Philippe Marion
La fin du cinéma ?
Pour Sylvie
Pour Grégoire
Avant-propos
Introduction : La fin du cinéma ?
Que reste-t-il ?
L'assassin numérique
De la salle au salon
« En-cinématographier » l'enregistrement
Le spectateur autonome
Les 3 « D » de la digitalisation.
Désacralisation
Dématérialisation
Dissémination
L'anima de l'animation
Animage et motion capture
Avant-propos
Cet ouvrage à quatre mains et à deux cerveaux est le fruit d’une collaboration
prolongée et soutenue entre deux chercheurs qui, depuis 1992, ont pris
l’habitude des communications et des publications conjointes (malgré l’océan
qui les sépare) et qui caressaient le projet d’écrire ce livre depuis au moins
cinq ans. Le texte de l’ouvrage est le résultat d’un travail de réelle coécriture,
ce qui explique que le processus a dû s’étaler dans le temps ; il est aussi le
produit d’une complète réécriture, même s’il contient quelques passages
provenant de textes déjà publiés1.
Ce livre constitue par ailleurs pour ses auteurs une première contribution
à TECHNÈS, la toute nouvelle initiative internationale qui unit depuis 2012
les efforts de trois groupes de recherche universitaires de l’espace
francophone, dont chacun est associé à une cinémathèque et à une école de
cinéma2. L’une des périodes à l’étude dans le projet TECHNÈS part du point
de bascule de l’hégémonie de l’univers photochimique que représente
l’avènement de la télévision pour s’étendre jusqu’à la « révolution numérique
» qui est toujours en cours. Le projet s’intéresse également à la période de
l’invention des technologies cinématographiques ainsi qu’à celle de
l’introduction des technologies de sonorisation des films. Les membres de
l’équipe TECHNÈS projettent de mener une recherche approfondie sur les
liens qui se sont tissés, durant ces périodes de turbulences technologiques,
entre esthétique et technique cinématographiques, pratiques et formes
filmiques, machineries et conceptions du cinéma, en procédant à une étude à
la fois synchronique et diachronique de ces périodes d’instabilité où le
cinéma a été appelé à subir des mutations profondes. Cet effort international
de recherche vise non seulement à mieux comprendre les répercussions des
innovations technologiques qui ont ébranlé l’identité du cinéma, mais
également à saisir l’idée même qu’on se faisait du cinéma à une époque
donnée. La fin du cinéma ? représente un premier pas dans cette direction.
Côté québécois, le texte du présent ouvrage a été écrit dans le cadre des
travaux du GRAFICS (Groupe de recherche sur l’avènement et la formation
des institutions cinématographique et scénique) de l’Université de Montréal,
subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et
le Fonds de recherche du Québec – Société et culture. Le GRAFICS fait
partie du Centre de recherches intermédiales sur les arts, les lettres et les
techniques (CRIalt). Côté belge, la réflexion et la recherche qui ont présidé à
la rédaction du présent ouvrage se sont déroulées dans le cadre des travaux de
l’Observatoire du récit médiatique (ORM) de l’Université catholique de
Louvain.
Notre livre s’accompagne d’un site Web destiné au lecteur désireux d’en
savoir plus, qui y trouvera des précisions, des digressions et des références
bibliographiques supplémentaires, ainsi que des informations difficiles ou
impossibles à intégrer dans un ouvrage en format papier (liens hypertextes,
vidéos, captures d’écran de courriels, etc.). Comme l’indique l’astérisque
placé au début de chaque chapitre, ce site, hébergé par le GRAFICS, est
accessible à l’adresse www.finducinema.com, et les ajouts en question sont
signalés dans les notes infrapaginales par la mention « En savoir + ».
Précisons néanmoins que le livre a été conçu comme une entité autonome, ce
qui devrait rassurer ceux de ses lecteurs qui ne seraient pas tentés de
s’aventurer à l’extérieur des frontières délimitées par ses deux pages
couvertures.
______________
1. On trouvera, sur le site Web dont il sera question un peu plus loin, la liste
des textes antérieurs dont certains segments, si infimes soient-ils, ont été
repris dans le présent ouvrage.
2. À savoir : en France, le laboratoire de cinéma (dirigé par Laurent Le
Forestier) de l’équipe « Arts : pratiques et poétiques » (elle-même sous la
direction de Gilles Mouëllic) de l’Université Rennes 2, la Cinémathèque
française et la FÉMIS (École nationale supérieure des métiers de l’image et
du son) ; en Suisse, le groupe « Dispositifs » de l’Université de Lausanne
(sous la direction de Maria Tortajada), la Cinémathèque suisse et l’École
cantonale d’art de Lausanne ; au Canada, le GRAFICS de l’Université de
Montréal (sous la direction d’André Gaudreault), la Cinémathèque
québécoise et l’INIS (Institut national de l’image et du son). L’équipe
québécoise a également comme partenaires la Faculté des arts et des sciences
de l’Université de Montréal, l’Observatoire du cinéma au Québec et le Canal
Savoir. En savoir +.
Introduction*
La fin du cinéma ?
Le cinéma [...] est plus vivant que jamais, plus multiple, plus intense, plus
omniprésent qu’il ne l’a jamais été2.
[...] old fashioned ideas of a narrative, sit in the dark, Hollywood centered
narrative bookshop cinema3.
Pour le cinéaste britannique, le cinéma-en-tant-que-média, le média,
donc, n’est certes pas mort, mais comme sa forme dominante est morte (ou en
train de mourir), il ne faudrait plus avoir recours au mot cinéma pour
désigner la forme nouvelle qui est apparue, ni pour désigner le média qui
l’accueille en son sein :
[...] all the new languages will certainly be soon giving us, I won’t say
cinema because I think we have to find a new name for it, but cinematic
experiences4 [...]
QUE RESTE-T-IL ?
Il faut toutefois reconnaître que, même si bien des choses changent avec le
passage au numérique, beaucoup d’autres choses semblent n’avoir pas bougé,
ne serait-ce que parce que l’« empreinte numérique » d’un film n’est pas
aisément perceptible pour le spectateur qui fréquente les salles de cinéma. Au
fond, le passage au numérique serait peut-être plutôt de l’ordre du tournant
(ou du virage) que de l’ordre de la révolution. Une voiture qui effectue un
virage ou qui prend un tournant change bien entendu de direction (principe de
discontinuité). Mais la voiture-d’avant-le-virage reste néanmoins la même
(principe de continuité) que la voiture-d’après-le-virage. Mais que se passe-t-
il si, comme dans l’un des épisodes de James Bond, la voiture se met à voler
? Devient-elle alors voiture volante ? Ou se mue-t-elle plutôt en avion ? Que
se passe-t-il si elle se déplace soudain sur ou sous l’eau ? Devient-elle alors
voiture flottante ? Ou bien, plutôt, bateau ? Devient-elle voiture submersible
? Ou bien sous-marin ? Entre le respect de certains principes de continuité et
l’irruption d’un nombre important de discontinuités, qu’est en pareil cas
l’identité de la voiture devenue ? Persiste-t-il quelque trait irréductible, pour
autant qu’il en persiste ?
Il s’agit donc de savoir si, en passant au numérique, le cinéma a
simplement pris un tournant (on pourrait alors parler de tournant numérique)
ou s’il est en train de devenir autre, s’il subit une véritable mutation (on
pourrait alors parler de mutation numérique). Au-delà des seuls problèmes de
rhétorique, les avis sont partagés sur ces questions. Ainsi peut-on lire, dans
un éditorial des Cahiers du cinéma : « [...] il ne faut pas l’oublier, la
projection numérique est aussi une projection. En ce sens, rien de nouveau
sous le soleil11 […] » Malgré les apparentes discontinuités (la projection se
fait désormais selon la technologie numérique), les éléments de continuité qui
subsistent ne sont pas négligeables (la projection numérique est une
projection) et la rupture ne saurait ainsi être considérée comme totale.
Prenons l’exemple d’un spectateur d’âge moyen ayant assisté en salle à
la projection de l’un des derniers Almodóvar (La piel que habito, 2011). On
peut penser que ce spectateur n’y aura vu que du feu et n’aura perçu aucune
différence entre la nature de l’expérience vécue en 2011 et l’expérience qu’il
se rappellerait avoir vécue en 1988 en assistant cette fois à la projection de
Mujeres al borde de un ataque de nervios, du même Almodóvar. Les deux
expériences filmiques sont en effet relativement du même ordre, même si le
film de 2011 a été, au contraire de celui de 1988, tourné et projeté en
numérique12. Rien, dans le « film-projection13 » intitulé La piel que habito,
ne laisse à première vue transparaître que ce film est un pur produit de l’ère
du numérique.
Il y a donc un certain nombre de films fabriqués à l’ère du numérique
qui, selon toute apparence, restent tout à fait proches des films tournés avant
l’introduction du numérique. Pareille ressemblance entre des productions de
l’avant-numérique et des productions réalisées après son apparition n’est pas
fortuite. Elle est d’une certaine manière inhérente et consubstantielle au
procédé même du numérique, qui est d’abord et avant tout un procédé
d’encodage (et non pas de « transfert » ni d’enregistrement en tant que tel) :
quand on tourne un film directement en numérique, on donne en quelque
sorte une commande à l’appareil de prise de vues pour qu’il traduise en
valeurs numériques, en les encodant, les informations lumineuses provenant
de la réalité profilmique – selon des protocoles qui peuvent varier mais dont
le principe reste toujours le même – et pour qu’il emmagasine ces
informations au moment de l’encodage. Résulte de ces opérations un film-
texte qui, au lieu de se trouver enregistré sur un film-pellicule, est encodé
dans ce que nous pourrions appeler un « film-fichier ». Avec pour résultat, au
bout de la chaîne, un film-projection qui, même s’il arrive jusqu’au spectateur
par le truchement d’informations stockées dans un fichier informatique, peut
donner le change : pour le commun des mortels, ce film-projection ne tranche
en effet pas de façon radicale avec un film-projection qui serait produit par
une série de traces lumineuses précipitées sur un écran après avoir traversé
des formes géométriques couchées sur une pellicule de celluloïd.
Par ailleurs, quand on transfère un film 35 mm en numérique, on donne
une commande à l’appareil pour qu’il encode les informations lumineuses
provenant non pas de la réalité profilmique mais du film déjà tourné, et qu’il
leur attribue des valeurs numériques, selon les mêmes protocoles que ceux
qui sont en vigueur pour le tournage en numérique d’images en « prises de
vues réelles » (pour utiliser cette expression consacrée mais qui nous paraît ô
combien étrange). Transférer un film argentique sur un support numérique,
c’est donc produire quelque chose comme un fac-similé de l’original. Ainsi
pourrait-on arguer (avec ou sans lamentations, selon le camp dans lequel on
est) que, le jour où sera achevée la transformation de toutes les salles en vue
de leur passage au tout-numérique, il ne sera plus possible au commun des
mortels de faire l’expérience d’une projection ayant comme source
immédiate le film-pellicule d’une œuvre. Une fois que la technologie du tout-
numérique aura totalement envahi et submergé le réseau d’exploitation des
films, les projections d’un film tourné sous le règne de l’argentique se feront
donc à partir, non plus d’un film-pellicule, mais d’un film-fichier (sauf dans
les cinémathèques si, et seulement si, elles ne se convertissent pas, elles
aussi, au tout-numérique). Autrement dit, le spectateur n’aura plus accès à cet
artéfact sur support argentique que représente la copie sur pellicule d’un film
et sera réduit à ne plus pouvoir regarder autre chose que ce que d’aucuns
considèrent comme le pâle reflet sur support numérique de quelque film sur
pellicule que ce soit. Soit un objet autre, un objet d’une autre espèce, un
alien, en quelque sorte.
En présence de cet objet d’une autre espèce, ce ne serait plus au film lui-
même (film : le mot est bien choisi ici) que nous aurions dès lors accès,
puisque celui-ci ne nous parviendrait plus que par le truchement de son ersatz
numérique. Pour faire un clin d’œil au Godard de Vent d’est14 (1969), on
pourrait dire que cet objet ne serait plus qu’une image – juste une image – du
film, qui viendrait à nous par l’intermédiaire d’un fichier. Chris Marker serait
d’accord, qui, vraisemblablement inspiré par le même Godard, est allé
jusqu’à dire : « [...] on peut voir à la télé l’ombre d’un film, le regret d’un
film, la nostalgie, l’écho d’un film, jamais un film15 ». Nous n’aurions donc
plus accès au film lui-même, ni même à son émanation lumineuse projetée
sur un écran, mais à une simple imitation. Imitation, le mot semble tout à fait
approprié pour parler de l’univers numérique au sein duquel, selon Belton et
ses collaborateurs, la simulation, l’apparence (the look) et la duplication
régneraient par ailleurs sans partage :
The successor of the CD-ROM, on the other hand, the DVD, is destined for
an illustrious future as it changes our film culture, viewing habits and
the production/packaging of feature films at least as decisively as did
the video cassette and the remote control20.
Alors, ce passage au numérique, une révolution ou pas ? L’opinion
publique semble avoir opté pour une réponse positive à cette question, si l’on
en croit les Cahiers du cinéma, pour lesquels la révolution en question serait
même terminée, en raison de l’abandon définitif, annoncé récemment, de la
pellicule argentique. En novembre 2011, la page couverture de la revue
proclamait en effet haut et fort : « Adieu 35. La révolution numérique est
terminée », alors que dans l’article inaugural Jean-Philippe Tessé expliquait,
avec un brin de nostalgie :
En tout cas, révolution ou pas, une chose au moins est certaine : le cinéma
traverse actuellement une importante crise identitaire. L’un des symptômes
de cette crise, ce sont ces questions que les chercheurs en cinéma se posent
depuis les dernières années, reprenant la question fondamentale posée
naguère par Bazin, que l’on décline maintenant selon des formules diverses :
« Quand y a-t-il cinéma ? », « Où va le cinéma ? », « Est-ce du cinéma ? »,
etc. Ce dont l’édition récente en études cinématographiques témoigne de
façon récurrente. Autre symptôme de crise : les nouvelles appellations que se
donnent bon nombre d’institutions cinématographiques, afin d’éviter de
paraître se cantonner au seul cinéma. Autre symptôme encore : l’incroyable
inventivité dont font preuve les concepteurs de nouveaux programmes
d’études universitaires pour éviter eux aussi de donner (à leur future «
clientèle étudiante ») la fâcheuse impression qu’ils se limitent au cinéma.
Et il n’y a pas que les chercheurs en cinéma qui sont affectés, loin de là.
Ce sont tous les usagers du cinéma et les divers intervenants de l’industrie
cinématographique qui traversent une zone de turbulences. On a descendu le
cinéma de son piédestal et les cinéphiles (au sens fort du terme) ont de la
difficulté à s’en remettre, la chose apparaît évidente. D’aucuns vont jusqu’à
prétendre que l’argentique, qui est de l’ordre du chimique, serait une
condition sine qua non pour que la chimie opère entre un film et son
spectateur. On le constate entre autres dans ce que rapporte Stéphane
Delorme dans l’éditorial déjà cité :
Au dernier ciné-club des Cahiers, Bruno Dumont, venu présenter Hors Satan,
conseillait aux spectateurs de voir son film en 35 mm et non en
numérique : « On est de la chimie, et la pellicule est de la chimie, donc
on réagit d’une manière particulière, chimie contre chimie, ce qui n’est
pas possible avec le numérique22. »
L’ASSASSIN NUMÉRIQUE
______________
Chapitre 1*
Le cinéma n’est plus ce qu’il était...
[…] more than any other art, the cinema has died repeatedly and with great
regularity over the course of its relatively brief […] existence2.
La crise que le cinéma traverse actuellement est vue par d’aucuns comme la
douce anticipation d’une mort qui se profilerait à l’horizon. Les divers
hérauts de la « mort » du cinéma ne croient généralement pas à sa véritable
mort, à une effective cessation de son activité vitale. Dans le contexte du
tournant numérique, la « mort » annoncée est plutôt révélatrice du déclin du
média dans le grand concert médiatique, mais aussi de la fin d’une situation
où le cinéma exerçait une hégémonie tous azimuts. C’est cet aspect des
choses qui est en train de mourir, ce n’est pas le média lui-même. Ce que
nous vivons à l’heure actuelle, c’est donc la fin du règne sans partage du
cinéma dans le vaste royaume de l’image en mouvement. C’est en ce sens
que s’exprime le romancier britannique Will Self dans l’enquête qu’il a
menée pour un article au titre percutant publié en 2010 : « Qui a tué le
septième art ? » Reprenant l’un de ses dialogues avec son confrère Jonathan
Coe, Self note :
Le cinéma est mort, ai-je déclaré. Je ne veux pas dire par là qu’on ne fait pas
de films ou que personne n’en regarde, juste que le cinéma n’est plus en
mode narratif dominant, que son hégémonie de près d’un siècle sur
l’imagination de la majeure partie de la population mondiale a pris fin3.
Lorsque [...] j’écoute les conversations qu[e mes enfants] ont avec leurs
copains, je n’ai pas le sentiment que le cinéma joue un rôle central dans
leur vie, mais plutôt qu’ils sont dans un tel tourbillon d’images animées
– télé, ordinateurs, consoles de jeu, vidéosurveillance, téléphones – que
le grand écran n’est qu’une chose qui flotte au loin, une présence
spectrale que seul peut réveiller le nouveau grand spectacle5.
Ce qu’on entend ici, c’est que le cinéma a besoin du grand écran pour
exister et que ce qu’on diffuse sur les autres écrans, ce n’est qu’un tourbillon
d’images animées. Dans pareil contexte, pour pouvoir sortir de son relatif
anonymat médiatique et retrouver sa préséance, il faudrait que le cinéma
renoue avec le « grand spectacle » (ce qu’il est précisément en train de faire
avec le retour en force de la 3D et la prolifération des films à grand
déploiement).
Le déclin du cinéma, sa perte d’hégémonie trouveront une grande
résonance dans le présent ouvrage, où il sera souvent question de
l’hybridation des images animées, mais aussi de la difficulté, combien
révélatrice selon nous, de trouver un nom approprié, et qui fasse consensus,
pour désigner ce cinéma-non-hégémonique-de-l’ère-du-numérique. Ce qui a
incontestablement changé aujourd’hui, c’est que le cinéma n’a plus le «
monopole du cœur » et qu’il éprouve beaucoup de mal à s’en remettre. Qui
plus est, il « n’a plus l’exclusivité des images en mouvement », comme le
constate Jacques Aumont, qui ajoute dans la foulée que le « processus de
dépossession s’est engagé il y a plus d’un demi-siècle, avec la télévision6 ».
Cette perte d’hégémonie de la salle est devenue une question centrale pour les
spectateurs, certes, mais aussi pour les créateurs. On peut le constater
notamment dans une conversation, fort significative, que Will Self rapporte
avoir eue avec David Lynch :
Trois questions qui rejoignent trois des pôles d’un changement d’axe
considérable de la constellation cinéma au sein de la galaxie numérique : la
saisie-encodage du réel, le temps « digitalisé13 » des images animées et la
sollicitation diversifiée des spectateurs ou, plus globalement, des usagers des
médias filmiques.
En 2007, photoréalisme et encodage numérique seront précisément au
centre des propos d’un chercheur américain, David Norman Rodowick (lui-
même au nombre des auteurs du numéro de Cinergon14 déjà mentionné), qui
essaiera pour sa part de définir ce que l’on pourrait désigner comme le
nouveau mode d’existence du cinéma, dans un livre intitulé The Virtual Life
of Film15. Pour Rodowick, l’image issue d’une captation numérique ne crée
plus de causalité, de contingence photoréaliste, elle n’en crée que l’illusion.
De l’indicialité, on passe forcément au simulacre, dès lors que l’image captée
est immédiatement transcodée, convertie en unités discrètes et modulables.
D’où, pour l’auteur américain, l’impossibilité pour ce qu’il nomme l’«
événement numérique » d’accéder à la durée, quand bien même le
mouvement présent dans l’image serait parfait.
Revenons en Europe, en 2009, avec la présentation d’un ouvrage
collectif intitulé de façon proprement « volontariste » Oui, c’est du cinéma,
où Philippe Dubois – qui, on l’a dit plus haut, milite en faveur d’une
conception élargie et extensible du cinéma – proclame haut et fort que le
cinéma serait partout :
Le cinéma est dans les musées, les galeries d’art, au théâtre, à l’opéra, dans
les salles de concert, de plus en plus. Dans les bars, les cafés, les
restaurants, les « boîtes ». Il est dans les bureaux, dans les lieux de
travail, de passage ou d’attente. Il est dans les maisons, dans toutes les
pièces. Il est dans les avions, les camions, les taxis, les trains, les quais
de gare. Sur les murs de la ville et sur nos téléphones portables16.
Au cours des années 2010, la mélopée reste présente dans quelques ouvrages
ou conférences proposées par des intervenants majeurs dans le champ des
études cinématographiques. Pour ne prendre que deux exemples parmi les
conférences évoquées, nous citerons celle de James Lastra qui, en novembre
2011, allait jusqu’à suggérer que toute définition du cinéma serait, au final,
tout à fait provisoire20, et celle de Tom Gunning qui proposait ceci, en mai
2012 : « Let’s Start Over: Why Cinema Hasn’t Yet Been Invented21 ».
À la fin de sa communication, qui portait sur les problèmes d’identité
médiatique du cinéma, James Lastra en arrivait à une conclusion toute «
relativisante » :
Il y a des films partout, y compris dans l’art contemporain, mais à mon sens,
il n’y a pas de cinéma au sens strict [...] dans l’art contemporain, donc
moi je dénonce un peu cette espèce de collusion [...] [qui] attir[e] aussi
bien des commissaires d’expositions artistiques, des critiques d’art que
certains théoriciens du cinéma qui, au fond, indexent l’avenir du cinéma
sur son inscription à l’intérieur de l’art contemporain et, du même coup,
veulent faire que le cinéma devienne un département de l’histoire de
l’art29.
Une seule chose est sûre : le cinéma vivra tant qu’il y aura des films produits
pour être projetés ou montrés en salle. Le jour où son dispositif viendrait
à disparaître (ou devenir pur objet de musée, machine entre tant de
machines dans le cimetière d’une cinémathèque-musée) consacrera la
véritable mort du cinéma, bien plus réelle que sa mort mythique tant de
fois annoncée33.
On a donc, d’un côté, des cinéphiles classiques (au sens le plus pur du
terme), à la Bellour et à la Aumont, pour lesquels la salle obscure représente
le lieu par excellence de l’investissement spectatoriel. De l’autre, un
spécialiste de la photographie et de la vidéo (d’art, surtout) habitué à voir les
images à travers un viseur, et pour qui la salle obscure n’est plus, au fond,
qu’une simple modalité de consommation des images. Et qui s’insurge
(comme le ferait un « ayatollah borné34 », préciserait Aumont) contre les
défenseurs des « modèles uniques et monocentrés, crispés sur leur supposée
“identité” ou “spécificité” historique35 ». Ce sont « [des] puristes, [des]
intégristes et [des] fondamentalistes de tous poils36 », s’exclamerait Dubois,
qui va jusqu’à dire, sans donner de noms, que « ceux qui refusent de voir
l’incroyable variété vivante de cette forme [qu’est le cinéma] aujourd’hui, ce
sont eux qui sont morts, ou momifiés37 ». Le contexte est explosif, en France
du moins, et le débat commence à ressembler à un remake moderne de la
fameuse bataille d’Hernani.
Au dire de Bellour, l’argument de la querelle (celle des dispositifs) est
on ne peut plus simple :
[...] la projection vécue d’un film en salle, dans le noir, le temps prescrit
d’une séance plus ou moins collective, est devenue et reste la condition
d’une expérience unique de perception et de mémoire, définissant son
spectateur et que toute situation autre de vision altère plus ou moins. Et
cela seul vaut d’être appelé « cinéma » (quelque sens que le mot puisse
prendre par ailleurs38).
If you’re playing the movie on a telephone, you will never in a trillion years
experience the film. You’ll think you’ve experienced it, but you’ll be
cheated. It’s such a sadness that you think you’ve seen a film on your...
fucking telephone. Get real39.
De son côté, Aumont enfonce le clou d’abord planté par Bellour et remet
sur le tapis la bonne vieille spécificité du cinéma (qu’il conjugue ici sous la
forme de l’« exclusivité ») :
Mon point de vue [...] est simple : je pense que le cinéma est loin d’avoir
disparu sous sa forme la plus habituelle, et que, parmi les nouvelles
manières d’apparaître de l’image mouvante, il continue de se distinguer
comme porteur d’une combinaison de certaines valeurs, dont il a
l’exclusivité40.
Ce qui est remarquable dans [l]e titre [du livre de Youngblood, Expanded
Cinema], ce n’est pas le qualificatif expanded, c’est de continuer
d’appeler cinéma des formes nouvelles comme l’installation, la
performance avec projection, le circuit fermé de télévision, le traitement
d’image par ordinateur, l’holographie et tout ce qui est advenu aux
images depuis l’arrivée de l’ordinateur et du téléphone41 [...]
Une fois que la tempête aura fini de faire rage, une fois qu’on en aura
fini avec l’inquiétude identitaire que le cinéma nous inspire depuis un certain
temps, on pourra peut-être faire remarquer que l’année 2013 aura été assez
symptomatique, dans l’espace francophone du moins, de l’ébranlement des
certitudes qui a accompagné le long et lent passage au numérique, puisqu’elle
a donné lieu à la parution d’au moins deux ouvrages portant directement sur
les questions d’identité du cinéma, deux ouvrages dont le titre se termine par
un point d’interrogation : d’abord, le Que reste-t-il du cinéma ? d’Aumont42,
ensuite, ce livre intitulé La fin du cinéma ?, que tu tiens entre tes mains, cher
lecteur (ou serait-ce une tablette numérique, une liseuse électronique ou
quelque autre écran ?).
« Ou serait-ce une tablette numérique, une liseuse électronique ou
quelque autre écran ? », venons-nous tout juste d’écrire, dans un souffle
ponctué lui aussi d’un point d’interrogation final : c’est que, ces derniers
temps, répétons-le, la mode est au point d’interrogation dans le champ des
études cinématographiques. Chacun cherche son... identité et l’on ne sait plus
trop quelles sont les limites de l’objet de ces études que l’on continue de
qualifier (mais pour combien de temps encore ?) de cinématographiques. Un
champ en pleine période de redéfinition, qui voit deux camps s’affronter.
Deux camps ? Non : trois, plutôt.
En effet, s’il y a, d’un côté, le camp de ceux qui disent que le cinéma est
partout et, de l’autre, le camp réunissant ceux qui soutiennent qu’il ne peut y
avoir de cinéma autrement que dans une salle de... cinéma, il existe au moins
un autre camp, lequel regrouperait les inconditionnels frappés de ce que nous
avons proposé ailleurs43 d’appeler le syndrome du dead cinema. Les adeptes
de ce camp sont assez nombreux qui vous assurent que le cinéma est d’une
manière ou d’une autre à l’agonie et qui vous annoncent sa mort à venir,
quand ils ne prétendent pas que celle-ci est tout simplement déjà survenue.
C’est en tout cas ce que ne cesse de proclamer sur toutes les tribunes, depuis
une dizaine d’années déjà, le célèbre cinéaste Peter Greenaway, qui a profité
notamment de sa participation au Festival de Pusan (Corée du Sud), en
octobre 2007, pour faire la déclaration suivante :
La date de la mort du cinéma est le 31 septembre 1983, quand la
télécommande s’est répandue dans les salons. Le cinéma doit désormais
devenir un art interactif, multimédia : l’artiste vidéo Bill Viola vaut dix
fois Martin Scorsese. Scorsese est démodé, et il fait les mêmes films que
D W Griffith faisait au début du siècle dernier. 35 ans de cinéma muet a
disparu, plus personne ne le regarde, cela arrivera de la même manière
au reste du cinéma. Nous sommes forcés de nous confronter à ce
nouveau média, un cinéma interactif qui fera ressembler La Guerre des
étoiles à une séance de lecture à la bougie au XVIe siècle44...
Dans ces propos maintes fois cités, le cinéaste britannique considère que
le point de rupture ayant entraîné la mort du cinéma, c’est l’introduction de la
télécommande dans nos salons (qui aurait eu lieu le 31 septembre 1983). Ce
moment marquerait un seuil dans l’histoire du cinéma puisque le nouveau «
bidule » permet l’interaction du spectateur avec l’appareil retransmettant le
film. Ce moment constituerait aussi un seuil parce que l’apparition du bidule
en question aurait provoqué le déclin de cette forme classique que Greenaway
récuse, qui suppose un cinéma linéaire impliquant un spectateur décrit
comme « passif », une forme dont Greenaway constate la mort (malgré
quelques soubresauts d’agonie). L’arrivée de la télécommande sur le marché
permet ainsi la création d’un modèle carrément interactif, basé sur le principe
du VJing45, terme qui désigne un type de performance audiovisuelle devant
public, fondé sur la projection sur écran d’images accompagnées de musique
et sélectionnées en temps réel, une forme dont Greenaway est un adepte
invétéré46.
Il reste tout de même deux choses assez étranges dans la déclaration de
Greenaway : 1) pourquoi donner une date ponctuelle – le 31 septembre 1983
– pour un phénomène qui s’est nécessairement étalé dans la durée (on ne peut
pas soutenir avec sérieux que la télécommande s’est répandue dans les salons
en moins de 24 heures) ? ; 2) pourquoi avoir choisi comme date de la mort
présumée du cinéma un quantième qui n’existe tout simplement pas : il n’y a
pas de 31 septembre, il n’y en a jamais eu, le mois de septembre ne comptant
effectivement que 30 jours ?
L’auteur de Reinventing Cinema, Chuck Tryon, commente ainsi sur son
site Web les propos de Greenaway :
On constate ainsi que, même s’il fait sa déclaration alors que nous
sommes en pleine révolution numérique (en 2007), ce n’est pas à
l’avènement du numérique que Greenaway impute la mort du cinéma, mais à
l’apparition, sur le marché de la télévision et de l’enregistrement vidéo, d’un
dispositif tout simplement électronique (pas numérique), la zapette. Il faut en
conclure que la mort évoquée par Greenaway serait, pour le cinéma, une
autre mort que celle dont le passage au numérique le menace53. Et elle serait
survenue, cette mort-là, en 1983, alors que le projet numérique était encore
dans les limbes.
La généralisation de l’usage de la zapette aurait donc, pour d’aucuns,
entraîné la mort du cinéma (ce sera notre mort n° 7).
Nous voilà donc aux prises avec deux morts successives du cinéma (les morts
n° 7 et n° 8), intervenues à une douzaine d’années d’intervalle l’une de
l’autre. Il n’y a rien de surprenant, lorsqu’on remonte les sentiers de
l’histoire, à rencontrer à plusieurs reprises le cadavre appréhendé du cinéma,
puisque le XXe siècle l’aura mis à rude épreuve.
En effet : « Pauvre cinéma ! », pourrait-on s’écrier. Combien
d’intervenants ne se sont-ils pas bousculés au portillon pour ta mort annoncer
! Pauvre cinéma ! À peine étais-tu « né » que le père Antoine (Lumière),
géniteur des inventeurs (Louis et Auguste Lumière) de ton « appareil de base
» (sur cette notion, voir Jean-Louis Baudry54 et Jean-Louis Comolli55, etc.),
était déjà prêt à rédiger ta notice nécrologique (« le cinéma est une invention
sans avenir », aurait dit le père Lumière au moment même où le
Cinématographe connaissait ses toutes premières heures de gloire56) ! Tu
quoque, mi pater ?
Ce sera là, sur le plan de la chronologie, la toute première des morts
annoncées du cinéma. Ce sera notre mort n° 1, celle d’un média mort-né.
La mort du cinéma est donc, dans l’histoire du cinéma, un thème
récurrent qui ne date pas d’hier. C’est que, en fait, le cinéma n’en finirait pas
de mourir... Ou, pour le dire autrement et de meilleure façon, le cinéma ne
cesserait jamais de se voir déclarer mort ! Parmi le long chapelet de litanies
mortuaires ayant accompagné le média, on peut notamment penser, en plus
des trois morts que nous venons d’évoquer (respectivement les n°s 1, 7 et 8),
à celle que plusieurs esprits chagrins ont annoncée au moment de la
généralisation de la télévision comme média de masse, cette technologie
nouvelle que plusieurs voyaient comme une menace directe à la survie du
cinéma. Ainsi, par exemple, le magazine Paris Match (voir la figure 1)
posait-il, sur la couverture d’un de ses numéros de juillet 1953, la question
suivante : « Le cinéma va-t-il disparaître ? » et désignait-il un coupable : « La
crise dramatique de Hollywood et la bataille désespérée des procédés
nouveaux contre la télévision57 ».
Figure 1. Page couverture du magazine Paris Match n° 226, daté du 18 au 25
juillet 1953. ©Paris Match Scoop.
Cette mort (ce sera notre mort n° 5, puisqu’une autre mort interviendra
bientôt dans notre propos, située entre celle-ci [n° 5] et celle provoquée, dans
les années 1980, par l’apparition de la zapette [n° 7]) a déjà été abondamment
commentée depuis le temps, et nous n’y insisterons pas ici, sinon pour faire
un fructueux détour par un petit ouvrage français par trop méconnu, dont
nous tirerons un grand nombre d’enseignements. Signé Roger Boussinot,
édité en 1967, l’ouvrage (un « pamphlet », annonce-t-on sur la couverture ! –
un pamphlet visionnaire, serions-nous tentés d’ajouter), opportunément
intitulé Le cinéma est mort. Vive le cinéma58!, a attiré notre attention non
seulement en raison de son titre, mais tout aussi bien, sinon plus encore,
parce qu’il brasse en un même ensemble deux des morts successives que le
cinéma aurait connues, à peu d’années d’intervalle l’une de l’autre, dont la
plus récente n’est d’ailleurs peut-être pas assez présente à nos esprits
contemporains. La première, c’est bien entendu celle qui fut causée par
l’arrivée massive de la télévision :
Le bouleversement remonte aux années 50. À cette époque, chaque fois que
l’on a installé un récepteur de télévision dans un foyer, on a annoncé la
mort du cinéma59.
L’histoire du cinéma tient toute entière [sic] dans les soixante-dix années qui
séparent les apparitions successives de ces deux petites mécaniques très
simples : le CINÉMATOGRAPHE LUMIÈRE, en 1895, et le
MAGNÉTOSCOPE AVEC CAMÉRA ÉLECTRONIQUE (et possibilité
d’adjonction de l’EIDOPHOR), en 196563.
Tout y est, absolument tout ! Tant et si bien que nous nous dispenserons
de commentaires. « La cassure existe déjà. Elle ne peut que s’élargir, devenir
gouffre », ajoute Boussinot. Un gouffre dans lequel la salle de cinéma risque
d’être engloutie, ainsi que les structures alors en vigueur du cinéma.
Le seuil suivant, représenté par l’arrivée de la télé, aurait donc été
franchi avec cet événement majeur que constitue l’avènement du
magnétoscope, qui aurait, selon Boussinot, fait vivre au cinéma sa mutation
la plus importante depuis 1895 : « En comparaison, écrit-il, le passage du
“muet” au “parlant” ne fut qu’un simple incident. »
La généralisation du magnétoscope, c’est la mort du cinéma, c’est une
autre mort du cinéma (ce sera notre mort n° 6).
Cette innovation technologique, qui donnait au spectateur la possibilité
d’enregistrer ce qui passait à la télé (films compris) ou encore d’acheter ou de
louer des cassettes de films préenregistrés, allait propulser le home cinema
au-devant de la scène. Ainsi l’arrivée du magnétoscope provoque-t-elle une
importante « cassure », un terme utilisé par Boussinot qui nous semble d’une
très grande justesse pour décrire les phénomènes que nous observons.
Si, pour s’en tenir à ce seul exemple, le parlant connaît autant de détracteurs
fin des années vingt, c’est bien parce que le cinéma perdrait, à leurs
yeux, une part de son identité, confondant ses intérêts avec ceux des
industries du spectacle (Broadway) et des « nouvelles technologies »
d’alors (disque, radio, téléphone68).
Dans de nombreux articles d’époque faisant écho à la révolution du
parlant, les auteurs invoquent tous, au bout du compte, la singularité, la
spécificité du média. Dans les polémiques suscitées par l’arrivée du parlant,
le mutisme même du cinéma apparaît, pour d’aucuns, comme son dernier
carré identitaire. Ainsi Lucien Wahl écrit-il, en 1928, que le « cinéma est
toujours pur quand il se tait69 » alors que, de son côté, Pierre Desclaux
avance, la même année, que « ce mutisme est sa caractéristique propre, celle
qui lui confère ses qualités spéciales70 ».Desclaux ajoute même que :
Un peu plus d’une quinzaine d’années avant cette mort n° 4, provoquée vers
1930 par l’avènement du parlant, il y eut une autre mort, intervenue celle-là
dans la première moitié des années 1910. Une mort qui est passée
relativement inaperçue, car elle n’a apparemment pas suscité de
commentaires explicites de la part des intervenants de l’époque (au contraire
de nos sept autres morts). Cette mort est particulièrement chère aux deux
auteurs du présent ouvrage (si l’on nous permet une affirmation d’apparence
morbide), tout simplement parce qu’elle est en phase avec la deuxième
naissance du cinéma, selon leur hypothèse dite de la « double naissance des
médias ». Nous dirons, dans un premier temps, que la mort dont il est ici
question (ce sera notre mort n° 3), c’est en fait la mort du cinématographe
plutôt que celle du cinéma. Du cinématographe, au sens que nous avons
donné à ce mot dans nos écrits antérieurs puisque, selon les hypothèses
développées par l’un des auteurs du présent ouvrage, le cinéma comme tel ne
serait né qu’au cours des années 1910 :
Il s’agit là d’une hypothèse qui, depuis le temps (1997), a fini par faire
l’objet d’un livre, paru en 2008, dont l’ambition était, précisément, de la
valider :
Aussi peut-on trouver un peu étonnant que Dudley Andrew écrive ce qui
suit en 2010 :
So let me be forthright: the cinema came into its own around 1910 and it
began to doubt its constitution sometime in the late 1980s. I’m not the
one to send out this tardy birth-announcement; Edgar Morin did that in
1956 in Cinema: Or the Imaginary Man when he headed a chapter
“Metamorphosis of the Cinematographe into Cinema80.”
Quelques années à peine avant notre mort n° 3 serait par ailleurs survenue
une autre « mort » du cinéma, celle-là autour de 1907-1908, alors que
s’amorçait, justement, le processus d’institutionnalisation. Une mort toute
relative elle aussi, associée à une crise véritablement protéiforme. Les années
1907-1908, qui marquent le début du mouvement qui mènera à l’institution «
cinéma », sont en effet les années charnières qui annoncent la fin d’un
modèle, la mort d’un paradigme. Elles sont le théâtre d’une série d’actions et
d’événements qui ont ébranlé le monde de la cinématographie
(principalement en France, mais aussi dans les autres principaux pays
producteurs de films) :
Le syntagme « première fois » n’est mentionné nulle part dans les textes
de Valleiry que nous avons pu consulter, mais il nous semble qu’il règne
comme un parfum de « double naissance » dans ses écrits. C’est en tout cas la
seule façon de concilier les propos en apparence contradictoires d’un article
intitulé « Le Cinématographe n’est pas encore né », dont l’auteur affirme que
le « cinématographe [est] né il y a dix ans », en précisant deux paragraphes
plus loin :
C’est misérable de songer que la plus grande usine du monde livre 210
cinématographes par mois et 60 000 mètres de vues par jour, alors que le
besoin est exactement 1 000 fois plus grand.
______________
Chapitre 2*
La digitalisation généralisée du cinéma
Cet extrait installe bien le contexte. Il aurait été naïf de penser que la
digitalisation puisse cantonner ses effets au seul codage des données. Le
codage ne peut se limiter à une simple opération technologique isolée, il
affecte forcément le langage, dont le codage constitue précisément le principe
premier. Et dès lors que le principe premier qu’est le codage s’universalise, il
finit par affecter tous les langages médiatiques, puis tous les médias qui
transmettent – c’est-à-dire co-construisent – ces langages. Pour l’exprimer
plus simplement : le codage digital est en passe d’ennumériser nos médias de
pied en cap, c’est-à-dire de la production à la réception, en passant par la
transmission.
Mais y a-t-il pour autant « révolution » ? Cette omniprésence suffit-elle
à rendre légitime le recours à l’expression « révolution numérique » ?
Galvaudé comme il l’est, ce syntagme à la mode a pu servir de slogan à des
stratèges du marketing et autres prophètes des nouveaux médias. En outre, la
révolution numérique, en tant qu’étiquette générique, associe pêle-mêle
plusieurs types de constats. Elle concerne tout d’abord une réalité
technologique : la généralisation accélérée de la numérisation de
l’information (information est à prendre ici au sens général de « données »).
Plus largement, elle renvoie aussi à un constat de généralisation : soit cette
mise en réseau au niveau planétaire, qui passe par Internet et par la
prolifération des écrans. Enfin, on range aussi sous l’étiquette révolution
numérique les conséquences multiples engendrées par ce bouleversement
technologique. L’hybridation généralisée, la convergence des médias, le flux
permanent des données (dont les images) et leur accessibilité matérielle
comptent parmi les plus spectaculaires de ces effets.
Le philosophe Pierre Musso fait partie de ceux qui manifestent de la
méfiance, voire du scepticisme, devant ce tapage révolutionnaire. S’il y a bel
et bien passage ou mutation, cela signifie-t-il forcément qu’il y a révolution ?
Voilà qui nous incite, encore une fois, à nous demander à quoi au juste
renvoie le mot révolution lorsqu’il est associé à la technologie. Révolution,
c’est-à-dire « transformation soudaine et radicale » : voilà une définition
assez consensuelle du terme partagée par plus d’un dictionnaire. Le caractère
de soudaineté est évidemment relatif en fonction de l’échelle historique que
l’on adopte. Le critère de radicalité nous semble plus intéressant, l’avant-
révolution se distinguant nettement de l’après-révolution. Entre l’avant et
l’après, il existerait quelque chose de l’ordre de la rupture, de la cassure ou de
la fracture. Devrait-on alors plutôt parler de fracture numérique ? Voilà une
acception peu usitée mais pertinente, à nos yeux, pour cette expression
désormais courante lorsqu’il s’agit de désigner l’accroissement du fossé
social entre ceux qui ont accès à Internet et ceux qui s’en voient privés. Plutôt
que d’évoquer le seul hiatus socioculturel, il nous apparaît que l’expression «
fracture numérique » peut aussi renvoyer à cette rupture entre un avant et un
après le bouleversement technologique.
Si l’on en croit Tushman et Anderson, l’idée de rupture technologique
renvoie à la conception, au développement et à l’introduction « d’une
innovation technologique radicale, c’est-à-dire d’une technologie
profondément différente des technologies dominantes précédentes18 ». Les
deux auteurs attribuent donc au mot rupture une connotation particulière, ce
qui amène les responsables du site de l’InnoviSCOP à distinguer rupture et
révolution :
Les fictions et discours associés aux TIC ne relèvent pas que des spéculations
intellectuelles ou idéologiques, mais aussi de spéculations financières :
leurs effets sont très « pratiques ». Il faut considérer la formation d’une
véritable « économie symbolique » liée aux technologies. Elle est faite
d’une circulation accélérée de signes, de discours et de réputations30.
[...] le mot écrit a, lui aussi, été pris dans une circulation vertigineuse, aussi
bien du côté des échanges incessants sur Internet que du côté des
expositions d’art contemporain (où le texte n’est pas rare). Pour autant,
personne ne confondra une œuvre littéraire avec un tweet ni avec un
livre exposé dans une vitrine de musée – ni, tout simplement, la
diffusion de la littérature avec celle du langage37.
[...] charger la pellicule, ne pouvoir tourner que dix minutes, envoyer les
films au laboratoire, ne pas voir tout de suite ce qu’on a tourné : ça n’a
plus aucun sens. Le numérique a supprimé toutes ces contraintes43.
Mais le storyboard offre peut-être l’illusion que l’on peut différer, limiter,
voire éviter cette fameuse fracture qui sépare le scénario de sa
réalisation, dès lors qu’on leur invente une intense contiguïté. Cette
manière d’étouffer la fracture médiatique se retrouve de façon
exemplaire chez Hitchcock51.
Je fais toujours les films sur le papier [...] Et quand je commence à tourner le
film, pour moi, il est fini. Si bien fini que je souhaiterais ne pas avoir à
le tourner. Je l’ai entièrement dans ma tête : sujet, cadrage, dialogues,
tout52.
Oui, c’est l’outil qui a suscité le film. L’idée était d’abord de faire un film
qui, économiquement, ne doive rien à personne. Ce qui impliquait : pas
de développement et pas d’équipe ; juste deux micros, et moi tenant la
caméra. D’autre part, je voulais faire des plans-séquences assez longs, et
donc ne pas être limité par la durée des bobines. Ensuite, comme il n’y
avait pas d’équipe, je voulais que la netteté soit faite par la caméra elle-
même. En ce sens, c’est aussi un film des ingénieurs de Sony. L’équipe
technique, c’est eux56.
______________
* La mention « En savoir + » apparaît à plusieurs reprises dans les notes de
bas de page de cet ouvrage. Elle indique qu’un supplément d’information
(illustrations, vidéos, hyperliens, citations ou notes complémentaires) est
accessible sur le site Internet finducinema.com.
1. « Une histoire de temps. Analogique contre numérique, l’éternelle question
du changement de technologie et de ses implications sur l’odyssée d’un
réalisateur expérimental », Trafic, n° 50, été 2004, p. 419.
2. « Cannes à la croisette des chemins », Libération, 11 mai 2011, p. 2.
3. Imaginons-la avec des ailes, comme le papillon de la théorie du chaos... et
comme la fée Clochette ! Imaginons-la aussi comme une descendante de la
fée Électricité !
4. La méthode, t. 1, La nature de la Nature, Paris, Seuil, 1977, p. 35. On sait
que dans cet esprit systémique, le tout excède toujours la somme de ses
parties ; c’est aussi le cas de la culture médiatique et de l’intermédialité
comme systèmes.
5. Nous entendrons ici par intermédia le système complexe résultant des
relations et échanges intermédiatiques dans un écosystème médiatique donné.
L’intermédia est donc lié à la porosité des médias et à l’abolition relative des
frontières qui les séparent. Résultat des échanges fusionnels provoqués par la
fameuse convergence (des médias et des plateformes), l’intermédia est en
quelque sorte la condition de nos hypermédias.
6. On entend par « boucle de rétroaction » (feedback, action en retour) le
renvoi dans le système des informations qui en émanent.
7. Pour approfondir le sujet, on pourra se reporter à la synthèse critique
proposée par Jean-Pierre Meunier, Approches systémiques de la
communication, Bruxelles, De Boeck, 2003.
8. Voir la rubrique « irréversibilité » dans « Abécédaire », Les Cahiers de
médiologie, n° 6, 1998, p. 275.
9. Le vocabulaire de la « mobilographie » n’étant pas encore stabilisé, nous
avons demandé des précisions à un spécialiste de ces questions, Richard
Bégin (Université de Montréal), qui nous a répondu ceci (courriel personnel
adressé à André Gaudreault le 10 avril 2013) : « J’utilise le terme
“mobilogramme” pour parler des films tournés avec un portable. En ce qui
concerne celui qui regarde des œuvres sur mobile ou utilise le portable pour
vivre une expérience “mobilographique” ou “mobiloludique”, le terme
“mobilonaute” semble le plus adéquat (il est parfois utilisé dans la presse ; je
devrai faire un travail de recension). J’appelle par contre “mobilographe”
celui qui créé avec le portable puisqu’il “inscrit” en quelque sorte sa propre
mobilité. N’oublie pas la mobilogénie et le mobilophile (un mobilonaute
puissance 10) ! » En savoir +.
10. Voir André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire
du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, 2008.
11. L’appel à communication peut être consulté sur le site de l’École
supérieure d’art d’Aix-en-Provence. En savoir +.
12. « La “révolution numérique” : techniques et mythologies », manuscrit de
l’auteur accessible en ligne sur le site de l’Institut Mines-Télécom, 2010, p. 1
(publié dans La Pensée, n° 355, 2008, p. 103-120). En savoir +.
13. Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
14. Petites mythologies d’aujourd’hui, Paris, Aubier, 2000.
15. Nouvelles mythologies, Paris, Seuil, 2007.
16. Voir notamment, de Patrice Flichy, L’innovation technique, Paris, La
Découverte, 1995, et, plus récemment, L’imaginaire d’Internet, Paris, La
Découverte, 2005.
17. Op. cit., p. 13.
18. C’est du moins l’interprétation qu’en fait le site Web de la Société de
conseil en organisation et financement de la recherche et de l’innovation,
l’InnoviSCOP, qui renvoie l’internaute à la référence suivante : M. L.
Tushman and P. Anderson, « Technological Discontinuties and
Organizational Environments », Administrative Science Quarterly, vol. 31, n°
3, septembre 1986, p. 439-465. En savoir +.
19. Entrée « rupture technologique », parmi les définitions que publie
l’InnoviSCOP sur son site Web. C’est nous qui soulignons. En savoir +.
20. Ibid.
21. Voir Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, 2012. En savoir
+.
22. « Introduction. Quand la révolution numérique n’est plus virtuelle… »,
Esprit, mai 2006, p. 123. En savoir +.
23. Pour comprendre les média. Les prolongements technologiques de
l’homme, Paris, Seuil, 1968, p. 25.
24. L’homme numérique, Paris, Robert Laffont, 1995.
25. Op. cit., p. 123.
26. Capitalisme et schizophrénie, t. 2, Mille plateaux, Paris, Éditions de
Minuit, 1980.
27. Atlas, Paris, Julliard, 1994.
28. La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2002.
29. Op. cit., p. 122.
30. Op. cit., p. 13.
31. Par spectacteur (avec un c), nous entendons un spectateur qui participe
activement à un média audiovisuel possédant une dimension interactive. Au
sens fort, on peut estimer que le spectateur est acteur du « spectacle » ou de
la monstration qu’il co-construit. Voir aussi Réjean Dumouchel, « Le
spectacteur et le contactile », Cinémas, vol. 1, n° 3, printemps 1991, p. 38-
60.
32. Au-delà de la distinction originelle associée au nombre, et propre au latin
: media étant, dans cette langue, le pluriel de medium. Les auteurs du présent
ouvrage expriment leurs remerciements à François Albera et à Laurent Le
Forestier, avec lesquels ils ont eu plusieurs échanges personnels fructueux sur
la question de la distinction entre médium et média.
33. Que reste-t-il du cinéma ?, Paris, Vrin, 2012, p. 55.
34. Ibid., p. 12.
35. Ibid., p. 56. Malgré la distance que nous prenons avec certaines
hypothèses et opinions d’Aumont, nous adoptons d’emblée l’énumération
qu’il suggère, laquelle nous semble idéale pour caractériser les images
d’aujourd’hui.
36. Loc. cit.
37. Ibid., p. 60.
38. Le site officiel peut être consulté en ligne. En savoir +.
39. Définition de la twittérature affichée sur le site de l’Institut de twittérature
comparée. En savoir +.
40. Voir l’article de Fabien Deglise, intitulé « Des nouvelles inédites en 140
caractères », Le Devoir, 2 février 2013, qui annonce la publication en ligne de
25 histoires 25 auteurs en 140 ca. (réunies par Fabien Deglise). En savoir +.
41. Voir Richard Bégin, « Mobilographie et mobilogénie du désastre »,
Artpress 2, n° 29, mai 2013, p. 50-52 : « L’appareil numérique mobile permet
donc en quelque sorte une écriture particulière du désastre, soit, plus
précisément, une inscription de la mobilité du témoin. L’esthétique du
désastre requiert alors une étude “mobilographique” qui permettrait de
comprendre comment se construit un événement par la seule mobilité
individuelle inscriptible par le dispositif portable. La “mobilographie” du
désastre nous informerait en ce sens de l’apport esthétique indéniable de
l’appareil numérique portable “intelligent”. »
42. Mentionnons en outre, comme nous le fait remarquer Sophie Rabouh
(Université de Montréal et Université Paris 1) l’application pour téléphone
mobile Vine, sur la plateforme Twitter, qui permet de partager des vidéos
d’une durée maximale de six secondes, en les jouant en boucle. Le festival de
Tribeca a récemment mis en compétition et récompensé les meilleurs films
courts Vine. En savoir +.
43. Serge Kaganski et Jean-Marc Lalanne, « Entretien avec David Lynch :
“Mes films sont mes enfants” », Les Inrockuptibles, n° 830, 26 octobre 2011.
En savoir +.
44. Le film Rebelle (2012) de Kim Nguyen, représentant le Canada aux
Oscars 2013, a notamment été tourné avec cette caméra. En savoir +.
45. « L’événement numérique », Trafic, n° 79, automne 2011, p. 88.
46. Ibid., p. 89.
47. Op. cit., p. 62.
48. Ibid., p. 63.
49. Voir à ce sujet Philippe Marion, Traces en cases : travail graphique,
figuration narrative et participation du lecteur, Louvain-la-Neuve, Bruylant-
Academia, 1993.
50. Voir notamment Benoît Peeters, Jacques Faton et Philippe de Pierpont,
Storyboard – Le cinéma dessiné, Bruxelles, Yellow Now, 1992.
51. Philippe Marion, « Scénario de bande dessinée. La différence par le
média », Études littéraires, vol. 26, n° 2, décembre 1993, p. 87. En savoir +.
52. André Bazin et al., La politique des auteurs : les entretiens, Paris,
Cahiers du cinéma, 2001, p. 155-156.
53. Idées plus largement développées par Philippe Marion dans l’article
précité.
54. Aumont semble partager cette idée lorsqu’il mentionne les propos de Gus
Van Sant soulignant (à propos de son remake « numérisé » de Psycho) « qu’il
avait eu la chance de pouvoir faire ce que Hitch aurait voulu mais n’avait pu
réaliser, faute de moyens adéquats ». Voir Jacques Aumont, op. cit., p. 64.
55. On peut visualiser ce story-board numérique en ligne. Nous remercions
Olivier Asselin (Université de Montréal), qui nous a renseignés sur ces
exemples. En savoir +.
56. Cité dans Nicolas Marcadé (ouvrage conçu par), Chronique d’une
mutation. Conversations sur le cinéma (2000-2010), Paris, Fiches du Cinéma
éditions, 2010, p. 14.
57. Information extraite d’un courriel adressé par Olivier Asselin (cinéaste et
professeur à l’Université de Montréal) à Philippe Marion, le 19 mars 2013.
Asselin nous y fait aussi remarquer que le logiciel ProTools d’Avid reste à ce
jour le principal logiciel de montage son et de mixage au cinéma. En savoir
+.
58. Didier Péron, op. cit., p. 2. En savoir +.
59. « The Ending(s) of Cinema: Notes on the Recurrent Demise of the
Seventh Art », Offscreen, 30 avril 2003, en ligne. Déjà, le titre de l’article
annonce tout un programme ! En savoir +.
60. Voir Laurent Le Forestier, « Le DVD, nouveau jouet d’optique ? », dans
Francesco Casetti, Jane Gaines et Valentina Re (dir.), In the Very Beginning,
at the Very End. Film Theories in Perspective, Udine, Forum, 2010, p. 165 :
« On le sait, Deleuze a tenté de prolonger les réflexions de Foucault, en
affirmant en substance que si ce dernier était encore présent, il s’intéresserait
au passage de la société disciplinaire à la société de contrôle. On pourrait
alors peut-être en donner la définition suivante : une société de contrôle est
une société dans laquelle la lecture de tout acte de création n’est pas imposée,
mais tout simplement domestiquée, pacifiée et canalisée. De ce point de vue,
comme les jouets d’optique en leur temps, le DVD, dans sa dimension à la
fois technique et idéologique, constitue un symptôme exemplaire de l’état de
notre société. »
61. L’invention du quotidien, t. 1, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990
[1980].
62. Simon Thibodeau (Université de Montréal), dans un courriel adressé le 15
mai 2013 aux deux auteurs du présent ouvrage. En savoir +.
63. Un Digital Cinema Package est un disque dur qui contient les fichiers
numériques du « film » à projeter (la « bande »-image, la « bande »-son, les
sous-titres et diverses métadonnées utiles au projectionniste) et qui est livré
dans les salles de cinéma numérique comme l’étaient les bobines de film au
temps de l’argentique. Les fichiers sont encodés et, surtout, cryptés. Règle
générale, la « clef » numérique qui permet de désencrypter le « message » (et
donc de projeter le « film ») n’est valable que pour une période limitée,
prédéterminée. Remarque : au nombre de mots qui sont ici entourés d’une
paire de guillemets de distanciation, on se rend bien compte que, ces temps-
ci, le langage a peine à suivre les mutations en cours.
Chapitre 3*
Les images d’aujourd’hui sont non seulement des images numériques, mais
aussi des images multipliées et des images nomades. D’où ce que nous
appellerons le « syndrome NuMuNo » (pour numériques, multipliées et
nomades), derrière lequel se profile, sur le plan de la réception, l’une des
dimensions les plus explicitement « révolutionnaires » de cette mutation
numérique dont nous sommes acteurs et témoins. Ce que notre « modernité
médiatique » nous offre, ce sont par exemple les nombreuses voies d’accès –
un accès qui se fait le plus souvent d’une simple pression du doigt – à une
quantité phénoménale d’images (mouvantes ou non). Par ailleurs, les écrans
se multiplient à la vitesse grand V, leur adaptabilité, leur accessibilité et leur
diversité ne cessant de croître. Un terminal aussi répandu que le téléphone
mobile s’est ainsi transformé en « une sorte de couteau suisse électronique
multiservices3 » désormais capable de gérer du filmique. Nous pourrions
aussi adopter la triade médiatique proposée par Thierry Lancien, pour qui la
multiplication des écrans rime avec des « médias nomades, hybrides,
évolutifs4 ».
Si la différence qualitative ressentie par le spectateur peut être assez
minime lorsqu’il consomme du film « digitalisé » plutôt que du film sur
support argentique, ce qui change profondément c’est l’universalisation de
l’accessibilité des données5. Nous sommes désormais entrés de plain-pied
dans ce que Jeremy Rifkin nomme « l’âge de l’accès6 ». Cette révolution de
l’accès à une masse exponentielle de données touche une multitude toujours
croissante d’usagers. Il s’agit d’un courant profond qui fait sentir ses effets
sur différents plans, de même qu’il exerce son influence sur différents acteurs
du monde virtuel, dont des mégadistributeurs de films comme YouTube,
Dailymotion et autres Vimeo.
Mais il est d’autres instances qui profitent sans compter du nouvel accès
à ces données multiples : le cinéphile, par exemple, qui peut plonger à sa
guise dans ses films préférés (à la condition de faire son deuil de la salle et de
la pellicule) et le pédagogue. L’accessibilité cumulative des œuvres paraît
sans limites et leur format digitalisé se prête bien à la manipulation
analytique la plus rigoureuse. Comme l’écrit Michel Marie :
[...] la synthèse numérique engendre une image qui n’a jamais existé dans la
réalité ; son produit relève entièrement de l’imagination et de l’intention
de ses créateurs15.
En tant que données, les images captées numériquement n’ont pas un statut
ontologique différent de celui des images de synthèse qui bâtissent des
mondes virtuels à partir d’opérations mathématiques sur des espaces
cartésiens17.
[...] dès cette date, il fut clair pour tous – non sans quelques frémissements
d’horreur ou de mélancolie chez les plus âgés – que la projection
numérique à haute résolution était de qualité égale à celle de la
pellicule19.
Ce grain qui est désormais remplacé par un simulacre électronique (le « bruit
») alors qu’il attestait du prélèvement par réaction chimique d’un dépôt
de réel, comme un coup de soleil sur la peau20.
J’en ai rencontré [...] qui, tout gauches et mal tracés qu’ils sont, reflètent
vivement, à côté de l’intention imitative, l’intention de pensée, à tel
point que cette dernière y est toujours [...] infiniment plus marquée et
réussie que la première. En effet, pendant qu’on ne voit que des
membres à peine reconnaissables considérés un à un, un visage
fabuleux, une panse mal bâtie et deux quilles de jambes, on discerne
néanmoins, et d’emblée, une intention voulue d’attitude, des traces non
équivoques de vie, des signes d’expression morale, des symptômes
d’ordonnance et d’unité, des marques surtout de liberté créatrice qui
prévalent hautement par-dessus le servage d’imitation34.
Early reviewers have compared the higher frame rate versions to high
definition television shows, and have accused the format of making the
special effects and scenery appear to be fake due to the sharpness. “This
wildly expensive visual technology paradoxically conspires to make
everything else in the film look cheap”, said Slate’s Dana Stevens. “It’s
hard to overstate the degree to which the 48fps format interfered with
my ability to get lost in this movie’s story35 [...]”
[…] des dogmes dont la portée symbolique nous heurte : fixité extrême,
lissage, compression, chasse à l’imperfection, à l’imprévu, aux aspérités,
éternelle juvénilité d’images qui ne vieilliront pas, n’auront plus
d’histoire. Des images nettoyées, hygiéniques, désaffectées36 […]
[...] l’affichage différé des vignettes dans la planche engendre une dimension
de feuilleté au sens où l’apparition des vignettes se décompose en strates
successives dans la planche55.
Pareille situation ne reste pas sans effet, au moins sur les plans
ontologique et narratologique. Dans son commentaire sur l’article de Tom
Gunning publié dans l’ouvrage codirigé par lui, Guido note que l’auteur
américain montre comment la photographie instantanée a permis de percevoir
des mouvements qui étaient jusque-là restés tout à fait invisibles tout en
contribuant à « dévoile[r] le transitoire, le fugitif, l’éphémère, le quelconque,
là où l’esthétique classique d’un Lessing exigeait l’instant choisi,
emblématique, prégnant57 ». Le cinéma a diffusé dans un continuum, en
empruntant un débit fondé sur la durée, « ces instants figés produits de
l’arbitraire58 », ces instants fugitifs, secondaires, anodins. En un mot, ces
instants non prégnants. Avec le numérique et les nouveaux dispositifs
technologiques, on peut en quelque sorte retrouver, par l’arrêt sur image, le «
secret » (ou l’envers du décor) du montage. Ainsi, le spectateur peut donc, ici
encore, subvertir la vocation homochrone du flux médiatique et la gérer de
façon hétérochrone. Il peut s’arrêter sur n’importe quel photogramme ou
n’importe quelle image comprise dans le flux de l’image animée. Ce qui
signifie, en termes quasi narratologiques, que l’usager peut, derrière son
écran domestique, redonner son caractère prégnant à n’importe quel instant
fugitif... Ce faisant, par cette interaction simple, il peut aller jusqu’à
réorganiser à sa guise le programme des tensions narratives prévu pour
s’appuyer sur un ensemble d’instants prégnants.
Si ces formes d’interaction assez minimales possèdent déjà de pareilles
conséquences, on imagine l’importance de celles qui découlent de l’évolution
accélérée d’autres formes d’interactivité combinées aux hybridations
médiatiques de tous types. Ainsi, parmi de multiples exemples possibles,
assiste-t-on aujourd’hui à une convergence des séries télévisées, des jeux
vidéos, des réseaux sociaux, du téléphone portable et des plateformes mobiles
pourvues de caméras et d’écrans, voire d’une technologie de localisation et de
reconnaissance vocale. On peut par exemple se reporter à Last Call59 (Milo,
2010, produit par Deluxe Films et l’agence publicitaire Jung von Matt), où un
personnage issu de la « fiction » peut donner un coup de téléphone réel à l’un
des spectateurs réunis dans une salle afin de s’informer de ce qu’il doit faire.
Ce spectateur peut alors l’orienter vers une solution qu’il choisit, ce qui
infléchira le déroulement du récit. Ce qu’Olivier Asselin met justement en
perspective comme suit :
On the one hand, real-world data are now often located on the Internet,
notably through mapping software and interfaces, producing a kind of
augmented virtuality ; on the other hand, virtual data are now often
located in real space, notably through augmented reality applications. In
this expanded field, new forms of cinema and games have emerged that
deploy pervasive transmedial narratives60.
______________
Chapitre 4*
On sait que pour Barthes, comme en fait foi la première épigraphe du présent
chapitre, la salle de cinéma était un invariant privilégié. Or l’avenir de la salle
de cinéma, écrin des attractions filmiques, semble désormais menacé par cette
révolution numérique qui bouleverse nos traditions, qui chamboule nos
habitudes. Et qui a précipité, il y a peu, une crise. La salle et la pellicule sont
pourtant, répétons-le, les deux principes majeurs qui servent à asseoir la
plupart des définitions du cinéma que le XXe siècle nous a léguées. Pour les
tenants de la tradition cinéphile, il est en effet loin d’être évident de concevoir
le cinéma sans la salle. Et il n’est guère plus évident de concevoir le cinéma
sans la pellicule. On peut imaginer le déchirement provoqué chez tout «
amant » du cinéma quand la mutation numérique le force à imaginer ce que
peut être le cinéma sans la salle et sans la pellicule... C’est pourtant à cet
exercice de gymnastique spectatorielle que le passage au numérique nous
convie. Exit l’encombrant projecteur, exit les encombrantes bobines et exit le
tout aussi encombrant projectionniste ! La projection, qui fut à une époque la
condition sine qua non de la réception filmique, est donc devenue, pour
reprendre les termes déjà utilisés plus haut, une simple modalité de
consommation des images, parmi d’autres modalités. Et ce, de façon
inéluctable, irrémédiable. Fin de partie, le cinéma (ou le « film » ?) est
irrémédiablement descendu de son piédestal.
Réactions en chaîne : comme la salle de cinéma (cette salle à vocation
cinématographique dominante que l’on peut désigner comme « classique »)
ne veut pas mourir, elle se cherche d’autres fonctions, complémentaires. En
effet, la salle de cinéma d’aujourd’hui est vouée à servir le spectateur d’une
façon tout autre qu’à l’époque, disons, de l’âge d’or du cinéma-institution.
C’est vrai aujourd’hui, et ce sera encore plus vrai demain. La salle de cinéma
est en train de devenir (de redevenir, en fait) un carrefour de séries culturelles
étrangères au seul cinéma (cette « nuisance » que l’on désigne en France sous
l’appellation hors-film) : opéras ou autres spectacles scéniques, compétitions
sportives, émissions de télé.
La situation est devenue si inextricable que la question suivante,
pourtant étonnante et souffrant d’une contradiction apparente, semble
désormais couler de source : les images que l’on voit « au cinéma », est-ce
toujours « du cinéma » ? C’est un peu comme si la révolution numérique
avait fait s’inverser la proposition de base du cinéma-institution et de ce que
l’on pourrait appeler la télévision-institution : d’un côté, un « film-de-cinéma
» (appelons-le comme cela, puisque plus rien n’est évident dans le nouveau
monde, digitalisé, du cinéma), un film-de-cinéma, donc, ça se voit : 1) en
public, 2) sur grand écran, 3) dans une salle de cinéma ; de l’autre, la
diffusion en direct d’un opéra ou d’un gala télévisé, ça se voit : 1) en privé, 2)
sur petit écran, 3) dans son salon.
Maintenant que le numérique permet une prolifération, sans aucune
mesure avec ce que l’on a pu connaître avant lui, de pratiques alternatives, et
que le spectateur ordinaire peut choisir de consommer des films dans le
confort de son salon, à sa guise, plutôt que selon un horaire contraignant et
déterminé par autrui, bienvenue à l’« oxymorique » home cinema3.
Maintenant que le numérique permet la prolifération de pratiques alternatives
et que les salles de cinéma se cherchent de nouvelles vocations, bienvenue à
la tout aussi « oxymorique » agora-télé !
DE LA SALLE AU SALON
Des années après l’adoption, du côté de chez soi, de cette nouvelle pratique
qu’est le home cinema, à la faveur de laquelle le « cinéma-de-salle »
(appelons-le ainsi) s’est introduit dans les salons, on assiste, du côté des
salles, à un retour du balancier : des productions normalement prévues pour
le petit écran gagnent maintenant le grand écran.
Il faut se rendre à l’évidence, la salle de cinéma n’est plus ce qu’elle
était : elle est devenue autre chose qu’une salle de cinéma, elle n’est plus une
simple salle de cinéma. Si ce qui était naguère réservé à l’écran des salles
publiques de cinéma est désormais « projeté » sur l’écran trônant dans nos
salons privés, ce qui était naguère réservé à l’écran trônant dans nos salons
privés se retrouve de plus en plus souvent projeté sur l’écran des salles
publiques de cinéma. De fait, nos cinémas ne sont plus vraiment des cinémas.
C’est en tout cas ce que proclamait, il y a quelques années déjà, un quotidien
montréalais dans un article intitulé « Votre cinéma n’est pas un cinéma... »,
consacré aux retransmissions en direct, dans des salles de cinéma, des opéras
du Met de New York. Comme le dit le sous-titre de l’article en question, le
directeur du Metropolitan Opera, en promouvant ces retransmissions, a fait
entrer le Met dans une nouvelle ère4 ».
Il faut s’entendre sur le fait que ces nouveaux phénomènes – la
projection en salle de « films » numériques (l’expression film numérique est,
stricto sensu, une contradiction dans les termes) ainsi que la diffusion en
direct ou en différé d’opéras, de combats de boxe professionnelle, de ballets,
de pièces de théâtre, de compétitions sportives, ou encore de grandes
entrevues (mettant ainsi pour quelques heures la salle de cinéma au service
d’autres séries culturelles que le cinéma) – représentent un trait essentiel de
notre modernité cinématographique. Ce que cette modernité nous invite à
voir dans les salles de cinéma, ce ne sont plus seulement des œuvres
filmiques mais aussi des œuvres « télévisuelles » (produites pour l’agora-
télé), qui gardent quelque chose de l’immédiateté et de la spontanéité du
tournage pour le petit écran, comme si la fonction « enregistrement » de
l’appareil de prise de vues reprenait du service. Lorsqu’elles renvoient aux
diffusions en différé, les affiches et textes promotionnels des spectacles à
diffuser dans les salles de cinéma donnent d’ailleurs parfois comme précision
que l’opéra ou le ballet a été « enregistré » à telle ou telle date, dans telle ou
telle salle. Ainsi en est-il, par exemple, du ballet Cendrillon (de Noureev), qui
fut notamment diffusé en septembre 2008 dans une salle de cinéma du
complexe Ex-Centris, à Montréal, et dont l’affiche promotionnelle indique
que le ballet original a été « enregistré au Palais Garnier – Paris, pour le
cinéma » (voir la figure 4). On peut dire sans hésiter que les responsables de
la production de cette affiche considèrent que l’œuvre dont ils font la
promotion, présentée dans des salles « classiquement » consacrées au cinéma,
est une représentation filmée, un enregistrement – ou faudrait-il dire une
capture, une captation, une réplique ? – d’un ballet de l’Opéra de Paris. Ce
que cette mention en apparence anodine et inoffensive passe sous silence,
c’est que cette version du ballet Cendrillon est tout sauf l’enregistrement
simple et banal d’une prestation scénique.
Cette mention dit pourtant que cet enregistrement a été effectué
spécifiquement pour le cinéma, sans que l’on sache ce qu’il faut exactement
comprendre par cette précision. Une chose est certaine, c’est que la mention
ne veut sûrement pas dire enregistrée-pour-le-cinéma-en-tant-qu’art, étant
donné l’insistance que l’on met sur la qualité de pur enregistrement du
produit fini. Il faut penser que les publicitaires ont pratiqué ici l’art du
raccourci et ont plutôt voulu dire : « enregistrée pour l[a salle d]e cinéma ».
[...] la poésie de ce spectacle mise, en salle, sur une vue d’ensemble, ce qui
est exactement contraire à l’esthétique de la diffusion au cinéma – qui
use et abuse des effets de loupe 17.
[...] le Cinématographe [...] n’est pas encore de l’art, car lui manquent les
éléments du choix typique de l’interprétation plastique et non de la
copie d’un sujet, qui feront toujours que la photographie ne sera jamais
un art19.
Ce que les metteurs en images agités et virtuoses des opéras filmés nous
proposent, ce n’est ni plus ni moins qu’une interprétation plastique de l’opéra
d’Untel, mis en scène par Tel Autre. C’est leur interprétation filmique de
l’interprétation scénique de l’opéra de l’auteur du livret. Soit une
interprétation plastique au cube. Voilà bien pourquoi, selon d’aucuns, les
opéras filmés devraient, somme toute, ne relever que de la simple captation
d’un spectacle sur scène (de la simple captation d’un « package attractionnel
», pour reprendre l’expression que nous avons suggérée pour désigner
l’importation que faisait Edison, dans son studio de West Orange, de
spectacles prédéterminés, prédéfinis et préformatés dans et depuis une série
culturelle extra-cinématographique20). Ainsi en est-il, par exemple, d’Eugen
Sandow, le fameux culturiste du tournant du XXe siècle, qui se produisait sur
les scènes du monde et qui fit l’objet d’une captation « kinétographique »
dans le studio d’Edison le 6 mars 1894, une bande commercialisée sous le
titre Sandow21 (voir la figure 5).
Figure 5. Photogramme tiré de la bande pour kinétoscope intitulée
Sandow,enregistrée chez Edison le 6 mars 1894.
Telle serait cette faculté d’archivage propre au média cinéma, qui serait
basée sur les capacités enregistreuses du film (le support argentique qui
recueille, qui collecte ce qui va faire document) et qui définirait cet aspect
allographique24 d’archivage ontologique, de captation-restitution, de ce que
Souriau appelle l’afilmique25.
Historiquement, l’instance représentative de cet aspect des choses, ce
serait le tourneur de manivelle.
À côté de l’archivage de reproduction, il y aurait aussi l’archivage
d’expression, qui survient une fois que l’on a poussé le média à aller au-delà
de sa seule capacité enregistreuse. Le média développe alors une expressivité
qui lui est propre, par le truchement du style et de l’opacité expressive d’un
auteur, ou du moins d’un énonciateur médiatique s’assumant comme tel. Ce
qui est archivé à ce second niveau, c’est le style du créateur ayant conféré au
média filmique une forme quelconque de supplément d’âme (c’est bien un tel
supplément d’âme que Riciotto Canudo appelait implicitement de ses vœux
lorsqu’il dénonçait le défaut d’interprétation plastique du cinématographe).
Nous serions ici en présence de l’aspect autographique d’un archivage, non
plus simplement de ce qui s’est passé devant la caméra, mais aussi, en un
certain sens, de ce qui s’est passé derrière elle. Cette forme d’archivage
témoignerait de la création d’un univers proprement filmique. N’oublions pas
que, pour Souriau, un film permet en quelque sorte de générer un univers
éthéré situé quelque part au-dessus de toute inscription dans le réel et de son
inscription sur un support. Le cinéma nous inviterait en effet selon lui à des «
voyages immobiles à travers [cet] univers filmique26 ».
Notons que l’archivage d’expression ne repose pas sur une évidence
aussi manifeste que l’archivage de reproduction. En effet, celui-là demeure de
l’ordre du virtuel alors que celui-ci s’intègre dans une dimension quasi
ontologique : l’effet-archives se profile nécessairement dès qu’il y a
captation-restitution, dès qu’il y a enregistrement. On pourrait peut-être dire
que l’effet-archives est en quelque sorte « embarqué » dans ce dispositif de
reproduction qu’est l’appareil de prises de vues. Au contraire, l’expression
nécessite une volonté exogène, un désir extrinsèque de négocier avec les
virtualités expressives d’un média, dans une époque et une culture données.
L’instance représentative de cet aspect des choses, ce serait non plus le
prosaïque tourneur de manivelle, mais ce véritable « créateur d’univers
filmique » qu’est le cinéaste.
Le trait distinctif de l’archivage de reproduction, ce serait la modalité «
filmage », là où règne en maître le tourneur de manivelle ; celui de
l’archivage d’expression, ce serait la modalité « tournage », là où règne en
maître le cinéaste. Car filmage n’est pas tournage, et tournage n’est pas
filmage. Il s’agit de deux modalités différentes du rapport aux images à capter
avec un appareil de prise de vues.
Dans le cas du filmage, de la mise en registre « archivale » (soit ce que
nous avons appelé, en nous inspirant de Malraux, « archivage de reproduction
»), nous pourrions presque dire que nous avons affaire à une réalité
préformée, c’est-à-dire à une réalité préconfigurée, comme aurait pu
l’énoncer Paul Ricœur en se référant à son système des « trois mimèsis27 ».
C’est donc une réalité autonome et « horodatée », que l’on se contente de
prélever, de filmer et de mettre en registre. Pour faire encore appel aux
concepts de Souriau, nous dirons que l’on capte et que l’on enregistre de
l’afilmique, transformant ainsi cet afilmique en une archive virtuelle.
S’inscrire dans un processus de filmage signifie donc que l’on obéit à un
principe implicite : celui de respecter (ou de tenter de respecter28) la réalité à
capter. L’important résidant ici dans le fait de pouvoir la capter, cette réalité
et, partant, de la conserver au mieux et dans toute son épaisseur. On respecte
l’aspect préformé de cette réalité : le filmeur ne s’autorise pas à intervenir et
se refuse à la manipuler, à la transformer. Le filmage, c’est, littéralement, de
l’enregistrement ; ce n’est pas du tournage.
Si l’on respectait les principes défendus par le critique du quotidien
montréalais, le metteur en images d’opéras filmés devrait se contenter de
faire un simple filmage et éviter de passer à ce stade supérieur qu’est le
tournage. L’enregistreur de packages attractionnels ne doit pas se prendre
pour un cinéaste ; il ne doit être au fond qu’un simple régisseur visuel dont la
devise serait : « J’enregistre, donc j’archive29 ! » :
La production (ancienne) [de Manon Lescaut] du Met fait l’affaire [...] Très
bon niveau d’ensemble, avec le ténor Marcello Giordani, Levine à la
baguette et l’élégante régie visuelle de Brian Large30.
Le metteur en images devrait ainsi se contenter d’être un simple préposé
à la mise en registre, à l’exemple d’un Brian Large, qui va même jusqu’à
faire preuve d’élégance ! Brian Large, qui ne joue pas, au contraire de Gary
Halvorson ou de Barbara Willis Sweete, à l’hyper-metteur-en-images ; Brian
Large, un homme au nom prédestiné, puisqu’il privilégie le plan « large », ne
se permettant pas d’aller « scruter » d’au plus près les « cellules du dispositif
scénique » (pour reprendre les mots du critique montréalais déjà cité).
Ce débat souvent implicite entre tenants de l’archivage de reproduction
et défenseurs de l’archivage d’expression n’est bien sûr pas neuf. On y
retrouve par exemple certains points communs avec celui qui a eu lieu
lorsque la télévision a commencé à retransmettre des concerts et des pièces de
théâtre en direct dans les années 1950.
En remontant plus loin, on peut détecter des analogies avec les analyses
des juristes lors des premiers procès sur les droits d’auteur (dont parle
longuement Alain Carou dans Le cinéma français et les écrivains31). Une
question se posait alors : la reprise (pour ne pas dire l’adaptation) d’une
œuvre littéraire au cinéma relève-t-elle du spectacle théâtral ou de l’édition
illustrée ? En 1909, la maison d’édition Calmann-Lévy assigne les héritiers
Dumas qui voulaient profiter de l’exploitation du répertoire du même nom.
La même année, un jugement de tribunal relate cette prétention révélatrice de
l’éditeur : « l’édition en film cinématographique d’un scénario tiré d’une
œuvre littéraire ne constitue pas une exploitation théâtrale de cette œuvre
mais seulement une édition illustrée d’un genre particulier32 ». En d’autres
termes, si l’« exploitation théâtrale » semble constituer ici une adaptation au
sens fort (on prend le « scénario » d’un roman pour le transposer
intentionnellement dans un autre système médiatico-expressif), le passage au
film ne constituerait somme toute qu’une sorte de « petite » variation
éditoriale, et donc une adaptation au sens faible33.
Mais tentons maintenant de synthétiser notre conception des choses. Si,
dans le cas de l’archivage de reproduction, nous avons affaire à une réalité
préformée, dans le cas de l’archivage d’expression, nous avons affaire à une
réalité performée, performée par l’acte même du tournage (c’est cette
dimension de performance qui, selon nous, différencie le filmique du filmé).
Dans ce paradigme, le filmeur peut s’autoriser à aménager le profilmique, à le
manipuler, à le trafiquer, etc. La réalité est donc performée dans le sens où
elle est majorée ou amplifiée aux fins de la monstration, entendue comme
acte délibéré et intentionnel de produire une représentation visuelle, ou aux
fins de la narration, entendue comme acte tout aussi délibéré de reconfigurer,
de mettre en intrigue un donné événementiel, dans un coffrage diégétique
plus ou moins élaboré. Le filmage (la captation, l’enregistrement) se mue en
tournage, et le travail du filmeur ajoute un je-ne-sais-quoi aux images
enregistrées. C’est ce que nous appelions plus haut l’Aufhebung.
« EN-CINÉMATOGRAPHIER » L’ENREGISTREMENT
Peut-être n’est-ce même que par un jeu de l’esprit, une illusion d’optique de
l’Histoire, fugace comme le dessin d’une ombre par le soleil, que nous
avons pu pendant cinquante ans croire à l’existence du cinéma. Peut-être
« le cinéma » n’était-il en fait qu’un stade de la vaste évolution des
moyens de reproduction mécaniques qui ont leur origine au xixe siècle
avec la photographie et le phonographe et dont la télévision est la forme
la plus récente. [...] Lumière voyait juste en somme qui refusait de
vendre sa caméra à Méliès sous prétexte qu’il ne s’agissait que d’une
curiosité technique utile tout au plus pour les médecins36.
______________
Alors que dans le film de fiction tout le travail effectué sur l’énergie est
mobilisé pour [...] faire vibrer [le spectateur] au rythme des événements
racontés [...], dans ces productions, l’énergie est plus ou moins
déconnectée de sa fonction narrative10 [...]
Odin fait remarquer que Laurent Jullier va dans le même sens avec son «
cinéma du feu d’artifice » lorsqu’il signale que nombre de films
d’aujourd’hui se basent sur un « récit minimal a-causal » et misent sur un
régime qui cherche à « court-circuiter l’intellect du spectateur pour toucher
“directement” son système sensoriel11 ». Dans ce cas, le narratif semble
devenu une sorte de supplément gênant dont il faut se départir rapidement
pour se concentrer sur l’énergie et l’attraction du spectaculaire. Comme le
précise Jullier encore : « [...] le terrain est libre, alors, pour l’envoi de purs
stimuli12. » Ce retour à l’attraction au détriment de la narration nous semble
révélateur de la mouvance complexe de la post-institutionnalisation du
cinéma et de son éventuelle troisième naissance – et c’est là une hypothèse
fondamentale de la réflexion à la base du présent ouvrage –, à laquelle aurait
donné lieu la mutation numérique.
Une remarque importante s’impose avant tout lorsque nous évoquons
l’identité d’un média. Dans la conception que nous défendons, l’identité doit
être entendue dans le sens suggéré par Paul Ricœur13. Elle doit s’inscrire, en
effet, dans une perspective résolument généalogique, ancrée dans cet état de
transformation permanente qui se trouve au cœur du principe ricœurien
d’ipséité et qui offre la possibilité de dépasser quasi dialectiquement
l’antithèse du même et du différent. Cette dimension d’« ipséité » signifie
qu’une identité médiatique est en partie composée de traits permanents mais
que, dans un mouvement inéluctable, tout média se voit engagé dans un
processus de constante évolution. Son identité doit dès lors être sans cesse
réajustée, voire redéfinie. Bref, l’identité d’un média renvoie à un faisceau de
questions complexes. Il convient d’insister : spécificité ne signifie en rien
séparation ou isolement. Une bonne manière d’appréhender un média doit
résider, a fortiori à l’ère du numérique, dans la compréhension de la façon
dont ce média tisse sa relation aux autres médias : c’est à travers sa
dimension intermédiale – à travers sa manière d’ouvrir ses frontières, d’entrer
dans une relation, forcément intermédiale, avec d’autres prismes d’identités
médiatiques – qu’un média devrait être compris. Pour l’exprimer autrement et
dans une terminologie valorisée par l’air du temps, un média se singularise
dans sa manière de gérer la convergence ayant cours dans l’intermédia.
La première naissance constituerait en quelque sorte la naissance
intégrative du média et la deuxième, sa naissance différentielle. Au moment
de son apparition (la connotation « épiphanique » ou « mediumnique » du
terme apparition n’est sans doute pas à négliger), une nouvelle technologie
reste confinée au statut de crypto-média. Sa singularité en tant que média
n’apparaît pas clairement. Ou plutôt, ce qui apparaît trop clairement, c’est
toute l’attirance qu’exerce une nouvelle technologie qui s’annonce comme
ayant la capacité de révolutionner les moyens d’accès aux séries culturelles
dominantes. Mais l’aspect novelty du nouveau procédé rend difficile – ou
opacifie, en quelque sorte – l’acquisition d’une identité par le nouveau média.
En d’autres termes, l’identité de celui-ci ne peut pas encore transparaître
clairement.
La technologie nouvelle se trouve donc engagée dans le contexte formé
par des médias, des genres, des séries et des pratiques culturelles préexistants
et qui connaissent déjà une certaine visibilité, une certaine légitimité
identitaire. Cette technologie s’adapte dès lors aux usages sociaux et culturels
associés – à un certain moment de l’histoire et dans une certaine société – aux
autres séries culturelles reconnues et acceptées. L’idée de rendre cette
technologie autonome, de tirer parti de ses possibilités en termes de
spécificité médiatique, n’est pas encore au programme. Les nouvelles
possibilités qu’offre le média en restent donc à l’état de complémentarité, de
dépendance ou de continuité vis-à-vis de pratiques génériques et médiatiques
plus anciennes et mieux établies. En héritant d’un apparatus qui se situe à
l’intersection de diverses combinaisons intermédiales déjà existantes, le
crypto-média devient proto-média. À cette étape, il demeure néanmoins
encore un simple auxiliaire des séries et des genres existants. Et sa tâche
d’auxiliaire consiste à faciliter l’accès à ces champs culturels établis, en
élargissant leur diffusion. Le proto-média n’a pas encore acquis la
reconnaissance identitaire dont jouit tout média légitimement constitué. Une
atmosphère d’indécision l’entoure, une sorte d’hésitation, qui se trahit dans la
manière dont il tente maladroitement d’affirmer ses traits identitaires, laquelle
tend parfois à masquer ce qui deviendra sa singularité institutionnalisée.
Après avoir servi un temps de relais, sur le mode mimétique, aux séries
et aux médias environnants, un média prend le chemin de sa cristallisation
identitaire. Voilà notre phase d’émergence. La possibilité d’autonomie est
donc intimement liée à l’évolution et au potentiel du média, dont la seconde
naissance – notre phase d’avènement – surviendra lorsque la « quête »
d’identité et d’autonomie coïncidera avec la reconnaissance institutionnelle.
Assez logiquement, lorsqu’il acquiert son identité (du moins, celle que
les forces institutionnelles en présence finissent par lui reconnaître), le média
perd son intermédialité initiale – cette intermédialité nécessaire qui
caractérise la période de sa première naissance. Cependant, parallèlement à la
perte de cette intermédialité initiale, il en gagne une autre, compatible cette
fois avec l’affirmation de son identité, régulée par le cadre institutionnel. Il
s’agit d’une forme d’intermédialité désormais négociée en fonction de sa
notoriété et de sa singularité, toutes deux cautionnées par l’institution qui en
est issue. Contingente et en quelque sorte délibérée, cette intermédialité
tardive ressemble à ces formes d’intermédialité présentes dans tous les
processus de production culturelle. Pourtant, dans le contexte de la culture
digitale contemporaine, placée sous le signe du flux, de la contamination, de
l’interface généralisée et de la « toile » globale, une telle intermédialité,
négociée à partir d’une identité instituée, s’avère mouvante, complexe et
particulièrement instable.
Dans quelle mesure d’autres médias importants, des plus anciens aux plus
contemporains, ont-ils eux aussi emprunté un parcours de double naissance ?
Pour tester notre modèle en dehors du cas du cinéma, nous en avions à
l’origine esquissé une application à la photographie et à la bande dessinée. En
ce qui concerne la photographie, nous expliquions le parcours allant de
l’invention (phase d’apparition) de l’héliographie, par Nicéphore Niépce, à
l’émergence publique et à la poussée institutionnelle du daguerréotype,
jusqu’à cette sorte de premier avènement du média sous l’influence de
praticiens comme Nadar, exprimant leur profession de foi en la singularité
d’un nouveau moyen d’expression, dont l’identité était désormais bien établie
dans la socioculture.
La bande dessinée peut elle aussi se prêter, moyennant bien sûr certaines
nuances importantes liées notamment à ses singularités historiques,
géographiques et culturelles, à une lecture généalogique répondant à la
dynamique évolutive de la double naissance. On peut ainsi envisager pour
l’Europe francophone un parcours s’étendant de l’invention (apparition), par
Rodolphe Töpffer, de l’album « autographié » (dérivé de la lithographie),
jusqu’à l’avènement du genre médiatique au tournant du XXe siècle et ce,
selon différentes configurations éditoriales et génériques.
Depuis sa première présentation, plusieurs auteurs se sont approprié ce
modèle de façon critique pour encadrer l’exploration généalogique des
médias sur lesquels portait leur recherche. Ainsi, pour n’en citer que
quelques-uns, mentionnerons-nous François Jost24 et Doron Galili25 (pour la
télévision), Christophe Gauthier26 (pour le Web), James Lastra27 (pour le
téléphone cellulaire) et Gyula Maksa28(pour la bande dessinée). Du côté des
sites mis sur la toile par des analystes des médias et des nouvelles
technologies, on trouve aussi, par exemple, cet extrait d’un blogue tenu par le
chercheur en communication Julien Lecomte qui vulgarise ainsi notre modèle
:
[…] I find that Gaudreault and Marion’s model is useful for early television
historiography, for it draws attention to the important period during
which the medium established its norms, its distinction from other
media, and its public recognition. In examining this period, it is clear
that the emergence of television was qualitatively different from that of
cinema since a great deal of the articulation of television’s autonomy
occurred before and around television productions and programming per
se and existed on a discursive and experimental level rather than a
practical one34.
History shows us again and again that what we have taken as “specific” to a
medium inevitably withers in importance to be replaced by more vital
concerns, and aesthetic autonomy evaporates along with it. Media
constantly produce their transient “autonomies” by producing and
policing the boundaries of what they are “not40”.
______________
Chapitre 6*
En matière de cinéma, les choses ont déjà été plus simples qu’elles ne le sont
aujourd’hui. Nul besoin d’insister pour qu’on comprenne que, depuis que les
images et les sons se sont relativement dématérialisés pour se transformer en
signaux cathodiques ou numériques, le paradigme que nous appellerons le «
modèle classique de la transaction cinématographique » a volé en éclats. Nul
besoin d’insister non plus pour qu’on comprenne que, pour le spectateur
ordinaire du cinéma, le rapport marchand avec les films n’est plus ce qu’il a
déjà été. Les choses ne sont plus aussi simples qu’avant, ne serait-ce que
parce que l’achat d’une place dans une salle de cinéma ne représente plus le
seul moyen d’avoir accès aux films offerts sur le marché. Pis encore : l’achat
d’une place dans une salle de cinéma n’est plus maintenant qu’un moyen, un
moyen parmi plusieurs autres, d’avoir accès à ces films.
Le « modèle classique » a régné sans partage (mais pas nécessairement
de manière aussi monolithique que nous le suggérons dans nos propos – que
certains pourraient juger relativement lapidaires3) entre, grosso modo, les
années 1910 et les années 1950, soit jusqu’à l’arrivée massive de la
télévision. Dans son Histoire du visuel au XXe siècle, Laurent Gervereau
soutient que « la caractéristique [du cinéma] est bien la projection publique
en salles comme l’ont inaugurée les frères Lumière (et non le visionnement
individuel dans une boîte lancé par Edison4) ». Ce topoï de la salle dotée d’un
écran réunissant une assemblée de spectateurs – qui est assez généralement
reconnu comme l’expression concentrée de ce qu’on pourrait appeler la «
cinématographicité » – représente le mythe par excellence de l’« origine du
cinéma » : il aura fallu, de façon nécessaire et concomitante, une salle, un
écran, des places payantes, une assemblée de spectateurs et la projection
d’images en mouvement couchées sur pellicule pour que l’on considère que
les conditions réunies suffisaient pour décréter, rétrospectivement, que la
naissance du cinéma serait bel et bien survenue au moment de la fameuse
projection inaugurale, publique et payante, du Cinématographe Lumière du
28 décembre 1895, au Grand Café à Paris (dite « PPPP » : première
projection publique payante).
Avec l’arrivée de la télévision, le « charme » du « modèle classique de
la transaction cinématographique » a été rompu. L’accès aux films que la
télévision permettait a ainsi mis fin à l’exclusivité de ce modèle (une
exclusivité relative, bien entendu, puisqu’il y a aussi le film pédagogique, le
cinéma amateur, le film de famille, etc.). Il s’agissait donc de la fin de son
règne exclusif, certes, mais pas de son hégémonie, puisque le modèle est tout
de même resté nettement dominant jusqu’au déferlement du tsunami
numérique dans les années 1990.
Au mitan du XXe siècle, donc, la télévision est venue offrir, et de façon
radicale, un tout nouveau mode d’accès aux films. Pour sa consommation
filmique, le spectateur avait dès lors un véritable choix entre deux pratiques
sociales distinctes : « aller au cinéma », une pratique qui s’était installée dans
les mœurs au cours des années 1910, ou « regarder un film à la télé », une
pratique qui s’est pour sa part intégrée aux us et coutumes durant les années
1950 – et qui, avait-on pensé à l’époque, menaçait la survie même de la salle
de cinéma, si ce n’était du cinéma lui-même ! Le spectateur avait donc
désormais un choix à son menu, mais il n’avait pas le choix du menu : malgré
les deux avenues que la « révolution télévisuelle » lui ouvrait, la sélection de
tout (tout, tout, tout) ce qui passait sur les écrans (le petit écran du salon privé
comme celui, plus grand, de la salle publique) relevait d’instances (des
instances commerciales, disons) sur lesquelles il n’avait, lui, « spectateur
ordinaire », aucune prise. Dans telle ou telle ville du monde, à telle ou telle
date de la fin des années 1950, à telle ou telle heure, il y avait tel nombre de
films qui passaient dans les six ou sept salles de la ville en question, et il y
avait peut-être un film à regarder sur la seule et unique chaîne de télé. Le
spectateur avait certes un choix (d’une part, un film à la télé, de l’autre, les
six ou sept films en salle, selon le nombre de salles auxquelles il avait accès),
mais il s’agissait d’un choix limité, d’un choix restreint.
Si le modèle hégémonique a volé en éclats, c’est parce que, depuis déjà
plus de soixante ans, on peut payer sa redevance télé annuelle – pour ne
prendre que l’exemple de la France, puisque bien des pays ont une approche
différente, comme le Canada, où il n’y a rien à payer pour avoir le droit de
capter les signaux hertziens de base – et voir des films sans autre formalité (et
gratuitement, en un certain sens, puisque le prix est le même, que l’on
consomme des centaines de films par année ou que l’on n’en consomme
aucun !). On peut aussi, depuis près de quarante ans, se procurer des films sur
support à usage domestique : on a d’abord pu le faire avec la cassette vidéo,
puis avec le disque numérique polyvalent (DVD). Depuis moins de dix ans, le
spectateur ordinaire a aussi accès à la video on demand (VOD, à la télé ou sur
Internet) et aux films offerts directement sur Internet (en streaming ou en
téléchargement).
LE SPECTATEUR AUTONOME
Le seuil qui suit celui de l’arrivée de la télé a donc été franchi avec cet
événement majeur que constitue l’apparition du magnétoscope (la mutation la
plus importante du cinéma depuis 1895, selon Boussinot, on l’a vu plus haut).
Désormais, je pourrai non seulement enregistrer moi-même tel ou tel film qui
passe à la télé (ou telle ou telle émission de télé, d’ailleurs) mais aussi –
grande révolution – me le passer quand je voudrai, à volonté et selon un
horaire que j’aurai, moi, décidé. La dictature de l’horaire socialement
déterminé était terminée ! Le home cinema pouvait prendre son envol. Dès
lors qu’est apparue à l’horizon de l’histoire la possibilité de posséder une
copie de film sur cassette, le home cinema avait ce qu’il fallait pour devenir
une véritable institution. Une nouvelle avenue s’offrait désormais au
spectateur : ce soir, je puis voir tel film, qui passe dans telle salle pas trop
loin de chez moi (avenue A), ou bien je reste à la maison pour voir tel autre
film qui passe à la télé (avenue B), ou bien, encore, je passe sur ma télé (à
l’heure que je veux !) tel film dont je me suis procuré une copie sur cassette
(avenue C).
Maintenant que la cassette a été remplacée par le DVD (qui sera lui-
même vraisemblablement remplacé par le fichier numérique sur support de
stockage amovible ou sur serveur distant [cloud computing], accessible par
Internet5), maintenant que de nouveaux dispositifs portables comme les
téléphones multifonction, les tablettes numériques, les baladeurs et autres
liseuses sont à la disposition du spectateur, place à la consommation nomade,
qui permet d’audiovoir des films non plus seulement sur le grand écran de la
salle de cinéma ou le petit écran de nos téléviseurs, mais sur une série
d’écrans (dont nous dirons qu’ils sont « secondaires »).
L’arrivée du home cinema et, surtout, son expansion et son implantation
dans les mœurs sonnent ainsi le glas d’un modèle jusque-là dominant, qui
supposait un spectateur dont nous dirons qu’il est « contraint », qu’il est «
soumis ». Comme l’exprime bien Francesco Casetti :
[...] the filmic experience has changed profoundly since the 1960s. Looking
at what is happening in cinema—and to cinema—if anything is clear, it
is that we have reached the end of a model which has been dominant for
a long time: the model which thought of the spectator as attending a
film. To attend means to place ourselves in front of something which
does not necessarily depend on us, but of which we find ourselves to be
the witnesses. What is important is to be present at an event, and to open
our eyes to it6 [...]
The presence of options where once there was standard practice, the necessity
of establishing the rules of the game where once they were implicit, the
strong connection with one’s own world where once there was a
separation, the widening of perspective where once the field was
bounded—these are all elements that testify to how much the framework
has changed7.
C’est dire que l’un des modèles courants de ce que nous suggérons
d’appeler la « transaction cinématographique contemporaine » a pour résultat
que le spectateur ordinaire du cinéma peut désormais posséder des films.
C’est donc dire qu’il peut en acheter. Avant l’introduction massive de la
cassette vidéo sur le marché (fin des années 1970), acheter un film était un
syntagme verbal que fort peu de spectateurs ordinaires pouvaient conjuguer.
Cette expression faisait cependant partie du quotidien des premiers montreurs
de vues animées, du temps de la cinématographie-attraction, et elle fait bien
entendu partie du quotidien du distributeur de films du cinéma-institution,
sauf qu’il y a deux sens à l’expression. Quand un distributeur ou un réseau de
télé « achète un film » (à Cannes, par exemple) pour tel ou tel marché, on
comprend que ce ne sont pas des « copies » de films que cette transaction
vise au premier chef. C’est tout à fait autre chose que ce qui se produit dans
le cas du spectateur ordinaire qui se rend chez un marchand de DVD pour «
acheter un film » : il sort généralement de la boutique avec une ou deux
copies de films (des copies « empiriques », pourrait-on dire).
En reprenant la distinction peircéenne entre type et token, on pourrait
dire que ce que le distributeur ou le réseau achète pour son marché, c’est le «
titre », c’est l’œuvre elle-même (soit le type, ou le film-type), alors que ce que
le spectateur ordinaire du cinéma et le montreur de vues animées achètent,
c’est plutôt l’un ou l’autre des « avatars » du titre en question, soit l’un de ses
tokens (un token, ou un film-token8).
Ce sont précisément des films-tokens, et non pas des films-types, que les
exploitants actifs pendant le règne de la cinématographie-attraction se
procuraient. À cette époque, acheter un film faisait partie du parcours obligé
du montreur « ordinaire » de vues animées, qui ressortait du comptoir de
vente du fabricant de vues cinématographiques les bras chargés des bobines
de film qu’il venait d’acquérir et qui lui appartenaient dorénavant de plein
droit. En effet, pour la toute première génération de montreurs, la transaction
de base, celle qui s’est imposée au départ, reposait sur le système de l’achat
de copies de films. À cette époque, les vues que l’exhibiteur propose à ses
publics lui appartiennent donc en propre : chacun des films qu’il montre est
un token qu’il s’est procuré en l’achetant. Jusque vers 1905-1910 (selon le
pays), il n’y a pas encore d’intermédiaire entre le fabricant et l’exhibiteur. Ce
que le fabricant vendait à l’exhibiteur, ce n’était pas un type, un film-type, un
« titre », mais de la « péloche » : soit, une copie de film, un film-token. Et par
cette transaction, le fabricant cédait tous ses droits à l’exhibiteur, même celui
de déterminer la forme finale que le film aurait à l’écran. En effet, les
fabricants de vues encourageaient, de manière tout à fait consciente, l’idée
que les films qu’ils vendaient aux exploitants, les « exhibiteurs », étaient,
pour reprendre l’expression suggérée par Thomas Elsaesser, des produits
semi-finis9.
L’exhibiteur de vues animées était le seul maître à bord, dans son
entreprise, et il montrait ce qu’il voulait, comme il le voulait, le fabricant de
vues n’ayant pas un mot à dire sur le déroulement des représentations. Qui
plus est, l’exhibiteur se chargeait d’affiner, à sa manière et selon ses goûts, le
produit qu’il venait d’acheter du fabricant, et il en achevait la conception
juste avant de projeter les images sur la toile en déterminant le cadre et le
contexte de leur présentation, puisque c’est lui qui décidait si telle vue serait
ou non accompagnée d’une musique, d’un boniment ou des deux10.
Ce qui fait la différence, aujourd’hui, entre le cinéma tel qu’on l’a connu et le
cinéma tel qu’on est en train de le découvrir, c’est le fameux syndrome
ATAWAD, qui accompagne la « cassure » produite par la révolution
numérique :
Certes, mais c’est aussi la salle de cinéma que cette nouvelle pratique
des transmissions en direct, trait essentiel de notre « modernité
cinématographique », fait entrer dans une nouvelle ère... Une nouvelle ère
qui suppose que nous allions voir des films-hors-péloche dans des salles-de-
cinéma-pas-seulement-de-cinéma, mais que nous ne dédaignions pas de les
voir dans des salles-de-cinéma-qui-ne-sont-pas-du-tout-des-salles-de-cinéma,
dans un multiplexe-du-ciel-qui-n’est-pas-vraiment-un-multiplexe... Au
secours, Camus !
On le constate donc : les nombreux chocs que la planète a subis
récemment ont produit des bouleversements et des mutations dans l’ordre des
choses, avec pour conséquence que le vocabulaire que nous utilisons au
quotidien peine à suivre le nouvel ordre en question. Sans compter que, dans
ma pratique de cinéma maison, l’appareil sur lequel je passe le film-pas-sur-
film est doté de cette smart manette qu’est la zapette, dont l’invention aurait,
selon le cinéaste Greenaway, sonné le glas du cinéma, ou à tout le moins d’un
certain type de cinéma. L’état légendaire de sous-motricité du spectateur de
cinéma, qui s’abreuve d’images à un écran nourricier qui le domine, n’est
plus aussi absolu.
Lorsqu’on y réfléchit, on se rend compte que le principe même de
l’agora-télé est en contradiction flagrante avec le syndrome ATAWAD !
Dans le coin gauche, le home cinema... et dans le coin droit, l’agora-télé !
L’avènement du numérique produit tout... et son contraire ! En effet, quand
nous allons voir du hors-film dans une salle-de-cinéma-pas-seulement-de-
cinéma, et que ce hors-film est transmis en direct par ondes satellitaires, ce
n’est pas n’importe quand, n’importe où, sur n’importe quelle « interface »,
bien au contraire ! Exit les vertus du syndrome ATAWAD ! C’est maintenant
que le hors-film est projeté en salle, selon un horaire décidé et imposé par une
instance « supérieure » et « étrangère » ! C’est ici, dans cette salle-ci, et pas
dans celle-là ! Et c’est sur cette toile et sur aucun autre écran, ni aucun autre
type d’écran. Pire encore que dans le cas classique du cinéma, ce n’est même
pas, lorsqu’il s’agit d’agora-télé en direct, l’exploitant de la salle qui décide
de son horaire ; c’est plutôt une instance qui lui est supérieure, puisque
l’heure de diffusion est carrément dictée depuis le lieu d’où origine, et où se
produit, le spectacle source. C’est comme si la liberté que le spectateur venait
de gagner dans son salon, grâce au numérique, il la perdait en même temps
dans la salle de « cinéma », ou plutôt, dans la « salle de diffusion de l’agora-
télé ».
Il n’y a donc pas que les films à ne plus être ce qu’ils étaient, il y a aussi
les salles ! Elles sont devenues salles de télé-diffusion.
À la lumière de ce qui précède, on se demande non seulement ce que
sont les frontières du cinéma devenues, mais aussi ce que sont les salles de
cinéma devenues.
On a vu aussi que ce que nous désignions comme l’agora-télé semblait
être là pour rester. Donner un nom au phénomène nous aide, nous semble-t-il,
à bien distinguer ce nouveau « paradigme culturel22 » qu’est l’agora-télé de
l’ensemble des productions de spectacles (vivants ou enregistrés) qui font
partie de l’offre culturelle contemporaine. En tant que chercheurs, nous avons
tout intérêt à mettre dans un même ensemble les différentes productions «
hors film » – pour reprendre l’expression en usage en France – présentées
dans les salles, de façon à pouvoir établir ce qui fait leur spécificité et à
pouvoir déterminer ce qui les différencie. Cela dit, si l’expression agora-télé
est nouvelle, le phénomène qu’elle recouvre n’est quant à lui pas tout à fait
nouveau. En effet, à l’origine, il n’était pas écrit dans le ciel que la télévision
allait devenir un média qui envahirait l’espace privé de nos salons. Les
premiers récepteurs télé trônaient en effet le plus souvent dans des lieux
publics23.
On ne compte d’ailleurs pas le nombre d’expériences sociales ayant
impliqué une réception télé devant public (compétitions sportives dans des
cafés ou dans des bars, par exemple, ou encore, écran géant en plein air pour
présenter un événement). On ne compte pas, non plus, le nombre de cas où
des émissions de télévision ont été transmises dans des salles de cinéma
devant un public comptant parfois, comme à Berlin à la fin des années 1930,
plusieurs centaines de spectateurs. Le Metropolitan Opera de New York a fait
sa part dans ce domaine aussi tôt qu’en 1952, avec une production de la
Carmen de Bizet, dont la télédiffusion a occupé les écrans de 37 salles de
cinéma (situées dans 27 villes aux États-Unis et ayant réuni 67 000
spectateurs), grâce à l’Eidophor. On peut apprécier la différence avec ce qui
se passe de nos jours dans le cadre de la résurgence de l’agora-télé à laquelle
nous assistons depuis 2007-2008, puisque l’une des dernières télédiffusions
d’un opéra du Met, La Traviata de Verdi (en avril 2012), a eu lieu dans 1 500
salles (au lieu des 37 de 1952), réparties dans plus de 40 pays (plutôt que 27
villes dans un seul pays) et a réuni environ 250 000 spectateurs (plutôt que 67
000).
Nous aimerions partager avec vous quelques dates pour vos calendriers
hivernaux. Les événements cinématographiques à venir sont
d’excellentes activités familiales qui permettent de partager des
classiques de la saison. Nous aimerions partager avec vous la
programmation spéciale présentée par les cinémas Cineplex.
Films
Ballet
Opéras
Flûte enchantée – le mercredi 4 janvier
On remarque que les films (les films « de cinéma », pour être plus
précis) ne représentent qu’une part étonnamment mince dans cette liste
d’événements pourtant dits cinématographiques (White Christmas et Top
Gun). Depuis le développement du home cinema, qui a permis au spectateur
ordinaire de consommer sur une base régulière des films dans le confort de
son salon et à sa guise, plutôt que selon un horaire contraignant et déterminé
par autrui, on a craint le pire du côté des salles. En rendant possible la
diffusion de spectacles hors film dans les salles de cinéma, les exploitants se
sont justement préparés au pire, afin d’éviter la faillite dans le cas où la
désaffection des salles finirait par se généraliser. Comme s’ils se résignaient à
utiliser leurs salles pour d’autres « événements cinématographiques » que cet
événement cinématographique par excellence que devrait représenter pour
eux la projection, simple et classique, d’un bon vieux film, dans une bonne
vieille salle de... cinéma !
L’éventail de l’offre dans le genre hors film est loin d’avoir atteint toute
son extension. Les promoteurs rivalisent d’imagination ! On se voit
maintenant offrir des visites d’expositions de musée à « consommer » dans
un cinéma près de chez soi. Ainsi par exemple de la fameuse exposition
Léonard de Vinci, présentée à la National Gallery de Londres, en novembre
2011, et dont la visite guidée a été retransmise dans plusieurs salles de
cinéma27.
Dans la suite de nos recherches, nous nous pencherons sur les
particularités de l’avènement du hors-film en Europe, en France notamment,
où ce que nous appelons l’agora-télé est très populaire, avec entre autres la
société « Pathé Live » qui, en mai 2011, a remplacé la structure d’abord
connue sous le nom de « CielEcran » :
Une opinion et une attitude dont une part importante allait plus tard être
inscrite dans un message faisant partie, cette fois, de la sphère publique. En
effet, dans un communiqué daté du 11 octobre 2011, la Cinémathèque
annonçait l’acquisition d’un fonds provenant de la fondation Daniel Langlois
de Montréal, dont le centre de documentation avait depuis peu été fermé. La
fondation Daniel Langlois s’intéresse principalement à la rencontre des arts et
de la technologie, à la création numérique en 2D et en 3D, à l’art vidéo et aux
usages artistiques de l’interactivité et des réseaux. Son centre de
documentation était à ce que nous pourrions appeler les « nouvelles images »
ce que la Cinémathèque était aux, disons, « anciennes images » :
Le contrat implicite est clair, si l’on peut dire : le cinéma doit dorénavant
négocier et trouver sa place par rapport à ces « nouvelles déclinaisons de
l’image en mouvement ». Souvenir du temps de la première naissance du
cinéma, alors qu’il s’agissait, pour le petit nouveau, de trouver sa place au
sein des séries culturelles bien institutionnalisées de la lanterne magique, de
la photographie, du spectacle scénique, des féeries, etc. Il est à notre avis fort
révélateur que certaines institutions se lancent dans des valses-hésitations et
évacuent l’exclusivité cinématographique qu’hier encore elles revendiquaient
avec fierté. Comme si le fait de se concentrer exclusivement sur le cinéma
constituait dorénavant un modèle désuet, voire suspect. L’exemple de la
Cinémathèque québécoise est, en ce sens, particulièrement symptomatique.
Il n’y a pas que les Québécois qui se cherchent, les Français eux aussi
ont mal à leur cinéma et ils présentent les mêmes symptômes. Nous en
voulons pour preuve cette décision prise par la toute première institution
cinématographique de France et de Navarre, le « Centre national de la
cinématographie », qui s’est donné un coup de jeune, fin 2010, en changeant
son nom pour celui de « Centre national du cinéma et de l’image animée ».
En 2002, les Américains de la Society for Cinema Studies avaient déjà troqué
le leur pour celui de « Society for Cinema and Media Studies », unissant ainsi
de façon assez brutale, par une simple juxtaposition du champ des études
cinématographiques et de celui des études médiatiques, deux disciplines qui
ne font pas toujours ami-ami :
The late 1990s saw the debut of digital media as a growing field of study.
During the last decade the number of Scholarly Interest Groups (SIGs)
has expanded, reflecting the growth of subfields in Cinema and Media
Studies, many intermedial and interdisciplinary. In 2002 the “M” for
Media was added to SCS to reflect these changes and create the Society
for Cinema and Media Studies34.
La cause semblait avoir été entendue : il fallait donc, il y a déjà dix ans,
imputer au numérique la faute de tout ce remue-ménage ! Ce serait ainsi en
raison de l’avènement du numérique que de nouveaux champs d’intérêt, de
nature intermédiale et fondés sur l’interdisciplinarité, se seraient
spontanément développés et que les intervenants en études
cinématographiques auraient été amenés à embrasser plus large, à être plus
inclusifs et à cesser de jouer la carte de la spécificité disciplinaire.
On peut aussi mesurer cela à l’aune des soubresauts qui agitent le
satellite dit des « études cinématographiques » ou Film Studies. Mais il n’y a
pas que le cinéma, il n’y a pas que les médias, qui se transforment et qui
mutent. Nous aussi, nous sommes en plein processus de mutation. Nous, en
tant que spectateurs de cinéma, mais nous en tant, aussi, que membres actifs
de la petite communauté des chercheurs en études cinématographiques. Il n’y
a en effet pas que les frontières du cinéma-en-tant-que-média qui se déplacent
continuellement, il y a aussi les frontières de la discipline des études dites
cinématographiques, qui est l’un des satellites de la planète cinéma. On
assiste ainsi à la prolifération, ces dernières années, des expressions « images
en mouvement » et « images animées ». Ce phénomène relativement nouveau
voulant que le recours au seul mot cinéma soit inadéquat quand il s’agit de
désigner son champ d’action, son champ d’intérêt, n’est pas anecdotique et il
relève d’un « fait de civilisation », pourrions-nous dire. Nous assistons en
effet, depuis le dernier tournant de siècle, à une transformation de notre
lexique usuel. Tant et si bien que les enseignants en cinéma en sont venus à
se demander pour combien de temps encore ils allaient enseigner le « cinéma
» (ou en tout cas, rien que le cinéma, juste le cinéma).
C’est la conclusion que l’on peut tirer d’un examen le moindrement
attentif des nouveaux programmes universitaires, dont les concepteurs font
preuve d’une imagination débordante pour éviter de donner l’impression
qu’ils se limitent au seul cinéma, tout en indiquant le plus souvent que le
thème du programme concerne tout de même bel et bien le cinéma… Bonjour
la schizophrénie ! Il y a en effet de plus en plus de gêne, dans le monde
institutionnel, à parler de façon hégémonique du cinéma, sans tenir compte de
ces autres « applications » de l’image en mouvement que sont la télé, la
vidéo, la mobilographie, les installations, etc.35
LES 3 « D » DE LA DIGITALISATION…
I think the first statement is fair, though some folks will balk (they don’t
accept the mechanical as “digital” in contemporary parlance. . . and TV
does have a long period as an analog medium from the 1940s-80s+. A
formulation like, “at its start and into the 1940s, optical-mechanical
television could be considered digital” would work, since the image
“dissector” could indeed be argued to be based on binary visual access.
Actually, the image telegraphs of the mid-19th century would also be a
good (and earlier) example. The digital revolution, I’d say, is linked to
computation and electrical digital systems. The mechanical digital
systems go back to the 17th century (and earlier), and are especially
prevalent in music recording and playback (church chimes, music boxes,
pianolas and the like). But while in use, they weren’t really
transformative (revolutionary) in comparison to electric and computer
based systems in the post-WW2 era38.
La rencontre avec le numérique a fait subir au cinéma une véritable
déperdition de son être-au-monde, disions-nous plus haut. Il faudrait étoffer
un peu : l’avènement de la télévision et la rencontre du cinéma avec le
numérique ont fait subir au cinéma une véritable déperdition de son être-au-
monde. En effet, le cinéma a subi les affres de ce que nous pourrions appeler
les 3D (sans rapport aucun avec le cinéma en relief ou en trois dimensions)
de la digitalisation : désacralisation, dématérialisation et dissémination.
DÉSACRALISATION
Une chose est certaine, c’est que la révolution numérique a fait descendre le
cinéma de son piédestal. Elle a notamment fait en sorte que le film ne soit
désormais plus une « œuvre intouchable ». Avant le numérique, seuls les
professionnels du cinéma pouvaient « prendre » un film dans leurs mains, et
manipuler la bande. Pour le commun des mortels – et donc pour le spectateur
– le film restait, paradoxalement, un objet « virtuel », dont on voyait le reflet
projeté sur un écran, mais dont on ne voyait jamais la matérialité. Maintenant,
tout le monde peut manipuler le film et son support, et tenir un « film » dans
ses mains. Par ailleurs, au moment de la projection, les échappées écraniques
ne viennent plus, comme dans le modèle de la caverne de Platon, de quelque
part derrière mon dos, dans un espace-temps qui m’est imposé, mais
m’arrivent frontalement sur l’écran que j’ai choisi, au moment que je choisis.
La lecture du film est le résultat de la pression que j’exerce sur le bouton
d’une manette qui m’appartient. Je télé-commande (je commande à distance)
et je télé-contrôle (je contrôle à distance) le film. Comme le faisait remarquer
Olivier Séguret, déjà en 2007 :
DÉMATÉRIALISATION
DISSÉMINATION
Il n’y avait auparavant qu’un seul lieu pour consommer le film : la salle de
cinéma (ni plus ni moins qu’un temple, où l’on rendait un culte au Dieu
cinéma). Comme l’a dit Édouard Arnoldy, « la salle demeure le sanctuaire de
l’art cinématographique40 ». Puis la révolution cathodique a permis au film
d’entrer dans les salons. Maintenant l’écran s’est démultiplié et l’on peut voir
un film sur un écran d’ordinateur, sur un écran de téléphone, sur un écran de
lecteur portable, etc. Les sources et les cibles de diffusion et de propagation
du film se sont multipliées. Les images filmiques sont disséminées un peu
partout, ici et là. Nos médias contemporains affichent un penchant marqué
pour la dissémination intermédiale.
Que dire de plus, sinon que le cinéma est vraiment différent de ce qu’il
fut naguère ?
À une culture de l’image animée comme celle qu’ont connue nos
grands-pères et grands-mères s’est substituée une nouvelle culture visuelle
fondée sur ce que nous appellerons l’« animage ».
______________
Chapitre 7*
[…] cinema is not, or has not always been, a primarily special effects
medium1.
I was shocked. A language of images was not the privilege of the cinema2.
Pour arrêter la définition du cinéma, on peut ici encore répartir les opinions
en deux camps. Celui, d’abord, qui réunirait les tenants d’une identité
complexe et exhaustive du cinéma, pour qui il faut fixer les conditions et les
paramètres nécessaires à la définition d’un média, conditions et paramètres
susceptibles d’engendrer une certaine forme d’« intégrisme ». On pourrait
considérer les lexicographes comme appartenant d’évidence à ce premier
camp, puisqu’ils ont justement pour vocation de rédiger des définitions. On
trouve aussi, dans ce camp privilégiant les identités fortes, les « préposés » à
la définition des nouveaux moyens d’expression qui apparaissent sur le
marché. On pourrait aussi inclure dans ce groupe ceux qui admettent une
certaine évolution, mais restent intransigeants sur quelques invariants jugés
indispensables au maintien du dernier carré identitaire, comme c’est le cas,
on l’a vu, de Bellour et d’Aumont. On sait notamment que, pour ce dernier, le
cinéma se doit « d’offrir ce résultat absolument essentiel du dispositif
canonique : la production d’un regard tenu dans les temps3 ».
L’autre camp, plus relativiste, fonderait pour sa part l’identité d’un
média sur un petit nombre de valeurs consensuelles et provisoires. On
comprendra que c’est à cette enseigne que nous logeons puisque, pour nous,
un média est une sorte de bricolage évolutif de séries culturelles « fédérées »
qui se refléteraient à travers un prisme identitaire dont l’existence ne serait
que temporaire4. On trouve aussi, dans ce camp de l’identité au sens faible,
des gens comme Metz, pour qui « le cinéma n’est rien d’autre que l’ensemble
des messages que la société appelle cinéma5 ». Pareille conception inscrit
donc l’identité d’un média dans le relativisme de l’esprit d’un temps : voici, à
une certaine époque et pour une certaine socioculture, ce que l’opinion
commune considère comme étant le cinéma. Esprit d’un temps, esprit d’un
média, pourrait-on dire.
Peut-être pourrait-on même délimiter un camp de relativistes absolus
qui, par crainte de tout essentialisme, de tout fantasme ontologique,
considéreraient toute velléité identitaire comme un leurre. Appartiendrait
vraisemblablement à ce camp-là Francesco Casetti, qui n’hésite pas à avancer
que le cinéma n’a jamais existé : « The eclipse of film theory reflects not only
cinema’s “disappearance” but also the awareness that it has never existed as
such6. » L’auteur italien suggère d’ailleurs l’idée que la théorie est une façon
de construire par unification l’identité singulière du cinéma : « Theory is
where we may recognize a “dispersed”—and likely lost—object7. » D’où
cette double question aux accents un tantinet cyniques (voire nihilistes) que
tout un chacun devrait se poser : l’identité médiatique n’est-elle pas toujours
un phénomène de nature constructiviste, et ce constructivisme identitaire
n’est-il pas surtout une projection des théoriciens qui en ont précisément
besoin pour échafauder leurs théories ?
Aujourd’hui, la forte tendance au métissage de médias par ailleurs
souvent composites contribue à neutraliser la notion même de crise d’identité
médiatique. Priorité semble donnée au projet expressif et communicationnel
qui mobilise une pluralité de médias, répondant ainsi aux impératifs de la
sacro-sainte convergence. D’un certain point de vue, les hypermédias
d’aujourd’hui perturbent et bouleversent les derniers carrés identitaires, dans
une sorte d’animisme médiatique où les spécificités s’évanouissent et se
réincarnent sans cesse. Comme l’exprime encore Casetti :
In the beginning of 1896 a novelty in lantern work was first shown in London
in the form of Mr. Birt Acres’ Kinetic Lantern, as it was then called, by
which street scenes and other moving objects were displayed on the
screen in motion with a fidelity which was very remarkable. Almost
immediately afterwards a number of other inventors were in the field
with instruments for performing the same operation, and animated
lantern pictures under all sorts of Greek and Latin names were quite the
sensation of the moment11.
L’ANIMA DE L’ANIMATION
Nous avons évoqué plus haut une voie médiane, celle qui tend à associer le
cinéma à « autre chose ». Et parmi l’ensemble des « autres choses »
possibles, il y a l’image animée (ou dans certaines occurrences, l’image en
mouvement), la « moving image » en anglais, qui semble représenter une
tendance lourde. La porosité intermédiale intensifiée par la mutation
numérique offre ainsi une nouvelle visibilité à une série culturelle qui,
curieusement – mais cela n’est pas dû au hasard –, est symboliquement et
étymologiquement voisine de ce que nous appelions plus haut l’anima du
cinéma. Peut-être même pourrions-nous lui conférer le titre de « mégasérie »
ou encore d’« hypersérie ». Il s’agit tout simplement de l’animation, qui a
toujours eu maille à partir avec le cinéma malgré leurs évolutions parallèles.
Contre toute attente, on pourrait cependant soutenir, sous certaines
conditions, que l’animation constitue justement l’anima du cinéma.
L’idée de chausser les lunettes de l’animation pour comprendre
l’évolution du cinéma est présente en filigrane dans la réflexion de plusieurs
chercheurs contemporains, mais elle n’a pas, croyons-nous, encore retenu
toute l’attention qu’elle méritait. Dès 2001, pourtant, un chercheur comme
Lev Manovich est allé dans ce sens lorsqu’il a proposé que « born from
animation, cinema pushed animation to its periphery, only in the end to
become one particular case of animation15 ». En développant son
argumentation, il va plus loin encore et explique l’omniprésence de
l’animation dans le cinéma d’effets visuels par une formule freudienne
célèbre :
[...] I disagree with those who think of animation as only a genre of film [...]
Indeed, [...] animation arguably comprehends all of film, all of cinema,
was (and is) the very condition of their possibility : the animatic
apparatus. In this sense, animation would no longer be a form of film or
cinema. Film and cinema would be forms of animation. Let us not forget
the notion that the motion picture camera/projector animated still images
called “photographs17.”
Il nous apparaît fort utile pour la réflexion actuelle sur le cinéma que
nous militions en faveur d’un retour de la série culturelle de l’animation
comme cadre de référence essentiel, tout en essayant de comprendre pourquoi
celle-ci a été poussée à la périphérie de l’institution. On peut avancer dans
cette direction si l’on admet que ce serait d’une manière relativement «
dictatoriale » que le paradigme de la captation-restitution aurait été sacré
principe structurant premier de la série culturelle des vues animées, au point
de faire ombrage à la série culturelle de l’animation. Un créateur comme
Reynaud, grand maître de l’animation des images, en aurait pour ainsi dire
fait les frais.
D’ailleurs, dès lors que l’on considère les premières évolutions du
cinématographe sous l’angle des « vues animées », plutôt que sous l’angle du
seul cinéma, on se rend compte de la relative embrouille qui en résulte. Notre
premier réflexe est souvent de faire une adéquation biunivoque entre vues
animées et vues cinématographiques. Disons que l’Histoire traditionnelle du
cinéma et son sérialo-centrisme invétéré nous ont conditionnés à avoir pareil
réflexe. Or, la série culturelle dite des « vues animées », à laquelle on associe
toujours les débuts du cinéma, ne se limite pas à la seule cinématographie.
Elle en constitue même l’aboutissement, la coda, en quelque sorte. Tout
simplement parce que la série dite des vues animées comprend notamment les
vues kinétoscopiques, qui sont venues au monde plusieurs années avant les
vues cinématographiques. Elle comprend aussi les vues du Théâtre optique
d’Émile Reynaud, qui sont, elles aussi, venues au monde avant les vues
cinématographiques, et même avant les vues kinétoscopiques. Émile
Reynaud, véritable figure refoulée de l’histoire du cinéma, dont on peut
prévoir le retour en force. Ce refoulé, qui frappe aux portes de l’Histoire de
façon répétée, amène malheureusement avec lui son lot de défenseurs
maladroits. Ainsi en est-il, par exemple, de Bernard Lonjeon, qui ne sert pas
la cause de Reynaud, ni aucune autre bonne cause, en prétendant que
Reynaud serait le « véritable inventeur du cinéma » et en soutenant dans son
ouvrage que la ville de naissance de Reynaud, Puy-en-Velay, serait la ville-
mère du cinématographe (oui, vous avez bien lu : du cinématographe !), et
ce, dès juin 1875 (oui, vous avez bien lu : 1875 !).
La véritable réhabilitation de Reynaud, le retour légitime de ce refoulé,
passe nécessairement, selon nous, par le retour d’un autre refoulé de l’histoire
du cinéma : la série culturelle de l’animation. Bien sûr, l’animation a sa place
parmi les genres ayant droit de cité sur la planète cinéma, mais l’expression
par laquelle on la désigne, « cinéma d’animation », est déjà révélatrice de
cette évacuation de la série culturelle par son inclusion dans le cinéma
institutionnalisé, qui représente en quelque sorte sa mise en tutelle. Et c’est
ici, justement, que notre modèle des trois naissances prend une autre
dimension. Cette troisième naissance, post-institutionnelle et intégrative,
marque le retour du refoulé : l’animation revient prendre sa place comme
principe premier structurant. Avec l’estompage de la force identitaire régulée
par l’institution, avec l’effacement de la valeur « différentielle » du cinéma,
ébranlée par les coups de boutoir de l’hybridation numérique, et avec la
porosité généralisée liée à la convergence des médias, on en revient à cette
dimension animation du cinéma, que l’institution avait si soigneusement
déclarée sans identité propre ou, au mieux, para-identitaire. Tout comme,
parallèlement, la dimension attraction du cinéma revient en force et opère un
retour significatif, parfois au détriment de la narration.
Tout se passe comme si, longtemps subjugué par l’effet novelty de la
captation-restitution, dont l’institution avait décrété qu’il constituait son socle
identitaire, le cinéma avait renié une part significative de ses origines et de sa
« nature », comme s’il avait désavoué sa toute première série culturelle
d’appartenance. En effet, comme l’un d’entre nous l’a proclamé il y a
quelque temps déjà sur une autre tribune : « In fact, in some respects,
animation is kinematography and kinematography is animation18. »
Aujourd’hui, c’est peut-être le paradigme de la captation-restitution-narration
qui a du souci à se faire devant ce retour de l’anima du cinéma.
Notons par ailleurs que ce point de vue sérialo-centré lié au retour de
l’animation peut comporter quelques variantes et déplacements selon la série
retenue. Dans son ouvrage intitulé Le cinéma graphique. Une histoire des
dessins animés : des jouets d’optique au cinéma numérique, Dominique
Willoughby remonte la chaîne allant des jouets optiques au cinéma
numérique en se plaçant dans la perspective de ce qu’il nomme le « cinéma
graphique ». Sa démarche – qui offre en quelque sorte une autre occasion au
fantôme de Reynaud de venir frapper aux portes de l’historiographie du
cinéma – repose sur les efforts spontanés d’un historien cherchant à se
construire une série et à la légitimer, façon pour lui de reconstituer l’histoire
d’un « art visuel apparu voilà 175 ans : le mouvement des images créé par
une série de dessins, gravures ou peintures, depuis son invention en 183319 »
ou, pour le dire plus simplement, de reconstituer l’histoire de ce qu’il appelle
le « cinéma graphique », une série à l’intérieur de laquelle Reynaud occupe,
bien entendu, une place de choix. Une série dont l’auteur dit, par ailleurs,
qu’elle fut « à l’origine du cinéma » et dont le domaine s’étend :
On sent bien ici que la série qui se dégage des propos de l’auteur n’est
pas très loin de ce que l’on désigne, de manière plus traditionnelle, comme le
film d’animation ou le cinéma d’animation, que le dispositif reynaldien
inaugure en quelque sorte (même s’il faut tenir compte du fait qu’il n’y a, à
proprement parler, ni film ni cinéma chez Reynaud).
Avec le numérique, Willoughby perçoit un retour de ce que nous
pourrions appeler, en usant de notre terminologie, l’anima graphique21 du
cinéma :
Dans le même temps, une rupture radicale est postulée entre l’indice
photographique et le code numérique. Pourtant, une rupture tout aussi
radicale a eu lieu avec le passage de la luminosité par transparence à la
luminosité par réfraction, opacité et saturation : de ce point de vue, l’«
opacité » du pixel numérique est plus proche de l’opacité du pigment de
la peinture que l’un et l’autre de la photographie23.
Bien que les films en motion capture ne sont [sic] normalement pas pris en
compte par l’Académie – Selon le règlement, les techniques de motion
capture et performance capture, utilisées sur Tintin, ne sont pas
considérées comme des techniques de film d’animation ! –, le Tintin de
Spielberg fait bel et bien partie des 18 concurrents pressentis pour
l’Oscar du meilleur film d’animation26.
C’est sans doute dans ce sens que Spielberg insiste38 sur la valeur intrinsèque
du découpage des « Aventures de Tintin » : comme dans un génial story-
board, commente-t-il (ah ! le ciné-centrisme !), tout y est conçu pour que le
récit glisse de plan en plan ! Mais le cinéaste américain ne manque pas de
souligner aussi l’importance du style graphique. Lorsqu’on se trouve face à
une médiagénie au sens fort, comme c’est le cas avec « Les aventures de
Tintin », les difficultés d’adaptation s’en trouvent d’autant augmentées.
Comment en effet détacher le système de monstration graphique et de
narration hétérochrone d’un média (et d’un médium) pour le faire exister de
façon crédible, juste et « fidèle » dans un autre ? Au-delà de toute évaluation
de l’œuvre même de Spielberg, et même si l’on n’apprécie pas son penchant
vers une inflation baroque (cf. le grand barnum de la fin du film), la réponse à
cette question tient dans sa démarche d’adaptation que l’on pourrait qualifier
de médiagénique.
On peut être enclin à penser que plus une œuvre fera corps avec « son »
média d’appartenance (c’est cela, la médiagénie), plus elle sera considérée
comme « inadaptable », comme difficilement « transférable » dans un autre
média39. Et c’est le cas avec l’œuvre d’Hergé, qui a construit un système
graphico-narratif vraisemblable, un système d’une cohérence
autoréférentielle très dense. L’originalité de Spielberg est d’avoir veillé à
intégrer l’esprit de ce système graphico-narratif dans son univers filmique
homochrone. Et le procédé de performance capture qui enregistre les
mouvements et attitudes d’acteurs réels afin d’animer les personnages permet
d’obtenir une cohérence anima-réaliste supposée être l’équivalent filmique de
la cohérence graphico-narrative hergéenne.
Pour Spielberg, la meilleure et pour ainsi dire la seule façon d’adapter
Tintin avec les moyens de la technologie cinématographique dont on dispose
aujourd’hui, c’est de recourir au procédé combinant deux séries culturelles :
celle de l’image captée et celle de l’animation. Spielberg insiste :
En ce sens, les partis pris spielbergiens font écho au travail de Warren Beatty,
qui ambitionna avec Dick Tracy (1990) de recréer à l’aide des effets
spéciaux de son temps (en particulier l’art du maquillage) la galerie
d’affreux gangsters grimaçants qui peuplent les strips de Chester
Gould41.
Les héros de Hergé ont pris vie, avec une émotion et une âme qui dépassent
de loin tout ce que l’on a vu, à ce jour, en images de synthèse45.
Avec les Dupond/t et la Castafiore, je suis gêné par les nez dont l’aspect
graphique me semble trop s’imposer. Ça ramène trop de dessin alors
qu’on est dans l’incarnation48.
Quoi qu’il en soit, l’usage fait dans The Adventures of Tintin du procédé
de performance capture et des images de synthèse nous invite à plus d’un
recadrage théorique. Même si Spielberg s’est placé dans l’optique d’un
traitement respectueux de l’œuvre originale, sa réalisation propose une
nouvelle conception filmique où la série culturelle de l’animation se
redéploierait de façon prégnante. En voulant rendre hommage à l’œuvre
originale (rapport de dépendance, de fidélité) et en considérant la source
bédéïque comme un super story-board qu’il fallait actualiser, Spielberg ouvre
la voie à une nouvelle forme d’illusion anima-réaliste.
Selon Chion, le cinéma n’a donc pas arrêté de faire subir une «
dépossession [...] au corps de l’acteur ». Adoptant une position un brin
provocatrice, l’auteur considère que le digital n’a en rien diminué le rôle de
l’acteur et estime que « son rôle importe plus que jamais dans le film en
images de synthèse54 ». Le péril annoncé au moment de la sortie de
Terminator 2: Judgement Day (James Cameron, 1991) ne se serait donc pas
vérifié : on n’a pas troqué l’acteur contre un ersatz numérique !
En fait, Chion suggère qu’un spectateur cherche toujours la forme
corporelle derrière ce qu’il voit au cinéma. Cela relève de ce qu’il définit
comme « la part de rêverie du spectateur sur ce qu’on peut appeler le “réel
profilmique” : l’idée de quelque chose qui s’est passé devant la caméra ou
devant un micro55 ».
Propos intéressants et décalés, ne serait-ce que parce qu’ils s’inscrivent
dans une autre pratique de l’imaginaire culturel, assez peu analysée
aujourd’hui, soit la rêverie devant les images filmiques de captation-
restitution. À ce titre, il vaudrait sûrement la peine de faire le pont entre cette
problématique et l’effet Aufhebung dont nous avons discuté plus haut. Sur un
plan « filmologique », cette rêverie séduisante du spectateur solitaire ne nous
empêche nullement de nous interroger sur les mutations assez radicales du
profilmique, celui-ci se diluant de plus en plus, à la faveur du numérique,
dans le filmographique. À l’instar de la performance capture, qui mixe
l’empreinte « digitale » captée de la prestation d’acteur avec sa recomposition
visuelle par animation numérique.
C’est en plein cela, l’animage : une image animée qui n’est déjà plus de
l’image (ce n’est plus tout à fait une empreinte du monde), ce dont rend bien
compte le « a » privatif en préfixe. Mais l’animage est aussi plus que jamais
une image qui bat désormais au rythme de l’animation.
L’animation revient donc au cinéma ; ou plutôt, le contraire : le cinéma
retourne à l’animation. Et c’est l’animation, en tant que forme
cinématographique au sens large, qui s’érigerait en principe premier
structurant du cinéma de l’ère du numérique. À notre sens, ce serait donc
l’animation qui représenterait la voie de l’avenir pour la compréhension et
l’appréhension de ce média en crise à l’ère du numérique.
______________
Conclusion*
Le cinéma n’existe pas encore. Nos films sont des esquisses à la mine de
plomb1.
[…] entre ce qu’on appelle encore cinéma et les mille et une façons de
montrer des images en mouvement dans le domaine vague nommé arts
plastiques2 […]
Dans le livre, on trouve des pages entières sans « trucages » : Boris Vian
accumule les inventions tout en laissant respirer son récit. [...] Au
cinéma, pour qu’une astuce soit visible, elle doit occuper un ou plusieurs
plans, elle doit prendre sa place, prendre le temps d’exister, s’introduire
dans un rythme. Le spectateur du film ne peut pas relire une phrase trois
fois, puis dévorer la suite d’une traite. Si un plan l’arrête, l’histoire en
souffre. Tandis qu’il s’amuse d’une trouvaille, il quitte un peu les
personnages7.
Il convient donc, nous avons insisté sur ce point dès les premières pages
du présent ouvrage, d’ausculter de façon critique la « mythologie » du
numérique ou, pour reprendre une expression de Gilbert Simondon, la «
genèse imageante9 » du digital. À l’instar, par exemple, de François Jost10,
qui démontre que l’univers des tweets n’ouvre pas sur une nouvelle
communication démocratique, comme on le proclame si souvent. Nous avons
nous-mêmes évoqué la twittérature au chapitre 3 : on peut peut-être, dans la
foulée, s’interroger sur cette récupération, par la « prestigieuse » série
culturelle littérature, d’un phénomène émanant du numérique et des nouvelles
technologies. Ce qui peut être perçu comme un point de vue « média-centré
», ou encore comme une volonté « sérialo-centrée » de reprendre la main en
fonction de sa série culturelle à soi. On y reconnaît en quelque sorte le
syndrome du « cinéma élargi » appliqué à la littérature, soit quelque chose
comme la littérature élargie, qui pourrait aboutir à un slogan digne d’un
Philippe Dubois : « Oui, c’est de la littérature ! »
Selon Jost, Twitter est un univers profondément inégalitaire et non
démocratique, qui restaure à sa façon la « fonction-auteur » développée par
Foucault : le réseau social rétablit en fait une communication très « verticale
», car seuls n’ont d’influence, au bout du compte, que les tweets des
célébrités. Encensé comme égalitaire, ce réseau social sépare très nettement
ceux dont les réflexions méritent d’être conservées, en construisant l’actualité
dite « des petites phrases », et ceux dont la parole s’évapore sans délai :
[Ces] textes de 140 caractères, qui passent comme des éclairs au milieu de la
quantité monstrueuse des tweets qui s’échangent chaque seconde, dotent
la parole quotidienne d’une légitimité nouvelle car, bien qu’ils soient par
nature des paroles qui flottent, vouées à l’évanescence de l’actualité, ils
ne trouvent d’écho que s’ils sont ancrés dans un nom qui les extrait du
vacarme incessant des gazouillis11.
Le numérique ne suffit pas à cette mort ; quel que soit ce qu’il perturbe à tant
d’égards, il ne touche pas l’essentiel : la séance, la salle, le noir, le
silence, les spectateurs rassemblés dans le temps12.
D’autres que Bellour et que ceux qui partagent ses valeurs insisteront sur
la multiplication des espaces écraniques susceptibles de recevoir du filmique :
♦ un écran géant mur à mur – le plus grand que l’on pouvait installer !
♦ une projection numérique d’une netteté absolue
♦ un son ambiophonique immersif – vous entendrez tous les détails
♦ des sièges spacieux – le summum du confort
♦ la réservation de sièges14
Les textes abondent [...] où les inventeurs n’évoquent rien moins que ce
cinéma intégral donnant la complète illusion de la vie, dont nous
sommes encore loin aujourd’hui16 […]
Bazin fixe donc ce vers quoi tend le cinéma : quelque chose comme une
captation-restitution hyperréaliste. Ou mieux : un hyperréalisme d’imitation-
recréation radicale. Pour lui, l’invention du cinéma est avant tout placée sous
l’autorité pleine et entière de ce principe de réalisme intégral qui se cristallise
dans ce qu’il nomme « cinéma total ».
Concernant l’expression même de cette pensée bazinienne, il nous
semble pertinent de relever une évolution de l’auteur, détectable dans la
comparaison des deux versions du texte portant sur le mythe du cinéma total
(entre 1946 et 1958, donc). Une évolution en apparence infime, mais qui
revêt une grande importance à nos yeux. Dans la version remaniée de son
texte (1958), Bazin évoque en ces termes l’opinion des premiers « penseurs-
artisans » du cinéma :
Or, en 1958, on doit bien constater que les progrès annoncés ne sont pas
au rendez-vous. En France, la couleur est loin de s’être imposée, alors que le
cinéma « en relief » est un échec mondial. D’où cette hypothèse suggérée par
Le Forestier : la différence de formulation témoignerait alors d’une sorte de «
reflux du cinéma total26 ».
Les technologies du numérique nous rapprochent-elles de cette radicalité
originelle de la représentation intégrale proposée par Bazin ? En quelque
sorte, oui. Bazin estimait néanmoins que « le merveilleux de l’écran n’est que
la conséquence de son réalisme27 » et donc, en ce qui le concerne, qu’une
sorte de digression « plastique » face à la quête idéaliste du cinéma intégral.
Nous considérons quant à nous que le numérique permet précisément la
fusion des deux régimes, soit celui de l’interprétation plastique, qui peut
entre autres engendrer du merveilleux, et celui de la représentation intégrale.
Pour reprendre les propres termes de Bazin, « prendre la vie sur le fait » et «
faire des miracles28 » : les deux actions fusionnent désormais au sein du
filmique digitalisé, qui a ontologisé le « merveilleux » du trucage.
C’est dans cet esprit de convergence, de métissage fusionnel et de
gestion du composite que nous avons introduit notre concept d’animage. Soit
ce type d’image filmique qui est issu du potentiel expressif du numérique et
qui cristallise le rayonnement actuel d’une série culturelle jadis négligée par
le cinéma-institution : l’animation.
En ce sens, nous pensons avoir comblé le vide linguistique déploré par
Jacques Aumont et avoir ainsi relevé le défi implicite que recèlent ses propos
:
Dire que le cinéma n’a plus l’exclusivité des images en mouvement n’est
donc pas constater sa disparition, pas plus que sa dissolution dans un
tout plus vaste où il se distinguerait mal. Ce qui manque, au fond, pour
dire simplement cette situation relativement simple, c’est un mot – un
mot unique qui dirait « usages sociaux divers d’images en mouvement ».
Mais ce mot n’existe pas, même en anglais, même en grec, et c’est
probablement la raison toute bête pour laquelle on veut tellement dire
que le cinéma est partout : ce n’est pas la chose qu’on veut universaliser,
c’est le mot, et par défaut29.
______________
* La mention « En savoir + » apparaît à plusieurs reprises dans les notes de
bas de page de cet ouvrage. Elle indique qu’un supplément d’information
(illustrations, vidéos, hyperliens, citations ou notes complémentaires) est
accessible sur le site Internet finducinema.com.
1. Cinéma total : essai sur les formes futures du cinéma, Paris, Denoël, 1944,
p. 10.
2. La querelle des dispositifs. Cinéma – installations, expositions, Paris,
P.O.L, 2012, p. 10. Souligné dans le texte.
3. Propos rapportés dans un communiqué de l’Agence France-Presse intitulé
« Adapter “L’Écume des jours”, le dernier défi de Michel Gondry », daté du
20 avril 2013. En savoir +.
4. Léo Pajon, « Pour ou contre “L’Écume des jours”, de Michel Gondry ? »,
Francetv info, 24 avril 2013. En savoir +.
5. Ted Hardy-Carnac, « “L’Écume des jours” de Gondry : une romance
écrasée sous un déluge d’effets visuels », Le Nouvel Observateur, 29 avril
2013. En savoir +.
6. Voir Residual Media, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2007.
7. Ted Hardy-Carnac, op. cit.
8. « La “révolution numérique” : techniques et mythologies », manuscrit de
l’auteur disponible en ligne sur le site de l’Institut Mines-Télécom, 2010, p.
24 (publié dans La Pensée, n° 355, 2008, p. 103-120). Le concept de «
nouveaux Nouveaux Mondes », forgé par Georges Balandier, s’écrit parfois
avec des majuscules, avec des guillemets ou sans marque particulière.
9. Cité par François Albera et Maria Tortajada : « Dans cette genèse il y a
l’imagination, le projet, la conception : Simondon appelle cet ensemble une
“genèse imageante” et celle-ci a une dimension virtuelle. » François Albera et
Maria Tortajada, « Le dispositif n’existe pas ! », dans François Albera et
Maria Tortajada (dir.), Ciné-dispositifs. Spectacles, cinéma, télévision,
littérature, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2011, p. 25. En savoir +.
10. François Jost, « Twitter, un univers faussement égalitaire », Le Monde, 21
juin 2012. En savoir +.
11. Ibid.
12. Raymond Bellour, op. cit., p. 19.
13. Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, L’écran global. Culture-médias et
cinéma à l’âge hyper-moderne, Paris, Seuil, 2007, p. 10.
14. Publicité en ligne de Cineplex faisant la promotion de l’expérience
audiovisuelle UltraAVX. C’est nous qui soulignons le mot génération. En
savoir +.
15. Les auteurs du présent ouvrage expriment leurs remerciements à Frank
Kessler et à Laurent Le Forestier, avec lesquels ils ont eu plusieurs échanges
personnels fructueux sur la question de la différence définitionnelle entre
pratique culturelle et série culturelle.
16. « Le mythe du cinéma total et les origines du cinématographe », Critique,
n° 6, 1946, p. 555.
17. Cloning Terror: The War of Images, 9/11 to the Present, Chicago,
University of Chicago Press, 2011.
18. André Bazin, « Le mythe du cinéma total » (version remaniée du texte de
1946), Qu’est-ce que le cinéma ?, t. 1, Ontologie et langage, Paris, Éditions
du Cerf, 1958, p. 19.
19. Ibid., p. 23.
20. Ibid., p. 22. C’est nous qui soulignons.
21. « Le mythe du cinéma total et les origines du cinématographe » (version
1946), p. 555.
22. « Le mythe du cinéma total » (version 1958), p. 23.
23. « Le mythe du cinéma total et les origines du cinématographe » (version
1946), p. 556.
24. « Le mythe du cinéma total » (version 1958), p. 24.
25. Citation extraite d’un courriel personnel de Laurent Le Forestier adressé à
André Gaudreault le 11 mai 2013. En savoir +.
26. Ibid.
27. « Le mythe du cinéma total et les origines du cinématographe » (version
1946), p. 557.
28. Dans la version originelle de son texte (p. 557), Bazin écrit : « De
machine à prendre la vie sur le fait il devenait avec Georges Méliès un
instrument à faire des miracles, c’est-à-dire à insérer l’impossible dans le
réel. »
29. Que reste-t-il du cinéma ?, Paris, Vrin, 2012, p. 59-60.
Bibliographie indicative
La bibliographie qui suit est proposée à titre indicatif. Elle réunit les
principaux titres d’ouvrages qui se rapportent, au moins partiellement, aux
divers bouleversements et moments de crise qu’a traversés le cinéma à
travers l’histoire (plus particulièrement ceux qui se sont tout récemment
manifestés dans la foulée de l’avènement du numérique) ou qui abordent plus
largement l’incidence des technologies nouvelles sur les médias. Nous avons
choisi de ne pas y inclure la totalité des ouvrages cités dans le livre et d’en
exclure tout article.
Si cette bibliographie ne vise pas l’exhaustivité, elle offre néanmoins au
lecteur un large panorama des recherches effectuées sur les crises d’identité
médiatique du septième art, et devrait constituer une référence pratique pour
les chercheurs et les étudiants intéressés par la problématique de l’impact des
nouvelles technologies sur le cinéma et les autres médias.
Les ouvrages y sont répartis en deux catégories, à savoir : « Livres » et «
Numéros de revue ». Seuls les numéros spéciaux et les ouvrages collectifs
ayant pour thème « la mort du cinéma » ou, plus largement, « la mort d’un
média » ont été retenus, les articles portant sur le même sujet ayant été exclus
par souci de concision. À noter, enfin, que la bibliographie se limite aux
textes publiés en français ou en anglais.
LIVRES
L’Harmattan, 2003.
CALDWELL (John Thornton), dir., Electronic Media and Technoculture, New
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terminée », novembre 2011.
Index
A
Abel, Richard 56, 186
Acland, Charles R. 169, 170, 246
Adventures of Tintin. The Secret of the Unicorn, The (2011) 226, 237
afilmique 138, 139, 143
agora-télé 10, 67, 123-125, 130-136, 140, 144-147, 170, 194-199
aller au cinéma. Voir sous consommation des images animées Andrew,
Dudley 31, 54, 211
anima 212, 216, 219, 220, 223, 224, 239
caméra 10, 14, 18, 42, 47, 58, 65, 81, 86, 88, 89, 99, 127, 131, 132, 134,
135, 138, 142-146, 156, 157, 163, 221, 226, 241, 245
webcam 87, 88
B
Balandier, Georges 70, 247
bande dessinée (BD) 78, 83, 106, 107, 113, 115, 116, 142, 157, 164, 165,
230, 232-236
Barjavel, René 149, 243, 252
Barthes, Roland 70, 97, 99, 121, 137
Baudry, Jean-Louis 42
Bazin, André 17, 19, 31-33, 57, 103, 144, 163, 252-255
Bégin, Richard 67, 80, 226
Bellour, Raymond 33-36, 41, 212, 243, 249
Belton, John 10-12, 16
Benjamin, Walter 70
Benoît-Lévy, Edmond 56, 206
Bordwell, David 93
Boudissa, Magali 115, 116
Bougnoux, Daniel 104
Boussinot, Roger 25, 45-49, 149, 182
C
Cahiers du cinéma 13, 19
Canudo, Riciotto 133, 138, 163
captation-restitution 81, 95, 99, 101, 118, 138, 142, 146, 147, 150, 152, 155-
157, 221, 223, 227, 228, 235, 238, 241, 253
Carou, Alain 140
Casetti, Francesco 183, 184, 213, 214
cassette vidéo. Voir sous supports de stockage
Castells, Manuel 75
Chartier, Jean-Pierre 162, 163
Cherchi Usai, Paolo 29, 179
Chik, Caroline 111
Child Bayley, Roger 217
Chion, Michel 240, 241
Cholodenko, Alan 221
cinéma à l’ère du numérique
captation-codage 30, 80, 82, 95, 97, 100, 109, 110, 118, 157
cinématographe 43, 47, 52-57, 93, 127, 128, 133, 135, 138, 144, 146,
147, 150, 158, 164, 174, 177, 180, 188, 206, 215-218, 221, 222
D
Daney, Serge 179
Debray, Régis 70
de Certeau, Michel 90
de la Bretèque, François Amy 29, 165
Deleuze, Gilles 75, 90
Delorme, Stéphane 13, 20
Desclaux, Pierre 50
digitalisation 29, 59-61, 63, 65, 69, 77, 85, 91, 93-96, 98, 109, 110, 118, 123,
193, 205, 208, 238, 255
double naissance des médias 50, 53, 57, 150, 151, 154, 155, 162-165, 167,
168, 171
Dubois, Philippe 7-9, 20, 33-37, 46, 96, 97, 217, 218, 248
DVD. Voir sous supports de stockage
E
écran 14, 16-18, 21, 27, 36, 37, 39, 48, 50, 67, 69, 72, 80, 89, 94, 101, 102,
115-118, 123, 124, 163, 170, 179-181, 183, 185, 191, 193-197, 207, 236,
237, 249, 255
Écume des jours, L' (2013) 243-246
Edison, Thomas 133, 134, 151, 180
effets spéciaux 26, 220, 235, 244
3D 27, 58, 91, 103, 105, 108, 199, 203, 227, 237
compositing 83
image de synthèse 83, 98, 100, 114, 209, 226-228, 236, 237, 239, 240
modélisation 3D 86
filmage 78, 119, 121, 134, 137, 139-143, 156, 226, 235, 238
tournage 15, 18, 78, 84, 105, 119, 121, 124, 136, 139-143, 226-228, 240
études universitaires 19
F
Festival de Cannes 58, 88, 200
film-fichier. Voir sous cinéma à l’ère du numérique
filmographique 134, 156, 241, 245
film-pellicule 14, 15, 52
film-projection 14
film-texte 14
fixité 69, 78, 95, 109-113, 116, 117, 128, 188, 233, 253
Flichy, Patrice 70
Foucault, Michel 90, 248
fracture numérique. Voir révolution numérique
G
Galili, Doron 165, 167, 168
Garcin, Jérôme 70
Gauthier, Christophe 165
Gervereau, Laurent 180
Godard, Jean-Luc 15, 16, 41, 58
Gombrich, Ernst Hans 107
Gondry, Michel 243-246, 249
graphiation 142, 232, 235, 236
H
Halvorson, Gary 131, 132, 140, 146
Hergé 84, 85, 226, 229-237, 239, 243
hétérochronie 113-117, 233, 234, 247
Hitchcock, Alfred 84, 85, 86, 156, 230
home cinema 46, 48, 123, 182, 183, 190, 193, 195, 198
homochronie 113-117, 157, 233, 234, 236, 247
hors-film 122, 194-197, 199, 200
Huss, Christophe 131, 132, 134
I
identité médiatique 9, 13, 20, 22, 31, 35, 37, 49, 51, 75, 128, 147, 151, 152,
159-161, 165, 169, 170-173, 175, 212, 213, 216, 223, 249
image animée 16, 18, 27, 29, 41, 78, 90, 110-113, 117, 197, 204, 210,
219, 241, 251, 256
image en mouvement 8, 22, 26, 27, 30, 34, 150, 177, 179, 180, 201-205,
207, 209, 219, 243, 256
image mouvante 22, 36, 78, 79, 81, 89, 94, 106, 114, 149, 156, 172, 212
image numérique 76, 82, 97, 98, 102, 104, 157, 225, 238, 240, 245, 246
vues animées 22, 55, 153, 158, 174, 184-186, 188, 215, 217, 221, 222
J
Jackson, Peter 103, 105, 226, 229, 230, 235, 236, 239
jeu vidéo 86, 112, 118, 176
Joly Corcoran, Marc 115
Jost, François 165, 196, 248
jouets optiques 96, 221, 223, 224
Jovanovic, Stefan 25, 88
Jullier, Laurent 159
Jutras, Pierre 202
K
Kessler, Frank 164
Kinetograph Edison 151, 152
L
Lancien, Thierry 94
lanterne magique 128, 174, 203, 216-218
Large, Brian 140
Lastra, James 31, 32, 45, 165, 166, 172, 173
Lecomte, Julien 165
Le Forestier, Laurent 25, 55, 77, 90, 96, 162, 251, 255
Lefebvre, Martin 31, 43, 228
Lefort, Gérard 58
Lepage, Robert 198
Leprohon, Pierre 51, 52, 164
Leroi-Gourhan, André 168
Lévy, Pierre 65, 75
Locher, Hans-Nikolas 104
Lonjeon, Bernard 222
Lugon, Olivier 110, 111, 116, 117
Lumière, Louis et Auguste 42, 43, 47, 98, 127, 128, 180
Lynch, David 27, 28, 36, 81
M
Maksa, Gyula 165
Malraux, André 137, 139
Mangolte, Babette 63, 109
Mannoni, Octave 105, 137
Manovich, Lev 101, 116, 220
Marie, Michel 94
Marker, Chris 16, 112
Massuet, Jean-Baptiste 226, 227
McLuhan, Marshall 74
média
convergence médiatique 64, 65, 67, 70, 80, 86, 110, 118, 160, 174, 193,
214, 223, 226, 255
écosystème médiatique 64
généalogie médiatique 22, 150, 165, 169, 173, 175, 176, 213, 214, 216,
246, 250, 252
hybridation médiatique 9, 27, 69, 80, 110, 114, 117, 149, 172-176, 215,
223, 229
hypermédia 22, 64, 68, 114, 175, 177, 214
proto-média 161
liseuse électronique 37
téléphone portable 18, 22, 27, 30, 34, 36, 37, 58, 80, 88, 89, 94, 102,
118, 165-167, 183, 192, 193, 210
monstration 76, 86, 104, 106, 110, 141, 142, 158, 230, 232-235
Morin, Edgar 53, 54, 64, 164
mort du cinéma 7, 8, 21, 22, 25, 26, 29, 34, 35, 38, 39, 41-43, 45, 47-57, 63,
68, 88, 108, 109, 149, 151, 162-164, 168-171, 206, 207, 257
motion capture 12, 17, 81, 104, 225-229, 235, 238, 239, 240. Voir aussi
performance capture
Musso, Pierre 70, 71, 76, 94, 167, 247
mutation numérique. Voir révolution numérique
N
novelty (effet) 82, 103, 104, 144, 152, 155-157, 160, 170, 217, 218, 223, 227,
247
numérique. Voir aussi cinéma à l’ère du numérique, révolution numérique
digital 29, 59-61, 63, 65, 69, 77, 86, 91, 93-96, 98, 104, 109, 110, 118,
123, 161, 193, 205, 207, 208, 224, 227, 238, 240, 248, 255
O
Odin, Roger 14, 129, 158, 159, 214
ontologie 81, 83, 95, 100, 101, 109, 110, 115, 117, 138, 143, 213, 225, 238,
240, 249, 255
opéra 30, 65, 67, 123, 124, 130-135, 143, 146, 147, 194, 197, 198, 251
ordinateur. Voir sous modalité de consommation des images animées
P
Panofsky, Erwin 128
passage au numérique. Voir révolution numérique
pellicule argentique 10-12, 14-17, 19-21, 56, 60, 63, 67, 81, 93, 94, 97, 99,
102, 109, 119, 121, 122, 127, 137, 157, 180, 184, 185, 187, 190, 191, 194,
195, 206, 209, 236, 246
performance capture 226-228, 233, 234, 237, 238, 240, 241, 252. Voir aussi
motion capture
Péron, Didier 63, 88
photographie 35, 72, 95-99, 109, 117, 128, 129, 133, 137, 144, 150, 164, 166,
174, 203, 225
photoréalisme 16, 30, 95, 97-101, 109, 227-229, 236, 238, 239, 252
Pisano, Giusy 218
Plateau, Joseph 221
pratique culturelle 153, 251
profilmique 14, 15, 84, 95, 98, 99, 101, 109, 127, 141, 156, 158, 236, 238,
241, 245, 252
projection 10, 13-15, 18, 19, 28, 34-36, 39, 41, 60, 78, 91, 102, 103, 122,
124, 128, 137, 141, 150, 180, 188, 191, 197, 199, 206, 208, 214, 217, 233,
246, 250
R
Racine, Yolande 202, 203
réception des images animées 10, 18, 21, 40, 69, 89, 90, 93, 113, 114, 122,
196. Voir aussi consommation des images animées
S
salle de cinéma 8, 10, 12-15, 27, 28, 34-37, 41, 45, 48, 55, 58, 67, 78, 90, 91,
95, 103, 118, 121-125, 130, 131, 134, 135, 146, 147, 170, 180-183, 186-201,
207, 209, 210, 227, 247, 249, 250
nickelodeon 186
Scheinfeigel, Maxime 29
Self, Will 18, 26, 27
série culturelle 51, 112, 122, 124, 127, 131-133, 147, 153, 160, 169, 172,
174, 175, 203, 213, 215-218, 220-225, 230, 234, 237, 248, 250-252, 256
Spielberg, Steven 16, 86, 226, 227, 229, 230, 233-239, 244
story-board 84-86, 233, 238
supports de stockage
cassette vidéo 18, 39, 46, 48, 182, 184, 190, 191
DVD (Digital Versatile Disc) 18, 28, 39, 67, 90, 95, 96, 116, 143, 175,
182, 184, 192, 193, 245
T
tablette numérique. Voir sous modalité de consommation des images animées
télécommande. Voir modalité de consommation des images animées
téléphone portable. Voir sous modalité de consommation des images animées
télévision 5, 9, 21, 27, 34, 37, 39, 41, 43, 45, 46, 65, 67, 72, 79, 89, 102, 103,
105, 113, 122, 123, 127, 140, 144, 149, 165-168, 176, 179, 180, 181, 183,
187, 196, 197, 206-208, 210, 219, 228
Terminator 2. Judgement Day (1991) 240
Tessé, Jean-Philippe 19, 102, 109
Théâtre optique 221, 222
The Hobbit. An Unexpected Journey (2012) 103, 104, 105, 108
Tisseron, Serge 70
Töpffer, Rodolphe 107, 165
Tortajada, Maria 111, 112, 225, 248
transmission en direct. Voir agora-télé
trucage. Voir sous effets spéciaux
Truffaut, François 85, 88
Tryon, Chuck 30, 31, 39, 40
V
Valleiry, François 56, 57, 93, 162, 163, 206
Vian, Boris 243-246, 249
W
Wenders, Wim 211
Williams, Raymond 169, 170
Willis Sweete, Barbara 132, 140
Willoughby, Dominique 223-225, 228
Z
Zinman, Gregory 12
REMERCIEMENTS
Cet ouvrage a été écrit dans une diversité de villes (Bruxelles, Fréhel [merci à
Jocelyne de L’Air de Vent], Gorizia, L’Estérel, Lille, Louvain-la-Neuve,
Montréal, Paris, Udine [merci à Leonardo de l’Université d’Udine et à
Isabelle de l’Ambassador], Santiago de Compostela et quelques autres
encore). Il reste néanmoins ancré dans chacun de nos laboratoires respectifs
(à l’Université de Montréal et à l’Université catholique de Louvain), et en
particulier au GRAFICS à Montréal, où une équipe de collaborateurs a épaulé
les deux auteurs tout au long du processus d’écriture, sur les plans
documentaire et éditorial. Nous leur en sommes très reconnaissants. Leurs
efforts nombreux et inlassables ont contribué à la mise en forme livresque
d’une recherche fondamentale qui a d’abord commencé par une recherche
empirique (dans un certain nombre de journaux contemporains) et par
l’observation au quotidien du processus de « digitalisation du cinéma » et de
ses effets sur la transformation de la planète cinéma. Les deux auteurs
tiennent à remercier sincèrement Stéphane Tralongo, Carolina Lucchesi
Lavoie et Marnie Mariscalchi pour l’excellence de leur travail de
documentation. Merci aussi à Quentin Gille qui a réalisé, sous notre
direction, la « bibliographie indicative » du présent ouvrage. Nous
remercions également Joël Lehmann pour son soutien technique constant.
Il nous faut faire une place à part à trois auxiliaires du GRAFICS qui ont
mis la main à l’ouvrage à de multiples égards dans le tourbillon final du
bouclage de l’édition définitive : aide à la révision, recherche des images et
des droits de reproduction, mise en forme du manuscrit, suggestion
d’intertitres et, surtout, conseils éditoriaux. Sans leur apport et leur travail
acharné, cet ouvrage n’aurait pu paraître à temps, ni sous la forme qu’il a
actuellement. Il s’agit de Simon Thibodeau (qui a assumé le rôle de
coordonnateur à l’édition et a réalisé l'index), de Marnie Mariscalchi
(coordonnatrice adjointe) et de Sophie Rabouh (adjointe à la coordination).
Ils ont été en tous points remarquables, et nous voulons leur témoigner ici
notre plus vive reconnaissance.
Merci aussi à nos deux réviseures et correctrices, Anne Bienjonetti et
Andrée A. Michaud, qui se sont tour à tour investies personnellement dans ce
projet d’écriture en faisant preuve d’un souci de précision et d’une
conscience professionnelle qui leur font honneur.
Un merci tout spécial à Michel Marie, qui a cru en ce projet depuis le
début, à Laurent Le Forestier (Université Rennes 2) pour sa complicité et ses
conseils, et à Kim Décarie, qui coordonne avec brio la « belle équipe » des
auxiliaires du GRAFICS.
Merci à tous ceux dont un extrait de courriel apparaît dans ce livre de
nous avoir donné l’autorisation de les citer.
Merci enfin à Anne Goliot-Lété (Université Paris 7) et Margrit Tröhler
(Universität Zürich) pour leur providentielle assistance, qui s’est avérée
indispensable en toute fin de parcours.