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a) De Chirico : le Choc
« Ce fut un des moments les plus émouvants de ma vie : Mes yeux ont vu
la pensée pour la première fois », écrira-t-il, en se souvenant de cette
révélation. Alors que Magritte découragé par ses premiers échecs
commerciaux, travaillait à dessiner des motifs dans une fabrique de
papiers peints, tâche qu’il exécutait avec le peintre cubiste Victor
Servranck, Marcel Lecomte vint l’y retrouver et lui montra une
reproduction d’un tableau de Chirico intitulé Le Chant de l’Amour. Il
découvrit à travers lui ce qui valait la peine d’être peint. Ce choc
esthétique survient en 1925 : il fut bouleversé jusqu'aux larmes, il décide
alors de changer sa manière de peindre en donnant « une représentation
détaillée des objets », la plus proche de celle de notre vision quotidienne.
Magritte saura qu'il s'agit de se préoccuper exclusivement "de ce qu'il faut
peindre et non plus de comment peindre". Il traverse dans la fièvre une
période de "tâtonnements laborieux" au cours de laquelle il "trouve son
premier tableau" : La fenêtre en 1925 puis Les deux Sœurs. Enfin, à partir
de la réalisation du Jockey perdu en 1926, qui fut sa "première toile
surréaliste vraiment réussie", Magritte instituera une fois pour toutes la
théorie, qu'inlassablement il répétera dans ses textes, dans ses lettres à
ses amis, dans ses réponses aux journalistes, de ce qu'il baptise « un
nouvel art de peindre ». Le jockey est perdu dans un monde irréel parmi
les bilboquets musicaux qui sont aussi des arbres, le tout sur une scène de
théâtre que figurent les rideaux. L’irréalité de la peinture est désormais
dans le cœur du travail de Magritte.
Entre Paul Nougé, E.L.T. Mesens, Jean Scutenaire et Magritte, des
préoccupations communes les unissaient. Ils firent la connaissance des
surréalistes qui manifestaient avec violence leur dégoût pour la société
bourgeoise. Leurs revendications révolutionnaires étant les leurs, ils se
mirent au service de la révolution prolétarienne.
L'image peinte est toujours chez Magritte une image réfléchie, une image
pensée. En d'autres mots, elle est toujours une image que le peintre oblige
à réfléchir sur son statut d'image. L'image peinte n'est jamais une simple
apparence, c'est-à-dire une apparence qui tromperait l'œil en se faisant
passer pour la réalité qu'elle représente. On ne fume pas une pipe peinte.
Ce n'est donc jamais une pipe, jamais une pomme, une femme, une forêt
ou un marteau. C'est tout le sens évoqué de La Trahison des images. Il y a
comme une impuissance et une limitation de la peinture qui est par
structure, séparée du réel, de son modèle. Mais cette séparation est
l'indice d'un pouvoir surréel, magique, différent: il est la capacité de trahir
le réel lui-même, de montrer une pierre qui flotte ou une pomme
envahissant tout l'espace d'une chambre comme on peut le voir avec La
Chambre d'écoute. La peinture travaille sur le visible, mais jamais au-delà.
L'œil ne fait pas que voir, il peut également lire. En d'autres termes, les
mots aussi sont de nature visible. Cet aspect des choses ne pouvait
échapper à la lucidité poétique de Magritte. Il n'y a pas de rapport entre
«l'idée» de cheval et l'animal que nous connaissons tous. Les mots jouent
de l'écart entre leur nature langagière et les choses auxquelles il leur
arrive de renvoyer.
Le mot écrit, par exemple «la Seine» nous transporte à Paris, en pensée,
mais à supposer que nous habitions Cologne ou Bruxelles, ce «transport»
n'est pas réel : il est abstrait. On peut donc parler d'une certaine
impuissance des mots à l'égard des choses. Les mots sont capables de
déclarations mensongères. On voit ceci à travers le tableau La clé des
songes de 1930. Entre les mots et les choses règne un écart variable qui
les sépare. Pour cette œuvre, il se sert des comme des apparences
visibles, Magritte les combine aux images avec une liberté qui lui est
propre et qu’il utilisait déjà avec les seules images. La conscience du réel
n’établit plus l’arbitraire de son ordre. On plonge dans le sensible qui
définit le rêve. Il est souvent parvenu à faire hurler la banalité de choses, à
rendre bouleversantes des situations banales auxquelles la vie nous
confronte.
Penser en peinture la différence du visible et de la pensée oblige le peintre
à rendre la pensée visible, à lui conférer un statut perceptible par l’œil.
C’est pourquoi Magritte a introduit des mots dans ses toiles, a conjugué
sur une même surface du visible et du lisible.
c) La pensée visible
D'une part le visible et ses apparences et, d'autre part, l'invisible et ses
pensées, il y avait place pour une alliance réfléchie entre les images et
leur sens, et c'est un pacte de ce genre, fait d'incertitudes et de
merveilles, que Magritte a su nouer en ses toiles. Il n' y a pas du tout de
relation ou de rapport entre ce que l'on dit et ce que l'on voit, entre la
logique du discours et les figures de la visibilité. Ainsi a-t-on beau savoir
que le soleil n'est pas un grand disque rouge éloigné de deux cents pas, il
reste que certains soirs d'été, on ne saurait empêcher les choses de
paraître ainsi. Il y a dans l'apparence la plus naturelle des choses une
résistance aux concepts et c'est très précisément cette dimension qui
constitue la première demeure de Magritte, qui forme le point d'ancrage
dont il ne s'est jamais départi. Les œuvres de Magritte font voir ce qu'il y a
d'irréfléchi dans le visuel; elles donnent une portée à la fois subversive et
perverse. La pensée n'est rien qu'une confrontation active et intense avec
l'impensable : La Voix des vents. Aux effets de représentation, de
reproduction et de répétition propres à la technique, Magritte substitue la
simple vérité de son art. Il fait voir que l’instantané photographique n’est
pas une perception du réel, mais une opération et une manipulation
machiniques qui transforment des lumières et des ombres en une illusion
mensongère.
Pour Scutenaire, Magritte est un peintre essentiellement cérébral qui
utilise la peinture comme un moyen de connaissance et de découverte
comme d’autres utilisent la physique ou le marteau.
Conclusion
Après des moments de doute et d’essais futuriste et cubiste qui étaient
pour lui peu convaincants, Magritte a su se faire une place dans le
surréalisme grâce à ses œuvres teintées d’amour, d’érotisme et surtout
par son envie d’explorer en profondeur le monde et sa réalité cachée. Car
oui Magritte est avant tout un peintre d’idées, de pensées visibles et non
de matières. On ne peut pas dire qu’il aimait peindre mais plutôt penser
par images. Il a su à travers ses œuvres redonner le véritable sens de la
peinture. Au lieu d'inventer des techniques, Magritte a préféré aller au
fond des choses, user de la peinture qui devient l'instrument d'une
connaissance inséparable du mystère. Mais surtout, Magritte laisse à ses
spectateurs leur libre-arbitre. En effet, il mobilise, par le paradoxe
apparent contenu dans ces toiles, l'imagination et la réflexion du
spectateur qui en tirera les conclusions qu'il souhaitera sur la question de
la réalité des choses en général.
Et pour finir, nous dirons que c’est sans doute ce qui a plu à certaines
personnes ayant repris à leur compte personnel certaines œuvres de
Magritte en les détournant ou s’en inspirant tout simplement. Surtout au
niveau musical. Tout comme lui qui aimait reprendre des tableaux en les
détournant (Le balcon d’Edouard de Manet de 1868, repris en 1950 en
remplaçant les personnages par des cercueils), beaucoup d’artistes ont
détournés ses peintures pour créer leur propre réalité. Ainsi, nous pouvons
voir que des groupes de musique ont repris le thème des Amants.
Seulement, pour la pochette de l’album Casually Dressed and Deeply
Conversation, même si on retrouve les amants aveuglés, cette fois ils se
tournent le dos et le lien d’amour semble les séparer, les empêcher de
parler et de se voir vraiment. Sur l’autre pochette, intitulée Frances The
Mute, l’amant est seul et l’aveuglement de l’amour se transforme en
égoïsme par rapport au monde qui l’entoure. L’empire des Lumières,
tableau où le jour et la nuit se rencontrent, a été repris pour l’affiche du
film l’Exorciste. Sur cette image, la nuit domine et la seule lueur que l’on
aperçoit est celle du lampadaire qui indique la présence de l’homme
comme sauveur, comme seul moyen d’effacer l’ombre. Grâce à ces
exemples, on comprend que René Magritte était un artiste fait pour les
adeptes de la philosophie qui aiment manier, comme lui, les objets, leurs
pensées et leurs rêves à leur manière.