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Analyse d’une séquence

La Rivière rouge / Red River (Howard Hawks, 1948)


Cours du 29.9.22 / C. Damour
Rappel: l’objectif de l’analyse filmique est de « saisir le travail formel
effectué par le film, en percevoir la structure et les principes » (Jacques
Aumont, L’interprétation des films, p. 145)

Pour cela, il s’agit de


« démonter la poupée
pour contempler de près son mécanisme »
(Petr Kral, Le Burlesque ou la morale de la tarte à la crème, Ramsay, 1984,
p.10)
Rappel : Un principe formel structurant est un agencement sémiologique ou poétique
permis par une articulation marquante et cohérente entre les trois espaces (cf. Rohmer) qui
constituent l’image : l’espace filmique (le montage), l’espace pictural (la lumière, les
couleurs, le format, ….) et l’espace architectural (les signes iconiques et plastiques qui
composent le plan), en adéquation (ou en dissonance) avec les enjeux narratifs ou
thématiques de la dite séquence.
• Attention, ne sont pas des « principes formels structurants », par exemple :
– le sang (qui est un « motif » ou un « thème iconographique »)
– la violence, la mort ou l’américanité (qui sont des « thèmes »)
– le suspense (qui est un « effet narratologique »)
– le montage (qui est une « opération »)
– le son ou la lumière (qui sont des éléments constitutifs du « matériau
audiovisuel »)
– le gros plan (qui est un « type de cadrage » ou une « valeur scalaire » - échelle de
plans)
– le hors-champ (qui est un effet de cadrage)
• Exemples de principes formels structurants :
– un procédé rhétorique : la métaphore, la métonymie, le montage parallèle,
l’acousmatique, …
– une composition plastique : une structure dichotomique, la récurrence (d’une forme
géométrique, d’une texture, d’une couleur, d’un rythme, …), de rimes visuelles ou
audiovisuelles, etc.
L’analyse filmique:
« récrire le spectacle sous forme de texte » (Kuntzel)

3 étapes:
• Décrire (savoir pré-iconographique): maitrise du vocabulaire technique -
répondre à la question : quoi?
• Visionner (savoir iconographique): un art de la décomposition : répondre à
la question – répondre à la question : comment?
• Synthétiser (savoir iconologique): formulation des hypothèses et mise en
forme de l’analyse – répondre à la question : pourquoi?
• Répondre à la question : « comment »? Comment les opérations rhétoriques
et/ou plastiques mises en œuvre par les moyens de la mise en scène
produisent des effets
• Préciser les types de relations entre signifiants et signifiés, en définissant
rigoureusement les termes employés par périphrase : « on devine »,
« représente », « symbolise », « renvoie », « rappelle », « illustre »,
« signifie », « indique », « fait penser à », « fait référence à », « en lien
avec », « relie », « fait écho à », « synonyme de », « réalise que »,
« suggère », « sous-entend », « déduit que », « on comprend que »,
« signale », etc. : comment ces opérations fonctionnent-elles? Par exemple,
quel type de relation sémiologique (indicielle/métonymique,
iconique/métaphorique ou symbolique/conventionnelle?) est à l’œuvre
entre un signifiant (ce que l’on voit ou entend à l’image) et un signifié (ce
qui est convoqué, induit ou déduit)
Orthographe et syntaxe : erreurs récurrentes

• Malgré le fait que (et non « malgré que » ou « malgrés »)


• Plusieurs mots féminins se terminant en « é » auxquels les étudiants ont la fâcheuse tendance d’ajouter un
« e » : ex. « capacitée », « réalitée », « facilitée », « nettetée », « beautée », « continuitée »
• De par (et non « de part »)
• Entre autres (et non « entre autre »)
• Indien, Américain (pour « américain », ou vice versa) – distinguer la nationalité, de la langue et de l’adjectif
– Idem pour : « Hollywoodien », « Renoirien » - confusion entre le nom propre et l’adjectif
concernant la première lettre en majuscule
• D’avantage au lieu de « davantage »
• Pour CE faire (et non pas « pour se faire »
• Champ et non « champs » (ex. profondeur de champ sans s)
• Faire partie (et non « faire parti »)
• Nulle part (et non « nulle part »)
• QuanT à (et non « quand à »)
• En train et non « entrain »
• Voire et non « voir »
• Héros et non « héro »
• Le public et les spectateurs (et non « l’audience »)
• Censé et non « sensé »
• Suspense et non « suspens »
• Difficultés à conjuguer le verbe « créer »
• Parmi et non « parmis »
• Chaque, chacun - et non « chaques » ou « chacuns » (mot invariable)
• un « s » à la place de « nt » à la fin d’un verbe conjugué au pluriel (par exemple « les frontières traverses »
ou l’inverse : « les frontières sont présentent »)
• Or et non « hors »
• Problématisation analytique de la séquence :
• Un principe structurant formel : un ensemble de procédés
dichotomiques servant le motif de la séparation (la rivière-frontière, le
départ), de l’opposition (jour vs nuit, cow-boy vs Indien, feu vs eau,
homme vs femme)
• Une mise en exergue de deux procédés de mise en scène (procédés
rhétoriques – la métaphore, la métonymie) en articulation avec deux
ensembles thématiques (le classicisme et l’américanité)
I. Un procédé rhétorique (1) : l’art de la
suggestion ou du bon usage de la trichotomie
peircienne au cinéma
• Métaphores (rapport analogique, de
ressemblance, mise en parallèle)
La couleur rouge

Symbolique de la couleur : Blanc (pureté, propreté, artificiel) vs Rouge (sang,


souillure, naturel)
– « Rouge, rose, feu, passion, jeunesse, force, sexe, sang, vie ; blanc,
élégance, lumière, réserve, pudeur, fragilité, dépouillement, mort. »
Mila Torrès, « Rouge et blanc, une histoire d’amour métaphorique
(Garcilaso, Góngora, Quevedo, Medrano) », in Xavier Bonnier,
FERRY (Ariane) (dir.), Le Retour du comparant. La métaphore à
l’épreuve du temps littéraire, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 331.
Du « rouge » aux « peaux-rouges »

Une couleur polysémique : « Le rouge c’est la couleur du sang, la couleur des


Indiens, la couleur de la violence, mais c’est aussi la couleur du vin » (Benoit
Poolevorde, dans C’est arrivé près de chez vous, Rémy Belvaux, 1992)
• « rivière noire » (film en noir et blanc)
Psycho (Alfred Hitchcock, 1960)
• « rivière rouge » : Psycho (Gus Van Sant,
1998)
• Les Rivières pourpres (Mathieu Kassovitz,
2000), d’après le roman de Jean-Christophe
Grangé (1997)
Le coup de poignard
• Dimension prémonitoire (comme dans M le maudit)
– Fonction dramaturgique « proleptique » (prolepse) du bracelet ou du
poignard ( le « fusil de Tchekhov » ou « loi de conservation des
détails »)
• « comme si » : de la comparaison au cinéma
Zoomorphisme
• Métonymie : indices, signes (rapport de
contiguïté ou de causalité)
Une mise en abyme intra-diégétique, à travers les
compétences et les méthodes des personnages,
de la posture de l’analyste
« Observer des traces, suivre des pistes, se munir d’outils, sont autant les
gestes du détective qui décrypte seul que ceux du chasseur arpentant un milieu,
explorant un territoire. »
Amandine D’Azevedo et Térésa Faucon, « Tracer, esquisser. Les cartes de
l’analyse », in Fabienne Costa, Térésa Faucon, Corinne Maury, Natacha
Thiéry (dir.), Ecrire l’analyse de films. Un enjeu pour l’esthétique, Théorème
n°30, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2019, p. 172.
Pas de fumée sans feu…
Annonce la boule de feu qui incendie une carriole (confirmation par
métonymie de la présence des indiens et de l’attaque du convoi)
« Si une fumée s’échappe de la cheminée du donjon, c’est qu’on y fait du
feu, et si l’on y fait du feu, c’est qu’une main l’a allumé… »
Jules Verne, Le Château des Carpathes, Paris, Editions J’ai Lu, « Librio »,
2016, p. 34.
Les sons des oiseaux (émanation des Indiens ou des volatiles?)
-Le motif indiciel du bracelet (qui, littéralement, « refait surface »)
métonymie (du corps qui le porte), symbole (de l’union, voire totem de la
protection?), réification (inverse de personnification : le bracelet remplace la
femme) et litote (pour signifier la mort – cf. infra)
De l’incertitude de l’interprétation
• De nombreux éléments sont hors vue et sont simplement supposés, en
l’absence de preuve matérielle et visible ; sont ainsi suggérés, sans jamais
être montrés :
– L’attaque du convoi
– Le cadavre de la jeune fille (le bracelet signifie-t-il une perte, un vol ou
un viol?)
– La flèche (présente uniquement par le son du décochage, sa trajectoire
et son résultat, mais ce qui est visible ce n’est pas une flèche mais une
boule de feu)
– Le cadavre des Indiens
• Symboles
Codes de communication non verbale
Une mariée? Allégorie virginale?
Katharine Hepburn dans Le Maitre de la prairie/Sea of Grass (Elia Kazan, 1947)
Déjà morte?
La jeune fille en blanc comme fantôme en devenir
L’Adieu aux armes / A Farewell to Arms (Frank Borzage, 1932)
De la robe au linceul
La Chute de la Maison Usher (Jean Epstein, 1928)
Camille sur son lit de mort (Claude Monet, 1879) : le voile, la dissolution des
textures
La mort, l’envol de l’âme
L’Adieu aux armes / A Farewell to Arms (Frank Borzage, 1932)
L’Invaincu (Satyajit Ray, 1956)
Blade Runner (Ridley Scott, 1982)
L’humanisation du robot
Hunger (Steve McQueen, 2008)
II. Un procédé rhétorique (2) : l’acousmatique
• trois types de sons :
– la voix
– la musique
– le bruit
• « le tri-cercle » (Michel Chion, L’audio-vision. Son et image au
cinéma, Paris, Nathan, 1990, p. 65) : son : in (zone visualisée), off
(non diégétique ; musique de fosse ou voice-over : voix de
commentaire ou de narration), hors champ (zones acousmatiques)
– L’acousmatique (Indien ou oiseau ?)
– L’acousmatique (Indien ou oiseau ?)

• Acousmatique : « Cet adjectif d’origine grecque, qui désignait au départ les paroles
du philosophe dissimulé derrière une toile, a été repris par le créateur de la musique
concrète, Pierre Schaeffer (1966), pour caractériser tous les sons entendus dont on
ne voit pas la source, parce qu’elle est masquée. Le son filmique est par nature
acousmatique puisqu’il est livré au spectateur séparément de l’image, par
l’intermédiaire du haut-parleur dissimulé derrière ou à côté de l’écran. Le
synchronisme est le processus qui consiste alors à ‘désacousmatiser’ le son, à
l’ancrer dans une source visuelle, à incarner la voix dans le corps. Toutefois, le
cinéma sonore joue autant qu’il le peut des virtualités acousmatiques du son
filmique (voix off, musique non diégétique, hallucinations auditives, etc.) »
(Jacques Aumont, Michel Marie, Dictionnaire théorique et critique du cinéma).

• « Dans un film, un son peut accomplir dès ses premières apparitions deux sortes de
trajets :
– Soit il est d’emblée visualisé, et ensuite acousmatisé
– Soit il est pour commencer acousmatique, et n’est visualisé qu’après » (Michel
Chion, L’audiovision, Paris, Nathan, 1990, p. 64)

• acousmêtre : « être dont on entend la voix sans avoir jamais vu son visage »
(Michel Chion, La Voix au cinéma, p. 32)
Polysémie - Astérix chez les Pictes (2013)
• III. Un thème (1) : Le classicisme
hollywoodien
Métonymie et ellipse au service d’une poétique de la litote
Un art de la suggestion et de la distanciation
Elision temporelle et élision spatiale
Jacqueline Nacache, Hollywood, l’ellipse et l’infilmé, Paris, L’Harmattan, 2003
« les héros [de Hawks] le retiennent moins par leurs sentiments que par leurs
gestes, qu’il poursuit d’une attention passionnée ; il filme des actions, en
spéculant sur le pouvoir de leurs apparences; que nous importent les pensées
de John Wayne marchant vers Montgomery Clift (…) nous n’avons d’attention
que pour la précision de chacun des pas – et le rythme net de la démarche – de
chacun des coups – et l’affaissement progressif du corps meurtri. »
Jacques Rivette, « Génie de Howard Hawks » (Cahiers du cinéma, n°23, mai
1953, p. 19)
Stylisation visuelle et sonore (mickeymousing)-
IV. Un thème (2) : Une réflexion sur
l’américanité
• Westernité
Les codes d’un genre classique

« Le western est caractérisé par les espaces (sierras, déserts, canyons…), les
lieux (saloons, banques…), les personnages (cowboy, cheval, Indien,
communautés de pionniers, chanteuse de saloon, shérif…), les objets (chariots,
diligences, colts et shotguns…), les situations (affrontements entre le héros et
un villain, traversées de fleuve, attaques de chariots par les Indiens, attaques de
la diligence par des hors-la-loi, duels à l’arme à feu…) qui appartiennent à
l’Ouest américain de la fin du XIXème siècle. »

Raphaëlle Moine, Les genres du cinéma, Paris, Armand Colin, 2005, p. 22.
« Ce qui qualifie le western, ce n’est pas qu’un homme marche dans la rue, c’est tel
genre de démarche dans telle rue. John Wayne vient immédiatement à l’esprit. »
(Alain Masson, « Un art du geste », Positif, n°182, juin 1976, p. 48).
La Chevauchée fantastique/Stagecoach (John Ford, 1939)
Walter Brennan
Le Cavalier du désert / The Westerner (William Wyler, 1940)
Rio Bravo (Howard Hawks, 1959)
La frontière
• Le « devenir-Indien » des cowboys
• Le personnage de John Wayne semble renaitre après son immersion dans
l’eau de la rivière rouge, eau magique et baptismale où il a peut-être
mélangé son sang avec celui de l’Indien (le Native American); au sortir de
l’eau, il troque son fusil pour le couteau et s’enfonce dans la forêt, avec
laquelle il fusionne, tandis que son compagnon acquiert la compétence
d’imiter les Indiens
– Annonce le devenir-Indien de John Wayne dans La Prisonnière du désert (John Ford,
1956), dans lequel le cow-boy adopte un geste d’Indien en scalpant un Indien
• Double totémisation animale (les oiseaux) et végétale (la forêt) Indien =
Native American = fusion avec la Nature (parlent comme les oiseaux et
sont représentés en contrechamp par des plans de forêt dans laquelle ils se
fondent et avec laquelle ils ne font plus qu’un)
• Déshumanisation ou valorisation des Indiens?
Indications bibliographiques

• CARDINAL Serge, « Le cow-boy ornithologue. Sur l’écoute dans Red


River, d’Howard Hawks », in Profondeurs de l’écoute et espaces du son.
Cinéma, radio, musique, Strasbourg, collection « Formes
cinématographiques », Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg,
2018, p. 17-43.

• LIANDRAT-GUIGUES Suzanne, « Dans le battement du temps – Red


River de Howard Hawks », Contre Bande, n°13, 2005, p. 31-43.

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