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LE CINÉMA MUET
ALLEMAND
COURS DU 3.3.22
C. DAMOUR
Photogénie du gros plan et de la flamme (« fragments d’atmosphère » du
ciné-genre lyrique, selon Adrian Piotrovski?)
Louise Brooks dans Loulou (G. W. Pabst, 1929)
TROIS MODALITÉS PHOTOGÉNIQUES :
L’OMBRE, LA FLAMME ET LA SURIMPRESSION
LE TRÉSOR D’ARNE / HERR ARNES PENGAR (MAURITZ STILLER, 1919)
LA CHUTE DE LA MAISON USHER (JEAN EPSTEIN, 1928)
Louise Brooks
Loulou (G. W. Pabst, 1929)
« La peau blanche et
magnétique de Louise
Brooks, sa silhouette
épurée, absolument
contemporaine, n’ont
strictement rien à voir
avec les goules de
l’expressionnisme. »
Stéphane du
Mesnildot, « L’enfer
de Pabst », in Cahiers
du cinéma, n°760,
novembre 2019, p.
72.
« chaque pays à son Caligari – les États-Unis ont Naissance d’une
nation, l’Italie Cabiria, la France L’Inhumaine et l’Union soviétique
Potemkine »
Luc Vancheri, Le cinéma ou le dernier des arts, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2018, p. 143.
MAX SKLADANOWSKY
(1863-1939)
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Mais surtout différences :
• Mais films plus longs, et narrativement plus élaborés (les « vues Lumière »)
là où les Skladanowsky demeurent dans une esthétique de la boucle et films
beaucoup plus courts – suite de numéros enregistrés, plus proche des films
Edison.
• Nature du lieu de la projection : au sein d’un théâtre de variété (le
Wintergarten), après des numéros de spectacle vivant (danse – french
cancan -, ou magie – femme coupée en deux) – comme le montre le film de
Wenders – or, les frères Lumière organiseront pour la première fois une
projection en soi, unique, sans la présence d’autres numéros.
• Antériorité des frères Skladanowsky (Max, Emil et Eugen), mais supériorité
technique des Lumière sur le travail artisanal des Allemands : matériel plus
rudimentaire que celui des frères Lumière (notamment le système
d’engrenage – perforation artisanales et œillets de chaussure pour les
Skladanowsky) – « meilleure stabilité et meilleur défilement » (Wenders).
« Les industriels lyonnais n’ont pas inventé l’appareil de prises de vues,
que Marey créa six ans avant leur Cinématographe ; ni le film moderne
mis au point pas Edison, Dickson et les ingénieurs de Kodak-Eastman.
Ils n’ont pas été les premiers à faire des projections de démonstration :
Edison, Marey, Le Prince, Friese Greene, et vingt autres les
précédèrent. Ils n’ont pas été non plus les premiers à organiser des
représentations publiques et payantes puisqu’avant eux il en fut
organisé en 1894-1895 par Le Roy, Latham, Armat et Jenkins, tous les
quatre en Amérique et par Skladanowski à Berlin. Où est le mérite des
Lumière, et comment le nom de leur appareil, Cinématographe, a-t-il
été adopté dans presque toute l’Europe pour désigner un nouveau genre
de spectacle ? »
Georges Sadoul, « Louis Lumière metteur en scène », Intermède, n°1,
printemps 1946, in 1895, n°87, printemps 2019, p. 121.
« L’appareil de Lumière ne fut pas le premier à prendre des vues ou à en
projeter, mais il fut le premier à fonctionner avec une relative perfection
technique. Le jeune industriel passa une année à mettre au point son
cinématographe, avec l’aide de l’ingénieur Carpentier et du mécanicien
Moisson, avant de se lancer dans son exploitation. En décembre 1895,
l’appareil des frères Lumière laissait loin derrière lui tous ses rivaux
baptisés Kinétoscopes, Bioscopes, Eknétographes, Biographes, Panoptikon
ou Vitascopes. » Georges Sadoul, « Louis Lumière metteur en scène »,
Intermède, n°1, printemps 1946, in 1895, n°87, printemps 2019, p. 122
• Deutsche Bioskop GmbH (1899) + Deutsche Vitascop (1909) – fondées par Jules Greenbaum (1867-1924)
• Messter Film (1897-1924) – produit Anna Boleyn (Ernst Lubitsch, 1920) : « Le tournage de ce film a constitué un véritable évènement,
comme en témoigne la visite du premier Président de la toute jeune République de Weimar, Friedrich Ebert, qui a posé aux côtés
d’Henny Porten et Emil Jannings. Ebert entendait ainsi marquer deux ans après la défaite de 1918 l’importance de cette grande
entreprise cinématographique pour le redressement de l’Allemagne et le retour de son rayonnement culturel. » Vincent Lowy, « Henry
VIII, le roi des rois », in Les biopics du pouvoir politique de l’antiquité au XIXème siècle – Hommes et femmes de pouvoir à l’écran,
Martin Barnier et Rémi Fontanel (dir.), Lyon, éditions Aléas, 2010, p. 126.
• DECLA – fondée en 1915 par Erich Pommer (1889-1966), principal producteur allemand des années 20, aux talents aussi bien
financiers qu’artistique ; Produit les premiers films de Fritz Lang et Caligari (que devait initialement réaliser Lang)
• Deulig Film - compagnie de production berlinoise fondée en 1916 ; films de propagande, actualités filmées
• Ufa (Universum Film AG, créée en 1917 dans un but de propagande militaire) - fusionne avec la DECLA d’Erich Pommer fondée en
1915
• Münchener Lichtspielkunst AG (Emelka), fondée en 1919 par Peter Ostermayr, spécialisée notamment dans les coproductions
germano-britanniques, et notamment les premiers films d’Alfred Hitchcock : The Pleasure Garden (1925 à Munich, 1926 à Londres),
The Mountain Eagle (1926 en Allemagne, 1927 en Grande-Bretagne), mais aussi : Waterloo (Karl Grune, 1929 – avec Charles Vanel
dans le rôle de Napoléon)
• 1911 : création des studios de Babelsberg à Potsdam (près de Berlin) – y seront tournés Le Golem (Paul Wegener, 1914 et 1920),
Nosferatu (F. W. Murnau, 1922), Metropolis (Fritz Lang, 1927), …
Nombre de salles en Allemagne :
• 1900 : 2 salles
• 1910 : 480 salles
• 912 : 1500 salles
• 1913 : 2370
• À Berlin :
• en 1905 : 16 salles de cinéma
• en 1907 : 139 salles
• en 1913 : 206 salles (+ disparition des petits cinémas au profit des grandes salles appelées
« Kinopalast » de plus de 1000 places, « temples » du cinéma allemand - (Source : Claude
Forest, « Les débuts du cinéma au Togo », 1895, n°83, hiver 2017, p. 62)
-1918 : 2836
-1920 : 3076
-1921 : 3731 (2400 en France, 2200 en Italie, 3000 en GB, 800 en Autriche, 3500 en Russie ; total
Europe : 18 393 salles ; USA : 18 000) – « Dans la plupart des salles on est très bien assis, pour un ou
deux marks, le personnel ne vous engueule pas, les ouvreuses ne demandent rien, le gérant vient (avec
le sourire) vous faire cadeau du programme, il y a de l’air dans la salle, et l’orchestre ne joue pas toutes
les semaines la même chose. » (Louis Delluc, Cinéa, 24 juin 1921).
UN GENRE SPÉCIFIQUE : LE COURANT
FANTASTIQUE DANS LES ANNÉES 10
• Grande technicité
• Qualité artistique
• Capacité à distribuer leurs films en dehors de leurs frontières et à fabriquer des films destinés
au monde entier (ce que seront incapables de faire les Suédois)
• Contrat d’exclusivité avec la Paramount pour distribuer leurs films en Europe (Allemagne,
Autriche, Pologne, Turquie, Bulgarie)
• Industrie lourde (importants moyens financiers) : ex. UFA financé par des industriels (Krupp –
fabrication d’armes) et des banques (Deutsche Bank)
• Investissement dans un parc de salles – monopole, concentration verticale : la Deutsche
Bioskop GmbH distribue ses films dans les cinémas de la Deutsche Vitascop, gérées parle
producteur Jules Greenbaum ; 1919 : inauguration du UFA-Palast à Berlin (avec la projection
de Madame Du Barry de Lubitsch)
• Coproductions européennes : en 1927, avec les Russes exilés : Mosjoukine, Volkoff, pour des
films mettant en scène l’iconographie russe (officiers en uniforme, etc.) ou avec la Grande-
Bretagne : Les deux premiers films d’Alfred Hitchcock : coproductions Gainsborough /
Emelka (MLK) – Münchner Lichtspielkunst / The Pleasure Garden (1925) / The Mountain
Eagle/Der Bergadler (1926)
LES PRINCIPALES PERSONNALITÉS DU
CINÉMA MUET ALLEMAND
UN HOMME DE THEÂTRE :
MAX REINHARDT
Jean Renoir : « Ce qui m’impressionna chez lui, ce fut d’abord son habileté
technique, sa connaissance du maquillage, son usage de petites
particularités physiques. (…) Werner Krauss était au sommet de la gloire. Il
était déjà ce qu’il est resté, le meilleur acteur de langue allemande. »
Jean Renoir, Ma vie et mes films, p. 73.
LUPU-PICK
LES KAMMERSPIELFILME
Le Kammerspiel (« théâtre de chambre » en français) est un courant réaliste dans le théâtre allemand,
qui rend compte de l’arrière-plan social de l’Allemagne et se détache de l’expressionnisme qui refusait
l’analyse individuelle et l’explication psychologique en faveur d’un imaginaire fantasmagorique. Au
cinéma, le Kammerspielfilm est un type de film psychologique et intimiste qui apparaît comme
l’antithèse du film expressionniste, et représente une véritable « gifle naturaliste infligée aux snobs
expressionnistes. » (Selon Lupu-Pick, in Lotte H. Eisner, « Le cinéma expressionniste – De l’Aube à
minuit », p. 215)
« L’étymologie du Kammerspiel est issue du ‘Kammerspel’, pièce d’August Strindberg datant de 1906
et mise en scène par Max Reinhardt, directeur du ‘Deutsches Theater’ de Berlin. Dès 1905, Reinhardt
décide d’innover dans le traitement des thèmes contemporains, en offrant aux spectateurs une vision
objective de leur réalité quotidienne, à travers l’évocation des états psychologiques et des forces
obscures habitant leur psyché. »
(Dominique Nasta, « Du Kammerspiel à ‘Dogma’ : émotion et distanciation dans la mise en scène du
jeu d’acteur », in L’Acteur de cinéma : approches plurielles, Vincent Amiel, Jacqueline Nacache,
Geneviève Sellier, Christian Viviani (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 35)
1921 : Escalier de service/Hintertreppe (Leopold Jessner, Paul Leni, 1921) – avec Fritz Kortner
• Caligarisme :
• « application au cinéma d’une esthétique picturale ou littéraire dite
‘expressionniste’ » (Jean Mitry, Histoire du cinéma, tome III, Editions
universitaires, 1973, p. 192)
• caractérisé par « la distorsion évidente, explicite, des décors ou des images,
sur le modèle des toiles peintes » de Caligari (Jean-Loup Bourget,
Hollywood, un rêve européen, Paris, Armand Colin, 2006, p. 41-42)
ACTUALITÉ
100 years of The Cabinet of Dr. Caligari – Why we’re still living in its
shadows
A century after the release of the Expressionist horror landmark, we peer inside
the cabinet to assess why Caligari had such a huge impact on the cinema.
Alex Barrett, 25 February 2020
https://www.bfi.org.uk
CONRAD VEIDT (1884-1959)
• D’abord scénariste
• 1921 : Les Trois Lumières/Der müde Tod
• 1922 : Mabuse le joueur
• 1924 : Les Nibelungen
• 1927 : Metropolis
• 1928 : Les Espions
• 1929 : La Femme sur la lune
« Le style de Lang, c’était déjà en Allemagne des moments très élaborés plastiquement dans
les décors, la lumière, les surimpressions, le jeu corporel des acteurs, et en même temps un
substrat narratif soucieux d’efficacité dramatique, structuré par la maîtrise d’un cadrage et
d’un montage précis, concis et nerveux, au service d’intrigues passionnelles à péripéties
violentes et inquiétantes que le cinéaste retrouvera en Amérique. » (Frank Curot, « Du style
au cinéma », études cinématographiques, vol.65, lettres modernes minard, Paris-Caen, 2000,
p. 13-14)
FRIEDRICH WILHELM MURNAU (1888-1931)
UNE VERSION « ROMANTIQUE » DE
L’EXPRESSIONNISME
Aux États-Unis :
1927 : L’Aurore
1930 : City Girl ; Tabou
1931: meurt dans un accident de voiture
ACTUALITÉ ÉDITORIALE 2021
MURNAU, EXPRESSIONNISTE?
« l’influence de la peinture expressionniste a peu marqué Murnau, non
seulement dans Faust, mais dans tous ses autres films. Il est même de ce point
de vue – plastique – le moins expressionniste des cinéastes allemands.
L’outrance qu’on trouve chez lui dans le jeu des comédiens, leurs grimaces, se
rattache à une vieille tradition grotesque, antique ou médiévale, loin de la vision
paroxysmique et criarde des Kirchner, Beckmann, Kokoschka ou même Nolde,
qui a gravé sur bois un Faust. (…) Murnau se rapprocherait davantage des
Romantiques. »
Eric Rohmer, L’organisation de l’espace dans le Faust de Murnau, Paris,
Cahiers du cinéma, 2000, p. 18-19.
Nosferatu, « par la révolution du plein air et par le recours à des moyens
propres au cinéma » : « une sorte de critique en acte des films
expressionnistes et notamment de Caligari (1919) qui tire ses effets
hallucinatoires et fantastiques non pas du travail de la caméra mais d’une
théâtralisation exacerbée des décors, des éclairages, de la gestuelle et du jeu
de l’acteur. »
José Moure, Le plaisir du cinéma. Analyses et critiques des films, Clamecy,
Klincksieck, 2012, p. 79.
« Nosferatu n’est pas un film expressionniste, même si le Vampire et
l’agent immobilier semblent parfois jouer dans le style
expressionniste. »
Jean-Michel Palmier, « De l’expressionnisme au cinéma prolétarien », in
Béla Balázs, L’esprit du cinéma, Paris, Payot, 1977.
Actualité éditoriale
Stéphane Delorme,
« Murnau, aurore », in
Cahiers du cinéma,
n°756, juin 2019, p. 74 :
« L’arrivée de l’aveugle
en barque sous l’arche
d’un pont est une saillie
fantastique, d’autant plus
qu’il est interprété par
Conrad Veidt, tout juste
sorti du Cabinet du
docteur Caligari (1920).
L’acteur, qui se tord les
doigts comme bientôt
Nosferatu, marque
l’intrusion de
l’expressionnisme dans
un film qui n’en relève
pas, Murnau s’amusant
en réalité, comme
ailleurs, à confronter les
styles. »
Un exemple de « typage » :
« Le principe du typage, qui permet de caractériser des personnages
épisodiques de façon commode et laconique aboutit, lorsqu’on
l’applique au héros, aux personnages centraux d’un film, à
l’émergence de ‘masques’ invariants, à un amalgame entre l’emploi
au cinéma et à la ville, à des ‘noms-types’, des ‘noms-personnages’.
Ce procédé facilite grandement l’exposition du film. L’apparition à
l’écran de Valentino, Pat et Patachon, Pearl White, suffit à expliquer
au spectateur à la fois le genre du film et le caractère des héros. »
Adrian Piotrovski [1927], « Vers une théorie des ciné-genres », in
Poétique du film. Textes des formalistes russes sur le cinéma, Paris,
Nathan, 2008, p. 149
« Le film le plus expressionniste » (Francis Courtade, livret du DVD
Edition Filmmuseum, 2013) : De l’aube à minuit/Von Morgens bis
Mitternacht (Karlheinz Martin, 1920) – avec Ernst Deutsch
INDICATIONS
BIBLIOGRAPHIQUES
EISNER Lotte H., L’Ecran démoniaque (1952), Paris, Eric Losfeld, 1981 ; Ramsay,
1985.