse, tu
ne comprenais rien à cette stridence jaune et convulsée qui datait
d’avant ta naissance, à cette émulsion striée où couraient des
morts ; »
Extrait de Rayuela, Julio Cortazar, p.14
Effet absence et Complexe de la momie :

« Les poètes, pas les meilleurs, ont chanté Dibutade ; Fontenelle lui a fait
écrire une lettre à son amant. Et celui-ci aussi s’est vu doté d’une
personnalité. On l’a nommé Polémon, le guerrier, et on l’a envoyé à la
guerre. On a attribué à ce jeune homme, futur gendre de potier, un destin
funeste. Il devait mourir au combat pour que son portrait, le premier du
genre soit une image funéraire, conformément à la tradition ‘historique’.
Et aussi en raison des valeurs ambivalentes de l’ombre : double naturel
de tout ce qui est placé sous la lumière du jour, elle caractérise le vivant.
Et elle s’efface quand la vie disparaît. Les morts n’ont plus d’ombre. En
revanche, aux Enfers, ils ne sont plus que des ombres. »
Françoise Frontisi-Ducroux, « ‘La fille de Dibutade’, ou l’inventrice
inventée », Cahiers du Genre, 2007/2 (n° 43), p. 133-151
http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=CDGE_043_0133
Le motif de l’ombre et le rapport à la mort
• Chantons sous la pluie (Stanley Donen, 1952)
• The Artist (Michel Hazanavicius, 2011)
Reproduire l’illusion du mouvement

- Dynamisme d’un chien en laisse (Giacomo Balla, 1912)

- Caniche descendant et montant un escalier (Etienne-Jules Marey, 1896)


« L’époque à laquelle écrit Ricciotto Canudo (1879-1923) et la dernière phase
d’un véritable big bang de l’innovation scientifique et technologique, débuté
une dizaine d’années avant sa naissance, et qui avait apporté
l’électromagnétisme de Maxwell, les lois de la thermodynamique, l’électricité
et la chimie industrielle, l’automobile et l’aéroplane, la photographie et le
cinéma. »
Fabio Andreazza, Canudo et le cinéma, Paris, Nouvelles éditions Place, 2018,
p. 19.
Dans le domaine du spectacle ou du
ludique : les jouets optiques
Rappel du postulat : les grands cinéastes (Bergman, Burton, Coppola,
Fellini, Forman, Truffaut, Varda) rendent régulièrement hommage dans
leurs films au médium cinématographique en reconstituant le passé de
leur art ou en mettant en abyme ses principes ontologiques, esthétique et
techniques spécifiques
Le thaumatrope (1825) - Sleepy Hollow (Tim Burton, 1999)

Le folioscope (1868) :
• La reconstitution de l’illusion du mouvement par le dessin :
Hugo Cabret (Martin Scorsese, 2011)
• La reconstitution de l’illusion du mouvement par la photographie :
Visage (Tsai Ming-liang, 2009)
• La reconstitution de l’illusion du mouvement par le cinéma : Principe
de reconstitution de l’illusion du mouvement à partir d’une série
d’images fixes à la base du procédé de stop motion mis en scène dans
Jacquot de Nantes (Agnès Varda, 1990)

Le Zootrope (1834) - L’Ami américain (Wim Wenders, 1977)

Le Praxinoscope (1877) - Blancanieves (Pablo Berger, 2012)


Dans le domaine des sciences
• 1880 : Zoopraxiscope de Muybridge (images peintes à la
main)

• 1882 : fusil photographique d’Étienne Jules Marey – destiné à


capter le mouvement de l’oiseau en vol (améliore le
praxinoscope de Reynaud) – capable d’enregistrer sur plaque
sensible une vingtaine d’images par seconde.

• 1887 : chronophotographe à bande souple d’Étienne Jules


Marey et Georges Demezy.
• Persistance rétinienne et effet phi
« La restitution du mouvement tient une place importante dans la restitution de réalité (…)
Elle est le fait d’un réglage technologique de l’appareil cinématographique qui permet le
défilement d’un certain nombre d’images fixes (les photogrammes) en une seconde (18 au
temps du muet, 24 pour le sonore) ; ce défilement permettant à certains phénomènes
psycho-physiologiques de jouer pour donner l’impression de mouvement continu. L’effet
phi est au premier rang de ces phénomènes : lorsque des spots lumineux, espacés les uns
par rapport aux autres, sont allumés successivement mais alternativement, on ‘voit’ un
trajet lumineux continu et non une succession de points espacés : c’est le ‘phénomène du
mouvement apparent’. Le spectateur a rétabli mentalement une continuité et un mouvement
là où il n’y avait en fait que discontinuité et fixité : c’est ce qui se produit au cinéma entre
deux photogrammes fixes où le spectateur comble l’écart existant entre les deux attitudes
d’un personnage fixées par les deux images successives. Il ne faut pas confondre l’effet phi
avec la persistance rétinienne. Le premier tient au comblement mental d’un écart réel,
quand la seconde est due à la relative inertie des cellules de la rétine qui gardent, pendant
un court temps, trace d’une impression lumineuse (comme c’est le cas lorsqu’on ferme les
yeux après avoir regardé fixement un objet fortement éclairé ou lorsqu’on agite vivement
dans le noir une cigarette allumée et qu’on ‘voit’ une arabesque lumineuse). La
persistance rétinienne ne joue pratiquement aucun rôle dans la perception
cinématographique, contrairement à ce que l’on a souvent affirmé. »

Jacques Aumont, Alain Bergala, Michel Marie, Marc Vernet, Esthétique du film, Paris,
Nathan, 1994, p. 106
« [Le zootrope est] constitué d’un tambour à l’intérieur duquel sont imprimées
les différentes phases d’un mouvement décomposé. […] L’extérieur du
tambour tourne, les interruptions noires entre chacune des fentes disparaissent
sous l’effet de ce qu’il est convenu d’appeler un effet phi qui explique
l’impression d’une continuité. »
Emmanuelle André, « Effet spécial : l’incandescence du voir dans les films de
Martin Arnold », in. CiNéMAS, Vol. 28, Montréal, Canada, Automne 2017, p.
15.
XVIIIème siècle : spectacles de fantasmagories via le fantascope (version
améliorée de la lanterne magique du XVIIème - diables et sorcières projetés
sur une toile, 1798) du « fantasmagore » belge Etienne Robertson (1764-
1837)
• Fanny et Alexandre (Ingmar Bergman, 1982)
Actualité curatoriale 2021
Emile Reynaud

• 1880 : Praxinoscope
à projection

• 1892 : Théâtre
optique
Bernard Lonjon, Émile Reynaud, le véritable inventeur du
cinéma, Polignac, Éd. du Roure, 2007
– 1890-1894 : Thomas Edison (Kinetographe et
Kinetoscope)
• 1888-1889 :
– dépôt d’un brevet - 1ère caméra inventée par Louis Aimé
Augustin le Prince
– première caméra à prise de vues successives sur bande sensible
puis sur film celluloïd
• 1890-1891 : dépôt du brevet du Kinetograph et du
Kinetoscope (Thomas Edison)
• 1894 : commercialisation des Kinetoscope parlors
Février 1895 : dépôt du brevet du Cinématographe (Louis et
Auguste Lumière, France)

19 mars 1895 : tournage de la première version de La Sortie


des usines Lumière à Lyon (la deuxième version aurait été
tournée en avril ou mai, la troisième en juillet)

22 mars 1895 : projection privée au 44 rue de Rennes (Paris)

28 décembre 1895 : premières projections publiques payantes


du Cinématographe Lumière (Salon indien du Café de Paris –
aujourd’hui Café Lumière, au sein de l’Hôtel Scribe, 1 rue
Scribe, Paris IXème – près du métro Opéra)

Bioskope (Max Skladanowsky, Allemagne) – 1ère projection


publique à Berlin (1er novembre)
• Conclusion :
« Il manquait la projection à Edison, la perforation à Marey, la
photographie à Reynaud. A la fin de 1894, aucun appareil n’était en
mesure d’assurer à la fois l’analyse photographique et la reproduction sur
un écran d’une scène de quelque durée. C’est à Louis Lumière que revient
le mérite d’avoir opéré la synthèse entre des travaux qui nous paraissent
rétrospectivement incomplets. L’inventeur lyonnais n’a pas créé son
appareil ex nihilo. Comme tout créateur, il a tenu compte de l’apport non
négligeable de ses prédécesseurs. »
(Vincent Pinel, Louis Lumière, inventeur et cinéaste, p. 17).
Pour aller plus loin
• Cahiers du cinéma, hors série : « 100 journées
qui ont fait le cinéma », janvier 1995.
• Robert C. Allen, Douglas Gomery, Faire
l’histoire du cinéma, Paris, Nathan université,
1993.
• http://upopi.ciclic.fr/apprendre/l-histoire-des-
images/qui-invente-le-cinema

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